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Territoires 2030 Revue scientifique de la Datar consacrée aux territoires et à la prospective DATAR 1, avenue Charles Floquet, 75343, Paris cedex 07 Directeur de publication Pierre Mirabaud, délégué à l'Aménagement du territoire et à l'Action régionale Comité de rédaction et d’orientation Serge Antoine, Comité 21 Agnès Arabeyre, Datar Nacina Baron-Yelles, Datar Priscilla De Roo, Datar Gérard-François Dumont, université Paris IV Sylvie Esparre, Directrice, Datar Maurice Goze, université Bordeaux III Jean-Paul Lacaze, conseil général des Ponts et Chaussées Claude Lacour, université Bordeaux IV Nathalie Leroux, Datar Yves Morvan, CESR Bretagne Pierre Musso, université Rennes II Henri Nonn, université Strasbourg I Jean-Claude Némery, université de Reims Gilles Pennequin, Datar Dominique Rivière, université Paris XIII Jean Robert, université Paris IV Philippe Thiard, université Paris XII Maquette La Documentation française Cartographie Coordination générale : Martine Marandola, département de géographie de l'université Paris XII Val-de-Marne Parce que nous souhaitons que cette revue soit un lieu de confrontations, de débats, de critiques, les articles n'engagent évidemment que leurs auteurs et pas l'institution 2 Territoires 2030 Territoires 2030, revue institutionnelle, à comité de lecture, éditée par la Datar, publie des textes scientifiques et des textes d’opinion concernant les domaines de l’aménagement du territoire et de la prospective. Ouverte à toute contribution, la revue intègre aussi des articles résultant des travaux et études des experts et des groupes de prospective de la Datar. Pour toute remarque, proposition de thème d’article, demande d’abon- nements ou de renseignements, vous pouvez vous adresser à Nathalie Leroux : [email protected]

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Page 1: Territoires 2030 DATAR déc 05

Territoires 2030Revue scientifique de la Datar consacrée aux territoires et à la prospective

DATAR1, avenue Charles Floquet, 75343, Paris cedex 07

Directeur de publicationPierre Mirabaud, délégué à l'Aménagement du territoire et à l'Action régionale

Comité de rédaction et d’orientationSerge Antoine, Comité 21Agnès Arabeyre, DatarNacina Baron-Yelles, DatarPriscilla De Roo, DatarGérard-François Dumont, université Paris IVSylvie Esparre, Directrice, DatarMaurice Goze, université Bordeaux IIIJean-Paul Lacaze, conseil général des Ponts et ChausséesClaude Lacour, université Bordeaux IVNathalie Leroux, DatarYves Morvan, CESR BretagnePierre Musso, université Rennes IIHenri Nonn, université Strasbourg IJean-Claude Némery, université de ReimsGilles Pennequin, DatarDominique Rivière, université Paris XIIIJean Robert, université Paris IVPhilippe Thiard, université Paris XII

MaquetteLa Documentation française

CartographieCoordination générale : Martine Marandola, département de géographie de l'université Paris XII Val-de-Marne

Parce que nous souhaitons que cette revue soit un lieu de confrontations, de débats, de critiques, les articles n'engagent évidemment que leurs auteurs et pas l'institution

2 Territoires 2030

Territoires 2030, revue institutionnelle, à comité de lecture, éditée par la Datar, publie des textes scientifiques et des textes d’opinion concernant les domaines de l’aménagement du territoire et de la prospective. Ouverte à toute contribution, la revue intègre aussi des articles résultant des travaux et études des experts et des groupes de prospective de la Datar.

Pour toute remarque, proposition de thème d’article, demande d’abon-nements ou de renseignements, vous pouvez vous adresser à Nathalie Leroux : [email protected]

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3décembre 2005 n° 2

Sommaire

Changementclimatique,énergieetdéveloppementdurabledesterritoires

Éditorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5

Stratégies territoriales de développement durable et rôle de l’État. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7Christian Brodhag

Point de vue

Les différents éclairages du futur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15Serge Antoine

Développement et aménagement durables et désirables. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17Christian Garnier

Analyses et débats

L’atténuation du changement climatique : un atout économique pour les territoires français ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

Gilles Pennequin

Métabolisme territorial et développement durable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35Thanh Nghiem

Industrie nucléaire et développement durable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47Claude Mahon

Études et prospective

Le défi climato-énergétique du territoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51Dominique Dron

Facteur 4 et aménagement du territoire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63Pierre Radanne

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Transports, énergies et facteur 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71Cédric Philibert

ExpériencesLe Schéma régional d’aménagement et de développement du territoire et le développement durable : expérience du Nord-Pas-de-Calais. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

Sylvie Deprataere

Territoires, biodiversité et énergie : l’expérience de la région Alsace. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91Jean-Luc Sadorge

Analyse des attitudes face à l’adaptation au changement climatique : le cas de deux stations de moyenne montagne dans les Alpes-de-Haute-Provence. . . 99

Lucien Sfez, Annie Cauquelin

À lire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .109

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É d i t o r i a l

Pierre MirabaudDélégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale

Parler d’aménagement « durable » des territoires constitue un pléonasme. Les sociétés humaines se sont toujours tournées vers l’avenir et, autrefois, elles étaient sans doute plus soucieuses que nous du long terme : les aménagements en témoignent : installation des sites urbains dans des zones hors inondation, gestion des sols agricoles évitant l’érosion, répar-tition économe de la ressource en eau dans les paysanneries méditerra-néennes et extrême-orientales... Désormais, la tyrannie de l’immédiateté est un peu la rançon de notre approche contemporaine du progrès. Les sociétés actuelles aménagent pour le court et à peine pour le moyen terme, les professionnels agissent dans l’urgence, et le sociologue Zakï Laïdi pense que « l’urgence est la négation active de l’utopie » : en d’autres termes, nous risquons de plus en plus gros en termes de « désé-conomies », de risques cumulés, de déséquilibres sociaux, économiques et environnementaux.

La revue Territoires 2030 invite ses lecteurs à réfléchir sur la temporalité de l’aménagement des territoires, à confronter la vision présente de l’aménageur avec celles de ses prédécesseurs et à mettre en perspec-tive nos pratiques actuelles avec ce que pourraient être les besoins des générations futures. Cette ambition est légitime, car les opérations réali-sées aujourd’hui en matière d’infrastructures de transport, de bâtiments détermineront fortement l’organisation de notre pays pour les décennies, voire les siècles à venir.

Face aux enjeux à venir, notamment en matière de changement clima-tique, jamais le besoin d’articuler présent et avenir, local et global n’aura pris autant de sens pour l’humanité toute entière. Il appartient aux aménageurs publics et privés, centraux et émanant des collectivités territoriales, de relever ce défi.

Les professionnels fourmillent d’idées pour intégrer le réchauffement climatique dans leurs stratégies d’aménagement. Loin de croire qu’il y a seulement une contrainte et des surcoûts, il faut reconnaître que ces efforts sont créateurs d’emplois, participent de l’attractivité et de la compétitivité des territoires, et peuvent devenir une opportunité pour l’économie française.

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La charte de l’environnement, désormais inscrite dans la Constitution française, impose le déve-loppement durable dans son article 6 tout en lui donnant au passage une définition : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le déve-loppement économique et le progrès social ». Les politiques territoriales n’échappent pas à cette obligation, non pas parce que l’État l’imposerait aux collectivités locales, introduisant un retour rampant à la centralisation, mais parce que cette obligation s’impose aux deux parties, qui doivent donc sur ce plan coordonner leurs efforts.

Les termes « promouvoir » et « concilie » relèvent du registre de l’obligation de moyens plutôt que de résultats. En mettant « concilie » le législateur n’a pas hiérarchisé entre les trois éléments. Or le progrès social relève de l’objectif, le dévelop-pement économique relève des moyens et la protection et la mise en valeur de l’environnement relèvent de la condition.

Sur quelle base pouvons nous donner, en la matière, des objectifs aux territoires ?

Sur notre planète à taille et ressources limitées le développement ne sera durable qu’au prix d’une utilisation plus efficace des ressources naturelles et des espaces biologiquement productifs. Pour les ressources naturelles on parle aujourd’hui des services des écosystèmes, traduction de l’anglais ecosystem services ou services écologiques. Dans l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire 1, les Nations unies les ont définis comme : « Les béné-fices que les écosystèmes procurent aux hommes. Ils comportent les services de prélèvement tels que celui de la nourriture et de l’eau ; les services de régulation comme la régulation des inondations, de la sécheresse, de la dégradation des sols, et des maladies ; les services d’auto-entretien tels que la formation des sols, le développement du cycle nutritionnel ; enfin les services culturels tels que les bénéfices d’agrément, les bénéfices d’ordre

1. Millennium Ecosystem Assessment Synthesis Report, pré-publication, Final Draft Approved by MA Board on March 23, 2005.

Stratégiesterritorialesdedéveloppementdurableetrôledel’État

Christian BRODHAG *Délégation interministérielle au développement durable,École des mines de Saint-Étiennewww.brodhag.org

* Christian Brodhag est délégué interministériel au déve-loppement durable, et directeur de recherche à l’École des mines de Saint-Étienne. Il s’exprime ici à titre personnel.

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spirituel, religieux et les autres avantages non matériels. » Selon cette étude 60 % (15 sur 24) des services écologiques examinés sont en train d’être dégradés ou d’être utilisés de façon non durable, incluant les eaux douces, les ressources halieuti-ques, la purification de l’air et de l’eau, la régulation du climat au plan régional et local, les risques natu-rels. Cette dégradation rend inaccessibles certains objectifs de lutte contre la pauvreté (Objectifs du Millénaire) et handicapera les générations futures.

Selon l’Union européenne la valeur financière des biens et services fournis par les écosystèmes serait proche de 26 000 milliards d’euros par an, soit près de deux fois la valeur de ce que produisent les humains chaque année 1. Cette approche renouvelle le regard que nous portons à l’environnement. Ce n’est pas un luxe que l’on se paie une fois les fonctions essentielles remplies, un élément des niveaux supérieurs de la pyramide de Maslow 2, mais bien la base du développement, comme le considère la charte de l’environnement : « Les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l’émergence de l’humanité ».

La pression sur les espaces biologiquement productifs, que l’on peut mesurer globalement par l’empreinte écologique, dépasse le seuil qui permet leur renouvellement. Alors que la surface disponible par habitant est un peu inférieure à 2 hectares, il en faut 5 à 6 pour faire vivre un Euro-péen et plus de dix pour un américain du Nord. Pour généraliser ces modes de vie à l’ensemble de la planète il faudrait trois ou cinq planètes, ce qui est bien entendu impossible.

La Politique agricole commune (PAC), en mettant en friche des espaces productifs, a dévalorisé la vision que nous avons de la valeur des terres biolo-giquement productives (terres agricoles ou espaces naturels). Et les connaissances des mécanismes en

1. Perte de la diversité biologique : faits et chiffres, commu-niqué de l’Union européenne, Bruxelles, 9 février 2004.2. La pyramide de Maslow permet de comprendre la hiérarchie des besoins de l’homme. Selon Abraham Maslow la satisfaction d’un besoin ne peut être réalisée que si les besoins de niveau inférieur sont eux-mêmes satisfaits.

œuvre dans les écosystèmes et les services qu’ils procurent sont, pour le moins, lacunaires chez les décideurs comme chez les citoyens.

Les écosystèmes sont une ressource essentielle à gérer correctement pour en exploiter les bienfaits aujourd’hui comme pour les transmettre aux géné-rations futures. Or en France l’artificialisation du territoire, c’est-à-dire la surface des constructions et des infrastructures, augmente annuellement de 2 % alors qu’il faudrait viser une diminution, voire une renaturation qui peut s’avérer difficile, certaines dégradations étant relativement irré-versibles. Cette renaturation est en cours pour certains fleuves comme le Rhin, ce qui permet de rétablir les services écologiques : épuration, zones d’expansion des crues...

Si l’on prend l’effet de serre, les chiffres sont du même ordre. Il faudra réduire rapidement par deux les émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial pour stabiliser les concentrations à un niveau acceptable n’engendrant pas des changements trop graves et par quatre dans les pays industrialisés compte tenu de leur pression. La France s’est fixé le cap de réduire ses émissions par quatre à horizon de 2050, c’est-à-dire de 3 % par an, ce qui est considérable sachant que le secteur des transports, par exemple, augmente ses émissions de 2 % par an.

Si l’on ajoute le fait que la proximité du pic de production du pétrole à relativement court terme est très probable, et que donc la fièvre actuelle des cours ne serait pas passagère, on comprend que le contexte qui est celui du demi-siècle prochain est radicalement différent de celui qui a prévalu le demi-siècle passé.

Les deux sujets biodiversité et climat ont fait l’objet de conventions signées à Rio, ce qui montre leur rôle essentiel dans le développement durable. Ce faisant, ils apparaissent lointains et hors d’at-teinte pour les acteurs locaux. Selon l’expression d’Olivier Godard le développement durable ne serait pas fractal, c’est-à-dire que les règles du niveau global ne peuvent pas être simplement transposées au niveau local. « Des contraintes qui

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peuvent avoir une dimension absolue à l’échelle planétaire, souvent appréhendées en termes de survie, prennent une valeur relative aux niveaux local et régional où, sauf exceptions historiques ou géographiques délimitées, aucune ressource ne fait l’objet d’une rareté absolue » 1.

En effet quand il s’agit de gérer des biens publics mondiaux qui reposent sur des actions locales, la meilleure stratégie individuelle reste encore celle du passager clandestin. Laisser les autres produire ces biens et en jouir sans effort. Comme le niveau international ne dispose pas de moyens de coercition, que les États restent libres ou non de contracter les engagements internationaux, la dimension éthique de la responsabilité est donc essentielle. Au moment où la France déploie sa stratégie de développement durable, et que le mouvement de la régionalisation est relancé, la responsabilité des acteurs locaux, collectivités et acteurs privés et publics, est pleine et entière.

Mais rester sur le plan d’une seule obligation morale ou réglementaire serait une erreur.

Ce n’est pas, en effet, seulement un problème de responsabilité et de solidarité mondiale, c’est aussi une recherche d’opportunités locales. Les territoires qui sauront identifier, protéger et valoriser leurs ressources auront un avantage concurrentiel. Maîtriser l’étalement urbain, dimi-nuer les besoins de transport, protéger les zones agricoles et naturelles..., sont autant de néces-sités pour préserver des ressources économiques présentes et futures. Développer dès aujourd’hui ces ressources en les valorisant économiquement c’est aussi créer des emplois qui, pour la plupart d’entre eux, ne sont pas délocalisables.

Déjà le prix du pétrole augmente, demain les rejets de gaz à effet de serre seront payants, les terres agricoles aujourd’hui en jachère devront demain

1. Olivier Godard, « La démarche du développement durable à l’échelle des régions urbaines », Pouvoirs locaux no 34, 1997 – « Entreprises et territoires, les clefs du développement durable de la région urbaine de Lyon », deuxième forum de la région urbaine de Lyon – juin 1998.

contribuer à nourrir 10 milliards d’habitants ou fournir des biocarburants. Que les Chinois l’appel-lent économie circulaire, les Japonais la stratégie des 3 R (réduire, réutiliser, recycler) ou que l’on se réfère à l’écologie industrielle ou à des réformes des modes de production et de consommation, le mode de développement durable sera radicale-ment différent de celui que nous connaissons.

Il ne s’agira pas de quelques technologies et processus isolés : les problèmes sont liés entre eux et font « système ». L’augmentation du prix du pétrole et la lutte contre l’effet de serre, et dans une certaine mesure l’économie de l’agriculture subventionnée, conduisent au développement du biocarburant. La France produit environ 5 millions d’hectolitres par an de biocarburants (1 % du marché), sur une surface agricole de 300 000 hectares environ (1,5 % des terres arables). Multi-plier par cinq les volumes, en l’état actuel des technologies comme cela vient d’être décidé, c’est consacrer 7,5 % des terres arables à la production énergétique. Il y a donc une limite et viser la totalité du carburant automobile issu de la biomasse mobiliserait plus que la surface arable disponible en France qui est pourtant un pays bien doté comparé à ses homologues européens. Non seulement les solutions feront système en se renforçant les unes les autres, mais on doit imaginer leur impact une fois généralisées.

Nous devons nous préparer à un monde où la circulation et le stockage de l’information ont un coût presque nul, et le transport des biens et des matières un coût croissant.

Cette analyse démontre les risques et les contraintes du monde de demain. Mais aussi les opportunités. Le fondement de toute stratégie est en fait de transformer les risques en opportunités. Ces risques nouveaux se rajoutent bien entendu aux risques géopolitiques bien connus. La concentration des ressources pétrolières au Moyen-Orient explique une grande partie des tensions internationales. Mais l’accès aux ressources a toujours été le moteur des conflits, on l’a trop oublié, caché qu’il était par le discours et les mécanismes du marché.

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Stratégiesterritorialesdedéveloppementdurableetlerôledel’État

Il s’agit de gérer des biens communs par des processus alliant la responsabilité individuelle et la coopération. Ni le pur marché ni la pure autorité n’apporteront les solutions, c’est pour-quoi l’on parle de gouvernance. Nous en avons apporté la définition suivante. « Dans le contexte du développement durable on considère que la gouvernance est un processus de décision collectif n’imposant pas systématiquement une situation d’autorité. Dans un système complexe et incertain, pour lequel les différents enjeux sont liés, aucun des acteurs ne dispose de toute l’information et de toute l’autorité pour mener à bien une stratégie d’ensemble inscrite dans le long terme. Cette stratégie ne peut donc émerger que d’une coopération entre les institutions et les différentes parties intéressées, dans laquelle chacune exerce pleinement ses responsabilités et ses compétences. » 1 Pour insister sur la néces-sité de disposer de connaissances, l’expertise scientifique et les connaissances des acteurs, on pourrait même parler de gouvernance éclairée. Le concept de gouvernance est dual et comporte un volet pouvoir et un volet cognitif. Ce volet cognitif couvre les informations les connaissances et les représentations que se font les acteurs de la situation, la patrimonialisation des éléments de leur environnement naturel 2.

Quatre niveaux de gouvernance : l’intégration verticale

La gouvernance est un processus qui doit mettre en cohérence les procédures et les cadres admi-nistratifs d’un côté et les stratégies des acteurs de l’autre, elle concerne quatre niveaux : mondial, régional, national et local. Des stratégies coordon-

1. Christian Brodhag, Florent Breuil, Natacha Gondran, François Ossama, Dictionnaire du développement durable, AFNOR éditions, 2004.2. Henri Ollagon, « Une approche patrimoniale de la qualité des milieux naturels », in Du rural à l’environnement, la ques-tion de la nature aujourd’hui, Paris, édition L’Harmattan, 1989, pp. 258-268.

nées, voire intégrées, de développement durable doivent pouvoir se mettre en place à ces quatre niveaux. Pourquoi intégrées ? Bien souvent les niveaux de diagnostic et de négociation ne sont pas ceux de la mise en œuvre. La lutte contre les changements climatiques par exemple est négociée et décidée au niveau mondial. Ce sont les États qui contractent les engagements et la plupart des réponses sont au niveau local.

Le premier niveau de gouvernance est bien entendu le niveau international, c’est à ce niveau qu’a émergé la nécessité même du développe-ment durable. La France appelle à la mise en place de régulations internationales en matières sociales et environnementales, en se battant sur deux fronts :

1) le front des négociations multilatérales, en défendant la création d’une Organisation mondiale de l’environnement et d’un conseil des Droits de l’homme, le développement des stratégies nationales de développement durable faisant la promotion d’une bonne gouvernance et de la participation de la société civile ;

2) les cadres volontaires d’engagement des entre-prises comme le pacte mondial qui engage les entreprises au respect des Droits de l’homme, du travail, de l’environnement et à la lutte contre la corruption. Un système de rapport de développe-ment durable des entreprises (GRI) est inscrit dans la loi (nouvelles régulations économiques) ainsi que la responsabilité sociétale notamment dans les travaux sur l’ISO 26000.

Ces processus sont liés puisque l’Organisation internationale du travail (OIT) est présente dans la réflexion sur l’ISO.

L’objectif est d’éviter les délocalisations dues aux écarts de régulations environnementales (c’est-à-dire par exemple avoir des approches mondiales de la lutte contre l’effet de serre en impliquant les secteurs industriels des pays en émergence) ou au dumping social (travail des enfants ou travail forcé, pratiques contraires aux droits de l’homme ou à la liberté syndicale...).

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Les questions globales de développement durable ont suscité aussi de nombreuses initiatives au niveau mondial et la création de réseaux notamment sur les technologies de demain ou les changements des modes de production et de consommation. Les acteurs des territoires devraient être insérés dans ces réseaux, pour anticiper les évolutions et y participer concrètement. Il s’agit là d’appliquer les approches de l’intelligence économique aux changements en cours. Le positionnement des pôles de compétitivité dans ces réseaux mondiaux devrait être à cet égard une priorité.

Le second niveau est le niveau régional (au sens international). L’Europe est à l’origine de nombreuses directives qui entrent dans le champ du développement durable, c’est elle dont la voix peut se faire entendre au niveau international. De nombreux réseaux, notamment en recherche, structurent les coopérations européennes. Mais la coordination des processus de Lisbonne (compé-titivité) et de Göteborg (développement durable) reste à faire.

Le troisième niveau est le niveau national. L’ob-jectif proposé par les Nations unies pour les stra-tégies nationales de développement durable, est inscrit dans le plan de mise en œuvre du Sommet de Johannesburg au § 162b « Prendre des mesures immédiates pour progresser dans la formulation et l’élaboration de stratégies nationales de dévelop-pement durable et commencer à les mettre en œuvre d’ici à 2005 ». À cet égard, les stratégies nationales de développement durable (SNDD) semblent être un cadre, non seulement pour un plan d’action pour les politiques publiques, mais doivent impliquer également le secteur privé et les autorités locales. Pour les pays en voie de déve-loppement, elles devraient être également liées à d’autres stratégies existantes, par exemple les stratégies de réduction de la pauvreté (SRP).

La France s’est engagée à travers deux approches.

– D’une part, grâce à l’intégration d’une charte de l’environnement dans la Constitution, placée au même niveau que le texte historique de 1789 sur les droits de l’homme, ce qui est pour la France

d’une grande valeur symbolique. Le Conseil constitutionnel pourra dorénavant analyser les lois et leur conformité avec la charte de l’environne-ment.

– D’autre part une stratégie nationale élaborée, notamment par une consultation multipartenariale de la société civile au sein du Conseil national pour le développement durable. La France a souhaité que la Commission du développement durable des Nations unies puisse jouer un rôle d’animation et d’échange d’expériences pour les stratégies nationales de développement durable, ce qui apparaît comme un élément de gouvernance inter-nationale. En appui la France a initié un processus de « revue par les pairs » des SNDD. Quatre pays ont participé à la revue de la stratégie française et ont fait des recommandations : la Belgique, le Ghana, Maurice et le Royaume-Uni 1.

Le dernier niveau est le niveau local, c’est celui ou les politiques concrètes se mettent en place. Les problèmes y sont de même nature, les straté-gies sont appelées « Agenda 21 local ». Avoir une stratégie globale aide les autorités locales à coor-donner leurs actions sectorielles, à leur donner une cohérence (ce que l’on qualifie d’intégration horizontale), tout en leur permettant de coor-donner leur action avec le niveau national (inté-gration verticale) et avec les différentes parties intéressées (volet participation).

Parmi les objectifs de la SNDD on trouvera celui de réaliser 500 Agendas 21 locaux à horizon de 2008. Le terme d’Agenda 21 local est utilisé sans discernement pour qualifier des processus souvent très partiels et de qualités très inégales. C’est pourquoi le ministère de l’Écologie et du Développement durable (MEDD) a développé un cadre de référence qui repose sur cinq éléments et cinq finalités :

1. Une réunion de groupe d’experts sur la revue des stra-tégies nationales de développement durable a été copré-sidée par la France et les Nations unies au siège des Nations unies à New York les 10 et 11 octobre 2005, les documents peuvent être trouvés en ligne : www.un.org/esa/sustdev/natlinfo/nsds/egm.htm

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Stratégiesterritorialesdedéveloppementdurableetlerôledel’État

Une dernière question semble être devant nous. Nous faisons face à la nécessité d’avoir une meilleure coordination entre les secteurs publics et privés, entre les acteurs économiques et les pouvoirs publics. C’est la prochaine étape majeure. Le processus initié par l’ISO sur la responsabilité sociétale, l’ISO 26000, peut aider à organiser les transactions entre les entreprises et les commu-nautés pour la gestion commune des biens publics et du développement durable.

Dans ces changements lourds de conséquence pour nos territoires les rôles respectifs des collec-tivités locales et de l’État doivent évoluer. Le découpage, sans hiérarchie, des compétences entre les collectivités (région, départements et communes) favorise l’approche en « silo ». Mais quel sens peut-on trouver à des Agendas 21 locaux multipliés au niveau des communes, des intercommunalités, des départements voire des

régions, s’ils s’ignorent ou s’ils se mettent même en compétition.

Le développement durable, et l’ensemble des approches qui accompagnent désormais sa mise en œuvre, peut aussi apporter de la cohérence. La gouvernance permet d’apporter coordination là où il n’est pas question d’autorité.

On imagine alors un Agenda 21 territorial qui soit un outil de concertation et de contractualisation stratégique entre l’ensemble des acteurs publics. L’État pourrait alors y jouer un rôle de partenaire stratégique. Il pourrait exercer son autorité sur les thèmes qui entrent dans sa responsabilité comme la cohésion sociale, ou sur lesquels il a contracté des engagements comme les changements climatiques.

Il serait utile et urgent de réfléchir à ces évolutions pour organiser les règles du jeu des futurs contrats de plan.

Tableau 1 : un référentiel de démarches de développement durable des territoires 1

Comment ? Quoi ?

Cinq éléments déterminants

de la démarche :

– La participation

– La stratégie d’amélioration

– La transversalité

– L’organisation du processus décisionnel

– L’évaluation

Un processus d’amélioration continue

Cinq finalités :

– Épanouissement humain et accès pour tous à une bonne qualité de vie

– Lutte contre le changement climatique et protec-tion de l’atmosphère

– Préservation de la biodiversité, protection des milieux et des ressources

– Emploi, cohésion sociale et solidarité entre terri-toires et entre générations

– Dynamique de développement suivant des modes de production et de consommation responsables

1. Le référentiel peut être trouvé sur le site du MEDD : www.developpement-durable.gouv.fr

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RésuméAlors que le fonctionnement des écosystèmes et la fourniture de ressources naturelles a une valeur économique de plus en plus précisément chiffrable, les perspectives de raréfaction des ressources et de réchauffement climatique représentent une contrainte de mieux en mieux appréhendée. Dans ce contexte, l’auteur plaide pour la mise en œuvre d’une gouvernance du développement durable combi-nant quatre niveaux : international, régional, national et local.

MotsclésAgenda 21, changement climatique, développement durable, empreinte écologique, gouvernance.

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Point de vue

Prospective et aménagement du territoire ont les mains liées et cela est prouvé, pour la DATAR proprement dite, depuis les années 1960. La mise en route en 2005 de groupes de prospective assure la continuité d’un couple qui se nourrit des deux côtés, d’espérances et de scénarios. Le quotidien n’a jamais été pour elle une nourriture.

La problématique de l’effet de serre renouvelle, pour l’un des groupes mis en place, le regard que l’on peut avoir sur la prospective.

Cette problématique confirme d’abord l’appétit de « rétrospective » qui fait partie de la discipline. Les évolutions lentes de l’histoire sont essentielles à prendre en compte : il n’y a pas de « tournant » même si le monde s’accélère ; le court terme n’a pas de sens pour une administration de mission qui ne peut prendre les virages à angle droit. C’est ce qu’avait bien compris la DATAR dans les années 1960, déjà, en faisant appel à Fernand Braudel et en cueillant les données et indicateurs le plus en amont possible. Trente ans n’ont jamais été de trop et une telle pratique n’est pas si fréquente pour une administration. L’effet de serre confirme cette nécessité et allonge le tir car le regard doit être porté sur plus d’un siècle pour faire sens.

  

Mais l’effet de serre a une autre implication sur l’action publique, celle de raviver les deux types d’approche que suscite la prospective : la « synchronique » et la « diachronique ».

– L’approche « synchronique » consiste à porter un regard photographique sur un certain horizon : 2020, 2050, 2100 etc. La DATAR ne s’en est pas privée, elle qui, avec témérité, en 1968 déjà, avait scruté l’an 2050, avec... quatre-vingts ans d’avance. Le réchauffement des climats oblige à aller encore plus loin ; il conforte cette avancée au-delà même de la normale utile pour l’action. Rappelons que la DATAR avait aussi beaucoup œuvré en faveur de l’approche « synchronique » avec le « scénario de l’inacceptable » de la fin des années 1960.

– L’approche « diachronique » est, quant à elle, plus adaptée au souci de la « réponse » et de l’action. Quels sont les changements probables en fonction des évolutions de tel ou tel paramètre ? Quelles sont les conséquences en chaîne, directes et indirectes, des politiques décidées ? Le chan-gement climatique interpelle ainsi ce qui peut être de notre ressort dans les différentes périodes des « futuribles » possibles. Il mesure le fruit de notre liberté.

Nous devons à la fois courir un sprint (le futur commence dès maintenant et nous n’avons pas beaucoup de temps) mais aussi courir une course de fond sur plusieurs décennies. L’exercice à multi-ples horizons est indispensable. Le mélange entre synchronique et diachronique est une nouveauté

Lesdifférentséclairagesdufutur

Serge ANTOINE *Comité [email protected]

* Serge Antoine a été chargé de présider, pendant le premier semestre 2005, un groupe de prospective sur ces thèmes et sur celui de la compétitivité régionale.

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qu’il faut travailler avec plusieurs types d’horizons. Pour les responsables de stations de sport d’hiver, les canons à neige peuvent être une réponse pour les cinq à dix ans à venir, pas pour trente à cinquante ans ! Ce n’est pas en effet le même exercice.

  

En tout cas, le renouvellement de la prospective en 2005 sur le thème du réchauffement de la planète est, pour la DATAR qui ne l’avait pas pratiqué jusqu’ici, une bonne occasion de montrer qu’elle ne se nourrit pas de « jour à jour ». Le

temps n’est plus à l’accueil persifleur que j’avais reçu en 1967 de la part de la société politique à qui je l’expliquais, en m’appuyant sur le dialogue que j’avais eu avec le conseiller scientifique du président américain... d’alors !

La problématique du réchauffement climatique renouvelle donc la prospective sans la sacraliser ni la figer dans une approche qui a été « réin-terpellée ». Elle permet à la DATAR de décliner l’écologie sous l’horizon long, peu exploré jusqu’à présent, et de relier par le « développement durable » les piliers de l’économique, du social, du culturel et du géographique.

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Point de vue

Développementetaménagementdurablesetdésirables*Parler de développement « durable et désirable » (DDD), vocable aux résonances planétaires, paraît, par les temps qui courent, relever d’une vision quelque peu élégiaque, passablement décalée de la réalité. Pour celui qui reçoit (subit ?) l’écho d’un monde souvent à feu et à sang, où la catastrophe climatique et les bouleversements écologiques s’an-noncent, où la crise financière et sociale plane sur toutes les têtes – y compris dans les pays qui connais-sent des taux de croissance record –, où les droits de l’homme sont bafoués pour le plus grand nombre, cela pourrait même passer pour pure provocation. Les réelles avancées en matière de « développement humain » 1 de plusieurs pays ne parviennent guère à contrebalancer cette impression dominante.Si l’on se replace dans le contexte singulier des pays riches jusqu’ici sensiblement moins exposés à la violence des hommes et de la nature, au pillage des ressources et aux soubresauts de l’économie, l’acceptabilité du « développement durable » ne va pas pour autant de soi.La relative stagnation des politiques environ-nementales en Europe soulève notamment une vague de sceptissisme. Pourtant, l'idée d'un « développement plus soutenable » commence de faire son chemin. L'incontestable prise de conscience de certains élus suscite par exemple

* Le présent article s'inspire pour une bonne part d'une communication introductive aux secondes Assises nationales du développement durable, organisées en 2003 à Lille avec le soutien de la région Nord-Pas-de-Calais.1. Au sens des institutions internationales et de l’indice du même nom.

de nouvelles pratiques en matière de politiques d'urbanisme et d'aménagement. Et un nombre croissant d'acteurs sociaux se considèrent comme responsables et impliqués.À un niveau plus global, l'adoption à l'UNESCO le 20 octobre dernier de la convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle à la quasi unanimité, malgré l'opposition du gouvernement des États-Unis, s'inscrit ici comme une avancée majeure.

Un « désirable » qui vient de loin

Le développement durable est souvent présenté comme un père-fouettard, morigénant une huma-nité irresponsable. Si le refus d'un avenir non durable renvoie nécessairement à des contraintes et à des remises en cause, il est un autre accès plus attrayant et non moins fondamental.Si l’on suit les économistes, la notion de désir remonte loin, puisqu’elle intervient dans les valeurs attachées aux biens et aux services, dans leur rareté et par conséquent dans les échanges. Elle semble avoir été formalisée de longue date dans divers écrits.Pour les tenants du « développement » (sujet dont on ne refera pas l’histoire ici 2), l’idée fondamen-tale est certainement celle de « croissance » écono-mique associée au « progrès social » – alimenta-

2. On peut se reporter par exemple à l’article « Développe-ment économique et social » de Jean-Jacques Friboulet dans l’Encyclopedia Universalis, édition de 2003.

Christian GARNIERÉcole d’architecture de Paris La VilletteFrance Nature [email protected]

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tion, santé, éducation, droit... La référence aux aspirations individuelles et collectives premières, à un désir partagé est, sinon toujours explicite, en tout cas flagrante.

Du côté des environnementalistes, promoteurs historiques du développement « durable », le vocable de « développement durable et désirable » a sans doute été utilisé ça et là en France dès la fin des années 1980 1. Il semble néanmoins avoir été proposé pour la première fois en exergue d’une manifestation officielle le 23 novembre 1991, dans une perspective riche de sens.

Devançant de quelques mois le Sommet de Rio de Janeiro sur « l’environnement et le dévelop-pement », la première conférence sur l’environne-ment des villes méditerranéennes s’ouvrait dans l’impressionnant Salo de Cent, salle du Conseil de la Generalitad de Cataluñya, ceinte de magni-fiques stalles gothiques. Devant un parterre de maires de grandes villes représentant la totalité des pays de la Méditerranée – y compris les frères supposés ennemis d’Haïfa, de Tripoli (Liban) et de Gaza –, il s’agissait d’esquisser les enjeux propres à cette région, les responsabilités des municipa-lités et de motiver les élus.

Aussi, la question du développement durable fût posée comme nouvelle étape dans le long avène-ment des cités méditerranéennes. L’exposé inau-gural se conclut donc sur l’évocation d’une possible « contribution majeure [des villes méditerranéennes] à l’émergence du droit des citoyens à un environ-nement de qualité et à la construction d’un déve-loppement durable et désirable [...] [renouant] avec une très ancienne tâche de civilisation » 2.

1. Pierre Radanne, ancien président de l’ADEME, est l’un des candidats déclarés de cet usage.2. « Villes et protection de l’environnement dans le bassin méditerranéen », conférence de Barcelone, 23 novembre 1991, Christian Garnier, rapport introductif préparé pour le METAP, Programme d’action pour la Méditerranée (Banque mondiale, Programme des Nations unies pour le développement, Banque européenne d’investissement, Commission européenne) à la demande de Cités-Unies-Développement (FMCU/IUTC) : « De nombreuses villes de la Méditerranée, [...] se sont attelées à la recherche de solutions durables, et à surmonter les multiples obstacles à leur mise en œuvre concrète. Afin d’y parvenir,

Ainsi formulé, le concept de « désirabilité » se trouvait d’emblée inscrit dans une histoire singu-lière et associé à l’idée d’un droit nouveau très étendu. Or, dans le contexte de la Méditerranée, la qualité de l’environnement résonne intimement avec des modes et une qualité de vie forgés par des cultures millénaires, bien plus que par le choc, somme toute récent, des pollutions de l’ère industrielle – longtemps propre aux pays du Nord. Une telle perception qui relativise les problèmes de pollution – au risque de les minorer –, conduit à postuler que la recherche d’un développement durable et désirable vient s’ancrer dans la culture, qui s’impose comme une composante majeure.

Et, parallèlement, elle situe la culture comme moteur d’une démarche civilisatrice ouverte, épanouissante et plurielle, en lutte contre toute forme de « barbarie », politique, sociale, écolo-gique ou économique.

Ce mariage est tout sauf une lubie surgie du néant. Il s’inscrit en fait dans une tradition huma-niste dont on retrouve des prolongements dans certains travaux des grandes conférences, de Stockholm en 1972 3, de Rio, vingt ans plus tard 4, et plus récemment, de Johannesburg en 2002.

En France, la première Stratégie nationale de développement durable de 1996 5 s’ouvrait sur une introduction intitulée « le développement durable, un désir d’avenir ». Il y était question de

elles se doivent de bâtir des stratégies et des programmes. [...] Elles ont aujourd’hui la possibilité certaine d’apporter une contribution majeure à l’émergence du droit des citoyens à un environnement de qualité et à la construction d’un dévelop-pement durable et désirable. Ce serait renouer avec une très ancienne tâche de civilisation ».3. Cf. Christian Garnier, « Dimensions socioculturelles des politiques de l’environnement », ONU-Genève, 1971, docu-ment préparatoire du rapport introductif du thème IV de la Conférence mondiale des Nations unies sur l’environnement humain (Stockholm, 1972).4. Différents chapitres du programme « Action 21 », rebap-tisé Agenda 21 par la suite, abordent des aspects variés de la question, par exemple aux chapitres 23 (participation), 26 (peuples autochtones), 36 (éducation), 37 (renforcement des capacités), 40 (information).5. Coordonnée par Dominique Dron ; adoptée par le gouver-nement français en décembre 1996 et présentée conformé-ment aux engagements de Rio (1992) à la Commission des Nations unies pour le développement durable en avril 1997.

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répondre à la demande émanant d’« acteurs [qui] se rapprochent, dessinant de nouvelles alliances pour de nouvelles synergies, afin de relever le défi d’un monde en mutation profonde. L’État se doit de construire les moyens de répondre à cette demande, de s’adapter à l’évolution en cours, de l’orienter dans des directions désirables, qu’il s’agisse de culture, d’organisation, d’options techniques ou financières ».

De son côté, en avril 2002, la Commission fran-çaise du développement durable 1 a pris sur la culture – dans l’acception ouverte évoquée plus haut – un avis circonstancié, au terme d’une large consultation écrite 2. On y lisait notamment « [...] le concept de développement durable n’est rien moins qu’un projet de civilisation [...] » ; « La Commission française du développement durable insiste donc sur la nécessité de compléter l’ap-proche du développement durable en intégrant la dimension culturelle au même titre que les dimen-sions économique, sociale et environnementale ». Et la CFDD précisait : « [les] activités culturelles [...] peuvent être de formidables outils d’évolution et d’épanouissement personnels – ainsi que de déve-loppement de la démocratie [...] ».

