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Table des matières
REMERCIEMENTS
SOMMAIRE DE L’ÉTUDE ............................................................................................................... 1
1 INTRODUCTION .................................................................................................................. 6
1.1 Mise en situation .................................................................................................. 6
1.2 Objectifs de l’étude ............................................................................................ 7
1.3 Comité de travail ................................................................................................ 7
1.4 Méthodologie ....................................................................................................... 8
2 LE SYSTÈME DE JUSTICE ET L’ACCÈS À LA JUSTICE .................................................... 9
2.1 Le système judiciaire .......................................................................................... 9
2.2 Les dépenses de l’État consacrées à la justice ........................................ 12
2.3 La notion d’accès à la justice ....................................................................... 16
2.4 L’état des lieux dans différentes juridictions .............................................. 17
2.5 La toile de fonds au regard de l’offre et de la demande
de services au Québec ................................................................................... 24
2.6 Les grands défis .................................................................................................. 27
3 LES MÉNAGES À REVENUS MOYENS CLIENTÈLE DE LA JUSTICE ............................ 30
3.1 La mesure des écarts entre riches et pauvres .......................................... 30
3.2 Une définition et la représentativité des Québécois
à revenus moyens ............................................................................................. 31
4 COMPRENDRE LE MARCHÉ DE LA JUSTICE ................................................................ 34
4.1 Comprendre les coûts des services juridiques .......................................... 34
4.2 L’accès à la justice ........................................................................................... 35
4.3 La demande : les besoins en services juridiques ...................................... 36
4.4 L’offre formelle et informelle .......................................................................... 38
4.5 Le fonctionnement du marché de la justice ............................................ 39
4.6 Les tendances du marché de la justice ..................................................... 41
ii
5 LE PANIER DE SERVICES JURIDIQUES : L’OFFRE POUR LES MÉNAGES
À REVENUS MOYENS .......................................................................................... 42
5.1 L’architecture classique de l’offre ................................................................ 42
5.2 Avocats et notaires : les officiers de justice de première ligne ............ 44
5.3 L’architecture informelle de l’offre............................................................... 52
6 L’ACCÈS À LA JUSTICE POUR LES MÉNAGES À REVENUS MOYENS :
LA DEMANDE EXPRIMÉE .................................................................................... 55
6.1 Différentes enquêtes auprès des justiciables ............................................ 55
6.2 Le recours aux services juridiques chez la classe moyenne
au Québec ......................................................................................................... 57
7 L’ADÉQUATION DE L’OFFRE ET DE LA DEMANDE DE SERVICES JURIDIQUES ...... 67
7.1 Les besoins exprimés des ménages à revenus moyens ......................... 67
7.2 Les lacunes du cadre actuel ......................................................................... 70
7.3 Complémentarité et dissonance du panier de services juridiques
dans le processus d’adéquation de l’offre et de la demande ........... 81
8 DES AVENUES À INVESTIGUER POUR OPTIMISER L’ACCÈS À LA JUSTICE ........... 82
8.1 Le caractère transversal des solutions disponibles et/ou proposées . 82
8.2 L’efficience socioéconomique des composantes du panier de
services pour les ménages à revenus moyens ......................................... 84
8.3 Facilitateurs et freins à l’accès à la justice................................................. 88
8.4 Des pratiques émergentes : des façons innovatrices d’améliorer le
panier de services ............................................................................................. 89
9 L’ACCÈS À LA JUSTICE POUR LES MÉNAGES À REVENUS MOYENS ..................... 95
9.1 Les grands constats de l’étude ..................................................................... 95
9.2 Un panier de services juridiques pour les ménages
à revenus moyens ............................................................................................. 98
ANNEXES
Annexe I Répartition géographique des notaires et des avocats
Annexe II Bibliographie
Annexe III Liste des personnes consultées
iii
REMERCIEMENTS
Dans un état de droit, l’accès à la justice ne doit pas être possible uniquement
pour quelques groupes. Actuellement, l’accès à la justice civile est une réalité
pour certaines minorités, soit les personnes les plus démunies ou encore les plus à
l’aise de la société québécoise. Une majorité de citoyens composée de
ménages à revenus moyens ne peut en de maintes occasions faire valoir ses
droits. Les raisons sous-jacentes à cet empêchement sont multiples.
Ce rapport porte précisément sur les ménages à revenus moyens. Le projet a pu
voir le jour et être mené à bon port grâce à la ténacité et à la vision des
partenaires et membres du comité pilote. Il s’agit de Me Dyane Perreault,
directrice du Service du développement et du soutien à la profession au Barreau
du Québec, de Me Daniel Champagne, directeur des Produits et services à la
Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ) et de Me Johanne Delage,
directrice générale adjointe au Développement de la profession à la Chambre
des notaires du Québec. Aux membres de ce comité, un merci très sincère.
Au nom de l’Observatoire des services professionnels, je souhaite reconnaître et
souligner l’apport à forte valeur ajoutée de ces collaborateurs, qui ont contribué
de façon proactive à bonifier chacune des étapes de réalisation du rapport.
J’ai la certitude que cette démarche participera à l’avancement de ce dossier
prioritaire de l’accès à la justice pour les ménages à revenus moyens du
Québec.
Pierre Boucher
Économiste
Directeur du projet
Montréal
Septembre 2013
1
SOMMAIRE DE L’ÉTUDE
Mise en situation et objectifs
L’industrie comprend non pas un, mais une multitude de marchés, ces derniers
comptant chacun une offre variée de services destinés à des consommateurs
aux besoins hétérogènes.
Les objectifs de la présente recherche portent sur l’analyse du fonctionnement
de l’offre et de la demande de services juridiques afin d’en saisir les modalités
d’équilibre et les répercussions sur les ménages à revenus moyens du Québec.
L’accès à la justice : les dépenses de l’État
Entre 2002 et 2012, les taux moyens annuels d’évolution des crédits pendant la
période sont semblables dans le cas du gouvernement du Québec (3,1 %), des
ministères de l’Éducation (3,4 %), et de la Justice (3,1 %). La Santé a vu son
budget s’accroître de façon substantielle pour passer de 17, 827 milliards de
dollars en 2002, à 30,120 milliards en 2012. Il s’agit d’un accroissement de 12, 293
milliards de dollars ou de 68,9 %, pendant cette décennie.
Ainsi, le budget total de l’État s’est accru de 39,9 %, celui de l’Éducation, de
44,1 %, et celui de la Justice, de 38,7 %. Pour bien situer l’évolution de la Justice,
d’autres données sont requises.
Ce qui détonne de l’analyse des données sur une base per capita, c’est le
montant très restreint consacré au maintien de l’État de droit; il est question ici
de moins de 100 $ en 2012, soit 93,28 $; c’est un maigre 20,46 $ per capita qui a
été ajouté à ce budget par rapport à l’année 2002.
Les grands défis
En ce qui concerne l’offre et la demande de services juridiques, certains grands
défis sont dignes d’être soulignés.
Les baby-boomers canadiens et québécois atteignent, depuis le début de la
décennie, l’âge de la retraite en plus grand nombre. Les conséquences sont
nombreuses et engendrent des coûts souvent sous-estimés;
Deuxièmement, l’environnement est sans aucun doute la variable sensible de
l’évolution socioéconomique à moyen et à long terme;
2
Troisièmement, le système financier issu de la déréglementation de la fin des
années 1980 est devenu une source d’inquiétudes pour les contribuables et
de problèmes majeurs pour les gouvernements assujettis à la spéculation des
grandes banques d’affaires;
Quatrièmement, le gouvernement du Québec pourra difficilement continuer
à offrir une gamme de biens publics aussi large;
Cinquièmement, les avancées technologiques seront des sources plus
fréquentes de turbulences au sein de l’économie et de la société; et
Sixièmement, l’omniprésence de la mondialisation est également à prendre
en considération.
Les ménages à revenus moyens
Statistique Canada définit la classe moyenne comme étant le nombre de
ménages gagnant entre 75 % et 150 % du revenu médian. Par exemple, au
Québec, le revenu médian net pour une unité de deux personnes ou plus
s'établissait à 58 100 $ en 20111, ce qui veut dire que, pour cette catégorie de
ménages, ceux qui ont un revenu se situant entre 43 575 $ et 87 150 $ font partie
de la classe moyenne.
L’accès à la justice
Les statistiques et les informations sur les ménages à revenus moyens qui peuvent
ou non obtenir des solutions à leurs problématiques à contenu juridique
permettent de mesurer le degré d’accès à la justice. Le ménage à revenus
moyens requiert des réformes structurelles qui auront pour conséquence
d’accroître l’accès à la justice.
Une littérature récente cerne les grandes phases de ces réformes
contemporaines déjà amorcées au sein des économies de l’OCDE.
Chronologiquement, il s’agit :
de la mise en place de régimes d’aide juridique;
du développement de litiges d’intérêt public, c.-à-d. les recours collectifs;
des méthodes appropriées de résolution de conflits;
de l’ouverture du marché des services juridiques; et
d’un meilleur encadrement des professions juridiques.
1 Statistique Canada, juin 2012.
3
Les tendances du marché de la justice
Les utilisations accrues de la technologie dans toutes les sphères de l’activité
économique au Québec continueront de modifier non seulement la pratique du
droit, mais également la demande de services. Les consommateurs
bénéficieront d’une meilleure information et, de plus, ils pourront identifier des
substituts.
Outre la technologie, c’est la rémunération des avocats et des notaires qui va
changer. Le développement de la technologie facilite l’offre de produits de
commodités et les ménages paieront un prix conséquent à la valeur ajoutée du
service acheté.
De même, dans le contexte du projet de réforme du Code de procédure civile,
les avocats devront s’ajuster à certains changements qui modifieront les façons
de faire. Dans le cas de litiges dits classiques, il faut souligner l’ajout des modes
appropriés de résolution des conflits (MARC), et les considérations apportées à la
valeur économique des litiges qui constituent des changements ayant un
impact certain sur les situations où les ménages pourraient ne pas voir pas l’utilité
de recourir aux professionnels du droit.
Le panier de services juridiques
Les services juridiques correspondant aux « actes réservés » sont considérés pour
les avocats et les notaires comme le marché primaire. C’est ce qui constitue
l’offre formelle.
En parallèle, des organismes ou plateformes offrent à la disposition des ménages
à revenus moyens des services non exclusifs aux avocats et aux notaires. Une
gamme variée de services juridiques, soit de l’information ou encore de
l’assistance pour aiguiller ces derniers, est disponible rapidement et
gratuitement. C’est ce qui constitue l’offre informelle.
L’adéquation de l’offre et de la demande de services juridiques
L’adéquation des besoins au panier de services repose sur les liens existants
entre ce que les ménages de la classe moyenne requièrent comme services et
ce que l’offre formelle/informelle met à leur disposition. Les problématiques
juridiques auxquelles font face les ménages à revenus moyens sont nombreuses,
soit plus d’une douzaine (voir Section 6 du présent rapport-).
Ainsi au regard de l’équilibre dans le marché, un premier constat sur l’offre et la
demande de services juridiques traduit une situation de marché
« dysfonctionnel ». En un mot, le marché est en déséquilibre. Cet écart entre les
4
besoins et les disponibilités en matière de services juridiques explique en partie
les difficultés d’accès à la justice pour les ménages de la classe moyenne.
Cependant, avant d’identifier et de proposer des pistes de solutions pour faciliter
l’adéquation de l’offre formelle et informelle à la demande, voyons quels sont,
outre le coût de certaines composantes du panier de services, les blocages qui
en limitent une distribution optimale.
Dans un premier temps, les ménages connaissent peu ou pas le meilleur point
de services; cela constitue pourtant un incontournable pour ce qui est de
l’accès au marché;
Deuxièmement, dans l’imaginaire collectif, la prestation de services juridiques
ne dépasse pas le cadre formel du duo notaire/avocat;
Troisièmement, l’omniprésence de « silos » où les structures du panier de
services fonctionnent de façon indépendante, ce qui ampute la
performance de l’ensemble;
Finalement, le coût de certaines composantes du panier de services est hors
d’atteinte des ménages à revenus moyens.
Des recommandations
En regard de l’accès à la justice, les recommandations suivantes visent à mettre
en place des stratégies capables de produire à terme une réelle amélioration
pour les ménages à revenus moyens.
1. Consolider le développement des MARC;
2. Faire une étude des bénéfices et des coûts découlant de la mise en place
d’un régime universel d’assurance de frais juridiques;
3. Mieux coordonner les initiatives d’éducation et de vulgarisation juridique,
voire même à les consolider et les homogénéiser. Le ministère de l’Éducation
du Québec devrait être approché à cet effet;
4. Mettre en place une meilleure coordination entre les différents organismes
voués au même objectif d’accès à la justice;
5. Mettre sur pied une structure de recherche de type public-privé afin s’assurer
de disposer des connaissances sur une base continue relativement aux
besoins en services juridiques;
5
6. Accroître les initiatives porteuses et les projets de recherche et
développement en matière d’analyse des données numériques (« Big Data »
- « Métadonnées »), et ce, afin d’outiller les avocats et notaires dans le travail
d’analyse et d’évaluation à contenu juridique.
6
1 INTRODUCTION
1.1 Mise en situation
L’industrie des services juridiques est assujettie à une problématique d’asymétrie
d’information. Cela signifie qu’il est difficile pour les consommateurs de juger de
la compétence des professionnels du droit ainsi que de la qualité des services
offerts. Ces derniers sont également sensibles aux coûts des services.
Pour pallier cette asymétrie, et du fait du monopole que ces professionnels,
avocats et notaires, ont dans le domaine des services juridiques, Le Barreau du
Québec et la Chambre des notaires du Québec ont comme mission principale
la protection du public.
D’entrée de jeu, il faut mentionner que les effets externes, tant positifs que
négatifs, découlant de l’industrie des services juridiques n’ont que peu été
mesurés. Dans ce contexte, il serait difficile d’affirmer que le système est optimal
ou non si l’on ne dispose que de peu d’outils socioéconomiques pour en saisir le
fonctionnement et l’évolution au sein d’environnements de plus en plus
complexes.
L’industrie comprend non pas un mais une multitude de marchés, ces derniers
comptant chacun une offre variée de services destinés à des consommateurs
aux besoins hétérogènes. En ce qui a trait au segment des ménages, le prix peut
constituer une barrière pour l’accès à la justice. Un clivage s’est d’ailleurs créé
au cours des années. Les plus démunis ont accès à des services subventionnés
par l’État, soit l’Aide juridique. Les plus fortunés n’ont aucun problème pour
accéder à des professionnels expérimentés et à des services de qualité. Ce sont
les ménages à revenus moyens qui semblent avoir été laissés pour compte.
Il faut souligner l’attention particulière que les milieux juridiques accordent à ce
sujet de l’accès à la justice pour les ménages à revenus moyens. En effet, de
nombreuses sociétés juridiques du Canada ainsi qu’une majorité de facultés de
droit s’intéressent aux problématiques vécues par cette clientèle.
Il importe de mentionner ici l’immense chantier mis en œuvre récemment par
l’Association du Barreau canadien.
7
1.2 Objectifs de l’étude
Les objectifs de la présente recherche portent sur les éléments suivants :
Analyser le fonctionnement de l’offre et de la demande de services
juridiques afin d’en saisir les modalités d’équilibre et les répercussions sur les
ménages à revenus moyens du Québec;
En ce qui concerne les intervenants dans le marché :
o Documenter le profil de l’offre de services;
o Qualifier les besoins exprimés des consommateurs de services juridiques;
o Identifier les besoins exprimés et non satisfaits;
Établir l’adéquation de l’offre et de la demande; et
Finalement, et au même titre qu’une majorité de secteurs économiques,
développer des indicateurs mesurables de façon récurrente et qui
assureraient la pérennité du suivi de l’évolution de l’industrie (tableau de
bord).
1.3 Comité de travail
Pour la réalisation de cette étude, un comité de travail a été mis sur pied. Les
professionnels suivants ont été mis à contribution :
Me Dyane Perreault, directrice du Service du développement et du soutien à
la profession, Barreau du Québec;
Me Daniel Champagne, directeur des produits et services, Société
québécoise d’information juridique (SOQUIJ);
Me Johanne Delage, directrice générale adjointe, Direction du
développement de la profession, Chambre des notaires du Québec.
La direction du projet était sous la responsabilité de Monsieur Pierre Boucher,
économiste à l’Observatoire des services professionnels.
8
1.4 Méthodologie
La méthodologie mise au point pour ce travail comprenait les activités
suivantes :
1 Une revue exhaustive de la littérature;
2 Un programme d’entrevues face à face;
3 Un sondage auprès des ménages à revenus moyens réalisé par la maison
CROP;
4 L’élaboration d’un modèle d’analyse de l’offre et de la demande.
9
2 LE SYSTÈME DE JUSTICE ET L’ACCÈS À LA JUSTICE
En guise d’introduction, soulignons que l’accès à la justice est étroitement lié aux
mesures que l’État prend pour éliminer les obstacles financiers ou autres
rencontrés par les citoyens. Pour de nombreux observateurs de la scène
judiciaire, il appert que le système de justice civile ne soit accessible qu’à
certains groupes. Il faut être soit pauvre, soit riche pour accéder à la justice. La
masse critique de citoyens entre ces deux groupes est laissée pour compte. Les
ménages de la classe moyenne disposent de revenus qui les rendent
inadmissibles à l’aide de l’État, c.-à-d. l’Aide juridique. De plus, ces mêmes
ménages ne disposent pas de revenus leur permettant de consacrer des milliers
de dollars pour faire valoir leurs droits. Bref, la justice est-elle en crise?
Quoique l’exemple suivant ne reflète pas une situation commune, le litige fort
médiatisé de Claude Robinson contre CINAR et le groupe France Animation
illustre bien, pour le citoyen ordinaire, l’état de la situation entre les riches, les
pauvres et les ménages à revenus moyens2.
2.1 Le système judiciaire
Le système judiciaire du Québec comporte plusieurs paliers et permet dans
plusieurs cas la révision par un tribunal supérieur des décisions rendues en
première instance.
Les cours municipales
Au Québec, les cours municipales possèdent une compétence en matière civile
et pénale. En matière civile, il s’agit de causes où les municipalités réclament
des sommes dues pour des taxes ou des permis. En matière pénale, les cours
municipales entendent des plaintes déposées en vertu du Code de la sécurité
routière ou de règlements municipaux. Dans certaines villes, les cours
municipales peuvent aussi être saisies d’accusations criminelles portant sur des
infractions sommaires.
2 En 1986, Robinson s’adresse à Cinar pour présenter scénario et dessins d’une bande dessinée. Un
premier contrat est conclu en 1990. Par la suite, le projet est mis en veilleuse. Quelques années plus
tard, l’auteur retrouve son œuvre dans une émission jeunesse. Il a par la suite intenté une poursuite
pour plagiat. Depuis plus de 15 ans, Robinson est devant les tribunaux pour faire valoir son droit
d’auteur sur la série « Robinson Sucroë ». L’auteur affirme qu’il s’agit des mêmes personnages de sa
bande dessinée, soit notamment les aventures de « Robinson Curiosité ». « Robinson Curiosité, c'est
Claude Robinson. Tous les personnages sont basés sur des membres de sa famille. Sept des huit
personnages ont été plagiés » a plaidé son avocat devant le plus haut tribunal du Canada.
10
La Cour du Québec
La Cour du Québec compte près de 290 juges nommés à vie par le
gouvernement du Québec. Ce tribunal comprend trois chambres, soit la
Chambre civile, la Chambre criminelle et pénale et la Chambre de la jeunesse.
La Chambre civile
Pour les litiges dont la valeur est supérieure à 7 000 $ mais inférieure à 70 000 $,
c'est la Chambre civile de la Cour du Québec qui a compétence. Ce tribunal
traite aussi certaines affaires municipales et scolaires prévues au Code de
procédure civile. La Chambre civile possède en outre la compétence pour
entendre les appels des décisions rendues par le Tribunal administratif du
Québec, de la Régie du logement, de la Commission d'accès à l'information et
du Comité de déontologie policière.
Division des petites créances
Une division de la Chambre civile de la Cour du Québec entend les affaires
qualifiées de « petites créances ». Celles-ci ne doivent pas excéder 7 000 $. Le
demandeur peut être une personne physique, une personne morale n’ayant pas
employé plus de cinq personnes au cours de la dernière année. Les parties ne
peuvent être représentées par un avocat.
La Chambre criminelle et pénale
La chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec a compétence pour
entendre les poursuites engagées en vertu du Code criminel, du Code de
procédure pénale ou de toute autre loi à caractère criminel ou pénal.
Cependant, certaines infractions criminelles, dont celles qui sont entendues
devant juge et jury, relèvent de la compétence exclusive de la Cour supérieure.
La Chambre de la jeunesse
La chambre de la jeunesse de la Cour du Québec entend les causes en matière
de protection de la jeunesse et en matière d’adoption. Elle entend aussi les
causes où l’accusé est mineur.
La Cour supérieure
La Cour supérieure exerce son pouvoir sur tout le territoire du Québec. Elle est
actuellement composée de 192 juges, nommés par le gouvernement fédéral.
Les juges résident dans les principales villes du Québec.
11
En matière civile, la Cour entend des litiges impliquant des sommes de 70 000 $
et plus. Sa compétence est exclusive dans tout ce qui touche les matières
familiales, c.-à-d. divorces, séparations, pensions alimentaires et gardes
d'enfants, ainsi qu'en matière de faillite.
C'est aussi devant la Cour supérieure que sont traités les recours collectifs et
certaines procédures spéciales comme l'injonction qui vise l'interruption, sous
peine d'outrage au tribunal, de certaines activités préjudiciables, ou le
mandamus, qui vise à forcer certains corps publics à accomplir les actes qui leur
sont imposés par la loi. Comme indiqué précédemment, la Cour supérieure a
compétence en matière pénale et criminelle, pour les procès tenus devant jury.
Elle entend également les appels en matière de poursuites sommaires.
La Cour d'appel du Québec
Composée de 20 juges nommés par le gouvernement fédéral, la Cour d’appel
possède une compétence en matière civile, criminelle, pénale et administrative.
Selon le cas, l’appel peut être présenté de plein droit ou sur permission. Un
jugement peut faire l'objet d'un appel de plein droit en matière civile, sauf si la
valeur du litige est inférieure à 50 000 $.
La Cour suprême du Canada
La Cour suprême est le plus haut tribunal du pays. Elle se compose de neuf juges
nommés par le gouvernement fédéral, dont trois suivant la Loi sur la Cour
suprême, doivent nécessairement être recrutés dans les rangs de la magistrature
ou du Barreau du Québec. Elle siège à Ottawa et, depuis quelques années, les
juges entendent à l’occasion les plaideurs par l'entremise de nouvelles
techniques audiovisuelles, comme c'est parfois le cas devant d'autres tribunaux.
Le Tribunal administratif du Québec
Aux tribunaux mentionnés précédemment se sont ajoutés avec les années des
tribunaux spécialisés ou administratifs chargés de l'application de certaines lois
particulières: Commission des relations du travail, Tribunal des droits de la
personne, Régie du logement, etc.
Afin d'affirmer la spécificité de la justice administrative et d'en assurer la qualité,
la célérité et l'accessibilité, de même que d'assurer le respect des droits
fondamentaux des administrés, le Québec a adopté la Loi sur la justice
administrative. C'est en vertu de cette loi que le Tribunal administratif du Québec
a été institué. Ce dernier, chargé de statuer sur les recours formés contre
certaines autorités de l'Administration publique, comporte quatre sections :
affaires sociales, affaires immobilières, le territoire et l'environnement ainsi que
celle des affaires économiques.
12
2.2 Les dépenses de l’État consacrées à la justice
2.2.1 Les dépenses de justice du Québec
La justice constitue les assises de l’État de droit et de la société. À ce stade, il est
intéressant de comparer les ressources financières consacrées par l'État
québécois à la justice, à l’éducation et à la santé, les trois grandes missions de
l’État.
Le tableau qui suit présente l’évolution des crédits des ministères de l’Éducation,
de la Justice et de la Santé et des Services sociaux entre 2002 et 2012.
TABLEAU 1 Évolution des crédits de ministères choisis (2002-2012)
Année
Budget du
Gouvernement
( $)
Δ %
Ministère
Éducation
( $)
Δ %
Ministère
Justice
( $)
Δ %
Ministère
Santé et
Services
sociaux ( $)
Δ %
2002 50 662 000 000 NA 11 087 816 400 NA 541 862 100 NA 17 827 696 200 NA
2003 52 662 000 000 3,9 11 485 290 400 3,6 549 668 700 1,4 19 115 068 100 7,2
2004 54 090 000 000 2,7 11 777 641 600 2,5 563 027 300 2,4 20 071 086 300 5,0
2005 55 789 000 000 3,1 12 137 821 500 3,1 623 129 500 10,7 20 812 048 800 3,7
2006 58 078 000 000 4,1 12 797 857 600 5,4 630 861 600 1,2 22 114 506 700 6,3
2007 61 638 000 000 6,1 13 371 609 700 4,5 660 062 600 4,6 24 144 931 600 9,2
2008 63 854 900 000 3,6 13 983 966 200 4,6 666 223 400 0,9 25 468 946 100 5,5
2009 66 922 900 000 4,8 14 489 166 100 3,6 686 538 100 3,0 26 979 500 000 5,9
2010 69 551 000 000 3,9 14 805 047 700 2,2 683 653 700 -0,4 27 967 189 400 3,7
2011 68 836 000 000 -1,0 15 633 633 700 5,6 744 645 900 8,9 29 121 106 900 4,1
2012 70 879 000 000 3,0 15 975 528 900 2,2 751 336 300 0,9 30 120 808 600 3,4
Source : Gouvernement du Québec, « Budget de dépenses », Crédits des Ministères et
organismes, années 2002 à 2012.
