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GOLBLOGONGUI ET SON CHATEAU DE S ABANGALI NOUVELLES AVOCKSOUMA DJONA A TCHÉNÉMOU

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GOLBLOGONGUI ET SON CHATEAU DE SABANGALINOUVELLES

AVOCKSOUMA DJONA ATCHÉNÉMOU

15.02 640740

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 210 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 16.7----------------------------------------------------------------------------

Golblogongui et son chateau de Sabangali Nouvelles

Avocksouma Djona Atchénémou

AVOCK

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Prologue

Mon père m’a nommé Ngadatna. En pays Moussey/Marba, ce nom signifie le « je-m’en-foutisme » ou l’insensé. Je ne sais pas pourquoi il m’a gratifié d’un tel nom, lui qui devait pourtant comprendre que le sens d’un nom influence le futur de l’adulte que l’on deviendra. Il aurait dû comprendre qu’un « je-m’en-foutisme », même inoffensif, ne peut laisser personne indifférent. On ne doit pas prendre à la légère le don d’un nom à un enfant, qui est d’ailleurs la plus sacrée des choses qui nous distinguent des animaux. En donnant un nom à un enfant, il serait quand même plus pertinent de chercher à se projeter dans l’avenir, et surtout à invoquer la volonté divine pour un sort plus favorable au détenteur, puisqu’un nom, c’est quand même un souhait, pour ne pas dire un rêve pour le parent. On dirait qu’en confectionnant des noms à leurs progénitures, certains parents croient se venger de l’adversité et des tourments actuels ou espèrent

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exorciser leur propre triste sort par le fait de trouver un nom approprié à leurs garnements. En fait, par un nom, ils pensent trouver une réponse à leurs préoccupations ou soucis existentiels, que ce soit dans une perspective plus positive ou négative. Le nom traduit le trait de caractère optimiste ou pessimiste du parent, pour ne pas dire qu’il exprime ses états d’âme actuels tout en visant le futur.

Je crois qu’on ne devrait pas forcer le mauvais sort en octroyant des noms comme Beizouma, le paresseux, qui a toujours vécu comme ça à se dorer au soleil, alors que d’autres au village se tuent à la tâche, Beissalam, l’abandonné, précocement devenu orphelin et sans frère et sœur, Hitler, le criminel qui aurait pratiquement décimé l’humanité entière si on lui avait laissé le temps. Un mauvais nom, ça vous suit toute votre vie, parce qu’en matière de nom l’habit fait vraiment le moine, car de mémoire d’enfant que je suis, je n’ai pas vu beaucoup d’individus nommés Miskine, signifiant la pauvreté, devenir vraiment très riches, ou un Absakin ne pas savoir se servir d’un couteau. Quand on ajoute le prénom Os-gär, Oskar ou Oscar, signifiant en saxon « le dieu terrible armé d’une lance » à un Pistorius, toujours avec une arme à la main, il ne faut pas être étonné que l’individu se serve d’un pistolet pour faire joujou avec.

Comme vous le verrez dans la suite de ces six nouvelles qui suivent, dans un sens ou dans l’autre, et de quelle que façon qu’on le prenne, un nom entraîne

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toujours des conséquences potentielles, bénéfiques ou maléfiques pour le titulaire. C’est probablement pourquoi la plupart des parents ont opté pour des noms et prénoms plus neutres, comme Jean, André, Pierre, Idriss, Saleh… Parce que des Jean, André, Pierre, Idriss, Saleh, même si ça signifie quelque chose chez les Sémites et les Occidentaux, c’est sans effet chez nous les mécréants. Par exemple, un nom comme Cheick Habib Omar Ben Ahmed Ben Abibacar Ben Soumet Adil, le destin aura beau vouloir lui faire emprunter une direction quelconque, ce sera absolument sans effet.

Les différentes histoires qui suivent vous édifieront. Elles tirent leur essence des sens des noms que distribuent les parents à leurs progénitures.

Après lecture, je crois que vous devriez d’abord réfléchir par quatre fois avant de décider d’attribuer un nom à l’enfant qui naîtra chez vous. Le mieux serait probablement d’abord de consulter les oracles si l’on veut espérer éviter des surprises futures.