L’idée implicite du « désirable » se trouvait évidem-ment en germe depuis beaucoup plus longtemps, puisque Aristote ne manquait pas déjà de souli-gner que vivre, ce n’est pas seulement survivre. Plus près de nous, en 1984, le long « Manifeste pour l’écologie urbaine » publié dans la revue Métropolis, pétri de questionnements et de propo-sitions sur la durabilité urbaine à une époque où le terme restait totalement inusité, ne se bornait pas à poser des questions épistémologiques autour de l’écologie, des sciences du milieu et des sciences humaines. Il mettait aussi l’accent sur la nécessité d’« un réinvestissement massif [...] dans la compréhension des phénomènes historiques et

1. Que présidait Jacques Testard, avant une démission collective en mai 2003 ; aujourd’hui remplacée par le CNDD, que préside Anne-Marie Ducroux.2. Avis (no 2002-07) ; la Fédération France Nature Environne-ment avait adressée une réponse argumentée.

culturels urbains » ainsi que sur celle d’« une vision artistique, poétique de la ville ».

De même, en 1987-1988, alors que le rapport dit Brundtland commençait à peine à circuler, la charte des « 1 000 communes pour l’environnement euro-péen » (1 000 CEE) 3, ancêtre des Agendas 21 locaux français, ébauchait également la notion. On y parlait « d’enrichir la culture locale » et de « permettre à chacun d’avoir réellement envie de vivre là où il est » dans le cadre d’« un développe-ment harmonieux, durable » censé « favoriser la convivialité » 4. Il n’est donc pas surprenant qu’en juin 2002, la fédération France Nature Environ-nement ait tenu son 31e congrès national sous l’intitulé « Vers un développement durable et dési-rable ? Rio 92, quelle mise en œuvre concrète » ? Poursuivant dans ce registre vers un public beau-coup plus large, les secondes « Assises nationales du développement durable » tenues à Lille en juin 2003, sont venues se placer à leur tour sous la bannière du « durable et désirable » 5.

Bref retour sur la genèse du dévelop-pement durable

À ce stade, pour bien saisir l’évolution que repré-sentent les ajouts étroitement liés de la culture et du « désirable », un bref retour chronologique s’avère nécessaire.

Sans remonter à la nuit des temps, le « développe-ment durable » est apparu à la croisée de préoc-

3. Lancée à l’occasion de l’Année européenne de l’envi-ronnement (1987-1988) par la fédération France Nature Environnement, avec le soutien du Bureau européen de l’envi-ronnement (BEE), l’opération a consisté à mettre en place des conventions-programmes de partenariat entre associations environnementalistes et collectivités locales. L’action s’est développée pendant plusieurs années dans cinq pays, France, Belgique (Wallonie et Flandre), Espagne, Italie et Portugal. Le Parlement européen lui a attribué son prix 1988 de la meilleure initiative européenne. Elle a été menée dans notre pays en partenariat avec l’Association des maires de France.4. Préambule de la plaquette de présentation, page 6.5. Dans les actes, cinq axes forts sont dégagés, le premier listé étant « culture et représentations : changer les modèles et les représentations ».

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cupations matérielles et philosophiques quant au devenir de la nature et du rapport homme-nature, d’une part, et d’une réflexion plus globale sur la destinée humaine, d’autre part 1.

À partir de la fin du XIXe siècle, ce sont principale-ment quelques grands naturalistes qui, confrontés aux dégâts écologiques et sanitaires de la révolu-tion industrielle et de la colonisation, ont poussé les premiers cris d’alarme sur « la planète en danger », tandis que nombre de philanthropes, politologues, romanciers et philosophes se penchaient sur les « maladies urbaines » et la condition sociale, tels Engels, Dickens ou Zola. La « crise de l’environne-ment » ne s’est cristallisée comme sujet politique que beaucoup plus tard, dans les années 1960 2, autour de la nature, du paysage et des pollutions. Pourtant, ô paradoxe, ce sont des personnalités d’horizons variés, inquiètes du bouleversement des systèmes naturels qui, les premières, ont tenu à ce que la « crise urbaine » soit reconnue comme partie intégrante de celle de l’environnement !

On tend à oublier que l’apparition de l’environne-ment dans les politiques publiques (avec le sens qu’il a pris au cours des années 1960-1970 d’en-vironnement de l’homme), puis rapidement dans le langage commun, correspond à un glissement accentué (au « basculement »), d’une vision natura-liste traditionnelle vers une appréhension sociale et économique de la relation homme-nature et homme-milieu. On est en droit de penser que l’approche sociale et économique, consubstan-tielle de la problématique environnementale, est largement à l’origine de son succès, tout autant que son caractère global et systémique.

Il est également intéressant de noter que c’est à la fin des années 1970, dans un cercle pluridisci-plinaire de spécialistes liés à l’Union internatio-nale pour la conservation de la nature et de ses

1. Cf. Ch. Garnier, in L’homme et sa planète, problèmes du développement durable, sous la direction de Marcel Boiteux, chapitre 2, Académie des sciences morales et politiques, PUF, juin 2003.2. Comme on le sait, du côté de l’État, la DATAR et le Plan ont alors joué un rôle essentiel dans ce mouvement.

ressources (UICN), que se sont ébauchés le terme et la notion de durabilité, avant qu’ils ne soient plei-nement explicités et formalisés dans le rapport de la Commission dite Brundtland, publié en 1987.

C’est d’abord sous la pression des premiers environnementalistes et de certains experts du développement – notamment l’équipe réunie par Maurice Strong pour la préparation de la confé-rence de Stockholm 3 –, que la notion « d’inté-gration » (des politiques environnementales, agri-coles, industrielles, urbaines, territoriales...) s’est forgée dans les années 1970, avant d’être progres-sivement repensée et re-formalisée en termes de « développement durable », pour articuler définiti-vement les fameux trois piliers initiaux.

Sans la crise de l’environnement, on n’aurait sans doute jamais parlé de développement durable. Ce dernier ne se conçoit pas sans que le premier – l’environnement – ne jouisse d’une très forte assise ; lequel reste à son tour indissociable d’une très forte composante « nature », nature plus ou moins anthropisée.

In fine, des politiques menées au nom du déve-loppement durable qui ne garantiraient pas – et il s’en trouve ! – un réel équilibre entre les diverses dimensions se verraient du coup entachées d’une forte suspicion d’illégitimité. L’ajout nécessaire de la culture aux trois piliers institutionnalisés à l’origine ne saurait donc servir d’écran de fumée pour passer à la trappe des problèmes environ-nementaux – ou sociaux – parfois douloureux, bien au contraire.

Culture, inégalités et développement durable

L’essor du développement durable est intrinsè-quement lié à celui des problématiques cultu-relles ; il le sera de plus en plus, comme le montre

3. Équipe qui produisit le concept d’écodéveloppement lors du fameux séminaire de Fournex, près de Genève, en 1971. Cf. Ignacy Sachs, L’écodéveloppement, Syros, 1993.

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éloquemment l’actualité internationale et euro-péenne : désastre archéologique en Irak, débat sur la nature du projet européen, négociations commerciales à l’OMC et projet d’accord dit AGCS 1, interrogations sur les services publics et l’aménagement des territoires, etc.

En dépit de l’apparence trompeuse des organi-grammes, l’environnement, support matériel de sens et de symboles, est déjà par essence chargé de culture. L’histoire des politiques d’environne-ment, parcourue de strates d’inspiration cultu-relle et philosophique, le confirme : conservation de la nature, protection des patrimoines histo-rique, archéologique et symbolique, protection et promotion de la qualité esthétique du cadre de vie et de l’architecture ; politique urbaine et symboli-ques spatiales, utopies et modèles véhiculés par la planification territoriale, etc.

On peut surtout le mesurer par la charge culturelle inhérente aux relations des êtres humains avec leur environnement : l’alimentation, le cadre de vie, la relation homme-nature et ses représentations, l’identité paysagère (rurale et urbaine), l’environne-ment comme source d’émotion, d’apprentissage, d’expérience et, même, depuis les années soixante, l’environnement comme production artistique.

Au-delà de l’environnement, la culture constitue une question en soi du développement durable. Celui-ci infère en effet : recherche ; innovation sociale et organisationnelle ; création urbanis-tique, architecturale, paysagère, écologique... ; diffusion des connaissances ; sensibilisation aux enjeux collectifs ; éducation visant à l’acquisition de repères permettant une vie collective plus conviviale et attentive aux biens communs, etc.

Cette énumération consensuelle ne résume pas tous les enjeux culturels du développement durable. Ainsi, des conflits très durs persistent quant à la production et à la diffusion des connais-sances. En effet, celle-ci peut révéler de lourdes responsabilités, des formes de « négationnisme », et des liens opaques d’intérêts impliquant politi-

1. Accord général sur le commerce et les services.

ques, industriels, scientifiques, responsables des médias. On l’a bien vu dans les années 1960 avec les résidus de pesticides, la radioactivité, le plomb puis le benzène dans l’essence ; dans les années 1980 avec l’amiante ou les engrais agricoles ; dans les années 1990 et aujourd’hui avec le changement climatique ou les stocks de poissons. Les débats agités autour de la vulnérabilité des populations défavorisées, victimes de l’urbanisme du tout automobile, ou à propos du projet de directive « REACH » 2 en témoignent en ce moment même.

Dans une acception moins classique, plus anthro-pologique, la culture inclut les us, coutumes, représentations et pratiques, banales ou plus marginales, mais signifiantes comme participant de la vie ou de l’identité collective. On imagine assez mal un développement durable qui en ferait abstraction. Certes, il ne s’agit nullement d’ouvrir un boulevard aux dérives communautaristes et aux ghettos, ni de considérer comme intouchable a priori, tel usage ou tradition, alors que le déve-loppement durable suppose la remise en cause d’habitudes, de privilèges, et de comportements non durables.

Derrière la problématique culturelle, on voit ici poindre des questions proprement éthiques. Excepté certains groupes arc-boutés sur leurs pouvoirs et acquis, et la frange des adversaires viscéraux de toute espèce de changement, il ne se trouve plus grand monde 3 pour considérer que le développement durable peut se concevoir sans changement de paradigme social, économique et politique, impliquant nombre de ruptures ou de ré-orientations philosophiques et matérielles assez radicales. Autant de mutations qui ne peuvent s’imaginer sans la redéfinition ou la recomposition d’un nouveau système de valeurs collectives, sans l’élaboration d’une éthique du développe-ment – et non pas de la croissance, comme le voudraient certains.

2. “Registration, authorization and evaluation of chemicals”, objet d’un intense lobbying.3. Sauf à confondre développement et croissance matérielle. cf. note 2 p. 17.

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Ce renouvellement éthique, partie intégrante d’un processus de transformation culturelle, sociale et politique, est, aujourd’hui comme hier, essentiel-lement impulsé par des mouvements sociaux de grande ampleur, plus ou moins bien relayés sur la scène publique.

Cela s’est par exemple traduit à Johannesburg par la place centrale donnée à la « lutte contre la pauvreté » – quinze ans après les dénonciations du rapport Brundtland ! –, et au retour d’un discours récurrent sur la solidarité Nord-Sud. Ce mouve-ment vient de se traduire par une annulation de la dette des pays les plus défavorisés – geste qui n’est pas exempt de questions, mais qui repré-sente une avancée. Pour autant, il semble que l’on n’ait pas encore abordé sérieusement la question des inégalités écologiques et sociales, pas plus que les contradictions à résoudre entre politiques à finalité sociale et politique de protection de l’environnement 1. Et le nécessaire recentrage du Sommet mondial de 2002 sur les aspects sociaux du développement durable s’est effectué pour une bonne part au net détriment de l’environ-nement, au lieu de le conforter. Si les conver-gences entre les composantes environnementales et socio-économiques sont heureusement souvent fortes, les contradictions n’en restent pas moins quelquefois sévères dans le court terme, horizon incontournable de la finance et de la politique.

Le processus de longue haleine visant à construire et mettre en œuvre un (des) projet(s) de société qui dépasse(nt) ces contradictions, avec ses valeurs et ses équilibres nouveaux, ne part pas de rien. Le développement durable s’appuie sur un certain nombre de principes essentiels, actés dans une

1. Pour être plus précis, nombre de politiques sociales généreuses à court terme se révèlent anti-écologiques – et de surcroît antisociales à moyen terme –, et certaines politiques environnementales comportent des effets anti-sociaux ni évalués, ni maîtrisés. Cf. J. Theys. « Quand inégalités sociales et inégalités écologiques se cumulent. L’exemple du SELA », Note du CPVS, no 13, MELT-DRAST, janvier 2000 et d’autres articles du même auteur. Cf. aussi « Inégalités sociales, inégalités écologiques », rapport du groupe de travail, in Livre blanc du Comité français pour le Sommet mondial du développement durable, pp. 161-178.

cohorte de documents officiels de la communauté internationale sur le sujet, notamment le rapport de la Commission Brundtland ou les déclarations de Stockholm et de Rio, tous produits d’une longue histoire scientifique, sociale et politique.

En se plaçant dans la perspective démocratique, le principe de participation fait figure de socle, ou de couronnement, selon les goûts, pour l’édi-fication du développement durable et désirable, bien ancré sur ses quatre piliers.

Déjà inscrite en France dans plusieurs textes législatifs importants et en dernier lieu, dans la charte de l’environnement 2, la participation pouvait sembler sur le terrain parfois réduite aux simulacres. Les pratiques évoluent pour les grands projets, malgré quelques douloureux cahots, avec les débats publics encadrés par la Commission nationale de débat public (CNDP). Elle a aussi considérablement avancé grâce aux démarches menées par des élus convaincus de la nécessité d’une rupture avec les pratiques du passé et qui tentent une démocratie plus proche et plus à l’écoute des citoyens et des associations. Ce n’est évidemment possible qu’au prix d’un fort investis-sement et d’une certaine prise de risque.

De l’utilité du désirable

La désirabilité d’un projet de société ne se résume pas au caractère plaisant découlant d’un principe hédoniste, que certains pourraient considérer comme futile devant une situation d’urgence manifeste, voire de tragédie planétaire.

2. « Article 7. – Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publi-ques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». L’ajout restrictif des « limites définies par la loi », concédé à certains élus ayant exprimé des inquiétudes, n’a plus beaucoup de portée après la convention d’Aarhus « entrée en vigueur en France le 6 octobre 2002 et qui s’impose au législateur » (discours du garde des Sceaux au Sénat du 23 juin 2004) ; elle exige systématiquement un haut niveau de participation et précise sérieusement les règles du jeu.

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On peut se souvenir pour commencer que parmi les dictatures les plus violentes et les plus stables, la promesse de lendemains qui chantent n’a pas été de peu d’effet. Et que, dans un registre voisin, les politiques publiques menées en démocratie sans un minimum d’adhésion ont rarement connu un franc succès. Autrement dit, si la légitimité des projets collectifs se fonde pour une bonne part sur l’accep-tation de contraintes dont l’intérêt est suffisamment perçu, comme l’impôt ou les limitations de la vitesse routière, ils ne tiennent dans la durée qu’en répon-dant aussi à des aspirations d’un autre ordre, à une envie d’imaginer et de faire ensemble.

Une telle motivation reste la clef d’une implication pérenne des acteurs. Un processus de déve-loppement durable s’amorce nécessairement sur quelques éléments de consensus relativement faciles à trouver, moyennant un peu d’intelligence et de volonté de dialogue. Mais il suppose ensuite la capacité d’affronter des questions parfois très complexes, appelant des concessions parfois épineuses. Que l’on travaille à l’échelle d’une commune, d’une région, d’un pays ou au niveau international, face à des pressions extérieures et des enjeux de plus en plus lourds, la mobilisation des acteurs concernés s’avère indispensable. C’est le seul moyen de faire remonter efficacement les informations que détiennent les acteurs de terrain, ainsi que leurs attentes, leurs demandes, et leurs propositions, en profitant de leurs savoirs. C’est aussi le meilleur moyen d’asseoir la légiti-mité des projets collectifs, de favoriser l’accepta-bilité de certains sacrifices. Ceci suppose que les responsables politiques ne se contentent pas de consulter, mais fassent preuve d’une réelle écoute, acceptent un dialogue approfondi et deviennent les promoteurs d’un projet co-construit.

Mieux encore, une réelle mobilisation du public et des groupes concernés dans une démarche de développement durable, pour un projet global et transversal, offre l’opportunité rare de confronter des aspirations essentielles. Elle permet d’ouvrir un débat de société sur les grands enjeux du futur, de créer une culture commune. Elle contribue à construire les nouveaux systèmes de valeurs

– fermement adossés à l’ensemble des principes et droits humains à portée universelle –, dont la société a manifestement un urgent besoin pour redéfinir le contenu de la notion de progrès humain.

Si le désirable fait montre de nombreuses utilités sociales, on ne doit pas pour finir se priver de consi-dérer la désirabilité des choses en soi et pour soi.

Accepter une vision réductrice du développement durable serait s’enfermer dans un contresens au regard de l’axiome des quatre piliers et tuerait à coup sûr tout désir. Un projet qui se veut désirable se présente donc comme le refus de la fatalité d’un monde de plus en plus contraint par des réponses purement techniciennes et juridiques.

Le développement durable doit faire sa place à la subjectivité, à la beauté, à l’affectivité, à l’épanouissement des êtres humains. S’agissant du cadre de vie, nous avons certes droit à un logement et à des conditions matérielles saines et décentes, mais nous avons également droit à des lieux de vie qui puissent nous faire rêver 1.

Par ailleurs, aucune raison valable n’exige de refuser les côtés ludiques qui peuvent entourer un projet. Si le développement durable comporte nécessaire-ment des moments de conflit et des renoncements, on est en droit de considérer qu’il doit être aussi le lieu de l’échange, de la reconnaissance de l’autre, de la découverte du monde qui nous entoure, de la rencontre festive, du retour gratifiant.

Enfin, le projet collectif qui se construit progressive-ment dans un processus du développement durable tend vers un nouveau contrat social en vertu du principe d’équité, et vers un processus de démocratie citoyenne en vertu de celui de parti-cipation. Il s’inscrit dans la poursuite d’une utopie d’un nouveau genre, au meilleur sens du terme, une utopie sans modèle prédéfini, une utopie de la diversité en devenir, à la recherche de réponses adaptées aux divers contextes et aspirations, inspi-

1. Cf. Christian Garnier et Philippe Mirenowicz, « Manifeste pour l’écologie urbaine », Métropolis, no 64-65, 4e trimestre 1984 (« Écologie urbaine I : nouveaux savoirs sur la ville »).

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rées par des valeurs universelles d’ouverture et de solidarité. Peut-on concevoir une telle perspective, refusant les hégémonies, économiques, politiques et culturelles, sans l’idée même du désirable ?

Le désirable en action

Pour conclure avec le très vif souci de voir se concrétiser les bons sentiments, la désirabilité du développement durable demandera certes quel-ques preuves d’humour et de convivialité. Mais elle demandera surtout de s’assurer de l’application pragmatique des grands principes et plus encore, de la qualité de la démarche. Pour cela, quelques règles élémentaires devront être respectées 1.

Comme on peut le voir chaque jour dans les démarches territoriales, il est nécessaire de tenir compte des temporalités : temps de la réflexion et du travail collectifs, temps des différents acteurs. Le déroulement du processus doit respecter les phases incontournables, avec les organisations adéquates – comités, groupes de travail... En particulier, la phase la plus amont, qui éclaire les finalités de l’action (avant que de parler d’enjeux, de stratégie et d’objectifs), ne doit pas être court-circuitée : quelle appréhension des choses, quel projet de vie, pour qui, avec qui ? Elle appelle une large concertation, tout comme les phases de diagnostic – diagnostic par lequel on se réappro-prie un territoire et ses problématiques –, de suivi et d’évaluation collective.

Si l’on nourrit l’ambition d’un projet qui soit le fruit d’une démocratie citoyenne adulte, on sait le caractère névralgique d’une authentique volonté politique. L’autorité responsable doit s’engager et se donner les moyens d’un travail impliquant forte-ment habitants, usagers, ainsi que les associations citoyennes porteuses d’intérêts généraux (et pas uniquement d’intérêts collectifs). Ce tissu associatif spécifique, fort du soutien de l’opinion globale mais matériellement très fragile, repose essentiellement

1. Cf. notamment : Cahiers du conseil général des Ponts et Chaussées, no 6, septembre 2002, consacré au débat public.

sur la générosité, au service de valeurs et de biens communs. Son soutien est en France une question fondamentale et présentement préoccupante, qui exige des réponses fortes et réfléchies. En effet, vouloir faire du développement durable sans tissu associatif d’intérêt général solide et indépendant, ce serait comme vouloir une vie publique sans partis politiques ou une négociation sociale sans représentation syndicale structurée. Si l’ambition est aussi d’introduire dans tout cela un peu de désir, d’innovation et d’enthousiasme collectifs, quelques encouragements concrets... et durables, ne seront sûrement pas superflus.

Enjeux majeurs du développement durable pour l’aménagement du territoire

Chaque domaine de concrétisation du développe-ment durable renvoie à des hiérarchies spécifiques de mise en œuvre. L’aménagement des territoires fait face actuellement à trois questions majeures qui reflètent autant de grandes problématiques du développement durable.

La première, à laquelle tentent de répondre divers dispositifs de coopération, est évidemment celle du bon emboîtement et de la cohérence des échelles de réflexion et d’action. On voit bien à quel point on est encore loin du compte dans le contexte français qui souffre d’une complexité et d’une rigidité institutionnelles hors pair, qui poussent à la sectorisation et au chacun pour soi. On le voit bien par exemple dans le domaine des transports et des infrastructures, où la cohérence territoriale et fonctionnelle n’est même pas garantie au sein d’un même mode : routes et autoroutes, TGV et trains Corail, etc.). Du local au global et réciproquement, premier slogan du développement durable, reste encore souvent un vœu pieu.

Second axe majeur, la vulnérabilité des territoires à toutes sortes d’aléas, énergétiques, climatiques, économiques, sociaux, politiques, écologiques,

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Point de vue

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sanitaires... qui n’avait cessé d’être progressive-ment réduite depuis deux siècles a pris une direc-tion contraire, sur terre comme sur mer. À plus ou moins court terme, des ruptures dangereuses sont à nouveau possibles. Cela se vérifie par exemple avec la situation – dénoncée depuis des lustres – de dépendance financière d’une majorité de la popu-lation vis-à-vis de l’automobile et du pétrole ; elle peut rapidement prendre un tour social explosif et elle résulte pour une part essentielle de politiques publiques en matière d’urbanisme et d’équipe-ment. De même la fermeture inconsidérée des dépôts d’hydrocarbures en région, au profit d’une hyper-concentration sur quelques zones portuaires et de transports routiers dangereux massifs et polluants, s’inscrit dans une rationalité étroite de grandes entreprises qui devrait même poser ques-tion aux ministères de l’Intérieur et de la Défense. On pourrait prendre bien d’autres exemples en matière d’agriculture, de tourisme ou d’industrie. La logique de grandes infrastructures mal articulées à – ou parfois en pleine contradiction avec – la desserte et l’accessibilité fines des territoires est sans doute l’un des problèmes essentiels de notre pays, dont la richesse est faite aussi de très grandes disparités de densités, de topographies, et de topologies d’occupation humaine et « naturelle ». Le développement durable passe par la recherche d’une plus grande résilience et d’une plus grande autonomie des territoires, condition première d’une meilleure capacité d’adaptation et de résistance aux crises, actuelles et à venir.

En troisième lieu, à un moment où la décentralisa-tion est passée dans les mœurs, la question se pose avec une acuité croissante des lieux de prise en charge des questions « orphelines » 1 dont l’État était jusqu’ici, avec plus ou moins de bonheur, le protecteur que les ailes marchantes de la société civile se chargeaient au besoin d’aiguillonner. Or on constate fréquemment dans les débats locaux qu’il existe des « points aveugles » ou des angles de vue qui ne sont pas pris en charge, ou complètement

1. Cf. Christian Garnier, « Phénix ou serpent de mer », Le Monde, Idées, 21 août 1981.

sous-estimés, alors qu’ils sont de première impor-tance. C’est notamment le cas pour beaucoup de questions de moyen ou de long terme. Or la construction d’un développement durable ne peut se concevoir sans approche réellement globale et prospective. Ceci pose à la fois la question de lieux de régulation aux différents niveaux pour ne pas retourner au mythe de l’État omniscient, et celle du renforcement d’une forme de société civile citoyenne contribuant à une expertise globale, d’autant que les institutions académiques et les « experts » se sont passablement déconsidérés en niant ou minorant les erreurs commises.

Ces trois problématiques sont parcourues de façon transversale par une quatrième, lancinante, des inégalités écologiques et sociales. Cohérence des échelles, vulnérabilités et questions orphe-lines ont toutes fort à voir avec les solidarités que requièrent les populations et les territoires les plus fragiles. Elles interpellent une certaine obsession de la compétitivité qui se traduit dans beaucoup d’esprits et sur le terrain par une compétition à outrance et un gaspillage inquiétant de fonds publics qui ne semble plus soutenable en plein choc pétrolier. Le changement de siècle est marqué par des bouleversements qui ne font que commencer, dont les coûts peuvent être très élevés pour les sociétés européennes.

La société et le territoire français portent déjà les marques de lourds dysfonctionnements hérités du demi-siècle précédent. À l’inverse, l’espace national offre encore, malgré tout, une richesse et des atouts spécifiques et de grand poids. Le principe de précaution devrait à lui seul inspirer un choix stratégique de renforcement des « compé-tences » et des potentialités, et non de la compéti-tion. La priorité donnée à la poursuite de meilleures complémentarités, de synergies, de robustesse, d’équilibres dynamiques et innovants – qui inclut l’émulation et une concurrence raisonnable – est sans doute l’une des premières conditions d’un développement durable. Par la recherche de la qualité, de la finesse des solutions et des solida-rités qu’elle suppose, elle apparaît aussi comme une voie privilégiée du « désirable ».

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BibliographieBARRÈRE M., ANTOINE S. (coord.) 1994, La planète Terre entre nos mains, La Documentation française.

BOITEUX M. (Dir.) 2003, L’homme et sa planète, problèmes du développement durable, Académie des sciences morales et politiques, Paris, PUF.

COMMISSION DES NATIONS UNIES POUR L’ENVIRONNEMENT ET LE DÉVELOPPEMENT 1988, Une Terre, Un Monde, rapport Brundtland, Montréal-Québec, Éditions du fleuve.

FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT 2002, Vers un développement durable et désirable ? Rio 92, quelle mise en œuvre concrète ? 31e congrès de FNE, Paris, FNE.

GARNIER C. 1991, Villes et protection de l’environnement dans le bassin méditerranéen, METAP, Programme d’action Méditer-ranée (BM, PNUD, BEI, CE), Paris, FMCU/IUTC.

GARNIER C. 2004, « Développement durable, essor ou imposture ? », Annales des mines, Responsabilité et environnement, no 33, Paris, Eska.

Sitesinternet

europa.eu.int/eur-lex/fr/com/cnc/2001/com2001_0428fr01.pdf

RésuméAprès un rappel sur les origines du développement durable et plus particulièrement du développement durable désirable, cet article souligne à quel point cette notion est éminemment culturelle et comment elle porte en germe un nouveau projet de société induisant l’instauration d’une authentique participation démocratique et d’un nouveau système de valeurs collectives. Ce faisant, en tant que principe d’action, le développement durable désirable est un enjeu fort d’aménagement du territoire selon quatre axes majeurs : la cohérence des échelles, la vulnérabilité des territoires, la prise en compte de certaines ques-tions orphelines ainsi que des inégalités sociales et territoriales.

MotsclésDéveloppement durable (histoire), participation, aménagement du territoire, environnement.

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Le changement climatique et les évolutions énergétiques impo-sent de repenser rapidement notre modèle de société

Les prévisions du GIEC (Groupe intergouverne-mental pour l’évolution du climat) sont plutôt sombres. D’ici la fin du siècle, elles annoncent des températures qui pourraient mettre en péril l’avenir de l’humanité toute entière, sauf à trans-former fondamentalement et rapidement notre organisation économique.

Ces affirmations d’experts sont depuis peu relayées par les médias qui soulignent qu’on n’y réagit pas avec le sérieux nécessaire. On se contente de petites actions de court terme, quand il faudrait, pour contenir le réchauffement mondial à moins de 2 °C d’ici la fin du siècle (conformé-ment à l’objectif défini par le Conseil des ministres européen), des décisions importantes. L’enjeu fort est d’adapter la société aux effets indésirables de ce changement climatique, comme commence à l’envisager une commission récemment nommée par le gouvernement.

L’enjeu climatique se double d’un enjeu éner-gétique : de nombreux experts annoncent que l’économie de flux (transports, circulations, mobi-lités de biens et personnes) devrait connaître un ralentissement à cause du renchérissement de l’énergie, notamment du carburant.

Certes, l’essence n’est pas tout et il reste suffi-samment de réserves de charbon pour permettre de répondre, à un coût économique acceptable, aux besoins énergétiques de l’humanité pour ce siècle. Mais le coût de l’énergie va augmenter du fait des taxes publiques et parce que, demain, les permis d’émissions des marchés boursiers vont se généraliser pour contraindre nos sociétés à réduire leurs émissions de CO2. C’est à ce niveau qu’une nouvelle politique économique adaptée à une énergie plus rare et plus chère devra, non sans difficultés, être définie.

Il s’agit dès aujourd’hui de bâtir une stratégie qui réponde à un objectif double : s’inscrire dans l’économie mondiale basée sur la concurrence entre États et entre firmes, tout en assurant un développement durable qui réponde aux enjeux environnementaux et sociaux présents et à venir.

Cette stratégie passe par la promotion d’un développement mondial équilibré, qui assure une réduction de 50 % des gaz à effet de serre d’ici 2050 au niveau mondial (dit « facteur 2 »)

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Gilles [email protected]

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et de 80 % pour les pays les plus développés (dit « facteur 4 »). Cet objectif semble presque hors d’atteinte : notre croissance économique est corrélée avec la consommation énergétique. Si nous gardions jusqu’en 2050 un taux de croissance annuelle de 1,7 % (et une efficacité énergétique inchangée), au lieu de se réduire, la consommation énergétique aura encore augmenté de 80 %.

La poursuite de la croissance et la limitation de la consommation énergétique paraissent donc contradictoires. Les décideurs privés et les respon-sables politiques, désireux de poursuivre une poli-tique de croissance, sont alors obligés de prendre des mesures d’adaptation ou d’atténuation des effets négatifs du réchauffement inévitable pour la société.

Quelles mesures ? Les institutions internationales demandent aux pays développés d’abord, et aux autres États ensuite, d’infléchir progressivement leur mode de développement ; puis d’engager par la suite une rupture avec celui-ci, sauf à trouver des solutions techniques innovantes qui nous dispensent de cet effort de réduction.

Ce processus vertueux connaît cependant un démar-rage difficile dans l’ensemble des pays directement impliqués, même si, parfois, des initiatives isolées atténuent un bilan globalement peu glorieux.

De nombreuses raisons expliquent la faiblesse des actions engagées :– la faible connaissance, par les élites et par une large part de la population mondiale, des risques majeurs que feront courir, à l’humanité toute entière, la pérennisation et la généralisation de notre mode de vie consumériste ;– la difficulté pour la communauté scientifique de décrire précisément l’étendue, l’intensité et la fréquence des dommages qui attendent l’huma-nité face à ce réchauffement climatique ;– le poids du paradigme économique dominant, renforcé par le fait que les acteurs économiques utilisent avant tout des indicateurs (tel que le PIB ou les indicateurs boursiers) de court terme qui ne reflètent qu’une partie de la réalité ;– la concurrence entre firmes qui pousse à recher-

cher la rentabilité de court terme et l’avantage comparatif qui conduit à ne pas assumer les coûts environnementaux, sociaux et culturels des straté-gies économiques ;– la croyance dans les seules solutions techniques (issues en partie de la pensée philosophique posi-tiviste) qui freine la mise en place immédiate de programmes ambitieux de maîtrise de la demande d’énergie ;– enfin et surtout, une mauvaise perception de la temporalité des enjeux. Beaucoup de déci-deurs pensent que les technologies vont régler le problème du réchauffement du climat, alors que ces nouvelles technologies ne seront pas disponibles en masse dans les vingt ans ou trente ans à venir, période au cours de laquelle doit s’inscrire pourtant la rupture avec les tendances actuelles. C’est en s’appuyant sur les technologies qui sont les nôtres actuellement qu’il faut inverser les tendances. À quoi bon avoir dans trente ou quarante ans de bonnes technologies, peu émis-sives en CO2, si d’ici là, l’atmosphère de la planète se réchauffe de 5 à 7° supplémentaires ?

Vers une autre croissance économique ?

Il y a trente ans, le Club de Rome lançait déjà un appel solennel à freiner la croissance, sous le titre the Limits of Growth ? Il mettait en garde contre la poursuite des prélèvements et le gaspillage massif de ressources non renouvelables. Mais cette invi-tation à reconsidérer la croissance s’accompagnait d’un point d’interrogation, signe que les rappor-teurs avaient déjà mesuré la difficulté à penser l’avènement d’un « écodéveloppement » sans le soutien de la croissance économique. Un choc et un contre-choc pétrolier plus tard, le concept plus consensuel de développement durable – né du rapport de Mme Brundtland – s’appuie aussi sur l’économie de marché. On cherche désormais à faire advenir un nouveau mode de développement en intégrant les externalités environnementales et sociales négatives dans les bilans économiques.

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Certains initiateurs du concept de développe-ment durable pensent que la croissance sera le moteur de la transformation de l’économie de marché, du moins si elle est orientée dans une nouvelle direction. Les nouveaux principes clés de protection, de prévention, de précaution peuvent rimer avec économie, emplois et attractivité des territoires. D’autres remettent en cause l’idée même de croissance et s’appuient sur des discours catastrophistes, à mesure que les risques naturels se précisent.

Comment trancher entre ces deux tendances ? La situation de la planète est indiscutablement très préoccupante, mais le changement de paradigme ne sera accepté par nos concitoyens que si nous pouvons proposer des perspectives optimistes. Il serait particulièrement imprudent de discourir uniquement sur les menaces, sans présenter, en contrepoint, les opportunités de développement qui peuvent naître de la nécessaire mutation de notre société. Ainsi, l’approche réformatrice du développement durable s’ancre dans un processus qui prend en compte l’acceptabilité progressive de l’ensemble des parties prenantes (les politi-ques, les acteurs économiques, la société civile).

Cela dit, la nouvelle « croissance durable » n’est pas une décroissance. Elle s’appuie sur une économie de basse intensité énergétique, qui limite au maximum l’utilisation des énergies non renouve-lables, ainsi que sur une utilisation modérée des matières premières. Elle valorise la traçabilité des produits, des services et recherche, dans tous les cas, à limiter les effets sanitaires des process agraires, chimiques, industriels. Cette politique économique basée sur une croissance durable constitue le meilleur gage d’une souveraineté renforcée et garantit de mieux résister aux chocs économiques amplifiés, demain, par la raréfaction de l’énergie et des matières premières. C’est une croissance sélective, protectrice de la nature et attentive aux inéquités entre les hommes, qui peut créer de nombreux emplois et rendre plus compétitifs les territoires.

Réduire le flux des échanges au profit d’un développement qui s’appuie sur la biocapacité des territoires

La théorie des avantages comparatifs de Ricardo, qui préconise la spécialisation économique des pays, fonde la théorie du commerce international. Depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc communiste, la globalisation des marchés a amplifié cette division mondiale du travail. La spécialisation économique, qui engendre des interdépendances entre pays et entre firmes, est à l’origine d’un accroissement considérable des flux financiers, de marchandises et de services dans le monde. Ce système de flux nourrit la croissance des mégapoles mondiales, mais engendre aussi des effets négatifs pour les territoires et les firmes qui ne s’adaptent pas à cette concurrence exacerbée.

Pour faire face à la concurrence de plus en plus vive en provenance des pays émergents, les pays riches en général et l’Europe en particulier, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, tentent de s’intégrer à une économie globalisée, grâce à une spécialisation de plus en plus poussée de leurs économies. Ils visent la production de biens et de services à très fort contenu technologique et à forte valeur ajoutée. Cette approche économique se traduit dans l’élaboration de nouvelles politi-ques axées sur la compétitivité et l’attractivité des territoires, grâce en particulier à une mobilité et une fluidité renforcées (soutien aux infrastructures de transports). Il s’agit en quelque sorte de rendre toujours plus fluides et plus rapides les flux (les transits de marchandises par la mer et par camions pour l’essentiel) dans l’espoir de capter les revenus issus de ces multiples échanges. S’il faut indiscuta-blement se féliciter du succès que rencontrent ces politiques économiques, il apparaît indispensable d’accorder, à côté des politiques de compétitivité internationale, une attention plus soutenue au

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développement économique de proximité. En effet, l’économie locale qui tire ses ressouces de la création et de la consommation sur place de richesses, permet aussi le développement des territoires, la création d’emplois, et réduit les risques climatiques actuels grâce à la diminution des flux.

Pour prouver les vertus climatiques des boucles locales, une étude comparée s’appuyant sur la notion de métabolisme territorial devrait être réalisée. Elle calculerait et comparerait les bilans énergétiques des stratégies de développement exogènes et endogènes des territoires. Les flux économiques seraient mesurés, sur un terri-toire et sur une période de temps donnés, à partir d’une comptabilité analytique des quan-tités entrantes et sortantes et des variations de stocks de matières premières, de produits finis, d’énergie et de déchets.

Si cette méthode est encore assez rarement déclinée, d’ores et déjà l’écologie industrielle peut trouver un champ d’innovation et de recherche. Par exemple, au Danemark, des entreprises indus-trielles s’emploient à recycler systématiquement les déchets des autres entreprises du territoire. Aux Pays-Bas et même en France, des expériences comparables s’esquissent autour des déchets mais aussi de l’énergie et de l’eau. Elles permettent de réaliser des gains substantiels pour les firmes qui s’y engagent, en particulier par la réduction des coûts de transport. Ces tentatives garantis-sent surtout une fidélisation des firmes sur un territoire et contribuent ainsi à la lutte contre les délocalisations, en renforçant les liens entre firmes par la réalisation d’économies importantes pour l’ensemble des parties prenantes.

