transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · k. blanckaert hydraulique fluviale et...

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K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM1 Transport de matière : l’essentiel ___________________________________________________________________________ 1 Introduction Ce chapitre est consacré à l’étude du transport et du mélange d’une « entité ou grandeur physique » comme : - La matière soluble (substance chimique, polluant, oxygène, etc...), - La matière solide (sédiments en suspension (voir chapitre « transport de sédiments), micro-organismes, produits biologiques, etc...), - La chaleur, - La quantité de mouvement, dans le fluide par le fluide. Dans ce chapitre, on admet que l’écoulement du fluide est connu (voir chapitres précédents). Nous distinguons ici les grandeurs physiques passives (qui sont conservées pendant le transport) des grandeurs physiques actives (qui subissent des modifications dues aux réactions chimiques ou biologiques, aux changements de phase, aux transferts à travers le périmètre de l’écoulement, etc...). Bien que la théorie traitée dans ce chapitre soit généralement valable pour le transport d’une grandeur physique dans tout fluide en mouvement (substance chimique dans l’air, polluant dans l’océan, etc...), nous nous concentrerons sur le cas de transport et mélange dans les cours d’eau. La problématique étudiée dans ce chapitre est bien illustrée par l’accident survenu en 1986 dans le Rhin à Schweizerhalle, près de Bâle (voir figure 1), où, lors d’un incendie, une substance toxique s’est déversée dans le Rhin. Cette substance toxique s’est mélangée aux eaux du Rhin, et a formé un nuage qui s’est déformé en se déplaçant le long de la rivière. Pour les villes le long du Rhin qui utilisent et consomment ces eaux, il était essentiel de pouvoir prédire la fenêtre temporelle du passage des eaux polluées. Les questions principales à résoudre dans ce chapitre concernent la manière dont la concentration de la substance toxique évolue le long du cours d’eau : - À quelle vitesse le nuage toxique se déplace le long de la rivière - Comment le nuage se déforme pendant sa migration : le nuage s’allonge, accompagné d’une réduction de la concentration maximale Cet exemple montre qu’il s’agit typiquement d’un problème à grande échelle spatiale, nécessitant une approche macroscopique uni-dimensionnelle. Cependant, une modélisation uni-dimensionnelle devra tenir compte des processus de mélange se produisant aux échelles microscopiques temporelle (mélange dû à la turbulence) et spatiale (mélange dû à la répartition tri-dimensionnelle de la vitesse).

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Page 1: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM1

Transport de matière : l’essentiel ___________________________________________________________________________

1 Introduction Ce chapitre est consacré à l’étude du transport et du mélange d’une « entité ou grandeur physique » comme :

- La matière soluble (substance chimique, polluant, oxygène, etc...), - La matière solide (sédiments en suspension (voir chapitre « transport de sédiments),

micro-organismes, produits biologiques, etc...), - La chaleur, - La quantité de mouvement,

dans le fluide par le fluide. Dans ce chapitre, on admet que l’écoulement du fluide est connu (voir chapitres précédents). Nous distinguons ici les grandeurs physiques passives (qui sont conservées pendant le transport) des grandeurs physiques actives (qui subissent des modifications dues aux réactions chimiques ou biologiques, aux changements de phase, aux transferts à travers le périmètre de l’écoulement, etc...).

Bien que la théorie traitée dans ce chapitre soit généralement valable pour le transport d’une grandeur physique dans tout fluide en mouvement (substance chimique dans l’air, polluant dans l’océan, etc...), nous nous concentrerons sur le cas de transport et mélange dans les cours d’eau.

La problématique étudiée dans ce chapitre est bien illustrée par l’accident survenu en 1986 dans le Rhin à Schweizerhalle, près de Bâle (voir figure 1), où, lors d’un incendie, une substance toxique s’est déversée dans le Rhin. Cette substance toxique s’est mélangée aux eaux du Rhin, et a formé un nuage qui s’est déformé en se déplaçant le long de la rivière. Pour les villes le long du Rhin qui utilisent et consomment ces eaux, il était essentiel de pouvoir prédire la fenêtre temporelle du passage des eaux polluées. Les questions principales à résoudre dans ce chapitre concernent la manière dont la concentration de la substance toxique évolue le long du cours d’eau :

- À quelle vitesse le nuage toxique se déplace le long de la rivière - Comment le nuage se déforme pendant sa migration : le nuage s’allonge, accompagné

d’une réduction de la concentration maximale

Cet exemple montre qu’il s’agit typiquement d’un problème à grande échelle spatiale, nécessitant une approche macroscopique uni-dimensionnelle. Cependant, une modélisation uni-dimensionnelle devra tenir compte des processus de mélange se produisant aux échelles microscopiques temporelle (mélange dû à la turbulence) et spatiale (mélange dû à la répartition tri-dimensionnelle de la vitesse).

Page 2: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2

Figure 1 : Illustration de la problématique à l’aide de l’accident sur le Rhin à Schweizerhalle, près de Bâle, en 1986. Gauche : Schématisation du Rhin. Droite : Modélisation uni-dimensionnelle des

processus de transport et de mélange

2 Les mécanismes de transport et de mélange

Représentons la grandeur physique qui nous intéresse dans l’écoulement par sa densité volumique locale, cf(x,y,z,t). Trois types de grandeur physique seront traités :

- La matière, paramétrée par la concentration volumique de la substance, c [kg/m3]. - La chaleur, paramétrée par l’enthalpie, ρCpT

- La quantité de mouvement,

!

"r V

2.1 La convection

La convection est le transport de la grandeur physique par la vitesse de l’écoulement. Le flux convectif de la grandeur physique est mathématiquement exprimé par :

!

r q conv = cf

r V

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K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM3

2.2 La diffusion moléculaire

La diffusion moléculaire tend à uniformiser la répartition de la grandeur physique. Elle dépend uniquement de la grandeur physique et du fluide, mais non pas de l’écoulement du fluide. Le flux diffusif est exprimé par une loi phénoménologique :

!

r q f = "k grad cf

Le flux diffusif est proportionnel au gradient de cf, qui quantifie la non-uniformité de la répartition de cf. Le facteur de proportionnalité k est appelé la diffusivité moléculaire. C’est une grandeur intrinsèque du fluide dépendant de la température et de la pression. Le signe négatif signifie que le flux est dirigé des valeurs élevées vers des valeurs plus faibles.

