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« Il n’y a pas inégalité, mais égalité véritable à traiter inégalement des choses inégales... » Aristote La société teinture et apprêt de Saint Quentin (TASQ) a été mise en redressement judiciaire le 05 janvier 2006 Un prêt autorisé par le juge commissaire, lui a été consenti par la banque Delubac et Cie, sous forme d'une facilité de caisse remboursable au 30 juin 2006 et garanti par une hypothèque sur un ensemble immobilier appartenant à la société Le 06 Octobre 2006, la banque DELUBAC et CIE au titre de poursuites individuelles a obtenu condamnation de la société et de son administrateur judiciaire avec exécution provisoire, au paiement de la somme de 553 868.05 €uros au titre du prêt accordé. Le juge commissaire par ordonnance du 12 octobre 2006 a autorisé l’administrateur judiciaire a cédé à la banque l’ensemble immobilier moyennant 650 000 euros payables comptant et à conclure avec cette dernière un crédit-bail sur une durée de 189 mois avec promesse de vente. La CGEA a formé un recours contre l’ordonnance du juge commissaire du 12 octobre 2006 au motif que sa créance superprivilégiée primait sur la créance hypothécaire de la banque et par conséquent la CGEA demandait la nullité des actes authentiques établis en exécution de cette ordonnance. Par jugement du 28 septembre 2008, le tribunal a débouté la CGEA de sa demande au motif que l’opposition était mal fondée. L’AGS et L’UNEDIC-CGEA d’Amiens ont formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Amiens du 05 mars 2009 qui confirmait le jugement du 28 septembre 2008 au moyen que si l’article 622-17 du code de commerce énonce que les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture au redressement judiciaire doivent être payées par privilège avant toutes les autres créances, assorties ou non de privilèges ou suretés, il réserve cependant le cas des créances superprivilégiées de salaire qui l’emporte sur toutes les autres, même postérieures au jugement d’ouverture. Les demanderesses estiment que la CA a violé l’article 622-17 du code de commerce en considérant que la créance de prêt de la banque envers la société avait pu être payée par voie de compensation avec le paiement du prix d'achat par la banque des biens immobiliers appartenant à celle-ci et ce, par préférence 1

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Page 1: TD 3 Creances Posterieures

« Il n’y a pas inégalité, mais égalité véritable à traiter inégalement des choses inégales... » Aristote

La société teinture et apprêt de Saint Quentin (TASQ) a été mise en redressement judiciaire le 05 janvier 2006Un prêt autorisé par le juge commissaire, lui a été consenti par la banque Delubac et Cie, sous forme d'une facilité de caisse remboursable au 30 juin 2006 et garanti par une hypothèque sur un ensemble immobilier appartenant à la société

Le 06 Octobre 2006, la banque DELUBAC et CIE au titre de poursuites individuelles a obtenu condamnation de la société et de son administrateur judiciaire avec exécution provisoire, au paiement de la somme de 553 868.05 €uros au titre du prêt accordé. Le juge commissaire par ordonnance du 12 octobre 2006 a autorisé l’administrateur judiciaire a cédé à la banque l’ensemble immobilier moyennant 650 000 euros payables comptant et à conclure avec cette dernière un crédit-bail sur une durée de 189 mois avec promesse de vente.La CGEA a formé un recours contre l’ordonnance du juge commissaire du 12 octobre 2006 au motif que sa créance superprivilégiée primait sur la créance hypothécaire de la banque et par conséquent la CGEA demandait la nullité des actes authentiques établis en exécution de cette ordonnance. Par jugement du 28 septembre 2008, le tribunal a débouté la CGEA de sa demande au motif que l’opposition était mal fondée.L’AGS et L’UNEDIC-CGEA d’Amiens ont formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Amiens du 05 mars 2009 qui confirmait le jugement du 28 septembre 2008 au moyen que si l’article 622-17 du code de commerce énonce que les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture au redressement judiciaire doivent être payées par privilège avant toutes les autres créances, assorties ou non de privilèges ou suretés, il réserve cependant le cas des créances superprivilégiées de salaire qui l’emporte sur toutes les autres, même postérieures au jugement d’ouverture. Les demanderesses estiment que la CA a violé l’article 622-17 du code de commerce en considérant que la créance de prêt de la banque envers la société avait pu être payée par voie de compensation avec le paiement du prix d'achat par la banque des biens immobiliers appartenant à celle-ci et ce, par préférence à la créance superprivilégiée de salaire de l'AGS – CGEA d'Amiens.

Un créancier qui a consenti un prêt bénéficiant du traitement de faveur prévu à l’article L622-17 du code du commerce peut-il lorsqu’il n’est pas payé à échéance, exercer son droit de poursuite individuelle et obtenir exécution de son titre exécutoire indépendamment de l’ordre dans lequel s’exercent le privilèges ?

La chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 7 septembre 2010 confirme l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens du 05 mars 2009 et rejette le pourvoi au motif que la banque, créancier postérieur privilégié, qui bénéficie du traitement préférentiel prévu à l’article L.622-17 du Code du commerce a le droit d’être payée à échéance, et peut dans l’exercice de son droit de poursuite individuelle, obtenir un titre exécutoire et faire exécuter ce titre indépendamment de l’ordre dans lequel s’exercent les privilèges.