Le tableau indique que les taux moyens d’évolution des crédits pendant la
période sont semblables dans le cas du gouvernement (3,1 %), de l’Éducation
(3,4 %), et de la Justice (3,1 %). De plus, la Santé a vu son budget s’accroître de
façon substantielle pour passer de 17, 827 milliards de dollars en 2002, à
30,120 milliards en 2012. Il s’agit d’un accroissement de 12, 293 milliards de dollars
ou de 68,9 %, pendant cette décennie.
13
Parallèlement, le budget total de l’État s’est accru de 39,9 %, celui de
l’Éducation, de 44,1 %, et celui de la Justice, de 38,7 %. Pour bien situer
l’évolution de la Justice, d’autres données sont requises. Dans cette perspective,
le tableau suivant présente les crédits sur une base per capita.
TABLEAU 2 Dépenses per capita de ministères choisis (2002-2012)
Année Population
du Québec (N)
Budget total du
gouvernement
( $)
Ministère
Éducation ( $)
Ministère
Justice ( $)
Ministère Santé
et Services
sociaux ( $)
2002 7 441 076 6 808,42 1 490,08 72,82 2 395,85
2003 7 485 838 7 034,88 1 534,27 73,43 2 553,50
2004 7 535 929 7 177,62 1 562,87 74,71 2 663,39
2005 7 581 911 7 358,17 1 600,89 82,19 2 744,96
2006 7 631 552 7 610,25 1 676,97 82,66 2 897,77
2007 7 687 063 8 018,41 1 739,50 85,87 3 140,98
2008 7 750 518 8 238,79 1 804,26 85,96 3 286,10
2009 7 825 803 8 551,57 1 851,46 87,73 3 447,51
2010 7 905 087 8 798,26 1 872,85 86,48 3 537,87
2011 7 977 989 8 628,24 1 959,60 93,34 3 650,18
2012 8 054 756 8 799,65 1 983,37 93,28 3 739,51
Source : Ibid.
Les données per capita présentent un nouvel éclairage sur les dépenses des
ministères. Le tableau permet de dresser un certain nombre de constats :
Sans reprendre les crédits annuels pour la décennie, il convient de rappeler
que le gouvernement consacre en 2012 1 991,22 $ de plus par citoyen du
Québec par rapport à 2002; en Éducation, c’est 493,28 $ et, en Santé il s’agit
de 1 343,66 $;
14
Ce qui détonne de l’analyse des données per capita, c’est le montant très
restreint consacré au maintien de l’État de droit; il est question ici de moins
de 100 $ en 2012, soit 93,28 $; c’est un maigre 20,46 $ per capita qui a été
ajouté à ce budget par rapport à l’année 2002; cette valeur mène à des
questions beaucoup plus pointues au regard de l’importance stratégique
que le gouvernement du Québec accorde aux institutions juridiques qui
encadrent le quotidien de tous les agents socioéconomiques au cours de
leur vie active.
D’un point de vue socioéconomique, il est intéressant d’établir la valeur ajoutée
du système de justice civile. Cette évaluation doit se faire dans l’optique que
toutes les autres fonctions de l’État sont rendues possibles simplement parce que
le cadre juridique est efficace. L’environnement interne et externe du système
de justice civile est de plus en plus complexe.
Un dernier tableau est produit afin de situer l’évolution des crédits en regard de
l’indice des prix à la consommation (IPC). Il convient de souligner que c’est la Justice qui a connu le taux d’augmentation le plus faible pour la décennie 2002-
2012, soit 3,8 %, en deçà de la croissance de l’ensemble de l’appareil de l’État,
à 4,7 %.
TABLEAU 3 Valeur de l’évolution des dépenses per capita de ministères choisi
en fonction de l’IPC (2002-2012)
Variables
Dépenses totales
du
Gouvernement($)
Ministère de
l’Éducation ($)
Ministère de
la Justice ($)
Ministère Santé et
Services sociaux ($)
2002 6 808,42 1 490,08 72,82 2 395,85
2012 8 799,65 1 983,37 93,28 3 739,51
Avec IPC en
2012 8 403,06 1 839,08 89,88 2 957,00
Différentiel 1 594,60 349,00 17,06 561,15
IPC moyen
2002-2012 ( %) 2,1 2,1 2,1 2,1
Crédits réels
2012/2002 Δ % 4,7 7,8 3,8 26,5
Source : « Feuille de calcul de l’IPC », Banque du Canada et Calculs du consultant.
15
La valeur de l’IPC entre 2002 et 2012 a été en moyenne de 2,1 % par année, ce
qui correspond au ciblage de l’inflation établie par la politique monétaire
énoncée de la Banque centrale, c.-à-d. la Banque du Canada 3 . Les
observations suivantes en ressortent :
La dépense moyenne per capita des ministères en 2012 (par rapport à 2002)
démontre que le montant est supérieur à l’évolution du niveau des prix; il est
question ici d’un différentiel de 1 594,60 $ pour le budget du gouvernement
du Québec, de 349 $ pour l’Éducation, de 17,06 $ pour la Justice et de
561,15 $ pour la Santé;
La valeur de l’évolution en pourcentage pour cette période se traduit donc
pour l’État et les mêmes ministères respectivement à 4,7 %, 7,8 %, 3,8 % et
26,5 %, ce qui donne la pleine mesure de l’effort de l’État pour desservir les
citoyens selon les missions.
2.2.2 Les dépenses en justice pour certains pays de l’Union européenne
Afin de prendre la pleine mesure des fonds publics consacrés à la justice, une
comparaison avec d’autres juridictions s’impose, bien que toute comparaison
comporte une certaine dose de distorsion, compte tenu du fait que les systèmes
judicaires soient parfois très différents. Nous retenons un certain nombre de pays
de l’Union européenne (UE). Sur une base des dépenses per capita, et à la
lumière de ce qui précède dans le cas du Québec, les résultats pour les pays de
l’UE sont assez étonnants.
TABLEAU 4 Budget total alloué à la justice pour certains pays de l’UE ( $ 2010)1
Pays Dépense per capita Pays Dépense per capita
Belgique 202,22 Italie 163,66
Finlande 189,10 Pays bas 475,55
France 135,34 Royaume-Uni 99,11
Irlande 788,65 Écosse 462,56
Moyenne 152,78
Médiane 99,23
Minimum (Arménie) 6,16
Maximum (Irlande) 788,65
1) Les données en EURO ont été converties en valeur du dollar Canadien pour l’année 2010. Le budget total comprend les
dépenses du ministère public, des tribunaux et de l’aide judiciaire.
Source : Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) « Systèmes judiciaires européens »,
Conseil de l’Europe, 2012.
3 La Banque centrale vise un taux d’inflation de 2 % (Énoncé de politique monétaire de Banque du
Canada 2012).
16
Les dépenses totales des systèmes de justice per capita sont présentées au
tableau 4. Les écarts sont significatifs, se situant notamment dans une fourchette
de 6,16 $ et 788,65 $. Comme indiqué auparavant, les systèmes de justice des
pays de l’UE sont parfois très différents. Pensons notamment aux pays de
l’Europe de l’Est, qui, depuis le démantèlement de l’URSS, à la fin des années
1980, ont eu à construire de toutes pièces leurs systèmes de justice. Ainsi, il n’est
pas surprenant de constater que l’Arménie affiche une valeur per capita de
6,15 $, la Géorgie, de 7,63 $, la Moldavie, de 13,39 $, et la Fédération de Russie
de 21,55 $.
Certains pays d’Europe centrale dépensent beaucoup plus. C’est le cas entre
autres de la Pologne à 85,31 $ et de la République tchèque à 66,11 $. Il faut
remarquer que ces dépenses correspondent à peu de choses près à celles
consacrées par le Canada et le Royaume-Uni.
Enfin, les valeurs respectives des médianes et des moyennes méritent un
commentaire. La moyenne des dépenses per capita allouées à la justice est de
152,78 $ alors que la médiane est de 99,23 $. Cela signifie que 50 % des pays
dépensent davantage que 99,23 $ et, a contrario, 50 % dépensent moins. Il
existe des écarts importants entre les budgets des pays d’Europe.
2.3 La notion d’accès à la justice
Dans le quotidien, l’accès à la justice est un concept plutôt difficile à cerner. Les
vues et perceptions sur cette définition varient passablement d’un auteur à
l’autre. Ce constat complexifie davantage la définition même de l’accès à la
justice, parce que l’on doit définir ce que l’on mesure et comment cette
dernière évolue dans le temps. Ainsi, il devient possible de fixer des indicateurs et
de mesurer ce qu’est l’accès à la justice pour un usager.
La justice peut correspondre à un intérêt privé, qui ne concerne que l’individu, et
à un intérêt public, qui doit satisfaire à la demande provenant de la société
dans son ensemble. Le rendement de l’accès à la justice devra donc considérer
ces deux intérêts, soit le public et le privé. Le rendement sociétal de l’accès à la
justice pourrait se définir comme étant la possibilité de rendre un maximum de
décisions de qualité à un coût raisonnable pour les justiciables. Le rendement
privé quant à lui, résiderait dans le fait de présenter à chaque usager du système
une décision de qualité avec un prix raisonnable supporté par lui.
17
Simplement dit, l’accès à la justice signifie que tous les citoyens devraient être
capables de bénéficier de la justice dans le cours de la vie de tous les jours. Un
nombre grandissant de justiciables préfèrent s’approprier et régler leurs
différends en des lieux hors de la compétence de l’État. C’est ce que de
nombreux auteurs appellent le « pluralisme juridique4 ». Le professeur Macdonald
avance l’hypothèse que l’exclusion d’un si grand nombre de citoyens, c.-à-d. les
ménages à revenus moyens, découle directement de l’incapacité ou encore du
refus du droit officiel.
Un ouvrage récent sur l’accès à la justice civile au Québec constitue un
incontournable pour l’analyse de ce sujet5. Le traité, signé par le professeur
Lafond, dresse un diagnostic sombre au regard de l’accès à la justice et
propose des avenues de solutions pour améliorer non seulement l’accès, mais
également l’efficience du système. L’auteur cite le juge Louis LeBel, de la Cour
suprême du Canada, qui rappelle que de nombreux progrès ont été réalisés
relativement à l’accès à la justice, notamment sir le plan de la procédure et du
fonctionnement des tribunaux. Pour le juge LeBel, malgré toutes les « crises de la
justice », le Canada et le Québec sont demeurés des États de droit et la justice
fonctionne toujours.
Malgré ce qui précède, le professeur Lafond ajoute à ces propos que la situation
n’est peut-être pas catastrophique. Toutefois, selon lui, la justice ne fonctionne
pas également pour tous. Dans les faits, l’accès à la justice est réservé à un
groupe de personnes trop restreint. Cela constitue un facteur de risque non
négligeable pour la société.
Il avance également que l’on peut donner deux sens à la notion d’accès à la
justice. D’une part, il y a l’accès au système judiciaire, c.-à-d. aux institutions, et,
d’autre part, il y a l’accès à la justice en dehors du cadre judiciaire. Selon
l’auteur, les deux approches sont complémentaires, car la justice étatique
garantit un meilleur accès à la justice informelle. Donc, il ne suffit pas de se
pencher uniquement sur les coûts et les délais occasionnés par le
fonctionnement des tribunaux, les solutions étant beaucoup plus larges.
2.4 L’état des lieux dans différentes juridictions
Comparer le niveau d’accès à la justice au sein de différentes juridictions
s’avère un travail complexe et peut-être même hasardeux. À des fins d’analyses,
des pays de Common law ont été retenus. Les pays de l’UE sont aussi passés en
revue.
4 Macdonald, R.A., « L’hypothèse du pluralisme juridique dans les sociétés démocratiques
avancées », Revue de Droit de l’Université de Sherbrooke (RDUS), 2003. 5 Lafond, P. C., « L’accès à la justice civile au Québec », Yvon Blais, 2012.
18
Finalement, selon nous, la Grande-Bretagne mérite une référence particulière
puisque, en ce qui concerne les réformes visant un meilleur accès à la justice,
c’est sans aucun doute ce pays qui a le plus progressé au cours de la dernière
décennie.
2.4.1 Des juridictions de Common law
C’est l’American Bar Association qui a avancé le concept du World Justice
Project (WJP). Le WJP est un organisme non gouvernemental (ONG) qui mobilise
des professionnels appartenant à 17 disciplines. L’idée de base est que la « règle
de droit » est une condition essentielle pour que subsistent « l’égalité et l’équité »
au sein des sociétés. Pour une mesure transversale de la règle de droit,
l’approche pluridisciplinaire est incontournable.
Pour les pays de common law, nous retenons l’analyse de l’accès à la justice tel
que le présente le WJP6. Le modèle du WJP porte sur 9 indicateurs/facteurs qui
mesurent l’état du droit au sein de 97 pays répartis sur tous les continents7. La
méthodologie pour l’évaluation de ces indicateurs porte sur un modèle
sophistiqué de simulations. Le modèle est alimenté par plus de 2 500 experts. Le
résultat de base du modèle est de produire un Indice de la règle de droit (IRD)
(« Rule of Law Index »).
Aux fins de la présente étude, nous retenons l’indicateur d’accès à la justice
(facteur no 7 du WJP). Ce dernier comprend un nombre de sous-facteurs qui
caractérisent spécifiquement la justice civile, notamment : la facilité d’accès, le
caractère abordable, l’absence de discrimination et de corruption, la non-
intervention des gouvernements et les délais raisonnables. Un sous-facteur porte
sur les méthodes appropriées de règlements de conflits (MARC).
Les pays de common law retenus sont le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni,
la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Le tableau ci-dessous fait état d’un résultat
global de l’accès à la justice civile ainsi que le classement global, régional et
selon les revenus.
6 Agrast, M.D., Botero, J.C., Martinez, J., Ponce, A., Pratt, C.S., «The rule of Law Index 2012-2013»,
World Justice Project. 7 Les indicateurs mesurés sont notamment la limite des pouvoirs du gouvernement, l’absence de
corruption, l’ordre et la sécurité, les droits fondamentaux, un gouvernement transparent, une
régulation en force, la justice civile, la justice criminelle et la justice informelle.
19
TABLEAU 5 L’accès à la justice civile
Pays Résultat Classement
global
Classement
régional
Classement
selon les
revenus
Nouvelle-Zélande 0,76 9/97 3/14 9/29
Grande-Bretagne 0,72 11/97 8/16 11/29
Australie 0,72 12/97 4/14 12/29
Canada 0,72 13/97 9/16 13/29
États-Unis 0,65 22/97 12/16 20/29
Source: Agrast, M.D., Botero, J.C., Martinez, J., Ponce, A., Pratt, C.S., «The Rule of Law Index 2012-
2013», World Justice ProjectJ.
Un résultat « égal à 1 » signifie que le degré d’accès à la justice est optimal, soit
notamment que tous les facteurs qui en mesurent l’efficience témoignent de
résultats en ce sens. À titre de comparaisons avec les pays de common law,
voyons ce qui se passe quant aux évaluations des pays ayant les résultats les plus
faibles. Ainsi, sur les 97 pays analysés, les 5 derniers rangs regroupent des pays qui
affichent des résultats très faibles pour ce facteur, soit le Vénézuela à 0,38, le
Cambodge à 0,37, le Cameroun à 0,35, le Liberia à 0,33 et le dernier au
classement, le Bangladesh, à 0,32.
Ainsi, les pays de common law inclus au tableau affichent des résultats pouvant
être considérés comme élevés en regard des pays des derniers rangs. Avec un
résultat de 0,65, le classement global des États-Unis est surprenant. Ce pays ne
figure pas parmi les 15 premiers8. Au niveau du classement régional qui regroupe
les pays d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest, les États-Unis se classent
même à la fin d’un groupe de 16 pays. Il importe alors de cerner les
composantes d’accès à la justice.
8 Le rapport du WJP pour 2012-2013 fait à maintes reprises référence à ce classement des
15 premiers pays.
20
Le tableau qui suit présente les valeurs pour les pays retenus.
TABLEAU 6 Mesure de l’accès à la justice civile
Sous-facteurs Australie1 Canada Nouvelle-
Zélande1
Royaume-
Uni États-Unis
Justice civile 0,72 0,72 0,76 0,72 0,65
Accessibilité pour
les citoyens 0,60 0,64 0,74 0,66 0,53
Absence de
discrimination 0,56 0,65 0,72 0,73 0,53
Absence de
corruption 0,92 0,84 0,97 0,84 0,86
Non-intervention
du gouvernement 0,51 0,83 0,80 0,78 0,75
Absence de
délais
déraisonnables
0,63 0,47 0,63 0,58 0,44
Application de la
loi 0,77 0,79 0,69 0,64 0,63
Accessibilité des
MARC 0,85 0,84 0,76 0,82 0,83
Source: Ibid. 1) Notons que l’Australie et la Nouvelle-Zélande font partie de l’Asie-Pacifique dans le classement
du WJP.
Le tableau fait état d’un certain nombre de faits, soit :
En ce qui concerne la discrimination, 2 pays affichent des résultats
relativement faibles, soit l’Australie (0,56) et les États-Unis (0,53); la présence
de minorités visibles au sein de l’histoire de ces pays pourrait en partie
expliquer ces résultats;
Pour ces pays classés « à revenus élevés », la corruption paraît peu présente,
comme en témoignent les résultats relatifs; ces résultats varient pour le plus
bas au Royaume-Uni et au Canada à 0,84, le résultat de l’Australie étant le
plus élevé à 0,92;
Les critères qui méritent une attention particulière portent sur l’accès des
citoyens à la justice civile et sur les délais :
o Pour l’accès des justiciables, la fourchette des résultats se situe entre les
États-Unis à 0,53 et le Royaume-Uni à 0,73; la réforme majeure du
système juridique dans ce pays ne semble pas, du moins à court terme,
21
se traduire par des résultats qui distanceraient sa performance des
autres pays de common law;
o Quant aux délais, les États-Unis affichent le résultat le plus faible, soit 0,44;
le Canada ne fait guère mieux à 0,47.
En somme, les pays à revenus élevés comparés ici font relativement bonne
figure lorsque l’on mesure l’accès à la justice civile pour six des huit critères de
mesure. Les résultats acceptables pour ces pays traduisent néanmoins une
réalité qui soulève des questions, soit notamment l’accès des citoyens et les
délais pour obtenir des règlements. Il est souvent dit que le système de santé du
Québec fonctionne; il suffit d’être capable d’y accéder. Le même constat peut
s’appliquer au système de justice civile.
2.4.2 L’Union européenne
Le système judiciaire de l’UE a considérablement évolué au cours de la dernière
décennie. La promotion de l’accès à la justice arrive en premier au sein des
objectifs de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ). Tel
qu’il a été indiqué auparavant, des différences significatives subsistent sur le plan
des modalités de la répartition des responsabilités entre les pouvoirs législatif,
exécutif et judiciaire au sein des pays de l’UE. Pour une majorité de pays, le
ministère de la Justice supporte la responsabilité de l’administration du budget,
c.-à-d. les tribunaux et de l’aide judiciaire, c.-à-d. l’aide juridique. Pour
l’ensemble des pays, les budgets alloués à la justice ont connu des baisses
importantes dans la foulée de la récession de 2008, récession dont les
conséquences sont encore majeures en 2013.
Les différences entre pays sont assez importantes. Par exemple, en ce qui a trait
à l’aide juridique, certains pays ne couvrent que le domaine pénal (Ukraine),
alors que d’autres accordent aussi l’aide juridique dans des domaines de droit
beaucoup plus variés, tels le droit civil et le droit administratif (France). Pour
d’autres juridictions, l’aide juridique est très limitée et s’adresse à des cas pointus
comme l’incapacité (Géorgie).
Selon le pays, l’aide juridique peut prendre différentes formes de prise en charge
(frais, honoraires). Certaines juridictions accordent de l’aide juridique par le
truchement de mesures alternatives de règlement des litiges (France, Pays-Bas,
Portugal). Encore une fois, l’aide juridique reflète des cultures différentes. Les
coûts supportés peuvent inclure les expertises judiciaires (Belgique, Espagne), la
préparation de dossier (Bulgarie, Écosse), l’intervention de différents
professionnels tels le notaire et l’huissier (Grèce), les frais de déplacements
(Suède) et les services d’un détective privé (Italie).
22
Les modes de financement des services juridiques constituent un facteur
déterminant pour l’accès à la justice ainsi que l’efficience, la qualité et la
concurrence dans l’offre de services juridiques. Au sein de l’UE, l’une des
avenues privilégiées quant au financement des services juridiques porte sur
l’assurance protection juridique. Pour de nombreux pays membres de l’UE, ces
produits constituent l’un des piliers de l’accès à la justice.
2.4.3 La Grande-Bretagne
Dans cette perspective de l’analyse de l’accès à la justice pour la classe
moyenne, les études récentes issues de différentes juridictions abondent. Parmi
cette littérature, les analyses et politiques ayant mené à la réforme du système
britannique nous fournissent des pistes de solutions pouvant s’appliquer à toute
juridiction en quête de nouveaux modèles d’affaires.
En Grande-Bretagne, le dépôt du rapport Clementi, en 2004, fait référence à
une définition élargie de l’accès à la justice9. L’univers socioéconomique de
l’accès à la justice est inclus dans cette définition. Dans une approche des plus
novatrices, la définition s’éloigne des concepts traditionnels et comprend un
« focus consommateur », usager du système de justice.
Le rapport Clementi s’appuie sur les prémisses suivantes :
L’accès à la justice requiert non seulement que le service juridique soit fiable,
mais également que le fournisseur dudit service rende ce dernier de façon
efficace et au moindre coût;
Pour les auteurs, une approche à l’offre de services juridiques axée sur le
consommateur et basée sur une relation plus « commerciale » se traduira par
des coûts moindres; et
Les réticences actuelles au regard de l’offre provenant de nouveaux
fournisseurs de services juridiques sont maintes fois énoncées en ignorant
totalement le consommateur. Il ne s’agit pas seulement de la notion du prix
le plus bas pour un service juridique : il s’agit également de plus d’heures de
services disponibles pour les usagers, d’accès à certains types de services
actuellement non disponibles et, ultimement, d’un choix plus varié.
9 Clementi, D., Sir, « Review of the Regulatory Framework for Legal Services in England and Wales »,
2004.
23
Par ailleurs, les coûts d’accès à la justice constituent un facteur
incontournable :
o Il s’agit là d’une pièce centrale de la problématique pour ceux qui ne
peuvent faire valoir leurs droits, faute de moyens financiers; le législateur
doit admettre que le degré d’accès à la justice n’est pas proportionnel
au revenu;
o La notion de coût ne devient importante que si des services juridiques à
haute valeur ajoutée ne sont disponibles qu’aux plus fortunés ou aux
citoyens auxquels l’État offre gratuitement ces services; et
o De façon générale, le raisonnement économique stipule que l’ajout de
nouveaux capitaux dans un marché donné permettra d’accroître
l’intensité concurrentielle et de réduire les coûts des produits, et ce, au
bénéfice du consommateur..
En ce qui a trait à la disponibilité de l’offre de services :
o La dimension géographique revêt une importance stratégique;
o L’offre provenant de pratiques multidisciplinaires court le risque de
segmentation du marché en regard de la demande pour ainsi dire la
plus lucrative, ce qui, d’emblée, porte préjudice à l’accès à la justice;
l’offre doit répondre aux besoins de tous les segments; et
o Des standards élevés de pratique doivent être maintenus pour la
profession, y compris pour les nouveaux arrivants..
L’esprit de la réforme du législateur britannique dépasse le cadre de la résolution
de conflits et englobe toutes les relations et les échanges qui sous-tendent un
contenu juridique. À terme, c’est une minorité de cas qui aboutiront devant les
tribunaux, tout en faisant partie du périmètre de référence.
La justice et l’accès à la justice sous-tendent un cadre rigoureux de
connaissances, un encadrement législatif et réglementaire approprié, différentes
alternatives pour le règlement de litiges et une infrastructure efficace de
fonctionnement du marché des services juridiques, y compris les tribunaux de
première instance.
24
L’accès à la justice porte davantage sur la garantie de résultats plutôt que sur
les processus traditionnels de résolution de conflits. Cet énoncé est au cœur de
la réforme britannique, soit viser des résultats plutôt que s’empêtrer dans une
machine complexe ne visant que des réformes cosmétiques imaginées et
conçues en fonction des membres de la profession. Ces réformes ont par le
passé trop souvent laissé le consommateur de côté.
