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i

Table des matières

REMERCIEMENTS

SOMMAIRE DE L’ÉTUDE ............................................................................................................... 1

1 INTRODUCTION .................................................................................................................. 6

1.1 Mise en situation .................................................................................................. 6

1.2 Objectifs de l’étude ............................................................................................ 7

1.3 Comité de travail ................................................................................................ 7

1.4 Méthodologie ....................................................................................................... 8

2 LE SYSTÈME DE JUSTICE ET L’ACCÈS À LA JUSTICE .................................................... 9

2.1 Le système judiciaire .......................................................................................... 9

2.2 Les dépenses de l’État consacrées à la justice ........................................ 12

2.3 La notion d’accès à la justice ....................................................................... 16

2.4 L’état des lieux dans différentes juridictions .............................................. 17

2.5 La toile de fonds au regard de l’offre et de la demande

de services au Québec ................................................................................... 24

2.6 Les grands défis .................................................................................................. 27

3 LES MÉNAGES À REVENUS MOYENS CLIENTÈLE DE LA JUSTICE ............................ 30

3.1 La mesure des écarts entre riches et pauvres .......................................... 30

3.2 Une définition et la représentativité des Québécois

à revenus moyens ............................................................................................. 31

4 COMPRENDRE LE MARCHÉ DE LA JUSTICE ................................................................ 34

4.1 Comprendre les coûts des services juridiques .......................................... 34

4.2 L’accès à la justice ........................................................................................... 35

4.3 La demande : les besoins en services juridiques ...................................... 36

4.4 L’offre formelle et informelle .......................................................................... 38

4.5 Le fonctionnement du marché de la justice ............................................ 39

4.6 Les tendances du marché de la justice ..................................................... 41

ii

5 LE PANIER DE SERVICES JURIDIQUES : L’OFFRE POUR LES MÉNAGES

À REVENUS MOYENS .......................................................................................... 42

5.1 L’architecture classique de l’offre ................................................................ 42

5.2 Avocats et notaires : les officiers de justice de première ligne ............ 44

5.3 L’architecture informelle de l’offre............................................................... 52

6 L’ACCÈS À LA JUSTICE POUR LES MÉNAGES À REVENUS MOYENS :

LA DEMANDE EXPRIMÉE .................................................................................... 55

6.1 Différentes enquêtes auprès des justiciables ............................................ 55

6.2 Le recours aux services juridiques chez la classe moyenne

au Québec ......................................................................................................... 57

7 L’ADÉQUATION DE L’OFFRE ET DE LA DEMANDE DE SERVICES JURIDIQUES ...... 67

7.1 Les besoins exprimés des ménages à revenus moyens ......................... 67

7.2 Les lacunes du cadre actuel ......................................................................... 70

7.3 Complémentarité et dissonance du panier de services juridiques

dans le processus d’adéquation de l’offre et de la demande ........... 81

8 DES AVENUES À INVESTIGUER POUR OPTIMISER L’ACCÈS À LA JUSTICE ........... 82

8.1 Le caractère transversal des solutions disponibles et/ou proposées . 82

8.2 L’efficience socioéconomique des composantes du panier de

services pour les ménages à revenus moyens ......................................... 84

8.3 Facilitateurs et freins à l’accès à la justice................................................. 88

8.4 Des pratiques émergentes : des façons innovatrices d’améliorer le

panier de services ............................................................................................. 89

9 L’ACCÈS À LA JUSTICE POUR LES MÉNAGES À REVENUS MOYENS ..................... 95

9.1 Les grands constats de l’étude ..................................................................... 95

9.2 Un panier de services juridiques pour les ménages

à revenus moyens ............................................................................................. 98

ANNEXES

Annexe I Répartition géographique des notaires et des avocats

Annexe II Bibliographie

Annexe III Liste des personnes consultées

iii

REMERCIEMENTS

Dans un état de droit, l’accès à la justice ne doit pas être possible uniquement

pour quelques groupes. Actuellement, l’accès à la justice civile est une réalité

pour certaines minorités, soit les personnes les plus démunies ou encore les plus à

l’aise de la société québécoise. Une majorité de citoyens composée de

ménages à revenus moyens ne peut en de maintes occasions faire valoir ses

droits. Les raisons sous-jacentes à cet empêchement sont multiples.

Ce rapport porte précisément sur les ménages à revenus moyens. Le projet a pu

voir le jour et être mené à bon port grâce à la ténacité et à la vision des

partenaires et membres du comité pilote. Il s’agit de Me Dyane Perreault,

directrice du Service du développement et du soutien à la profession au Barreau

du Québec, de Me Daniel Champagne, directeur des Produits et services à la

Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ) et de Me Johanne Delage,

directrice générale adjointe au Développement de la profession à la Chambre

des notaires du Québec. Aux membres de ce comité, un merci très sincère.

Au nom de l’Observatoire des services professionnels, je souhaite reconnaître et

souligner l’apport à forte valeur ajoutée de ces collaborateurs, qui ont contribué

de façon proactive à bonifier chacune des étapes de réalisation du rapport.

J’ai la certitude que cette démarche participera à l’avancement de ce dossier

prioritaire de l’accès à la justice pour les ménages à revenus moyens du

Québec.

Pierre Boucher

Économiste

Directeur du projet

Montréal

Septembre 2013

1

SOMMAIRE DE L’ÉTUDE

Mise en situation et objectifs

L’industrie comprend non pas un, mais une multitude de marchés, ces derniers

comptant chacun une offre variée de services destinés à des consommateurs

aux besoins hétérogènes.

Les objectifs de la présente recherche portent sur l’analyse du fonctionnement

de l’offre et de la demande de services juridiques afin d’en saisir les modalités

d’équilibre et les répercussions sur les ménages à revenus moyens du Québec.

L’accès à la justice : les dépenses de l’État

Entre 2002 et 2012, les taux moyens annuels d’évolution des crédits pendant la

période sont semblables dans le cas du gouvernement du Québec (3,1 %), des

ministères de l’Éducation (3,4 %), et de la Justice (3,1 %). La Santé a vu son

budget s’accroître de façon substantielle pour passer de 17, 827 milliards de

dollars en 2002, à 30,120 milliards en 2012. Il s’agit d’un accroissement de 12, 293

milliards de dollars ou de 68,9 %, pendant cette décennie.

Ainsi, le budget total de l’État s’est accru de 39,9 %, celui de l’Éducation, de

44,1 %, et celui de la Justice, de 38,7 %. Pour bien situer l’évolution de la Justice,

d’autres données sont requises.

Ce qui détonne de l’analyse des données sur une base per capita, c’est le

montant très restreint consacré au maintien de l’État de droit; il est question ici

de moins de 100 $ en 2012, soit 93,28 $; c’est un maigre 20,46 $ per capita qui a

été ajouté à ce budget par rapport à l’année 2002.

Les grands défis

En ce qui concerne l’offre et la demande de services juridiques, certains grands

défis sont dignes d’être soulignés.

Les baby-boomers canadiens et québécois atteignent, depuis le début de la

décennie, l’âge de la retraite en plus grand nombre. Les conséquences sont

nombreuses et engendrent des coûts souvent sous-estimés;

Deuxièmement, l’environnement est sans aucun doute la variable sensible de

l’évolution socioéconomique à moyen et à long terme;

2

Troisièmement, le système financier issu de la déréglementation de la fin des

années 1980 est devenu une source d’inquiétudes pour les contribuables et

de problèmes majeurs pour les gouvernements assujettis à la spéculation des

grandes banques d’affaires;

Quatrièmement, le gouvernement du Québec pourra difficilement continuer

à offrir une gamme de biens publics aussi large;

Cinquièmement, les avancées technologiques seront des sources plus

fréquentes de turbulences au sein de l’économie et de la société; et

Sixièmement, l’omniprésence de la mondialisation est également à prendre

en considération.

Les ménages à revenus moyens

Statistique Canada définit la classe moyenne comme étant le nombre de

ménages gagnant entre 75 % et 150 % du revenu médian. Par exemple, au

Québec, le revenu médian net pour une unité de deux personnes ou plus

s'établissait à 58 100 $ en 20111, ce qui veut dire que, pour cette catégorie de

ménages, ceux qui ont un revenu se situant entre 43 575 $ et 87 150 $ font partie

de la classe moyenne.

L’accès à la justice

Les statistiques et les informations sur les ménages à revenus moyens qui peuvent

ou non obtenir des solutions à leurs problématiques à contenu juridique

permettent de mesurer le degré d’accès à la justice. Le ménage à revenus

moyens requiert des réformes structurelles qui auront pour conséquence

d’accroître l’accès à la justice.

Une littérature récente cerne les grandes phases de ces réformes

contemporaines déjà amorcées au sein des économies de l’OCDE.

Chronologiquement, il s’agit :

de la mise en place de régimes d’aide juridique;

du développement de litiges d’intérêt public, c.-à-d. les recours collectifs;

des méthodes appropriées de résolution de conflits;

de l’ouverture du marché des services juridiques; et

d’un meilleur encadrement des professions juridiques.

1 Statistique Canada, juin 2012.

3

Les tendances du marché de la justice

Les utilisations accrues de la technologie dans toutes les sphères de l’activité

économique au Québec continueront de modifier non seulement la pratique du

droit, mais également la demande de services. Les consommateurs

bénéficieront d’une meilleure information et, de plus, ils pourront identifier des

substituts.

Outre la technologie, c’est la rémunération des avocats et des notaires qui va

changer. Le développement de la technologie facilite l’offre de produits de

commodités et les ménages paieront un prix conséquent à la valeur ajoutée du

service acheté.

De même, dans le contexte du projet de réforme du Code de procédure civile,

les avocats devront s’ajuster à certains changements qui modifieront les façons

de faire. Dans le cas de litiges dits classiques, il faut souligner l’ajout des modes

appropriés de résolution des conflits (MARC), et les considérations apportées à la

valeur économique des litiges qui constituent des changements ayant un

impact certain sur les situations où les ménages pourraient ne pas voir pas l’utilité

de recourir aux professionnels du droit.

