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1 Transactions didactiques et action conjointe en milieu scolaire. P. Rilhac & B. Gruson Introduction Ce symposium se propose d’aborder la question de l’« Efficacité et de l’Équité en éducation » à partir d’analyses de pratiques de professeurs et d’élèves en relations interlocutives lors de situations d’enseignement et d’apprentissage « ordinaires », alors qu’ils évoluent dans des champs disciplinaires différents au sein de divers niveaux de classes. Afin de favoriser une approche compréhensible des analyses des pratiques présentées, nous aborderons, dans un premier mouvement, les éléments théoriques que les cinq chercheurs de ce symposium ont utilisés pour étudier l’action didactique (Sensevy, 2007) de professeurs et d’élèves. Certaines de ces notions seront spécifiées et les méthodologies explicitées, selon l’institution, les publics étudiés, dans les textes de chaque communiquant. I. Éléments théoriques pour une approche pragmatique de pratiques didactiques 1.1. L’action didactique : un « jeu » coopératif Une des manières d’analyser des pratiques langagières de professeurs 1 et d’élèves est de considérer ces pratiques comme des jeux d’apprentissage (Sensevy, Mercier, Schubauer- Leoni, Ligozat & Perrot, 2005 ; Sensevy, 2007). Nous pouvons, en effet, reconnaître aux jeux d’enseignement et d’apprentissage scolaires, des formes communes susceptibles de nous aider à mieux expliciter et comprendre (Leutenegger & Saada-Robert, 2002) certains processus en cours et ainsi tenter de mieux apprécier leurs effets en terme d’efficacité de l’action didactique. Cette action didactique nous la considérons comme une co-action dont l’objet transactionnel est le savoir (Sensevy, Ibid.). Dans cette logique un jeu d’apprentissage nécessite l’existence d’une forme collaborative entre professeur(s) et élève(s). C’est-à-dire une activité synchrone coordonnée afin que les transactants parviennent à leurs fins. « Comme l’action commune, l’action conjointe est guidée par une intention conjointe, un accord, rapidement fixé ou lentement négocié, sur un objectif commun. [..] Le cadre stratégique partagé assigne un sens transactionnel à cette action particulière. [..] Les transactions conjointes composent la majeure partie des conduites humaines. Elles définissent les formes de coopération sociale les plus sophistiquées. Parlant de coopération, on aura garde de ne pas adopter une vision irénique des actions conjointes. La danse de vie qu’est le tango et la danse de mort qu’est une corrida constituent toutes deux des activités conjointes, mais si l’une est collaborative, l’autre est compétitive (les buts des agents sont antagonistes). Plus encore, la collaboration va rarement sans compétition, et les transactions conjointes combinent généralement actions dérivées, concourantes et concurrentes ». (Vernant, 1997, pp. 158-160). Cette forme collaborative signifie que les deux parties parviennent à s’accorder sur le savoir en jeu. Or, par essence professeurs et élèves occupent une position didactique dissymétrique. 1 La forme masculine désigne aussi bien les hommes que les femmes et son emploi n’a pour but que de faciliter la lecture de ce texte.

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Transactions didactiques et action conjointe en milieu scolaire. P. Rilhac & B. Gruson

Introduction Ce symposium se propose d’aborder la question de l’« Efficacité et de l’Équité en éducation » à partir d’analyses de pratiques de professeurs et d’élèves en relations interlocutives lors de situations d’enseignement et d’apprentissage « ordinaires », alors qu’ils évoluent dans des champs disciplinaires différents au sein de divers niveaux de classes. Afin de favoriser une approche compréhensible des analyses des pratiques présentées, nous aborderons, dans un premier mouvement, les éléments théoriques que les cinq chercheurs de ce symposium ont utilisés pour étudier l’action didactique (Sensevy, 2007) de professeurs et d’élèves. Certaines de ces notions seront spécifiées et les méthodologies explicitées, selon l’institution, les publics étudiés, dans les textes de chaque communiquant. I. Éléments théoriques pour une approche pragmatique de pratiques didactiques 1.1. L’action didactique : un « jeu » coopératif Une des manières d’analyser des pratiques langagières de professeurs1 et d’élèves est de considérer ces pratiques comme des jeux d’apprentissage (Sensevy, Mercier, Schubauer-Leoni, Ligozat & Perrot, 2005 ; Sensevy, 2007). Nous pouvons, en effet, reconnaître aux jeux d’enseignement et d’apprentissage scolaires, des formes communes susceptibles de nous aider à mieux expliciter et comprendre (Leutenegger & Saada-Robert, 2002) certains processus en cours et ainsi tenter de mieux apprécier leurs effets en terme d’efficacité de l’action didactique. Cette action didactique nous la considérons comme une co-action dont l’objet transactionnel est le savoir (Sensevy, Ibid.). Dans cette logique un jeu d’apprentissage nécessite l’existence d’une forme collaborative entre professeur(s) et élève(s). C’est-à-dire une activité synchrone coordonnée afin que les transactants parviennent à leurs fins. « Comme l’action commune, l’action conjointe est guidée par une intention conjointe, un accord, rapidement fixé ou lentement négocié, sur un objectif commun. [..] Le cadre stratégique partagé assigne un sens transactionnel à cette action particulière. [..] Les transactions conjointes composent la majeure partie des conduites humaines. Elles définissent les formes de coopération sociale les plus sophistiquées. Parlant de coopération, on aura garde de ne pas adopter une vision irénique des actions conjointes. La danse de vie qu’est le tango et la danse de mort qu’est une corrida constituent toutes deux des activités conjointes, mais si l’une est collaborative, l’autre est compétitive (les buts des agents sont antagonistes). Plus encore, la collaboration va rarement sans compétition, et les transactions conjointes combinent généralement actions dérivées, concourantes et concurrentes ». (Vernant, 1997, pp. 158-160). Cette forme collaborative signifie que les deux parties parviennent à s’accorder sur le savoir en jeu. Or, par essence professeurs et élèves occupent une position didactique dissymétrique.

1 La forme masculine désigne aussi bien les hommes que les femmes et son emploi n’a pour but que de faciliter la lecture de ce texte.

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De plus, la relation didactique interdit au professeur de dévoiler ses intentions didactiques. Dans le cas contraire il pourra obtenir une réponse « juste », mais l’efficience de cette réponse risque d’être aléatoires au plan des apprentissages. Ainsi, un jeu d’apprentissage peut être considéré comme un jeu « gagnant-gagnant » au sens où un professeur gagne s’il peut raisonnablement attester que l’élève produit le savoir visé. Réciproquement, un élève gagne s’il parvient à répondre aux attentes de savoir(s) du professeur. Enseigner consiste donc à agir afin que les élèves travaillent proprio-motu (Sensevy, Ibid.) dans un milieu façonné à la fois par une forme de contrat largement implicite et par des énoncés2 professoraux qui visent à permettre aux élèves de produire le savoir visé. Néanmoins, les élèves attendent d’un professeur qu’il dise les savoirs utiles à la résolution de problèmes3 (Joshua & Dupin, 2003). Toutefois le professeur est le seul au fait des formes de « jeux de langages » usités4 En effet, non seulement les élèves ne savent pas précisément le savoir attendu, mais de plus, ils sont peu au fait des formes « canoniques » de langages qui vont convenir hic et nunc en Mathématiques, en Anglais, en Sciences de la Vie et de la Terre, en Géologie, ou encore en Education Physique et Sportive lors d’une séquence d’enseignement. Ils ne découvriront le sens et l’enjeu de la relation didactique qu’au fur et à mesure de l’avancée du temps des savoirs, et selon la position que l’enseignant leur désignera, où semblera leur désigner. Dès lors, ce qui peut permettre d’expliquer et de comprendre l’action didactique, c’est non seulement la récurrence de l’apparition des savoirs en diachronie, mais aussi les modalités de présentations et de restitution de ces savoirs à travers les actes de langages5 (Sensevy & Quilio, 2002) lors de situations d’enseignement/apprentissages. Autrement dit, si nous souhaitons analyser des pratiques didactiques, nous devons penser ces pratiques dans le cadre d’une dialectique contrats-milieux. 1.2. « Jeux de langages » et action didactique La dimension coopérative et coordonnée de l’action didactique nécessite donc, de la part de l’enseignant, d’adopter certaines formes de langage spécifiques au savoir visé, mais aussi que ces formes puissent être accessibles à la structure cognitive de l’élève (Tomasello, 1999). En d’autres termes les deux parties doivent pouvoir s’appuyer sur un même « système sémiotique »6. Pour cela professeur et élèves vont devoir disposer d’un background commun sans lequel les transactions didactiques ne pourront pas exister. Les normes pérennes, plus ou moins spécifiques du contrat didactique vont faire partie de ce contexte cognitif commun (Sensevy, Ibid. p. 24) lequel sera façonné en relation étroite avec les objets matériels et conceptuels spécifiques au(x) savoir(s) appréhendé(s). C’est à ce prix qu’un professeur pourra enseigner et que des élèves pourront entrer dans la forme de « jeu de langage » souhaité par le professeur et ainsi parvenir à la résolution de tâches. « Commander, et agir d’après des commandements. Décrire un objet d’après son aspect, ou d’après des mesures prises. Reconstituer un objet d’après une description (dessin). Rapporter un événement. Faire des conjectures au sujet d’un événement. Former une hypothèse et 2 L’énoncé est un phénomène variable lié à l’activité de langage en situation dans un « je-ici-maintenant ». Il est relié à un contexte qui en fournit le sens. 3 Quand y-a-t-il problème ? Quant un sujet veut produire une réponse adaptée à une certaine demande, sans que celle-ci puisse être produite automatiquement » (Joshua & Dupin, Ibid. p ; 85). 4 Au sens de « qui est en usage » dans un contexte d’enseignement/apprentissage spécifique. 5 La notion de langage doit ici être entendu au sens de signes vocaux et/ou gestuels permettant une communication entre deux ou plusieurs personnes afin d’avoir un effet. 6 Par « système sémiotique » on entend un signe ou ensemble de signes formant l’objet d’une description.

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l’examiner. Représenter les résultats d’une expérimentation par des tables et des diagrammes. Inventer une histoire ; et lire. Jouer du théâtre. Chanter des “ rondes ”. Deviner des énigmes. Faire un mot d’esprit ; raconter. Résoudre un problème d’arithmétique pratique. Traduire d’une langue dans une autre. Solliciter, remercier, maudire, saluer, prier. » (Wittgenstein, 1961, p.125) sont autant de représentation de « la multiplicité des jeux de langages ». Autrement dit, les actes de langages sont « des jeux de langages » qui obéissent à des « règles langagières » dont les règles précises et explicites ne sont pas toujours appréhendables préalablement, ce qui place au cœur de l’action didactique la notion de transactions. 1.3. L’Action didactique : un jeu de transactions didactiques7 Enseigner et apprendre c’est agir conjointement pour accéder à un savoir ; cela suppose donc que l’action didactique est organiquement coopérative. « Si l’action didactique est organiquement coopérative, c’est avant tout parce qu’elle prend place au sein d’un processus de communication (…). Dire cela, c’est une manière de commencer à spécifier cette action en tant qu’action dialogique et c’est aussi dire qu’une manière productive de considérer les interactions didactiques est de les considérer comme des transactions ». (Sensevy, 2007. p. 15). A la suite de Sensevy nous entendons le terme de « transaction » à la manière dont Vernant (1997, 2004) caractérise le dialogue : « Nous appréhendons le dialogue dans ses deux dimensions interactionnelle et transactionnelle…C’est d’abord une interaction langagière qui, se déployant en un processus imprévisible, résultat d’une coopération conjointe entre au moins deux interlocuteurs qui interagissent en mobilisant des modèles projectifs de dialogues. Mais cette interaction n’a pas de finalité en elle-même. Hétéronome, elle est tributaire de finalités transactionnelles, intersubjectives et intramondaines. Généralement on ne parle pas pour parler, mais pour, ensemble ou l’un contre l’autre, agir sur le monde que nous construisons. La transaction intersubjective est ce mouvement par lequel les interlocuteurs se reconnaissent mutuellement comme co-locuteurs dans leurs dimensions psychologiques, sociale, idéologique, etc. La transactions intramondaine met en cause le rapport des co-agents au problème qu’ils rencontrent dans une situation qu’ils partagent (Vernant, 2004, p. 88) ». Le préfixe « trans » doit donc inciter celui qui décrit l’action didactique du professeur ou de l’élève à chercher son « complément » dans l’action de l’autre, dès lors qu’il est question de chercher à comprendre telle ou telle production de savoir(s). Dans cette perspective, les savoirs, contenus de la relation, objets de la communication, constitueront donc des objets transactionnels. Et se demander quelle est l’action particulière de chacun des transactants consiste à se demander ce que chacun fait avec ces savoirs. Dans cette perspective, centrer la description sur les savoirs ne constitue pas une volonté externe à l’étude de l’action, qui consisterait à examiner celle-ci au prisme des savoirs parce que l’on s’intéresse avant tout autre chose aux savoirs pour eux-mêmes. Si la description est centrée sur les savoirs tels qu’ils sont déployés dans les transactions, c’est parce qu’il est postulé que ce qui donne forme à ces transactions (« intrasubjectives » ou »

7 Cette partie s’inspire largement de l’ouvrage « Agir ensemble » (Sensevy & Mercier, 2007). Pour une lecture plus approfondie le lecteur pourra se reporter à la partie intitulée « Des catégories pour décrire et comprendre l’action didactique » (Sensevy, 2007, pp 13-50).

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intramondaines »), ce sont leurs contenus, et que ces contenus sont des contenus de savoirs, des contenus épistémiques ». (Sensevy, Ibid. pp-15-17). Dans une logique située de l’action, liée à une conception anthropologique de l’apprentissage, il nous paraît alors difficile d’envisager la question de l’ « Efficacité et de l’Équité en Éducation » indépendamment de l’étude des transactions. Ainsi, comprendre les pratiques des transactants nécessite, à notre sens, d’analyser finement les situations dans le cadre d’une dialectique contrats-milieux. Un jeu d’apprentissage sera alors « vu comme » l’expression de la relation d’un certain contrat avec un certain milieu dans une situation de savoir(s) donnée. 2. Présentation des communications Les communications présentées dans ce symposium se proposent de questionner l’action didactique de professeur(s) et d’élève(s) au cours de jeux d’apprentissages. Ces propositions se focalisent, pour certaines, plus particulièrement sur l’action langagière de l’enseignant, lors de phases d’interactions/transactions didactiques avec des élèves, et pour d’autres sur l’action langagière d’élève(s) lors de phases d’interaction/ transactions didactiques avec un ou des professeur(s). Afin de donner un aperçu des formes de pratiques, nécessaire à une approche réflexive des processus susceptibles d’avoir des effets sur l’efficacité et l’équité des pratiques, les communications rendent compte de recherches menées à des niveaux de scolarité et dans des domaines disciplinaires différents. Elles s’intéresseront ainsi aux interactions/transactions langagières à l’école élémentaire, au collège, ou encore dans le cadre d’une liaison CM2/6ème, et dans les disciplines d’enseignement suivantes : anglais, sciences et vie de la terre, mathématiques et éducation physique et sportive. Enfin, certaines études de cas se centreront sur des publics d’élèves aux profils scolaires divers : élèves en difficulté scolaire, élèves en difficulté d’apprentissage élective. Nous tenons à souligner que les mises en perspectives des pratiques didactiques présentées ici s’inscrivent dans le cadre de la théorie de l’action conjointe en didactique (Sensevy & Mercier, 2007 ; Schubauer-Leoni, Leutenegger & Forget, 2007), élaborée au sein de l’approche comparatiste en didactique (Mercier. Schubauer-Leoni & Sensevy, et 2002 ; Amade-Escot, 2007). Nos analyses ne visent pas à rendre compte de dimensions génériques de pratiques, mais à étudier la spécificité des pratiques pour éventuellement en extraire certains traits communs. Bibliographie Amade-Escot, C. (2007). Le didactique. Paris : Revue EPS. Joshua, S., & Dupin, J-J. (2003). Introduction à la didactique des sciences et des

mathématiques. Paris : PUF. Leutenegger, F., Saada-Robert, M. (2002). Expliquer et comprendre en sciences de

l’éducation. Bruxelles : De Boeck & Larcier. Mercier, A., Schubauer-Leoni, M.L., Sensevy, G. (2002). Vers une didactique comparée.

Revue Française de Pédagogie. 141. Mercier, A. (2008). Le contrat didactique et ses effets. http://recherche.aix-

mrs.iufm.fr/publ/voc/n1/mercier/index.html Sensevy, G., & Quilio, S. (2002). Les discours du professeur. Vers une pragmatique

didactique, Revue Française de pédagogie, 141, 47-56 Sensevy, G., Schubauer-Leoni, M. L., Mercier, A., Ligozat, F., & Perrot, G. (2005). An attempt to model the teacher's action in the mathematic classe. Educational Studies in

Mathematics, 59, 153-181.

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Sensevy, G., & Mercier, A. (Eds). (2007). Agir ensemble. L'action didactique conjointe du professeur et des élèves. Rennes : PUR.

Sensevy, G. (2007). Des catégories pour décrire et comprendre l’action didactique. In G. Sensevy et A. Mercier (Eds). Agir ensemble. Rennes : PUR.

Tomasello, M. (1999). Aux origines de la cognition humaine. Paris : RETZ. Vernant, D (1997). Du discours à l’action. Paris : PUF Vernant, D (2004). Pour une logique dialogique de la véridicité. Cahiers de linguistique

française, 26, 87-111. Wittgenstein, L. (1961), Tractatus logico-philosophicus, suivi de Investigations

philosophiques. Paris : Gallimard.

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Analyse des prises de parole lors de séances d’anglais en CM2 et en 6è : mise au jour

d'indicateurs relatifs à l’efficacité et l’équité des pratiques professorales.

Gruson Brigitte, CREAD, Université européenne de Bretagne

Introduction

L'enseignement-apprentissage des langues étrangères vise prioritairement à doter les élèves d’un instrument de communication efficace. De ce fait, à l’école primaire, comme au collège, les activités orales de compréhension et d’expression sont prioritaires. Malgré cela, les compétences des Français en langues étrangères, et plus particulièrement en anglais, sont souvent jugées insuffisantes (note de la DEP n° 04-01, mars 2004). Ces constats largement diffusés ont pour effet de jeter un certain discrédit sur les manières de faire des professeurs qui enseignent l'anglais ; ils mettent en cause l'efficacité de leurs pratiques et posent de fait le problème de l'équité des chances pour tous les élèves d'accéder à une maîtrise fonctionnelle de l'anglais. Les analyses présentées ici visent à mieux comprendre comment s'organisent les interactions produites dans deux classes de CM2 et deux classes de 6è lors de situations didactiques caractéristiques de l'enseignement-apprentissage de l'anglais avec des élèves quasi-débutants. Elles s'appuient sur un système de notions empruntées à deux domaines de recherches dont l'articulation fait l'objet d'un travail en cours : la théorie de l’action conjointe en didactique et la didactique des langues et cultures. Pour poser la question de l'efficacité et de l'équité des pratiques professorales lors de situations d'interactions orales en anglais, nous produisons une analyse comparative quantitative et qualitative qui permet de disposer d'indicateurs quant à la façon dont est répartie la parole entre différents types d'élèves et ainsi de comparer la quantité et les types d’énoncés produits en fonction de chaque type d’élèves. Il nous semble, en effet, qu’une des manières d’envisager l’efficacité et l’équité du professeur de langue étrangère réside dans l’analyse de la façon dont ce professeur gère les prises de parole afin de permettre à tous les élèves de s’essayer dans la langue étrangère et, ce faisant, de développer une maîtrise opératoire de cette langue, soit pour reprendre les termes de Chini (2008, p. 61) de disposer « de procédures d’action mobilisables et applicables aux différentes situations langagières qu’ils [seront] susceptibles de rencontrer ». 1. Cadre théorique Nous ne reprenons pas ici les notions décrites dans la partie introductive de symposium mais nous nous centrons sur certaines d'entre elles que nous tentons de spécifier au cadre de notre travail. 1.1. L'action didactique en classe de langue étrangère : un « jeu » d'actions communicationnelles Nous considérons que l'action didactique en classe de langue étrangère est avant tout une action communicationnelle. Notre étude se centre donc sur l'analyse des processus de communication en jeu dans la classe de langue étrangère. Cette position ne saurait cependant laisser entendre que nous reprenons à notre compte la notion de « bain linguistique » selon laquelle c'est en communiquant et uniquement en communicant qu'on apprend à communiquer. Ce serait, en effet, oublier la spécificité de l'apprentissage scolaire des langues étrangères qui nécessite l'articulation constante du langagier et du cognitif8. Toutefois, dans le cadre restreint de cette communication, nous avons choisi de nous centrer sur l'analyse des

8 Sur cette question, voir, notamment, Bange (2005) et Chini & Goutéraux (2008).

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pratiques langagières lors de la mise en œuvre de situations caractéristiques de l'enseignement-apprentissage des langues étrangères. Dans cette perspective, nous considérons que les interactions langagières acquièrent sens et finalité en s’enracinant dans une situation où s’opèrent et se négocient des transactions.

« Par [le] terme [transactionnel], nous désignons les relations complexes qui lient l'acte de discours comme pratique langagière aux activités non langagières dans lesquelles il s'inscrit. L'interaction communicationnelle n'a généralement pas sa finalité en elle-même. Elle est hétéronome : la coopération langagière vise, in fine, une coopération non langagière : une transformation du monde par ou avec autrui. » (Vernant, 1997, p. 47)

Ce faisant, nous nous situons, à la suite de Vernant, dans une approche pragmatique qui dépasse l’approche purement communicationnelle du langage et envisageons le discours comme une forme d’action, une action communicationnelle. Dans cette perspective, une des manières d’envisager l’efficacité du professeur de langue serait de mesurer la pertinence pragmatique des énoncés qu’il fait produire à ses élèves, ce que nous n’aurons pas vraiment le temps de développer dans le cadre de cette communication. Avec la prise en compte de la dimension actionnelle du langage, nous nous inscrivons dans l’approche décrite dans le cadre européen de référence qui propose une évolution significative de l’apprentissage des langues en ancrant la didactique des langues dans une visée actionnelle et non plus simplement communicative.

« La perspective privilégiée ici […] considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donnés, à l’intérieur d’un domaine particulier (Cadre européen de référence, 2001). »

1.2. Transactions didactiques et contrat(s) didactique(s) La notion de contrat didactique peut se décrire comme un système d’attentes, à propos du savoir, entre le professeur et les élèves ou comme un système d’habitus ou de règles du jeu immanent à telle ou telle situation. Cette notion, initialement produite par Brousseau en 1978 à l’occasion de ses recherches sur l’échec électif en mathématiques, a été reprise et reconfigurée dans le cadre de l’élaboration de la théorie de l’action conjointe en didactique. Elle est toujours l’objet d’ajustements avec, entre autres, les travaux de l’équipe genevoise de didactique comparée. Ainsi, dans un article récent pour la revue « Education & Didactique », on peut lire que « les transactions qui alimentent le contrat didactique gagnent à être explorées par des descripteurs articulés et aptes à prendre en compte la dynamique des systèmes » (Schubauer-Leoni et al., 2007, p. 10). La notion de contrat didactique nous paraît donc essentielle au processus de description des transactions didactiques car elle fait comprendre le poids des habitudes d’action dans leur formation. Pour notre part, dans la recherche (Gruson, 2006) dont sont extraites les données présentées ici, nous avons mis au jour cinq types de contrats caractéristiques de l’enseignement-apprentissage de l’anglais avec des élèves quasi-débutants : un contrat d’observation, un contrat d’écoute, un contrat d’utilisation de la langue étrangère, un contrat de répétition et un contrat de production d’énoncés complets corrects. Dans le cadre de cette communication, nous allons montrer la façon dont les deux derniers contrats déterminent les actions langagières conjointes des professeurs observés et de leurs élèves. 2. Corpus et éléments de méthodologie 2.1. Le corpus et la constitution des données

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2.1.1. Le professeur et les classes observées La recherche dont sont extraites les données présentées ici visait à caractériser les pratiques de deux professeurs de CM2 et de deux professeurs de 6è, soit quatre professeurs expérimentés dans l’enseignement-apprentissage de l’anglais9. Le profil des classes qui ont servi au recueil de données se présentait comme suit :

Nombre d’années d’apprentissage de

l’anglais

Profil des élèves défini à partir des notes obtenues à l’évaluation de fin de séquence

Professeurs Effectif

2ème année 3ème année Bons

16 et plus Moyens

entre 12 et 16 Peu performants

moins de 12

Mo

yenn

es su

r 20 10

PE1 18 13 (72%) ---- 10 4 1 16,04 PE2 22 16 (73%) ---- 6 9 7 13,42 PC1 24 ---- 16 (66%) 8 3 8 13,89 PC2 27 ---- 14 (52%) 8 8 11 13,20

Tableau 1 : Profil des classes

Ce tableau met en évidence que les classes de CM2 auprès desquelles les professeurs des écoles intervenaient étaient moins chargées que celle des professeurs de 6è et que le nombre d'élèves ayant un parcours linguistique homogène était plus élevé dans les classes de CM2 que dans celle de 6è. Ceci nous avait conduit à faire l’hypothèse que les élèves des professeurs de 6è avaient vraisemblablement des niveaux en anglais plus hétérogènes que ceux des professeurs de CM2. Cette première hypothèse concernant la plus grande homogénéité des classes de CM2 doit cependant être modulée au regard des résultats que les élèves de chaque classe ont obtenus aux épreuves d’évaluation mises en œuvre à la fin des séquences observées11. En effet, l’analyse des résultats met en lumière l’homogénéité12 des résultats des élèves de PE1 qui, de plus, performent mieux que les élèves des trois autres classes13. Par ailleurs, on note, comme on pouvait s’y attendre, que les résultats des élèves de 6è sont nettement inférieurs et que le profil de la classe de PC1 est différent de celui des autres classes. Les résultats à l’évaluation mettent en évidence que la classe de PC1 est composée de deux groupes bien distincts : un groupe de huit élèves qui obtiennent de très bons résultats et un autre groupe de huit élèves également qui performent nettement moins bien avec cinq élèves sur huit qui obtiennent une note inférieure à la moyenne. 2.1.2. Les situations étudiées

9 Dans cette recherche, les quatre professeurs observés étaient nommés comme suit : PE désignait les professeurs des écoles et PC les professeurs de collège. Les numéros 1 renvoyaient aux professeurs formateurs et les numéros 2 aux professeurs non formateurs. Ainsi, les quatre professeurs se dénommaient PE1, PE2, PC1 et PC2. 10 Pour construire les scores totaux, les notes obtenues ont toutes été ramenées sur 1 afin de disposer de scores comparables. En effet, le nombre d’items étant différents d’une classe à l’autre, il a été nécessaire de procéder à une harmonisation. Toutefois, pour faciliter la lecture, nous présentons ici des moyennes ramenées à 20. 11 Les activités d'évaluation dont sont issus ces résultats ont été conçues collaborativement par le chercheur et les quatre professeurs. Ainsi, pour pouvoir disposer de résultats comparables, les quatre professeurs se sont mis d'accord sur la nature et le nombre d'activités d'évaluation. Pour plus d’informations sur la nature de ces évaluations et les procédures de passation des épreuves, voir Gruson (2007). 12 Cette relative homogénéité est confirmée par le calcul de l’écart-type qui n’est que de 0,13 dans la classe de PE1, soit l’écart-type le plus bas pour l’ensemble des classes. 13 Pour étudier les différences de moyenne obtenues par les quatre classes, nous avons effectué une analyse de la variance (ANOVA). Celle-ci n'indique pas de différence significative (F = 2,481, non significatif) pour les résultats d’ensemble. Toutefois, un t de student opéré sur les moyennes des classes de PE1 et de PE2 montre une différence significative (p = 0,018) que laisse entrevoir une première lecture des résultats.

