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Master Sciences de la matière Transitions de phases et phénomènes critiquesEcole Normale Supérieure de Lyon Beaucé Eric

Transition de phases et phénomènes critiques dansune grille de booléens : Théorie de la percolation

Résumé : Les grilles de booléens, c'est-à-dire de variables binaires, exhibent un seuil de concen-

tration séparant une phase sans réseau in�ni d'une phase avec un réseau in�ni. Au voisinage de

ce seuil, dit de percolation, on retrouve les caractéristiques des phénomènes critiques : divergence

d'une longueur de corrélation, dimension fractale ... Ce rapport introduit les concepts de bases de

la théorie de la percolation en les illustrant par des expériences numériques.

January 15, 2016

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Contents

1 Introduction 1

2 Les bases de l'étude des clusters 22.1 Introduction des grandeurs d'intérêt dans un problème de percolation . . . . . . . . . . 22.2 Phénoménologie et modèle de la grille de Bethe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

3 Comportement des clusters au seuil de percolation 43.1 Estimation du seuil de percolation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43.2 Notion de corrélation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53.3 Dimension fractale du cluster "in�ni" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

4 Approche par le Groupe de Renormalisation 84.1 Arguments et méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84.2 Application au calcul de ν . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94.3 Ra�nage de la renormalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

5 Conclusion 11

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Transition de phases et phénomènes critiques dans une grille de booléens : percolation Beaucé Eric

(a) Exemple de problème de percolation : chaque siteest occupé avec la probabilité p “ 0, 364. Les sites oc-cupés sont de couleur noire, tandis que les sites videssont de couleur blanche. Les sites occupés voisinspeuvent former un cluster, un exemple est indiqué enrouge.

(b) Lorsque le seuil de percolation est dépassé,un cluster s'étendant d'un bord à l'autre de lagrille apparaissent : on dit que la grille percole.Un exemple d'un tel cluster est a�ché en vert.

1 Introduction

Ce rapport aborde les concepts de base de la théorie de la percolation auxquels nous nous sommes ini-tiés principalement à l'aide de l'÷uvre Introduction to Percolation Theory de D. Stau�er et A. Aharony[1]. Tout au long du rapport, nous présentons les résultats des diverses expériences numériques quenous avons réalisées pour nous approprier les idées présentées ici, et les illustrer.

Commençons par introduire le sujet d'étude : considérons une grille, de géométrie quelconque, dontchaque n÷ud est appelé un site et qui possède deux états distincts : soit le site est occupé, soit le siteest vide. De manière générale, peu importe les valeurs qu'on attribue à la variable décrivant un site,pourvu qu'elle soit binaire. La théorie de la percolation traite de ce genre de problèmes, et s'intéresseplus particulièrement aux réseaux formés par les sites occupés (ou les vides) adjacents. Nous appelonsces objets des clusters. (Remarque : Nous garderons certains termes techniques en anglais dans cerapport.)

La Figure 1a présente un exemple de problème de percolation sur une grille 2D de dimension100x100. Si nous augmentons progressivement la probabilité p qu'un site soit occupé, alors nous ver-rons sur cette grille de plus en plus de carrés noirs. Nous pourrons notamment déterminer la probabilitépc à laquelle, pour la première fois, un cluster s'étendant d'un bord à l'autre de la grille (en prenantdeux bords opposés). Nous disons alors que la grille percole (cf Figure 1b). Bien sûr, comme noustravaillons avec une grille de taille �nie, il existe une in�nité de probabilités p auxquelles nous pouvonsobserver un cluster qui s'étend d'un bord à l'autre de la grille. Cependant, dans le cas idéal d'unegrille in�nie, il existe une unique probabilité à laquelle la grille percole pour la première fois. Cetteprobabilité dé�nit alors le seuil de percolation pc.