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I On n’a pas que le nom qu’on mérite

Un paysan de Domo fut inspiré en donnant à son fils le nom de Kuli, signifiant « qui ne vole pas », mais c’est vraiment le contraire qui s’est passé, parce qu’en matière de vol il n’y a pas plus entreprenant que ce Kuli. Il est même capable de vous dépouiller, et vous laisser tout nu pendant que vous marchez. C’est dire combien il est expert en la matière. « Chocol al ein hanaï sufu, guelip hanaï doru, iden hanaï chili da, batan sarak wa ? », se disait-il. En effet, pour lui, ce que ses yeux ont vu, son cœur a aimé et ses mains ont pris, ne peut être considéré comme un vol. Il a commencé par voler un œuf, et a fini par s’approprier des troupeaux entiers de bœufs. Et dès qu’on l’aperçoit tourner aux environs d’un village, c’est un véritable branle-bas qui s’instaure. Chaque éleveur, pour se rassurer, doit immédiatement faire le décompte de son bétail. Dire que son pauvre père,

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certainement bien intentionné, voulut qu’il ne fût jamais un voleur. Manque de pot, Kuli, pour des motifs de vol, passe plus de temps en prison que chez lui. Il n’a qu’un métier, celui du vol. Il est reconnu comme tel. Ses enfants et son épouse sont aussi identifiés dans tout le canton Domo comme tels : la famille du voleur Kuli.

Sa dextérité étant reconnue par tous, il n’est pas rare que certains commandants de brigade se servent de lui pour arrondir leurs fins de mois, et c’est souvent pour cette complicité qu’il ne restait pas longtemps en prison. Dès qu’on le voit de nouveau revenir en prison, on ne se pose même plus de question : « Salut Kuku, on dirait que tu ne supportes plus trop longtemps de rester dans ton foyer. Ça ne fait pourtant pas un mois que tu étais ici pour une histoire de vol de bétail. Ne te gêne pas, tu es ici chez toi. Choisis la place que tu veux puisque tu connais toutes les cellules », le raillent les gardiens et autres collègues de prison. Sa maison ou la prison, c’est bien confondu dans sa tête, comme dans celle de bien des gens. Alors qu’il prospérait pourtant bien à l’arrière-pays où il semait la désolation, il se prit à rêver de se faire la main en ville. Aussi se décida-t-il à venir à N’Djaména, la capitale : « J’en ai marre de détrousser des plus pauvres que moi. On se donne de la peine pour arracher une ou deux chèvres, et quand on a plus de chance, on peut tomber sur un bœuf ou une vache, mais ça ne rapporte plus rien de nos jours. Sans

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oublier le fait que parfois le champ d’intervention se réduit de jour en jour. Alors, les risques sont de plus en plus grands. Je ne veux pas risquer d’attraper un jour une flèche empoisonnée de la part d’un éleveur en courroux. Il me faut aller sur un nouveau théâtre d’opération », se décida-t-il.

Ainsi, dans la capitale, un midi du mois chaud de mars, il se rendit au centre-ville, et aperçut une villa au quartier du Béguinage, non loin du lycée Montaigne, qui n’était apparemment pas gardée. Il y entra très doucement, et trouva que la villa était bien tranquille, et la porte principale ouverte. Très délicatement, il avança au milieu du salon et vit que celui-ci était rempli de biens meubles à faire mourir d’envie tout voleur. Il hésita entre les livres, la chaîne musicale, le magnétoscope, le téléviseur en couleur, l’ordinateur portable et les ustensiles ménagers en argent, qui étaient tous bien rangés. Un moment, il voulut s’avancer vers la chambre, mais se ravisa. Comme il aurait bien aimé tout emporter s’il disposait d’un moyen de transport plus approprié, tel un porte-tout ou un véhicule pour lui faciliter la tâche, mais il n’avait que sa tête et ses bras.