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Dans le cadre de cette recherche, l’étude du travail conjoint de ces quatre professeurs et de leurs élèves s’est fondée sur l’analyse de quatre séquences complètes, soit vingt-quatre séances. Au sein de ces séquences, nous avons étudié trois moments-clé de l’enseignement-apprentissage d’une langue étrangère avec des élèves quasi-débutants : le(s) moment(s) où le professeur introduit les nouvelles connaissances (S1), une situation de compréhension de l'oral (S2) et une situation de communication orale en binômes (S3). Compte tenu de l’objet de cette communication, seuls les temps de travail collectifs préalables aux échanges en binômes ont été pris en compte lors de l’analyse des situations de communication orale. Ces vingt-quatre séances ont été vidéoscopées et chaque situation a fait l’objet d’une transcription intégrale. Pour analyser la façon dont chaque professeur gère les interactions dans la classe, nous nous sommes appuyée sur les transcriptions des douze situations retenues, soit trois par professeur. En complément de ces données, plusieurs types d’entretiens ont été conduits avec chaque professeur : un entretien ante et post séquence et un entretien d’auto-analyse. 2.2. Les critères de catégorisation des énoncés Pour tenter de répondre à la question de l'efficacité et de l'équité de la gestion des interactions orales par les quatre professeurs observés, nous avons procédé à des opérations de codage des énoncés produits par les élèves lors des trois situations étudiées. Compte tenu de notre volonté de comparer la quantité et les types d’énoncés produits en fonction des types d’élèves (bons, moyens et peu performants), nous avons comptabilisé uniquement les tours de parole pris en charge par les élèves nommément identifiés. Cette décision a eu un effet important sur la quantité des tours de parole correspondant à nos critères d'analyse dans la mesure où, dans ces quatre classes, de nombreux tours de parole correspondaient à des énoncés produits en chœur. Nous avons ensuite catégorisé les tours de parole retenus selon qu'ils correspondaient à des prises de parole produites en réponse à des sollicitations verbales ou non verbales (énoncés de type 1 codés « P ») ou à de simples répétitions d'un énoncé produit immédiatement avant (énoncés de type 2 codés « 2 »). Parmi ces deux formes d’énoncés, nous avons ensuite introduit distinction entre les énoncés qui correspondaient à des mots isolés (codés petit « p » ou petit « r ») ou à des énoncés plus longs (codés grand « P » ou grand « R »). En revanche, dans le cadre de ce premier travail de catégorisation, l'exactitude de la forme linguistique n'a été pris en compte. De plus, n'ont pas été inclus dans le recensement les énoncés produits en français, ceux en lien avec l'organisation du travail et les réponses courtes se présentant sous la forme de particules affirmatives ou négatives « yes », « no ». Ces derniers critères ont été retenus afin de centrer l'analyse sur les contenus d'apprentissage en jeu, soit en tenant compte du poids épistémique des énoncés produits par les élèves. 3. Des répartitions contrastées de la prise de parole des élèves Nos analyses prennent appui sur l'étude de 2399 tours de parole répartis sur une durée globale d’environ 3h30. Toutefois, malgré ces chiffres qui peuvent paraître relativement élevés, il est important de préciser que les résultats des analyses que nous avons menées doivent être considérés avec beaucoup de prudence car le nombre de tours de parole pris en charge par les élèves nommément identifiés, soit 608 au total, est modeste. De plus, ce nombre devient faible lorsqu'on met en relation les types d’élèves avec la nature de leurs productions langagières. En effet, comme le montre le tableau 1, certains types d’élèves sont sous-représentés dans certaines classes. Le premier tableau présente le nombre total des tours de paroles étudiés dans chaque classe ainsi que la moyenne du nombre de tours de paroles produites en une minute.

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PE1 PE2 PC1 PC2 Total TP 565 492 731 611 Durée totale 58 min 35 53 min 20 69 min 35 33 min 10 TP à la minute 9,7 9,2 10,5 18,5

Tableau 2 : Nombre total de tours de parole

Les chiffres ci-dessus mettent en évidence le fait que la pratique de PC2 se distingue très nettement de celle de ses trois autres collègues. Dans cette classe, le nombre moyen de tours de paroles produits en une minute se monte au double ou quasiment de celui répertorié dans les trois autres classes. Ce premier constat pourrait conduire à conclure hâtivement que PC2 est plus efficace dans la gestion des interactions. Toutefois, cette mesure purement quantitative ne saurait être interprétée sans prendre en compte la nature des situations mises en place et, conséquemment, celle des interactions. Ainsi, une analyse fine montre que l'enchaînement très rapide des tours de parole dans la classe de PC2 tient au nombre très élevé de répétitions et à au fait que la production des élèves est souvent limité à la réitération d’éléments structurels identiques.

44 PC2 What have you got Gwénaël? 45 Gwénaël I’ve got a water-pistol 46 PC2 Show it to everybody 47 Elèves On voit pas, on voit rien 48 PC2 Gwénaël what have you got? 49 Gwénaël I’ve got a water-pistol 50 PC2 What have you got Florent? 51 Florent A water-pistol? 52 PC2 I’ve got 53 Florent I’ve got er a cap 54 PC2 Show me a cap repeat 55 Florent A cap 56 PC2 I’ve got a cap 57 Florent I got a cap 58 PC2 I’VE got 59 Florent I’ve got a cap

L’extrait ci-dessus montre, ainsi, que la situation dans laquelle sont mis les élèves de PC2 est proche d’un exercice structural de facture behavioriste qui repose sur la pratique de séquences phrastiques qui se différencient les unes des autres uniquement sur un plan sémantique (voir, par exemple ici, le passage de « I’ve got a water-pistol » à « I’ve got a cap »). Dans cette situation, il semble donc que les élèves de PC2 ne sont pas mis réellement en position d’agir avec la langue mais simplement de produire des séquences de phrases qui n’ont très peu de liens avec le niveau situationnel qui sert de cadre14 à la situation. Quant à la place de la répétition dans la classe de ce professeur, l’étude de la façon dont se répartissent les types d’énoncés produits par les élèves dans les quatre classes observées montre clairement que c’est dans la classe de PC2 que les énoncés de type 2 occupent le plus de place (cf. tableau 3).

14 De nombreux auteurs utilisent le terme « contexte » pour qualifier l'ensemble des informations qui rend les énoncés pertinents (sur cette notion, voir Charaudeau et Maingueneau, 2002, pp. 134-136). Pour notre part, nous lui préférons l'expression « cadre ou niveau situationnel », nous situant d'emblée dans une approche large des contraintes susceptibles de donner sens aux énoncés. Ainsi, dans nos analyses, nous reprenons à notre compte les trois niveaux de mise en discours décrits par Charaudeau (2002, pp. 536-537) : le niveau situationnel, discursif et sémiolinguistique.

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Le troisième tableau sert lui à montrer la place qu’occupent les tours de parole pris en charge par des élèves nommément identifiés dans chaque classe.

PE1 PE2 PC1 PC2 Total TP 124 84 186 214

% TP élèves 22% 17% 25% 35% % d’énoncés de type 1 « production » 96% 76% 61% 52% % d’énoncés de type 2 « répétition » 4% 24% 39% 48%

Tableau 3 : Tours de parole pris en charge par les élèves

Les pourcentages indiqués dans le tableau ci-dessus confirment les constats mis au jour lors d’études précédentes15 quant à la place qu'occupe la prise de parole individuelle des élèves dans la classe de langue étrangère. Ils mettent en évidence la place occupée par le professeur et les prises de parole collectives lors des interactions orales. Ils montrent que les deux professeurs non formateur (PE2 et PC2) ont des manières de gérer les prises parole individuelles assez différentes. Les pourcentages relatifs à PE2 indiquent qu'il donne la priorité aux prises parole collectives. Quant à ceux relatifs à PC2, ils indiquent, que dans la classe de PC2, les élèves sont plus souvent mis en position d’interaction directe sans que le professeur n'intervienne entre chaque prise de parole.

174 PC2 Correct Erwan 175 Erwan Gwénaël have you got a water-pistol? 176 Gwénaël Yes I have 177 PC2 Oh you’ve got a very good memory David 178 David Emmanuel have you got a rabbit? 179 Emmanuel No I haven’t 180 PC2 Ah ah correct good don’t sit down don’t sit

down yes er Benjamin Le quatrième tableau a pour objectif de montrer la manière dont se répartissent les tours de parole des élèves au cours des trois situations étudiées.

PE1 PE2 PC1 PC2 Durée 23 min 35 20 min 20 36 min 15 18 min 15

S1 TP 62 39 131 189

Durée 23 min 17 min 25 15 min 35 7 min 05 S2

TP 25 11 23 10 Durée 12 min 15 min 35 12 min 55 7 min 50

S3 TP 37 34 32 25

Tableau 4 : Répartition des tours de parole en fonction des situations

Avant de présenter les éléments d'analyse que le tableau ci-dessus nous permet de mettre en évidence, il est important de rappeler que la situation nº 2 (S2) correspond à une situation de compréhension de l'oral qui, par définition, met les élèves prioritairement en position d'auditeurs. La nature même de l'activité explique dont le nombre très faible de tours de parole pris en charge par les élèves à ce moment du travail. En dehors de ce premier constat, ce qui frappe à l'observation de ce tableau est le nombre élevé de prises de parole individuelles dans les classes de PC1 (131) et de PC2 (189) lors des phases d'introduction des nouveaux

15 Cf. la contribution du groupe des langues vivantes de l’inspection générale extraite de l’étude intitulée « La place de l’oral dans les enseignements : de l’école primaire au lycée », parue en 2000 dans le Rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale (pp. 88-115, La Documentation française).

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éléments de langue (S1) par rapport aux autres situations et aux deux autres classes. Dans les classes des professeurs de 6è, les différences de durée entre la situation nº 1 et la situation nº 3 ne suffisent pas à justifier les écarts entre le nombre de prises de parole individuelles. Selon nous, ces écarts tiennent à la nature même des activités. Ils révèlent que ces deux professeurs de 6è sollicitent davantage leurs élèves lors des phases de pratique guidée intensive (cf. S1) et que, paradoxalement, ils leur laissent moins de place lors de la mise en œuvre de situations, telles que les jeux de communication ou les activités d'expression plus spontanée, où les élèves sont censés s’essayer dans la langue et construire leur discours sans intervention de l'enseignant. Le peu de place qui semble accordé aux prises de parole plus spontanées nous conduit à interroger la capacité qu’auront les élèves à mobiliser leur savoir-faire langagier pour communiquer en langue étrangère en dehors de la classe. Ce constat représente, selon nous, un indicateur susceptible d’expliquer en partie pourquoi les compétences de communication des élèves français sont souvent jugées insuffisantes. 4. Des élèves sollicités de manière très inégale Avant de présenter les résultats suivants, il nous semble important de rappeler que la mesure de l'efficacité et de l’équité professorales ne saurait se limiter à la mise relation entre quantité d’énoncés produits par les élèves et leurs performances lors des évaluations. En effet, de nombreuses études montrent que certains élèves qualifiés de « petits parleurs » performent très bien lorsqu'ils sont en situation d'évaluation alors qu'à l’inverse certains élèves actifs à l’oral performent nettement moins bien en situation d'évaluation. L'étude de l'efficacité et de l’équité professorales met en jeu des phénomènes extrêmement complexes qui ne sauraient souffrir d'une simplification excessive. Par conséquent, les résultats de notre étude n’indiquent que des tendances qu'il conviendrait de vérifier à l'aune de recherches menées sur des échelles nettement plus importantes. 4.1. Répartition de la prise de parole en fonction des types d’élèves Cette partie de notre travail vise à présenter la façon dont se répartit la prise de parole individuelle des élèves dans chaque classe observée. Dans les graphiques ci-dessous, chaque colonne représentée sur l’axe des abscisses correspond à un élève. Les colonnes en noir représentent les élèves les plus performants (16 et plus), celles en gris ceux qui ont obtenus entre 12 et 16 à l’évaluation et celles en blanc ceux qui ont obtenu moins de 12 (cf. tableau 1). L’axe des ordonnées indique le nombre de tours de parole produits par chaque élève. La ligne horizontale inclue dans chaque tableau donne à voir où se situe la moyenne du nombre d’énoncés produits par chaque élève. Le chiffre qui figure dans chaque encart indique cette moyenne pour chaque professeur.

PE1 PE2

PC1 PC2

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Tableau 5 : Mise en relation du nombre de tours de parole avec le profil des élèves

Le premier constat qui mérite d’être souligné est le suivant : quel que soit l’effectif, on remarque que, dans trois classes sur quatre, le nombre moyen d’énoncés pris en charge par les élèves est identique. En revanche, on note qu'il n’est que de quatre énoncés par élève dans la classe de PE2. De plus, on observe que c'est à nouveau dans cette classe que les prises de parole sont les moins bien réparties. Ainsi, dans la classe de PE2, trois élèves n'ont jamais pris la parole individuellement lors des situations observées alors qu'il n'y en a qu’un dans la classe de PE1 et aucun dans les classes des deux professeurs de 6è. Ce qui frappe également quand on étudie ces quatre tableaux, c'est que certains élèves sont nettement plus sollicités que d’autres. Ainsi, trois professeurs sur quatre semblent prendre appui sur quelques élèves ayant des profits différents alors que PE1 sollicite majoritairement des élèves performants. Par ailleurs, on observe que les professeurs formateurs (PE1 et PC1) semblent répartir la parole plus efficacement puisque, dans leur classe, 60 % des élèves sont au-dessus de la moyenne alors que ces chiffres se limitent à 50 % pour la classe de PE2 et 48 % pour celle de PC2. Enfin, on note que, dans la classe les professeurs non formateurs, les élèves qualifiés de performants interviennent moins que les deux autres catégories d'élèves. Une fois encore ce constat interroge la nature des situations mises en œuvre. Ainsi, l'analyse qualitative du travail conjoint de ces quatre professeurs et de leurs élèves montre que les deux professeurs formateurs placent leurs élèves dans des milieux cognitifs (Sensevy, 2007) nettement plus denses que leurs deux autres collègues16. Ce faisant, les situations qu'ils proposent sont davantage porteuses d’enjeux et, par là même, plus motivantes pour les élèves qui performent bien sans pour autant être hors de la portée des élèves moins à l'aise. On remarque ainsi que, dans la classe de PC1 notamment, la prise de parole est bien répartie entre les différents types d’élèves. 4.2. Des formes langagières réservées à certains types d’élèves Le dernier tableau permet de comparer les types d’énoncés produits par les élèves les plus performants et les moins performants. Dans ce tableau, figure, pour chaque catégorie d'élèves, le pourcentage de prises de parole correspondant aux énoncés de type 1, soit les énoncés produits en réponse à des sollicitation verbales ou non verbales émises par le professeur ou un autre élève. L'interprétation des nombres doit donc être effectuée comme suit : dans la classe de PE1, les énoncés pris en charge par les élèves les plus performants correspondent pour 73 % d'entre eux à des énoncés de type « production » et pour 27 % à des énoncés de type « répétition ». Comme le montre cet exemple, les pourcentages correspondant aux énoncés de type « répétition » sont donc à déduire de ceux fourmis dans le tableau.

PE1 PE2 PC1 PC2 Elèves très performants (18 et plus) 73% 25% 64% 67%

16 Pour une présentation détaillée de cette analyse, voir Gruson, 2006.

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Elèves les moins performants (moins de 10) 14% 15% 31% 17% Tableau 6 : Comparaison du nombre d’énoncés de type 1 « production »

Mis à part les 25 % indiqués pour les élèves très performants dans la classe de PE2, les nombres indiquent très clairement que les élèves les plus performants produisent majoritairement des énoncés de type 1 alors qu'à l'inverse les élèves les moins performants sont cantonnés à des tâches de répétition. Ce constat qui vient confirmer ce que notre connaissance du fonctionnement des classes de langue étrangère nous avait laissé supposer peut s'expliquer au moins de deux manières différentes. La première tient, selon nous, à la volonté qu’ont ces professeurs de « faire participer tous les élèves en leur donnant la parole même si ce n'est que pour répéter. C’est d’ailleurs ce que PC2 déclare lors de l'entretien d'auto-analyse :

« Ben, j’ai l’impression que, sur les extraits que j’ai vus là, c’est souvent les mêmes que, qui sont concernés pour répéter, pour, heu, pour prononcer une phrase, souvent les mêmes prénoms, sur ceux que tu as choisis toi peut-être. [..] Parce que ça, j’essaye quand même de, heu, quand il s’agit de répéter, faire répéter ceux qui ne prennent pas la parole tout seuls ou bien qui ont du mal à créer des phrases ou des choses comme ça. Donc ceux-là je les fais répéter, c’est que sur ce que j’ai vu, j’ai l’impression d’entendre souvent les mêmes prénoms. »

La seconde est probablement motivée par le fait qu'on retrouve, dans la pratique de chaque professeur, un contrat de production, plus ou moins guidée, d’énoncés complets corrects. Ce deuxième constat montre que l'idée de perfectionnisme référée à la langue produite par les locuteurs natifs détermine encore largement les pratiques professorales bien que cette idée soit largement battue en brèche depuis plusieurs années.

« Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’apprendre une langue étrangère à l’école en tentant d’acquérir une compétence de locuteur natif de cette langue ; il s’agit plutôt d’entrer, dans le cadre du parcours scolaire, dans au moins deux langues secondes ou étrangères (rappelons que la langue de l’école est déjà une langue seconde pour une bonne partie des élèves), de manière à devenir un locuteur alloglotte habile, capable de supporter le choc des situations de communication exolingue, situations qui se rencontreront hors l’école et qui constitueront autant d’occasions de poursuivre les apprentissages linguistiques. » (Matthey, 2005, pp. 156-157)

La présence de cette forme de contrat témoigne d'un degré d'exigence très élevé, toute erreur entraînant immédiatement, de la part des professeurs observés, un feed-back correctif17. Nous avons, en effet, constaté lors de nos analyses empiriques qu'il est extrêmement rare qu'une erreur ne fasse pas l'objet d'une correction immédiate. Il semble donc que la façon dont sont traitées les erreurs, qui atteste des attentes fortes des professeurs en matière de production orale, reflète une vision de l'acquisition d'une langue étrangère qui se fonde, au moins pour trois professeurs sur quatre, sur l'assimilation d'automatismes qui résultent essentiellement de répétitions. Dans cette perspective, il n'est donc pas surprenant que les prises de parole des élèves les moins performants correspondent majoritairement à des énoncés de type 1. En effet, on peut faire l'hypothèse que ces élèves, trop souvent corrigés, s'autocensurent. Ne voulant pas prendre le risque de commettre une erreur, ils prennent près peu la parole pour produire des énoncés de 1 « production » et, ce faisant, ont peu l’occasion de s’essayer dans la langue.

17 Pour une présentation rapide des recherches menées sur la question des effets du feedback correctif sur l’acquisition des connaissances par les élèves, voir, entre autres, Griggs (2006, pp. 56-58).

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5. Eléments de discussion Il nous semble que l’analyse de la pratique de ces quatre professeurs et notamment celle de PE2 contient en creux des pistes de réflexion pour l'amélioration de l'efficacité et de l’équité quant à la gestion des prises de parole dans la classe de langue étrangère. Dans la classe de PE2, un faisceau d'éléments nous conduit à réaffirmer la nécessité de mettre tous les élèves en position d'agir avec la langue, soit de produire des énoncés ayant une forte valence pragmatique. En effet, même si la répétition fait partie des pratiques attendues, celle-ci ne saurait constituer l'essentiel du travail. Des efforts doivent être faits pour que s'installent des pratiques langagières qui soient de réelles actions communicationnelles qui prennent en compte les dimensions psycholinguistiques et cognitives inhérentes à l'apprentissage de toute langue. Ce n’est, selon nous, qu’à cette condition que l'enseignement-apprentissage des langues étrangères, en mettant tous les élèves sur le chemin d'une plus grande autonomie langagière, atteindra une meilleure efficacité. Eléments de bibliographie Bange, P. (2005). L’apprentissage d’une langue étrangère – Cognition et interaction. Paris : L’Harmattan. Charaudeau P. & Maingueneau D. (2002). Dictionnaire d’analyse du discours. Paris : Seuil. Chini D. & Goutéraux P. (EDS.) (2008). Psycholinguistique et didactique des langues étrangères. Paris : Ophrys. Conseil de la coopération culturelle, Comité de l'éducation, Division des langues vivantes, Strasbourg (2001). Cadre européen commun de référence pour les langues. Paris : Conseil de l'Europe / Didier. Griggs P. (2006). Perspective sociocognitive sur l'apprentissage des langues étrangères. Habilitation à Diriger des Recherches, Université Lumière Lyon 2, Lyon. Gruson, B. 2006. L’enseignement d’une langue étrangère à l’école et au collège : vers une meilleure compréhension des situations didactiques mises en oeuvre. Thèse, Université Rennes 2, Rennes Gruson, B. (2007). « Analyse de la pratique de quatre professeurs d’anglais lors d’une situation de compréhension de l’oral et tentative de mise en relation de leur action avec les résultats de leurs élèves de CM2 et de 6è ». Actes du colloque international, Les effets des pratiques enseignantes sur les apprentissages des élèves, Besançon, 14-15 mars 2007. CDROM. Matthey, M. (2005). Plurilinguisme, compétences partielles et éveil aux langues. De la sociolinguistique à la didactique des langues. In J.P. Bronckart, E. Bulea & M. Pouliot (éds). Repenser l’enseignement des langues: comment identifier et exploiter les compétences (pp. 139-159). Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion. Schubauer-Leoni M-L.; Leutenegger F. & Forget A. (2007). L’accès aux pratiques de fabrication de traces scripturales convenues au commencement de la forme scolaire : Interrogations théoriques et épistémologiques. Éducation & didactique (n°2, pp. 9-35). Rennes : PUR. Sensevy G. (2007). Des catégories pour décrire et comprendre l'action didactique. In Sensevy G. & Mercier A. [dir.]. Agir ensemble - L'action didactique conjointe du professeur et des élèves. Rennes : PUR. Vernant D. (1997). Du discours à l’action. Paris: Presses Universitaires de France.

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Entre équité et efficacité, la mobilisation par le professeur du capital d’adéquation des élèves MARLOT Corinne –Université de Bretagne, Rennes 2 F-35000 France EA 3875, Centre de Recherche sur l’Education, les Apprentissages et la Didactique (CREAD) 1. Introduction : contexte et problématique Cette proposition tente d’éclairer les relations qui peuvent exister entre les notions d’efficacité et d’équité dans le cadre des pratiques effectives d’un professeur en Découverte du Monde Vivant au cycle 2, en classe ordinaire. Le cadre théorique est celui de la TACD avec la mise en œuvre de la notion de jeux d’apprentissage (Sensevy, 2007). Dans le contexte de ces différents jeux d’apprentissage, les élèves n’ont pas tous une place et un rôle équivalent. En effet, certains élèves sont reconnus par le professeur pour avoir développé presque « naturellement » un rapport adéquat avec les objets enseignés à l’école : ces élèves possèdent, au sens précisé par Sensevy (1998), un fort capital d’adéquation. Or, la mise au jour des stratégies énonciatives didactiques du professeur (Marlot, 2008) montre que ce dernier, pour faire avancer le temps didactique, va prendre appui tout autant sur les élèves à fort capital que sur les élèves à faible capital. Toutefois, la contribution des uns et des autres à la construction de la référence ne sera pas équivalente (Tambone, 2000). Ce travail se focalise donc sur l’usage en situation que va faire le professeur, du capital d’adéquation des différents élèves de la classe. Cette focale pourrait nous permettre de travailler la relation efficacité/équité en considérant la classe comme le lieu d’exercice d’un pouvoir symbolique (Bourdieu, 1992) lié à la détention pour certains, et à la privation pour d’autres, d’un capital d’adéquation. Il s’agira alors d’observer, et ce, dans une perspective pragmatique, comment et à quelles fins le professeur fait usage de ce capital, dans le cadre de l’action conjointe. 2. Cadre théorique et fondements méthodologiques 2.1 La notion de capital d’adéquation Cette notion, d’inspiration Bourdieusienne a été développée par Sensevy (1998). Elle permet de voir la classe comme un champ (Bourdieu, 1992) avec un capital qui est la « ressource propre » du champ et avec de forts détenteurs de ressource et des faibles détenteurs. Ce qui signifie que dans la classe, il y a des élèves riches en capital et des élèves pauvres ; donc des dominants et des dominés. Dans ce cadre la classe peut être vue comme un lieu de pouvoir en même temps qu’un lieu de transmission des savoirs. C’est au travers de ces rapports de force que les élèves réalisent ou pas les profits symboliques qui correspondent à un accroissement du capital. « C’est ce capital symbolique qui est appelé capital d’adéquation : il s’agit pour l’élève de coïncider avec l’institution, avec la position que l’institution lui désigne. » (Sensevy, ibid, p.24) Le professeur s’attend donc à ce que les élèves riches en capital, ceux qui possèdent un fort capital d’adéquation, produisent le comportement attendu et il s’appuie volontiers sur eux pour faire avancer son projet d’enseignement. Ces élèves bénéficient généralement également d’un fort « capital de confiance » vis à vis de leurs pairs. Cependant, un récent travail (Marlot, 2008) a montré que ce statut qui fait de ces élèves des

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« auxilliaires d’enseignement », ne suppose pas nécessairement pour eux, des retombées directes en terme d’apprentissage.

