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TRAITÉ D’ÉCONOMIE ET DE GESTION DE LA SANTÉSous la direction de Pierre-Louis Bras, Gérard de Pouvourville et Didier Tabuteau
L’actualité des questions économiques en matière de santé, le développement des politiques de santé, la multiplication des organismes de gestion, d’évaluation ou de contrôle du système, l’expansion des systèmes de gestion des informations et des dépenses de santé, la succession des réformes, l’émergence d’une Europe de la santé rendent indispensable un ouvrage répondant aux attentes des étudiants, des professionnels de santé, des gestionnnaires d’institutions de santé et des cadres des administrations sanitaires.
Ce Traité d’économie et de gestion de la santé rassemble l’ensemble des connais-sances de base nécessaires :
• à la compréhension des débats économiques sur la santé ;• à l’appréhension des politiques de régulation des dépenses de santé ;• à la gestion et au pilotage des principales institutions du système de santé.
Pour chacune des questions, il propose :
• le recours à un spécialiste reconnu du domaine, universitaire ou praticien ;• une vision synthétique des données concrètes, des théories qui permettent de
les interpréter, des débats qu’elles suscitent ;• l’état actualisé des connaissances ;• une bibliographie qui permet d’approfondir la réflexion.
Ce traité a ainsi vocation à devenir l’outil de référence pour analyser, comprendre et développer les politiques de santé.
Sous la direction de
Pierre-Louis Bras Gérard de Pouvourville
Didier Tabuteau
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9 782724 611144ISBN 978-2-7246-1114-4 – SODIS 721 873.4
80 €
Pierre-Louis Bras, ancien directeur de la sécurité sociale, est inspecteur général des affaires sociales et professeur associé à l’Université Paris-Ouest-Nanterre-La-Défense.
Gérard de Pouvourville est professeur à l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec), titulaire de la chaire Essec Santé.
Didier Tabuteau, conseiller d’État, est responsable de la chaire Santé de Sciences Po et du Centre d’analyse des politiques publiques de santé (Capps) de l’École des hautes études en santé publique (EHESP).
Hubert Allemand Jean-Marc Aubert
Sophie Béjean Paul Benkimoun
Emmanuel Bilbault Pierre-Louis Bras
Philippe Brunet Laurent Caussat
Mylène Chaleix Yves Charpak
Jean-Pierre Claveranne Caroline Conti
Gérard Cornilleau Édouard Couty
Elizabeth Docteur Brigitte Dormont
Michel DuéeMathieu Dufoix Gilles Duhamel
Isabelle Durand-Zaleski Mireille Elbaum
Michel Gagneux Isabelle Giri
Michel Grignon Alain Gubian
François Guillaumat-Tailliet Patrick Hassenteufel
Gilles Johanet Philippe Lamoureux Pierre-Jean Lancry
Thierry Lang Claude Lavigne Claude Le Pen
Annette Leclerc Natacha Lemaire
Alain Letourmy Dominique Martin Jacky Mathonnat Étienne Minvielle Jean-Paul Moatti
Pierre Moïse Olivier Obrecht
Lucile OlierZeynep Or
Bruno Palier Valérie Paris
Christophe Pascal Rémi Pellet
Marc Perronnin Sylvain PichettiDavid Piovesan
Maurice-Pierre PlanelDominique Polton
Nicolas Postel-Vinay Gérard de Pouvourville
Jean-Paul Prieur Denis Raynaud
Stéphane Rican Lise Rochaix
Victor G. Rodwin Gérard Salem
Bérengère Saliba-Serre Christian Saout
Guillaume Sarlat Didier TabuteauPhilippe UlmannBruno Ventelou Guillaume Vidal
Franck von Lennep Extrait de la publication
TRAITÉ D’ÉCONOMIE ET DE GESTION DE LA SANTÉ
Extrait de la publication
TRAITÉ D’ÉCONOMIE ET DE GESTION DE LA SANTÉSous la direction de
Pierre-Louis Bras, Gérard de Pouvourville et Didier Tabuteau
Préface de Philippe Séguin
Extrait de la publication
Catalogage Électre-Bibliographie (avec le concours de la Bibliothèque de Sciences Po)
Traité d’économie et de gestion de la santé / sous la direction de Pierre-Louis Bras, Gérard de Pouvourville et Didier Tabuteau – Paris : Presses de Sciences Po – Éditions de santé, 2009.
ISBN Presses de Sciences Po 978-2-7246-1114-4 ISBN Éditions de santé 978-2-8641-1234-5
RAMEAU : Économie de la santé : France Services de santé : France : 1990-… Politique sanitaire : France : 1990-… Santé publique : France : 1990-…
DEWEY : 614.1 : Santé publique. Généralités 362.1 : Hôpitaux – Centres médicaux
Public concerné : public intéressé
Photographie de Didier Tabuteau en couverture © Serge CanasseLes graphiques, cartes et organigrammes ont été réalisés par l’AFDEC.
La loi de 1957 sur la propriété intellectuelle interdit expressément la photocopie à usage collectif sans autorisa-tion des ayants droit (seule la photocopie à usage privé du copiste est autorisée).Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, du présent ouvrage est interdite sans autorisa-tion de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris).
