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THEMA Avenir et frontières Édition 2/2012 pacan mondon! 2 Esperanto – autrefois inventé, pour abattre les frontières linguistiques. Quel est le potentiel de la langue construite 120 années après? Le combat pour les trésors de Neptune 4 D’innombrables trésors de fond reposent dans la profondeur des océans. Or, aucune frontière n’est établie en haute mer. Qui est ainsi autorisé à exploiter et où? Le mythe de la croissance éternelle 8 De nombreuses matières premières tou- cheront à leur fin au cours des décennies prochaines. Seule une mentalité nou- velle peut assurer la survie de notre civi- lisation. Génération de la peur 10 Les peurs se diversifient avec la multipli- cation des possibilités de choix. Quand la peur est-elle fondée et quand devient- elle inutilement un frein? Comme deux gouttes d’eau 6 Le culte de l’individualité semble ne connaître aucune barrière. Chacun veut être diffé- rent, veut être spécial. Que se passe-t-il lorsque les autres de- viennent comme tous les autres, comme maintenant où la mode dite Hipster commence à épou- ser l’optique Mainstream?

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Génération de la peur 10 Le culte de l’individualité semble ne connaître aucune barrière. Chacun veut être diffé- rent, veut être spécial. Que se passe-t-il lorsque les autres de- viennent comme tous les autres, comme maintenant où la mode dite Hipster commence à épou- ser l’optique Mainstream? De nombreuses matières premières tou- cheront à leur fin au cours des décennies prochaines. Seule une mentalité nou- velle peut assurer la survie de notre civi- lisation.

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THEMA Avenir et frontières Édition 2/2012

pacan mondon! 2Esperanto – autrefois inventé, pour abattre les frontières linguistiques. Quel est le potentiel de la langue construite 120 années après?

Le combat pour les trésors de Neptune 4D’innombrables trésors de fond reposent dans la profondeur des océans. Or, aucune frontière n’est établie en haute mer. Qui est ainsi autorisé à exploiter et où?

Le mythe de la croissance éternelle 8De nombreuses matières premières tou-cheront à leur fin au cours des décennies prochaines. Seule une mentalité nou-velle peut assurer la survie de notre civi-lisation.

Génération de la peur 10Les peurs se diversifient avec la multipli-cation des possibilités de choix. Quand la peur est-elle fondée et quand devient-elle inutilement un frein?

Comme deux gouttes d’eau 6Le culte de l’individualité semble ne connaître aucune barrière. Chacun veut être diffé-rent, veut être spécial. Que se passe-t-il lorsque les autres de-viennent comme tous les autres, comme maintenant où la mode dite Hipster commence à épou-ser l’optique Mainstream?

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Préface

Dossier compatible Shortcut.

Tout ce que nous faisons porte à consé-quence, influençant ainsi notre avenir et l’avenir de nos semblables. Parfois dans une moindre mesure, parfois dans une large me-sure, parfois de façon immédiate, parfois quelques années ou générations après. Nous tous ne sommes pas uniquement re-liés les uns aux autres depuis la révolution Internet. Nous sommes depuis tout temps une partie de la nature fonctionnant comme un système d’éléments s’influençant réci-proquement. Cependant nous semblons préprogrammés pour établir des limites. Nous ici, les autres là. Selon certaines études, le cerveau humain ne serait tout simplement plus en mesure d’estimer des communautés de plus de 150 personnes. Nous pouvons donc en conclure qu’un réflexe typiquement humain nous in-cite à considérer comme appartenant aux «autres» toute personne ne faisant pas par-tie des 150 amis et connaissances propres, plus exactement des prochains. Nous divi-sons les autres en groupes et attribuons à ceux-ci certaines caractéristiques. Nous établissons une limite émotionnelle face aux groupes jugés trop exigeants car ils ne nous comprennent pas en raison d’une barrière linguistique ou d’obstacles culturels, nous craignons ces personnes et les combattons, dans le pire des cas, à cause de leur diffé-rence. Les barrières trouvent leur origine dans l’es-prit. Nous pouvons ainsi les surmonter. Car comme nous le savons des récentes re-cherches en neurologie, notre cerveau dis-pose d’une capacité d’apprendre extrême – plus importante que ce que nous imaginons. Nous devons «seulement» entraîner notre cerveau, toujours se remettre soi-même et le monde en question, casser les vieux schémas, casser les nouveaux schémas, observer différemment les choses, oser la nouveauté. Ceci semble, dans un premier temps, fatigant et l’est également, mais conduit, à long terme, à plus de paix. En son for intérieur et dans le monde.

