taon special colloque - uqam · 1. le colloque de la chaire : réussite sur toute la ligne! par...

29
Spécial Colloque 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! Léo-Paul Lauzon 2. Le néolibéralisme est-il là pour durer ? Michel Bernard 3. Il faut reconquérir notre citoyenneté Riccardo Petrella 4. Le néolibéralisme va perdre nécessairement Albert Jacquard 5. Privatisation envisagée d'Hydro-Québec : pourquoi revenir sur les acquis de la nationalisation? Martin Poirier 6. L'ampleur de la problématique en éducation Martin Petit 7. Les gouvernements placent des morceaux importants Martin Petit 8. L'exemple de la Société des Alcools du Québec Martin Poirier 9. Hydro-Québec: une entreprise privée à contrôle public? Martin Poirier 10. Système de santé : le retrait de l’état fait l’affaire du privé Gino Lambert et François Patenaude 11. Une réalité qui n’est pas étrangère à la croissance du coût des médicaments dans les budgets de l’État Gino Lambert 12. Léo-Paul Lauzon, l’empêcheur de tourner en rond François Patenaude

Upload: others

Post on 10-Jul-2020

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

Spécial Colloque

1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! Léo-Paul Lauzon

2. Le néolibéralisme est-il là pour durer ? Michel Bernard

3. Il faut reconquérir notre citoyenneté

Riccardo Petrella

4. Le néolibéralisme va perdre nécessairement Albert Jacquard

5. Privatisation envisagée d'Hydro-Québec : pourquoi revenir sur les acquis de la nationalisation? Martin Poirier

6. L'ampleur de la problématique en éducation Martin Petit

7. Les gouvernements placent des morceaux importants Martin Petit

8. L'exemple de la Société des Alcools du Québec Martin Poirier

9. Hydro-Québec: une entreprise privée à contrôle public? Martin Poirier

10. Système de santé : le retrait de l’état fait l’affaire du privé

Gino Lambert et François Patenaude

11. Une réalité qui n’est pas étrangère à la croissance du coût des médicaments dans les budgets de l’État Gino Lambert

12. Léo-Paul Lauzon, l’empêcheur de tourner en rond François Patenaude

Page 2: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès qui a dépassé toutes nos espérances. Plus de 750 personnes ont assisté à la plénière d’ouverture le vendredi soir, avec Riccardo Petrella, Albert Jacquard et notre collègue Michel Bernard. Il y avait des gens debout à l’arrière de la salle et on m’a informé que la sécurité de l’UQAM avait malheureusement dû interdire l’accès à un certain nombre de personnes, faute de place. Le lendemain matin, au-delà de 350 personnes participaient aux ateliers sur la santé, l’éducation et l’énergie. Là encore, des gens ont dû rester debout, tous les sièges étant occupés. L’après-midi, on a compté plus de 420 personnes à la conférence de clôture que j’ai prononcée. Tout ça, un beau samedi après-midi du mois d’avril! Après cela, qu’on ne vienne pas me dire que les gens ne sont pas intéressés aux questions sociales, politiques ou même philosophiques, à connaître un autre point de vue qui manque désespérément dans nos médias et chez nos politiciens, syndicalistes, affairistes et intellectuels. Les gens ne sont pas dupes et savent pertinemment qu’on leur ment pour mieux démanteler nos acquis sociaux et appauvrir la majorité. Avec les moyens extrêmement restreints qui sont les nôtres, avec une publicité limitée essentiellement aux réseaux parallèles, nous avons réussi à organiser un des colloques les plus courus dans les annales de l’UQAM, me suis-je laissé dire. Ce qui m’a le plus touché dans tout cela, ce sont les gens de tous les âges et de tous les milieux qui sont venus, le vendredi soir ou encore le samedi après-midi, nous voir, les membres de la Chaire, pour nous remercier d’avoir organisé un tel événement. Ça faisait chaud au Grande-Bretagne. Je pense encore à ce jeune homme de 83 ans qui s’est déplacé pour me dire merci à la fin. Je n’ai pu m’empêcher de lui dire que c’était à moi de le remercier du fond de mon Grande-Bretagne. Des suites au colloque Bien entendu, nous voulons donner une suite à ce colloque. Dès l’automne paraîtront, sous la forme d’un livre, les présentations de nos chercheurs Martin Poirier, Gino Lambert, François Patenaude et Martin Petit. Nous pouvons représenter à nouveau les ateliers sur la santé, l’éducation et l’énergie devant des groupes qui nous en font la demande. Déjà, l’atelier sur l’éducation a été donné devant un groupe de personnel de l’enseignement dans la région de Québec et la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec (FIIQ) a retenu nos services pour une présentation à l’automne de l’atelier sur la santé. J’invite donc tous les groupes intéressés à organiser une session spéciale ou encore à nous inscrire dans le cadre d’un colloque ou d’une activité de formation. Votre soutien est nécessaire Ce colloque a montré l’intérêt extraordinaire qui existe pour la Chaire, le discours que nous tenons et surtout le travail que nous réalisons. Cela nous incite à être encore plus présent dans les grands dossiers de l’actualité pour y défendre les intérêts collectifs contre tous ceux qui veulent sabrer dans nos acquis collectifs. Nous avons cependant besoin pour cela d’un soutien actif des organisations syndicales, des organismes communautaires, des communautés religieuses et des individus progressistes. Nous

Page 3: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

vous invitons donc à contribuer financièrement à la Chaire par des dons, des contrats de recherche, des sessions de formation ou encore en devenant tout simplement membre. Nous sommes présentement à planifier une vaste campagne de recrutement pour l’automne prochain et nous invitons les syndicats, les organismes, les communautés et les individus qui voudraient s’y associer à entrer en contact avec nous dès maintenant. Nous avons besoin du soutien de toutes et de tous. Cela nous permettra de multiplier nos recherches, nos interventions publiques et de préparer un autre colloque pour le printemps prochain. Encore une fois, merci à toutes et à tous.

Page 4: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

2. Le néolibéralisme est-il là pour durer ? par Michel Bernard Tout le monde peut constater que le néolibéralisme est en progrès partout. Comme les chiffres semblent vouloir le démonter, les boursicoteurs, les spéculateurs, les affairistes ainsi que les hauts dirigeants d’entreprises sont ceux qui ont grandement été favorisés par cette idéologie. Alors que le Dow Jones, principal indice boursier américain, enregistrait une hausse de 50% en moins de deux ans (fin 1996 à aujourd’hui) et que le salaire des chefs d’entreprise montait de 54% en 1996, le salaire des travailleurs québécois et des travailleurs américains chutait respectivement de 4,3% de 1983 à 1995 et de 19% de 1973 à 1995. Deux paradigmes sur l’origine de la société et de la collaboration Il y a deux grandes façons de s’expliquer la société et la collaboration. Dans la première vision que l’on pourrait qualifier de social-démocrate, la société y est vue comme un acte volontaire, un contrat social, un idéal social reconnu par une volonté générale et exprimé politiquement. La planification sociale est considérée comme souhaitable, car on vise des résultats sociaux prédéterminés comme un revenu minimum pour tous ou l’accès à des biens premiers tels l’éducation et les soins de santé. Le droit y est conçu pour créer des obligations positives de l’État envers les citoyens. L’autre vision, qu’on pourrait qualifier de néolibérale, accorde un primat au marché. On y voit la société comme un phénomène spontané, comme un résultat non intentionnel de l’action des individus. L’ordre social vient alors de l’harmonie des intérêts individuels. C’est la théorie du laisser-faire. On craint toute planification comme conduisant au totalitarisme. Le primat va aux droits et libertés avec en tête le droit de propriété. Les effets pervers du marché sont traités par la charité privée qui s’organise elle aussi spontanément. En fait, la représentation du monde véhiculée par l’utopie néolibérale tient en deux principes :

1) Le marché laissé à lui-même crée un ordre social stable. De ce fait, toute intervention politique devient alors inutile.

2) Si le marché crée un ordre, le droit social, qui engendre une distribution hors marché, est inutile.

Le néolibéralisme va donc mettre en branle des efforts extraordinaires pour nier le concept de justice social car c’est une idée qui entrave le marché et ceux qui le dominent. Une négation de la justice sociale À chaque présentation d’un budget gouvernemental, les médias interviewent les économistes de banques, les courtiers, le Conseil du patronat, les présidents de chambre de commerce. Les réponses reçues sont toujours les mêmes. A titre d’exemple, l’économiste de la Banque Nationale demande à chaque année une baisse radicale des impôts. Quand ça va mal, l’État devrait réduire les impôts pour relancer l’économie et quand ça va bien, on demande des réductions d’impôts en disant que le gouvernement n’a plus besoin de recettes fiscales. En somme, c’est toujours la même chanson : réduire les programmes sociaux, abolir le salaire minimum, déréglementer et faire sauter les lois environnementales. Le régime de droits sous lequel nous vivons en dit long sur l’idéologie néolibérale. Pour que nos lois soient valides (code civil ou code criminel), elles doivent respecter la charte des droits de la personne. Cette dernière prévoit deux types de droits : les droits-libertés et les droits sociaux. Les droits-libertés comprennent entre autres le droit de propriété, l’égalité de tous devant la loi, la

