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© Encyclopædia Universalis France 1 TÉLÉCOMMUNICATIONS Histoire Écrit par René WALLSTEIN : ingénieur consultant Il n'y a pas de société sans communication. Et de tout temps celle-ci s'est heurtée au problème de la distance. Comment entrer rapidement en relation avec ceux qui sont sur une île voisine ou qui gardent les troupeaux dans la montagne ? Comment signaler l'arrivée de l'ennemi aux paysans pour qu'ils puissent se réfugier à temps dans l'enceinte fortifiée de la ville ? Comment coordonner les mouvements des troupes ou des bateaux sur un champ de bataille, appeler du renfort auprès d'alliés distants de plusieurs centaines de kilomètres, faire parvenir la nouvelle de la victoire à ceux qui sont restés au foyer ? Les premières chaînes de communication utilisaient des signaux sonores et lumineux, et mettaient en jeu des techniques et des moyens qui répondaient essentiellement à des besoins de voisinage. Elles ne permettaient que la transmission de messages rudimentaires. Il a fallu attendre le XVIII e siècle – le siècle des Lumières – et les progrès dans la connaissance des phénomènes naturels, pour que de véritables réseaux de télécommunication apparaissent, en réponse à des besoins de communication de plus en plus pressants et dépassant désormais le cadre local ou régional. Parti de Paris, le souffle de la Révolution secoue toute l'Europe et nécessite, entre les belligérants, des communications rapides et sûres sur des centaines de kilomètres. Avec la croissance très importante des échanges nationaux et internationaux en Europe et avec le Nouveau Monde, la circulation rapide de l'information devient également cruciale pour le développement des relations. On peut dire que les réseaux de télécommunications sont nés en 1793 avec le télégraphe optique du Français Claude Chappe. En quelques décennies, la France installera des milliers de kilomètres de lignes, rapidement imitée par les grands pays européens et même les États-Unis. À partir de 1840, le télégraphe optique sera délaissé au profit du télégraphe électrique dont la vitesse, la portée et la facilité d'utilisation vont entraîner une croissance phénoménale du nombre de lignes, à tel point qu'en quelque cinquante ans, il va quadriller les pays du monde occidental et d'Amérique du Nord, et même interconnecter les trois continents : l'Europe, l'Amérique et l'Asie. La connaissance des phénomènes électriques va ensuite favoriser l'apparition du réseau téléphonique filaire à la fin des années 1870. La découverte des ondes électromagnétiques puis les progrès dans l'électronique donneront naissance vingt ans plus tard aux communications sans fil ou radiocommunications. Cette technique, qui ne cessera d'évoluer, permettra le développement de la télégraphie sans fil (T.S.F.) au début du XX e siècle, de la radiodiffusion sonore et du radiotéléphone à partir de 1920, puis de la télévision à partir de 1930. Elle servira aussi pour la mise en place d'artères de transmission par faisceaux hertziens à partir de 1940, pour les télécommunications par satellites à partir de 1960, et enfin pour le radiotéléphone cellulaire qui connaît, depuis 1990, une croissance spectaculaire.

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© Encyclopædia Universalis France 1

TÉLÉCOMMUNICATIONSHistoire

Écrit par

René WALLSTEIN : ingénieur consultant

Il n'y a pas de société sans communication. Et de tout temps celle-ci s'est heurtée au problème dela distance. Comment entrer rapidement en relation avec ceux qui sont sur une île voisine ou quigardent les troupeaux dans la montagne ? Comment signaler l'arrivée de l'ennemi aux paysans pourqu'ils puissent se réfugier à temps dans l'enceinte fortifiée de la ville ? Comment coordonner lesmouvements des troupes ou des bateaux sur un champ de bataille, appeler du renfort auprès d'alliésdistants de plusieurs centaines de kilomètres, faire parvenir la nouvelle de la victoire à ceux qui sontrestés au foyer ?

Les premières chaînes de communication utilisaient des signaux sonores et lumineux, et mettaienten jeu des techniques et des moyens qui répondaient essentiellement à des besoins de voisinage.Elles ne permettaient que la transmission de messages rudimentaires. Il a fallu attendre leXVIIIe siècle – le siècle des Lumières – et les progrès dans la connaissance des phénomènes naturels,pour que de véritables réseaux de télécommunication apparaissent, en réponse à des besoins decommunication de plus en plus pressants et dépassant désormais le cadre local ou régional. Parti deParis, le souffle de la Révolution secoue toute l'Europe et nécessite, entre les belligérants, descommunications rapides et sûres sur des centaines de kilomètres. Avec la croissance très importantedes échanges nationaux et internationaux en Europe et avec le Nouveau Monde, la circulation rapidede l'information devient également cruciale pour le développement des relations.

On peut dire que les réseaux de télécommunications sont nés en 1793 avec le télégraphe optiquedu Français Claude Chappe. En quelques décennies, la France installera des milliers de kilomètresde lignes, rapidement imitée par les grands pays européens et même les États-Unis. À partir de1840, le télégraphe optique sera délaissé au profit du télégraphe électrique dont la vitesse, la portéeet la facilité d'utilisation vont entraîner une croissance phénoménale du nombre de lignes, à tel pointqu'en quelque cinquante ans, il va quadriller les pays du monde occidental et d'Amérique du Nord,et même interconnecter les trois continents : l'Europe, l'Amérique et l'Asie. La connaissance desphénomènes électriques va ensuite favoriser l'apparition du réseau téléphonique filaire à la fin desannées 1870. La découverte des ondes électromagnétiques puis les progrès dans l'électroniquedonneront naissance vingt ans plus tard aux communications sans fil ou radiocommunications. Cettetechnique, qui ne cessera d'évoluer, permettra le développement de la télégraphie sans fil (T.S.F.)au début du XXe siècle, de la radiodiffusion sonore et du radiotéléphone à partir de 1920, puis de latélévision à partir de 1930. Elle servira aussi pour la mise en place d'artères de transmission parfaisceaux hertziens à partir de 1940, pour les télécommunications par satellites à partir de 1960, etenfin pour le radiotéléphone cellulaire qui connaît, depuis 1990, une croissance spectaculaire.

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Télégraphe optique : premiers essais

Représentation de la première expérience publique du télégraphe de Chappe le 2 mars1791 dans la Sarthe. À ses débuts, ce système de transmission des messages s'effectuaitgrâce à deux cadrans mobiles dotés d'aiguilles et de chiffres. Il évolua ensuite vers unsystème comportant trois...

Crédits : AKG

Télévision, 1935

Première émission publique de télévision en Allemagne, au musée impérial de la poste àBerlin, en avril 1935.

Crédits : AKG

L'ensemble de ces moyens de télécommunication couvre aujourd'hui toute notre planète d'un réseaudense de dizaines de milliers de centraux de commutation de tous types, interconnectés par desmillions de kilomètres d'artères de transmission de toutes sortes sur la terre, sous la mer, et dansl'espace. Grâce à cette structure réticulée, qui souffre encore de fortes disparités entre pays, chaqueindividu peut, pratiquement en n'importe quel lieu, écouter la radio, peut-être regarder la télévision,voire entrer en communication avec l'un de ses semblables, où qu'il se trouve. Le bonfonctionnement de cet ensemble mobilise en permanence des centaines de milliers de techniciens.

Les réseaux de télécommunication, souvent assimilés au système nerveux de la planète, constituentla plus grande et la plus complexe des machines jamais conçues par l'homme.

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Les premières techniques

Sifflets, tambours, trompettes et... iodlers

La portée des sons articulés de la voix est au mieux de quelques centaines de mètres. Des artificesont permis de l'étendre à plusieurs kilomètres. Ainsi les touristes visitant l'Autriche n'imaginent sansdoute pas que les chants des iodlers tyroliens sont issus d'une technique mise au point dans lesvallées alpines pour communiquer avec les bergers dans la montagne. Aux Canaries et au Paysbasque, le langage sifflé a été utilisé pendant des siècles pour communiquer à travers les vallées. Lamise en œuvre d'instruments a aussi permis d'augmenter la portée des signaux sonores. Lestrompettes et les tambours servent depuis la nuit des temps à transmettre les nouvelles ainsi que lesordres sur les champs de bataille. Mais, malgré l'ingéniosité des hommes, la portée des signauxsonores est restée faible.

Les sémaphores

Les signaux visuels ou lumineux, qui peuvent être vus jusqu'à une dizaine de kilomètres, ont aussiété utilisés par nos ancêtres pour communiquer. La couleur de la voile hissée par les navires sur leretour permettait de faire connaître l'issue d'une expédition plusieurs heures avant l'arrivée au port.Au sommet de tours situées sur les hauteurs, des brasiers permettaient de communiquer entre lesîles dans la Grèce antique. Vers 283 avant J.-C., le phare d'Alexandrie projetait ses feux jusqu'à55 kilomètres au large, indiquant aux bateaux la direction de la ville des Ptolémée. À Rome, les bas-reliefs de la colonne Trajane, qui retracent la campagne contre les Daces du grand empereur,montrent une tour de garde et de communication avec une torche lumineuse nettementreconnaissable .

La communication entre bateaux par signaux sémaphores (avec des fanions ou des spots lumineux)est de nos jours encore employée dans certaines conditions. Sur terre, la communication à distancepar signaux de fumée des Indiens d'Amérique du Nord est connue de tous les lecteurs de bandedessinée.

Avec ces techniques basées sur le son et la lumière, aussi ingénieuses qu'elles fussent, lacommunication était limitée à la zone locale. Au-delà de quelques kilomètres pour les signauxsonores, quelques dizaines de kilomètres pour les signaux lumineux, il faut recourir à des relais quirépètent l'information pour l'acheminer de proche en proche à destination. Pour les grandesdistances, cela suppose la mise en place et le bon fonctionnement de toute une infrastructure decommunication. De telles organisations ont fonctionné dans la Grèce antique, à l'époque desRomains ou plus récemment au Moyen Âge, ou encore en Chine, le long de la Grande Muraille. Maisaucune ne s'était systématisée au point de déboucher sur un véritable réseau, malgré des besoinsqui se faisaient cruellement sentir.

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Le télégraphe optique

C'est la nécessité de transmettre rapidement des informations sur de grandes distances qui devaitconduire au développement des réseaux de télécommunication et notamment au premier du genre :le télégraphe de Chappe. Ce système, présenté par Claude Chappe (1763-1805) à la tribune del'Assemblée législative le 22 mars 1792, est basé sur la transmission de messages entre des stationsespacées d'une dizaine de kilomètres et situées sur des points élevés. Il a bénéficié, d'une part, de lamise au point de la lunette astronomique par un opticien de Londres (John Dollond) vers 1758, cequi a permis de discerner des détails à grande distance, et, d'autre part, du contexte très porteur dela Révolution française. La France était alors entourée d'ennemis qui tentaient d'étouffer par lesarmes la propagation des idées de la Révolution. La transmission rapide de nouvelles des nombreuxfronts de guerre qu'elle devait entretenir devenait alors vitale pour la république naissante.

Un dispositif à bras articulés associé à un système secret de codage

Le télégraphe de Chappe est constitué de trois bras articulés montés au sommet d'un mât d'environsept mètres de hauteur coiffant une tour. L'orientation des bras peut être commandée depuis le piedde la tour par un opérateur grâce à des manettes et un mécanisme de courroies et de poulies. Lebras principal, ou régulateur, sorte d'immense fléau de balance d'environ 4,50 mètres de longueur,peut prendre quatre positions : horizontale, verticale et inclinée à plus et moins 45. À chaqueextrémité du régulateur, un bras plus petit, ou indicateur, d'environ 2 mètres de longueur, peutprendre sept positions de 45 en 45 (la première à 45, la deuxième à 90, et ainsi de suite jusqu'à laseptième à 315). L'ensemble, peint en noir, peut former 196 figures (4 × 7 × 7) nettementreconnaissables sur le fond du ciel : 92 sont utilisées pour la transmission des dépêches, les autresservent pour le protocole de transmission (permettant à l'émetteur de s'assurer que le récepteur abien reçu le signal) entre tours adjacentes et pour les nombreux messages de service nécessaires aubon fonctionnement des lignes (par exemple : urgence, dérangement, petite activité, grande activité,congé d'un quart d'heure, etc.).

Télégraphe optique de Claude Chappe

Né à la fin du XVIIIe siècle, le télégraphe de Chappe à bras articulés, associé à un systèmede codage des messages, a été le premier système efficace pour transmettre, sur unegrande distance, des messages élaborés.

Crédits : Louis Figuier / Coll. M. Siméon

Le système de Chappe s'est révélé beaucoup plus efficace que ceux qui avaient été imaginés jusque-là, en général basés sur la transmission individuelle des lettres du message (indiquées au relaisdistant par des figures géantes ou un système de pointage à l'aide d'une aiguille sur un cadran).

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Chappe a en effet associé aux 92 signaux utiles un système de codage : pour envoyer un mot ougroupe de mots, il suffisait de deux signaux, le premier indiquant une page parmi 92 d'un lexique, lesecond, un mot ou un groupe de mots parmi 92 dans la page. Les dépêches étaient codées etdécodées uniquement au départ et à l'arrivée par des personnes de confiance (les directeurs). Lecode, tenu secret, était inconnu du personnel (les stationnaires) qui opérait dans les tours-relais. Leprincipe du lexique de Chappe était suffisamment souple pour pouvoir être adapté et enrichi au furet à mesure, en fonction des besoins et de l'expérience.

