Conversation au fil de l'eauun projet d'installation de

CECILE BABIOLE et JEAN-MARIE BOYER

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INTENTION

Conversation au fil de l'eau est une installation qui met en œuvre un tchat autour d'un sujet d'actualité. Il utilise un réseau local fonctionnant à l'eau pour transmettre de courts messages textuels.Avec ce dispositif de communication, nous nous ré-approprions la phrase emblématique de McLuhan : "le message, c'est le médium"*1 en proposant un « nouveau » médium parodique, rétrograde (anti-novant) afin d'observer ses effets sur la nature des messages qu'il transporte.C'est cette double entité, médium (processus de transmission) et message (production textuelle) qui constitue le cœur du projet artistique.

1 La phrase (en anglais, The medium is the message) provient du livre Understanding Media: The extensions of man , publié en 1964 et traduit en français en 1968 sous le titre Pour comprendre les médias.

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ARCHÉOLOGIE DES MÉDIAS

Si nous avons fait le choix de ce système de transmission alternatif qui peutparaître incongru, c'est après avoir considéré l'histoire des réseaux.

En France, les grands secteurs industriels qui ont développé le réseaud'aujourd'hui sont les entreprises historiques de courrier et detélécommunication, les compagnies de distribution d'eau et celles du bâtimentet des travaux publics.

La distribution d'eau a notre préférence car il nous semble que la métaphorede mots flottant au fil de l'eau est la plus poétique, la plus inattendue et donc laplus éloquente.

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QUELQUES EXEMPLES DE SYSTÈMES DE CODAGE MANUEL POUR LA TRANSMISSION DEMESSAGES

SIGNAUX DE FUMÉE

peinture de Charles Russel 1896

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LE TÉLÉGRAPHE DE CHAPPE

Le télégraphe Chappe (ou télégraphe aérien) est un moyen de communication (télégraphe) visuel par sémaphore, sur desdistances de plusieurs centaines de kilomètres, mis au point par Claude Chappe en 1794. Les sémaphores sont en généralplacés sur des tours dites tours Chappe. Le signal est formé d'un mât muni d'un régulateur pivotant et de deux indicateurs articulés.

Ce dispositif est manipulé par 2 agents grâce à un système de poulies.

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La ligne Paris-Lille fut ainsi opérationnelle dès 1794 et permit par exemple de transmettre des messages entre ces deux villes en seulement six heures au lieu de 30 heures en calèche. A son apogée, en 1844, 534 tours quadrillent le territoire français reliant sur plus de 5 000 km les plus importantes agglomérations.

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Carte de France du Réseau Chappe

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Le chiffrage est simple, à chaque signe correspond un nombre.

Chaque indicateur pouvant prendre 7 positions par rapport au régulateur, ce dernier pouvant en prendre 2, cela nous donne 98 positions possibles (=7*7*2). Positions auxquelles on retire 6 signaux de service, ce qui laisse 92 signaux de correspondance pour former le message.

Chaque code était envoyé par groupe de 2 signes. Le premier nombre précise le numéro de la page du livre. Le second signe précise la ligne à lire.

Au final c’est donc 8454 mots (=92*92) , expressions qui peuvent être crées.

Le premier message transmis de Lille en 1794 est :

« CONDÉ – ÊTRE – RESTITUÉ – À - RÉPUBLIQUE – REDDITION – AVOIR EU LIEU – CE – MATIN – À -SIX – HEURES»

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Jacques-Auguste Regnier (1787-1860), Vue du télégraphe optique de Chappe sur le clocher de l'église Saint Pierre de Montmartre, vers 1820

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Le télégraphe Chappe n'a été en activité que le temps d’un demi-siècle (1855, abandon de la dernière ligne du télégraphe aérien) étanttrès rapidement technologiquement dépassé par l’arrivée du télégraphe électrique avec le morse qui peut transmettre 20 caractères à la

minute.

L’alphabet sémaphore, appelédans la marine nationale signaux à bras,est un moyen de communication visuelutilisant des pavillons tenus à bout de braspour coder les caractères de l’alphabetlatin. Il est principalement utilisé par lesofficiers de la marine, surtout les militairesdans des conditions particulières (silenceradio, entraînements) entre bateaux àproximité. Ce code était courammentutilisé pour les communications entre lesnavires au début du XIXe siècle avantl’invention de la radiotélégraphie.

C'est un peu le chainon manquant entre letélégraphe de Chappe puisqu'il estalphabétique.

A ne pas confondre avec l'alphabet des pavillons beaucoup plus tardif.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Code_international_des_signaux_maritimes

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LE MORSE

L’alphabet morse est un code permettant de transmettre un texte à l’aide deséries d’impulsions courtes et longues, qu’elles soient produites par dessignes, une lumière ou un geste.

Inventé par Samuel Morse et Alfred Vail en 1832 pour la télégraphie, ce codage de caractères assigne à chaque lettre, chiffre et signe de ponctuation une combinaison unique de signaux intermittents. Le code morse est considéré comme le précurseur des communications numériques.

Aujourd’hui, le morse est encore principalement utilisé par les militaires comme moyen de transmission (souvent chiffrée), ainsi que dans le civil pour certaines émissions à caractère automatique : radiobalisesen aviation, ou bien encore pour la signalisation maritime, feux, dits « à lettre morse ».Le morse est également pratiqué par des amateurs comme de nombreux radioamateurs, scouts (morse sonore et lumineux), plongeurs ou alpinistes (morse lumineux)...