Un monde pacifique! – L’Esperanto de-vait permettre de lever toutes les bar-rières linguistiques. Et plus encore: un monde plus pacifique devait être créé. La langue construite a été inventée voi-ci 125 ans; plus d’un million de per-sonnes la maîtrisent. Le monde n’est pas devenu plus pacifique.

PHILIPP SCHORI

«Les Slovènes tentent depuis des dé-cennies d’annexer une partie de l’Au-triche.» Jörg Haider, l’un des politiciens les plus influents dans notre pays voi-sin, distilla toute sa vie ce message de mise en garde. Ainsi, les inscriptions sur les panneaux indicateurs de tous les villages du sud de l’Autriche doivent uniquement figurer en langue alle-mande – bien que Slovènes et Autri-chiens se côtoient depuis des siècles dans des douzaines de villages.La coopération des deux groupes lin-guistiques se déroula, durant des siècles, sans encombre: aucun conflit, rien – jusqu’à l’émergence de l’idée du nationalisme. Allemands, Français et Italiens inscrivirent dans leurs livres que leur nation était un cadeau de Dieu, qu’elle était précieuse, plus précieuse que toute autre, que leur peuple devait

pacan mondon!

ainsi être solidaire. D’autres personnes crurent à cette idée; dans leur esprit se formèrent des nations qui n’existaient pas auparavant. Et qu’advient-il de ceux qui n’en font pas partie? Ne pas leur prêter attention? Ce serait une possibilité. Un ennemi externe, que l’on peut maltraiter, se révèle souvent indispensable à la cohé-sion interne. Adolf Hitler, comme cha-cun sait, poussa cette idéologie à l’ex-trême. En 1942, les Slovènes en Au-triche en ont également fait l’expé-rience: beaucoup furent discriminés, quelques-uns déportés.

Un oculiste invente la plus célèbre des langues construites Adolf Hitler et Jörg Haider sont décédés aujourd’hui. Une décision officielle a récemment mis fin aux querelles rela-

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Manifeste de Prague en faveur du mouvement pour la langue internationale Esperanto

1. DémocratieUn système de communication international privi-légiant à vie une partie de l’humanité et exigeant d’une autre de faire des efforts durant des années sans pour autant atteindre un niveau de langue semblable, reste fondamentalement antidémocra-tique. Bien que l’Esperanto, comme toute langue, ne soit pas parfaite, elle surpasse de loin toute ses concurrentes pour une communication égalitaire dans le monde entier.

2. Éducation transnationale Toute langue nationale est liée à une culture pré-cise et à un ou plusieurs peuples. Lors d’un cours d’anglais, les élèves découvrent ainsi la culture, la civilisation et la politique relatives aux pays anglo-phones, notamment les USA et la Grande Bre-

tagne. En revanche, un cours d’Esperanto permet aux élèves de se familiariser avec un monde sans frontières, dans lequel chaque pays constitue une partie du pays natal.

3. Succès du cours de langues Seul un faible pourcentage des personnes étudiant une langue étrangère apprend réellement celle-ci. La maîtrise de l’Esperanto est, en revanche, pos-sible sans l’aide d’un professeur. Selon diverses études scientifiques, la connaissance de l’Espe-ranto faciliterait l’apprentissage d’autres langues. L’Esperanto est également recommandé en cours comme support d’entraînement encourageant la conscience de la langue des participants.

4. PlurilinguismeLes espérantophones représentent la seule com-munauté linguistique au monde dont les membres sont sans exception bilingues ou polyglottes. Cha-cun d’entre eux s’est donné pour tâche d’ap-prendre au moins une langue étrangère jusqu’à maîtriser celle-ci. Ceci permet très souvent de connaître et d’estimer plusieurs langues et généra-lement d’élargir son horizon personnel.