Développer l’avan-tage coopératif entre territoires : une nouvelle cohé-sion des territoires adaptée aux biocapa-cités de ceux-ci

Les politiques économiques fondées sur la valori-sation des boucles économiques locales peuvent cependant être source d’inéquité entre territoires, car tous les espaces ne sont pas égaux en matière de ressources naturelles propres. L’autonomie énergétique pourrait mettre en difficulté les terri-toires qui ont une biocapacité faible, c’est-à-dire qui ne disposent pas de potentiel énergétique suffisant au regard de leurs besoins, et qui sont déterminés en particulier par l’organisation écono-mique née antérieurement de l’abondance éner-gétique. Le risque serait de conduire les territoires excédentaires à capter de nouvelles richesses, sans rechercher à être solidaires avec les territoires défi-citaires. C’est donc une politique innovante – faite de réciprocité, d’équilibre concerté entre énergies décentralisées et centralisées – qui doit être mise en place, pour le bénéfice de l’ensemble, par tous les acteurs d’un bassin de vie. Il y a là un nouvel enjeu de politique et de gouvernance.

Un aménagement du territoire qui réduit la vulnérabilité des territoires et garantit l’efficience économique

Réduire la vulnérabilité des territoires face aux enjeux énergétiques

Si on examine les répercussions prévisibles des changements climatiques provoqués par l’aug-

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mentation des émissions de gaz à effet de serre, on constate que certaines régions françaises seront particulièrement touchées par les effets du chan-gement climatique, ainsi que certains secteurs économiques (agriculture, tourisme, transports, bâtiments et travaux publics, assurances, etc.).

Certains territoires seront affectés favorablement grâce aux politiques anticipatrices articulées sur l’efficacité énergétique, la gestion de la demande d’énergie, le soutien aux énergies renouvelables, l’utilisation de matériaux locaux de construction. Les régions littorales ont leurs chances si l’on songe au potentiel éolien. D’autres territoires seront au contraire atteints négativement, notam-ment ceux qui dépendant fortement de combus-tibles fossiles et qui ont des industries fortement consommatrices d’énergies émettrices de CO2.

Il apparaît donc essentiel d’étudier la vulnérabi-lité des territoires face aux évolutions énergéti-ques et climatiques à venir, afin de reformuler la nouvelle croissance du territoire qui devrait, dès lors, s’appuyer sur des démarches territoriales « d’éco-innovation ». Ces dernières se fondent sur une approche des risques et des opportunités de marchés, afin d’élaborer les scénarii d’une antici-pation des mutations sectorielles nées de la mise en œuvre des politiques de réduction des gaz à effet de serre.

Pour commencer, et pour se convaincre de la nécessité de repenser les stratégies économiques, il faudrait bien mesurer ce qu’il nous coûte de ne rien faire. L’absence de mesures pour contrer les changements climatiques a des effets budgétaires et en termes d’emploi.

– Ce coût de l’inaction permet de réévaluer l’uti-lité des politiques de prévention du changement climatique. Les coûts économiques varient d’un à sept en moyenne entre prévention et réparation, et l’exemple de l’ouragan Katrina en Louisiane le confirme encore.

– Cette démarche permet d’anticiper les efforts d’adaptation que certains secteurs de l’économie nationale auront à fournir pour faire face aux chan-gements climatiques.

L’OCDE analyse l’impact sur l’emploi des poli-tiques visant à atténuer le changement clima-tique. L’institution conclut que le coût oscillerait aux alentours de 1 % ou moins du PIB, tandis que la relocalisation de la main-d’œuvre induite affecterait à peine 0,2 % de la force de travail totale à l’horizon 2010. Pour l’Europe, la majeure partie des études arrive à la conclusion que les mesures de lutte contre les changements climati-ques auront des retombées positives sur l’emploi. Le « Livre blanc » de la Commission européenne estime à 500 000 les emplois nets pour 2010 dans l’Union européenne, créés directement par le secteur des énergies renouvelables et à 400 000 les emplois créés indirectement. En France, l’IFEN annonce 115 400 emplois potentiels à partir des énergies renouvelables en 2010, contre 38 900 actuellement. Les gains pour le BTP de la maîtrise de la demande énergétique n’ont pas été mesurés à ce jour.

Les politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre favoriseront le développement de nouvelles possibilités de travail, notamment dans les secteurs à forte intensité énergétique (dont le BTP), des énergies renouvelables, du contrôle et de l’instrumentation de la combustion et des matériaux de construction, mais aussi dans les industries fabriquant de nouveaux produits de grande consommation moins énergétivores (véhi-cules particuliers et utilitaires, électroménager et outillage électrique, biens d’équipements...).

Valoriser les aménités des territoires

Tous les territoires doivent à la fois rechercher à être compétitifs et en même temps attractifs auprès des habitants des autres territoires. Ils ont besoin de garder leurs forces vives et d’en attirer, par un travail de marketing d’image.

À l’heure de la globalisation, l’attractivité d’un territoire passe aujourd’hui aussi par la qualité des paysages naturels et urbains, par la maîtrise des nuisances (bruit, pollutions de l’eau, de l’air, du sol...), par la préservation du patrimoine

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culturel, par l’offre de services de qualité (hôpi-taux, crèches, halte garderie, haut débit...) : autant d’aménités qui peuvent attirer les cadres des entreprises. Cela passera demain par d’autres aspects qui ont trait à la compétitivité du territoire par lui-même, notamment l’énergie. Pour faire comprendre cet enjeu, il est à noter qu’un point de PIB aux États-Unis équivaut à deux fois plus d’énergie qu’un point de PIB européen ; que 20 % du budget des ménages américains est consacré aux coûts du transport contre 10 % en Europe. Aussi, les territoires qui seront les plus économes en énergie seront demain les plus performants et les plus attractifs.

Reconsidérer la temporalité de l’aménagement du territoire et agir dans l’incertitude

Le concept de développement durable porte dans sa définition la notion de temps : un temps présent (les générations actuelles) et un temps long (celui des générations futures).

Une première difficulté repose, pour les aména-geurs, dans l’arbitrage entre les aspirations des générations présentes et celles des générations futures (qu’il est par ailleurs bien difficile d’ima-giner). À cette difficulté s’ajoute celle de la diffé-rence de perception du temps entre les multiples acteurs qui agissent en matière d’aménagement du territoire. Citons quelques exemples :

– l’élu local pense souvent son action sur une douzaine d’années, soit deux mandats ;

– les acteurs industriels, qui avaient traditionnel-lement des stratégies sur une vingtaine d’années, ont désormais des stratégies de plus en plus courtes à mesure que s’est développée la désin-termédiation bancaire pour l’investissement. Le marché s’est progressivement substitué au réseau bancaire qui gérait une relation à la clientèle dans une temporalité beaucoup plus longue ;

– les marchés financiers vivent de plus en plus souvent dans le très court terme, soumis aux rentabilités exigées par les actionnaires ;

– l’administration enfin, qui doit théoriquement garantir les intérêts de long terme, dispose d’outils adaptés de planification territoriale qui prennent en compte des durées plus longues (ex. : les schémas de services collectifs, les SRADT, les SCOT, les PLU...).

Quoi qu’il en soit, ces différentes temporalités s’accordent mal avec celle du développement durable en général et du changement clima-tique en particulier. L’État, dans le cadre d’une gouvernance renouvelée, peut plus facilement que les collectivités territoriales ou les firmes privées, être garant des enjeux de long terme et mettre en œuvre des stratégies préventives et curatives à l’échelle géographique pertinente, pour couvrir l’ensemble du territoire national. Mais cette démarche descendante doit être croisée d’approches ascendantes, nées des initiatives spécifiques des territoires, en fonction des oppor-tunités locales. Aussi la gouvernance territoriale à mettre en place et l’articulation des politiques de développement durable des différents territoires qu’elle implique, constituent des éléments essen-tiels dans la réussite d’une politique globale de développement durable.

Devoir agir sans être totalement sûr !

Les incertitudes scientifiques relatives au réchauf-fement climatique se réduisent de jour en jour, à mesure que les recherches avancent sur ce sujet. Cependant, face aux faisceaux de preuves scien-tifiques, le thème est pourtant sujet à moquerie, quelquefois à diabolisation dans certains milieux scientifiques, politiques, ainsi que parmi les intel-lectuels et les médias. Certains ont vu dans le principe de précaution un rejet du progrès, un retour à l’âge de pierre !

Il y a bien là une difficulté à penser en dehors de « la modernité » actuelle, à se détacher des inté-rêts économiques liés au modèle dominant. L’un

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des freins au changement repose sur la difficulté à dater les catastrophes naturelles qui vont se produire, leur intensité, leur fréquence et leurs conséquences sur le développement économique et/ou sur l’homme en général.

En dépit des efforts du GIEC, les chiffres avancés n’indiquent qu’une probabilité de réchauffement, étalée sur une période d’un siècle. Cette four-chette de temps est difficilement intégrable dans la stratégie des décideurs économiques. Si le marché peut participer à la résolution d’une partie des problèmes écologiques de notre planète, il ne peut anticiper l’ensemble des phénomènes. La raréfaction des énergies non renouvelables et l’apparition de pics de consommation dans les années à venir n’ont pas encore réellement d’im-pact sur le prix du baril, qui fluctue surtout au gré d’aléas conjoncturels. Le marché ne peut prévoir les effets de seuil qui peuvent transformer un problème écologique mineur en une catastrophe irréversible.

Face aux incertitudes sur l’intensité du réchauffe-ment climatique, sur l’état des réserves énergéti-ques, sur les stratégies que les états et les firmes pourront déployer, il est essentiel que la stratégie d’atténuation énergétique et d’adaptation au changement climatique réponde aux impératifs de durabilité. Il y va du rang de la France qui devra éviter d’avoir une position décalée au regard des stratégies des autres États et des marchés, dans le contexte de la globalisation.

Engager une stratégie sans regret

Une stratégie économique territoriale « sans regret » devrait combiner la création optimale d’emplois diversifiés, le soutien aux activités économiques orientées vers les marchés futurs, assurer l’équilibre spatial des activités et le degré d’efficacité énergétique des mesures, (analyse en cycle de vie, en calcul d’empreinte écologique...).

Si on se réfère aux différentes expériences déjà menées en France et à l’étranger, les politiques de maîtrise de la demande d’énergie et le soutien aux énergies renouvelables (ENR) seraient des options particulièrement efficientes. Il importe aussi de prévenir les risques potentiels de crise énergétique, qui auraient notamment de lourdes conséquences sur la sûreté et la souveraineté nationales, sur la compétitivité des entreprises et des territoires, voire sur la cohésion sociale du pays.

Conclusion

Face aux enjeux du développement durable, il est impératif d’engager le plus rapidement possible un processus qui conduise progressivement à une inflexion, voire à une rupture par rapport à une économie de flux fondée sur les énergies émettrices de gaz à effet de serre. Cette inflexion appelle nécessairement l’élaboration d’une nouvelle politique d’aménagement du territoire, créatrice d’emplois et compétitive. Ce processus doit s’inscrire dans les politiques publiques, qui viendraient en appui et en complément des stra-tégies déjà menées par de nombreuses grandes firmes françaises.

L’échelle régionale apparaît comme adaptée pour construire, avec l’État, cette stratégie. La période de renégociation des fonds européens et des contrats de plan serait opportune pour préparer ces nouvelles politiques avec des acteurs terri-toriaux et des partenaires privés qui ont de plus en plus conscience des enjeux. La difficulté réside cependant dans l’articulation des politiques territoriales entre elles. Il appartient à la DATAR et aux autres acteurs publics de proposer un nouveau cadre de négociation, qui s’appuie sur des territoires adaptés aux différentes politiques à engager.

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Stratégiesterritorialesdedéveloppementdurableetlerôledel’État

RésuméLe changement climatique et les évolutions énergétiques imposent de repenser rapidement notre modèle de société en s’orientant vers une autre croissance économique moins productrice de gaz à effet de serre et plus économe en énergie. Une telle orientation pourrait se traduire par une réduction du flux des échanges au profit d’un développement qui s’appuie sur la biocapacité des territoires et par le développement de l’avantage coopératif entre territoires, facteur d’émergence d’une nouvelle cohésion territoriale adaptée aux biocapacités de ceux-ci. L’aménagement du territoire au sens large apparaît donc comme le moyen de réduire la vulnérabilité des territoires et de garantir une certaine efficience économique. Mais cela suppose d’en reconsidérer la temporalité et en même temps de continuer à agir dans l’incertitude.

MotsclésDéveloppement durable, aménagement du territoire, facteur 4, changement climatique, biocapacité, cohésion territoriale.

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« Processus de transformation de la matière et de l’énergie par des organismes vivants » : du domaine biologique, le terme de métabolisme a vu son utili-sation s’élargir au point d’apparaître aujourd’hui comme un concept clé du développement durable. On peut en effet considérer un territoire, avec la société humaine qui l’habite et l’économie selon laquelle celle-ci fonctionne, comme un écosys-tème doté d’un métabolisme : « [L’économie] est semblable à une vache dans un pré. [Elle] a besoin de manger des ressources et, finalement, toute cette consommation deviendra déchet et devra quitter l’organisme – l’économie 1 ».

L’approche de métabolisme repose sur l’analyse des flux reliant les entités vivantes à leur envi-ronnement. C’est dire si elle est adéquate à une démarche visant à identifier, évaluer et maîtriser les impacts environnementaux – au sens biophy-sique du terme – des modes de vie et de produc-tion d’un territoire donné. Bien plus : remonter de ces impacts à leurs causes, c’est identifier et comprendre les mécanismes productifs, mais aussi sociaux et culturels, par lesquels s’organise la vie d’un territoire, de ses acteurs et de ses habitants, dans l’espace et dans le temps. C’est, en défini-tive, ouvrir la voie au changement durable, celui qui intègre pleinement les variables écologiques, sociales et économiques de l’équilibre dudit terri-toire et de la planète.

1. M. Wackernagel, W. Rees, Notre empreinte écologique, éditions Ecosociété, 1999.

Après avoir situé le métabolisme territorial dans son contexte scientifique, ce texte précisera la portée pratique du concept ; puis il présentera des exemples de solutions émergentes et proposera quelques clés pour l’action.

Définition et contexte scientifique

L’analyse du métabolisme territorial vise donc à modéliser quantitativement et qualitativement, à l’échelle d’un territoire donné, la dimension biophy-sique des liens entre l’homme et l’environnement, en s’appuyant sur des méthodologies comme les « analyses de flux de matières » (Material Flow Analysis ou MFA). Celles-ci consistent à réaliser des bilans de masse et d’énergie, c’est-à-dire à effec-tuer une comptabilité analytique sur une période de temps donnée des quantités entrantes et sortantes et des variations de stocks de matières premières, de produits finis, d’énergie et de déchets d’un système donné, et ce à n’importe quelle échelle : entreprise, filière, ville, région, pays...

« Cette démarche, essentiellement analytique et descriptive, vise à comprendre la dynamique des flux et des stocks de matière et d’énergie liés aux activités humaines, depuis l’extraction et la produc-tion des ressources jusqu’à leur retour inévitable, tôt ou tard, dans les grands cycles de la biosphère. 2 »

2. S. Erkman, Vers une écologie industrielle, Paris, éditions Charles Léopold Mayer, 2e édition, mars 2004.

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Thanh NGHIEMInstitut [email protected]

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De cette approche découlent des solutions qui optimisent les systèmes pour « refermer la boucle » (flux de matières, énergie, eau) et privilégient les boucles locales.

Une analyse « écosystémique » de l’économie

Une telle démarche s’inscrit dans une approche écologique de la durabilité radicalement différente de la vision économique néoclassique de l’interac-tion entre l’homme et la nature. L’analyse monétaire y est en effet remplacée par une vision scientifique privilégiant les mesures biophysiques et visant à réduire les inefficiences de système (« fermer la boucle »). Dans cette approche, toute activité est analysée en fonction de ses impacts en amont et en aval : ainsi un déchet est une étape dans un cycle de transformation de la matière, et non une fin en soi.

Dans les années 1970, Nicholas Georgescu-Rœgen 1 a ainsi reformulé, dans une perspective

1. N. Georgescu-Rœgen, The Entropy Law and the Economic Process, Harvard University Press, 1971.

thermodynamique et biologique évolutionniste, la description du processus économique et de ses relations avec l’environnement. Cette nouvelle discipline, la bioéconomie, démontre qu’une crois-sance infinie est impossible sur une planète finie. En partant donc du postulat que les ressources et les capacités d’absorption de la Terre sont limi-tées, et en accord avec le principe philosophique de responsabilité de Hans Jonas 2, il en résulte que pour être durable, le développement des activités humaines doit respecter les limites de la planète et nécessite donc pour cela de s’appuyer sur une stratégie de conservation des ressources naturelles. Afin de satisfaire un niveau de bien-être acceptable pour la société, l’objectif économique de maximisation du niveau d’utilité doit être remplacé par l’objectif de minimisation des flux de prélèvements et de rejets.

Ces travaux alimenteront plusieurs courants scien-

2. « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre ». Hans Jonas, Le principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, éditions du Cerf, 1990.

Figure 1 : diagramme de flux territoriaux de ressources

Flux entrants :

- Matières premières- Énergie- Informations

Flux sortants :

- Produits- Déchets- Informations

Diagramme des flux de ressources territoriaux

TERRITOIRE

Industries

Infrastructures

Foyers

ServicesInstitutions

Bâtiments Commerces

Stocks de ressources

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tifiques qui, considérant la biosphère 1 comme un système vaste et complexe mais néanmoins fini, dépassent la vision anthropocentrique de l’envi-ronnement comme une externalité. C’est sur cette vision « écosystémique » que repose la philosophie du métabolisme territorial.

À la croisée de l’écologie industrielle et de l’aménagement du territoire

L’écologie industrielle en tant que discipline fait actuellement l’objet de développements impor-tants par différentes équipes de chercheurs 2 ; les flux liés aux activités industrielles constituent son terrain d’analyse.

Basée sur la prémisse que « le modèle simpliste actuel d’activité industrielle doit être remplacé par un modèle plus intégré : un écosystème indus-triel 3 », l’écologie industrielle est une vision globale et intégrée de tous les composants des activités industrielles humaines et de leurs interactions avec la biosphère. Elle a pour objectif l’optimisation des flux de ressources via une « écorestructuration » du système industriel, et non le simple traitement des pollutions en fin de circuit. Par la création de schémas organisationnels innovants reposant sur une dynamique de coopération des acteurs d’un territoire, elle vise à une stratégie d’innovation élargie reposant sur quatre piliers : la revalorisa-tion systématique des déchets, la minimisation des pertes par dissipation, la dématérialisation de l’économie (minimisation des flux de ressources)

1. « Système écologique global intégrant tous les êtres vivants et les relations qu’ils tissent entre eux, avec les éléments chimiques de la lithosphère (les roches), de l’hydros-phère (l’eau) et de l’atmosphère (l’air), dans un métabolisme global qui transforme sans cesse la surface de la Terre ». J. Grinevald, « Biodiversité et Biosphère », L’état de la planète, 2002.2. Le terme « écologie » renvoie ici à l’écologie scientifique, à l’étude des écosystèmes, et non à l’écologie politique. L’adjectif « industriel » est quant à lui à comprendre dans son acception anglo-saxonne, qui désigne l’ensemble des activités humaines, et non selon son sens restrictif en français (le système de production industriel).3. Frosch, N. Gallopolous, General Motors Laboratories, « Des stratégies industrielles viables », Pour la science, no 145, novembre 1989, pp. 106-115.

et la décarbonisation de l’énergie (limitation de la consommation d’énergie fossile).

Dans la mesure où il concerne les activités écono-miques et industrielles, le métabolisme territorial s’appuie sur les outils de l’écologie industrielle. Il complète cette analyse par la dimension territo-riale en analysant les interactions entre les acteurs et les choix d’aménagement du territoire. In fine, le métabolisme territorial analyse le fonction-nement et la durabilité d’un territoire et de ses acteurs comme un « écosystème humain ». Alliant diverses disciplines scientifiques (écologie scien-tifique, sciences naturelles, analyse systémique, sciences de l’ingénieur, économie, sociologie...) et au croisement de domaines tels que la prospective territoriale et l’intelligence collective, l’étude du métabolisme territorial est à comprendre dans le cadre plus global de la révision du mode de fonc-tionnement de nos sociétés dans un objectif de développement durable. Outre la restructuration du système industriel, c’est donc également à des enjeux de renouvellement urbain et d’aménage-ment du territoire que cette approche tente de répondre, afin de transformer nos sociétés 4 en écosystèmes ouverts et stabilisés.

La dimension sociétale

Les comportements sont au cœur des processus métaboliques : non seulement par leur contri-bution aux quantités consommées et rejetées, mais aussi par les possibles répercussions de leur changement sur les processus et les structures organisées autour des besoins des habitants.

Nous montrerons plus loin comment la réduction significative des besoins en énergie d’une cité, suite à l’adoption par les habitants de modes de vie plus durables, a ouvert la voie à la substitution de sources d’énergie renouvelables aux sources

4. Une analogie consiste à analyser le métabolisme urbain comme celui d’un corps humain. Il apparaît que les méga-lopoles, dans lesquelles 65 % de la population mondiale vivra d’ici cinquante ans (chiffres de l’ONU) sont comme des « cancers » : croissance trop rapide, congestion des artères, nécrose ultime des tissus.

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traditionnelles. Ou encore, comment le recours préférentiel à des producteurs locaux a permis de réduire considérablement l’impact environnemental de l’approvisionnement alimentaire de la cité.

Les approches sociologiques, pédagogiques et culturelles, voire « marketing » sont donc essen-tielles dans la compréhension des mécanismes du métabolisme territorial. Quant aux politiques visant à le modifier, elles sont vouées à l’échec si elles font abstraction de la culture, des habitus et de la volonté des habitants.

Enjeux et utilité du métabolisme territorial

L’approche par le métabolisme permet d’effec-tuer un diagnostic des enjeux de durabilité et de modéliser, sur la base de scénarios prospectifs, l’évolution des besoins en ressources d’un terri-toire. Elle permet de définir des objectifs chiffrés ainsi que des stratégies de mise en œuvre qui impliquent l’ensemble des acteurs.

En modélisant le système dans son ensemble, en mettant en évidence les interrelations et les impacts en amont et en aval d’un cycle de production ou de consommation, le métabolisme territorial rend possible l’identification des causes premières et ouvre la voie à des objectifs de réduction d’impact de – 50 % à – 80 %, ce que ne permettent pas les approches verticales et séquentielles usuelles.

L’étude du métabolisme territorial permet de modéliser et de programmer des fonctionnements efficaces à l’interface entre usagers et services tech-niques et/ou aménageurs : amélioration de l’éco-efficacité des modes de production (réduction des pertes de matière et d’énergie, écoconception des produits, recyclage/récupération...), rationalisation des modes de vie (boucles locales d’alimentation, mutualisation des transports, utilisation d’énergies renouvelables, économie de fonctionnalité...). Nous verrons plus loin des exemples concrets de telles réalisations.

Le métabolisme territorial correspond à des tech-nologies d’éco-innovation « radicales et intégrées » par opposition aux améliorations « diffuses et incrémentales ». Selon S. Faucheux, présidente de l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, « seules les éco-innovations à la fois inté-grées et radicales peuvent être sources de réels avantages concurrentiels sur le long terme 1 ».

L’empreinte écologique : une mesure du déséquilibre de notre métabolisme

L’empreinte écologique est un instrument clé pour l’analyse du métabolisme d’un territoire. Sa méthodologie consiste à quantifier l’ensemble des flux de matières et d’énergie qui entrent et qui sortent d’un territoire (qu’il s’agisse d’un pays, d’une collectivité, d’une entreprise...), puis à les pondérer en fonction de leurs impacts respectifs sur l’environnement. L’empreinte exprime ces derniers sous la forme de surface bioproductive nécessaire à les produire ou, dans le cas des déchets, à les assimiler.

Ainsi, l’étude du métabolisme des pays déve-loppés fournit des résultats sans appel : il nous faudrait, pour vivre de manière écologiquement soutenable, réduire notre métabolisme global d’un facteur 4 2, c’est-à-dire utiliser les ressources naturelles quatre fois plus efficacement, afin de nous permettre de vivre mieux en diminuant notre pression sur l’environnement.

Empreinte écologique et métabolisme territorial fournissent ainsi une mesure de la durabilité d’un « écosystème » humain. Ils donnent de précieuses indications sur les transferts d’externalités entre systèmes, puisque l’analyse remonte à la source des nuisances.

1. S. Faucheux, L’éco-innovation : une opportunité pour la compétitivité européenne, rapport au Commissariat général du Plan, janvier 2005.2. Ernst Ulrich von Weizsäcker, Amory B. Lovins, L. Hunter Lovins, Factor Four, Doubling Wealth, Halving Resource Use, Earthscan, London, 1997.

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L’empreinte écologique

« L’empreinte écologique d’une population est la surface de terres et de mers biologiquement productives requises pour produire les ressources que cette population consomme et pour assimiler les déchets qu’elle génère, étant donné les technologies du moment. 1 »

Cette demande humaine en surfaces, exprimée en hectares globaux 2, est comparée à la bioproductivité disponible, c’est-à-dire à la surface de sols (cultures, forêts, pâturages, mers) disponibles sur la planète pour la production de ressources naturelles renouvelables, dans la limite des capacités de régénération des écosystèmes.

L’empreinte écologique mondiale est actuellement de 2,2 hectares globaux par personne, alors qu’il n’y a que 1,8 hectare global de biocapacité disponible par personne (sans compter la biocapacité qu’il faudrait réserver pour le maintien de la biodiversité). L’empreinte écologique de l’humanité dépasse donc de plus de 20 % la capacité de porter � de notre planète. Autrement dit, nous utilisons actuellement 1,2 planète, alors qu’il n’en existe qu’une de disponible.

Bien sûr, l’empreinte écologique est loin d’être uniforme selon le degré de « développement ». Comme le note le rapport du Global Footprint Network pour l’Europe, « l’empreinte écologique de l’Europe repré-sente une surface deux fois supérieures à celle de l’Europe. � Les Européens dépendent du reste du monde pour compenser ce déficit écologique sans cesse croissant. » En effet, dans les dix années qui ont suivi la conférence de Rio, l’empreinte écologique par personne a augmenté de 8 % dans les pays riches, alors que les 2,2 milliards de personnes les plus pauvres ont vu la leur réduite de 11 %.

Figure 1 : Empreinte écologique par personne, 1961-2001.

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01960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000

Nom

bre

d'h

ecta

res

Pays à hauts revenus

Pays à bas revenus et revenus intermédiaires

Europe des 25

Empreinte écologique par personne

Source : Global Footprint Network, 2005

1. WWF, UNEP, WCMC and Global Footprint Network, Rapport planète vivante 2004, 2004, WWF.2. Hectares pondérés par les facteurs de rendement des différents types de sols, afin de les rendre mesurables dans une même unité.3. La capacité de porter d’un système est « la charge maximale qu’il peut supporter avec persistance » : W. Catton, Carrying capacity and the limits to freedom, Paper prepared for Social Ecology Session 1, XI World Congress of Socio-logy, New Delhi, India, 1986.4. Global Footprint Network, Europe 2005 : the ecological footprint, rapport pour l’Union européenne, GFN, WWF, mars 2005.

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Le métabolisme territorial en application

Bedzed, premier laboratoire vivant

La pertinence de l’approche de métabolisme territorial est mise en évidence à Bedzed, quartier pilote situé à 20 minutes de Londres (82 habitations sur 2 hectares, 250 habitants). Ce quartier, achevé en 2000, est exemplaire en matière de « métabolisme durable » : il a été entièrement conçu pour réduire l’empreinte écologique du site et de ses habitants de 50 %. Trois ans après sa mise sur le marché, il parvient à réduire les besoins d’énergie pour le chauffage et la climatisation de 90 % ; 98 % des matériaux de construction proviennent de sites déconstruits dans les �0 km à la ronde ; une grande part de l’alimentation est produite en boucle locale et livrée chaque jour sur le site.

Le quartier offre une bonne qualité de vie et une réelle mixité sociale (un tiers de cadres supérieurs et professions libérales, un tiers de professions intermédiaires avec aides de la collectivité, un tiers de loge-ment social). Les habitants échangent des services et se sont progressivement sensibilisés à la maintenance et à l’évolution du site.

Au-delà de Bedzed en lui-même, il faut voir le site comme une sorte de gros « laboratoire vivant » dont l’objet premier était de démontrer qu’on peut vivre de manière durable sans retourner à l’âge de pierre. Tout y est conçu avec une pointe ludique, voire « marketing », afin de donner envie aux gens de vivre de manière durable. Le concepteur du site ne revendique d’ailleurs pas d’inventions géniales ni de « percées » technologiques : l’enjeu est d’éduquer et de mobiliser.

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Plusieurs voyages d’étude ont été orga-nisés pour permettre à des experts, des entreprises et des collectivités fran-çaises de voir et d’analyser en toute transparence les forces et faiblesses du programme. Ces voyages d’étude ont permis aux visiteurs de prendre conscience de ce qu’était un métabo-lisme durable, en leur permettant de « toucher » les choses et d’observer les modes de vie in situ.

Le fait de comprendre les choix qui ont été faits, de voir ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, fait partie du processus d’apprentissage et d’appropriation : le métabolisme durable n’est pas une science exacte, c’est avant tout un processus évolutif qui permet aux concepteurs et aux habitants de corriger le tir pour optimiser le fonctionnement du système et se l’approprier. La recherche de solutions locales, l’ingénierie et l’ingéniosité (boucles énergie, matières, flux de personnes) sont développés par le collectif et appliqués au cas par cas.

L’après Bedzed : incubateur de projets et recherche-action

À partir de ce laboratoire, un programme appelé One Planet Living (OPL, littéralement « vivre avec une seule planète »), a été lancé par les concepteurs de Bedzed. C’est un programme ambitieux de métabolisme territorial, qui vise à réduire l’empreinte écologique des sites et des habitants des deux tiers (passer d’une empreinte de trois planètes, à une empreinte d’une planète). Dix principes techniques et une documenta-tion détaillée ont été établis avec des bureaux d’études.

Le principe est le même qu’à Bedzed, mais il est appliqué à une échelle supérieure afin d’intégrer de manière économique dans le programme les infrastructures et les équipements (énergie, eau, déchets) et une partie des productions de biens et services (alimentation, matières organiques dont bois et textiles). Il s’agit de programmer des sites et leurs usages très en amont, en intégrant les usagers et les solutions techniques dans des boucles d’optimisation locales.

L’ensemble de ces projets pilotes permet d’échanger en réseau des informations en temps réel sur ce qui fonctionne et sur ce qui ne fonctionne pas. Le réseau constitue de fait un « incubateur » de projets de méta-bolisme durable, chaque site entrant dans un cycle de « recherche-action ». La connaissance est ouverte et partagée, tout acteur peut accéder à la connaissance en contactant les membres du réseau.

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Quelques clés pour l’action

Que peuvent faire les concepteurs, collectivités et aménageurs en matière de métabolisme terri-torial ? Voici quelques idées concrètes, tirées des retours d’expérience.

Rendre possible et attrayant un mode de vie durable

Un métabolisme territorial durable ne peut pas être imposé aux habitants. Ainsi, Bedzed a montré que la réduction d’impact pouvait varier d’un facteur 1 à 5 selon les comportements des ménages (statis-tiques de consommation d’eau et d’électricité). De ce fait, certains des choix des architectes ont été surdimensionnés : les panneaux photovoltaïques avaient été conçus pour recharger quarante véhi-cules électriques au moyen de bornes de recharge gratuites sur le parking, alors qu’un habitant seule-ment a opté pour un véhicule électrique... On constate à l’usage qu’une majorité des surcoûts d’investissements (30 %) n’ont pas été utiles en matière de réduction d’empreinte écologique, et que l’essentiel des gains provient de solutions simples liées aux comportements d’une part, et aux choix d’infrastructures collectives d’autre part.

La pédagogie est un premier pas essentiel. À cet égard, l’empreinte écologique permet de sensi-biliser et mobiliser les usagers : elle peut donner envie d’agir. Il faut noter que l’empreinte ne suffit généralement pas pour passer à des spécifications techniques opérationnelles (elle n’en a d’ailleurs pas la vocation) ; mais elle s’articule naturellement avec les référentiels techniques usuels (HQE, ISO, bilan Carbone, bilan matières...).

Concevoir les sites pour qu’un mode de vie durable y soit attrayant est la clé. On ne peut durablement demander aux gens de payer 15 % plus cher pour être durable, ni de se compliquer la vie en portant des déchets triés loin de leur domicile... Un méta-bolisme territorial durable doit donner envie aux gens et leur offrir la possibilité d’adopter des modes de vie durables sur la base de la volonté

individuelle. On peut notamment approcher le sujet par la notion de baisse de charges, de simpli-fication des tâches. Les démarches « d’économies de flux », les programmes d’éducation à la maîtrise de l’énergie menés porte à porte par des asso-ciations telles que le CLCV sont exemplaires en la matière. On peut aussi mettre en avant une maintenance simplifiée pour les usagers ou les retombées en termes d’emplois locaux qu’induit un métabolisme territorial optimisé.

Tout aussi important est le partage de fonctionna-lités entre usagers : accès aux services de mobilité (exemple de la carte de mobilité de Bedzed, qui établit des partenariats avec les transports en commun et des clubs de location horaire d’auto-mobiles) ; accès partagé à Internet et à un parc d’ordinateurs (il existe de nombreux exemples d’associations qui récupèrent des ordinateurs pour les redistribuer à des écoles ou des quartiers défa-vorisés) ; accès à des services de proximité. Notre société migre en effet vers une économie de l’accès basée sur l’envie et la volonté individuelle, au lieu d’une économie de la propriété. L’enjeu aujourd’hui est d’être « branché » et d’avoir accès aux bons réseaux, la possession d’un bien impor-tant moins que celle des « signifiants » ou des codes permettant d’entrer dans un réseau 1.

1. Jeremy Rifkin, L’âge de l’accès : la révolution de la nouvelle économie, édition La Découverte, 2000.

Le métabolisme territorial n’est pas une science exacte, mais plutôt un « art ». Il repose sur deux compétences distinctes :– programmer des solutions qui rendent possible et attrayant un mode de vie durable pour les usagers (angle sociologie, « marketing ») ;– programmer des solutions qui optimisent les systèmes pour « refermer la boucle » (flux de matières, énergie, eau), et privilégier les boucles locales.

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Analyses et débats

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Programmation intégrée et optimisation de système en « boucle »

L’enjeu est de repenser le système pour en réduire les « fuites dans le temps et dans l’espace ». Prenons l’exemple des déchets : on pourrait dire qu’il s’agit d’une étape dans un cycle. Dans la nature, la matière passe par des transformations perpétuelles mais les molécules ne disparaissent pas : qu’elle soit « ressource » ou « déchet » la matière circule. L’économie humaine a créé une rupture dans la chaîne en y créant un début et une fin, les déchets étant considérés selon une approche end of pipe (fin du tuyau). Le métabo-lisme durable cherche à refermer la boucle, en réinjectant les déchets dans le cycle du système.

L’empreinte écologique mesure d’une certaine manière le « taux de fuite » ou l’entropie du système (les ponctions et les rejets sont supérieurs à ce que la planète peut supporter). Elle ouvre la voie à des approches d’intelligence collective, pour réintroduire dans le système la résultante des modes de vie des usagers.

Un exemple de cette programmation par itération entre les usages et les équipements est celle des « ESCOs » en Angleterre (services d’énergie inté-grés pour les collectivités).

Ces centres d’intelligence travaillent d’un côté sur la maîtrise de l’énergie (MDE) auprès des usagers : ils aident à réduire les besoins à la source (isolation, éclairage, choix des appareils, négocia-tions avec les fournisseurs, systèmes de suivi par internet) et vont jusqu’à préparer des Welcome Package pour informer, voire attirer les futurs usagers en fonction de leur appétence pour les solutions qui seront offertes.

De l’autre, ces centres optimisent les choix éner-gétiques et calibrent les équipements collectifs en fonction des modélisations d’usage et des données géoclimatiques. Ces choix combinent l’énergie solaire et éolienne avec des paramètres résultant des simulations côté utilisateurs : filière bois locale, conversion de déchets en biogaz, récupération d’autres matières provenant de sites voisins.

Interfaces techniques au service des usagers, les ESCOs sont en plein développement ; elles adop-tent d’ailleurs souvent une structure capitalistique mixte (type SCOP, contrôlée par les usagers) 1.

L’objectif actuel est de réduire les besoins du côté des usagers de 70 à 80 % en amont afin de pouvoir se baser sur une énergie d’origine 100 % renouvelable. Les sites OPL ont ainsi une cible « zéro carbone » (dont puits de carbone) et « zéro déchets » (tout est composté, réutilisé ou réintro-duit dans le cycle, rien n’est incinéré).

Vers une approche alternative du développement ?

Le développement de métabolismes durables repose sur une intégration des besoins en amont : on injecte en effet des critères « mous » (socio-logie, modélisation d’usages) dans des spécifica-tions techniques « dures » (cahier des charges des aménageurs et constructeurs). Cette opération n’est pas une science exacte, elle demande de se pencher sur l’identité d’un site, les composantes qui seront de nature à attirer des populations cibles : pour ce faire, une interaction forte avec le tissu social est nécessaire (associations, cher-cheurs, sociologues, acteurs relais ou chefs de file...), ainsi qu’une capacité de modélisation. L’enjeu est d’identifier les agents « fertilisants » qui préfigurent le métabolisme du site et alimenteront la réflexion prospective ; ils attireront de par leur engagement et leur présence les acteurs de leur réseau.

Le processus de développement est ouvert et repose en partie sur l’engagement de la société civile. Pour en illustrer le fonctionnement, on peut faire une analogie avec l’industrie des logiciels et les méthodologies d’intelligence collective 2. Une première plate-forme de solutions est établie (« version 1.0 ») et publiée pour être améliorée par

1. Cf. par exemple : www.esd.co.uk, ESCO partenaire de Bedzed.2. B. Chevalier, Logiciels libres Open Source, qu’est-ce que c’est ?, 2005.

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Métabolismeterritorialetdévellopementdurable

itérations avec les utilisateurs (approche do it, fix it). Cette approche s’applique au métabolisme territorial, car celui-ci doit intégrer de multiples composantes (sociologie, modélisation d’usage et prospective) qui ne peuvent être capturées par une planification verticale ex nihilo. Cette approche permet d’améliorer la solution en inté-grant à chaque itération le retour d’expérience des usagers.

Les solutions sont coproduites avec les usagers. En ce sens, elles s’apparentent au métabolisme 1 en ce qu’elles partent de besoins réels exprimés et appropriés par les usagers (approche « appre-nante »).

Le modèle libre et apprenant peut-il s’appliquer au développement d’un métabolisme territorial durable ?

Parce qu’elles sont appropriées et « maintenues » par les utilisateurs, ces solutions montrent qu’elles fonctionnent dans la durée (exemple de Bedzed). Cependant le processus ouvert lui confère un caractère de science expérimentale qui pour-rait être discriminant pour certains planificateurs. Une analyse contextuelle (opportunités, faisabilité, objectifs de calendrier et volonté d’ouverture) est nécessaire en amont. L’analyse des résultats des pilotes de recherche-action permettra par ailleurs d’améliorer la méthode en continu.