L'existence de ce seuil est associée à des phénomènes ayant leur analogie dans les transitions dephases et les phénomènes critiques thermiques, comme la transition ferro-paramagnétique. On peutdé�nir un paramètre d'ordre P, analogue de la magnétisation M. P est la probabilité qu'un site occupéappartienne au cluster de taille in�nie (dans un cas idéal où on considère une grille in�nie) : P estdonc nulle si p ă pc et 1 ě P ą 0 si p ą pc. P est aussi appelée la "force du cluster in�ni".

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2 Les bases de l'étude des clusters

Dans cette partie, nous exposons les notions de base utilisées pour décrire les propriétés des clusters,et présentons un modèle exactement solvable.

2.1 Introduction des grandeurs d'intérêt dans un problème de percolation

En physique statistique, la connaissance de la densité d'états permet d'estimer la valeur des observables,dans la limite thermodynamique. Dans un problème de percolation, c'est la distribution des tailles declusters qui permet d'accéder aux grandeurs physiques intéressantes, en calculant ses moments. Nousgarderons la notation p pour parler de la probabilité d'occupation d'un site, parfois aussi appelée laconcentration, et pc pour parler du seuil de percolation.

Dé�nition de la distribution des tailles de clusters nsSoit Nns le nombre moyen de clusters de taille s dans une grille composée de N sites. ns est donc

le nombre moyen de clusters de taille s par site (ou par unité de volume) et dé�nit donc la distributiondes tailles de clusters. Comme il y a s manières di�érentes d'appartenir à un cluster de taille s, laprobabilité qu'un site donné fasse partie d'un tel cluster est nss. Il faut préciser que ns dépend de laconcentration p, ce que l'on comprend intuitivement en pensant aux cas extrêmes p “ 0 et p “ 1.

Premier moment de nsComme un site appartient forcément à un cluster (au moins de taille 1), on a la relation suivante :

`8ÿ

s“1

nsppqs “ p

On reconnaît l'expression du premier moment de la distribution des tailles de cluster dans le membrede gauche de cette égalité. Par ailleurs, nous pouvons introduire ici la grandeur P, qui est la probabilitéqu'un site appartienne au cluster in�ni. En excluant le cluster de taille in�nie de la somme, on peutécrire :

p “ă8ÿ

s“1

nsppqs` P

Second moment de nsOn peut exprimer la taille moyenne des clusters, notée S, par :

S “`8ÿ

s“1

s.ws avec ws “nsppqs

pñ S “

ř

s s2nsp

Où ws, le facteur pondérant la contribution des clusters de taille s, est la probabilité qu'un site appar-tienne à un cluster de taille s sachant que ce site est occupé.

2.2 Phénoménologie et modèle de la grille de Bethe

Dans un cas idéal où l'on considère une grille in�nie, le cluster de taille in�nie apparaît lorsque laprobabilité d'occupation d'un site p est égale au seuil pc. Nous avons ainsi une transition entre unephase sans cluster in�ni, où P=0, et une phase avec un cluster in�ni, où P>0 ; P joue donc le rôle duparamètre d'ordre. Nous pouvons nous attendre à ce que l'apparition d'un cluster in�ni soit associéeà la divergence de certaines grandeurs physiques, comme la taille moyenne des clusters S.

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Figure 2: Durée de l'incendie, mesurée en unité de "temps de grille". Nous avons utilisé une grille de100x100 sites, et chaque durée obtenue pour une probabilité p donnée est la moyenne de 100 expériences.

Exemple du feu de forêt : divergence de la durée de l'incendiePour nous convaincre que certaines grandeurs vont diverger au seuil de percolation, nous utilisons

l'exemple du feu de forêt vu comme un problème de percolation. La forêt est assimilée à une grillecarrée, et chacun de ses sites est soit vide, soit occupé par un arbre. L'algorithme de propagation del'incendie consiste à tester successivement chacun des sites de la grille : si un de ses plus proches voisinsest en feu, alors il s'en�amme à son tour. Lorsque la grille a été parcourue en entier, alors la variablede temps est incrémentée de 1, et nous recommençons à tester chaque site. Un arbre ne peut brûlerqu'un seul tour durant, ensuite il s'éteint et ne peut plus être en�ammé à nouveau. En considérantl'incendie terminé s'il s'est propagé d'un bord à l'autre de la grille, ou s'il ne reste plus aucun arbreen feu, nous avons calculé la durée de l'incendie pour di�érentes concentrations p. Les résultats sontprésentés Figure 2.