La figure 2 illustre schématiquement l’effet de la diffusion moléculaire superposée à la convection:

Figure 2 : Illustration schématique de la diffusion moléculaire superposée à la convection

Pour les trois cas de grandeurs physiques considérées, on a :

- La loi de Fick pour la diffusion de matière avec εm [m2/s] la diffusivité massique :

!

r q m = "#m gradc

- La loi de Fourier pour la diffusion de chaleur, avec Cp la chaleur massique à pression constante, ah la diffusivité thermique du milieu [m2/s] et λ la conductivité thermique du fluide [W/mK] :

!

r q h = "ah grad #CpT( ) = "#ahCpgradT = "$gradT

- La loi de Newton pour la diffusion de quantité de mouvement avec ν [m2/s] la viscosité cinématique :

!

r r

q mt ="#grad $r V ( ) ou qmt ij

= "$#%Vi

%xj

= & ij

Il peut paraître étrange de traiter le transport et le mélange de la quantité de mouvement par l’écoulement, donc par lui même. Cependant, ce cas est essentiel pour la modélisation de la diffusion turbulente.

Des ordres des grandeurs typiques pour les coefficients de diffusivité sont :

εm ~ 10-9 [m2/s] ah ~ 10-7 [m2/s] ν ~ 10-6 [m2/s]

Page 4: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM4

La diffusion moléculaire est très faible et n’explique aucunement le transport et le mélange observés dans les cours d’eau naturels (voir EX.8.A). Dans les écoulements turbulents, elle est négligeable par rapport à la diffusion turbulente et la dispersion.

2.3 La diffusion turbulente

À partir d’un nombre de Reynolds critique, de l’ordre de Re=UH/ν=2000, les écoulements deviennent turbulents. La turbulence se manifeste par un mouvement tourbillonnaire de l’écoulement (figure 3a), accompagné de fluctuations aléatoires des variables autour de leur valeur moyenne (figure 3b).

Figure 3 : (a) Mouvement tourbillonnaire de l’écoulement turbulent ; (b) Fluctuations turbulentes de la composante longitudinale de vitesse autour d’une valeur moyenne, mesurées dans un point fixe d’un

cours d’eau.

Toutes les variables peuvent donc être décomposées en valeur moyenne (indiquée par une barre) et fluctuations (indiquées par une prime) :

!

r V (t) =

r V +

r " V (t) avec par définition

r " V (t) = 0

cf (t) = c f + " c f (t) avec par définition " c f (t) = 0

# $ %

& % ' MAIS " c f (t)

r " V (t) ( 0

L’ingénieur s’intéresse uniquement à la valeur moyenne des variables, et non pas à leurs fluctuations, qui de plus sont impossibles à calculer à cause des limitations dans les capacités de calcul.

Toutes les variables instantanées seront donc décomposées en valeur moyenne et fluctuations temporelles autour de cette valeur moyenne. Ainsi nous trouvons pour le flux convectif de la grandeur physique :

!

r q conv (t) =cf (t)

r V (t) = c f

r V + " c f (t)

r " V (t) +cf (t)

r V +c f

r " V (t)

La moyenne temporelle du flux convectif est obtenue comme :

!

r q conv = c f

r V + " c f (t)

r " V (t) +cf (t)

r V + c f

r " V (t)

r q conv =

r q conv _ moyenne +

r q f,turb

Page 5: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM5

Bien que

!

r " V (t) =0 et

!

" c f (t) = 0 , la valeur moyenne de leurs corrélations,

!

" c f (t)r " V (t) ≠0. Les

fluctuations turbulentes contribuent donc au flux convectif de la grandeur physique transportée. Cependant, le flux convectif turbulent ne se manifeste pas par une convection de la grandeur physique, mais par une diffusion importante. Ceci est illustré à l’aide du mélange d’un colorant, injecté ponctuellement au milieu d’un bassin (figure 4).

- Si l’eau dans le bassin est stagnante (figure 4a), la diffusion moléculaire engendrera un mélange très lent du colorant. Les isosurfaces de concentration seront sphériques.

- En faisant osciller verticalement une grille dans le bassin, des fluctuations turbulentes de vitesse peuvent être générées, sans pour autant générer de vitesses moyennes. Intuitivement, il est clair que le mélange du colorant s’intensifiera. Ceci est l’effet de la diffusion turbulente. L’agent de transport,

!

r " V (t) , transporte la grandeur physique

selon une trajectoire aléatoire autour de sa position moyenne. Les isosurfaces de concentration sont en moyenne sphériques, mais prennent des formes très irrégulières instantanément, et donc une surface bien supérieure à celle de la sphère moyenne. De plus, leurs formes irrégulières engendrent des augmentations du gradient de cf. L’augmentation des gradients et de la surface active augmentent énormément la diffusion moléculaire.

Figure 4 : Mélange d’un colorant dans un bassin par diffusion moléculaire (a) et diffusion turbulente (b).

L’effet de la turbulence est donc d’engendrer des trajectoires aléatoires de la grandeur physique, ce qui augmente énormément la diffusion moléculaire. Comme ces phénomènes se produisent à l’échelle temporelle rapide de la turbulence, ils ne sont pas aperçus une fois que l’on a moyenné la vitesse en fonction du temps, mais se manifestent comme une augmentation apparente de la diffusion. Ceci se résume comme :

Convection turbulente + diffusion moléculaire augmentée diffusion turbulente

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K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM6

2.4 La dispersion

La dispersion est l’équivalent spatial de la turbulence :

- La diffusion turbulente intervient car les fluctuations temporelles des variables ne peuvent pas être résolues.

- La dispersion intervient car les fluctuations spatiales des variable ne peuvent être résolues.

Comme mentionnés dans l’introduction, le transport et le mélange des grandeurs physiques dans les cours d’eau concernent des problèmes à grande échelle spatiale, nécessitant souvent une description uni-dimensionnelle des variables. Le cours d’eau est modélisé comme un canal prismatique et la répartition des variables dans une section du cours d’eau est caractérisée par une seule valeur.