1. Le plus connu est Linux, mais des outils tels que le WIKI et SPIP Carto permettent aux utilisateurs de coproduire librement des sites en ligne ou des cartes (voir Wikipedia, première encyclopédie en ligne co-produite par les utilisa-teurs).

Échelle, patrimoine et durabilitéBedzed s’appliquait à 250 habitants. Une grosse partie de l’empreinte écologique était de ce fait « incompressible » (infrastructures routières et nourriture, qui représentent plus de 60 % de l’em-preinte écologique des habitants) : en moyenne celle-ci n’a donc été réduite que de 10 à 20 %, certains habitants atteignant cependant la cible des 50 % du fait de leurs choix personnels. Les sites de seconde génération misent ainsi sur 2 000 unités et intègrent les infrastructures clés. D’après les concepteurs de Bedzed, l’idéal est en effet de travailler sur au moins un millier d’unités ; en dessous, les équipements sont difficiles à renta-biliser (attention, ces chiffres sont très variables selon les contextes locaux).

Un métabolisme territorial durable est porté par les collectivités qui « habitent » l’écosystème : la solidarité et la mémoire collective constituent la base d’un lien social résilient. On pourrait dire que le développement durable est une relecture moderne des valeurs et du patrimoine naturel, historique, culturel et industriel d’un collectif donné, afin d’en faire le socle légitime des orien-tations d’aménagement du territoire.

À ce titre, nous constatons que les sites où les approches de métabolisme « prennent » le plus naturellement en France sont situés dans des régions ayant connu des crises et qui ont conduit des reconversions importantes (territoires miniers et pollutions du Nord-Pas-de-Calais et de Saint-Étienne par exemple). De même, les acteurs privés les plus enclins à suivre cette démarche sont souvent proches de l’économie solidaire (mutuelles d’assurance telles que la MACIF, caisses d’épargne par exemple).

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Analyses et débats

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Conclusion

Le métabolisme territorial met en évidence l’impor-tance des interrelations et la nécessité de remonter aux causes premières pour modifier l’efficacité d’un « écosystème humain » dans son ensemble :– au sein du territoire, interactions entre agents fertilisants, usagers et territoire ;– dans l’espace, gestion des flux et externalités entre les territoires ;– dans le temps, relation entre développement et mémoire collective, patrimoine historique, naturel, industriel ou culturel.

L’échelle de territoire adaptée pour établir un métabolisme durable est donc celle d’un collectif cohérent : cette maille peut être différente de la maille administrative, puisqu’elle reflète des modes de vie et des habitudes de groupes humains comme dans un écosystème naturel.

Le métabolisme peut ensuite être approché à plus grande échelle de manière « fractale », c’est-à-dire en respectant les équilibres des sous-ensembles qui constituent le maillon initial et en développant les échanges par subsidiarité (concept d’écosys-tème ouvert et suffisant). Il importe alors de veiller à l’équilibre des échanges entre les maillons, notamment d’éviter les « égoïsmes » locaux (exter-nalisation des nuisances sur le territoire voisin) ou les implantations « hors sol », non-intégrées dans leur milieu.

Au-delà des enjeux de planification technique et administrative, la discipline du métabolisme terri-torial est une porte d’entrée vers une économie de la connaissance, basée sur l’accès libre aux réseaux et à un processus de coproduction et d’intelligence collective mêlant usagers, acteurs et techniciens du territoire.

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Métabolismeterritorialetdévellopementdurable

SitesinternetAnalyses de flux de matières : www.conaccount.net et //www.wupperinst.org/

Bedzed et One Planet Living : www.bioregional.com

Écologie industrielle : France-ecologieindustrielle.org/

Empreinte écologique : www.footprintnetwork.org

Modes de vie durables : www.angenius.org

RésuméTerme issu de la biologie, le métabolisme est une notion qui a été peu à peu transposée à d’autres domaines tels que l’entreprise ou le territoire. Le métabolisme territorial est ainsi le produit d’une analyse écosystémique de l’économie qui emprunte ses méthodes à l’écologie industrielle tout en touchant au domaine de l’aménagement du territoire. L’empreinte écologique est ainsi un essai d’application pratique de la notion de métabolisme territorial. Utilisée dans le cadre de l’aménagement de quartiers urbains, comme celui de Bedzed à Londres, elle offre des pistes pratiques à la mise en œuvre du déve-loppement durable, même si ces dernières reposent davantage sur la mobilisation des populations que sur des mesures purement techniques.

MotsclésDéveloppement durable, métabolisme territorial, empreinte écologique, écologie industrielle.

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Analyses et débats

Il y a quelques années, il paraissait incongru d’ac-coler ces deux mots « nucléaire » et « développe-ment durable » sans soulever une véritable polé-mique. Aujourd’hui, la question du changement climatique, l’épuisement des ressources, rendent cette idée non seulement acceptable mais sans doute pertinente, peut-être même inévitable.

Le changement climatique est très différent de la pollution en ceci qu’on ne voit pas les consé-quences de nos actions sur le climat. Le lien entre une activité et ses conséquences sur l’environne-ment change. On est passé d’impacts locaux avec

des parades locales et de court-moyen terme à un impact global et des parades de long terme, voire de très long terme qui ne répareront pas le dommage.

Les tensions sur les ressources se succèdent pour des motifs différents depuis le début de l’année, qu’il s’agisse de la rareté des ressources fossiles, des besoins des pays émergents comme la Chine ou des effets des aléas climatiques.

Les enjeux environnementaux et parmi eux les enjeux climatiques, vont devenir des détermi-nants majeurs face à la croissance des besoins

Nucléaireetdéveloppementdurable:quelrôleetquellesexigencespourlenucléairedemain?

Claude NAHONDirectrice du développement durable, [email protected]

UE à 15

Allemagne

France

Suède

UE à 15

Allemagne

France

Suède

charbonnucléaire

gaz+pétroleENR (hydro.inclue) énergie autre électricité (total)

(8,3)

(10,1)

(5,5)

(6,3)

5,7 2,6

6,3 3,8

5,6

4,9 0,6

0,73%

27% 24% 34%

77%

39% 57%

13%

15%

10% 30% 7%53%

6%

0% 20% 40% 60% 80% 100% 0 2 4 6 8 10

tCO2/habitant

Structure de la production d'électricitéen 2000

Émissions de CO2 du secteur énergétiqueen 2000

Source : EDF

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Industrienucléaireetdévellopementdurable

énergétiques. Le rôle du CO2 dans le changement climatique est aujourd’hui reconnu, la maîtrise des émissions de CO2 devient un enjeu majeur.

Or, l’électricité dans le monde représente 40 % des émissions de CO2 anthropiques du secteur « énergie ». Même si en France le parc électrique est très peu émetteur en CO2, il faut garder en mémoire que ce n’est pas le cas général : la ressource primaire la plus utilisée pour générer de l’électricité est le charbon, ce qui explique notamment que le secteur électrique est un très gros émetteur de CO2. Le graphique montre très nettement la contribution du nucléaire pour atteindre des émissions par tête plus faibles.

Or la demande en énergie et plus particulièrement en électricité dans le monde va aller croissant : les pays émergents comme la Chine, l’Inde ont des besoins croissants et considérables. On évoque un doublement des capacités de production d’électri-cité dans les vingt ans qui viennent.

La recherche d’une production d’électricité à très basse teneur en carbone, dite carbon free devient un véritable challenge qui peut se traduire pour un producteur d’électricité de plusieurs façons.

D’abord, il peut s’agir bien sûr de la promotion de l’efficacité énergétique et de la maîtrise de la demande en énergie sur l’ensemble de la chaîne (production, transport, distribution et consom-mation) : c’est un enjeu majeur car les ressources sont limitées. Celles-ci devraient s’accompa-gner d’un développement significatif de la production d’électricité décentralisée. Pourtant, si l’efficacité énergétique, y compris la baisse de l’intensité énergétique et le développement des énergies renouvelables sont indispensables, ils ne suffiront pas à atteindre les objectifs de réduction nécessaires à la stabilisation de la situation climatique.

L’amélioration du rendement carbone des centrales existantes – de l’amélioration de rendement simple à la substitution totale ou partielle de combustible avec les nuances du gaz à la biomasse –, doit être recherchée.

Mais ceci doit être précédé par la mise en œuvre des moyens de production d’électricité les moins émetteurs, ce qui va du nucléaire à l’hydraulique, en passant par les autres renouvelables (comme l’éolien).

Sans oublier bien sûr d’investir dans l’innovation et la recherche pour développer de nouveaux moyens de production carbon free : séquestration-capture du carbone, nucléaire de génération 4, renouvelables (solaire...).

On voit que dans ce contexte le choix du nucléaire est alors posé car il permet de produire à un coût raisonnable une électricité sans émission de CO2. Pour donner un ordre de grandeur, on peut dire que si on arrêtait le nucléaire dans le monde, cela représenterait 600 millions de tonnes de CO2 par an, soit deux fois plus que l’effort de réduction demandé par Kyoto à l’ensemble des pays signataires !

Ce faisant, le particularisme français s’estompe. L’Energy Act des États-Unis propose clairement une relance du nucléaire. Au Royaume-Uni, cette relance fera partie du débat pour le nouveau « Livre blanc » sur l’énergie que prépare le gouvernement britannique. La Finlande a quant à elle entrepris la construction d’un réacteur à eau pressurisée (EPR).

D’une manière globale, en Europe, les échéances de renouvellement des centrales nucléaires et thermiques classiques se situent dans la prochaine décennie. Il est donc indispensable d’avoir mis en place les outils nécessaires à la prise en compte du CO2 dans les décisions. La directive euro-péenne sur les permis d’émissions ne donne pas cette visibilité indispensable : il est urgent de stabiliser le cadre et de trouver une gouvernance mondiale intégrant les pays en développement et les États-Unis.

La production d’électricité d’origine nucléaire est un atout dans la lutte contre le changement clima-tique et peut ainsi contribuer au développement durable mais cette relance du nucléaire doit s’ac-compagner d’au moins quatre conditions :– le maintien d’un très haut niveau de sûreté, dans

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Analyses et débats

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un cadre structuré et crédible de contrôle ;– le renforcement de la transparence et du dialogue ;– le traitement de la question des déchets nucléaires à vie longue ;– la recherche sur de nouvelles filières, plus perfor-mantes, sûres et moins génératrices de déchets.

Les débats qui se déroulent en ce moment en France vont dans ce sens. En tout cas, c’est dans

cet état d’esprit qu’EDF y participe. On commence à mesurer que les débats que nous avons sur les déchets nucléaires à vie longue – qui posent la question de notre legs aux générations futures – sont les préludes à ceux que nous devrons avoir sur les conséquences de nos activités sur l’environ-nement climatique, tout particulièrement en ce qui concerne les émissions de CO2.

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Industrienucléaireetdévellopementdurable

RésuméLe réchauffement climatique pose en des termes nouveaux le débat sur l’énergie nucléaire. En effet, la production d’électricité par ce mode pourrait constituer une solution intéressante dans la perspective d’une diminution des émissions de gaz carbonique, ce dont témoignent les débats qui se tiennent dans certains pays (États-Unis, Royaume-Uni, Finlande). Mais toute relance du nucléaire devra s’accompagner d’au moins quatre conditions : le maintien d’un très haut niveau de sûreté, le renforcement de la trans-parence et du dialogue, le traitement de la question des déchets nucléaires à vie longue, la recherche sur de nouvelles filières, plus performantes, sûres et moins génératrices de déchets.

MotsclésÉnergie nucléaire, réchauffement climatique, déchets radioactifs.

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Études et prospective

Par la dimension et l’intensité des processus en cause, le changement climatique pose à toutes les sociétés humaines une question inédite et vitale, qui converge avec la transition énergétique qu’imposent d’une part la proximité des pics de production pétrolier et gazier, d’autre part la saturation des capacités de régulation de notre atmosphère vis-à-vis des gaz à effet de serre (GES) et notamment du gaz carbonique. Ces questions ne se posent pas seulement aux structures de production et de transport d’énergie, mais bien à toutes les composantes de nos économies et de nos options d’aménagement du territoire, depuis l’agriculture jusqu’aux transports en passant par toutes les activités humaines et leurs cadres politi-ques et culturels.

Dimensions des phénomènes climatiques

L’explosion de la population mondiale est très récente et correspond à l’injection croissante de combustibles fossiles dans les économies, à partir de la révolution industrielle. L’accès à ces ressources étant relativement facile et peu onéreux, non seule-ment la consommation d’énergie suivit et favorisa le passage en deux siècles de 1 à 6 milliards d’hu-mains, mais chacun d’eux consomme aujourd’hui huit fois plus d’énergie qu’à la fin du XIXe siècle. Les deux principaux moteurs des émissions de CO2

dans le monde sont dans de nombreuses régions du monde la production électrique et globalement l’explosion des transports. Cette énergie émane de ressources carbonées à 87 %. Ces consommations se doublent d’une élévation rapide des émissions de CO2 anthropique, à des niveaux jamais atteints depuis 10 millions d’années (380ppm à ce jour, deux à trois de plus par an), élévation mesurée dans les carottages glaciaires et pour la période récente directement au centre du Pacifique.

Les résultats paléologiques montrent que les grandes oscillations passées de la température et du CO2 planétaires furent concomitantes, toujours comprises entre 200 et 280ppm pour le CO2, à un rythme principalement lié aux paramètres astronomiques. Des épisodes d’oscillation rapide et régionale de température existent aussi. Mais la succession des variations d’ampleur planétaire associant température et CO2 montre que hors ces cycles astronomiques, aucune régulation atté-nuante ne semble exister entre ces deux para-mètres ; effectivement, les interactions naturelles relevées jusqu’ici vont toutes dans le sens d’une auto-accélération du processus : des océans plus chauds et plus acides absorbent moins le gaz carbonique ; des systèmes végétaux deviennent peu à peu émetteurs nets de carbone car l’activité microbienne des sols est encore plus favorisée par la chaleur que la croissance des plantes ne l’est par la teneur en gaz carbonique ; la fonte de la banquise réduit fortement l’albédo terrestre et stimule donc

Ledéficlimato-énergétiqueduterritoire

Dominique DRONÉcole des mines de [email protected]

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Ledéficlimato-énergétiqueduterritoire

l’absorption de chaleur qui a son tour intensifie la fonte ; le réchauffement accroît la vapeur d’eau en haute atmosphère, gaz radiatif elle-même etc. Sans parler des hydrates de méthane jusqu’ici retenus dans les pergélisols aujourd’hui menacés et dans les fonds océaniques que pourrait déstabiliser une température plus haute. Or la prochaine glaciation ne devrait se manifester que dans plus de 30 000 ans, ce qui nous laisse le soin entier d’atténuer le choc thermique en préparation.

Il faut parler de choc, car pour les climatolo-gues, non seulement 2 °C de plus de température moyenne du globe représente déjà un demi-degré de plus que ce que notre espèce a jamais connu, à l’Holocène, mais encore l’évolution surprend tout le monde par sa rapidité, qu’il s’agisse de phéno-mènes ponctuels dont la fréquence est appelée à croître (telle la canicule de 2003), ou d’évolution continue : l’effondrement de pans de la plate-forme antarctique, la fonte des glaciers sur le globe ou les modifications des conditions climatiques régionales – avec les changements de faune et de flore asso-ciés, marines et terrestres –, mais aussi les risques (incendies de forêt ou à l’inverse inondations par exemple) correspondants. Or, 2° C de plus, c’est le bas de la fourchette des possibles calculée par les chercheurs rassemblés dans le GIEC depuis 1988.

Historiquement, nous constatons que même deux degrés représentent bien plus que les variations liées au fameux « petit âge glaciaire », sans doute en partie suscité par un affaiblissement des taches solaires et des variations dans l’activité volca-nique, et qui déclencha déjà de grands change-ments notamment en Europe. Or 2 °C de plus de température moyenne globale, c’est 3 de plus en Europe de l’Ouest. Que dire alors de 4 voire 6 degrés (ou plus pour certains) en un siècle, soit 6 à 8 sous nos latitudes ? Dans un très lointain passé, l’humanité réagit aux variations climatiques comme les glaciations (seuls 4 à 5 degrés nous séparent de la dernière d’entre elle, le Würm) en migrant vers des latitudes plus clémentes ; mais nous étions peut-être mille fois moins nombreux qu’aujourd’hui où toutes les terres occupables le sont, avec des densités parfois gigantesques.

En outre, la molécule de gaz carbonique vit de 100 à 300 ans dans l’atmosphère : la réduction de nos émissions doit donc prendre ceci en compte. De plus, la température du globe mettra plusieurs siècles pour se stabiliser, après stabilisation des concentrations de CO2, et le niveau des océans, poussé à la fois par les fontes des glaces et par le gonflement thermique, plusieurs millénaires à son tour. La dérive climatique en cours constitue donc une remise en cause extrêmement rapide et puissante des conditions de vie de l’humanité et de toutes les espèces vivantes. Ce que nous ferons dans les vingt ans qui viennent décidera des carac-téristiques climatiques et pour certaines géographi-ques des prochains millénaires. Faute de pouvoir espérer une autorégulation naturelle, il nous revient de faire en sorte que ce phénomène ne débouche pas sur une nouvelle extinction massive, peut-être en moins d’un siècle, et en tout cas sur une période extrêmement violente, dont nous pour-rions compter parmi les premières victimes.

Observations et perspectives

Les graphiques 1 à 2 illustrent quelques aspects de l’ampleur et de la vitesse du phénomène, qu’il s’agisse d’évolution des températures moyennes et maximales, des zones de précipitations ou au contraire de sécheresse intensifiée, de quintu-plement attendu (scénario A2 du GIEC, proche du tendanciel) de la fréquence des canicules, de la migration observée d’espèces végétales et animales, et des évolutions spectaculaires tracées par l’INRA et l’ONF pour le siècle qui vient quant aux conditions thermiques et hydriques des forêts, des cultures et des écosystèmes dont nous dépen-dons. Répétons-le : la rapidité de l’évolution clima-tique est dix ou cent fois supérieure à celle qui autoriserait une adaptation « normale » des écosys-tèmes notamment végétaux. Ainsi, pour l’ONF, les arbres se « déplaçant » moins vite que leurs rava-geurs remontant du sud, les changements en cours équivaudront à des invasions rapides de maladies ou de prédateurs tels que la processionnaire du pin, les chancres etc. Les conditions thermo-hydri-

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Études et prospect ive

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ques séculaires de nos vignobles et cultures ont, elles aussi, déjà progressé de près de 200 km vers le nord. Pour ce qui concerne les villes, pour des pluies de même intensité, la crue « 1910 » à Paris serait plus haute de 70 cm environ compte tenu de l’imperméabilisation explosive du XXe siècle, concernerait 880 000 personnes et 170 000 entre-prises ; pendant au moins un mois, l’approvision-nement en eau potable serait perturbé à 50 %, le métro et le RER à 70 % ; 200 000 personnes se trouveraient sans téléphone, et un million sans électricité, pour un coût total évalué à 30 milliards d’euros (source CGP 2005). Or les pluies extrêmes jusqu’ici « centennales » seront plus fréquentes et plus intenses du fait du réchauffement global.

À ces modifications de régime météorologiques sont associées la multiplication et/ou l’intensifi-cation des risques de tempête, d’inondations, de glissements de terrain, de stress hydrique et d’incendies (comme l’ont illustré l’été 2003 en France et l’été 2005 en Espagne et au Portugal), un accroissement des aléas agricoles, forestiers et

touristiques. Ceux-ci toucheraient aussi la produc-tion d’électricité et le transport de personnes, de marchandises, d’énergie et d’informations. Il ne s’agit pas d’une « fin du monde » devant laquelle il n’y aurait plus qu’à renoncer, mais d’une révision sérieuse de nos priorités d’investissement et d’allo-cation des ressources, tant publiques que privées. En effet, même un remboursement assurantiel ne répare pas les interruptions massives d’activités, et en outre les assurances ne remboursent pas tout... surtout lorsqu’un aléa devient un phénomène récu-rent (cf. graphique 4) ! Pour nos voisins britanni-ques, il est déjà clair que les dégâts dus aux seules inondations, grandes marées et érosion côtière accélérée en scénario tendanciel coûteraient beau-coup (30 milliards de livres de dégâts pour la seule inondation de Londres par exemple), plus cher que les politiques d’atténuation de la dérive climatique : le gouvernement évoque six mois de retard de croissance en 2050 pour financer une politique correspondant à une réduction de 60 % des GES nationaux à cet horizon.

Graphique 1 : consommation mondiale d'énergie en millons de tonnes-équivalent-pétrole

Source : Schilling et al., IEA (1997), Observatoire de l'énergie (1997), Musée de l'HommeEMP - D. Dron - DATAR 2005

charbon

gaz

nucléaire

pétrole

hydro & ENR

1000

2000

3000

4000

5000

6000

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8000

9000

10 000

0

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1875

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1885

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1895

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1995

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�4 Territoires 2030

Ledéficlimato-énergétiqueduterritoire

Graphique 2 : variations des températures terrestres de surface : de l’an 1000 à 2100

EMP - D. Dron - DATAR 2005

Variation des températures terrestres de surface : de l'an 1000 à 2100

écarts de température en °C (rapportés à la valeur de 1990)

Observations, hémisphère Nord, données estiméesDonnéesobservées Projections

Les barres montrent la hiérarchie en 2001 des valeurs produites

par les différents scénarios

Fourchette de variation des

différentsmodèles

Source : GIEC 2001

territoire 2030-2.indd 54 19/12/2005 15:52:01

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��

Études et prospect ive

décembre 2005 n° 2

Graphique 3 : évolution de la température moyenne en été en France de 1860 à 2100

Graphique 4 : coûts globaux des phénomènes climatiques extrêmes (après ajustement pour inflation)

EMP - D. Dron - DATAR 2005

EMP - D. Dron - DATAR 2005

13 16 29 44 72

13

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40

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01950 1960 1970 1980 1990 1998

Pertes annuelles en milliards de dollars américains

Pertes économiques totales Nombre de phénomènes

Pertes assurées Moyenne décennale

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Source : Swiss ré

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Ledéficlimato-énergétiqueduterritoire

Le « facteur 4 »

Pour contenir les évolutions écosystémiques, météorologiques mais aussi géopolitiques dans des proportions gérables, et éviter les perturbations majeures aujourd’hui prévisibles telles que la fonte des glaces du Groenland (6 mètres d’élévation du niveau des océans alors que 60 % de la population mondiale habiterait à moins de 60 km des côtes en 2025, notamment en mégapoles) et sans doute des extinctions massives – non seulement dans notre siècle mais aussi pour les suivants –, la recomman-dation des climatologues, qu’ont politiquement approuvée nombre de pays industrialisés dont ceux de l’Union européenne ou le Japon, est de ne pas dépasser 2 °C d’élévation de la température moyenne du globe (soit environ 3 °C en Europe et 5 aux pôles), c’est-à-dire 550ppm eqCO2 tous gaz confondus, soit 450ppm pour le seul CO2. Cet objectif correspond à une division par deux des émissions mondiales en 2050, soit une division par quatre à cinq des émissions moyennes des pays industrialisés (le désormais fameux « facteur 4 ») et une stabilisation des émissions des principaux pays dits en développement (de la Corée du Sud aux Émirats du Golfe et à l’Éthiopie, l’éventail est large !) au niveau actuel.

En effet, le panorama des émissions est très inégalitaire : pour une moyenne mondiale déjà à près de 4 tonnes de CO2 par habitant, l’Inde et la majeure partie de l’Afrique sont en dessous de 2, la Chine à près de 3, la France à plus de 6, l’Union européenne à plus de 8 et les États-Unis à 20 ! En outre les dynamiques démographiques diffèrent beaucoup. Les marges de manœuvre ne sont donc pas les mêmes d’un pays à l’autre. En outre, il faut rectifier une affirmation courante selon laquelle la croissance économique s’accompagnerait forcé-ment d’une augmentation des consommations énergétiques et donc des émissions de CO2 : ce qui est évident pour un pays pauvre ne doit pas masquer son inexactitude dès que le PIB s’élève. Mais pour un même PIB par habitant, les choix certes d’énergie primaire (plus ou moins

de charbon), mais surtout d’aménagement du territoire (structures urbaines et infrastructures lourdes), de fiscalité des énergies (et donc d’effi-cacité induite des parcs industriels et de transport) et de réglementation (efficacité moyenne des bâtiments) pèsent beaucoup dans la balance, en particulier du côté des carburants.

Si les États-Unis consomment deux fois plus d’énergie pour le même point de PIB, c’est surtout parce que d’une part leur fiscalité énergétique très faible a produit des équipements fixes et mobiles, des procédés, des bâtiments et des véhicules très dispendieux (12 l/100 km de consommation moyenne de leur parc automobile par exemple) et que d’autre part leur structure urbaine éclatée impose aux habitants de dépenser cinq fois plus de carburant pour y vivre qu’un Européen moyen, et 20 % du budget des ménages contre moins de 10 % en moyenne en Europe (ex-Union euro-péenne à quinze). S’y ajoute, mais seulement après, le poids spécifique en CO2 du charbon qui produit 50 % de leur électricité (80 % en Chine, 20 % pour l’Union européenne à vingt-cinq, 40 % en moyenne mondiale).

Ces caractéristiques structurelles, fiscales et urbaines, des États-Unis, difficilement modifiables en masse, ont sous-tendu leur opposition fédé-rale au protocole de Kyoto (horizon 2012) et leur discours strictement technologique et non organisationnel, orienté quasi-exclusivement sur les systèmes de production d’énergie (notamment l’hydrogène produit à partir du charbon dont ils possèdent les deuxièmes réserves mondiales et sont les premiers producteurs). De ce fait, la Maison Blanche semble peu préoccupée d’efficacité éner-gétique (par exemple dans les réunions du G8). Aujourd’hui un nombre important d’États, d’ag-glomérations et de groupes industriels américains emboîtent néanmoins le pas de l’Union européenne et du Japon pour explicitement ou non entrer dans la dynamique du protocole de Kyoto et surtout de l’après-2012. Les grands pays en développement, pour la plupart, suivent cette évolution avec un intérêt non dissimulé, surtout depuis le début de l’envolée des prix énergétiques.

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Pour ce qui concerne la France, depuis l’adoption de l’objectif « facteur 4 » par le gouvernement fin 2002, à l’instar de ses principaux partenaires euro-péens, plusieurs scénarios sectoriels ou généraux ont été tentés ou sont en cours d’élaboration. Très rapidement, et pour faire fond essentiellement sur celui élaboré par la Mission interministérielle de l'effet de serre (MIES) en 2003 et publié par le gouvernement mi-2004 1, soulignons trois points :

– Le facteur 2 serait atteignable dans les délais avec les technologies et organisations connues, dont la mise en place peut commencer immédia-tement notamment dans le secteur du bâtiment et, pour l’aménagement du territoire, dans l’orga-nisation des circulations en agglomération, sans oublier la question de l’évolution fonctionnelle et spatiale des villes et celle des transports longue distance. Ajoutons-y une indispensable prise en compte accrue dans les schémas de développe-ment des risques « naturels » intensifiés.

– La part des substitutions énergétiques ne comp-tera sans doute que pour une petite moitié dans le résultat final, l’efficacité énergétique tous azimuts se taillant la part du lion (ordre de grandeur : division par deux à quatre selon les secteurs) et donnant d’autant plus de marges de manœuvre économiques et politiques à la société qu’elle sera performante. Quelque « bouquet énergétique » que l’on retienne, ce passage par une économie « énergétiquement allégée » est absolument indis-pensable, en particulier pour les bâtiments, les transports et l’agro-alimentaire. En ordre de gran-deur, retenons par exemple que pour la France, les bâtiments devraient être trois fois plus économes et si possible sans fioul, que les systèmes de transports devraient ne plus dépendre que pour un tiers des hydrocarbures, consommer deux à quatre fois moins et n’émettre plus qu’entre le cinquième et le dixième des gaz tendanciels. Notons aussi qu’au niveau mondial, un scénario très volontariste du Conseil mondial de l’énergie,

1. Cf. Pierre Radanne, La division par quatre des émissions de gaz carbonique en France en 2050, MIES, 2003, (www.effet-de-serre.gouv.fr).

faisant passer l’énergie mondiale primaire de 89 % à 50 % de fossiles en 2050, avec 15 % de nucléaire et 35 % de renouvelables, ne conduirait qu’à une stabilisation des émissions actuelles sans une réduction globale de moitié des consommations.

– Parmi les diverses façons d’atteindre le facteur 4, les choix énergétiques primaires raisonnables passent par la réponse à plusieurs questions en suspens pour encore dix à quinze ans sans doute : jusqu’où pourra-t-on stocker l’électricité (marge de manœuvre des sources intermittentes et des trans-ports) ? Jusqu’où pourra-t-on séquestrer sûrement le carbone (marge de manœuvre des fossiles au-delà des 3Gt acceptables par la biosphère) ? Jusqu’où pourra-t-on produire, stocker et trans-porter l’hydrogène (autre marge de manœuvre des transports notamment aériens) ? Et, interro-gation cruciale pour nos démocraties, comment assurer une robustesse sociétale suffisante au cours des trente ans de transition chaotiques que nous commençons à connaître ?

Enfin, le changement climatique même maîtrisé (et nous pouvons sans doute encore éviter les trois quarts des dégâts prévisibles du scénario tendanciel) s’accompagnera de phénomènes météorologiques plus violents, qu’il faudra consacrer plus de finan-cements à prévenir (robustesse des constructions, isolation contre la chaleur, révision des systèmes agricoles...) et à réparer (inondations, incendies, perturbations des transports, interruptions de centrales...). C’est dire que les scénarios sectoriels ou stratégiques, élaborés par des groupes d’acteurs publics ou privés, ne doivent pas oublier que les capacités de financement de la société ne sont pas infinies, et que la question de l’affectation réaliste et adaptée des ressources, d’où qu’elles viennent, se posera sans doute rapidement d’une façon renouvelée. C’est dire aussi que l’eau d’une part, les écosystèmes et leurs capacités de migration d’autre part (couloirs Natura 2000 notamment, mais non exclusivement), qui sont nos deux « bouées » d’adaptation principales, doivent être considérés comme des facteurs de sécurité de premier ordre, et explicitement et effectivement devenir des objec-tifs stratégiques prioritaires sur les territoires.

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Convergence climat-énergie et temporalités

Dès l’origine, le problème du climat apparut dans les discussions internationales liées aux questions pétrolières : si le GIEC fut créé en 1988 à l’instiga-tion du président Bush père et de Mme Thatcher, ce fut aussi parce que le premier se demandait comment desserrer la dépendance américaine croissante vis-à-vis du Moyen-Orient, et la seconde comment préparer l’après mer du Nord. La nature et le sérieux scientifique de la dérive climatique entraient directement en résonance avec leurs préoccupations pétrolières. Depuis, des règle-ments conjoncturels et de nature surtout géopo-litique (car les gisements découverts n’ont jamais

eu l’ampleur requise pour que leurs potentialités rattrapent la course en avant des consommations) ayant fait baisser les cours, la plupart des institu-tions affichaient encore voici trois ou quatre ans des scénarios à 25 ou 27 $ le baril en prix moyen sur trente ou cinquante ans.

Aujourd’hui, le renchérissement continu et structurel des hydrocarbures (même si la spéculation s’en mêle aussi bien sûr) et, le marché aidant, des énergies de substitution, offre au monde deux problèmes à résoudre au lieu d’un seul, même s’ils sont heureu-sement convergents, ce qui donne sans doute à l’humanité davantage de chances d’arriver à un résultat viable. Les estimations des réserves ultimes du globe n’ont que peu varié depuis les années 1970 et sont situées entre 2 500 et 3 500 milliards de barils dont plus de 1 100 consommés à ce jour.

Graphique 5 : temporalité des investissements et changement climatique

arboricultue

culture (rotation)

forêt feuillus

forêt résineux

comportements

bâtiments

infrastructures

procédé industriel

modèle auto

bien consom.

T° F : + 4 + 3 ou + 2°cT° F : + 3 + 4 ou + 1,5°c

Fact 1,2 ou 4

0 20 40 60 80 100 120

Peak oil 2020Peak gaz 2030

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D. Dron.

vie

« votre investissement devra vivre »

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Temporalités

Source : D. Dron

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Tableau 1 : avis des parlementaires et de l’opinion sur le réchauffement climatique

Source : ADEME 2002Source : étude Sciences Po ADEME

Approuvent l’affirmation / la mesure Parlementaires Population

Personne ne peut dire avec certitude les vraies raisons du désordre du climat

Il faut ralentir la croissance économique pour préserver l’environnement

Le progrès technique permettra de trouver une solutionpour empécher l’augmentation de l’effet de serre

Il faudra modifier de façon importante nos modes de vie

Limiter la vitesse des automobiles en usine

Mettre une taxe sur la consommation d’énergie des entreprises

Augmenter les taxes sur les carburants

Stopper la construction de toute nouvelle autoroute et affecter cet argent au rail

Interdire la climatisation dans les voitures

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Le premier pic de production attendu, quand le débit quotidien de production sera dépassé par le rythme de la demande, à moins de cinq ans pour les uns, plus de vingt pour les autres, est celui du pétrole conventionnel, combustible de 90 % des transports mondiaux, utilisé lui-même à 60 % pour les transports. La conversion de charbon ou de schistes bitumineux en pétrole (la seconde se heur-tant à des limites de rendement fortes), qui offre des horizons plus lointains, est plafonnée par les capacités d’absorption du CO2 de la planète. Les ressources sont par ailleurs de plus en plus concen-trées hors des zones de consommation et dans des régions plutôt instables.

Or le transport abondant et bon marché, par terre, mer ou air, fut durant tout notre XXe siècle jusqu’à aujourd’hui la principale variable d’ajustement des stratégies urbaines, industrielles, commerciales, locales ou internationales ; il a largement déterminé

les circuits de production, distribution et consom-mation, la forme des villes, les échanges interna-tionaux. C’est ainsi que par exemple le système des hypermarchés de périphérie induit douze à soixante fois plus de consommation de carburant et d’émissions de CO2 que les commerces de proximité, même fournis par camion et propo-sant des tournées de livraison aux clients. Nous sommes donc devant une mutation de fond de nos organisations, doublement induite par la raré-faction des ressources (énergies conventionnelles, sans oublier eau et biodiversité) mais surtout par l’urgence climatique. Ces organisations structurent largement les aménagements territoriaux, et repo-sent sur des réalisations coûteuses et très inertes : un bâtiment existe pour un demi-siècle à un siècle (ou plus), une route, une voie ferrée ou un aéro-port en tant qu’objets pour un à deux siècles au minimum ; ils correspondent à des investissements très lourds, déterminants par ce qu’ils permettent

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mais aussi par ce qu’ils interdisent ensuite. Là encore, le renouvellement des conceptions s’im-pose, car tout ce qui est construit maintenant vivra bien plus longtemps sous conditions d’énergies chères, d’aléas climatiques forts et de contrainte carbone, que dans notre contexte hérité du siècle passé (cf. graphique 5). Or les représentations du futur, majoritaires dans la population, ne semblent pas toujours en rapport avec celles de leurs représentants élus (cf. tableau 1). Une fois de plus, l’emploi des ressources publiques et privées et son explicitation sont fortement et immédia-tement sollicités. D’autant que l’expérience des investissements d’efficacité énergétique réalisés en réponse aux chocs pétroliers des années 1970 et 1980, ont été remboursés deux fois depuis par les économies réalisées, comme les projections économiques du « facteur 4 » en France, même avec un baril à 35 $ en moyenne sur 50 ans 1.

1. Idem : 150G€ de plus pour la France en 2050 sous « facteur 4 » qu’en tendanciel, compte non tenu du coût des dommages aggravés sous scénario « fil de l’eau ».

La question se pose au niveau national, mais elle est déterminante au niveau européen : l’Union européenne sera dépendante à 70 % de l’extérieur pour son énergie d’ici vingt ou vingt-cinq ans contre 50 % aujourd’hui du fait de l’épuisement de ses ressources pétrolières et gazières. Le contexte énergétique et climatique lui donne dès maintenant la possibilité de définir des objectifs de robustesse, d’efficacité et de moindre dépen-dance, faciles à comprendre, riches en emplois et politiquement unificateurs. Nous pouvons, à mon avis, estimer sans exagération que cet ensemble d’États, déjà attractifs pour de nombreux pays du monde, pourrait construire et proposer un mode coopératif efficace et pacifique permettant d’affronter la mutation de fond qui se présente à tous. À condition bien sûr que l’Union européenne adapte dès maintenant ses critères, ses décisions et ses moyens, notamment institutionnels 2, au nouveau contexte, tant en matière de transports, d’énergie que d’agriculture ou d’urbanisme...

2. Cf. Dominique. Dron, « Énergie : l’Europe au régime », Libération, 25 juillet 2005, « Rebonds ».

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Conclusion : questions à l’aména-gement du territoire

La convention climat a défini un cadre international complexe, dont l’applicabilité repose sur des capacités lourdes, en partie inédites en matière d’environnement, de mesure et de contrôle (émis-sions, politiques, scénarios de référence, échanges de quotas, comité d’observance...), mais dont l’acceptabilité ne fera que croître avec les évolu-tions observées. La mutation à mener n’est pas qu’une question d’ajustement d’outils économi-ques, même si ceux-ci sont nécessaires. Au niveau international, les positions des États dépendront de leur perception de l’adaptabilité au nouveau contexte de leurs acteurs territoriaux.

L’endiguement de la dérive climatique converge avec la gestion de la transition pétrolière (70 $ le baril en août 2005 contre 15 en 2000 et 25 en 2002). En effet, l’une des questions les plus lourdes qui se pose au territoire porte sur les inflexions à donner aux systèmes de transports. Ils pèsent pour 55 % du pétrole consommé et 25 % du CO2 mondial et leur croissance est rapide. Or nos connaissances scientifiques nous montrent quel choc peu contrôlable et jamais vécu par l’huma-nité représenterait plus de 2 °C d’élévation de la température du globe, pour des raisons économi-ques, environnementales, politiques et de sécurité générale. Il faut donc des réductions d’émissions drastiques dans les décennies qui viennent. Par ailleurs, nos territoires, nos systèmes de produc-tion, de consommation et d’échanges reposent sur des transports abondants et peu chers, et 96 % du trafic mondial de véhicules fonctionne avec des hydrocarbures, et en dépendra encore pendant au moins vingt à trente ans en masse, sans séquestration possible du carbone émis par les moteurs. L’équation est claire, même si ses conséquences sont difficiles encore à admettre pour nombre de décideurs : les investissements et décisions qui pourraient accroître, même indirec-tement, notre dépendance pétrolière et gazière sur les vingt-cinq à trente ans qui viennent, sont

aujourd’hui contre-productifs. Et il n’y a pas que les transports...