Le panier de services juridiques

Les services juridiques correspondant aux « actes réservés » sont considérés pour

les avocats et les notaires comme le marché primaire. C’est ce qui constitue

l’offre formelle.

En parallèle, des organismes ou plateformes offrent à la disposition des ménages

à revenus moyens des services non exclusifs aux avocats et aux notaires. Une

gamme variée de services juridiques, soit de l’information ou encore de

l’assistance pour aiguiller ces derniers, est disponible rapidement et

gratuitement. C’est ce qui constitue l’offre informelle.

L’adéquation de l’offre et de la demande de services juridiques

L’adéquation des besoins au panier de services repose sur les liens existants

entre ce que les ménages de la classe moyenne requièrent comme services et

ce que l’offre formelle/informelle met à leur disposition. Les problématiques

juridiques auxquelles font face les ménages à revenus moyens sont nombreuses,

soit plus d’une douzaine (voir Section 6 du présent rapport-).

Ainsi au regard de l’équilibre dans le marché, un premier constat sur l’offre et la

demande de services juridiques traduit une situation de marché

« dysfonctionnel ». En un mot, le marché est en déséquilibre. Cet écart entre les

4

besoins et les disponibilités en matière de services juridiques explique en partie

les difficultés d’accès à la justice pour les ménages de la classe moyenne.

Cependant, avant d’identifier et de proposer des pistes de solutions pour faciliter

l’adéquation de l’offre formelle et informelle à la demande, voyons quels sont,

outre le coût de certaines composantes du panier de services, les blocages qui

en limitent une distribution optimale.

Dans un premier temps, les ménages connaissent peu ou pas le meilleur point

de services; cela constitue pourtant un incontournable pour ce qui est de

l’accès au marché;

Deuxièmement, dans l’imaginaire collectif, la prestation de services juridiques

ne dépasse pas le cadre formel du duo notaire/avocat;

Troisièmement, l’omniprésence de « silos » où les structures du panier de

services fonctionnent de façon indépendante, ce qui ampute la

performance de l’ensemble;

Finalement, le coût de certaines composantes du panier de services est hors

d’atteinte des ménages à revenus moyens.

Des recommandations

En regard de l’accès à la justice, les recommandations suivantes visent à mettre

en place des stratégies capables de produire à terme une réelle amélioration

pour les ménages à revenus moyens.

1. Consolider le développement des MARC;

2. Faire une étude des bénéfices et des coûts découlant de la mise en place

d’un régime universel d’assurance de frais juridiques;

3. Mieux coordonner les initiatives d’éducation et de vulgarisation juridique,

voire même à les consolider et les homogénéiser. Le ministère de l’Éducation

du Québec devrait être approché à cet effet;

4. Mettre en place une meilleure coordination entre les différents organismes

voués au même objectif d’accès à la justice;

5. Mettre sur pied une structure de recherche de type public-privé afin s’assurer

de disposer des connaissances sur une base continue relativement aux

besoins en services juridiques;

5

6. Accroître les initiatives porteuses et les projets de recherche et

développement en matière d’analyse des données numériques (« Big Data »

- « Métadonnées »), et ce, afin d’outiller les avocats et notaires dans le travail

d’analyse et d’évaluation à contenu juridique.

6

1 INTRODUCTION

1.1 Mise en situation

L’industrie des services juridiques est assujettie à une problématique d’asymétrie

d’information. Cela signifie qu’il est difficile pour les consommateurs de juger de

la compétence des professionnels du droit ainsi que de la qualité des services

offerts. Ces derniers sont également sensibles aux coûts des services.

Pour pallier cette asymétrie, et du fait du monopole que ces professionnels,

avocats et notaires, ont dans le domaine des services juridiques, Le Barreau du

Québec et la Chambre des notaires du Québec ont comme mission principale

la protection du public.

D’entrée de jeu, il faut mentionner que les effets externes, tant positifs que

négatifs, découlant de l’industrie des services juridiques n’ont que peu été

mesurés. Dans ce contexte, il serait difficile d’affirmer que le système est optimal

ou non si l’on ne dispose que de peu d’outils socioéconomiques pour en saisir le

fonctionnement et l’évolution au sein d’environnements de plus en plus

complexes.

L’industrie comprend non pas un mais une multitude de marchés, ces derniers

comptant chacun une offre variée de services destinés à des consommateurs

aux besoins hétérogènes. En ce qui a trait au segment des ménages, le prix peut

constituer une barrière pour l’accès à la justice. Un clivage s’est d’ailleurs créé

au cours des années. Les plus démunis ont accès à des services subventionnés

par l’État, soit l’Aide juridique. Les plus fortunés n’ont aucun problème pour

accéder à des professionnels expérimentés et à des services de qualité. Ce sont

les ménages à revenus moyens qui semblent avoir été laissés pour compte.

Il faut souligner l’attention particulière que les milieux juridiques accordent à ce

sujet de l’accès à la justice pour les ménages à revenus moyens. En effet, de

nombreuses sociétés juridiques du Canada ainsi qu’une majorité de facultés de

droit s’intéressent aux problématiques vécues par cette clientèle.

Il importe de mentionner ici l’immense chantier mis en œuvre récemment par

l’Association du Barreau canadien.

7

1.2 Objectifs de l’étude

Les objectifs de la présente recherche portent sur les éléments suivants :

Analyser le fonctionnement de l’offre et de la demande de services

juridiques afin d’en saisir les modalités d’équilibre et les répercussions sur les

ménages à revenus moyens du Québec;

En ce qui concerne les intervenants dans le marché :

o Documenter le profil de l’offre de services;

o Qualifier les besoins exprimés des consommateurs de services juridiques;

o Identifier les besoins exprimés et non satisfaits;

Établir l’adéquation de l’offre et de la demande; et

Finalement, et au même titre qu’une majorité de secteurs économiques,

développer des indicateurs mesurables de façon récurrente et qui

assureraient la pérennité du suivi de l’évolution de l’industrie (tableau de

bord).

1.3 Comité de travail

Pour la réalisation de cette étude, un comité de travail a été mis sur pied. Les

professionnels suivants ont été mis à contribution :

Me Dyane Perreault, directrice du Service du développement et du soutien à

la profession, Barreau du Québec;

Me Daniel Champagne, directeur des produits et services, Société

québécoise d’information juridique (SOQUIJ);

Me Johanne Delage, directrice générale adjointe, Direction du

développement de la profession, Chambre des notaires du Québec.

La direction du projet était sous la responsabilité de Monsieur Pierre Boucher,

économiste à l’Observatoire des services professionnels.

8

1.4 Méthodologie

La méthodologie mise au point pour ce travail comprenait les activités

suivantes :

1 Une revue exhaustive de la littérature;

2 Un programme d’entrevues face à face;

3 Un sondage auprès des ménages à revenus moyens réalisé par la maison

CROP;

4 L’élaboration d’un modèle d’analyse de l’offre et de la demande.

9

2 LE SYSTÈME DE JUSTICE ET L’ACCÈS À LA JUSTICE

En guise d’introduction, soulignons que l’accès à la justice est étroitement lié aux

mesures que l’État prend pour éliminer les obstacles financiers ou autres

rencontrés par les citoyens. Pour de nombreux observateurs de la scène

judiciaire, il appert que le système de justice civile ne soit accessible qu’à

certains groupes. Il faut être soit pauvre, soit riche pour accéder à la justice. La

masse critique de citoyens entre ces deux groupes est laissée pour compte. Les

ménages de la classe moyenne disposent de revenus qui les rendent

inadmissibles à l’aide de l’État, c.-à-d. l’Aide juridique. De plus, ces mêmes

ménages ne disposent pas de revenus leur permettant de consacrer des milliers

de dollars pour faire valoir leurs droits. Bref, la justice est-elle en crise?

Quoique l’exemple suivant ne reflète pas une situation commune, le litige fort

médiatisé de Claude Robinson contre CINAR et le groupe France Animation

illustre bien, pour le citoyen ordinaire, l’état de la situation entre les riches, les

pauvres et les ménages à revenus moyens2.

2.1 Le système judiciaire

Le système judiciaire du Québec comporte plusieurs paliers et permet dans

plusieurs cas la révision par un tribunal supérieur des décisions rendues en

première instance.

Les cours municipales

Au Québec, les cours municipales possèdent une compétence en matière civile

et pénale. En matière civile, il s’agit de causes où les municipalités réclament

des sommes dues pour des taxes ou des permis. En matière pénale, les cours

municipales entendent des plaintes déposées en vertu du Code de la sécurité

routière ou de règlements municipaux. Dans certaines villes, les cours

municipales peuvent aussi être saisies d’accusations criminelles portant sur des

infractions sommaires.

2 En 1986, Robinson s’adresse à Cinar pour présenter scénario et dessins d’une bande dessinée. Un

premier contrat est conclu en 1990. Par la suite, le projet est mis en veilleuse. Quelques années plus

tard, l’auteur retrouve son œuvre dans une émission jeunesse. Il a par la suite intenté une poursuite

pour plagiat. Depuis plus de 15 ans, Robinson est devant les tribunaux pour faire valoir son droit

d’auteur sur la série « Robinson Sucroë ». L’auteur affirme qu’il s’agit des mêmes personnages de sa

bande dessinée, soit notamment les aventures de « Robinson Curiosité ». « Robinson Curiosité, c'est

Claude Robinson. Tous les personnages sont basés sur des membres de sa famille. Sept des huit

personnages ont été plagiés » a plaidé son avocat devant le plus haut tribunal du Canada.

10

La Cour du Québec

La Cour du Québec compte près de 290 juges nommés à vie par le

gouvernement du Québec. Ce tribunal comprend trois chambres, soit la

Chambre civile, la Chambre criminelle et pénale et la Chambre de la jeunesse.

La Chambre civile

Pour les litiges dont la valeur est supérieure à 7 000 $ mais inférieure à 70 000 $,

c'est la Chambre civile de la Cour du Québec qui a compétence. Ce tribunal

traite aussi certaines affaires municipales et scolaires prévues au Code de

procédure civile. La Chambre civile possède en outre la compétence pour

entendre les appels des décisions rendues par le Tribunal administratif du

Québec, de la Régie du logement, de la Commission d'accès à l'information et

du Comité de déontologie policière.

