turcan - note sur la liturgie mithriaque

Upload: maurizio-gallina

Post on 10-Feb-2018

218 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 7/22/2019 Turcan - Note Sur La Liturgie Mithriaque

    1/12

    Robert Turcan

    Note sur la liturgie mithriaqueIn: Revue de l'histoire des religions, tome 194 n2, 1978. pp. 147-157.

    Rsum

    Plusieurs stles bifaces reprsentent d'un ct Mithra tauroctone et diffrents pisodes de sa geste sacre, de l'autre le repas de

    Mithra et du Soleil. Compte tenu du tmoignage complmentaire qu'apportent certains textes, ces monuments autorisent

    supposer que la liturgie mithriaque ordinaire comportait deux parties (un enseignement tho-mythologique et un banquet

    sacramentel), comme le rituel chrtien tel qu'on le connat au IIe sicle aprs J.-C. Cette comparaison formelle n'entrane pas

    ncessairement l'hypothse ni d'un emprunt, ni d'une analogie de sens ou de finalit d'un culte l'autre.

    Citer ce document / Cite this document :

    Turcan Robert. Note sur la liturgie mithriaque. In: Revue de l'histoire des religions, tome 194 n2, 1978. pp. 147-157.

    doi : 10.3406/rhr.1978.6760

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1978_num_194_2_6760

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rhr_3567http://dx.doi.org/10.3406/rhr.1978.6760http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1978_num_194_2_6760http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1978_num_194_2_6760http://dx.doi.org/10.3406/rhr.1978.6760http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rhr_3567
  • 7/22/2019 Turcan - Note Sur La Liturgie Mithriaque

    2/12

    NOTE SUR LA LITURGIE MITHRIAQUE

    Plusieurs stles bifaces reprsentent d un ct Mithra iau-roclone et diffrents pisodes de sa geste sacre, de Vautre lerepas de Mithra et du Soleil. Compte tenu du tmoignagecomplmentaire qu apportent certains textes, ces monuments autorisent supposer que la liturgie mithriaque ordinaire comportaitdeux parties (un enseignement tho-mythologique et un banquetsacramentel), comme le rituel chrtien tel qu on le connat auIIe sicle aprs J.-C. Celte comparaison formelle n entrane pasncessairement Vhypothse ni d un emprunt, ni d une analogiede sens ou de finalit d un culte l autre.

    Parmi les Textes et monuments figurs relatifs aux mystresde Mithra qu a jadis colligs F. Cumont1, comme parmi lesdocuments inscrits, peints ou sculpts commodment rassemblsans le Corpus de M. J. Vermaseren2, on en compte autotal assez peu qui nous informent explicitement sur le rituelinitiatique des antres persiques. Mais plus rares encore sontceux qui nous entrebillent la porte des spelaea, l heure desassembles ordinaires, pour nous renseigner sur la liturgiepriodique, quotidienne ou hebdomadaire. Presque tout ce

    1. I-II, Bruxelles, 1896-1899.2. Corpus inscriptionum et monumentorum religionis Mithriacae (abrgCIMRM), I-II, La Haye, 1956-1960.Revue de l histoire des religions, n 4/1978

  • 7/22/2019 Turcan - Note Sur La Liturgie Mithriaque

    3/12

    148 Robert Turcanqu on lit sur ce sujet dans Les mystres de Mithra de F. Cumontest honntement et purement conjectural.

    La structure des Milhraea avec leurs banquettes ou litsde table (podia) permet de supposer que cette liturgie consist itu moins dans un repas, une cena, soit tous les soirs, soittoutes les semaines (le dimanche, jour du Soleil)3. L import nceu banquet sacramentel dans le culte mithriaque estconfirme la fois par des textes et par des monumentsfigurs.