Compte tenu des moyens disponibles, le phasage de la maîtrise du changement climatique appa-raît donc devoir se jouer, pour les générations actuelles, en trois phases, également exigeantes quant au résultat carbone : en gros d’ici à 2030, jusqu’en 2050, et après 2050. Qui peut et doit agir aujourd’hui ? Tout le monde, non seulement parce que l’ampleur du défi et l’exigence de robustesse sociétale interdit tout « passager clandestin », mais aussi parce que secteurs et outils se trouvent et se trouveront à toutes les échelles 1. Les initiatives de villes, d’agglomérations, de départements, de régions, y compris aux États-Unis, le démon-trent, alors que chaque année gagnée en matière d’accumulation de gaz à effet de serre compte. Les actes décisifs, concernant la réorientation notamment de l’aménagement des territoires (villes, transports, couloirs de migration écosysté-miques, structures agricoles – pas seulement pour le CO2, mais aussi pour le méthane, le protoxyde d’azote, les usages de l’eau, etc. ), et des circuits de production-consommation, doivent être posés dans les vingt ans : « Nous n’avons que quelques années pour faire quelque chose, et pas dix ans, beaucoup moins » (Peter van Geel, ministre de l’Environnement néerlandais, juillet 2005). Et selon Tom Burke, ancien conseiller de Tony Blair pour l’environnement : « Ce sont les investissements que nous réalisons à partir de maintenant et dans les vingt prochaines années qui nous permettront de stabiliser le climat. Pas ceux que nous consenti-rons d’ici la moitié du XXIe siècle ou au-delà » 2.

1. Cf. les Actes des colloques de l’ONERC de juin 2003 et octobre 2004 ; Dominique Dron, « Quels niveaux d’action pour l’adaptation et l’atténuation ? », actes du colloque de l’Union rationaliste, Collège de France, 18 mars 2005.2. Cf. aussi Meeting the climate change, janvier 2005.

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RésuméLe changement climatique en cours nous pose une question collective d’une ampleur inédite, qui dans les scénarios les plus extrêmes, menacerait la survie de nombreuses espèces dont la nôtre. Nous pouvons encore éviter les trois quarts de ces effets, qu’illustrent déjà la montée des événements météorologi-ques extrêmes, la fonte des glaciers, la migration vers le Nord des espèces animales et végétales, en maintenant le réchauffement global à + 2 °C au plus. Il en résulte au milieu de ce siècle une réduction de moitié des émissions mondiales et une division simultanée par quatre à cinq des gaz à effet de serre des pays ayant une économie industrielle. Les substitutions énergétiques seront loin de suffire, le triple-ment moyen de notre efficacité générale est indispensable, et atteignable. En outre, nous devons nous adapter aux effets prévisibles d’au moins 2 °C de plus sur la planète à la fin de ce siècle, soit 3 °C de plus en Europe occidentale. Or les décisions d’aménagement du territoire concernent des objets (bâtiments, villes, plates-formes industrielles, écosystèmes naturels, zones agricoles et forestières, infrastructures...) de coût élevé, et dont la durée de vie excède souvent le siècle. Nous devons donc dès maintenant penser l’aménagement du territoire national et européen en fonction de cette double révolution de notre contexte, tant en termes d’impératifs que d’opportunités.

MotsclésRéchauffement, gaz à effet de serre, facteur 4, pic énergétique, aménagement du territoire.

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Études et prospective

Les trois forces motrices

Le siècle qui commence est encore fort illisible, car trois puissantes forces sont à l’œuvre, mais sans forcément converger.

D’abord, l’extension du processus d’industriali-sation touche maintenant la majeure partie de la planète, alors que l’économie de marché s’est généralisée. La mondialisation de l’économie bouscule les États mis en concurrence jusque dans leurs politiques fiscales et sociales et prive les territoires de toute visibilité de long terme. La recherche de faibles coûts de main-d’œuvre pour baisser les prix des biens de grande consommation répond à une convergence ambiguë d’intérêts des industriels et des consommateurs. L’extension de l’horizon géographique pour les individus s’est accompagnée de l’émergence de la concurrence comme principe majeur de droit, privant les politi-ques industrielles et d’aménagement du territoire d’une grande partie de leurs modes d’intervention classiques.

Seconde force ensuite, l’essor des nouvelles technologies de communication et d’information transforme en profondeur nos vies. Un jeune aujourd’hui aura dans sa vie accès à plus de personnes, de cultures et de connaissances que toutes les générations qui l’ont précédé. Nous

entrons dans une civilisation relationnelle qui est à l’évidence le nouveau champ d’expansion de l’humanité. Il en résulte bien sûr un second bouleversement de la relation au territoire. La communication électronique efface l’espace, à la fois en ouvrant l’accès aux réseaux mais aussi en créant une nouvelle source de disparité, la fracture numérique, et en renforçant le rôle des transports de longue distance.

La troisième force enfin, est contenue dans la confrontation de l’humanité aux limites de la planète. L’augmentation de moitié d’ici 2050 de la population humaine, la déstabilisation du climat du fait de l’utilisation de combustibles fossiles et de la prédation de ressources rares sont de grandes menaces. Cette limitation trouve son expression la plus claire dans la notion d’empreinte écologique selon laquelle la généralisation du mode de vie européen à l’ensemble du monde nécessiterait les ressources de pas moins de trois planètes.

Il est frappant de constater que ces forces génè-rent des prises de position multiples mais sans réellement faire émerger un débat croisé entre elles. La synthèse n’est non seulement pas faite, mais elle n’est pas même entreprise. Nos sociétés sont ballottées par les vents, sans boussole. Le système politique commente plus les forces en action qu’il ne construit un projet. Alors que des enjeux considérables de long terme émergent,

Facteur4etaménagementduterritoire

Pierre RADANNE

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ils sont perçus davantage comme menaçants que rassurants, tandis que l’État renonce à toute planification. Cela se ressent évidemment au plan de la prospective territoriale. Si ces processus sont d’essence globale et dépassent largement la gestion des territoires, ils ont un impact direct considérable sur l’avenir de leurs activités et sur la portée des décisions des élus et des acteurs économiques locaux.

Nous allons maintenant aborder l’avenir avec comme point d’entrée les impacts de cette troi-sième force, celle des limites qui découlent de la lutte contre le changement climatique et de ses effets sur la problématique des territoires.

Un objectif pour 2050 : le facteur 4

Ce siècle sera sans nul doute très différent du précédent. Une humanité de 9 milliards d’habi-tants autour de 2050 devra suivre son parcours en évitant de se comporter en prédateur des ressources rares et de dégrader l’environnement et le climat. Depuis le début de l’industrialisation la concentration de dioxyde de carbone dans l’at-mosphère a augmenté d’un tiers. Cela constitue un écart équivalent à celui qui existe entre une période glaciaire et une période interglaciaire. Les climatologues ont reconstitué depuis vingt ans les changements du climat de la planète causés par les variations de la trajectoire de la terre autour du soleil, de l’inclinaison de son axe et de l’activité solaire, et ce depuis près d’un million d’années. Ensuite, à partir de l’analyse des mécanismes de l’effet de serre, les climatologues ont construit des modèles pour simuler les effets à long terme de l’accumulation dans l’atmosphère des gaz à effet de serre. Les projections font apparaître un réchauffement de 1,6° à 5,8 °C d’ici 2100. À titre de comparaison, l’écart de température entre une période glaciaire et une période interglaciaire est de 6 °C. Ainsi, il y a 10 000 ans, la banquise descendait jusqu’à une ligne Londres-Amsterdam-Munich et le niveau de la mer était 120 m plus bas qu’aujourd’hui. C’est donc un changement

dramatique des conditions d’habitabilité sur terre qui est enclenché pour ce siècle. Si le processus de l’effet de serre ne fait plus aucun doute, la vitesse de sa propagation, ses conséquences sur les écosystèmes et les régimes agricoles et sa distribution régionale contiennent de grands écarts d’appréciation.

La question maintenant posée est celle de savoir comment stabiliser le climat. Les simulations indi-quent que pour contenir le réchauffement déjà enclenché à 2 °C, il faut au moins diviser par deux les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Dans le processus naturel, les émissions et les absorptions de gaz carbonique se compensent : à la respiration animale correspond la fixation du carbone de l’atmosphère via la photosynthèse par les végétaux. En libérant des quantités massives de carbone contenues dans les combustibles fossiles enfouis, l’activité industrielle a déséquilibré ce cycle naturel. Restabiliser le climat implique de contingenter nos émissions dans l’atmosphère au niveau de ce que les océans peuvent absorber : de l’ordre de 10 milliards de tonnes de CO2 par an. Cela correspond pour une humanité de bientôt 9 milliards d’habitants à une émission d’un peu plus une tonne de gaz carbonique par personne et par an. Un chiffre à comparer au niveau moyen français actuel de 7 tonnes. C’est dans ce contexte qu’a été fixé un objectif de division par quatre des émissions pour la France dès 2050.

Si les émissions des pays en développement sont encore faibles, elles croissent vite et il n’est évidemment pas possible que ces pays puissent progresser dans un type de développement à bas niveau d’émission sans que les pays industrialisés aient accompli d’abord de nouvelles percées technologiques et orienté les styles de vie en conséquence. Il n’y aura pas de stabilisation des émissions mondiales sans maîtrise des émissions par les pays en développement, qui elle-même ne peut découler que de réussites décisives dans les pays d’industrialisation ancienne. Le protocole de Kyoto constitue l’amorce de cette convergence Nord-Sud indispensable. Les moyens d’interven-tion résident dans des quotas contraignants fixés

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à un horizon de moyen terme (actuellement 2010) pour chacun des pays du monde.

L’une des questions les plus difficiles est de trans-poser cet objectif de division par quatre des émis-sions françaises de gaz à effet de serre, exprimé dans la loi d’orientation sur l’énergie adoptée en juillet 2005, dans une prospective territoriale. Il faut par ailleurs souligner qu’au moment où ces questions font irruption, nous sommes de nouveau confrontés à un choc pétrolier. S’il provient d’un déficit d’investissements de production, de trans-port et de raffinage, il précède un déclin plus ou moins proche de la production pétrolière mondiale, la mise en exploitation de nouveaux gisements ne parvenant plus à compenser le processus de taris-sement des anciens. Notre société est ainsi prise en tenaille entre la menace climatique et le déclin du pétrole, source d’énergie qui assure à elle seule la fluidité des transports, fondamentale pour la mondialisation de l’économie.

Pour progresser dans la réflexion, une analyse sectorielle est toutefois nécessaire.

Réduire les émissions liées à la vie domes-tique et à la consom-mation alimentaire

Premier domaine, la prospective concernant la vie domestique présente peu d’incertitudes : évolution lente du patrimoine bâti, accroissement régulier mais modeste de la taille des logements, amélioration de la qualité de la construction. Les consommations d’énergie et les émissions polluantes découlent maintenant en France essen-tiellement d’actes de consommation relativement proches de la saturation : le chauffage, la produc-tion d’eau chaude, la cuisson, les machines de lavage et l’éclairage. Les nouveaux usages de l’énergie : audiovisuel, téléphonie, informatique présentent par comparaison des consommations énergétiques faibles. Les taux de croissance de ces consommations sont de l’ordre de 1 % par an. Comme un tiers des émissions de gaz à effet

de serre résulte du chauffage des bâtiments, la mise à niveau de l’isolation du patrimoine bâti est prioritaire. Or, cette tâche de longue haleine qu’est la réhabilitation du patrimoine ancien dépend essentiellement des collectivités locales. Toutefois, l’extension de la climatisation fait craindre une amplification de l’effet de serre du fait des pertes de gaz fluorés par des appareils souvent médiocres. Il faut privilégier la protection contre le rayonnement solaire direct et la qualité de l’isolation. Les autres possibilités de gains de consommation sont aussi importantes : éclairage basse consommation, appareils électroménagers performants ou réduction de la puissance des matériels électroniques en veille. Il est pour ces usages possible de stabiliser sinon de réduire la facture énergétique, à qualité de vie conservée, tout en diminuant fortement les consommations de combustibles fossiles. Les réponses techniques du côté de l’offre consistent à recourir au gaz, à améliorer les rendements et à utiliser les énergies renouvelables pour la production de chaleur (bois et géothermie pour le chauffage, solaire ther-mique pour l’eau chaude sanitaire).

Ces consommations ménagères peuvent aussi être classées selon deux rapports au temps. À échéance de quinze à vingt ans, tous les appa-reils de chauffage ou électroménagers seront remplacés a minima par des équipements moyens aujourd’hui en vente (mais qui sont déjà de meilleure qualité que les anciens) ou mieux par de nouvelles gammes aux meilleures performances (l’innovation technique étant stimulée par la hausse des prix des énergies). Second pas de temps, celui du patrimoine bâti : la durée de vie des bâtiments est de l’ordre du siècle tandis que les principales composantes du bâtiment (toiture, huisseries) sont remplacées tous les vingt à vingt-cinq ans. Ainsi, quand on construit un nouveau bâtiment aujourd’hui, il faut prendre en compte qu’il vivra ce siècle et tous ses événements. Les choix écono-miques doivent donc prendre en compte non seulement les dépenses d’investissement mais aussi de combustible et d’électricité (en intégrant l’enchérissement de leur prix).

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La conclusion majeure à en tirer quant à la pros-pective territoriale porte sur le caractère détermi-nant de la qualité de la construction et des calculs économiques en coût global à effectuer pour choisir les énergies.

Second domaine, la chaîne des consommations liées à l’alimentation, de la semence à l’assiette, ce qui inclut les intrants comme les engrais, les appareils agricoles, l’agroalimentaire, la chaîne du froid et enfin la cuisson. Cette chaîne repré-sente environ 10 % de la consommation d’énergie. Par habitant, elle a doublé pendant les trente dernières années. L’allongement des circuits d’ap-provisionnement génère des consommations et des émissions croissantes de gaz à effet de serre de même que le développement de plats préparés sollicitant la chaîne du froid. L’évolution des consommations d’énergie va dépendre en amont du dosage d’utilisation des engrais, des pratiques alimentaires et surtout de la part des importations. De plus, puisque l’agriculture est la source d’un quart des émissions de gaz à effet de serre (tous gaz confondus : CO2, CH4 et N2O 1), la lutte contre le changement climatique va profon-dément transformer les pratiques agricoles. Ces dernières devront privilégier l’alimentation animale à l’herbe plutôt que l’élevage hors sol, privilégier des labours moins profonds, utiliser moins d’en-grais pour réduire les émissions des gaz à effet de serre et réincorporer sous forme de compost les déchets fermentescibles agricoles et ménagers (dont la mise en décharge émet du méthane). La lutte contre l’effet de serre va induire un réancrage territorial des pratiques alimentaires et agricoles. Il faut pour finir sur ce point rappeler à l’inverse les ravages que ferait sur les écosystèmes et l’agriculture une amplification de l’effet de serre : probablement des sécheresses plus sévères au sud de la France, accroissement de la pluviométrie et des risques d’inondation au nord, bouleversement des zones de cultures.

1. Dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d’azote.

Réduire les émissions des activités économiques

Côté activité économique, le secteur tertiaire représente déjà les deux tiers de l’emploi. Alors que l’industrie et l’agriculture dépendaient de la localisation des ressources sur le territoire – terres fertiles, mines ou carrières, ports d’entrée des matières premières –, le secteur tertiaire se carac-térise par une plus grande liberté géographique. On en a vite tiré la conclusion qu’il pouvait se répartir harmonieusement sur le territoire. Il faut se rendre à l’évidence : il a montré un instinct grégaire inattendu. Puisque l’emploi y est moins garanti de pérennité, ce secteur tend à se regrouper dans les centres directionnels des grandes agglomé-rations pour accroître son adaptabilité. L’un des enjeux majeurs de la période qui vient concerne la localisation des activités tertiaires en identifiant comment les nouvelles technologies de commu-nication vont pouvoir contribuer à un meilleur équilibre territorial puisqu’elles facilitent l’accès à des opportunités. En matière économique, les principaux leviers d’action des responsables locaux se confirment être d’une part l’attractivité de l’environnement et d’autre part la formation des hommes et des femmes avec toute la richesse culturelle qui en découle.

Il est plus difficile de prolonger cette réflexion par une prospective des activités industrielles. Les consommations d’énergie et les impacts polluants des entreprises industrielles doivent être répartis en deux catégories. Les industries manufacturières consomment peu d’énergie, essentiellement de l’électricité et du gaz pour les besoins de chauf-fage. L’essentiel des consommations thermiques est le fait de la première transformation des matières premières, de la production de matériaux (chimie de base, acier, non-ferreux, ciment, verre, papier...) et de l’agroalimentaire. Les deux tiers des consommations d’énergie sont ainsi absorbés par 1,5 % des établissements industriels. Améliorer l’efficacité de l’utilisation de l’énergie, innover dans les procédés et généraliser le recyclage des

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déchets sont les voies à privilégier. Contrairement à l’idée communément admise, l’accroissement du prix des énergies et des coûts de transports ira dans le sens de la fixation sur le territoire des industries lourdes dont la matière première est locale ainsi que des entreprises recyclant les matières premières issues des déchets des marchés consommateurs (ciment, verre, papier, agroalimentaire, ferrailles). Les autres industries lourdes tendront à se concentrer au plus près des matières premières (chimie minérale et organique, sidérurgie, non ferreux). Les industries manufac-turières sont par comparaison plus sensibles aux coûts de main-d’œuvre et davantage aspirées par la mondialisation de l’économie. La prospective territoriale doit se saisir de ces tendances à l’ac-croissement des prix des énergies et prendre en compte l’effet de serre pour produire une vision de l’industrie et de l’emploi à long terme.

Réduire les émissions liées aux transports

Le dernier secteur, c’est bien évidemment le secteur des transports, et c’est celui qui connaîtra les ruptures les plus franches. L’histoire du XXe siècle fut pour une bonne part marquée par un coût décroissant des transports : amélioration des performances et du confort offert par les véhicules, baisse globale du prix du pétrole, large priorité à la construction d’infrastructures lourdes. Ce développement des transports avait inévita-blement deux facettes insuffisamment analysées : par le désenclavement, il reliait les territoires entre eux et permettait la venue de nouvelles activités et en même temps, il organisait le drainage des territoires les plus centraux, vidant les plus péri-phériques (concentration de l’agriculture, exode des jeunes, déclin des activités artisanales et industrielles traditionnelles, fonction résidentielle dortoir).

Quelle sera l’évolution des transports pendant ce siècle ? C’est l’une des questions à laquelle il est difficile de répondre. Les trois forces majeures, décrites plus haut, jouent en sens contraire.

D’abord, la mondialisation de l’économie, la construction européenne, la répartition internatio-nale du travail, la concentration de l’emploi dans les grandes agglomérations et l’aspiration au loisir et au voyage sont autant de facteurs qui pous-sent à une hausse des trafics notamment longue distance. Si les déplacements sur courte distance montrent des signes de croissance modérée, le transport aérien garde un taux de croissance de 5 % par an. Les nouvelles technologies de commu-nication s’avèrent avoir sur les déplacements deux influences contradictoires. Dans un sens, elles permettent d’en éviter certains (transmission de documents, démarches administratives, télétravail, e-commerce...), mais en même temps, elles éten-dent l’espace relationnel et génèrent des besoins et des envies de déplacement notamment sur longue distance. Dernière force, la limitation des ressources pétrolières à bas prix et la nécessité de lutter contre l’effet de serre sont deux contraintes qui pèsent particulièrement sur le secteur des transports. Il est devenu de loin le premier facteur de pollution atmosphérique et sa dépendance au pétrole à hauteur de 97 % traduit une grande difficulté de substitution vers des énergies non émettrices de CO2.

Deux imaginaires entrent en contradiction. D’une part, du fait de la hausse des prix des carburants, de la faible performance de stockage des énergies de remplacement du pétrole, de la complexité des technologies envisagées et de l’obligation drastique de réduire les émissions de gaz à effet de serre, notre société devra marquer une nette bifurcation par rapport aux décennies antérieures. La maîtrise des flux de mobilité va devenir une priorité en exigeant des circuits économiques plus courts (alimentation, matériaux). Dans cette hypothèse, le processus de fluidité croissante des échanges est inversé au profit d’une plus grande autonomie des territoires. Cette image peut être modérée et complétée par une tendance plus forte à substituer des télécommunications aux déplace-ments physiques et à développer des modes de transport permettant de réduire la consommation de carburants et l’émission de gaz à effet de serre

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(transports collectifs urbains, réseaux TGV pour les personnes et les marchandises, voie d’eau).

Cet enjeu concernant les transports va devenir aussi déterminant pour l’aménagement du terri-toire que pour l’urbanisme. Il va dans le sens d’un urbanisme compact en renouvelant la ville sur elle-même par réaffectation des friches et des sites d’urbanisation ancienne afin d’atteindre une forte densité urbaine qui permettra d’optimiser le fonctionnement des réseaux, notamment de transports collectifs et de lutter contre l’étalement urbain.

La prospective en matière de transport doit distinguer les déplacements sur courte distance, pour lesquels des alternatives au pétrole existent (déplacements individuels quotidiens et livrai-sons urbaines de marchandises) des autres. Pour les déplacements de longue distance, il n’existe par contre aucune alternative aux combustibles liquides : l’aérien, le transport maritime et le camionnage longue distance. Dans le premier cas, la voie de désengagement du pétrole consiste à convenir d’abord d’une redescente en gamme des véhicules produits (réduction du poids, de la puis-sance et surtout de la vitesse maximale), ce qui facilitera le passage à l’électricité. Si les moteurs électriques sont de loin plus efficaces que les moteurs à combustion interne, le facteur bloquant reste les piètres performances des batteries de stockage de l’électricité. La technique de tran-sition est constituée par le véhicule hybride (qui valorise au mieux un moteur thermique par une production électrique maximale grâce à un alter-nateur et à l’alimentation en ville d’une propulsion électrique). En complément, la part de la voiture dans les déplacements devra être réduite en favo-risant les modes doux (vélo, roller, marche) et les transports collectifs urbains. L’avenir des territoires va fortement dépendre des solutions qui seront trouvées pour les transports sur courte distance. À l’évidence, l’avenir des transports longue distance, plus rigides, va dépendre du succès de cette opti-misation des véhicules. Il est bien évidemment diffi-cile d’imaginer une division par trois des émissions de CO2 dans les transports en raison de l’actuelle

croissance des trafics qui s’opère au même rythme que le PIB (2 % par an). Pourtant, une modification des comportements, la rationalisation du choix des véhicules, la réduction des coûts de transport, l’optimisation de la logistique des entreprises, le renforcement de la planification spatiale, une localisation des activités plus en cohérence avec les données démographiques et géographiques et un remaillage ferroviaire peuvent permettre une inflexion majeure. Mais la plupart de ces pistes d’action nécessite du temps, des années pour les premières, des décennies pour les secondes. L’optimisation de la fonction transport au plan de la consommation d’énergie et de l’émission de gaz à effet de serre pourrait devenir un facteur de concurrence entre territoires.

Réduire les émissions liées à la production d’énergie

La division par quatre des émissions de gaz à effet de serre concerne ensuite la produc-tion d’énergie. Les seules ressources françaises sont aujourd’hui les énergies renouvelables : l’hy-draulique, le bois produit essentiellement par la moyenne montagne, la valorisation des déchets (biogaz de décharge ou produit par méthanisation des déchets, incinération), la géothermie pour ce qui concerne les techniques traditionnelles. À elles s’ajoutent maintenant le solaire thermique pour la production d’eau chaude sanitaire et une base de chauffage, les biocarburants, l’éolien et le photo-voltaïque. Ces ressources renouvelables n’assurent actuellement que 6 % de l’approvisionnement énergétique français (dont 15 % pour la produc-tion électrique). La hausse des prix des hydrocar-bures rend leur utilisation économiquement plus intéressante. Avec les techniques existantes et les potentiels nationaux mis en évidence, il serait possible de satisfaire environ 40 % des besoins énergétiques actuels. Les développer, c’est trans-former des sorties de devises en autant d’emplois valorisant des ressources locales. Le caractère diffus de ces ressources renouvelables rend diffi-

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cile leur émergence, car cela suppose la mobilisa-tion d’un très grand nombre d’acteurs industriels, de professions relais et de maîtres d’ouvrage. Mais progressivement, leur ancrage s’effectue (avec des performances variables selon les pays et les filières) et elles renforcent les économies locales. En outre, ces énergies renouvelables ne présentent ni impact environnemental et sanitaire irréversible, ni dépendance d’approvisionnement, ni vulnérabilité économique en fonction des désor-dres du monde.

Situer l’horizon 2030 sur la trajectoire de division par quatre est très difficile. Sur une génération, le panier de technologies ne sera guère modifié. Deux questions se posent particulièrement :

– Quel est le délai de déploiement des investisse-ments et des infrastructures ?

– Comment les données économiques peuvent varier sur la période ?

En fait, les questions techniques ne seront pas les plus déterminantes. La transformation profonde de la consommation d’énergie dans tous les secteurs nécessite un comportement le plus cohé-rent possible de l’ensemble du corps social. Or, pour le moment, si une sensibilisation aux enjeux climatiques est maintenant effectuée, notamment depuis la canicule de l’été 2003, on reste loin d’une compréhension partagée de la mutation qui va s’opérer. On en revient là aux trois forces explicitées au début. Les scénarios de long terme, présentés par les pouvoirs publics en France, au plan européen comme par les institutions interna-tionales, présentent une image brouillée. Ils font la part belle à la poursuite de la croissance des consommations en mentionnant les contraintes de ressources énergétiques et la perspective de l’effet de serre, mais finalement sans les prendre

véritablement en compte. Bien évidemment, cette faiblesse de la prospective handicape fortement tous les acteurs locaux, privés ainsi des repères indispensables.

Quel est le scénario de la réussite d’un point de vue territorial ? Investir dans la qualité du patri-moine bâti en étant très attentifs aux projets neufs, développer les ressources renouvelables, renforcer les politiques d’urbanisme, développer les trans-ports collectifs et l’intermodalité. À l’évidence, un mouvement de balancier s’esquisse : à un processus de dérégulation enclenché depuis une génération est en train de succéder un nouveau mouvement de régulation lié au long terme.

L’effet de serre comme la gestion des ressources pétrolières sont des enjeux globaux. Rien n’impose aux acteurs locaux de lutter contre le changement climatique, le gaz carbonique n’est pas un polluant directement nocif pour l’environnement ou pour la santé. Pourtant, puisque les enjeux principaux se situent au niveau du chauffage des bâtiments, des transports, de la valorisation des ressources renou-velables et plus largement dans l’évolution des comportements individuels, les collectivités terri-toriales et locales sont en première ligne. Puisque la division par quatre des émissions dépendra de millions de décisions individuelles, elle va consti-tuer un enjeu démocratique considérable. Au-delà des technologies, c’est la qualité de l’organisation collective (logistique des entreprises, schémas d’urbanisme et de transport) et la capacité à influer sur les attitudes individuelles qui régleront la réduction des consommations de pétrole et d’émission de gaz à effet de serre. Les collectivités locales vont devoir jouer un rôle culturel décisif de transformation des comportements à travers le lien humain direct qui relie les collectivités publi-ques locales, les entreprises et les ménages.

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RésuméTrois forces contradictoires qui déterminent les futurs possibles de ce siècle sont désormais à l’œuvre : la mondialisation, l’essor des nouvelles technologies d’information et de communication, la confrontation de l’humanité aux limites de la planète. Sur ce dernier point, l’objectif d’une division par quatre du rejet des gaz à effet de serre, tel qu’il figure désormais dans la législation nationale, n’est vraiment envisa-geable qu’à la condition de prendre certaines mesures pour une action à court, moyen et long terme. La réflexion présentée ici est une synthèse de ces interventions possibles dans les domaines de la vie domestique, des activités économiques, des transports de courte et longue distance, de la production d’énergie.

MotsclésFacteur 4, réchauffement climatique, gaz à effet de serre, planification urbaine, aménagement du terri-toire, transport, industrie, politiques énergétiques.

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Études et prospective

Les transports contribuent sans cesse davantage aux émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2), le principal gaz à effet de serre. L’effort de maîtrise des changements climatiques anthropi-ques ne semble donc pas pouvoir s’exonérer dura-blement d’une action puissante dans ce domaine. En parallèle, l’augmentation du prix des hydrocar-bures ressuscite les angoisses de « fin du pétrole » alors que les transports dépendent à 90 % de cette seule source d’énergie. Nous examinerons d’abord les moyens technologiques pour réduire les émissions de CO2 des transports ainsi que leur dépendance au pétrole. Puis nous envisagerons les politiques à mettre en œuvre.

Nuisances et dépendance

Les nuisances des transports, notamment des transports routiers et aériens, ne se limitent pas à leur contribution aux changements climatiques. Malgré les progrès considérables obtenus dans la réduction des polluants « classiques » (NOx, VOC, CO, PM), résultats de l’amélioration des carbu-rants, des systèmes de combustion, des techni-ques de dépollution des effluents – eux-mêmes suscités par un constant durcissement des normes d’émissions dans tous les pays industriels et quel-ques autres – voitures, camions et deux-roues restent l’une des sources principales des pollutions atmosphérique et sonore en ville et à l’échelon régional. Les effets multiples de cette pollution sur les bâtiments, objets d’art, écosystèmes et êtres

vivants sont désormais bien identifiés et commen-cent à être quantifiés. Moins reconnus, les effets de coupure et morcellement des écosystèmes jouent un rôle certain mais difficile à apprécier dans l’érosion de la biodiversité.

C’est cependant le rôle des transports dans les changements climatiques qui retiendra ici notre attention, car il est très loin d’être maîtrisé. Avec 5,9 milliards de tonnes de CO2 en 2003, soit 24 % des émissions mondiales, le secteur des transports est la deuxième source d’émissions de CO2, après la production d’électricité et de chaleur (10 Gt CO2) mais devant le secteur résidentiel et tertiaire 1. Les émissions des transports ont doublé depuis 1971, tandis que celles dues à la production d’électricité augmentaient de 170 % (IEA 2005a).

Un tiers du CO2 mondial dû aux transports est émis en Amérique du Nord. Les transports y contribuent pour 30,9 % du total des émissions, contre 26,3 % en Europe, 15,9 % dans les pays en développement et 11,9 % dans les économies en transition (Russie et autres). En France, du fait de la forte proportion d’électricité d’origine nucléaire et hydraulique, la contribution des transports atteint 33 %. Le potentiel de croissance des émissions

1. Cependant, le secteur résidentiel et tertiaire est le principal émetteur de gaz à effet de serre si on lui affecte les émissions liées à la production de l’électricité qu’il consomme. Tous les pourcentages de l’article se rapportent aux seules émissions de CO2 liées à la production, transformation et consomma-tion de l’énergie.

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Cédric PHILIBERTAgence internationale de l’é[email protected]

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Graphique 1 : effet de la technologie sur la production pétrolière en mer du Nord

Source : European Network for Research in Geo-ENeRG – courtesy of shell

reste particulièrement important dans les pays en développement. De 1990 à 2002, les émissions des transports ont augmenté d’un peu moins de 50 % en Afrique et en Amérique latine, de 67 % en Asie (hors Chine), de 73 % au Proche-Orient, et ont doublé en Chine.

Dépendance et fin du pétrole

Les transports dépendent du pétrole à quelque 90 %, et cette proportion frôle les 100 % en ce qui concerne les transports routiers, l’aviation et les navires. L’inverse n’est cependant pas (encore) vrai : les transports consomment 57,8 % du pétrole brûlé dans le monde aujourd’hui, contre 42,3 % voici trente ans (IEA 2005b). Il se pourrait cepen-dant que les prix élevés du baril accélèrent les substitutions plus aisées dans les autres usages – industrie (20 %), chauffage, agriculture et produc-tion d’électricité – laissant plus rapidement aux transports une quasi-exclusivité de la production pétrolière mondiale, à l’exception peut-être des usages « matières premières » (6,6 %). À terme cependant, même cette production tout entière ne suffirait plus aux seuls transports.

La fin du pétrole n’est certes pas pour tout de suite. Les prix actuels reflètent l’inadéquation de l’offre à la demande, pas nécessairement l’épuise-ment final. Malgré l’augmentation continue de la demande mondiale de pétrole à un rythme estimé de 1,6 % (IEA 2004a), il n’y aura sans doute pas de véritable pénurie avant 2030 et peut-être bien au-delà. Au niveau de prix actuel, les pétroles non conventionnels prennent progressivement le relais des pétroles conventionnels, dont le progrès tech-nologique devrait toutefois améliorer encore le taux de récupération, comme ce fut le cas en mer du Nord (AIE 2005c, cf. graphique 1), le potentiel total pouvant s’élever jusqu’à plusieurs fois les quelque mille milliards de barils déjà extraits et brûlés (cf. graphique 2).

Cependant, les meilleures choses ont toujours une fin, et une croissance exponentielle rencontre tôt ou tard les limites ultimes d’un monde fini. Selon nombre d’experts, plusieurs milliards de barils de pétrole manqueront à l’appel chaque année à la fin de ce siècle (BAUQUIS 2004). L’épuisement des ressources conventionnelles de pétrole n’est d’ailleurs pas forcément une bonne nouvelle pour le climat, car l’exploitation des huiles extra lourdes, sables asphaltiques et schistes bitumineux, tout

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Source : European Network for Research in Geo-Energy - ENeRG - courtesy of shell

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comme la transformation en carburants liquides de gaz et de charbon, dont on parlera plus loin, sont susceptibles d’entraîner des émissions de CO2 très importantes en amont, du fait du coût énergétique élevé du traitement de ces ressources. Il s’agit toutefois là de sources d’émissions fixes, donc susceptibles d’élimination à 90 % par capture et stockage du CO2. On peut aussi utiliser des sources d’énergie non émettrices de CO2 ; ainsi, la construc-tion d’une centrale nucléaire à haute température est envisagée au Canada pour extraire et traiter les sables asphaltiques.

Aussi est-ce davantage la nécessité de lutter contre les changements climatiques que la « fin du pétrole » qui fait de la question des transports une question urgente – et difficile à résoudre. En particulier, la volonté affichée d’un certain nombre de pays industriels de diviser par quatre d’ici 2050 leurs propres émissions de gaz à effet de serre, afin de laisser des marges de croissance aux émissions des pays en développement, nécessite d’agir sur les émissions des transports qui tôt ou tard, à elles seules, dépasseraient ce niveau. On peut envisager de jouer sur quatre leviers pour réduire ou au moins maîtriser les émissions des transports terrestres : utiliser des véhicules plus

efficaces énergétiquement ; substituer aux carbu-rants des sources d’énergie à plus faible contenu en carbone ; favoriser le transfert vers des modes de transports moins émetteurs et comprimer la demande de transports. Ainsi qu’on le verra, ces quatre niveaux d’action ne sont pas totale-ment indépendants. Nous traiterons d’abord des couples véhicules-carburants, puis des politiques susceptibles de jouer sur l’ensemble des facteurs.

Véhicules et carburants

Une faible part seulement de l’énergie potentielle des carburants est aujourd’hui employée à vaincre les résistances au roulement des véhicules. Le potentiel d’amélioration de l’efficacité énergé-tique des voitures et camions reste donc impor-tant. Des matériaux plus légers peuvent réduire le poids à vide des véhicules – bien que la tendance soit, à l’inverse, à l’alourdissement des voitures résultant de l’invasion des dispositifs auxiliaires de tous genres. La consommation de ces auxiliaires (climatisation notamment) peut également être grandement améliorée. D’autres progrès sont à attendre de l’atténuation des résistances au roulement : progrès sur les pneumatiques et les

Graphique 2 : disponibilité des ressources pétrolières en fonction de leur coût

Source : IEA 2005c

Inclut les coûts de réduction du CO2

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Ressources énergétiquesmondiales

Besoins cumulés en 2030 Schistesbitumineux

Huiles lourdeset bitumes

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revêtements routiers, amélioration de l’aérodyna-misme, notamment sur les camions (de 15 à 20 % de réduction possible). Mais bien sûr, le couple moteur-carburants reste au cœur du problème.

La gestion électromagnétique des soupapes pourra réduire de 20 % la consommation d’essence des moteurs à allumage commandé. Des alterno-démarreurs puissants permettent de couper le moteur à chaque arrêt, nombreux en conduite urbaine – un système déjà adopté sur la Citroën « C3 » Stop and Start (8 % de réduction). L’équipe-mentier Valéo met également au point un système de récupération de l’énergie du freinage, et un système de refroidissement optimal des moteurs. Associées, ces quatre innovations permettraient de réduire les consommations d’essence de 30 à 40 %. De quoi concurrencer sur leur terrain les moteurs diesels, dont les progrès ont été spec-taculaires, voire les premiers véhicules hybrides – dont les performances de consommation et donc d’émissions de CO2 sont pour l’instant à peine supérieures à celles des meilleurs diesels. 1

L’hybride branché : mettre un Li-Ion dans son moteur

Cependant, le schéma hybride offre des perspec-tives alléchantes à long terme, si la fabrication de masse, les progrès technologiques envisageables sur leurs divers composants et les effets d’appren-tissage relatifs à leur assemblage permettent d’en réduire les coûts et améliorer les performances. L’association d’un moteur thermique et d’une chaîne de traction électrique est d’abord source d’efficacité accrue, non pas seulement, comme on le croit, par la récupération de l’énergie mécanique à la décélération, mais davantage par la possibilité de réduire la taille et la puissance du moteur ther-mique, et d’en réduire l’étendue des régimes de rotation. Il s’agit d’utiliser en priorité le moteur électrique au démarrage, et d’organiser le relais

1. Par exemple, selon l’ADEME, 104 g/km CO2 pour la Toyota « Prius » contre 125 g/km pour une « C4 » HDI, et 153 g/km pour le modèle essence comparable. Certes plus petite, la « C3 » HDI émet 109 g/km.

par le moteur thermique dans le régime de vitesse pour lequel il est conçu en rechargeant au passage les batteries. Enfin, on peut solliciter les deux moteurs quand une puissance supplémentaire est requise – mais seulement pour un temps, au risque d’épuiser les batteries. Ce pourrait d’ailleurs être une manière d’introduire souplement cette limite de puissance que certains appellent de leurs vœux, observant qu’en conduite urbaine comme sur route ou autoroute à vitesse stabilisée, deux voitures identiques en tous points mais dont les vitesses maximales diffèrent ne consomment pas les mêmes quantités de carburant. Avec l’hybride, la pointe de vitesse reste possible mais ne saurait durer très longtemps 2.