Ces résultats montrent clairement un seuil autour duquel la durée de l'incendie devient importante.Pour des raisons d'économie de temps de calcul, la grille utilisée n'est pas in�nie et la durée del'incendie ne diverge pas réellement, mais nous pouvons nous convaincre facilement que la hauteur dece pic augmenterait si nous répétions cette expérience avec des grilles de plus en plus grandes. Nouspouvons compléter cette approche phénoménologique par l'étude de modèles exactement solvables,comme par exemple la grille de Bethe.

Modèle de BetheEn général, nous ne sommes pas capables de déterminer analytiquement pc, ns, P, S mais la grille

dite de Bethe est un cas spécial de la théorie de la percolation où l'on connaît les formes exactesde ces grandeurs. La grille de Bethe peut donc être rapprochée des modèles de champs moyens destransitions de phases thermiques. Un exemple de grille de Bethe est présenté Figure 3. Cette grille secomporte comme un système de dimension in�nie : en e�et, comme la surface 9 volume

d´1d où d est

la dimension de l'espace, alors la surface devient proportionnelle au volume dans la limite où d tendvers l'in�ni. Or, dans la grille de Bethe, le nombre de sites à la surface est e�ectivement proportionnelau nombre de sites en volume.

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Figure 3: Grille de Bethe pour z=3. Pour constru-ire une telle grille, z-1 sites sont générés à chaquebranche, chaque nouvelle génération, il y a donceu zpz ´ 1qn´1 sites générés à la nème génération.(Source : en.wikipedia.org)

En raisonnant sur le cas z=3, nous pouvonsdéterminer les expressions suivantes :

- pc “1

2ou, de manière générale, pc “

1

z ´ 1

- ns9 psp1 ´ pq2 ou, de manière générale,ns9 p

sp1´ pqpz´2qs`2

- P “ 0 pour p ď pc, et P “

p

˜

1´ p

p

pour p ą pc

- S “1` p

1´ 2ppour p ď pc

En développant les expressions de P et S autourdu seuil de percolation pc “

12 , nous pouvons

les exprimer en simples lois de puissance de lavariable pp ´ pcq et ainsi dé�nir des exposantscritiques. On a P „ pp ´ pcq

β “ |p ´ pc| etS „ |p´pc|

´γ “ 1pc´p

. Soient β “ 1 et γ “ 1. Cesrésultats sont en accord avec l'intuition, avantde franchir le seuil de percolation, la probabil-ité qu'un site donné appartienne à un cluster detaille in�nie est nulle et devient non-nulle pro-gressivement en franchissant le seuil. Par ailleurs,juste au-dessus du seuil de percolation il existe uncluster in�ni donc il est raisonnable de penser quejuste en-dessous du seuil, de très grands clusters

existent et la taille moyenne des clusters S augmente très fortement à l'approche du seuil.

Ces dernières remarques au sujet du comportement des clusters autour du seuil de percolationrestent vraies pour n'importe quelle grille. Elles nous guident dans la construction de formes généralesde ns, P et S.

3 Comportement des clusters au seuil de percolation

Le but de ce rapport n'est pas de remontrer toutes les étapes ayant abouti aux di�érentes formes descaling exprimant les grandeurs ns et ses moments. Cependant, nous allons donner ici la forme de ladistribution des tailles de cluster ns, obtenue par des arguments physiques et par la généralisation desolutions exactes comme la grille de Bethe et le cas 1D.

ns9 s´τf ppp´ pcqs

σq

Les exposants critiques τ et σ sont utilisés, mais nous aurions pu exprimer ns avec les exposantsβ “ τ´2

σ et γ “ 3´τσ . Des expériences numériques pour divers problèmes de percolation ont pu montrer

que la fonction f est environ constante pour pp´ pcqsσ ! 1 et décroît rapidement pour pp´ pcqsσ " 1.D'où la dé�nition d'une taille de cluster sζ “| p ´ pc |

1{σ comme cuto� dans les sommes sur s : lesclusters contribuant de manière importante dans les moments de ns sont de taille s ă sζ .