Alors, son choix s’arrêta sur le téléviseur en couleur et le magnétoscope, étant convaincu qu’en vendant ces deux produits, il aurait de quoi voir venir pour plusieurs semaines. Aussitôt, il débrancha le téléviseur, se fit une sorte de stabilisateur avec le torchon qui servait pour le nettoyage du buffet et des

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appareils électroniques, dans le but de mieux amortir la dureté du contact avec l’appareil. Il détacha de son front un foulard de couleur rouge et ceignit ses reins, puis ajusta ses nombreux gris-gris attachés à son avant-bras gauche et aux reins, avant de prononcer une formule magique qui était supposée le rendre invisible. Par la suite, il souleva péniblement l’appareil et, sous l’effet de l’effort, lâcha un pet strident. Il poussa un grognement comme pour se reprocher d’avoir fait trop de bruit. Il finit tout de même par ajuster l’appareil sur sa tête. Puis, avec sa main droite, il prit délicatement le magnétoscope qu’il cala entre la main et le bras gauches, non sans avoir noué autour de l’appareil le fil d’alimentation avec sa multiprise.

Lorsque tout sembla enfin bien en équilibre, et qu’il s’engagea pour sortir de la villa, il vit, couché sur son chemin, un énorme berger allemand qui barrait la sortie, mais qui donnait l’impression de dormir. Certain que ses fétiches l’avaient sûrement rendu invisible, il voulut passer par-dessus l’animal, mais le canidé semblait disposer de pouvoirs plus grands que ceux du pauvre Kuli. C’est bien connu que les chiens qui voient dans le noir peuvent aussi lire dans les intentions humaines, pour ne pas dire perçoivent ce qui est invisible. Et ce n’est pas un hasard si on compare souvent le chien au diable. Ainsi donc, lorsque Kuli voulut quand même forcer le passage, le chien, pour lui montrer qu’il n’approuvait pas du tout sa démarche, poussa un grognement comme s’il

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venait tout juste de se réveiller, sans toutefois chercher à faire le moindre mouvement agressif à l’égard du voleur.

Ne s’avouant pas vaincu pour autant, Kuli voulut lire davantage dans les intentions du chien puisqu’il perçut, dans la supposée non-agressivité de l’animal, la manifestation des effets neutralisants de ses fétiches. Mais mal lui en prit. Le chien ne bougea pas, ce qui, pour le voleur, n’était rien d’autre qu’un casus belli, puisque l’animal ne voulut pas le laisser passer avec tout ce qu’il portait. Il pensa l’amadouer en s’approchant de lui comme pour le caresser, mais le chien ne céda pas et menaça même de le mordre. Un moment, il pensa recourir à la manière forte et impressionner le chien en lui ordonnant de déguerpir : « Sale sac à puces, vas-tu enfin te décider à me laisser passer, oui ou non ? Sinon, tu goûteras de mes coups de pied. En fait quel type d’animal es-tu donc ? Un être humain déguisé en animal ? Que me veux-tu enfin ? », vociféra-t-il. Tout ce bla-bla de désespéré laissa le canidé de marbre, puisqu’il ne bougea pas d’une patte. Usant de tous les stratagèmes à sa disposition, il sortit de sa poche un morceau de viande qu’il lui jeta à portée de son museau, mais le chien refusa de se jeter dessus, comme l’auraient fait tous les autres canidés faméliques qu’on trouve dans les quartiers populaires. C’est un chien qui n’est pas corrompu.

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La corruption, ce berger allemand ne connaît donc point. S’il avait été un berger non allemand, peut-être que les choses se seraient déroulées autrement. Kuli devait tenir compte de cet état de choses. Mais, pour cet inculte, qui fit du vol sa profession, tout chien est chien. Au village ou en ville, un chien demeurera toujours un chien, alors avec un peu de caresses et un bout d’os, tout devait rentrer dans l’ordre, se convainquit-il. Mais rien n’est moins vrai avec ce berger allemand. Et face à la réaction inattendue du chien, Kuli paniqua. Ne sachant que faire, ce dernier, contre mauvaise fortune bon cœur, se décida à reposer les effets volés à leur place, avec l’espoir qu’il lui céderait enfin le chemin. Mais, là aussi, le chien n’était pas d’accord, et avec un réel sang-froid, comme s’il était un être humain, il manifesta son opposition au projet du voleur par un autre grognement encore plus fort, cependant toujours sans le moindre mouvement d’agressivité à l’encontre de son hôte, comme s’il avait un projet précis dans sa cervelle.