La vision de la réforme en Grande-Bretagne porte sur une approche multi
canaux. Les services juridiques doivent être abordables (prix) et accessibles
(segments de marchés). Ils doivent donc s’engager de façon constructive dans
l’innovation, qui se traduira par des méthodes variées de distribution des services
incluant notamment les volets face à face, téléphonique et électronique par le
biais d’Internet.
Ces méthodes dépassent évidemment le cadre traditionnel de l’offre. Une
panoplie de services juridiques seront rendus aux consommateurs selon des
besoins exprimés. La prestation de ceux-ci se fera de façon ad hoc à l’individu
sur la toile, par des dépliants ou par toutes autres formes de distribution. L’accès
à la justice est alors adapté non seulement à l’individu, mais également à des
groupes. Cela signifie que l’accès à l’offre est élargi en habilitant plus
d’intervenants à rendre des services juridiques.
Le nouveau modèle permet de rejoindre des individus et des groupes jusqu’ici
ignorés par l’offre de services juridiques. Cette offre innovatrice permet
évidemment de s’adresser au caractère hétérogène de la demande de
services juridiques. Les besoins varient en fonction des individus et des situations.
Dans ce cadre, on songe entre autres aux nouvelles façons de gérer les dossiers
de l’aide juridique, à l’apparition de coop de services juridiques, aux forfaits de
services à prix fixes pour les dossiers de la famille, à la présence d’avocats au
sein de places de vente de type grande surface et à des délégations d’actes
juridiques à des tiers. Finalement, les formules alternatives de partenariat
d’affaires entre avocats et non-avocats méritent une attention particulière.
2.5 La toile de fonds au regard de l’offre et de la demande de services
au Québec
Il serait normal de s’attendre à ce que tous les citoyens du Québec, sans égard
aux disparités de nature socioéconomique, aient accès à la justice. Or,
l’expérience sur le terrain témoigne d’une autre réalité.
De nombreux auteurs ou comités issus des milieux juridiques, universitaires,
communautaires ou des affaires ont identifié depuis plus de deux décennies les
grandes problématiques contemporaines de l’offre et de la demande de
services juridiques et de leur résultante, l’accès à la justice.
25
De façon récurrente, des solutions sont développées à la suite de
représentations faites par des individus ou des groupes de pression.
Malheureusement, bon nombre de recommandations issues de ces démarches
finissent sur des tablettes. Certains projets-pilotes conçus pour une
problématique donnée, pour ne pas dire une majorité d’entre eux, deviennent
souvent permanents sans analyse coûts/efficacité.
Une littérature abondante fait état de lieux communs : la justice et son langage
sont complexes, les coûts des litiges sont élevés, les délais sont longs et la
facturation horaire ne semble plus correspondre à la réalité économique du
Québec. La confiance des justiciables s’est érodée. Bref, tous sont d’accord
qu’il faut absolument agir.
Les signes majeurs de dysfonctionnement entre ce que le système offre en
services juridiques et ce que le marché demande sont bien là. Pour n’en résumer
que l’essentiel, voici quelques observations sur la dynamique actuelle du
marché :
Le nombre de demandes d’admission dans les écoles de droit aux États-Unis,
au Canada anglais et au Québec diminue. Bien sûr, les facultés vont
admettre des étudiants et accorder des diplômes à des cohortes dont le
nombre, sur une base historique, ne semble pas chuter. Toutefois, le nombre
d’étudiants potentiels désireux d’aller en droit diminue. On parle d’une baisse
de 24,1 % aux États-Unis et de 19,6 % au Canada au cours des cinq dernières
années;
Il s’avère de plus en plus difficile pour les nouveaux diplômés de trouver du
travail en droit. L’American Bar Association (ABA) estime que c’est 48 % des
diplômés en droit qui ne trouveront pas de travail dans ce domaine au cours
de la présente décennie. Il s’agit là d’une situation qui, avec quelques
variantes culturelles/sociétales, risque d’avoir un impact au Canada anglais
et au Québec;
Les coûts élevés du système de justice amènent graduellement un plus grand
nombre d’individus et d’entreprises à rechercher des alternatives, à les
évaluer et à en faire l’usage. Ces agents économiques croient que ce ne
sont pas toutes les questions juridiques qui requièrent l’intervention d’un
avocat ou d’un notaire. Si un substitut à moindre coût est disponible et connu
dans le marché, c’est le choix qui sera retenu;
Au cours des dernières années, les effets de la mondialisation ont été
accentués par l’explosion de l’usage des technologies et des médias
sociaux.
26
Ainsi, il serait erroné de croire que les réformes de systèmes juridiques
enclenchées dans certaines juridictions avant-gardistes telles la Grande-
Bretagne n’auront que peu d’impact en Amérique du Nord, et plus
spécifiquement au Québec. En Grande-Bretagne, des possibilités
attrayantes et au bénéfice du consommateur sont issues de cette
déréglementation. Il s’agit d’occasions nombreuses et variées conçues pour
les consommateurs et en fonction de ces derniers. Un slogan accompagne
d’ailleurs cette réforme, « Putting Consumer First », ce qui traduit bien l’esprit
de la réforme britannique; et
Les milieux juridiques ont été dans certains cas, des usagers passifs de la
technologie. Ce sont les clients qui ont amené les avocats à la technologie
et non l’inverse. Jusqu’en 2012, tous les avocats n’avaient pas
nécessairement une adresse courriel. Il faut attendre le début du nouveau
millénaire pour voir apparaître sur le marché des outils dédiés à l’industrie.
C’est l’industrie de l’informatique, de la gestion des connaissances le
« Knowledge Management » (KM) qui a développé les outils pour les milieux
juridiques. Notons que le notariat a été un précurseur en matière
technologique en concevant dans les années 1980 un logiciel de gestion
d’étude, l’inforoute notariale et la signature numérique, utilisée par les
notaires mais aussi par d’autres professionnels tels les ingénieurs.
Les résultats, du moins dans le cas du droit, ont produit un effet inattendu. En
effet, les outils technologiques qui jusqu’à tout récemment n’étaient
disponibles qu’aux professionnels du droit sont maintenant accessibles à
d’autres usagers. Ainsi, pour un nombre grandissant de services juridiques, à
la présence de l’avocat est substituée une technologie plus rapide, aux
résultats prévisibles, moins encline à l’erreur e, surtout, moins dispendieuse.
La résultante de ce qui précède, c’est que des outils issus de la recherche et
du développement (R&D), soit notamment des systèmes de résolution de
conflits, ont été conçus de façon ad hoc et sur demande spécifique
d’intervenants qui manipulent des quantités impressionnantes de
microtransactions. Dans ce cas, il s’agit du fleuron des échanges entre
individus sur la toile, soit eBay Inc. et PayPal.
Ces compagnies ont procédé à des investissements substantiels pour des
systèmes efficaces qui leur ont permis de gérer avec succès au cours de la
dernière année, près de 60 millions de micro-conflits vécus par des usagers.
Quels auraient été le coût et les délais associés à l’intervention classique des
avocats pour régler ces millions de micros-conflits? Il est facile d’imaginer que
le ratio coût/bénéfice ainsi que le retour sur investissement (ROI) sont à
l’avantage des compagnies. Au dire des dirigeants de ces deux
organisations, ils ont mis en place leur propre « système de justice civile ».
27
Cependant, pourquoi les milieux juridiques n’ont-ils pas procédé à la
conception et au développement de ces modèles de résolution de micro-
conflits?
2.6 Les grands défis
En ce qui concerne l’offre et la demande de services juridiques, certains grands
défis sont dignes d’être soulignés. Évidemment, l’impact de ces défis se
répercute à des niveaux variables selon qu’il s’agisse de l’offre de services
juridiques ou des consommateurs. De fait, six grandes tendances méritent une
attention particulière.
Premièrement, l’évolution démographique au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale a permis à certains pays de connaître un essor important de
population. Ce fut notamment le cas du Canada avec son « baby boom ».
D’autres nations n’ont pas connu ce phénomène et voient par conséquent leur
population respective vieillir plus rapidement. Au sein de l’Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE), c’est notamment le
cas du Japon et de l’Allemagne.
Les baby boomers canadiens et québécois atteignent depuis le début de la
décennie l’âge de la retraite en plus grand nombre. Les conséquences sont
nombreuses et engendrent des coûts souvent sous-estimés.
Les changements de la structure démographiques exigent des aménagements
majeurs :
L’âge de la retraite doit être réajusté à un niveau plus avancé;
Le taux de participation des femmes au sein de la population active doit
continuer de s’accroître;
Les formes atypiques de travail deviendront la norme afin d’adapter la main-
d’œuvre aux besoins particuliers de l’économie;
Une nouvelle normalité de la formation portera sur son caractère continu. Les
travailleurs devront se plier aux exigences de multiples formations au cours de
leur carrière;
Les étudiants, peu importe leur secteur de spécialisation seront familiarisés
avec le lien étroit entre leur spécialité et les besoins du marché; et
28
Finalement, l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) estime qu’en 2030 le
tissu démographique de la province sera composé de 18 % d’immigrants nés
dans un autre pays; ce taux est actuellement à 11 %; l’adaptation sera
incontournable, autant pour les résidents que les nouveaux arrivants.
Deuxièmement, l’environnement est sans aucun doute la variable sensible de
l’évolution socioéconomique à moyen et à long terme. Par exemple, si les
scénarios les plus pessimistes quant aux impacts des changements climatiques
devaient se réaliser, c’est la survie même de l’humanité qui est en question. Par
conséquent, l’usage des ressources et l’environnement seront l’épicentre de la
croissance du Québec.
L’irrigation au profit du développement va accroître la pression, et ce, surtout
sur la production agricole;
L’urbanisation accroît la demande d’eau potable au sein de zones
spécifiques telles que Montréal et Québec ainsi que d’un nombre restreint de
pôles régionaux;
La construction de barrages pour produire de l’énergie ou encore accumuler
de grandes réserves d’eau potable a des répercussions majeures sur
l’environnement. Ces impacts sont encore très sous-évalués. Qui plus est, la
plupart des barrages à construire au Québec l’ont été;
Les zones frontalières mitoyennes à plusieurs juridictions constituent la source
potentielle de conflits, notamment Québec et Terre-Neuve, le Canada et les
États-Unis, le Canada et la Russie; et
L’exploitation de ressources non renouvelables crée des stress non seulement
sur l’environnement, mais également sur l’économie..
Troisièmement, le système financier issu de la déréglementation de la fin des
années 1980 est devenu une source d’inquiétudes pour les contribuables et de
problèmes majeurs pour les gouvernements assujettis à la spéculation des
grandes banques d’affaires. Des lois et des politiques monétaires à portée
« transnationales » sont en développement.
Quatrièmement, le gouvernement du Québec pourra difficilement continuer à
offrir une gamme de biens publics aussi large. Les probabilités de heurts
pourraient s’avérer fortes :
Les déficits des caisses de retraite publiques et privées se chiffrent par
milliards de dollars; la facture provenant des retraités sans économies risque
d’être transférée au gouvernement;
29
Les revenus de fiscalité et de parafiscalité vont diminuer; aujourd’hui les
Québécois sont les Canadiens qui travaillent le moins d’heures en une
semaine, ils engendrent une rémunération plus basse que les autres
travailleurs au pays et ils sont moins productifs; cette situation aura sans
aucun doute un effet sur les revenus de l’État; et
Les pressions sur le système de santé seront énormes; le système n’est pas en
mesure de faire face adéquatement au vieillissement de la population.
Cinquièmement, les avancées technologiques seront des sources plus
fréquentes de turbulences au sein de l’économie et de la société. Les coûts de
l’encadrement et de l’adaptation à cette évolution sont peu connus. Qu’il
s’agisse de la production manufacturière ou des soins médicaux avancés, peu
de ressources sont consacrées à en déterminer les impacts.
Sixièmement, l’omniprésence de la mondialisation est également à prendre en
considération. Les économies émergentes sont en progression, souvent au
détriment des anciens pays dominants. Au cours des deux dernières décennies,
le poids des économies émergentes dans le commerce mondial s’est d’ailleurs
accru de façon significative pour ces pays. Entre 1993 et 2013, la part de la
richesse mondiale des pays membres du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) est
passée de 15 % à 28 %.
30
3 LES MÉNAGES À REVENUS MOYENS CLIENTÈLE DE LA JUSTICE
3.1 La mesure des écarts entre riches et pauvres
L’objet du présent rapport est d’évaluer les besoins en services juridiques de la
classe moyenne au Québec. Il s’agit alors de mesurer qui, au sein de la société,
et en quel nombre, se situe entre les moins nantis et les riches.
Deux approches pour mesurer les disparités de revenu sont utilisées :
D’une part, des inégalités découlent des revenus bruts, c.-à-d. les revenus
primaires. Ceux-ci comprennent les revenus d’emploi, les revenus de
placement ainsi que les revenus de retraite et de rentes privées. Ces
inégalités sont liées à l’état du marché du travail de même qu’aux mesures
incitatives à l’emploi. Le monde de la finance a également un impact sur ces
revenus;
D’autre part, il y a les inégalités découlant du revenu disponible, soit
notamment les conséquences des impôts et des programmes de transferts
dont l’assurance-emploi, le soutien aux familles et les régimes de retraite
gouvernementaux. Pour les pays membres de l’OCDE, les inégalités de
revenu disponible sont moindres que celles de revenu du marché, ce qui
dénote le rôle majeur de l’État sur le plan de la redistribution des revenus.
Le « coefficient de GINI » est une mesure de référence pour évaluer l’écart entre
riches et pauvres10.
TABLEAU 7 Coefficient de GINI et redistribution (2010)
Région Revenu de marché Revenu disponible Redistribution
par l’État
Canada 0,435 0,316 0,119
Québec 0,44 0,292 0,152
Ontario 0,431 0,319 0,112
Alberta 0,406 0,318 0,088
Colombie-Britannique 0,416 0,319 0,097
Source: Statistique Canada
10 Le coefficient de Gini est l’un des indices les plus utilisés pour évaluer les inégalités de revenus. Un
coefficient égal à 0 signifie une parfaite égalité, chaque personne disposant de la même part du
revenu. A contrario, un coefficient égal à 1 signifie une inégalité parfaite, une seule personne
disposant de l’ensemble du revenu.
31
Le tableau indique que les inégalités de revenu sont moins marquées au
Québec que dans le reste du Canada. Nonobstant ce constat, rappelons que
l’économie est dynamique et que cet équilibre est fragile. Le Québec n’est pas
immunisé contre l’élargissement des écarts entre les riches et les pauvres. Une
tendance à la polarisation entre revenus observée dans l’ensemble des
économies de l’OCDE en témoigne.
3.2 Une définition et la représentativité des Québécois
à revenus moyens
3.2.1 Définir la classe moyenne
Statistique Canada définit la classe moyenne comme étant le nombre de
ménages gagnant entre 75 % et 150 % du revenu médian. Par exemple, au
Québec, le revenu médian net pour une unité de deux personnes ou plus
s'établissait à 58 100 $ en 201111, ce qui veut dire que, pour cette catégorie de
ménages, ceux qui ont un revenu se situant entre 43 575 $ et 87 150 $ font partie
de la classe moyenne.
À titre comparatif, pour cette même catégorie, le revenu médian s'élevait au
Canada à 65 500 $, en Ontario à 69 300 $ et en Alberta à 78 100 $. Ainsi, pour
l’ensemble du Canada, la classe moyenne comprend une fourchette de
revenus entre 49 125 $ et 98 250 $.Ces contribuables sont ciblés par un ensemble
de décideurs. Sur le plan social, la classe moyenne constitue un baromètre de
choix pour évaluer les demandes et revendications populaires. Au point de vue
économique, la classe moyenne constitue un marché parmi les plus lucratifs, des
consommateurs disposant de moyens financiers importants ainsi que des
épargnants. Sur le plan de la fiscalité et de la parafiscalité, ces contribuables
représentent des revenus stables pour l’État. La classe moyenne correspond à un
poids majeur de l'assiette fiscale.
En 2011 l'OCDE a tenu un forum sur la question de l’écrasement fiscal de la
classe moyenne12. L'OCDE s’est dite inquiète des pressions sur cette catégorie de
ménages. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la classe moyenne a été et est
toujours la base de l’activité économique des pays membres. Au cours des
dernières décennies, les changements structurels dans les économies
occidentales ont provoqué un grand stress aux pays industrialisés. De multiples
11 Statistique Canada, juin 2012. 12 OCDE, « De l'indignation et l'inégalité à l'inclusion et l'intégrité », Forum, Paris, mai 2011.
32
facteurs, dont la délocalisation des entreprises manufacturières vers les
économies émergentes, ont contribué à des pertes d’emplois massives et à des
baisses de salaires conséquentes à ces dernières. Le fardeau fiscal, quant à lui, a
tout de même continué de croître.
Par conséquent, l’impact des restrictions que l'on exige de la classe moyenne
pendant les années d’incertitude économique est accentué. Les économistes
autant que les sociologues sont d’accord : la classe moyenne est un symbole
fort de la paix sociale et elle représente une garantie pour restreindre les
inégalités dans la société.
3.2.2 Le poids de la classe moyenne
Le tableau ci-dessous reproduit la distribution des ménages en fonction des
revenus. Les revenus moyens et médians servent à établir le poids de la classe
moyenne.
TABLEAU 8 Revenu moyen et médian des ménages du Québec (2011)
Ménages et
revenus gagnés
Ménages Ménages avec
enfants Revenu
moyen
( $)
Revenu
médian
( $) N % N %
Aucun revenu
gagné 125 628 3,7 63 377 3,3 24 889 19 875
Un revenu
gagné 763 953 22,5 432 921 22,4 45 432 38 525
Deux revenus
gagnés 1 748 603 51.5 960 502 49,7 83 380 72 175
Trois revenus
gagnés 753 767 22,2 475 640 24,6 108 929 95 900
Total des
ménages 3 395 345 100,0 1 933 440 100,0 78 350 66 050
Source : Statistique Canada, « Enquête sur la dynamique du travail et du revenu », compilation
pour le Québec, 2012.
Le tableau indique que selon la définition antérieure, soit le nombre de ménages
gagnant entre 75 % et 150 % du revenu médian, le nombre de ménages se
situant dans la classe moyenne serait à hauteur de 2,5 millions. La fourchette de
revenu serait alors de 49 538 $ à 99 075 $.
3.2.3 Les ménages à revenus moyens issus de l’immigration
L’Institut de la statistique du Québec (ISQ) estime qu’en 2030 le tissu
démographique de la province sera composé de 18 % d’immigrants nés dans un
autre pays, ce taux étant actuellement à 11 %. L’adaptation de ces groupes
sera incontournable, autant pour les résidants que les nouveaux arrivants.
33
Dans les faits, le Québec accueille en moyenne plus de 50 000 immigrants par
année. De ce nombre, un poids de près de 70 % fait partie de la catégorie
« immigration économique », ce qui inclut les travailleurs qualifiés, les gens
d’affaires et les entrepreneurs. Un fort pourcentage de ces immigrants dispose
alors de revenus qui les qualifient dans la classe des Québécois à revenus
moyens13.
13 Consulter à cet effet le microsite du Barreau du Québec sur l’immigration et qui vise
spécifiquement les nouveaux arrivants – http://immigration.barreau.qc.ca/fr/index.html.
34
4 COMPRENDRE LE MARCHÉ DE LA JUSTICE
4.1 Comprendre les coûts des services juridiques
L’accès à la justice peut être analysé de façon identique aux autres services
professionnels. Le terme « magasiner » pour la justice peut sembler inapproprié
mais, dans ce contexte, il peut convenir parce que l’accès à la justice est
obtenu par le biais de ce que les économistes appellent le « coût de
transaction14 ». Lorsqu’une situation à caractère juridique survient, le citoyen
s’adresse dans un premier temps aux gens de son entourage en qui il a
confiance, c.-à-d. un parent, un ami, un confrère de travail, etc. Par ailleurs, dès
qu’un spécialiste qui offre des services juridiques intervient, il exigera un
paiement; surgit alors un coût de transaction pour l’usager.
Les coûts de transaction relèvent de plusieurs niveaux et incluent pour le
professionnel, des coûts de production. Ainsi, la question selon laquelle la justice
se rendra au client qui le demande est étroitement liée aux coûts de production
de celle-ci, c.-à-d. combien il en coûte au professionnel pour rendre le service
au client. Les composantes de la fonction de production de la justice sont
multiples. Les efforts consacrés à un citoyen par un avocat ou un notaire
constituent des coûts de production. L’élaboration de normes, de lois et de
règlements ainsi que leur «packaging » pour les différentes clientèles constituent
également des coûts. Les infrastructures de la justice entrent également dans
cette fonction de coût total.
S’ajoutent à ces coûts de transaction les frais que le justiciable doit engager à
l’égard d’une situation de nature juridique, soit, notamment, le temps consacré
à la recherche de la meilleure solution. Ce processus peut s’avérer très
dispendieux. L’information sur le prix et la qualité des services peut être
complexe à obtenir. Même lorsqu’un professionnel est retenu, le client doit lui
fournir toute l’information au regard de sa problématique, soit une autre source
de coûts. Les coûts de transactions correspondent aux coûts (publics et privés)
que la société doit supporter pour que la justice soit opérationnelle.
Dans ce contexte, et par rapport à leur valeur ajoutée, si le coût des services
juridiques n’est pas abordable pour les ménages à revenus moyens ou encore
s’ils sont, à l’opposé, insoutenables pour ceux qui offrent lesdits services, c’est
que les coûts de la justice sont alors devenus prohibitifs.
14 Un coût de transaction correspond aux coûts découlant des échanges dans un marché donné.
Ce concept est très vaste et englobe les coûts associés autant à la production qu’à la recherche
d’information pour le consommateur.
35
Il appert que le marché des services juridiques ne rende pas disponible la justice
aux ménages à revenus moyens. Quelles sont cependant les causes de ce
dysfonctionnement de marché? Les coûts de transaction peuvent expliquer une
partie du problème. Par ailleurs, les résultats d’études sur cette problématique
permettent d’identifier des pistes de solutions innovatrices.
4.2 L’accès à la justice
Les statistiques et les informations sur les ménages à revenus moyens qui peuvent
ou non obtenir des solutions à leurs problématiques à contenu juridique
permettent de mesurer le degré d’accès à la justice. Le ménage à revenus
moyens requiert des réformes structurelles qui auront pour conséquence
d’accroître l’accès à la justice. Une littérature récente cerne les grandes phases
de ces réformes contemporaines déjà amorcées au sein des économies de
l’OCDE. Chronologiquement, il s’agit de la mise en place de régimes d’aide
juridique, du développement de litiges d’intérêt public, c.-à-d. les recours
collectifs, des méthodes appropriées de résolution de conflits, de l’ouverture du
marché des services juridiques et d’un meilleur encadrement des professions
juridiques. Il n’existe pas d’analyse permettant de synthétiser l’ensemble de ces
réformes de la justice civile et d’en établir l’efficience, c.-à-d. coûts/bénéfices.
Récemment, différentes juridictions se sont intéressées à l’implication du citoyen
dans la gestion de situations juridiques. Comment les citoyens peuvent-ils être
habilités pour gérer ces situations? Que peut faire l’État québécois peut faire
pour les assister? La médiation, qui facilite la négociation, semble une piste
incontournable. Un courant de pensée se dessine au regard du fait que
l’«approche descendante », c.-à-d. « Top Down », du système de justice est de
moins en moins capable d’appliquer la règle de droit.
Plusieurs auteurs étudient des « approches ascendantes », c.-à-d. « Bottom Up »,
afin de rendre le système de justice plus accessible 15 . Délaisser l’approche
classique et habiliter les citoyens à gérer leurs propres besoins pointus semblent
constituer une voie prometteuse. Cette démarche est davantage orientée sur le
marché, ce qui signifie une analyse économique des processus d’accès à la
justice. La recherche de solutions basées sur une approche ascendante à la
problématique de l’accès à la justice fait référence à la notion de
« microjustice ». Cette approche peut se développer sur le modèle du
microfinancement et des autres formes de « microservices » rendus aux clientèles
à revenus moyens ou faibles.
15 Carothers, T., « Promoting the Rule of Law Abroad: In search of Knowledge », Washington D.C,
2006.
Carraro., C., Marchiori, C. et al., « Advances in Negotiation: Bargaining, Coalition and Fairness »,
World, 2006.
36
4.3 La demande : les besoins en services juridiques
En ce qui a trait à la demande de services juridiques, les citoyens expriment
souvent leurs besoins au cours de situations conflictuelles, ce qui est tout à fait
conforme aux modèles de consommation discrétionnaire de biens et services.
Segmenter le marché permet de saisir les composantes de la demande de
services juridiques. La segmentation permet de dresser le profil des
consommateurs, de définir les problématiques et d’identifier les solutions. Le
diagramme suivant segmente le marché.
Diagramme 1
La demande de services juridiques
Gourve Gouvernement Grandes
entreprises
Classe moyenne
Aide juridique
PME
Degré potentiel de
défaillance du marché
Acheteurs moins expérimentés
Besoin de protection
Acheteurs expérimentés et
répétitifs
Risque faible de défaillance
du marché
Clients
Le diagramme ci-dessus fait état de cinq segments de marché. Cette méthode
d’analyse économique par segment permet de saisir les besoins qui sont
demandés par les clientèles. Les consommateurs peuvent alors substituer la
source de services juridiques demandés. Les fournisseurs de services sont ainsi en
position de modifier les modes de services à offrir aux clientèles.