© 2009, PRESSES DE LA FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES – ÉDITIONS DE SANTÉ
5
Préface 9 Philippe Séguin
Avant-propos 11 Pierre-Louis Bras, Gérard de Pouvourville, Didier Tabuteau
PARTIE 1 | LES PRINCIPES GÉNÉRAUX 1. L’économie de la santé : périmètre et questions de recherche 15 Gérard de Pouvourville
2. Petite histoire de l’économie de la santé 25 Lise Rochaix
3. Management en santé : recherches actuelles et enjeux de demain 35 Étienne Minvielle
4. Les fondements de la micro-économie de la santé : le marché de la médecine libérale 43 Sophie Béjean
5. La santé, facteur de croissance économique 53 Philippe Ulmann
6. Calcul économique et décision en santé 63 Claude Le Pen
7. Pourquoi et comment évaluer la performance des systèmes de santé ? 75 Zeynep Or
8. Droit de la santé et économie de la santé 83 Didier Tabuteau
PARTIE 2 | LES DÉPENSES DE SANTÉ 9. Un demi-siècle d’évolution des dépenses de santé : une analyse à l’aide des comptes de la santé 93 Laurent Caussat, Michel Duée
10. L’offre de soins en France : évolution et perspectives 107 Lucile Olier, Mylène Chaleix, François Guillaumat-Tailliet
Sommaire
6
11. Les déterminants individuels des dépenses de santé 115 Sylvain Pichetti, Denis Raynaud, Guillaume Vidal
12. Vieillissement et dépenses de santé 123 Brigitte Dormont
13. Innovation, recherche et santé 131 Isabelle Giri
14. Économie de la prévention 139 Philippe Lamoureux
15. Quel sera le coût de la santé demain ? 153 Gérard Cornilleau
PARTIE 3 | L’ACCÈS AUX SOINS 16. Quarante ans de financement de l’assurance maladie obligatoire 165 Alain Gubian
17. Inégalités spatiales de santé en France 181 Stéphane Rican, Gérard Salem
18. Les inégalités sociales en matière de santé et de soins 187 Annette Leclerc, Thierry Lang
19. Participation financière des patients et équilibre de l’assurance maladie 193 Mireille Elbaum
PARTIE 4 | LA MAÎTRISE DES DÉPENSES DE SANTÉ 20. La régulation par la concurrence entre assureurs 209 Michel Grignon
21. La révolution tranquille du managed care aux États-Unis 215 Victor G. Rodwin
22. Le disease management, une réponse au défi des maladies chroniques 225 Natacha Lemaire, Franck von Lennep
23. La gestion du risque 231 Jean-Marc Aubert, Dominique Polton
24. Le panier de soins 241 Isabelle Durand-Zaleski
25. Les restructurations dans le secteur hospitalier 247 Édouard Couty
26. La rémunération des médecins libéraux 255 Pierre-Louis Bras
27. Les politiques de prix des médicaments : une perspective internationale 263 Elizabeth Docteur, Pierre Moïse, Valérie Paris
28. Le financement des hôpitaux 269 Gérard de Pouvourville
29. L’échec de la régulation 275 Gilles Johanet
Extrait de la publication
7
PARTIE 5 | LA QUALITÉ 30. Les recommandations de bonne pratique 287 Olivier Obrecht
31. Évaluation et amélioration des pratiques de soins en médecine de ville : contribution de l’assurance maladie 297 Hubert Allemand, Jean-Paul Prieur
32. Évaluer et améliorer la qualité des soins dans les établissements de santé 307 Gilles Duhamel, Étienne Minvielle
33. Le coût du risque sanitaire 315 Dominique Martin, Didier Tabuteau
PARTIE 6 | LA GOUVERNANCE ET LES ACTEURS 34. La décision sanitaire 327 Didier Tabuteau
35. Les grands systèmes de protection maladie 337 Bruno Palier
36. L’Europe et la libre circulation des patients et des professionnels de santé 345 Philippe Brunet
37. L’Europe et la concurrence en matière de santé 353 Rémi Pellet
38. Le Parlement et les politiques de santé 361 Maurice-Pierre Planel
39. Le rôle de l’État dans la régulation de l’assurance maladie 369 Patrick Hassenteufel
40. L’assurance maladie en France : acteurs, rôles, responsabilités 379 Pierre-Jean Lancry
41. La couverture complémentaire santé en France 387 Marc Perronnin
42. Décentralisation et politique de santé 393 Pierre-Louis Bras
43. L’organisation des soins 401 Gérard de Pouvourville
44. L’exercice de la médecine de ville : entre changement et continuité 407 Bérengère Saliba-Serre, Bruno Ventelou
45. L’industrie pharmaceutique en France 415 Gérard de Pouvourville, Pierre-Louis Bras, Didier Tabuteau
46. La distribution du médicament en France 427 Gérard de Pouvourville, Caroline Conti, Emmanuel Bilbault
47. Les établissements de santé 435 Claude Lavigne
48. La gouvernance hospitalière à la croisée des chemins 447 Jean-Pierre Claveranne, Christophe Pascal, David Piovesan
49. Le rôle économique des usagers et de leurs associations 455 Christian Saout
Extrait de la publication
8
PARTIE 7 | L’INFORMATION DE SANTÉ 50. L’information du public 463 Paul Benkimoun
51. L’information des professionnels 469 Nicolas Postel-Vinay
52. Systèmes d’information et efficience du système de santé 477 Michel Gagneux
53. Information publique sur la qualité et comportement des patients 485 Étienne Minvielle
PARTIE 8 | MONDIALISATION ET SANTÉ 54. Systèmes de santé et accès aux soins dans les pays à faible revenu 495 Jacky Mathonnat
55. L’assurance maladie dans les pays en développement 505 Alain Letourmy
56. Concurrence des systèmes de santé 511 Mathieu Dufoix
57. L’OMS et la mondialisation des enjeux sanitaires 523 Yves Charpak
58. Économie de la santé dans les pays en développement : les apports de la lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria 531 Jean-Paul Moatti
59. Marchés financiers, protection sociale et assurance maladie 543 Guillaume Sarlat
Contributeurs 551
Liste des sigles 557
Extrait de la publication
9
Ce Traité d’économie et de gestion de la santé, que nous devons à Pierre-Louis Bras, Gérard de Pouvourville et Didier Tabuteau constituera à la fois un outil et une référence incomparables.