Dans ce sens, il n’y a pas que les éléphants qui possèdent de la mémoire, mais les chiens aussi, surtout ceux qui sont dressés comme les bergers allemands, qui lisent bien les intentions des gens de mauvaise fréquentation. Et Kuli semblait bien en être un. Totalement désorienté, il comprit que son salut ne viendra pas d’un chien et que, s’il veut survivre à cette épreuve, il lui faudra trouver l’appui chez les humains

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et non chez les animaux. « D’ailleurs, depuis quand on est amis avec les chiens, n’est-ce pas ? Un chien restera toujours un chien. Je préfère périr des mains d’un être humain comme moi que d’être déchiqueté par un animal, parce que lui, au moins, saura exprimer une certaine pitié », finit par se résoudre le pauvre voleur.

Alors, il se mit à demander à haute voix : « Y a-t-il quelqu’un dans cette maison ? » Personne ne répondit. Tout en sueur, il cria encore plus fort : « Mais qu’est-ce qui ne va pas alors dans cette maison ? » Il n’y a vraiment personne là-dedans ? Est-ce une maison abandonnée à un chien, alors ? » Et c’est à ce moment-là qu’un homme, depuis la chambre à coucher, réagit enfin : « Qui est-ce qui crie comme ça ? » Puis, en pyjama, il arriva au salon, et vit l’infortuné Kuli avec le lourd téléviseur sur la tête et tenant le magnétoscope au bras. Il transpirait comme un Sahélien qui se rend pour la première fois en période chaude et humide à Libreville.

« Monsieur, qui êtes-vous ? demanda le propriétaire. Qu’est-ce que vous êtes venu faire chez moi, et que voulez-vous ? Je ne crois pas avoir invité quelqu’un aujourd’hui à me rendre visite à cette heure-ci.

– Ça ne se voit pas, non ? Je m’appelle Kuli, et je suis un voleur.

– Mais puisque vous êtes un voleur, reprit le propriétaire, vous avez sûrement eu ce que vous

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voulez. Alors, vous n’avez pas besoin de moi. Je ne vous retiens pas. Vous pouvez partir, et, surtout, profitez bien des produits de votre larcin. N’est-ce pas ce que vous vouliez, non ? Quant à moi, je vais repartir me reposer, je n’ai pas assez dormi de la nuit. Bonne journée, Monsieur.

Bien que désemparé par la réponse du propriétaire, Kuli ne lui laissa pas faire le moindre pas, et il reprit en ces termes :

– Bien aimable à vous, Monsieur. Je veux bien, mais s’il vous plaît, faites quelque chose avec votre chien.

– Sûrement pas. Il ne fait que son devoir. Vous n’avez qu’à vous débrouiller seul avec lui. Après tout, n’êtes-vous pas assez grand pour faire entendre raison à un chien ? lui asséna-t-il, et il lui tourna le dos.

Mais, l’idée qu’il devait rester un seul instant face à face avec cet énorme et puissant chien lui glaça le sang. Aussi, tout en suppliant le propriétaire, Kuli lui proposa de le conduire en prison. Et celui-ci de le rassurer :

– Vous semblez être quelqu’un de très raisonnable, alors patientez que j’aille me changer, et on verra.

Il rentra dans sa chambre, et revint trouver le pauvre Kuli, toujours transpirant abondamment, avec les objets volés sur la tête, alors que le chien, toujours couché, n’avait pas bougé d’une patte.

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Quelques minutes plus tard, le chien devant, suivi du voleur et du propriétaire, ils se dirigèrent vers le commissariat central. Dès qu’ils parvinrent à l’entrée de la cellule, il s’élança en courant, et s’écria :

– Je suis un voleur, s’il vous plaît, Monsieur le policier, ouvrez vite la porte de la cellule. Je vais me constituer prisonnier. S’il vous plaît, je ne veux pas être en face de ce chien. »

Ainsi, il se débarrassa des produits volés et se constitua prisonnier. Et ce n’est que lorsque la porte de la cellule fut refermée derrière lui qu’il poussa un ouf de soulagement, comme quelqu’un qui venait d’échapper à une mort certaine.