    Il faut, certes, renoncer au moins provisoirement exploiter le texte allusif et beaucoup trop ambigu de Pline4sur les repas des mages auxquels Tiridate aurait initiNron en 66, lorsqu il vint Rome se faire couronner roid Armnie, quoique Tiridate ait alors salu l empereur commeson dieu, l gal de Mithra 5. Mais c est propos de l eucharistieue Justin le Martyr6 incrimine les mauvais dmons dupaganisme qui auraient inspir la contrefaon de cette institution chrtienne dans les mystres de Mithra. L apologistenous apprend alors que l initiand est admis au repas desmystes, et Justin rsume ainsi la crmonie mithriaque : On prsente du pain et une coupe d eau en prononant cer-

    3. Textes et monuments..., I, p. 118 ss. ; Id., Die Mgsterien des Mithra4*,Stuttgart, 1963, p. 152 ss.4. Nat. hist., XXX, 17 Magos secum adduxeral, magicis etiam cenis eum ini-tiaverat. Cf. F. Cumont, L'iniziazione di Nerone da parte di Tiridate d'Armenia,Riv. di Filol. Class., ns, 11, 1933, p. 145 ss. ; Magia. Studi di storia dlie religioniin memoria di R. Garosi, Rome, 1976, p. 23 s. L'interprtation de F. Cumontest justement qualifie de fort hasardeuse par M.-L. Chaumont, L'Armnieentre Rome et l'Iran, I. De Vavnement d'Auguste l'avnement de Diocltien,Aufstieg und Niedergang der rmischen Welt, II, 9.1, Berlin-New York, 1976,p. 121, n. 266. Voir aussi les observations de J. P. Kane, The Mithraic cult mealin its Greek and Roman environment, Miihraic Studies, Proc. of the First Internat.Congr. of Mithraic Studies, II, Manchester, 1975, p. 317.5. Dion Cassius, 63, 5, 2 (= III, p. 70, 13 Boissevain). Cf. M.-L. Chaumont, loc. cit., p. 120 s.6. Apol., I, 66, 4 (= p. 140 s., Pautigny, dans la coll. Textes et Documentspour l'Histoire du Christianisme d'HEMMER et Lejay, Paris, 1904) xal Iv to tou M0pa fAucrarpioi roxpStoxav yvzabca [/.i^Tjoafjisvoi o 8cd-(xovs* cm yp xi 7uoT^ptov uSocto tOstou v to tou {i,uou(jtvou tsXe-Ta ( :1

  • 7/22/2019 Turcan - Note Sur La Liturgie Mithriaque

    4/12

    La liturgie mithriaque 149taines formules. De son ct, Tertullien7 affirme proposde Mithra ou du Dmon que masque le dieu oriental clbraiet panis oblationem. Les mithriastes auraient donc offert le pain et clbr une sorte de conscration. Les formules dont parle Justin le Martyr8 pouvaient consacrer le pain etl eau. Il pouvait s agir aussi d actions de grces au dieu quiavait anim le monde, promu la vgtation9 et dsaltr lestres par son miracle de l eau 10. L oblation mithriaquen est pas une hypothse d rudits modernes hostiles au christianisme et soucieux de minimiser l originalit de la messe.Ce sont les Pres de l Eglise eux-mmes (et ds le 11e sicleaprs J.-G.) qui nous informent sur ce point, en imputantl analogie du rituel aux manuvres frauduleuses du Malin.L archologie figure illustre indirectement ces donneslittraires. Le relief de Konjic11 nous montre au revers lebanquet de Sol et de Mithra allongs devant une table tripodeo, dans un plat, figurent quatre petites miches rondes marques chacune de deux incisions perpendiculaires comme descroix. Sur une peinture du Milhraeum de S. Prisca (surl Aventin), on voit un membre de la communaut qui tientun pain divis en six parts12. Une autre peinture du mmeMilhraeum romain nous montre le Lion Gelasius portant deuxpains sur un plat13. Ce peuvent tre des petits pains aussi queprsentent dans leur corbeille les deux serviteurs en costume

    7. De praescr. haer., 40, 4 (= I, p. 220, 7-8 dans le Corpus Christianorum,Turnhout, 1954; texte de R. F. Refoul). Sur ce texte, cf. J. P. Kane, toc. cit.,p. 316 s.8. Loc. cit. ( p. 142, 3, Pautigny) [AST mXOYtov tivgv. Notons qu'en rhtorique le mot s'applique une sentence explicative (Arist., Rh., II, 21,1394 b 8 et 11). Les formules dont parle Justin pouvaient servir lucider lesens du rite, tout en sacralisant le pain et l'eau.9. Sur plusieurs exemplaires de la Tauroctonie, on voit qu'un bouquet d'piss'panouit de la queue de la victime M. J. Vermaseren, Mithra, ce dieu mystrieux, Paris-Bruxelles, 1960, p. 56 s. ; J. R. Hinnells, Reflections on the bull-slaying scene, Mithraic Studies (cit. supra), II, p. 291, 298, 302 s.10. M. J. Vermaseren, op. cit., p. 71 ss.11. CIMRM, II, p. 265, n 1896, 3 et fig. 491.12. Ibid., I, p. 198, n 482, 5.13. Ibid., n 482, 3 et fig. 138; M. J. Vermaseren-C. C. Van ^Essen,The Excavations in the Mithraeum of the Church of Santa Prisca on the Aventine,Leyde, 1965, p. 149 et pi. LIII-LIV.