Un réseau édifié à des fins principalement militaires

Après avoir démontré la validité de son système dans sa commune natale de Brûlon dans la Sarthe,Chappe sut obtenir des crédits de la Convention pour construire une ligne d'essai et dedémonstration entre Ménilmontant, colline dominant Paris, et Saint-Martin-du-Tertre, distante d'unetrentaine de kilomètres, avec un relais intermédiaire à Écouen. Le 12 juillet 1793 la transmission futun succès. La première ligne opérationnelle (longue de 230 km entre Paris et Lille) révélaimmédiatement l'importance stratégique des télécommunications à travers le message transmis le30 août 1794 : « Condé restituée à la République. La reddition a eu lieu ce matin à 6 heures »,dépêche signifiant la reprise de Condé-sur-l'Escaut aux Autrichiens par les troupes de la Républiqueet que Lazare Carnot lut le même jour devant la Convention. Désormais les nouvelles allaientpouvoir voyager à la vitesse, incroyable pour l'époque, de 500 kilomètres par heure.

Télécommunications : station du télégraphe de Chappe

Gravure de la première station de la ligne Paris-Lille du télégraphe de Chappe (mise enservice en 1794), installée sur le pavillon de l'Horloge du palais du Louvre, à proximitéimmédiate des Tuileries où tenait séance la Convention. Cette dernière pouvait ainsi êtrerapidement informée...

Crédits : SHPTA

Dans l'euphorie, la construction d'autres lignes est décidée. Mais bientôt, la situation stratégiques'étant retournée en faveur du régime et l'argent venant à manquer, le rythme des constructionsralentit, certains projets sont même abandonnés. Les travaux vont néanmoins se poursuivre pendantplusieurs décennies, grâce à l'opiniâtreté des frères Chappe, et déboucheront sur la mise en placed'un véritable réseau reliant les grandes villes en France et jusque dans les pays limitrophes (fig. 1).Mais à partir de 1840, les progrès de la télégraphie électrique et le développement du chemin de fervont progressivement mettre un terme aux travaux engagés.

Réseau du télégraphe de Chappe (1793-1850)

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À son apogée, le réseau du télégraphe optique de Chappe, installé entre 1793 et 1842,s'étendait sur toute la France et jusque dans les pays limitrophes, desservant 29 villes àtravers 534 stations et 5000 kilomètres de lignes (source: J.-C. Bastian).

Crédits : Encyclopædia Universalis France

Le réseau de télégraphie optique français était entièrement réservé aux communications militaireset gouvernementales (pendant un temps, il a aussi servi à transmettre les résultats de la loterienationale pour assurer sa survie économique). D'ailleurs toutes les lignes, sauf la transversale duSud, partaient de Paris et, en cas de collision, c'est la dépêche venant de la capitale qui étaitprioritaire. Ce réseau n'a jamais été ouvert au public. En 1837, une loi établit le monopole de l'Étatsur la transmission des informations à distance, monopole qui n'a été aboli qu'en 1987 par la loi surla déréglementation des télécommunications. Abolition en fait toute relative puisque l'État conservetoujours la haute main sur les télécommunications à travers les licences d'exploitation qu'il accordeà des entreprises privées.

Les débuts de l'Administration des télécommunications

En 1844, à la veille de l'ère du télégraphe électrique, la France disposait d'un réseau de5 000 kilomètres de lignes avec 534 stations de relais desservant 29 villes. On imagine bien tout lepersonnel, toutes les procédures, bref toute l'Administration qu'il faut pour prendre les dépêches, lescoder, les transmettre, les toiletter à intervalles réguliers afin d'éliminer les inévitables erreurs detransmission, les déchiffrer à l'arrivée et les faire parvenir à leur destinataire ; on imagine aussitoute la discipline nécessaire pour assurer le bon fonctionnement des relais : leur entretien, leurréparation en cas de panne, le maintien à poste, du lever au coucher du soleil, des stationnaires (engénéral des paysans). Toute cette organisation a été mise en place par Claude Chappe et surtout sesquatre frères qui furent à la tête de cette entreprise publique jusqu'en 1831.

Des réseaux similaires à l'étranger

Le télégraphe optique français eut un grand retentissement dans les autres pays. Il suscita lacréation de réseaux similaires dans toute l'Europe : l'Espagne, l'Italie, la Belgique, la Hollande, leDanemark et la Russie adoptèrent des systèmes basés sur la technique française. L'Angleterre et laSuède, quant à elles, développèrent des systèmes un peu différents, mieux adaptés au tempsbrumeux de leurs climats. Les États-Unis mirent également en place, entre 1800 et 1812, un telréseau le long de la côte est. Mais dans aucun de ces pays, le réseau de télégraphie optique n'aatteint l'ampleur du réseau français. Ce dernier, malgré ses faiblesses (le service s'interrompait denuit et en cas de brouillard), resta en service jusqu'en 1859, où la dernière ligne est définitivementarrêtée, bien après l'arrivée du télégraphe électrique.

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Le télégraphe électrique

Si l'histoire du télégraphe optique peut, dans une certaine mesure, être rattachée aux travaux d'unhomme ou plutôt d'une famille, celle du télégraphe électrique résulte autant des progrès dans laconnaissance des phénomènes électriques que de l'ingéniosité de nombreux pionniers passionnéspar la transmission d'information à distance. On peut même dire que la science de l'électricité a étéélaborée pratiquement en même temps que ses applications aux télécommunications.

Les premiers essais

La capacité des phénomènes électriques de se manifester à grande distance de la source quand onutilise des corps conducteurs a fait travailler l'imagination des inventeurs. Il suffit en effet dedétecter dans l'installation distante la présence ou l'absence de courant pour transmettre desinformations. En 1820, le Danois Hans Christian Œrsted découvre que le « courant électrique »dévie une aiguille magnétique, le sens de la déviation dépendant du sens du courant. La mêmeannée, le Français André-Marie Ampère invente l'électroaimant qui met en œuvre ce principe, etpropose de l'utiliser pour la communication à distance dans un dispositif comportant autant de filsqu'il y a de lettres différentes à transmettre... donc difficile, sinon impossible à réaliser. Lesdécouvertes essentielles sont alors acquises, mais de nombreux progrès seront encore nécessairespour arriver à un système viable et fiable.

La première démonstration d'un télégraphe électrique a lieu le 21 octobre 1832 à Saint-Pétersbourgdevant le tsar Nicolas 1er, par un diplomate russe, le baron Paul Schilling von Canstadt. Le dispositifest basé sur le principe de la déviation d'aiguilles aimantées par le courant électrique. Schillingdevait malheureusement disparaître prématurément en 1837, mais ses travaux lancèrent lemouvement en Allemagne et en Angleterre.

S'inspirant des idées de Schilling, les Allemands Karl Friedrich Gauss et Wilhelm Weber réalisèrenten 1833 la première liaison de télégraphie électrique opérationnelle. Leur ligne fonctionna jusqu'en1838 entre un laboratoire de l'université de Göttingen et l'observatoire astronomique, à unkilomètre de là. Curieusement, ce système n'eut jamais de suite. C'est en Angleterre et aux États-Unis, à peu d'années d'intervalle, que les premières liaisons virent le jour.

Le premier système commercial en Angleterre

En 1836, un officier de retour de l'armée des Indes, William Cooke, rapporte en Angleterre unexemplaire du dispositif de Schilling qu'il s'était procuré en Allemagne à l'université de Heidelberg.Il s'associe avec un universitaire, Charles Wheatstone, pour perfectionner et exploiter cetteinvention. Le 12 juillet 1837, les deux hommes font une démonstration dans les faubourgs nord deLondres, sur une liaison de deux kilomètres, devant des représentants de la nouvelle compagnie dechemin de fer Londres-Birmingham. Ce n'est pas l'enthousiasme, malgré l'important besoin decommuniquer entre les gares avec le développement du trafic ferroviaire. Ils réussissent finalementà intéresser une compagnie concurrente et le 1er janvier 1839, la première ligne de télégraphie

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électrique, d'une longueur de vingt kilomètres, est mise en service le long d'un chemin de fer entreLondres et sa banlieue.

Le système de Cooke et Wheatstone est encore complexe : il utilise six fils qui actionnent cinqaiguilles aimantées dont les déviations permettent de désigner les lettres de l'alphabet quel'opérateur distant doit noter au fur et à mesure. Il sera progressivement simplifié pour ne pluscomporter que deux puis une seule aiguille et un seul fil, le retour se faisant par la terre. Cooke etWheatstone adopteront aussi le principe du codage des lettres inventé par l'Américain SamuelMorse.

Grâce à Cooke et Wheatstone, l'Angleterre déploiera un réseau de télégraphie électrique avecpratiquement cinq ans d'avance sur les autres pays. On estime qu'en 1852 le réseau anglaiss'étendait déjà sur 6 000 kilomètres.

Un système et un nouvel alphabet aux États-Unis

Pendant cette période, aux États-Unis, un artiste peintre, Samuel Morse (1791-1872), s'intéresse, àtitre de curiosité, aux phénomènes électriques et à leur exploitation pour la communication àdistance. C'est en 1832, sur le bateau qui le ramène aux États-Unis après un voyage en Europe pourétudier la peinture, qu'il jette les bases de son système. En 1837, il s'associe avec Alfred Vail dontles talents d'inventeur et de mécanicien vont donner naissance au système auquel Morse a attachéson nom. Après de nombreux tâtonnements, Vail et Morse s'arrêtent en 1838 sur un système où lescaractères des dépêches sont transmis manuellement.

L'opérateur, à l'aide d'un levier à ressort, ferme un contact pour envoyer une combinaisond'impulsions brèves et longues de courant entre deux lignes (ou entre une ligne et la terre) suivantun code élaboré par Morse et qui est encore utilisé occasionnellement de nos jours. À l'autreextrémité, le récepteur actionne un système enregistreur qui, grâce à un électroaimant (c'est sonoriginalité par rapport au système de Cooke-Wheatstone), grave sur un ruban des traits et des pointscorrespondant aux caractères transmis. Morse et Vail ont dû batailler durant sept ans pour arriver àintéresser les pouvoirs publics et les investisseurs à leur système. La première ligne interurbaine estfinalement mise en service aux États-Unis en mai 1844 entre Washington et Baltimore, distanted'une soixantaine de kilomètres.

Le déploiement du réseau

En 1845, le Congrès américain ouvre les lignes du télégraphe aux compagnies privées.Progressivement, le télégraphe électrique déploie ses poteaux et ses fils électriques, d'abord le longdes voies de chemin de fer puis à travers la campagne pour relier les grandes agglomérations. En1850, quelque 35 000 kilomètres de lignes sont en service le long des voies ferrées. Aux États-Unis,le télégraphe sera intimement lié à la conquête de l'Ouest et jouera un rôle important durant laguerre de Sécession.

À partir de 1845, tous les pays européens s'intéressent aussi au télégraphe électrique. Des lignessont installées aux Pays-Bas, en Allemagne, en Autriche-Hongrie, en Italie, en Russie. En France,

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une liaison d'essai est mise en service en 1845 le long du chemin de fer entre Paris et Rouen. Mais ledéploiement de ce nouveau système est entravé durant quelques années par le réseau du télégraphede Chappe. Ce n'est qu'à partir de 1850 qu'il prendra son véritable essor, en suivant ledéveloppement du chemin de fer.

À partir de 1850, en parallèle avec la couverture des pays, des liaisons internationales, voireintercontinentales, sont créées. Le premier câble sous-marin est mis en service régulier entre laFrance et l'Angleterre en 1850. En 1858, on réussit à relier l'Europe et l'Amérique du Nord à travers3 250 kilomètres de câble sous-marin entre l'Irlande et Terre-Neuve. Mais le service s'interrompt aubout d'un mois à la suite d'une fausse manœuvre ; il ne pourra être rétabli, après moult péripéties,qu'à partir de 1866 avec un nouveau câble. Entre 1867 et 1870, l'Allemand Werner Siemensconstruit une ligne intercontinentale entre l'Europe et l'Asie, de Londres à Calcutta en passant parles grandes capitales : Berlin, Varsovie, Odessa, Téhéran, Karachi...

La naissance de la normalisation

Le déploiement de liaisons entre pays nécessite évidemment qu'on utilise le même système decodage des télégrammes au départ et à l'arrivée. Des accords bilatéraux entre pays limitrophes sontd'abord signés pour l'établissement de lignes. Le mouvement prenant de l'ampleur, il s'organise.Après plusieurs conférences internationales préliminaires, une vingtaine de pays s'associent en 1865pour créer l'Union télégraphique internationale chargée de mettre de l'ordre dans la multitude dessystèmes et d'établir des normes pour faciliter la communication entre les pays. Sa premièredécision fut de normaliser le code inventé par Morse.

Des messages imprimés en clair

Durant ces années de déploiement, de nombreuses améliorations sont apportées au télégrapheélectrique. Les efforts portent tout d'abord sur le récepteur. En résolvant le difficile problème dusynchronisme de fonctionnement entre le récepteur et l'émetteur, l'Américain David Hughesparvient à assurer une impression correcte et directe (en clair) des messages transmis. En 1855, ilprésente le premier télégraphe imprimeur dont le fonctionnement donne satisfaction. Pour desquestions de brevets, ce système ne fut pas exploité aux États-Unis, mais connut un grand succèsdans certains pays européens, notamment en Angleterre et en France où l'appareil resta en servicejusqu'en 1948. Il permit immédiatement de porter la vitesse de transmission des dépêches àplusieurs dizaines de mots à la minute.