Il lui faut du temps pour imposer son invention et il ne dépose son brevet qu'en 1840. La première ligne, entre Washington et Baltimore, est construite en 1844.

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Station radiotélégraphique type Marconi cf Titanic

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Manipulateur de type pioche

Le système est simple : des piles, un interrupteur, un électro-aimant et des fils sont suffisant pour transmettre les deux seuls signes possibles : un court ou un long (appelés un point ou un trait).

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CONVERSATION AU FIL DE L'EAU, LE PROJET ARTISTIQUE

1- LE PROCESSUS DE TRANSMISSION – LE DISPOSITIFLe réseau internet est souvent considéré par les non-spécialistes comme une entité immatérielle et transparente, alors qu'il n'en est rien,c'est avant tout une infrastructure très matérielle avec ses serveurs, routeurs, câbles, nœuds, le plus souvent dissimulés dans desbâtiments opaques, ou enterrés dans des fourreaux, tubes et sous-tubes. Avec Conversation au fil de l'eau, au contraire, le mouvementdes données transférées est exposé dans toute sa physicalité. Le processus est visible, audible, exhibé et d'autant plus observable qu'ilprend un certain temps.

OVH à Roubaix OVH intérieur du data center

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Le « cloud »

Illustration de la Bible par GustaveDoré : Dieu crée la lumière

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Cette lenteur du système et sa mise à nu place les visiteurs dans une disposition de contemplation et de compréhension du réseau, quipeut les amener à s'interroger sur le bien-fondé de la course au temps réel qui caractérise la communication actuelle.

Par ailleurs, la méthode choisie, délibérément artisanale, entraîne quelques erreurs de transmission, notre réseau n'est donc pasentièrement fiable et les bugs éventuels font partie intégrante du projet.

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DescriptionL'installation met en place un réseau qui permet d'envoyer et de recevoir des messages entre deux postes et rend possible un tchat pourdeux participants simultanément.Ce réseau est local, seuls peuvent participer au tchat les personnes physiquement présentes sur le lieu de l'exposition; les deux postesémetteurs/récepteurs se situent dans la même pièce, distants d'environ deux mètres. Le dispositif est symétrique, chacun des deux postesest muni d'un clavier et d'un écran. Ils sont reliés entre eux par deux tuyaux en plastique transparent dans lesquels on peut observer unecirculation d'eau colorée.

Schéma de fonctionnement général de l'installation

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2 - LE TCHAT - LA PRODUCTION TEXTUELLELe tchat est constitué exclusivement des messages transitant par notre dispositif.Lors de chaque exposition nous réactivons le tchat en proposant un fil de discussion en lien avec l'actualité (politique, artistique, médiatique, technologique...), afinque les participants disposent d'un premier énoncé sur lequel réagir et échanger.

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Une écriture augmentée/diminuée

La forme des contributions est stricte puisque chaque message est limité à 80 caractères. Les bugs éventuels entraînent bien sûr une certaine dégradation de lacommunication mais peuvent aussi devenir sources de rebondissements et d'inspiration pour les messages suivants.

Le cumul des erreurs humaines et des bugs intrinsèques au dispositif produit une littérature hybride au style insolite et dont il est difficile de décider s'il s'agitd'écriture augmentée ou diminuée. Dans tous les cas cette prose est directement influencée par le médium.

D'après l'expérience que nous avons pu avoir en testant un prototype avec des collègues, Conversation au fil de l'eau, impose de facto, un style d'écritureparticulier : une phrase courte proche du slogan, la forme exclamative, le ton polémique, des formules chocs, des postures-manifestes. Les plus inventifs créent devéritables haikus.

La lenteur de la transmission laisse tout le temps au participant de lire les messages précédents et de préparer sa petite phrase dont il sait qu'elle sera lue par lesvisiteurs suivants.En groupe, l'installation prend un caractère ludique, performatif, car les visiteurs endossent tour à tour les rôles de participants actifs et de spectateurs. Lesconditions sont alors réunies pour favoriser des joutes verbales écrites, commentées ou simplement observées par un public qui n'est pas en reste.

Modération à posteriori – Édition

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FONCTIONNEMENT DU DISPOSITIF

Prototype de l'émetteur : bassin, électro-valves et tuyaux Prototype du récepteur : pompe, électrodes et tuyaux

Conversation au fil de l'eau utilise le morse comme protocole de codage des caractères. Les paquets d'eau servent de séparateurs entreles paquets d'air qui représentent les signes. Un système de pompage aspire en permanence le contenu du tuyau qui relie l'émetteurd'un poste au récepteur de l'autre poste. Un tempo est établi afin de déterminer combien d'eau ou d'air représente un signe bref ou unsigne long. La détection de la longueur des paquets d'eau et d'air est réalisée grâce à deux électrodes plantées dans le tuyau au niveaudu récepteur. L'eau étant conductrice, l'ouverture du circuit ou sa fermeture permet de distinguer les paquets d'air des paquets d'eau. Ladurée de l'ouverture et de la fermeture permet de distinguer s'il s'agit de paquets longs ou courts . Le système d'envoi de l'eau (du côtéde l'émission) et le compteur des signaux entrant (du côté de la réception) sont contrôlés par deux cartes Raspberry Pi qui se chargentdu codage et du décodage des textes.

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Une courte vidéo montre le fonctionnement du prototype à cette adresse : https://vimeo.com/87224661

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