La santé, par son importance humaine, sociale et économique est en effet un sujet d’étude et de préoccupation inépuisable qui mobilise les com-pétences les plus diverses ainsi qu’en témoigne ce traité qui rassemble les contributions de nombreux chercheurs, médecins, hauts fonctionnaires.
Si rapprocher les termes économie et santé peut être jugé provoquant par ceux qui y voient la menace de la régulation, voire du rationnement, il n’en demeure pas moins qu’un secteur d’acti-vité qui pèse entre 7 et 15 % du PIB selon les pays constitue bien un sujet d’analyse économique.
Mais précisément, parce que la santé n’est pas un bien comme les autres et que la production de servi-ces de santé n’est pas réductible à celle d’autres ser-vices et biens de consommation, l’analyse ne peut pas être uniquement économique. Et c’est bien ce qui explique l’extrême difficulté à gérer ce domaine d’activités et la multiplication quasi exponentielle des réformes qui l’affectent depuis les années 1970.
Car la santé, avant d’être un système, un prélè-vement sur la richesse nationale, est un état qu’il convient de préserver ou de restaurer, dans l’in-térêt de la collectivité tout entière. C’est donc un investissement et pas seulement une dépense de consommation immédiate. Pour autant, cela ne
justifie pas que les dépenses actuelles soient finan-cées à crédit aux dépens des générations futures.
La dépense de santé vient en concurrence avec d’autres dépenses qui, pour être moins sensibles aux yeux des Français, n’en sont pas moins néces-saires pour maintenir la compétitivité économique du pays. Il n’est donc pas du tout illégitime de se préoccuper de la performance du système, c’est-à-dire de son efficacité, de sa capacité à répondre aux attentes des Français, en termes de disponibilité, de qualité et d’équité. Mais aussi de son efficience, c’est-à-dire de la bonne utilisation des moyens consacrés à la santé. Compte tenu de la part de PIB affectée à la santé, ne peut-on faire mieux sans augmenter les moyens ? Des pays qui consacrent moins de moyens à la santé n’ont pas de plus mau-vais résultats sanitaires que la France.
La Cour des comptes, dans ses rapports annuels sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, démontre que les réformes mises en œuvre depuis dix ou quinze ans consistent à retenir des solutions dont l’inspiration est étrangère à l’orga-nisation de notre système de soins. Dès lors, il ne faut pas s’étonner si les résultats sont modestes. C’est typiquement le cas du médecin traitant et du parcours de soins coordonné. Afin de ne pas por-ter atteinte aux libertés consacrées par la Charte de la médecine libérale de 1926, on ne fait que des demi-mesures. Mais ces libertés sont chèrement payées par les patients et les professionnels eux-mêmes. De même, chaque année, le Parlement
Préface
Extrait de la publication
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vote un objectif de dépenses d’assurance maladie dont le respect repose essentiellement sur des engagements de maîtrise dite médicalisée dont la réalisation est difficile à contrôler. Si des efforts ont bien été faits, se traduisant par des économies réelles, c’est insuffisant et très fragile.
L’assurance maladie finance l’emploi de près de deux millions de personnes. C’est dire le rôle éco-nomique qu’elle joue. Mais cela ne justifie pas de retarder les restructurations hospitalières, d’autant qu’il s’agit plus de redéployer les effectifs vers les priorités que d’en supprimer. De même, les pro-fessionnels de santé de ville doivent se réorganiser pour mieux assumer leurs missions, notamment la permanence des soins, tout en gagnant en qualité d’exercice professionnel et de vie personnelle.
Même si deux années de suite, les dépenses de santé ont augmenté moins vite que le PIB, on sait que la tendance est plutôt inverse du fait du coût du progrès technique et de la croissance du nom-bre de patients chroniques. La recherche de gains de productivité par de meilleures organisations et des tarifications revues, la redéfinition du panier de soins pris en charge, l’amélioration des prati-ques professionnelles grâce aux recommandations de bonnes pratiques, à l’évaluation, à la formation seront-elles suffisantes pour compenser la crois-sance de la demande ? Il faut savoir que le report sur les assurances complémentaires d’une part
croissante de dépenses risque d’avoir des effets antiredistributifs en raison du mode de tarifica-tion de ces assurances.
Cet ouvrage n’élude aucun des problèmes posés. Il fait à juste titre une place importante à la question du champ de la santé et à la prévention. Les progrès faits depuis quelques années dans l’information du public et par les campagnes de dépistages de certaines affections sont incontestables, même si l’organisation et le mode de rémunération de la médecine de ville ne sont pas favorables à la prise en charge de la prévention par les praticiens. La popu-lation est de plus en plus informée des risques pour la santé de certains comportements de consomma-tion et des mesures ont été prises, même si pour l’alcool, c’est nettement insuffisant. Mais il y a tous les risques dus à l’absorption ou l’inhalation de substances chimiques, dans la vie professionnelle agricole ou industrielle ou dans la vie courante. Il faut regretter que la prise de conscience ne soit encore le fait que de spécialistes et que face à de puissants intérêts économiques, on sacrifie la santé de demain aux profits du moment.