Division des petites créances

Une division de la Chambre civile de la Cour du Québec entend les affaires

qualifiées de « petites créances ». Celles-ci ne doivent pas excéder 7 000 $. Le

demandeur peut être une personne physique, une personne morale n’ayant pas

employé plus de cinq personnes au cours de la dernière année. Les parties ne

peuvent être représentées par un avocat.

La Chambre criminelle et pénale

La chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec a compétence pour

entendre les poursuites engagées en vertu du Code criminel, du Code de

procédure pénale ou de toute autre loi à caractère criminel ou pénal.

Cependant, certaines infractions criminelles, dont celles qui sont entendues

devant juge et jury, relèvent de la compétence exclusive de la Cour supérieure.

La Chambre de la jeunesse

La chambre de la jeunesse de la Cour du Québec entend les causes en matière

de protection de la jeunesse et en matière d’adoption. Elle entend aussi les

causes où l’accusé est mineur.

La Cour supérieure

La Cour supérieure exerce son pouvoir sur tout le territoire du Québec. Elle est

actuellement composée de 192 juges, nommés par le gouvernement fédéral.

Les juges résident dans les principales villes du Québec.

11

En matière civile, la Cour entend des litiges impliquant des sommes de 70 000 $

et plus. Sa compétence est exclusive dans tout ce qui touche les matières

familiales, c.-à-d. divorces, séparations, pensions alimentaires et gardes

d'enfants, ainsi qu'en matière de faillite.

C'est aussi devant la Cour supérieure que sont traités les recours collectifs et

certaines procédures spéciales comme l'injonction qui vise l'interruption, sous

peine d'outrage au tribunal, de certaines activités préjudiciables, ou le

mandamus, qui vise à forcer certains corps publics à accomplir les actes qui leur

sont imposés par la loi. Comme indiqué précédemment, la Cour supérieure a

compétence en matière pénale et criminelle, pour les procès tenus devant jury.

Elle entend également les appels en matière de poursuites sommaires.

La Cour d'appel du Québec

Composée de 20 juges nommés par le gouvernement fédéral, la Cour d’appel

possède une compétence en matière civile, criminelle, pénale et administrative.

Selon le cas, l’appel peut être présenté de plein droit ou sur permission. Un

jugement peut faire l'objet d'un appel de plein droit en matière civile, sauf si la

valeur du litige est inférieure à 50 000 $.

La Cour suprême du Canada

La Cour suprême est le plus haut tribunal du pays. Elle se compose de neuf juges

nommés par le gouvernement fédéral, dont trois suivant la Loi sur la Cour

suprême, doivent nécessairement être recrutés dans les rangs de la magistrature

ou du Barreau du Québec. Elle siège à Ottawa et, depuis quelques années, les

juges entendent à l’occasion les plaideurs par l'entremise de nouvelles

techniques audiovisuelles, comme c'est parfois le cas devant d'autres tribunaux.

Le Tribunal administratif du Québec

Aux tribunaux mentionnés précédemment se sont ajoutés avec les années des

tribunaux spécialisés ou administratifs chargés de l'application de certaines lois

particulières: Commission des relations du travail, Tribunal des droits de la

personne, Régie du logement, etc.

Afin d'affirmer la spécificité de la justice administrative et d'en assurer la qualité,

la célérité et l'accessibilité, de même que d'assurer le respect des droits

fondamentaux des administrés, le Québec a adopté la Loi sur la justice

administrative. C'est en vertu de cette loi que le Tribunal administratif du Québec

a été institué. Ce dernier, chargé de statuer sur les recours formés contre

certaines autorités de l'Administration publique, comporte quatre sections :

affaires sociales, affaires immobilières, le territoire et l'environnement ainsi que

celle des affaires économiques.

12

2.2 Les dépenses de l’État consacrées à la justice

2.2.1 Les dépenses de justice du Québec

La justice constitue les assises de l’État de droit et de la société. À ce stade, il est

intéressant de comparer les ressources financières consacrées par l'État

québécois à la justice, à l’éducation et à la santé, les trois grandes missions de

l’État.

Le tableau qui suit présente l’évolution des crédits des ministères de l’Éducation,

de la Justice et de la Santé et des Services sociaux entre 2002 et 2012.

TABLEAU 1 Évolution des crédits de ministères choisis (2002-2012)

Année

Budget du

Gouvernement

( $)

Δ %

Ministère

Éducation

( $)

Δ %

Ministère

Justice

( $)

Δ %

Ministère

Santé et

Services

sociaux ( $)

Δ %

2002 50 662 000 000 NA 11 087 816 400 NA 541 862 100 NA 17 827 696 200 NA

2003 52 662 000 000 3,9 11 485 290 400 3,6 549 668 700 1,4 19 115 068 100 7,2

2004 54 090 000 000 2,7 11 777 641 600 2,5 563 027 300 2,4 20 071 086 300 5,0

2005 55 789 000 000 3,1 12 137 821 500 3,1 623 129 500 10,7 20 812 048 800 3,7

2006 58 078 000 000 4,1 12 797 857 600 5,4 630 861 600 1,2 22 114 506 700 6,3

2007 61 638 000 000 6,1 13 371 609 700 4,5 660 062 600 4,6 24 144 931 600 9,2

2008 63 854 900 000 3,6 13 983 966 200 4,6 666 223 400 0,9 25 468 946 100 5,5

2009 66 922 900 000 4,8 14 489 166 100 3,6 686 538 100 3,0 26 979 500 000 5,9

2010 69 551 000 000 3,9 14 805 047 700 2,2 683 653 700 -0,4 27 967 189 400 3,7

2011 68 836 000 000 -1,0 15 633 633 700 5,6 744 645 900 8,9 29 121 106 900 4,1

2012 70 879 000 000 3,0 15 975 528 900 2,2 751 336 300 0,9 30 120 808 600 3,4

Source : Gouvernement du Québec, « Budget de dépenses », Crédits des Ministères et

organismes, années 2002 à 2012.

Le tableau indique que les taux moyens d’évolution des crédits pendant la

période sont semblables dans le cas du gouvernement (3,1 %), de l’Éducation

(3,4 %), et de la Justice (3,1 %). De plus, la Santé a vu son budget s’accroître de

façon substantielle pour passer de 17, 827 milliards de dollars en 2002, à

30,120 milliards en 2012. Il s’agit d’un accroissement de 12, 293 milliards de dollars

ou de 68,9 %, pendant cette décennie.

13

Parallèlement, le budget total de l’État s’est accru de 39,9 %, celui de

l’Éducation, de 44,1 %, et celui de la Justice, de 38,7 %. Pour bien situer

l’évolution de la Justice, d’autres données sont requises. Dans cette perspective,

le tableau suivant présente les crédits sur une base per capita.

TABLEAU 2 Dépenses per capita de ministères choisis (2002-2012)

Année Population

du Québec (N)

Budget total du

gouvernement

( $)

Ministère

Éducation ( $)

Ministère

Justice ( $)

Ministère Santé

et Services

sociaux ( $)

2002 7 441 076 6 808,42 1 490,08 72,82 2 395,85

2003 7 485 838 7 034,88 1 534,27 73,43 2 553,50

2004 7 535 929 7 177,62 1 562,87 74,71 2 663,39

2005 7 581 911 7 358,17 1 600,89 82,19 2 744,96

2006 7 631 552 7 610,25 1 676,97 82,66 2 897,77

2007 7 687 063 8 018,41 1 739,50 85,87 3 140,98

2008 7 750 518 8 238,79 1 804,26 85,96 3 286,10

2009 7 825 803 8 551,57 1 851,46 87,73 3 447,51

2010 7 905 087 8 798,26 1 872,85 86,48 3 537,87

2011 7 977 989 8 628,24 1 959,60 93,34 3 650,18

2012 8 054 756 8 799,65 1 983,37 93,28 3 739,51

Source : Ibid.

Les données per capita présentent un nouvel éclairage sur les dépenses des

ministères. Le tableau permet de dresser un certain nombre de constats :

Sans reprendre les crédits annuels pour la décennie, il convient de rappeler

que le gouvernement consacre en 2012 1 991,22 $ de plus par citoyen du

Québec par rapport à 2002; en Éducation, c’est 493,28 $ et, en Santé il s’agit

de 1 343,66 $;

14

Ce qui détonne de l’analyse des données per capita, c’est le montant très

restreint consacré au maintien de l’État de droit; il est question ici de moins

de 100 $ en 2012, soit 93,28 $; c’est un maigre 20,46 $ per capita qui a été

ajouté à ce budget par rapport à l’année 2002; cette valeur mène à des

questions beaucoup plus pointues au regard de l’importance stratégique

que le gouvernement du Québec accorde aux institutions juridiques qui

encadrent le quotidien de tous les agents socioéconomiques au cours de

leur vie active.

D’un point de vue socioéconomique, il est intéressant d’établir la valeur ajoutée

du système de justice civile. Cette évaluation doit se faire dans l’optique que

toutes les autres fonctions de l’État sont rendues possibles simplement parce que

le cadre juridique est efficace. L’environnement interne et externe du système

de justice civile est de plus en plus complexe.

Un dernier tableau est produit afin de situer l’évolution des crédits en regard de

l’indice des prix à la consommation (IPC). Il convient de souligner que c’est la Justice qui a connu le taux d’augmentation le plus faible pour la décennie 2002-

2012, soit 3,8 %, en deçà de la croissance de l’ensemble de l’appareil de l’État,

à 4,7 %.

TABLEAU 3 Valeur de l’évolution des dépenses per capita de ministères choisi

en fonction de l’IPC (2002-2012)

Variables

Dépenses totales

du

Gouvernement($)

Ministère de

l’Éducation ($)

Ministère de

la Justice ($)

Ministère Santé et

Services sociaux ($)

2002 6 808,42 1 490,08 72,82 2 395,85

2012 8 799,65 1 983,37 93,28 3 739,51

Avec IPC en

2012 8 403,06 1 839,08 89,88 2 957,00

Différentiel 1 594,60 349,00 17,06 561,15

IPC moyen

2002-2012 ( %) 2,1 2,1 2,1 2,1

Crédits réels

2012/2002 Δ % 4,7 7,8 3,8 26,5

Source : « Feuille de calcul de l’IPC », Banque du Canada et Calculs du consultant.