3.1 Estimation du seuil de percolation

La première étape pour pouvoir étudier une grille à son seuil de percolation est d'estimer ce seuil. Lescas où une expression analytique du seuil de percolation existe sont des exceptions, et il nous faut donc

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Figure 4: Estimation du seuil de percolation dans une grille carrée de 28 ˆ 28 sites. Notre estimationpestc “ 0, 5990 est à comparer au résultat �gurant dans la littérature pc “ 0, 5928 (Wolfram MathWorld,Introduction to Percolation Theory ...).

e�ectuer des simulations numériques pour l'estimer. Le principe est très simple, nous voulons calculerla probabilité que la grille percole, pour une concentration p donnée, a�n de dé�nir la transition entrela phase sans cluster in�ni, et la phase avec cluster in�ni ; nous notons cette grandeur Πppq. Dansle cas idéal où la grille est in�niment grande, Π est une fonction de Heaviside qui passe de 0 à 1, àp “ pc, et la dérivée dΠ

dp est un pic de Dirac centré en p “ pc. Cependant, pour une grille �nie, Π passe

progressivement de 0 à 1, et dΠdp est alors très bien décrite par une gaussienne. Nous pouvons dé�nir le

seuil de percolation par la position du maximum de dΠdp .

Pour illustrer cette méthode, nous avons réalisé des simulations numériques sur une grille carrée de28ˆ28 sites. Pour chaque probabilité p, nous générons 1000 grilles et comptons le nombre de fois Nper

qu'un cluster s'étendant de haut en bas de la grille apparaît. Nous dé�nissons alors : Πppq “Nperppq

1000 .Un �t gaussien de dΠ

dp nous permet ensuite de dé�nir le seuil de percolation pc. Les résultats sontmontrés Figure 4.

3.2 Notion de corrélation

Fonction de corrélation

Deux sites d'une grille sont corrélés s'ils font partie d'un même cluster. Pour mesurer le degré decorrélation entre un site occupé donné et les autres sites de la grille, nous introduisons la fonctiong. Considérons un site occupé donné de la grille, alors gprq est la probabilité qu'un site situé à unedistance }r} de lui soit aussi occupé et fasse partie du même cluster. Nous appelons g la fonction decorrélation, ou la fonction de connectivité. De cette dé�nition, il découle que si nous sommons gprqpour tous les sites de la grille alors nous obtenons le nombre de sites moyen auxquels est connecté unsite, c'est-à-dire la taille moyenne d'un cluster. D'où :

S “

ř

s s2nsp

“ÿ

r

gprq pour p ă pc ouÿ

r

`

gprq ´ P 2˘

pour p ě pc

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Figure 5: Apparence du plus grand cluster (en noir) pour di�érentes concentrations p. Comme pc “0, 5928, on a, de gauche à droite : p ă pc, p “ pc et p ą pc.

Notons que pour p ě pc, S est la taille moyenne des clusters �nis et il faut retirer à gprq la probabilitéP 2 que les deux sites appartiennent au cluster in�ni.

Longueur de corrélation

Grâce à la fonction de corrélation, nous pouvons exprimer le rayon quadratique moyen des clusters,et nous l'appelons la longueur de corrélation.