Dix mois plus tard, après sa libération, Kuli jura de ne plus être un voleur, renouant ainsi avec le sens profond de son nom donné par son géniteur, signifiant qui ne vole pas. « On ne m’y reprendra plus, à voler quoi que ce soit appartenant à autrui », s’engagea-t-il devant sa conscience et son Dieu. Cette épreuve fut un véritable traitement de choc qui lui fit finalement du bien. Il redevint un citoyen respectable. Il fut, depuis, irréprochable, puisqu’il s’était décidé à gagner sa vie de façon totalement honnête. Comme quoi, il ne faut désespérer de personne.

* * *

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Hinimbi, signifiant qu’on ne le laisse pas en paix, était un brave paysan. Il habitait à Végué dans le département de la Kabbia. On ne peut pas dire qu’il roulait sur l’or, mais il était considéré comme un homme aisé : cinq épouses avec une multitude de marmailles, une dizaine de têtes de bœufs et vaches, et surtout, chaque année, la récolte du coton lui rapportait assez d’argent pour que les autres paysans le considérassent comme quelqu’un qui était au-dessus du lot. Mais, Hinimbi avait un problème : les voleurs qui venaient presque chaque année prélever sur sa fortune. Hinimbi s’en accommodait puisqu’il pouvait facilement renouveler très rapidement sa fortune après les récoltes. Mais un voleur plus coriace fit son malheur : son cousin Hinim Azina.

Comme l’indique son nom, Hinim Azina (il faut qu’on lui laisse le village) est un prédateur de la pire espèce. Son affaire à lui, ce sont les femmes des autres. Lui-même se qualifie de bouc : il ne fait pas de différence. Le sexe, c’est son business. Il en est accro. Pour lui, tout sexe est sexe, qu’il appartienne à une femme d’un autre village ou à une de ses proches. Tout, en lui, ne respire que le sexe. Une aversion viscérale pour tout ce qui est asexué. Il est tout simplement sexuellement hyperactif. Au plan philosophique, il est opposé au principe même du mariage. Une fumisterie. Et surtout ne lui parlez pas de mariage pour tous. S’il ne dépendait que de lui, il ferait pendre tous les promoteurs de cette pratique

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qu’il trouve saugrenue, inhumaine et impitoyable. Indigné comme une certaine Christine B. à l’égard du travesti barbu, de nationalité autrichienne, la bien nommée Conchita Wurst ; une nouvelle race humaine, mi-homme, mi-femme. Deux en un. De quoi satisfaire tous les goûts.

Il n’y a pas de femmes d’autrui, explique-t-il à qui veut l’entendre, mais une fille d’autrui. Dans la mesure où une fille quitte la maison parentale pour aller s’établir ailleurs, elle n’appartient plus à personne, volontairement exposée à la place publique. Elle cesse désormais d’être maternée, couvée, protégée. Elle devient une chose publique. D’utilité publique. Affranchie. Pour tout le monde. À la portée de toute bouche qui saurait faire parler son cœur, qui est désormais à prendre. Sa main, qui est souvent tendue, n’incite plus qu’à être demandée. Candidate volontaire à la demande de main. La responsabilité s’arrête là où cesse la notion de parenté. Pour Hinim Azina, si une femme peut changer plusieurs fois de mari et vice-versa, c’est bien la preuve que le mariage est une pratique factice, conjoncturelle, pas durable. On n’est pas tenu par le lien soi-disant sacré du mariage comme on l’est par celui de la parenté. La fidélité, ça n’existe que dans la tête des gens qui ne comprennent rien à rien dans la vie.

C’est donc fidèle à lui-même que Hinim Azina se plaît toujours à être là où se trouvent les femmes. Comme une mouche autour du miel. Comme la chèvre