  • 7/22/2019 Turcan - Note Sur La Liturgie Mithriaque

    5/12

    150 Robert Turcanperse dans la scne du banquet sculpte au revers du reliefd Heddernheim14. Sur la grande stle de Knigshoffen, unfragment de relief aujourd hui perdu reprsentait ce mmebanquet de Sol et de Mithra, devant un plat contenant peut-tre un petit pain rond15. Il s agit assurment du repas desdieux, mais ce repas servait d archtype tous les autres quien commmoraient et ractualisaient la vertu sacre. A ctde cette iconographie mythique, les deux reliefs de Bologne16et de Merida17 nous montrent attabls trois convives quireprsentent sans doute des mystes agrgs la communaut.

    On consommait aussi du vin dans les cryptes mithriaqueset, outre le pain, on partageait une alimentation carne, commel atteste la dcouverte d ossements divers parmi les dchetsreconnus dans les Mithraea volailles, ovids, porcids, cervidsou caprids, bovids18. Trs instructifs aussi sont les menus ou comptes de nourriture qu on dchiffre parmi les graffiti duMithraeum de Doura-Europos19. Le tmoignage le plus intressant, mais malheureusement dtrior et sujet caution,reste une peinture de S. Maria Capua Vetere o M. J. Ver-maseren veut reconnatre un Pater sacrorum prsentant lepain et levin aux nouveaux membres de la communaut20.Mais la liturgie des antres persiques ne consistait passeulement dans une cena, mme assortie d acclamations,d actions de grces, d hymnes ou de formules chantes commecelles dont on a retrouv le texte dans le Mithraeum deS. Prisca21. Le Pseudo-Denys l Aropagite22 nous parle des

    14. CIMRM, II, p. 66, n 1083 et flg. 275.15. Ibid., p. 136, n 1359, 14 ; R. Forrer, Das Mithra-Heiligtum von Knigs-hofen bei Strassburg, Mill. d. des. f. Erh.allu.ng d. gesch. Denkmler im Elsass,II. Folge, 24, 1915, p. 65 et pi. XXII, 2.16 . CIMRM, I, p. 253, n 693 a, et flg. 195.17 . Ibid., p. 274, n 782 et fig. 214.18 . Voir les indices du CIMRM, s.v. Bones ; J. P. Kane, loc. cit. (MithraicStudies, II , p. 321, 349 s.19. CIMRM, I, p. 71, ns 64-65 ; J. P. Kane, loc. cit., p. 350.20. M. J. Vermaseren, The Mithraeum at Santa Maria Capua Vetere,Mithriaca I (= Etudes prliminaires aux Religions orientales dans VEmpireromain, 16), Leyde, 1971, p. 5, 19 ss., 24 ss. ; J. P. Kane, loc. cit., p. 320.21. M. J. Vermaseren-C. C. Van Essen, The Excavations..., p. 187 ss.22. Ep., VII, 2 (= PG, 3, col. 1081 A) to -vpinlaaov M0pou.

  • 7/22/2019 Turcan - Note Sur La Liturgie Mithriaque

    6/12

    La liturgie milhriaque 151livres sacrs des Perses, et il crit que les Mages clbrent unecommmoration : ils font mmoire du triple Mithra .F. Cumont23 a montr que ce texte concernait la reprsentatione Mithra tauroctone entre les deux dadophores Cautset Gautopats qui personnifient respectivement le Soleillevant (ou ascendant) et le Soleil couchant (ou descendant).Autrement dit, les mithriastes que le Pseudo-Denysappelle les Mages du fait qu il s agit d un culte d origineiranienne, mais aussi que la tradition liait les Mages l institution mme du mithriacisme24 commentaient le relief duchur, illumin la clart mouvante des torches et desbraseros. De fait, les stles mithriaques, qu il s agisse desexemplaires danubiens ou du type dit rto-rhnan , sontde vritables histoires sacres en images, des Bibles de pierre,tout comme les fresques de Marino25 et du Palazzo Barberini26(par exemple) sont des Bibles peintes.Les pilastres historis relis par les scnes du linteauau-dessus de la Tauroctonie se dchiffrent et se lisent commeles cycles de l Ancien et du Nouveau Testament sur les reliefsde nos cathdrales. Ces squences narratives reprsententl tat le plus ancien d un systme d expression qui fleuriraplus tard sous la forme de bandes dessines. Les bandespeintes ou sculptes qui racontent la geste mithriaque, qu ellesse lisent verticalement ou horizontalement, dans un sens oudans l autre27, sont l origine d un mode de narration trsmoderne, en somme. Elles facilitaient l enseignement des Ecritures ou du hieros logos mithriaques, qui devaitcomplter oralement la prsentation des images. Elles fisaient l objet d une explication, par des lectures et par la