ξ2 “

ř

r r2gprq

ř

r gprq

Cette somme peut être réexprimée comme une somme sur les tailles de cluster s pour montrer que ξn'est rien d'autre que le rayon des clusters qui contribuent le plus dans les moments de ns (i.e. lesclusters de taille „ sζ). Comme S “

ř

r gprq ÝÑpÑpc8 et 1 ď r2 ď `8 alors ξ ÝÑ

pÑpc8 et nous pouvons

dé�nir un nouvel exposant critique ν pour décrire la divergence de ξ près du seuil de percolation :

ξ „| p´ pc |´ν pour p „ pc

L'apparition d'un cluster de taille in�nie est donc un phénomène critique, dans le sens où l'on peutdé�nir une longueur de corrélation qui diverge. Pour conclure ce paragraphe, nous pouvons rappelerl'argument principal de la "théorie du scaling" :La longueur de corrélation ξ est l'unique grandeur caractéristique d'un phénomène critique.Nous verrons par la suite sur quoi se base cet argument.

3.3 Dimension fractale du cluster "in�ni"

Nous venons d'introduire la longueur de corrélation ξ, dont la divergence au seuil de percolation traduitdirectement le fait qu'un cluster de taille in�nie apparaît. Nous allons maintenant nous intéresser aucomportement de ce cluster in�ni au seuil de percolation. En pratique, nous devons assimiler le clusterin�ni au plus grand cluster de notre grille (qui percole). La Figure 5 illustre l'apparence du plus grandcluster en fonction de la concentration p.

Pour motiver la question "Le plus grand cluster est-il un objet normal, i.e. de même dimension quela grille dans laquelle il existe ?", nous montrons Figure 6 le plus grand cluster observé à di�érenteséchelles, au seuil de percolation. Bien que nous pouvons deviner quelle image est la plus zoomée, nouspouvons constater que la structure du cluster est la même quelle que soit l'échelle d'observation. Ilsemblerait donc qu'il possède une propriété d'autosimilarité, comme les objets fractals. Nous voulons

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Figure 6: Plusieurs zooms successifs sur le plus grand cluster au seuil de percolation. De gauche àdroite : du moins zoomé au plus zoomé.

Figure 7: Mesure de la densité du plus grand cluster en fonction de la taille du système L, au seuil depercolation : pc “ 0, 5928.

voir si la dimension du cluster est celle de la grille : 2.

Pour cela, nous mesurons la densité du plus grand cluster pour di�érentes échelles d'observation.Nous considérons une grille de côté L et calculons M(L), la masse du plus grand cluster (i.e. le nombrede sites qui le composent) ; la densité est alors ρpLq “ MpLq{L2. Pour une longueur L, 100 grillessont générées et nous faisons la moyenne des masses mesurées. Les résultats obtenus sont présentésFigure 7 ; le �t des données donne une pente de -0,102 donc ρpLq9L´0,102 ñMpLq9LD “ L1,898, enbon accord avec la littérature où D “ 91{48 « 1, 896. Le plus grand cluster ne se comporte donc pascomme un objet normal MpLq9Ld où d est la dimension de la grille : son comportement est fractalet D est sa dimension fractale.

Ce comportement est dû aux nombreux trous présents à toutes les échelles dans le cluster, au con-traire, lorsque p ą pc le plus grand cluster devient homogène (cf Figure 5) et MpLq9Ld. Par ailleurs,nous pourrions montrer que pour p ă pc, si L ă ξ, alors MpLq9LD

1

avec D1 ‰ D. Ceci suggère uneinterprétation de ξ comme longueur de crossover, c'est-à-dire qu'aux échelles L ă ξ les clusters ont uncomportement fractal car les trous jouent un rôle important tandis qu'aux échelles L ą ξ les clustersse comportent comme des objets normaux de dimension d.

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Figure 8: Décimations successives d'une grille, près du point �xe p˚ de la transformation du Groupede Renormalisation que nous e�ectuons. À chaque pas, la probabilité d'occupation p est modi�ée enp1 “ fppq.

L'autosimilarité des objets fractals implique qu'il n'existe aucune longueur caractéristique pouvantservir d'échelle de mesure, à part la longueur de corrélation ξ. Le problème présente donc une uniquegrandeur caractéristique quelque soit l'échelle d'observation ; c'est notamment le cas au seuil de per-colation où tous les clusters ont un comportement fractal (ξ ÝÑ 8). (Remarque : Dans la nature,les objets ne peuvent pas être rigoureusement fractals, dans le sens où il y a forcément une échelleminimale et une échelle maximale.) Nous allons maintenant présenter comment le Groupe de Renor-malisation exploite cette idée d'autosimilarité pour apporter de nouveaux arguments et retrouver demanière élégante le seuil de percolation et les exposants critiques.