Page 5: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

liberté de contracter, le droit à la vie et la liberté d’opinion. Les droits sociaux comprennent le droit à des services de santé selon les besoins, la juste égalité des chances dans l’éducation, le droit à une indemnité en cas de chômage et à une sécurité devant l’indigence de la vieillesse. Cette deuxième catégorie de droits instaure une créance de l’individu contre l’État. Ce sont ces droits sociaux que les néolibéraux veulent éliminer. Bien sûr, ils prétendent que le marché peut créer un ordre et, de cette façon, répartir la richesse par lui-même. Par contre, ils chérissent les droits-libertés comme le droit de contracter librement et le droit de propriété. Pour un bien-nanti, la propriété est tout. Les néolibéraux oublient que sans les droits sociaux, les droits-libertés perdent leur sens : ils ne peuvent plus être exercés que par les riches. Que vaut le droit à la vie (droit-liberté) sans l’accès aux services de santé (droit social)? Que vaut la liberté d’expression (droit-liberté) quand un milliardaire comme Conrad Black peut posséder la moitié des journaux du Canada? Que vaut le droit de vote dans un État minimal qui ne contrôlerait plus que l’armée et quelques biens publics délaissés par le secteur privé? Par conséquent, l’élimination des droits sociaux entraîne l’élimination des droits-libertés pour ceux qui ne peuvent se les payer. En fait, ce ne sont plus que les riches qui auraient des droits. Le marché crée-t-il un ordre social stable? À entendre parler les néolibéraux, si on laissait aller le marché, l’ordre spontané régnerait si bien qu’on pourrait congédier la moitié de la police, des juges et des politiciens. On comprendra que si le marché crée un ordre, l’intervention politique devient presque inutile. Les Grande-Bretagne nous sont constamment présentés comme un modèle de prospérité économique où l’ordre social règne. En réalité, dans un tel système, l’écart entre les riches et les pauvres se creuse à un rythme effarant. Une étude de la Réserve fédérale américaine, publiée en 1995, dévoile que 1% des foyers américains possèdent 40% des richesses du pays. Le 1% des foyers les plus riches ont doublé leurs revenus depuis 1980. On se croirait revenu au temps de Louis XIV. Il y avait cinq millions de millionnaires aux Grande-Bretagne en 1997. Un autre exemple du supposé ordre social qui règne dans cette fabuleuse région est l’apparition d’une nouvelle classe sociale, appelée les « working poors », qui représente 20% de l’ensemble des travailleurs salariés et qui gagnent moins que le seuil de pauvreté. Entre 1979 et 1995, 43 millions de travailleurs ont perdu leur emploi pour se replacer dans des emplois à conditions inférieures. Les 20% des employés qui étaient syndiqués en 1980 ne sont plus que 10%. L’écart entre les 10% de salariés les mieux payés et les 10% les moins biens payés a doublé depuis 1980. Actuellement, 7 900 000 travailleurs occupent plusieurs emplois à la fois pour boucler leur budget. Ce n’est pas la disette pour tout le monde : la moyenne américaine des salaires de PDG se solde à 5,8 millions de $, soit 209 fois la paie d’un ouvrier d’usine. La rémunération des hauts dirigeants avait augmenté de 54% en 1996. Une autre vertu du laisser-faire; le colonialisme moderne se réalise non pas en occupant le territoire géographiquement mais en payant les travailleurs à un salaire de misère dans des régions telles que le Vietnam, Haïti, le Bangladesh, le Honduras, la Corée ou le Grande-Bretagne. À titre d’exemple, une chemise se fabrique en 25 minutes à 25 cents de l’heure au Bangladesh. Une tonne d’acier exige 5,8 heures à 1,28$ de l’heure au Brésil. Disney paie 3$ par jour leurs ouvriers de Haïti pour fabriquer des T-Shirts, alors que le coût de la vie est presque équivalent à celui du Canada. Le jeu du marché est supposé plus efficace, car c’est la multiplicité des projets en concurrence qui fait découvrir l’usage efficace d’un bien. Si j’utilise mal une ressource, mon voisin fera mieux que moi, ce qui lui permettra de vendre à meilleur prix. Cet argument est de moins en moins vrai car

Page 6: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

la dernière chose que les compagnies veulent c’est d’être soumises aux lois du marché. Pour y échapper, elles intègrent leurs fournisseurs et leurs concurrents. Un libéralisme incompatible avec la justice sociale Si la société est hypercomplexe, si elle comporte de multiples effets non intentionnels comme le fait valoir le paradigme néolibéral, alors la raison nous commande d’instaurer un État assuranciel. Il faut alors payer ses impôts comme on paye sa prime d’assurance. S’il ne nous arrive rien, tant mieux. S’il nous arrive une contingence, on est alors très content d’être assuré. À la philosophie néolibérale de l’individu isolé, il faut opposer une philosophie solidariste, celle qui désigne l’homme comme un être social qui ne peut rien accomplir seul. Le chômeur ne reçoit pas de prestations en vertu de la charité chrétienne ou d’une vague morale laissée à la discrétion individuelle, il reçoit sa prestation en vertu de son droit à la production sociale. Il la reçoit du fait que tous reconnaissent que le chômage est le côté pervers de la division du travail, inévitable par ailleurs. Il est le côté pervers du progrès technologique dont tout le monde profite. Tous s’unissent pour pallier ce mal social qui peut frapper n’importe qui. La couverture du risque rattachée à mon existence m’oblige à couvrir celui des autres. Le solidarisme ne me demande pas de renoncer à moi-même, mais à reconnaître que je ne peux rien seul contre le mal social. La quête de ma protection m’oblige à vouloir celle des autres.

Page 7: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

3. Il faut reconquérir notre citoyenneté par Riccardo Petrella Le libéralisme n’est pas prêt de mourir. Les dirigeants chinois viennent de changer depuis quelques années la définition de leur système pour dire qu’ils sont devenus une économie de marché socialisée. L’Inde vient aussi de démanteler toute une série de structures sociales et politiques. Ça fait deux milliards et deux cents millions d’individus dont les dirigeants ont accepté ces dernières années de s’intégrer en s’adaptant à la logique de l’économie de marché capitaliste, mondialisée, libéralisée. La destiné de l’ex-union soviétique et des pays de l’Est, désormais, c’est de devenir des économies de marché. Les 15 pays de l’Union européenne ont dit à la Pologne, à la Slovaquie, à la Roumanie, à la Bulgarie : vous entrerez. Vous entrerez, mais seulement lorsque vous serez une véritable économie de marché, lorsque vous aurez achevé votre transition. On vous accueillera alors à bras ouverts. Nous devons être lucides, d’autant plus que dans nos pays, les forces libérales n’ont aucune impression de perdre. Les forces libérales ont l’impression d’être en train de gagner. Si vous allez dans les aéroports du monde, vous trouverez une publicité extraordinaire éclairée, un panneau lumineux, une foule qui monte, des drapeaux. Titre : « Capitalists of the world united ». Et sur les drapeaux, yen, dollars, pounds, euro,... L’expropriation de la citoyenneté Les forces néolibérales nous ont exproprié l’histoire. À 150 ans de célébration de la publication du manifeste du parti communiste, c’est eux qui ont l’arrogance et la prétention de dire qu’ils sont en train d’unifier le monde. Les forces liées au capital ont réussi un fantastique processus d’expropriation de la citoyenneté. Nous ne sommes plus des humains, nous sommes des ressources humaines qui doivent être rentables, sinon c’est l’exclusion. Nous avons l’obligation en tant que ressource humaine de démontrer que nous sommes rentables et si nous ne sommes pas rentable, nous n’avons aucun droit. Comme ressource humaine, nous n’avons pas de parole mais nous avons le droit d’être combiné avec d’autres ressources humaines pour assurer l’allocation optimales des ressources matérielles, immatérielles et disponibles à travers la planète. On nous a exproprié comme société. On nous a dit qu’il n’y a plus de société. Ce qui existe comme mécanisme d’organisation des relations inter-personnelles, c’est le marché. On nous a dit que le seul pouvoir que nous ayons désormais, c’est en tant que consommateur solvable et que la seule possibilité que nous ayons de changer le monde, c’est en tant que consommateur solvable. On nous a dit qu’en tant qu’acteur de marché, nous pouvons également changer le monde si nous sommes actionnaires. Enfin, nous sommes acteur de marché en tant que producteur, précisément comme ressource humaine rentable. On nous a exproprié notre terre, notre planète. On nous a dit désormais que la planète est une série de marchés à conquérir par les nouveaux concurrents, les nouveaux conquérants. La planète est désormais un lieu de confrontation, de guerre économique. La planète n’est plus l’ensemble des sociétés humaines, des civilisations, des cultures. La planète est une série de marchés, de ressources à optimiser, à conquérir. On nous a exproprié le politique. M. Dite Mayer, le président de la Bundestbank nous a clairement dit le 3 février 1996 ce que tout le monde doit savoir : les gouvernements sont sous le contrôle des marchés financiers. Il a dit cela devant 350 premier ministres et ministres du monde et personne n’a bronché.

Page 8: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

On nous a exproprié en tant qu’humain; nous ne sommes plus des humains, nous sommes des individus. L’humanité est devenue une somme d’individus, chacun cherchant à prendre sa place dans le «marché» des ressources humaines. Ce qui règle maintenant le sort des individus, c’est la compétitivité et la compétitivité, c’est la guerre pour la survie. On nous dit qu’il n’y a pas de solidarité entre les gens, entre les pays, les régions, les États, les villes, les universités. Et nous tous, nous avons accepté un tout petit peu ça, sinon un peu beaucoup. Même les syndicats ont accepté la logique de la compétitivité. Même les gouvernements qui se disent «socialistes» ont accepté la logique de la compétitivité. On nous a exproprié la solidarité. Toutes nos écoles ont comme principale prescription pédagogique de former les ressources humaines les mieux qualifiées et dont les entreprises du pays ont besoin pour être compétitives sur les marchés mondiaux. C’est ainsi qu’on nous a exproprié de la chose la plus fondamentale : être citoyen, et pouvoir participer à la définition des objectifs d’une société. Dans les cégeps et dans les écoles secondaires, quand a-t-on parlé pour la dernière fois de bien commun? On nous dit que tout cela est dans l’histoire et les forces dominantes du capital mondial ont réussi cela parce qu’elles ont fait la grande narration de la révolution scientifique et technologique. Les néolibéraux ont gagné parce qu’ils ont été capables de donner la seule grande narration qui a essayé de donner un sens à l’histoire actuelle. Et cette narration, c’est la grande révolution scientifique et technologique des trente dernières années aboutissant à la réalité de la mondialisation. On nous a dit que depuis trente ans, nous sommes en train de changer les fondements de la condition humaine parce que nous avons balayé les contraintes du temps et de l’espace grâce aux technologies d’information et de la communication, parce que nous avons balayé les contraintes du vivant grâce aux nouvelles biotechnologies, parce que nous avons balayé les contraintes de la matière grâce aux nouvelles technologies énergétiques. On nous a dit que les nouvelles révolutions scientifiques et technologiques ont bouleversé le travail, la production et la distribution de la richesse. Il est évident que devant cette grande narration, qui a fasciné plus d’un milliard de Chinois et presqu’un milliard d’Indiens, est en train d’exproprier et d’appauvrir tout le monde sauf une petite minorité. La seule véritable réponse que nous ayons, c’est la révolte. Nous n’avons pas la possibilité d’accepter cela facilement, nous avons le droit de nous révolter. Nous avons besoin d’exprimer notre rejet de citoyen, une révolte de nature politique contre le système dominant actuel. Et cette révolte doit nous permettre d’organiser non seulement la résistance, mais d’organiser aussi la reconstruction de la citoyenneté. Je me permets de conclure en proposant trois pistes sur lesquelles on peut reconstruire cette citoyenneté. La première piste, c’est de désarmer la finance. On ne peut pas laisser le capital mondial proclamer « Capitalists of the world united ». Nous devons créer des mouvements et appuyer les mouvements existants, qu’ils soient modérés ou non. Il faut chercher d’autres manières d’utiliser la finance. Il faut appuyer la nouvelle association lancée dans Le Monde Diplomatique, l’Association pour la taxe Tobin pour l’action citoyenne (ATTAC). Il faut rétablir le contrôle politique sur les mouvement de capitaux. Il faut imposer une taxe sur les transactions financières internationales. Il faut éliminer les 37 paradis fiscaux. Il faut éliminer le secret bancaire. Il faut également porter la finance à l’école. Il est extraordinaire de voir que des gens qui ont terminé l’université ne comprennent rien sur le principe de la monnaie, par exemple. L’ignorance