Cependant, comme démontrée par l’exemple suivant, la répartition tridimensionnelle des variables contribue au transport et au mélange. Considérons une grandeur physique injectée instantanément sur toute la section d’un cours d’eau (figure 5).

Figure 5 : Représentation schématique de la dispersion

- Si la vitesse était uniformément répartie dans la section, la grandeur physique resterait uniformément répartie dans la section pendant qu’elle est convectée. Simultanément, elle s’étalerait dans le sens longitudinal dû à la diffusion turbulente.

- De par la répartition verticale de la vitesse, la grandeur physique ne reste pas uniformément répartie dans la section pendant qu’elle est convectée, ce qui peut être appelé une convection différentielle. Ceci engendre un étirement longitudinal du nuage et des gradients verticaux de concentration qui, à leur tour, créent des flux verticaux de diffusion turbulente qui tendent à uniformiser la concentration. Il en résulte un étalement plus rapide du nuage. La répartition de vitesse se manifeste donc par une augmentation apparente de la diffusion longitudinale, appelée dispersion.

Page 7: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM7

La dispersion apparaît mathématiquement en décomposant toutes les variables en une valeur moyennée sur la profondeur de l’écoulement (indiqué par une majuscule ou une barre) et des déviations spatiales de cette valeur (indiquées par une prime), comme illustré dans la figure 6 pour la vitesse et la concentration de la grandeur physique:

!

u(z) =U + " U (z) avec par définition " U (z) =0

cf (z) =Cf + " C f (z) avec par définition " C f (z) = 0

# $ % & MAIS " C f (z) " U (z) ' 0

Figure 6 : Décomposition des variables en valeurs moyennées sur la profondeur et déviation spatiale

Le flux moyen convectif local se décompose donc comme :

!

r q conv _ moyenne =cf (z)u(z) = CfU + " C f (z) " U (z) + " C f (z)U +Cf " U (z)

Sa valeur moyennée sur la profondeur de l’écoulement devient :

!

r q

conv _ moyenne=CfU + " C f (z) " U (z) + " C f (z)U +Cf " U (z)

r q conv _ moyenne =

r q conv +

r q disp

!

" U (z) = 0 et

!

" C f(z) = 0 , cependant, la valeur moyenne de leur corrélation,

!

" C f(z) " U (z) # 0 . Ceci montre que la répartition spatiale des vitesses contribue au flux convectif de la grandeur physique transportée. Cependant, le flux convectif dû à la répartition des vitesses ne se manifeste pas par une convection de la grandeur physique, mais par une augmentation apparente de la diffusion, comme illustré par la figure 5. En résumé :

Convection différentielle longitudinal par la répartition de vitesse + diffusion turbulente verticale dispersion (longitudinale)

3 Modélisation des mécanismes de transport et de mélange

Maintenant que les différents processus de transport et de mélange sont décrits, il faut les incorporer dans un modèle pour le transport et le mélange des grandeurs physiques. Ce modèle est basé sur le principe de conservation de la masse de la grandeur physique. Il s’élabore en plusieurs étapes:

Page 8: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM8

1. Tout d’abord, un modèle mathématique est élaboré au niveau microscopique : il décrit en détail les répartitions tridimensionnelles des variables instantanées. Ce modèle inclut uniquement les deux vrais mécanismes de transport et de mélange : la convection et la diffusion moléculaire.

2. Comme ce modèle est impossible à résoudre à cause des limitations en capacité de calcul, il est moyenné dans le temps. Ainsi, un modèle est obtenu qui décrit les répartitions tridimensionnelles des variables moyennées temporellement. Moyenner la vitesse par rapport au temps fait apparaître la diffusion turbulente.

3. En traitant des longs tronçons de rivière, on est limité à une approche unidimensionnelle, c’est-à-dire que les variables sont moyennées dans la section. Ainsi un modèle est obtenu qui décrit les répartitions unidimensionnelles des variables moyennées temporellement. Ceci fait apparaître la dispersion.

3.1 Modélisation tridimensionnelle instantanée

Un modèle pour la concentration de la grandeur physique est obtenu en exprimant sa conservation, au moyen d’une équation de bilan. Considérons un domaine matériel fluide, D, délimité par une surface fixe S (figure 7). Exprimons que le changement de la densité volumique cf de la grandeur physique contenue dans ce domaine matériel pendant un laps de temps ∂t est dû aux flux convectif et diffusif à travers la surface S, ainsi qu’aux éventuelles sources internes :

Figure 7 : Domaine matériel, D, délimité par une surface fixe, S, soumis à un bilan pour une

grandeur physique , cf.

!

"cf

"tdD

D

# + cf

r V dS

S

# = $r q fdS

V

# + qedDV

#

flux convectif flux diffusif source interne

⇓ Thèorème de Gauss-Green-Ostrogradski

!

"cf

"tdD

D

# + div cf

r V ( )dD

D

# = $ divr q fdD

D

# + qedDD

#

Page 9: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM9

!

"cf

"t+div cf

r V ( ) =#div

r q f +qe

!

r q f = "kgradcf et

!

div

r V =0 : continuité

!

"cf

"t+cfdiv

r V +

r V gradcf =#div #kgradcf( ) +qe

Les mécanismes de transport inclus dans cette équation de bilan sont la convection et la diffusion moléculaire.

Les différentes entités physiques, cf, peuvent désormais être considérées. Le bilan de matière, de chaleur et de quantité de mouvement est ainsi obtenu. Notons que la pression motrice intervient comme source interne dans le bilan de quantité de mouvement, ce qui n’est rien d’autre que l’équation de Navier-Stokes. Ces équations décrivent le champ de vitesse, donc l’agent de transport. Le système d’équations est résumé dans le tableau 1.

Tableau 1 : Système d’équations pour le champ de vitesse et la grandeur transportée

Mathématiquement, ce système d’équations est bien posé. Il y a quatre équations pour les quatre inconnus p* et

!

r V (u,v,w) et une équation pour la grandeur physique transportée, cf. Ce

système d’équations donne une description « microscopique » des phénomènes. Il décrit en détail le champ tridimensionnel des variables instantanées (donc incluant toutes les fluctuations temporelles, figure 3).