C’est assez dire que ce traité, par sa richesse, la diversité de ses approches, la pluridisciplinarité et la clarté des analyses devrait contribuer à une meilleure compréhension des enjeux de la santé en donnant à chacun les clés nécessaires pour péné-trer un domaine aussi complexe.
Philippe Séguin
Extrait de la publication
11
La santé et l’économie entretiennent des relations ambiguës. Soigner et compter ont, pendant long-temps, pu paraître antinomiques. À tel point que les hôpitaux étaient financés à guichet ouvert par des prix de journée et que le principe de « l’entente directe » confiait au colloque singulier le soin de fixer le tarif de la consultation médicale. Il est vrai que dans les années 1950, la consommation de soins et de biens médicaux représentait en France 2,5 % de la richesse nationale alors qu’elle en agrège désormais près de 9 %. En un quart de siè-cle, la société a appris que « la santé n’a pas de prix mais qu’elle a un coût ». Le mouvement a affecté l’ensemble des pays industrialisés et particulière-ment ceux disposant d’un système développé de protection sociale contre la maladie.
Le prurit réformateur qui en est résulté a été tout à fait exceptionnel. Les systèmes de santé ont été confrontés à des vagues de réformes affectant leur organisation, leurs modes de gestion, leurs méca-nismes de tarification, leurs principes de régula-tion. Budget global, tarification à l’activité, lettres clés flottantes, objectifs quantifiés de dépenses, disease management, managed care, parcours de soins, primary care trusts, rémunérations à la performance, décentralisation, planification, mise en concurrence, privatisation, politique contractuelle, évaluation médico-économique… les initiatives ont été multiples, parfois éphémè-res, souvent contradictoires. Les professionnels et institutions de santé ont vu certaines de leurs pratiques remises en cause, leurs règles de gestion
et leur environnement économique transformés ; les assurés sociaux et les malades ont été invités à modifier leurs habitudes et leurs comportements ; les financeurs ont dû imaginer de nouveaux méca-nismes de régulation et réviser leurs standards de financement ; les autorités publiques ont été contraintes d’assumer de manière récurrente des plans de maîtrise des dépenses impopulaires et rapidement dépassés.
Le dénominateur commun de ces réformes peut être trouvé dans l’émergence d’un dialogue, dis-cret mais réel, entre l’économie de la santé et la politique de santé. La branche de la science écono-mique dédiée à la santé s’est constituée et dévelop-pée au moment où le pouvoir politique se trouvait confronté à une attente sociale sans précédent en matière de santé et aux contraintes croissantes du financement des politiques sociales liées au ralen-tissement de la croissance. La réflexion économi-que a irrigué le secteur de la santé. La gestion des établissements hospitaliers s’est progressivement habituée aux instruments produits par la science économique, la médecine de ville s’est adaptée à des mécanismes de régulation ayant la même origine. Certes l’écart entre les préconisations des économistes de la santé et les réalisations des poli-tiques publiques peut paraître considérable. Il n’en reste pas moins que peu de secteurs ont connu une transition aussi rapide entre une situation d’incul-ture économique et une période d’omniprésence du débat économique.
Avant-propos
Extrait de la publication
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C’est pourquoi, il a semblé précieux de réunir dans un même traité les connaissances de base nécessaires à la compréhension des débats éco-nomiques sur la santé et des politiques publiques conduites en ce domaine mais aussi des conditions de pilotage et des principes de gestion des princi-paux acteurs du système de santé. Organisé sous forme d’articles synthétiques, l’ouvrage s’adresse à un public d’étudiants, de professionnels de santé ou de décideurs des organismes publics et privés intervenant sur le champ de la santé. Il cherche à apporter aux lecteurs, sur chaque thème, les données économiques, sociales, juridiques et politiques indispensables pour en mesurer la por-tée et en appréhender les ressorts mais également une présentation des principales questions et problématiques autour desquelles s’organisent les travaux des experts et des chercheurs.
Le traité a été structuré, dans un souci de clarté et de simplicité d’utilisation, en fonction des gran-des thématiques du débat public sur l’économie et
la gestion de la santé. Après une présentation des principes généraux de l’économie de la santé, sont successivement développées les questions liées à l’analyse des dépenses de santé, à l’accès aux soins et à la maîtrise des dépenses de santé. Les quatre dernières parties de l’ouvrage sont consacrées aux problématiques de la qualité, de la gouvernance, de l’information et de la mondialisation, détermi-nantes pour le fonctionnement et l’évolution du système de santé.
Puissent les auteurs, universitaires, chercheurs et praticiens, qui ont accepté de contribuer à cet ouvrage et de se plier aux exigences de l’article synthétique sur des questions aussi vastes que complexes, en être très chaleureusement et sin-cèrement remerciés. Puissent, enfin, les lecteurs de ce Traité d’économie et de gestion de la santé y trouver les informations et les connaissances qu’ils y cherchent mais aussi, peut-être, quelques clés pour faire évoluer et conforter une organisa-tion collective qui est au cœur du pacte social.