L'apport d'Émile Baudot

En 1874, le système de Hughes est perfectionné par le Français Émile Baudot (1845-1903) qui al'idée, révolutionnaire à l'époque, de coder les caractères à transmettre avec cinq électroaimants (cequi permet de différencier 25 = 32 caractères). Pour l'émission, il adopte aussi la commande parruban perforé (inventée par Wheatstone quelques années auparavant). Le ruban comporte des codesà trous sur cinq positions ; chaque position trouée entraîne une action sur l'électroaimant qui lui est

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associé (fig. 2). Lors de l'émission, un lecteur lit les codes successifs sur la bande et, selon lacombinaison de trous, actionne un ou plusieurs des cinq électroaimants. Un mécanisme de camestournantes branche sur la ligne à tour de rôle chacun des cinq électroaimants, et, selon qu'il est enposition actionnée ou non, au moment où il est branché sur la ligne, une impulsion de courant estémise ou non. Baudot obtient de la sorte un motif d'impulsions de courant, séparées d'intervalles desilence, qui est spécifique à chaque caractère émis (technique de transmission en série del'information). À l'arrivée, dans le récepteur, un autre mécanisme de cames tournantes connecte laligne à tour de rôle vers cinq autres électroaimants, en synchronisme avec l'émetteur (pour remettrel'information en parallèle). Cela permet de restituer la combinaison émise et d'imprimer le caractèrecorrespondant sur un ruban.

Principe de la transmission en série inventée par Émile Baudot en 1874

Émile Baudot (1845-1903) eut le premier l'idée de coder chaque caractère typographiqued'une dépêche avec un ensemble de cinq électroaimants, qui, selon qu'ils sont excités ounon, peuvent former 32 combinaisons ou codes à 5 positions. Pour chaque code, unmécanisme de came tournante...

Crédits : Encyclopædia Universalis France

En 1894, cette technique de cames permettra à Baudot de tirer parti de la relative lenteur desterminaux, comparée au grand débit d'information possible sur une ligne, pour brancherrapidement, à tour de rôle, un parmi quatre terminaux sur une ligne, en synchronisme avec autantd'émetteurs. Le nombre de dépêches qu'il est possible de transmettre sur une ligne est ainsimultiplié par 4 (technique de multiplexage temporel).

La technique de codage, la transmission en série et le multiplexage temporel de l'informationdéveloppés par Baudot connaîtront de grands développements avec la téléphonie et les réseaux dedonnées. En hommage à ce grand ingénieur, qui jeta en quelque sorte les bases de la transmissionde l'information, on baptisa baud l'unité d'information véhiculée par un canal de transmission.

Le télex

De nombreux autres appareils tels que ceux de Hughes et Baudot verront le jour, notamment pouraugmenter la vitesse de fonctionnement. Ils nécessitent tous le maintien d'un parfait synchronismeentre l'émetteur et le récepteur, handicap sérieux qui oblige à de nombreux réglages par unpersonnel qualifié. Ce problème sera résolu par le téléimprimeur dit arythmique, conçu aux États-Unis vers 1906. Son principe de fonctionnement est original : les cinq positions (ou moments) ducode de Baudot envoyé en ligne sont complétées, en tête, par une impulsion de démarrage (start),qui signifie à l'équipement distant de se mettre en position de décoder les impulsions et silences quiarrivent, et, en queue, par une impulsion de fin (stop) qui lui permet de se mettre au repos, enattendant la prochaine impulsion de démarrage. Ce principe, baptisé start-stop, permet des'affranchir totalement du synchronisme de fonctionnement entre les terminaux. Ce téléimprimeur

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arythmique, connu sous le nom de télétype, ne se répandra vraiment qu'à partir de 1920. À partir decette date, les lignes vont aussi être interconnectées par des centres de commutation pour formerun véritable réseau automatique, le telex (contraction de l'anglais teleprinting exchange), quisubsistera jusque dans les années 1990.

Un nouveau rapport à la distance

Le télégraphe électrique a connu un développement fulgurant à partir de 1845. On estime que deuxmillions de kilomètres de lignes sont en service dans le monde au début des années 1870 et plus desept millions en 1913, véhiculant un trafic annuel de plusieurs centaines de millions detélégrammes. Ce succès a progressivement changé le rapport que les hommes ont entretenupendant des millénaires avec l'espace et le temps. À partir de 1870, grâce au maillage de lignesenserrant les grands pays et aux liaisons transocéaniques et transcontinentales, là où avant il fallaitdes semaines – voire des mois – pour acheminer les nouvelles, les contacts pouvaient être établis enquelques heures.

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Le téléphone

À partir de 1860, les progrès dans la connaissance des phénomènes électriques et l'intérêt suscitépar le télégraphe font resurgir le vieux rêve de l'humanité : se parler à distance. De nombreux essaissont alors tentés en utilisant la modulation par présence ou absence de courant comme dans letélégraphe, mais ils échouent tous. Ce sont finalement les études d'amélioration du télégraphe quimèneront sur la voie, par hasard.

La « découverte » de Graham Bell

Avec l'arrivée des terminaux imprimants, la vitesse de transmission des dépêches a été doublée parrapport au système manuel de Morse qui était alors limité à quelque 30 mots par minute. Mais onétait encore loin des capacités de transmission des lignes qui se chiffraient en dizaines de mots parseconde. Le nombre de dépêches ne cessant d'augmenter, il fallait trouver des solutions pour entransmettre plusieurs simultanément sur une même ligne.

En 1875, aux États-Unis, certains chercheurs, dont Elisha Gray (1835-1901), avaient constaté qu'ilétait possible d'utiliser non pas le courant continu mais des courants alternatifs pour actionner lesélectroaimants dans les récepteurs. En recourant à des courants de fréquences différentes, onpouvait à l'autre extrémité actionner simultanément des groupes différents d'électroaimantsappartenant à des terminaux différents (télégraphie harmonique). C'est sur un tel dispositif quetravaillaient, à Boston en 1875, Alexander Graham Bell (1847-1922) et son assistant ThomasWatson, quand ils trouvèrent la solution. Le montage qu'ils utilisaient présentant un défaut, un descontacts s'était soudé sous l'effet du fort courant qui le traversait. Bell entendit alors la voix deWatson sortant d'un électroaimant quand il parlait à l'autre extrémité.

Immédiatement, les deux hommes tentent d'exploiter leur découverte. Dès le 14 février 1876, avantmême d'avoir réussi à faire fonctionner convenablement son dispositif, Bell s'empresse de déposerun brevet. Le même jour et presque à la même heure, Gray fait de même avec un montage différentmais pas plus opérationnel.

Ce n'est que le 10 mars 1876 que Bell et Watson réussissent une expérience mémorable. Ce jour-là,Bell prononce devant un montage qu'il a mis en place avec Watson, cette phrase historique :« Monsieur Watson, venez ici, j'ai besoin de vous ! ». Dans une autre pièce, quelques étages plusbas, Watson entend distinctement la voix de son maître sortir du dispositif. Le téléphone est né.

Alexander Graham Bell

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Alexander Graham Bell (1847-1922), physicien et ingénieur américain, lors de la premièreliaison téléphonique de New York à Chicago, en 1892. La première démonstration de latransmission de la voix avait eu lieu entre lui-même et son assistant, le 10 mars 1876.

Crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis/ Getty Images

La paternité de l'invention fera l'objet de nombreux procès devant les tribunaux, vu les intérêtsindustriels et économiques en jeu. Dans son jugement final, en 1880, le tribunal prit acte du faitqu'aucun des deux dispositifs n'avait été réalisé au moment du dépôt en février 1876, que Bell fut lepremier à présenter un montage qui fonctionnait, et il reconnut à Bell une antériorité de deuxheures sur Gray dans le dépôt du brevet ! Thomas Edison (1847-1931), universellement connu pourêtre l'inventeur de la lampe à incandescence et du phonographe, mais qui contribua également auxprogrès du téléphone, devait observer perfidement : « Bell n'a pas inventé le téléphone, il l'adécouvert ! »

La querelle en paternité devait rebondir en 1887, aux État-Unis lorsque l'immigré d'origine italienneAntonio Meucci (1808-1896) intenta un procès pour obtenir l'annulation du brevet accordé à Bell aumotif, entre autres, qu'il avait fait une demande provisoire de brevet en 1871 (celle-ci, faute demoyens, ne fut toutefois pas confirmée et expira en 1874). Ce procès s'arrêta en 1896 avec le décèsde Meucci. L'histoire officielle (en dehors de l'Italie) ignora ensuite le nom de l'Italo-Américainpendant plus d'un siècle. Le 11 juin 2002, la Chambre des représentants des États-Unis reconnutenfin l'antériorité et la contribution de Meucci dans l'invention du téléphone.

Une expansion spectaculaire

Bell présenta son dispositif à l'Exposition universelle du centenaire de Philadelphie, en juin 1876. Lephysicien anglais sir William Thomson, plus connu sous le nom de lord Kelvin, qui faisait partie dujury de l'exposition, qualifie alors l'appareil de Bell de « merveille des merveilles ». En octobre 1876,la parole est transmise sur 3 kilomètres entre Boston et Cambridge, et, en février 1877, une liaisonde 22 kilomètres est établie entre Boston et Salem, en utilisant les fils du télégraphe.

En 1877, Western Union, qui exploite alors des milliers de kilomètres de lignes télégraphiques,s'empare de la nouvelle technique et commence à l'installer sans considération aucune pour lebrevet de Bell. Elle recrute pour cela Gray, le concurrent de Bell, et Edison. Les dirigeants deWestern Union sont persuadés qu'ils ne feront qu'une bouchée de la petite entreprise, la BellTelephone Company, fondée au début de 1877 par Bell et quelques associés dont Watson. Après unepartie de bras de fer de deux ans, la Bell Telephone Company obtient gain de cause : en 1879, unaccord est signé stipulant que la Western Union abandonne le domaine du téléphone à la BellTelephone Company. Après quelques avatars, cette dernière deviendra l'A.&T.T. (AmericanTelephone and Telegraph) en 1885. Theodore Vail, le cousin d'Alfred Vail le partenaire de Morse, enfera la plus grande entreprise du monde. Elle dominera l'industrie des télécommunications jusqu'àson démantèlement en 1984 dans le cadre des opérations de déréglementation destélécommunications lancées par le gouvernement des États-Unis.

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Comme le télégraphe, le téléphone connaît également une diffusion très rapide. En 1878, plusieursmilliers de téléphones sont déjà en service dans les grandes villes américaines. Le 28 janvier decette même année, le premier central téléphonique manuel entre en exploitation commerciale avec21 postes, à New Haven (Connecticut), petite ville de la côte est, à une centaine de kilomètres deNew York. La présentation du téléphone à l'Exposition universelle de Paris, qui a lieu également en1878, consacre la renommée de Bell et marque le début de la diffusion mondiale du téléphone.

Le nombre de téléphones en service dans le monde passe de 27 000 en 1879 à 420 000 en 1890,2 millions en 1900, 15 millions en 1914 et 50 millions en 1946. Depuis lors, la croissance du réseautéléphonique ne s'est jamais arrêtée. En 2000, près de 1,5 milliard de téléphones de toutes sortessont en service dans le monde avec toutefois une grande disparité entre les pays. Alors que dans lespays développés, le taux d'équipement en téléphones fixes avoisine 50 p. 100 (un téléphone pourdeux habitants), il est de l'ordre de 1 p. 100 en Afrique ou en Extrême-Orient. C'est dire que lemarché mondial du téléphone est loin d'être saturé.

De nombreux progrès techniques

L'expansion très rapide du réseau téléphonique a été accompagnée de nombreux progrès techniquesauxquels ont contribué des milliers d'inventeurs de par le monde. Seuls les faits les plus marquantsseront abordés ici.

L'appareil téléphonique

Le premier téléphone de Bell utilisait un écouteur réversible qui servait en même temps demicrophone. Ce dispositif n'avait besoin d'aucune alimentation en énergie, mais il était peu sensibleet n'avait donc qu'une très faible portée. La mise au point par Edison du microphone à résistancevariable (à base de grenaille de charbon) et sa dissociation d'avec l'écouteur ont nettement amélioréles performances du poste téléphonique et notamment sa portée qui est passée de quelqueskilomètres à quelques dizaines voire centaines de kilomètres (selon la grosseur des fils utilisés)(fig. 3). Ce montage a été constamment perfectionné par la suite, mais sans remise en cause desprincipes de base établis par Edison. Il a été utilisé jusque dans les années 1970 où il sera détrônépar des dispositifs plus sensibles.

Téléphone Bell

Premier appareillage de téléphone mis au point par Alexander Graham Bell (1847-1922)et son assistant Thomas Watson en 1876.

Crédits : Illustrated London News/ Getty Images

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Principe d'une liaison téléphonique

Durant une conversation, chaque ligne d'abonné est alimentée par un courant continu I0,dit courant de repos, depuis une batterie localisée dans chaque central. Ce couranttraverse le microphone, constitué de grains de charbon pris entre deux électrodes, etl'écouteur constitué d'une...

Crédits : Encyclopædia Universalis France

Outre le système microphone-écouteur et la sonnerie des postes d'aujourd'hui, les premiers postestéléphoniques comportaient aussi une batterie pour alimenter le microphone, ainsi qu'une magnétopour générer du courant alternatif, que l'abonné devait actionner de quelques coups de manivellepour faire sonner le poste du correspondant (ou d'une opératrice) à l'autre extrémité. Le cadran denumérotation apparut avec les premiers centraux automatiques en 1896, cependant que la batterieet le générateur de courant de sonnerie étaient installés dans le central.

Parmi les améliorations récentes du téléphone, on peut citer l'abandon progressif du cadran denumérotation au profit d'un clavier à touches à partir des années 1970-1980 et l'introduction del'électronique qui a progressivement transformé le très simple poste téléphonique d'autrefois en unvéritable terminal aux multiples fonctions (écoute amplifiée, numérotation abrégée, écrand'affichage des numéros, etc.).

L'acheminement des communications

Les tout premiers postes téléphoniques étaient connectés en permanence deux par deux.L'apparition des centraux téléphoniques manuels, à partir de 1878, permit l'établissement deconnexions temporaires ouvrant ainsi la voie à une mise en réseau des utilisateurs : n'importe quelabonné pouvait alors être connecté à n'importe quel autre, le temps d'une conversation.