La Toyota « Prius », première voiture hybride de série, n’avait pas convaincu. La « Prius II » a raflé tous les prix, témoignant de progrès considéra-bles en quelques années à peine. Conséquence de son succès, presque tous les constructeurs s’attellent à concevoir des hybrides, en commen-çant par les modèles plus luxueux, plus lourds et plus consommateurs. Il est impossible de dire aujourd’hui jusqu’où l’hybride pourra aller dans l’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules. Mais il semble possible de combiner plusieurs voies d’amélioration, et par exemple l’association d’un diesel moderne avec une chaîne électrique pourrait s’avérer difficile à battre. Au-delà, l’hybridation ouvre la voie à une substitution accrue des carburants par l’électricité, selon le concept de l’hybride dit « pluggable » (plug in en anglais – on peut préférer « raccordable » ou, pour-quoi pas, « branché »), c’est-à-dire raccordable au réseau. Le véhicule tout électrique est handicapé par son autonomie réduite, et le temps long de recharge de ses batteries 3. Les progrès récem-

2. Les constructeurs peu soucieux d’associer l’hybride au bridage peuvent toutefois, plutôt que réduire le moteur, programmer la désactivation des cylindres, choix de Honda avec son « Accord » hybride, semble-t-il quand même un peu moins efficace.3. Une pompe à essence présente un débit d’énergie poten-tielle (celle du carburant délivré) de plusieurs mégawatts, auquel doivent se mesurer les recharges rapides des véhicules électriques. Seul le changement de batteries standardisées,

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ment constatés avec les batteries Lithium Ion (ou Li-Ion), successeurs annoncés des batteries Nickel Cadmium, et ceux annoncés par les groupes Dassault et Bolloré, pourront sans doute élargir les niches de marchés accessibles aux voitures et deux-roues exclusivement électriques, mais ne permettront pas d’attaquer de front le cœur du marché des véhicules privés ou utilitaires.

À l’inverse, le véhicule hybride reste dépen-dant à 100 % d’un carburant carboné. L’hybride branché, lui, peut fonctionner en tout électrique, par exemple pour des trajets quotidiens, tout en bénéficiant d’une autonomie égale à celle d’une voiture « normale », voire supérieure, du fait de sa plus grande efficacité énergétique, pour les trajets interurbains ou en rase campagne. Les gains de consommation, et donc d’émissions, sont encore plus importants sur les bus et véhicules utilitaires urbains. Ainsi pourrait-on diviser deux fois par deux la consommation de carburant – la première fois par l’hybridation, la seconde par substitution de l’électricité aux carburants. Quand le facteur deux sonne deux fois, le facteur quatre n’est pas loin... Du point de vue de l’effet de serre, cela n’a toutefois de sens que si la production électrique n’émet pas ou peu de CO2, qu’elle repose sur le nucléaire et les renouvelables ou qu’elle soit asso-ciée à la capture et au stockage du CO2.

Carburants alternatifs fossiles

On a évoqué la fabrication d’essence ou de gazole à partir du gaz ou du charbon, qui se pratique déjà au Qatar pour l’un, en Afrique du Sud pour le second, et bientôt en Chine pour les deux. Les émissions de CO2 au niveau du véhicule sont strictement les mêmes qu’avec des carburants conventionnels (soit de 73 g CO2/MJ), mais les émissions amont sont supérieures avec le gaz (25 g CO2/MJ contre 5 à 10 dans le raffinage du pétrole), et très supérieures avec le charbon

sur le modèle des changements de chevaux des relais de poste, paraît pouvoir atteindre des « puissances » égales ou supérieures.

(160 g CO2/MJ !). L’usine sud-africaine SASOL est d’ailleurs la plus importante source ponctuelle de CO2 dans le monde. La capture et le stockage du gaz carbonique sont ici indispensables pour que l’usage de tels substituts ne détériore pas grave-ment le bilan climatique des transports (GIELEN, UNANDER 2004).

Le gaz offre pourtant d’autres possibilités, et d’abord sous forme de gaz naturel véhicules (GNV). Des modifications mineures sont néces-saires sur les moteurs à essence. On évalue à 0,5 % le pourcentage de véhicules au gaz naturel dans le monde, surtout présents en Argentine, au Brésil, en Inde, en Italie, au Pakistan et aux États-Unis. Le ratio d’émissions s’élève à 56 g CO2/MJ, sans accroissement des émissions amont, ce qui donne au gaz un léger avantage du point de vue climatique. Ses avantages véritables sont à recher-cher dans une dépendance au pétrole moindre, et surtout dans une réduction des pollutions locales – d’autant plus forte que la comparaison se fait avec un parc de véhicules anciens.

Le méthanol et le di-méthyle éther (DME) peuvent être produits à partir du gaz, du charbon ou de la biomasse. Le DME peut être utilisé en substitu-tion du gazole. Deux usines sont opérationnelles en Chine, à partir de charbon, et d’autres sont prévues. Plusieurs projets sont en cours au Proche-Orient. Ces carburants offrent des ratios d’émis-sions légèrement inférieurs à ceux du gazole (65 et 67 g CO2/MJ), avantage parfois perdu par un léger surcroît d’émissions amont. Ils n’offrent donc pas d’avantage significatif au plan du climat.

Biocarburants

L’utilisation des biocarburants s’est singulièrement développée depuis quelques années, notamment au Brésil et aux États-Unis, ne dépassant toute-fois pas 0,5 % de la consommation mondiale de pétrole. La France s’est fixée pour objectif 5,75 % du total des carburants dès 2008. Or la photosyn-thèse est un mécanisme de captation de l’énergie solaire peu capitalistique mais très consomma-teur d’espace au sol. Ainsi, la substitution de

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5 % de l’essence consommée en Europe et aux USA nécessiterait 5 % des surfaces cultivables en Europe, 8 % aux États-Unis. La substitution de 5 % du gazole nécessiterait 13 % des surfaces cultiva-bles aux États-Unis, 15 % en Europe (IEA 2004b). Quant aux coûts, ils restent supérieurs aux actuels prix élevés du pétrole, sauf pour l’éthanol de canne à sucre du Brésil, grâce à la combinaison de rendements élevés en climat tropical, d’un faible coût du travail et d’installations bien conçues générant à la fois carburants et électricité.

Le Brésil exporte déjà une part de sa production. Le développement des exportations des pays tropicaux pourrait permettre de remplacer jusqu’à 10 % de l’essence et 3 % du gazole consommés mondialement. Des pourcentages qui seraient naturellement plus grands si on améliore l’ef-ficacité des véhicules et qu’on les électrifient partiellement. Mais à moins de choisir de nourrir les voitures plutôt que les hommes, il sera difficile d’aller très au-delà dans l’état actuel des techno-logies. Il est possible que des progrès scientifiques et technologiques permettent des cultures ligno-cellulosiques plus productives à l’hectare. Enfin, les bilans énergétiques et d’émissions carbonées sont contrastés. Par rapport aux carburants pétroliers, et compte tenu de tous les intrants nécessaires, l’éthanol de grains européen ou américain ne réduit les émissions que de 20 à 40 %, contre plus de 80 % pour l’éthanol de canne à sucre brésilien (IEA 2004b).

L’hydrogène

La voiture à hydrogène fait rêver, promesse d’une propreté absolue. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Et les difficultés ne se résument pas, comme on l’écrit parfois, au problème bien connu de « la poule et de l’œuf » – comment mettre sur le marché des véhicules hydrogène si les stations services n’en délivrent pas, comment transformer les stations services tant qu’elles n’ont pas de marché, etc.

L’hydrogène n’est pas une source d’énergie, c’est un vecteur, comme l’électricité, et comme

celle-ci, son bilan carboné dépendra de son mode de fabrication. Énergies renouvelables et nucléaires ont des émissions de CO2 nulles, mais il n’en va bien sûr pas de même avec la combustion des fossiles, du moins tant que la capture et le stockage du CO2 ne sont pas la norme. Actuellement, la quasi-totalité de l’hydro-gène est produite dans le monde par réformage vapeur du gaz naturel. On peut envisager de réduire les émissions associées en substituant à la partie du gaz utilisée comme source d’énergie des centrales nucléaires ou solaires à haute température (autour de 800 °C). On peut réduire plus fortement ces émissions en capturant et stockant le gaz carbonique. À plus long terme, on pourra également produire de l’hydrogène sans émissions de carbone à partir de charbon associé au stockage de CO2, ou de nucléaire ou de solaire à très hautes températures. Enfin, on sait bien sûr – mais c’est plus coûteux – fabriquer de l’hydrogène par électrolyse de l’eau, et donc avec la même versatilité d’énergies primaires que l’électricité.

L’utilisation d’hydrogène comme carburant auto-mobile soulève de nombreux problèmes. Il est dix fois plus coûteux à transporter et cent fois plus coûteux à stocker que les carburants actuels – et encore ce stockage ne semble-t-il pas pouvoir être durable, ce qui est gênant. Certains experts doutent que le progrès technique puisse jamais réduire significativement l’écart (BAUQUIS 2004). Certes, le couplage de piles à combustibles à des moteurs électriques constitue une chaîne de traction grosso modo deux fois plus efficace pour utiliser l’énergie chimique de l’hydrogène que le moteur thermique pour utiliser celle du pétrole. Mais il faudra réduire le coût des piles d’un facteur 40 environ pour approcher la compétitivité. Bref, l’hydrogène a peut-être plus d’avenir en substi-tution des produits pétroliers dans le transport aérien que dans le transport terrestre. Malgré tout, Gielen et Unander (2004) estiment que l’hy-drogène pourrait jouer un rôle à partir de 2020, et capturer de 10 à 15 % du marché des combustibles pour les transports vers 2040-2050.

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Les politiques envisageables

Un grand nombre d’outils différents peuvent être mis en œuvre pour agir sur les différents déter-minants des émissions de CO2 des transports et de leur dépendance pétrolière. Certains sont spécifiques à l’une ou l’autre de ces dimensions. D’autres sont susceptibles d’influencer l’ensemble de la chaîne. On évoquera les politiques visant plus particulièrement les transferts modaux et la maîtrise de la demande, puis les normes visant véhicules et carburants, enfin les instruments économiques de type taxes et permis négociables.

Transferts modaux et maîtrise de la demande

On n’a pas cru devoir justifier longuement ici l’intérêt des modes de transports alternatifs : en ville, marche, vélo, bus, tramways, métros, RER et autres trains légers – trains de toutes sortes en interurbain. Ils sont presque toujours plus efficaces énergétiquement (dans un rapport de 1 à 3 ou 4), et bien souvent plus facilement électrifiés. Ils sont aussi, en zones urbanisées, bien moins consom-mateurs d’un espace rare et donc cher, que les véhicules individuels.

Les trains à grande vitesse n’ont plus à démontrer leur supériorité sur la voiture ou l’avion, sur des distances appréciables, mais il ne faut pas négliger les dessertes régionales. Pour ce qui est des trans-ports de marchandises, le camion règne en maître en Europe, et le fret ferroviaire recule sans cesse. Le juste à temps, le point à point, la diminution des tonnages de pondéreux au profit de marchandises plus nobles, la priorité nécessairement donnée aux passagers sur les réseaux ferrés, concourent à expliquer cette évolution. Seuls d’importants inves-tissements en matière de ferroutage, d’autoroutes ferroviaires, plus marginalement de « merrou-tage », de transport fluvial et aussi d’infrastructures nouvelles, pourront enrayer la tendance.

En milieu urbain, pour rendre attractifs et, autant que possible, rentables, bus et tramways, il faut

avant tout les extraire des embouteillages afin d’augmenter vitesse et fréquences. La politique du stationnement peut contribuer à cet objectif, mais la pierre angulaire des transports publics urbains reste le développement des « sites propres », en tout ou partie. De très nombreuses villes s’y emploient, dans les pays en développement autant que dans les pays industrialisés (IEA 2002). Il existe une alternative, politiquement plus déli-cate : dissuader l’accès aux centres urbains par des péages élevés. Seule Londres s’y est risqué, avec succès. Faciliter les accès, soigner les inter-connexions, simplifier le paiement, développer l’information en temps réel, contribuent à inciter quotidiennement un nombre croissant d’automo-bilistes potentiels à préférer les transports publics. Une preuve par l’absurde en est apportée par le niveau de congestion atteint les jours de grève des transports publics... Une autre dimension est celle de la gouvernance : il faut assurer un certain degré de concurrence, sans pour autant laisser se développer une compétition anarchique. Un système de concessions est nécessaire pour des transports publics organisés et efficaces.

Une autre dimension de l’action publique consiste à favoriser un développement urbain plus dense, notamment autour des nœuds des réseaux de transports publics, et mêlant autant que possible les diverses fonctions urbaines – dormir, travailler, se distraire, etc. Il s’agit essentiellement de contrôler l’étalement de la « flaque urbaine » – et de se souvenir de ce qu’est une ville : fondamen-talement, un moyen d’économiser du temps et de l’énergie dans les transports. La densité tout à la fois réduit la longueur des déplacements, chasse la voiture, trop consommatrice d’espace au sol pour être efficace, et favorise les transports publics, jusque dans la desserte finale fournie par un véhicule électrique tellement habituel qu’on n’y pense jamais : l’ascenseur. De fait, la consomma-tion d’énergie dans les transports est inversement proportionnelle à la densité (cf. graphique 3). De très nombreuses politiques publiques peuvent favoriser ou, au contraire, défavoriser un aména-gement urbain promouvant les transports publics

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Graphique 3 : densités et consommations de carburants

Source : Newman and Kenworthy, 1989

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Phoenix

Detroit

Denver

Los Angeles

San FranciscoBoston

Washington DC

Chicago

New York

TorontoPerthBrisbaneMelbourne

SydneyAdelaïde

HambourgFrancfortZürich

BruxellesParisStockholm

Londres MunichBerlin-ouest

VienneTokyo

SingapourAmsterdam

Moscou

Copenhague

Hong-Kong

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et autres alternatives à l’automobile – outils régle-mentaires d’aménagement, conditions d’accès au crédit bancaire, prix des carburants, voire instru-ments économiques de contrôle et de répartition des plus-values foncières (taxation ou échanges de permis négociables).

Il peut être utile de rappeler ici les leçons d’une étude réalisée pour l’ADEME voici quelques années, sur la comparaison de deux modèles d’approvisionnement des ménages : le modèle urbain, avec des supérettes de quartier desservies par des utilitaires plus ou moins lourds mais où chacun va à pied plusieurs fois par semaine, et le modèle de banlieue, où l’on remplit son coffre une fois par semaine. Le modèle urbain génère infiniment moins de nuisances que le modèle de banlieue, et on peut parier que ce bilan ne serait guère détérioré si on le complète par des livrai-sons à domicile avec des utilitaires légers urbains – donc électrifiables.

Normes et standards dans l’industrie, application au cas de l’automobile

Il s’agit d’intervenir par voie réglementaire ou négociée sur l’efficacité énergétique des véhi-cules, ou plus globalement sur leurs niveaux d’émissions. L’exemple historique reste celui des Corporate Average Fuel Economy standards améri-cains, normes efficaces dans les années 1970 mais restées inchangées depuis à 27,5 miles per gallon (mpg, soit 8,5 l/100 km). Ces normes sont de plus massivement contournées par l’essor des Sport Utility Vehicles et autres utilitaires utilisés comme des voitures, réglementés depuis 2004 à 22,2 mpg (10,6 l/100 km). De son côté, la Californie poursuit une approche d’introduction de 10 % de véhicules à émissions nulles mais a dû à plusieurs reprises non seulement en reporter la date de réalisation mais également affaiblir le critère d’émissions.

En 1998, la Commission européenne a négocié avec les associations de fabricants automobiles européens, Coréens et Japonais (ACEA, KAMA et JAMA) une réduction des émissions moyennes des voitures neuves à 140 gCO2/km d’ici 2008-2009.

Après de bons débuts, les réductions semblent toutefois marquer le pas, avec un rythme annuel de 1,8 % au lieu de 3,3 % comme il serait néces-saire. De plus, ces chiffres ne tiennent pas compte des différences entre les cycles de test, qui n’in-cluent pas, par exemple, l’usage de la climatisa-tion, et les conditions réelles de circulation. De son côté, les gouvernements australien et canadien ont signé chacun des accords avec leurs industries automobiles pour une réduction progressive des émissions des voitures et utilitaires légers neufs, s’élevant en Australie à 18 % en 2020.

Il est naturellement possible d’aller beaucoup plus loin avec ce type de mesures – on a évoqué ci-dessus l’arme forte des limitations de puissance – mais il convient de prendre garde au caractère relativement imprédictible des progrès technolo-giques, qu’illustrent les déboires californiens. Par ailleurs, introduire de la souplesse entre construc-teurs dans la réalisation d’objectifs portant sur les flottes de nouveaux véhicules, par exemple par le truchement de permis négociables, ne peut qu’aider à faire accepter ces objectifs.

Taxes et permis négociables

Les instruments économiques pour la protection de l’environnement – taxes et permis négociables – complètent la panoplie des outils de politiques publiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre des transports. Les prix du pétrole actuels rendent probablement encore plus difficiles l’in-troduction de taxes nouvelles sur les carburants. Il serait cependant utile que les dispositifs exis-tant, bien que sans rapport à l’origine avec les questions d’environnement, voient leur légitimité réaffirmée par la nécessité de faire supporter à chaque activité les coûts qu’elle occasionne à la collectivité – de la construction des voies aux accidents, dommages de la pollution et du bruit, etc. Par exemple, les seules dépenses de l’État et des collectivités locales pour l’entretien et le développement de la voirie représentent en 2004 plus de la moitié des 30,5 milliards d’euros de recettes fiscales liées à l’utilisation de la route

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(dont la TIPP). 1 On peut également se demander si des taxes plus élevées sur les produits pétroliers, notamment dans les pays industriels où elles sont particulièrement faibles, n’auraient pas écarté ou au moins retardé, en favorisant une meilleure maîtrise de la consommation, l’actuelle envolée des prix du pétrole. Pour le conducteur, la note serait peut-être aujourd’hui la même – mais du moins l’hémorragie de devises des pays importa-teurs serait moindre et leurs déficits publics mieux contrôlés.

Il est de bon ton de s’interroger cependant sur l’efficacité des taxes sur les carburants, au motif que l’élasticité aux prix serait trop faible. À long terme elle semble cependant importante, comme en témoigne le gouffre qui s’était creusé en matière d’efficacité des véhicules entre l’Europe et le Japon d’un côté, les États-Unis de l’autre, avant le premier choc pétrolier.

Si les taxes sur les carburants restent délicates, les taxes différentielles sur les véhicules, payables à l’achat ou annuelles, sont généralement mieux acceptées. Elles fournissent aux automobilistes des signaux très utiles si elles sont correctement dimensionnées sur les performances des véhi-cules en termes d’émissions. La suppression de la vignette française, qu’il convenait plutôt de réformer pour plus d’efficacité, s’est avérée forte-ment contre-productive du point de vue de la fiscalité écologique. Dans certains pays dépourvus d’industrie automobile (Danemark, Singapour), ce type de taxe atteint déjà des niveaux très élevés.

Enfin, on peut concevoir de nombreuses façons d’élargir aux transports les systèmes d’échanges de permis négociables. La formule a priori la plus satisfaisante serait celle des permis « amont », que doivent détenir les producteurs et importateurs de carburants. Ces permis « amont » seraient plus faciles à manipuler, en raison du petit nombre de compagnies concernées, que des permis « aval », directement associés à l’émission de CO2, sur

1. Comptes transports de la Nation, 2005 : //www.statisti-ques.equipement.gouv.fr/

le modèle du système européen d’échange de permis d’émissions pour les seuls industriels.

Une condition du déploiement d’un tel système est probablement la garantie d’un retour au public de la rente qu’un tel système ne manquerait pas de dégager – lesdits producteurs ou importa-teurs « passant » au consommateur final le coût marginal de la réduction des émissions mais ne supportant eux-mêmes qu’un coût moyen moins élevé. Une première formule consisterait à mettre ces permis aux enchères, une seconde à taxer après coup les profits « indus » constatés chez les producteurs. Il a été suggéré outre-Atlantique que pour garantir au public que ces fonds ne consti-tueraient pas une taxation supplémentaire « au profit du gouvernement » (bien que l’expression n’ait évidement guère de sens), ils feraient l’objet d’un « chèque dans la boîte aux lettres » adressé à chaque ménage ou habitant adulte. Un système « amont » peut parfaitement être mixé avec un système « aval » pour les grands consommateurs, tel que celui qui a été mis en place cette année en Europe pour la grande industrie et la production de chaleur et d’électricité. Il suffit d’exonérer de la nécessité de disposer d’un permis « amont » les ventes de combustibles aux opérateurs couverts par un système « aval ».

Mais on l’a dit, on peut concevoir plusieurs types d’inclusion des transports dans les permis (RAUX, FRICKER 2001). On peut imaginer d’installer des compteurs de carburants à bord des véhicules, inspectés annuellement. Ou bien faire payer les permis au moment de l’achat des carbu-rants. On peut également allouer des permis aux autorités organisatrices des transports ou aux constructeurs automobiles. Dans le premier cas, on visera nécessairement la maîtrise de la demande et le transfert modal, dans le second l’efficacité énergétique des véhicules, au risque d’un certain « effet rebond » – quand les conduc-teurs roulent plus, car rouler leur coûte moins cher. En pratique, on allouerait aux construc-teurs, par exemple, pour chaque véhicule vendu, des crédits équivalents à ses émissions sur une durée de vie d’une quinzaine d’années – sur la

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base d’un standard d’efficacité. Un tel système pourrait être complètement intégré au système actuel de permis dans l’industrie, même si les différences d’horizon temporel peuvent s’avérer problématiques (IEA, 2005d). Il serait certaine-ment le plus efficace pour inciter les construc-teurs à mettre sur le marché des véhicules plus performants – les consommateurs s’y retrouvant de leur côté par les économies de carburants induites. On notera cependant qu’un système de permis « amont » joue à terme, bien qu’indi-rectement, sur l’ensemble des déterminants des émissions, et n’a donc pas à se préoccuper d’un éventuel « effet rebond ».

Reste l’objection de la faible efficacité du signal prix ainsi communiqué aux automobilistes, aussi souvent avancée à l’encontre d’un système de permis « amont » qu’à celui de taxes sur les carbu-rants – auxquelles il ressemble beaucoup. À la réponse ci-dessus sur l’efficacité à long terme, on est tenté d’ajouter que l’essentiel est de faire participer toutes les sources d’émissions aux mécanismes de marché. Si le secteur des trans-ports est acheteur net de permis, cela veut dire qu’il compense une partie de ses émissions par des réductions d’émissions supplémentaires dans d’autres secteurs d’activité – parce qu’en dernière analyse elles y sont moins chères. C’est précisé-ment à cela que doivent servir les permis : orienter les réductions là où elles coûtent le moins – et peu importe si dans un premier temps les émissions propres (si l’on ose écrire) des transports ne dimi-nuent que faiblement. Dans un système de permis, on ne détermine pas un prix, mais une quantité d’émissions, dont le prix n’est qu’un reflet, et il augmentera nécessairement quand les réductions peu coûteuses auront été épuisées. Par ailleurs, les importateurs et producteurs de carburant ne sont sans doute pas moins bien armés que les pouvoirs publics pour aller chercher éventuelle-ment des permis d’émission supplémentaires sur les marchés internationaux, ou des réductions d’émissions certifiées issues du mécanisme de développement propre.

Transports maritimes et aériens : quel avenir ?

Les émissions des transports aérien et maritime internationaux (routes maritimes internationales) ne sont pas incluses dans les engagements des pays industriels pris à Kyoto. Elles croissent cepen-dant rapidement et menacent l’objectif de la Convention sur les changements climatiques. D’ici 2050, le trafic aérien mondial devrait croître de 5 % par an, entraînant un triplement des émissions de CO2. De plus, l’effet climatique total des émissions des avions est deux à trois fois plus élevé que celui du seul CO2 (GIEC 1999).

Comment contrôler ces émissions ? Le débat se concentre autour de trois possibilités : les accords volontaires avec l’industrie, les taxes et les permis négociables. L’assemblée générale de l’Organi-sation de l'aviation civile internationale (OACI) a recommandé un travail sur deux approches : un système d’échanges de permis volontaires initiés par les États et les organisations internationales, et l’incorporation des émissions de l’aviation interna-tionale dans les systèmes domestiques d’échanges de permis.

En Europe, les émissions de l’aviation ont crû de 60 % entre 1990 et 2002, alors même que les émissions totales diminuaient de 3 %. Selon les prévisions, les émissions de l’aviation seront égales à un quart des émissions du seul Royaume-Uni. C’est pourquoi la Commission européenne soutient l’entrée de l’aviation internationale dans le système européen d’échange de permis. Elle favorise le schéma selon lequel non seulement toutes les émissions dans l’espace aérien euro-péen seraient prises en compte, mais également toutes les émissions entraînées par les vols partant du territoire européen. La compétitivité des trans-porteurs européens n’aurait pas à en souffrir, tous les opérateurs d’une route donnée étant soumis aux mêmes contraintes.

Les émissions des routes maritimes internationales font l’objet d’une attention bien moindre. Pour-tant elles sont supérieures à celles de l’aviation, en volume (463 contre 354 mt CO2) comme en taux

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de croissance (27,6 % contre 23,9 % entre 1990 et 2002). Une plus grande élasticité de la demande pour l’aviation, notamment pour le tourisme, peut expliquer cette différence. De plus, alors que des trains à grande vitesse peuvent en partie se subs-tituer au transport aérien, le transport maritime est bien plus efficace que son substitut potentiel (selon les destinations naturellement), le transport routier. D’un autre côté, le transport maritime offre peut-être des potentiels d’amélioration d’effica-cité énergétique plus important que le transport aérien, en particulier avec la généralisation des chaînes de propulsion électriques. Eh oui, l’hy-bride, ça marche aussi sur l’eau !

Conclusion : agir à tous les niveaux

En guise de conclusion, on ne peut guère faire moins qu’insister sur la nécessité de jouer sur tous les leviers d’action à la fois pour réduire la dépen-dance pétrolière, et surtout réduire les émissions de CO2 des transports terrestres, aériens et mari-times.

La maîtrise de la demande est une affaire de longue haleine sur les formes et les fonctions urbaines, conditionnée par la recherche d’une densité minimale. Elle va de pair avec le dévelop-

pement des alternatives à la voiture individuelle, supposant investissements publics et décisions courageuses d’affectation de voiries réservées.

Du côté des véhicules et des carburants, la voie de progrès la plus importante nous paraît celle d’une hybridation poussée à son terme : des véhicules fonctionnant tantôt à l’électricité du réseau (qu’on suppose à faibles émissions carbonées), et tantôt à partir de carburants liquides, biocarburants compris, avec une bien plus grande efficacité grâce au mode hybride.

Enfin, l’inclusion des transports dans les échanges de permis d’émissions est peut-être, aux prix actuels des carburants, la seule voie ouverte pour internaliser les coûts de l’effet de serre. Le modèle « amont », qui intervient sur tous les déterminants des émissions, semble à privilégier, à condition que la rente retourne au public, et même si l’élasticité au prix est faible à court terme, car peu importe où auront lieu les réductions d’émissions financées par les automobilistes ou les transporteurs routiers.

À défaut ou en complément, l’imputation aux constructeurs de la responsabilité des émissions des véhicules vendus pourrait être d’introduire dans un durcissement progressif des normes d’émissions la souplesse économique requise par l’incertitude inhérente au développement technologique.

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RAUX C., FRICKER E. 2001, L’effet de serre et les transports : les potentialités des permis d’émission négociables, Conseil national des transports, Paris.

RésuméLes émissions de CO2 des transports participent des changements climatiques anthropiques et la dépen-dance du secteur au pétrole ne faiblit pas, ce qui à terme ne manquera pas de devenir problématique. De nombreuses options existent pourtant pour réduire les émissions et la dépendance au pétrole en améliorant l’efficacité énergétique des véhicules et en réduisant l’intensité en carbone des énergies utili-sées. Les incertitudes sur les développements technologiques à moyen et long terme ne permettent pas d’identifier à coup sûr les technologies « gagnantes », ni de prédire leur déploiement à grande échelle. Si la voiture à hydrogène continue de faire rêver, le véhicule hybride, alliant moteur à combustion et chaîne de traction électrique, facilitera une électrification croissante des transports. Les biocarburants pourront constituer un appoint utile. Par ailleurs, le développement des transports publics et la maîtrise de la croissance des déplacements de biens et personnes seront également indispensables.

La mise en œuvre de ces options nécessite de la part des pouvoirs publics de jouer sur de nombreux leviers, des choix d’infrastructures aux normes techniques. L’insertion des transports dans les systèmes d’échange de permis d’émission, qui pourrait prendre des formes diverses, permettrait de gérer de façon souple la participation des transports aux efforts globaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

MotsclésFacteur 4, transports, route, moteurs hybrides, permis d’émissions.

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Après plusieurs années de projets et d’expérimen-tations en matière de développement durable, la région Nord-Pas-de-Calais s’est dotée, dès janvier 2000, d’une stratégie intégrée de déve-loppement durable. L’ambition était la suivante : construire des orientations et des modalités d’in-tervention qui permettent d’entraîner un boule-versement et les nécessaires mutations qu’exige la mise en œuvre effective du développement durable dans toutes les interventions de la région sur son territoire.

Une approche englobante mobilisant tous les leviers d’action de la région

Pour cela, l’exécutif régional a présenté, en séance plénière, un rapport d’orientation qui explicite sa définition du développement durable et la manière dont, compte tenu de l’histoire spécifique du Nord-Pas-de-Calais, cette définition s’applique à l’action de la région, grâce à la construction des outils et méthodes visant à cette prise en compte généralisée.

C’est ainsi que la région Nord-Pas-de-Calais s’est fixée en 2000 l’exigence de faire évoluer l’en-semble de ses politiques et modalités d’inter-vention par la prise en compte de six principes d’action qu’elle énonçait :– l’adéquation aux besoins effectifs des acteurs, en facilitant leur expression ;– la rationalité économique : le développement durable comprend la notion de développement économique bien évidemment, mais l’histoire économique et industrielle du Nord-Pas-de-Calais a bien démontré la nécessité d’intégrer d’emblée les effets croisés, les coûts globaux, et le temps aux calculs de rentabilité ;– l’équité sociale ;– l’équilibre territorial : puisque tout déséquilibre qui s’accroît fragilise la pérennité du dévelop-pement et donc n’est pas soutenable dans le temps ;– la préservation de la ressource, bien sûr ;– la transversalité comme modalité d’intervention et de décision.Pour mener à bien cette ambition et assurer la transformation, la région préconisait la mise en place de deux outils :– une équipe interne d’animation et d’ingénierie,

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Sylvie DEPRATAEREConseil régional [email protected]

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et la recherche de moyens, méthodes, instru-ments d’analyse et indicateurs, afin d’objectiver et outiller cette transformation ;– une structure extérieure, montée en partenariat, avec les principaux acteurs du développement durable en Nord-Pas-de-Calais (l’État, l’ADEME, diverses associations et partenaires privés) et chargée d’assurer la diffusion de ces concepts auprès des autres acteurs du territoire.

Puisque la région agit surtout par des modalités contractuelles et partenariales, il semblait indis-pensable d’assurer, de manière militante, mais non partisane, la diffusion des concepts et l’appui pratique.

Un projet de territoire compatible avec le développement durable

C’est à cette époque que la région a entamé les travaux d’élaboration de son Schéma d’aménage-ment et de développement du territoire, le SRADT qui, par essence, est le cœur du projet de territoire régional, le socle de sa stratégie, et touche ainsi à tous les champs de l’intervention régionale, et bien au-delà, à tous ses partenariats. Ne pas inté-grer l’ambition de développement durable, dont la région venait de se doter, à ces travaux, revenait de fait à en limiter la portée à quelques domaines plus ou moins périphériques.

La région a donc entrepris l’élaboration de son Schéma régional d’aménagement et de dévelop-pement du territoire, selon les principes d’action fixés en matière de développement durable.

Puisque le premier principe d’action du dévelop-pement durable est l’adéquation aux besoins, la région a engagé un travail méthodique et appliqué de concertation autour de l’élaboration de son SRADT.

Au total : deux ans de travaux, la participation en continu de près de 400 personnes, les temps d’échanges, d’appropriation, de croisement et d’approfondissement nécessaires à une véritable concertation, des écrits, des forums ouverts.

Le résultat, c’est un diagnostic territorial effecti-vement partagé, et une feuille de route pour le Nord-Pas-de-Calais pour les vingt années à venir, ainsi qu'une charte engageant la région sur les dix prochaines années pour la mise en œuvre de ces orientations.

La charte comprend l’identification de six enjeux majeurs auxquels la région est confrontée. Chacun de ces enjeux est décliné en priorités et objectifs.

La charte comprend aussi un engagement de la région autour de quatre principes directeurs, de par les volontés exprimées lors de la concertation.

Au premier plan de ces principes directeurs, le développement durable.

En effet, le débat public ouvert, qui a prévalu à l’élaboration du SRADT, a souligné combien la région Nord-Pas-de-Calais avait été touchée et continuait à subir les effets de modes de dévelop-pement non durables.

L’expérience accumulée autour de la réparation du Nord-Pas-de-Calais était de fait devenue vecteur de développement et analysée comme porteuse d’avenir.

L’ancrage du développement durable dans le cœur de la stratégie du territoire régional prenait ainsi corps, par l’échange et l’appropriation.

Plus étonnant encore, les débats ouverts sur le SRADT ont évoqué la manière dont le choix des indicateurs bordait l’horizon et la réflexion.

C’est ainsi que les travaux du SRADT se sont penchés sur le calcul de l’empreinte écologique régionale, comme élément de mesure de l’impact sur l’environnement des modes de production du Nord-Pas-de-Calais et comme indicateur de l’impact du développement régional sur la sphère environnementale.

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Par extension, l’idée est née de disposer d’élé-ments relatifs à l’évolution du développement social de la région par le choix d’indicateurs adaptés. La région a entrepris pour cela le calcul, à l’échelle du Nord-Pas-de-Calais, des indicateurs proposés par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) :– l’indicateur de développement humain ;– l’indicateur de pauvreté humaine ;– l’indicateur de participation des femmes à la vie politique et économique.

Ces calculs sont sur le point d’aboutir.

Associés au PIB, ils offriront une image équilibrée du développement de la région dans toutes ses composantes.

D’autres orientations du SRADT, directement issues des débats, sont fortement imprégnées des principes d’actions du développement durable. Citons ainsi :– l’identification de l’enjeu de la lutte contre la périurbanisation à la fois en termes d’aménage-ment, d’urbanisme, de dépenses publiques, de transports, de lutte contre les inondations ou contre le changement climatique ;– l’établissement, à l’échelle du Nord-Pas-de-Calais, d’une trame verte et bleue, maintenant ou rétablissant la biodiversité, les continuums verts et biologiques, le cadre de vie... ;– les enjeux de la transversalité dans l’action publique et l’intérêt d’assurer l’observation de manière croisée et partagée, dans la suite directe de la concertation qui a guidé les travaux du Schéma.

Et c’est ainsi que le SRADT a entraîné la mise en place d’un Agenda 21

Un diagnostic partagé, des modalités d’obser-vation partagées, des enjeux prioritaires, des indicateurs, des calendriers... tous les ingrédients permettant d’établir un Agenda 21 étaient réunis.

En 2003, forte de ces deux ans de concertation, la région a entrepris d’évaluer comment la stratégie de développement durable de 2000 avait porté ses fruits.

Elle a présenté en mai 2003, en séance plénière, un bilan de la mise en œuvre des projets spéci-fiques de la stratégie de 2000 et une évaluation exhaustive de la manière dont chaque politique du conseil régional a intégré les principes d’action du développement durable.

Les résultats étant clairement positifs, l’ensemble de ces analyses a été croisé avec les orientations et perspectives du SRADT. Appuyé sur le diagnostic partagé et la concertation du SRADT, l’Agenda 21 régional a ainsi vu le jour. Il a été adopté en commission permanente le 26 janvier 2004.

Il affiche l’ambition de poursuivre l’évolution de tous les moyens d’action de la région vers le développement durable et dessine de nouveaux chantiers.

De fait, au nombre de ces chantiers figurent plusieurs orientations prioritaires du SRADT :– mettre en place des moyens de lutte contre la périurbanisation ;– mettre en œuvre la trame verte et bleue ;– poursuivre les travaux de mise en place d’indi-cateurs adaptés à la prise en compte de l’équilibre du développement...

D’autres sont également prises en compte :– la consolidation de filières de développement économique appuyées sur l’environnement ;– généraliser le recours à la Haute Qualité envi-ronnementale (HQE) pour toutes les interventions de la région ;– mettre en place un système de transport repo-sant sur une mobilité raisonnée ;– développer et structurer les filières du commerce éthique et équitable ;– mettre en place un système de management environnemental dans les services ;– mettre en place des outils pour une consomma-tion durable.

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Conclusion

Au-delà de l’adoption de quelques projets spécifi-quement identifiés « développement durable », la région a souhaité se doter d’une stratégie qui vise à assurer une transformation culturelle et pratique au fond et au cœur de son action.

Elle a ainsi entrepris d’insuffler les principes du développement durable dans l’ossature même de sa stratégie de développement, dans son projet de territoire, en l’occurrence le SRADT.

Se faisant, même si cela constitue une approche qui peut sembler plus lente, elle a réuni les condi-tions d’une appropriation et d’un partage de ces concepts à grande échelle, ce qui lui permet désormais de déployer de nouveaux moyens d’ac-tion, en partenariat sur le territoire.

Ainsi pour ne citer que deux exemples : la conven-tion ANRU à laquelle s’est associée la région intègre-t-elle des critères d’intervention de déve-loppement durable, mais aussi, la région a été en mesure d’établir, avec ses partenaires, une stratégie régionale de lutte contre le change-ment climatique dont les déclinaisons pratiques devraient voir le jour cette année.

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BibliographieNORD-PAS-DE-CALAIS 2004, Atlas régional du développement durable, Éditions de l’Aube, 122 p.

NORD-PAS-DE-CALAIS 2003, Agenda 21 régional.

NORD-PAS-DE-CALAIS 1999, « Séminaires réflexions et prospectives », Études prospectives régionales, no 3.

NORD-PAS-DE-CALAIS 2002, « Objectif 2020 », Études prospectives régionales, no 6.

NORD-PAS-DE-CALAIS 2004, « Le développement durable en question », Études prospectives régionales, no 8.

NORD-PAS-DE-CALAIS 2005, « Les études du SRADT », Études prospectives régionales, no 9.

NORD-PAS-DE-CALAIS 2005, « Les indicateurs régionaux de développement humain en Nord-Pas-de-Calais-et-Wallonie », à paraître, Études prospectives régionales, no 10, décembre.

Sitesinternetwww.2020.nordpasdecalais.fr

www.atlas.nordpasdecalais.fr

www.nordpasdecalais.fr/dd

RésuméLe SRADT Nord-Pas-de-Calais élaboré dès l’année 2000 en référence aux problématiques du déve-loppement durable a débouché trois ans plus tard sur l’adoption d’un Agenda 21 régional. Ces deux documents complémentaires, à forte dimension prospective et élaborés dans un cadre de concertation élargi, se donnent des objectifs communs tels que la mise en place des moyens de lutte contre la périurbanisation, la mise en œuvre de la trame verte et bleue, la poursuite des travaux de mise en place d’indicateurs adaptés à la prise en compte de l’équilibre du développement.