Pierre-Louis BrasGérard de Pouvourville
Didier Tabuteau
PARTIE 1
LES PRINCIPES GÉNÉRAUX
1. L’économie de la santé : périmètre et questions de recherche Gérard de Pouvourville
2. Petite histoire de l’économie de la santé Lise Rochaix
3. Management en santé : recherches actuelles et enjeux de demain Étienne Minvielle
4. Les fondements de la micro-économie de la santé : le marché de la médecine libérale Sophie Béjean
5. La santé, facteur de croissance économique Philippe Ulmann
6. Calcul économique et décision en santé Claude Le Pen
7. Pourquoi et comment évaluer la performance des systèmes de santé ?
Zeynep Or
8. Droit de la santé et économie de la santé Didier Tabuteau
Extrait de la publication
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1. L’irruption de l’économique dans le champ de la santé
On peut définir la science économique comme la science des choix dans un univers de contrainte sur les ressources mobilisées par l’activité des hom-mes ; il est donc légitime de comparer les différents usages qui sont faits de ces ressources en relation avec les bienfaits qu’ils apportent à la société. L’ir-ruption de l’économique dans le champ de la santé est un phénomène récent : il résulte, dans les pays développés, du passage graduel, durant la deuxième moitié du xxe siècle, d’une période au cours de laquelle les sociétés ont donné de façon consen-suelle une forte priorité dans l’allocation des fruits de la croissance aux dépenses des systèmes de soins (la part des dépenses de santé dans le PIB a doublé dans les pays de l’OCDE entre 1960 et 1990), à une période où cette priorité est de plus en plus remise en cause. Cette remise en cause est la résultante de l’action conjuguée de la mondialisation de l’éco-nomie et en particulier des marchés financiers, du développement excessivement rapide des connais-sances scientifiques dans le domaine de la santé et des technologies et du vieillissement de la popula-tion. Ces évolutions élargissent le champ d’action de la médecine et rendent les sociétés très sensibles à la nécessité de contrôler les dépenses publiques. Les choix d’emploi des ressources deviennent plus conflictuels. Pourquoi et pour qui sont-ils conflic-tuels ? Là s’ouvre la boîte de Pandore des questions des économistes.
Le débat est public et politique parce que la distri-bution des ressources au système de soins de santé est faite, dans la majorité des pays développés, sous contrôle public. Mais pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi y a-t-il conflit avec d’autres emplois des ressources publiques ? La santé ne s’impose-t-elle pas naturellement comme un bien supérieur aux autres ? Cependant, comment organiser des ser-vices de santé efficaces dans une société sans un minimum de paix civile ? De cohésion sociale ? Comment faire progresser les moyens thérapeuti-ques sans recherche, et donc sans système éduca-tif ? Il y a donc interdépendance entre les services collectifs. Ce qu’il faut rechercher est la répartition optimale des ressources entre ceux-ci. En a-t-on pour autant terminé avec le point de vue de l’éco-nomiste ? Non, car il faut encore s’assurer que les ressources mises à disposition sont bien utilisées, ont le meilleur rendement possible pour la société. Or, selon les méthodes utilisées pour allouer les res-sources entre les différents services de soins, pour financer les ressources collectives, on peut obser-ver des rendements plus ou moins bons. Par exem-ple, le paiement à l’acte est mis en cause à l’heure actuelle, car il inciterait les médecins à en faire plus d’actes qu’il n’est médicalement nécessaire.
Ce ne sont là que quelques-unes des questions que se posent les économistes de la santé depuis cinquante ans et qui aujourd’hui prennent le devant de la scène. L’objet de l’article est triple : tout d’abord décrire le champ de l’économie de
L'ÉCONOMIE DE LA SANTÉ : PÉRIMÈTRE ET QUESTIONS DE RECHERCHE
Gérard de Pouvourville* * Professeur à l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec), titulaire de la chaire Essec Santé
1
Extrait de la publication
16
TRAITÉ D’ÉCONOMIE ET DE GESTION DE LA SANTÉ
la santé, identifier les questions de recherche qui sont abordées dans cette discipline ; évoquer ensuite quelles sont les questions importantes de recherche pour demain. La dernière partie est nécessairement partielle et partiale.
2. Le champ de l’économie de la santé
On s’appuie pour cette présentation sur un modèle figuré du système de santé (cf. figure 1) (de Pouvourville et Contandriopoulos, 2000). La santé des individus et de la population est dans une société donnée façonnée par son environnement physique, organisationnel, économique et cultu-rel, par le patrimoine génétique, par les conditions de vie et la structure sociale qui prévalent ; mais aussi par la capacité du système de soins à diagnos-tiquer, prévenir, traiter les problèmes de santé et pallier les problèmes chroniques. Le bien-être de la population est dépendant de l’ensemble de ces facteurs. Le champ de l’économie de la santé peut se définir par rapport aux domaines couverts par le système de santé. C’est ce que nous avons illustré sur la figure 2 en proposant de découper les ques-tions qui sont abordées par l’économie de la santé en quatre grandes familles (Maynard et Kanavos, 2000) : les questions qui touchent la régulation du système de soins ; l’évaluation économique des actions de soins ; les relations entre l’activité économique et le système de soins et les relations réciproques qui existent entre la santé et le déve-loppement économique et social, c’est-à-dire tout le domaine des déterminants sociaux de la santé.