5. Droits linguistiquesL’inégale répartition de pouvoir des langues mène, à la mise en danger voire à l’oppression directe de la langue d’une grande partie de la population mondiale. Au sein de la communauté espéranto-phone se rencontrent des locuteurs de langues ré-pandues dans le monde entier ou moins connues, officielles ou non officielles dans un esprit de com-préhension consciente et mutuelle et sur un terrain linguistique neutre. Cette pondération des droits et des devoirs constitue un chemin de développe-ment et d’appréciation d’autres signes permettant de résoudre les discriminations et les conflits lin-guistiques.

6. Diversité des languesLes gouvernements nationaux ont tendance à concevoir la grande diversité linguistique comme un obstacle à la communication et au développe-ment. Cette diversité est en revanche, pour la com-munauté espérantophone, une source constante et indispensable de richesse culturelle. Ainsi, toute langue est, en tant qu’expression d’une forme de vie, précieuse en soi et mérite d’être protégée et soutenue.

7. Émancipation de l’humanité Chaque langue élargit et délimite l’horizon de ses locuteurs en leur offrant la possibilité de se com-prendre entre eux tout en empêchant cependant une communication avec des locuteurs d’autres langues. Outil de compréhension mutuelle, l’Espe-ranto incarne l’une des grandes entreprises d’émancipation humaine, une entreprise permet-tant à l’Homme d’être fortement enraciné dans la culture et dans la langue de son pays natal sans être limité par celles-ci et de prendre part à la com-munauté humaine en tant qu’individu.

Décidé dans le cadre du 81ème congrès mondial d’Esperanto à Prague, juillet 1996. Tiré de la tra-duction de l’original rédigé en Esperanto et autori-sée par l’Association allemande d’Esperanto loi 1901.

tives aux panneaux des localités: 164 villages sont, depuis avril 2012, annon-cés – comme le prévoit la constitution – aussi bien en langue allemande qu’en langue slovène. Toutefois, l’idée d’utiliser la langue comme instrument de délimitation na-tionaliste n’est pas enterrée pour au-tant. Car l’idée existe un peu partout, en Espagne avec les Basques ou dans l’ex-Yougoslavie, où les langues serbes et croates sont chargées d’une grande fierté populaire, bien qu’elles soient identiques.Ludwik Lejzer Zamenhof – plus connu sous le nom de Dr. Esperanto – connais-sait déjà cette problématique dans les années 1880. L’oculiste grandit dans la Pologne actuelle. Dans sa ville habi-taient porte à porte Juifs, Polonais, Russes, Allemands, Biélorusses et Li-tuaniens, mais qui avaient peu de choses à se dire. Enfant, Zamenhof ob-servait déjà les vendettas éclatant continuellement entre les groupes lin-guistiques. «Lorsque je serai adulte», se dit-il, «je créerai une langue facile à ap-prendre, grâce à laquelle chacun pour-ra communiquer en toute égalité»: ter-minées les confusions linguistiques babyloniennes, place au pacan mon-don, place à un monde pacifique! Il po-sa, en effet, en 1887 les premiers jalons de l’Esperanto, la plus célèbre des lan-gues construites à ce jour. 125 ans plus tard, nous constatons: Dr. Esperanto a échoué. Selon des esti-mations optimistes, un million de per-sonnes parlent l’Esperanto aujourd’hui. La langue n’est, certes, pas menacée de disparaître mais elle est insignifiante et peu à même de rétablir la paix.

Grâce aux soap-opéras, Hollywood et la PopSeuls les plus puissants de ce monde auraient pu propager avec succès l’Es-

peranto et hisser celui-ci au rang de Lingua franca. Car seule une hégémo-nie économique, militaire et culturelle permet la naissance de langues inter-nationales. Mais ceci ne serait pas allé dans le sens de l’oculiste de l’Europe de l’Est pour qui l’Esperanto devait venir du bas et être depuis toujours la langue de tous. L’entreprise du Dr Esperanto échoua, mais réussit à l’empire britannique qui établit l’anglais, et aux Etats-Unis qui propagèrent cette langue: non par les guerres mais grâce aux soap-opéras, à Hollywood et à la Pop. Mais cette nou-velle Lingua franca améliore-t-elle le monde? À peine. Car les différences entre les êtres humains peuvent s’in-venter à volonté et ne pas être obligatoi-rement dues à la langue. Les êtres hu-mains peuvent également se démar-quer à l’aide de leur habillement, leur couleur de peau ou de leur barbe des supposées autres personnes et impor-tuner celles-ci. Il faut plus que l’Espe-ranto pour laisser sans voix les me-neurs de guerres.