Page 9: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

est le fondement de l’expropriation de la citoyenneté. C’est pour cela qu’il faut remettre la finance sous contrôle du citoyen. Deuxième piste d’action : nous devons proclamer que la grande capacité de ces six milliards de gens d’aujourd’hui et des huit milliards de gens qui habiteront la planète dans 20 ans, c’est de créer la richesse commune. Empêcher qu’il y ait encore des gens qui n’ont pas accès à l’eau potable à l’an 2020. Empêcher qu’il y ait encore de gens qui n’ont pas accès au logement à l’an 2020. Parce qu’il y a encore 1 milliards 400 millions de personnes qui n’ont pas accès à l’eau. Il y a encore 1 milliard 700 millions de personnes qui n’ont pas accès à un logement. Il y a des gens qui n’ont pas accès au téléphone : 3 milliards de personnes dans le village global. Nous devons nous battre pour que la priorité soit donnée à la distribution des biens de base. C’est pour cela que l’une des propositions concrètes du Groupe de Lisbonne, c’est de reconnaître l’eau comme le premier bien commun patrimonial de l’humanité non susceptible d’appropriation privé. Il faut que les paysans se rapproprient leur terre. Nous devons appuyer des mouvements comme Campesinos sin Tierra au Brésil ou les associations de femmes sénégalaises pour la reconquête de la terre. Troisième piste, il faut se battre pour la liberté et l’indépendance de la presse. Si nos sociétés perdent l’existence de la liberté et de l’indépendance de la presse, l’économie de marché capitaliste, mondialisée, libéralisée, déréglementée, privatisée, compétitive et à haute intensité technologique sera encore dominante dans 200 ans. Nous devons donc essayer par n’importe quel moyen d’assurer la forme la plus pluraliste possible, la plus diversifié possible de la presse.

Page 10: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

4. Le néolibéralisme va perdre nécessairement par Albert Jacquard Au nom de la lucidité, je vais vous montrer que le néolibéralisme va perdre nécessairement. Le libéralisme d’Adam Smith, qui date de deux siècles, était une découverte merveilleuse pour cette époque. Mais maintenant que les ressources disponibles sont limitées, les conditions nécessaires pour appliquer les théories d’Adam Smith n’existent plus; la théorie du libéralisme est fausse. Le libéralisme professe que chaque individu cherche à accroître sa richesse personnelle et que l’accumulation de ces égoïsmes va permettre d’atteindre l’optimum collectif. Ce qui est bon pour la General Motors, dit-on, est bon pour les Grande-Bretagne, et ce qui est bon pour les Grande-Bretagne est bon pour l’humanité. Or, les conditions pour que les théories d’Adam Smith soient vraies sont les suivantes : qu’il y ait une infinité de vendeurs, une infinité d’acheteurs et une quantité illimité de marchandises à échanger. Au 18e siècle, cela pouvait se vérifier puisqu’il n’y avait que 800 millions d’individus sur Terre. Mais aujourd’hui, avec 6 milliards d’individus sur Terre, bientôt 8 milliards, les ressources sont limitées. Comme le disait le poète Paul Valery, « le temps du monde fini commence ». LA CROISSANCE À TOUT PRIX? Nous saturons la planète avec notre consommation effrénée. Adam Smith, c’était génial, mais maintenant c’est faux. Un ancien premier ministre a osé dire qu’il suffirait d’une croissance de 4% par année pendant trente ans en Grande-Bretagne pour que le problème du chômage soit résolu. Or, il se trouve qu’une croissance de 4% pendant trente ans équivaut à multiplier par quatre l’activité économique de la Grande-Bretagne. Cela veut dire quatre fois plus de voitures, quatre fois plus de machines à laver, etc. Cela est évidemment absurde puisque c’est impossible. Ceux qui prétendent résoudre un problème par la croissance nous mentent nécessairement : toute croissance exponentielle mène tout droit à la catastrophe. Songeons à ce que nous sommes en train de faire avec le pétrole. Les réserves mondiales sont d’environ 500 milliards de tonnes et on en utilise environ 4,5 milliards de tonnes par an. Le résultat, c’est que dans cent ans il n’y en aura plus. Est-il sérieux d’avoir détruit en deux siècles une richesse que la nature a pris des centaines de millions d’années à créer? Ce qui est vrai pour le pétrole est vrai pour toutes les richesses non-renouvelables de la planète. Qu’est-ce que l’on attend pour décider que toutes les richesses non-renouvelables soient des biens communs de l’humanité? Il ne faut pas de croissance, il faut une décroissance. La Terre ne pourra supporter 9 milliards d’individus qui consomment comme les occidentaux actuellement. Tout au plus pourrait-elle en supporter entre 500 millions et un milliard d’individus. Il y a deux solutions au problèmes. La solution néolibérale, c’est qu’il n’y a qu’à se battre pour décider qui a le droit d’utiliser les ressources de la planète. L’autre solution, c’est le partage. LA SCIENCE ÉCONOMIQUE PERD SON OBJET D’ÉTUDE À l’époque d’Adam Smith, 97% de l’activité économique des occidentaux consistait à produire des biens matériels pour le marchandage. Maintenant, c’est 50% de l’activité économique qui consiste à produire des bien non-marchands tels la santé ou l’éducation. Pour que ces biens puissent entrer dans les théories d’Adam Smith, il faut rendre ces biens « marchandables », il faut créer un marché pour ces biens. Il faut accepter que seuls ceux qui en ont les moyens puissent avoir accès

Page 11: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

à la santé et à l’éducation. Il faut accepter la barbarie, accepter que l’on puisse se soigner seulement si on a de l’argent. Ces activités ont un coût, mais n’ont pas de valeur. Les théories économiques ne peuvent donc les prendre en considération, à moins que les économistes inventent de nouvelles théories pour attribuer une valeur à ce qui n’en a pas. Il y a eu des travaux très sérieux pour évaluer la valeur d’une vie humaine. Un de ces articles résumait la valeur de la vie humaine avec une courbe. Un bébé naissant, qui n’a rien coûté ni rien produit, a une valeur égale à zéro. Comme il faut ensuite le nourrir et le soigner, sa valeur devient alors négative et descend jusqu’au moment où il commence à produire. Sa valeur commence alors à augmenter jusqu’au moment où elle devient positive. Elle augmente, augmente, jusqu’à ce que l’individu devienne vieux. La courbe recommence alors à descendre. L’optimum consiste à ce que l’individu disparaisse au moment où sa courbe de valeur est à son maximum. C’est scandaleux! Cela montre bien à quel point on ne peut plus s’arrêter lorsqu’on entre dans cette logique là. On devient obligé de se demander si c’est plus intéressant de sauver la vie d’un vieillard, d’un enfant, d’un riche, d’un pauvre, etc. Il y a des hôpitaux, dans certains pays dits « civilisés », qui ne dispensent plus certains soins à partir d’un certain âge parce que ça coûte trop cher. Il faut dire aux économistes : « Occupez-vous de ce qui est marchandable ». Cela représentait 97% des biens au temps d’Adam Smith, seulement 50% aujourd’hui, moins de 30% dans le futur... Pour les autres biens, il faut trouver un moyen de couvrir les coûts de ces activités qui produisent de la richesse. Le moyen tout simple, c’est de financer ces activités à partir des biens marchands. Cela s’appelle l’impôt. Un homme politique sérieux devrait dire : « Votez pour moi, je vous promets d’augmenter les impôts. » Dans leur essence, les impôts sont nécessaires. Montesquieu disait qu’on mesure le niveau de civilisation d’une société au niveau de ses impôts. LE NÉOLIBÉRALISME VA DISPARAÎTRE Du fait que la Terre soit limitée, que nos effectifs soient grands, que nos pouvoirs soient de plus en plus extraordinaires et surtout que notre activité économique ait changé complètement, le libéralisme perdra son objet même et disparaîtra. L’économie politique est une science du passé. La science de l’avenir, c’est l’humanistique, soit l’ensemble des réflexions qui permettent de répondre à la question « L’Homme, c’est quoi? ». L’idée essentielle, c’est que la réelle richesse de l’Homme vient de nos relations inter-personnelles. La communauté des Hommes possède ce qu’aucun d’entre nous possède. C’est la communauté qui façonne l’individu. Le vrai projet humain, c’est de créer une société où chacun de nous verrait l’Autre comme une source de richesse et non comme un obstacle à éliminer. Il faut supprimer la compétition. L’éducation doit servir à créer ces citoyens qui tisseront des liens avec les autres.