2.2 Les jeux d’apprentissage génériques et spécifiques : le phénomène de glissement de

jeu La notion de jeu d’apprentissage est au centre de la TACD (Sensevy & Mercier, 2007) : c’est un « voir comme », une grille de lecture à l’usage du chercheur. Ces jeux d’apprentissage sont plus ou moins spécifiques de contenus de savoir et se répartissent en jeux génériques et spécifiques selon un gradient épistémique (Marlot, 2008). A l’intérieur des jeux génériques, il existe des jeux dits « premiers » qui représentent les éléments pérennes du contrat didactique en tant qu’habitudes d’action sédimentées dans la classe. Ces jeux « premiers » se répartissent également selon un gradient (ibid). Un récent travail (ibid), nous a permis d’observer le phénomène suivant : parfois, certains jeux annoncés ne peuvent être joués par les élèves ; soit que le professeur se substitue aux élèves, soit qu’il peine à faire percevoir aux élèves les objets sensibles et les « bons jeux », soit que certains objets nécessaires à la mise en œuvre du jeu, sont absents du milieu. Dans ce cas, nous pouvons observer un changement de focale vers d’autres objets, épistémiquement moins denses ainsi qu’un effet de contrat18 (Topaze ou Jourdain). Du point de vue des jeux d’apprentissage, on dira qu’il y a « glissement de jeu » : c’est à dire une remontée vers des jeux plus génériques qui s’apparentent dans la plupart des cas à la mise en place d’habitudes d’action. Il s’avère que le plus souvent, ces jeux d’apprentissage génériques deviennent alors le véritable enjeu de la séance (au détriment des jeux spécifiques plus ou moins annoncés par le professeur). Si ce phénomène s’accompagne habituellement d’un affaiblissement de l’enjeu didactique, il contribue néanmoins, au maintien apparent du lien didactique entre le professeur et les élèves. 2.3 Eléments de méthodologie Notre approche de l’action conjointe va investir deux champs spécifiques : l’analyse du discours et l’étude de cas. En effet, il nous semble que c’est au travers des transactions didactiques et au cœur du langage, qu’il nous sera possible de saisir les règles qui président à l’expression des différents jeux d’apprentissage. Cette orientation nous place délibérément à un niveau « micro » de l’analyse, là où certains évènements didactiques ne sont perceptibles qu’à un grain très fin, parfois en deçà de l’énoncé. Quant à l’étude de cas (Passeron et Revel, 2005), elle va nous permettre d’aborder sereinement ce niveau d’analyse « micro » en visant l’approfondissement de cas singuliers et l’explicitation de leurs contextes. C’est pourquoi le recueil de données lié à cette étude se compose de l’enregistrement vidéo d’une séance unique qui sera cependant, très finement analysée. Néanmoins, face à la nécessité que représente dans notre observation de classes ordinaires, le sens que l’acteur donne à son action en situation, nous avons conduit également des entretiens ante et un entretien post séance. Dans ce dernier, le professeur est amené à (ré) actualiser son action en se confrontant avec l’image de la vidéo.

18 Les effets de contrat ont été décrits par Brousseau (1998). On parle d’effet Topaze quand le professeur « souffle » en quelque sorte la réponse aux élèves et d’effet Jourdain quand il atteste d’un savoir là où il ne s’en est pas produit.

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3. Résultats 3.1 Contextualisation de l’épisode étudié Cet épisode prend place dans une séance en Découverte du monde vivant dans une classe de CE1 avec un professeur débutant. A partir d’un dispositif d’observation proposé par les élèves et non remis en question par le professeur, deux questions vont être successivement investiguées : (1) Comment le lombric s’enfonce t-il dans la terre ? et (2) Les lombrics ont-ils de la force ? Les observations se sont déroulées après que des hypothèses aient été formalisées concernant l’enfouissement. Ces hypothèses sont au nombre de 3 et sont inscrites au tableau : (a) le lombric pousse la terre (b) le lombric s’enfonce grâce à sa tête pointue (c) le lombric mange la terre L’épisode démarre au moment où les élèves ont achevé l’observation par sous-groupe de pairs, relative à la question de l’enfouissement, et se regroupent en classe entière pour procéder à des échanges argumentés autour des observables produits par les 5 groupes. Or, une analyse antérieure (Marlot, 2008) a montré que le dispositif d’observation19 n’était pas à même de produire des observables pertinents. D’autre part, les entretiens ante et post-séance conduits par le chercheur auprès du professeur, ont montré que l’intention première de l’enseignant était que les élèves dépassent, à l’issue de la séance, la conception « packman » de l’enfouissement. Celle-ci tend à faire croire aux élèves que le lombric, pour s’enfouir, « avale son chemin ». On comprendra alors que l’hypothèse ( c ) « le lombric mange la terre », puisse, d’une certaine manière, géner le professeur. Le tableau qui suit présente le synopsis de l’épisode étudié, ce qui nous a permis de mettre au jour une certaine logique de structuration.

Episode Topo 6

19 Le dispositif d’observation était constitué pour chaque élève par un tas de terre sur du papier journal et quelques lombrics. La tâche consistait pour les élèves à ’identifier les étapes du processus d’enfouissement du lombric.

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Partie 1 (152/170), durée 3’ Rapport des groupes : énoncé d’observation sous forme de phrase à visée explicative G1 : « Les vers de terre avalent et recrachent de la terre » G2 : « Ils poussent dans la terre » G3 : « Les vers de terre poussent » G4 : « Les vers de terre poussent dans la terre pour rentrer » Action au tableau : P3 inscrit les chiffres 2, 3 et 4 en face de l’hypothèse « ils poussent ».

Partie 2 (170/181), durée 2’ Question de P3 : « où est-ce qu’on va mettre le groupe 1 ? » Différenciation au cours de l’échange de la proposition « ils avalent et recrachent » et de l’hypothèse « ils mangent » . Action au tableau : P3 inscrit l’énoncé d’observation du groupe 1 sous les 3 hypothèses de départ.

Partie 3 (181/188), durée 1’

Question de P3 : « Qui a raison ? »

Validation de la proposition « ils poussent » et mise en doute de l’énoncé d’observation « ils avalent et recrachent de la terre » Action au tableau : P3 enlève le point d’interrogation à l’hypothèse « ils poussent ».

Partie 4 (188/192), durée 1’ Question de P3 : « Que faire de la proposition du groupe 1 : on l’enlève, on la met dans ce qu’on sait ou dans ce qu’on aimerait savoir ? » Du désaccord entre les membres du groupe 1 au statut de nouvelle hypothèse conféré à l’énoncé d’observation du groupe 1. Action au tableau : P3 ajoute un point d’interrogation à la proposition « ils avalent et recrachent »

Tours de parole 152 à 200

Détermination du statut des énoncés d’observations (hypothèse

ou résultat) durée = 8 min

Partie 5 (192/200), durée 1’ Question de P3 : « Comment trouver comment répondre à la question du groupe 1 ? » De la mise en doute du caractère vraisemblable de « recracher de la terre » à la nécessité de recueillir de nouveaux éléments d’observation. Pas d’action au tableau.

Tableau 1 : structuration de l’épisode Topo 6 de la séance du professeur P3

L’analyse de ce synopsis, nous permet de mettre en évidence deux orientations importantes que nous pouvons voir comme l’expression du projet d’enseignement du professeur :

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- la lisibilité, pour les élèves d’un format-cadre qui se traduit par la réitération du motif« question/échange/réponse » 5 fois. Ce format pourrait correspondre à la mise en œuvre dans la classe, des conditions d’apprentissage de l’objet : « débat à caractère scientifique ».

- l’insistance du professeur à affaiblir la proposition du groupe 1 « pour s’enfouir, les lombrics avalent et recrachent de la terre » car elle s’apparente trop à la conception « packman ». Pour cela, le professeur va délibérément mettre en concurrence les deux propositions, celle du groupe 1 avec celle des autres groupes : « pour s’enfouir, le lombric pousse la terre ».

3.2 Présentation des élèves C’est lors de l’entretien ante-séance, que le professeur a brièvement présenté au chercheur chacun des élèves de la classe. Le tableau suivant regroupe des extraits qui concernent les quatre élèves dont il sera question dans l’épisode étudié. L’observation du discours du professeur montre que les élèves à fort capital d’adéquation sont désignés par rapport à la qualité du travail fourni, à leur niveau scolaire, au sens qu’ils accordent à l’étude ou encore à leur « culture ». En revanche, les élèves à faible capital d’adéquation, sont caractérisés du point de vue de leur comportement « défaillant » : lenteur, immaturité, insouciance20…C’est sur ces caractéristiques que s’est faîte a priori - c’est à dire avant toute analyse - la catégorisation « élève à fort et à faible capital d’adéquation ». L’analyse s’attachera amors à montrer la teneur des transactions didactiques pour chacune de ces deux catégories d’élèves.

Elèves à fort capital d’adéquation Elèves à faible capital d’adéquation

Jonathan : c’est typiquement l’élève qui en début d’année ne savait pas pourquoi il était là pour faire plaisir … maintenant j’ai l’impression qu’il sait plus pourquoi il est là…ça va de pair avec un bon travail même s’ il est un peu dispersé.

Charlotte : elle a besoin de beaucoup de temps mais une fois que ça marche ça marche peut-être par exemple elle va dire j’y arrive pas parce que c’est des maths autant sur le terrarium … y’a pas de connotations à côté elle est plus à l’aise

Kévin : si on est scolaire il a un bon niveau et pour un enfant de CE1 une grande culture et un oral impeccable euh c’est celui qui explique le mieux aux autres les mots difficiles les mots qui posent problème

Olivier : il est assez immature très en demande tout le temps peu autonome et ça se retrouve dans le travail de groupe où il a tendance à se laisser porter c’est un des rares qui a pas voulu toucher les vers il est insouciant.

Tableau 2 : le capital d’adéquation des élèves étudiés

3.3 Les jeux d’apprentissage de l’épisode Topo 6

20 Ce qui laisse à penser que les uns sont déjà concernés par les apprentissages alors que les autres ont plus à voir avec les processus de socialisation en milieu scolaire.

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Selon la représentation développée dans un précédent travail (Marlot, 2008), nous pouvons visualiser les 5 jeux d’apprentissage qui représentent le contexte didactique des interactions observées dans cet épisode : 3 jeux génériques (dont 2 jeux premiers) et 2 jeux spécifiques en appui mutuel. L’épisode est ainsi « décrit comme » une collaboration de l’ensemble de ces jeux. Nous allons maintenant décrire certaines transactions didactiques qui concernent chacun des quatre élèves présentés. Nous allons tenter de comprendre (1) quels sont les jeux d’apprentissage effectivement joués et (2) comment et à quelles fins le professeur prend appui sur ces élèves. 3.4 Mobilisation des élèves à fort capital d’adéquation 3.4.1 Jouer un jeu d’apprentissage spécifique : Jonathan 170-P3 : et le groupe 1 où est-ce qu’on va vous mettre le groupe 1 ? (Il indique du doigt au tableau les 3 hypothèses) Rémi (qui lève le doigt) 171-Rémi : Ils mangent 177-P3 :quand on avale et qu’on recrache c’est la même chose que manger ?/ 178-plusieurs élèves : Non

179-P3 : /Qu’est-ce qu’il y a de différent alors ? /

180-Johnathan : Si on l’avale et qu’on la recrache ça veut pas dire qu’on la mange parce que si on la mange on l’avale et après on la laisse dans le ventre

181-P3 :Si on la mange on l’avale et après on la laisse dans le ventre / alors que là ils avalent de la terre et après ils la recrache / alors on va pas les mettre ici /

Jeux d’apprentissage spécifiques Jeux d’apprentissage génériques

Jeux

pre

mie

rs

JA2 : produire des observables pertinents

JA3 : produire des idées explicatives

JA1c : Respecter le format du débat : Question/échange/rép

JA1 b : Relever les accords et désaccords

JA1a : Choisir entre 2 propositions

APPUI

+

-

Figure 1 : les jeux d’apprentissage mobilisés dans l’épisode étudié

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/(il désigne l’hypothèse « mangent ?» et efface le chiffre 1) /

Dans cette partie 2 il s’agit pour les élèves de jouer le jeu générique JA1c : Respecter le format du débat [Question/échange/réponse], sachant que la question est de savoir où placer la proposition du groupe 1 : « les vers de terre avalent et recrachent de la terre » parmi les 3 hypothèses de départ. Cependant, la réponse en amont de Rémi d’assimiler la proposition du groupe 1 à l’hypothèse « les vers de terre mangent la terre », amène le professeur à faire expliciter la distinction entre « manger » et « avaler et recracher ». Jonathan, va alors jouer le jeu spécifique JA3 : produire des idées explicatives sans néanmoins, prendre appui sur le jeu JA2 : produire des observables pertinents (à partir du milieu de l’observation).

Le professeur va alors, de manière très économique, s’appuyer sur une partie de l’énoncé de Jonathan sur un mode de reformulation non paraphrastique21 pour co-élaborer un nouvel énoncé qui va répondre aux deux questions : (1) quand on avale et qu’on recrache c’est la même chose que manger (177-P3) ? et (2) Le groupe 1 où est-ce qu’on va vous mettre ? (170-P3).

On assiste ici à une avancée directe et particulièrement rapide du temps didactique 3.4.2 Jouer un jeu d’apprentissage fantôme : Kévin 196-P3 :est-ce que ça pourrait sortir par leur bouche ? / 197-plusieurs élèves : Non 198-P3 : Pourquoi non 199-Kévin : Parce que nous on peut pas faire comme ça et puis recracher enfin le ver de terre il peut pas + heu il a pas de langue enfin on peut pas savoir 200-P3 :Enfin s’il a pas de langue on peut pas savoir si ça peut ressortir par devant /donc ça rentrerait par devant et ça ressortirait par derrière /

Cet extrait pourrait, à première vue, ressembler au précédent : le professeur s’appuie sur les propos d’un élève sur un mode de reformulation non paraphrastique pour co-élaborer un nouvel énoncé qui répond à la question intermédiaire22 : « est-ce que ça pourrait sortir par leur bouche ? »(196-P3). Kévin, comme Jonathan, a de son côté joué au jeu d’apprentissage spécifique JA3 : produire des idées explicatives en tentant un raisonnement analogique. Mais faute de connaissances disponibles (on ne sait pas si le lombric possède ou pas une langue), il n’a pu produire une réponse pertinente à la question posée.

21 Le procédé énonciatif de reformulation est envisagé ici selon Rabatel (2006) qui distingue la reformulation paraphrastique qui repose sur une prédication d(identité effectuée grâce à une équivalence sémantique ou un connecteur qui l’instaure, d’une reformulation non paraphrastique qui consiste en un changement de perspective énonciative marquant plus ou moins une distanciation vis à vis du point de vue reformulé. Cette dernière requiert la présence d’un connecteur. 22 sachant que la question qui correspond au format-cadre du débat est de savoir comment vérifier expérimentalement la proposition du groupe 1.

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Cependant, la comparaison s’arrête ici. Car le professeur va provoquer ce que nous avons nommé un « petit coup de force » en engageant un « saut interprétatif » qui ne prend appui sur aucun argument et se fonde uniquement sur la force de persuasion de la conjonction « donc ». Ce passage en force n’a d’autre but que d’affaiblir encore la proposition du groupe 1. Dans ce cas, il se produit un effet de contrat, l’effet Jourdain : le professeur atteste d’une connaissance (donc ça rentrerait par devant et ça ressortirait par derrière) là où il ne s’en est pas produit (199-Kévin : […] on peut pas savoir). Le jeu d’apprentissage spécifique JA3 est vidé de son contenu, il devient un jeu « fantôme » qui maintien l’illusion d’un travail sur le savoir. Il n’est sans doute pas anodin que le professeur s’appuie ici sur les propos de Kévin qui bénéficie visiblement, de par sa position de « bon élève », d’un capital de confiance vis à vis des autres élèves. Le « petit coup de force » du professeur n’en est que facilité. 3.5 Mobilisation des élèves à faible capital d’adéquation 181-P3 : Qui a raison/ alors on peut avoir plusieurs réponses ou pas ? 184-P3 : /Pour le groupe 1 Qui est-ce qui a raison /alors on peut avoir plusieurs réponses on peut pas avoir plusieurs réponses/ le groupe 4 qui l’a pas encore fait qu’est-ce que vous en pensez vous ?/ 185-Charlotte : IL pousse 186-P3 :Toi tu penses qu’il pousse /que c’est le groupe 2, 5 et 3 qui ont raison /alors on garde « ils poussent » ils poussent la terre /(il souligne le mot « poussent » et s’adresse au groupe 1) /Alors pourquoi vous vous avez dit ils avalent et ils recrachent de la terre /vous l’avez vu / 187-Olivier : Non mais moi je suis pas d’accord 188-P3 :Ah vous n’êtes pas d’accord / Vous l’avez vu ? / Mais on sait pas encore si c’est vrai ou pas / pour l’instant on sait déjà qu’il pousse / donc on enlève le point d’interrogation / Dans cette troisième partie de l’épisode, il s’agit, selon le jeu générique JA1c : Respecter le format du débat [Question/échange/réponse], de répondre à la question « qui a raison ? » (entre la proposition du groupe 1 : les lombrics avalent et recrachent la terre et la proposition des autres groupes : les lombrics poussent la terre). Il paraît raisonnable de supposer que cette question pourrait donner lieu à des échanges argumentés où le jeu spécifique JA3 : Produire des idées explicatives, va pouvoir être joué. Or, faute d’observables pertinents récupérés dans le milieu de l’observation, les élèves ne peuvent répondre directement à cette question. Le jeu JA2 : produire des observables pertinents ne peut être joué et il va être remplacé, selon le cas, par des jeux plus génériques : nous parlons alors de phénomène de glissement de jeu. 3.5.1 Jouer un jeu d’apprentissage premier : Charlotte Il se produit ici un événement qui peut paraître étrange de prime abord. Le groupe 4, auquel appartient Charlotte, n’a pas suivi l’ordre des expérimentations proposé par le professeur et n’a donc pas investigué la question du mode d’enfouissement des lombrics, mais une autre question qui concernait l’évaluation de « la force » des lombrics. C’est pourtant sur la réponse

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de Charlotte (ou plutôt sur son opinion), que se fonde le professeur pour valider la proposition « le lombric pousse pour s’enfouir ». Cette réponse est alors considérée comme un argument de poids qui vient renforcer le consensus de la classe autour de la proposition « ils poussent » et qui se pose de fait contre la proposition du groupe 1 : « les lombrics avalent et recrachent de la terre pour s’enfouir ». Le bénéfice de cette stratégie du professeur est qu’une réponse peut être donnée à la question initiale : « qui a raison » (les groupes 2, 3 et 5) et que cette réponse (« ils poussent »), correspond aux attentes du professeur (le groupe 1 a tort). Le jeu générique JA1c Respecter le format cadre du débat peut être joué mais pas les jeux spécifiques JA2 et JA3. Charlotte, quant à elle, a joué à un autre jeu, le jeu premier JA1a : choisir entre deux propositions mais sans prendre appui sur une argumentation. Il se produit un glissement de jeu et là encore un effet de contrat, l’effet Jourdain : il est attesté d’un savoir (les lombrics poussent la terre pour s’enfouir), là où il ne s’en est pas produit (il n’y a pas eu de travail sur le savoir). Du côté du professeur, on se retrouve également dans la stratégie du « petit coup de force ». Mais s’il y a un bénéfice pour le projet de l’enseignant, il semble qu’il y en ait un également pour l’élève. Pourtant, ce bénéfice ne tient pas aux enjeux d’apprentissage mais plutôt à un enjeu de socialisation où, par la mise en avant de cette élève à faible capital d’adéquation comme acteur déterminant, le professeur tente de revaloriser artificiellement auprès des autres élèves, la valeur sociale de charlotte, son capital de confiance en quelque sorte. Mais cette tentative parce qu’elle s’apparente à un artifice risque de ne pas produire l’effet escompté. 3.5.2 Jouer un jeu d’apprentissage générique : Olivier De même que le professeur avait pris appui sur la réponse de Charlotte pour valider une première fois la proposition « les lombrics poussent la terre », il va utiliser le désaccord au sein du groupe 1, via Olivier (187-Olivier : non mais moi je ne suis pas d’accord), pour valider une deuxième fois la proposition « ils poussent la terre » : 188-P3 « pour l’instant on sait déjà qu’ils poussent » sans que là encore, un travail sur le savoir soit véritablement engagé. Du côté de l’élève, la demande du professeur de jouer le jeu spécifique JA2 : Produire des observables pertinents ne peut être entendue (il est impossible dans les conditions de l’expérimentation d’apporter la preuve que le lombric avale et recrache la terre pour s’enfouir). Olivier va alors jouer un autre jeu, en référence non plus au jeu spécifique JA2, mais en référence au jeu générique JA1c : Respecter le format-cadre du débat et notamment, ici, répondre à la question initiale : « qui a raison ? ». Pour jouer ce jeu, il va alors s’appuyer sur un jeu premier, le jeu JA1b Relever les accords et désaccords. Nous assistons alors à un double glissement de jeu et ce, de manière successive : de JA2 à JA1c puis de JA1c à JA1b. Dit autrement, à la réponse de milieu du professeur, l’élève fait une réponse de contrat. L’aveu de ce désaccord a pour effet d’affaiblir encore plus la proposition du groupe 1 et à l’inverse, d’affermir l’autre proposition « ils poussent ». Le professeur réussit, et de manière économique ici, un double « coup » dans le jeu en train de se jouer : il fait ainsi percevoir à la classe, que le groupe 1 pourrait bien avoir tort (ce qui était son intention) et permet à Olivier de se rallier à la position majoritaire de la classe (qui est également celle du professeur) et de se revaloriser ainsi socialement. 4. Analyse 4.1 Les jeux d’apprentissage et la sélection des élèves selon leur capital d’adéquation