    23. Textes et monuments..., I, p. 19 ; Die Mgsterien des Milhrcfi, p. 117.24. Cf. J. Bidez-F. Cumont, Les mages hellniss, I, Paris, 1938, p. 98 ;M. J. Vermaseren, Mithra, ce dieu mystrieux, p. 18 s. ; F. Cumont, The DuraMithraeum, Mithraic Studies (cit. supra), I, p. 184.25. H. Lavagne, Le Mithrum de Marino (Italie), CRAI, 1974, p. 191 ss.et flg. 2 ; Id., Les reliefs mithriaques scnes multiples en Italie, MlangesP. Boyanc, Rome, 1974, p. 493 ss. et fig. 7.26. CIMRM, I, p. 168 ss., n 390 et fig. 112 ; Mithraic Studies, II, pi. 15 a.27. Cf. E. Will, Le relief cultuel grco-romain, Paris, 1955, p. 364 ss. ;H. Lavagne, Les reliefs mithriaques scnes multiples..., p. 492 ss.

  • 7/22/2019 Turcan - Note Sur La Liturgie Mithriaque

    7/12

    152 Robert Turcandiction de formules qui servaient en quelque sorte de lgendesparles aux images. Tel dtail d un relief comme celui deDieburg28 qui reproduit un arbre trois branches feuilluesd o mergent trois ttes coiffes du bonnet asiatique appelaitune exgse sur le triple Mithra . Un texte de S. Prisca(Hune quem aur(ei)s humeris portavit more juvencum)29pourrait tre souscrit aux figurations de Mithra taurophore.Le signum 0s ex , que Firmicus Maternus30 accuseles dmons d avoir dtourn de son sens authentiquementchrtien au profit d un culte profane , pouvait s appliqueraux reprsentations de Mithra ptrogne ou saxigenus,statues ou tableautins comme l un de ceux qui dcoraient lepilastre gauche des stles rto-rhnanes reliefs multiples31.Dans la squence figure toujours le miracle de l eau ,Mithra faisant jaillir d un coup de flche dans le roc la source laquelle s abreuvent avidement deux jeunes pileati qui ressemblent aux dadophores32. A cette scne tait appropri le verset dchiffr S. Prisca Fons neluse ptris qui geminos aluistinectare fratres33. Plusieurs zodiaques du cycle mithriaque34illustrent directement cet autre texte de S. Prisca sur le Blierqui marche en tte Primus et hic aries slriciius ordine currit35.Enfin la Tauroctonie pouvait tre clbre par un vers comme :

    Et nos servasli eiernali sanguine fuso56.28. CIMRM, II, p. 105, n 1247, 10 et flg. 323 ; F. Cumont, The DuraMithraeum, Mithraic Studies, I, p. 186. Ce rapprochement n'est pas en contradiction avec l'interprtation prcite de F. Cumont qui appliquait le dogme de latrinit mithriaque au Tauroctone flanqu de Cauts et de Cautopats.29. M. J. Vermaseren-C. C. Van Essen, op. cit., p. 200 ss. (1. 7).30. De errore profanarum religionm, 20, 1 (p. 50, 8 ss. Ziegler; p. 204 s.Pastorino). Cf. M. J. Vermaseren, The miraculous birth of Mithras, StudiaArchaeologica G. Van Hoorn oblata, Leyde, 1951, p. 93 ss.31. M. J. Vermaseren, Mithra, ce dieu mystrieux, p. 63 ss.32. Ibid., p. 71 ss.33. M. J. Vermaseren-C. Van Essen, op. cit., p. 193 ss. (1. 4).34. R. Turcan, Mithras Plaionicus. Recherches sur Vhellnisation philosophique de Mithra (= Etudes prliminaires aux Religions orientales dans VEmpireromain, 47), Leyde, 1975, p. 85 et passim.35. M. J. Vermaseren-C. Van Essen, op. cil., p. 213 ss. (1. 13) ; M. J. Vermaseren The Mithraeum at Ponza, Mithriaca II (= Etudes prliminaires auxReligions orientales dans VEmpire romain, 16), Leyde, 1974, p. 27.36. M. J. Vermaseren-C. C. Van Essen, op. cit., p. 217 ss. (1. 14) ; J. R. Hin-nells, loc. cit., p. 292 s.