Page 12: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

5. Privatisation envisagée d’Hydro-Québec : pourquoi revenir sur les acquis de la nationalisation?

Par Martin Poirier La nationalisation de l’électricité survenue en 1944 et 1963 a doté le Québec d’un puissant outil économique. Les Québécois bénéficient de tarifs uniformes à travers la province, ces tarifs étant également parmi les plus bas au monde. De plus, ils sont propriétaires d’une société d’État qui a rapporté plus d’un milliard de dollars en profits et taxes aux coffres du gouvernement québécois. Cette réussite suscite cependant la convoitise et plusieurs « spécialistes » de l’énergie proposent que l’on démantèle Hydro-Québec et que l’on cède le tout au secteur privé. Pour faire le point, nous avons étudié des cas de privatisation de ce service public réalisés ailleurs dans le monde. La crise du verglas a ravivé l’ardeur des partisans de la privatisation qui affirment que l’industrie de l’électricité serait bien mieux gérée si elle était dans les mains du secteur privé et soumise à une saine concurrence. C’est oublier un peu vite les expériences de privatisation des services publics d’électricité, notamment en Angleterre et en Australie. La privatisation en Angleterre En Angleterre, les gains promis aux consommateurs résidentiels suite à la privatisation ne se sont pas concrétisés, bien que des facteurs favorables aux entreprises d’électricité, comme une baisse du prix du gaz naturel et du charbon, aient permis à celles-ci de réduire sensiblement leurs coûts. Quant aux employés de l’électricité, ils ont été les grands perdants de cette privatisation. En seulement cinq ans, de 1990 à 1995, plus du tiers des effectifs ont été coupés (54 400 emplois). Les compagnies, elles, ont réalisé des profits records. Les actionnaires des compagnies d’électricité ont réalisé un rendement annuel moyen de 30% depuis la privatisation, alors que la bourse de Londres n’affichait qu’un rendement annuel de 11% au cours de la même période. Les rendements et les profits sont tellement indécents que le gouvernement travailliste a décidé d’imposer une taxe exceptionnelle sur les entreprises de services publics privatisées qui rapportera 7,9 milliards de dollars en deux ans. Les compagnies d’électricité contribueront pour 3,5 milliards de dollars à cette nouvelle taxe. Les hauts dirigeants des compagnies d’électricité ont également récolté le magot depuis la privatisation. Ils ont vu leur rémunération grimper d’en moyenne 35% chaque année pendant cinq ans, alors que le salarié britannique moyen devait se contenter d’une augmentation annuelle de seulement 14%. Australie et Grande-Bretagne : un système à deux vitesses Non seulement les consommateurs n’ont pas obtenu les baisses de tarifs promises suite à la privatisation en Grande-Bretagne, mais les ménages à faible revenus sont maintenant beaucoup plus vulnérables aux coupures de services. Les entreprises « offrent » aux ménages à faibles revenus un système à carte débit. Ces ménages doivent payer à l’avance pour l’électricité qu’ils consommeront. En cas de difficultés financières, ces ménages ne se font plus couper l’électricité, ils « décident » tout simplement de ne plus en acheter! Ce système est avantageux pour les entreprises puisqu’elles n’ont plus à faire de démarches pour couper l’électricité aux ménages en difficultés. De plus, ces cas de « coupures volontaires » n’entrent plus dans les statistiques des coupures de services. Il y a quelque chose de profondément pervers et discriminatoire dans ce système. En Australie, les ménages à faibles revenus écoperont également suite à la privatisation et à la déréglementation de l’électricité. Selon un sondage effectué en mai par la firme de consultants et d’expert-comptables Coopers & Lybrand, plus du tiers des compagnies privées d’électricité

Page 13: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

prévoient que le service sera moins fiable qu’avant la privatisation. Cela a du bon, estiment toutefois les dirigeants d’entreprise, puisque le marché pourra ainsi déterminer la valeur monétaire de la fiabilité du service lorsque des pannes de courant apparaîtront. Poursuivant la logique du marché jusqu’à l’absurde, les dirigeants des entreprises australiennes affirment que le gouvernement ne devrait pas intervenir pour assurer la continuité du service. Le raisonnement est clair et implacable : la fiabilité du service a un prix que le consommateur doit payer, faute de quoi celui-ci devra s’attendre à vivre fréquemment des pannes d’électricité.

Page 14: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

6. L’ampleur de la problématique en éducation par Martin Petit 30 ans après le Rapport Parent L’atelier sur l’éducation cernait la problématique du retour à un système d’éducation privé. À travers différents symptômes observés, il y a lieu de croire à ce scénario; l’entré du secteur privé à tous les niveaux des établissements publics, le financement inégal reçu de l’État par les écoles privées au détriment des écoles publiques et la mise en place de programmes gouvernementaux et privés encourageant un financement individuel des études supérieures dessinent un modèle de système d’éducation dangereusement calqué sur nos voisins du sud. Le secteur privé veut prendre le contrôle de l’éducation pour mieux exercer un contrôle sur l’idéologie de la population et surtout, sur les valeurs qui doivent gérer les rapports entre les individus et les corporations. Puisque les entreprises ont besoin de travailleurs dociles et de sur-consommateurs pour enrichir leurs actionnaires, il est nécessaire pour elles d’ancrer dans la tête des enfants et ce, le plus rapidement possible, qu’en dehors de la production et de la consommation de produits et de biens il n’y a rien qui vaille. La compétitivité doit aussi demeurer à l’ordre du jour; afin d’optimiser leurs résultats, les entreprises veulent utiliser les «gagnants» à leur service en prenant bien soin d’exclure les perdants et de les reléguer au rang de simple consommateur. L’invasion du privé Du primaire à l’université, les interventions du secteur privé visent essentiellement à profiter au maximum des avantages que l’éducation publique peut leur rapporter. Les établissements publics reçoivent de plus en plus d’argent du secteur privé. Le matériel didactique, les commandites, les dons de charité, le partenariat, les conférences d’hommes d’affaires, la recherche universitaire financée et orientée par de grandes entreprises ne sont là que les exemples les plus connus de cette invasion calculée. Tout l’argent dépensé par le privé pour conquérir notre système public d’éducation est déductible du revenus des entreprises, donc assumé en partie par les finances publiques. Contre leur gré, les citoyens contribuent financièrement à l’instauration d’un système éducationnel qui n’aura pour but que de servir les entreprises selon leurs besoins. Cette vision utilitariste du système d’éducation est aussi endossée par les gouvernements; le contenu des réformes de l’éducation et les déréglementations épousent ce que les entreprises préconisent. Le développement de programmes conformes aux exigences des entreprises montre bien le détournement de l’intérêt public vers l’intérêt des corporations. Évidemment, le développement des individus vers un esprit critique ne figure pas au menu des revendications affairistes. Le financement Dans l’optique de céder éventuellement sa place au secteur privé, l’État retire aux établissements publics le financement nécessaire à leur bon fonctionnement, suivant ainsi le courant de la mondialisation et les revendications du monde des affaires. Les énormes compressions imposées au secteur public de l’éducation ont été réparties de façon à privatiser les universités en premier. De 1993 à 1998, les universités québécoises ont perdu 25,7% de leur financement en dollars constants. De toutes les enveloppes budgétaires du ministère de l’Éducation, celle des universités fut la plus touchée par ces compressions. La recherche universitaire est désormais contrôlée en majeure partie par le secteur privé. Avec les chaires et les groupes de recherche privés, on assiste

Page 15: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

à une valorisation des domaines d’études très lucratifs pour les affaires et les autres secteurs sont très peu ou pas financés. Après les universités suivront les cégeps. La Fédération des cégeps se penche sur la possibilité de confier la mise en place de programmes à des entreprises, programmes spécialement dessinés pour leurs fins. Les matières «non-rentables» ou portant sur la critique ne font évidemment pas partie des programmes que l’on veut valoriser. Au primaire et au secondaire, le secteur privé cherche surtout à modeler l’esprit des enfants. La Banque de Montréal et le Groupe Investors enseignent aux enfants de 8 ans et plus, avec leur matériel didactique, l’ABC du bon placement, mais surtout l’importance de confier celui-ci aux institutions financières. Quelques explications embellissent le tout; on présente la mondialisation comme une nécessité et on préconise la répartition de la richesse par la philanthropie au lieu d’exposer comment l’État a pu historiquement redistribuer cette richesse par le biais d’une fiscalité équitable. Le bien public au service des affairistes La privatisation du système d’éducation profiterait à tout le secteur privé. Cette prise de contrôle du privé asservirait une autre partie du bien public au profit des entreprises mais perpétuerait également le modèle de société inhumaine qui enrichit une minorité de gens fortunés et appauvrit la grande majorité. Face à cette problématique, il faut informer mais surtout dénoncer de toutes les manières possibles ce recul majeur; réclamons un vrai débat de société sur cette question démocratique et fondamentale qu’est l’accès gratuit à un système public d’éducation libre des influences du privé.