2.1 La régulation du système de soins
En première analyse, la santé peut être définie par l’absence de la maladie. Les services de soins de santé ont pris au cours du temps une place dominante dans l’offre de solutions permettant de restaurer un état de santé en agissant sur les causes premières et secondes de sa dégradation. Du point de vue de l’économiste, on délimite alors un premier domaine d’investigation, celui de la régulation du système de soins. Dans le champ de l’économie néoclassique, un article de Kenneth Arrow (1963), prix Nobel d’économie, a joué un rôle structurant dans le domaine de la
santé. Arrow s’est fondé sur l’observation de deux caractéristiques des biens et services offerts par les systèmes de soins pour montrer qu’il n’était pas possible d’aboutir à un équilibre général sur un marché de concurrence pure et parfaite pour ces biens. La première caractéristique est l’incertitude liée à la survenue de la maladie, la deuxième est l’ignorance du patient quant à la gravité de son état et à la nature de ses besoins de soins. Pour s’assurer d’un fonctionnement de ce marché de biens et services allant dans le sens de l’intérêt des « clients », il était donc nécessaire d’introduire des mécanismes de régulation définis et gérés au niveau collectif d’une société.
Une troisième spécificité de l’économie de la santé est l’existence de comportements « irra-tionnels », ou à risque, conduisant les individus à préférer le présent au futur, à ne pas adopter de comportements préventifs ; l’existence d’ex-ternalités positives, c’est-à-dire de situations où le comportement d’un individu a des retombées positives sur les autres, sans qu’il puisse pour autant leur en faire partager les coûts. Dans un tel contexte, une controverse centrale est celle de la place de mécanismes de concurrence tant en matière d’assurance maladie que d’offre de services de soins ; de façon induite, de la place que doivent tenir des mécanismes de responsa-bilisation des « usagers » (le ticket modérateur). Enfin, ce domaine de recherche inclut l’analyse économique du comportement à risque de santé des individus, comme le tabagisme, l’alcoolisme ou la conduite dangereuse.
2.2 L’évaluation économique des actions de soins
Le deuxième domaine de recherche – l’évaluation économique des actions de soins – est celui qui a eu la plus grande visibilité pour les professionnels du système de soins au cours des vingt dernières années, puisqu’il superpose à la décision clinique un critère de décision économique qui est celui de l’optimisation des ressources, une éthique collective de gestion de la rareté à une éthique de la respon-sabilité vis-à-vis de chaque patient. Dans ce cas, on admet que l’allocation des ressources est du ressort d’une instance tutélaire éclairée et bienveillante. Mais comment précisément éclairer ces décisions ?
Extrait de la publication
17
L'ÉCONOMIE DE LA SANTÉ : PÉRIMÈTRE ET QUESTIONS DE RECHERCHE
t n0
t n + 1
humaines, physiques,
financières, cognitives,techniques, sym
boliques
Comportem
ent de la personne m
alade
Conditions de vie
Patrimoine
génétique
Processus biologiques,psychiques et
comportem
entaux de régulation des relations
de l'individu avec l'environnem
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Position sociale
Comportem
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odalités de financement et de paiem
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Environnement culturel : valeurs, croyances, histoire...
Environnement physique : géographie, clim
at, techniques, habitat, transport, pollution, hygiène publique
État de santéet capacités fonctionnelles
des individus
Modifications
des problèmes de santé
Bien-être individuelProspérité
économique
Modalités organisationnelles du systèm
e de soins
Volumes, types et structure
des ressources
Problèmes
de santé
Utilisation des services de santé
Bien-être collectif
État de santéde la population
Modalité d'organisation de la société : institutions politiques, structures économ
iques, normes sociales
Figure 1 : Le système de santé
Extrait de la publication
18
TRAITÉ D’ÉCONOMIE ET DE GESTION DE LA SANTÉ
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L'ÉCONOMIE DE LA SANTÉ : PÉRIMÈTRE ET QUESTIONS DE RECHERCHE
Notamment, comment mesurer les états de santé résultant d’une action de soins ? Comment com-parer différents états de santé entre eux, pour pou-voir comparer les bénéfices de plusieurs actions de soins ? La réponse des économistes à cette question est le calcul économique public, dont l’objectif est de faire la balance, au niveau d’une société, entre le coût des ressources mobilisées pour une action de soins et les bénéfices que la collectivité peut en tirer. Pour connaître le détail des méthodes utilisées dans ce calcul, on se reportera à l’article de Claude Le Pen dans ce présent ouvrage (voir chapitre 6). Ce type de calcul, dit de coût-avantages, utilisé comme critère d’aide à la décision dans l’allocation des ressources au système de soins, propose de sélectionner les actions de soins en fonction, non plus de leur seule efficacité, mais aussi de leurs ren-dements globaux comparés.
2.3 Activité économique, système de soins et santé
Il existe par ailleurs des interdépendances mul-tiples entre l’activité économique au sein d’une société et le système de soins. Au premier niveau, le développement des soins est dépendant de la production de connaissances nouvelles en recher-che fondamentale, en recherche appliquée et en développement de technologies nouvelles. L’éco-nomie de la connaissance est l’objet d’un regain d’intérêt récent, eu égard au développement des recherches autour du génome et de ses applica-tions en matière de diagnostics et de thérapies. En effet, les frontières traditionnelles entre recherche publique et recherche privée sont de plus en plus brouillées, soulevant ainsi de nouveaux pro-blèmes théoriques et pratiques d’attribution de droits de propriété et donc de partage de la rente d’innovation.
