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Ulysse Ulysse et l’Odyssée et l’Odyssée Le voyage en questions Le voyage en questions

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Page 1: Ulysse et lOdyssée Le voyage en questions. Ulysse philosophe et chrétien I. La problématique des « figures » mythiques A. Les philosophes F. BUFFIÈRE,

UlysseUlysseet l’Odysséeet l’Odyssée

Le voyage en questionsLe voyage en questions

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Ulysse philosophe et chrétien

I. La problématique des « figures » mythiques

A. Les philosophes

F. BUFFIÈRE, Les mythes d’Homère et la pensée grecque, Paris, Belles Lettres, 1956.

— le mythe véhicule une théologie mensongère et souvent immorale

— mais il est un langage allégorique qui accompagne efficacement l’enseignement philosophique

Mosaïque du Bardo

« Tout chez le poète n’est qu’impiété,si rien n’est allégorique »

Héraclite le rhéteur (Ier s. A/P CN)

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Ulysse philosophe et chrétien

I. La problématique des « figures » mythiques

B. Le christianisme

• P.-A. DEPROOST, « Ficta et facta ». La condamnation du « mensonge des poètes » dans la poésie latine chrétienne, dans Revue des Études Augustiniennes, t. 44 (1998), p. 101-121.• J. PÉPIN, Mythe et allégorie. Les origines grecques et les contestations judéo-chrétiennes, Paris, Études Augustiniennes, 1976.• H. RAHNER, Mythes grecs et mystère chrétien, Paris, Payot, 1954.

— les dieux sont des démons— mais la pratique de l’exégèse typologique autorise les chrétiens à parler en « figures »— utilisé « en immergence » ou « à rebours » le mythe peut devenir un vocabulaire poétique pour expliquer des mystères de la foi

Mosaïque du Bardo

« La fable du vol de Dédale ne peut être vraies’il n’est pas faux que Dédale ait volé »

Saint Augustin

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Ulysse philosophe et chrétien

II. Ulysse

A. La tradition philosophique du héros positif

B. La tradition littéraire du héros négatif

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A. La tradition philosophique du héros positif

1. Ulysse, un idéal d’humanité

• polytropos (+ / -)

• modèle de vertu

• Ulysse // Hercule

HermèsHercule / Cerbère

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A. La tradition philosophique du héros positif

2. L’Odyssée, une histoire de l’âme humaine

Ithaque

• « autre monde », lieu de confins, au-delà des enfers

• lieu d’au-delà

• lieu de salut

— La géographie des voyages d’Ulysse est une construction symbolique où le héros franchit autant de lieux marqués par une menace contre son cheminement identitaire: le figement et l’ennui chez les Eoliens, l’immortalité dans la grotte de Calypso, l’oubli chez les Lotophages, la perte d’identité chez la magicienne Circé, l’appel de la mort au chant des Sirènes, etc.

— Ces lieux sont des îles, espaces d’utopie par excellence, parmi lesquels Ithaque, mais qui est aussi une île bien réelle, où le héros reconquiert son identité: c’est l’île où tout commence et tout finit, au centre du monde et de soi-même.

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A. La tradition philosophique du héros positif

2. L’Odyssée, une histoire de l’âme humaine

Île de Calypso

• « entre deux flots et couverte de bois »

• image de l’âme battue par les passions et captive dans la matière

La mer = la matière « énigmes » de Tirésias• « marcher jusqu’à rencontrer des gens qui ignorent la mer » = mettre un terme à l’exil de l’âme dans le corps• Ulysse mourra « hors de la mer »

• Circé et Calypso = beauté matérielle• Pénélope =beauté de la sagesse

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A. La tradition philosophique du héros positif

3. L’Antre des Nymphesde Porphyre

« À la tête du port, un olivier s’éploie et l’on trouve tout près la sainte grotte obscure et charmante des Nymphes, qu’on appelle Naïades. On y voit leurs cratères, leurs amphores de pierre, où vient rucher l’abeille, et, sur leurs grands métiers de pierre, les tissus peints en pourpre de mer que fabriquent leurs mains, — enchantement des yeux — et leurs sources d’eaux vives. La grotte a deux entrées : par l’une, ouverte au nord, descendent les humains ; l’autre s’ouvre au midi, mais c’est l’entrée des dieux ; jamais homme ne prend ce chemin d’immortels (Od. XIII, 102 sq). »

monde

âmes

corps

plaisir>< retour

étapes des âmesalourdit les âmes

allège les âmesEdward John Poynter

(1903)

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A. La tradition philosophique du héros positif

4. Le mythe de Circé ou la roue des réincarnations (Od., X)

« La transformation des compagnons d’Ulysse en porcs et animaux de ce genre signifie que les âmes des hommes insensés passent dans les formes de corps de bêtes » (Ps. Plutarque)