En 1963, sur le plateau de tournage «d’Angoroj» (supplices), le premier film tourné en Esperanto. L’histoire policière se situant dans le milieu des pickpockets et des fraudeurs à Paris n’a guère été présentée dans les cinémas. Aujourd’hui, il n’en existe plus que 2 bobines. Le film est paru en 1991 en vidéo.

Photographie cette page via Shortcut et regarde des extraits «d’Angoroj».

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Dans les profondeurs des océans re-posent de précieux trésors de fond. L’exploitation de matières premières sur la terre ferme étant déjà bien avan-cée, de nombreuses nations ont com-mencé à élargir leur rayon d’action. Or, aucune frontière n’existe en haute mer, rendant difficile la réglementation et la limitation de l’exploitation de ma-tières premières.

ARTHUR FINK

Nodules de manganèse et fumeurs noirs Les nodules de manganèse constituent l’un des produits les plus précieux au fond des océans. Ils contiennent des métaux tels le cuivre, le nickel et le co-balt. Ces matières premières sont des composantes essentielles à la fabrica-tion d’appareils électroniques. Les no-dules de manganèse se forment suite à la décomposition chimique des crusta-cés et ne croissent que de 5 millimètres en un million d’années. Les fumeurs noirs, croûtes et cheminées apparues avec l’activité volcanique, sont égale-ment un fournisseur de matières pre-mières économiquement intéressant. Ils sont riches en cuivre, en zinc, en or et en argent. Mais du pétrole et du gaz ainsi que d’autres matières premières importantes reposent dans les fonds marins. De nombreuses nations en-voient des équipes de chercheurs afin de découvrir les emplacements de ces trésors.

De jureLa mer est juridiquement divisée en trois zones: les eaux côtières s’étendant sur plus de douze milles marins (22.2 km) à partir de la côte, c’est le ter-ritoire national propre à chaque pays. Jusqu’à deux cents milles marins (370.4 km), l’État concerné dispose d’un droit sur l’exploitation économique et sur les ressources naturelles. Puis dé-bute la haute mer obéissant au droit in-ternational en vigueur, les trésors de

Le combat pour les trésors de Neptune

fond sont, selon les conventions des Na-tions Unies, patrimoine commun de l’humanité. L’ISA, l’autorité internationale des fonds marins, sous l’égide de l’ONU, est compétente pour le maintien de cet hé-ritage. Elle délivre les licences autori-sant les nations à sonder des zones dans les grands fonds.

ConflitsLes dispositions juridiques internatio-nales actuelles ne réglementent pas suffisamment l’exploitation, ce qui pro-voque des conflits. Citons le cas au Groenland, où Russie, Norvège, E-U, Canada et Danemark se querellent sur les droits à l’exploitation de matières premières. Le pétrole est à la source du conflit: les trois pays disposent là-bas de territoires, qui sont territoires natio-naux. Mais de nombreux territoires en Arctique se situent en haute mer. En 2007, une troupe de sous-marin russe hissa le drapeau sous l’Arctique et la presse rendit compte d’une guerre froide débutant au Pôle Nord. En mer de Chine orientale, Japon et Chine se que-rellent pour des nodules de manganèse que les deux pays souhaitent utiliser dans la production d’articles high-tech.

Quo vadisL’industrie minière dans les grands fonds n’est pas encore vraiment déve-loppée. La part des matières premières extraites des océans reste faible sur le

marché mondial. Ceci s’explique par la situation juridique souvent délicate et les coûts énormes liés à la recherche et au développement de nouveaux appa-reils. Les précieuses matières pre-mières se trouvent généralement à plus de quatre cents mètres sous le niveau de la mer et peuvent ainsi difficilement être sondées. Peu de zones de grands fonds ont été systématiquement explo-rées. Malgré tout, la recherche et l’ex-ploitation des grands fonds prendront de l’importance au cours des pro-chaines décennies et rapporteront des revenus économiques comme s’ac-cordent à le souligner tous les cher-cheurs, selon lesquels également ce type d’activité ne pourra pas remplacer l’exploitation de matières premières sur le continent.

Les fumeurs noirs sont des cheminées sur le fond de l’océan. Ils rejettent une eau chaude pouvant atteindre 400 °C et riche en minéraux. Certains biologistes de l’évolution supposent que la vie sur terre s’est développée à l’origine à proximité des fumeurs.