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I. LE PRIVILEGE DE LA BANQUE, CREANCIER POSTERIEUR PRIVILEGIE BENEFICIANT D’UN TRAITEMENT DE FAVEUR PREVU PAR L’ARTICLE L.622-17 DU CODE DE COMMERCE.

A. L’ACCORD D’UN PRET A UNE SOCIETE DEBITRICE, POSTERIEUREMENT A L’OUVERTURE D’UN REDRESSEMENT JUDICIAIRE 

La société teinture et apprêt de Saint Quentin (TASQ) après avoir été mise en redressement judiciaire le 05 janvier 2006 a obtenu de la banque Delubac et Cie, un prêt sous forme d'une facilité de caisse remboursable au 30 juin 2006, garanti par une hypothèque sur un ensemble immobilier appartenant à la société et autorisé par le juge commissaire.Afin de favoriser le financement de la poursuite de l’exploitation et d’inciter les créanciers à faire crédit aux entreprises en difficultés pendant la période d’observation dans l’attente d’une mise en place d’un plan de sauvegarde ou de liquidation judiciaire, l'article 40 de la loi  du 25 janvier 1985 avait prévu que les créances nées postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure seraient payées à leur échéance, et qu’ à défaut de leur paiement elles seraient prioritaires à l'ensemble des créances antérieures, y compris les créances garanties par des sûretés (sous réserve des créances superprivilégiées et des frais de justice). Les créanciers antérieurs, étant soumis au régime de l’article L622-7 qui dans son premier alinéa dispose que «  Le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture […] ».par conséquent le gel de leur créance. La réforme du 10 juin 1994 a rétabli, et ce uniquement dans la procédure de liquidation judiciaire, le rang de certains créanciers antérieurs titulaires de sûretés, notamment celui du créancier hypothécaire afin de restaurer le crédit antérieur. L’article 40 est alors devenu l'article L. 621-32 du code de commerceLa loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 l'a ensuite morcelé en deux dispositions distinctes, bien que jumelles, d'une part l'article L. 622-17 du code de commerce applicable dans les procédures de sauvegarde et, d'autre part l'article L. 641-13 applicable dans la liquidation judiciaire. L'application du traitement de faveur prévu par ces 2 dispositions suppose la réunion de 3 conditions: ces créances doivent nées régulièrement, après le jugement d’ouverture et être utiles, ce qui était en l’espèce le cas puisque le prêt a été accordé par le juge commissaire (régulière) après la date de l’ouverture du redressement judiciaire (postérieure) et était utile au redressement de l’entreprise. Ainsi en accordant un prêt assorti de surcroit d’une hypothèque sur une bien immobilier de la société débitrice, la banque Delubac et Cie bénéficiait du statut favorable prévu par l’article L622-17 I, minimisant ainsi sa prise de risque, tout en donnant une chance à la société TASQ de se redresser.

B. L’EXERCICE DU DROIT DE POURSUITE INDIVIDUELLE DE LA BANQUE SUITE AU NON-PAIEMENT DE LA CREANCE A ECHEANCE

En l’espèce après avoir constaté que la Société TASQ ne remboursait plus ses mensualités à échéance, la banque a exercé son droit de poursuite individuelle afin de recouvrir sa créance et que soient exécutées les mesures conservatoires (hypothèque) dont été assorti le prêt.La cour d’appel d’Amiens le 5 mars 2009 confirmant le jugement rendu en première instance par le tribunal du commerce estime que « ne sont pas soumis à la règle de l’arrêt des

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poursuites individuelles et peuvent obtenir un titre exécutoire au moyen notamment d’une action au fond, ainsi du jugement assorti de l’exécution provisoire rendu le 6 octobre 2006 par le tribunal de commerce »La Cour d’appel se fonde ainsi sur l’article L622-17 qui dispose que « I. Les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance », «II. Lorsqu'elles ne sont pas payées à l'échéance, ces créances sont payées par privilège avant toutes les autres créances […] » La règle du paiement à échéance renforcée par la loi du 26 juillet 2005 est générale et est la meilleure promesse qui puisse être faite aux créanciers répondant aux exigence de l‘article L522-17 du code de commerce, elle a d’autant plus de chance d’être tenue en raison du fait que le paiement des autres créanciers est interdit. Ces créanciers peuvent ainsi à l’échéance exiger le paiement intégral de leur créance, que l’administrateur ou le débiteur doit effectuer s’il dispose des fonds nécessaires, sans même pouvoir se retrancher derrière le fait que le créancier ne l’a pas informé de sa créance. Ce privilège a pour assiette l’ensemble des biens mobiliers et immobilier du débiteur.L’administrateur doit surveiller de près la trésorerie et mettre fin, « aux contrats à exécution ou paiement échelonnés dans le temps » dès qu’il constate qu’il ne pourra pas payer la prochaine échéance art L 622-13 II, al 2.Les créanciers, non soumis à l’interdiction des poursuites, peuvent ainsi selon les règles du droit commun, « exercer en vue du paiement leur droit de poursuite ainsi que toute voie d’exécution » cass com. 10 juillet 1990, cette règle se fonde sur une jurisprudence solidement établie « le droit d’être payé à l’échéance est indissociable du droit de poursuite. » ch. Com. de la Cour de Cassation du 25 Juin 1996.