  • 7/22/2019 Turcan - Note Sur La Liturgie Mithriaque

    8/12

    La liturgie milhriaque 153Ainsi toute une histoire sainte faisait-elle l objet d un enseignement par l image et la parole vritable catchse audiovisuelle que des effets d ombre et de lumire faisaient valoirsur le relief cultuel qui brillait au fond de la crypte.

    * *Mais comment s ordonnaient et s articulaient l un par

    rapport l autre ces moments du service mithriaque ?Aucun texte il faut l avouer ne nous claire sur cepoint. Mais la documentation archologique fournit un indicedont on n a pas assez tenu compte. Le mobilier cultuel desantres mithriaques offre, en effet, cette particularit decomporter souvent des reliefs bifaces qu on faisait tournersur un pivot, suivant les exigences et l opportunit de lacrmonie. C est le cas notamment des stles de FianoRomano37, d Heddernheim38 et de Ruckingen39 ; des fragmentsde Rome40, de San Zeno41, de Stockstadt42, de Gardun43 ; desreliefs de Dieburg44 et de Konjic45. Il faut mettre part deuxplaques mithriaques du Museo Capitolino qui portent au recto les images de Sol et de Mithra ptrogne, au verso une ddicace Cautopats46. Le curieux dispositif de l autelcreux trouv dans le Milhraeum de Knigshoffen47, qui auraitpermis de fixer tour tour diffrents groupes ou statues ducycle persique48, servit peut-tre aussi prsenter successivement les deux cts d une petite stle.

    Quoi qu il en soit, les deux faces correspondent deux37. CIMRM, I, p. 238 s., n 641 et fig. 179-180.38. Ibid., II, p. 64 ss., n 1083 et fig. 274-275.39. Ibid., p. 80 ss., n 1137 et fig. 296-297.40. Ibid., I, p. 171, n 397 et flg. 113 ; p. 237, n 635 et flg. 176 a-b.41. Ibid., p. 259 s., n 723 et flg. 198-199 ; p. 261, n 729 et flg. 201-202.42. Ibid., II, p. 87, n 1161 et fig. 305-306.43. Ibid., p. 255, n 1857 et flg. 474.44. Ibid., p. 104 ss., n 1247 et flg. 323-324.45. Ibid., p. 265 s., n 1896 et fig. 490-491.46. Ibid., I, p. 160, ns 353 et 354.47. Ibid., II, p. 137, n 1366.48. J.-J. Hatt, [Guide du] Muse archologique, Strasbourg, 1973, p. 38.

  • 7/22/2019 Turcan - Note Sur La Liturgie Mithriaque

    9/12

    154 Robert Turcanphases de la liturgie. Aprs les lectures ou commentairesrelatifs aux reprsentations du recto , on faisait pivoter laplaque pour en exposer le verso au regard des fidles. Surles fragments de San Zeno, de Stockstadt et de Gardun, lesujet central du revers est d identification incertaine. Le verso du relief de Dieburg voque la requte de Phathon Hlios49, donc (peut-tre) l embrasement total du monde laFin des Temps.