4 Approche par le Groupe de Renormalisation

4.1 Arguments et méthode

Le principe du Groupe de Renormalisation est de changer l'échelle d'observation du système, et dechercher les cas où la longueur de corrélation reste inchangée. Ainsi, le Groupe de Renormalisationremplace le problème de la recherche des points critiques, correspondant à des transitions de phases,par la recherche des points �xes d'un système dynamique.

Pour changer l'échelle d'observation, les degrés de liberté voisins sont rassemblés en "variablesblocs", c'est-à-dire que nous appliquons une opération de décimation. Dans le cas d'un problème depercolation, les sites voisins sont rassemblés en "supersites". Nous montrons Figure 8 plusieurs étapessuccessives de décimation de facteur 2 : chaque supersite est le rassemblement d'un carré de 2x2 sites,cette étape s'appelle aussi une transformation du Groupe de Renormalisation. Les supersites résultantssont occupés si eux-mêmes percolent, i.e. si deux sites sont verticalement voisins. Pour une grille detaille �nie comme dans notre exemple, nous voyons qu'après un nombre �ni de décimations, nous at-teignons le cas singulier où la grille est réduite à un unique supersite.

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À chaque décimation d'un facteur l, l'unité de mesure des distances est modi�ée, donc la longueurde corrélation ξ est elle aussi réduite d'un facteur l, i.e. ξ1 “ ξ{l. Cette transformation implique quela nouvelle probabilité d'occupation p1 doit véri�er :

l | p1 ´ pc |´ν“| p´ pc |

´ν ñ ν “logplq

log rpp1 ´ pcq{pp´ pcqs

On pose λ “ rpp1 ´ pcq{pp´ pcqs alors λ “ l1{ν , et 1{ν est parfois noté yp. On peut écrire p1 “ fppqoù f représente la transformation de p sous la décimation. Quand on est au seuil de percolation oùtous les clusters ont un comportement fractal, pc ne doit pas dépendre de l'échelle d'observation alorsfppcq “ pc. C'est par cet argument que le seuil de percolation pc est assimilé à un point �xe de latransformation du Groupe de Renormalisation. En général, il existe cependant plusieurs points �xesqui correspondent à des situations où ξ1 “ ξ{l. Il n'y a que deux solutions pour cette dernière égalité :

- ξ “ 0 : Ces points �xes sont dits triviaux. En percolation, ils correspondent aux cas p “ 0 etp “ 1.

- ξ “ 8 : Ces points �xes sont dits critiques et correspondent aux transitions de phases où lalongueur de corrélation diverge. Dans les problèmes de percolation, l'unique point �xe critiquepeut être assimilé au seuil de percolation.

Ainsi, par dé�nition du point critique : fppcq “ pc, alors :

λ “fppq ´ fppcq

p´ pc“

pÑpc

df

dpppcq “ lyp

4.2 Application au calcul de ν

En identi�ant le seuil de percolation au point �xe critique de la transformation du Groupe de Renor-malisation, nous avons la relation suivante :

p1 “ fppq “ fppcq `df

dpppcqpp´ pcq `Oppp´ pcq

2q ðñ fppq “ fppcq ` l1{νpp´ pcq `Oppp´ pcq

2q

La connaissance de dfdpppcq su�t donc pour estimer ν. La première étape est de bien dé�nir la fonction

f , c'est-à-dire la transformation de renormalisation. Dans notre exemple Figure 8, chaque supersiteformé de 2x2 sites est occupé s'il percole verticalement. Les di�érentes con�gurations des 2x2 sitesmenant à un supersite occupé sont présentées Figure 9. L'avantage de traiter avec une renormalisationde facteur relativement petit (l “ 2 „ taille d'un site) est qu'on a une forme analytique pour la fonctionf . En e�et, nous avons :

p1 “ fppq “ p4 ` 4p3p1´ pq ` 2p2p1´ pq2 et p˚ “ p˚4 ` 4p˚3p1´ p˚q ` 2p˚2p1´ p˚q2

Figure 9: Illustrations des di�érentescon�gurations menant à un supersite oc-cupé (Source : Duane Johnson).