15

La valeur de l’IPC entre 2002 et 2012 a été en moyenne de 2,1 % par année, ce

qui correspond au ciblage de l’inflation établie par la politique monétaire

énoncée de la Banque centrale, c.-à-d. la Banque du Canada 3 . Les

observations suivantes en ressortent :

La dépense moyenne per capita des ministères en 2012 (par rapport à 2002)

démontre que le montant est supérieur à l’évolution du niveau des prix; il est

question ici d’un différentiel de 1 594,60 $ pour le budget du gouvernement

du Québec, de 349 $ pour l’Éducation, de 17,06 $ pour la Justice et de

561,15 $ pour la Santé;

La valeur de l’évolution en pourcentage pour cette période se traduit donc

pour l’État et les mêmes ministères respectivement à 4,7 %, 7,8 %, 3,8 % et

26,5 %, ce qui donne la pleine mesure de l’effort de l’État pour desservir les

citoyens selon les missions.

2.2.2 Les dépenses en justice pour certains pays de l’Union européenne

Afin de prendre la pleine mesure des fonds publics consacrés à la justice, une

comparaison avec d’autres juridictions s’impose, bien que toute comparaison

comporte une certaine dose de distorsion, compte tenu du fait que les systèmes

judicaires soient parfois très différents. Nous retenons un certain nombre de pays

de l’Union européenne (UE). Sur une base des dépenses per capita, et à la

lumière de ce qui précède dans le cas du Québec, les résultats pour les pays de

l’UE sont assez étonnants.

TABLEAU 4 Budget total alloué à la justice pour certains pays de l’UE ( $ 2010)1

Pays Dépense per capita Pays Dépense per capita

Belgique 202,22 Italie 163,66

Finlande 189,10 Pays bas 475,55

France 135,34 Royaume-Uni 99,11

Irlande 788,65 Écosse 462,56

Moyenne 152,78

Médiane 99,23

Minimum (Arménie) 6,16

Maximum (Irlande) 788,65

1) Les données en EURO ont été converties en valeur du dollar Canadien pour l’année 2010. Le budget total comprend les

dépenses du ministère public, des tribunaux et de l’aide judiciaire.

Source : Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) « Systèmes judiciaires européens »,

Conseil de l’Europe, 2012.

3 La Banque centrale vise un taux d’inflation de 2 % (Énoncé de politique monétaire de Banque du

Canada 2012).

16

Les dépenses totales des systèmes de justice per capita sont présentées au

tableau 4. Les écarts sont significatifs, se situant notamment dans une fourchette

de 6,16 $ et 788,65 $. Comme indiqué auparavant, les systèmes de justice des

pays de l’UE sont parfois très différents. Pensons notamment aux pays de

l’Europe de l’Est, qui, depuis le démantèlement de l’URSS, à la fin des années

1980, ont eu à construire de toutes pièces leurs systèmes de justice. Ainsi, il n’est

pas surprenant de constater que l’Arménie affiche une valeur per capita de

6,15 $, la Géorgie, de 7,63 $, la Moldavie, de 13,39 $, et la Fédération de Russie

de 21,55 $.

Certains pays d’Europe centrale dépensent beaucoup plus. C’est le cas entre

autres de la Pologne à 85,31 $ et de la République tchèque à 66,11 $. Il faut

remarquer que ces dépenses correspondent à peu de choses près à celles

consacrées par le Canada et le Royaume-Uni.

Enfin, les valeurs respectives des médianes et des moyennes méritent un

commentaire. La moyenne des dépenses per capita allouées à la justice est de

152,78 $ alors que la médiane est de 99,23 $. Cela signifie que 50 % des pays

dépensent davantage que 99,23 $ et, a contrario, 50 % dépensent moins. Il

existe des écarts importants entre les budgets des pays d’Europe.

2.3 La notion d’accès à la justice

Dans le quotidien, l’accès à la justice est un concept plutôt difficile à cerner. Les

vues et perceptions sur cette définition varient passablement d’un auteur à

l’autre. Ce constat complexifie davantage la définition même de l’accès à la

justice, parce que l’on doit définir ce que l’on mesure et comment cette

dernière évolue dans le temps. Ainsi, il devient possible de fixer des indicateurs et

de mesurer ce qu’est l’accès à la justice pour un usager.

La justice peut correspondre à un intérêt privé, qui ne concerne que l’individu, et

à un intérêt public, qui doit satisfaire à la demande provenant de la société

dans son ensemble. Le rendement de l’accès à la justice devra donc considérer

ces deux intérêts, soit le public et le privé. Le rendement sociétal de l’accès à la

justice pourrait se définir comme étant la possibilité de rendre un maximum de

décisions de qualité à un coût raisonnable pour les justiciables. Le rendement

privé quant à lui, résiderait dans le fait de présenter à chaque usager du système

une décision de qualité avec un prix raisonnable supporté par lui.

17

Simplement dit, l’accès à la justice signifie que tous les citoyens devraient être

capables de bénéficier de la justice dans le cours de la vie de tous les jours. Un

nombre grandissant de justiciables préfèrent s’approprier et régler leurs

différends en des lieux hors de la compétence de l’État. C’est ce que de

nombreux auteurs appellent le « pluralisme juridique4 ». Le professeur Macdonald

avance l’hypothèse que l’exclusion d’un si grand nombre de citoyens, c.-à-d. les

ménages à revenus moyens, découle directement de l’incapacité ou encore du

refus du droit officiel.

Un ouvrage récent sur l’accès à la justice civile au Québec constitue un

incontournable pour l’analyse de ce sujet5. Le traité, signé par le professeur

Lafond, dresse un diagnostic sombre au regard de l’accès à la justice et

propose des avenues de solutions pour améliorer non seulement l’accès, mais

également l’efficience du système. L’auteur cite le juge Louis LeBel, de la Cour

suprême du Canada, qui rappelle que de nombreux progrès ont été réalisés

relativement à l’accès à la justice, notamment sir le plan de la procédure et du

fonctionnement des tribunaux. Pour le juge LeBel, malgré toutes les « crises de la

justice », le Canada et le Québec sont demeurés des États de droit et la justice

fonctionne toujours.

Malgré ce qui précède, le professeur Lafond ajoute à ces propos que la situation

n’est peut-être pas catastrophique. Toutefois, selon lui, la justice ne fonctionne

pas également pour tous. Dans les faits, l’accès à la justice est réservé à un

groupe de personnes trop restreint. Cela constitue un facteur de risque non

négligeable pour la société.

Il avance également que l’on peut donner deux sens à la notion d’accès à la

justice. D’une part, il y a l’accès au système judiciaire, c.-à-d. aux institutions, et,

d’autre part, il y a l’accès à la justice en dehors du cadre judiciaire. Selon

l’auteur, les deux approches sont complémentaires, car la justice étatique

garantit un meilleur accès à la justice informelle. Donc, il ne suffit pas de se

pencher uniquement sur les coûts et les délais occasionnés par le

fonctionnement des tribunaux, les solutions étant beaucoup plus larges.

2.4 L’état des lieux dans différentes juridictions

Comparer le niveau d’accès à la justice au sein de différentes juridictions

s’avère un travail complexe et peut-être même hasardeux. À des fins d’analyses,

des pays de Common law ont été retenus. Les pays de l’UE sont aussi passés en

revue.

4 Macdonald, R.A., « L’hypothèse du pluralisme juridique dans les sociétés démocratiques

avancées », Revue de Droit de l’Université de Sherbrooke (RDUS), 2003. 5 Lafond, P. C., « L’accès à la justice civile au Québec », Yvon Blais, 2012.

18

Finalement, selon nous, la Grande-Bretagne mérite une référence particulière

puisque, en ce qui concerne les réformes visant un meilleur accès à la justice,

c’est sans aucun doute ce pays qui a le plus progressé au cours de la dernière

décennie.

2.4.1 Des juridictions de Common law

C’est l’American Bar Association qui a avancé le concept du World Justice

Project (WJP). Le WJP est un organisme non gouvernemental (ONG) qui mobilise

des professionnels appartenant à 17 disciplines. L’idée de base est que la « règle

de droit » est une condition essentielle pour que subsistent « l’égalité et l’équité »

au sein des sociétés. Pour une mesure transversale de la règle de droit,

l’approche pluridisciplinaire est incontournable.

Pour les pays de common law, nous retenons l’analyse de l’accès à la justice tel

que le présente le WJP6. Le modèle du WJP porte sur 9 indicateurs/facteurs qui

mesurent l’état du droit au sein de 97 pays répartis sur tous les continents7. La

méthodologie pour l’évaluation de ces indicateurs porte sur un modèle

sophistiqué de simulations. Le modèle est alimenté par plus de 2 500 experts. Le

résultat de base du modèle est de produire un Indice de la règle de droit (IRD)

(« Rule of Law Index »).

Aux fins de la présente étude, nous retenons l’indicateur d’accès à la justice

(facteur no 7 du WJP). Ce dernier comprend un nombre de sous-facteurs qui

caractérisent spécifiquement la justice civile, notamment : la facilité d’accès, le

caractère abordable, l’absence de discrimination et de corruption, la non-

intervention des gouvernements et les délais raisonnables. Un sous-facteur porte

sur les méthodes appropriées de règlements de conflits (MARC).

Les pays de common law retenus sont le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni,

la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Le tableau ci-dessous fait état d’un résultat

global de l’accès à la justice civile ainsi que le classement global, régional et

selon les revenus.

6 Agrast, M.D., Botero, J.C., Martinez, J., Ponce, A., Pratt, C.S., «The rule of Law Index 2012-2013»,

World Justice Project. 7 Les indicateurs mesurés sont notamment la limite des pouvoirs du gouvernement, l’absence de

corruption, l’ordre et la sécurité, les droits fondamentaux, un gouvernement transparent, une

régulation en force, la justice civile, la justice criminelle et la justice informelle.