    Mais sur les six stles entires, mutiles ou fragmentairesde Rome, de Fiano Romano, d Heddernheim, de Riickingenet de Konjic, la face postrieure est occupe par une scnede banquet banquet de rconciliation de Sol et de Mithraqu on trouve aussi figur dans la cramique50 et la peinture51(outre les pilastres historis et les reliefs danubiens). L exempl ire Heddernheim les montre assis sous la vote arqued une grotte, derrire le cadavre du taureau52. Au verso durelief de Riickingen, ils sont installs sur une klin que recouvrepar-devant la peau mme de la victime corche53. C est aussile cas au revers de la stle de Konjic54. Mais ici la diffrence de ces autres exemplaires les deux convives sontentours et servis par des personnages qui portent desmasques, l un de corbeau, l autre de lion, outre un petitchanson coiff du bonnet phrygien. Ces personnages portentles attributs du Corax et du Leo, et l on est tent d identifierle pileatus avec un Perse 55, moins qu il ne corresponde

    49. F. Cumont, La fin du monde selon les mages occidentaux, RHR, 103,1931, p. 33 ss. ; J. Bidez-F. Cumont, Les mages hellniss, I, p. 92. Voir sur cesujet les observations de R. L. Gordon, Cumont and the doctrines of Mithraism,Mithraic Studies, I, p. 237 ss.50. CIMRM, I, p. 328, n 988 et fig. 238 ; V. J. Walters, The Cult ofMithras in the Roman Provinces of Gaul (= Etudes prliminaires aux Religionsorientales dans VEmpire romain, 41), Leyde, 1974, p. 155 s., n 9 et pi. XXXIX.51. CIMRM, I, p. 66, n 42, 13 et fig. 21 ; Milhraic Studies, II, pi. 29 52. CIMRM, II, fig. 275.53. Ibid., fig. 297.54. Ibid., fig. 491 ; Mithraic Studies, II, pi. 19 55. Interprtation de F. Cumont Die Mysterien des Milhra1, p. 146 ; Lesreligions orientales dans le paganisme romain*, Paris, 1929, commentaire de lapi. XIII, 2 ; The Dura Mithraeum {Mithraic Studies, I), p. 179. Cf. J. P. Kane,loc. cit. (Milhraic Studies, II , p. 317 s.

  • 7/22/2019 Turcan - Note Sur La Liturgie Mithriaque

    10/12

    La liturgie mithriaque 155tout simplement l un des deux serviteurs qui flanquentailleurs la klin divine et qui ressemblent si fort aux deux dado-phores. Sur une peinture de Doura-Europos56 et sur un relieffragmentaire de Rome57, on distingue aussi un personnage tte de Corax, de taille infrieure donc humaine et quis approche de la sainte table . Ces versions du banquetprsentent la singularit de mler aux dieux la reprsentationde mystes mithriaques revtus des insignes parlants de leurgrade58. Elles transcrivent quelque chose de la ralit cultuellecombine avec l iconographie mythique, et cette fusion correspond sans doute en partie ce qu on voyait dans les crypteso les mithriastes dnaient en prsence de Sol et de Mithra,quand on avait retourn la stle : Rome, Fiano Romano, Heddernheim, Riickingen et naturellement Konjic. Enfait, Sol et Mithra y prsidaient sculpturalement la cena.Les Corbeaux et les Lions devaient s affairer dansl alle centrale de la nef et s avancer vers le chur illumin,comme on les voit sur le relief de Konjic. Le Pater et YHelio-dromus tenaient peut-tre alors les rles de Mithra et de Sol,en les doublant humainement, comme leurs reprsentantsdment investis par l initiation59.En d autres termes, on est en droit de supposer que lesdeux faces de ces reliefs transcrivent les deux grands momentsde la liturgie mithriaque ordinaire. La face antrieure quicorrespond la premire partie de la crmonie rsumeautour de la Tauroctonie la Bible mithriaque c est l histoiresacre des dieux et du monde qui faisait l objet d une catchse, liturgie de la parole illustre, peut-tre chante oupsalmodie, lecture du hieros logos. La face postrieure desstles qui correspond la deuxime partie de cette synaxe voque le repas qui lgitimait archtypiquement,en quelque sorte, les banquets mithriaques c est le moment

    56. Mithraic Studies, II, pi. 29 (= CIMRM, I, p. 66, n 42, 13 et fig. 21).57. CIMRM, I, p. 171, n 397 et fig. 113 b; J. P. Kane, toc. cit. {MithraicStudies, II , p. 344 et pi. 19 a.58. Ibid., p. 344 ss.59. Ibid., p. 345 s.

  • 7/22/2019 Turcan - Note Sur La Liturgie Mithriaque

    11/12

    156 Robert Turcande la conscration et du partage qui soude rituellement l unionde la communaut, comme le sacred repast de Sol et de Mithraavait suivi et consomm leur dexisis. Bien entendu, la participation au repas n tait rserve qu aux initis de plein droitou ceux dont l initiation s achevait prcisment par cetteconscration symposiaque60. Peut-tre renvoyait-on avant lacena ceux des catchumnes qui n avaient pas encore reul instruction approprie ni subi les preuves mystriques.