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Les jeunes individus du monde occi-dental sembleraient presque obsédés par le particularisme. D’où vient cette volonté de se démarquer? Va-t-elle en-core s’intensifier à l’avenir et où mène cette tendance?

MARTINA MESERLI

Le sociologue Ferdinand Tönnies avait déjà identifié en 1935 l’individualisme comme déterminant uniquement une période intermédiaire car il succède simplement à une époque figée et «es-sentiellement communautaire» et pré-cipite sa chute inévitablement en pre-nant un caractère «essentiellement social». Ou autrement dit: chaque cou-rant individuel est repris tôt ou tard par une grande majorité, entraînant ainsi la disparition de cet individualisme et l’obligation pour les individualistes de se mettre en quête de nouveautés. Le jeu recommence comme précédem-ment … Oui, ceci est un calvaire éternel avec l’individualisme. Ne ressentons-nous pas nous-mêmes le besoin constant de nous distinguer de la masse, de nous libérer des multiples contraintes du collectif ? Les vêtements et les accessoires constituent le moyen le plus simple pour révéler au monde notre non-conformisme. Qui pouvait penser que les grosses lunettes d’autre-fois, les pantalons étroits et les ta-touages généreux annonceraient un phénomène dans l’esprit du temps? Per-sonne. Justement. C’est pourquoi ce look était particulièrement apprécié par un groupe de personnes souhaitant se distinguer des autres. Ce petit groupe donna malheureusement et rapidement naissance à un mouvement – devrait-on dire uniformisé – dont l’originalité optique correspond à la diversité d’un élevage en batterie: un œuf ressemble à un autre comme deux gouttes d’eau. Que H &M en soit remercié!

Comme deux gouttes d’eau

Culture de l’extrême L’individualité ne connaît aucune fron-tière et toute personne effectuant un voyage autrefois pouvait encore racon-ter quelque chose. Les compagnies aé-riennes bon marché s’envolent vers des endroits encore perdus de cette terre. Il ne suffit plus de rechercher des îles iso-lées, d’apprendre des langues exotiques car la découverte des sommets de l’Hi-malaya est presque de bon ton au sein d’un cercle d’amis. Les extrêmes poli-tiques deviennent de plus en plus fré-quentables et une vie en tant que végé-talien n’impressionne plus personne. Bien qu’un comportement individua-liste caractérise à divers niveaux toutes les cultures, il est intéressant de consta-ter surtout l’obsession gagnant le monde occidental fortuné à afficher une cer-taine originalité. Des études psycholo-giques ont révélé que des personnes is-sues de cultures collectivistes – les pays asiatiques spécifiquement – ont ten-dance à se confondre dans la masse. Ce que confirme un proverbe chinois: «Le clou dépassant sera enfoncé dans la planche». Ceci s’explique par le contexte historique du communisme et du maoïsme, mais nous laisse en suspens avec la question de savoir si une prise de distances croissante de la génération à venir face à une forme de société col-lectiviste ne marquerait pas un tour-nant vers l’individualisme. Notamment car le système occidental individualiste est considéré, au sein des cercles écono-miques, comme étant manifestement le plus performant sur la terre.

Individualité vs. AuthenticitéEt nous? Où ce chemin nous mène-t-il s’il ne tend pas à s’orienter politique-ment plus vers la gauche? À droite? Que faire à l’avenir si un style de vêtements ne permet plus de définir son indivi-dualité? Nous couper le petit doigt? Si Ferdinand Tönnies vivait encore, il sourirait simplement fatigué, ferait ré-férence à son livre «Esprit des temps modernes» avec ces mots: «Je vous l’avais bien dit». Une entreprise vaine et fatigante de surcroît. Ainsi, relaxons-nous, cessons de vouloir nous damer le pion dans cette compétition à l’origina-lité et admettons enfin l’authenticité comme base unique de la véritable in-dividualité.

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Le stéréotype d’un Hipster: il vit à Berlin-Kreuzberg, est végétalien, achète ses vête-ments dans des boutiques de Second-Hand et se déplace sur un vélo minimaliste. Il filme sa vie à l’aide d’une caméra analogue. Il scanne ses photos et les publie sur son blog.