Dans un central manuel, les lignes aboutissaient sur des panneaux devant lesquels se tenaient lesopératrices (car il s'agissait essentiellement de femmes) qui, par un jeux de clefs basculantes, decordons et de fiches qu'elles enfonçaient dans des prises spéciales, établissaient pour chaque appella continuité entre les lignes du demandeur et du demandé. Les opératrices, souvent appelées les« demoiselles du téléphone », sont intimement associées à l'expansion du réseau téléphonique .Jusque dans les années 1950, elles furent des milliers et des milliers de par le monde à se relayernuit et jour pour acheminer les communications. De nos jours, les centraux téléphoniques étantquasiment tous automatiques, leur rôle se limite en général au traitement des renseignements et desréclamations.

Opératrices téléphoniques

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Un standard téléphonique du National Telephone Co, aux États-Unis, vers 1900. Lesopératrices, encore appelées les «demoiselles du téléphone», établissaient manuellementles communications téléphoniques avant que les centraux automatiques se répandent.Aux moments de pointe, certaines...

Crédits : Topical Press Agency/ Getty Images

Les premiers centraux téléphoniques automatiques

C'est à un entrepreneur américain de pompes funèbres que l'on doit les premiers centrauxtéléphoniques automatiques. En 1889, Almon Strowger (1839-1902) exploite son entreprise dans larégion de Chicago où l'épouse de son concurrent est employée comme opératrice du téléphone.Soupçonnant les dames d'orienter les clients en deuil vers son concurrent, il entreprend des étudespour éliminer les interventions manuelles lors de l'établissement des communications. Il conçoit unsélecteur qui, en imitant en quelque sorte le mouvement de sélection des opératrices, lui permet en1892 de mettre en service le premier central téléphonique automatique d'une centaine d'abonnés.Ce premier sélecteur, appelé couramment strowger, de mise en œuvre encore bien délicate, sera parla suite amélioré par son inventeur. strowger, avec ses associés, met également au point, en 1896, lecadran de numérotation à dix chiffres du poste téléphonique.

Le strowger fait partie des systèmes dits pas-à-pas qui constituent la première génération descommutateurs téléphoniques automatiques (autocommutateurs). Dans ces systèmes, l'établissementdes liaisons se fait automatiquement au fur et à mesure de l'arrivée des impulsions de lanumérotation, par pas successifs à travers le réseau, jusque chez le correspondant demandé (fig. 4).Leur fonctionnement est encore très proche du processus manuel des opératrices quand ellesétablissent une connexion, soit directement, soit avec l'aide de collègues qu'elles mettent àcontribution de proche en proche. De nombreuses variantes de ces systèmes ont été développées parles industriels.

Principe dun central téléphonique de type pas à pas

Un central téléphonique de type pas à pas est constitué de compartiments ou étagessuccessifs de sélecteurs reliés entre eux, chaque étage correspondant à un chiffre dunuméro des abonnés (un compartiment pour le chiffre des milliers, un pour celui descentaines et le dernier pour ceux...

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Ces systèmes pas-à-pas ont connu une longévité exceptionnelle de presque un siècle malgrél'inconvénient de leur encombrement, de leur lenteur (à cause de la sélection progressive à travers

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le réseau) et de l'important entretien nécessité par les nombreuses pièces tournantes. Le strowgersera le système le plus utilisé dans le monde jusque dans les années 1960. En France, le derniercentral de ce type sera démonté en 1979.

Vers 1920, une nouvelle génération d'autocommutateurs voit le jour en Suède : les systèmes cross-bar. La connexion des abonnés y est effectuée par des sélecteurs dits à barres croisées (en anglaiscross-bar, d'où leur nom). Ces nouveaux systèmes font aussi largement appel à la technique desrelais électriques où un électroaimant ouvre et ferme des contacts quand il est traversé par ducourant. Ils ont commencé à se répandre à partir de 1938 aux États-Unis et se sont imposés dans lereste du monde après la Seconde Guerre mondiale. Les systèmes cross-bar ont permis la réalisationde centraux d'abonnés et de centraux de transit (centraux spécialisés qui relient entre eux descentraux d'abonnés pour en faire un réseau maillé) de très grande taille.

L'introduction de l'électronique dans les centraux téléphoniques

Plus rapides, moins chers – tant à l'acquisition qu'à l'entretien – que les systèmes pas-à-pas, lessystèmes cross-bar n'auront pourtant qu'une durée de vie relativement courte : à partir des années1960, les progrès de l'électronique et de l'informatique vont permettre le développement d'unetroisième génération de matériels, les systèmes semi-électroniques spatiaux, qui sera la dernière decette filière où la connexion des correspondants est établie en fermant des contacts pour établir unecontinuité électrique entre l'installation du demandeur et celle du demandé.

Les systèmes semi-électroniques spatiaux sont une évolution des systèmes cross-bar : le sélecteurest miniaturisé à l'extrême et les relais des organes de commande sont remplacés par un calculateurélectronique et des périphériques spécialisés. Tous les ordres de commande qui, dans les systèmescross-bar, étaient élaborés automatiquement par des combinaisons de contacts de relaisconvenablement interconnectés (d'où le nom de commande à logique câblée donné à cettetechnique), le sont désormais par les logiciels du calculateur. Cette technique, en introduisant unecertaine indépendance des fonctions de décision par rapport au matériel, grâce à la souplesse deslogiciels, a permis de compliquer le traitement des appels par la prise en compte de nombreuxcritères nouveaux de décision. C'est ce qui a ouvert la voie à l'avènement de nouveaux services dansla téléphonie comme la conférence à trois, le renvoi d'appels, le rappel automatique sur ligneoccupée, etc.

Cette approche a même été poussée encore plus loin dans les années 1980 quand on a cantonné lescalculateurs de commande des centraux dans des fonctions d'exécution et concentré toutes lesfonctions de décision dans des centres informatiques spécialisés communs à une zone, auxquels lescentraux devaient demander des ordres sur la manière de traiter les appels nouveaux. Tous cescentres informatiques étant interconnectés au niveau d'un pays, voire au niveau mondial, les critèrespris en compte pour le traitement d'un appel pouvaient alors dépasser le cadre local et tenir comptede l'état de l'ensemble du réseau (par exemple en routant les appels différemment quand unéquipement de transmission tombe en panne). Cette approche a donné naissance à ce qu'on a appeléle réseau intelligent.

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Les centraux numériques à commutation temporelle

Tous les systèmes spatiaux vont, en seulement deux décennies, être balayés par les systèmesnumériques à commutation temporelle qui mettent en œuvre une approche radicalement différente,rendue possible par les progrès de la microélectronique. Dans ces nouveaux systèmes, ce n'estplus le courant électrique analogique, image électrique de la parole, qui est commuté dans lescentraux et transporté à l'autre extrémité chez le correspondant, mais des mesures d'échantillons dece courant prélevés à intervalles réguliers, en l'occurrence 8 000 fois par seconde. Les valeurs deséchantillons sont codées en base deux par des suites de huit chiffres 0 ou 1 (des octets) qui sontcommutées et envoyées vers l'installation du correspondant demandé où le courant analogique de laparole est restitué et actionne l'écouteur. Cette technique est connue en France sous le nom demodulation par impulsions et codage ou M.I.C. (fig. 5).

Principe de la modulation par impulsions et codage

Inventée par le Britannique Alec Reeves en 1938, alors qu'il travaillait au Laboratoirecentral des télécommunications à Paris, la modulation par impulsion et codage (M.I.C.) aété développée en France par le Centre national d'étude des télécommunications en 1970.Le signal électrique...

Crédits : Encyclopædia Universalis France

Cette approche nouvelle a été rendue possible grâce à l'avènement des circuits électroniquesintégrés. Ces derniers regroupent sur une minuscule pastille de silicium des milliers de transistorsqui, convenablement reliés entre eux, exécutent automatiquement les nombreuses tâches requises.

La commutation temporelle est aujourd'hui universellement utilisée en téléphonie. Malgré sonapparente complexité, elle a permis de réduire drastiquement les coûts et les encombrements descentraux grâce aux circuits intégrés et aux microprocesseurs. En plus, avec le codage numériquede la parole, il n'y a plus de différence entre la voix et des données : les deux sont constituésd'éléments binaires organisés en octets, commutés et transmis indifféremment à travers le réseau.Cela a permis d'ouvrir le réseau téléphonique à de nouveaux services nécessitant la commutation dedonnées. Cette approche a donné naissance à ce qu'on a appelé le réseau numérique à intégrationde services (R.N.I.S.).

La numérisation est un phénomène général qui, parti des centraux téléphoniques, s'estprogressivement étendu à l'ensemble du réseau de télécommunication et même toute à l'industrieaudiovisuelle, à travers l'audio numérique (avec le disque compact apparu au début des années1980), la vidéo numérique (avec le DVD – digital video disc – apparu en 1995) ainsi que la diffusionhertzienne en numérique de la radio (DAB – digital audio broadcast) et de la télévision (TNT– Télévision numérique terrestre), deux techniques nouvelles de radiodiffusion dont le déploiement acommencé au début du XXIe siècle.

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Les équipements de transmission

Tant qu'il s'agit de relier entre eux des abonnés d'une même zone urbaine, les liaisons sont courtes(souvent une trentaine de kilomètres au maximum) et l'atténuation en ligne des courants de parolereste faible. Mais lorsque l'on veut relier entre elles des villes distantes de plusieurs centaines dekilomètres, l'atténuation est alors telle que les conversations deviennent rapidementincompréhensibles.

Le décibel, un hommage à Graham Bell

L'atténuation en ligne des courants est due aux pertes par effet joule – liées à la résistanceélectrique des lignes – ainsi qu'aux pertes par rayonnement électromagnétique. En 1925,l'assemblée générale de l'Union internationale des télécommunications a baptisé bel l'unitéd'atténuation, en hommage à l'inventeur du téléphone. Le décibel (db), qui vaut 1/10 de bel, estl'unité la plus utilisée et la plus connue. Il s'agit d'une unité logarithmique : l'atténuation est de 10,20 ou 30 db quand la puissance à l'arrivée est 10, 100 ou 1 000 fois plus faible qu'au départ dans laligne.

L'atténuation en ligne peut être réduite en utilisant des fils de gros diamètre afin de diminuer larésistance électrique, mais l'expérience a montré qu'il y a des limites. En 1900, l'Américain MichaelI. Pupin a montré qu'en insérant, à intervalles réguliers d'environ 1 800 mètres, des bobinesd'inductance en série avec une ligne (technique dite de pupinisation), il était possible de diminuertrès fortement l'atténuation des courants de parole. Cette solution a permis d'étendre la portée desliaisons entre centraux jusqu'à quelques centaines de kilomètres. Mais pendant une vingtained'années, on butera sur cet horizon et le phénomène de l'atténuation retardera l'apparition d'unvéritable réseau téléphonique couvrant sans discontinuité les pays et les continents.

Le développement des communications à longue distance

C'est la mise au point de la triode (un tube à trois électrodes dans lequel on a fait le vide) en 1906par l'Américain Lee de Forest qui, en permettant l'amplification des courants, va ouvrir la voie audéveloppement des communications à longue distance sur le réseau téléphonique. Les premierséquipements de transmission munis de ces tubes à vide voient le jour à partir des années 1920. Ilspermettent de raccorder entre elles les multiples zones locales nées dans et autour des villes, pourcouvrir d'abord les pays puis les continents et, plus récemment, de raccorder entre eux lescontinents grâce aux câbles sous-marins.

Ces premiers équipements de transmission étaient constitués de paires de fils en cuivre sur lesquelsdes amplificateurs à triodes étaient montés, à intervalles réguliers, afin d'augmenter les portées desliaisons. Des techniques de modulation et de multiplexage (un peu à l'image de la télégraphieharmonique) de plusieurs fréquences différentes – dites fréquences porteuses – furent ensuite misesau point pour transmettre, en décalant les signaux dans le spectre de fréquences, plusieurs dizainesde communications simultanément sur une même liaison (transmission multiplex). À l'arrivée, oudans des localités intermédiaires, des stations dites de démodulation permettent alors de sortir du

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multiplex les bonnes communications (ou canaux) et de les injecter dans le réseau local dutéléphone.

Le tube à vide sera utilisé pendant une quarantaine d'années, avant de céder, à partir des années1960, la place au transistor, inventé en 1948 aux Bell Telephone Laboratories, les laboratoires derecherche de l'A.T.T.

Initialement, les équipements de transmission transportaient les signaux sous forme analogique. Ilsutiliseront les techniques numériques à partir des années 1980, achevant ainsi ce que lestechniciens ont appelé la continuité numérique du réseau téléphonique, c'est-à-dire que la parolereste alors sous la forme d'échantillons numériques de bout en bout, y compris dans les équipementsde transmission, sans nécessiter de restauration intermédiaire sous forme analogique (ce qui enaltère à chaque fois un peu la qualité).

Les techniques des équipements de transmission analogiques et numériques ont été mises en œuvreavec plusieurs types de supports matériels : outre les paires torsadées en fils de cuivre (le caséchéant entourées d'un feuillard de blindage), il convient de citer l'utilisation du câble coaxial (un telcâble se présente sous la forme de deux conducteurs concentriques séparés par un isolant ; ledeuxième conducteur entourant totalement le premier, il emprisonne le rayonnementélectromagnétique engendré par les courants à haute fréquence, ce qui améliore les performancesde transmission) et, depuis les années 1970, de la fibre optique, où le courant électrique estremplacé par des photons générés par des lasers. Chaque filière a donné naissance à deséquipements de différentes capacités et caractéristiques pour couvrir toute la gamme des besoins.On s'est aussi affranchi du support matériel en utilisant des ondes hertziennes de différentesfréquences, ce qui a donné naissance à deux types d'équipements : les faisceaux hertziens et lessatellites de télécommunication.