Transmigration des âmes

« Devenus pourceaux, ils (= les compagnons d’Ulysse) avaient échangé pour les glands les nourritures de Cérès » (Boèce)

cf. mythe d’Er dans la République de Platon: à la mort, l’âme rejoint un corps animal correspondant aux vices de sa vie antérieure

Étymologies

Circé = circus roue et théorie des générations successivesAiaié = île des sanglots « regio gemendi » / « régions de dissemblance »

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A. La tradition philosophique du héros positif

4. Le mythe de Circé ou la roue des réincarnations

Dosso Dossi (1511)

P.-A. DEPROOST, Les poisons de l’âme ou le mythe de Circé dans un poème de Boèce (Boeth., cons. IV, metr. 3), dans P. Defossé (éd.), Hommages à Carl Deroux. T. 5 : Christianisme et Moyen Âge. Néo-latin et survivance de la latinité, Bruxelles, Latomus, 2003, p. 87-97 (Coll. Latomus, t. 279).

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A. La tradition philosophique du héros positif

Andrea Andreani Pietro Aquila (XVIIe s.)d’après Annibale Carracci

Moly:

• symbole de la raison dans la tradition philosophique: l’homme échappe à l’animalité et au processus de réincarnation• symbole du Logos divin dans la tradition chrétienne: rachat de la condition humaine déchue par le mal et le péché

4. Le mythe de Circéou la roue des réincarnationsMais:

Métamorphoses incomplètes dans l’Odyssée

Intégrité chrétienne de l’âme, blessée sans être détruite>< transmigration platonicienne des âmes transformées dans leur nature

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A. La tradition philosophique du héros positif

Personnages positifs: guides des âmes vers la patrie céleste

5. Ulysse et les Sirènes

Personnages négatifs: symbolisme funéraire et allégorie chrétienne du salut

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A. La tradition philosophique du héros positif

5. Ulysse et les SirènesSymbolisme funéraire

Aigrette des Parques, filles de Nécessité

Livre du Destin dans les mains d’Atropos

Triton = aura uelificans

Voile de la chair que quitte l’âme défunte + voile d’Ino (aura uelificans)

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5. Ulysse et les SirènesSymbolisme funéraire

En répandant leur musique charnelle, les Sirènes y sont les figures néfastes de la génération, double monstrueux des trois Parques, filles de la Nécessité, qui maintiennent l’âme humaine sous le poids de la Destinée ; en la détournant de la patrie céleste, elles font obstacle à l’apothéose qu’elle peut conquérir grâce à l’ascèse ou à la sagesse philosophiques qui l’aident à se dépouiller des séductions du monde et de la matière pour retourner dans le pays de son Père.

Tradition philosophique / saint Augustin (de beata uita) / >< Paulin de Nole

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A. La tradition philosophique du héros positif

5. Ulysse et les SirènesAllégorie chrétienne du salut

Les Sirènes sont mentionnées dans la Bible et saint Jérôme les représente pourvues d’une aigrette

Le bateau = figure de l’ Église

Le mât = figure de la Croix

Ulysse = figure du Crucifié

La cire = figure des Écritures

Les sirènes = figure de la luxure Le rocher = figure du corps

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« Si le fameux Ulysse, au dire des fables — il est vrai que le prophète aussi a dit : “Elle sera la demeure des filles des Sirènes” (Is., XIII, 21)  … — si donc Ulysse, après un exil de dix années pendant lesquelles eut lieu la guerre de Troie, et après dix années de voyages, alors qu'il se hâtait vers sa patrie, a pu être retenu par les Lotophages grâce à la douceur de leurs fruits ; si les jardins d'Alcinoüs l'ont retardé ; si enfin les Sirènes, l'attirant par leurs chants, ont failli l'entraîner à ce fameux naufrage dans la volupté, et s'il dut lutter contre l'enchantement de leurs voix mélodieuses en bouchant les oreilles de ses compagnons avec des tampons de cire, combien plus sied-il aux hommes religieux d'être captivés par l'émerveillement des actions célestes ! Et là il ne s'agit plus de savourer la douceur des baies, mais le pain qui est descendu du ciel : ni de contempler les légumes d'Alcinoüs, mais les mystères du Christ : car “à celui qui est faible de manger des légumes” (Rom., XIV, 2). Il ne s'agit donc pas de se boucher les oreilles, mais de les ouvrir, afin que la voix du Christ puisse se faire entendre ; et quiconque l'entendra n'aura pas de naufrage à craindre : non qu'il faille, comme Ulysse, l'attacher au mât par des liens matériels, mais parce que son âme doit être liée au bois de la Croix par des nœuds spirituels, pour n'être pas ébranlée par l'attrait des plaisirs et ne pas laisser dériver le cours de la nature vers l'écueil de la volupté. Les fictions des poètes ont en effet donné couleur à cette fable d'après  laquelle des jeunes filles habitaient un littoral hérissé d'écueils ; et, quand elles avaient, par le charme de leur voix, amené les navigateurs à détourner leur course pour le plaisir de les entendre, elles les attiraient sur des récifs cachés, les décevaient par un abri trompeur, et les faisaient périr dans un lamentable naufrage. Cette invention a été embellie par une présentation et une mise en scène apprêtée : on a décrit la mer, la voix féminine, le littoral et ses fonds. Mais quelle mer moins clémente que le monde, si peu sûr, si mobile, si profond, si agité par le souffle des esprits impurs ? Et que veut dire cette image des jeunes filles, sinon l'appât d'une volupté énervée, sans virilité, qui effémine la fermeté de l'âme séduite ? Et quels sont ces récifs, sinon les écueils de notre salut ? Il n'y a pas de danger plus caché que celui des douceurs du monde : en charmant l'âme, elles tyrannisent la vie et brisent en quelque sorte le sens et l'intelligence sur les écueils des corps. »