37
Il existe trois types de situations où les ménages à revenus moyens seront sur le
marché pour la consommation de services juridiques :
D’une part, la sécurité du ménage est sans doute le premier de ces besoins.
On fait référence ici à l’intégrité physique et au respect des droits
fondamentaux;
D’autre part, les relations de court, moyen ou long terme peuvent devenir
problématiques et dégénérer en conflits. On fait référence ici à la famille, au
travail, aux amis, au voisinage ou encore aux relations d’affaires; ces
relations, qui portent sur un horizon temporel à durée variable, comportent
forcément leur lot de changements sur le plan du comportement, des
préférences. Ces changements sont imprévisibles et dépendent souvent de
variables hors de la portée du ménage, de l’individu. Les parties à une
problématique donnée ne peuvent alors se dissocier de cette relation sans
en évaluer les conséquences. Les conflits qui peuvent en découler risquent
de porter, notamment, sur des questions de congédiement, de
séparation/divorce, de résiliation d’un bail, etc.;
Finalement, les relations entre acheteurs et vendeurs de services ou de biens
mobiliers ou immobiliers, ou encore entre un palier de gouvernement et les
ménages, constituent une troisième catégorie. La problématique interpelle
exclusivement ce à quoi le ménage s’attend dans le privé ou a droit dans le
public, et ce, au même titre que la situation précédente; la demande de
services juridiques relève ici de la procédure civile ou administrative,
contentieuse ou non.
Il importe de souligner que la demande de services juridiques ne relève pas
uniquement de situations conflictuelles. Que l’on pense, par exemple, à des
situations impliquant une simple demande d’information juridique ou encore la
confirmation ou le transfert d’un droit, sans opposition de la part des personnes
visées. De plus, par le passé, le fait que les citoyens aient exprimé ce à quoi ils
s’attendent de leur environnement juridique a servi à adapter ce dernier. Par
exemple, certaines pratiques de vente des grandes chaînes de magasins ont
souvent causé préjudice à des consommateurs. Les revendications répétées de
ceux-ci ont amené les gouvernements à légiférer pour « protéger les
consommateurs ». Les conflits ont alors diminué. Certaines grandes chaînes ont
même établi leurs propres mécanismes d’évitement de conflits potentiels.
38
4.4 L’offre formelle et informelle
L’offre formelle fait référence à la prestation de services juridiques par les
avocats et les notaires. Quant à l’offre informelle, elle vient de toutes les autres
formes de services provenant des professionnels du droit ou non.
Pour une majorité de ménages à revenus moyens, lors de relations difficiles ou
de conflits qui peuvent surgir, le système de justice est perçu comme étant
dispendieux et souvent disproportionné par rapport aux enjeux dont il est
question, c.-à-d. la valeur économique du litige ou de la question juridique à
résoudre. L’offre de services juridiques ne s’étend pas qu’au système formel tel
qu’il est connu. Les parents ou amis qui interviennent en premier lieu lors d’une
situation ayant un volet juridique ne sont que très rarement avocat ou notaire. En
effet, ce qui ressort du sondage effectué dans le contexte de cette étude, c’est
que les ménages en quête d’une solution à leur questionnement recherchent
d’abord la réponse auprès de personnes de leur entourage. Une employée de
bureau, par exemple, qui se sent lésée consultera ses relations au travail et
cherchera conseil sur la démarche à suivre auprès de ceux-ci.
En ce qui a trait à l’accès à la justice, différentes études arrivent à des
conclusions similaires selon lesquelles l’offre formelle ou informelle de services
juridiques se révèle très souvent insuffisante dans de nombreuses situations16. En
effet, le cadre légal formel en usage au Québec est souvent incapable de
garantir l’accès à la justice à l’intérieur de coûts à la portée de la classe
moyenne et dans un délai raisonnable.
Les résultats de sondages sur les besoins en services juridiques réalisés dans les
pays industriels auprès des ménages (hors aide juridique) indiquent qu’environ
45 % d’entre eux qui font face à une situation pouvant avoir un effet sur leur vie
ne cherchent pas à accéder à la justice. Dans le cas de ceux qui accèdent au
système, ils acceptent souvent des compromis non satisfaisants à cause des
coûts et des délais17.
L’offre de services juridiques est donc associée à des coûts élevés. Pourtant, bon
nombre de situations reliées au fonctionnement quotidien de la vie en société
tels le travail, la famille ou le voisinage, pourraient, avec l’aide d’un médiateur
expérimenté, se régler en quelques heures.
16 Buck, A., Pleasance P. et al. « Do Citizens Know How to Deal with Legal Issues? Some Empirical
Evidence », Journal of Social Policy, 2008. 17 Hadfield, G. K., « Higher demand Lower Supply? A Comparative Assessment of the Legal
resources Landscape for Ordinary Americans », Gould School of Law, 2009.
39
4.5 Le fonctionnement du marché de la justice
4.5.1 Les professionnels dans le marché de la justice
Les services juridiques sont essentiels au bon fonctionnement de la démocratie.
Les résultats d’analyses d’experts semblent démontrer que les coûts de
production de ces services ne seraient pas trop élevés.
Cependant, leurs modes de distribution, c.-à-d. leurs points de services, dans
lesquels l’État joue un rôle de premier plan, semblent inefficaces en matière de
prix et de l’accessibilité aux ménages à revenus moyens. Toutes choses étant
égales par ailleurs, cela signifie que le marché des services juridiques comporte
un nombre donné d’imperfections.
Les analyses sur le marché des services juridiques rendus par les professionnels du
droit catégorisent ces derniers comme les autres services professionnels. Dans ce
contexte d’un service professionnel rendu, le coût de transaction entre l’avocat
ou le notaire et le client porte sur l’« asymétrie d’information ».
L’asymétrie d’information, soit l’incapacité pour le ménage d’établir la valeur
d’un service juridique, est le corollaire de l’appréciation de la qualité du service
et de celui qui le rend. Le service juridique est un « produit de confiance », et ce,
au même titre que les autres services professionnels. Cet état de fait rend très
difficile la mesure pour le client de la valeur ajoutée du service qu’il reçoit.
Comment le ménage peut-il distinguer un excellent service juridique par rapport
à un médiocre? Comment le ménage peut-il évaluer qu’il a payé un prix élevé
pour un service de qualité moindre18?
De plus, bon nombre d’économistes estiment que le marché des services
juridiques est trop réglementé. Cette règlementation se traduit par une entrée
limitée sur le marché (ordres professionnels), par peu d’innovation de la part des
praticiens et par des coûts qui parfois sont disproportionnés par rapport à la
valeur ajoutée. Nonobstant ce qui précède, certains auteurs soutiennent que
des forces du marché amènent certaines pratiques autrefois qualifiées de
complexes vers des applications plus universelles. Il s’agit du service devenu
« commodité19 ».
18 Stephen, F. H., « An Economic Perspective on the Regulation of the Legal Services Markets»,
Committee Inquiry Into the Regulation of Legal Services », Great Britain, 2006. 19 Susskind, R., « The End of Lawyers: Rethinking the Nature of Legal Services », Oxford University
Press, 2008.
40
4.5.2 Les cours de justice
La littérature existante démontre que, majoritairement, l’analyse des cours de
justice est réalisée par des chercheurs issus des milieux juridiques. Certains
auteurs ont tenté de mesurer l’efficience des tribunaux 20 . Au Canada, les
contenus du livre vert traitant de la réforme des tribunaux en Colombie-
Britannique sont porteurs de pistes intéressantes21. Le livre vert met en évidence
un constat transversal au sein des économies avancées, soit, notamment, la
diminution historique du nombre de dossiers inscrits mais, à l’opposé, des coûts et
des délais en croissance. Le livre vert stipule que le fonctionnement des
tribunaux doit changer parce qu’il est essentiel aux familles et aux emplois dans
l’économie.
Au Québec, le projet de réforme de la procédure civile constitue un certain
progrès. Les contenus visent à simplifier et à améliorer la procédure, ce qui
devrait se traduire par des économies de coûts et de délais. Le ministre de la
Justice du Québec a émis les propos suivants22 :
«Les changements aux règles actuelles sont proposés pour rendre la justice civile
beaucoup plus accessible, tout en préservant le droit de toutes les parties de
faire valoir leurs droits auprès du tribunal. Ainsi, dans le but de réduire les délais
de justice, le projet de loi met l'accent sur les modes amiables de règlement des
conflits, comme la médiation ou la conciliation, des modes plus conviviaux,
accessibles et rapides.
De plus, pour les parties optant pour la voie judiciaire traditionnelle, le projet de
nouveau Code de procédure civile prévoit que les demandes, les actes de
procédure et les moyens de preuve devront être proportionnés à la nature et à
la complexité de l'affaire en cause. Il est aussi accordé aux juges des pouvoirs
accrus de gestion, notamment pour assurer le respect des principes de
proportionnalité et de coopération inscrits dans ce nouveau Code de
procédure civile. Ils pourraient le faire, par exemple, en examinant le nombre
d'interrogatoires et d'expertises, deux éléments maintes fois dénoncés comme
sources importantes de frais ou de délais pour le citoyen. »
Ces réformes sont bienvenues. Cependant, faire passer le plafond monétaire de
la Division des petites créances de 7 000 $ à 15 000 $ constitue-t-il une avancée
suffisante? Ce seuil est de 25 000 $ en Alberta (2006) et en Ontario (2010).
20 Fix-Fierro, H., « Courts, Justice and Efficiency: a Socio-Legal of Economic Rationality in
Adjudication », Hart Publishing, 2004. 21 Minister of Justice and Attorney General, « Modernizing British Colombia’s Justice System », 2012. 22 Québec, le 30 avril 2013 /CNW Telbec/ - Le ministre de la Justice et Procureur général du
Québec, monsieur Bertrand St-Arnaud, a déposé le projet de loi no 28 instituant le nouveau Code
de procédure civile.
41
Dans la même veine, la réforme de 2010 au Nouveau-Brunswick a fait passer le
seuil monétaire des petites créances à 30 000 $23. En 2013, sur la base de la
valeur économique des échanges courants chez les ménages à revenus
moyens, un seuil de 15 000 $ est plutôt réducteur de la réalité économique du
XXIème siècle.
La problématique de la Division des petites créances est criante : le nombre de
dossiers inscrits est passé de quelque 75 700 en 1980 à moins de 19 900 en 2011. Il
n’y a pas que le plafond auquel il faille s’intéresser. Nous reviendrons plus loin sur
différentes pistes susceptibles d’améliorer l’accès à la justice pour les ménages à
revenus moyens.
4.6 Les tendances du marché de la justice
Comme énoncé précédemment, il n’existe pas un mais plusieurs marchés de la
justice. Le segment de la classe moyenne est soumis à des impératifs différents.
Cette classe « tampon », prise entre ce que l’État offre gratuitement aux plus
démunis et, à l’autre extrémité, les citoyens mieux nantis qui peuvent accéder à
des services complets, aurait, semble-t-il, renoncé dans bien des cas à faire
valoir ses droits.
Différentes tendances susceptibles d’avoir des répercussions sur les sociétés
industrialisées ont été identifiées précédemment. Rappelons notamment que les
utilisations accrues de la technologie dans toutes les sphères de l’activité
économique au Québec continueront de modifier non seulement la pratique du
droit, mais également la demande de services. Les consommateurs
bénéficieront d’une meilleure information et, de plus, ils pourront identifier des
substituts.
Outre la technologie, c’est la rémunération des avocats et des notaires qui va
changer. Le développement de la technologie facilite l’offre de produits de
commodités et les ménages paieront un prix conséquent à la valeur ajoutée du
service acheté.
De même, dans le contexte du projet de réforme du Code de procédure civile,
les avocats devront s’ajuster à certains changements qui modifieront les façons
de faire. Dans le cas de litiges dits classiques, il faut souligner l’ajout des
Méthodes appropriées de règlement de conflits (MARC), et les considérations
apportées à la valeur économique des litiges constituent des changements qui
auront un impact certain sur les situations où les ménages pourraient ne pas voir
pas l’utilité de recourir aux professionnels du droit.
23 Ministère de la Justice du Nouveau-Brunswick, « Règle 80 », 2010.
42
5 LE PANIER DE SERVICES JURIDIQUES : L’OFFRE POUR LES
MÉNAGES À REVENUS MOYENS
5.1 L’architecture classique de l’offre
Le diagramme ci-dessous établit les principales composantes de l’offre de
services juridiques.
Diagramme 2
L’offre de services juridiques
Le diagramme met en évidence les composantes de l’offre de services
juridiques. Les services juridiques correspondant aux « actes réservés » sont
considérés pour les avocats et les notaires comme le marché primaire. Les actes
exclusifs de l’avocat (art. 128 et 129 de la Loi sur le Barreau) et du notaire (art. 15
et 16 de la Loi sur le notariat) ont également subi l’assaut de forces externes au
marché.
L’offre de services juridiques au Québec
Magistrature
Les actes non exclusifs
Travailleurs professionnels et autres qui
rendent des services juridiques
Les avocats et
les notaires
Différents
organismes,
véhicules,
plateformes
Économie
sociale
Technologie
(WEB, médias
sociaux)
Cliniques
juridiques, Centres
de proximité,
ÉDUCALOI, PRO
BONO
Les tribunaux de
première
instance, TAQ
Notaires
Avocats
La première ligne
de l’industrie des
services
juridiques
Les actes réservés
La magistrature, les avocats et les notaires
43
Par exemple, le temps consacré à des actes exclusifs pour l’avocat a diminué
au cours des 30 dernières années en passant à près de 75 % en 1981 à un peu
plus de 50 % en 200824. En ce qui concerne les notaires, par leur rôle d’officier
public, certains actes devant être obligatoirement notariés, nous ne disposons
pas de statistiques quant aux variations telles que celles des avocats.
Cependant, il appert que le notaire a développé au cours des années une
expertise en procédure non contentieuse, par exemple en matière de tutelle et
curatelle, de régime de protection, de mandat donné en prévision d’une
inaptitude, de vérification de testaments, etc. Ces services permettent au
citoyen de recourir aux services du notaire plutôt que de devoir présenter une
requête devant un tribunal, diminuant ainsi les délais et les coûts. Ces services
sont en constante augmentation depuis leur introduction dans la loi.
Dans la partie gauche du diagramme, des organismes ou plateformes offrent à
la disposition des ménages à revenus moyens des services non exclusifs aux
avocats et aux notaires. Une gamme variée de services juridiques, soit de
l’information ou encore de l’assistance pour aiguiller ces derniers, est disponible
rapidement et gratuitement.
À droite du diagramme, rappelons que les tribunaux de première instance ont
vu leurs clientèles chuter de façon substantielle au cours des 30 dernières
années. Au total, le nombre de dossiers inscrits est passé de 246 000 en 1980 à
118 890 en 201125. C’est là un signe majeur du changement structurel sur le
marché. Dans ce cas-ci, l’offre a augmenté, comme nous le verrons, mais le
potentiel de ce segment de marché a chuté de 51,7 %. Nous y reviendrons plus
loin.
Donc, sur le plan de la conjoncture du marché, on assiste à un effritement des
segments traditionnels. Parallèlement, des produits substituts à l’offre
traditionnelle sont apparus sur le marché.
24 Selon les résultats des enquêtes quinquennales réalisées par le Barreau du Québec depuis 1981.
La dernière version a été produite en 2008 (Enquête socioéconomique auprès des membres du
Barreau du Québec - CIRANO). 25 Il s’agit de la Cour du Québec (Petites créances, Chambre civile) et de la Cour supérieure
(Chambre civile, Chambre de la famille, Chambre du divorce). Source, Justice Québec pour les
années 1980 à 2011 inclusivement.
44
5.2 Avocats et notaires : les officiers de justice de première ligne
5.2.1 L’évolution des effectifs
Les avocats et les notaires sont les professionnels qui constituent, en 2013, la base
de l’architecture de l’offre de services juridiques. Cette offre s’est accrue au
cours de la dernière décennie. Il convient de situer l’évolution du nombre de
praticiens en fonction de l’évolution de la population. Nous reviendrons sur l’état
des effectifs en 2012 en comparaison de ceux du réseau de la santé.
Le tableau qui suit présente l’évolution du nombre d’avocats et de notaires
entre 2002 et 2012.
TABLEAU 9 Croissance du nombre d’avocats et de notaires
Variables 2002 2007 2012 Variation
2002/2012 ( %)
Avocat 19 768 22 575 24 458 23,7
Par 100 000 habitants 264 291 304 15,0
Notaires 3 144 3 412 3 838 22,1
Par 100 000 habitants 42 44 48 13,5
Total/100 000 habitants 306 335 351 14,8
Produit intérieur brut (PIB) 232,9 G $ 314,1 G $ 325,1 G $ 39,6
Source: Office des professions du Québec (Statistiques annuelles), ISQ (Données sur le PIB).
Les taux de croissance des avocats et des notaires sont similaires : 23,7 % et
22,1 % respectivement sur la décennie, soit un différentiel de 1,6 %. La croissance
du nombre de ces professionnels par 100 000 habitants est inférieure au taux
d’accroissement du nombre de membres pour chacun des ordres. La répartition
géographique des avocats et des notaires au Québec est présentée à
l’annexe I.
Dans la même veine, des analyses récentes démontrent que le nombre
d’avocats et de notaires au sein des pays à économies avancées est à peu près
similaire26. Des différences sont à noter au sein de l’Union européenne, mais dans
l’ensemble, les écarts les plus importants touchent les juridictions de l’Europe de
l’Est27.
26 Comité sur les problématiques reliées à la pratique privée et l’avenir de la profession, « Les
avocats de pratique privée en 2021 », Barreau du Québec, 2011. 27 Commission européenne pour l’efficacité de la justice, « Systèmes judiciaires européens », Édition
2012, Conseil de l’Europe.
45
5.2.2 Y a-t-il surplus ou insuffisance de l’offre de professionnels du droit ?
Une question survient de façon récurrente en regard du nombre de
professionnels du droit dans le marché. Les économistes s’entendent pour situer
cette analyse à l’intérieur des paramètres de la croissance du PIB. Le tableau
précédent indique que le PIB s’est accru de 39,4 % sur la décennie. Ce taux est
de loin supérieur à l’évolution des effectifs avocats et notaires pendant la même
période. Ainsi, sur cette base, il n’y aurait pas d’excédent quant à l’offre de ces
professionnels du droit sur le marché au Québec.
Nonobstant ce constat, des analyses plus pointues produites récemment
n’arrivent pas tout à fait aux mêmes conclusions28. Aux États-Unis, un universitaire
estime, sur la base d’une analyse qualitative, qu’il y a carrément un excès de
l’offre d’avocats dans ce pays. Selon les résultats de cette étude, cette situation
existerait également au sein d’autres juridictions29.
Toujours sur cette question d’excès de l’offre, un autre économiste a analysé la
question sous deux aspects plutôt novateurs, soit mesurer la performance du
droit et des professionnels du droit à titre de « facilitateurs des échanges
économiques » et comme ceux qui « redistribuent la richesse30 ». Les résultats
sont plutôt étonnants.
Le modèle de l’économiste porte sur l’analyse de la croissance économique
mesurée sur une période de 37 ans (1970-2007), pour des échantillons de 27, 33
et 40 pays. Fait intéressant de l’auteur, les échantillons comprennent autant de
pays à économies avancées que de pays à économies émergentes. Le résultat
marquant de cette analyse chronologique est qu’il existe un nombre « optimal »
d’avocats pour une économie donnée. Aux États-Unis, un groupe d’avocats
équivalant à 38 % des effectifs totaux font que ce pays est au-dessus de
l’optimum économique.
Appliquer ce modèle au Québec produit des résultats inquiétants. L’excès de
l’offre se traduirait par plusieurs milliers de professionnels en trop.
Pour l’auteur de l’analyse, le travail des avocats à titre de facilitateurs des
échanges économiques se traduit par des bénéfices nets en matière de respect
du droit de la propriété et de l’ordre social. L’absence d’un État de droit sous le
contrôle des civils anéantit ce rôle de facilitateur. C’est au point de vue de la
distribution de la richesse que le rôle des avocats est moins évident.
28 Rampell, C., « The Lawyer Surplus, State by State », Economic Modeling Specialists Inc., 2013. 29 Harper, S. J., « The Lawyers Bubble: A Profession in Crisis », Basic Books, 2013. 30 Magee, S., P., « The Optimum Number of Lawyers », Department of Finance, University of Texas,
2010.
46
L’offre excédentaire d’avocats provoque des ondes de chocs importants dans
la redistribution de la richesse collective. Les avocats sont en partie responsables
du lien souvent mal adapté entre les institutions et la société.
Sur une base théorique, les groupes qui retirent le plus de bénéfices du
dysfonctionnement des institutions démocratiques seront les plus enclins à
bloquer les réformes ; de puissants groupes de pression vont investir
massivement dans le « lobbying » tant et aussi longtemps que les bénéfices
surpasseront les coûts ;
Les services publics gratuits créent des effets pervers lorsque leur nombre
dépasse la capacité de production de l’État ; dans le cas du système
judiciaire, les individus considèrent les coûts comme excessifs ; toutefois, ces
usagers, par le truchement de l’offre de biens publics, n’en paient pas le vrai
prix ; voilà qui explique, en partie du moins, le faible niveau d’investissements
dans le système et l’engorgement des tribunaux ;
L’expectative de la rente économique à retirer d’un facteur de production
doit être supérieure au rendement du marché ; appliqué au droit, le système
de justice est le principal intervenant dans la détermination du droit de la
propriété ; dans le cas de litiges, les avocats deviennent alors les facteurs de
production pour déterminer la propriété ; l’asymétrie d’information permet à
l’avocat d’accaparer une portion substantielle de la rente découlant de la
propriété de l’information ;
Le vieillissement des institutions démocratiques peut rendre le
fonctionnement de la société moins efficace. Les institutions juridiques
vieillissent mal, ce qui n’est pas le cas du droit, car celui-ci s’adapte aux
nouvelles réalités ; le mal fonctionnement des institutions accroît le taux de
rendement privé des avocats, ce qui favorise l’arrivée d’un plus grand
nombre d’avocats chaque année ; ce phénomène se traduit par plus de lois
et plus de règlements ainsi que par l’intervention de puissants lobbys qui,
conjointement, ne militent pas nécessairement pour une meilleure utilisation
des ressources rares de l’économie ; et
Finalement, l’auteur s’interroge sur les effets d’un contingentement de la
profession ; deux écoles de pensée s’opposent sur ce sujet, d’un côté, les
tenants de la limitation de l’accès à la profession et, de l’autre, ceux pour qui
l’offre et la demande constituent le meilleur mécanisme de régulation dudit
marché ; ce n’est pas le marché des services juridiques qui pose problème ;
le problème découle plutôt des rendements excessifs reliés au contrôle des
avocats sur des institutions juridiques bureaucratisées de façon excessive. Il
faut évidemment situer ces constats dans leurs contextes respectifs. Les États-
Unis possèdent un nombre élevé d’avocats par 100 000 habitants, soit 368.
Les citoyens américains ont également la réputation d’être plus « litigieux »
que les Canadiens et les Québécois. Cependant, convenons que certains de
47
ces résultats constituent des pistes de réflexion intéressantes quant à l’excès
de l’offre.
5.2.3 La santé de l’État de droit versus la santé de ses citoyens
Toute comparaison entre des professions est hasardeuse. Toutefois, en tenant
pour acquis que l’État de droit est garant des libertés, du bon fonctionnement
de l’économie et des relations harmonieuses entre les citoyens, nous avons vu
auparavant que les ressources financières consacrées à cet édifice sont faibles.
Qu’en est-il du nombre de professionnels susceptibles d’assurer ces
fonctionnements ?
Le tableau ci-après fait état des professionnels de première ligne.
TABLEAU 10 Effectifs avocats/notaires versus médecins/infirmières
Provinces
Avocats-notaires Par 100 000 habitants
Médecins-
infirmières Par 100 000 habitants
Ratio
Santé/droit
Québec 351 1 025 3
Ontario 312 858 3
Alberta 327 924 3
Colombie-Britannique 268 842 3
Source: Office des professions du Québec, Statistique Canada.
Comme il fallait s’y attendre, le ratio des professionnels de la santé et du droit
traduit une réalité où il y a trois fois plus des premiers que des seconds. Il ne s’agit
pas d’évaluer la valeur d’une profession relativement à une autre. Cette
observation met en évidence le fait que, malgré l’importance stratégique de
l’État de droit, la société ne dispose que de peu de ressources humaines.
5.2.4 Les modes appropriés de résolution de conflits (MARC)
Quand survient un conflit ou une situation à contenu juridique, les ménages de
la classe moyenne ont souvent le réflexe de se tourner vers la justice
traditionnelle. D’autres avenues s’offrent cependant à eux. Les MARC
constituent l’une des pistes parmi les plus intéressantes pour accroître de façon
substantielle l’accès à la justice. Plusieurs aspects du projet de réforme du Code
de procédure civile devraient favoriser rapidement le taux de pénétration des
MARC.