Ces équations peuvent être résolues pour le cas d’un écoulement laminaire. Cependant, des limitations de capacité de calcul nous empêchent de les résoudre pour des écoulements turbulents et nous obligent à faire un moyennage temporel, afin d’éliminer les fluctuations turbulentes des variables et d’obtenir un système d’équations qui décrit l’état moyen des variables (figure 3).

Notons que nous admettons dans ce chapitre que le champ de vitesse est connu. Dans la suite, nous nous concentrerons donc sur l’équation de bilan pour cf.

Page 10: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM10

3.2 Modélisation tridimensionnelle moyennée dans le temps

L’équation de bilan moyennée dans le temps est obtenue en :

1. Décomposant toutes les variables instantanées en valeur moyenne et fluctuations autour de la valeur moyenne, comme vu dans le chapitre 2.3.

2. Moyennant l’équation résultante dans le temps

!

"cf (t)

"t+div cf (t)

r V (t)( ) =#div #kgradcf (t)( ) +qe(t)

⇓ Décomposition en valeur moyenne et fluctuations

!

" c f + # c f (t)[ ]"t

+div c f

r V + # c f (t)

r # V (t) +cf (t)

r V +c f

r # V (t)( ) = $div $kgrad c f + # c f (t)[ ]( ) +qe +q'e (t)

⇓ Moyenne temporelle

!

"c f"t

+div c f

r V + # c f (t)

r # V (t)( ) =$div $kgradc f( ) +qe

Ceci est l’équation de convection-diffusion turbulente. Notons qu’aucune hypothèse ou simplification est faite dans l’élaboration de cette équation. Par rapport à l’équation pour l’état instantané, la moyenne temporelle fait apparaître le terme supplémentaire

!

" c f (t)r " V (t) qui

représente la contribution de la turbulence au transport et mélange. Après moyenne temporelle, aucune information est disponible sur les fluctuations temporelles des variables, et le terme

!

" c f

r " V apparaît comme une inconnue dans l’équation. Afin de pouvoir résoudre

l’équation, ce terme doit être exprimé en fonction des variables moyennes.

Comme l’effet de la turbulence se manifeste comme une diffusion, ce terme est habituellement représenté comme couplé au terme de la diffusion moléculaire, et formellement modélisé de la même manière que la diffusion moléculaire :

!

r q f,turb = " # c f

r # V =

r r

k tgradc f

!

"c f"t

+div c f

r V ( ) = div k +

r r

k t( )gradc f[ ] +q e

Le problème est maintenant ramené à la détermination de la diffusivité turbulente :

!

r r

k t(ktx ,k ty ,k tz) .

Des différences fondamentales entre la diffusivité moléculaire k et la diffusivité turbulente

!

r r

k t sont résumées dans le tableau 2.

Page 11: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM11

Diffusivité moléculaire, k Diffusivité turbulente, kt Grandeur intrinsèque du fluide, k=k(T,p) Déterminée par la turbulence (écoulement),

mais indépendant du fluide Constante k=cte Variable dans le temps et l’espace, kt=kt(x,y,z)

Scalaire constant Tenseur anisotrope 3 cas différent

εm≠ah≠ν Analogie de Reynolds

εmtz≈ahtz≈ν t

Tableau 2 : Différences fondamentales entre la diffusivité moléculaire, k, et la diffusivité turbulente,

!

r r

k t

Le théorème de Taylor (voir en détail dans le livre ou dans la présentation powerpoint) nous fournit des renseignements essentiels sur la diffusivité turbulente. Il nous dit que la diffusion turbulente se fait essentiellement par des tourbillons turbulents de taille comparable à la profondeur de l’écoulement. Par conséquent, le coefficient de diffusivité turbulente est constant, et devrait être proportionnel à une échelle caractéristique de longueur de la turbulence et une échelle caractéristique de vitesse turbulente, comme :

!

r r

k t(ktx ,k ty ,k tz) ~ u"h

Comme la masse, la chaleur et la quantité de mouvement sont mélangées de la même manière par la turbulence, on a εmtz≈ahtz≈ν t ; c’est l’analogie de Reynolds. Comme on connaît de manière semi-théorique la valeur de la viscosité turbulente (voir chapitre 2 « Considérations Hydrodynamiques), l’analogie de Reynolds peut être exploitée pour estimer des valeurs numériques de la diffusivité turbulente :

!

" u " w = #$tz

%u

%z & $ tz =#

" u " w

%u %z~

u'2

U h~

g

Cu'h

" u 2 = #$tx

%u

%x & $ tx =#

" u 2

%u %x~

u'2

U L x

~g

Cu'Lx

(

)

* *

+

* *

& $ tx

$ tz

=Lx

h,100

où Lx est une longueur caractéristique longitudinale du cours d’eau. En se basant sur les profils de

!

" u " w et de u connus en écoulement uniforme, on obtient de manière semi-théorique (voir livre p547 ou présentation powerpoint) la valeur moyennée sur la profondeur de la diffusivité verticale:

!

ktz

="

6u#h

Des estimations purement empiriques donnent :

!

kty = 0.15u"h (labo) à 0.6u"h (nature)

!

ktx

= 0.23u"h

Page 12: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM12

Notons que nous ne tenons pas compte de l’éventuelle répartition de la diffusivité turbulente sur la profondeur ou dans la section, mais nous retenons une valeur moyenne par section.

Ces valeurs confirment que la diffusion moléculaire est négligeable par rapport à la diffusion turbulente,

!

k <<r r

k t, comme résumé dans le tableau 3.

Tableau 3 : Ordre de grandeur des coefficients de diffusivités moléculaire et turbulentes dans un

milieu aqueux.

La diffusion turbulente modélisée au moyen des coefficients de diffusivité connus, l’équation de bilan peut être résolue. Elle s’écrit comme1:

!

"cf

"t+u

"cf

"x+v

"cf

"y+w

"cf

"z="

"xk + k tx

"cf

"x

# $ %

& ' ( +

"

"yk +k ty

"cf

"y

#

$ %

&

' ( +

"

"zk +k tz

"cf

"z

# $ %

& ' (

Cette équation tient compte du transport et mélange par convection, diffusion moléculaire et diffusion turbulente longitudinale, transversale et verticale.