II. LA PRIMAUTE DES CREANCES SUPERPRIVILEES A L’EPREUVE DU PRIVILEGE DES CREANCES POSTEREIURS PRIVILEGIEES

A. LA SUBROGATION DU CGEA-AGS DANS LE RECOUVREMENT DES CREANCES SALARIALES SUPERPRIVILEGEES

Dans le cas d’espèce, le CGEA-AGS a été amenée à faire des avances sur les salaires et/ou indemnités des salariés de la société TASQ, conformément aux dispositions de l’article L3253-8 du code du travail qui énumère les diverses situations, dans lesquelles la garantie contre les risques de non-paiement des créances salariales, doit être mise en œuvre.Subrogé dans les droits des salariés en vertu de l’article L3253-16 2° du code du travail, le CGEA-AGS se fonde son pourvoi sur l’article L 622-17 II du code du commerce pour invoquer que sa créance superprivilégiée prime sur les créances postérieures privilégiées.La primauté des créances superprivilégiées de salaire dues à la date du jugement d’ouverture de redressement ou de liquidation judiciaire a clairement été reconnue par la chambre commerciale de la cour de cassation dans un arrêt de principe rendu le 06 juillet 1993 dans lequel elle estimait que ces créances priment sur toutes autres créance même de celles du Trésor. « Les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture doivent être payées avant les autres créances nées antérieurement, cependant les créances superprivilégiées de salaires l’emportent sur toutes les autres même postérieures au jugement » ainsi l’AGS prime sur les créanciers postérieurs.L’article L625-8 alinéa 3 pour sa part étend la garantie des créances superprivilégiée en prévoyant qu’à défaut de fond disponible, les créances superprivilégiées doivent être

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acquittées sur les premières rentrées de fonds remboursement immédiats des sommes qu’elle a avancé, même si cela compromet la poursuite de l’activité ».En 2006 le taux de récupération par l’AGS de créances superprivilégiées était de l’ordre de 54%.

A. UNE PRIMAUTE INAPPLICABLE HORS CONCOURS ENTRE CREANCIERS

L’AGS déboutée de sa demande par la cour d’appel s’est pourvue en cassation au moyen que la Cour d’appel avait violé l’article 522-17 en considérant que la créance de prêt de la banque envers la société avait pu être payée par voie de compensation avec le paiement du prix d’achat par la banque des biens immobiliers appartenant à celle-ci et ce, par préférence à la créance superprivilégiée de salaire de l’AGS – CGEA d’Amiens.La chambre commerciale rejette le pourvoi au motif que la banque, créancier postérieur privilégié, bénéficie du traitement préférentiel prévu à l’article L.622-17 du Code du commerce et par conséquent a le droit d’être payée à échéance, et que cette dernière peut dans l’exercice de son droit de poursuite individuelle, obtenir un titre exécutoire et faire exécuter ce titre indépendamment de l’ordre dans lequel s’exercent les privilèges.En ce sens la jurisprudence de la cour de cassation est constante, dans un arrêt du 20 juin 1989, la chambre commerciale avait déjà rejetée le moyen tiré du classement des créanciers établi par l’article 40 de la loi de 1985 pour faire échec à une mesure de contrainte exercé  par le comptable du Trésor estimant que « s’agissant des créances fiscales nées après le jugement d’ouverture, l’usage d’un avis à tiers détenteur n’était pas interdit ». Solution retenue par la même chambre dans un arrêt du 10 juillet 1990 « la créance de la société de location étant née régulièrement après le jugement d’ouverture, le liquidateur devait être condamné au paiement. » Dans un arrêt du 25 Juin 1996 elle estimait que « le droit d’être payé à l’échéance est indissociable du droit de poursuite. » ….En effet, la règle du paiement à échéance n’est pas subordonnée à l’existence de fonds disponible suffisants pour assurer le respect du classement prévu par l’article 522-17 II. Comme le souligne Messieurs Derrida, Godé, Sortais le classement légal ne s’applique que dans l’hypothèse de concours sur un bien déterminé : «  lorsqu’il est possible de régler un créancier qui le demande, tout concours est exclu…l’existence d’un classement des suretés et privilèges… par le code civil n’a jamais empêché le paiement d’un créancier chirographaire plus diligent »Conformément au droit commun, tout créancier postérieur répondant aux exigences de l’article 522-17 ou 641-13 s’il s’agit liquidation judiciaire, peut lorsque sa créance, liquide et exigible, est constatée par un titre exécutoire, saisir le bien du débiteur et, s’il est «  premier saisissant » être «  le premier, quel que soit l’ordre de sa créance… peu important l’existence, éventuellement d’autres créance bénéficiant d’un rang préférable dans l’ordre de classement… » cass com. 11 février 1990

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