La recherche des points �xes de la renormalisation serésume donc à la recherche des racines d'un polynôme dedegré 3, nous avons : p˚ = [0 ; 0,61804 ; 1]. Donc le point�xe critique p˚ “ 0, 61804 est la valeur du seuil de percola-tion que donne notre approche par le Groupe de Renormali-sation ; elle s'écarte de 4% de la valeur admise pc “ 0, 5928.Avant de nous pencher sur l'origine de cet écart, voyons quelexposant critique ν nous pouvons obtenir. Nous avons :

df

dp“ ´4p3 ` 4pñ

df

dppp˚q “ 1, 5279

ñ ν “logplq

logpf 1pp˚qq“

logp2q

logp1, 5279q“ 1, 6352

Nous trouvons donc un exposant critique ν “ 1, 6352 qui s'écarte considérablement (22%) de la valeurde ν “ 4{3 admise dans la littérature. Comment expliquer ces résultats plutôt moyens ? Faut-ilremettre en cause la méthode du Groupe de Renormalisation ?

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4.3 Ra�nage de la renormalisation

La première di�érence entre les résultats établis pour la grille carrée 2D et notre méthode de renor-malisation s'est présentée lors du calcul du point �xe p˚, qui s'écartait de 4% du seuil de percolation.Le problème de notre raisonnement vient en fait de la construction de notre renormalisation.

Rappelons qu'aux points �xes, la longueur de corrélation ξ physique doit rester inchangée lors desétapes successives de décimation. Seule l'unité de mesure change d'un facteur l. Or, dans notre renor-malisation, l'identité des clusters n'est pas conservée : deux supersites peuvent être connectés tandisqu'aucun de leurs sites ne l'étaient, au contraire trois supersites peuvent se retrouver déconnectésalors qu'un cluster existait. Par conséquent, la fonction de connectivité ne se transforme pas selongprq “ g1pr{lq , comme nous l'attendrions du fait de l'autosimilarité. Nous soulignons en fait ici quel'utilisation d'une seule variable, la concentration p, est insu�sante pour décrire le point �xe critiquede la renormalisation. Ceci revient à dire, avec le jargon du Groupe de Renormalisation, que le nombrede relevant directions est supérieur à 1.

Pour améliorer ces résultats, plusieurs possibilités s'o�rent à nous :

i) Nous pouvons commencer par considérer une nouvelle variable : la probabilité que deux sitessoit liés. Ainsi, le point �xe correspondrait aux con�gurations où la concentration p reste invarianteaprès une décimation, mais aussi où le nombre moyen de liens entre sites reste inchangé. (Remarque :

Je n'ai pas bien compris comment appliquer cette idée en pratique. Je ne fais donc que la mentionnerici.)

ii) Nous pouvons choisir de ne garder que la variable p, mais chercher à diminuer le biais introduitpar cette approximation. Le principe de base est le même que dans la recherche du seuil de percolation,partie 3.1. Si nous renormalisons la grille avec un facteur l grand, alors la nouvelle concentration p1

n'est rien d'autre que la probabilité que chaque cellule lˆ l percole, que nous avons appelée Πppq dansla partie 3.1. Le point �xe de cette transformation véri�e :

p˚ “ Πpp˚q “

ż p“p˚

p“0

ˆ

dp

˙

dp

Or, nous avons vu que la dérivée de Πppq est bien modélisée par une gaussienne.