Nous pouvons démontrer que les diffusions turbulentes longitudinale, transversale et verticale agissent sur des échelles spatiales bien distinctes, et peuvent être découplées, ce qui simplifie considérablement le problème. Le mélange vertical par diffusion turbulente s’achève d’abord, sur une courte distance, suivie par l’uniformisation dans la section par diffusion turbulente transversale. Ensuite, la grandeur physique se répartit uniquement dans le sens longitudinal. Ce découplage, illustré dans la figure 1b, sera maintenant justifié.

1 Pour simplifier les notations, nous bifferons désormais la barre sur les variables moyennées dans le temps. Les

barres sur les diffusivités turbulentes indiquent des valeurs moyennées sur la profondeur de l’écoulement.

Page 13: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM13

Diffusion turbulente verticale

Étudions d’abord la distance nécessaire pour que le mélange vertical s’achève. Considérons un polluant injecté continuellement sur toute la largeur du cours d’eau, comme illustré sur la figure 8.

Figure 8 : Mélange vertical d’un polluant, injecté continuellement sur toute la largeur d’un cours d’eau.

Dans le cas d’un écoulement stationnaire (∂/∂t=0) unidimensionnel

!

r V (U,0,0) et en négligeant

la diffusion turbulente longitudinale, l’équation de bilan se simplifie comme suit :

!

"cf

"t+U

"cf

"x="

"xk tx

"cf

"x

# $ %

& ' ( +

"

"yk ty

"cf

"y

#

$ %

&

' ( +

"

"zk tz

"cf

"z

# $ %

& ' (

Après normalisation des variables

!

c"

=cf

CM

x"

= x Uh2

ktz

( )

z" =z h

#

$ %

& % '

(c"

(x" =

( 2c"

(z"2

La solution générale de cette équation s’écrit alors :

!

c"(x

",z

") = c

u

"(x

",z

"+z

0

") +c

u

"(x

",z

"#z

0

") + c

u

"(x

",2n ±z

"±z

0

")

n =1

N

$

avec

!

cu"(x

",z

") =

1

4#x"exp $

z"2

4x"

%

& '

(

) * et z0 la position de la source

Ceci est illustré par la figure 9 pour une source au fond du cours d’eau.

Page 14: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM14

Figure 9 : Solution générale pour le mélange vertical d’un polluant continuellement injecté sur toute

la largeur au fond d’un cours d’eau

La figure 9 montre que le mélange vertical s’est achevé, à 5% près, après une distance

normalisée de :

!

L z = "z

Uh2

ktz

= 6"z

#

C

gh

Pour une rivière typique (C/√g≈10, h≈1m, κ=0.4), Lz a un ordre de grandeur de 100 m. Le coefficient ξz dépend de la position de la source : ξz=0.4 pour une source au fond et ξz =0.1 pour une source à mi-profondeur.

Diffusion turbulente transversale Étudions maintenant la distance nécessaire pour que le mélange transversal s’achève. Considérons un polluant injecté continûment sur toute la profondeur du cours d’eau, comme illustré par la figure 10.

Figure 10 : Mélange transversal d’un polluant, injecté continûment sur toute la profondeur d’un cours

d’eau.

Page 15: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM15

Pour le cas d’un écoulement stationnaire (∂/∂t=0) unidimensionnel

!

r V (U,0,0) et en négligeant

la diffusion turbulente longitudinale, l’équation de bilan se simplifie de la sorte:

!

"cf

"t+U

"cf

"x="

"xk tx

"cf

"x

# $ %

& ' ( +

"

"yk ty

"cf

"y

#

$ %

&

' ( +

"

"zk tz

"cf

"z

# $ %

& ' (

Cette équation est formellement identique à celle pour la diffusion turbulente verticale, si nous remplaçons les grandeurs verticales (z,h,

!

ktz

) par leurs équivalents transversales (y,B,

!

kty ).

Après normalisation des variables

!

c" =Cf CM

x"

= x UB2

kty( )

y"

= y B

#

$ %

& % '

(c"

(x"=( 2

c"

(y"2

La solution générale de cette équation peut être obtenue comme

!

c"(x

",y

") = cu

"(x

",y

"+y0

") +cu

"(x

",y

"# y0

") + cu

"(x

",2n ±y

"±y0

")

n =1

N

$

avec

!

cu"(x

",y

") =

1

4#x"exp $

y"2

4x"

%

& '

(

) * et y0 la position de la source

La solution est illustrée par la figure 11 pour des sources à la rive et au milieu du cours d’eau.

Figure 11 : Solution générale pour le mélange tranversal d’un polluant continûment injecté sur toute

profondeur, (a) à la rive d’un cours d’eau ; (b) au milieu d’un cours d’eau

Page 16: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM16

La figure 11 montre que le mélange transversal s’est achevé, à 5% près, après une distance normalisée de

!

L y = "y

UB2

kty

=" y

0.15 à 0.6

C

g

B2

h

Pour une rivière typique (C/√g≈10, h≈1m, B≈50m), Ly a un ordre de grandeur de 10 km. Le coefficient ξz dépend de la position de la source. ξz=0.4 pour une source à la rive et ξz =0.1 pour une source au milieu.

L’estimation de Lz et de Ly justifie le traitement découplé des mélanges vertical et transversal, car

!

L y

Lz

=ktz

kty

" y

"z

B

h

# $ % &

' (

2

=)

0.9 à 3.6

" y

"z

B

h

# $ % &

' (

2

>> 1

Ce traitement découplé est schématisé dans la figure 12 :

ktz =κ6 u∗h

kty = 0.15u∗h (labo) à 0.6u∗h (nature)

∂cf (x,z)∂t +U ∂cf (x,z)

∂x =∂∂z k tz

∂cf (x,z)∂z

∂Cf (x,y)∂t +U ∂Cf (x,y)

∂x =∂∂y k ty

∂Cf (x,y)∂y

∂Cf (x)∂t +U ∂Cf (x)

∂x =∂∂x Kx

∂Cf (x)∂x

L y ≈ξ y

0.15 à 0.6Cg

B2

h

L z ≈ 6 ξ z

κCg

h

Figure 12 : Schéma de la convection-diffusion-dispersion lors d’une injection instantanée et continue.