AMBR., in Luc. IV, 2

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B. La tradition littéraire du héros négatif

Énéide, II, 90: « pellax Vlixes » 

• récit de la dernière nuit de Troie

• récit doublement en abyme: Énée rapporte les paroles du traître Sinon

• sacrilège du vol du Palladium et trahison du cheval

Ovide, Métamorphoses, XIII 

Sénèque 

• tradition philosophique (+): modèle stoïcien

• tradition littéraire (-): Les Troyennescf. Euripide

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B. La tradition littérairedu héros négatif

« En immergence » chez les poètes chrétiens pour dénoncer l’action néfaste du mal et de ses agents

1. PROBAE Cento, 614-615 = VERG., Aen. II, 167« Cunctique repente /

corripuere sacram effigiem manibusque cruentis… »

2. PRUDENCE, Perist. III: hymne à Eulalie

// enfant Astyanax, paradigme du sapiens, malgré son jeune âge, en face de la superbia d’Ulysse

« Héros découronné » dans les romans latins du Satyricon de Pétrone ou de L’Âne d’or d’Apulée

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Dante - La Divine Comédie - Enfer, chant XXVI

Tel que celui qui appela deux ours pour le venger, qui contempla le char d'Elie que deux chevaux emportaient au ciel, et peu à peu ne distingua plus qu'une flamme légère sous la forme d'un nuage lumineux, tels je vis ces feux brillants s'agiter dans la sombre vallée ; ils renfermaient chacun un pécheur qu'ils rendaient invisible… Là, me répondit le sage, sont tourmentés Ulysse et Diomède : ils subissent la même vengeance, parce qu'ils se sont livrés à la même colère. Dans cette flamme, ils pleurent l'embûche frauduleuse du cheval de bois qui amena la ruine d'Ilion, dont un descendant fut l'honorable tige des Romains. Ces deux ombres y pleurent aussi la ruse employée contre Déidamie, qui, dans le tombeau, se plaint encore d'Achille : elles gémissent encore de l'enlèvement de la statue de Pallas… «Quand je parvins à me soustraire à la puissance de Circé, qui me tint éloigné des hommes pendant plus d'un an, auprès de ce lieu qu'Enée a cru, depuis, devoir nommer Gaète, ni les embrassements d'un fils, ni la douleur d'un vieux père, ni l'amour de mon épouse Pénélope, qui aurait dû assurer son bonheur, ne purent vaincre en moi le désir de connaître le monde, ses vices et ses vertus. Je m'abandonnai, dans la haute mer, sur un vaisseau avec le peu de compagnons qui s'étaient attachés à mon sort : je vis l'un et l'autre rivage jusqu'à l'Espagne, la Sardaigne, les îles voisines, et la partie du royaume des Maures que la mer baigne de ses flots. Moi et mes compagnons nous étions atteints par la vieillesse qui affaiblissait nos forces, lorsque nous arrivâmes à ce détroit où Hercule plaça les deux signaux qui avertissaient l'homme de ne pas pénétrer plus avant. Je laissai Séville à ma droite, comme j'avais laissé Ceuta à ma gauche. «0 mes compagnons, dis-je alors, qui êtes arrivés dans les mers de l'Occident, après avoir bravé tant de dangers, et qui n'avez, comme moi, que peu de temps à survivre, ne vous refusez pas, en marchant contre le cours du soleil, la noble satisfaction de voir l'hémisphère privé d'habitants ; considérez votre dignité d'homme : vous n'avez pas été appelés à vivre comme la brute, mais vous devez acquérir de la gloire et de

sublimes connaissances».

Ulysse est l’homme d’Ithaque qui « n’oublie

pas qui il est » ; il incarne « l’âme présente

à elle-même »(saint Augustin)