L’économiste doit aussi s’intéresser aux consé-quences pathogènes des autres activités économi-ques, à leurs effets externes négatifs sur la santé des individus. Les domaines considérés sont par exemple l’environnement (par le biais de pollu-tions dangereuses pour la santé de l’homme ou des risques de catastrophes industrielles) et le milieu de travail. L’économiste peut alors poser la question de l’intervention sur ces actions en raisonnant au niveau micro-économique :
comment inciter l’industriel pollueur ou qui met en danger la santé de ses employés à adopter un comportement plus responsable ? Plusieurs types d’actions sont alors possibles, que l’économiste va comparer du point de vue de leur efficience pour la société : l’action réglementaire (par exemple l’interdiction d’utiliser une substance dangereuse), l’incitation économique, soit par la taxation-détaxation, soit par l’instauration d’un marché des droits à polluer.
Enfin, à un troisième niveau, il existe un lien entre la façon dont le système de soins est financé et le dynamisme d’une économie. Par exemple, il n’est pas indifférent, d’un point de vue macro- économique, de financer le système de soins par l’impôt général ou par un système de cotisations sociales assises sur les revenus du travail. En sim-plifiant, dans le second modèle, les cotisations sociales ont un impact direct et ex ante sur le coût d’un facteur de production, le travail, alors qu’en principe le prélèvement fiscal s’exerce ex post et de façon neutre par rapport aux facteurs de production. Dans le premier cas, contrairement au second, il y a donc effet direct et biaisé sur la compétitivité des entreprises.
2.4 Santé et développement économique et social
Mais l’économiste peut également poser cette question de façon plus générale, en ouvrant un autre champ de recherche. Quand il raisonne en termes d’incitations à mettre en place pour infléchir un comportement dans un sens donné, il fait l’hypothèse implicite d’un comportement rationnel de l’acteur face à signaux économiques positifs ou négatifs. Ce faisant, il fait abstraction du fait que la structuration de ces comportements puisse suivre une autre logique que celle du calcul des bénéfices et des sanctions matériels, logique qui les surdétermine. D’un point de vue épisté-mologique, on passe alors du paradigme de l’in-dividualisme méthodologique à celui du holisme. Le comportement des individus résulte alors de phénomènes de socialisation qui échappent en grande partie à leur conscience et à leur volonté. Si cette hypothèse est vraie, alors seules des trans-formations profondes du fonctionnement d’une société peuvent modifier les comportements des
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TRAITÉ D’ÉCONOMIE ET DE GESTION DE LA SANTÉ
individus, les incitations faisant appel à la raison générant des comportements de rejet, d’adapta-tion ou de contournement allant à l’encontre du but recherché. Le débat actuel en France sur les moyens d’améliorer la sécurité routière illustre cette opposition théorique.
Par ailleurs, ce champ de recherche conduit à sor-tir d’une conception de la santé comme absence de maladie. Certes, certains aspects du fonction-nement de la société sont générateurs de risques de maladies, de handicaps ou de mort pour les individus. Mais on peut à l’inverse observer que le fonctionnement de la société peut également être générateur de « bonne santé », au sens non seule-ment de la diminution des risques d’exposition à des agents pathogènes, mais aussi de renforcement des capacités de résistance des individus, de leur « capital santé », pour reprendre un terme utilisé par les économistes et passé dans le grand public. D’une façon générale, le lien entre développement économique d’une société et état de santé de la population est au cœur des travaux de recherche de l’école canadienne d’économie de la santé (Evans, Barer et Marmor, 1996), ainsi que des économistes qui travaillent sur les pays en voie de développement. Ces interrogations peuvent se traiter au niveau des comportements individuels : par exemple, l’offre par les grandes entreprises américaines de programmes d’assurance maladie attractifs aux employés qui acceptent d’adopter des comportements de santé vertueux. Elles peu-vent se traiter aussi au niveau collectif : on fait ici référence aux travaux sur la persistance des inégalités sociales devant la santé. Si l’on adopte cette perspective, on est conduit à postuler que le fonctionnement d’une société, indépendamment de son système de soins, peut avoir un impact important sur la capacité de ses membres à rester en bonne santé. On peut également postuler que d’autres grandes fonctions collectives, comme la sécurité, la justice et l’éducation, peuvent contri-buer à la santé des membres d’une société. Dès lors, pour l’économiste, se pose à nouveau la question de l’arbitrage en matière d’allocation des ressour-ces entre ces différentes fonctions. Sur le schéma, on a regroupé les questions qui précèdent sous le thème du lien entre la santé et le développement économique et social.