Page 17: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM17

Notons que même si le coefficient de diffusivité turbulente vertical est nettement inférieur à celui de la diffusivité turbulente transversale, le mélange vertical s’achève bien avant le mélange transversal. Ceci est dû à la géométrie des cours d’eau, qui sont typiquement beaucoup plus large que profond, B>>h.

Les trois zones distinctes peuvent être désignées par :

- zone proche de la source (near-field zone of mixing)

- zone moins proche de la source (mid-field zone of mixing)

- zone plus lointaine de la source (far-field zone of mixing)

3.3 Modélisation unidimensionnelle moyennée dans le temps

Une fois le mélange achevé dans toute la section, la grandeur physique se répartit encore longitudinalement, comme indiqué schématiquement dans les figures 1b et 12. Ce phénomène se produit dans la « far-field zone of mixing », s’étalant sur des dizaines de kilomètres à partir d’une distance Ly=O(10km) de la source. Le traitement du problème à cette grande échelle spatiale nécessite une approche unidimensionnelle.

Ceci est logique pour la concentration de la grandeur physique, qui est déjà uniformément répartie dans la section. Cependant, nous savons que la répartition de la vitesse dans la section n’est pas uniforme et contribue au transport et mélange, par le mécanisme de dispersion élaboré dans le paragraphe 2.4.

Ce mécanisme de dispersion apparaît après avoir moyenné l’équation de bilan sur toute la profondeur de l’écoulement. Partons de l’équation de bilan pour un écoulement unidimensionnel, moyennée dans le temps,

!

r V (u(z),0,0) en admettant que le mélange

transversal est achevé.

!

"cf (z)

"t+ " u(z)cf (z)[ ]

"x=

"

"xktx

"cf (z)

"x

# $ %

& ' ( +

"

"zktz

"cf (z)

"z

# $ %

& ' (

Nous avons utilisé l’équation de continuité pour exprimer que u∂cf/∂z=∂(ucf)/∂z. La diffusion turbulente à été retenue, car la répartition de vitesse u(z) a tendance à provoquer une répartition non-uniforme de la grandeur physique cf(z), comme illustré par la figure 5.

L’équation de bilan moyennée sur la profondeur de l’écoulement est obtenue en :

1. Décomposant toutes les variables instantanées en valeurs moyennées sur la profondeur de l’écoulement et déviation spatiale, comme fait dans le chapitre 2.4.

2. Moyennant l’équation résultante sur la profondeur de l’écoulement

Page 18: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM18

!

"cf (z)

"t+ " u(z)cf (z)[ ]

"x=

"

"xktx

"cf (z)

"x

# $ %

& ' ( +

"

"zktz

"cf (z)

"z

# $ %

& ' (

⇓ Décomposition en valeur moyenne et déviation spatiale

!

" Cf + # C f (z)[ ]"t

+ " CfU + # C f(z) # U (z) + # C f (z)U +Cf # U (z)[ ]

"x=

"

"xktx

" Cf + # C f (z)[ ]"x

$ % &

' ( ) +

"

"zktz

" Cf + # C f (z)[ ]"z

$ % &

' ( )

⇓ Moyenne sur la profondeur de l’écoulement, ∂Cf/∂z=0

!

"Cf

"t+ " CfU + # C f (z) # U (z)[ ]

"x=

"

"xktx

"Cf

"x

$ % &

' ( ) +

"

"zktz

"Cf

"z

$ % &

' ( )

Après moyennage sur la profondeur, le terme

!

" C f" U apparaît comme une inconnue dans

l’équation. Afin de résoudre l’équation, ce terme doit être exprimé en fonction des variables moyennées sur la profondeur.

Comme l’effet de la répartition de vitesse se manifeste comme une diffusion, ce terme est habituellement représenté comme couplé au terme de la diffusion turbulente longitudinale et formellement modélisé de la même manière :

!

r q disp =" # C f # U = Kx gradCf

!

"Cf

"t+ "C

fU

"x=

"

"xk

tx+K

x( )

"Cf

"x

# $ %

& ' (

Le mélange dispersif étant complètement déterminé par la répartition de vitesse, une expression théorique peut être obtenue, pour le coefficient de dispersion Kx, selon Taylor comme :

!

K x = Kx ( " U ,k tz) =#1

h

" U (z)

ktz

" U (z)dzdzdz

0

z

$0

z

$0

h

$

Le profil logarithmique typique pour l’écoulement uniforme unidimensionnel (voir chapitre 2 « Considérations Hydrodynamiques ») donne lieu à une valeur de :

!

Kx

= 5.86u"h >> ktx

= 0.23u"h

Pour des cours d’eau naturels irréguliers, des valeurs ont été mesurées de l’ordre de :

!

140 < Kx /(u"h) < 500

Nous en déduisons que la diffusion turbulente longitudinale est négligeable par rapport à la dispersion.

Page 19: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM19

Pour quelques cas particuliers, des solutions analytiques du problème de dispersion existent. Elles sont résumées dans le tableau 4.

Injection surfacique instantanée d’une masse M0

!

C(x,t) =M0 S

4"Kxtexp #

(x #Ut)2

4Kxt

$

% & '

( )

Injection surfacique à temps fini T d’une masse M0

!

mi=M

0

"#

T

!

C(x,t) =mi S

4"Kx t # $ i( )exp #

x #U t # $ i( )( )2

4Kxt t # $ i( )

%

& '

(

) *

i=1

n

+

Injection surfacique continue d’une concentration C0

!

C(x,t) =C0

2exp

Ux

Kx

"

# $

%

& ' erfc

x +Ut

4Kxt

"

# $

%

& ' +erfc

x (Ut

4Kxt

"

# $

%

& '

)

* +

,

- .

Tableau 4 : Quelques solutions analytiques pour la dispersion longitudinale

Pour le cas de l’injection instantanée, la matière M0 se déplace à la vitesse moyenne U de l’écoulement et, en même temps, s’étale selon une courbe gaussienne-normale. En utilisant la définition de la variance,

!

"x

2 , la solution s’écrit alors:

!