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Si tous les élèves de la classe se retrouvent démunis de la même manière face à l’absence d’observables pertinents du fait de l’indigence du dispositif d’observation, le moment où ils vont intervenir dans le débat ne semble pas être le fait du hasard. En effet, lorsque le professeur engage des jeux d’apprentissage plus spécifiques où les contenus épistémiques sont plus marqués, ce sont les élèves à plus fort capital d’adéquation qui interviennent : Jonathan pour la question de la différence entre avaler et recracher et manger et Kévin pour la question de savoir si la terre pourrait ressortir par la bouche du lombric. Si ces élèves ne bénéficient pas d’éléments puisés dans le milieu de l’observation, ils vont néanmoins, tenter des formes sommaires de raisonnement à partir de leur « capital » de connaissances scolaires et culturelles. C’est dans ce cas, le type de jeu d’apprentissage – les jeux spécifiques – qui semblent sélectionner le type d’élève, les élèves à fort capital d’adéquation. En revanche, dans la même situation, il apparaît que les élèves à faible capital d’adéquation vont plus facilement se tourner vers des jeux d’apprentissage génériques: ils procèdent à des glissements de jeu en « changeant » de focale, c’est à dire en considérant d’autres objets sans réelle valeur épistémique: le choix entre deux réponses pour Charlotte, la marque du désaccord pour Olivier. Dans ce cas, il semble que ce n’est pas le type de jeu d’apprentissage qui sélectionne les élèves mais les élèves, qui par défaut, sélectionnent le type de jeu d’apprentissage. 4.2 Stratégies didactiques et usage du capital d’adéquation : l’avancée du temps

didactique Dans les quatre exemples exposés, le but du professeur n’est autre que de faire avancer le temps didactique et ce, dans un souci d’efficacité mais pas nécessairement reliée à des préoccupations didactiques : le format-cadre du débat à caractère scientifique doit être respecté et ainsi chaque question doit trouver sa réponse et ce, pour chacune des 5 parties. C’est là, le critère d’avancement du temps didactique pour les élèves et le professeur. Néanmoins, il apparaît que le professeur a le souci d’une certaine revalorisation sociale des élèves à faible capital d’adéquation et qu’il tente de « tenir ensemble » les deux exigences : faire avancer le temps didactique tout en trouvant des moyens de mobiliser les élèves les moins en réussite. D’après les exemples exposés, il semblerait toutefois que, du côté du professeur, les stratégies réellement didactiques - c’est à dire celles qui portent un enjeu de savoir - concernent préférentiellement les élèves à fort capital d’adéquation (Jonathan et Kévin). En revanche, lorsque les stratégies relèvent d’une visée moins épistémique (orienter les élèves vers une réponse attendue), alors le professeur s’appuie indifféremment sur des élèves à fort ou faible capital d’adéquation (Kévin ou Charlotte). Dans le premier cas, le professeur joue néanmoins sur le capital de confiance dont bénéficie Kévin auprès de ses camarades pour « passer en force » l’idée que le lombric ne peut recracher de la terre, ce qui n’est pas le cas avec Charlotte. 5. Discussion 5.1 Le professeur aux prises avec les 2 missions données à l’école : les apprentissages et

la socialisation

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Les exemples observés montrent que la tentative de tenir ensemble ces deux missions sont mises en échec par la nécessité de faire avancer le temps didactique sans pour autant abandonner au bord du chemin, les élèves les plus fragiles. C’est cette difficulté constitutive de l’enseignement qui pourrait générer des tiraillements dans les pratiques observées et générer le phénomène de l’effet Jourdain que nous avons observé à plusieurs reprises. 5.1.1 La valorisation sociale artificielle: tentative d’équité Les travaux de Mercier (2007) et de Tambone (2000), nous permettent de mieux comprendre le comportement du professeur qui cherche naturellement à s’adresser aux élèves les plus en difficulté (Charlotte et Olivier), « selon les règles de la pédagogie spontanée » en tentant de s’adapter à ce type de public. Selon Mercier (ibid), on assiste alors à un « étayage sans fonction didactique ». Cependant, cette tentative de revalorisation sociale, qui avait pour but de restaurer la valeur personnelle de ces élèves, devient contre productive car elle se produit « hors environnement épistémique ». Impossible alors pour ces élèves d’accroître leur capital d’adéquation et d’être véritablement revalorisés aux yeux de leurs pairs. « Car, pris dans la dérive de l’étayage didactique, les élèves sont, selon le mot de Bourdieu, « exclus de l’intérieur », par le geste même qui devrait produire leur inclusion dans le groupe d’étude. Car ce geste ne leur donne pas accès à ce qui fait la valeur sociale dans le monde scolaire : les apprentissages ; même ce geste leur désigne un leurre, l’assentiment du professeur. » (Mercier, 2007) 5.1.2 La stratégie du « petit coup de force » : tentative d’efficacité Selon Tambone (2000), « la valeur sociale dans la classe est liée au temps didactique », c’est à dire à la capacité de l’élève à produire une avancée du temps didactique. Mais cette revalorisation est acquise à la condition que cette avancée soit le fruit d’un véritable travail sur le savoir. Pour le professeur observé, qui s’avère être un professeur débutant, il semble que soit déconnecté avancée du temps didactique et travail sur les contenus de savoir. Ainsi l’avancée du temps didactique semble confondue avec l’avancée de son projet : enchaîner les 5 questions qui structurent le débat dans la classe pour faire percevoir aux élèves le format-cadre du débat et discréditer la proposition du groupe 1. Pour cela, il n’hésite pas à prendre appui sur la stratégie du « petit coup de force » qui génère, comme nous l’avons vu, l’effet Jourdain qui reconnaît du savoir là où il ne s’en est pas produit. L’avancée du temps didactique, reconsidérée indépendamment des savoirs produits, peut alors donner l’illusion au professeur de considérer ensemble l’efficacité (les apprentissages soit disant construits collectivement) et l’équité (la revalorisation sociale - factice - des élèves à faible capital d’adéquation). In fine, cette façon pour le professeur, de « tricher au jeu » en ayant recours à des artifices et qui se traduit par le phénomène de « glissement de jeu d’apprentissage » lui permet de maintenir le lien didactique tout en faisant « comme si ». 6 Conclusion . Un constat : une dichotomie dans la pratique enseignante

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D’après les résultats observés chez ce professeur débutant, il semblerait en effet que se manifeste un tiraillement entre la nécessaire avancée du temps didactique et les objectifs de socialisation. Il semble que pour ce professeur, une façon de résoudre - apparemment - ce conflit, serait : - soit de déconnecter l’avancée du temps didactique des apprentissages effectifs en

affaiblissant l’enjeu didactique initial ; ce qui permet alors de « tenir ensemble » efficacité (les pseudo-apprentissage) et équité (la revalorisation sociale au travers de la pseudo-augmentation du capital d’adéquation)

- soit de déconnecter apprentissages et socialisation en reliant l’efficacité aux apprentissages et l’équité à la (re)valorisation sociale, ce qui éloigne définitivement toute possibilité pour les élèves à faible capital d’adéquation de (re) devenir véritablement chronogènes et d’augmenter véritablement leur capital d’adéquation et donc leur capital de confiance auprès de leurs pairs.

Il nous semble que ce conflit, constitutif de l’acte d’enseignement pourrait être abordé sans détours en formation initiale et continue dans l’idée qu’une socialisation efficace suppose une équité dans les apprentissages. Il nous semble, en tant que didacticiens, que cette équité devrait viser non pas, l’usage différencié par le professeur du capital d’adéquation des différents élèves, mais l’augmentation pour chacun de son capital d’adéquation de base. Pour ce faire, le professeur devrait pouvoir s’assurer qu’en premier lieu, chaque élève puisse trouver dans le milieu, les objets matériels et symboliques dont il va avoir besoin pour jouer les jeux d’apprentissage spécifiques : cette disponibilité des objets est bien sous la responsabilité du milieu scolaire organisé pour l’étude et non pas sous la responsabilité du milieu culturel de l’élève. De cette prise de responsabilité par les professeurs, relative aux objets de savoir, pourrait dépendre une meilleure synergie dans les apprentissages entre l’efficacité et l’équité. Il serait alors possible de penser des classes qui seraient avant tout des lieux d’apprentissage, plus que des lieux d’expression d’un pouvoir symbolique. 7 Bibliographie - Bourdieu, P. (1992). Réponses. Paris, Seuil. - Marlot, C. (2008). Caractérisation des transactions didactiques : deux études de cas en

Découverte du Monde Vivant au cycle II de l’école élémentaire. Thèse de doctorat de l’Université Européene de Bretagne Rennes II.

- Mercier, A. (2007). Ce que la didactique peut dire sur l’enseignement et l’apprentissage dans les établissements et les classes de Discrimination positive. Conférence de consensus organisée par le CAS et les IUFM dans les académies de Créteil et Versailles le 24 janvier 2007.

- Schubauer-Léoni, M.L (2003). La fonction des dimensions langagières dans un ensemble de travaux sur le contrat didactique. Actes du Colloque pluridisciplinaire Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement. Bordeaux 2, IUFM d’Aquitaine.

- Sensevy, G. (1998), Institutions didactiques. Etudes et autonomie à l’école élémentaire.P.U.F., Paris.

- Sensevy, G. & Mercier, A. (2007), Agir ensemble : l’action didactique conjointe , in Agir ensemble, Rennes, PUR.

- Sensevy, G. (2007), Des catégories pour décrire et comprendre l’action didactique, in Agir ensemble, Rennes, PUR.

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- Tambone, J. & Mercier, A. (2000), Les pratiques des maîtres spécialisés AIS chargés de l’aide à dominante pédagogique : enquête sur un dispositif et sur le métier correspondant. 3ième colloque international – Recherche et Formation des enseignants – IUFM Aix-Marseille

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Dispositif d’aide pour penser l’équité en matière d’apprentissage en mathématiques à

l’école élémentaire. Quelle efficacité des pratiques d’un maître spécialisé ?

4.3 Isabelle Nédélec-Trohel – CREAD Université Renn es 2-IUFM de Bretagne

4.4 Mots-clés : difficulté scolaire ; maître E ; regroupement d’adaptation ; énoncés didactiques à densité épistémique ; geste d ’enseignement.

4.5

Contexte et problématique A l’école élémentaire publique française l’enseignement spécialisé ou Adaptation scolaire et scolarisation des élèves Handicapés (ASH) décline le dispositif RASED ou Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté. Le RASED adresse une réponse en terme d’aide spécialisée à la demande d’un enseignant de l’école pour faire face aux difficultés d’un ou plusieurs élèves dans la classe. Si les difficultés relèvent d’une aide pédagogique alors le maître chargé de l’aide à dominante pédagogique ou maître E est désigné. Ce dernier élabore avec le maître de la classe un projet d’aide spécialisé (PAS) pour chacun des élèves qu’il suit. Le maître E intervient dans le cadre d’un Regroupement d’Adaptation (RA) pour aider un petit groupe d’élèves moins performants à construire des compétences pour qu’ils puissent se réassurer puis se réinsérer dans le temps didactique de la classe (Nédélec-Trohel, 2002, 2007; Sensevy, Toullec-Thery et Nédélec-Trohel, 2006). Pour cela l’enseignant spécialisé conçoit en général une reprise d’apprentissage pour que les élèves reconstruisent des bases en vue de rejoindre la classe, ce qui sous-entend implicitement d’établir puis de construire une liaison organique entre l’adaptation et la classe. 4.6 Notre contribution pose la question, aujourd'hu i cruciale, de l’efficacité du maître spécialisé (ou maître E) qui aide cinq él èves moins performants en mathématiques en dehors de la classe, en vue et ce dans une perspective d’équité, de les réinsérer au terme du suivi engagé dans le temps didactique de la classe. Nous avons choisi un court épisode remarquable qui montre la façon dont ce maître spécialisé s’y prend pour désambiguïser une controverse entre deux élèves à propos d’un calcul lors de la première séance du dispositif d’aide. Ces deux élèves reproduisent au sein du regroupement un jeu de langage activé dans la classe, et donc encore inconnu du maître E. Ce dernier va alors livrer des énoncés denses sur le plan épistémique pour amener l’un des deux élèves à modifier son raisonnement. En revanche, nous constatons que ce geste d’enseignement (Sensevy, 2007) produit par ce professeur spécialisé n’est ensuite ni réutilisé au sein du regroupement ni en classe. Nous nous interrogeons sur la façon d’optimiser cet espace langagier spécifique qui se crée et se développe au sein du regroupement d’adaptation au cœur de l’action conjointe professeur-élèves : quels types d’énoncés à valeur épistémique en mathématiques peuvent se révéler efficaces ? Comment peut-on faire vivre ces énoncés au sein du regroupement d’adaptation et comment peut-on les diffuser en classe ?

Théorie et Méthodologie Pour illustrer ces aspects nous avons choisi d’analyser d’une part un épisode, issu de la première séance emblématique du dispositif d'aide, intitulé « Zéro bonbon » puis nous avons amorcé une courte version imaginaire d’une piste de travail possible dans ce cas précis. Cet épisode est issu d’un dispositif d’aide (comprenant 8 séances en adaptation et une séance en classe) faisant partie d’une ingénierie didactique menée par un chercheur, un maître E (nommé ME) et un maître de classe pour aider cinq élèves de CE2 (nommés Kali, Halima, Guénola, Melissa et Cyril) moins performants en numération et en résolution de problèmes. Cette ingénierie est elle-même incluse dans une action de recherche et formation (Nédélec-Trohel, 2008) qui se décline en deux pôles : un pôle recherche (pôle 1) qui nourrit un pôle

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formation spécialisée (pôle 2) en IUFM (point non développé ici). Notre intention est bien de fournir aux maîtres E en formation spécialisée23 des moyens pour mieux enseigner, moyens qui devraient être ensuite diffusés aux maîtres de classe dans les écoles. Nous tentons précisément ici de réfléchir à des éléments de réponses possibles dans une situation d’aide en milieu spécialisé. Nous utilisons une démarche empirique de type clinique pour recueillir les indices nécessaires à la lisibilité de l’action conjointe professeur-élèves (Sensevy, G. et Mercier, A. 2007). Pour analyser un de ce dispositif d’aide court, 9 séances d’adaptation ont été filmées ; les 9 entretiens pré-séance et les 9 entretiens post-séance ainsi que les 8 entretiens de collaboration entre maître E et chercheur ont été filmés également ; les entretiens d’auto-analyse correspondant aux séances ont été filmés. Un entretien entre maître E et maître de classe a été enregistré et un entretien de collaboration entre maître E, maître de classe et chercheur a été filmé. Nous nous appuyons sur un modèle de l’action du professeur qui utilise un vocabulaire descriptif (Sensevy, Mercier, Schubauer-Léoni, 2000) dans le cadre plus général de la théorie de l’action conjointe en didactique (Sensevy et Mercier, 2007). Nous privilégions dans l’analyse de situations didactiques le dire et le faire des acteurs, nous enquêtons sur les jeux d’apprentissage (Sensevy, 2007) et sur les enjeux de savoir au cœur des séances de travail. Ce type nouveau d’observatoire dans le domaine de l’enseignement spécialisé (Sensevy et al., 2006) nous offre l’opportunité d’une part d’éprouver des manières de faire apprendre produites par des maîtres et, d’autre part, d’observer, d’analyser des façons d’apprendre d’élèves moins performants, objets d’études que nous tentons de diffuser en formation spécialisée.

Résultats Nous procédons tout d'abord à la présentation puis à l'analyse de l'Episode « zéro bonbon ». Nous y identifions un geste d'enseignement produit par le maître E que nous prolongeons par une piste de travail possible. Contextualisation de l’Episode « Zéron bonbon » dans la Séance 1 Lors de la première séance, le professeur enseigne la situation d’apprentissage « la boîte jaune » pour amener les élèves à développer des techniques de calcul mental en résolvant des problèmes oraux. Le maître E explique aux élèves « et je vous demanderai …[...] Combien il y en a [de cubes] dans la boîte à la fin (hochant la tête) ou peut-être combien j’en avais mis au début, on verra hein ? [...] vous noterez vos résultats » et ensuite « on verra ensemble si on a trouvé la même chose ». Du point de vue du professeur nous pouvons dire que le contrat didactique concerne bien « effectuer correctement des calculs mentaux pour résoudre des problèmes additifs sans recours à l’écrit » mais il n’y fera pas allusion, comme si cela allait de soi. Le contrat didactique initié correspond globalement à trouver la réponse. Ce flou semble empêcher les élèves de saisir l’enjeu mathématique constitué par la construction de stratégies pour résoudre le problème et pour calculer mentalement. En toute fin de séance, le professeur spécialisé donne la consigne suivante « […] je mets 111 cubes dans la boîte d’accord ? et j’en enlève… 10 ! Combien

il m’en reste dans la boîte ? ». Les élèves effectuent le calcul individuellement puis ils sont sollicités par le maître spécialisé pour diffuser puis argumenter leur réponse. Enfin, un des élèves effectue la validation du calcul en vérifiant le contenu de la boîte. C’est précisément au moment de cette validation que l’enseignant découvre que certains élèves ont posé l’opération (111 – 10 = x) sur leur feuille, pour effectuer le calcul donné. Après enquête, le maître

23 Dans le premier degré, les maîtres désirant se spécialiser dans le domaine de l’Adaptation scolaire et Scolarisation des élèves Handicapés (ASH), option E (maître chargé de l’aide spécialisée à dominante pédagogique) peuvent bénéficier d’une formation, de quinze semaines en alternance, dispensée à l’IUFM. A l’issue de la formation, l’examen réussi du CAPA-SH délivre le diplôme de maître spécialisé option E. Cet examen comprend une partie pratique et la soutenance d’un mémoire professionnel.

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remplaçant dans la classe de CE2 a confié au maître E que lors de tâches de calcul mental les élèves posent leurs opérations sur l’ardoise, l’objectif étant de trouver la réponse rapidement. Présentation du moment-clé « zéro bonbon » Le Tableau 1 (ci-dessous) présente trois types d'échanges : une triade (Tdp 630 à 642) et deux dyades (Tdp 643 à 658) et offre un déroulement linéaire de gauche à droite qui permet d’identifier le nombre d’acteurs, de localiser et d'identifier les pôles d'échanges et d'en dégager les articulations. Le repérage des énoncés respectifs des trois acteurs principaux concernés est immédiat, ceci permet de pister les étapes du discours.

Sens de lecture du tableau Maître E Halima Kali Guénola ou Cyril

632 G : Sa réponse 630 ME à H (en souriant) : Qu’est-ce qui est faux ?

631 H : Ben heu c’est bon !

633 H : C’est bon mais là (montre l’opération de K) un moins …

634 ME : Atten-ten ! 635 H poursuit : zéro heu 636 K à H : J’ai un bonbon et j’en donne zéro (mains ouvertes)

638 C : J’peux dire ? 637 ME indique H du menton en souriant : Alors Halima ?

640 K à ME : Regarde Fanny ! 639 ME aux élèves : Alors attendez (main stop) 641 ME à H : Ce qu’on va faire, attend (hoche la tête positivement)

642 K à ME : J’ai un bonbon et j’en enlève …heu zéro ben il m’en reste aucun

643 H à K (convaincue) : J’ai un bonbon j’en mange zéro ben un hein ! J’ai un bonbon j’en touche zéro ben j’ai un hein !

644 K : Ben dessine-moi un …

645 H (fort): J’ai un bonbon, oui ben j’en ai un ! (excédée) j’vais pas l’dire 6 fois !

646 G : Regarde Kali ! Regarde Kali !

647 H fort à K : Regarde j’en ai un ! 648 K : Ben j’en ai un j’en mange zéro 649 H fort à K : ben un ! 650 K : (inaudible)

651 H à K : Tu en manges zéro (écrit sur sa feuille)

652 ME à K : Kali, et …si tu manges zéro bonbon est-ce que tu en manges ?

653 K à ME : Non

654 ME à K : Non d’accord. Mais si tu as un bonbon et que tu n’en manges pas combien il va t’en rester ?

655 K : Un

656 H à K regarde sa feuille : Ben alors pourquoi t’as marqué, pourquoi t’as mis zéro ?

657 ME à K : Donc ? 658 K avachie : C’est 101

Tableau 1 : Présentation de la transcription horizontale de l'Episode « zéro bonbon »

Voici la structuration des échanges : Halima fait remarquer au maître E l’erreur de Kali (Triade : Halima-maître E -Kali) ; Halima répond à la sollicitation de Kali ( Dyade A : Halima-Kali) ; le maître E reformule à Kali (Dyade B : Maître E-Kali. Cet épisode comprend comprend deux autres pôles d'échanges (non dévéloppé ici) qui correspondent d'une part à la consultation par le maître E des réponses des trois autres élèves et d'autre part à la phase de validation collective des résultats des élèves. Analyse succinte de la Triade Kali a donc écrit une opération erronée posée (111– 10 = 100) sur sa feuille. Halima s’est aperçue de l’erreur effectuée par sa camarade, elle le dit au maître E qui questionne alors l'élève (Tdp 634) « qu’est-ce qui est faux ? ». Halima dit que « c’est bon », peut-être fait-elle ainsi allusion à la démarche employée par Kali qu’elle juge correcte (effectuer une soustraction). Puis Halima ajoute (Tdp 633-635) « C’est bon, mais là, un moins …zéro » en désignant sur la feuille de Kali, la colonne des unités (1 – 0) de l’opération posée. Le maître tente alors une rupture : il met Halima en attente (Tdp 634) « Attends-tends ! ». A cet instant,

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Kali s’adresse à Halima, elle justifie son résultat en utilisant une situation usitée en classe : « j’ai un bonbon et j’en donne zéro » pour expliquer à Halima sa conviction suivante : (1 - 0 = 0). Le maître E intervient alors pour guider et organiser le dialogue entre les deux élèves : il met Kali en relation avec Halima (Tdp 637) « Alors Halima ?». Il gère l’architecture globale de l’interaction (Grandaty, 2005). Ce dernier espère qu’Halima va expliquer son erreur à Kali. Halima ne répond pas à la sollicitation de son pair. Puis, l’enseignant s’adresse au groupe, main tendue face aux élèves (Tdp 639) « Alors attendez », il attire leur attention en réclamant le silence. Kali sollicite alors le professeur qu’elle veut convaincre (Tdp 640, « Regarde Fanny ! »). Le maître E pressent que l’aide ne peut venir d’un pair (Halima sollicitée par Kali ne répond pas), il semble réfléchir en vue de redéfinir son action à venir, ce qu’il traduit à Halima par ces mots (Tdp 641) « Ce qu’on va faire, attend » en hochant la tête positivement. 4.6.1.1.1.1.1 4.6.1.1.1.1.2 Analyse des transactions de la Dyade (A) : Argumentation stérile d’Halima Dans cet échange Kali sollicite le professeur (Tdp 640) et ignore la mise en attente (sans doute adressée au collectif) proférée par celui-ci à l’intention d’Halima, (Tdp 641). Kali s’adresse à nouveau au maître, directement (Tdp 642) et renouvelle son énoncé en l'affinant sans doute pour le convaincre « J’ai un bonbon et j’en enlève …heu zéro ben il m’en reste aucun », ce qui provoque instantanément la réaction d’Halima (Tdp 643) «J’ai un bonbon j’en mange zéro ben un hein ! J’ai un bonbon j’en touche zéro ben j’ai un hein ! ». Affinement des énoncés de Kali Voici les énoncés de Kali, dans cette Dyade A, placés dans le Tableau 3 ci-dessous : 4.6.1.1.1.1.2.1dp

1 (proposition 1 : cardinal) connecteur 4.6.1.1.2 Moins 0 (proposition 2 : retrait)

4.6.1.1.3 Egal 1 (solution au calcul)

636 (K1) K à H : J’ai un bonbon et j’en donne zéro (mains ouvertes) 642 (K2) K à ME : J’ai un bonbon et j’en enlève …heu zéro ben il m’en reste aucun

Tableau 2 : Comparaison des énoncés de Kali (Tdp 640 et 646)

L'énoncé K1 est adressé à Halima (Triade, Tdp 636 et K2 au professeur (Dyade A, Tdp 642). L'élève emprunte une technique issue de la mémoire didactique et du langage commun de la classe24 pour illustrer le retrait. En utilisant un vocabulaire wittgensteinien25, on pourrait dire que l’élève fait appel ici à un jeu de langage (j’ai des bonbons, j’en mange, j’en donne) entrelacée à la « forme de vie » que constitue la situation des bonbons en mathématique. Mais on aperçoit que Kali est encore en apprentissage dans cet usage puisqu’elle utilise improprement le jeu de langage. En effet, l’élève produit ici une erreur mathématique, elle utilise la propriété absorbante du zéro au lieu de la transparence du zéro dans le calcul additif. Chez cet élève, ce jeu de langage verbal semble intriqué à un jeu sémiotique dont nous connaissons un élément constitué par l’opération posée par Kali sur sa feuille. L'énoncé (K2) produit par Kali s’affine (par rapport à K1) par l’utilisation du verbe enlever (au lieu de donner) + COD zéro (« j’en enlève heu zéro ») et par les termes reste aucun qui introduisent le résultat du calcul, de façon que l’action corresponde à la situation de calcul (111 – 10). Cette troisième proposition produite par Kali serait une mise en mots du geste (mains ouvertes) interprété par rien ou zéro issu du premier énoncé (K1). Le terme « reste » est correctement utilisé, il indique la réponse à un retrait en mathématique. Nous observons que le cet énoncé (K2) est plus abouti que le premier sur les plans syntaxique (le « ben » induit la conséquence), lexical et sémantique. Kali opère bien une démonstration pour convaincre Halima.

24 L’enseignante de la classe de CE2 a recours à la technique des bonbons en mathématiques pour illustrer des opérations de retrait en calcul : j’ai n bonbons, j’en mange n’ , combien m’en reste-t- il ? 25 Wittgenstein (1954/2004).

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4.6.1.1.3.1 4.6.1.1.3.2 L’appauvrissement des énoncés d’Halima 4.6.1.1.3.3 Nous regardons maintenant quatre énoncés produits par Halima en réponse à Kali (K2), du Tdp 643 4.6.1.1.3.4 à 649, soit respectivement : H1, H2, H3 et H4 (Figure 1, ci-dessous) :

Figure 1 : Halima, comparaison des énoncés H1 à H4

Enoncé H1 : Halima reprend naturellement la situation des bonbons proposée initialement par Kali et importe le terme « manger » pour remplacer « enlever » ou « donner» : « j’en mange zéro ben un hein », par souci de réalisme. Puis elle emploie le verbe toucher : « J’ai un bonbon j’en touche zéro ben j’ai un hein ! », peut-être l’élève illustrerait l’action par les termes « j’en touche zéro » pour signifier qu’il n’y a pas de modification physique de la collection initiale de cardinal 1. Halima reprend ainsi la proposition de Kali en substituant l’action de manger à celle d’enlever mais le verbe imagé ne provoque pas de réaction chez cette dernière. La logique d’Halima ne convainc pas Kali. Dans la proposition « ben, j’(en) ai un » (Tdp 643 et 645) le terme « ben » adopte encore ici la fonction grammaticale de connecteur induisant la conséquence, il pourrait être remplacé par « par conséquent », ce qui donnerait « J’ai un bonbon, j’en touche zéro par conséquent j’ai un ». Halima effectuerait donc ici aussi une démonstration pour convaincre Kali. Enoncé H2, H3 et H4 : dans l’énoncé H2, seules demeurent la première et la dernière proposition de l’énoncé 1 (« j’ai un bonbon / (Oui), ben, j’en ai un »). Halima s’énerve car elle ne dispose pas d'autre argument. Dans les énoncés H3 et H4 l’élève invite Kali (sur le ton injonctif) à regarder son pouce qui selon elle constitue la réponse au calcul (Regarde, j’en ai un/ben, un !). Elle utilise en vain l’oral, les gestes (son pouce), l’écrit. Il y a ici une ambiguïté référentielle (Trognon, 2005) car le terme « un » recoupe un référent distinct pour chaque élève (réponse ou proposition 1). Ce dialogue entre pairs se révèle stérile. Halima ne semble pas comprendre que Kali ne se saisisse pas de la réponse qu’elle met à sa disposition. Elle s’appuie sur la représentation du cardinal 1 matérialisé par son pouce, ainsi elle utilise l’ostension pour signifier à Kali qu’il reste un bonbon. C’est sa façon de combattre l’abstraction. Halima offre à Kali des énoncés de plus en plus succincts. Nous observons ici des limites de l’aide prodiguée par un pair. 4.7 Valence perlocutoire des énoncés de Kali et d’Halima En K1 (Tdp 636), Kali opère tout d’abord une reformulation paraphastique (Rabatel, 2006) de l’énoncé d’Halima. En ce sens, Kali adopte une posture de sousénonciation (Ibid) vis à vis d’Halima. En K2 (Tdp 642) Kali effectue une reformulation paraphrastique. Kali affinerait son deuxième énoncé parce que le premier n’a pas reçu l’écho attendu par Halima. Le silence d’Halima déclencherait un effort de reformulation car Kali pense que cette dernière ne l’a pas comprise. La mise en mots (K1 et K2) opérée par Kali parachève sa pensée (Clot, 1999), elle fait des efforts remarquables pour convaincre et ainsi répondre aux exigences discursives de la situation : en effet, la reformulation affinée (K2) traduit la logique de son propre raisonnement mathématique. L’attente de Kali est satisfaite car c’est Halima qui lui répond : la valence perlocutoire de l’énoncé de Kali semble donc effective. En s’adressant au maître E, l’élève éprouve publiquement son argument, elle diffuse simultanément son énoncé au « collectif »,

Tdp Halima, comparaisons des énoncés, dyade 2 643 (H1) H (à K, convaincue) : J’ai un bonbon j’en mange zéro ben un hein ! J’ai un bonbon j’en touche zéro ben j’ai un, hein ! 645 (H2 )H (fort): J’ai un bonbon, oui ben j’en ai un ! (excédée) j’vais pas l’dire 6 fois ! 647 (H3) H (fort à K) : Regarde j’en ai un ! 649 (H4) H (fort à K) : Ben un !