Les câbles sous-marins

Alors que pour les câbles sous-marins du télégraphe, les efforts ont dû porter surtout sur le câblelui-même et les équipements d'extrémité (qui devaient être extrêmement sensibles pour détecter detrès petites variations de courants à cause des atténuations dues aux grandes longueurs des câbles),pour le téléphone il a fallu mettre au point des amplificateurs à très haute fiabilité pour compenserl'atténuation des signaux téléphoniques. Ces dispositifs (appelés encore répéteurs) sont placés àintervalles réguliers le long de la liaison (40 à 60 kilomètres dans le cas des câbles coaxiaux, unecentaine de kilomètres dans le cas des fibres optiques). Ils sont immergés avec le câble et doiventdonc résister durant des années aux agressions du milieu marin régnant à grande profondeur. Encas de panne, il faut localiser le répéteur défectueux depuis les extrémités puis relever le câble pourintervenir, opération compliquée et extrêmement coûteuse.

Cela explique que le premier câble téléphonique transatlantique n'ait été posé qu'en 1956, soit prèsd'un siècle après la mise en service du premier câble télégraphique (1858) et alors que le téléphoneexistait depuis 1876. Appelé TAT1 (pour Trans-Atlantic Telephone Cable no 1), ce premier câble avaitune capacité de 48 communications téléphoniques simultanées. Il comportait 51 répéteurs à tubes àvide espacés de 68 kilomètres. Malgré le coût élevé des communications, son succès fut immédiat eten quelques décennies on en posera plus d'une dizaine d'autres. Le TAT14, posé en 2001, a unelongueur de 13 000 kilomètres et relie les continents nord-américain et européen par une boucle

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sécurisée entre les États-Unis et cinq pays d'Europe (France, Allemagne, Danemark, Royaume-Uni etPays-Bas). Il comporte quatre paires de fibres optiques, met en œuvre la technique du multiplexagedes longueurs d'onde et comporte des répéteurs entièrement optiques (utilisant la technique dupompage optique qui permet d'amplifier le signal lumineux directement, sans passer par uneconversion en signal électrique intermédiaire) espacés de plus de 100 kilomètres. Sa capacité totalede transmission, entièrement protégée par chiffrage des informations, est de 640 Gigabits/seconde(milliards de bits par seconde). Le TAT 14 peut ainsi acheminer, en théorie, près de 10 millionsd'appels simultanés.

Des dizaines de milliers de kilomètres de câbles sous-marins sillonnent aujourd'hui les fonds desmers et des océans. Et on continue d'en poser car, malgré la concurrence des satellites detélécommunication, cette technique, qui est maintenant bien au point, présente le double avantagede la discrétion (écoute des communications difficile, voire impossible dans le cas des liaisons à fibreoptique) et d'un coût plus faible.

L'achèvement de la couverture planétaire avec la radiotéléphonie

La radiotéléphonie – qui consiste à remplacer la ligne filaire entre le poste d'abonné et le central parune liaison radio, ce qui permet la mobilité des usagers – est apparue aux États-Unis en 1940. Maisc'est seulement dans le courant des années 1990 qu'elle a véritablement pris son essor, quand lessystèmes de radiotéléphonie cellulaire de deuxième génération (2G), basés sur des techniquesnumériques, ont pris le relais des systèmes analogiques de la première génération. Ces dernierspeinaient, en effet, à trouver une clientèle en raison de coûts élevés, de terminaux encombrants etd'incompatibilités d'un pays à l'autre. En 1992, l'adoption et le lancement simultané dans sept payseuropéens du système GSM (Global System for Mobile Communication), étudié par les opérateurs etindustriels du vieux continent, permettent de sortir la téléphonie sans fil de cette ornière. Le marchédu nouveau système se situant d'emblée au niveau d'un continent, les industriels peuvent faire deséconomies d'échelle tant sur les matériels d'infrastructure que les terminaux. Des formulesd'abonnements à bas coût, des terminaux miniaturisés bon marché et des possibilités d'itinéranceentre pays assurent alors le décollage de la téléphonie sans fil dans les pays d'Europe de l'Ouest. Àla même époque, des systèmes concurrents voient le jour en Amérique du Nord et en Extrême-Orient(Japon, Hong Kong).

Après des décennies de stagnation, le téléphone mobile connaît alors un succès mondial, bien au-delà de ce que l'on avait pu imaginer au départ. En dix ans, de 1991 à 2001, il passe ainsi de16 millions à près d'un milliard d'abonnés, dont 80 p. 100 desservis par le GSM. Portés par cesuccès, les constructeurs et opérateurs lancent en 2000, dans les pays développés (Europe del'Ouest, Amérique du Nord, Japon, Corée), une nouvelle génération de systèmes dite 3G, quipermettent de fournir sur les mobiles, outre le téléphone, des services de type Internet.Devant lesuccès du radiotéléphone terrestre et avec le développement du commerce international, d'autrestechniques, fondées sur des satellites de télécommunication ont été imaginées et mises en service autournant du XXe siècle afin de couvrir les zones faiblement peuplées, voire inhabitées comme lesrégions désertiques ou les mers. Les systèmes de ce type peuvent être classés en deux grandesfamilles, selon le type de satellites, géostationnaires ou à défilement, qu'ils mettent en œuvre. Parmiles premiers on peut citer Inmarsat, utilisé surtout pour les liaisons avec les bateaux, Thuraya, unréseau régional qui couvre l'Europe, l'ensemble du Moyen-Orient, la majeure partie de l'Afrique et la

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Russie occidentale, ou encore ACeS (Asia Cellular System) qui couvre les pays d'Asie continentale etdu Sud-Est (Pakistan, Inde, Chine, Corée, Japon... jusqu'à l'Indonésie et la Nouvelle-Guinée).Concernant les satellites à défilement, citons deux systèmes concurrents : Iridium et Globalstar.Ceux-ci mettent en œuvre une constellation de satellites en orbites basses : 66, à environ800 kilomètres d'altitude sur des orbites quasi-polaires, pour Iridium (baptisé ainsi parce que lenombre atomique de l'iridium est 77, nombre de satellites initialement prévu) ; 48, à environ1 400 kilomètres d'altitude sur des orbites à 52, pour Globalstar. Ce dernier ne peut donc pascouvrir les régions proches des pôles, ni d'ailleurs les océans, car ses satellites sont tributaires destations terrestres en visibilité directe pour l'acheminement des communications. En revanche,Iridium est capable de relayer les communications de satellite à satellite et peut donc s'accommoderd'un nombre réduit de stations au sol pour l'interconnexion avec les réseaux terrestres. Avec cetteparticularité et grâce aux orbites quasi polaires de ses satellites, il peut assurer la couvertureintégrale du globe terrestre.

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Le télégraphe sans fil

Alors que le télégraphe électrique filaire et le téléphone sont principalement nés de l'imagination etde l'empirisme de quelques inventeurs de génie, le télégraphe sans fil n'est apparu qu'au termed'une longue maturation dans les laboratoires des savants. C'est la découverte des ondesélectromagnétiques et de leurs effets électriques à distance qui devait conduire à cette invention.

Le temps des savants

Dans les années 1820, les savants du monde entier, à travers nombre d'expériences, réussirentprogressivement à préciser les liens entre l'électricité et le magnétisme. En 1831, dans la fouléed'Œrsted et d'Ampère dont les découvertes et les inventions ont permis l'avènement du télégrapheélectrique filaire, l'Anglais Michael Faraday (1791-1867) mit en évidence le phénomène del'induction électromagnétique. Il montra qu'une variation de courant dans une bobine induit unchamp magnétique dans des aiguilles en fer et, inversement, qu'une variation du champ magnétiqueproduite par un aimant qui est introduit dans une bobine, induit un courant dans celle-ci. Cesphénomènes ont lieu sans qu'il y ait aucune continuité physique entre, par exemple, la bobineparcourue par un courant et l'aiguille qu'elle aimante. Le physicien américain Joseph Henry montraque ce phénomène d'aimantation peut être induit jusqu'à une distance de plusieurs kilomètres.

C'est dans ce contexte que James Clerk Maxwell (1831-1879) réussit en 1864, en une synthèsemagistrale, d'ailleurs peu accessible à ses contemporains, à unifier les théories de l'électricité et dumagnétisme en postulant l'existence des ondes électromagnétiques et en établissant, en quatreéquations devenues célèbres, leurs propriétés. Mais ce n'est qu'en 1887 que ces ondes seront misesen évidence par le physicien allemand Heinrich Hertz (1857-1894).

Pour l'émission (fig. 6) Hertz utilisait une bobine d'induction, dont l'enroulement primaire étaitbranché sur une batterie par un interrupteur et l'enroulement secondaire sur deux boulesmétalliques séparées par un éclateur (deux petites sphères métalliques séparées par un minusculeespace). La fermeture de l'interrupteur induisait dans le secondaire un courant à haute tension quise déchargeait dans le condensateur formé par les deux boules métalliques. À chaque manœuvre del'interrupteur, une étincelle jaillissait dans l'éclateur.

Montage de Hertz

Montage émetteur et récepteur qui a permis à l'Allemand Heinrich Hertz de prouver, en1887, l'existence des ondes électromagnétiques postulées par James Maxwell en 1864.

Crédits : Encyclopædia Universalis France

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Le récepteur était constitué d'une simple boucle métallique interrompue par un éclateur dontl'espace était réglable par une vis micrométrique. Les étincelles de l'émetteur induisaient à distancede petites étincelles dans le récepteur (si petites qu'il fallait une loupe pour les voir). C'est avec cemontage que Hertz non seulement prouva l'existence des ondes électromagnétiques – appelées toutd'abord ondes de Maxwell, puis ondes hertziennes –, mais encore précisa certaines de leurspropriétés. Ces expériences eurent un grand retentissement à l'époque.

Parmi les savants qui ont contribué à la naissance du télégraphe sans fil, il faut aussi citer leFrançais Édouard Branly (1844-1940) et le Russe Aleksandr Popov (1859-1906).

Branly a découvert, en 1890, qu'un mélange de limaille de zinc et d'argent dans un tube en verres'agrégeait et devenait conducteur (« cohérait ») quand il était exposé à un montage émetteursemblable à celui de Hertz. Ce cohéreur à limaille fut perfectionné par le physicien anglais OliverLodge qui réussit avec ce dispositif à détecter les ondes hertziennes jusqu'à une distance de30 mètres.

Travaillant à partir des montages de Hertz et de Branly, le Russe Popov a l'idée d'utiliser le cohéreurpour actionner une sonnerie et d'associer à l'émetteur et au récepteur une antenne : un simple filmétallique soutenu par un ballon connecté à une des boules de l'éclateur, l'autre boule étant reliée àla terre. En 1895, il réussit ainsi à transmettre sur une distance de 250 mètres le nom de HeinrichHertz en code Morse.

Perfectionnement de la technique par Guglielmo Marconi

Parallèlement aux travaux de Popov, l'Italien Guglielmo Marconi (1874-1937) entreprend, en 1894,des essais à partir des expériences de Hertz et de Branly. En perfectionnant l'émetteur à étincelleset le récepteur (pour lequel il utilise un cohéreur comme détecteur), et en leur associant, suivantpratiquement le même montage que Popov, une grande antenne verticale tenue par un cerf-volant, ilparvient à augmenter la portée (fig. 7). Empruntant au télégraphe de Morse l'interrupteur qu'iladapte à l'émetteur et l'imprimante qu'il adapte au récepteur, il réussit en 1895 à télégraphier sansfil sur une distance de près de 2,5 km.

Montage de Marconi

Premier montage utilisé par Guglielmo Marconi pour ses essais de télégraphie sans fil(T.S.F.).

Crédits : Encyclopædia Universalis France

Peu pris au sérieux par le gouvernement italien auquel il propose son invention, il part s'établir àLondres, où il a des relations familiales, en 1896. Il dépose cette année-là son premier brevet. Il

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réussit à intéresser le British Post Office et la Royal Navy. En 1897, il crée la Wireless Telegraph andSignal Company (qui deviendra en 1900 la Marconi's Wireless Telegraph Company) pour exploiterses inventions.

Améliorant sans cesse ses montages, il obtient des portées de plus en plus grandes. En 1897, deretour en Italie, il établit, depuis une station installée sur la côte ligure, à La Spezia, une liaison avecun cuirassé ancré à 19 kilomètres au large. En 1898, il obtient une portée de 26 kilomètres. EnFrance, cette même année, Branly et l'ingénieur Eugène Ducretet réalisent la première transmissionde T.S.F. sur 4 kilomètres entre la tour Eiffel et le Panthéon.

En 1899, Marconi et Branly réussissent la première transmission sans fil par dessus la Manche,entre Douvres et Wimereux près de Boulogne-sur-Mer . Cette même année, Marconi présente soninvention aux États-Unis où il équipe deux bateaux chargés de suivre les régates de la coupe del'America. En 1901, jouant d'audace, il parvient à établir une liaison entre Poldhu (Cornouailles) etTerre-Neuve, à 3 400 kilomètres de là . L'émetteur est alors actionné par un alternateur de25 kilowatts monté à la place de la batterie.

Premier télégramme de T.S.F. au-dessus de la Manche

Photographie du premier télégramme envoyé par télégraphie sans fil par-dessus de laManche, de Douvres à Wimereux, le 27 mars 1899 par G. Marconi à É. Branly : «MRMARCONI ENVOI A MR BRANLY SES RESPECTUEUX COMPLIMENTS PAR LETELEGRAPHE SANS FIL A TRAVERS LA MANCHE CE BEAU RESULTAT ETANT DU...