dp“ p2πδ2q´1{2exp

ˆ

´z2

2

˙

, avec z “p´ pmoy

δñ p˚ “ p2πq´1{2

ż z“pp˚´pmoyq{δ

z“´8exp

`

´z2{2˘

dz

Comme le point �xe p˚ ne doit pas dépendre de δ, alors la borne d'intégration supérieure est uneconstante, i.e. pp˚ ´ pmoyq9 δ. En utilisant ensuite la relation l1{ν “ dΠ

dp pp˚q, nous avons :

1

ν˚“logp1{δq

logplq´

constantelogplq

ðñlogp1{δq

logplq“

1

ν˚`

constantelogplq

ðñ y

ˆ

1

logplq

˙

“a

logplq` b

L'hypothèse pp˚ ´ pmoyq9 δ n'est bien véri�ée que pour des cellules très grandes, c'est-à-dire pourdes renormalisations de facteur l très grand. On a donc 1{ν˚ ÝÑ

lÑ`81{ν. En pratique, il "su�t" de

reproduire l'expérience numérique menée en 3.1 pour de très grandes grilles et de tracer logp1{δqlogplq en

fonction de 1logplq . 1{ν est alors l'ordonnée à l'origine obtenue par régression linéaire.

Faute de puissance de calcul pour travailler avec de très grandes grilles, nous n'avons pas pu déter-miner l'exposant critique ν par cette méthode. Cependant, nous pouvons illustrer d'une autre manièrela validité de ce raisonnement, en utilisant le fait que la dernière expression que nous avons écriteimplique : δ9 l´1{ν . Nous avons reproduit l'expérience de 3.1 pour di�érentes tailles de grille, et

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Transition de phases et phénomènes critiques dans une grille de booléens : percolation Beaucé Eric

Figure 10: Pour di�érentes tailles de grille, nous réalisons l'expérience 3.1 (cf Figure 4) pour obtenirl'écart-type de la gaussienne. En considérant une relation de type loi d'échelle, nous obtenons commeestimation de l'exposant critique ν : 1,375.

regardé comment la largeur de la gaussienne variait avec la taille de la grille utilisée. Les résultats sontprésentés Figure 10. Notre estimation de νest “ 1, 375 est très proche de la valeur ν “ 4{3 présentedans la littérature.

Le résultat δ9 l´1{ν peut en fait être trouvé à l'aide d'arguments de scaling, ce dernier paragraphe adonc montré que le Groupe de Renormalisation permet d'estimer correctement les exposants critiques,ainsi que de retrouver des relations de scaling avec des arguments nouveaux.

5 Conclusion

Nous terminons ce travail en ayant seulement vu les bases de la théorie de la percolation, et nous nenous sommes intéressés qu'au problème purement mathématique. Cependant, le formalisme développédans cette théorie a de multiples applications en physique pour étudier les propriétés de conduction dessystèmes poreux, le comportement des réseaux/systèmes complexes, ou encore en géologie, et présentemême un intérêt pour l'industrie pétrolière, etc...

D'un point de vue plus personnel, j'ai trouvé que la théorie de la percolation était un moyen trèspédagogue pour aborder les concepts de transitions de phases et de phénomènes critiques. Grâce àla simplicité du problème de base et des objets qu'on manipule (des tableaux de 1 et de 0), on peutfacilement adopter une approche par la pratique, avec de nombreuses expériences numériques faisablessur un ordinateur personnel. En�n, j'aurais voulu continuer en explorant les di�érentes applicationsde la théorie de la percolation dans les géosciences, en commençant par les travaux de P. Quinn [3] quis'intéresse au comportement d'un milieu granulaire polydisperse au seuil de densité critique.

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Transition de phases et phénomènes critiques dans une grille de booléens : percolation Beaucé Eric

References

[1] Dietrich STAUFFER et Ammon AHARONY, Introduction to Percolation Theory, SecondeÉdition - Taylor and Francis (1992)

[2] Duane JOHNSON, https://courses.physics.illinois.edu/phys466/sp2013/lnotes/scaling.html(1999)

[3] Pete QUINN A Geometric Examination of the Development of Critical States in Soil,Blog : https://petequinnramblings.wordpress.com/ (2012)

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