Page 16: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

7. Les gouvernements placent des morceaux importants par Martin Petit Le casse-tête du « nouveau » système d’éducation Ce texte fait état des derniers développements dans le milieu de l’éducation et donne suite aux constats exposés au colloque de la Chaire les 17 et 18 avril derniers. De plus en plus, tant au Canada anglais qu’au Québec, les gouvernements placent un à un les morceaux de casse-tête qui dessineront notre futur système d’éducation; celui-ci sera évidemment et malheureusement conforme aux besoins et désirs des grandes entreprises. Après le matériel didactique, les manuels scolaires Le 23 avril dernier, la ministre de l’Éducation déclarait à l’Assemblé nationale qu’elle avait confié le mandat à un comité d’«évaluer la possibilité qu’effectivement je n’aie plus à approuver chacun des manuels scolaires qui soit distribué dans nos écoles» (1). La Ministre n’a fait que cautionner la pratique établie relativement à plusieurs cas où du matériel pédagogique non-approuvé par le ministère de l’Éducation a été distribué par des entreprises, prenant bien soin d’y inclure les manuels scolaires obligatoires, tout en exprimant sa volonté de ne pas s’opposer à la prise de contrôle des entreprises sur les écoles publiques. Cette nouvelle est presque passée inaperçue; pourtant, tous les enseignants et les parents sensibles au contenu de l’apprentissage de leurs enfants devraient s’inquiéter de cette déclaration. Déjà, plusieurs écoles acceptent du matériel pédagogique provenant d’entreprises désireuses de s’attaquer au marché lucratif des enfants qui, une fois grands, seront de bons consommateurs et de bons travailleurs dociles. En permettant aux entreprises de développer sans restriction des manuels scolaires pouvant servir de matériel promotionnel, il faut s’attendre au pire. Les programmes de cégeps Inc. Dans Le Devoir du 7 mai dernier, on apprenait que la Fédération des cégeps veut soulever la demande suivante aux directeurs généraux des établissements collégiaux : serait-il temps de «confier au secteur privé l’élaboration de programmes d’enseignement professionnels de manière à ce que les entreprises participent au financement de leurs établissements»? Avec les graves problèmes financiers que vivent les cégeps en ce moment, la réponse à cette question risque bien de combler le milieu des affaires puisqu’encore une fois, le débat public sur la question n’aura pas lieu et l’aspect financier restera le seul valable. L’Ontario emboîte le pas de la privatisation des universités Toujours le 7 mai, Mike Harris annonçait la déréglementation des frais de scolarité universitaires de l’Ontario pour les programmes de médecine, de droit, d’administration, de médecine dentaire, d’optométrie, de pharmacie et de médecine vétérinaire ainsi que les programmes de maîtrise et de doctorat. Cette décision fait en sorte que les universités ontariennes pourront augmenter leurs frais de scolarité sans restriction dès septembre prochain. M. Harris laissait également sous-entendre qu’il envisageait étendre cette mesure aux programmes de génie et d’informatique. Des 4 500$ que coûte actuellement une année d’étude universitaire en médecine, l’Université de Toronto songe à en demander 11 000$ (2). Ce scénario ressemble de plus à celui des universités privées américaines qui exigent des frais astronomiques; cette nouvelle politique réduit non seulement l’accessibilité aux études en Ontario mais aura aussi un effet domino sur les frais exigés par les universités des autres provinces canadiennes.

Page 17: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

De plus, les programmes visés figurent parmi ceux que le milieu des affaires affectionne particulièrement de par leur potentiel à développer des parts de marché pour le secteur privé et par le fait même, à générer d’éventuels profits. Évidemment, on réserve ces futures parts de marché aux étudiants pouvant se payer des études à 11 000$ par année! La croisade se poursuit Rien ne semble empêcher le milieu des affaires à continuer sa prise de contrôle sur le système public d’éducation. Les gouvernements placent tranquillement les pions du privé sur l’échiquier pour mieux leur céder la partie une fois la première mise en échec; cette mise en échec ne sera pas seulement la capitulation de l’État en matière d’éducation face aux demandes des grandes entreprises mais signifiera aussi la fin du droit à l’éducation et à l’égalité des chances.

1. Débats de l’Assemblée nationale, le jeudi 23 avril 1998, 14h40 (disponible à l’adresse suivante : http://www.assnat.qc.ca/fra/Publications/débats/JOURNAL/CH/980423/1430.HTM).

2. DES RIVIÈRES, Paule, « La bombe Harris suscite l’inquiétude au Québec », Le Devoir, 9 et

10/05/98.

Page 18: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

8. L’exemple de la Société des Alcools du Québec par Martin Poirier Extrait du livre «Privatisations : l’autre point de vue» La Société des alcools du Québec est, comme toutes les sociétés d’État, soumise à de fortes et continuelles pressions pour que ses activités soient privatisées en partie ou en totalité. Le débat est malheureusement à sens unique, puisque le gouvernement n’a jamais, au cours des dernières années, envisagé de renforcer son rôle dans l’industrie des boissons alcooliques. Le « monopole » de la SAQ des boissons alcoolisées a d’ailleurs subi de nombreuses attaques au cours des vingt dernières années. Contrairement à certaines prétentions du secteur privé, une entreprise étatique peut être bien gérée et peut exercer un contrôle strict sur ses dépenses d’exploitation pour générer des bénéfices intéressants. Le cas de la SAQ le prouve. De 1988 à 1997, les dépenses d’exploitation de la SAQ n’ont augmenté que de 1,9% annuellement, malgré une inflation annuelle au Québec de 3,0%. Au cours de cette période de dix ans, la croissance des dépenses d’exploitation s’est maintenue sous le taux d’inflation pendant six années consécutives. Combien d’entreprises privées pourraient se vanter d’en faire autant ? La SAQ contribue de manière importante au financement des services publics. La société d’État a en effet versé au cours des dix dernières années plus de 6,6 milliards de dollars aux deux paliers de gouvernement en taxes, droits et dividendes. Près de 5 milliards de dollars, soit 73% de cette somme, ont été versés au gouvernement du Québec. Il est bien évident que des acheteurs éventuels ne paieraient jamais le plein prix advenant une privatisation de la SAQ. Le gouvernement du Québec obtiendrait un montant déprécié qui se rapprocherait de la valeur des actifs, déduction faite des dettes de l’entreprise. La vente de la SAQ ferait donc perdre au gouvernement plusieurs milliards. Pourquoi le gouvernement n’obtiendrait-il pas le plein prix en privatisant la SAQ ? Dans la plupart des cas de privatisation, le gouvernement agit rapidement pour éviter de confronter ses projets aux réticences légitimes des citoyennes et citoyens. De plus, les entrepreneurs qui achètent des biens publics privatisés ont tout intérêt à payer ces biens en-dessous de leur juste valeur marchande. La vente devient alors une liquidation pure et simple de biens publics. On n’a qu’à penser au centre de ski Mont-St-Anne, qui fut vendu en 1994 plus de 22 millions de dollars en deçà de sa valeur marchande. La privatisation de Sidbec-Dosco est un autre bon exemple de vente de feu. Après avoir investi 1,5 milliards de dollars dans l’entreprise, le gouvernement l’a vendue à une entreprise mexicaine pour aussi peu que 45 millions de dollars; le bénéfice net de la première année suite à la privatisation de 60,5 millions de dollars a à lui seul plus que compensé le prix de vente de l’usine. Tentatives de privatisation de l’usine d’embouteillage Le gouvernement québécois annonçait, en septembre 1993, la mise en vente de l’usine d’embouteillage de la SAQ. On prévoyait alors que le processus de mise en vente serait finalisé avant la fin de l’été 1994. Le gouvernement envisageait comme scénarios possibles une fusion avec un producteur ou la vente pure et simple de l’usine. Cette option fut finalement abandonnée pour réapparaître, trois ans plus tard, dans le document du groupe de travail sur le secteur des boissons alcooliques au Québec. Le rapport final du groupe de travail vient d’être remis au gouvernement du Québec et préconise une privatisation partielle de l’usine d’embouteillage.

Page 19: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

Les raisons qui motivent la vente demeurent énigmatiques. Un prétexte avancé par le secteur privé pour défendre le projet de vente est d’affirmer que la SAQ, en embouteillant ses propres marques maison, se trouve en plein conflit d’intérêts, car elle concurrence injustement ses fournisseurs. Le groupe de travail, dans son premier document produit en octobre dernier, reprend ces arguments du secteur privé : « Si la SAQ est le seul actionnaire, la création d’une entité légale distincte n’élimine pas la perception négative de conflit d’intérêts, ni les critiques relativement à la non-pertinence de la présence active d’une société d’État dans l’industrie de la mise en bouteille. » D’une part, qui critique la pertinence de la présence de la SAQ dans l’embouteillage, sinon les embouteilleurs qui en subissent la concurrence? D’autre part, il est assez particulier de parler de « conflits d’intérêts » pour tout simplement décrire une entreprise intégrée verticalement. Pourtant, le secteur privé ne fait pas grand cas des IGA, Provigo ou Canadian Tire, qui concurrencent aussi leurs fournisseurs en commercialisant des marques maison. Les grandes chaînes d’épicerie ont leur propre marque de bière maison (la marque Norois de Métro-Richelieu et la marque Nos compliments de IGA) qui concurrencent leurs fournisseurs de bière. Labatt et O’Keefe ont d’ailleurs tenté d’empêcher Métro de vendre sa Norois sous prétexte que le détaillant exerçait une concurrence déloyale, mais la Cour suprême a donné raison à Métro. La SAQ ne devrait pas se laisser intimider par ses concurrents et devrait faire valoir ses droits comme l’a fait Métro. Rentabilité de l’usine d’embouteillage On prétend aussi que les activités d’embouteillage de la SAQ sont déficitaires et qu’on ne pourrait rétablir leur rentabilité qu’en confiant ces activités au secteur privé. L’analyse des états financiers de l’usine nous laisse toutefois un tout autre constat. De 1995 à 1997 en effet, le rendement de l’avoir de la SAQ a été en moyenne de 31% annuellement. Ce n’est pas rien! Avec un bénéfice net de 2,4 millions de dollars et un rendement de l’avoir de 54% pour l’année 1997, l’usine d’embouteillage offre un rendement fort intéressant à son propriétaire. Quel serait l’intérêt de privatiser cette activité ? La SAQ a entrepris, depuis quelques temps, de développer et de mettre en marché des produits du terroir québécois. En plus de permettre une meilleure utilisation de son usine d’embouteillage, ces nouveaux produits couvrent un créneau que le secteur privé québécois a, jusqu’à maintenant, complètement délaissé. La production de ces produits à base de sirop d’érable, de cassis et de petits fruits dépasse les 20 000 caisses et la SAQ peut maintenant penser à les exporter. On ne saurait insister sur l’importance, pour l’économie québécoise, de développer une production purement locale. Contrairement à l’embouteillage de vins importés en vrac, ces produits sont fabriqués avec des matières premières provenant exclusivement du Québec. Leur commercialisation à grande échelle permet de stimuler l’économie régionale; pour la liqueur de cassis, par exemple, la SAQ a assuré à deux producteurs de l’Ile d’Orléans l’achat de leur production pour les quinze prochaines années. Il est important de souligner encore une fois que la SAQ est le seul embouteilleur québécois à avoir pris le risque de développer ces produits. Usine d’embouteillage : ne pas répéter l’erreur des autres Dans le dossier de l’usine d’embouteillage de la SAQ, le gouvernement pourrait s’inspirer de ce qui s’est passé en Ontario pour éviter de refaire les mêmes erreurs. L’OLCB, l’équivalent ontarien de la SAQ, avait elle aussi sa propre usine d’embouteillage, qui embouteillait principalement des alcools forts. Ces installations ne faisaient pas l’affaire des distillateurs qui y voyaient une concurrence gênante. Le gouvernement a donné suite aux pressions du lobby des distillateurs et a décidé de démanteler l’usine, qui employait 60 travailleurs en septembre 1996.