19

TABLEAU 5 L’accès à la justice civile

Pays Résultat Classement

global

Classement

régional

Classement

selon les

revenus

Nouvelle-Zélande 0,76 9/97 3/14 9/29

Grande-Bretagne 0,72 11/97 8/16 11/29

Australie 0,72 12/97 4/14 12/29

Canada 0,72 13/97 9/16 13/29

États-Unis 0,65 22/97 12/16 20/29

Source: Agrast, M.D., Botero, J.C., Martinez, J., Ponce, A., Pratt, C.S., «The Rule of Law Index 2012-

2013», World Justice ProjectJ.

Un résultat « égal à 1 » signifie que le degré d’accès à la justice est optimal, soit

notamment que tous les facteurs qui en mesurent l’efficience témoignent de

résultats en ce sens. À titre de comparaisons avec les pays de common law,

voyons ce qui se passe quant aux évaluations des pays ayant les résultats les plus

faibles. Ainsi, sur les 97 pays analysés, les 5 derniers rangs regroupent des pays qui

affichent des résultats très faibles pour ce facteur, soit le Vénézuela à 0,38, le

Cambodge à 0,37, le Cameroun à 0,35, le Liberia à 0,33 et le dernier au

classement, le Bangladesh, à 0,32.

Ainsi, les pays de common law inclus au tableau affichent des résultats pouvant

être considérés comme élevés en regard des pays des derniers rangs. Avec un

résultat de 0,65, le classement global des États-Unis est surprenant. Ce pays ne

figure pas parmi les 15 premiers8. Au niveau du classement régional qui regroupe

les pays d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest, les États-Unis se classent

même à la fin d’un groupe de 16 pays. Il importe alors de cerner les

composantes d’accès à la justice.

8 Le rapport du WJP pour 2012-2013 fait à maintes reprises référence à ce classement des

15 premiers pays.

20

Le tableau qui suit présente les valeurs pour les pays retenus.

TABLEAU 6 Mesure de l’accès à la justice civile

Sous-facteurs Australie1 Canada Nouvelle-

Zélande1

Royaume-

Uni États-Unis

Justice civile 0,72 0,72 0,76 0,72 0,65

Accessibilité pour

les citoyens 0,60 0,64 0,74 0,66 0,53

Absence de

discrimination 0,56 0,65 0,72 0,73 0,53

Absence de

corruption 0,92 0,84 0,97 0,84 0,86

Non-intervention

du gouvernement 0,51 0,83 0,80 0,78 0,75

Absence de

délais

déraisonnables

0,63 0,47 0,63 0,58 0,44

Application de la

loi 0,77 0,79 0,69 0,64 0,63

Accessibilité des

MARC 0,85 0,84 0,76 0,82 0,83

Source: Ibid. 1) Notons que l’Australie et la Nouvelle-Zélande font partie de l’Asie-Pacifique dans le classement

du WJP.

Le tableau fait état d’un certain nombre de faits, soit :

En ce qui concerne la discrimination, 2 pays affichent des résultats

relativement faibles, soit l’Australie (0,56) et les États-Unis (0,53); la présence

de minorités visibles au sein de l’histoire de ces pays pourrait en partie

expliquer ces résultats;

Pour ces pays classés « à revenus élevés », la corruption paraît peu présente,

comme en témoignent les résultats relatifs; ces résultats varient pour le plus

bas au Royaume-Uni et au Canada à 0,84, le résultat de l’Australie étant le

plus élevé à 0,92;

Les critères qui méritent une attention particulière portent sur l’accès des

citoyens à la justice civile et sur les délais :

o Pour l’accès des justiciables, la fourchette des résultats se situe entre les

États-Unis à 0,53 et le Royaume-Uni à 0,73; la réforme majeure du

système juridique dans ce pays ne semble pas, du moins à court terme,

21

se traduire par des résultats qui distanceraient sa performance des

autres pays de common law;

o Quant aux délais, les États-Unis affichent le résultat le plus faible, soit 0,44;

le Canada ne fait guère mieux à 0,47.

En somme, les pays à revenus élevés comparés ici font relativement bonne

figure lorsque l’on mesure l’accès à la justice civile pour six des huit critères de

mesure. Les résultats acceptables pour ces pays traduisent néanmoins une

réalité qui soulève des questions, soit notamment l’accès des citoyens et les

délais pour obtenir des règlements. Il est souvent dit que le système de santé du

Québec fonctionne; il suffit d’être capable d’y accéder. Le même constat peut

s’appliquer au système de justice civile.

2.4.2 L’Union européenne

Le système judiciaire de l’UE a considérablement évolué au cours de la dernière

décennie. La promotion de l’accès à la justice arrive en premier au sein des

objectifs de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ). Tel

qu’il a été indiqué auparavant, des différences significatives subsistent sur le plan

des modalités de la répartition des responsabilités entre les pouvoirs législatif,

exécutif et judiciaire au sein des pays de l’UE. Pour une majorité de pays, le

ministère de la Justice supporte la responsabilité de l’administration du budget,

c.-à-d. les tribunaux et de l’aide judiciaire, c.-à-d. l’aide juridique. Pour

l’ensemble des pays, les budgets alloués à la justice ont connu des baisses

importantes dans la foulée de la récession de 2008, récession dont les

conséquences sont encore majeures en 2013.

Les différences entre pays sont assez importantes. Par exemple, en ce qui a trait

à l’aide juridique, certains pays ne couvrent que le domaine pénal (Ukraine),

alors que d’autres accordent aussi l’aide juridique dans des domaines de droit

beaucoup plus variés, tels le droit civil et le droit administratif (France). Pour

d’autres juridictions, l’aide juridique est très limitée et s’adresse à des cas pointus

comme l’incapacité (Géorgie).

Selon le pays, l’aide juridique peut prendre différentes formes de prise en charge

(frais, honoraires). Certaines juridictions accordent de l’aide juridique par le

truchement de mesures alternatives de règlement des litiges (France, Pays-Bas,

Portugal). Encore une fois, l’aide juridique reflète des cultures différentes. Les

coûts supportés peuvent inclure les expertises judiciaires (Belgique, Espagne), la

préparation de dossier (Bulgarie, Écosse), l’intervention de différents

professionnels tels le notaire et l’huissier (Grèce), les frais de déplacements

(Suède) et les services d’un détective privé (Italie).

22

Les modes de financement des services juridiques constituent un facteur

déterminant pour l’accès à la justice ainsi que l’efficience, la qualité et la

concurrence dans l’offre de services juridiques. Au sein de l’UE, l’une des

avenues privilégiées quant au financement des services juridiques porte sur

l’assurance protection juridique. Pour de nombreux pays membres de l’UE, ces

produits constituent l’un des piliers de l’accès à la justice.

2.4.3 La Grande-Bretagne

Dans cette perspective de l’analyse de l’accès à la justice pour la classe

moyenne, les études récentes issues de différentes juridictions abondent. Parmi

cette littérature, les analyses et politiques ayant mené à la réforme du système

britannique nous fournissent des pistes de solutions pouvant s’appliquer à toute

juridiction en quête de nouveaux modèles d’affaires.

En Grande-Bretagne, le dépôt du rapport Clementi, en 2004, fait référence à

une définition élargie de l’accès à la justice9. L’univers socioéconomique de

l’accès à la justice est inclus dans cette définition. Dans une approche des plus

novatrices, la définition s’éloigne des concepts traditionnels et comprend un

« focus consommateur », usager du système de justice.

Le rapport Clementi s’appuie sur les prémisses suivantes :

L’accès à la justice requiert non seulement que le service juridique soit fiable,

mais également que le fournisseur dudit service rende ce dernier de façon

efficace et au moindre coût;

Pour les auteurs, une approche à l’offre de services juridiques axée sur le

consommateur et basée sur une relation plus « commerciale » se traduira par

des coûts moindres; et

Les réticences actuelles au regard de l’offre provenant de nouveaux

fournisseurs de services juridiques sont maintes fois énoncées en ignorant

totalement le consommateur. Il ne s’agit pas seulement de la notion du prix

le plus bas pour un service juridique : il s’agit également de plus d’heures de

services disponibles pour les usagers, d’accès à certains types de services

actuellement non disponibles et, ultimement, d’un choix plus varié.

9 Clementi, D., Sir, « Review of the Regulatory Framework for Legal Services in England and Wales »,

2004.

23

Par ailleurs, les coûts d’accès à la justice constituent un facteur

incontournable :

o Il s’agit là d’une pièce centrale de la problématique pour ceux qui ne

peuvent faire valoir leurs droits, faute de moyens financiers; le législateur

doit admettre que le degré d’accès à la justice n’est pas proportionnel

au revenu;

o La notion de coût ne devient importante que si des services juridiques à

haute valeur ajoutée ne sont disponibles qu’aux plus fortunés ou aux

citoyens auxquels l’État offre gratuitement ces services; et

o De façon générale, le raisonnement économique stipule que l’ajout de

nouveaux capitaux dans un marché donné permettra d’accroître

l’intensité concurrentielle et de réduire les coûts des produits, et ce, au

bénéfice du consommateur..

En ce qui a trait à la disponibilité de l’offre de services :

o La dimension géographique revêt une importance stratégique;

o L’offre provenant de pratiques multidisciplinaires court le risque de

segmentation du marché en regard de la demande pour ainsi dire la

plus lucrative, ce qui, d’emblée, porte préjudice à l’accès à la justice;

l’offre doit répondre aux besoins de tous les segments; et

o Des standards élevés de pratique doivent être maintenus pour la

profession, y compris pour les nouveaux arrivants..

L’esprit de la réforme du législateur britannique dépasse le cadre de la résolution

de conflits et englobe toutes les relations et les échanges qui sous-tendent un

contenu juridique. À terme, c’est une minorité de cas qui aboutiront devant les

tribunaux, tout en faisant partie du périmètre de référence.

La justice et l’accès à la justice sous-tendent un cadre rigoureux de

connaissances, un encadrement législatif et réglementaire approprié, différentes

alternatives pour le règlement de litiges et une infrastructure efficace de

fonctionnement du marché des services juridiques, y compris les tribunaux de

première instance.