Le projet de réforme du code prévoit que les ménages doivent tenter de
s’entendre par tous les moyens mis à leur disposition avant de s’adresser aux
48
tribunaux de première instance. Le projet de réforme du code stipule également
que les procédures doivent être proportionnelles à la hauteur des enjeux
financiers. Donc, la justice ne doit plus être uniquement entre les mains des
ménages/entreprises/organisations qui ont les moyens d’y faire obstacle.
Les MARC portent essentiellement sur la négociation, la conciliation, la
médiation et l’arbitrage. Il y a peu de données statistiques sur ces segments de
marché. Les dernières enquêtes qui traitaient de justice participative datent de
2008 et 201131. Dans une proportion de 39,5 % des membres, les avocats du
Québec estimaient à ce moment qu’il s’agissait là de la principale occasion
d’affaires.
Le Barreau du Québec s’est penché très tôt sur les MARC. Dès la fin des années
1990, un comité s’est intéressé à ceux-ci et au développement de ce segment
de marché. Le Comité de médiation en matière familiale a été formé en 1997 et
celui en matière civile et commerciale a vu le jour en 2002. En 2003, les deux
comités sont devenus le Comité de justice participative (Barreau du Québec).
Plus récemment, en février 2013, un service des règlements de différends (projet
pilote) a été mis sur pied pour les litiges en matière civile et commerciale dont la
valeur ne dépasse pas 25 000 $32. Ce projet s’inscrit dans la lignée du règlement
de conflits hors des recours classiques. L’un des volets originaux de ce nouveau
service porte l’attribution d’un « forfait » à l’avocat, ce qui établit un niveau de
certitude quant aux coûts, en plus d’éliminer des délais. Le service met à la
disposition des usagers potentiels une banque de médiateurs à forfaits.
Quant à la profession notariale, elle s’est également intéressée aux MARC depuis
plusieurs années. En effet, le notaire, par son rôle impartial, peut tout à fait, à
l’instar des avocats, jouer un rôle de médiateur. Il existe d’ailleurs plusieurs
accréditations, en médiation familiale, en médiation civile et commerciale et
aux petites créances. Le nombre de notaires accrédités est respectivement de
147, 15 et 370.
Ces initiatives s’inscrivent dans la lignée des réformes récentes annoncées par le
ministre de la Justice du Québec.
31 Barreau du Québec, « Enquête socioéconomique auprès des membres du Barreau du
Québec », CIRANO, 2009, et Chambre des notaires du Québec, « Enquête sur la profession en
2011 », Ipsos Descarie. 32 Projet pilote sous la responsabilité du « Service du développement et du soutien à la profession »
du Barreau du Québec, février 2013.
49
5.2.5 Le recours ultime : les tribunaux de première instance
Le recours aux tribunaux peut se mesurer par le nombre de dossiers inscrits
devant les premières instances. C’est un fait connu : sur une base historique, le
nombre de dossiers inscrits a diminué.
TABLEAU 11 Activité judiciaire au Québec
Tribunal 2002 2005 2011 Variation
2011/2002
Cour Du Québec
Chambre civile 60 868 52 055 26 374 (56,7 %)
Cour du Québec
Division des Petites créances 29 044 27 611 19 901 (31,5 %)
Cour supérieure
Chambre civile 19 088 13 826 15 163 (20,6 %)
Cour supérieure
Chambre de la famille 17 049 15 551 13 975 (18,0 %)
Cour supérieure
Chambre du divorce 19 028 16 639 14 535 (23,6 %)
Tribunal administratif
du Québec 33 606 42 337 30 719 (8,6 %)
TOTAL 178 683 168 019 120 667 (32,5 %)
Source: Justice Québec.
Ce tableau indique qu’au total le nombre de dossiers traités devant les tribunaux
de première instance a chuté du tiers, soit de 32,5 %. Les coûts et les délais
arrivent au premier rang des explications sur ces baisses au cours de la
décennie. La diminution du nombre de dossiers pourrait non seulement
s’expliquer par l’utilisation non seulement des MARC par les avocats et les
notaires, mais également de procédures non contentieuses par ces derniers.
50
5.2.6 L’information juridique
L’accès du grand public à l’information juridique
Jusqu’à tout récemment, l’information juridique ne s’adressait qu’aux membres
de la profession, aux universitaires et aux étudiants. Le volet affaires ou
professionnel ne fait pas l’objet de la présente analyse. Le volet grand public a
fait son apparition il y a une quinzaine d’années. La diffusion universelle de
l’accès à Internet, stimulée par une baisse substantielle des coûts de connexion,
par la facilité d’usage des moteurs de recherche et par la disponibilité d’une
gamme variée d’appareils, a permis d’accéder aux marchés grands publics.
Ainsi, les décisions des tribunaux judiciaires et administratifs et les textes de loi
sont accessibles sans frais sur Internet. De plus, les cliniques juridiques
universitaires ou communautaires diffusent de l’information juridique. L’un des
organismes apparemment parmi les plus en vue est Éducaloi. Depuis plus de 10
ans, cette entreprise, supportée par le Barreau du Québec, la Chambre des
notaires et la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ), serait
devenue un leader pour la vulgarisation de concepts juridiques. Les taux de
fréquentation du site Internet d’Éducaloi ainsi que les demandes de
renseignements ou de prestation de services témoigneraient de son succès.
Toutefois, il faut rappeler que la clientèle grand public n’est pas homogène.
Comprendre de l’information juridique même vulgarisée nécessite une certaine
maîtrise de la lecture et de la déduction. Ainsi, selon les statistiques les plus
récentes, ce sont 49 % des Québécois de 16 à 65 ans qui se classent en bas des
2 niveaux de compétence en lecture33. Cela se traduit par 800 000 Québécois
analphabètes alors que 1 700 000 disposent de faibles compétences en lecture.
De ce total, 45 % occupent actuellement un emploi. Depuis les 20 dernières
années, environ le quart des jeunes décroche de l’école chaque année, et ce,
avant l’obtention du premier diplôme équivalant à celui de cinquième
secondaire. Il est difficile alors de segmenter le marché de ces citoyens, qu’ils
soient de la classe moyenne ou non.
33 Fondation pour l’alphabétisation, « Rapport annuel 2012 ».
51
Finalement, il faut mentionner ici la mise sur pied de projets pilotes des Centres
de justice de proximité de Justice Québec34. Les Centres de justice de proximité
souhaitent promouvoir l’accès à la justice pour les citoyens. Ils offrent des
services d’information, de soutien et d’orientation. Ces services sont
complémentaires aux ressources existantes. Ils constituent une source
d’information juridique proche des citoyens et visent notamment à rendre la
justice plus accessible et à accroître la confiance dans le système.
Les publications portant sur le droit
Les publications format papier sont encore fort nombreuses, qu’il s’agisse de
livres, de revues ou de magazines. Toutefois, la révolution numérique fait en sorte
que ces publications, dans un avenir rapproché, sont en voie d’être offertes sous
forme électronique uniquement. La migration des collections et autres
documentations vers le virtuel dans les grandes bibliothèques dont celles des
universités, s’accélèrent. La chute conjoncturelle des ventes de pâtes et papiers
et de papiers fins témoigne des changements en cours.
C’est par le biais de dizaines de sources que les milieux juridiques ont accès à
des collections, à des recueils, à de la jurisprudence ou encore à de la doctrine
« en ligne ». L’offre d’information est très segmentée sur la base de la langue, de
la géographie et du type de pratique des avocats.
Enfin, plusieurs initiatives ont été mises sur pied par différents organismes,
notamment par les ordres professionnels, afin d’informer le public de ses droits et
obligations. Le service de première ligne 1-800-NOTAIRE génère 50 000 appels
par année. Ce service a mis en ligne un site internet orienté en fonction des
besoins du grand public et de lancer un service 1-800-NOTAIRE 2.0 (en ligne pour
le grand public).
34 Le projet pilote comprend les centres à Montréal, Québec et Rimouski.
52
5.3 L’architecture informelle de l’offre
5.3.1 Les professionnels non avocats
La présence de professionnels non avocats auprès des ménages de la classe
moyenne est encore très peu répandue au Québec.
5.3.2 Les organismes communautaires qui offre des services juridiques
La dernière étude exhaustive sur le sujet date d’une huitaine d’années 35. Il s’agit
majoritairement d’organismes à but non lucratif (OBNL). Selon les résultats de
cette étude, on recense 46 690 organismes communautaires au Québec. Sur la
quinzaine de secteurs d’activités, 930 de ces organismes offrent des services en
droit et en assistance juridique. Ce nombre est non négligeable et, dans la
sphère des milieux de l’économie sociale, il ajoute du poids à l’offre formelle.
Le financement de ces OBNL provient du gouvernement (69 %), d’activités
d’autofinancement (29 %), de dons (5 %) et d’autres sources variées (2 %). Il
serait utile de recenser les types d’interventions de ces organismes.
5.3.3 Internet
L’usage d’Internet
Le tableau qui suit dresse le profil de l’usage d’Internet, ou des technologies de
l’information et de la communication (TIC), au Québec.
TABLEAU 12 Usage des TIC selon les segments de la population
Segment Âge Utilisateurs de l’Internet Usage
Génération Y 18-34 93,4 % réguliers
2,7 % occasionnels 9,1 h/semaine à la maison
Génération X 35-44 91,0 % réguliers
3,6 % occasionnels 8,2 h/semaine à la maison
Jeunes Boomers 45-54 82,1 % réguliers
5,5 % occasionnels 8,1 h/semaine à la maison
Boomers 55-64 70,1 % réguliers
6,5 % occasionnels 7,1 h/semaine à la maison
Aînés 65 + 40,6 % réguliers
8,6 % occasionnels 8,1 h/semaine à la maison
Source: CEFRIO, « Cinq générations d’internautes : profil des usagers des TIC en 2011 »,
NETendances, 2012.
En 2012, en ce qui a trait à l’usage global d’Internet au Québec, 78,9 % des
adultes affirment l’avoir utilisé au moins une fois au cours de la semaine
précédant le sondage. Le taux est stable alors qu’il était à 79,1 % en 2011.
35 Alliance de recherche – universités communautés en économie sociale – Équipe UQAM, « Le
secteur sans but lucratif et bénévole au Québec », 2006.
53
Le taux d’Internautes réguliers est plus faible en fonction du groupe d’âge : chez
les adultes québécois de 18 à 34 ans (93,4 %), de 35 à 44 ans (91,0 %), de 45 à 54
ans (81,2 %), chez les 55 à 64 ans (70,1 %) et chez les citoyens de 65 ans et plus
(40,6 %).
Au Québec, les adultes dont le revenu familial annuel moyen se situe dans une
fourchette de 40 000 $ à 59 999 $, le taux est élevé (90,5 %). Il en est de même
pour ceux qui ont un revenu familial annuel moyen supérieur à 60 000 $ (93,4 %).
Ces derniers sont proportionnellement plus nombreux à utiliser Internet
régulièrement. Enfin, les groupes socioprofessionnels où l’on trouve les plus forts
utilisateurs réguliers d’Internet sont les étudiants (92,8 %), les professionnels
(97,3 %) et les cols blancs (91,1 %).
Il ne fait aucun doute que les ménages à revenus moyens ont accès à Internet
sur une base régulière. Ils peuvent alors, si cela est requis, procéder à une
recherche d’information juridique en ligne.
Internet et l’information juridique
Une recherche rapide sur Google Canada en avril 2013 a produit les résultats
suivants pour les mots clés « information juridique » et une multitude de variantes
sur ces derniers. La quantité d’information obtenue par cette recherche anglais-
français en ligne est la suivante :
745 000 pour les termes « produits juridiques »;
1 150 000 pour les termes « services juridiques »;
1 780 000 pour le terme « avocat »;
690 000 pour le terme « notaire »;
1 990 500 pour les termes « fournisseurs de services juridiques ».
Ces résultats font état de possibilités illimitées. Évidemment, la recherche en
anglais en produit beaucoup plus. Il faut également tenir compte du volet
mondial du Web où, pour le français, de l’information juridique provenant
d’autres juridictions francophones que le Québec apparaissent. Ce constat vaut
également pour la recherche en anglais.
Notons que cette masse d’information est assujettie à de nombreuses
contraintes, la première étant la complexité de l’information et de
l’interprétation des liens ou des impacts avec les situations.
54
La justice ne fait pas exception aux autres secteurs d’activités présents sur la
Toile. Il faut prendre en considération le fait que le citoyen ordinaire ne peut
prétendre à une maîtrise de concepts qui débordent son expertise et son
quotidien.
5.3.4 Les publications et émissions spécialisées
Les ordres professionnels du droit jouent un rôle de premier plan dans la
production de documentation spécialisée. Les publications ou les émissions ont
comme objectif d’informer les ménages à revenus moyens sur certains risques
pointus reliés à la vie courante. Ces risques émanent en grande partie de la
consommation courante.
Des groupes tels que « Protégez-vous » portent spécifiquement sur la protection
du consommateur36. Leurs secteurs d’intervention sont assez larges et couvrent
l’alimentation, la technologie, l’automobile, l’habitation, les affaires, les loisirs et
la famille. Le droit est omniprésent dans le processus de consommation. Pour les
volets juridiques grand public, le groupe collabore avec différents intervenants
du milieu. Qu’il s’agisse d’articles, de guides d’achat ou de recours contre les
vendeurs, les questions juridiques sont transversales.
Finalement, l’émission La Facture est également une source d’informations
juridiques non négligeable37.
36 Le site « Protégez-vous.ca » constitue une manne d’informations destinées au grand public. 37 Le site « Radio-Canada.ca » est également une source à consulter.
55
6 L’ACCÈS À LA JUSTICE POUR LES MÉNAGES À REVENUS
MOYENS : LA DEMANDE EXPRIMÉE
6.1 Différentes enquêtes auprès des justiciables
Les résultats d’évaluation ou d’enquêtes sur les besoins en services juridiques
pour les justiciables sont en nombre limité.
6.1.1 Au Canada, en Ontario et au Québec
À quoi ressemble la demande de services juridiques pour la majorité de
justiciables à revenus moyens ? Les résultats de deux études, réalisées l’une au
niveau canadien et l’autre en Ontario, font état de résultats intéressants38.
TABLEAU 13 Problématiques juridiques des ménages à revenus moyens
Nature des problèmes Canada-2005
( %)
Ontario-2010
( %)
Endettement 22,3 5
Consommation 19,2 2
Emploi 17,4 9
Logement 5,4 10
Familial (séparation-divorce) 5,2 28
Dommage corporel 4,7 7
Testament-Inaptitude 4,0 13
Risques de poursuite en justice 3,7 3
Assistance sociale 3,5 1
Discrimination 3,5 2
Relation avec les corps policiers 3,1 0
Pensions d’invalidité 2,6 2
Autres problèmes de nature familiale 2,4 0
Hospitalisation 2,2 1
Immigration-statut de réfugié 0,8 2
Voisinage 0 3
Code de la route-circulation 0 3
Criminel-pénal 0 9
Source: Upper Canada Law Society, Listening to Ontarians – Ontario Civil Legal Needs Project,
2010.
38 Currie, A., « A National Survey of the Civil justice Problems of Low and Moderate Income
Canadians: Incidence and Patterns », Justice Canada 2005; Upper Canada Law Society, «
Listening to Ontarians – Ontario Civil Legal Needs Project », 2010.
56
Au Canada, en 2005, les résultats indiquent que près de 60 % des problèmes
observés relèvent de l’endettement, de la consommation et de l’emploi. Pour
les autres catégories, le poids diminue rapidement. Fait surprenant, ces
catégories représentent 16 % des problématiques en Ontario en 2010, le poids
majeur étant pour le droit familial (28 %).
Ainsi, le profil du Canada versus celui d’une province spécifique, l’Ontario en
l’occurrence, traduit des différences significatives sur le plan des problématiques
juridiques vécues. Les caractéristiques socioéconomiques (emploi, revenus)
d’une province ainsi que son profil démographique (âge, communautés
culturelles) influent grandement sur la demande de services juridiques. Il faut
également prendre en considération l’écart dans le temps pour ces deux
enquêtes.
Une enquête à portée plus restreinte réalisée au Québec fait état d’une
similitude avec l’Ontario au regard de problèmes en matière familiale (23 %)39.
Là s’arrête la comparaison, l’étude portant plutôt sur les institutions de la justice
et non sur les besoins des ménages de la classe moyenne en tant que tels.
6.1.2 Les besoins en justice civile : une analyse comparative
Différents résultats ont été compilés sur les besoins en services juridiques de la
classe moyenne au sein des pays de l’OCDE. Le problème premier en est
évidemment un de comparabilité des résultats d’une juridiction à l’autre.
L’année de réalisation des enquêtes peut également influer sur l’analyse.
Néanmoins, les résultats suivants pour la classe moyenne méritent d’être
soulignés :
Aux États-Unis (2004), 52 % de ce groupe ont connu des situations juridiques40;
Au Canada (2006), les résultats de l’étude indiquent que, sur une période de
trois ans, 48 % des Canadiens à revenu moyen ont vécu un ou plusieurs
problèmes juridiques41;
En Nouvelle-Zélande (2006), c’est 26 % de ces citoyens qui ont connu un
problème juridique au cours de l’année42; et
39 Ministère de la Justice du Québec, « Sondage auprès de la population sur la confiance à
l’égard du système de justice au Québec », Léger Marketing, 2006. 40 Carle, S. D., « Re-Valuing Lawyering for Middle-Income Clients », Fordham Law review, 2001. 41 Currie, A., « A national Survey of the Civil justice Problems of Low and Moderate Income
Canadians: Incidence and Patterns », Justice Canada 2005. 42 New Zealand Legal Services Agency, « National Survey of Unmet Legal needs and Access to
Services », 2006.
57
Aux Pays-Bas (2006), 67 % de ces justiciables déclarent avoir connu des
problèmes juridiques dans les cinq dernières années43.
On peut affirmer qu’un poids non négligeable de résidents de certains pays de
l’OCDE doit faire face à des problématiques juridiques à l’intérieur de périodes à
longueur variable.
6.2 Le recours aux services juridiques chez la classe moyenne au
Québec
Dans le contexte de la présente étude, un sondage a été réalisé auprès des
ménages de la classe moyenne au Québec. La réalisation de ce sondage a été
confiée à la maison de recherche CROP44.
6.2.1 La notoriété spontanée de problèmes juridiques
Une première question de l’enquête portait sur le fait d’avoir vécu un problème
juridique. Les résultats du tableau ci-après traduisent ce que les ménages ont
exprimé.
TABLEAU 14 Expression d’un problème de nature juridique
Nature des problèmes Province Montréal Québec RDC1
Divorce-séparation 27 25 30 28
Achat-vente de propriété/bien 16 16 17 17
Rédaction d’un testament 15 15 13 15
Accusation criminelle 6 8 5 4
Litige-conflit 5 7 4 2
Problème juridique 4 4 6 4
Défendre ses droits-se protéger 4 4 5 4
Autres 14 13 13 17
Ne sait pas 9 10 6 9
Source : CROP, « Recours aux services juridiques et perception à l’égard du système judiciaire
québécois », Observatoire des services professionnels, 2013.
Reste du Canada (RDC).
43 Van Velthoven, B., « Path to Justice in the Netherlands », 2004. 44 La copie intégrale de l’enquête est disponible sur le site observatoirepro.com.
58
Les situations de divorce et séparation, les transactions de biens durables et la
rédaction d’un testament correspondent aux situations les plus fréquemment
rencontrées par les ménages de la classe moyenne. Ces poids sont à peu près
similaires qu’il s’agisse du Grand Montréal/Québec ou du reste du Québec
(RDQ).
Les problèmes de nature criminelle sont plus élevés dans le Grand Montréal, ce
qui ne surprend pas, Montréal et sa périphérie étant la région la plus populeuse
et la plus densément peuplée.
6.2.2 Taux d’incidence du recours à une assistance juridique
Le niveau de risque de problème juridique auquel ils seront confrontés à
l’intérieur d’un horizon temporel de trois ans interpelle tous les ménages de la
classe moyenne du Québec. Le taux d’incidence est reproduit au tableau ci-
dessous.
TABLEAU 15 Taux d’incidence d’une problématique juridique
Incidence Taux ( %)
… a vécu une situation ayant nécessité d’avoir recours à un avocat
ou à un notaire 46
… a vécu une situation qui aurait pu nécessiter le recours à un avocat
ou à un notaire mais pour laquelle vous n’avez pas consulté 11
Non, aucune personne dans mon foyer n’a vécu de situations de
cette nature 47
Ne sait pas 1
Source: Ibid.
Au dernier chapitre, il a été établi que le nombre de ménages de la classe au
Québec était d’environ 2,5 millions. Selon les données du tableau, cela signifie
que 1,15 million de ménages ont vécu une situation nécessitant le recours à un
professionnel du droit. Cela signifie également que 275 000 ménages n’ont pas
consulté alors qu’ils auraient probablement dû le faire.
6.2.3 Situations ayant nécessité une assistance sur le plan juridique
La demande exprimée se traduit par l’estimation des potentiels, c.-à-d. les
segments de marché, au point de vue quantitatifs. Sur la vingtaine de situations
pouvant avoir nécessité une assistance sur le plan juridique, trois se démarquent
auprès des répondants. Il est à noter que les ménages pouvaient répondre à
plusieurs des énoncés de situations.
59
TABLEAU 16 Demande d’assistance forte
Situation Incidence de l’usage avocat/notaire
Nombre de ménages
Transactions immobilières 48 % 1 200 000
Testaments/successions/
procurations 38 % 700 000
Familial 21 % 525 000
Source : Ibid.
Le tableau précédent indique les segments forts de la demande exprimée par
les ménages à revenus moyens. Cela signifie que près de la moitié des
acheteurs/vendeurs ont consulté un notaire ou un avocat lors d’une transaction
immobilière.
Pour les autres situations, les taux sont en deçà de 10 %, sinon inférieurs à 5 %. Les
potentiels moyens sont présentés au tableau qui suit.
TABLEAU 17 Demande d’assistance moyenne
Situation Incidence de l’usage avocat/notaire
Nombre de ménages
Propriétaires/locataires 7 % 175 000
Emploi 6 % 150 000
Consommation 5 % 125 000
Criminel/pénal 5 % 125 000
Source: Ibid.
Bien qu’ils soient qualifiés de moyens, ces segments représentent des occasions
intéressantes pour les avocats et les notaires. Il faut noter ici que des organismes
paragouvernementaux peuvent assister les ménages dans leurs démarches, soit
la Régie du logement dans le cas de relations propriétaires-locataires ou encore
l’Office de la protection du consommateur pour la consommation.
60
Le dernier tableau de cette section regroupe les segments qualifiés de faibles.
TABLEAU 18 Demande d’assistance faible
Situation Incidence de l’usage avocat/notaire
Nombre de ménages
Endettement 4 % 100 000
Voisinage 4 % 100 000
Copropriété 3 % 75 000
Immigration 3 % 75 000
Construction résidentielle 2 % 50 000
Tutelle/curatelle 2 % 50 000
Dommages corporels 1 % 25 000
Traitements médicaux 1 % 25 000
Travail autonome 1 % 25 000
Gouvernement 1 % 25 000
Municipalité 1 % 25 000
Commissions scolaires 1 % 25 000
Professionnel 1 % 25 000
Source: Ibid.
Le poids des ménages ayant dû recourir à une assistance juridique est quand
même relativement élevé. Voyons maintenant quelles sources ont été
consultées.
61
6.2.4 Sources d’informations consultées et degré de satisfaction
Les sources d’informations consultées
Trois diagrammes sont reproduits au regard des sources d’informations45.
Le premier met en évidence le fait que les avocats et les notaires constituent de
facto les intervenants de première ligne pour les ménages de la classe
moyenne.
Diagramme 3
0 5 10 15 20 25 30 35 40
Avocat/notaire
Ami
Parent
Internet
Poids en %
Sources de consultations primaires
Notons cependant que les autres sources représentent, à des degrés variables,
des substituts autres que le droit (parent, ami) et une source disposant d’un large
éventail d’informations juridiques (Internet).
Outre les avocats et notaires, Internet et son développement continu
deviendront à terme un concurrent encore plus redoutable pour les
professionnels du droit. Songeons notamment au balayage de la quantité
d’information que ce véhicule peut réaliser en peu de temps, à n’importe quel
moment et à des coûts de transaction souvent nuls.
Ce positionnement de la Toile confirme les résultats d’analyses du Britannique
Susskind en ce qui concerne le développement de « services juridiques de
commodités » et de l’incontournable défi de la R&D pour la mise en marché de
produits à valeur ajoutée pour les avocats et notaires46.
45 La classification des sources d’information a été établie de la façon suivante : primaires (> 10 %),
secondaires (5 et 10 %), tertiaires (< 5 %). 46 Susskind, R., « The End of Lawyers: Rethinking the Nature of Legal Services », Oxford University
Press, 2008.
62
Au niveau de ce premier segment de la demande, il appert que, dans l‘intérêt
supérieur de la protection du public, le rôle de l’avocat et du notaire doit à
terme, se suppléer à ceux des parents-amis. Les parents ou amis peuvent
aiguiller les ménages de la classe moyenne vers les professionnels.