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phénomène que nous désignons par trilogue26, en suivant Schubauer-Leoni, (2003), dans lequel Kali occupe la position du professeur. Les deux élèves confrontent leurs points de vue opposés. Elles semblent adopter chacune une posture sousénonciative de type paraphrastique : elles n’apportent aucun argument susceptible de modifier leur raisonnement respectif, elles répètent leur énoncé initial sous une forme réduite. Sur le plan chronogénétique27 (Sensevy et al, 2000), nous observons une stagnation.

5. 6. Analyse des transactions de la Dyade 2 : Entrée en ligne du maître E, échange satisfait Dans cette partie le professeur a écouté les élèves (jusqu'au Tdp 651) il prend maintenant la main pour réduire l’ambiguïté entre Kali et Halima. Voici les deux étapes de son intervention : il reformule des propos des deux élèves sous une forme hypothético-déductive pour parvenir à une négociation de sens ; il articule les deux structures de son propre raisonnement. 6.1 Etape 1 : reformulation sous forme hypothético-déductive Le professeur effectue une re-formulation des énoncés de Kali (K1) et d’Halima (H1), à cet effet il insère des termes-clés produits par les deux élèves (Tableau 3, ci-dessous) :

6.1.1.1.1.1.1.1.1 6.1.1.1.1.1.1.1.2 T

ableau

3 : Mise en relation des trois énoncés

Le maître E utilise ainsi des ressources conversationnelles, il analyse les énoncés des deux élèves et s’appuie sur leur langage usuel pour produire un nouvel énoncé en vue de figurer le retrait : il extrait en effet « manger zéro » (H1) et « bonbon » (K1) pour construire l’énoncé M1 dans lequel il place Kali comme sujet de l’action « si tu manges … ». L’injection de ces termes-clés dans son discours lui permet de demeurer sur la même longueur d’onde que les élèves. L'enseignant s’assure tout d’abord du sens de « manger zéro bonbon » pour Kali : est-ce pour elle équivalent à « manger des bonbons » ou bien à « ne pas manger de bonbons » ? Pour cela il formule un énoncé de type hypothético-déductif (si/alors) : (Tdp 652) ME à K « Si tu manges zéro bonbon,(alors) est-ce que tu en manges ? ». Ce faisant, il met à la disposition de l’élève le saut sémantique : « tu manges zéro bonbon » égal à « tu n’en manges pas ». 6.1.1.1.1.2 Manger zéro bonbon : articulation « forme de vie » et logique mathématique Le maître E construit une hypothèse dans laquelle il place Kali comme actrice : « si tu manges zéro bonbon … », c’est une façon de concrétiser l’action pour la rendre accessible, de faire dévolution d’un « milieu langagier » accessible à l’élève (Brousseau, 1984). Il procure ainsi à Kali un équivalent syntaxique « zéro bonbon » = « tu n’en manges pas », il opère de ce fait une précision lexicale. Par déduction, l’action « manger zéro bonbon » est nulle. Jusque là, Halima et Kali avaient utilisé « manger zéro » et non « manger zéro bonbon » : on pourrait penser que ce dernier énoncé (manger zéro bonbon) plus complet se prête mieux à la concrétisation de l’action. L'enseignant négocie le sens de l’objet « zéro bonbon » avec Kali, il conduit celle-ci à la rectification (Trognon, 2005) et effectue ainsi de la gestion de conduite 26 « des trilogues réunissent l’enseignant, un élève en position légitime et autorisée (à tel moment conjoncturel du travail de la classe) qui s’auto(à qui on) attribue une place publique pour une action remarquable et, en troisième instance, le reste de la classe ». Selon Schubauer-Leoni, cette notion est reprise à Kerbrat Orecchioni & Plantin (1995) et convertie à des fins de théorie didactique. 27 La chronogénèse correspond à l’avancée du savoir sur la ligne du temps

K1 (Tdp 636) K à H : « J’ai un bonbon et j’en donne zéro» H1 (Tdp 643) H à K (convaincue) : J’ai un bonbon j’en mange zéro ben un, hein ! M1 (Tdp 652) ME à K « Si tu manges zéro bonbon, est-ce que tu en manges ? »

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discursive en incitant à la re-précision lexicale et à la justification (Grandaty, 2005), il met à la disposition de l’élève les éléments nécessaires pour raisonner. La première étape semble réussie puisque la réponse de Kali est immédiate et claire : « Non » (Tdp 653). Le professeur peut alors poursuivre son propos. L’association « zéro/bonbon » est connue par Kali qui reconnaît que si elle mange zéro bonbon alors elle n’en mange pas. Il semble que ce soit l’association « j’ai un bonbon/j’en enlève zéro » qui crée la confusion sur le plan sémantique ; « j’enlève zéro » serait encore trop proche d’un énoncé mathématique abstrait tandis que « tu manges zéro bonbon » concrétise l’action et lui rend son sens commun. Nous livrons ici trois aspects de l'ambiguïté (issus de Trognon 2005) du terme « zéro ». Il y a une ambiguïé d'ordre sémantique, le zéro est ici un élément neutre (situations additives) et non absorbant (situations multiplicatives). Nous avons perçu une ambiguïté référentielle dans le dialogue entre le professeur et Kali sur le sens du terme zéro (Tdp 652 à 658). Et enfin nous observons une ambiguïté de type logique, le fait d'exprimer l'absence de quantité par un nombre n'est pas une évidence en soi. L'absence d'un objet s'exprime par la phrase « il n'y en a pas » (ou « plus »). C’est l’équivalent langagier utilisé par le professeur pour réduire cette ambiguïté logique « tu n’en manges pas » qui procure à Kali un accès à la logique mathématique relative à la situation (111 – 10 = 101). 6.1.1.1.1.2.1 Etape 2 : articulation des deux structures du raisonnement Le professeur s’appuie sur la réponse négative de Kali pour continuer son raisonnement et la solliciter en usant à nouveau d’une forme hypothético-déductive : (Tdp 654) ME à K : « Non, d’accord. Mais si tu as un bonbon et que tu n’en manges pas, combien il va t’en

rester ? ». A la première structure (étape 1) qui procure à Kali l’équivalent sémantique « zéro bonbon » = « tu n’en manges pas» le professeur articule une seconde structure (étape 2) qui place l’élève dans le contexte mathématique du calcul « si tu as un bonbon et que tu n’en manges pas » : en effet, cet énoncé correspond au calcul (1 – 0). Et la proposition interrogative « combien il va t’en rester ?» constituerait sous cette forme la question du problème (1 – 0 = ?). Le connecteur « mais » semble avoir pour fonction de recentrer l’attention de Kali sur la seconde étape du raisonnement constitué par le calcul (1 - 0) issu de (111 – 10). En effet si cette élève reconnaît que « je n’en mange pas » équivaut à « zéro bonbon » (étape 1) alors elle peut utiliser la valeur sémantique de « je n’en mange pas » pour éprouver « tu as un bonbon / tu n’en manges pas » et répondre logiquement à la question du professeur «combien il va t’en rester ?». Nous observons l’effet attendu produit par l’énoncé du professeur puisque que Kali répond « Non » au Tpd 653 puis « Un » au Tdp 655. 6.1.1.1.1.3 Valence perlocutoire des énoncés du professeur Les échanges entre le professeur et Kali sont étroitement connectés. Nous observons (Tableau 4, ci-dessous) qu’à chaque énoncé adressé à Kali, le professeur prend en compte la réponse de l’élève : en M2, il reprend la réponse de Kali « Non » puis ajoute « d’accord », il requiert en quelque sorte l’assentiment de Kali pour achever sa démonstration. En M3, l’enseignant rebondit sur la réponse de l’élève « un » en invitant l’élève à en tirer des conséquences (donc) ; en M4, il s’adresse à Kali pour que celle-ci donne sa réponse, c’est une façon indirecte de diffuser au groupe le fait que Kali trouve 101. Le professeur permet ainsi au collectif d’identifier la réponse de Kali à ce moment T. Temps

ME Kali

M1 (656) ME à K : Kali, et …si tu manges zéro bonbon, est-ce que tu en manges ? (657) K à ME : Non M2 (658) ME à K : Non d’accord. Mais si tu as un bonbon et que tu n’en manges pas, combien il va t’en rester ?

(659) K à ME : Un

M3 (661) ME à K : Donc ? (660) K à ME : C’est 101 M4 (663) ME à K : Alors, toi tu trouves combien Kali ? Là, vas-y. (664) K à ME : 101

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Tableau 4 : Dialogue professeur-Kali (raisonnement de type hypothético-déductif) 6.1.1.1.1.4 Validation des réponses des élèves par le maître E 6.1.1.1.1.5 Nous pouvons avancer que l’échange entre les trois acteurs est satisfait (Trognon, 1999). L’action « vérifier » ou phase ostensive de validation vient finaliser la démonstration opérée verbalement par le professeur. Il désire apporter une preuve à la joute verbale initiée entre Halima et Kali. Le professeur donne d’autorité la boîte à Kali, qui décompose puis recompose mathématiquement le résultat constaté Kali reconnaît (Non / Un / C’est pas bon) et voit lors de la validation (représentation cardinale du résultat du calcul) : « Y’en a 100 (montre le bâton) et puis un 101 (montre le cube) » que 111 –10 = 101. En Regroupement d'Adaptation : aménager une place à l’élève pour dire Dans l’entretien post-séance (donc immédiatement après la Séance 1), le professeur dit au chercheur à propos de la Dyade A « je voulais laisser à Kali la possibilité de se justifier … parce qu’on avait pas mis en commun les réponses ». Nous pouvons avancer que le maître E aménage une place à Kali pour le dire, pour argumenter. En effet, l’adulte ne peut laisser l’énoncé d’Halima en suspens sous peine d’une validation implicite par le groupe, ni donner raison à l’élève car d’une part les élèves n’ont pas explicité leurs procédures et d’autre part parce que la validation n’a pas encore eu lieu. Le maître E explique ensuite qu’il effectue une reformulation des propos d’Halima produits pour convaincre Kali (Dyade A) : « [...] moi je m’adresse à Kali en disant tu, tu as un bonbon, je reformule en fait, j’essaie de la mettre dans la situation en fait. ». Ici, dans un désir d'équité, l’enseignant témoigne de sa volonté de rendre Kali « actrice » de l’action de manger zéro bonbon (utilisation du pronom tu) au sein du collectif. Il reconnaît qu’il y a « beaucoup d’ambiguïté » dans les interactions, il précise « je préfère qu’ils aient donné d’abord leur formulation, moi j’essaie de comprendre et quand je vois que les autres ne comprennent pas, j’essaie de reformuler ». Son souci est de favoriser la compréhension des pairs vis à vis de Kali et donc l'inscription de cette dernière dans le groupe. C'est une façon de construire un collectif de pensée en produisant des raisonnements-types sur lesquels les élèves vont pouvoir s'appuyer. Efficacité du professeur et construction du raisonnement 6.1.1.1.1.6 Si l’on se place du côté du maître du jeu (didactique), nous pouvons observer que la position de retrait (position topogénétique basse pour écouter, observer et analyser les propos des deux élèves, du professeur se transforme en une position de surplomb dans un désir de désambiguïsation, dans un espace où il est observateur et analyste pour enseigner. Ce dernier déchiffre l’énigme produite par l’élève. Il identifie à ce titre l’erreur produite par Kali, il prend conna issance des résultats de deux élèves, il analyse les énoncés respectifs d’Halima et Kali lors de la controverse qui les oppose. En somme, il effectue une analyse des systèmes sémiotiques « on line » (Mercier, 2005) dans le but d’enseigner, à sa façon, le rôle du zéro dans l’addition. La capacité du professeur à analyser la confusion de Kali en temps réel puis à agir pour amener l’élève à construire une autre manière de faire (calcul 1 – 0 = 1) et de dire « manger zéro bonbon = ne pas en manger » constitue un savoir-faire adressé à l’ensemble des pairs comme un modèle possible de raisonnement. Stratégie générique, geste d’enseignement, densité épistémique Comment le maître E réoriente-t-il le jeu d’apprentissage initié pour venir en aide à Kali ? Quelles techniques utilise-t-il pour faire apprendre à cette élève que (1 – 0 = 1) et achever le

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calcul amorcé ? Ce maître E construit une stratégie générique (Figure 2, ci-dessous) qui illustre sa manière de faire apprendre à Kali (1 – 0 = 1).

STRATEGIE GENERIQUE

Figure 2 : Stratégie générique du maître E

6.1.2 Cette stratégie se compose de quatre techniques (T1 à T4) -catégorisées chacune par un registre d’actions spécifiques de ce professeur- et désignée par une ou deux actions produites au cours des échanges (non développé ici). La T1 correspond à « Ecouter pour comprendre avant d’agir » ; la T2 concerne « Agir sur le langage sémiotique verbal », ici l’écrit n’est pas abordé en complément (croisement des systèmes sémiotiques) ; la T3 c'est le « Jeu d’apprentissage réorienté par le ME : revenir au calcul » avec la collecte des réponses dont celle de Kali ; enfin la T4 ou le « Jeu d’apprentissage réorienté par le ME » traite la validation les réponses ». 6.1.3 Le maître E réussit à désambiguïser l’échange entre Halima et Kali, il joue donc un bon coup dans le langage sémiotique activé. Comment s'y prend-t-il ? La mise en attente d’Halima par le professeur (T1) montre l’attention de ce dernier à ne pas déflorer la situation, car le souci du maître E est de maintenir le suspens (combien reste-t-il dans la boîte ?). Lorsque le maître E s’appuie sur les connaissances d’Halima, sa volonté est d’engager les deux élèves à éprouver leurs arguments : il implique les élèves et les positionne comme acteurs responsables dans l’apprentissage. L’enseignant qui écoute les deux élèves, pour s’imprégner de leur logique, ne dévoile pas ses intentions : il affine son analyse pour intervenir ensuite de façon pertinente. La façon dont le praticien s’adresse à Kali (T2) pour tenter d’agir directement sur son raisonnement relève d’un geste d’enseignement à densité forte car le maître E engage l’élève à modifier une conduite cognitive. Puis le fait d’amener Kali à diffuser sa réponse au collectif pour la valoriser (T3) complète la portée de l’unité 2. Enfin le choix de solliciter Kali pour effectuer la validation du calcul (111 – 10) correspond à une technique à densité forte car l’élève effectue ainsi un retour direct sur sa démarche et sa procédure (T4). Ce dernier constate enfin par lui-même son erreur. L'objectif ici est d'amener Kali à se mettre en projet de conceptualiser 1 - 0 = 1 pour que, au cours de son travail futur en mathématiques, l'élève se montre capable de mobiliser cette ressource en situation.

Discussion

Vie des énoncés à forte densité épistémique en petit groupe et diffusion en classe L’Episode 1 montre le « flou » d’une situation à laquelle peut être confronté le maître E lors de la prise en main d’un nouveau groupe d’élèves. Ici, le maître E se focalise sur la dévolution de la situation d’apprentissage à l’élève (Kali), jugée (par les deux maîtres) la plus en difficulté, et sur sa connaissance impropre de la propriété du zéro dans la soustraction. Sa façon d’analyser la confusion de Kali en temps réel et d’agir constitue un savoir-faire adressé à l’ensemble des pairs comme un modèle possible de raisonnement. Cette manière de faire, l’emprunt d’une technique issue de la mémoire didactique et du langage commun de la

Technique 2 ME insère Kali dans un raisonnement (trilogue)

Technique 3 ME sollicite Kali pour diffuser la réponse au collectif (101)

Technique 4 ME sollicite Kali pour effectuer la validation (boîte)

Technique 1 ME laisse H prendre la main ; ME observe, analyse la discussion entre K et H

Geste d’enseignement : Passerelle sémantique (zéro bonbon) produite par ME

Valorisation de Kali

Preuve

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classe28 pour illustrer le retrait, respecte et fait vivre la référence de la classe dans le regroupement d’adaptation. Suivant Sensevy (2007), les enseignants produisent des techniques « on line » en rapport avec les comportement des élèves, « ce sont des techniques de l'action didactique conjointe, précisément des transactions ». Ici, la densité épistémique des énoncés du professeur en terme d’apprentissage opérés par les élèves, dépend donc des effets de l’action conjointe professeur-élèves : « Les comportements des élèves pour le professeur constituant le milieu par rapport auquel il régule son action, et dans lequel il puise ses intentions » (Ibid). En revanche nous savons que le traitement de l’erreur de Kali par le maître E tel qu’il est effectué ici est insuffisant pour s’avérer efficace. Au cours de la Séance 3 Kali produit le même type d’erreur (zéro absorbant) qui reste cette fois sans réponse de la part du professeur. Nous constatons donc que l’outil langagier effectif ici est insuffisant pour apprendre (1 – 0 = 0) car le geste d'enseignement est isolé, sans écho. La verbalisation occupe dans la séance une place importante en vue d’un accès au niveau de conceptualisation des élèves mais l’écrit est quasiment absent dans cet épisode (et dans la séance entière) : ni au tableau ni sur affiche. Or la mémoire seule des élèves ne peut comptabiliser cette ressource en regroupement d’adaptation en partie du fait d’une fréquence hebdomadaire des séances. Pour Tiberghein & Malkoun (2007) le savoir est vivant, c’est un objet de communication dans l’action conjointe professeur-élèves dans la classe. Ces chercheurs partent du fait que l’enfant apprend en reliant de petits éléments de savoir, ils précisent que comprendre les éléments de savoir ne signifie pas pour autant comprendre le concept. L’arrivée d’un nouvel élément de savoir réclame des reprises de la part de l’enseignant pour favoriser son articulation aux autres éléments de savoir. La variété des constellations de sens mis en jeu dans une situation donnée peut jouer un rôle dans l’apprentissage d’un concept. Il s’agit pour le professeur de mettre à disposition un système sémiotique suffisamment puissant pour que l’élève puisse disposer de ressources congruentes pour construire le concept et de fournir un mode d’emploi pour les articuler. Une démarche d'anticipation de ce type d'erreurs possibles (1 – 0 = 0) pourrait s'appuyer sur un travail préalable des deux professeurs (et ici du chercheur) concernant les notions-clés mathématiques à explorer (carte des connaissances, « Knowledge package » Ma, 1999) comme par exemple la notion de décomposition décimale puis sur la production d'un scenario d'enseignement en vue d'actualiser les savoirs visés. Les mathématiques se parlent et s’écrivent. Le professeur aurait pu ici, articuler son discours aux algorithmes soit erroné produit par Kali (1-0 = 0), soit correct (1-0 = 1) puis aux calculs soit erroné produit par Kali (111-10=100), soit correct (111-10=101). Ici, pour aider Kali à construire la propriété du zéro dans les structures additives, la mémoire didactique (Brousseau & Centeno, 1991) du groupe d’élèves moins performants concernant le rôle du zéro dans l’addition ou la soustraction pourrait être nourrie par la production des écritures mathématiques correspondantes (en tant que système sémiotique) au raisonnement dispensé par le maître E. Voici maintenant une amorce de réponse possible. Nous pensons à deux étapes, tout d'abord un travail de manipulation des différentes écritures mathématiques du nombre (connaissances avérées manquantes pour plusieurs élèves) par le bais de tableaux de composition du nombre. Ce qui donne par exemple pour 111 : 111 = (10 + 10 + 10 + 10 + 10 + 10 + 10 + 10 + 10 + 10) + 10 + 1 ; 111 = (100 + 10 + 1) ; 111 = (10d + 1d + 1) ; 111 = 11d + 1 ;

28 L’enseignante de la classe de CE2 a recours à la technique des bonbons en mathématiques pour illustrer des opérations de retrait en calcul : j’ai n bonbons, j’en mange n’ , combien m’en reste-t- il ?

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Puis nous amenons les élèves à produire des tableaux de décomposition décimale (Tableau 5). Il s'agit ici d'enlever un groupement de 10 (n’) à un nombre (n), ce qui donne pour (111 – 10) :

Tableau 5 : Décomposition décimale Enfin nous introduisons la production29 de liste de nombres telle que la Liste 1 (Tableau 6, ci-dessous) ensuite associée au tableau des nombres. La réccurence de l'unité 1 renvoie au cube vu par Kali dans la boîte lors de la validation des réponses au calcul (111 – 10 = 101) :

121

111

101

91

81 ...

Tableau 6 : La Liste 1 A ces écritures mathématiques correspondent des énoncés mathématiques produits a priori dans le scenario d'enseignement que le professeur pourrait s'attacher à faire vivre dans le regroupement d'adaptation puis qu'il diffuserait en classe avec le concours du professeur de CE2. Conclusion Nous observons du côté des élèves l’opacité de cette situation d’enseignement à l’issue de la séance : le maître E n’affirme pas que le fait de poser l’opération est prohibé car il n'a pas imaginé que les élèves ne savaient pas calculer mentalement sans écrire. Certes, le choix de la situation et du support d’apprentissage dévoluants, la posture dévoluante d’accompagnement et d’analyse du professeur semblent engager les élèves à dire pour décrire le faire et contribuent sans doute à favoriser l’avancée du temps didactique au sein du regroupement d’adaptation. Il nous semble qu'ici le professeur a glané des informations sur le comment font les élèves pour savoir comment ils travaillent en mathématique en vue de réguler en Séance 2. Ainsi le comment mieux enseigner aux élèves le retrait de 10 n'avait pas été anticipé par ce maître E. Ce type de difficulté (zéro absorbant) commune réclamerait de la part du maître spécialisé mais aussi du professeur de classe un travail coopératif conjoint pour construire par exemple un geste d'enseignement efficace qui allie énoncés épistémiques à densité forte et écritures mathématiques correspondantes adressé à tous les élèves dans la classe. Ce dispositif de travail revendique par sa structure une certaine équité en visant l’insertion des élèves moins performants dans le temps didactique de la classe. La notion d’anticipation articulée par essence à celle de diffusion y participent. En effet il s’agit de court-circuiter la démarche classique de reprise des apprentissages en anticipant le temps didactique de la classe. L'enjeu d'un tel dispositif de travail est tout d'abord d'amener ces élèves suivis temporairement en adaptation à mobiliser leurs connaissances dans le temps didactique de la classe et de favoriser chez les professeurs et des chercheurs des instances de réflexion sur les savoirs et sur la production de scenarios d'enseignement correspondants.

29 Dans ce cas le maître effectue des retraits successifs d'un paquet de 10 allumettes d'un nombre d'allumettes total contenu dans une boîte et demande aux élèves de renseigner au fur et à mesure la grille initialement vierge. Une phase de validation est incluse pour chaque calcul. Il en résulte une Liste de nombres dans laquelle est perçue d'emblée la permanence de l'unité et la diminution de 1 des deux chiffres ou du chiffre placé(s) à gauche de l'unité.

Décomposition décimale 111 - 10 (100 + 10 + 1 ) - 10 (100 + 10 ) – 10 + 1 (10d + 1d ) - 1d + 1 10d + 1 100 + 1 = 101

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Efficacité et équité en éducation à partir d’une étude empirique du didactique ordinaire. Caractérisation des pratiques professorales et analyse des performances des élèves.

Jérôme Santini, CREAD, Université Rennes 2-UBO/IUFM de Bretagne [email protected]

1- Introduction Dans cette contribution, les questions d’efficacité et d’équité en éducation sont abordées à partir d’une étude clinique/expérimentale du didactique ordinaire (Schubauer-Leoni & Leutenegger, 2002) menée à l’école primaire dans quatre classes de CM2 (grade 5) lors de séquences analogues d’enseignement de géologie. Notre cadre théorique est celui de la TACD, Théorie de l’Action Conjointe en Didactique (Sensevy & Mercier, 2007 ; Sensevy, 2008). Nous analysons ici les deux pratiques les plus contrastées, celles de deux professeurs que nous nommerons P2 et P3, pour un même thème d’apprentissage, le mécanisme sismique, propice à la comparaison. Nous en interrogeons ensuite l’efficacité et l’équité à partir des performances des élèves à un pré-test et un post-test. Enfin, nous tirons quelques conclusions de cette étude de cas.

2- Eléments théoriques et méthodologiques Au sein de ce symposium, nous partageons avec les autres auteurs le cadre théorique de la TACD, présenté en introduction par B. Gruson et P. Rilhac, ainsi que le cadre méthodologique associé de l’approche clinique/expérimentale du didactique ordinaire. A l’instar des autres contributions, nous ne reprenons pas les notions théoriques et méthodologiques déjà exposées. En revanche, nous développons plus spécifiquement un élément théorique, la notion de jeu épistémique, et un élément méthodologique, la dialectique analogique-digital dans le traitement des données filmiques.