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qui broute là où elle est attachée. Comme un requin qui ne trouve sa pitance que dans l’eau. Naturellement. Les travaux champêtres, comme d’ailleurs toutes activités pénibles qu’endurent des adultes mâles, le rebutent au plus haut point. Il adapte ses comportements à son penchant pour le sexe. Pour l’hymen. Pour forniquer. Comme en pays de Sodome et Gomorrhe. Contrairement à la plupart des jeunes de Végué, qui arborent une chevelure afro et hirsute, lui la veut courte et bien peignée. De plus, il met un baroud d’honneur à sa toilette : toujours parfumé et la peau traitée à la vaseline, qu’il acquiert au marché de Gobo. Constamment luisant, avec les paumes souples de celui qui ne fait absolument rien de ses mains. Pour mieux charmer la gent féminine, il se fit tailler les dents, mais laissa en l’état une prémolaire droite dans la mâchoire supérieure, qu’il maintint volontairement dorée. Et chaque fois qu’il était en face des femmes, il ouvrait grandement sa bouche pour laisser paraître ses dents taillées à la François Mitterrand et dorée, sa prémolaire. Puis il entonnait une chanson « andulah » pour faire l’éloge de celles-ci. Hinim Azina était aussi réputé grand danseur. Mais son seul charme physique n’explique pas tout. On raconte qu’il possède aussi de redoutables tourments pour femmes, « gondolah », acquis au prix fort auprès des ambulants Mbororo. Et quand il se fait appliquer ces tourments, comme attirée par les mouches, aucune femme ne lui résiste.

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C’était donc ainsi bien pourvu que Hinim Azina décidât d’investir, en conquérant, la cour de son cousin Hinimbi. Et comme ce dernier a cinq femmes, il trouva juste et légitime qu’il ne s’en privât pas. Après tout, se convainquit-il, la richesse de son cousin était aussi la sienne. En pays Moussey/Marba, on ne dit pas « ma » femme, mais « notre » femme, comme pour préciser que la femme, ça n’appartient à personne en particulier. Un bien collectif, familial, tribal, patriarcal. Au Burundi, lorsque deux hommes se battent, l’enfant ferait mieux de ne pas s’en mêler. Qui sait si l’un d’eux ne serait pas son véritable père ?

Hinim Azina jeta alors son dévolu sur Marietta, la dernière dulcinée de son cousin Hinimbi. Même s’il soupçonnait quelque chose entre les deux tourtereaux, le pauvre cocu n’en fit rien. Mais le drame vint le jour où Marietta affirma publiquement qu’en fait ses deux garçons ne sont pas de Hinimbi, mais de Hinim Azina. En ce jour ensoleillé de marché hebdomadaire de Végué, Hinimbi vit tout d’un coup son monde s’écrouler, le ciel lui tombant sur la tête. Sa virilité fut publiquement remise en cause, son autorité parentale bafouée. Vraie ou fausse, une telle déclaration laisse toujours des traces indélébiles. Qui le respecterait dans la société ? Il le prit très mal. Comme ses ancêtres avant lui, l’honneur vaut mieux que tout l’or du monde. « Pana kal matna », la mort plutôt que l’humiliation, se résigna-t-il. Chez les Moussey, il y a deux façons de traiter un tel affront :

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donner la mort à quelqu’un ou se l’infliger à soi-même. Il préféra la seconde solution. En effet, devant une telle humiliation, l’individu est seul face à sa conscience. Pas de conseiller matrimonial, pas de juge, pas d’avocat. Le divorce ne fait pas partie des pratiques Moussey. La déchéance la plus totale.

* * *

Après avoir poussé un cri strident, assorti d’une mélodie lugubre extraite de sa flûte de corne d’antilope-cheval, il sortit son couteau de chasse, le lima et le fixa à son avant-bras gauche. Il prit aussi un paquet de cinq couteaux de jet qui étaient enfouis dans leur fourreau et le posa sur son épaule gauche. Il ceint solidement ses reins d’un tissu rouge, laissant apparaître un bas-ventre arrondi et totalement nu. Il se passa un coup de kaolin rouge sur le front. Hinimbi enfourcha son cheval, et fit le tour du village tout en pleurant. Yakayo ! Yakayo ! Puis il revint chez lui, et lâcha son cheval. Il venait de prendre sa décision. Elle fut radicale : la fin de sa vie.

Il n’y a pas plus fier qu’un Moussey qui se suicide. En fait, il y a deux façons de se suicider. Les plus poltrons préfèrent se pendre, généralement hors de la vue des autres. Mais les plus courageux se font harakiri. Hinimbi choisit la seconde option. En plein midi et devant toute sa famille, il prit son couteau, fit