Page 20: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

Pourtant, l’usine d’embouteillage de l’OLCB était rentable; tellement rentable que l’OLBEU, le syndicat des employés de l’OLCB, a offert au gouvernement de lui acheter l’usine plutôt que de la fermer. Le gouvernement et l’OLCB n’ont même pas voulu discuter avec le syndicat pour tenter d’arriver à une entente. N’importe quelle entreprise commerciale essaierait de vendre ses actifs pour limiter ses pertes plutôt que d’opter pour le démantèlement, surtout si un acheteur sérieux se présente. Dans le cas de l’OLCB, cependant, la décision était politique et n’avait rien à voir avec la rationalité économique. Suite à cette décision, l’OLCB a cessé d’embouteiller des marques qui étaient par ailleurs de très bons vendeurs. Comme il existe toujours une forte demande pour certaines de ces marques, l’OLCB se cherche maintenant des embouteilleurs privés pour les embouteiller et pouvoir continuer à les vendre sur le marché. Comme dans le cas de l’Ontario, la privatisation de l’usine d’embouteillage de la SAQ est motivée principalement par des considérations politiques. Vincor, principal embouteilleur privé, aimerais bien se débarrasser de la concurrence de l’usine d’embouteillage de la SAQ. Inexplicablement, le gouvernement compte offrir à Vincor une participation dans cette usine sur un plateau d’argent! Pour le maintien du monopole étatique de la SAQ La SAQ a démontré au cours des dernières années qu’elle pouvait exercer un contrôle strict sur ses dépenses d’exploitation et qu’elle était capable d’innover. Aucun argument servi à ce jour ne justifie une privatisation partielle ou complète de la SAQ. La SAQ est une entreprise bien gérée et qui procure des retombées socio-économiques énormes pour les consommateurs, les employés, l’État et la collectivité toute entière. La privatisation de la SAQ n’aurait pour gagnants que les petits aventuriers opportunistes dont le but premier est de faire beaucoup d’argent sans trop de risques. Rien ne justifie non plus une privatisation de l’usine d’embouteillage de la SAQ. L’usine d’embouteillage est rentable et pourrait l’être davantage si l’on permettait à la SAQ de se développer. Le maintien de l’usine d’embouteillage au sein de la SAQ est le meilleur moyen de mettre cet actif en valeur. Pour le mieux-être de tous, nous croyons qu’il faut préserver l’intégralité des opérations de la SAQ. Et s’il faut absolument, en ces temps difficiles, accroître les revenus gouvernementaux, la nationalisation par la SAQ de certaines opérations du privé renforcerait le monopole de la société d’État et augmenterait substantiellement sa rentabilité tout en réduisant les prix de vente, pour le plus grand bénéfice des contribuables et de l’État québécois, qui empocheraient plus de dividendes, et des consommateurs, qui paieraient moins cher leur bouteille.

Page 21: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

9. Hydro-Québec : une entreprise privée à contrôle public? par Martin Poirier Le virage commercial d’Hydro-Québec

Les nationalisations de l'électricité de 1944 et de 1963 ont permis à la collectivité québécoise de prendre le contrôle de l'industrie de l'électricité. Suite à la nationalisation, les tarifs d'électricité ont grandement diminué et ont été uniformisés à la grandeur de la province, les régions rurales ont été électrifiées et la qualité du service s'est améliorée. Tous ces acquis sont maintenant remis en question par le gouvernement et la direction d'Hydro-Québec sans aucun mandat de la population; Hydro-Québec doit devenir une société commerciale qui vise le profit avant tout.

Fini l'efficacité énergétique, les tarifs préférentiels pour les consommateurs résidentiels, la qualité du service, le développement de nouvelles technologies. André Caillé, PDG d'Hydro-Québec, a affirmé maintes fois qu'Hydro-Québec vise essentiellement la rentabilité et doit dégager un rendement d'au moins 11% pour l'actionnaire, le gouvernement du Québec. On va de l'avant, même si cette politique du "profit avant tout" porte préjudice à l'ensemble des citoyens québécois. Deux exemples bien concrets, soit l'efficacité énergétique et la fiabilité du réseau, montrent bien l'importance pour Hydro-Québec d'avoir des visées plus larges que le simple accroissement de son bénéfice net.

L'efficacité énergétique sur la glace: Hydro-Québec préfère bétonner nos rivières

L'efficacité énergétique comprend une série de mesures comme l'isolation des maison, l'installation de thermostats électroniques et la promotion d'appareils électroménagers efficaces. Elle permet de réduire la consommation d'énergie sans affecter le bien-être des consommateurs et de dégager de l'énergie additionnelle en protégeant l'environnement, en créant plus d'emplois que n'importe quelle filière de production traditionnelle et en favorisant la recherche et développement dans de multiples industries. De plus, l'efficacité énergétique s'avère, d'un point de vue économique, fort rentable pour l'ensemble de la société. Le seul problème, c'est qu'Hydro-Québec a décidé d'en faire le moins possible pour les cinq prochaines années.

Les potentiels d'efficacité énergétique au Québec sont fort intéressants, selon les propres chiffres d'Hydro-Québec. La société d'État évalue que si elle réalisait toutes les mesures rentables d'un point de vue strictement économique, la facture de l'ensemble des clients d'Hydro-Québec diminuerait de 20%. En tenant compte des autres facteurs, comme la protection de l'environnement, qui rendent l'efficacité énergétique intéressante, on arrive à un potentiel beaucoup plus élevé.

En supposant qu'Hydro-Québec réalise le plein potentiel d'efficacité énergétique, l'entreprise pourrait facilement atteindre ses objectifs commerciaux, soit des ventes additionnelles de 40 TWh d'énergie d'ici l'an 2007, sans accroissement de la production dans aucune autre filière. Autrement dit, pas de nouveaux barrages, de dérivations de rivières ou de nouvelle production thermique pour les dix prochaines années.

Par la suite, Hydro-Québec pourrait suffire à la demande interne pour une bonne quinzaine d'années encore en réduisant ses ventes à l'exportation. Vers l'an 2025, les énergies renouvelables et vertes telles l'énergie solaire et l'énergie éolienne seront accessibles à bien meilleur marché grâce aux avancées technologiques. Les nouvelles technologies permettront également de réaliser de nouvelles économies d'énergie socialement rentables. Vraisemblablement, Hydro-Québec pourrait répondre aux besoins énergétiques des Québécois pour le 21e siècle sans jamais plus toucher à nos rivières.

Page 22: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

L'efficacité énergétique n'est pas seulement avantageuse au plan environnemental; elle crée plus d'emplois par million de dollars investi que n'importe quelle autre filière de production. Certaines études évaluent qu'à investissements égaux, l'efficacité énergétique crée quatre fois plus d'emplois que la production hydroélectrique.

Même sans tenir compte de ses nombreux avantages environnementaux et sociaux, l'efficacité énergétique est très rentable pour la société québécoise. Ainsi, selon les propres chiffres d'Hydro-Québec, la société prise dans son ensemble a réalisé un bénéfice net de 660 millions de dollars pour les programmes d'efficacité énergétique d'Hydro-Québec complétés en 1995.

Ce sont les consommateurs qui ont profité directement de ces programmes. Tous les groupes de consommateurs réunis (résidentiel, agricole, commercial, institutionnel, industriel) ont pu réduire leur facture d'électricité de 1,2 milliards de dollars. Ces programmes ont toutefois été faiblement déficitaires pour Hydro-Québec, qui a perdu 65 millions de dollars. Les divers paliers gouvernementaux ont également perdu 175 millions de dollars en taxes parce qu'Hydro-Québec vend moins d'énergie.

Ces pertes apparaîtraient bien petites en comparaison du gain de 900 millions de dollars pour les consommateurs du Québec si Hydro-Québec avait à coeur les intérêts de l'ensemble de la population. Toutefois, comme Hydro-Québec se comporte de plus en plus comme une entreprise commerciale, les projets d'efficacité énergétique ont été graduellement abandonnés au fil des ans.

RENTABILITÉ DES PROGRAMMES D'EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE RÉALISÉS EN 1995

(millions de dollars de 1995)

Consommateurs 900

Gouvernements 175

Hydro-Québec 65

COLLECTIVITÉ 660

LA FIABILITÉ DU RÉSEAU COMPROMISE

La récente crise du verglas nous a montré l'importance d'assurer la fiabilité du réseau d'Hydro-Québec. Pourtant, Hydro-Québec a coupé substantiellement ses budgets d'entretien du réseau, d'investissement, de formation du personnel et de recherche et développement pour le transport et la distribution d'électricité (VOIR TABLEAU).

Par contre, la direction d'Hydro-Québec a annoncé le Plan Caillé, au coût de 815 millions de dollars, pour consolider le réseau d'électricité. Le Plan prévoit entre autres la construction de lignes de transport en Montérégie et en Outaouais. L'objectif premier de ces lignes, non avoué par la direction d'Hydro-Québec, est d'exporter de l'électricité vers les États-Unis et l'Ontario. Pourtant, des alternatives existent qui permettraient de consolider le réseau plus rapidement, à moindre coût et sans grand dommages pour l'environnement, simplement en utilisant les emprises existantes et en augmentant leur capacité. La direction d'Hydro-Québec ne s'est pas donné la peine d'étudier ces alternatives.

Peut-être faudrait-il rappeler le cas de Mercury Energy, une entreprise publique d'électricité de la Nouvelle-Zélande. Bien qu'elle soit, comme Hydro-Québec, propriété des consommateurs néo-zélandais, Mercury Energy a également opté pour un virage résolument commercial. De 1993 à 1997, les emplois ont chuté de moitié alors que les profits quadruplaient. Ces changements n'ont pas été sans conséquences pour les consommateurs: en janvier et février 1998, quatre câbles

Page 23: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

sous-terrains à haute tension ont successivement rendu l'âme, plongeant le centre-ville d'Auckland, principale ville de la Nouvelle-Zélande, dans le noir pendant plus de deux mois.