2.1- Jeu d’apprentissage et jeu épistémique Le fondement de la TACD est de considérer les actions didactiques de l’instance élève et de l’instance professeur comme une action conjointe dont la notion de jeu est la mieux à même de rendre compte de la grammaire. Ainsi, la notion de jeu didactique constitue une première spécification de l’action conjointe au didactique et en décrit l’assise grammaticale. Celle de jeu d’apprentissage réalise une deuxième spécification de cette action conjointe par l’enjeu de savoir inhérent à la relation didactique. Par ailleurs, plusieurs jeux d’apprentissage peuvent présenter une cohérence thématique et être subsumés sous un même thème de la même manière que, au théâtre, un acte regroupe plusieurs scènes. Enfin, la notion de jeu épistémique formule une troisième spécification, celle d’une spécification à la pratique sociale qui sert de référence – explicitement ou non – à un jeu d’apprentissage. Ainsi, lors d’une première étude du didactique ordinaire (Santini, 2007), nous avons analysé le jeu d’apprentissage qui consiste à produire des affiches à partir d’articles de journaux relatant des événements sismiques et de catégories introduites par le professeur(1). Ce jeu d’apprentissage peut alors se comprendre comme visant le jeu épistémique de décrire le phénomène sismique. A première vue, un tel jeu épistémique peut sembler trivial mais ce n’est pas le cas ni pour de jeunes élèves ni dans l’histoire de la géologie(2). Ce jeu épistémique nous sert alors de règle de mesure pour décrire et comprendre le jeu d’apprentissage qui le cible. D’une manière plus générale, nous appréhendons avec la notion de jeu épistémique l’élaboration conjointe de la compréhension conceptuelle dans la classe. Dans une telle perspective, comprendre un concept c’est se rendre capable d’agir dans des jeux épistémiques qui lui sont afférents. La compréhension conceptuelle est alors d’autant plus fine que ces jeux épistémiques sont complexes. Poursuivons avec notre exemple du concept de séisme. Nous

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pouvons énoncer une grande variété de jeux épistémiques mettant en jeu le concept de séisme : déterminer la nature sismique d’une catastrophe naturelle, évaluer une intensité, localiser un épicentre, calculer une magnitude, établir un mécanisme au foyer, etc. Cependant, ces différents jeux ne nécessitent pas une compréhension conceptuelle égale du phénomène sismique. Ainsi, un amateur éclairé sait faire la différence entre un tsunami et un séisme. Mais, il faudra la compréhension fine d’un sismologue pour traiter des sismogrammes de plusieurs stations, les interpréter et en inférer un mécanisme au foyer. Dans la classe, des jeux d’apprentissage confrontent les élèves à certains de ces jeux épistémiques et sont censés en permettre l’appropriation. On perçoit dès lors comment les notions de jeu d’apprentissage et de jeu épistémique sont à concevoir dans une dialectique, toute modification de l’un étant susceptible d’entraîner une modification de l’autre. Ainsi, deux jeux d’apprentissage qui présentent un air de famille (Wittgenstein, 1953/2004) peuvent toutefois différer suffisamment pour viser des jeux épistémiques différents. En retour, un changement de jeu épistémique cible conduit à un nouvel enjeu de savoir, c’est-à-dire à un nouveau jeu d’apprentissage.

2.2- L’analogique et le digital dans les données filmiques Dans notre étude du didactique ordinaire, le filmage des séances de classe nous fournit des données de première importance(3). Ces données constituent en elles-mêmes un analogue de l’action didactique observée et une partie de notre travail d’analyse consiste à les réduire sous une forme digitale (Forest, 2006 ; Sensevy, 2007b). Pour ce faire, nous utilisons le logiciel Transana (2007), outre sa fonction d’aide à la transcription, comme un instrument d’organisation d’une base de données filmiques, en particulier grâce à l’insertion de repères temporels. Cet usage de Transana nous permet de réaliser une digitalisation des séquences d’enseignement filmées, sous des formes plus ou moins denses, tout en conservant la possibilité d’allers-retours entre l’analogique et le digital. Le premier mouvement de cette digitalisation consiste à rendre compte de l’action didactique pour elle-même dans un parcours descriptif de première inférence (Ligozat, 2008). L’objectif de cette analyse inaugurale est alors de faire « émerger des liens qui ne sont pas visibles dans la complexité de la réalité brute, par une sélection et une reconfiguration de traces » (op. cit., p. 123). Dans une telle perspective, nous

S1

S

3

S4

S

5

S6

S

7

S8

S

2

S1

S

2

S3

S

4

S5

S

6

S7

S

8

S9

2. structure d’un volcan

3. types éruptifs et

mécanisme éruptif

5. répartition mondiale du volcanisme

4b. avantage lié aux volcans

7. volcans dans la tectonique

8. la prévision des éruptions

9. mécanisme sismique et répartition mondiale

des épicentres

10. enregistrer et mesurer un séisme

11. dégâts d’un séisme

12. la tectonique des plaques

13. la dérive des continents

Thèmes P3

1. caractéristiques d’une éruption

et types éruptifs

2. structure d’un volcan

3. mécanisme éruptif

4. caractéristiques d’un séisme

5. mesurer l’intensité d’un séisme

6. propagation du séisme en surface

7. jeu d’une faille

8. répartition mondiale des volcans et des épicentres

9. volcans, séismes et limites des plaques

10. orogenèse et tectonique des plaques

VO

LCA

NIS

ME

TE

CT

ON

IQU

E S

ÉIS

ME

S

0

1H

2H

3H

4H

5H

6H

7H

8H

9H

10H

Temps Thèmes P2

Figure 1 : Chronogramme des thèmes(4) avec, vertica-lement, la numérotation des séances (S1, S2, S3, etc.) et,

en grisé, les thèmes pour l’étude de cas

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utilisons des outils méthodologiques tels que des synopsis détaillés, des tableaux synoptiques réduits (cf. tableau 1), des chronogrammes des thèmes (cf. fig. 1) ou des jeux d’apprentissage. Ce travail nous permet à la fois de caractériser les pratiques professorales observées mais également de dégager au sein des séquences d’enseignement des thèmes topiques pour la comparaison de ces pratiques. Nous nous engageons alors dans un parcours descriptif de deuxième inférence (ibid.) qui mobilise les résultats de celui de première inférence, c’est-à-dire les liens tissés entre l’analogique des données filmiques et leur digitalisation avec nos outils méthodologiques.

3- Une étude de cas Dans notre étude de cas, nous analysons les deux pratiques professorales les plus contrastées, celles de P2 et de P3, pour un même thème : le mécanisme sismique. Le choix de ce thème intervient au terme de notre parcours descriptif de première inférence qui le désigne comme propice à la comparaison entre les professeurs. Dans le format court de cette contribution, nous ne présentons pas notre analyse a priori des savoirs à enseigner autrement qu’au moyen d’une grille (Buty, Tiberghien & Le Maréchal, 2004) en annexe(5). Nous rappelons seulement que les géologues considèrent le mécanisme sismique comme le rebond élastique du relâchement soudain de contraintes accumulées de part et d’autre d’un plan de faille entre deux compartiments rocheux. En préalable au détail de l’analyse, nous donnons à voir un premier aperçu de notre étude de cas avec le tableau synoptique suivant.

Jeu d’apprentissage Jeu épistémique (avec [ pour imbrication)

Modalité Durée (mm:ss)

S6J2- lâcher un caillou dans l’eau : manipulation et analogie

décrire le mécanisme sismique avec une coupe longitudinale

Groupe 10:32

S6J3- lire Où et pourquoi le sol tremble-t-il ? analyser un texte

Collectif 13:40

S6J4- questions du document Groupe 19:15 documentaire expliquer superposition de S6J5- correction de S6J4

la répartition volcans & épicentres Collectif 11:46

P2

S6J6- trace écrite résumer un texte documentaire Collectif 08:47

64:00

S6J3- expliquer une carte d’isoséistes

Binôme 08:20

S6J4- mise en commun de S6J3 ┌expliquer la forme concentrique │des isoséistes Collectif 11:24

S6J 5- simulation magistrale des dégâts d’un séisme

└critiquer les explications grâce à une simulation

Collectif 08:33

S6J6- schématiser la simulation Individuel 16:19 S6J7- compléter un texte lacunaire

écrire la réponse à la question de départ Collectif 06:40

S6J8- expliquer des photographies de « faille »

écouter un discours de vulgarisation scientifique

Collectif 14:42

P3

S6J9- compléter un texte lacunaire écrire la réponse à la question de départ

Collectif 08:12

74:10

Tableau 1 : Une vue synoptique de l’étude de cas

3.1- Le professeur P2 P2 est un professeur d’une dizaine d’années d’ancienneté, dont une moitié au cycle 3 dans son école actuelle. Lors de notre analyse inaugurale du corpus, nous caractérisons sa pratique comme l’actualisation d’un contrat didactique classique (Brousseau, 1998) dans une démarche expositive et déductive et une épistémologie pratique (Sensevy, 2007a) où l’étude

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des séismes nécessite une dépense de capital-temps (Assude, 2005) moindre que celle des volcans. La séance S6 est la première que P2 consacre aux séismes dans sa séquence d’enseignement (cf. fig. 1). C’est également la séance où il met à l’étude le thème « mécanisme sismique » dans une succession de cinq jeux d’apprentissage. Afin de situer ces jeux dans l’ensemble des séquences, nous les codons sous la forme SxJy, c’est-à-dire « Jeu numéro y de la Séance numéro x », éventuellement complétée par Pz pour Professeur z comme dans le titre ci-dessous.

Lâcher un caillou dans l'eau : manipulation et analogie (S6J2P2) Au début de S6J2, P2 distribue à chaque groupe de quatre élèves un récipient d’eau et un caillou. Il donne pour consigne de lâcher ce dernier au centre du récipient en observant ce qu'il se passe et de trouver ce que ça peut représenter au niveau de la Terre (3P2). C’est en soi un modèle analogique simple de la propagation des ondes sismiques. Au fur et à mesure de S6J2, P2 trace un schéma au tableau qui est une première représentation du mécanisme sismique. Il le commence lors de l’extrait suivant. 42- P2 : donc ça fait des vagues qui partent sur les côtés bon donc ça c'est ce que vous avez vu

maintenant si j'essaye de rapporter ça au au niveau de la Terre qu'est-ce que ça peut être + LE 43- LE : ben c'est comme si je sais pas moi euh un hélicoptère il tombe en panne et il tombe dans

l'eau 44- P2 : d'accord oui mais c'est pas par c'est pas ça que je demande je dis par rapport aux

mouvements de la Terre + qu'est-ce que ça peut représenter 45- TH : une bombe nucléaire qui explose 46- P2 : non non non c'est pas dans ce sens là que je 47- E : une comète 48- P2 : non vous partez complètement à côté de ce qu'il faut là on est en train de parler de

tremblement de terre et de séisme donc au niveau des tremblements de terre et des séismes ce ce ce mouvement là ce qu'on a vu qu'est-ce que ça peut qu'est-ce qui peut en être à l'origine et comment ça se ça se traduirait au niveau de la Terre parce que là c'est de l'eau mais moi je voudrais savoir au niveau de la Terre

49- AW : que les maisons 50- P2 : qui font quoi 51- AW : ben que quand on doit quand on construit une maison à cause du poids 52- P2 : non 53- MAB : ben l'eau c'est ce qui bouge c'est la Terre 54- P2 : d'accord 55- MAB : et voilà 56- P2 : alors + [dessine au tableau] là vous c'était l'eau là maintenant ça va être la Terre ++ et alors

ce caillou qui est au fond de l'eau maintenant qu'est-ce que ça peut être qu'est-ce que c'est qui va provoquer ce mouvement

57- MLO : euh ça peut être les deux plaques qui se cognent 58- P2 : les plaques qui se cognent donc ça voudrait dire que là en dessous [dessine deux plaques

qui se cognent sous la surface de la terre] j'ai quelque chose qui s'affronte c'est ça hein

P2 commence par rappeler que l’enjeu de S6J2 est de se servir du modèle analogique (l’impact d’un caillou à la surface d’un plan d’eau) pour étudier le phénomène géologique qu’il représente au niveau de la Terre qu'est-ce que ça peut être (42P2). LE et un autre élève proposent de voir le caillou comme un hélicoptère (…) en panne (43LE) ou une comète (47E). Pour sa part, TH s’attarde plus sur la gerbe d’eau, que provoque l’impact du caillou, qu’il voit comme un champignon atomique une bombe nucléaire qui explose (45TH). P2 invalide ces trois réponses (44P2, 46P2 et 48P2). Par rapport au début de l’extrait, P2 ajoute que ses

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attentes au niveau de la Terre (42P2) sont plus précisément au niveau des tremblements de terre et des séismes (48P2). AW propose alors une correspondance entre la manipulation et l’enfoncement d’une maison dans le sol à cause de son poids, faisant ainsi du caillou une maison (49AW et 51AW), énoncé que P2 infirme (52P2). MAB établit une relation entre le plan d’eau du modèle et la surface de la Terre (53MAB), ce que P2 valide (54P2), mais sans préciser cette relation plus avant (55MAB). Sur le volet droit du tableau, P2 dessine alors un trait horizontal qui entérine la relation entre le plan d’eau du modèle analogique et la surface de la Terre là vous c'était l'eau là maintenant ça va être la Terre (56P2). Il commence ainsi un schéma du mécanisme sismique qu’il va compléter peu à peu. P2 poursuit en demandant ce que peut représenter le caillou (56P2). MLO propose de voir le caillou comme deux plaques qui se cognent (57MLO). P2 lui fait écho et continue son schéma en dessinant deux masses qui s’affrontent sous la surface de la Terre là en dessous j'ai quelque chose qui s'affronte (58P2). Ainsi, par son action didactique, P2 engage les élèves sur un processus inverse de celui de la modélisation. En effet, avec S6J2, il s’agit de remonter du modèle analogique, c’est-à-dire du produit de la modélisation, vers le phénomène qu’il représente ou, plus exactement, vers un modèle conceptuel de ce phénomène tel que peut le représenter le schéma que P2 trace, par étapes, au tableau. L’extrait met en exergue que cette désambiguïsation du modèle analogique n’est pas immédiate mais résulte d’un voir-comme (Wittgenstein, op. cit. ; Sensevy, Tiberghien, Santini, Laubé & Griggs, 2008) peu à peu partagé dans la classe. Ainsi, le jeu d’apprentissage construit par P2 se gagne par une action contraire à celle qui inscrit les savoirs géologiques à représenter dans le modèle analogique. Dans le même temps, P2 procède à une inscription de ces savoirs dans un modèle conceptuel avec une coupe longitudinale. En définitive, S6J2 est un jeu d’apprentissage qui entre dans une dialectique d’excription et d’inscription qui conduit à passer d’un système sémiotique à un autre en établissant des relations entre les éléments de savoir que les deux représentent. Quel jeu épistémique peut viser un tel jeu d’apprentissage ? Pour répondre à cette question, nous en formulons une seconde : de quel agir P2 veut-il que ses élèves se rendent capables ? Nous concluons alors que S6J2 cible un jeu épistémique qui consiste à décrire le mécanisme sismique avec une coupe longitudinale. Avec ce premier extrait, nous voyons également les prémices d’une conception du mécanisme sismique comme un choc tectonique qui va s’installer comme une référence dans la classe. Cette conception met en jeu deux éléments : 1) les plaques tectoniques sont des entités rigides, non-contiguës, situées à une certaine profondeur sous la surface, 2) c’est le heurt de ces plaques qui produit les ondes sismiques. Lors de S9J2, un élève aborde le problème de l’existence d’un « trou » entre les plaques que devrait combler les océans mais P2 ne s’en saisit pas. Nous retrouvons ici le problème du « trou océanique » (Orange-Ravachol, 2007).

Trois jeux d’apprentissage à partir du même document « Où et pourquoi le sol tremble-t-il ? » : le lire (S6J3P2), questions afférentes (S6J4P2) et leur correction (S6J5P2) Pour le jeu d’apprentissage S6J3, mais également pour S6J4 et S6J5, P2 distribue un document intitulé « Où et pourquoi le sol tremble-t-il ? » qui est une photocopie d’une double page de manuel scolaire (Tavernier & Lamarque, 1996, pp. 126-127). Une analyse de son contenu montre que celui-ci est particulièrement dense en savoirs. En effet, ce document présente les cinq savoirs à enseigner de théorie/modèle de notre grille d’analyse a priori de la sismologie (cf. annexe) et anticipe sur la délimitation des plaques tectoniques. Avec S6J3, P2 en fait une lecture explicative collective tout en complétant la légende du schéma tracé précédemment au tableau. Le jeu d’apprentissage suivant, S6J4, consiste à répondre aux questions du document. Pendant que les élèves travaillent, P2 écrit « Les séismes » en titre au tableau, ramasse les récipients

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d’eau de S6J2 puis revient à son bureau. De temps à autre, des élèves se lèvent et viennent lui poser des questions. Malgré sa relative discrétion pendant le travail des élèves, P2 pèse encore lourdement dans la partition épistémique de S6J4, au moins pour les élèves qui le sollicitent, car ceux-ci s’orientent dans leur action didactique en se fondant sur la reconnaissance des intentions professorales au cours de leur interaction avec P2. S6J5 est l’avant-dernier jeu d’apprentissage de la séquence consacrée aux séismes. P2 y corrige collectivement au tableau les questions travaillées en groupe lors de S6J4. Pour cette correction, des élèves lèvent le doigt et P2 les interroge. Il valide ou non leur réponse et en note une au tableau. Il procède de même pour les questions suivantes. L’extrait ci-après est celui de la correction de la définition du terme foyer. 272- P2 : si vous avez mis c'est séisme c'est juste mais vous rajoutez à côté en dessous

L'EPICENTRE + donne une définition des mots alors le premier que vous avez c'est le mot foyer ++ oui

273- ES : le foyer est l'endroit où partent où partent les ondes 274- AX : où il y a le choc 275- P2 : voilà + endroit du choc + endroit [écrit au tableau] 276- AN : sinon on marque les plaques se tamponnent se cognent 277- P2 : oui alors on va employer un mot que vous avez pas encore cité endroit où il y a une rupture

brutale donc ça correspond à ça comme ça ça englobe choc et puis qu'est-ce que tu m'as dit tout à l'heure avec les plaques

278- E : les plaques se cognent 279- P2 : voilà se cognent donc endroit où il y a une rupture brutale ++ alors une rupture brutale de

quoi en fait puisque on n'a pas précisé vous m'avez dit des plaques mais c'est quoi comment ça s'appelle quel nom ça porte

280- E : plaques terrestres 281- E : plaques terrestres 282- P2 : voilà une rupture brutale de l'écorce terrestre

P2 commence par relire la question et interroge ES (272P2). La réponse d’ES est uniquement descriptive l'endroit où partent où partent les ondes (273ES) à la différence de celle d’AX qui met en jeu une causalité où il y a le choc (274AX). P2 résume les deux avec endroit du choc (275P2) et commence à noter la correction au tableau. AN propose alors une alternative les plaques se tamponnent se cognent (276AN). P2 acquiesce et substitue aux termes employés par les élèves celui de rupture dans ce qu’il présente comme une synonymie ça englobe choc et puis (277P2) se cognent (279P2). Il demande alors une rupture brutale de quoi (279P2). Deux élèves répondent plaques terrestres (280E-281E) que P2 échange contre écorce terrestre (282P2). Avec cet extrait, professeur et élèves continuent à agir ensemble sur l’arrière-plan d’une conception de choc tectonique initiée avec l’extrait précédent. Ainsi, les substitutions de termes opérées par P2 ne sont pas celles d’un effet Jourdain (Brousseau, op. cit.), où le professeur atteste indûment d’un gain de l’élève, mais celles d’une micro-institutionnalisation qui instaure préférentiellement un terme plus scientifique que ceux plus quotidiens employés par les élèves. Avec ces trois jeux d’apprentissage, l’action didactique de P2 cible un même jeu épistémique qui consiste à analyser un texte documentaire. C’est un jeu épistémique cible que nous retrouvons dans chacune des séances de P2 et qui occupe une place prépondérante dans la démarche expositive de P2. Cependant, ce jeu épistémique ne doit pas en occulter d’autres qui peuvent être visés par les questions du document. Ainsi, la dernière question « établis des rapprochements entre la carte ci-contre et celle des volcans » ne vise pas l’analyse du texte documentaire mais des rapprochements entre la répartition du volcanisme et celle des séismes.

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Le jeu épistémique qui est ici visé est alors d’expliquer la superposition des répartitions du volcanisme actif et des épicentres contemporains.

Trace écrite (S6J6P2) S6J6 est le dernier jeu d’apprentissage de la séance. P2 distribue aux élèves une photocopie d'un résumé à coller. Il le lit à voix haute et s'interrompt de temps à autre pour donner des explications ou poser des questions. Il demande également de repasser avec un surligneur certains passages du texte. Hormis la première, toutes les phrases de la trace écrite, ainsi que le schéma, sont repris du document « Où et pourquoi le sol tremble-t-il ? ». Le jeu épistémique ciblé ici consiste alors à résumer un texte documentaire. C’est cependant une cible lointaine à laquelle les élèves sont confrontés par la lecture et le surlignage au cours du jeu d’apprentissage S6J6.

3.2- Le professeur P3 P3 est un enseignant maître-formateur d’une vingtaine d’années d’ancienneté au cycle 3. Notre analyse inaugurale du corpus nous permet de caractériser sa pratique comme une démarche inductive, avec des séances dont la construction est inspirée du modèle pédagogique PHERIC(6), et une épistémologie pratique où volcans et séismes requièrent une dépense équivalente du capital-temps de la séquence. Pour l’étude du thème du mécanisme sismique, P3 procède par induction depuis la propagation du séisme en surface, avec une carte d’isoséistes(7), au jeu d’une faille au foyer avec un bloc-diagramme, au cours de la séance S6. Cette séance est la troisième et dernière séance consacrée spécifiquement aux séismes dans la séquence d’enseignement de P3. Cette séance, comme les autres de la séquence, est construite par P3 autour d’une question qui est ici posée dès le début de S6 sous la forme d’un titre au tableau « Qu'est-ce qui provoque un séisme ? ».

Une carte d’isoséistes (S6J3P3-S6J4P3) S6J3, le premier jeu d’apprentissage du thème, débute par un travail sur une carte d’isoséistes à partir de laquelle les élèves doivent trouver, par binômes, l’intensité du séisme dans différentes villes puis formuler une hypothèse expliquant la différence d’intensité selon les isoséistes. Dans l’extrait suivant, P3 commence par lire par-dessus l’épaule de JM puis il interagit avec le binôme JM-ER. 27- P3 : [au binôme JM-ER] plus on est loin de quoi vous vous mettez d'accord vous faites la

réponse ensemble plus on est loin de quoi 28- JM : du séisme 29- P3 : ça veut dire que là quand on est à 4 y a pas de séisme la terre ne bouge pas 30- JM : on le ressent moins on le ressent moins 31- P3 : oui mais un séisme c'est en fait c'est un tremblement de terre quand on a l'échelle 4 de

Richter est-ce que tu penses qu'on ne re qu'il y a pas de séisme 32- JM : si y en a un 33- P3 : alors on est loin de quoi 34- JM : (inaudible) 35- P3 : ben on y est toujours puisque ça bouge 36- JM : du centre du séisme 37- P3 : ah donc soyez précis dans vos termes enfin si tu penses que c'est ça + tu peux barrer c'est

une c'est un travail de recherche

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P3 commence par lire à voix haute une partie de l’hypothèse du binôme et signale, à deux reprises, qu’il manque un complément plus on est loin de quoi (27P3). JM répond avec du séisme (28JM). P3 tire de cet énoncé la conclusion que le séisme se limite à la zone d’intensité maximale quand on est a 4 y a pas de séisme (29P3). JM nuance l’énoncé de P3 on le ressent moins (30JM), mais P3 demande à nouveau si le séisme est également présent à l’endroit marqué par le chiffre 4 sur la carte (31P3). JM répond par l’affirmative (32JM) et P3 reprend sa question du début de l’extrait alors on est loin de quoi (33P3). La réponse suivante de JM ne satisfait pas P3 (34JM-35P3). JM introduit alors le syntagme centre du séisme (36JM). P3 réagit positivement car l’énoncé est précis tout en laissant la responsabilité de sa validité au binôme si tu penses que c’est ça (37P3). Cet extrait permet de montrer la position topogénétique basse qu’adopte P3, pendant S6J3, lors de ses transactions avec les binômes. Outre une partition épistémique en faveur des élèves, P3 tire également parti de rétroactions rationnelles du milieu en confrontant les énoncés des élèves avec la carte d’isoséistes. Ce faisant, dans son jeu sur le jeu des élèves, P3 accentue la part du milieu par rapport à celle du contrat. D’ailleurs, lorsqu’une avancée est produite, P3 ne donne pas son avis et s’éloigne vers un autre binôme. C’est une technique de P3 qui consiste, lors d’une situation de formulation (par exemple, production d’affiches ou, ici, d’hypothèses), à confronter les énoncés des élèves avec des rétroactions rationnelles du milieu depuis une position topogénétique basse où le professeur joue en seconde main. P3 la met en œuvre à plusieurs reprises lors de S6J3 et, plus largement, dans sa séquence. Lors de S6J4, P3 commence par corriger collectivement les intensités trouvées. Il demande ensuite aux binômes d’énoncer leur hypothèse, produite lors de S6J3, et les résume au tableau. P3 conclut qu'il y a, en tout, trois hypothèses différentes puis change de jeu d’apprentissage. Ici, P3 participe plus directement à l’élaboration du savoir par des reformulations et des regroupements des énoncés des élèves. Ceci dit, il joue en seconde main, dans une stratégie énonciative didactique (Marlot, 2008) marquée par la sous-énonciation (Rabatel, 2007 ; Marlot, op. cit.), en mettant systématiquement en exergue l’élève comme énonciateur de l’hypothèse exprimée. C’est à partir de cette position topogénétique modérée que P3 aménage un milieu (la liste d’hypothèses) pour le jeu d’apprentissage suivant S6J5. En définitive, la succession de jeux d’apprentissage S6J3-S6J4 a pour enjeu une production d’hypothèses expliquant la propagation du séisme en surface. C’est alors le jeu épistémique d’expliquer la forme concentrique des isoséistes qui est une cible de S6J3-S6J4. La stratégie gagnante d’un tel jeu épistémique consiste à construire une relation entre les intensités décroissantes notées sur les courbes isoséistes et leur distance au centre des isoséistes par un amortissement en surface du séisme à partir de son épicentre.