Photographie cette page via Shortcut et regarde la parodie «Evolution of the Hipster».

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Notre système économique se base sur la croissance – la croissance quantita-tive. L’idéologie du toujours plus est condamnée à disparaître dans un monde aux ressources disponibles li-mitées. L’histoire d’un État insulaire pacifiste en est un bon exemple.

ARCI FRIEDE

Le frein de la croissance arriveTandis que la crise économique, finan-cière plus exactement s’abat comme une tempête de glace sur des pays tels la Grèce, le Portugal et l’Espagne, la Suisse doit tout au plus s’habiller chau-dement. Avec un taux de chômage de 3,4 % (état mars 2012) et un endette-ment public représentant 51 % du PIB en 2011, notre pays compte parmi les États les plus sains économiquement. De prime abord, le secteur financier est rendu responsable de la crise persis-tante et est accusé d’être tombé dans l’arrogance et la cupidité. Mais la branche financière «n’est en effet que» le visage hautain d’un organisme éco-

Le mythe de la croissance éternelle

nomique souffrant en son sein de l’idée selon laquelle la croissance écono-mique est possible à l’infini et néces-saire à notre bien-être. En 1950, lorsque l’économie mondiale entrait dans une phase de croissance sans précédent après les grandes guerres et que la pla-nète abritait 2,5 milliards de personnes n’ayant pas été sensibilisées aux consé-quences écologiques de leurs actes, les mots ultra-capitalistes «bigger, better, faster, more» résonnaient tels un slogan inoffensif. Aujourd’hui, alors que la ra-reté des ressources détermine l’agenda politique mondial, que le prix des ma-tières premières ne cesse d’augmenter, et qu’un milliard de personnes sub-

sistent quotidiennement avec moins de 1,25 dollar, cette logique s’avère fausse de toute évidence. Les scienti-fiques nous avaient déjà mis en garde contre le caractère limité des matières premières dès la fin des années 50, lorsque nous essayions pour la pre-mière fois de calculer le moment où se-rait atteint le maximum de l’extraction de pétrole global.

Exemple de NauruPendant que l’on situe le «Peak Oil» se-lon les derniers pronostics autour de 2030, l’exemple de Nauru démontre, à une moindre échelle, les conséquences dévastatrices du tarissement des

Nauru, située en plein océan Pacifique, était, à l’exception d’une étroite bande côtière, recou-verte de phosphates. Leur exploitation procura durant des décennies une richesse incroyable à l’état insulaire. Aujourd’hui, ce petit pays se trouve au bord de la faillite.

Photographie cette page via Shortcut et regarde le reportage «Nauru – Paradise Lost».

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Na sait pas/autres 1%

Épanouissement au travail 2%

Communauté et amis 5%

Vie religieuse/spirituelle 6%

Argent et situation financière 7%

Appartement agréable 8%

Santé 24%

Partenaires/conjoints et relations familiales 47%

sources de matières premières sur une économie reposant sur les énergies fos-siles. L’état insulaire de Nauru est situé au nord-est de l’Australie, perdu en plein Pacifique. La plus petite répu-blique de la Terre occupe une superfi-cie de 21 kilomètres carrés et est peu-plée de 9000 personnes. Durant des millénaires, l’île fut une aire de repos pour les oiseaux migrateurs. Les déjec-tions et les squelettes des volatiles qui se sont mêlés à la terre et aux coraux ont permis la constitution dans le sol de Nauru d’immenses quantités de phos-phates. Ceux-ci sont les principaux composants des engrais. La demande en engrais augmenta fortement avec l’accroissement drastique de la popula-tion en Europe après la Seconde Guerre mondiale et l’intensification de l’agri-culture. En 1974, après le premier choc pétrolier qui entraîna une hausse du prix des matières premières, le petit État gagnait 450 millions de dollars australiens avec l’exploitation de phos-phates, puis en moyenne entre 90 et 120 millions par an. Nauru devint ainsi le pays le plus riche au monde. Aucun de ses habitants ne payait d’impôts, des personnes provenant des îles voisines et de Chine étaient conviées à travailler sur Nauru. L’État envoyait ses jeunes étudier dans les meilleures universités d’outre-mer et les malades s’envolaient pour les cliniques renommées de Mel-bourne. Chaque citoyen se vit égale-ment attribuer une femme de ménage aux frais de l’État. Les habitants étaient devenus des rentiers nonchalants et dé-pensiers s’achetant tout ce qu’ils sou-haitaient: téléviseurs, chaînes stéréo, autos, bateaux de sport, maisons en Australie, aux USA et en Europe. L’ex-cès connut une fin abrupte dans les an-nées 1990, lorsque 80 % de la surface