24

L’accès à la justice porte davantage sur la garantie de résultats plutôt que sur

les processus traditionnels de résolution de conflits. Cet énoncé est au cœur de

la réforme britannique, soit viser des résultats plutôt que s’empêtrer dans une

machine complexe ne visant que des réformes cosmétiques imaginées et

conçues en fonction des membres de la profession. Ces réformes ont par le

passé trop souvent laissé le consommateur de côté.

La vision de la réforme en Grande-Bretagne porte sur une approche multi

canaux. Les services juridiques doivent être abordables (prix) et accessibles

(segments de marchés). Ils doivent donc s’engager de façon constructive dans

l’innovation, qui se traduira par des méthodes variées de distribution des services

incluant notamment les volets face à face, téléphonique et électronique par le

biais d’Internet.

Ces méthodes dépassent évidemment le cadre traditionnel de l’offre. Une

panoplie de services juridiques seront rendus aux consommateurs selon des

besoins exprimés. La prestation de ceux-ci se fera de façon ad hoc à l’individu

sur la toile, par des dépliants ou par toutes autres formes de distribution. L’accès

à la justice est alors adapté non seulement à l’individu, mais également à des

groupes. Cela signifie que l’accès à l’offre est élargi en habilitant plus

d’intervenants à rendre des services juridiques.

Le nouveau modèle permet de rejoindre des individus et des groupes jusqu’ici

ignorés par l’offre de services juridiques. Cette offre innovatrice permet

évidemment de s’adresser au caractère hétérogène de la demande de

services juridiques. Les besoins varient en fonction des individus et des situations.

Dans ce cadre, on songe entre autres aux nouvelles façons de gérer les dossiers

de l’aide juridique, à l’apparition de coop de services juridiques, aux forfaits de

services à prix fixes pour les dossiers de la famille, à la présence d’avocats au

sein de places de vente de type grande surface et à des délégations d’actes

juridiques à des tiers. Finalement, les formules alternatives de partenariat

d’affaires entre avocats et non-avocats méritent une attention particulière.

2.5 La toile de fonds au regard de l’offre et de la demande de services

au Québec

Il serait normal de s’attendre à ce que tous les citoyens du Québec, sans égard

aux disparités de nature socioéconomique, aient accès à la justice. Or,

l’expérience sur le terrain témoigne d’une autre réalité.

De nombreux auteurs ou comités issus des milieux juridiques, universitaires,

communautaires ou des affaires ont identifié depuis plus de deux décennies les

grandes problématiques contemporaines de l’offre et de la demande de

services juridiques et de leur résultante, l’accès à la justice.

25

De façon récurrente, des solutions sont développées à la suite de

représentations faites par des individus ou des groupes de pression.

Malheureusement, bon nombre de recommandations issues de ces démarches

finissent sur des tablettes. Certains projets-pilotes conçus pour une

problématique donnée, pour ne pas dire une majorité d’entre eux, deviennent

souvent permanents sans analyse coûts/efficacité.

Une littérature abondante fait état de lieux communs : la justice et son langage

sont complexes, les coûts des litiges sont élevés, les délais sont longs et la

facturation horaire ne semble plus correspondre à la réalité économique du

Québec. La confiance des justiciables s’est érodée. Bref, tous sont d’accord

qu’il faut absolument agir.

Les signes majeurs de dysfonctionnement entre ce que le système offre en

services juridiques et ce que le marché demande sont bien là. Pour n’en résumer

que l’essentiel, voici quelques observations sur la dynamique actuelle du

marché :

Le nombre de demandes d’admission dans les écoles de droit aux États-Unis,

au Canada anglais et au Québec diminue. Bien sûr, les facultés vont

admettre des étudiants et accorder des diplômes à des cohortes dont le

nombre, sur une base historique, ne semble pas chuter. Toutefois, le nombre

d’étudiants potentiels désireux d’aller en droit diminue. On parle d’une baisse

de 24,1 % aux États-Unis et de 19,6 % au Canada au cours des cinq dernières

années;

Il s’avère de plus en plus difficile pour les nouveaux diplômés de trouver du

travail en droit. L’American Bar Association (ABA) estime que c’est 48 % des

diplômés en droit qui ne trouveront pas de travail dans ce domaine au cours

de la présente décennie. Il s’agit là d’une situation qui, avec quelques

variantes culturelles/sociétales, risque d’avoir un impact au Canada anglais

et au Québec;

Les coûts élevés du système de justice amènent graduellement un plus grand

nombre d’individus et d’entreprises à rechercher des alternatives, à les

évaluer et à en faire l’usage. Ces agents économiques croient que ce ne

sont pas toutes les questions juridiques qui requièrent l’intervention d’un

avocat ou d’un notaire. Si un substitut à moindre coût est disponible et connu

dans le marché, c’est le choix qui sera retenu;

Au cours des dernières années, les effets de la mondialisation ont été

accentués par l’explosion de l’usage des technologies et des médias

sociaux.

26

Ainsi, il serait erroné de croire que les réformes de systèmes juridiques

enclenchées dans certaines juridictions avant-gardistes telles la Grande-

Bretagne n’auront que peu d’impact en Amérique du Nord, et plus

spécifiquement au Québec. En Grande-Bretagne, des possibilités

attrayantes et au bénéfice du consommateur sont issues de cette

déréglementation. Il s’agit d’occasions nombreuses et variées conçues pour

les consommateurs et en fonction de ces derniers. Un slogan accompagne

d’ailleurs cette réforme, « Putting Consumer First », ce qui traduit bien l’esprit

de la réforme britannique; et

Les milieux juridiques ont été dans certains cas, des usagers passifs de la

technologie. Ce sont les clients qui ont amené les avocats à la technologie

et non l’inverse. Jusqu’en 2012, tous les avocats n’avaient pas

nécessairement une adresse courriel. Il faut attendre le début du nouveau

millénaire pour voir apparaître sur le marché des outils dédiés à l’industrie.

C’est l’industrie de l’informatique, de la gestion des connaissances le

« Knowledge Management » (KM) qui a développé les outils pour les milieux

juridiques. Notons que le notariat a été un précurseur en matière

technologique en concevant dans les années 1980 un logiciel de gestion

d’étude, l’inforoute notariale et la signature numérique, utilisée par les

notaires mais aussi par d’autres professionnels tels les ingénieurs.

Les résultats, du moins dans le cas du droit, ont produit un effet inattendu. En

effet, les outils technologiques qui jusqu’à tout récemment n’étaient

disponibles qu’aux professionnels du droit sont maintenant accessibles à

d’autres usagers. Ainsi, pour un nombre grandissant de services juridiques, à

la présence de l’avocat est substituée une technologie plus rapide, aux

résultats prévisibles, moins encline à l’erreur e, surtout, moins dispendieuse.

La résultante de ce qui précède, c’est que des outils issus de la recherche et

du développement (R&D), soit notamment des systèmes de résolution de

conflits, ont été conçus de façon ad hoc et sur demande spécifique

d’intervenants qui manipulent des quantités impressionnantes de

microtransactions. Dans ce cas, il s’agit du fleuron des échanges entre

individus sur la toile, soit eBay Inc. et PayPal.

Ces compagnies ont procédé à des investissements substantiels pour des

systèmes efficaces qui leur ont permis de gérer avec succès au cours de la

dernière année, près de 60 millions de micro-conflits vécus par des usagers.

Quels auraient été le coût et les délais associés à l’intervention classique des

avocats pour régler ces millions de micros-conflits? Il est facile d’imaginer que

le ratio coût/bénéfice ainsi que le retour sur investissement (ROI) sont à

l’avantage des compagnies. Au dire des dirigeants de ces deux

organisations, ils ont mis en place leur propre « système de justice civile ».

27

Cependant, pourquoi les milieux juridiques n’ont-ils pas procédé à la

conception et au développement de ces modèles de résolution de micro-

conflits?

2.6 Les grands défis

En ce qui concerne l’offre et la demande de services juridiques, certains grands

défis sont dignes d’être soulignés. Évidemment, l’impact de ces défis se

répercute à des niveaux variables selon qu’il s’agisse de l’offre de services

juridiques ou des consommateurs. De fait, six grandes tendances méritent une

attention particulière.

Premièrement, l’évolution démographique au lendemain de la Seconde Guerre

mondiale a permis à certains pays de connaître un essor important de

population. Ce fut notamment le cas du Canada avec son « baby boom ».

D’autres nations n’ont pas connu ce phénomène et voient par conséquent leur

population respective vieillir plus rapidement. Au sein de l’Organisation de

coopération et de développement économiques (OCDE), c’est notamment le

cas du Japon et de l’Allemagne.

Les baby boomers canadiens et québécois atteignent depuis le début de la

décennie l’âge de la retraite en plus grand nombre. Les conséquences sont

nombreuses et engendrent des coûts souvent sous-estimés.

Les changements de la structure démographiques exigent des aménagements

majeurs :

L’âge de la retraite doit être réajusté à un niveau plus avancé;

Le taux de participation des femmes au sein de la population active doit

continuer de s’accroître;

Les formes atypiques de travail deviendront la norme afin d’adapter la main-

d’œuvre aux besoins particuliers de l’économie;

Une nouvelle normalité de la formation portera sur son caractère continu. Les

travailleurs devront se plier aux exigences de multiples formations au cours de

leur carrière;

Les étudiants, peu importe leur secteur de spécialisation seront familiarisés

avec le lien étroit entre leur spécialité et les besoins du marché; et

28

Finalement, l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) estime qu’en 2030 le

tissu démographique de la province sera composé de 18 % d’immigrants nés

dans un autre pays; ce taux est actuellement à 11 %; l’adaptation sera

incontournable, autant pour les résidents que les nouveaux arrivants.

Deuxièmement, l’environnement est sans aucun doute la variable sensible de

l’évolution socioéconomique à moyen et à long terme. Par exemple, si les

scénarios les plus pessimistes quant aux impacts des changements climatiques

devaient se réaliser, c’est la survie même de l’humanité qui est en question. Par

conséquent, l’usage des ressources et l’environnement seront l’épicentre de la

croissance du Québec.