Cependant, il faut prendre en compte du fait que les parents ou amis peuvent
ne pas posséder une bonne lecture des situations à contenu juridique, avoir des
opinions biaisées du milieu juridique ou encore, ce qui pourrait s’avérer
problématique, tenter de jouer à l’homme de loi.
Le second diagramme indique que les sources de consultation sont encore une
fois relativement variées. Un premier constat : la relation d’affaires se classe
comme une source de référence importante quoique son poids soit de 8 %.
Cette mention n’est pas surprenante car, pour le grand public, quelqu’un en
affaires connaît très certainement mieux les aspects légaux que la moyenne des
gens.
Diagramme 4
0 2 4 6 8 10
Relation d'affaire
Chambre des notaires
Assurance frais juridiques
Assistance téléphonique
Barreau du Québec
Site du Gouvernement
Poids en %
Sources de consultations secondaires
Toutefois, il importe de souligner que les autres sources d’information consultées
gravitent dans le giron du monde professionnel associé directement à la justice.
On y retrouve évidemment le Barreau du Québec et la Chambre des notaires.
Les pourcentages de l’assistance téléphonique et l’assurance de frais juridiques
confirment les résultats d’analyses antérieures quant à leurs taux de
pénétration47. Notons que le marché de l’assurance de frais juridiques semble
stagner depuis quelques années. Le nombre de ménages assurés ne change
pas.
47 Comité d’experts sur l’assurance juridique, « L’assurance juridique une solution pour l’accès à la
justice », 2012.
63
Le troisième diagramme regroupe huit sources avec des résultats plutôt moyens.
Certains de ces résultats surprennent dans le cas entre autres, des Centres de
justice de proximité (2 %) et de l’organisme ÉducaloiI (3 %). Pour les Centres de
justice de proximité, il s’agit d’un projet pilote; leur notoriété et leur visibilité
restent à développer. Pour Éducaloi, la notoriété semble au rendez-vous, mais
son rayonnement resterait à construire auprès d’une clientèle plus large. Le
résultat des cliniques juridiques est également contre toute attente.
Diagramme 5
0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5
Éducaloi
Palais de justice
Magazine Protégez-vous
1-800-NOTAIRE
Centre de justice de proximité
Clinique juridique
Banque
Pages jaunes
Poids en %
Sources de consultations tertiaires
Finalement, selon les statistiques disponibles, le 1-800-NOTAIRE produit des taux
de fréquentation élevés. Cela ne semble pas se traduire par un rayonnement
corrélé à ces taux.
6.2.5 Satisfaction à l’égard des informations reçues
Selon les données de l’enquête, pour les ménages ayant eu recours à un
professionnel du droit et payé les frais, 65 % d’entre eux ont consulté un notaire
et 33 %, un avocat. Le pourcentage des ménages ayant eu recours à un
médiateur ou à l’assistance juridique passe à 5 %.
Les ménages à revenus moyens affichent des taux de satisfaction élevés au
regard des sources consultées. Les notaires arrivent au premier rang (95 %) et les
avocats rémunérés par le client, au troisième rang (92 %).
Fait intéressant, Internet affiche un taux de 75 %, ce qui est surprenant malgré la
fréquence d’utilisation. Le lien informel et non convivial entre ce médium et
l’usager peut expliquer ce taux.
64
6.2.6 Les services juridiques gratuits au Québec
De façon spontanée, une forte majorité de ménages, soit 74 %, connaissent
l’existence de services juridiques gratuits. Sur le plan de l’énoncé d’une liste de
services gratuits offerts au public, les taux sont significatifs : Régie du logement
(89 %), Office de la protection du consommateur (87 %), Aide juridique (80 %),
Justice Québec (78 %), Droits de la personne (70 %), Victimes d’actes criminels
(61 %), Protecteur du citoyen (61 %) et Option consommateur (55 %).
Par la suite, toutes les autres mentions assistées lors de l’enquête font état de
résultats plutôt moyens et tombent à 20 % et moins. Ces résultats s’expliquent par
le fait que les éléments forts font partie de l’information au quotidien ou de
l’expérience vécue par des amis ou des parents. Le tiers (33 %) des répondants
connaissent les services rendus par l’Aide juridique. Le taux de notoriété baisse à
6 % pour l’assurance de frais juridiques et à 1 % pour les institutions financières.
Les véhicules de protection du consommateur et la Clinique juridique Juripop
ont des taux de 2 %.
6.2.7 Expérience devant un tribunal
Une proportion de 40 % des ménages de la classe moyenne affirme avoir vécu
une expérience devant un tribunal. Dans l’ordre, il s’agit de la Cour du Québec
(53 %), la Cour supérieure (11 %), les Petites créances (9 %) et la Cour municipale
(7 %). Pour les autres tribunaux, y compris les tribunaux administratifs, les poids
sont inférieurs à 3 %.
Parmi ces ménages, 44 % ont retenu les services d’un avocat. Pour ceux qui ne
l’ont pas fait, la situation ne le requérait pas (15 %) ou encore les coûts
paraissaient trop élevés (13 %).
6.2.8 Les alternatives aux tribunaux
Les ménages sont soit très intéressés (31 %) ou assez intéressés (53 %) par les
alternatives. Le taux s’avère significatif, soit 84 % des répondants. Les alternatives
énumérées sont également perçues comme intéressantes, soit, entre autres, la
conciliation/médiation (86 %) et l’arbitrage (81 %). Suivent ensuite les mini-procès
avec 66 %.
65
6.2.9 Un meilleur accès à la justice
Une section importante de l’enquête traite de moyens pour améliorer l’accès à
la justice pour la classe moyenne. Le tableau qui suit présente un éventail de
moyens ainsi que leur taux de perception.
TABLEAU 19 Moyen pour améliorer l’accès à la justice
Variables Poids
( %)
Expérience du ménage
avec la justice ( %)
A connu un
recours
Situation
avec
recours
Aucun
besoin
Simplifier les procédures 58 52 54 64
Aide juridique plus accessible 53 48 70 57
Limiter les honoraires selon la valeur du litige 52 54 47 51
Obligation de la médiation avant la cour 47 47 48 46
Raccourcir les délais 46 41 42 52
D’autres façons de tarifer les services 24 24 27 24
Services juridiques non taxés 24 20 28 28
Régime universel d’assurance juridique 21 24 25 18
Régionaliser la justice (tribunaux) 3 4 3 3
Tenir compte de l’origine culturelle 3 3 5 1
Source : Ibid.
Les observations suivantes permettent de situer les différentes problématiques :
Les trois premières propositions affichent des poids supérieurs à 50 %;
Il existe une certaine homogénéité des résultats selon que le ménage a
connu un litige ou non, et ce, pour tous les énoncés;
Les ménages qui ont vécu une situation avec besoin de recours
apprécieraient une augmentation des seuils de l’Aide juridique.
Rappelons ici que l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile
comportera justement certaines de ces propositions, soit, entre autres, la
simplification des procédures (moins d’articles), l’incitation aux modes de
règlement de différends et la prise en considération des frais et honoraires en
fonction de la valeur du litige.
66
6.2.10 Les autres considérations de l’enquête
La Division des petites créances
Une faible majorité de ménages (53 %) estime que les plafonds devraient être
supérieurs. Le nouveau plafond devrait être de 10 000 $ (35 %), entre 10 000 $ et
15 000 $ (35 %) ou supérieur à 15 000 $ (20 %).
Le plafond de la Division des petites créances est maintenant de 15 000 $. Selon
les résultats de l’enquête, le tiers des ménages seront satisfaits, alors que 20 %
auraient préféré des limites plus élevées.
L’Aide juridique
C’est dans une proportion de 82 % que les ménages sont en faveur de
l’accroissement des seuils d’admissibilité à l’Aide juridique. Ces ménages sont
tout à fait d’accord (52 %) ou plutôt d’accord (30 %).
Les seuils proposés varient considérablement. Une majorité de ménages (81 %)
estime que le seuil devrait être plus que 22 080 $. Certains les voient à un revenu
supérieur à 40 000 $ (20 %), ce qui évidemment, n’a que de faibles chances de
se produire.
Augmenter les seuils d’admissibilité à l’Aide juridique fait presque l’unanimité
chez les ménages à revenus moyens bien que ceux-ci ne soient pas admissibles.
Toutefois, il faut se rappeler que c’est Justice Québec qui finance le programme.
Ce dernier est financé par les deniers publics. Or, les résultats de l’enquête
indiquent que c’est dans une majorité de 83 % que les ménages s’opposent à
l’accroissement des taxes et des impôts pour améliorer l’accès à la justice y
compris l’Aide juridique évidemment. Ce résultat n’est guère surprenant. Parmi la
gamme de biens publics offerts par le gouvernement du Québec, la justice est
plutôt loin dans les priorités.
67
7 L’ADÉQUATION DE L’OFFRE ET DE LA DEMANDE DE SERVICES
JURIDIQUES
7.1 Les besoins exprimés des ménages à revenus moyens
7.1.1 Le cadrage des besoins
Le diagramme ci-dessous reproduit le cheminement pour un ménage de la
classe moyenne lors d’une situation ayant nécessité l’intervention d’un
professionnel du droit.
Diagramme 6
Cheminement des ménages face à une situation de nature juridique
Immobilier (48%)
Succession (38%)
Famille (21%)
Ont consulté un
professionnel du droit
(45,3%)
Professionnel
consulté
Avocat (33%)
Notaire (66%)
Raisons de ne pas
consulter
Coûts élevés (33%)
Entente amiable (15%)
Ont choisi de ne pas
recourir à un
professionnel du droit
(10,8%)
Ayant nécessité
une assistance
juridique
(43,9%)
N’ayant
nécessité
aucune
assistance
juridique
(56,1%)
Problématique
juridique (44%)
Les résultats de l’enquête auprès des ménages à revenus moyens présentés au
chapitre précédent font état de situations plus complexes que celles
synthétisées au diagramme. Cela dit, le diagramme met en place le
fonctionnement du marché potentiel pour le segment des « ménages à revenus
moyens ».
68
Le tableau ci-dessous fournit les informations quant au potentiel du marché.
TABLEAU 20 L’expression des besoins (horizon de 3 ans)
Demande de services juridiques Poids (ménages)
Demande apparente 1 100 000
Demande exprimée 482 900
Demande exprimée et non satisfaite 23 625
Source: CROP, « Recours aux services juridiques et perceptions à l’égard du système judiciaire
québécois », Observatoire des services professionnels, 2013.
Le tableau indique que 1,1 million de ménages à revenus moyens ont connu une
situation nécessitant l’intervention d’un professionnel du droit. Environ 482 900
ont effectivement consulté un professionnel.
Par contre, près de 25 000 ménages ont ni plus ni moins renoncé à leurs droits.
Rappelons que l’on se réfère à un horizon temporel de trois ans. Pour une année,
la moyenne serait alors de 160 967 ménages pour la demande exprimée et de
7 875 pour la proportion non satisfaite.
Un ménage de la classe moyenne sur cinq connaîtra une situation nécessitant
un recours aux services juridiques au cours d’une année donnée (19,3 %). Moins
de un pourcent (0,9 %) vont renoncer à une démarche.
7.1.2 L’adéquation des besoins au panier de services
L’adéquation des besoins au panier de services repose sur les liens existants
entre ce que les ménages de la classe moyenne requièrent comme services et
ce que l’offre formelle/informelle met à leur disposition.
69
Diagramme 7
Adéquation de l’offre et de la demande
Le diagramme reproduit l’état du marché apparent. L’adéquation de l’offre
et de la demande met en relief une relation que l’on peut qualifier d’inverse
entre la fréquence d’occurrence d’une situation juridique et le recours aux
ressources disponibles sur le marché.
Les problématiques juridiques auxquelles font face les ménages à revenus
moyens sont nombreuses, soit plus d’une douzaine (voir les résultats du
sondage CROP en annexe). Cependant, en ce qui concerne la fréquence
de ces problématiques dans la vie courante, ces dernières sont limitées à
quelques groupes distincts, comme en fait foi le diagramme. Le ménage a
accès à une gamme variée de services juridiques, mais le référencement
pour la quête de solutions porte sur quelques sources circonscrites au notaire,
à l’avocat, au parent, à l’ami, à Internet ou à la relation d’affaires. Les
multiples autres facettes de l’offre de services ne représentent que des
sources marginales de référencement, c.-à-d. la notoriété, pour les ménages.
Pour le tiers des ménages faisant face à une situation nécessitant
l’intervention d’un spécialiste, le coût des services constitue le principal frein à
la consultation auprès d’un professionnel du droit.
Demande (Situations)
Divorce/séparation
Achat/vente de
propriété/bien
Rédaction d’un
testament/mandat
Litige/conflit
Problème juridique
Défendre ses droits (se
protéger)
Offre (Services)
Notaire
Avocat
Parent/ami
Internet
Relation d’affaires
Chambre des notaires
Barreau du Québec
Assurance frais juridiques,
Éducaloi, Revues, 1-800-
NOTAIRE, Centre de justice de
proximité, JURIPOP, Cliniques
juridiques et autres organismes
Fréquence élevée Situations/services utilisés
Fréquence faible Situation/services utilisés
70
A contrario, les sources secondaires et tertiaires de consultation, souvent
gratuites et faciles d’accès, ne sont que très peu utilisées. Bref, la dichotomie
entre les besoins exprimés et l’offre de services est bien présente.
Ainsi au regard de l’équilibre dans le marché, un premier constat sur l’offre et
la demande de services juridiques traduit une situation de marché
« dysfonctionnel ». En un mot, le marché est en déséquilibre. Cet écart entre
les besoins et les disponibilités en matière de services juridiques explique en
partie les difficultés d’accès à la justice pour les ménages de la classe
moyenne.
Cependant, avant d’identifier et de proposer des pistes de solutions pour
faciliter l’adéquation de l’offre formelle et informelle à la demande, voyons
quels sont, outre le coût de certaines composantes du panier de services, les
blocages qui en limitent une distribution optimale.
Dans un premier temps, les ménages connaissent peu ou pas le meilleur
point de services; cela constitue pourtant un incontournable pour ce qui
est de l’accès au marché;
Deuxièmement, dans l’imaginaire collectif, la prestation de services
juridiques ne dépasse pas le cadre formel du duo notaire/avocat;
Troisièmement, l’omniprésence de « silos » où les structures du panier de
services fonctionnent de façon indépendante, ce qui ampute la
performance de l’ensemble;
Finalement, et tel qu’il a été souligné antérieurement, le coût de certaines
composantes du panier de services est carrément hors d’atteinte des
ménages à revenus moyens.
7.2 Les lacunes du cadre actuel
7.2.1 Aiguillonner les justiciables de façon optimale
Aiguiller le client vers le bon point de services, voilà un premier frein à l’atteinte
de l’équilibre dans le marché, c.-à-d. le coût de transaction. Les segments de
marché présentés au diagramme et desservis par deux groupes d’intervenants
distincts font état d’un certain chevauchement.
71
Diagramme 8
Un panier de services juridiques ciblé
La zone de chevauchement ne constitue pas un élément négatif en soi pour
l’équilibre à atteindre dans le marché. L’état des lieux du marché ne permet pas
de diriger rapidement et à moindre coût les ménages de la classe moyenne vers
le point optimal de service.
Les résultats du sondage sont porteurs de résultats très significatifs au regard de
l’usage des services de type « grand public ». Concrètement, les services offerts
notamment par les Centres de justice de proximité à titre de « répartiteur » ne
bénéficient que d’un faible taux de notoriété. Il en est de même pour le
fournisseur d’information juridique Éducaloi.
Clientèle Ménage
Clientèle Grand public
Services
juridiques
de masse
Services
juridiques ad
hoc
Éducaloi, Cliniques
juridiques, Centres de justice
de proximité, Juripop
Notaires, avocats, parents-
amis, Internet, relation
d’affaires
Zone de
« chevauchement »
72
7.2.2 Le monopole des avocats et des notaires
Une question surgit relativement à l’impact du monopole des avocats et des
notaires sur l’adéquation de l’offre et de la demande de services juridiques.
Cette question porte sur l’aspect monopolistique de l’offre de services. Est-ce
que les ménages seraient mieux servis sans le monopole de ces professionnels?
En économique, deux écoles de pensée s’affrontent. D’une part, les tenants de
la liberté d’accès proposent l’élimination de toutes entraves au fonctionnement
d’un marché dont ici, le monopole des avocats et des notaires. D’autre part, les
défendeurs de l’interventionnisme de l’État s’appuient sur la protection de
l’intérêt public, celle-ci constituant une meilleure garantie pour l’équité.
Les tenants de la déréglementation d’un secteur économique fussent-il
juridiques, ne font évidemment pas l’unanimité. Force est d’admettre que
l’expérience du décloisonnement des marchés financiers dans les années 1980 a
produit des résultats mitigés au cours de la dernière décennie48. Les spéculateurs
de la haute finance, avec le peu de contraintes découlant des opérations du
marché, ont littéralement pillé l’« économie réelle ». Les économies avancées
ont peine à se remettre de la dernière récession de 2008, causée notamment,
rappelons-le, par l’émission à grande échelle du « papier commercial », véhicule
de placement hautement spéculatif garanti par des rendements futurs d’actifs à
montages complexes.
Nonobstant ce qui précède, il semble paradoxal d’avoir vanté précédemment
dans ce texte les mérites du « décloisonnement » du secteur juridique en
Grande-Bretagne49. Si nous avons identifié de nombreux bénéfices découlant de
cette réforme, avouons que d’autres aspects suscitent bon nombre
d’appréhensions.
Dans cette perspective, les Alternative Business Structures (ABS) et la possibilité
offerte aux cabinets d’avocats anglais de se financer sur le marché public ne
font pas l’unanimité au sein des experts. Ainsi refont surface les questions de
l’intérêt du public dans son sens autant économique que juridique. Dans les
suites de ces réorganisations, le public sera-t-il protégé adéquatement?
48 Traditionnellement, le secteur financier comprenait quatre « piliers » mutuellement exclusifs, soit
les banques, les compagnies d’assurances, les fiducies et le courtage immobilier (marché
boursier). Le décloisonnement de ce secteur a été introduit en Grande-Bretagne sous le règne de
Margaret Thatcher. Puis, il s’est rapidement étendu à toutes les économies membres de l’OCDE,
dont les États-Unis en premier. Sous le gouvernement Mulroney, le Canada s’est adapté à cette
tendance. Les opposants à cette réforme structurelle majeure du secteur financier mondial
prévoyaient des conflits d’intérêts entre les intérêts des grands groupes corporatifs et
l’assujettissement de l’économie des « États souverains » à la finance internationale. 49 Nous faisons référence ici au Legal Services Act adopté en 2007 dans ce pays.
73
Compte tenu du rôle déterminant des avocats et des notaires dans le maintien
en place et de l’évolution de l’État de droit, ces points méritent une analyse plus
approfondie. Le modèle des ABS pourrait s’adapter à des entreprises qui visent
les clientèles de types grands publics. Déjà, le réseau Quality Sollicitors dans ce
pays constitue un projet de mouture similaire50.
Dans l’éventualité de l’adoption de lois et règlements similaires au Canada et au
Québec, les ménages de la classe moyenne devraient éventuellement faire
face à ces nouvelles réalités.
D’une part, dans le modèle d’affaire de type ABS, les avocats/notaires
peuvent ne pas être majoritaires sur le plan de la propriété de l’entreprise ou,
sinon carrément absents de celle-ci; ainsi ces modèles peuvent-ils à
l’occasion assujettir les professionnels du droit à des stratégies d’entreprises
non conformes à la bonne gouvernance, à la déontologie et à l’éthique de
la profession;
D’autre part, le financement d’une organisation sur le marché public rend
obligatoire le dévoilement de données financières trimestrielles; cela semble
plutôt non usuel pour un cabinet d’avocats/notaires; la fonction de
production des services juridiques ne ressemble en rien à la production de
biens ou de services d’une société publique ailleurs dans l’économie; la
prévisibilité du rendement (les ratios ventes, bénéfice par action, ROI,
endettement à long terme) et le niveau de risque des opérations
déterminent la « valeur de l’action » en bourse et ces critères constituent des
mesures de rendement étrangères à la culture d’un « cabinet d’avocats » ou
d’une « étude notariale » devenu public.
Il ne fait aucun doute que bon nombre de services juridiques sous l’expertise des
avocats/notaires pourraient être décloisonnés et rendus de façon efficiente par
d’autres intervenants dûment habilités, c.-à-d. ayant reçu la formation
appropriée et assignés à des champs de compétences spécifiques. Ces services
issus d’une offre non traditionnelle devront toutefois remplir les critères de l’intérêt
public. Nous y reviendrons plus loin.
7.2.3 L’omniprésence des fonctionnements en « silo »
L’analyse des composantes du panier de services juridiques met en évidence le
fonctionnement en « silo » de bon nombre de celles-ci. Le silo se définit comme
une entité, un groupe de travailleurs qui fonctionnent comme des unités
autonomes au sein d’une organisation ou d’une industrie.
50 Regroupement de cabinets d’avocats avec points de vente (par un intervenant non avocat)
dans le réseau des magasins libraires W.H. Smith. On parle ici de 1 500 succursales.
74
La formation de silos
Dans le domaine de la justice, le nombre d’organisations peut porter à
confusion. Historiquement, dans ce milieu, les structures mises en place pour
répondre à un besoin parfois très circonscrit tendent, dans le temps, vers le
modèle du silo. Qu’il s’agisse d’entités du Barreau du Québec, de Justice
Québec ou de la Chambre des notaires du Québec, ces entités dotées d’une
grande autonomie de fonctionnement sous l’égide d’un conseil
d’administration, conduisent leurs opérations en fonction de la nouvelle entité.
Les professionnels issus d’une même organisation mère peuvent alors établir des
objectifs contradictoires ou opposés à celle-ci. Des « zones de confort »
s’établissent entre les membres de ce groupuscule, qui se sentent de moins en
moins interpellés par la mission initiale et en modulent une nouvelle, parfois plus
avenante. Dans cette perspective, les politiques administratives, les incitatifs de
fonctionnement, les perceptions inter organisation deviennent rapidement du
sur mesure pour l’entité et s’éloignent lentement de l’organisation mère.
Graduellement, une « sous-culture » se développe et les employés s’identifient à
l’entité plutôt qu’à l’organisme duquel ils sont issus.
Diagramme 9
Formation du « silo »
Influences externes
Besoins des clientèles
Sources de financement
Influences
internes
Sous-culture
Expérience de
groupe
Connaissance
pointue
Influences de
l’organisation
Mission/Valeurs
Structure
75
Les « silos » peuvent constituer une menace pour une organisation
À compter du moment où des silos ont été mis en place et qu’ils atteignent leur
vitesse de croisière, il devient difficile, voire impossible, d’altérer leur
fonctionnement ou de les ramener dans le giron. Les entités peuvent alors se
créer des modus operandi qui leur sont propres et souvent en parallèle de
l’ensemble d’origine. Les silos deviennent à maturité des « organisations dans
l’organisation » et sont très difficiles à éliminer.
La communication avec les silos devient alors parfois ardue, sinon impossible.
Dans le domaine du droit, si les entités n’ont pas d’objectifs communs, il est peu
probable que l’efficience soit au rendez-vous. Le plein potentiel de
l’organisation mère ne peut être exploité. Les ressources, surtout financières, sont
alors éparses parmi une panoplie d’objectifs qui peuvent a priori sembler
complémentaires.
Le diagramme suivant permet de visualiser la problématique récurrente des silos.
Diagramme10
Le danger du fonctionnement en « silo »
Chaque silo focus sur ses propres objectifs
Les silos communiquent mal entre eux
Le ressentiment s’installe entre les silos
Les membres d’un silo se sentent isolés
La coopération entre les silos est difficile
Chaque silo se concentre sur ses objectifs
76
Ainsi, le fonctionnement du silo basé sur une culture propre et un grand niveau
d’autonomie l’éloigne graduellement du giron de l’organisation. Le silo
« s’approprie » les tâches et la mission qui lui ont été confiées. Le diagramme
traduit une situation qui se complique avec le temps.
Appliqué au droit, c’est une panoplie d’organismes qui gravitent autour de
missions souvent similaires et qui visent évidemment les mêmes clientèles. Bien
entendu, plusieurs points de services peuvent se concurrencer pour desservir les
clientèles. Mais ces clientèles sont-elles bien segmentées? Les interventions sont-
elles vraiment complémentaires entre elles et de façon à faire bon usage des
ressources humaines et financières rares?
Qui plus est, le financement de ces silos provient trop souvent, voire toujours, des
mêmes sources, ce qui ajoute à la confusion dans le milieu. Pour se financer, la
plupart des organismes sollicitent tour à tour Justice Québec, Justice Canada, le
Barreau du Québec, la Chambre des notaires, la Société québécoise
d’information juridique (SOQUIJ) et le secteur privé. Dans le cas du
gouvernement, le payeur demeure toujours les citoyens et les entreprises par le
biais de la fiscalité. Pour les ordres professionnels du droit, ce sont les avocats et
les notaires qui paient en partie par le truchement des cotisations. Notons que
les entreprises formant le « Québec inc. » sont également sollicitées.