insulaire furent usés, la quantité ex-ploitée s’interrompit avec un maximum annuel de 500 000 tonnes et que les caisses de l’État furent vides suite à une mauvaise gestion. Grâce à une poussée de l’immobilier nationalisé à l’étranger et des paquets d’actions, le gouverne-ment a essayé à maintes reprises d’as-surer le standard de vie luxueux des habitants. En vain. Aujourd’hui le gou-vernement prélève à nouveau des im-pôts et bénéficie de l’aide financière de l’Australie.

Changement spirituelL’exemple de Nauru montre que l’ex-ploitation impitoyable de la nature et la consommation gaspilleuse finissent, bon gré mal gré, en désastre – d’un point de vue économique, écologique et social. Les ressources fossiles, princi-pal combustible de notre moteur de croissance, ne sont pas illimitées, notre planète est limitée. Il n’est pas certain que les matières premières d’origine vé-gétale, les énergies renouvelables et les

progrès technologiques puissent un jour combler ces lacunes – ceci est même plutôt improbable. Tim Jackson, professeur pour le développement du-rable et auteur du livre «Bien-être sans croissance – Vies et économies dans un monde limité», propose que nous redé-finissions notre conception du bien-être. Dans un monde tourné vers la consommation, nous associons de fa-çon primaire le bien-être à la richesse matérielle. Jackson voit le Mal dans cette approche unilatérale et complète ses propos: «Le bien-être résulte de la capacité à donner et à recevoir de l’amour, à être considéré par les autres, à apporter une contribution sensée à la société, à avoir le sentiment d’apparte-nir et de faire confiance à une commu-nauté, à pouvoir coorganiser la société et à trouver une place dans ce monde». Des choses qui ne peuvent pas être ac-quises avec de l’argent.

En 2005, la station de radio britannique BBC commanda une étude sur les facteurs influençant le bien-être subjectif (bonheur).

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Toute personne non peureuse vit dan-gereusement. En revanche, toute per-sonne trop craintive se freine elle-même et entrave son avenir. Mais com-ment naît la peur? Et comment diffé-rencier une peur saine de craintes irrationnelles?

MARTINA MESSERLI

L’Institut de recherche sociale gfs n’a publié que récemment le nouveau «ba-romètre de la peur». L’étude annuelle menée fait apparaître de façon repré-sentative les situations jugées subjecti-vement menaçantes par la population suisse. Mais qu’est-ce-que la peur en fait? La peur est un sentiment qui s’ex-prime sous forme d’inquiétude et d’agi-tation dans des situations ressenties comme menaçantes. Un sentiment sou-vent empreint de désespoir, lié à la perte du contrôle intentionnel et ra-tionnel de la personnalité et de l’action propre. Dans l’histoire de l’évolution, la peur a une fonction importante: elle est un mécanisme de protection, ini-tiant un comportement adapté à des si-tuations à risques et nous incitant, par exemple, à prendre la fuite. Toute per-sonne connaît le sentiment de peur. Il regroupe le malaise ressenti en se pro-menant seul la nuit dans une rue dé-serte, le léger frisson en délogeant de la douche la grosse araignée noire, ou le sentiment de panique qui paralyse, fait battre le cœur à vive allure et serre la gorge – comme le décrit si bien l’ori-gine étymologique du terme «angere» (lat.). Lorsque nous ressentons de la peur, notre corps libère des hormones de stress. Celles-ci augmentent la ten-sion artérielle et la fréquence car-diaque, provoquent une meilleure irrigation sanguine des muscles et du cerveau et ainsi un plus grand apport en oxygène. Nous réagissons avec promptitude et sommes plus attentifs. Ainsi, toute personne non peureuse – certaines souffrant d’une absence de peur pathologique et ignorant les dan-gers par agressivité subliminale – vit dangereusement.