C(x,t) =M0 S

4"Kxtexp #

(x #Ut)2

4Kxt

$

% & '

( ) =M0 S

2"*xexp #

(x #Ut)2

2*x2

$

% & '

( ) avec

!

"x

2

= 2Kxt

Par définition de la courbe gaussienne-normale, 95% de la matière est contenue dans une largeur de nuage de 4σ. La variance

!

"x

2

= 2Kxt est donc une mesure pour l’étalement de la

matière, qui peut être utilisée pour déterminer expérimentalement le coefficient de dispersivité Kx :

!

Kx

=1

2

"#x

2

"t=1

2

#x

2(t2) $ #

x

2(t1)

t2$ t

1

!

"x

2(t1) et

!

"x

2(t2) sont les variances longitudinales des courbes C(x), à deux temps différents, t1

et t2. La mesure de cette variance nécessiterait des mesures de concentration simultanément dans plusieurs stations le long du cours d’eau, ce qui est difficile dans la pratique. Fisher (1966) a démontré que

!

"x

2#U

2"t

2.

!

"t

2(x1) et

!

"t

2(x

2) sont les variances temporelles des

courbes C(t), dans deux stations différentes x1 et x2. Ces variances temporelles

!

"t

2(x) sont

beaucoup plus facile à mesurer que les variances spatiales

!

"x

2(t) . Nous estimons donc le

coefficient de dispersivité par :

!

Kx

=1

2U3 " t

2(x

2) #"

t

2(x1)

x2# x

1

Page 20: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM20

4 Transport avec réaction et pouvoir auto-épurateur des cours d’eau

4.1 Transport avec réaction

Dans ce qui précède, nous avons considéré le transport et le mélange des grandeurs physiques passives.

Considérons maintenant le cas de transport et mélange des substances réactives, où le mélange est le siège d’une transformation dans sa composition. Nous définissons le terme qe, qui représente les sources internes (réaction chimique ou biologique, changement de phase, transfert à travers le périmètre). Nous nous limiterons à la modélisation la plus simple des réactions du premier ordre :

!

qe = ±krC

kr [1/s] est un coefficient constant de réaction de la substance dans le mélange. Il paramètre le taux avec lequel une substance augmente (+) ou diminue (-) par réaction.

Limitons nous aux cas ou la grandeur physique est déjà uniformément répartie sur toute la section (far-field zone of mixing). L’équation de convection-dispersion s’écrit alors :

!

"C

"t+ U

"C

"x=

"

"xK

x

"C

"x

# $ %

& ' ( ±k

rC

Le tableau 5 résume des solutions analytiques pour deux cas de transport avec réaction.

Injection instantanée d’une substance active M0 sur toute la section

!

"C

"t+U

"C

"x=K

x

"2C

"x2±k

rC

Etat permanent (t∞) après l’injection continue d’une concentration C0 d’une substance active dans toute la section

!

"C

"t+U

"C

"x=K

x

"2C

"x2±k

rC

Page 21: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM21

!

C(x,t) =M0 S

4"Kxtexp #

(x #ut)2

4Kxt±krt

$

% & '

( )

avec

!

C(x,t)dx =M0

Sexp(±krt)

"#

#

$

ce qui quantifie la variation de la masse totale de la substance due à la réaction.

!

C(x,t ")

C0

= exp #kr x

U

2

$r$r +1 #1( )[ ]

% & '

( ) *

avec

!

"r

= 4KxkrU2

Pour α r << 1

!

C(x,t ")

C0

= exp #krx

U

$ % & '

( )

Ceci est le cas pour des réactions lentes (kr petit), qui provoquent des gradients

faibles, ∂C/∂x, telles que le mélange par dispersion soit négligeable (~∂2C/∂x2)

Notons que le coefficient de réaction peut expérimentalement être estimé dans ce

cas :

!

kr ="U

xln

C(x)

C0 (x =0)

Tableau 5 : Solutions analytiques pour deux cas de transport avec réaction

4.2 Pouvoir auto-épurateur des cours d’eau

Considérons maintenant le pouvoir auto-épurateur des cours d’eau en étudiant la qualité des eaux à l’aval d’un rejet continu des eaux usées par une station d’épuration (figure 13). Notons que nous nous limitons à une théorie simplifiée.

Figure 13 : Illustration schématique d’un rejet continu des eaux usées par une station d’épuration

Page 22: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM22

De l’eau propre est saturée en oxygène dissous tandis que de l’eau polluée est caractérisée par un déficit en oxygène dissous. La qualité des eaux est déterminée par le transport réactif d’oxygène dans l’eau, paramétré par le coefficient de réaction kr~0.1[jr-1]=10-6[s-1] (voir tableau 6). Le tableau 5 nous indique que ceci justifie de négliger la dispersion et qu’il s’agit d’un problème à grande échelle spatiale (dans la figure dans la colonne droite du tableau 5, krx/U=2 correspond typiquement à x~1000[km]).

Deux mécanismes dominent le bilan d’oxygène dissous dans les cours d’eau. L’oxygénation biochimique de la matière organique est son puits principal et la réoxygénation à travers la surface est sa source principale. Ces deux mécanismes sont décrits dans ce qui suit.

Oxygénation biochimique de la matière organique, C(DBO)

Des micro-organismes épurateurs assurent la dégradation de certains polluants non-conservatifs d’origine organique par réaction biochimique dans les cours d’eau. Pour effectuer cette tâche, ces micro-organismes consomment de l’oxygène dissous, qui est leur source principale d’énergie.

La quantité d’oxygène que (les micro-organismes dans) l’eau peut absorber est un critère important de pollution et de qualité des eaux. Elle est appelée la demande biochimique en oxygène, en abrégé DBO ou C(DBO). Des valeurs typiques sont données dans le tableau 6.

Tableau 6 : Coefficient de réaction (dégradation) kr, des matières organiques contenues dans les eaux

usées et non-usées et valeur typique pour la demande biochimique en oxygène.

La C0(DBO) (non satisfaite) est généralement mesurée au moyen d’un test sur échantillon d’eau prélevé en rivière et incubé en laboratoire, où l’on mesure durant cinq jours la demande biochimique en oxygène satisfaite (consommée),

!