DES CHIFFRES QUI PORTENT À RÉFLEXION... De 1994 à 1996, diminution des budgets d'Hydro-Québec pour :

- l'entretien du réseau de transport 14%

- l'entretien du réseau de distribution 26%

- la formation du personnel 22%

- la R&D en transport 10%

- la R&D en distribution 29%

- les investissements en transport 48%

- les investissements en distribution 17%

Les exemples de l'efficacité énergétique et de la fiabilité du réseau nous montrent à quel point le virage commercial d'Hydro-Québec serait nuisible pour les consommateurs québécois. Les questions de qualité du service et de justice sociale sont complètement évacuées sans aucun débat public. La rentabilité à court terme doit-elle devenir le seul et unique objectif d'une société d'État? Le secteur public doit-il reproduire les vices du secteur privé? À moins que l'on ne prépare là le transfert d'Hydro-Québec aux mains du secteur privé...

Page 24: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

10. Système de santé : le retrait de l’état fait l’affaire du privé

par Gino Lambert et François Patenaude

Depuis plusieurs années, diverses transformations sont venues modifier notre système public de santé. L'impact de ces transformations est connu: il est généralement négatif, tant pour la population que pour les travailleurs du réseau et l'ensemble du système de santé. L'effet sur les compagnies privées est moins connu. Nous nous sommes penchés sur cet aspect afin de mieux répondre à la question "À qui profitent les transformations du système public de santé?".

DE L'ASSURANCE À LA DÉSASSURANCE

Il est bon de rappeler qu'avant que le Québec ne se dote d'un système public de santé, la plus grande cause d'endettement pour les citoyens était la maladie. L'État québécois a décidé, à compter de 1960, d'adopter une série de mesures afin de transférer une partie des risques financiers liés à la maladie vers la collectivité. C'est ainsi que sont nées l'assurance hospitalisation (1961) et l'assurance maladie (1970). De 1970 à 1980, de nombreux programmes complémentaires sont venus s'ajouter. En 1982, la décroissance de la couverture des services de santé par l'État fit son apparition avec la première désassurance.

Les désassurances représentent une réduction du panier de services assumés par l'État; des soins autrefois assurés et payés par l'État ne le sont plus. Les désassurances peuvent aussi prendre la forme d'une réduction de la couverture des soins ou encore exclure des catégories de citoyens. Les désassurances ont été nombreuses depuis 1982. Par exemple, certains services dentaires, des soins de physiothérapie et les examens d'optométrie pour les 18 à 64 ans ne sont plus accessibles à ceux qui n'ont ni assurances privées, ni les moyens de payer.

DE RETOUR À L'ASSURANCE PRIVÉ

Les désassurances ont un impact direct sur les affaires des compagnies d'assurance. Une analyse des cinq plus grosses compagnies d'assurance canadiennes révèle que leurs revenus ont connu une croissance moyenne de 88% de 1987 à 1996 et que le bénéfice moyen augmentait de 187% pour la même période. Seulement deux de ces cinq compagnies fournissaient le détail des primes d'assurances maladie. Il s'agit de la Sun Life, qui a vu ses primes d'assurances maladie passer de 384 millions $ en 1987, à 1.2 milliards $ en 1996, pour une augmentation de 216%. Pendant ce temps, les autres primes de la Sun Life augmentaient de seulement 100%. L'augmentation des primes d'assurances maladie de la Canada-vie a été de 117% entre 1987 et 1996, alors que les autres primes augmentaient en moyenne de 54% pour la même période.

Un document de l'assureur québécois SSQ-vie, intitulé «L'assurance collective, jeux et enjeux», est très révélateur. Il nous montre le lien direct entre les désassurances et l'augmentation de la couverture et des primes des compagnies d'assurances. Il y est écrit, concernant les soins dentaires, que la désassurance de 1992 «a amené une hausse des primes d'environ 10% dans les régimes privés de soins dentaires». Il y est également dit qu'avec l'augmentation des délais d'attente en physiothérapie dans les hôpitaux, «les remboursements de visites chez le physiothérapeute en clinique privée sont passés d'environ un million $ en 1990 à plus de quatre millions $ en 1996». Les désassurances en santé sont donc très bénéfiques pour les compagnies d'assurance privées qui prennent la relève au fur et à mesure que l'État se retire de certains soins de santé.

Page 25: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

LE PRIVÉ À LA RESCOUSSE

Au Québec, la part des dépenses privées sur les dépenses totales de santé a augmenté de 52% au cours des 13 dernières années, passant de 21% en 1975 à 32% en 1997. Ces dernières années, trois grandes premières ont confirmé la tendance à l'accélération des dépenses de santé privées. En 1995, le pourcentage des dépenses privées au Québec égalait le niveau canadien qui a toujours été historiquement plus élevé. En 1997, pour la première fois depuis la création du système publique de santé québécois, la part des dépenses privées sur les dépenses totales en santé dépassait la barrière des 30%. En 1997 toujours, une autre première: le pourcentage de dépenses privées au Québec (32%) dépassait celui du Canada (31%).

Ces chiffres trouvent leur explication dans le fait que l'ensemble des réformes gouvernementales ont engendré le chaos plutôt qu'une amélioration du système. Pourquoi, par exemple, ne pas avoir affecté des ressources financières supplémentaires aux CLSC et mis en place des services de soins à domicile avant de fermer des lits et d'amorcer le virage ambulatoire? Le fait d'avoir créé le chaos a permis l'entrée en scène d'un «sauveur» qui nous délivrera tous de «l'incurie» du système public de santé. Et ce «sauveur», c'est le secteur privé. Devant les listes d'attente qui s'allongent, les désassurances, les soins à domicile, les compressions et tout le reste, la solution est toujours la même: le secteur privé.

VERS QUOI SE DIRIGE-T-ON?

Notre système de santé s'aligne dangereusement sur celui des Américains. Aux États-Unis, les dépenses de santé par habitant sont les plus élevées au monde. Une des raisons qui explique ce phénomène est la part élevée de dépenses privées, qui atteint 54% des dépenses totales de santé: un cas unique parmi les pays de l'OCDE. Or, plus la part des dépenses privées est élevée, plus le coût des services de santé est élevé, car il faut inclure le profit des compagnies privées comme nouveau coût dans la chaîne des services.

L'industrie de l'assurance-vie et santé est l'un des gros maillons de cette chaîne. Les affaires des assureurs sont florissantes aux États Unis. On y dénombre dix compagnies faisant partie des 500 plus grandes entreprises au monde. Ces dix firmes ont réalisé ensemble un chiffre d'affaires de 173.5 milliards $ en 1996! L'obligation d'avoir une assurance-santé privé aux États-Unis pour se faire soigner élimine 40 millions d'Américains de l'accès aux soins de santé. Ces personnes n'ont pas droit au programme Médicaid parce qu'elles ont un emploi et que leurs faibles revenus ne leur permettent pas de se payer une assurance privée.

Les systèmes de santé canadien et québécois s'alignent vers le système américain. Quatre phénomènes expliquent cela. Il s'agit de l'importance accrue du rôle des assureurs privés dans les services de santé, de la part croissante des dépenses privées sur les dépenses totales de santé, de la diminution de l'accessibilité, de l'universalité, de l'équité et de la gratuité des soins et, enfin, de la présence grandissante des compagnies de soins de santé américaines en sol québécois et canadien.

Notre système public de santé, bien qu'il soit effondré par endroits, tient encore debout malgré les coups de butoir qu'on lui assène. Il faut non seulement veiller à protéger ce qui en reste, mais le renforcer, sinon nous en ferons tous les frais au plus grand profit des assureurs privés.

Page 26: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

11. Une réalité qui n’est pas étrangère à la croissance du coût des médicaments dans les budgets de l’État

par Gino Lambert Compagnies pharmaceutiques brevetées : l’industrie la plus rentable au monde

Les lois canadiennes actuelles qui ont trait à l'industrie pharmaceutique favorisent grandement l'industrie brevetée. En plus de pouvoir profiter de la Loi C-91, qui lui accorde une protection de 20 ans sur ses brevets, cette industrie peut compter sur le traitement fiscal le plus généreux au monde pour les pharmaceutiques. Les compagnies pharmaceutiques génériques prônent l'assouplissement de la loi en soulignant que les gouvernements fédéral et provinciaux pourraient réaliser de substantielles économies sur le coût des médicaments consommés par le régime collectif d'assurance-maladie si ces dernières pouvaient mettre en marché plus rapidement leurs produits. Par le biais d'une réduction de leurs primes d'assurances, les consommateurs possédant une assurance privée sortiraient également gagnants d'une telle démarche.

L'adoption en 1993 du projet de loi C-91 par le gouvernement fédéral du Canada a engendré un débat de taille entre les compagnies pharmaceutiques canadiennes fabriquant les médicaments génériques et celles fabriquant les médicaments brevetés. À l'opposé des compagnies génériques, les compagnies pharmaceutiques brevetées prétendent que le prix de vente élevé de leurs médicaments ainsi que la protection à longue échéance de leurs brevets par la loi C-91 sont tout à fait justifiés en raison des coûts liés à la recherche et au développement des médicaments de marque. Jusqu'à maintenant, en acquiesçant à la plupart de leurs requêtes, le gouvernement canadien a semblé partager cet avis.

Selon les données courantes de l'année 1996, les médicaments génériques servaient à exécuter 40% des ordonnances au Canada comparativement à 60% pour les produits de marque. Par ailleurs, en termes de dollars, le marché des génériques ne représentait que 15% du marché canadien. Selon les mêmes sources, les médicaments génériques coûteraient environ 40% de moins que leur équivalent de marque.

LA PART CROISSANTE DU COÛT DES MÉDICAMENTS DANS LES BUDGETS DE L'ÉTAT

Parmi l'ensemble des secteurs d'activités en santé à l'échelle du pays, le secteur des médicaments était celui qui monopolisait la plus grande partie du budget de santé fédéral mis à part le secteur des hôpitaux. Depuis plus d'une dizaine d'années, cette proportion n'a cessé d'augmenter. De 1985 à 1996, la proportion des dépenses totales de santé liée aux médicaments passait de 10.7% à 14.4%.