Crédits : Radio-France

Guglielmo Marconi

Le physicien et inventeur italien Guglielmo Marconi (1874-1937) et le récepteur detélégraphie sans fil qu'il est venu installer à Terre-Neuve. Il y capte, en 1901, les premierssignaux émis de l'autre côté de l'Atlantique (3 400 km), à Poldhu (Cornouailles).

Crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Le premier réseau de télégraphie sans fil

Toutes ces expériences ont un énorme retentissement médiatique, amplifié par les nouveaux réseauxde télécommunications (le télégraphe et le téléphone) qui assurent la propagation des nouvelles. Àpartir de 1900, Marconi commence l'exploitation commerciale de la T.S.F. Il crée des filiales de sa

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société dans les principaux pays bordant l'Atlantique (États-Unis, Canada, France, Espagne), enBelgique, en Argentine et même en Russie. Il installe des émetteurs le long des côtes européennes etde l'Amérique du Nord. Ses compagnies équipent les navires américains et anglais de récepteurs.Marconi va même jusqu'à installer ses propres opérateurs sur les bateaux. Il réussira ainsi à établir,à partir de 1906-1907, un service régulier de télégraphie sans fil au-dessus de l'Atlantique nord et,pendant longtemps, sa compagnie gardera une supériorité dans les communications maritimes etdans le monde anglo-saxon . À travers ses nombreuses filiales reliées entre elles, Marconi joueraaussi un rôle important dans la diffusion de la T.S.F. au niveau mondial.

Initiation à la télégraphie

Un homme s'initie à la télégraphie sans fil, dans les locaux londoniens de la Marconi'sWireless Telegraph Co, en 1913.

Crédits : Topical Press Agency/ Getty Images

Pour l'ensemble de ses travaux sur l'émission et la réception des ondes électromagnétiques, Marconirecevra le prix Nobel de physique en 1909.

La T.S.F. et la sécurité en mer

La T.S.F., en permettant de garder le contact avec les bateaux, s'est rapidement révélée d'unegrande utilité pour la sécurité. Parmi les nombreux secours en mer qu'elle a permis d'opérer, le plusconnu et le plus dramatique fut le sauvetage des rescapés du naufrage du Titanic, paquebot réputéinsubmersible qui, avec quelque 2 300 personnes à bord, heurta un iceberg le 14 avril 1912 vers23 h 40. Les messages de détresse émis par l'opérateur radio à bord furent captés par les stations deMarconi sur la côte est des États-Unis et par une dizaine de navires dont le Carpathia, alerté alorsqu'il se trouvait à 58 milles de là. En se déroutant, il parvint sur les lieux du naufrage quatre heuresaprès le sinistre et réussit à sauver quelque 750 passagers à la dérive sur des canots. On découvritpar la suite qu'un autre bateau, le Californian, se trouvait à distance de visibilité du Titanic aumoment de l'accident, mais son équipage confondit les éclairs lumineux des fusées lancées par lenavire en perdition avec des feux d'artifice et son opérateur radio n'était plus à l'écoute quand leTitanic émit des messages de détresse (il avait, peu auparavant, eu un contact avec son collègue duTitanic qui lui avait demandé de se « taire » pour éviter les brouillages).

Le retentissement qu'eut cet événement dramatique, l'agonie du bateau ayant été suivie en direct,engendra un intérêt considérable pour la T.S.F. Dès la fin de 1912 et l'année suivante, deuxconférences internationales, auxquelles participèrent une soixantaine de pays, établirent les règleset les procédures radio à mettre en œuvre sur les bateaux. Ces conférences ont rendu obligatoire unéquipement radio à bord des navires transportant des passagers. Elles ont réservé une bande defréquences spéciale pour les signaux de détresse et imposé aux bateaux une veille radio 24 heures

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sur 24 sur cette bande. Elles ont aussi adopté l'usage du fameux signal de détresse S.O.S. (save oursoul) qui, en code Morse, se compose de trois émissions brèves, suivies de trois longues puis de troisbrèves (. . . – – – . . .). Ces mesures ont été universellement appliquées pendant quelque soixante-dixans. Elles furent peu à peu délaissées à partir des années 1980, après la mise en place d'un réseauinternational de satellites de télécommunications (le réseau Inmarsat) qui permit de rester enrelation permanente avec les bateaux, et l'installation d'un réseau d'alerte à base de satellites et debalises de détresse (capables de donner l'alerte et la position) dont les bateaux s'équipèrentprogressivement). Tombées en totale désuétude, les dispositions de 1912-1913 ont été abandonnéesen 1999.

La T.S.F., un enjeu stratégique

Face à la course au monopole de Marconi, la concurrence avait fini par s'organiser, au début duXXe siècle, sous la pression des militaires qui perçurent rapidement l'intérêt stratégique de cenouveau moyen de communication. La T.S.F. permet en effet de s'affranchir du droit de regardqu'exercent les pays traversés par les lignes du télégraphe sur les dépêches transitant sur les fils.Elle est idéale pour établir des liaisons rapides non seulement avec les bateaux, mais aussi avec lescolonies, à l'époque encore isolées du reste du monde.

En Russie, sous la direction de Popov, la flotte est équipée d'émetteurs/récepteurs. En Allemagne,des industriels, dont Werner Siemens, fondent en 1903 la compagnie Telefunken (« télé-étincelles »)dont un des responsables, Karl Ferdinand Braun, partagera d'ailleurs le prix Nobel avec Marconien 1909. En France, après les premiers essais menés par Branly, l'État, en 1899, charge l'armée, àtravers le général Ferrié, de coordonner les activités pour développer une technologie nationale descommunications par ondes hertziennes (radiocommunications). Avec la collaboration d'industriels,Ferrié met en place un réseau national pour assurer les contacts avec les navires et l'Empirecolonial : en 1907, une liaison suivie peut ainsi être assurée avec le corps expéditionnaire envoyé enAfrique du Nord grâce à l'émetteur-récepteur installé sur le croiseur Kléber mouillé au large duMaroc. Ferrié utilisera la tour Eiffel comme mât pour supporter les antennes lors de ses essais, cequi, au passage, permit de la sauver de la démolition. Aux États-Unis, la T.S.F. devait égalementsusciter l'intérêt de la Western Electric, une filiale de l'A.T.T., qui pensait ainsi pouvoir couvrirrapidement les zones non encore desservies par le télégraphe filaire ou le téléphone.

À la veille de la Première Guerre mondiale, pratiquement tous les grands pays avaient déployé leurpropre réseau de télécommunication sans fil à travers le monde, l'étendue et la densité de cesréseaux reflétant globalement l'équilibre géostratégique de l'époque.

La Première Guerre mondiale confirmera l'intérêt stratégique de la T.S.F., les autres moyens detélécommunication s'étant révélés très vite vulnérables au sabotage. Durant les hostilitésapparaissent aussi les premières techniques d'écoute et de brouillage des communications radio. Letrafic augmentant, les problèmes de brouillage deviennent d'ailleurs de plus en plus importants,renforçant la conscience que le spectre électromagnétique est une ressource limitée qu'il faut géreren commun. Après la guerre, les gouvernements qui, durant les hostilités, avaient mis la main sur cenouveau moyen de communication, décidèrent que cette technique était trop précieuse pour êtrelaissée en libre utilisation. Un peu partout des législations plus ou moins contraignantes sont alorsmises en place pour encadrer les conditions d'émission et de réception des messages radio.

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L'évolution technique de la T.S.F.

Le montage initial de Marconi a été rapidement amélioré. On a vite découvert qu'en utilisant lesmêmes longueurs d'antenne à l'émission et à la réception, il est possible d'accorder en quelque sortele récepteur sur l'émetteur et d'obtenir ainsi une meilleure sélectivité. De même, en posant desréflecteurs sur les antennes, on peut concentrer les émissions dans certaines directions privilégiéespour accroître la portée.

À partir de 1900, l'utilisation d'un alternateur à la place de la batterie permet, avec diverses autresaméliorations, d'entretenir des étincelles récurrentes à des fréquences acoustiques (par exemple1 000 étincelles à la seconde). Dans le récepteur, on détecte alors une onde hertzienne (diteporteuse car elle porte l'information) qui est interrompue au même rythme acoustique. Cela permetune « lecture » à l'oreille à l'aide d'un simple microphone branché sur le récepteur. Une étapeimportante est encore franchie dans les années 1910 quand, grâce aux travaux de Nikola Tesla(1856-1943) sur les courants alternatifs à haute fréquence et les circuits accordés à bobines etcondensateurs, on arrive à entretenir l'émission des ondes électromagnétiques et à « syntoniser »les récepteurs avec l'émetteur, c'est-à-dire à les accorder précisément sur la même fréquenceporteuse en assurant, dans l'émetteur, une concentration du spectre électromagnétique autourd'une fréquence réglable précisément, et en accordant le récepteur sur cette même fréquence. Cettetechnique se révèle d'autant plus intéressante qu'on avait constaté que, selon leur fréquence, lesondes hertziennes ont une portée plus ou moins grande et que les ondes courtes peuvent même fairele tour de la Terre par réflexions successives sur l'ionosphère. L'existence dans la hauteatmosphère de cette couche d'air ionisé, qui agit comme un miroir pour les ondes hertziennes, a étépostulée par l'Américain Arthur Kennelly et l'Anglais Oliver Heaviside en 1902, pour tenterd'expliquer les succès de Marconi dans les transmissions à longue distance entre l'Angleterre etTerre-Neuve. Cette existence ne sera prouvée expérimentalement qu'en 1924.

Du côté du récepteur, divers essais pour remplacer le cohéreur de Branly, d'utilisation bienmalcommode, furent entrepris. En 1904, un collaborateur de Marconi, le physicien anglais JohnAmbrose Fleming, invente la diode – une lampe qui, en redressant le courant alternatif induit dans lerécepteur par les ondes hertziennes, permet la détection des signaux radio – qui remplacera lecohéreur de Branly. On découvre aussi vers 1910 les vertus du sulfure de plomb, la galène, pourassurer cette détection. Les récepteurs à galène, peu fiables mais très faciles à réaliser, serontutilisés d'abord pour capter la T.S.F., puis, plus tard, les émissions radiophoniques. Ils firent lebonheur de milliers d'amateurs pendant près d'un demi-siècle.

Toutefois, en l'absence de dispositifs amplificateurs, aucune de ces améliorations ne devait accroîtrela sensibilité intrinsèque des récepteurs. La seule solution pour augmenter la portée étaitd'accroître la puissance d'émission. C'est le Danois Valdemar Poulsen qui, à partir de 1910, ouvrela voie aux émetteurs à forte puissance en remplaçant les étincelles dans l'éclateur à boules par unarc électrique permanent entre deux électrodes en carbone, ce qui assure l'émission d'une ondehertzienne en continu et à forte puissance. Un dispositif de modulation à fréquence acoustique partout ou rien (c'est-à-dire par présence ou absence de la modulation) de l'onde assure alors latransmission des signaux Morse.

Les télégraphes à étincelles ou à arc étaient, surtout d'après nos standards d'aujourd'hui,principalement des générateurs de parasites. Malgré cela, ils devaient rester en usage pendantplusieurs décennies. Ils seront progressivement supplantés par des systèmes électroniques mettant

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en œuvre des montages à base de triodes ou d'autres tubes dérivés. Ils seront définitivementinterdits en 1949.

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La radiophonie et la radiotéléphonie

Le 24 décembre 1906 : première émission radiophonique

Un émetteur à étincelles est un système qui module en tout ou rien un émetteur d'ondesélectromagnétiques, c'est-à-dire que celui-ci émet un train d'ondes amorties plus ou moins long(selon qu'il s'agit de transmettre un point ou un tiret du code Morse), suivi d'un silence, à nouveausuivi de l'émission d'un train d'ondes. Un tel dispositif ne peut transmettre que des signaux Morse.Pour transmettre des signaux comme la parole ou la musique, il faut assurer l'émission en continud'une onde électromagnétique à haute fréquence (onde porteuse) et moduler son amplitude par unsignal électrique, image des fréquences acoustiques à transmettre (signal dit à basse fréquence ouBF). Dans le récepteur, il faut extraire de la porteuse le signal BF (démoduler) et l'envoyer parexemple dans un microphone pour retrouver les ondes acoustiques de départ.

La difficulté venait de la disproportion existant entre la puissance des courants nécessaires pourattaquer l'antenne et la faiblesse du signal BF pouvant être engendré avec les moyens alorsdisponibles. C'est le Canadien Reginald Fessenden (1866-1932) qui le premier réussit à transmettrela voix humaine. Le soir du 24 décembre 1906, grâce à un alternateur de sa construction délivrantun courant d'une fréquence de 100 000 Hz et dont il réussit à moduler l'amplitude par le signal BFde la voix, il réalisa la première émission radiophonique à destination des bateaux dans l'Atlantiquenord. Il est intéressant de noter que tous les opérateurs radio dans la zone de couverture ont pucapter directement cette émission avec leur récepteur Morse à « lecture » directe à l'oreille. Mais lesystème de Fessenden était encombrant et compliqué.

L'invention de la triode

C'est l'invention de la triode (ou audion) en 1906 par Lee de Forest qui, en ouvrant la voie àl'amplification des signaux électriques et à la réalisation d'oscillateurs à fréquences élevées – vapermettre de résoudre le problème de la modulation d'une onde électromagnétique par un signal BF.Son inventeur sera le premier à faire des expériences de communication phonique bidirectionnellessans fil (radiotéléphonie). En 1908, il réalise les premières émissions de radiodiffusion sonore àdestination des bateaux de l'US Navy, le long de la côte est des États-Unis. En septembre de lamême année, il fait une démonstration d'émission radiophonique avec l'émetteur de la tour Eiffel. En1909, il fournit les premiers téléphones sans fil à l'US Navy.

