texte hélène leflaive

1
Hélène LEFLAIVE La performance de tri de confettis a été une de mes premières œuvres à s'emparer aussi clairement de la question du travail et de l'action laborieuse. Plusieurs raisons m'ont amenées à intégrer ces réflexions dans ma démarche et elles sont toujours d'actualité pour moi. D'abord parce que je considère l'art comme une activité humaine parmi d'autres (comme pousser un rocher en haut d'une montagne) et que cela me semble naturel d'essayer de comprendre ce qui peut occuper les autres*. Ensuite parce que j'ai toujours travaillé en plus de faire de l'art (cette situation fréquente étant d'ailleurs presque tabou : comme s'il y avait quelque chose de suspect à ne pas se consacrer uniquement à l'art). Et comme c'est la même personne qui travaille (en tant que salariée par exemple) et qui a une activité artistique cela crée des interactions. Je pourrais dire alors que mes œuvres sont alors une sorte de négatif de mon activité de salarié : j'en ai la maîtrise, elles ne font pas l'objet de négociations, elles sont sans débordement. Enfin la posture de l'artiste en travailleur est une place qui me semble solide pour aborder un milieu (celui de l'art contemporain notamment) dont les critères peuvent être fluctuants. Fruit d'un labeur parfois borné, (comme peuvent le pratiquer certains artistes idiots décrits par Jean-Yves Jouannais**), mes œuvres tirent leur légitimité de mon endurance et du temps que j'y passe. « Au moins on peut dire qu'il y a du travail » pourrait s'exclamer le spectateur devant les tas de confettis rangés par couleur... En ce moment je réalise un dessin en dix parties qui consiste déposer un point dans chaque case d'un papier millimétré, l'objectif étant de dessiner un million de points. Ce qui est amusant c'est le contraste entre ce geste mécanique et la forme qu'il produit : une broderie vaporeuse et douce où l'on devine mon rythme de progression. L'oeuvre crée alors un temps et un espace où je développe une forme singulière du travail dont je définis les limites. *En 2011, dans l'édition travail d'artistes, j'ai soumis une dizaine d'artistes à un questionnaire sur la notion de travail comme par exemple : est-ce que les animaux travaillent ? Qu'est-ce que vous faîtes quand vous ne travaillez pas ? Quelle est votre définition du travail ? Est-ce que vous avez un impact sur votre environnement ? **l'idiotie, de Jean-Yves Jouannais, Beaux-Arts Magazine livres, Paris 2003

Upload: lacs-lacs-lavitrine

Post on 06-Apr-2016

219 views

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

Présentation de la performance réalisée à Lavitrine "Tri de confettis"

TRANSCRIPT

Page 1: Texte hélène leflaive

Hélène LEFLAIVE

La performance de tri de confettis a été une de mes premières œuvres à s'emparer aussi clairement de la question du travail et de l'action laborieuse. Plusieurs raisons m'ont amenées à intégrer ces réflexions dans ma démarche et elles sont toujours d'actualité pour moi. D'abord parce que je considère l'art comme une activité humaine parmi d'autres (comme pousser un rocher en haut d'une montagne) et que cela me semble naturel d'essayer de comprendre ce qui peut occuper les autres*. Ensuite parce que j'ai toujours travaillé en plus de faire de l'art (cette situation fréquente étant d'ailleurs presque tabou : comme s'il y avait quelque chose de suspect à ne pas se consacrer uniquement à l'art). Et comme c'est la même personne qui travaille (en tant que salariée par exemple) et qui a une activité artistique cela crée des interactions. Je pourrais dire alors que mes œuvres sont alors une sorte de négatif de mon activité de salarié : j'en ai la maîtrise, elles ne font pas l'objet de négociations, elles sont sans débordement. Enfin la posture de l'artiste en travailleur est une place qui me semble solide pour aborder un milieu (celui de l'art contemporain notamment) dont les critères peuvent être fluctuants. Fruit d'un labeur parfois borné, (comme peuvent le pratiquer certains artistes idiots décrits par Jean-Yves Jouannais**), mes œuvres tirent leur légitimité de mon endurance et du temps que j'y passe. « Au moins on peut dire qu'il y a du travail » pourrait s'exclamer le spectateur devant les tas de confettis rangés par couleur...En ce moment je réalise un dessin en dix parties qui consiste déposer un point dans chaque case d'un papier millimétré, l'objectif étant de dessiner un million de points. Ce qui est amusant c'est le contraste entre ce geste mécanique et la forme qu'il produit : une broderie vaporeuse et douce où l'on devine mon rythme de progression. L'oeuvre crée alors un temps et un espace où je développe une forme singulière du travail dont je définis les limites.

*En 2011, dans l'édition travail d'artistes, j'ai soumis une dizaine d'artistes à un questionnaire sur la notion de travail comme par exemple : est-ce que les animaux travaillent ? Qu'est-ce que vous faîtes quand vous ne travaillez pas ? Quelle est votre définition du travail ? Est-ce que vous avez un impact sur votre environnement ?

**l'idiotie, de Jean-Yves Jouannais, Beaux-Arts Magazine livres, Paris 2003