L’irrigation au profit du développement va accroître la pression, et ce, surtout

sur la production agricole;

L’urbanisation accroît la demande d’eau potable au sein de zones

spécifiques telles que Montréal et Québec ainsi que d’un nombre restreint de

pôles régionaux;

La construction de barrages pour produire de l’énergie ou encore accumuler

de grandes réserves d’eau potable a des répercussions majeures sur

l’environnement. Ces impacts sont encore très sous-évalués. Qui plus est, la

plupart des barrages à construire au Québec l’ont été;

Les zones frontalières mitoyennes à plusieurs juridictions constituent la source

potentielle de conflits, notamment Québec et Terre-Neuve, le Canada et les

États-Unis, le Canada et la Russie; et

L’exploitation de ressources non renouvelables crée des stress non seulement

sur l’environnement, mais également sur l’économie..

Troisièmement, le système financier issu de la déréglementation de la fin des

années 1980 est devenu une source d’inquiétudes pour les contribuables et de

problèmes majeurs pour les gouvernements assujettis à la spéculation des

grandes banques d’affaires. Des lois et des politiques monétaires à portée

« transnationales » sont en développement.

Quatrièmement, le gouvernement du Québec pourra difficilement continuer à

offrir une gamme de biens publics aussi large. Les probabilités de heurts

pourraient s’avérer fortes :

Les déficits des caisses de retraite publiques et privées se chiffrent par

milliards de dollars; la facture provenant des retraités sans économies risque

d’être transférée au gouvernement;

29

Les revenus de fiscalité et de parafiscalité vont diminuer; aujourd’hui les

Québécois sont les Canadiens qui travaillent le moins d’heures en une

semaine, ils engendrent une rémunération plus basse que les autres

travailleurs au pays et ils sont moins productifs; cette situation aura sans

aucun doute un effet sur les revenus de l’État; et

Les pressions sur le système de santé seront énormes; le système n’est pas en

mesure de faire face adéquatement au vieillissement de la population.

Cinquièmement, les avancées technologiques seront des sources plus

fréquentes de turbulences au sein de l’économie et de la société. Les coûts de

l’encadrement et de l’adaptation à cette évolution sont peu connus. Qu’il

s’agisse de la production manufacturière ou des soins médicaux avancés, peu

de ressources sont consacrées à en déterminer les impacts.

Sixièmement, l’omniprésence de la mondialisation est également à prendre en

considération. Les économies émergentes sont en progression, souvent au

détriment des anciens pays dominants. Au cours des deux dernières décennies,

le poids des économies émergentes dans le commerce mondial s’est d’ailleurs

accru de façon significative pour ces pays. Entre 1993 et 2013, la part de la

richesse mondiale des pays membres du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) est

passée de 15 % à 28 %.

30

3 LES MÉNAGES À REVENUS MOYENS CLIENTÈLE DE LA JUSTICE

3.1 La mesure des écarts entre riches et pauvres

L’objet du présent rapport est d’évaluer les besoins en services juridiques de la

classe moyenne au Québec. Il s’agit alors de mesurer qui, au sein de la société,

et en quel nombre, se situe entre les moins nantis et les riches.

Deux approches pour mesurer les disparités de revenu sont utilisées :

D’une part, des inégalités découlent des revenus bruts, c.-à-d. les revenus

primaires. Ceux-ci comprennent les revenus d’emploi, les revenus de

placement ainsi que les revenus de retraite et de rentes privées. Ces

inégalités sont liées à l’état du marché du travail de même qu’aux mesures

incitatives à l’emploi. Le monde de la finance a également un impact sur ces

revenus;

D’autre part, il y a les inégalités découlant du revenu disponible, soit

notamment les conséquences des impôts et des programmes de transferts

dont l’assurance-emploi, le soutien aux familles et les régimes de retraite

gouvernementaux. Pour les pays membres de l’OCDE, les inégalités de

revenu disponible sont moindres que celles de revenu du marché, ce qui

dénote le rôle majeur de l’État sur le plan de la redistribution des revenus.

Le « coefficient de GINI » est une mesure de référence pour évaluer l’écart entre

riches et pauvres10.

TABLEAU 7 Coefficient de GINI et redistribution (2010)

Région Revenu de marché Revenu disponible Redistribution

par l’État

Canada 0,435 0,316 0,119

Québec 0,44 0,292 0,152

Ontario 0,431 0,319 0,112

Alberta 0,406 0,318 0,088

Colombie-Britannique 0,416 0,319 0,097

Source: Statistique Canada

10 Le coefficient de Gini est l’un des indices les plus utilisés pour évaluer les inégalités de revenus. Un

coefficient égal à 0 signifie une parfaite égalité, chaque personne disposant de la même part du

revenu. A contrario, un coefficient égal à 1 signifie une inégalité parfaite, une seule personne

disposant de l’ensemble du revenu.

31

Le tableau indique que les inégalités de revenu sont moins marquées au

Québec que dans le reste du Canada. Nonobstant ce constat, rappelons que

l’économie est dynamique et que cet équilibre est fragile. Le Québec n’est pas

immunisé contre l’élargissement des écarts entre les riches et les pauvres. Une

tendance à la polarisation entre revenus observée dans l’ensemble des

économies de l’OCDE en témoigne.

3.2 Une définition et la représentativité des Québécois

à revenus moyens

3.2.1 Définir la classe moyenne

Statistique Canada définit la classe moyenne comme étant le nombre de

ménages gagnant entre 75 % et 150 % du revenu médian. Par exemple, au

Québec, le revenu médian net pour une unité de deux personnes ou plus

s'établissait à 58 100 $ en 201111, ce qui veut dire que, pour cette catégorie de

ménages, ceux qui ont un revenu se situant entre 43 575 $ et 87 150 $ font partie

de la classe moyenne.

À titre comparatif, pour cette même catégorie, le revenu médian s'élevait au

Canada à 65 500 $, en Ontario à 69 300 $ et en Alberta à 78 100 $. Ainsi, pour

l’ensemble du Canada, la classe moyenne comprend une fourchette de

revenus entre 49 125 $ et 98 250 $.Ces contribuables sont ciblés par un ensemble

de décideurs. Sur le plan social, la classe moyenne constitue un baromètre de

choix pour évaluer les demandes et revendications populaires. Au point de vue

économique, la classe moyenne constitue un marché parmi les plus lucratifs, des

consommateurs disposant de moyens financiers importants ainsi que des

épargnants. Sur le plan de la fiscalité et de la parafiscalité, ces contribuables

représentent des revenus stables pour l’État. La classe moyenne correspond à un

poids majeur de l'assiette fiscale.

En 2011 l'OCDE a tenu un forum sur la question de l’écrasement fiscal de la

classe moyenne12. L'OCDE s’est dite inquiète des pressions sur cette catégorie de

ménages. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la classe moyenne a été et est

toujours la base de l’activité économique des pays membres. Au cours des

dernières décennies, les changements structurels dans les économies

occidentales ont provoqué un grand stress aux pays industrialisés. De multiples

11 Statistique Canada, juin 2012. 12 OCDE, « De l'indignation et l'inégalité à l'inclusion et l'intégrité », Forum, Paris, mai 2011.

32

facteurs, dont la délocalisation des entreprises manufacturières vers les

économies émergentes, ont contribué à des pertes d’emplois massives et à des

baisses de salaires conséquentes à ces dernières. Le fardeau fiscal, quant à lui, a

tout de même continué de croître.

Par conséquent, l’impact des restrictions que l'on exige de la classe moyenne

pendant les années d’incertitude économique est accentué. Les économistes

autant que les sociologues sont d’accord : la classe moyenne est un symbole

fort de la paix sociale et elle représente une garantie pour restreindre les

inégalités dans la société.

3.2.2 Le poids de la classe moyenne

Le tableau ci-dessous reproduit la distribution des ménages en fonction des

revenus. Les revenus moyens et médians servent à établir le poids de la classe

moyenne.

TABLEAU 8 Revenu moyen et médian des ménages du Québec (2011)

Ménages et

revenus gagnés

Ménages Ménages avec

enfants Revenu

moyen

( $)

Revenu

médian

( $) N % N %

Aucun revenu

gagné 125 628 3,7 63 377 3,3 24 889 19 875

Un revenu

gagné 763 953 22,5 432 921 22,4 45 432 38 525

Deux revenus

gagnés 1 748 603 51.5 960 502 49,7 83 380 72 175

Trois revenus

gagnés 753 767 22,2 475 640 24,6 108 929 95 900

Total des

ménages 3 395 345 100,0 1 933 440 100,0 78 350 66 050

Source : Statistique Canada, « Enquête sur la dynamique du travail et du revenu », compilation

pour le Québec, 2012.

Le tableau indique que selon la définition antérieure, soit le nombre de ménages

gagnant entre 75 % et 150 % du revenu médian, le nombre de ménages se

situant dans la classe moyenne serait à hauteur de 2,5 millions. La fourchette de

revenu serait alors de 49 538 $ à 99 075 $.

3.2.3 Les ménages à revenus moyens issus de l’immigration

L’Institut de la statistique du Québec (ISQ) estime qu’en 2030 le tissu

démographique de la province sera composé de 18 % d’immigrants nés dans un

autre pays, ce taux étant actuellement à 11 %. L’adaptation de ces groupes

sera incontournable, autant pour les résidants que les nouveaux arrivants.

33

Dans les faits, le Québec accueille en moyenne plus de 50 000 immigrants par

année. De ce nombre, un poids de près de 70 % fait partie de la catégorie

« immigration économique », ce qui inclut les travailleurs qualifiés, les gens

d’affaires et les entrepreneurs. Un fort pourcentage de ces immigrants dispose

alors de revenus qui les qualifient dans la classe des Québécois à revenus

moyens13.

13 Consulter à cet effet le microsite du Barreau du Québec sur l’immigration et qui vise

spécifiquement les nouveaux arrivants – http://immigration.barreau.qc.ca/fr/index.html.