Sur le continent européen, on cherche aussi à exploiter les possibilités ouvertes par la triode. EnFrance, sous l'impulsion du général Ferrié, des études systématiques sont entreprises pourcaractériser les montages dans lesquels interviennent des tubes électroniques. En août 1908, uneliaison radiotéléphonique est établie sur 500 kilomètres entre la pointe du Raz et la tour Eiffel. Le21 octobre 1915 a lieu la première transmission radiotéléphonique au-dessus de l'Atlantique nordentre Arlington aux États-Unis et l'émetteur-récepteur de la tour Eiffel.

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Station radio téléphonique de la Tour Eiffel

La station Radio Téléphonique de la Tour Eiffel est la première station de radio française.Mise en place dès 1910 par l'armée, elle diffusera des émissions de 1921 à 1940. Leprogramme quotidien initial - bulletin météorologique, revue de presse et musique - nedure qu'une demi-heure. A...

Crédits : Musée de Radio-France/ D.R.

Naissance d'un nouveau média

Après quelques années de ralentissement durant la Première Guerre mondiale, les efforts pourdévelopper la nouvelle technique de communication par ondes hertziennes reprennent. En 1919 naîtaux États-Unis la société Radio Corporation of America (R.C.A.) qui, en réussissant à obtenir lesdroits des principaux brevets de Fessenden et de de Forest, jouera un rôle très important dans ledéveloppement des radiocommunications. La première station de radiophonie, KDKA., est créée parR.C.A. en 1920. Dès ses débuts, ce nouveau média révèle son importance dans la société en couvrantl'élection présidentielle et en annonçant à travers le pays la victoire de Warren Harding. L'année1920 fut le départ d'un formidable essor de la radio tant aux États-Unis qu'en Europe. Aux États-Unis, la radiophonie fut placée sous la protection de la Constitution en 1927. En Europe, durant lesannées 1930-1940, elle servira d'outil de propagande au service des fascismes. En 1938, septAméricains sur dix écoutaient la radio qui était devenue un média de masse en moins de 20 ans. EnEurope, du fait de la guerre, elle n'acquit cette importance que dans les années 1950. À partir de lafin de cette décennie-là, l'arrivée des postes à transistors, plus petits que leurs aînés à tubes et doncaisément transportables, accrut encore l'audience de la radiophonie.

Premières communications radiotéléphoniques bidirectionnelles à l'échelleplanétaire

Parallèlement au développement de la radiophonie, le premier circuit régulier de radiotéléphonie enondes courtes devait entrer en service en 1927 entre Londres et New York. En France, quatreliaisons radiotéléphoniques intercontinentales seront ouvertes au public à partir de 1934. Letéléphone sans fil jouera un rôle très important durant la Seconde Guerre mondiale et sera, jusqu'àla pose du premier câble téléphonique sous-marin en 1956, le seul moyen de communicationphonique avec le Nouveau Monde, comme d'ailleurs avec les autres continents. La radiotéléphonie àondes courtes déclinera ensuite à partir des années 1970, avec la pose d'autres câbles et l'arrivéedes satellites de télécommunication.

Les améliorations techniques

Le développement des radiocommunications profita de nombreux progrès techniques,

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particulièrement dans le domaine de l'électronique. Dès son apparition, la technique des tubesélectroniques progressa très vite. On a rapidement produit des triodes de puissance pour lesémetteurs de T.S.F. On compliqua aussi le tube en lui ajoutant d'autres électrodes afin d'améliorerses caractéristiques techniques ou de réaliser dans la même ampoule de verre plusieurs fonctions(comme par exemple dans le cas du poste superhétérodyne, des tubes assurant simultanément lafonction d'oscillateur local et de mélangeur pour engendrer le signal de fréquence intermédiaire).Très rapidement la conception et la fabrication des tubes à vide devint une véritable industrie.Différents montages d'oscillateurs et d'amplificateurs furent aussi mis au point avec la découvertedes effets positifs que procurait la réinjection à l'entrée d'un amplificateur, d'une partie du signal desortie en phase (réaction) ou en opposition de phase (contre-réaction) avec le signal d'entrée. Enassurant très simplement un rétro-couplage des signaux entre deux triodes, on mit au point lesmontages bistables (Eccles-Jordan) qui ouvrirent la voie au développement des calculateursélectroniques. À partir des années 1950, les tubes furent progressivement délaissés au profit destransistors.

Parmi les milliers de contributions qui jalonnèrent ce parcours, il faut citer celles de l'AméricainEdwin Armstrong (1890-1953). Il fut le premier à utiliser le montage à réaction pour créer unoscillateur avec des triodes en 1912. En 1918, à partir de travaux menés par Fessenden, il inventa lerécepteur superhétérodyne qui marqua un progrès très important dans la réalisation des récepteurs.Cette technique consiste à créer des battements entre la fréquence des courants radioélectriquesinduits dans l'antenne du récepteur et le signal d'un oscillateur localisé dans le poste, ce quiengendre un signal porteur de la modulation BF à une fréquence dite intermédiaire, signal qui estensuite amplifié et redressé pour restituer le signal audio BF qui est envoyé dans les haut-parleurs.Avec ce montage, on pouvait accorder le récepteur sur différents émetteurs en faisant seulementvarier la fréquence de l'oscillateur local (par un condensateur variable à air), la fréquenceintermédiaire restant toujours la même. Cela améliorait la sélectivité et la sensibilité des récepteurs,tout en simplifiant grandement leur réalisation.

En 1933, Armstrong inventa aussi la modulation de fréquence (FM pour frequency modulation) : enfaisant agir le signal BF sur la fréquence de la porteuse radio plutôt que sur l'amplitude, il réussit àeffectuer des transmissions radio d'une qualité sonore inégalée jusque-là. Par rapport à lamodulation d'amplitude (AM pour amplitude modulation), la FM se révéla en effet bien moinssensible aux bruits et aux brouillages entre émetteurs de fréquences proches : lors de la sélectiond'une station (par ajustement de la fréquence de l'oscillateur local dans le poste), le récepteur FM« s'accroche » sur l'émetteur le plus puissant de la zone et ignore les autres, alors qu'en AM, lesémissions des émetteurs de fréquences proches se superposent dans le récepteur. En 1953,Armstrong montra qu'il est même possible de moduler la fréquence de la porteuse par un signalcomposite constitué du signal BF auquel on superpose un autre dans une bande de fréquencedécalée, et qu'on peut par un traitement adéquat retrouver les deux signaux dans le récepteur. Celadébouchera plus tard sur la radiodiffusion FM en stéréophonie.

La modulation de fréquence a introduit une véritable révolution dans les radiocommunications. Elleest universellement utilisée aujourd'hui.

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La transmission à distance des images fixes

Les télégrammes « autographiques »

Les études sur la transmission à distance d'images fixes ont commencé vers 1850, dès les premierstemps du télégraphe. Ce furent d'abord des essais de transmission de télégrammes« autographiques » sur les lignes. Dans le premier équipement véritablement exploité, lepantélégraphe mis au point par l'Italien Caselli, le document original se présentait sous la formed'une feuille métallique portant dessins et lettres inscrits avec une encre isolante, enroulée sur untambour. Un stylet fixé à un pendule actionnant un mécanisme d'horlogerie explorait ligne parligne la feuille : le courant électrique était interrompu à chaque fois que le stylet passait sur unepartie encrée. Le récepteur comportait une feuille de papier imprégnée d'une solution chimiqueenroulée de même sur un tambour et sur lequel se déplaçait un autre stylet actionné également parun pendule oscillant en synchronisme avec celui de l'émetteur. Le courant circulant dans la ligneentraînait un bleuissement de la feuille sous le stylet sauf quand il était interrompu. On pouvaitreconstituer de la sorte à l'arrivée une image en blanc sur fond bleu. La synchronisation despendules était obtenue par l'envoi périodique d'une impulsion de courant sur la ligne. Une varianted'un tel système (images en bleu sur fond blanc) fut effectivement exploitée entre Paris, Lyon etMarseille à partir de 1866.

La transmission des images

Ce premier dispositif fonctionnait en « tout ou rien » comme la télégraphie. Il ne pouvait transmettreque des images au trait, c'est-à-dire ne comportant que du noir et du blanc. La transmission dephotographies nécessitait qu'on arrive aussi à coder, transmettre et restituer des nuances de gris.C'est à l'Allemand Arthur Korn (1870-1945) que revient le mérite d'avoir réussi la premièretransmission d'une photographie par télégraphie entre Munich et Nuremberg en 1904. Laphotographie, fixée sur un cylindre tournant, était explorée par transparence, ligne par ligne ; lalumière recueillie était convertie en courant électrique par une cellule au sélénium (dont lespropriétés photoélectriques ont été découvertes en 1817 par le physicien suédois Jöns JacobBerzelius). À l'arrivée, les variations de courant agissaient sur une lampe au néon dont lesmodulations d'intensité lumineuse s'imprimaient ligne par ligne sur une surface photosensibleégalement fixée sur un cylindre et tournant en synchronisme avec celui de l'émetteur. En 1907, Kornréussit à transmettre des images de Nuremberg à Berlin puis de là à Paris et Londres. Mais sonsystème était lent, les images étaient de faible définition et donc peu exploitables. Il n'eut pasvraiment de succès, en dehors de l'Allemagne.

Pendant ce temps, le Français Édouard Belin (1876-1963) réussit également la transmissiond'images sur les lignes du télégraphe selon un autre procédé mettant à profit la différenced'épaisseur de la couche de gélatine du clair au noir dans une photographie. Il réalisa l'explorationde l'image avec un stylet, un peu à la manière de l'aiguille d'un pick-up lisant un disque audio, ce quifournissait un courant analogique variable, image des intensités de noir rencontrées par le stylet surson trajet. À l'arrivée le courant actionnait le miroir d'un galvanomètre qui déviait un pinceaulumineux dans une lame de verre teinté, d'épaisseur variable. Cela modulait l'intensité lumineuse du

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spot qui impressionnait une plaque photographique au rythme d'exploration de l'émetteur. Cesystème fut expérimenté avec succès sur une ligne télégraphique en boucle de 1 700 kilomètres en1907.

En 1913, Belin conçut une version portative de son système qui sera utilisée pour les reportages depresse. En 1920, il adapta son dispositif à la télégraphie sans fil. Enfin, en 1927, il abandonnel'exploration mécanique du relief de l'image au profit d'une exploration avec une cellulephotoélectrique. Une norme internationale verra le jour en 1929 pour mettre fin à la compétitionentre plusieurs systèmes concurrents apparus entre-temps.

Le système de Belin, appelé bélinographe, connaîtra un grand succès. Il sera utilisé dans lesrédactions de la presse jusque dans les années 1960. Il est l'ancêtre du télécopieur.

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La transmission à distance des images animées : latélévision

À partir de 1876, avec le développement du téléphone qui permettait de « parler à distance », unautre rêve devait occuper les esprits : le « voir à distance ». Pour cela, il fallait, comme pour lestélégrammes autographes ou les photographies, explorer une image par lignes successives,transformer l'information recueillie en courant à transmettre sur une ligne électrique puis, à l'autreextrémité, dans le récepteur, reconstituer l'image ligne par ligne. Mais dans le cas de la « télé-vision », il fallait effectuer ces opérations plusieurs dizaines de fois par seconde pour que lasuccession rapide des images sur le récepteur donne l'illusion du mouvement au spectateur distant.Cette série d'opérations a d'abord été réalisée par des moyens mécaniques, comme pour latransmission des images fixes, avant de devenir entièrement électronique.

La télévision mécanique

La télévision mécanique est née presque simultanément aux États-Unis et en Angleterre.

Outre-Atlantique, l'Américain Charles Francis Jenkins transmet des images animées (explorées etrestituées avec un système à miroirs tournants à raison de 45 lignes par image) en 1921 sur uneligne téléphonique. En 1925, il fait une démonstration de son « radio-vision » qui lui permet derestituer une image animée transmise par radio. En parallèle, son compatriote Ernst Alexanderson,un ingénieur de la compagnie R.C.A., fait en 1927 une démonstration publique de télévision avec unrécepteur projetant une image animée sur un écran de deux mètres. En 1928, les deux hommesproduisent des émissions expérimentales.

En Angleterre, John Logie Baird (1888-1946) commence les études d'un système de télévisionmécanique au début des années 1920. En 1925, quelques mois avant Jenkins, il fait une premièredémonstration à Londres. En 1928, il réalisera la première transmission d'images animées pardessus l'Atlantique. Pendant ce temps, en France, les premières études de télévision mécaniquemenées par René Barthélémy déboucheront sur des démonstrations publiques en 1931.

Le système de Baird utilisait un dispositif d'exploration et de restitution mécanique des images,breveté par l'Allemand Paul Nipkow en 1883 (fig. 8) : la scène à explorer (vivement éclairée) estprojetée sur un disque percé d'une série de trous décalés vers le centre le long d'une spirale, quitourne devant une cellule photoélectrique. Lors de la rotation du disque, l'image de la scène,délimitée par une fenêtre, est explorée par lignes horizontales (légèrement courbes) successives parle défilement des trous. L'intensité lumineuse traversant chaque trou module le courant émis par lacellule photoélectrique placée derrière le disque.

Télévision mécanique : principe du système de Nipkow

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Un système de télévision de ce type, à 240 lignes par image, conçu par l'Écossais JohnBaird, a été utilisé par la B.B.C. pour ses premières émissions, de 1929 à 1935. Il futensuite abandonné au profit d'un système entièrement électronique.