3. Les enjeux de la recherche en économie de la santé
3.1 Les déterminants sociaux de la santé des populations
Le système de soins a été l’enjeu principal des tra-vaux des cinquante dernières années, parce qu’il a été la principale réponse apportée par nos sociétés aux problèmes de santé et de maladie. Cependant, depuis dix ans, il y a eu renforcement et reformu-lation d’un courant ancien de recherche. Il s’agit principalement de travaux britanniques et cana-diens (Evans, Barer et Marmor 1996 ; Wilkinson, 1996), s’inscrivant dans une tradition holiste, mettant en relation les caractéristiques du fonc-tionnement des sociétés avec l’état de santé des populations. Renforcement, car une des questions principales abordées par ce courant de travaux est celle de la détermination sociale de la santé et de la maladie, question qui a toujours été étudiée dans le contexte français et européen, à partir du constat et de la persistance des inégalités sociales face à la maladie et à la mort. Le fait que ces inégalités per-sistent, et parfois même s’aggravent, alors même que l’accès financier au système de soins s’amélio-rait, témoignait en effet de phénomènes puissants dépassant les seules déterminations biologiques. La crise de financement des services de soins de santé conduisait alors à interpréter ces résultats comme la marque d’un rendement décroissant de ces services et donc à légitimer au niveau politique la maîtrise des dépenses des systèmes de soins. Reformulation, car les travaux de cette fin de siècle ont tenté de dépasser ce constat pour l’expliquer à deux niveaux, en recherchant systématiquement le lien entre l’environnement social des individus à tous les âges de la vie et les phénomènes biologi-ques susceptibles d’expliquer tant la bonne santé que la vulnérabilité à la maladie. Pour ce faire, ces travaux devaient nécessairement adopter une approche pluridisciplinaire. En effet, il fallait dis-poser de modèles d’analyse du fonctionnement social de la famille, de la communauté, du milieu de travail, voire du pays, étudier le lien entre ces modèles et la santé des personnes, ensuite tenter d’identifier les mécanismes biologiques à l’œuvre. Ces travaux ont donc mobilisé des méthodes et des concepts de la plupart des sciences humaines
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L'ÉCONOMIE DE LA SANTÉ : PÉRIMÈTRE ET QUESTIONS DE RECHERCHE
et sociales, de l’épidémiologie et des sciences de la vie, pour expliquer le lien entre facteurs sociaux, santé et maladie.
Cette reformulation s’est étendue à l’économie. En effet, ces travaux conduisaient à montrer qu’une distribution trop inégalitaire des revenus au sein d’une société était génératrice d’une dégradation de l’état de santé de sa population, mesurée par des indicateurs de mortalité et de morbidité. Ils montraient également l’importance des investisse-ments publics dans des services visant à améliorer le capital humain des individus, comme l’éduca-tion, la cohésion sociale ou la justice. Ils venaient renforcer les travaux qui avaient déjà montré que l’accroissement de la richesse des sociétés des pays développés, avec la sécurité matérielle qu’elle permettait pour le plus grand nombre, expliquait une grande part de l’allongement de la vie, sans doute plus grande que les progrès des services de soins. Du point de vue de l’économiste, cela signi-fie qu’il doit aussi s’intéresser aux effets redistri-butifs des politiques économiques, puisqu’elles peuvent contribuer ou non à la bonne santé d’une population. Cela implique que l’arbitrage entre les différentes dépenses collectives ne consiste pas nécessairement à opposer la santé à d’autres secteurs de l’intervention publique – la formation, la justice, la sécurité – mais que chacune de ces grandes fonctions collectives ont, elles aussi, un impact positif sur la santé.
L’examen du lien entre développement économi-que et social, d’une part, et santé de la population, d’autre part, a aussi ouvert au champ de l’analyse économique des thèmes de recherche, comme la santé au travail, les liens entre environnement physique et santé, et plus récemment les risques liés à l’alimentation. Et à chaque fois on retrouve, à l’origine d’un problème de santé, le comportement d’acteurs économiques qui ne sont pas tenus de prendre en compte, d’internaliser, les conséquen-ces sanitaires négatives de leurs décisions d’alloca-tion de ressources sur la population. Déterminer quels sont les modes de régulation de ces activités qui minimisent les risques induits est avant tout une question de recherche en économie, même si les autres sciences sociales peuvent apporter des compléments d’explication à des comportements
aux effets sanitaires négatifs. Un champ de recher-che s’est donc ouvert, qui considère la production de santé et de maladie au-delà du système de soins. Une des conséquences politiques importantes de cette prise de conscience est qu’il peut être aussi, voire plus rentable parfois d’investir ailleurs que dans le système de soins pour produire de la santé. Ceci a sans nul doute contribué à promouvoir l’idée qu’il était légitime de maîtriser les dépen-ses de soins, qui ne recouvrent qu’une partie des dépenses de santé.
3.2 L’économie de la recherche et de l’innovation
Mais il est aussi des domaines de recherche sur le système des soins qui ont encore été peu cou-verts. En particulier, les économistes de la santé ont travaillé sur la diffusion des innovations, mais peu sur la production de connaissances nouvelles par la recherche et sur l’articulation de cette dyna-mique avec le système de soins. Dans l’approche classique en économie, la connaissance est un bien indivisible, accessible à tous dès lors qu’elle a été divulguée. Pour que des agents économi-ques acceptent d’investir dans la production de cette connaissance, il faut alors leur offrir la pro-tection temporaire d’un brevet, équivalent à un monopole d’exploitation ; ou bien il faut que cette production soit financée par des fonds publics et la connaissance immédiatement diffusée à tous, à chance égale. Ces deux questions ont structuré pendant longtemps l’approche économique de la recherche. Mais les conditions de production de la connaissance et la nature des connaissances pro-duites dans la plupart des domaines scientifiques, et tout particulièrement dans les sciences de la vie, ont bousculé cette conception de la connaissance comme bien public pur. Des travaux appliqués, en sociologie de la science mais aussi en écono-mie, ont montré que non seulement la recherche mobilisait des réseaux hybrides d’acteurs publics et privés, mais que de surcroît ces collaborations étaient sans doute indispensables à l’accumulation de connaissances nouvelles et à leur transforma-tion en innovations (Callon, 1989 ; Cassier, 2000). Or, ces réseaux entraînaient non pas une égalité de traitement des agents économiques privés face au bien public que constitue la connaissance, mais bien des liens privilégiés, donc au moins
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