Finalement, les entités nouvelles et moins récentes ne subissent que très rarement
le test de l’évaluation objective non seulement pour leur rendement
socioéconomique en regard de l’investissement et du financement récurrent,
mais également en fonction de leur positionnement au sein du panier de
services offert aux ménages de la classe moyenne. Les statistiques quant au taux
de fréquentation d’un organisme par la clientèle physique ou virtuelle, ou
encore quant au nombre d’événements organisés, ne correspondent somme
toute qu’à un aspect très limité de la valeur ajoutée des activités d’un
organisme. L’effet de cannibalisation des clientèles et des sources de
financement pour souvent des vocations similaires constitue l’un des aspects les
moins analysés. Il ne faut pas négliger l’évaluation rigoureuse non seulement des
organismes, mais également de l’ensemble du système.
7.2.4 Le coût de certains contenus du panier de services
7.2.4.1 Le coût d’un avocat/notaire
Les écrits et témoignages au regard des difficultés de l’accès à la justice pour la
classe moyenne sont nombreux. Les coûts et les délais en seraient les obstacles
majeurs. Le sondage réalisé dans le cadre de cette étude corrobore
l’importance des coûts de la justice comme étant effectivement l’un des
blocages importants.
77
Nous l’avons vu auparavant, si les coûts sont élevés pour les professionnels du
droit, à la marge, les coûts pour certains substituts sont très faibles. Les actes des
avocats et des notaires sont tarifés en haut de la gamme de prix, alors que pour
ces substituts ils sont souvent gratuits ou à des prix abordables. De nombreux
actes des professionnels sont devenus des commodités. Ils commandent donc
des prix relativement bas et plus homogènes.
Ce qui s’avère dispendieux dans le domaine de l’accès à la justice civile porte
principalement sur le litige et de son déroulement. Oui, chaque litige est différent
et la démarche dépend souvent de l’attitude de la partie adverse. Une étude
récente en Grande-Bretagne soulève un certain nombre de questions sur le coût
d’un litige.
TABLEAU 21 Le coût d’un service juridique
Caractéristique de l’emploi
du procureur
Type d’intervention du procureur
Travail Consommation Dommage
corporel
Affaire
(PME)
Salarié de l’assureur 100 100 100 100
Accrédité par l’assureur 269 229 274 316
Pratique privée 489 414 606 525
RATIO ACCRÉDITÉ/SALARIÉ 2,7 2,3 2,7 3,2
RATIO PRATIQUE PRIVÉ/SALARIÉ 4,9 4,1 6 5,2
Source: RIAD, « Legal Protection Insurance Market in Europe », 2012.
Le tableau présente les écarts de coûts pour un assureur dans le segment des
polices d’assurance de frais juridiques. Dit simplement, les données traduisent
une réalité selon laquelle le marché libre, en l’occurrence les avocats de
pratique privée, exige des coûts de services professionnels pouvant s’avérer
supérieurs dans une fourchette qui varie entre 400 % et 600 % par rapport à
l’avocat salarié. Dans le cas de l’avocat accrédité par l’assureur, les coûts de
ses services professionnels sont de deux à trois fois moins élevés que ceux de
l’avocat de pratique privée.
Bien entendu, ce constat ne tient pas compte de la fonction de production de
la pratique privée, soit des frais de bureau, d’achat d’équipement et de
bureautique. Il faut toutefois constater que l’écart n’est pas du simple au
double : il est très élevé.
78
Le même constat s’appliquerait également aux services des avocats et des
notaires du Québec, sans doute dans une moindre proportion. En 2008, pour les
avocats, le revenu moyen des salariés était de 99 990 $ contre 139 940 $ pour les
avocats autonomes51. En 2010, dans le cas des notaires, le revenu moyen d’un
salarié était de 74 817 $ contre 105 492 $ pour le professionnel autonome52.
7.4.2.2 Le coût des contenus du panier de services est variable
Le mode de tarification des avocats et des notaires est bien connu. C’est une
majorité d’entre eux qui utilisent le mode de la « tarification horaire ». Ce modèle
d’affaires en place depuis des décennies, n’est pas un modèle économique
acceptable pour la clientèle. Le temps d’un avocat ou d’un notaire n’a pas une
valeur égale pour la demande du client. Le prix varie en fonction du service
rendu et de la valeur ajoutée que le professionnel apporte au client.
Les effets néfastes de la tarification horaire sont bien documentés53. Le fait
qu’elle encourage l’inefficience dans la fonction de production devrait servir de
catalyseur pour un changement rapide et radical du mode de tarification. Plus
des deux tiers des avocats de pratique privée utilisent ce modèle.
L’avocat ou le notaire doit gérer sa prestation de services en fonction de la
« valeur ajoutée ». Le prix des produits contenus dans le panier de services et
qu’il souhaite offrir à sa clientèle reflète cette valeur ajoutée. Le diagramme
suivant démontre le clivage entre des coûts élevés de certains services en
regard des autres composantes du panier.
51 Barreau du Québec, « Enquête socioéconomique auprès des membres du Barreau du Québec
en 2008 », CIRANO, 2009. 52 Chambre des notaires du Québec, « Enquête sur la profession en 2011 », IPSOS Descarie, 2011. 53 Voir à cet effet, « Les avocats de pratique privée en 2021 », Barreau du Québec, 2011. Voir
également American Bar Association, « The Hourly Billing : Is It Killing the Profession? », 2002.
79
Diagramme 11
Offre et demande de services juridiques
Panier de services
Offre
D1
D2
Dossiers devant
les tribunaux
Coûts des tribunaux
Coûts des
alternatives
Information juridique
& MARC
Nombre de ménages à
revenus moyens
La courbe d’offre s’accroît pour ensuite connaître un point d’inflexion par
rapport à la demande (D1). Cette courbe de demande traduit les services du
panier qui sont attribués à la représentation devant les tribunaux. La quantité
demandée est peu élevée et en diminution dans le temps. Les coûts d’accès
sont par contre très élevés. C’est à ce segment que font référence bon nombre
d’observateurs de la scène juridique pour affirmer que les ménages à revenus
moyens ne peuvent accéder à la justice.
Par contre, la demande pour les autres contenus du panier de services est
beaucoup plus élevée sur le plan de la quantité (D2). Les coûts sont également
plus bas. C’est ce que les avocats doivent valider au sein de leur mode de
pratique. Les notaires sont également assujettis à cette même réalité dans les
segments où ils pratiquent. Une autre courbe de demande se situerait entre les
deux points (D1, D2); cette portion de la demande correspond à tout ce qui peut
être qualifié de litigieux ou non mais qui n’a pas encore franchi le stade critique
du procès.
Les avocats et les notaires devront situer leur clientèle et élaborer une gamme
de prix en fonction du service rendu. Il convient ici de classer les gammes de
produits inclus dans le panier de services.
80
Diagramme 12
Une structure de coûts du panier de services
COMMODITÉS Formulaires en ligne, micro-conflit, accompagnement
INFORMATION JURIDIQUE
LITIGES
Documentation, aiguilletage, référencement
Représentation devant les tribunaux
VALEUR AJOUTÉE MARC, Conseils et avis juridiques, transactionnel
P4
P3
P2
P1
La structure de coûts des services d’avocats et de notaires reproduite au
diagramme est très flexible. La tarification en fonction de la valeur ajoutée du
service rendu prend son plein sens ici.
Il n’y a rien de gratuit, et même l’information juridique en personne ou en
ligne a un prix; ce dernier, même minimal, peut être imputé à des pouvoirs
publics ou organismes professionnels étant donné le faible coût de
reproduction et les économies d’échelles élevées atteintes par les volumes
de diffusion;
Les services de type « commodités » ne commandent pas des prix élevés
mais nécessitent un « packaging » selon la valeur du service; un service
juridique qui atteint le stade de la commodité ne requiert que peu
d’interventions de l’avocat ou du notaire;
Deux segments de marché sont identifiés pour les litiges, soit notamment
ceux qui trouveront une solution par le biais des MARC et ceux qui se
rendront devant les tribunaux.
Notons que la structure de coûts en fonction des segments permet de moduler
les prix selon la localisation du fournisseur, ses frais d’exploitation, sa réputation,
son positionnement, et ainsi de suite. Cette structure facilite l’intégration du
personnel non avocat dans le panier de services.
81
7.3 Complémentarité et dissonance du panier de services
juridiques dans le processus d’adéquation de l’offre et de la
demande
7.3.1 La complémentarité des composantes du panier de services
Le déséquilibre évident du marché a été noté précédemment. Un nombre de
justiciables donné ne pourraient, faute de moyens financiers ou autres, faire
valoir leurs droits. Ce déséquilibre relèverait principalement de l’asymétrie
d’information, donc des coûts de transactions. Ainsi, il appert que l’offre, c.-à-d.
le panier de services, fort bien développé à maints égards, ne parvient pas à
satisfaire à un poids important des besoins exprimés. Nous avons également
démontré que les dépenses publiques dans le secteur de la justice sont
faméliques en regard des autres grandes missions de l’État54 . Le panier de
services juridiques est composé d’un ensemble susceptible de favoriser l’accès à
justice pour tous les citoyens. Le diagramme ci-dessous met en relief les
composantes du panier de services.
Diagramme 13
Étape de l’usage du « panier de services »
Évidemment, ce ne sont pas toutes les catégories de services qui sont
représentées, mais une majorité de celles-ci.
54 En 2012, les dépenses sont à hauteur de 93,28 $ per capita pour la justice contre 1 983,37 $ en
éducation et 3 739,51 $ en santé.
Besoin
exprimé
Consultation Parent/ami
Internet
Relation d’affaires
Situation
litigieuse
Panier de services
Avocats/Notaires
Éducaloi
Services Pro Bono
Cliniques juridiques
Centre de justice de
proximité
Juripop
1-800-NOTAIRE
Lignes Info
Finalité du
règlement du litige
Panier de services Avocats/Notaires
MARC
Panier de
services Avocats
Tribunal de
première instance
Cour du Québec
(Petites créances)
Cour supérieure
(Famille/Divorce)
Tribunal
administratif - TAQ
IMPASSE
FAIBLE Degré de complexité de la situation ÉLEVÉ
82
8 DES AVENUES À INVESTIGUER POUR OPTIMISER L’ACCÈS
À LA JUSTICE
8.1 Le caractère transversal des solutions disponibles et/ou proposées
Le tableau qui suit présente des propositions récentes provenant de groupes qui
ont analysé des pistes pour améliorer l’accès à la justice.
TABLEAU 22 Les pistes de solutions pour améliorer l’accès à la justice
Avenues proposées Prof. Lafond1 ABC2 Prof.
Trebilcock3
Modes appropriés de résolution de conflits
(MARC) √ √ √
Adoption d’une loi sur présentation
d’excuses √
Réforme de l’Aide juridique √ √ √
Développer la culture pro bono √ √ √
Assurance de frais juridiques √ √ √
Avances provisionnelles à une partie
défavorisée √
Déduction fiscale des frais juridiques √
Nouvelle tarification des services (tarif) √
Réforme des processus de réclamation à
la Division des Petites créances √ √ √
Multiplication des initiatives de
vulgarisation √ √ √
Fixation hâtive d’une date de procès √
Gestion judiciaire d’instances √
Proportionnalité des procédures et des
moyens √
Cyberjustice √
Réforme de la formation des juristes √
Accès de groupes minoritaires à la
profession √
Approche préventive du droit √ √
Majoration des budgets de la justice √
Tri et aiguillage √
Conseils juridiques fournis par des non-
avocats √
Conseils sommaires et avocats de services √
Approches globales √
Réformes du droit de la famille √ √
Services juridiques dégroupés √ √
Accès à un avocat √
1 Lafond, P.-C., « L’accès à la justice civile au Québec », Éditions Yvon Blais, 2012.
2 Association du Barreau canadien, « Les solutions de rechange sous-étudiées à l’intention de la
classe moyenne », 2013.
3 Trebilcock, M., Duggan, A., Sossin, L., « Middle Income Access to Justice », 2012.
83
Le tableau fait état de concepts analysés par différents auteurs au regard de
stratégies ayant pour objectif de faciliter l’accès à la justice. Au-delà de 25
approches sont répertoriées. Il n’est pas possible d’analyser toutes les pistes
proposées et d’en établir les bénéfices et les coûts. Toutefois, certaines de ces
propositions sont pour ainsi dire transversales, en ce sens qu’elles se retrouvent
au sein des recommandations de l’ensemble de ces auteurs qui se sont penchés
sur l’accès à la justice depuis le début de la décennie.
Un premier groupe de stratégies porte sur les tribunaux soit entre autres, une
réforme des processus de réclamation à la Division des petites créances et
une réforme de l’Aide juridique;
Un second groupe touche les MARC et l’assurance de frais juridiques;
Un troisième groupe touche la multiplication des initiatives de vulgarisation;
Finalement, des propositions moins familières se retrouvent chez deux auteurs,
soit l’approche préventive du droit, les réformes du droit de la famille et les
services juridiques dégroupés.
Nous reviendrons sur la valeur économique des trois premières approches et sur
leur efficience en matière de capacité afin d’accroître l’accès à la justice pour
les ménages à revenus moyens.
Nous sommes d’avis que les propositions du professeur Lafond sur la déduction
fiscale des frais juridiques, sur une nouvelle approche à la tarification des services
et sur la cyberjustice méritent également d’être prises en considération. Il est
toutefois peu probable que les deux premières propositions du professeur
puissent connaître des suites positives dans l’immédiat. Voici pourquoi :
D’une part, la déduction fiscale des frais juridiques est une piste qui a déjà
été analysée par le Barreau du Québec. Un comité a d’ailleurs déposé un
rapport à l’intention du gouvernement55.
Toutefois, cette approche interpelle les revenus de l’État. En 2013, non
seulement ce dernier ne peut répondre adéquatement à l’offre actuelle de
biens publics mais, qui plus est, il en élargit régulièrement la portée. L’État
québécois manque de revenus et les défis dans un futur immédiat sont
gigantesques. Il est peu probable, dans un avenir rapproché, qu’il puisse
consentir à ce genre de demande.
55 Barreau du Québec, « Rapport du groupe de travail sur l’accès à la justice par la fiscalité », Me
Yves Séguin, 2010.
84
D’autre part, une nouvelle approche à la tarification des services est
également difficile à implanter. Il s’agit d’une approche « culturelle » qui ne
pourra être altérée qu’avec les nouvelles cohortes de jeunes
avocats/notaires qui accepteront de « packager » leurs services en fonction
des segments identifiés antérieurement.
La cyberjustice constitue une voie d’avenir. Les coûts d’implantation se feront en
partenariat non seulement avec les milieux juridiques, mais également avec les
fabricants et distributeurs de produits de haute technologie.
Nous sommes d’avis que l’ensemble des concepts avancés dans le domaine de
l’amélioration de l’accès à la justice pour les ménages à revenus moyens
possède tous des avantages certains. C’est au point de vue de la mise en
œuvre ou du renforcement de l’une ou l’autre de ces initiatives que des choix
doivent se faire et que les priorités doivent être établies. Les choix qui seront
énoncés doivent l’être dans une optique d’optimisation des ressources pour le
plus grand nombre de justiciables.
8.2 L’efficience socioéconomique des composantes du panier de
services pour les ménages à revenus moyens
Une question de base se pose au regard des politiques ou stratégies susceptibles
d’accroître l’accès à la justice pour les ménages à revenus moyens. Comment
devrait-on procéder pour décider de l’allocation de ressources humaines et
financières rares au bénéfice de cette catégorie de ménages? Combien valent
au bénéfice d’un ménage, dans le cas d’un problème de voisinage, 15 heures
de « travail de nature juridique » émanant d’un notaire, d’un avocat, d’un
magistrat, d’un ami, d’Internet ou encore d’un centre d’information juridique
(physique ou virtuel)?
Le fait que les situations à connotation juridique font partie du quotidien des
ménages est bien documenté. Qu’il s’agisse de relations familiales, d’emploi,
d’emprunt, d’accident, ces situations interpellent le droit. Une littérature récente
regroupe des pistes d’analyses intéressantes sur des propositions ayant trait à
l’amélioration de l’accès à la justice 56 . Trois stratégies émergent de ces
analyses :
Les approches ciblées (un programme d’Aide juridique élargi, les services pro
bono, les services subventionnés, les services assurés);
Les approches des individus et/ou des groupes (les méthodes appropriées de
résolution de conflits (MARC), un meilleur accès aux tribunaux);
56 Voir à cet effet Trebilcock, M., Duggan, A., Sossin, L., « Middle Income Access to Justice »,
University of Toronto Press, 2012.
85
L’appropriation ou encore l’« Empowerment » des démarches par les
justiciables (information juridique, éducation juridique publique, formation
adaptée).
Ces approches dans le contexte de l’accès à la justice sont évidemment
complémentaires. Qu’en est-il, cependant, de leur efficacité respective? Les
résultats d’analyses ne peuvent spécifier très exactement ce qui fonctionne par
rapport à ce qui fonctionne moins ou encore pas du tout. Nonobstant ce
constat, un vecteur commun émerge de ces analyses : ces stratégies
s’adressent pour leurs opérations aux mêmes sources de financement et ont
tendance à se cannibaliser.
L’efficience de ces stratégies peut se mesurer par le calcul des coûts/efficacité,
par l’évaluation des coûts de transaction et par une meilleure appropriation par
le justiciable des concepts de nature juridique. Le présent rapport ne vise pas à
procéder à une application de ces modèles d’analyses, mais bien à faire état
de leurs résultats probables par rapport aux ressources investies.
86
TABLEAU 23 Analyse comparative de stratégies Méthodes
d’évaluation
Stratégies d’accès à la justice
Aide juridique Tribunaux et MARC Information juridique
Coût/efficacité Les ressources consacrées aux
programmes d’aide juridique
procurent un plus grand
bénéfice à l’usager que les
coûts engendrés par le
gouvernement.
Notons qu’en l’espace de 5 ans
le nombre d’avocats preneurs
de dossiers à l’Aide juridique est
passé de 5 000 à 2 200.
Toutefois, l’efficacité du
programme est étroitement
corrélée à la performance
même du système judiciaire.
Les coûts pour accéder aux
tribunaux civils sont très élevés.
Par conséquent, les MARC et
autres substituts permettent
d’atteindre plus rapidement des
solutions.
L’information juridique et
l’éducation juridique
correspondent à des approches
parmi les plus prometteuses.
Les coûts de l’information
proviennent de la collecte et de
la diffusion.
Les bénéfices au justiciable
découlent du fait qu’il peut
utiliser l’information pour faire
face à une situation de nature
juridique et éventuellement
formuler une solution pour une
situation non litigieuse.
Coûts de
transaction
Rendre l’accès à la justice civile
gratuite pour les plus pauvres
par l’entremise de l’Aide
juridique signifie qu’un biais
important est créé pour d’autres
catégories de citoyens.
Des substituts aux services
classiques offerts par des
avocats/notaires permettraient
d’abaisser les coûts de
transaction.
Rendre le système de tribunaux
plus accessible en parallèle au
développement des MARC est
plus complexe que de
subventionner l’Aide juridique.
Les stratégies visant à améliorer
l’accessibilité ainsi que les
MARC seront efficaces dans la
mesure où les intervenants
avocats/notaires ainsi que la
magistrature opèrent en mode
solution.
Vendre de l’information peut
s’avérer une activité complexe
et souvent peu rentable. Les
coûts de production sont très
élevés en regard d’un coût
marginal unitaire de distribution
qui sera, lui, très faible.
Un producteur/distributeur
d’information juridique pourra
difficilement rentabiliser ses
opérations. Après usage
personnel, les clients peuvent
disséminer l’information.
Appropriation Étant donné la nature même
des clientèles de l’Aide
juridique, il s’avère difficile de
tenter que cette clientèle puisse
s’approprier les concepts
juridiques.
Les clients peuvent difficilement
« s’approprier » le modus
operandi à l’égard des
tribunaux.
Une littérature récente
démontre d’ailleurs que la
représentation du justiciable
seul devant un tribunal
comporte davantage de
problèmes que de bénéfices.
Les MARC paraissent
davantage comme une
approche plus conforme à une
démarche d’appropriation par
le justiciable.
L’information permet à
l’intéressé de comprendre
certains paramètres de la
situation juridique dans laquelle
il est placé.
La disponibilité d’information
juridique fiable, donc de
qualité, rend le justiciable plus
connaissant du fonctionnement
du système judiciaire.
L’information juridique diminue
en quelque sorte la barrière de
l’asymétrie d’information.
Source: Barendrecht, M., « Legal Aid, Accessible Courts or Legal Information? Three Access to Justice
Strategies Compared », Tilburg University, 2009.
87
Les résultats présentés au tableau sont intéressants. Les solutions afin d’accroître
l’accès à la justice pour les ménages à revenus moyens relèvent de l’application
de différentes stratégies.
Le bref profil des stratégies présentées au tableau traduit le fait que l’information
et l’éducation juridiques semblent des approches prometteuses. Les économies
d’échelle font en sorte que le coût de distribution de l’information diminue.
Quant à l’éducation, même si nous avons discuté des problématiques
d’analphabétisme antérieurement, il faut convenir que le taux de littératie est
élevé au Québec57.
Les justiciables peuvent prendre connaissance de certains produits d’information
juridique et les mettre en perspective selon leur problématique. Un certain
pourcentage d’entre eux pourront alors résoudre leurs problèmes.
Le « packaging » de certains types de contenus d’information juridique requiert
un format compréhensible pour les ménages, et ce, sans consulter un expert.
L’information doit porter spécifiquement sur un aspect et être accessible
rapidement, ce qui mène ni plus ni moins à l’« autosuffisance » pour des
situations simples, les alternatives étant, dans ce cas, limitées.
Il importe de souligner ici que les professionnels de première ligne , c.-à-d.
avocats/notaires, sont incontournables en ce qui concerne les aspects
complexes. Bien que l’information juridique puisse abaisser considérablement les
coûts d’accès à la justice, celle-ci n’est pas un substitut aux tribunaux et aux
MARC. L’information servira à abaisser les coûts totaux d’accès à la justice
lorsque utilisée conjointement avec d’autres outils.
L’appropriation de concepts juridiques par le ménage améliore le contrôle de
ce dernier sur le vécu d’une situation. L’appropriation diminue l’incertitude et les
coûts de recherche d’une solution.
57 La littératie se définit comme : « Apprendre à lire et à écrire (des textes et des chiffres), lire et
écrire afin d’apprendre ainsi que développer ces compétences et les utiliser efficacement pour
combler des besoins de base. »
88
8.3 Facilitateurs et freins à l’accès à la justice
Le diagramme qui suit retrace la démarche probable d’un ménage à revenus
moyens pour faire face à une situation pouvant nécessiter un recours aux
services juridiques. La relation inverse entre coûts de transaction et délais au
regard de l’accès au panier de services est bien présente.
Diagramme 14
Accéder ou non à la justice
De fait, le panier de services met à la disposition des ménages à revenus moyens
un éventail de produits permettant de résoudre une majorité de problématiques
qui, rappelons-le, relèvent en grande partie de trois types de situations de la vie
courante58. La partie de droite du diagramme (zone critique) correspond au
vécu d’une minorité de ménages à revenu moyen
58 Il s’agit des segments transactions immobilières (48 %), testaments/successions/procurations
(38 %) et familial (21 %). Source : CROP, « Recours aux services juridiques et perception à l’égard du
système judiciaire québécois », Observatoire des services professionnels, 2013.
Situation
nécessitant un
recours aux
services
juridiques
Obtention
d’une
solution au
problème
Non litigieux
Litigieux
Médiation
FAIBLE/NUL Coût de transaction ÉLEVÉ
Procès ÉCHEC
INFORMATION
JURIDIQUE et
DÉMARCHE
D’APPROPRIATION
PAR LE MÉNAGE
TRÈS COURT Délais dans le temps TRÈS LONG
DÉLÉGATION À UN
TIERS « PROFESSIONNEL »
ZONE
CRITIQUE
89
Outre les tribunaux, des pistes d’accès à la justice pour les ménages à revenus
moyens ont été identifiées. Qu’il s’agisse de l’information, de la formation, des
conseils/avis ou encore des MARC, tous ces moyens constituent des avenues
non seulement à investiguer, mais aussi à développer, « packager » et implanter
sur une plus grande échelle. Sur une base strictement économique, et compte
tenu de la capacité de payer de l’État, la plupart de ces pistes demanderont
des investissements rentables, car elles permettront d’accroître de façon
substantielle l’accès la justice pour ces 6,4 % des ménages à revenus moyens qui
ont un problème ou vivent une situation de nature juridique qu’il faut régler au
cours d’une année.
Les résultats de cette recherche indiquent sans équivoque qu’il n’y a pas de
solution miracle au regard de l’accès à la justice. Il n’existe pas non plus
d’avenue rapide face à cette crise de l’accès maintenant bien documentée.
Toutefois, rappelons que ce qui est inaccessible pour les ménages à revenus
moyens porte sur les procès, soit l’attente et les coûts. Les avis juridiques et la
représentation constituent la base de notre système, mais les milieux juridiques
savent pertinemment que ce ne sont pas les seuls moyens d’assister les ménages
à revenus moyens.