Une simulation des dégâts d’un séisme (S6J5P3) Avec le jeu d’apprentissage S6J5, P3 fait la démonstration d’une simulation des dégâts d’un séisme en fonction de la distance à l’épicentre et de l’intensité du séisme. Dans ce modèle analogique des dégâts d’un séisme, une feuille de carton représente la surface du sol, des planchettes de bois les constructions humaines et une règle, en partie sous la carton, permet de figurer des séismes d’intensité croissante en donnant à voir la force avec laquelle l’opérateur appuie sur la règle. Il commence par présenter le modèle analogique puis, pendant près de quatre minutes, il en fait différents essais. Après chaque fonctionnement de la simulation, P3 sollicite les commentaires des élèves. C’est le cas lors de l’extrait suivant. 267- GB : y en a trois qui sont tombés et celui de la droite là qui a bougé 268- P3 : oui mais ça me suffit pas ça 269- E : les plus près de (inaudible) 270- P3 : il y en a trois qui sont tombés mais ils étaient les proches de comment on a appelé ça

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271- E : de la secousse 272- P3 : de la secousse ou du [regarde les hypothèses de S6J4 notées au tableau] centre est-ce

que c'est donc la secousse qui s'est déplacée 273- E : non 274- P3 : est-ce qu'elle s'est faite là là là [montre trois endroits différents] 275- IN : non elle a juste un peu (inaudible) 276- P3 : donc la se est-ce que le séisme se déplace 277- E : non 278- P3 : il a lieu où 279- CLM : ça fait un ça fait une onde 280- P3 : ah ça s'appelle une onde c'est pas le séisme qui se déplace c'est l'onde du séisme donc

déjà est-ce que moi j'ai déplacé la règle

En réponse à P3, GB énonce le résultat de la simulation : trois planchettes sont tombées et une a oscillé (267GB). P3 attend plus que cette description (268P3) et un élève établit une relation entre la distance des planchettes à la règle et le fait qu’elles aient chuté (269E). P3 oriente les transactions vers le langage du modèle comment on a appelé ça (270P3) puis confronte la première hypothèse de S6J4 aux résultats de la simulation est-ce que c’est donc la secousse qui s’est déplacée (272P3), en donnant à secousse le sens d’origine du séisme, tel que P3 le précise en montrant trois endroits différents sur la feuille de carton est-ce qu'elle s'est faite là là là (274P3). Il poursuit pour montrer que le séisme se produit à un seul et même endroit (275IN-278P3). CLM décrit alors le fonctionnement de la simulation comme mettant en jeu une onde (279CLM). P3 lui fait écho et atteste, dans une micro-institutionnalisation, que c'est pas le séisme qui se déplace c'est l'onde du séisme (280P3). P3 fait ensuite deux nouveaux essais de la simulation, en figurant des intensités croissantes, interroge les élèves et valide la deuxième hypothèse de S6J4 au plus on s'éloigne du centre de l'endroit où y a le séisme au moins on le ressent (297P3) Ainsi, dans cet extrait, P3 organise une confrontation entre un résultat de la simulation et la première des trois hypothèses issues de S6J4. Pour ce faire, il se place dans une position topogénétique, sciemment modérée, à partir de laquelle il signale aux élèves les rétroactions rationnelles qu’offre l’état du modèle analogique pour invalider cette première hypothèse. Plutôt que de débattre, il s’agit ici de tester des hypothèses avec une simulation dont les résultats successifs (quatre en tout) font office de milieu pour les transactions didactiques. Par son action didactique, P3 vise ainsi un jeu épistémique qui consiste à critiquer les explications des pairs – les hypothèses de S6J4 – grâce à une simulation. Ce jeu épistémique se sert des résultats du précédent – expliquer la forme concentrique des isoséistes – comme d’un matériau. En effet, ce sont les hypothèses candidates à expliquer la forme concentrique des isoséistes qui sont ensuite critiquées à partir des résultats de la simulation. Dès lors, nous considérons les jeux épistémiques « expliquer la forme concentrique des isoséistes » et « critiquer les explications des pairs grâce à une simulation » comme pris dans une imbrication, la stratégie gagnante du deuxième jeu consistant à établir une correspondance entre les résultats de la simulation et ceux du premier jeu épistémique dans une perspective de validation/réfutation.

Trace écrite (S6J6P3, S6J7P3 et S6J9P3) La première partie de la trace écrite de la séance se compose de deux éléments : une schématisation de la simulation précédente par les élèves (S6J6) et un texte lacunaire à compléter en deux temps (S6J7 puis S6J9). Lors de S6J7, ER interpelle P3 pour faire remarquer que le texte complété n’apporte pas de réponse à la question en titre de la séance S6 « Qu’est-ce qui provoque un séisme ? ». P3 lui donne raison et répond que la suite va le

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faire. C’est notamment cet échange entre ER et P3 qui nous fait analyser les jeux d’apprentissage qui composent la trace écrite comme ciblant un jeu épistémique qui consiste à écrire la réponse à la question de départ. C’est in fine ce dont P3 souhaiterait rendre capables ses élèves.

Un intermède dans la trace écrite : le jeu d’une faille (S6J8P3) Lors de S6J8, P3 projette au tableau un bloc-diagramme expliquant le mécanisme sismique parce que ça on peut pas faire d'expérience on peut pas aller voir sous le sol (460P3). Cet énoncé de P3 est le premier d’une série de quatre énoncés (460P3, 462P3, 470P3 et 476P3) particulièrement longs et denses, au regard des autres énoncés de P3 dans le thème, qui le place dans une position topogénétique haute. C’est essentiellement cette série d’énoncés qui nous fait analyser S6J8 comme un jeu d’apprentissage ciblant un jeu épistémique qui consiste à écouter un discours de vulgarisation scientifique.

4- Discussion

4.1- Une même trace écrite, deux projets d’enseigne ment distincts Une comparaison des cahiers d’élèves montre que les « traces écrites » à l’issue des séances de P2 et de P3 sont amplement similaires. En effet, toutes deux dérivent du même manuel scolaire (Tavernier & Lamarque, op. cit.). Cependant, nous avons vu que, dans la séance de P2, le fil conducteur de l’étude du thème est un schéma du mécanisme sismique que nous trouvons sous trois avatars. Ce schéma est d’abord tracé au tableau par P2. Il est également présent dans le document « Où et pourquoi le sol tremble-t-il ? ». Enfin, il est institutionnalisé dans une troisième variation avec la photocopie distribuée pour la trace écrite. Notons également que tout au long de l’étude du thème, professeur et élèves évoluent dans une conception partagée de choc tectonique telle que nous l’avons décrite plus haut. Dans la pratique de P3, l’étude du mécanisme sismique se compose de celle de la propagation du séisme en surface suivie de celle du jeu d’une faille à l’origine des ondes sismiques. En outre, l’action didactique de P3 vise également l’apprentissage d’une conduite scientifique, pensée selon le modèle pédagogique PHERIC, par la dévolution d’un problème en titre au tableau : « Qu’est-ce qui provoque un séisme ? ». La propagation du séisme en surface est étudiée, à partir d’une carte d’isoséistes, dans une configuration de jeux d’apprentissages de production et de confrontation d’affiches qui conduit à l’énonciation d’une relation préquantitative (Johsua & Dupin, 1989, p. 95) entre la distance à l’épicentre et l’intensité sismique mesurée. Cette relation est ensuite testée à partir d’un modèle analogique des dégâts d’un séisme. L’étude du jeu d’une faille se fait lors de S6J8 où P3 occupe une position topogénétique haute. En définitive, le projet d’enseignement de P2 peut se comprendre comme une fréquentation répétée d’un même système sémiotique, une coupe longitudinale explicative du mécanisme sismique, là où le projet d’enseignement de P3 est celui de mener à bien une enquête qui aboutit à ce même système sémiotique. Au final, les traces écrites sont analogues mais les savoirs effectivement enseignés sont différents. C’est cette différence que nous retrouvons dans l’analyse des jeux épistémiques ciblés par les deux professeurs.

4.2- Densité et spécificité des jeux épistémiques c ibles Une manière de caractériser plus avant les jeux épistémiques est de s’intéresser à leur densité en savoirs et à leur spécificité aux savoirs en jeu. Par exemple, parmi les jeux épistémiques précédents, nous considérons « expliquer la forme concentrique des isoséistes » comme à la

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fois plus dense et plus spécifique que « analyser un texte documentaire ». Plus dense car, dans le texte documentaire, les savoirs en jeu sont déjà énoncés. Plus spécifique car les isoséistes sont un système sémiotique propre à la géologie(8). Nous construisons alors un gradient de densité et un gradient de spécificité par comparaison

des jeux épistémiques du thème(9). Nous commençons par placer les pôles extrêmes du gradient de spécificité et de celui de densité, puis un pôle intermédiaire. Ces pôles ne sont pas a priori occupés par un même jeu épistémique dans les deux gradients. Dans la figure suivante, nous plaçons, en abscisses, notre gradient de spécificité et, en ordonnées, notre gradient de densité. Les positions des jeux épistémiques dans l’espace ainsi délimitées sont à considérer comme des variables ordinales. Ainsi, seules les positions relatives de ces jeux sont significatives.

Figure 2 : Gradients de spécificité et de densité des jeux épistémiques Enfin, nous faisons l’hypothèse que ces différences de spécificité et de densité des jeux épistémiques constituent une détermination des apprentissages effectifs des élèves, à condition, comme dans cette étude de cas, qu’ils soient des cibles relativement atteintes par l’action conjointe lors du déroulement des jeux d’apprentissage. Nous cherchons à tester cette hypothèse à partir des productions des élèves à un pré-test et un post-test.

5- Efficacité et équité des pratiques analysées Dans notre dispositif, les élèves passent un pré-test et un post-test qui comportent des items fermés et des items ouverts. Le pré-test est élaboré en collaboration avec les enseignants afin de réaliser une certaine adéquation entre les items du test et les séquences d’enseignement. Le post-test est une reprise du pré-test, avec des ajouts, ce qui nous permet de mesurer des gains

den

sité

spécificité

P3

Écrire la réponse à la question de départ

(S6J6P3-S6J7P3, S6J9P3)

Critiquer les explica-tions grâce à une

simulation (S6J5P3)

Expliquer la forme concentri-

que des isoséistes (S6J3P3-S6J4P3)

imbr

icatio

n

Écouter un discours de vulgarisation scientifique

(S6J8P3)

P2 Analyser un texte docu-mentaire (S6J3P2-

S6J5P2)

Résumer un texte docu-mentaire (S6J6P2)

Décrire le mécanisme sis-mique avec une coupe lon-

gitudinale (S6J2P2)

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entre les items communs aux deux tests. Nous établissons un codage des items ouverts en quatre catégories, notées de 0 à 3. Parmi ces items, l’un d’eux correspond au thème du mécanisme sismique. Il est formulé ainsi : « Explique pourquoi la terre tremble. Tu peux écrire et faire un dessin ». Pour y répondre, les élèves disposent d’un espace légèrement inférieur au format A5. Nous codons cet item de la manière suivante. Explique pourquoi la terre tremble. Tu peux écrire et faire un dessin. Eléments corrects : - l’origine du mécanisme sismique est localisée au niveau de la croûte terrestre (légendée ou non) ou de plaques tectoniques, plus ou moins bien identifiées, qui ne sont pas localisées en-dessous du niveau de la croûte terrestre (légendée ou non), - le mécanisme au foyer n’est pas un choc et est de type cassant (cassure, rupture, faille, etc.),

- les ondes sismiques (légendées ou non) se propagent ou s’amortissent avec la distance. 0 Non-réponse ou absence d’éléments corrects.

Les volcans déclenchent les séismes. 2 Deux éléments corrects.

1 Un élément correct. 3 Trois éléments corrects. Tableau 2 : codage de l’item correspondant au thème du mécanisme sismique

5.1- Une conjecture d’efficacité Dans notre étude de cas, l’action didactique de P2 et celle de P3 se concluent par l’institutionnalisation d’une trace écrite similaire car inspirée d’un même manuel scolaire (op. cit.). Avec notre codage, la maîtrise de cette trace écrite permet d’atteindre une valeur maximale. Cependant, notre analyse précédente des séances de classe nous amène à formuler l’hypothèse d’une différence d’efficacité entre ces deux pratiques. En effet, au-delà de la similarité des traces écrites, l’analyse montre que les savoirs effectivement enseignés par les deux professeurs diffèrent. Ainsi, la pratique de P2 installe comme référence dans la classe la conception erronée d’un choc tectonique à l’origine du phénomène sismique. Par ailleurs, l’action didactique de P3 cible, et approche effectivement par sa gestion des jeux d’apprentissage, des jeux épistémiques plus spécifiques et plus denses que P2. Nous faisons l’hypothèse que ces différences sont significatives et que, en conséquence, la pratique de P3 est plus efficace que celle de P2. Nous cherchons alors à savoir ce qu’il en est dans les performances des élèves au pré-test et au post-test, grâce à deux tests de statistiques non-paramétriques, tel que les emploie Sensevy (soumis). Nous commençons par comparer les moyennes obtenues par les élèves des deux classes au pré-test, au post-test et le gain entre les deux. Pour ce faire, nous utilisons le test statistique du t de Student. Nous ne prenons pas en compte les productions des élèves qui comportent une non-réponse à l’un des deux tests car celles-ci ne nous permettent pas de calculer un gain. Nous présentons nos résultats dans le tableau suivant.

Classe Moyenne au pré-test

Moyenne au post-test

Gain moyen entre les deux tests

P2 0,792 1,458 0,667 P3 0,667 1,792 1,125

t de Student p = 0,425 p = 0,117 p = 0,027 Tableau 3 : Moyennes obtenues et comparaison avec un test de Student

Nous considérons un seuil de significativité fixé à p = 0,05. La différence de moyenne au pré-test entre les deux classes n’est donc pas significative. Nous ne pouvons donc pas affirmer

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que, avant enseignement, une classe est meilleure que l’autre. Le cas contraire aurait introduit un biais dans notre étude. Mais, la probabilité associée au t de Student ne permet pas non plus de distinguer les deux classes dans leur moyenne au post-test. En revanche, la différence est significative pour la moyenne des gains entre les deux tests et en faveur de la classe de P3. Ceci nous permet de valider, dans une certaine mesure, notre hypothèse de plus grande efficacité de la pratique de P3. Nous nous intéressons maintenant à la répartition des valeurs maximales au post-test dans les deux classes avec le tableau de contingence suivant.

Classe 3 au post-test autres valeurs total

P2 1 26 27 P3 6 21 27

total 7 47 54 Tableau 4 : Nombre de valeurs maximales obtenues au post-test

Un test de Khi2 montre que cette différence est significative (p = 0,043). Dans la mesure où cette différence est en faveur de P3, ce deuxième test statistique corrobore le premier. Par contre, un calcul de Khi2 pour la répartition des valeurs minimales n’est pas significatif (p = 0,979). Les résultats des tests précédents nous conduisent à valider notre hypothèse d’une plus grande efficacité de la pratique de P3 par rapport à celle de P2. Cependant, ceux-ci ne nous permettent pas de conclure au bénéfice de l’une des deux raisons – référence erronée ou jeux épistémiques ciblés – énoncées plus haut pour cette hypothèse. Nous cherchons alors à tester spécifiquement la signification « le mécanisme au foyer n’est pas un choc » (cf. tableau 2) parmi les productions des élèves. Nous obtenons alors la répartition ci-dessous.

Classe choc autre total

P2 5 19 24 P3 1 23 24

total 6 42 48 Tableau 5 : Mécanisme au foyer dans les productions des élèves au post-test

Avec un calcul de Khi2, nous trouvons que les différences entre les deux classes ne sont pas significatives (p = 0,081). Sur la base de ce test, nous ne pouvons donc pas distinguer les deux classes quant à l’explication du mécanisme sismique par un choc tectonique lors du post-test. Ceci constitue un premier élément de réponse en faveur d’une détermination de l’efficacité par les différences de densité et de spécificité des jeux épistémiques telle que nous l’avons formulée plus haut. Il est possible qu’une mise en perspective avec les autres items et les deux autres professeurs nous permette de conclure plus avant.

5.2- Qu’en est-il de l’équité ? Le thème de ce colloque nous amène également à nous interroger sur l’équité des pratiques analysées. En particulier, nous nous posons la question de savoir si l’efficacité d’une pratique professorale peut s’établir au détriment de son équité. En effet, la moyenne est un outil statistique très sensible aux valeurs extrêmes. Nous pouvons donc imaginer que la pratique de P3 apparaît comme plus efficace alors qu’en réalité elle est plus élitiste. Nous cherchons donc à tester l’hypothèse nulle H0 selon laquelle il n’y a pas de différence significative d’équité entre les pratiques de P2 et de P3. Calculer l’écart-type des gains entre les tests pour les deux classes ne nous semble pas être un bon outil statistique pour tester H0 dans la mesure où, comme la moyenne, l’écart-type est très

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sensible aux valeurs extrêmes. Nous définissons alors ad hoc l’équité comme le fait qu’un maximum d’élèves progressent entre le pré-test et le post-test (ou qu’un minimum d’élèves ne progressent pas). Nous nous intéressons alors la répartition des gains strictement positifs.

Classe Gain de 0 ou moins Gain de 1 ou plus total

P2 8 16 24 P3 5 19 24

total 13 35 48 Tableau 6 : Répartition des gains strictement positifs entre le pré-test et le post-test

Un calcul de Khi2 montre que les différences entre P2 et P3 ne sont pas significatives (p = 0,330). Ceci ne nous permet donc pas de rejeter H0. En conséquence, nous concluons que les deux pratiques ne se distinguent pas par leur équité alors que, nous l’avons vu précédemment, elles se différencient par leur efficacité.

6- Conclusion Dans le cadre de la TACD, nous avons montré un usage de la notion de jeu épistémique qui nous a permis de spécifier plus avant l’action conjointe en didactique. Nous avons également montré comment ces jeux épistémiques se répartissent sur un gradient de densité et de spécificité. Une telle analyse des jeux épistémiques se fonde sur une analyse inaugurale de notre corpus, un parcours descriptif de première inférence, qui nous permet de réduire les données filmiques de l’analogique au digital de l’action didactique. Cette réduction se fait au moyen des catégories théoriques de la TACD, d’un usage de Transana comme d’une base de données et d’outils méthodologiques (synopsis, tableaux synoptiques, chronogrammes). Toutefois, ce mouvement de l’analogique au digital n’est pas univoque et le travail d’analyse nous conduit à faire des allers-retours entre les deux. Nous avons étudié ici deux pratiques professorales pour un même thème d’apprentissage et, au terme de cette étude, nous avons produit une conjecture d’efficacité à partir de notre analyse empirique. Nous avons alors cherché à tester cette conjecture avec les performances des élèves à un pré-test et un post-test. Pour ce faire, nous avons utilisé deux tests de statistique non-paramétrique : le test du Khi2 pour les tableaux de contingence et le test du t de Student pour la comparaison des moyennes. Les résultats de ces deux tests montrent des différences significatives dans les performances des élèves et valident ainsi notre hypothèse de plus grande efficacité de l’une des deux pratiques professorales. Nous avons alors entrepris la même démarche quant à la question de l’équité de ces deux pratiques. Dans ce cas, nos calculs ne nous permettent pas de rejeter l’hypothèse nulle d’une absence de différence significative d’équité entre les deux pratiques étudiées. Dans les grandes lignes, un idéaltype éducatif devrait être tout autant très efficace et très équitable. Toutefois, nos premiers résultats montrent que l’efficacité et l’équité d’une pratique professorale ne s’impliquent pas mutuellement. Dès lors, il nous semble nécessaire de travailler les notions d’efficacité et d’équité en éducation à la fois solidairement et pour elles-mêmes.

Notes (1) Pour ce jeu d’apprentissage, le professeur fournit aux élèves un masque de tableau comportant les rubriques manifestation, durée et effets/dégâts. (2) Ainsi, dans son étude historique, Quénet note : « Aux XVIe et XVIIe siècles, les phénomènes telluriques sont mal définis, peu territorialisés : les "tremblements de la terre"

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désignent des séismes, aussi bien que des glissements de terrain, des ouragans » (2005, p. 475). (3) Nous ne minimisons pas pour autant les données issues des différents entretiens que nous avons réalisés avec les professeurs. Mais, nous n’abordons pas spécifiquement ce point ici. (4) A cette échelle, dans la séquence de P2, les thèmes « 1. pré-test », « 4a. avantage lié au volcanisme » et « 6. roche volcanique » ne sont pas visibles. (5) Cette analyse a priori est détaillée dans Santini (2007). (6) Acronyme de la démarche de pédagogie des sciences qui suit la chronologie Problème(s), Hypothèse(s), Expérience(s), Résultat(s), Interprétation(s) et Conclusion(s). (7) Une courbe isoséiste est une courbe qui joint des points où l’intensité d’un séisme est la même. (8) Il existe dans d’autres domaines des représentations graphiques avec des courbes joignant des points de même valeur, par exemple les lignes de niveau des cartes cartographiques. Ce qui rend ce jeu plus spécifique de la géologie que de la cartographie, c’est le fait que le centre de ces courbes détermine la position de l’épicentre du séisme représenté et, partiellement, celle du foyer. (9) Nous ne retenons pas le jeu épistémique « expliquer la superposition de la répartition des volcans et des épicentres contemporains », visé par S6J5P2, car il anticipe plus sur l’étude des plaques tectoniques que ce qu’il ne participe, même si les deux ne sont pas indépendants, à celle du mécanisme sismique. (10) Si tant est qu’elles soient indépendantes.

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Annexe : grille d’analyse a priori de la sismologie au Cours Moyen (4 ème et 5ème primaire ; Santini, 2007, p. 61)

Déjà appris Déjà connu du quotidien A enseigner (sismologie)

Thé

orie

/mod

èle

Un macroséisme est une manifestation de l’activité de la Terre.

Un séisme se manifeste par des secousses plus ou moins violentes du sol. Il existe des séismes perçus seulement par les instruments. La propagation en surface du séisme est concentrique. L’origine d’un séisme est profonde. L’origine d’un séisme est mécanique.

Rel

atio

n en

tre

th./m

od. e

t ob

j./év

.

Dans un sens scolaire strict, rien n’a été appris sur les séismes puisqu’il s’agit au Cours Moyen du début du curriculum de géologie.

Le macroséisme est la cause des dégâts.

Les dégâts d’un séisme sont fonction du contexte local. Un sismographe est solidaire des mouvements de la Terre. Plus on s’éloigne de l’épicentre, plus l’intensité du séisme diminue. Le séisme se propage du foyer à l’épicentre. Une masse rocheuse soumise a de fortes contraintes se faille.

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Obj

et/é

véne

men

t Macroséismes sous leur aspect de catastrophe naturelle destructrice (articles, photographies, reportages, etc.).

Échelle M.S.K., échelle de Richter. Séismes de forte magnitude causant peu de dégâts et vice-versa. Sismographes et sismogrammes. Cartes d’isoséistes. Représentations en coupe de la Terre avec position du foyer et de l’épicentre. Représentations en coupe de la Terre figurant les contraintes au foyer et le plan de faille.

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Colloque « Efficacité et Équité en Éducation » Rennes 19,20 et 21 novembre 2008. P. Rilhac

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Transactions didactiques et action conjointe en milieu scolaire : une étude de cas en si-tuations de classes de géométrie et d’escalade

Patrice Rilhac, CREAD, Université Rennes 2-UBO/IUFM de Bretagne

[email protected]

Introduction Cette communication se propose d’interroger et de comparer les pratiques didactiques de deux professeurs et d’élèves confrontés à des enjeux de savoirs spécifiques : initiation à la démons-tration en géométrie et initiation en escalade en éducation physique et sportive. Il s’agit plus particulièrement d’aborder la question de « l’Efficacité et de l’Equité 1», en pro-cédant à l’observation et à l’analyse de pratiques lors de leçons ordinaires (Leutenegger, 2000) à partir du modèle de l’action conjointe en didactique (Sensevy &Mercier, 2007 ; Schubauer-Leoni, 2007). Mon propos va s’attacher à éclairer comment professeurs et élèves interagissent et quelles sont les modifications du savoir étudié qui en découlent. La perspective adoptée est donc inte-ractionnelle (Amade-Escot, 2007). Je montrerai alors que l’agir des acteurs consiste prioritai-rement à la mise en place d’un mode de communication « contractuelle ». La compréhension et l’explication proposées en sciences de l’éducation ne peuvent être envi-sagées indépendamment de référents théoriques. J’aborderai cette partie dans un premier mouvement. Dans un second temps je présenterai les éléments de méthode qui m’ont permis de comparer des pratiques didactiques aux enjeux de savoirs spécifiques. La troisième et dernière partie m’amènera à analyser les pratiques didactiques développées lors de deux situations ordinaires d’enseignement/apprentissage, la première, en géométrie, la seconde en escalade, dans une classe de 4ème. I. Éléments théoriques Il a été précisé, en introduction de ce symposium, qu’une des manières d’analyser des pra-tiques didactiques seraient de les voir comme (Chauviré & Sackur, 2003) des jeux didactiques. Une même famille de jeux (Chauvier, 2007) où l’efficacité de l’action professorale est étroi-tement liée au fait que les élèves parviennent à produire le savoir demandé par un professeur. Réciproquement, un élève mesurera son efficacité à sa capacité à produire les réponses atten-dues par le professeur hic et nunc. Toutefois, du côté de l’enseignant, le savoir d’un élève sera efficient s’il est produit proprio-motu (Sensevy, Ibid.). En effet, si un professeur, par un procédé quelconque, dévoile ses in-tentions didactiques, il peut obtenir une réponse juste, mais dont l’efficience risque d’être des plus aléatoires au plan de l’apprentissage. Par exemple si je dis à un élève de pousser sur ses jambes pour progresser le long d’une voie, il est fort possible que ce dernier s’exécute, sans pour autant avoir nécessairement perçu l’intérêt didactique de mon intervention. A savoir qu’une poussée complète des jambes permet de « réduire le coût énergétique de ses déplace-

1 Au sens d’Aristote « Éthique à Nicomaque ». « L’équitable s’il a le même contenu que le juste est cependant « plus parfait » que le juste légal car il représente « une amélioration de ce qui est juste selon la loi ». Celle-ci, en effet, comporte inévitablement des omissions ou des lacunes dues à son caractère général. L’équité, en révisant et en pondérant les dispositions légales, transmue donc la loi en un « fil de plomb » tel qu’en utilisent les archi-tectes et qui « ne reste pas rigide mais qui peut épouser les formes de la pierre ».