MotsclésSRADT, Agenda 21, indicateurs environnementaux.

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Biodiversité et énergie sont deux enjeux majeurs de la politique environnementale de la région Alsace :

– La biodiversité, dans une région aussi densé-ment peuplée – 209 habitants par kilomètre carré en moyenne et 425 dans la plaine –, représente à la fois un enjeu majeur pour les espèces et la qualité de vie des habitants et, en tant que facteur limitant, un indicateur de la qualité des politiques publiques.

– L’énergie est une seconde priorité pour l’avenir de la planète en ce début de siècle où il convient de passer d’urgence de l’usage des énergies fossiles au développement massif des énergies renouve-lables et à la baisse drastique des consommations pour lutter contre le réchauffement climatique.

Biodiversité et énergie présentent donc une carac-téristique commune : pour être efficace, il convient de les gérer à l’échelle des territoires dans le cadre d’un plan d’action régional.

Entre noyau dur et corridor, quelle biodiversité en plaine d’Alsace ?

« L’homme n’est moral que lorsque la vie de la plante et de l’animal aussi bien que celle des humains lui est sacrée » (Albert Schweitzer).

Mettons-nous bien d’accord d’emblée : la terre n’a pas besoin de la biodiversité. Depuis 5 milliards d’années, elle a vécu une longue aventure, a vu naître et disparaître de nombreuses espèces, sans aucun « états d’âme ». Ce n’est pas la planète qui a besoin de la biodiversité pour vivre, c’est l’espèce humaine. C’est pourquoi il convient de réfléchir en fonction des objectifs à atteindre : qui dit biodiversité dit continuité biologique pour permettre aux espèces de se déplacer sur l’en-semble de la planète. Cette stratégie n’est réali-sable que si elle est mise en œuvre sur chaque territoire, à l’échelle locale.

Déjà en 2005, la frontière entre l’urbain et le rural est devenue très tenue : pour l’INSEE, seules 8 % des communes alsaciennes sont encore classées en zone rurale ce qui concerne une partie des vallées vosgiennes. Tout le reste du territoire de notre région est considéré par les statisticiens comme étant sous influence urbaine. On peut, sans prendre de risque majeur, projeter que cette tendance ne fera que s’accentuer dans les prochaines années. Il ne faut donc plus raisonner la biodiversité comme l’apanage du monde rural, mais la penser comme un tout : imaginer l’urbain et le rural comme une continuité de ce point de vue.

Il est clair qu’aujourd’hui, en 2005, l’urbain a large-ment « la main » : le béton et le goudron gagnent chaque jour du terrain. De ce point de vue, le rural n’est pas mieux loti : la monoculture et le labour

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Jean-Luc SADORGEConseil régional d’[email protected]

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progressent également chaque jour sur la haie et la prairie.

La voie d’avenir est donc de penser d’abord la place de la biodiversité en Alsace : des « noyaux durs » qui représentent les espaces majeurs néces-saires au développement de la vie, et une « trame verte » qui va relier ces espaces de nature entre eux. En effet, la protection stricte de la nature, si elle est indispensable, n’est pas suffisante. Un rapport de l’UICN 1 réalisé en 2004 montre que les objectifs en matière de réserves naturelles sont en voie d’être atteints au niveau planétaire, et pour-tant, les espèces ne cessent de disparaître à une vitesse qui va en s’accélérant.

Il convient donc de penser la préservation de la biodiversité aussi au travers de la préservation de la nature ordinaire. La méthode proposée, appli-quée pour la plaine d’Alsace et le piémont des Vosges, consiste à identifier les « noyaux durs », ainsi que la trame verte existante qui représentent tous deux 150 000 hectares et qu’il convient de préserver. Par ailleurs, il s’agit aussi de repérer les connections manquantes ou « corridors » qu’il conviendra de restaurer. Pour l’Alsace ces corri-dors ont été évalués à 7 500 hectares.

Du coup, la feuille de route est tracée :1) préserver strictement les noyaux durs par des moyens réglementaires ;2) préserver la trame verte existante en l’inscrivant dans les documents d’urbanisme, SCOT (Schémas de cohérence territoriale) et PLU (Plans locaux d’urbanisme) ;3) mettre en place un dispositif qui permette aux acteurs locaux de préserver et de rebâtir les « chaî-nons manquants ».

Ces principes étant posés, les solutions sont perceptibles. Il s’agira d’inventer un nouveau mode d’occupation de l’espace où les espaces publics et de loisirs feront une large place à la nature. Par exemple pour des ensembles d’habita-tion construits autour d’un lac (artificiel) ou d’une

1. Union internationale pour la conservation de la nature.

forêt (plantée), l’urbaniste doit devenir un acteur de la biodiversité.

De même, l’agriculteur doit intégrer la diversité biologique dans ses itinéraires techniques. L’agri-culture de demain sera plus complexe, s’appuiera davantage sur la vie du sol et les espèces présentes sur les parcelles. La parenthèse de la pétrochimie sera terminée et l’agriculteur sera un producteur de biocarburants et de biomatériaux.

La nature, après s’être frayée un chemin dans le territoire agricole, pénétrera dans les villes alsaciennes qui seront devenues de plus en plus grandes. Elle sera présente le long des cours d’eau, dans les parcs ou plutôt les prairies urbaines, le long des murs et sur les toits : les toitures végéta-lisées sont aujourd’hui une réalité et la façade du Musée des arts premiers, en plein cœur de Paris, est couverte de plantes.

On sait par ailleurs dès maintenant parfaitement gérer techniquement les passages à faune pour les infrastructures de transport. Il convient par contre de bien les prévoir dans les nouveaux projets.

Soyons clairs : le problème de la biodiversité n’est pas qu’entre les mains des agriculteurs, des fores-tiers et des gestionnaires d’espaces protégés. Il s’agit de mettre en œuvre de manière concertée une stratégie d’aménagement du territoire qui est de la responsabilité des élus régionaux, départe-mentaux, locaux et des administrations de l’État. Le tout en partenariat avec les associations et sous le contrôle des citoyens.

Mais par ailleurs, la région Alsace a souhaité assumer sa compétence d’aménagement du terri-toire en se dotant d’un dispositif permettant à terme la mise en place de cette trame verte.

Le dispositif de la région Alsace

Ces dernières décennies, la faune et la flore subissent de plein fouet la transformation du paysage alsacien : un tiers des espèces végétales et animales présentes en Alsace est en régression plus ou moins marquée.

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Avant d’élaborer le projet de « trame verte », la région Alsace a réalisé une étude sur la situation des milieux naturels en plaine et sur le piémont vosgien, en concertation avec les acteurs concernés réunis au sein d’un comité de pilotage comprenant la région, les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, l’État, un représentant des parcs natu-rels régionaux, un représentant des pays, Alsace Nature, la chambre régionale d’agriculture, les villes de Strasbourg, Colmar et Mulhouse.

Il ressort de ce travail minutieux, mené en milieu rural et urbanisé, que :– les grands espaces naturels d’un seul tenant représentent 15 % de la surface de la plaine dont un tiers se trouve dans un état partiellement dégradé ;– sur les treize unités paysagères dénombrées en Alsace (ried, piémont, vignoble, plaine rhénane...), sept n’offrent plus un paysage de qualité ;– il conviendrait de multiplier par cinq le nombre de connexions existantes entre les espaces natu-rels pour maintenir la biodiversité.

À partir de ce diagnostic, des propositions d’amé-liorations de la trame verte existante ont été faites par la région.

Le conseil régional a voté un dispositif pour favoriser la réalisation des ces propositions en juin 2003.

Les principes d’action de la trame verte

L’étude est maintenant terminée, le dispositif est en place à titre expérimental. La première action consiste à informer l’ensemble des acteurs locaux des enjeux et des moyens disponibles, qu’ils soient élus de communes, de communautés de communes ou membres d’associations. Des plaquettes déclinées pour chacun des dix pays d’Alsace et pour le SCOT de l’agglomération strasbourgeoise ainsi que des affiches viennent d’être éditées et diffusées largement et notam-ment à tous les maires d’Alsace.

La deuxième action consiste – et c’est la plus cruciale pour préparer l’avenir – à inscrire la trame verte existante dans les documents d’urba-nisme. Cette mission est en cours et l’accueil est partout très positif sur le projet. Il est par contre évident que les arbitrages ne seront pas forcé-ment faciles.

La troisième action consiste à intégrer le projet dans les infrastructures de transport, en travaillant à réparer les dégâts, mais surtout à intégrer la dimension trame verte dans les projets.

La quatrième action qui rejoint, mais en partie seulement, la deuxième consiste à préserver des espaces péri-villageois et à faire en sorte que l’on ne passe pas directement du lotissement d’un village au lotissement du suivant. C’est une action difficile, car elle demande une réflexion portée sur notre mode de vie : l’image de la maison individuelle, aussi petite soit elle, reste fortement ancrée dans tous les esprits. Des actions sont en cours pour préserver les vergers. Ce ne sera pas suffisant : nous ne ferons pas, dans une région aussi densément peuplée que l’Alsace, l’économie d’une réflexion sur l’usage de l’espace. C’était d’ailleurs le thème principal des « Rencontres alsa-ciennes de l’environnement » de 2005 1.

La cinquième action consiste en la construction de nouveaux corridors. Certaines communes et communautés de communes ont déjà pris des mesures avec le soutien financier de la région. Pour réussir, elles auront besoin du renfort des agriculteurs alsaciens.

La sixième action consiste à lancer la trame verte à la conquête des villes. Des projets commen-cent à voir le jour. Des exemples existent dans d’autres villes européennes sur lesquels l’Alsace pourra s’appuyer. Dans ce domaine, il ne s’agit

1. La région organise tous les deux ans des « Rencontres alsaciennes de l’environnement » qui permettent de débattre avec les collectivités locales, les services déconcentrés de l’État et les associations, à partir d’indicateurs actualisés dans les domaines de l’eau, de l’air, des milieux naturels, des déchets, de l’énergie, de l’éducation à l’environnement et de l’occupation de l’espace.

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actuellement que d’expériences ponctuelles, et la route sera longue, qui conduira les urbanistes à construire de la nature.

Mais le défi vaut d’être relevé.

La promotion des énergies renouvelables : le programme Energivie en Alsace

La politique de la région de 1998 à 2002

En 1998, la région Alsace a initié, en partenariat avec l’ADEME, une politique de soutien au déve-loppement des énergies renouvelables. Cette poli-tique a conduit, comme dans toutes les régions, à la signature du contrat de plan 2000-2006 qui portait sur le soutien aux énergies renouvelables pour les particuliers et pour les collectivités. Cette politique a été mise en place en partenariat avec le monde associatif et en particulier avec Alter Alsace Énergies, association créée en 1975 et qui s’est donnée pour objet le développement des énergies renouvelables en Alsace. Les Alsaciens ont très fortement réagi à ces propositions : nous avons fêté en mars 2003 l’installation du 1 000e capteur solaire individuel et les objectifs fixés pour la fin du contrat de plan – 10 000 m2 – étaient atteints dès avril 2004.

Le programme Energivie

Le programme Energivie est un programme euro-péen « Feder innovation » : les régions comprenant des territoires classés en Objectif 2, ce qui est le cas de l’Alsace pour le massif vosgien et le bassin potassique, peuvent répondre à un appel d’offres en présentant des projets innovants. La région Alsace a présenté un programme centré sur les énergies renouvelables qui a été retenu en 2002. Ce programme a été construit pour changer d’échelle et donner une impulsion complémentaire

au développement des énergies renouvelables en Alsace. En effet, les particuliers répondaient forte-ment aux propositions qui leur étaient présentées, mais les collectivités locales et les industriels ne les prenaient pas réellement au sérieux. Nous avons pensé que pour les impliquer davantage, il conve-nait de disposer d’une présence « commerciale » de terrain : par exemple, l’Alsace compte 400 communes forestières et donc l’objectif est d’im-planter 400 réseaux de chaleur au bois pour l’ali-mentation en énergie des bâtiments communaux : mairie, église, salle polyvalente, bibliothèque...

Le cœur du programme Energivie consiste donc en la mise en place de cinq animateurs chargés de promouvoir les énergies renouvelables dans les territoires. Ces animateurs ont été recrutés par des partenaires de la région. Deux d’entre eux sont membres des équipes des deux parcs naturels régionaux, ballons des Vosges et Vosges du Nord, une est membre de l’équipe de l’associa-tion Alter Alsace Énergie et un autre a en charge la partie centrale du massif, non couverte par les parcs naturels et le Sundgau : il est basé à l’Agence locale pour la maîtrise de l’énergie de Mulhouse qui couvre l’agglomération mulhousienne. Un cinquième animateur thématique, chargé de l’agriculture et du tourisme, est basé au siège de la région.

Ces animateurs s’adressent aux élus et techni-ciens des collectivités publiques, aux architectes, bureaux d’études, professionnels du bâtiment, promoteurs immobiliers, opérateurs du logement social, professionnels du tourisme et de l’agri-culture et particuliers. Tous sont des techniciens compétents dans le domaine des énergies renou-velables et ils se sont vus confier neuf missions :– informer sur les atouts des énergies renouvela-bles et sur leurs financements ;– organiser des réunions de sensibilisation ;– proposer des visites d’installations locales ;– aider à intégrer les énergies renouvelables dans les projets ;– fournir les documentations destinées à relayer l’information ;– mettre en relation les différents acteurs des

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filières (bureaux d’étude, installateurs, fabricants, financeurs...) ;– accompagner les acteurs dans le montage des dossiers de demande de subventions et les démarches administratives ;– apporter une assistance technique dans les phases étude et réalisation des projets concernés par les énergies renouvelables ;– aider à la médiatisation des réalisations.

Chaque animateur a des objectifs chiffrés très précis à réaliser sur son territoire.

Mais le programme Energivie n’est pas qu’un programme de mobilisation de terrain : il s’agit d’un programme régional qui comporte sept actions :– mieux informer sur les énergies renouvelables ;– former des prescripteurs « énergies renouvela-bles » ;– amplifier la communication ;– utiliser les énergies renouvelables pour stimuler le développement économique alsacien ;– développer les énergies renouvelables dans l’agriculture et le tourisme ;– mieux intégrer les énergies renouvelables à l’échelle de quartiers urbains ;– anticiper pour préparer l’avenir.

Le programme est coordonné par un comité de pilotage présidé par la vice-présidente de la commission agriculture environnement du conseil régional et comprenant l’ensemble des partenaires concernés : élus, associations, professionnels, chercheurs, établissements d’enseignement... Il se réunit tous les deux mois pour faire le point sur les dossiers et engager les actions nouvelles.

En plus des animateurs de terrain, sont également impliqués un coordinateur du programme 1, un

1. Les partenaires du programme sont : la région Alsace, la Direction régionale de l’environnement (DIREN), la Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environne-ment (DRIRE), le Secrétariat général pour les affaires régio-nales et européennes (SGARE), les chambres d’agriculture, la chambre régionale des métiers, la chambre régionale du commerce et de l’industrie, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME, délégation Alsace), Alter Alsace énergies, le Parc naturel régional des Vosges du nord,

chargé de communication et bien entendu les équipes de la région et de l’ADEME.

Le programme est une réussite. Les objectifs fixés étaient de passer de 11 000 m2 de capteurs solaires fin 2002 à 34 000 m2. Ils devraient être atteints avec six mois de retard. Pour les chau-dières, l’objectif était de passer de 173 chaudières (142 individuelles et 31 collectives) à 610 (470 individuelles et 140 collectives). Ces objectifs seront atteints.

Au-delà de ce « décollage » du nombre d’installa-tions, le programme a permis d’avancer dans les domaines du lien entre la recherche et l’industrie, de la formation et de la mise en place d’une stra-tégie de développement économique de l’Alsace centrée sur les énergies renouvelables. Par ailleurs, il a permis d’étudier de près d’autres filières que celles du soleil et du bois, de réaliser un atlas du potentiel éolien, d’étudier le développement du biogaz et un inventaire du potentiel géothermique est programmé.

Surtout, grâce à un très important dispositif de communication, il a permis de rendre crédibles les énergies renouvelables auprès des élus locaux et des industriels. En résumé, les Alsaciens ont voté « avec leur portefeuille » en investissant dans des capteurs solaires et les communes ont suivi en installant des chaudières au bois. Les industriels se joignent à leur tour au mouvement : la région vient de lancer un appel d’offres dans leur direction en leur proposant de financer des études de projets innovants impliquant des énergies renouvelables et les propositions arrivent déjà.

le Parc naturel régional des ballons des Vosges, la ville de Mulhouse, la communauté de communes de l’agglomération mulhousienne, l’Agence locale de la maîtrise de l’énergie de l’agglomération mulhousienne (ALME), le conseil régional de l’Ordre des architectes, la fédération et les corporations des entreprises de chauffage (FEFICA, COPFI), l’ANVAR, l’INSA de Strasbourg, l’Agence de développement de l’Alsace (ADA), la Fédération des interprofessions bois forêt d’Al-sace (FIBOIS), les corporations des entreprises d’électricité, l’Association pour la formation des adultes (AFPA), l’Agence BASE (Basel Agency for Sustainable Energy), Thur Ecologie, Agriculture et Paysages.

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Le programme permet également de travailler sur des solutions innovantes de financement des investissements. En effet, seul un bon outil finan-cier permettra de mieux gérer l’équilibre entre charges supplémentaires d’amortissements et économies de fonctionnement.

L’étude prospective du Groupe de travail énergie Alsace (GTEA)Parallèlement à cette politique très offensive dans le domaine des énergies renouvelables, la région et ses partenaires regroupés dans le « Groupe de travail énergie Alsace », coprésidé par le conseil régional et la DRIRE et dont l’ADEME assure le secrétariat, ont lancé une étude prospective sur les besoins énergétiques de l’Alsace à l’ho-rizon 2020 et sur la manière de les maîtriser. En évaluant les projets les plus efficaces en matière de rapport entre les moyens publics investis et les résultats obtenus, huit chantiers prioritaires ont été retenus. Le premier d’entre eux est la réha-bilitation thermique des bâtiments. Un nouveau programme devrait donc être lancé début 2006. Ce programme « Efficacité énergétique dans le bâtiment » prendra pour modèle les programmes suisse Minergie (42 kWh/m2) et allemand Passiv Haus (15 kWh/m2) 1. Il s’agira de mobiliser de nouveaux acteurs, notamment la filière du bâti-ment. Le projet consisterait à diviser les consom-mations énergétiques par quatre, ce qui repré-sente un enjeu considérable pour notre région.

1. 42 et 15 kwh/m² correspondent respectivement à l’équi-valent de la consommation de 420 et 150 litres de fuel par an pour le chauffage d’une maison de 100 m2.

Les huit programmes prioritaires identifiés par le GTEA

– Réhabilitation des logements individuels.

– Maîtrise de la demande d’électricité dans le tertiaire.

– Force motrice dans l’industrie.

– Maîtrise de la demande d’électricité dans le résidentiel.

– L’exemple des collectivités locales.

– Eau chaude sanitaire solaire et calorifugeage.

– Offre bois et petite cogénération.

– Actions dans les transports.

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Conclusion

Le programme Energivie a permis d’identifier un certain nombre d’améliorations possibles qui, si elles étaient réalisées, permettraient un bien meilleur développement des énergies renouvela-bles en France.

En premier lieu il serait, bien entendu, nécessaire d’augmenter le prix de rachat de l’électricité produite par le biogaz et le photovoltaïque, seul moyen de permettre un développement de ces techniques émergentes en France, mais déjà bien développées en Allemagne ou au Japon par exemple.

Deuxièmement un traitement particulier des charges énergétiques dans les charges locatives serait nécessaire : aujourd’hui, un propriétaire n’a pas le droit de répercuter l’amortissement d’un capteur solaire sur le loyer, alors que le locataire est évidemment gagnant, et ce de plus en plus rapidement, compte tenu de la hausse des prix de l’énergie. Il faudrait traiter à part les charges énergétiques qui incluent les amortissements des installations faisant appel aux énergies renouvela-bles. Il faudrait bien entendu imaginer un système de protection du locataire, par un plafonnement au mètre carré par exemple.

Troisièmement il conviendrait de mettre en place des dispositifs financiers spécifiques, en parti-culier pour les collectivités locales. Ces disposi-tifs devraient être de type « tiers investisseur » permettant à un organisme spécialisé de réaliser des investissements en « se payant » sur les écono-mies d’énergie réalisées.

Quatrièmement un renforcement annoncé, progressif et continu des normes en matière d’isolation thermique des bâtiments permettrait d’encourager en permanence l’innovation.

Le programme Energivie a démontré, s’il en était besoin, l’intérêt à travailler sous forme d’un programme limité dans le temps qui permet de se fixer des objectifs, de mesurer des résultats et surtout de mobiliser un ensemble d’acteurs, voire toute une région sur un projet. Pour réussir, ce programme doit être doté des moyens de commu-nication adéquats.

Dans le domaine de la biodiversité, l’expérience menée en Alsace conduit à proposer une coor-dination de la politique nationale à l’échelle des quatre régions biogéographiques de la directive « Habitat » concernant la France : atlantique, conti-nentale, alpine et méditerranéenne. Un préfet de région désigné par le Gouvernement pourrait se voir confier la coordination d’un secteur biogéo-graphique, comme c’est le cas dans le domaine de l’eau à l’échelle des bassins. C’est à cette échelle que seraient définies les grandes orientations grâce à une concertation entre les élus régionaux et départementaux, les services de l’État et la communauté scientifique. Les régions, dans le cadre de leur compétence en aménagement du territoire, seraient ensuite chargées de l’élabora-tion de la trame verte régionale qui devrait inté-grer ces grandes orientations définies à l’échelle de l’espace biogéographique. Cela permettait une démarche concertée au niveau national et territo-rialisée sous l’impulsion des conseils régionaux.

Les enjeux de la lutte contre l’effet de serre et du maintien de la biodiversité sont vitaux pour l’avenir de l’humanité, mais la bataille de la maîtrise de nos consommations énergétiques et du dévelop-pement des énergies renouvelables tout comme celle du maintien, voire de la reconquête de la biodiversité se gagnera dans les territoires.

Les régions sont évidemment la bonne échelle pour conduire ces politiques nécessairement volontaristes.

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RésuméAlors même que différentes études montrent plusieurs atteintes à la biodiversité et aux paysages en région Alsace, le conseil régional s’est engagé dans la réalisation d’une trame verte, décomposée en « noyaux durs » qui comprennent de grands espaces naturels et des corridors qui les relient, les chaînons manquants dans ce domaine devant être reconstitués. Six actions ont ainsi été programmées pour la mise en œuvre de cette trame verte. Par ailleurs, du côté des énergies renouvelables et dans le cadre du contrat de plan État-région, l’Alsace s’est engagée dans un programme Energivie censé accompagner les initiatives particulères et collectives en matière d’énergies renouvelables (chauffage au bois, énergie solaire).

MotsclésBiodiversité, corridors écologiques, planification des sols, énergies renouvelables, facteur 4.

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L’étude de cas présentée ici a été réalisée, à la demande de l’ADEME, dans deux stations de sports d’hiver des Alpes du Sud et vise plus parti-culièrement à répondre à une double question. Il s’est agi tout d’abord de tester la capacité des habitants à percevoir le changement du climat, et de repérer par quels signes ou critères ce changement était perçu. Ensuite, dans le cas où cette perception était avérée, nous avons voulu savoir si les habitants étaient en mesure ou non de s’adapter à la nouvelle situation. Ce qui signifiait pour eux :– soit qu’ils étaient prêts à modifier leurs activités et dans quelle mesure ;– soit qu’ils acceptaient d’y renoncer pour se tourner vers d’autres activités ;– soit qu’ils projetaient de changer de lieu pour continuer à exercer le même type d’activité ;– soit qu’ils préféraient ne rien changer à leurs habitudes au risque de nier qu’il y ait un quel-conque changement de climat.

Énoncée ainsi, la double question posée par l’ADEME, paraissait ne poser d’autres difficultés

que celles inhérentes à toute enquête consistant à recueillir les réponses des interviewés. Cepen-dant, deux concepts-clés restaient à définir avant même de procéder aux questionnaires envisagés. Que fallait-il entendre, en effet, par « climat ». Que fallait-il entendre par « adaptation » ?

On semble supposer que ces deux termes sont clairement perçus, que leur sens va de soi, qu’ils sont évidents. Or il n’en n’est rien.

Éléments de problématique : les définitions

Prenons le terme « climat » : pourquoi avons-nous besoin de l’élucider ? Parce que la perception du changement de climat (son réchauffement, puisque tel est l’objet de notre enquête) suppose qu’on ait déjà perçu quelque chose comme un état antérieur du climat, de façon à pouvoir juger s’il y a ou non perturbation. Or, étrangement, le climat est une de ces notions qui restent vagues, quelque précision que la science puisse apporter à son appréhension.

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Lucien SFEZUniversité Paris I Panthé[email protected]

Anne CAUQUELINUniversité de Picardie Jules-Verne

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D’abord parce que c’est un phénomène invisible 1, difficile à percevoir, bien que physiquement présent. En tant que modalité sensible de l’environnement, participant à la composition d’un « milieu », il est difficilement isolable des autres éléments constitu-tifs et il est donc perçu, de manière confuse, comme une enveloppe de différents traits. Climat exprime, par exemple, le ton général, l’atmosphère d’une réunion ou d’une situation. De ce point de vue, la perception du climat est comparable au sentiment indéfinissable que provoque une mélodie. Climat exprime aussi, dans l’expérience concrète que nous en faisons, le temps qu’il fait, et il est assorti d’un grand nombre de variables subjectives, qui résis-tent à la schématisation. D’autre part, le climat peut être analysé dans une perspective descriptive, géographique par exemple 2. Nous savons, car nous l’avons appris, qu’il y a différents types de climats : océanique, continental... et qu’il y a, pour en parler savamment, des météorologistes. Ainsi, à propos du climat, nous nous trouvons d’une part devant ce que nous savons ou croyons savoir avec un certain degré de certitude (scientifique), et d’autre part devant des impressions sensorielles et des jugements de goût, que l’on a du mal à caractériser. Toute l’ambiguïté du projet de recherche sur la perception du chan-gement climatique vient de cette double source de connaissance. En bref, nous pourrions avancer que si nous saisissons bien ce que tend à signifier la notion de climat, nous ne sommes pas capables d’en appréhender la réalité. C’est d’ailleurs ce que viennent confirmer les interviews que nous avons réalisées dans le cadre de cette enquête. En effet, à la question : « Selon vous, y a-t-il changement clima-

1. « [...] les plus grands dangers écologiques actuels relèvent du domaine de l’invisible, de l’inodore, de l’incolore et de l’in-sipide [...] », Dr Pascale Morand-Francis, dans son intervention au colloque de Chamonix, 29 et 30 juin 2000.2. On se souvient que « climat » correspondait chez les anciens au terme « zona » ou ceinture. Ces ceintures ou zones partageaient la terre en territoires, du Nord au Sud, du froid au chaud. Schéma conjectural sans contrepartie concrète qui traçait les limites de l’habitable et assignait aux zones extrêmes les territoires désastreux, proprement invivables et donc inhabités. S’en suivent toutes sortes de fantaisies que Pline l’Ancien nous a rapportées. Cette distinction géogra-phique en zones délimitées participe de la construction de la nature telle que les anciens la concevaient.

tique ? » la plupart des interviewés répondent « oui », sans hésiter. Mais tout de suite après commencent les hésitations, les doutes : « Finalement quand j’y pense... ». Le doute concerne la fiabilité des signes auxquels on peut percevoir un tel changement et, les réponses se diversifient alors, ou sont fuyantes. Elles ne manifestent plus la belle unanimité de la première réponse. On peut trouver une explication à cette disparité, en évoquant le niveau cognitif qui est sollicité par la généralité du concept climat, et le niveau empirique perceptif, sollicité par l’expé-rience du « temps qu’il fait ». Tout le monde peut s’accorder sur un savoir commun, mais dès qu’on interroge l’expérience de chacun, les choses ne sont plus aussi claires.

De plus, les théories de la perception, depuis l’an-cienne mais toujours efficace théorie de la gestalt, nous ont appris à nous méfier de la perception naturelle spontanée, des données sensorielles sans médiation. Les perceptions que nous croyons toutes simples et « vraies » sont soumises à des conditions de toutes sortes. En ce qui concerne la perception du climat, elle est informée par la profession ou l’état : un agriculteur ne percevra pas les mêmes réalités qu’un commerçant de la neige, un citadin qu’un rural, un marin qu’un montagnard. Le niveau d’attente joue aussi son rôle. L’attente va de l’angoisse d’un éleveur devant la sécheresse, à la quasi-indifférence du citadin qui travaille dans son bureau.

Nous avons donc été obligé de tenir compte tout au long de cette enquête du milieu – conditions de vie, profession, activités, milieu social –, à partir duquel les réponses sont apportées. La variabilité de ces réponses en est directement issue.

La seconde notion à définir est celle d’adapta-tion. On distingue généralement, en biologie, le processus d’adaptation de l’état d’adaptation. Adaptabilité n’est pas adaptation. Dans le cas qui nous intéresse ici – l’adaptation au change-ment climatique –, il s’agit du processus qui doit conduire à l’adaptation, et non à l’adaptation comme état stabilisé (appelé, par les biologistes « accommodation » ou « naturalisation »).

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Cette distinction paraît importante dans la mesure où elle rappelle que le dynamisme du processus d’adaptabilité s’appuie sur une disposition préa-lable qui exige une préadaptation 1. Or c’est bien à une disposition de ce genre que nous avons à faire dans cette enquête où il s’agit de savoir si les personnes concernées sont en mesure d’être dans une situation d’adaptabilité. Autrement dit, sont-elles préadaptées ?Si dans le domaine biologique il s'agit là d'un phénomène « naturel », il en va tout autrement dans le domaine des comportements sociaux. C’est pourquoi la préparation, l’information, au sens fort du terme « former » – mettre en forme –, sont si importantes et font l’objet de tant de requêtes, de part et d’autre. L’insistance marquée des adminis-trations centrales sur la diffusion des informations, sur la nécessité de colloques, réunions et concer-tations répond à cette exigence. Le manque d’informations – c’est-à-dire de formation – est un handicap sérieux pour le processus d’adaptabilité et compromet alors l’adaptation recherchée.Un autre élément venu de la biologie semble prometteur, c’est celui qu’évoque la loi de Dollo : une très grande adaptation à un milieu précis rend impossible le processus d’adaptation à un autre milieu. C’est une loi que nous avons pu vérifier en quelques occasions : dans un milieu très précis, bien déterminé, les acteurs qui œuvrent au sein de ce milieu manquent de la souplesse nécessaire pour envisager des transformations ou même simplement des attitudes différentes des leurs. Ils réfutent au besoin toute information qui mettrait en péril leur situation. Ainsi donc, tant pour la question du climat que pour celle de l’adaptation, le thème porteur est celui de la mémoire : elle est sollicitée individuellement dans la perception du changement de climat, dans la mesure où elle permet les comparaisons avec ce qui fût, et elle se manifeste socialement sous forme de fixation à des habitudes ou au contraire d’indépendance vis-à-vis d’un milieu donné.

1. Cf. l’ouvrage classique de Lucien Cuenot, L’évolution biologique, Masson, 1951.

Le terrain

Par terrain, il faut entendre d’une part le terrain géographique, limité à une région précise (les Alpes du Sud) et spécifiquement la vallée de l’Ubaye, elle-même divisée pour l’enquête en deux territoires distincts, deux villages de moyenne montagne : Le Sauze et Pra-Loup. D’autre part, le terrain c’est aussi la population qui y habite et l’administration qui traite ses problèmes. Autre-ment dit, le terrain à explorer c’est ce qui se passe au local mais aussi ce qui se passe au central. Comment le central perçoit-il la question du réchauffement climatique, en général et dans les régions concernées ? A-t-il des préférences quant aux dispositions à prendre ? Comment, sous quelle forme établit-il le lien avec le local ? Et le local, comment perçoit-il la situation ? En vertu de quels critères se décide-t-il pour telle ou telle modification ? Qu’attend-il du central ? Et enfin comment se croisent ces différentes opinions, décisions, ou tendances ?

Pour répondre à ces questions, nous avons procédé à deux séries parallèles d’interviews, une première série dans les administrations centrales, une seconde au local, au Sauze et à Pra-Loup.

Au niveau central furent interviewées des person-nalités issues des instances suivantes : l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (deux interlocuteurs), l’ONERC (Observatoire national sur les effets du réchauffement clima-tique), l’Institut du développement durable et des relations internationales, Météo-France, le CIRED (Centre international de recherche sur l’en-vironnement et le développement) CNRS EHESS, le Réseau action climat (Fédération d’associa-tions), la MIES (Mission intergouvernementale de l’effet de serre), le ministère de l’Écologie et du Développement durable (deux interlocuteurs), un ethnologue, un professeur à l’École des mines, un professeur d’université.

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Conclusion des entretiens au niveau centralOutre la compréhension générale du problème, les entretiens à ce niveau nous donnèrent quelques clefs d’accès. La difficulté essentielle ressentie c’est que la liaison avec le local pose problème. Le centre a-t-il les informations nécessaires sur le local ? La réponse est négative, d’autant que Météo-France, excellent pour la météo conti-nentale et nationale, tente sans succès (pour l’instant) de faire tourner des modèles régionaux voire locaux. Mais les données sont tellement complexes que les recherches n’ont pas encore abouti. Quand les stations de ski pourront-elles recevoir des informations sur leur station en telle saison ? Cette question demeure aujourd’hui sans réponse. Le local en est navré, tandis que le central ne « sait » jamais qu’après coup, comment les choses se déroulent et de façon souvent sommaire ou un peu sèche.

Le centre fait fond sur les rapports internationaux (GIEC) et tente de populariser les études par des colloques de toutes sortes – de Chamonix à Chambéry –, par des conférences aussi. L’idée est bonne, à la double condition d’une prise de conscience préalable des élus (pour entendre un discours, il faut d’abord être prêt à l’écouter) et d’un langage clair et accessible des conféren-ciers.

Au début les élus venaient à ces colloques seule-ment pour parler entre eux. Chemin faisant, la situation s’améliore. Mais la route est longue à parcourir pour une conscience aiguë et attentive. De plus, les conférenciers jargonnent et se rendent parfois incompréhensibles. Telle météorologue de Météo-France s’est encore fait « chahuter » pour cette raison-là.

On multiplie alors les instances au niveau central, de l’ONERC et de l’Institut du développement durable au RAC (Réseau action-climat, fédération d’associations), au MIES, à Météo-France, à l’as-sociation de maires de montagne, et on en passe. Mais chaque fois, la même question se pose (à l’exception sans doute de l’association des maires

de montagne) : comment porter la bonne parole au local ? Pourquoi ne pas suivre la suggestion d’un des entretiens : faire un résumé simple et accessible des rapports du GIEC et l’envoyer aux maires concernés ? Et comment faire remonter les inquiétudes du local vers le national ?

En clair, les canaux d’information qui font lien entre le central et le local, ne viennent pas prin-cipalement des instances administratives (qui font pourtant de gros efforts) mais des bulletins météo de la télévision et de la grande presse nationale.

Au niveau local, les personnalités interviewées furent :– au Sauze : un agriculteur, le directeur des remontées mécanique, le directeur de l’Office du tourisme, le directeur École de ski français, le maire adjoint, un hôtelier, le directeur des pistes, la Fédération de ski ;– à Pra-Loup : un hôtelier, le directeur de l’of-fice du tourisme, un couple de commerçants (vêtements de sport), un conseiller municipal, un professeur d’université habitant Uvernet-Four, le directeur des remontées mécaniques, deux conseillers municipaux, une secrétaire de mairie.

Pour cette série d’entretiens locaux, après avoir analysé séparément ceux réalisés au Sauze et ceux conduits à Pra-Loup, nous avons opéré des synthèses comparatives.

Conclusion des entretiens au niveau local et comparaison entre les deux stationsLes points évoqués dans les entretiens concernent les rubriques suivantes : le changement de climat ; le niveau d’information et ses sources ; la respon-sabilité du gaz à effet de serre ; l’idée de la nature ; la nécessité ou non d’une adaptation ; la mémoire du passé (est-elle utile ou non ?) ; la neige (mythes et réalité).

– Les ressemblances : sur le changement clima-tique, les réponses sont sensiblement équivalentes. C’est un mélange de « oui, il y a changement » tout de suite repris en « peut-être ». Une seule réponse a été « non, il n’y a pas de changement ». Nous

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avons noté que ces réponses à tendance néga-tive sont le fait de personnes exerçant la même profession : directeur des remontées mécaniques ou directeur de pistes.

Sur la responsabilité du gaz à effet de serre, la réponse, semblable est un « je ne sais pas ». Et sur la responsabilité des hommes à ce sujet, elle est aussi la même de part et d’autre « oui, sans doute ». Quant à savoir qui doit régler cette question et réduire les émissions de gaz, même réponse : c’est l’État.

Sur les informations, mêmes réponses aussi : on n’est pas assez informés et ce qu’on peut savoir vient en premier lieu de la télévision. Les médias ne sont pas fautifs, ils sont souvent bons, même si la météo se trompe le plus souvent.

Sur la nature, les opinions sont aussi les mêmes : c’est un cycle naturel qui conduit au réchauffe-ment. Car il est douteux que les hommes y soient pour quelque chose, et d’autre part ni Le Sauze ni Pra-Loup ne sont responsables, il faut arrêter de les accuser, allez voir plutôt les grosses industries.

Sur l’histoire des canons à neige, le fond commun des arguments pour la défense de la neige artifi-cielle est bien rodé.

Sur l’eau, la forêt, la végétation, les émissions nocives, tous les arguments sont en place. Notons seulement qu’à Pra-Loup le discours est beaucoup plus nuancé et que plusieurs voix s’élèvent contre la neige artificielle.

Sur l’adaptation, notons d’abord quelques points communs : dans tous les cas – sauf un à Pra-Loup –, et dans la plupart des cas au Sauze, on admet qu’il va falloir s’adapter au manque de neige. C’est dans les moyens et dans le rythme de l’adaptation que les opinions se séparent.

Sur les subventions, on observe des points communs également, sur lesquels on ne peut qu’être d’accord, par exemple leur réduction à plus ou moins brève échéance.

Sur la mémoire du passé, on repère là encore des points communs : si l’on pense au Sauze comme à

Pra-Loup qu’elle ne sert pas à grand-chose dans la configuration actuelle qui nécessite des techni-ques radicalement nouvelles, une grande différence existe cependant dans la manière dont la mémoire de l’origine est traitée et dans l’importance que revêt pour Le Sauze une certaine idée du passé.

Enfin sur la neige, son mythe, sa valeur, les discours des deux côtés ne sont pas très prolixes, avec peut-être une légère sensibilité à la poésie à Pra-Loup. L’engouement pour la neige, le début du mythe de la neige est situé à la même époque par les deux stations, mais avec plus de précisions historiques au Sauze.