Les données qui nous ont été fournies par le Conseil de la santé et du bien-être du Québec et la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) confirment cette tendance à l'échelle provinciale. Plus précisément, une étude réalisée par le Conseil de la santé et du bien-être du Québec démontrait que, de 1985 à 1994, le secteur des médicaments était celui qui avait enregistré la plus forte hausse des coûts parmi l'ensemble des coûts de santé au Québec. Cette augmentation s'élevait à 160% par rapport à 52% seulement pour l'ensemble des soins de santé.

UN PROFIL FINANCIER À COUPER LE SOUFFLE

Les sommes allouées à l'achat de médicaments par l'État sont très importantes. À ce titre, doit-on continuer à favoriser les médicaments brevetés au détriment des médicaments génériques? Ne pourrait-on pas obliger les compagnies pharmaceutiques brevetées à réduire le prix de vente de leurs médicaments de prescription ? Ces dernières pourraient-elles absorber une baisse de leurs revenus tout en continuant à investir dans la recherche et le développement de nouveaux

Page 27: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

médicaments? Avant de pouvoir répondre à toutes ces questions, il est essentiel d'analyser la santé financière de l'industrie pharmaceutique brevetée afin d'évaluer sa réelle rentabilité.

En procédant à l'analyse financière de six entreprises de l'industrie pharmaceutique brevetée sur une période de cinq ans (1992 à 1996), nous avons pu constater qu'elles présentaient toutes un profil financier exceptionnel : augmentation totale de 66% de l'actif et de 62% des ventes, très bas niveau d'endettement et rendement de l'avoir des actionnaires qui dépasse les 30% annuellement.

En partie grâce aux données présentées dans la revue Fortune, nous pouvons affirmer sans la moindre réticence que la rentabilité de l'industrie pharmaceutique brevetée est tout à fait remarquable. Qu'il s'agisse du rendement de l'actif, du rendement des ventes ou encore du rendement de l'avoir des actionnaires, l'industrie s'est classée au premier rang parmi les industries à l'échelle planétaire durant quatre années d'affilée, soit de 1993 à 1996. Au cours de l'année 1996, sept des dix premières places pour la rentabilité de l'actif revenaient à des compagnies pharmaceutiques brevetées. Pourtant, L'industrie se situe dans la moyenne pour ce qui est de sa taille.

De plus, nous avons remarqué que, durant la même période, les ressources financières consacrées à la recherche et au développement de nouveaux médicaments n'ont nullement suivi la croissance des ventes. On remarque que plus l'entreprise est imposante, moins grande est la portion des ventes qu'elle investit en recherche. Ceci nous indique que les nombreuses fusions qui s'organisent actuellement contribueront fortement à réduire les sommes totales injectées en recherche par l'industrie.

Par ailleurs, les sommes utilisées au profit des actionnaires sous forme de rachats d'actions ordinaires et de versement de dividendes sont colossales. Au cours de la période étudiée, ces sommes équivalaient à 87% du bénéfice net total des entreprises. Les résultats de cette étude corroborent ceux que nous avions obtenus dans une étude précédente et qui couvrait la période de 1990 à 1992.

Tandis que nos gouvernements s'acharnent énergiquement à réduire les dépenses publiques dans le secteur de la santé en coupant radicalement dans les services offerts à la population, l'industrie pharmaceutique brevetée accumule des milliards de dollars de profits année après année, même durant les périodes de crise. Ceci revient tout simplement à remplir les poches des actionnaires des compagnies pharmaceutiques brevetées avec l'argent des contribuables. Dans de telles circonstances, il semble impératif que nos gouvernements agissent pour réaliser des économies sur le coût des médicaments brevetés, permettant ainsi de dégager des sommes supplémentaires pour les autres activités de notre système de santé collectif, qui en a grand besoin.

Page 28: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

12. Léo-Paul Lauzon, l’empêcheur de tourner en rond

par François Patenaude Conférence de clôture du colloque de la Chaire

Dans l'après-midi du 18 avril, Léo-Paul a conclu le colloque par une conférence synthèse où il a passé en revue les quatre thèmes exposés en ateliers par les chercheurs. Fidèle à son habitude, celui que l'on surnomme le «pape de l'acétate» s'est présenté avec son vocabulaire coloré, son tempérament bouillant et ses chemises emplies des précieuses pellicules plastiques. Tout au long de son exposé, il s'est appliqué à démonter les arguments du patronat et à expliquer les entourloupettes exécutées par les Picher, Bérard, Landry et compagnie.

Alors que la foule se levait pour applaudir Léo à la fin de sa conférence, toute l'équipe de la Chaire poussait un grand ouf! Non pas que l'on craignait que Léo-Paul ne soit pas à la hauteur, mais parce que le colloque qui venait de se terminer était une réussite totale et qu'on pouvait dire «mission accomplie». Voici les grandes lignes de la conférence de clôture où on s'est payé du bon temps.

COMPAGNIES PHARMACEUTIQUES ET HELLS ANGELS

Léo-Paul a montré en quelques acétates des chiffres et des faits à faire dresser les cheveux sur la tête. Non seulement les compagnies pharmaceutiques sont-elles les plus rentables au monde (elles ont terminé premières de 1993 à 1996 selon la moyenne des bénéfices nets réalisés par entreprise dans un secteur d'industrie), mais pendant que les gouvernements coupent dans les dépenses de santé au nom du déficit zéro, ces compagnies engrangent des profits astronomiques et jouissent de la complaisance des dirigeants en profitant d'avantages fiscaux. Le rendement sur l'avoir des actionnaires pour les compagnies pharmaceutiques dépasse les 30% annuellement, ce qui a fait dire à Léo-Paul que s'il était conseiller pour les Hells Angels, il leur suggérerait de se recycler dans le domaine pharmaceutique.

LA SANTÉ

Les dérapages en santé sont nombreux. Depuis des mois, les réformes de la santé ont affecté la qualité et l'accessibilité aux services. Pourtant, des manchettes comme celle de La Presse du 26 février 1997 nous faisaient espérer des miracles: «17 000 postes en moins et un réseau de santé plus efficace», affirmait Jean Rochon. On connaît le résultat! Léo-Paul a rappelé quelques unes des histoire d'horreurs à propos des urgences, des chirurgies et des listes d'attente qui font maintenant partie de notre quotidien. Ce qui n'empêche pas Lucien Bouchard d'affirmer que le ministre Rochon est notre plus grand ministre de la santé. Plus grand «minus» de la santé aurait été plus approprié...

Pendant que le ministre «Rushons» coupe dans les budgets de santé, des gens comme le communicateur Sylvain Vaugeois proposent de créer des hôpitaux privés pour riches étranger soit-disant pour financer nos services de santé. Dans les faits, de tels hôpitaux risquent de drainer le réseau public des ses meilleurs éléments et de créer un régime à deux vitesses.

Claude Castonguay est lui aussi en faveur du secteur privé et il l'a fait savoir dans de nombreuses lettres aux journaux. Ce qui laisse Léo-Paul songeur: «les lettres que Castonguay fait paraître dans La Presse indiquent qu'il est ancien ministre de la santé et qu'il a présidé à la mise en place du régime d'assurance maladie. C'est drôle, ils oublient de dire qu'il travaille depuis des années à la banque Laurentienne. C'est comme si on me présentait comme un ancien de Ernst & Young sans dire ou je travaille maintenant».

Page 29: taon special colloque - UQAM · 1. Le colloque de la Chaire : réussite sur toute la ligne! par Léo-Paul Lauzon Notre colloque sur le démantèlement de l’État a été un succès

L'ÉDUCATION

Si on écoute les gens d'affaires, l'école ne doit plus être un lieu d'apprentissage pour former des citoyens responsables et instruits, mais un bassin où puiser une main-d'oeuvre adaptée à leurs besoins. Comme si ce n'était pas assez, voilà que les affairistes se mêlent de la question du financement de l'éducation et que «le président de la banque Scotia préconise la concurrence inter-universitaire» tandis que «le Conseil du patronat appuie les collèges privés». L'État emboîte le pas au discours d'affaires et la «nouvelle réalité», en éducation comme ailleurs, est à trouver des sources de financement privé. Car, nous dit-on, il faut s'adapter! Léo-Paul nous a rappelé que l'UQAM s'adapte très vite, car après l'invasion publicitaire sur le campus (il y a même des publicités au-dessus des urinoirs!), elle a acheté l'édifice du 281, le célèbre bar de danseurs nus.

L'ÉNERGIE

Au cours de sa conférence, Léo-Paul en a profité pour renouer avec certains de ses ennemis préférés. Il a décoché quelques flèches à l'économiste Pierre Fortin qui s'est déjà positionné en faveur d'une privatisation d'Hydro-Québec à l'occasion d'une conférence devant la Chambre de commerce de Montréal. Le problème, c'est qu'il a affirmé cela sans études à l'appui et que le lendemain, il était invité à commenter son idée «géniale» à l'émission Le Point à l'antenne de Radio-Canada. Bizarre, cet empressement à accorder une telle tribune à la simple opinion personnelle d'un économiste, a souligné Léo-Paul. «Si j'affirmais devant la Chambre de commerce de Montréal que je suis en faveur de la nationalisation de Bell, je ne pense pas qu'on m'inviterait au Point pour commenter mon idée. Je crois plutôt que quelqu'un signalerait le 911 et qu'on me ferait entrer à Louis Hippolyte au plus c...».

Léo-Paul a également souligné l'absurdité de nommer Bernard Lemaire président du conseil d'administration de Cascades, à la présidence d'un groupe sur l'allégement réglementaire. Car M. Lemaire, qui est à la tête d'une des industrie les plus polluantes du Québec et possède quelques petits barrages hydro-électriques privés, a pour cible le ministère de l'Environnement et le Code du travail depuis longtemps. «Franchement, de tempêter Léo, c'est comme si on mettait un maffieux à la tête d'une commission d'enquête sur le crime organisé!».