    La messe mithriaque se clbrait donc en deux temps,comme la messe des chrtiens. Ces deux temps enseignementt cne concident avec ceux de la liturgie chrtienne, telle qu elle tait dj fixe au second sicle de notrere. On commenait par lire les mmoires des Aptres et lescrits des prophtes , que commentait une homlie suivie deprires. Puis on apportait le pain, le vin et l eau pour l eucharistie61. Justin le Martyr donne ces dtails presque immdiatement aprs avoir reproch aux mauvais dmons lacontrefaon de ce rituel dans les mystres de Mithra. Plusexactement, la rfrence ces mystres se trouve insreentre un dveloppement sur l eucharistie et la description dela liturgie dominicale. Le parallle a frapp les chrtienscontemporains du floruit mithriaque avant d intresser leshistoriens des religions.Je n ai pas l intention de rallumer ou de rattiser lescontroverses qui opposaient nagure encore les historiensconfessionnels, soucieux de dfendre l originalit absolue duchristianisme, aux historiens qui se croyaient critiques en lednonant comme revtu des oripeaux du paganisme. Enralit toutes proportions gardes ces argumentationset d autres du mme genre sont tout aussi vaines que les

    60. D o la prcision de Justin (Apol. I, 66, 4) sv ra jauou^votsXsto. Cf. supra, p. 148, n. 6.61. Just., Apol. I, 67, 3-5 (= p. 142, 9 ss., Pautigny) ; reproduit dansG. Rauschen, Flor. Patristicum, VII, Monumenla eucharistica et liturgicavetustissima, Bonn, 1909, p. 16. Il est significatif qu'en parlant du dimanche Justin crive ) jXou Xeyo^evT) ., jour du Soleil, galement sanctifipar les mithriastes.

  • 7/22/2019 Turcan - Note Sur La Liturgie Mithriaque

    12/12

    La liturgie mithriaque 157rcriminations des apologistes chrtiens contre les dmonsplagiaires... Trop de maillons nous manquent pour retrouveren toute certitude l enchanement des faits. Mais ce sont les faits,les documents qui importent dans la prsente Revue, qui se veutet s efforce d tre purement historique. La documentationonogr phique des Mithraea et les tmoignages patristiques (Justin,Tertullien) constituent des faits qui autorisent, mon sens,l hypothse d une liturgie mithriaque bipartite et, plus prcisment, d une bipartition analogue celle du rituel chrtien.

    Quant savoir si la liturgie mithriaque a influenc laliturgie chrtienne ou si, inversement, la premire est uneimitation de la seconde, c est un problme qui ne se posepeut-tre pas de la sorte, en termes d alternative absolue oude tiers exclu . Dans les mystres d Isis aussi un banquetfait suite la rvlation d un enseignement, quelle qu en aitt la forme62. La participation un repas communautaired adoption, la manducation d une nourriture sacre se trouvent souvent lies dans les cultes initiatiques une instructionu la tradition d un hieros logos. De toute faon,la signification et la finalit de ces repas variaient sensiblement un culte l autre, mme si le crmonial correspondaitau mme schma d ensemble. Une certaine typologie relevaitdu domaine commun, et les chrtiens peuvent avoir mis aupoint les modalits de leur rituel dominical en fonction decette typologie, sans qu on ait, pour autant, le droit de parlerd emprunt ou d imitation. La remarque vaut pareillementpour l isiasme et le mithriacisme. En tout tat de cause, laquestion n est pas simple... Je laisse d autres le soin de lareposer et surtout l assurance de pouvoir jamais la rsoudre

    Robert Turcan.62. Apul., Met., XI, 24, 4. Cf. le commentaire de J. G. Griffiths, Apuleiusof Madauros. The Isis-Book (Metamorphoses. Book XI Etudes prliminairesaux Beligions orientales dans VEmpire romain, 39), Leyde, 1976, p. 318 s. ;J. P. Kane, loc. cit., p. 334.63. Cultes leusinien, dionysiaque, mtroaque en particulier. Sur l impor

    tance u banquet dans la tradition grco-romaine en gnral, cf. J. P. Kane,loc. cit., p. 321 ss.