– Les dissemblances : c’est sur l’adaptation, les subventions et la mémoire du passé que les diver-gences sont les plus fortes. Mais on peut consi-dérer ces trois thèmes comme un seul, car ils sont interdépendants. Pas d’adaptation sans une poli-tique pour les subventions, et pas d’adaptabilité sans un certain rapport à la mémoire du passé.L’adaptation est perçue au Sauze comme déjà faite, au moment de l’invention du tourisme et du ski dans les années 1934-1939. Ce qui reste à faire, c’est de préserver et développer cette initiative. Sous la pression des événements climatiques, mais aussi des conditions sociales (la RTT, les vacances plus courtes, la concurrence), il faudra sans doute diversifier les loisirs à offrir aux touristes, mais il n’y a rien d’urgent. Mais de toute façon, on gardera toujours le ski, les canons et la neige artificielle. L’adaptation se fera donc à la marge. Et pour l’avenir, on compte sur le contrat de pays et donc sur la communauté de communes pour le mettre sur papier et demander les subventions nécessaires. À Pra-Loup en revanche, le fait de devoir s’adapter est pris au sérieux. La diversification est étudiée de plus près, la montagne, les lacs et les torrents fournissent des points forts qui sont déjà mis en pratique et qu’il faudra réaménager plus largement ; le coût des sentiers de randonnées a été chiffré. On ne compte pas sur un plan, ni plan de pays, ni un quelconque autre plan et on sait qu’il faudra se débrouiller pour obtenir des aides. Pour cela on fait confiance au maire, à la commune, à Transmon-tagne, et on fabrique de bons dossiers. On ne met

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pas de côté les investisseurs et l’immobilier tient une grande place dans les calculs – aspect qui n’est même pas évoqué au Sauze. C’est une attitude combative, active. L’idée de devoir partir s’installer ailleurs n’est pas non plus dédaignée, ce qui prouve une mobilité assez grande et une souplesse de pensée. En effet plutôt que de voir des concurrents dans les pays de l’Est, on les conçoit comme des nouveaux terrains à explorer (et exploiter).Les subventions, qui sont la condition même de l’adaptation projetée, sont vues au passé à Pra-Loup, mieux informé sur les restrictions à venir, tandis qu’elles sont toujours vues au futur au Sauze. Pra-Loup se trouve donc forcé à agir tandis que Le Sauze attend la manne qui devrait venir de la colla-boration avec les autres petites communes.La mémoire du passé est extrêmement différente dans les deux villages et cette différence explique pour une grande part l'écart d’adaptabilité que nous avons cru percevoir entre les deux stations.L’histoire du Sauze, son invention par un de ses habitants, ses débuts, et sa transformation moderne, sont l’objet d’une quasi-vénération au Sauze même. Brochures, dépliants, journaux célé-brant la naissance du Sauze nous ont été géné-reusement distribués. La mémoire de ce passé « historique » est très présente. Il y a là comme un bloc sans faille qui assure l’identité des habitants, de leur famille, de leur terrain. Monolithique, ce bloc n’admet pas de discussions ni de variantes.Rien de semblable à Pra-Loup, entreprise privée en difficulté, sauvée ensuite par le conseil général et donc sans père fondateur attitré. La station semble avoir été le résultat d’une entente entre différentes sources d’investissement, le départe-ment et la région et elle tient son existence de la rencontre d’événements comme un certain engouement pour le ski, l ‘avancée du social, et... de bons maires. On parle peu de l’origine, à Pra-Loup et beaucoup de l’avenir.La différence entre Le Sauze et Pra-Loup à ce sujet se manifeste ouvertement dans les « plaquettes » que l’office du tourisme offre aux visiteurs. Plaquettes au sujet desquelles il y a eu conflit à la communauté des communes comme nous l’avons

souligné plus haut. Pra-Loup a fait soi-même sa propre maquette qui relate, sans recours aux anecdotes historiques, les conditions tarifaires, le nombre de lits, les commerces et ce qu’on peut trouver dans le coin, alors que Le Sauze publie des photos prises en 1934 et l’état de la station « avant et après » les transformations. Les soixante-dix ans de la station ont fait aussi l’objet d’une brochure commémorative, autour du père fonda-teur, biographie et photographie comprises.

Comparaison des rationalités du centre et des rationalités du local

– Le changement de climat : Au niveau local, la réponse est « Oui, il y a des changements » mais « au fond on ne sait pas » parce qu’auparavant il y a eu aussi des périodes de réchauffement clima-tique suivies de refroidissements prolongés. Au niveau central, en revanche l’hypothèse de base, unanime, est bien qu’il y a changement de climat.

– L’information : le centre dénonce le catastro-phisme des médias et croit dans le discours des savants. Au local, on est un peu sceptique quant aux médias, mais globalement on y croit. On écoute et regarde la météo à la télévision. Ce à quoi on ne croie pas, c’est au discours des savants et des météorologues.

– La nature : le discours du local sur la nature est très spécifique. Quand la nature se détraque, le local la répare et il fait même mieux qu’elle. Il y a bien de la pollution, mais c’est dans les grandes villes avec de grandes industries (à Fos-sur-Mer par exemple), mais pas à la montagne. Ce n’est pas aux « locaux » de la montagne de diminuer une pollution inexistante, c’est aux grandes villes, aux grandes industries de le faire, en somme c’est à l’État d’agir. Sur le lien pollution/changement climatique, on ne sait rien au local. Chacun de ces points est différent au centre : soit qu’il ignore les efforts locaux pour remédier aux difficultés de la nature, soit qu’il les condamne (canons à neige).

– L’adaptation : l’adaptation, au local, passe par le canon à neige, qui restitue l’eau qu’il emprunte un

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moment et ne pollue pas. Au contraire, au centre, le canon à neige est honni unanimement. Au local comme au central, on « parle » de diversification mais au niveau local, c’est une position timide, pour ne pas dire diplomatique face à un interlo-cuteur venu des grandes villes, alors qu’au centre on y croit d’autant plus vigoureusement que cette croyance reste abstraite, sans propositions précises. En revanche, au centre, on est plus précis sur les sanctions : les subventions seront progres-sivement supprimées tandis que les banques prêteuses feront moins confiance aux entrepre-neurs locaux. Face à cette répression financière, le local ne peut exercer que des pressions politiques, mais que valent-elles ?

– La neige : si le centre et le local sont d’accord pour fixer l’engouement pour la neige entre 1960 et 1970, le local est plus riche que le centre sur l’imaginaire de la neige. Le centre n’en parle pas, mais le local est prolixe et insistant. Calme, suspens qui précède immédiatement la tombée de la neige, silence qui enveloppe le tout, paix, liberté et danger des sports de la neige. Indiffé-rence du centre, richesse ici du local.

– Différences régnant sur les rapports local-centre et centre-local : dans le rapport local-centre, le local estime que l’État et l’Europe devraient tout faire, mais qu’ils se retirent. La région est très présente (c’est par elle que tran-sitent les dossiers). Le département aussi. Mais ils sont pauvres. Il faut alors se contenter de la région plus lointaine. Les locaux se disent isolés car ils sont loin de tout géographiquement, mais surtout parce qu’ils représentent trop peu d’électeurs pour faire pression. Dans le rapport centre-local, il faut souligner que le centre ne parle jamais du local, sauf de manière lointaine et abstraite. Le local est pour le centre simple objet de péda-gogie ; pédagogie descendante et parfois dogma-tique du centre prenant appui sur la science, vers le local et ses résistances qui ne sont pas toujours conservatrices de l’existant puisqu’elles reposent sur des situations complexes que ne perçoit pas toujours le centre.

Clefs conceptuelles pour une politique de l’adaptation

Nous avons fait porté l’analyse sur deux points : le rapport au temps et à la mémoire d’une part, la structure d’une logique de l’adaptation accueillant l’imaginaire, d’autre part.

Les mémoiresNous avons été très surpris par la conclusion de nos recherches. En effet, nous nous atten-dions à trouver une mémoire qui donnerait la clé des comportements, un réservoir de valeurs, de mythes aussi où puise une société pour faire face aux conditions de vie, pour se développer et s’exprimer. Or sur le terrain de notre enquête, la mémoire se manifeste plutôt comme un obstacle à l’adaptation.Une mémoire constituée, révérée, quasi sanc-tifiée est de celle qui fige un groupe dans des rites sinon dans des rituels. Ce type de mémoire se constitue généralement autour d’une origine prestigieuse, effaçant du même coup ce qui était là avant la fondation. Ce n’est donc pas une mémoire entière, mais une mémoire tronquée qui se présente comme toute la mémoire, celle qui tient lieu d’identité. C’est ce type de mémoire qui semble régir la micro-société du Sauze, lui donnant un aspect à la fois archaïque et féodal.

Logique de l’adaptationEn revanche, une mémoire plurielle accepte la diversité, voire un certain taux d’irrationnel, comme une des façons de penser le monde et non seulement de le penser mais d’y agir. La multirationalité est bien la logique commune de notre univers contemporain où une rationalité rigide, unidimensionnelle, a peu de chances de survivre. Dans un monde où les supports appar-tiennent au multimédia et deviennent de plus en plus complexes, où les rationalités politiques diffé-rentes se croisent et cherchent des points d’inter-section, des interfaces appartenant à au moins

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deux systèmes de lecture 1, dans un monde où les systèmes eux-mêmes ne se soutiennent que par la gestion des contradictions qu’ils engendrent, avec un équilibre toujours remis en question, la monorationalité fait office d’antiquité. Mais elle est surtout parfaitement inefficace pour suivre le train du monde et s’avère particulièrement résis-tante à l’adaptation.Or multi et monorationalités semblent bien être les deux logiques qui opposent Le Sauze et Pra-loup et, de même que les contradictions et les conflits internes à un système sont aussi ses moteurs d’évolution, l’univocité, la rigidité d’une rationalité unique tend la plupart du temps à l’entropie. Ainsi ferions-nous volontiers du marqueur « multiratio-nalité » une condition de l’adaptabilité 2.

Imaginaire de l’adaptationAu-delà d’une mémoire commémorative qui verrouille ou d’une mémoire vive qui permet le projet, comment qualifier l’imaginaire du change-ment ? Au-delà d’une multirationalité qui permet d’envisager plusieurs issues simultanément, de quoi se nourrit l’imagerie de l’adaptation ?Ici encore nous avons trouvé des éléments auxquels nous ne nous attendions pas : l’adaptabilité dépend paradoxalement de facteurs qui peuvent être consi-dérés comme négatifs : la fragilité, l’impuissance, l’incomplétude. Ces propriétés ne sont pas néga-tives, elles donnent possibilité de modeler les comportements suivant la situation. C’est une possibilité que n’ont pas des individus trop bien

1. Cf. la notion de « surcode », définie par Lucien Sfez dans Critique de la décision, Presses de Sciences Po, 4e édition, 1992. Le « surcode » n’est pas un code, mais un lieu de frottement des différents codes entre eux. Là où la commu-nication entre sous – systèmes est brouillée et tordue par ces frottements. Ce frottement emporte des latéralisations des messages initiaux venus d’un seul code et donc des innova-tions et transformations. Le « surcode » est le lieu où il y a un taux maximum de multirationalité.2. Ce concept de multirationalité est au centre de Critique de la Décision, op. cit.. Dégagé depuis 1973 dans l’affaire Rangueil-Lespinet (fruit d’un contrat de recherche avec la DATAR) et dont le récit a été publié par les Annales en 1976. (Article de Lucien Sfez, Anne Cauquelin et Jean-François Bailleux), ce concept a été illustré et vérifié dans un grand nombre d’affaires depuis cette époque.

insérés dans un milieu déterminé. Souplesse contre raideur. Critique contre dogmatisme.L’adaptation demande non seulement une atti-tude critique envers l’existant (on critique la situa-tion sinon le régime ou des acteurs déterminés) mais aussi une situation critique (au sens de crise). C’est l’alliance des deux qui rend un individu « préadaptable ».Ce qui revient à dire qu’il ne s’agit pas de volonté ou de décision au sens classique, avec les trois étapes bien enchaînées de la délibération (on évalue) du choix (on opère une sélection) et de l’exécution, comme si tout se passait en terrain parfaitement neutre, égal en toutes ses parties et sans aucune pression de l’extérieur. Non, il s’agit, en réalité, de réactions entrecroisées entre l’environnement (dangereux, alarmant ou simplement incertain) et la souplesse de l’individu qui s’y trouve confronté.Cette souplesse se traduit par la faculté de saisir l’occasion. Autrement dit de faire les choses qu’il faut, quand il faut, au bon moment.Les anciens représentaient le temps comme un jeune homme tenant une balance à la main, car le temps se pèse et hésite, équilibre fragile entre le temps à saisir et celui où la chance est déjà passée. Autre figure du temps : les enfants jouant aux dés. Deux figures d’êtres inachevés, l’adolescent et l’enfant. Tous deux fragiles, tous deux perfectibles. Tous deux « adaptables ». Tous deux « en suspens », l’un avec sa balance au bout des doigts, l’autre au moment où il jette les dés et avant qu’ils ne retombent.À travers cette iconographie, 3 nous pouvons inférer quelle est la nature imaginaire de l’adaptation, c’est celle qui permet de projeter devant soi une image des temps à venir sans être retenu par la mémoire de ce qui a été et en acceptant de rester en suspen-sion, dans une attention à l’événement favorable ; état que l’on peut qualifier de « veille » 4.

3. Une autre image est celle que nous offre Héraclite dans le fragment 52 (traduction Bollack et Wismann, éditions de Minuit, 1972. « La vie est un enfant qui enfante, qui joue. À l’enfant d’être roi. »4. De la même manière que l’on parle souvent de « veille technologique ».

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Bibliographie

Ouvrages générauxACOT P., 2005, Tempêtes sur la planète, éditions PUF, à paraître.

ACOT P. 2003, Histoire du climat, éditions Perrin.

ACOT P. 1988, Histoire de l’écologie, éditions PUF.

ALBOUY F.-X. 2002, Le temps de catastrophes, éditions Descartes et Cie.

BOIA L. 2004, L’homme face au climat, éditions Les belles lettres.

BOYER M. et alii 2001, L’environnement, question sociale, éditions Odile Jacob.

BROMWELL A. 1989, Ecology in the XXth Century, Yale University Press.

CHETOUANI L. 2002, Les figures de la polémique, éditions L’Harmattan.

DÉLÉAGE J.-P. 1991, Histoire de l’écologie, une science de l’homme et de la nature, éditions La Découverte.

GODARD A., TABEAUD M. 2004, Les climats : mécanismes, variabilité et répartitions, éditions Armand Colin.

HOLDEN B. 2002, Democracy and global warning, éditions Continuum.

JANCOVICI J.-M. 2002, L’avenir climatique, éditions du Seuil.

LAPOUGE G. 1990, Utopies et civilisations, éditions Albin Michel.

LOVELOCK J. 1990, Les âges de Gaia, éditions Laffont.

LA SOUDIÈRE (de) M. 1987, L’hiver, éditions de La Manufacture.

LA SOUDIÈRE (de) M. 1999, Au bonheur des saisons, éditions Grasset.

LE POULICHET S. 1991, Environnement et catastrophes, éditions Mentha.

LE TREUT H. et alii 2004, Science du changement climatique : acquis et controverses, éditions Claire Weil.

MAC FARLANE R. 2004, L’esprit de la montagne, éditions Plon.

Documents, rapports et articlesCOURRIER DE LA PLANÈTE 2001, « changements climatiques : les politiques dans la tourmente ».

COLLOQUE DE CHAMONIX 2000, « Les changements climatiques et leurs incidences sur le milieu montagnard », MIES.

EPSTEIN J. 1994, Attitude et opinions individuelles face aux changements climatiques : enquête comparative dans le Gard et au Québec, Ircom.

SERVICE D’ÉTUDE ET D’AMÉNAGEMENT TOURISTIQUE DE LA MONTAGNE 2004, Les chiffres clés du tourisme de montagne en France, 4e édition.

GIEC (GROUPE D’EXPERTS INTERGOUVERNEMENTAL SUR L’ÉVOLUTION DU CLIMAT) 2001, Bilan 2001 des changements climatiques : conséquences, adaptation et vulnérabilité, GIEC.

GIEC 1995, Deuxième rapport d’évaluation du GIEC : changements climatiques, GIEC.

RCB Conseils 2003, Les représentations sociales de l’effet de serre, quatrième vague d’enquête.

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RésuméCette étude, réalisée par Lucien Sfez et Anne Cauquelin dans le premier semestre 2005, répond à une demande de l’ADEME (Agence gouvernementale de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) concernant l’adaptation au changement climatique dans les régions les plus particulièrement touchées par ce changement. La région choisie se situe dans les Alpes du Sud et la recherche a porté sur les stations de skis que le changement de climat met en position critique. L’enquête repose sur une tren-taine d’interviews très ciblées et détaillées. Elle permet d’analyser les variations de représentations des populations et des acteurs économiques face au réchauffement. Il en résulte qu’en fonction d’un certain rapport au passé et à la mémoire collective, les groupes sociaux apparaissent plus ou moins adaptables aux changements prévisibles.

MotsclésReprésentations, comportements, changement climatique, tourisme.

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À lire

ARTHUIS J., La globalisation de l’économie et les délocalisations d’activité et d’emplois, rapport d’information, n° 416, juin 2005, Sénat, 102 p. plus 217 p. annexes.

Ce rapport d’information, réalisé au nom de la commission des finances du Sénat, établit que 202 000 emplois devraient être délocalisés, s’agissant du seul secteur des services, entre 2006 et 2010. Il montre le risque d’une planète organisée entre une Chine « usine du monde », une Inde « laboratoire du monde », voire un Brésil « ferme du monde »... et une Europe – ou une France – se consacrant à la mise en rayons, dans ses supermarchés, de produits fabriqués par d’autres. Il s’agit dès lors de rendre compatible un modèle français, qui dévie vers le « moins cher – moins d’emploi », avec une économie vivant désormais à l’heure mondiale. Taxer les produits, et non plus la production, réformer le Code du travail, promouvoir la sincérité dans les relations commerciales, autant de défis à relever pour que les délocalisations ne constituent pas une fatalité.

BAUDRY M., DUMONT B., « R & D publique, R & D privée et efficacité du processus d’innovation : quelles pers-pectives ? », Les Cahiers du Plan, n° 10, août 2005, 51 p., bibliographie.

Si l’objectif ambitieux que s’est donné l’Union européenne au sommet de Lisbonne de mars 2000 de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique » d’ici l’an 2010 peut désormais sembler inaccessible, tout du moins à l’horizon initialement fixé, la question de la R & D n’en demeure pas moins l’un des enjeux majeurs pour un pays comme le nôtre, face à l’évolution de la concurrence internationale. À cet égard, la question posée n’est pas seulement celle de l’ampleur globale de l’effort de R & D mais aussi celle de sa répartition entre le secteur public et le secteur privé.

Cette étude montre qu’à montant donné de dépense, l’effort total de R & D est dans l’ensemble aussi productif dans l’Union européenne – et notamment en France – qu’aux États-Unis, à en juger par le nombre de brevets sur lequel il débouche. Elle confirme en outre que la France gagnerait à rééquilibrer son effort global de R & D en direction du secteur privé.

Elle plaide enfin pour que davantage d’enseignements soient tirés des facteurs institutionnels, culturels ou organisationnels qui font la force des pays les plus en pointe pour l’innovation, en particulier en Europe du Nord.

BOISSON J.-P., La maîtrise foncière : clé du développement rural, Journal officiel, avis et rapports du Conseil économique et social, n° 5, 2005, 204 p.

L’espace agricole et forestier est encore trop souvent considéré comme une réserve foncière au profit de l’urbanisation, des infrastructures et des autres activités économiques. Tous les dix ans, c’est l’équivalent d’un département de taille moyenne qui est soustrait à l’agriculture. Le Conseil économique et social considère, dans une perspective de développement durable, qu’une maîtrise foncière fondée sur une approche plus cohérente, au niveau régional, des droits d’utilisation du sol, stable dans la durée, est nécessaire pour concilier les divers usages du sol.

BONREPAUX A., GISCARD D’ESTAING L., Rapport sur l’exécution des contrats de plan État-régions et la program-mation des fonds structurels européens, rapport d’information, n° 2421, juin 2005, Assemblée nationale, 126 p.

Les contrats de plan État-régions et les fonds structurels européens : des leviers essentiels pour l’investissement public dans les régions/une exécution retardée/l’exécution des contrats de plan État-régions au niveau local/un retard provoqué par des causes structurelles et conjoncturelles/la consommation des fonds structurels européens/vers une nécessaire réforme des contrats de plan État-régions.

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BRUNET R., Le développement des territoires. Formes, lois, aménagement, Paris, éditions de l’Aube, 2005, 95 p. (« Intervention »).

Roger Brunet nous montre dans cet ouvrage qu’à travers le monde et malgré la diversité des cultures, les rapports des sociétés à leur territoire dessinent leurs besoins élémentaires, leurs modes de pensée, leurs motivations et principes d’actions. Les figures spatiales qui en résultent ont du sens, elles nous disent quelque chose du processus en jeu, des dynamiques à l’œuvre, des stratégies des acteurs, des tendances, des évolutions et de la société qui les produit. Ce livre révèle, à travers les figures connues du maillage, de l’arborescence, des passages et des barrières, les grandes lois de l’organisation des espaces géographiques : division spatiale du travail, mise en réseau, attraction, cantonnement...

CADIOU S., MAUBERT C., « Au centre des forces locales. Éléments et enjeux d’une réflexion prospective », Les Cahiers du Plan, n° 7, juin 2005, 95 p.

Ce cahier se présente comme un outil d’accompagnement de la réflexion prospective initiée par le groupe Racines sur les rapports entre l’État et les pouvoirs locaux. Appuyé sur une démarche progressive d’analyse des différents échelons locaux – les villes, les départements, les régions –, il repère les enjeux territoriaux d’avenir par un croisement de données socio-économiques, culturelles, juridiques et politiques et par une inscription dans des perspectives d’ensemble.

CARAYON B., Politique industrielle : les outils d’une nouvelle stratégie, rapport d’information, n° 2299, mai 2005, Assemblée nationale, 100 p.

Depuis dix-huit mois, l’idée d’une politique industrielle volontariste n’est plus taboue. L’expression de « politique industrielle » est à nouveau employée dans le discours politique. L’enchaînement des délocalisations et l’interrogation sur la perte de substance industrielle de la France ont suscité un regain d’intérêt collectif. Une mauvaise appréciation du périmètre industriel, ainsi qu’une approche européenne dogmatique de l’économie, ont jusqu’ici empêché toute anticipation et servi d’alibis à l’inaction. Aujourd’hui, sans initiative française, la nouvelle donne économique mondiale et les défis énergétiques et démographiques condamneront l’Union européenne à un sous-développement durable. Il est urgent d’agir, d’autant que nos grands concurrents, États-Unis, Japon ou Chine, mènent une politique industrielle active. La prise de conscience de la nécessité d’une véritable politique industrielle est aujourd’hui réelle, ainsi que l’attestent la création de l’Agence de l’innovation industrielle et celle des pôles de compétitivité. Reste à adopter une véritable stratégie et à mettre en cohérence les structures et les outils juridiques, financiers et fiscaux de la politique industrielle.

CHAPUIS J.-Y., CHALAS Y., ASCHER F., LEVY J. et al., Villes en évolution, Paris, La Documentation française, 2005, 187 p., bibliographie (« Villes et société »).

La ville s’étend, la ville triomphe, la ville évolue ; mais de quelle ville s’agit-il ? En publiant les synthèses des conférences-débats, organisées en 2002, 2003, 2004 autour de cette question par la délégation aux formes urbaines de Rennes métropole, l’Institut des villes souhaite partager une réflexion pour contribuer à créer de la culture urbaine et architecturale entre les élus et les services des communes et des agglomérations. La diversité des intervenants, experts, chercheurs et praticiens, permet de donner une analyse approfondie et diversifiée de la ville de demain qui s’invente aujourd’hui.

COMMISSARIAT GÉNÉRAL DU PLAN, GROUPE DE TRAVAIL MANON, Horizons 2020 : conflits d’usage dans les territoires, quel nouveau rôle pour l’État ? Paris, CGP, 31 mars 2005, 194 p.

Oppositions aux aménagements routiers, ferroviaires ou aéroportuaires, réactions à la pollution des eaux et de l’air par les activités de production ou d’élimination des déchets, antagonismes liés aux projets de protection, rivalités entre adeptes des activités de loisirs : les sources de conflits d’usage sont nombreuses dans les espaces ruraux et périurbains. Leur généralisation peut freiner l’activité économique mais aussi la préservation des ressources des espaces ruraux. Ces conflits, dans lesquels l’État apparaît à la fois comme arbitre et comme acteur mis en cause pour des opérations d’aménagement ou de protection sous sa responsabilité, posent la

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question de fond des formes de participation démocratique utilisées pour régler la concurrence entre usages. Le groupe de travail prend position en définissant de façon précise la notion de concertation, souligne son importance mais récuse, de manière argumentée, l’idée de codécision. Il montre qu’à l’horizon de quinze ans, plusieurs modes dominants de résolutions des conflits peuvent s’imposer et analyse leurs possibles conséquences positives comme négatives.

DELBO R., La décentralisation depuis 1945, Paris, Dexia éditions, LGDJ, 2005, 118 p., (« Politiques Locales »)De l’après-guerre jusque dans les années 1970, la décentralisation fut d’abord une grande idée portée par les débats sur l’aménagement du territoire et le renouveau régional. À partir des années 1980, la décentralisation est un véritable projet politique qui va bouleverser progressivement l’organisation institutionnelle de la République.

Cet ouvrage, construit autour de vingt-cinq dates clés, apporte un éclairage précis sur les différentes étapes qui ont marqué l’histoire de la décentralisation ces soixante dernières années.

DUFAU J.-P., BLESSIG E., Rapport d’information sur les instruments de la politique de développement durable, rapport d’information, n° 2248, avril 2005, Assemblée nationale, 157 p.

Le développement durable s’impose avec force dans la vie politique d’aujourd’hui. Quelles en sont les références ? Comment le faire entrer dans les politiques publiques, européennes, nationales, locales ? Comment mesurer l’efficacité des actions entreprises dans ce domaine ? Ce rapport d’information s’est attaché à cerner ces questions. Après une analyse de l’historique du concept de développement durable, et une description des stratégies et des politiques menées par la France dans ce domaine, il formule quatorze propositions pour des instruments de mesure et d’action, une meilleure prise en compte du développement durable dans le débat public et son intégration dans le débat parlementaire.

DUMONT G.-F., LECLERC P., LYAZID M., GWIAZDZINSKI L., « Vieillissement et territoire », Population et Avenir, n° hors-série n° 674 bis, septembre 2005, 23 p., cartes.

Ce document riche en cartes procède à un diagnostic du vieillissement général de la population en étudiant les disparités géographiques et les facteurs de ces disparités, les tendances et les perspectives du vieillissement, les paradoxes de la gérontocroissance projetée, les effets de vieillissement des migrations. Il propose des actions innovantes en matière de politique territoriale du vieillissement et d’offre de services pour le maintien à domicile des personnes âgées.

DUPUCH S., MOUHOUD E.M., LAZZERI Y., MICHALET C.-A., JAYET H., « La localisation des activités et les stra-tégies de l’État : contributions au débat », Les Cahiers du Plan, n° 5, mai 2005, 58 p.

Intégration, élargissement et divergences structurelles en Europe : quel avenir pour les régions périphériques ?/vulnérabilité des zones d’emploi au commerce international/délocalisations : une nouvelle grande menace industrielle ?/évolutions sectorielles et évolutions géographiques.

FRÉMONT A., Aimez-vous la géographie ? Paris, Flammarion, 2005, 358 p.La géographie est méconnue, mal aimée souvent. Armand Frémont écrit un livre très personnel et nous montre comment la géographie, des premières expéditions aux terres lointaines jusqu’à l’aménagement de la région parisienne, s’est enrichie de mille concepts et outils nouveaux. Sensible comme un art, rigoureuse comme une science, elle explore aujourd’hui l’environnement, les entreprises, la santé, les inégalités raciales et sociales...

FRÉMONT A., Géographie et action, l’aménagement du territoire, Paris, éditions Arguments, 2005, 218 p.L’aménagement du territoire, apparu sous la Quatrième République et consacré par la création de la DATAR en 1963, a offert à beaucoup d’universitaires, et particulièrement à des géographes, des possibilités d’action en dehors du champ académique tout en valorisant celui-ci. Armand Frémont a eu l’opportunité de combiner géographie et action publique comme professeur de géographie à l’université puis dans différentes fonctions de caractère administratif et politique. Cet ouvrage est un recueil de textes qui jalonnent ce parcours dont le terrain principal est la Normandie.

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GAUDIN T., La prospective, Paris, PUF, 2005, 126 p. (« Que sais-je ? » n° 3737)Depuis toujours, l’espèce humaine cherche à appréhender son avenir. Cet ouvrage propose une histoire de la prospective, depuis la divination pratiquée sous l’Antiquité jusqu’à nos jours où elle prend une allure scientifique. Il présente également les outils les plus actuels de la prospective : modélisations démographiques, économiques, écologiques, techniques d’animation... et prend spécialement en considération l’ethnotechnologie (étude des interactions technologie-société), car le passage de la civilisation industrielle à la civilisation cognitive bouleverse les métiers et les pratiques sociales.

GIBLIN B. (dir.), Nouvelle géopolitique des régions françaises, Paris, Fayard, 2005, 976 p.En deux décennies, la France a considérablement changé et ce sont ces changements que les auteurs ont analysés selon une approche géopolitique.

Sur le plan de l’organisation politique et administrative, la mise en place de la régionalisation a profondément fait évoluer les rapports de pouvoirs entre les différentes collectivités territoriales, communes et départements. L’accroissement des compétences octroyées à chaque niveau de pouvoir a entraîné celui de la responsabilité des élus et aussi parfois leurs rivalités. Les lois de décentralisation n’ont en aucune façon affaibli les pouvoirs des communes et des départements au profit des régions, bien au contraire.

À cela, il faut ajouter de nouveaux territoires de gestion que sont les intercommunalités et qui sont loin de n’être que des territoires où se règlent des questions techniques (logements, déchets…), ce sont avant tout aussi des lieux de pouvoirs.

GRALE, « Le financement des politiques locales », in : Annuaire 2005 des collectivités locales, Paris, CNRS éditions, 2005, 639 p.

Avec la nouvelle réforme de la décentralisation, on parle beaucoup des finances locales : l’État compense-t-il vraiment les transferts de compétences ? Qui est responsable de la hausse de la fiscalité ? Mais on parle beaucoup moins du financement des politiques locales. Au-delà des problèmes budgétaires généraux, les collectivités territoriales définissent en effet des politiques et recherchent les moyens nécessaires à leur mise en œuvre. Chaque politique sectorielle révèle alors des spécificités de financement qui condamnent l’idée d’uniformité et de globalisation. Les moyens budgétaires ne sont plus seuls en cause ; au contraire, on cherche à mobiliser des ressources extérieures par des formes variées de partenariat, dans le secteur public ou avec le secteur privé, marchand ou non marchand. Il en résulte des procédures particulières, des contraintes différentes et des coopérations à géométrie variable. Chaque politique publique locale se révèle alors pour ce qu’elle est : un champ de forces et un système d’action, dans lequel le financement est une ressource décisive dont dépend, bien souvent, l’ampleur ou le succès de la politique entreprise.

GREFFE X., La décentralisation, nouvelle édition, Paris, La Découverte, 2005, 122 p. (« Repères »)Cet ouvrage présente le dossier de la décentralisation et l’agenda des réformes en cours, en montrant la tentative d’échapper à une culture de la centralisation qui continue de marquer les milieux politiques et administratifs et en comparant l’expérience de la France avec celle des autres pays européens.

GUILLAUME R. et al., Globalisation, systèmes productifs et dynamiques territoriales. Regards croisés au Québec et dans le Sud-Ouest français, Paris, L’Harmattan, 2005, 327 p., bibliogr. (« Géographies en liberté »).

Cet ouvrage vise à éclairer, à partir de l’analyse de cas concrets au Québec et dans le Sud-Ouest français, l’impact territorial de mutations économiques qui s’expriment dans un contexte concurrentiel exacerbé et (ré)activent un jeu d’acteurs locaux dont l’ambition est double. Il s’agit, dans le cadre d’une action publique rénovée, de renforcer la dimension relationnelle interne à ces configurations territoriales et de susciter une meilleure connectivité avec des réseaux productifs qui se déploient à l’échelle planétaire.

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À l i re

LACASSE F., VERRIER P.-E. et al., 30 ans de réforme de l’État. Expériences françaises et étrangères : stratégies et bilans, Paris, Dunod, 2005, 246 p., bibliogr. (« Management public »)

Réformer l’État est sans doute la chose la plus difficile qui soit, tant notre conception de la sphère publique est ambivalente : les usagers veulent moins d’impôts mais plus de prestations, les syndicats défendent le service public en bloquant parfois son fonctionnement, les haut-fonctionnaires attendent leur retraite pour suggérer les réformes nécessaires et les responsables politiques s’autorisent toutes les audaces… quand ils sont dans l’opposition. Passer des projets de réforme à leur mise en œuvre n’est pas facile et pourtant les choses bougent sous la pression des contraintes budgétaires et des évolutions de l’environnement. En France et à l’étranger, les trente dernières années ont été marquées par des changements notables dans l’organisation et le fonctionnement de l’État.

C’est le bilan de ces réformes que retrace cet ouvrage, issu du colloque international de la revue Politiques et Management Public organisé en novembre 2003 à Strasbourg.

LACOUR C. DELAMARRE A. THOIN M., 40 ans d’aménagement du territoire, 2e édition actualisée, Paris, La Documentation française, DATAR, 2005, 153 p.

Créée en 1963 par le général de Gaulle, la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale fête aujourd’hui ses quarante ans. Une occasion de retracer les grandes étapes de la politique d’aménagement du territoire. Des métropoles d’équilibre aux reconversions industrielles, des aides en faveur des zones rurales aux aménagements touristiques, d’un acteur prépondérant – l’État – à la montée en puissance des collectivités locales et de l’Europe, voici quelques repères clés de ce grand chantier qui a marqué la deuxième moitié du XXe siècle.

LEVET J.-L., « Localisation des entreprises et rôle de l’État : une contribution au débat », Les Cahiers du Plan, n° 2, avril 2005, 60 p.

L’étude qualitative menée par Jean-Louis Levet a pour but d’expliquer les raisons qui poussent de nombreuses entreprises industrielles françaises à demeurer sur le territoire national, à partir duquel elles essaient de croître et d’accéder à des marchés plus vastes. Ce rapport propose : une synthèse des opinions, analyses et représentations des personnes rencontrées, les enjeux auxquels sont confrontées ces entreprises, les relations qu’elles entretiennent avec les territoires et un ensemble de principes pour l’action publique et d’orientations susceptibles d’être mises en œuvre.

LONG M. et al., Égalité et services publics territoriaux, CNFPT, LGDJ/Dexia éditions. 2005. 211 p., bibliographie.Principe fédérateur de notre ordre juridique, le principe d’égalité semble devoir entrer directement en conflit avec celui de décentralisation. Pour autant, l’égalité telle qu’elle est définie aujourd’hui, n’est pas l’uniformité et, selon la terminologie retenue par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, le principe d’égalité implique simplement de ne pas traiter de façon différente des situations identiques, sauf pour des raisons liées à un intérêt général en rapport avec l’objet du service.

Dans ces conditions, se pose la question de savoir si le principe d’égalité, tel que le conçoivent les citoyens, n’est pas un mythe. L’objet de cet ouvrage sera de confronter ces deux grandes notions du droit public que sont le principe d’égalité et la notion de service public. Il permettra d’examiner si la territorialisation de ce dernier met en danger le principe d’égalité ou au contraire lui donne un nouveau souffle en l’adaptant aux réalités locales et en répondant au mieux aux besoins de différenciation des usagers.

MÉCHINEAU A., MARGERIT V., Des leviers financiers pour les politiques TIC des territoires. Approche euro-péenne, nationale et locale, Paris, La Documentation française, 2005. 192 p. (Collection « Cahiers du GERI » ; série « Tic et Territoires »).

Cet ouvrage fait suite à un premier livre du GERI consacré à un état des lieux de l’accès au haut débit dans les territoires.

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Avec celui-ci, le GERI propose aux lecteurs une synthèse de l’ensemble des leviers financiers disponibles pour leurs projets TIC pour permettre aux collectivités locales de tirer parti des opportunités financières dont elles peuvent bénéficier dans leur action.

L’enjeu est ainsi de contribuer au développement des nouvelles technologies dans tous les territoires, quelle que soit leur densité démographique ou leur dynamisme économique.

ROZET P.-J., Communes, intercommunalités, quels devenirs ?, Journal officiel, avis et rapports du Conseil économique et social, n° 11, 2005, 115 p.

Le développement rapide depuis dix ans de l’intercommunalité à fiscalité propre – communautés urbaines, communautés de communes, communautés d’agglomérations – conduit à poser de façon radicalement différente la question des politiques publiques au niveau local.

Persuadé de la nécessité d’achever la carte de France de ces communautés et d’améliorer la représentativité de ces structures, le Conseil économique et social propose des mesures propres à renforcer le couple communes/intercommunalités et à préserver l’originalité de la construction intercommunale française fondée sur le volontariat.

SAFFACHE P., Glossaire de l’aménagement et du développement local, Matoury : Ibis Rouge éditions, 2005, 205 p., bibliographie (« Documents pédagogiques – Géographie »).

Gestion du territoire, maîtrise de l’espace, développement local, sont autant d’expressions et de concepts que les médias emploient quotidiennement et qui reflètent une seule et même réalité : la nécessité de gérer correctement l’espace.

Ce glossaire volontairement simplifié est un outil à destination des étudiants et des décideurs; il présente en quelques lignes les notions les plus utiles.

VADELORGE L. (dir.), Éléments pour une histoire des villes nouvelles, actes du séminaire « Temporalités et représentations des villes nouvelles », programme d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles, Paris, éditions Le Manuscrit, 2005, 269 p.

VICENTE J., Les espaces de la net-économie. Clusters TIC et aménagement numérique des territoires, Paris, Économica, 2005, 148 p., bibliographie. Collection « Nouvelles technologies de l’information et de la communi-cation ».

Cet ouvrage propose une lecture des évolutions de la géographie économique autour de deux enjeux majeurs. D’une part le développement des « clusters TIC », à savoir l’émergence récente de nombre d’agglomérations d’entreprises dédiées aux technologies de l’information et de la communication.

D’autre part, l’aménagement numérique des territoires, à savoir le rôle des dynamiques concurrentielles et institutionnelles qui gouvernent le déploiement des infrastructures numériques.

Cette rubrique à été réalisée par Isabelle Poirat du service documentation de la DATAR.

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