Crédits : Encyclopædia Universalis France

À l'arrivée dans le récepteur, les variations du courant modulent l'intensité lumineuse d'une lampeau néon devant laquelle tourne un autre disque, synchronisé avec celui de la prise de vue.L'observation de la lumière, modulée par la lampe à travers les trous défilants, reconstitue chaqueimage de départ, ligne par ligne.

Le système de Baird avait au début une très faible définition, 30 lignes par image, que son inventeurréussit progressivement à porter à plus de 200.

John Logie Baird

John Logie Baird (1888-1946), ingénieur et physicien britannique, un des pionniers de latélévision. Son procédé mécanique, mis au point en 1925, est fondé sur le disque Nipkowpour l'exploration (comme ici) et la restitution d'images.

Crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Les premiers systèmes mécaniques de télévision, qu'ils fussent à disques ou à miroirs tournants,étaient de réglage délicat. De par leur principe même, ils étaient limités en définition à quelque200 lignes par image. Malgré cela, ils ont été exploités pendant quelque temps, principalement enAngleterre où la B.B.C. réalisera, de 1929 à 1935, des émissions régulières avec un système de Bairdà 240 lignes. Mais le nombre de récepteurs ne dépassera pas le millier. À partir de 1936, la B.B.C.abandonnera ce système mécanique au profit d'un système électronique à 405 lignes et 25 imagespar seconde, de bien meilleure qualité.

La télévision électronique

Ce sont deux Américains travaillant indépendamment l'un de l'autre, Philo Farnsworth (1906-1971)et Vladimir Zworykin (1889-1982), qui mettront au point la télévision électronique. Ils conçoivent etfont breveter, chacun de son côté, un tube électronique spécial analyseur d'image mettant en œuvresensiblement le même principe. Le tube de Zworykin (breveté en 1923), dénommé iconoscope,comporte une surface photosensible (fig. 9) sur laquelle est projetée l'image de la scène àtransmettre. Un faisceau d'électrons explore ensuite cette image par lignes horizontales successives.

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Pour chaque ligne, un courant électrique, fonction de l'éclairage reçu par chaque point, est généréau passage du faisceau, courant qui engendre aux bornes d'une résistance une différence depotentiel variable, image de la ligne. Ce « signal de ligne » est ensuite amplifié et transmis, en mêmetemps qu'un certain nombre d'autres informations, vers le récepteur.

Télévision électronique : iconoscope de Zworykin

Liconoscope, breveté en 1923, est un tube de prises de vues. Il a été spécialementdéveloppé pour la télévision électronique par l'Américain Vladimir Zworykin. L'image dusujet, projetée au fond du tube sur un écran recouvert d'une couche photosensible, estanalysée par un faisceau...

Crédits : Encyclopædia Universalis France

Dans le récepteur, l'image est reconstituée dans un tube cathodique : l'écran du tube est revêtuintérieurement d'une substance photoémissive qui, frappée par un faisceau d'électrons, émet unelumière proportionnelle à l'intensité du faisceau incident. À la réception, les signaux de lignesmodulent l'intensité du faisceau d'électrons qui balaie l'écran du tube, ligne par ligne, ensynchronisme avec le balayage du tube analyseur d'image à l'émission. Ce processus reconstitue ennoir et blanc, ligne par ligne, l'image émise sur l'écran du tube cathodique devant lequel se tient lespectateur. Il faut naturellement que les processus d'analyse à l'émission et de reconstitution à laréception soient rigoureusement synchrones, ce qui nécessite la transmission d'informationsauxiliaires pour permettre au récepteur de se caler convenablement sur les signaux reçus. Enparallèle, il faut aussi capter, transmettre et restituer dans le récepteur le son qui accompagne lesimages.

La vitesse à laquelle tous ces processus complexes doivent se dérouler explique que la télévision aitdû attendre la mise au point d'un certain nombre de techniques électroniques pour pouvoir serépandre. Les premières démonstrations publiques de télévision tout électronique ont été faites parZworykin, en 1933. En 1939, R.C.A., la compagnie qui emploie Zworykin, réalise des émissionspubliques de télévision, à l'occasion de la foire mondiale de New York, d'une qualité telle que « tousles détails étaient discernables, même la texture cotonneuse des nuages ». En 1941, un organismefédéral – le National Television Standard Committee (N.T.S.C.) – fixe les normes à utiliser aux États-Unis : images de 525 lignes transmises 30 fois par seconde au format (largeur/hauteur) 4/3. Latransmission radio est faite par modulation AM de la porteuse par un multiplex portant lamodulation de l'image en bande de base, le son modulant une sous-porteuse en FM.

Tubes cathodiques

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De nombreuses améliorations furent apportées aux appareils de réception de la télévision,dans les laboratoires de recherche sur les tubes cathodiques de la Baird Television CoLtd, à Londres, dans les années 1930.

Crédits : Hulton Getty

Pendant ce temps, après quelques essais avec des définitions autour de 400 lignes en Angleterre, enAllemagne et en France, les pays européens adoptèrent en 1948 un standard à 625 lignes promu parla compagnie allemande Telefunken. La France de son côté adopta une définition d'image à819 lignes avant de se rallier au 625 lignes en 1964 pour la norme de télévision en couleurs.

La télévision ne se développera en média de masse qu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.Dans les pays d'Europe de l'Ouest et d'Amérique du Nord, les couvertures nationales serontassurées en quelque vingt ans, c'est-à-dire dans les années 1960-1970. Durant cette période de forteexpansion, la télévision, qui est intimement liée à la naissance du monde moderne, s'enrichirad'ailleurs de la couleur.

Si l'on excepte les démonstrations de quelques précurseurs, comme celle de Baird qui a su adapterla couleur à son système de télévision mécanique et faire une démonstration dès 1928, c'est surtoutaprès 1945 que les études ont été menées. Aux États-Unis, le système du N.T.S.C. en noir et blanc à525 lignes est enrichi de la couleur à partir de 1953. La norme correspondante est égalementconnue sous le sigle N.T.S.C. Son utilisation est actuellement limitée à l'Amérique du Nord et auJapon. En Europe, deux systèmes concurrents voient le jour en 1962 : en Allemagne, le P.A.L. (PhaseAlternating Line) est développé par Walter Bruch (c'est en fait une variante améliorée du systèmeN.T.S.C.) ; en France le Secam (Séquentiel couleur à mémoire) est développé par Henri de France.Ce dernier système est resté une norme de diffusion utilisée par un nombre limité de pays comme laFrance, les pays francophones d'Afrique, la Russie et ses anciens pays satellites. De son côté, leP.A.L. est devenu un standard mondial pour la production, la transmission et la diffusion d'imagesvidéo. De nos jours, pratiquement tous les téléviseurs disponibles sur le marché français sontcompatibles avec les deux systèmes puisque, avec le développement de la télévision directe parsatellite, il est possible maintenant de capter des émissions diffusées suivant la norme P.A.L. danstous les pays.

Parmi les évolutions récentes de la télévision, il convient de citer les études entreprises, sous lapoussée de l'industrie japonaise dans les années 1980, pour développer la télévision à hautedéfinition (TVHD) dont l'image comporte sensiblement deux fois plus de lignes. Ces études n'onttoutefois pas abouti : elles ont été abandonnées en 1994 au profit de la télévision numérique.

Commencées dans les années 1980, les études sur la télévision numérique sont toujours trèsactives. Pour réduire les débits d'information à transmettre, on ne cesse en effet de perfectionner lestechniques de compression d'image. Pour donner une idée des progrès accomplis, on peut dire quela télévision numérique en couleurs demande un débit non comprimé de 216 millions de bits parseconde. Dans les années 1995, on arrivait, sans perte de qualité, à comprimer ce débit dans17 millions de bits par seconde, simplement en supprimant les informations redondantes dans lesimages. Depuis, les algorithmes de compression ont été complexifiés (utilisation de nouvelles

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techniques mathématiques, incorporation de la reconnaissance de formes et de la prédiction demouvement d'une image à l'autre) et on arrive à une qualité équivalente à la télévision hertzienneanalogique avec un débit de seulement 2 millions de bits par seconde dans un format normalisé sousle sigle M.P.E.G. II (du nom du groupe qui a rédigé la norme : Moving Picture Expert Group) et quiest utilisé notamment dans les vidéodisques. La dernière évolution de cette norme permet le codagedes images en haute définition, accompagnées d'un son multicanal. Depuis le début du XXIe siècle, latechnique numérique est progressivement étendue à la télédiffusion hertzienne. Connue sous le nomde Télévision numérique terrestre (TNT), la diffusion hertzienne de la télévision sous formenumérique met en œuvre une nouvelle norme de diffusion, la DVB-T (Digital video broadcast-terrestrial) qui permet de multiplier par cinq le nombre de chaînes hertziennes et cela dans desconditions de réception bien meilleures qu'auparavant. Le déploiement de la TNT en France, décidépar le gouvernement en 2001, est devenu effectif en 2005.

Il est peu de personnes, aujourd'hui, qui n'aient pas accès à la télévision. Le nombre de téléviseursen service dans le monde dépasse largement le milliard. Dans tous les pays, la télévision a acquis unpoids sociétal tel qu'elle est devenue le terrain d'une lutte de pouvoir pour les organisationspolitiques et industrielles. Dans de nombreux cas, son accès est malheureusement encoreétroitement encadré par les gouvernants qui contrôlent les réseaux de diffusion et les programmes.Depuis une vingtaine d'années cependant, grâce aux satellites, cette situation évolue. Tous lesendroits habités du globe sont maintenant desservis par des dizaines, voire des centaines, dechaînes diffusées en clair ou sous forme codée. Pour les recevoir, il suffit d'avoir, en plus dutéléviseur, une antenne parabolique couplée avec un récepteur spécifique et, le cas échéant, undécodeur. Le prix de cet ensemble est en constante baisse et un véritable marché de masse s'estdéveloppé au niveau mondial pour des kits d'accès aux chaînes satellites. Cela favorise l'accès dupublic à une diversité d'opinions et de cultures et, dans les pays du Sud, lui fait souvent aussiprendre conscience de la fracture qui existe entre les pays développés et les autres. Les images deschaînes satellites ne connaissent pas les frontières géographiques. Elles contribuent à modeler lesopinions publiques au niveau d'un pays, d'une région, d'un continent, voire de l'ensemble de laplanète. Ce qui a des incidences politiques fortes tant nationales qu'internationales.

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Un enchevêtrement de réseaux à couvertureplanétaire

En un peu plus de deux siècles, l'histoire des télécommunications mène des antiques techniques dutam-tam, du sifflet et des tours à brasier, au télégraphe optique et électrique, au téléphone et auxradiocommunications : T.S.F., radiophonie, télévision (tableau). Là où autrefois il fallait des jours,des semaines voire des mois pour acheminer une dépêche, aujourd'hui quelques secondes suffisent :l'information désormais voyage à la vitesse de la lumière.

Télécommunications : quelques dates clés

Quelques dates clés dans l'histoire des télécommunications…

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En ce début du XXIe siècle, la Terre entière est couverte d'un enchevêtrement de réseaux detélécommunication de tous types qui se complètent, se chevauchent, s'interpénètrent et senourrissent constamment des techniques les plus modernes pour leur expansion et pour s'enrichiren nouveaux services. Parti des universités de Californie dans les années 1970, l'Internet est en traind'introduire une nouvelle révolution dans cet ensemble, grâce au mariage des télécommunicationsavec l'informatique. De nouvelles techniques de commutation où l'information est organisée,transportée et commutée sous forme de paquets (un peu à la manière de lettres dans un centre detri postal) se répandent ; de nouveaux systèmes d'accès au réseau à travers des modems à hautdébit, comme l'ADSL (asymmetric digital subscriber line), sont déployés et multiplient par 10 ou 50les vitesses d'accès des usagers aux services de l'Internet. Aux terminaux classiques, que sont lestéléphones (avec leurs dérivés comme les répondeurs, enregistreurs, etc.), les télécopieurs, lespostes radio et autres téléviseurs, vient s'ajouter le micro-ordinateur connecté sur le réseauInternet. Les capacités de traitement de ce nouveau terminal sont mises à contribution tant pour ledialogue avec le réseau et les terminaux des correspondants à l'autre extrémité, que pour assurerune bonne convivialité et une présentation adéquate de l'information à l'usager. Une grande variétéde nouveaux services devient ainsi possible, à la croisée des télécommunication, de l'audiovisuel etdu traitement de données, dont les professionnels et les utilisateurs sont loin d'avoir pris toute lamesure.

Véritable système nerveux de la planète, cet ensemble de réseaux ne cesse de se réticuler et de secomplexifier, donnant naissance à ce qu'on a appelé une infostructure, infrastructure véhiculant del'information au sens large, de quelque nature qu'elle soit. L'importance économique de cettestructure ne cesse de croître : la quantité d'information circulant dans le monde ainsi que son poidsdans les produits d'échange entre pays augmentent à une cadence vertigineuse. Cette évolution vers

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une « société de l'information », en même temps qu'elle charrie ses maux propres, telle l'apparitionde nouvelles inégalités entre pays ou citoyens « inforiches » et « infopauvres », est cependantporteuse d'espoirs nouveaux pour l'humanité.

Les réseaux de télécommunication, en permettant aujourd'hui à chacun d'être joint partout etd'entrer en relation avec l'un quelconque de ses milliards de semblables, où qu'il se trouve, ontvirtuellement aboli les distances. Les télécommunications ont conféré à l'homme le don d'ubiquité.

— René WALLSTEIN

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POUR CITER L’ARTICLE

René WALLSTEIN, « TÉLÉCOMMUNICATIONS -Histoire », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 05 décembre 2018. URL :http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/telecommunications-histoire/