Génération de la peur

Canon populaire des peurs Retour au baromètre de la peur. Tout en haut de la liste trône depuis des années la peur de la pollution de l’air et du changement climatique. Les craintes face à la pollution nucléaire ont connu une forte progression après la catas-trophe du réacteur de Fukushima, mais devraient néanmoins rester un phéno-mène ponctuel qui s’effacera bientôt de la conscience des Hommes. Viennent ensuite la peur de l’égoïsme des Hommes, d’une dépendance croissante de l’économie et la peur de la crimina-lité. Bien que l’étude scientifique soit représentative, ces peurs ne semblent pas concrètes d’une certaine façon pour tous, relativement éloignées des craintes et des soucis quotidiens. Rame-née brièvement à un environnement personnel, l’étude présente une tout autre image: la peur quasi intense d’un échec professionnel, étroitement liée à la question du choix adéquat de la for-mation et de la possibilité de trouver un travail après avoir terminé ses études supérieures. Viennent ensuite la peur d’être seul, et simultanément la peur de se lier trop tôt. Sont souvent évoquées également la peur face aux maladies in-curables ou à la mort prématurée d’un membre de la famille, ainsi que la peur face à la finitude de son propre soi. Toutes ces craintes peuvent se résumer ainsi: la peur de l’avenir. Peur face à l’incertitude.

Les peurs de la troisième génération L’auteur et psychanalyste allemand Wolfgang Schmidbauer qualifie sans détour, au cours d’une interview pour le magazine NEON, les jeunes adultes d’aujourd’hui de «génération de la peur». Il constate, durant son travail au

quotidien, «que les individus sont deve-nus plus craintifs au cours des trente dernières années». Concrètement, il évoque essentiellement des peurs so-ciales: «la peur d’une relation sérieuse, de la proximité, de l’engagement». Il in-voque comme raison principale une so-ciété devenant de plus en plus com-plexe. Les peurs se diversifient avec la multiplication des possibilités de choix. «Plus nous possédons, plus nous pou-vons perdre», résume Schmidbauer. Se-lon lui, la société de connaissances ex-pliquerait également le doute de soi et les peurs gagnant en gravité. «Plus nous nous connaissons nous-mêmes, plus nous pouvons également mal faire de façon subjective». Ceci semble logique, mais comment s’y prendre avec la peur? Et comment établir une limite entre peurs fondées, saines et celles freinant un individu? Schmidbauer présente une solution très simple. «Posez-vous la question suivante: est-ce vraiment un risque vital? Si la réponse est positive, il faut mieux suivre sa peur. Si la ré-ponse est négative, il est préférable d’ignorer la peur.» Finalement, les indi-vidus ont plus peur des éventualités que des réalités.

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Comme je souhaite à l’avenir débuter des études supérieures, parallèlement à mon travail, et continuer à me consacrer à mes hobbies, j’ai souvent peur de ne pas pouvoir tout mener de front et d’échouer éventuellement.

Ma représentation de l’avenir n’est pas empreinte d’un sentiment de peur. Même s’il m’arrive quelquefois de regretter le passé ou de m’accrocher à un état de faits, j’essaie plutôt de me concentrer sur mon devenir. Je me réjouis de l’avenir.

Puisque personne ne peut considérer notre Terre comme sa propriété, nul ne prend la responsabilité de la préserver. Cette situation me préoccupe.

Je trouve super que nous disposions aujourd’hui de nombreuses possibilités. Quelquefois, lorsque je pense à l’avenir, j’angoisse à l’idée de prendre éventuellement une mauvaise décision ou de choisir la mauvaise voie.

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Le dossier à thème «Avenir et frontières» est publié en annexe au magazine 2/2012, www.euro26.ch Editeur SJAG, Berne Idée / Coordination euro26, Berne Concept / Réalisation grossartig, Berne Texte / Rédaction Arthur Fink, Arci Friede, Martina Messerli, Philipp Schori Adaptation française Consultra AG, Zurich Impression Büchler Grafino AG, Berne Photos Janosch Abel (p. 11), Wikipedia (autres pages) Illustration Rodja Galli Responsabilité SJAG n’assume aucune responsabilité pour les contenus rédactionnels de tiers. Les déclarations et opinions de tiers ne reflètent pas forcément la position de SJAG. L’emploi du masculin est utilisé pour garantir une meilleure lisibilité du texte; cette formulation s’adresse évidemment aussi au public féminin.

A permis la réalisation du dossier à thème «Avenir et frontières»