Rappelons-le, il n’y a pas de proposition définitive. Tel qu’on l’a souligné
auparavant, on ne peut, dans ce rapport, établir les avantages et les
inconvénients de la totalité de pistes identifiées et susceptibles, selon leur
efficience escomptée, d’améliorer l’accès à la justice pour les ménages à
revenus moyens.
Nous retenons un certain nombre de pratiques émergentes qui sont susceptibles
de produire des bénéfices à très court terme. Il s’agit bien entendu de faciliter
l’appropriation des contenus du panier de services.
8.4 Des pratiques émergentes : des façons innovatrices
d’améliorer le panier de services
8.4.1 Les nouvelles plateformes
L’une des façons de réduire le coût de production des services juridiques est de
le répartir sur une plus grande quantité de clients. Le service devient
homogénéisé et, par la suite, informatisé. Nous avons vu que la plupart des
situations de nature juridique affichent des traits communs et que les
compétences juridiques nécessaires pour les régler pourraient être mises à la
disposition de tous sur Internet par le biais de sites dédiés. La supervision de
professionnels du droit est évidemment incontournable pour le succès de cette
approche.
90
Dans cette perspective, notons le site « Fired Without Cause » de la Colombie-
Britannique59. Ce site fournit aux citoyens de l’information gratuite sur leurs droits
de base face à un congédiement. Pour des coûts minimaux, des services sont
offerts60. Le panier de services pourrait alors être élargi et inclure, à moindre coût,
des outils portant par exemple sur la résolution d’un problème de dette. Notons
que certains produits sont déjà disponibles, telles la rédaction d’un testament
simple ou encore l’élaboration d’un bail. Ces produits seraient utiles aux
ménages à revenus moyens. Il s’agit de montants plutôt modestes pour obtenir
de l’aide/assistance juridique.
Les avocats et les notaires pourraient alors adopter leurs offres de services
professionnels en déterminant comment desservir de façon plus rentable pour
eux différents segments de marché. L’usage de formulaires et de questionnaires
interactifs pourrait modifier considérablement les stratégies de prestation de
services juridiques.
8.4.2 Le règlement de micro-litiges en ligne
Le règlement de micro-litiges en ligne prend l’allure d’une tendance lourde.
Songeons ici au modèle lancé par eBay. Le modèle d’affaires d’eBay est tout
simplement gigantesque. Les statistiques sont éloquentes :
Il s’agit de 233 millions d’usagers;
On compte 135 millions de clients enregistrés;
La valeur des échanges se situe à 32,8 milliards de dollars ; et
Les revenus d’entreprise d’eBay se situent à hauteur de 2,8 milliards de
dollars.
Les échanges sur eBay sont payés par PayPal. Jusqu’à tout récemment, de
nombreux problèmes surgissaient lors des transactions. Les deux compagnies ont
alors procédé à des investissements substantiels pour des systèmes efficaces de
gestion de micro-conflits. En 2011, près de 60 millions de micro-conflits provenant
des usagers d’eBay ont été réglés.
59 www.FiredWithoutCause.com (Empower Yourself). 60 Pour 39,99 $, le justiciable peut utiliser une calculatrice lui permettant d’évaluer la valeur d’une
allocation de mise à pied. Pour 59,98 $, le même service est offert avec une lettre personnalisée
pour présenter une contre-proposition à l’employeur.
91
Ce qui étonne, c’est que ce ne sont pas les milieux juridiques qui ont réglé le
problème d’eBay. Ce sont des informaticiens, accompagnés par de
professionnels du droit, bien sûr, qui ont facilité le règlement de micro-conflits
pour des millions de citoyens dans le monde. La proposition du professeur Pierre-
Claude Lafond, de l’Université de Montréal, mérite d’être bien écoutée de tous
les milieux soucieux de l’accès à la justice pour les ménages à revenus moyens.
Par conséquent, le modèle « eBay » s’est rapidement développé, soit
notamment par des sites tels www.themediationroom.com et
www.cybersettle.com. Ces modèles peuvent être adaptés à différents types de
conflits civils. Ils peuvent également être conçus de façon à fournir des services
à coût moyens par le biais du dégroupage , c.-à-d. « unbundling » , en élaborant
une banque d’avocats/notaires prêts à offrir différents services de type
commodité par le biais d’Internet.
Dans cette même sphère d’offre de services juridiques, le Legal Help Centre au
Manitoba constitue une expérience intéressante. Ce centre, un organisme à but
non lucratif, est formé de bénévoles œuvrant avec des universitaires et des
étudiants en droit. Le centre offre de l’information de nature juridique par
l’entremise de sa page Web et il organise des ateliers sur la façon de se
représenter seul. Des bénévoles assistent les personnes dont le revenu familial est
inférieur à 50 000 $. Il s’agit d’une approche très ciblée pour faciliter l’accès à la
justice.
8.4.3 L’option de l’universalité de l’assurance de frais juridiques
Les problématiques de l’accès à la justice ne sont évidemment pas le propre du
Québec. Dans les faits, il s’agit d’une situation qui interpelle de façon générale
toutes les nations et, de façon plus criante, les pays à économies développées.
Un excellent collectif d’auteurs s’est penché sur cette question au début des
années 200061. Un groupe d’universitaires traite tour à tour de diverses facettes
de l’accès à la justice autant dans les économies industrielles que dans les
économies en développement ou émergentes. L’un des auteurs traite d’ailleurs
de l’expérience suédoise en matière de mise en place d’un système universel
d’assurance de frais juridiques62. La Suède, pays social-démocrate s’il en est, a
opté en 1997 pour l’abolition de son régime universel d’Aide juridique couvrant
tous les citoyens. Ce dernier a été remplacé par un programme universel
« d’assurance juridique ».
61 Moorehead, R., Pleasence, P., « After Universalism: Re-engineering Access to Justice », Blackwell
Publishing, 2003. 62 Ibid. Voir l’article de Francis Regan, « The Sweedish Legal Services Policy Remix: The Shift from
Public Legal Aid to Private Legal Expenses Insurance », page 49.
92
Au Canada, au début de la décennie, un autre collectif d’auteurs s’est intéressé
à l’accès à la justice pour les Canadiens à revenus moyens63. L’un des chapitres
de l’ouvrage traite de l’option de l’universalité de l’assurance de frais
juridiques64. La présente section résume l’essence de l’option développée par les
auteurs.
D’entrée de jeu, la disponibilité de l’assurance de frais juridiques au Canada est
passée en revue. On note que le marché de l’Ontario est desservi par un unique
assureur. Les coûts de l’assurance de frais juridiques auprès de cet assureur sont
au-dessous de 500 $ pour une couverture de 100 000 $ par réclamation, ce qui
inclut les coûts du litige. Tout le domaine du droit familial est exclu.
À titre de référence, le cas « exceptionnel » du Québec dans le domaine des
frais juridiques est souligné. En effet, les auteurs indiquent que pour un coût
variant entre 35 $ et 90 $ les assurés bénéficient d’une couverture de 5 000 $ par
litige pour un maximum de 15 000 $ par année. L’assurance comprend
l’information juridique et la représentation devant les tribunaux. Le justiciable a
accès à l’avocat de son choix. Environ 10 % des ménages québécois sont
couverts par ce type de police.
Les auteurs estiment que l’offre et la demande de frais juridiques sont
étroitement corrélées à l’intervention de l’État si ce dernier est déterminé à
corriger les imperfections du marché pour l’accès à la justice. La demande
visant ces polices d’assurance ne va pas s’accroître sans l’impulsion de l’État.
Cette intervention devrait alors stimuler l’offre en limitant par un grand nombre
d’assurés, les risques inhérents à ce type de couverture.
À l’appui de ce qui précède, les auteurs indiquent que depuis bientôt 10 ans, et
malgré le soutien inconditionnel du Barreau du Québec en matière de
promotion de l’assurance de frais juridiques, le taux de pénétration stagne.
Les primes d’assurance étant très élastiques, l’assurance de frais juridiques n’est
pas un produit jugé attrayant autant pour le consommateur (besoin incertain)
que pour l’offre (faible coût pour les courtiers). Pour les auteurs, accroître ce
marché de façon substantielle porte sur l’universalité de ce produit d’assurance.
Pour eux se pose d’ailleurs une question très pertinente. Si l’assurance de frais
juridiques « obligatoire » n’est pas une option, quelles sont alors les alternatives?
Cette question est posée toujours dans l’optique d’accroître l’accès à la justice.
63 Trebilcock, M., Duggan, A. Sossin, L., « Middle Income Access to Justice », University of Toronto
Press, 2012. 64 Ibid. Voir à cet effet l’article de Sujit Choudry, Michael Trebilcock et James Wilson, « Growing
Legal Aid Ontario into Middle Class: A Proposal for Public Legal Expenses Insurance », page 385.
93
Nous souscrivons évidemment à cette approche par rapport au fait que, bien
qu’il n’y ait pas de solution unique, l’assurance de frais juridiques représente une
alternative, une option disponible à peu de frais.
Le diagramme ci-après présente une proposition de fonctionnement d’un
programme universel d’assurance de frais juridiques.
Diagramme 15
Scénario d’assurance de frais juridiques universel
Notons d’entrée de jeu que le programme universel proposé au législateur
ontarien constitue en quelque sorte une extension de l’Aide juridique. Il s’agit ni
plus ni moins d’inclure la classe moyenne dans le programme d’aide juridique,
mais sous un mode de financement original. Nous ne souscrivons pas à cette
approche. La réceptivité de cette proposition serait, selon nous, nulle.
La première des composantes du modèle suppose une diminution du coût de
certains services juridiques par la concurrence et l’innovation dans le marché.
L’offre de couverture bénéficie quant à elle d’économies d’échelles
importantes.
La proposition comporte également un volet d’« Opting Out » pour le justiciable.
Cette option de l’assuré repose sur les résultats de recherches en sciences
sociales au regard de la rationalité du jugement personnel et de la décision des
consommateurs.
Assurance de frais juridiques
universel
Choix "d'Opting
Out" du
consommateur
Concurrence
dans le marché
Choix "d'Opting In" de l'avocat
Niveau des primes
Administartion du programme
Cas des participants à
problèmes
Paiement de l'avocat et
différentiel de tarifs
94
Ceux-ci ne procèdent pas automatiquement à l’analyse des coûts et des
bénéfices de toutes leurs décisions et préfèrent souvent le statu quo. Les auteurs
établissent le parallèle entre cet aspect et le nouveau régime d’épargne-
retraite volontaire du gouvernement du Québec.
Sur le plan des pourvoyeurs de services juridiques, la proposition offre le choix
aux avocats (notaires au Québec) d’accepter des dossiers sur la base du « cas
par cas ». Ils n’ont aucune obligation d’adhérer au régime. Les auteurs estiment
qu’un nombre suffisant d’avocats accepteraient des mandats d’assurance de
frais juridiques, ce qui aurait pour effet de générer un bassin non négligeable de
procureurs expérimentés.
Les primes d’assurance de frais juridiques sont évaluées à partir d’estimations
actuarielles. Cette méthode assure un transfert des revenus élevés de la classe
moyenne supérieure vers les plus bas revenus de cette classe. Cette
composante du modèle rendrait complémentaires l’Aide juridique et
l’assurance de frais juridiques.
La rémunération de l’avocat ainsi que les différentiels de tarifs , c.-à-d. au-dessus
de l’assurance, sont sujets à une révision constante. La consolidation de la
demande amènera un ajustement des tarifs entre les régions et entre les types
de pratique65. Dans ce modèle, l’avocat qui accepte un mandat fournit le
service au coût indiqué. Les coûts excédentaires découlant de l’offre de
services ne sont pas imputés à l’assuré.
La proposition de gestion de ce programme universel implique forcément que
l’Aide juridique ontarienne a dû recourir à une nouvelle formule. La
collaboration des assureurs privés n’est pas explicitement traitée dans le
modèle.
Des filtres sont mis en place pour identifier et limiter le nombre de participants
problématiques. Par exemple, une période de carence obligatoire pourrait en
quelque sorte éliminer les citoyens désirant adhérer au régime lorsque
l’éventualité d’un litige fait surface.
L’option d’un programme universel d’assurance de frais juridiques mérite à elle
seule une étude beaucoup plus approfondie. Nonobstant ce constat,
convenons que l’approche offre de multiples avantages pour les ménages de la
classe moyenne. Le législateur québécois a maintes fois innové dans l’offre de
biens publics aux citoyens et l’accès à la justice est sans aucun doute l’un de
ces biens parmi les plus importants. Il y va du bon fonctionnement du Québec.
65 C’est ce que le Britannique Richard Susskind appelle « les commodités ». Voir sur ce Sujet
Susskind, R., « The End of Lawyers? Rethinking the Nature of Legal Services », Oxford
University Press, 2008.
95
Certains volets du modèle des partenariats publics-privés (PPP) pourraient très
certainement être importés dans le cas de l’assurance de frais juridiques. Le
Québec possède une expérience pratique de cette approche. Les assureurs
possèdent, au même titre que les institutions financières dans le cas du régime
d’épargne-retraite volontaire, une expertise qui ne peut qu’être bonifiée dans le
cas du régime universel
9 L’ACCÈS À LA JUSTICE POUR LES MÉNAGES
À REVENUS MOYENS
9.1 Les grands constats de l’étude
Les résultats de l’étude sur l’offre et la demande de services juridiques pour les
ménages du Québec à revenus moyens nous permettent de dresser les constats
suivants :
Une architecture juridique incontournable
Une littérature abondante confirme que l’État de droit permet le maintien et
le développement de la démocratie; le fonctionnement harmonieux de
l’économie et de la société civile est redevable de l’État de droit;
Pourtant, et malgré l’importance stratégique de l’État de droit, la justice au
Québec est l’un des services gouvernementaux largement sous-financés, soit,
notamment, en 2012, à hauteur de 93,28 $ sur une base per capita
comparativement à 1 983,37 $ en éducation et à 3 739,51 $ en santé, les
autres grandes missions de l’État du Québec.
Un environnement interne assujetti à un stress intense
Selon plusieurs auteurs, les coûts et les délais du système de justice amènent
un nombre grandissant de justiciables à renoncer à leurs droits, faute de
moyens.
La structure démographique du Québec tend à un vieillissement accéléré de
sa population, ce qui va modifier la demande de services en général et de
services juridiques en particulier.
Les finances publiques continueront d’être une source de problèmes : les
ménages à revenus moyens sont les plus taxés en Amérique du Nord, le
service de la dette représente un poids croissant, le développement et la
mise à niveau des infrastructures exigent des investissements massifs, l’offre
de biens publics s’accroît et l’on remet en question la capacité des fonds de
pension à satisfaire à une demande accrue à compter de la fin de la
présente décennie.
96
Les ménages à revenus moyens au Québec gagnent entre 40 125 $ et
98 250 $ et ils constituent le groupe le plus sollicité autant sur le plan politique
et économique (fiscal) que social.
Quant au stress découlant de l’environnement externe
Le développement des technologies continuera de faire évoluer de façon
accélérée l’économie et la société; les coûts associés à cette tendance
lourde ne sont pas connus et ils sont très difficiles à évaluer.
De plus, les effets de la mondialisation sont dorénavant permanents et
affectent l’interaction entre tous les agents économiques au niveau local et
partout dans le monde , c.-à-d. gouvernement, ménages et entreprises.
Les besoins en services juridiques
La demande de services juridiques correspond à un besoin discrétionnaire
des ménages lors d’une situation qui requiert des avis ou conseils.
Les besoins sont particuliers à chaque segment, dont les ménages à faibles
revenus, les ménages à revenus moyens, les PME, les grandes entreprises et
les institutions publiques.
Le premier réflexe du contribuable au regard de la justice se porte sur les
avocats, les notaires et les tribunaux.
Ainsi, on peut observer une offre formelle de services juridiques provenant
des actes exclusifs des avocats et des notaires; pour le volet de l’offre
informelle, on trouve différents acteurs professionnels du droit et autres
plateformes disponibles telles Internet, les émissions de télévision ainsi que les
journaux et revues spécialisés.
Pourtant, l’activité judiciaire au Québec est en nette décroissance et est
passée de 178 683 dossiers en 2002 à 120 667 dossiers en 2011.
La demande exprimée
Si les besoins en services juridiques peuvent s’avérer variés et comportent
différents degrés de complexité, les résultats de l’enquête auprès des
ménages à revenus moyens font état de trois segments forts, soit les
transactions immobilières (48 %), les testaments/successions/procurations
(38 %) et le droit familial (21 %).
97
Les sources d’informations consultées
Les ménages à revenus moyens font référence majoritairement à un avocat
ou à un notaire lors d’une situation nécessitant une consultation ou des
informations de nature juridiques.
Les autres sources, tels les magazines, les sites Internet dédiés et les cliniques
juridiques, ne sont que peu consultées.
L’adéquation de l’offre et de la demande de services juridiques
Les résultats de l’enquête démontrent que, durant une année, environ
160 967 ménages à revenus moyens ont connu une situation nécessitant
l’intervention d’un professionnel du droit, ce qui correspond à 6,4 % de ces
ménages.
Au cours d’une même année, environ 7 875 ménages à revenus moyens ont
renoncé à une démarche nécessitant l’intervention d’un professionnel du
droit, il s’agit d’un poids de 0,3 %.
Les composantes du panier de services les plus coûteuses portent sur le
segment des litiges qui se rendront devant les tribunaux.
Les alternatives qui s’offrent aux ménages de la classe moyenne représentent
un coût de transaction variant de quasi nul (informations juridiques) à moyen
(avocats et notaires).
Ce qui freine l’accès à la justice
La structure du panier de services est trop souvent de type « silo », ce qui
ampute la performance de l’ensemble et freine donc l’accès à la justice.
Les ménages à revenus moyens connaissent peu ou pas le meilleur point de
services.
Pour ces ménages, la prestation de services juridiques relève uniquement de
l’avocat ou du notaire.
Certaines des composantes du panier de services représentent trop souvent
un coût élevé et hors d’atteinte pour le ménage à revenus moyens.
98
9.2 Un panier de services juridiques pour les ménages à revenus
moyens
9.2.1 Les attentes des partenaires de cette étude
L’étude de « l’offre et la demande de services juridiques, les besoins
contemporains des ménages à revenus moyens » a été réalisée en partenariat
avec le Barreau du Québec, la Chambre des notaires, SOQUIJ et la Fondation
du Barreau. Les attentes de ces partenaires se sont avérées complémentaires.
Il y a consensus sur trois avenues majeures à promouvoir pour améliorer l’accès à
la justice, soit, notamment, l’éducation juridique, la prévention et la vulgarisation
de type « grand public ». Ces prérogatives sont incluses à différents niveaux au
sein des stratégies et actions des partenaires.
9.2.2 Les recommandations découlant de l’étude
Les ménages à revenus moyens représentent le segment négligé des justiciables
en ce qui concerne l’opportunité de faire valoir leurs droits lorsqu’une situation
l’exige. Les recommandations à la page suivante visent à mettre en place des
stratégies capables de produire à terme une réelle amélioration pour ces
ménages.
99
Recommandation #1
Consolider le développement des MARC par le déploiement de projets
actuellement en essai (médiation commerciale) ou de projets futurs vers le
secteur des ménages à revenus moyens. Un plan de développement selon les
segments devrait supporter cette approche pour les avocats et les notaires.
Recommandation #2
Une étude des bénéfices et des coûts découlant de la mise en place d’un
régime universel d’assurance de frais juridiques devrait être entreprise.
Recommandation #3
La complexité de la société contemporaine et la modernité des problématiques
qui en découlent nécessitent une approche préventive et l’accent sur
l’éducation juridique. Celle-ci devrait de plus faire l’objet d’un programme
obligatoire d’enseignement auprès des élèves, et ce, dès le secondaire. Les
initiatives d’éducation et de vulgarisation juridique devraient être mieux
coordonnées, voire consolidées et homogénéisées. Le ministère de l’Éducation
du Québec devrait être approché à cet effet.
Recommandation #4
Pour éviter une « cannibalisation » des sources de revenus et des clientèles en ce
qui a trait à la quête de moyens pour améliorer l’accès à la justice, une
meilleure coordination des différents organismes voués au même objectif
d’accès à la justice est nécessaire. Ce type de coordination harmonisée pourrait
faire l’objet d’un financement conséquent selon les objectifs visés et selon les
organismes. Tous les intervenants pourraient alors être informés et s’ajuster en
conséquence afin d’éliminer la duplication de ressources rares, mais trop
nombreuses à occuper des champs d’activité similaires, sinon identiques.
Recommandation #5
Mettre en place une structure de recherche de type public-privé afin s’assurer
de disposer des connaissances sur une base continue relativement aux besoins
en services juridiques. Des connaissances pointues sont requises sur le point de
mire des recherches à entreprendre, sur la segmentation des marchés, sur les
tendances observées, sur l’élaboration d’indicateurs de mesure du changement
et sur le développement de banques de données fiables.
RECOMMANDATIONS
100
Recommandation #6
L’accroissement du volume de données numériques est exponentiel, on les
qualifie de « Big Data ». Les très gros volumes de ces données intrinsèques aux
documents, i.e. métadonnées, permettent, lorsqu’on les analyse avec de
puissants algorithmes de synthèse, un travail d’évaluation qui est à révolutionner
la pratique du droit.
Il y aurait lieu d’agir de façon proactive et d’accroître les initiatives de
Recherche et développement dans ce secteur. Pour ce faire, il faut identifier,
évaluer, retenir et financer des projets novateurs.
Annexe I Répartition géographique des notaires et des avocats
RÉGION ADMINISTRATIVE Notaires SECTION Avocats
Bas-Saint-Laurent 80 Abitibi-Témiscamingue 171
Saguenay-Lac-Saint-Jean 115 Arthabaska 245
Capitale-Nationale 442 Bas-St-Laurent / Gaspésie-
îles-de-la-Madeleine 229
Mauricie 115 Bedford 227
Estrie 176 Outaouais 1503
Montréal 1 025 Laurentides / Lanaudière 1047
Outaouais 205 Montréal 13553
Abitibi-Témiscamingue 52 Québec 3793
Côte-Nord 30 Richelieu 654
Nord-du-Québec 5 Saint-François 518
Gaspésie-Îles-de-la-
Madeleine 38 Saguenay / Lac-Saint-Jean 351
Chaudière-Appalaches 203 Mauricie 270
Laval 177 Côte-Nord 95
Lanaudière 183 Longueuil 1194
Laurentides 240 Laval 765
Montérégie 616 TOTAL 24 615
Centre-du-Québec 112
TOTAL 3 814
Annexe II Bibliographie
1. ABA Commission on the Billable Hours, « The Billable Hours Report »,
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2. Arruñada1 B., « Managing Competition in Professional Services and the
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of Liberal Professions in Different Member States », Study for the European
Commission, DG Competition, 2003;
19. SEO Economic Research, « Regulation of the Legal Profession and Access
to Law », 2008;
20. Sako, M., « Global Strategies in the Legal Services Marketplace:
Institutional Impacts on Value Chain Dynamics », Oxford University, 2009;
21. Secretary of State and Constitutional Affairs, «The Future of Legal Services:
Putting Consumers First », Department for Constitutional Affairs, 2005;
22. Susskind, R., « Tomorrow’s Lawyer », Oxford University Press, 2013;
23. Susskind, R., « Transforming the Law, Essays on Technology, Justice and the
Legal Marketplace », Oxford University Press, 2000;
24. The Legal Services Board, « Understanding the Economic Rationale for
Legal Services Regulation – a Collection of Essays », 2011;
25. The Legal Services Board, « Evaluation: How Can We Measure Access to
Justice for Individual Consumers? », 2012;
26. The Legal Services Board, « Market Impacts of the Legal Services Act 2007
– Baseline Final Report », 2012;
27. Trebilcock, M., Duggan, A., Sossin, L., « Middle Income Access to Justice »,
University of Toronto Press, 2012.
28. Wald, E., «The Economic Downturn and the Legal Profession, Foreword:
The Great Recession and the Legal Profession », Fordham Law Review,
2010;
29. Winston, C., Crandall, R. W., « First Thing We Do, Let's Deregulate All the
Lawyers », Brookings Press; 2011
Annexe III Liste des personnes consultées
1. Me Josée Bouchard, Barreau du Haut Canada.
2. Monsieur Marc Antoine Cloutier, Président, Clinique JURIPOP;
3. Me François Forget, notaire, Réseau Juris Conseil;
4. Me Luc Harvey, Président, Régie du Logement;
5. Me Pierre Claude Lafond, professeur titulaire, Faculté de droit, Université de
Montréal;
6. Me Michèle Moreau, Directrice générale, PRO BONO QUÉBEC;
7. Me Michèle Moreau, Directrice générale, Centre de justice de proximité du
Québec (Montréal);
8. Me Nathalie Roy, Directrice générale, ÉDUCALOI;
9. Madame Gabrielle W. Cusson, conseillère, Dossiers socio-économiques,
FADOQ
10. Mr Michael Trebilcock, Professor of Law and Economics, Faculty of Law,
University of Toronto.