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ments », une réduction de coût elle même sous-tendue par la compétence2 à opérer une lecture pré ascensionnelle et phasique de la voie. S’ajoute ici, à la nécessité de réticence didactique, une spécificité de la pragmatique des énoncés professoraux. Ces énoncés sont à forte valence perlocutoire (Sensevy & Quilio, 2002). Dit plus simplement, lorsqu’un professeur agit dans le but d’influer sur les comporte-ments didactiques d’un élève, quelque soit la forme de langage3 adoptée, cela donne lieu à des effets – ou conséquences- sur les élèves. Tout le jeu didactique consiste alors, du côté du professeur, à signaler sans les mentionner4 les savoirs utiles à la résolution de problèmes de grimpe ou de géométrie. Conjointement, du côté des élèves, il devra accommoder (Bideau, Houdé & Pedinelli, 1993) les savoirs appris aux contextes situationnels rencontrés. Pour qu’il y ait compréhension et adhésion au jeu, les deux parties doivent s’accorder sur les règles définitoires (Hintikka, 1993 ; Sensevy, 2007) du jeu. En géométrie, le professeur sera ainsi amené à préciser qu’une propriété ne peut être utilisée, par exemple pour démontrer l’existence d’un parallélogramme, que si les objets mathématiques référents de la propriété sont bien des objets mathématiques, soit parce que l’énoncé le leur dit, soit parce qu’ils auront pu le démontrer. Pour agir dans ce sens, les élèves doivent accepter d’« entrer » dans le jeu. Or, il faut bien en convenir, la plupart des jeux d’apprentissage scolaires, parce qu’ils sont des jeux prescrits, ne font pas toujours l’objet d’une adhésion immédiate. Tout du moins au tout début d’une sé-quence. Et lorsque c’est le cas, une telle adhésion peut s’étioler lorsque les règles instaurées par l’enseignant entrent en dissonance avec les règles que les élèves s’imposent « naturelle-ment ». Il importe alors, pour éviter une trop grande tension susceptible de rompre l’adhésion au jeu « initiation à l’escalade » ou « initiation à la démonstration en géométrie », que le professeur veille à la dévolution d’un rapport adéquat des élèves aux objets du milieu dans un certain contrat » (Sensevy, Ibid., p. 28). Or les acteurs du jeu didactique occupent une position insti-tutionnelle dissymétrique. En effet, si l’élève, au début d’une séquence d’enseignement n’est pas vierge de toutes connaissances, il ne sait pas, malgré tout, quel est le savoir visé par l’enseignant. Il ne le découvrira qu’au fur et à mesure de l’avancée du temps d’enseignement. Dans cette perspective la relation didactique apparaît comme un système d’attentes réci-proques. Et son efficacité suppose que les élèves aient une certaine intelligence des intentions du professeur, qui enseigne, et que le professeur ait l'intelligence des attentes des élèves, pour que l'enseignement et l'apprentissage aient lieu (Mercier, 2008). Dans cette logique la relation didactique s’inscrit dans le cadre d’une dialectique contrat-milieux. Un contrat dont la nature est double : explicite dans le sens où l’action de l’élève est assujettie aux règles constitutives, définitoires du jeu mis en avant par l’enseignant tout au long du temps d’une séquence d’enseignement ; implicite dans le sens où chacun sait (professeur(s) et élève(s)) les attentes de l’autre sans qu’il n’ait à dire les siennes (Mercier, Ibid.). Il apparaît donc pertinent d’appréhender les pratiques d’élève(s) et de professeur(s) comme une suite de jeux d’apprentissage (Sensevy, Ibid.) négociés conjointement, au sens où à

2 Ensemble structuré de ressources (connaissances, habiletés motrices, méthodologiques, métacognitives et d’attitudes), qui sous tend l’expertise dans une activité donnée. (Delignières et Garsault, 1993). 3 La notion de langage correspond à un ensemble de signes (vocaux, gestuelles etc.) doté d’une sémantique spé-cifique liée au milieu institutionnel dans lequel il se produit. 4 Du latin ensignare, « signaler » un savoir utile.

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chaque nouvelle situation apparaît un nouvel enjeu de savoirs dont la détermination pourra être recherchée dans le cadre d’une dialectique contrat(s)-milieux. Ce paradigme, support à l’explication/compréhension (Leutenegger & Saada-Robert, 2002) de pratiques didactiques, peut être présenté sous la forme suivante :

II Éléments de méthode L’intérêt porté à l’étude comparative de pratiques didactiques en situation de classes « ordi-naires » nécessite la mis en œuvre d’une méthodologie adaptée. L’une des difficultés princi-pales à surmonter est de parvenir à identifier certains des traits génériques de ces pratiques sans en oblitérer les spécificités individuelles et intradisciplinaires. Pour ce faire, j’ai tout d’abord procédé à des entretiens ante séquence des deux professeurs afin de déterminer les savoirs visés. Ces entretiens furent prolongés par un travail épisté-mique. Dans un second temps j’ai opéré la transcription de l’intégralité des interactions dans l’ordre chronologique des leçons (5 en géométrie et 5 en escalade). J’ai ensuite envisagé l’analyse de chacune des leçons à partir de l’idée de synopsis (Sensevy, Schubauer-Leoni, Mercier & al, 2007). Notion de synopsis Un synopsis est un résumé d’un scénario qui permet de décrire l’histoire d’une leçon. Il s’agit, pour le chercheur, de s’imprégner du contexte situationnel dans lequel évoluent les acteurs. Le synopsis d’une leçon peut être découpé en acte(s), scène(s) et en épisode(s).

- Un acte correspond à la subdivision d’une leçon. Il se caractérise par une certaine uni-té de temps et de lieu. Ces actes peuvent être divisés en scènes.

- Une scène représente une partie de la leçon. La scène permet de cerner le tempo d’une leçon, au sens d’allure particulière qu’un professeur donne au déroulement de ses ac-tions didactiques.

Le découpage d’une leçon en actes/scènes et épisodes m’a permis de reconstituer l’intrigue didactique de chacune des classes, leçons après leçons, et ainsi de mettre en relief des évène-ments5 didactiques au sein desquels sont apparus des incidents didactiques (Amade-Escot, 1995). 2.1. Méthode d’analyse des incidents didactiques Les incidents didactiques retenus ont fait l’objet d’une analyse a priori (Mercier & Salin, 1998). L’analyse a priori permet de déterminer les savoirs en jeu et les potentialités d’actions pour les élèves vis-à-vis de la situation à laquelle ils sont confrontés. Autrement dit, l’analyse a

5 Un évènement est un fait qui survient à un moment donné. Il se caractérise par une transition, voire une rupture, dans le cours chose, comme l’introduction d’un savoir, d’un objet etc.

Enjeu(x)

Contrat(s) Milieux

Situation(s)

Jeux d’apprentissage

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priori a pour objet de s’intéresser aux effets attendus en opposition avec les effets observés, lesquels sont étudiés dans le cadre d’une analyse a posteriori menée dans un second temps. Afin de rendre le langage des élèves plus « lisibles » en escalade, j’ai eu recours à des photo-grammes (Forest, 2006 ; Rilhac 2008). L'’objectif était d’opérer une digitalisation d’un acte de langage analogique, puisque non ver-bal, afin de se rendre apte à saisir l’apparition du savoir mobilisé. L’approche méthodologique de pratiques didactiques des professeurs et d’élèves en classes de géométrie et d’escalade peut être résumée sous la forme suivante. III. Approche empirique 3.1. Analyse de l’épisode « incident didactique » retenu en géométrie. Il convient, avant d’entrer dans l’analyse de l’épisode retenu, d’apporter des précisions quant aux savoirs visés par l’enseignante en mathématiques. 3.1.1. Savoir visé en géométrie Pour la professeure, bien qu’elle ne le formule pas expressément lors de l’entretien, le savoir visé est l’implication (Deloustal-Jorrand, 2004). Ce mode de raisonnement consiste en une écriture mathématique : si p, alors q (si un quadrilatère à ses côtés opposés parallèles deux à deux, alors c’est un parallélogramme) et à poser ensuite l’antécédent : or p (or ce quadrilatère

Élèves de 4ème 12♀ & 12♂

Entretiens ante séquence des P

Relevés « incidents didactiques »

Transcripts de l’intégralité des interactions

Synopsis (Actes/scènes/épisodes

« Travail épistémique »

Événements didactiques

Situations « inci-dents didactiques

retenus

Analyse a posteriori Analyse a priori

Approche comparatiste : des pratiques didactiques

Éléments de syn-thèse

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à ses côtés opposé parallèles deux à deux), pour en décrire la vérité du conséquent, donc q (donc c’est un parallélogramme). Pour procéder de la sorte les élèves doivent avoir la preuve mathématique que les objets mathématiques présents entre le « Si » et « alors », appelé la condition de l’énoncé (dans l’exemple précédent si un quadrilatère à ses côtés opposés paral-lèles deux à deux), font partie des objets mathématiques présents sur la figure qui leur sera présentée par l’enseignante. 3.1.2- Contexte de l’incident didactique retenu. Pour permettre aux élèves de valider l’existence de ce parallélogramme, la professeure pré-cède son questionnement par la présentation d’une figure accompagnée de codages6. Parallè-lement, les élèves disposent d’un fiche « méthode »7. Sur cette fiche sont inscrites trois pro-priétés qui servent à démontrer qu’un quadrilatère est un parallélogramme. La première propriété permet de prouver l’existence d’un parallélogramme si le « quadrilatère a ses côtés opposés de même longueur deux à deux ». La seconde propriété peut être utilisée si le « quadrilatère a ses côtés opposés parallèles deux à deux ». La troisième propriété sert à démontrer qu’un quadrilatère est un parallélogramme si le « quadrilatère a deux côtés opposés parallèles deux à deux ». 3.1.3. Analyse de l’incident didactique Locuteur Actes de langages

P Est-ce que, si je fais ce dessin là, j’ai dessiné un parallélogramme ?

e Non P Est-ce que j’ai dessiné un parallélogramme ? e Oui

P Qui pense que c’est un parallélogramme, que j’ai dessiné au tableau…Que deux, trois, quatre ! Donc c’est un

parallélogramme.

Dans cette situation la professeure attend des élèves qu’ils convoquent les savoirs mis à leur disposition (les propriétés) en fonction des spécificités de l’énoncé présenté sous la forme d’une figure géométrique. Ils doivent ainsi tenir compte des symboles mathématiques // et /. Ces signes mathématiques sont la preuve que les côtés opposés de ce quadrilatère sont de même longueur deux à deux.

P Alors quelle propriété je vais choisir pour démontrer que j’ai bien un parallélogramme Corinne8. Corinne Euh… La deuxième

La réponse de Corinne semble s’organiser à partir de l’association de ce qu’elle voit, les cotés sont parallèles deux à deux, et de ce qu’elle sait de la définition apprise depuis plusieurs an-nées du parallélogramme. C’est-à-dire un quadrilatère dont les côtés opposés sont parallèles deux à deux.

6 Lors de cette seconde leçon, l’enseignante va proposer ce type d’exercice (identification, justification de l’existence mathématique d’un parallélogramme), en présentant, successivement, quatre quadrilatères codés différemment. 7 Appellation choisie par l’enseignante. 8 Il convient ici de souligner que l’enseignante interroge un élève si ce dernier lève la main.

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Tout se passe comme si Corinne fonctionnait dans une sorte de champ sémantique et morpho-logique dans lequel parallélogramme et côtés opposés sont en relation nécessaire. Cela n’échappe pas à l’enseignante qui s’empresse d’attirer l’attention de l’élève sur ce qui convient de considérer effectivement pour valider l’existence mathématique de ce parallélo-gramme. Pour cela la professeure réitère sa question en utilisant une intonation de voix qui laisse peu de doute quant à l’incongruité de la réponse.

P La deuxième !! Je sais que les côtés sont parallèles 2 à 2 !

En agissant ainsi, la professeure interpelle non seulement l’élève, mais aussi l’ensemble de la classe. Par cette action elle attend que l’erreur de Corinne soit rapidement corrigée. C’est pré-cisément ce qui va se produire.

e Non, c’est la première

Malgré tout, la professeure n’est pas dupe. Elle sait pertinemment que d’autres élèves n’ont pas produit la mise en rapport escompté entre le codage de la figure et la propriété. Elle s’empresse donc de mettre en lumière ce lien.

P Qu’est-ce que ça veut dire les codes qui sont là ? e De même longueur P De même longueur. Donc qu’elle propriété j’utilise ? Carole

Carole La première

La professeure, une fois que cette reconnaissance est indiquée pour tous, en vient à produire la totalité du raisonnement

P La première. Je sais que les côtés ont la même longueur, et que les côtés, donc deux à deux ont la même lon-gueur et les autres aussi. Donc, ils ont la même longueur deux à deux. Donc je prouve que c’est un parallélo-

gramme.

4. Premiers éléments de synthèse Á mon sens ce qui me semble intéressant à retenir, c’est que les échanges professeur/élève(s) visent avant tout à développer une approche ostensive des écritures mathématiques. La fiche « méthode » constitue un artefact, contrairement à ce que souhaite l’enseignante, qui fait écran au mode de raisonnement du type « logique mathématique ». Dès lors, raisonner pour Corinne, mais aussi pour Carole si l’on retient la forme de sa réponse « la première », apparaît comme assujettie au strict respect du contrat « trouver la bonne pro-priété ». Pour ce faire elles procèdent par association entre ce qu’elles perçoivent du dessin qu’elles ont sous les yeux, (je vois que les côtés sont parallèles deux à deux), et les mots qui apparaissent dans les différentes propriétés de la fiche méthode. Poursuivons nos analyses en abordant l’épisode « incident didactique » retenu en escalade. IV . Analyse de l’épisode « incident didactique » retenu en escalade Je me suis tout d’abord intéressé, comme en géométrie, aux savoirs visés par l’enseignant. En escalade la forme de savoirs visés peut être regroupée en cinq grandes catégories (Roggé-ro, 1997 ; Marques, 2000 ; Testevuide, 2003). Il y a le savoir lié à la sécurité, le savoir lié à la saisie et à l’utilisation des prises, le savoir lié à la variété des gestuelles, le savoir lié à la lec-ture et à l’enchaînement des passages d’une voie, et le savoir lié à l’engagement. 4.1. Contexte de l’incident didactique retenu

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L’incident didactique retenu se produit lors de la première leçon. La tâche présentée par le professeur consiste à atteindre le sommet d’une voie, choisie par l’élève, sans marquer de temps d’arrêt. Le savoir visé sous-jacent par l’enseignant, bien qu’il ne le mentionne pas ex-plicitement, est principalement le savoir lié à la lecture et à l’enchaînement des passages d’une voie. Dans le cas présent et en regard du niveau de difficulté de la voie, de la tâche, et du niveau d’habilité de l’élève (Famose, Sarrazin & Cury, 1995), l’élève observée ne devrait pas rencontrer de difficulté insurmontable pour répondre aux attentes de savoirs visés. Après avoir effectué trois fois l’ascension de la voie, suite à une première demande professo-rale, Nadia sollicite l’enseignant. 4.2. Analyse de l’incident didactique Nadia Eh monsieur !... une fois qu’on a fait trois fois ?

P Alors euh…on change peut être pas tout de suite de voie. Tu montes en essayant de ne pas marquer de temps d’arrêt

sur cette petite voie. Nadia Aucun arrêt !!

P Ou alors, un seul arrêt possible. Tu démarres, tu essaies de monter (le professeur mime avec ses bras), mais sans

temps d’arrêt, ou alors tu t’autorises un arrêt au milieu.

Phase 1

Phases Photogrammes

1

La première photo de la phase 1 nous montre une grimpeuse en recherche d'informations visuelles (corps légèrement en retrait, tête relevée), avant d'opérer une première traction poussée, qui est elle-même précédée d'une recherche de prise pour la main droite (photo 2.) La photo 3 nous permet d’observer un premier placement des mains à un même niveau de prises. Ce choix aurait pu être évité si Nadia, au moment de la poussée avec la jambe droite, s'était saisie de la prise située au N7.

Photo 3 Photo 4 Placement pied G au N 3.

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Photo 2 Recherche de prise

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Phase 2

Phase 3

Phases Photogrammes

3

Lors de la phase 2 et de la phase 3 nous pouvons remarquer que la grimpeuse pose plusieurs fois ses appuis pieds sur un même niveau de prises (phase 2, photo 2 pour les mains et photo 3 pour les pieds). La phase 3 confirme un placement de pieds sur un même niveau de prises (photos 2, 4 et 5), lequel est accompagné d’une saisie à deux mains d’une prise (photos 1 et 2), ainsi que d’une recherche de prise avec le pied droit (photos 3 et 4.)

Phase Photogrammes

2

...le pied G aurait pu se positionner sur l'une des deux prises situées au N6.Cette unité d'actions aurait pu être évitée Photo 2.

Au moment de la poussée traction...

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À la suite du placement du pied G, il aurait été possible de se saisir de la prise située au N10... Photo 3

...ce qui aurait pu permettre d'être positionné pour un placement de pied D sur une des prises placées au N7 (prises cachées par les jambes de Nadia.), et ainsi... Photo 4

...économiser la double action du pied D, tout en maintenant un équilibre plus favorable à une prise d'informations visuelles pour la suite de son déplacement Photo5

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Si le x rouge est toujours affiché, vous devrez peut-être supprimer l'image avant de la réinsérer.

Photo 2. La main droite aurait pu être placée sur une des deux prises situées au N8.

Photo 3. Cela aurait permis au pied G de se placer sur la prise située au N5.

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Phase 4

Phases Photogrammes

4

Les actions de la phase 4, phase finale de la grimpe, sont proches de la phase 3. Nous avons ici, au terme de la présentation des conduites motrices, une grimpeuse dont le mode de déplacement quadrupédique est assujetti à des gestuelles usuelles du type « grimpeuse à l’échelle » (main/main, pied/pied). 5. Premiers éléments de synthèse Alors que les contingences de la voie offrent un important choix de prises au m2, que ces prises sont de formes et de tailles variées, ce qui permet de bénéficier d’un large choix favori-sé par la présence de couleurs différentes, la recherche de prises de Nadia est empirique et consubstantielle à l’espace situé autour de ses pieds et de ses mains. Néanmoins, Nadia ne se perçoit pas en décalage par rapport à la demande du professeur. En effet, le fait qu’elle solli-cite l’enseignant pour qu’il lui propose une nouvelle situation, aussitôt après avoir réalisé son ascension, tend à démontrer qu’elle pense avoir satisfait aux exigences professorales. C’est effectivement le cas si l’on s’attache aux parties du contrat : « arriver au sommet sans temps d’arrêt, ou avec un seul arrêt ». Mais cela n’est plus vrai si l’on se réfère au savoir im-plicitement visé par l’enseignant « lire et enchaîner les passages d’une voie ». Il convient pourtant ici de considérer que les gestuelles de Nadia ne sont pas dues à des ques-tions de motivation, ni même en raison d’un écart trop important entre son niveau d’habileté perçue et le niveau de difficulté réel de la tâche, en lien avec les contingences de la voie. A mon sens cela provient essentiellement du fait que cette élève considère qu’une grimpe effi-cace c’est avant tout « arriver au sommet sans temps d’arrêt ». En d’autres termes, elle se con-sidère en accord avec la demande professorale parce qu’elle prend en considération la partie « appendice9 » du contrat. Une telle construction du milieu didactique en escalade me semble être le fruit de plusieurs éléments. Tout d’abord, le milieu matériel est pléthorique en nombre de prises, ce qui ne faci-

9 « Partie ajoutée à une autre plus implicite dont elle constitue le prolongement, le complément ou l'accessoire ».

Un placement du pied D était envisageable au N7. Photo 1

La saisie de la prise située au N11 aurait du être privilégiée au... Photo 3

...placement du pied G au même niveau que le pied D, et...Photo 4

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...au placement de la main D sur la même prise que la main G. Cette unité d'actions motrices aurait aussi pu être évitée Photo 5.

Cette unité d'actions aurait pu être évitée. Photo 2

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lite pas une lecture discriminante de la grimpeuse. Ensuite, l’attention distante du professeur, préoccupé par le niveau d’engagement de tous les élèves, ne lui permet pas d’interpeller Na-dia sur la qualité de ses gestuelles. Une élève dont l’intérêt qualitatif vis-à-vis de sa grimpe apparaît d’autant plus accessoire que la variable didactique "grimper sans temps d’arrêt" n’a pas fait l’objet d’une explicitation conjointe. Arrivés aux termes de nos analyses, que pouvons-nous retenir des pratiques développées ici ? V. Éléments de synthèse comparatiste En géométrie l’activité professorale d’aide à l’identification de la bonne propriété s’organise à partir d’une forme de langages que l’on peut qualifier de questionnement en « entonnoir », au sens où l’enseignante procède par une succession d’interrogations, lesquelles sont censées permettre le cheminement des élèves jusqu’au « bon » choix de propriété. Parallèlement sont associés une intonation de voix et une récurrence du questionnement « Qui pense que c’est un parallélogramme ? Que deux ! trois, quatre élèves !? ». Dès lors, il devient difficile, pour un élève, d’exposer publiquement une réponse, s’il se perçoit en désaccord avec la demande professorale. Il reste que ce mode opératoire permet de maintenir une certaine fluidité au temps d’enseignement, tout comme il permet aux élèves de s’engager dans un jeu au moindre coût mathématique « La première, la seconde », ce qui permet de préserver leur face (Goffman, 1974). En escalade, en adoptant une attitude dubitative au moment où le professeur présente la situa-tion de grimpe sans temps d’arrêt, l’élève parvient à obtenir une révision à la baisse de l’exigence didactique de l’enseignant« ou alors un arrêt au milieu ». De plus en ne procédant pas une demande de précision sur la notion de temps d’arrêt, le champ des possibles reste lar-gement ouvert aux deux parties. Il devient ainsi possible, pour la grimpeuse, de produire un mode de déplacements peu en rup-ture avec ses schèmes (Schubauer-Leoni, 2007) usuels, sans pourtant se reconnaître en désac-cord avec la demande de l’enseignant. Parallèlement, du côté du professeur, la latitude d’action accordée à l’élève, à la fois parce qu’il ne procède pas à une lecture précise des conduites motrices et le fait qu’il reste évasif sur la variable « temps d’arrêt », lui permet d’être dans une position plus confortable, puisque le risque de non réussite de l’élève se trouve considérablement diminué. Mais cela lui permet également d’y voir, puisque l’élève agit et réussit à satisfaire à sa demande, la présence de savoir(s). Arrivés au terme de cette communication que pouvons-nous retenir des pratiques des acteurs en lien avec les notions d’efficacité et d’équité ? VI. Efficacité et équité en éducation : éléments de réflexion pour une approche compré-hensive de certaines pratiques didactiques Nous pouvons indéniablement reconnaître qu’en termes de compréhension, « rechercher la bonne propriété", "grimper au sommet d’une voie en marquant un temps d’arrêt », autrement dit, en regard des éléments « appendices » des contrats didactiques locaux, les pratiques des élèves étudiées font signes d’une certaine efficacité. Conjointement, l’activité professorale peut être admise comme guidée par un souci d’efficacité et d’accessibilité afin que les élèves parviennent à produire les « bonnes « ré-ponses. Pour autant il convient de relever que la compréhension d’une praxis mathématiques et d’une praxis de l’escalade reste aléatoire.

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Ici être efficace consiste, du côté des élèves, à adopter un comportement conforme aux règles opératoires précisées par les enseignants. Or, comme j’ai essayé de le montrer, ces règles, aussi indispensables soient-elles, ne sauraient suffire à rendre l’activité didactique des élèves efficiente. En fait, il semble que dans le cadre des pratiques analysées, les jeux auxquels jouent ces élèves ne sont pas, stricto sensu, la forme de jeu d’apprentissage attendue par les enseignants, mais une forme de jeux alternatifs (Rilhac, 2008) de :

- participation, où il s’agit avant tout de montrer son intérêt au jeu proposé par les en-seignants,

- d’ostension des savoirs. En géométrie il s’agira de déclamer des savoirs déclaratifs, alors qu’en escalade sera mise en avant l’exposition de pratiques techniques deman-dées par l’enseignant,

- de réciprocité dans le sens où l’engagement des élèves est proportionnel au fait que les enseignants réduisent le coût de l’engagement didactique,

- conformité où prédomine l’application stricte de règles édictées par les professeurs. Il reste à présent, après avoir mis en avant l’existence de formes de jeux alternatifs , et à pour-suivre l’exploration des jeux alternatifs et du processus d’altération dans les constituants à la fois épistémiques et psychiques de la relation didactique, à procéder à la mise en œuvre d’ingénieries didactiques en « responsabilité conjointe », pour tendre vers plus d’efficacité et d’équité en éducation. Bibliographie Amade-Escot, C & Marsenach, J. (Eds.). (1995). Didactique de l’éducation physique et spor-

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