C(DBO)

"(t) = C

0(DBO)#C

(DBO)(t) , à la

température T=20° dans l’obscurité. L’évolution temporelle de la concentration en DBO, C(DBO), est modélisée et illustré dans le tableau 7. La valeur initiale C0(DBO), qui caractérise la qualité de l’eau prélevée, est obtenue par extrapolation de la valeur mesurée après 5 jours :

!

C0(DBO) =C5(DBO) exp 5kr( ) =C5(DBO)

"1#exp(#5kr )( )

Page 23: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM23

!

"C

"t+U

"C

"x=K

x

"2C

"x2±k

rC

Détermination de C0(DBO) en labo

!

"C(DBO)

"t= #krC(DBO)

$ C(DBO)(t) = C0( DBO) exp #k rt( )

Evolution du C(DBO) dans le cours d’eau

!

U"C(DBO)

"x= #krC(DBO)

$ C(DBO)(x) =C0(DBO) exp #k r

x

U

% & ' (

) *

Tableau 7 : Evolution de C(DBO) en laboratoire et dans le cours d’eau

Dans le cours d’eau, C(DBO) évolue temporellement de la même manière pendant qu’il est convecté. Son évolution est modélisée et illustrée dans le tableau 7.

Connaissant les débits et demandes biochimiques en oxygène du cours d’eau en amont du rejet, Q et le C0(DBO), et des eaux rejetées, Qu et

!

C0(DBO)

( )u, la demande biochimique en

oxygène des eaux mélangées juste à l’aval du rejet peux être calculée :

!

C0(DBO)

( )o

=C0(DBO)

Q + C0(DBO)

( )uQu

Q +Qu

Vers l’aval, l’oxygénation biochimique tend à diminuer la concentration en oxygène dissous, comme schématiquement illustré dans le tableau 8.

Réoxygénation

La réoxygénation de l’eau dans le cours d’eau se fait essentiellement par transferts gazeux de l’atmosphère vers l’eau qui sont favorisés par le vent, les vagues et le renouvellement constant de l’eau à la surface.

Page 24: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM24

Nous nous limitons à une modélisation basique, qui exprime le taux de réoxygénation comme une réaction du premier ordre proportionnelle au déficit en oxygène de l’eau du cours d’eau :

!

U"C(OD)

"x=ka CS(OD) # C(OD)( )

où la concentration de saturation, CS(OD) [mg/l] est une fonction qui décroît avec la température :

!

CS(OD) "14.65 #0.41T+0.008T2

Le coefficient de réaction dépend du volume de l’eau participant au transfert et de la surface de contact entre l’air et l’eau. Fair et al. (1968) ont proposé la formule empirique :

!

ka " 5U Rh

5 3 [j

#1]

Selon cette modélisation, la réoxygénation augmente la concentration d’oxygène dissous comme :

!

C(OD) " C0(OD) = CS(OD) "C0(OD)( ) 1"exp "kax

U

# $ % &

' ( #

$ % &

' (

Cette fonction est illustrée dans le tableau 8.

Bilan d’oxygène dissous et évolution de la qualité des eaux après rejet des eaux usées

L’évolution de la qualité des eaux est modélisée en tenant compte des deux mécanismes à la fois, comme résumé dans le tableau 8.

Oxygénation biochimique

!

U"C(DBO)

"x= #krC(DBO)

!

C(DBO)(x) =C0(DBO) exp "k rx

U

# $ % &

' (

La variation de C(OD) est égal à la variation de C(DBO), et peut être exprimée en fonction de CO(DBO) :

!

U"C(OD)"x

=U"C(DBO)(x)

"x= #krC0(DBO) exp #kr

x

U

$ % & '

( )

Réoxygénation

!

U"C(OD)

"x=ka CS(OD) # C(OD)( )

!

U"C(OD)

"x=ka CS(OD) # C(OD)( )

Page 25: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM25

Bilan d’oxygène dissous

!

U"C(OD)"x

=ka CS(OD) # C(OD)( ) #krC0(DBO) exp #krx

U

$ % & '

( )

!

CS(OD) " C(OD) =kr

ka "krC0(DBO) exp "k r

x

U

# $ % &

' ( " exp "ka

x

U

# $ % &

' ( )

* + , - . + CS(OD) "C0(OD)( )exp "ka

x

U

# $ % &

' (

!

xK =U

ka " krlnka

kr

#

$ %

&

' ( 1"

CS(OD) " C0(OD)( ) ka "kr( )

krC0(DBO )

)

* +

,

- .

DK = CS(OD) "CK(OD )=kr

kaC0(DBO) exp "kr

x

U

# $ % &

' (

Tableau 8 : Résumé du bilan d’oxygène dissous après rejet des eaux usées

La solution pour l’évolution de la teneur en oxygène dissous dépend de deux paramètres, définis à l’endroit du rejet :

- La demande biochimique en oxygène des eaux mélangées, C0(DBO), qui est un critère pour la qualité des eaux mélangées. Elle représente la quantité d’oxygène nécessaire pour épurer les eaux.

- La quantité d’oxygène dissous dans l’eau, paramétrée par le déficit d’oxygène dissous,

!

CS(OD)

" C0(OD) .

Page 26: Transport de matière : l’essentiel · 2011-10-04 · K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM2 Figure 1 : Illustration

K. Blanckaert Hydraulique fluviale et aménagement des cours d’eau – Transport de matière TM26

La solution est représentée par une courbe en sac, appelée aussi courbe de fléchissement de l’oxygène dissous (angl : dissolved-oxygen sac). À l’aval du rejet, l’oxygénation biochimique est le mécanisme dominant et la teneur en oxygène dissous diminue encore, causant une dégradation de la qualité des eaux. Comme le déficit en oxygène dissous croît, la réoxygénation à travers la surface augmente progressivement et finalement devient plus importante que l’oxygénation biochimique.

Le déficit maximal en oxygène, DK, se produit après une distance xK, typiquement de l’ordre de 100km (tableau 8). L’état critique d’un cours d’eau ne se produit pas au point de rejet, mais à une distance très éloignée.

Notons que les autorités Suisses exigent une teneur en oxygène dissous minimal de 6 [mg/l].