34

4 COMPRENDRE LE MARCHÉ DE LA JUSTICE

4.1 Comprendre les coûts des services juridiques

L’accès à la justice peut être analysé de façon identique aux autres services

professionnels. Le terme « magasiner » pour la justice peut sembler inapproprié

mais, dans ce contexte, il peut convenir parce que l’accès à la justice est

obtenu par le biais de ce que les économistes appellent le « coût de

transaction14 ». Lorsqu’une situation à caractère juridique survient, le citoyen

s’adresse dans un premier temps aux gens de son entourage en qui il a

confiance, c.-à-d. un parent, un ami, un confrère de travail, etc. Par ailleurs, dès

qu’un spécialiste qui offre des services juridiques intervient, il exigera un

paiement; surgit alors un coût de transaction pour l’usager.

Les coûts de transaction relèvent de plusieurs niveaux et incluent pour le

professionnel, des coûts de production. Ainsi, la question selon laquelle la justice

se rendra au client qui le demande est étroitement liée aux coûts de production

de celle-ci, c.-à-d. combien il en coûte au professionnel pour rendre le service

au client. Les composantes de la fonction de production de la justice sont

multiples. Les efforts consacrés à un citoyen par un avocat ou un notaire

constituent des coûts de production. L’élaboration de normes, de lois et de

règlements ainsi que leur «packaging » pour les différentes clientèles constituent

également des coûts. Les infrastructures de la justice entrent également dans

cette fonction de coût total.

S’ajoutent à ces coûts de transaction les frais que le justiciable doit engager à

l’égard d’une situation de nature juridique, soit, notamment, le temps consacré

à la recherche de la meilleure solution. Ce processus peut s’avérer très

dispendieux. L’information sur le prix et la qualité des services peut être

complexe à obtenir. Même lorsqu’un professionnel est retenu, le client doit lui

fournir toute l’information au regard de sa problématique, soit une autre source

de coûts. Les coûts de transactions correspondent aux coûts (publics et privés)

que la société doit supporter pour que la justice soit opérationnelle.

Dans ce contexte, et par rapport à leur valeur ajoutée, si le coût des services

juridiques n’est pas abordable pour les ménages à revenus moyens ou encore

s’ils sont, à l’opposé, insoutenables pour ceux qui offrent lesdits services, c’est

que les coûts de la justice sont alors devenus prohibitifs.

14 Un coût de transaction correspond aux coûts découlant des échanges dans un marché donné.

Ce concept est très vaste et englobe les coûts associés autant à la production qu’à la recherche

d’information pour le consommateur.

35

Il appert que le marché des services juridiques ne rende pas disponible la justice

aux ménages à revenus moyens. Quelles sont cependant les causes de ce

dysfonctionnement de marché? Les coûts de transaction peuvent expliquer une

partie du problème. Par ailleurs, les résultats d’études sur cette problématique

permettent d’identifier des pistes de solutions innovatrices.

4.2 L’accès à la justice

Les statistiques et les informations sur les ménages à revenus moyens qui peuvent

ou non obtenir des solutions à leurs problématiques à contenu juridique

permettent de mesurer le degré d’accès à la justice. Le ménage à revenus

moyens requiert des réformes structurelles qui auront pour conséquence

d’accroître l’accès à la justice. Une littérature récente cerne les grandes phases

de ces réformes contemporaines déjà amorcées au sein des économies de

l’OCDE. Chronologiquement, il s’agit de la mise en place de régimes d’aide

juridique, du développement de litiges d’intérêt public, c.-à-d. les recours

collectifs, des méthodes appropriées de résolution de conflits, de l’ouverture du

marché des services juridiques et d’un meilleur encadrement des professions

juridiques. Il n’existe pas d’analyse permettant de synthétiser l’ensemble de ces

réformes de la justice civile et d’en établir l’efficience, c.-à-d. coûts/bénéfices.

Récemment, différentes juridictions se sont intéressées à l’implication du citoyen

dans la gestion de situations juridiques. Comment les citoyens peuvent-ils être

habilités pour gérer ces situations? Que peut faire l’État québécois peut faire

pour les assister? La médiation, qui facilite la négociation, semble une piste

incontournable. Un courant de pensée se dessine au regard du fait que

l’«approche descendante », c.-à-d. « Top Down », du système de justice est de

moins en moins capable d’appliquer la règle de droit.

Plusieurs auteurs étudient des « approches ascendantes », c.-à-d. « Bottom Up »,

afin de rendre le système de justice plus accessible 15 . Délaisser l’approche

classique et habiliter les citoyens à gérer leurs propres besoins pointus semblent

constituer une voie prometteuse. Cette démarche est davantage orientée sur le

marché, ce qui signifie une analyse économique des processus d’accès à la

justice. La recherche de solutions basées sur une approche ascendante à la

problématique de l’accès à la justice fait référence à la notion de

« microjustice ». Cette approche peut se développer sur le modèle du

microfinancement et des autres formes de « microservices » rendus aux clientèles

à revenus moyens ou faibles.

15 Carothers, T., « Promoting the Rule of Law Abroad: In search of Knowledge », Washington D.C,

2006.

Carraro., C., Marchiori, C. et al., « Advances in Negotiation: Bargaining, Coalition and Fairness »,

World, 2006.

36

4.3 La demande : les besoins en services juridiques

En ce qui a trait à la demande de services juridiques, les citoyens expriment

souvent leurs besoins au cours de situations conflictuelles, ce qui est tout à fait

conforme aux modèles de consommation discrétionnaire de biens et services.

Segmenter le marché permet de saisir les composantes de la demande de

services juridiques. La segmentation permet de dresser le profil des

consommateurs, de définir les problématiques et d’identifier les solutions. Le

diagramme suivant segmente le marché.

Diagramme 1

La demande de services juridiques

Gourve Gouvernement Grandes

entreprises

Classe moyenne

Aide juridique

PME

Degré potentiel de

défaillance du marché

Acheteurs moins expérimentés

Besoin de protection

Acheteurs expérimentés et

répétitifs

Risque faible de défaillance

du marché

Clients

Le diagramme ci-dessus fait état de cinq segments de marché. Cette méthode

d’analyse économique par segment permet de saisir les besoins qui sont

demandés par les clientèles. Les consommateurs peuvent alors substituer la

source de services juridiques demandés. Les fournisseurs de services sont ainsi en

position de modifier les modes de services à offrir aux clientèles.

37

Il existe trois types de situations où les ménages à revenus moyens seront sur le

marché pour la consommation de services juridiques :

D’une part, la sécurité du ménage est sans doute le premier de ces besoins.

On fait référence ici à l’intégrité physique et au respect des droits

fondamentaux;

D’autre part, les relations de court, moyen ou long terme peuvent devenir

problématiques et dégénérer en conflits. On fait référence ici à la famille, au

travail, aux amis, au voisinage ou encore aux relations d’affaires; ces

relations, qui portent sur un horizon temporel à durée variable, comportent

forcément leur lot de changements sur le plan du comportement, des

préférences. Ces changements sont imprévisibles et dépendent souvent de

variables hors de la portée du ménage, de l’individu. Les parties à une

problématique donnée ne peuvent alors se dissocier de cette relation sans

en évaluer les conséquences. Les conflits qui peuvent en découler risquent

de porter, notamment, sur des questions de congédiement, de

séparation/divorce, de résiliation d’un bail, etc.;

Finalement, les relations entre acheteurs et vendeurs de services ou de biens

mobiliers ou immobiliers, ou encore entre un palier de gouvernement et les

ménages, constituent une troisième catégorie. La problématique interpelle

exclusivement ce à quoi le ménage s’attend dans le privé ou a droit dans le

public, et ce, au même titre que la situation précédente; la demande de

services juridiques relève ici de la procédure civile ou administrative,

contentieuse ou non.

Il importe de souligner que la demande de services juridiques ne relève pas

uniquement de situations conflictuelles. Que l’on pense, par exemple, à des

situations impliquant une simple demande d’information juridique ou encore la

confirmation ou le transfert d’un droit, sans opposition de la part des personnes

visées. De plus, par le passé, le fait que les citoyens aient exprimé ce à quoi ils

s’attendent de leur environnement juridique a servi à adapter ce dernier. Par

exemple, certaines pratiques de vente des grandes chaînes de magasins ont

souvent causé préjudice à des consommateurs. Les revendications répétées de

ceux-ci ont amené les gouvernements à légiférer pour « protéger les

consommateurs ». Les conflits ont alors diminué. Certaines grandes chaînes ont

même établi leurs propres mécanismes d’évitement de conflits potentiels.

38

4.4 L’offre formelle et informelle

L’offre formelle fait référence à la prestation de services juridiques par les

avocats et les notaires. Quant à l’offre informelle, elle vient de toutes les autres

formes de services provenant des professionnels du droit ou non.

Pour une majorité de ménages à revenus moyens, lors de relations difficiles ou

de conflits qui peuvent surgir, le système de justice est perçu comme étant

dispendieux et souvent disproportionné par rapport aux enjeux dont il est

question, c.-à-d. la valeur économique du litige ou de la question juridique à

résoudre. L’offre de services juridiques ne s’étend pas qu’au système formel tel

qu’il est connu. Les parents ou amis qui interviennent en premier lieu lors d’une

situation ayant un volet juridique ne sont que très rarement avocat ou notaire. En

effet, ce qui ressort du sondage effectué dans le contexte de cette étude, c’est

que les ménages en quête d’une solution à leur questionnement recherchent

d’abord la réponse auprès de personnes de leur entourage. Une employée de

bureau, par exemple, qui se sent lésée consultera ses relations au travail et

cherchera conseil sur la démarche à suivre auprès de ceux-ci.

En ce qui a trait à l’accès à la justice, différentes études arrivent à des

conclusions similaires selon lesquelles l’offre formelle ou informelle de services

juridiques se révèle très souvent insuffisante dans de nombreuses situations16. En

effet, le cadre légal formel en usage au Québec est souvent incapable de

garantir l’accès à la justice à l’intérieur de coûts à la portée de la classe

moyenne et dans un délai raisonnable.

Les résultats de sondages sur les besoins en services juridiques réalisés dans les

pays industriels auprès des ménages (hors aide juridique) indiquent qu’environ

45 % d’entre eux qui font face à une situation pouvant avoir un effet sur leur vie

ne cherchent pas à accéder à la justice. Dans le cas de ceux qui accèdent au

système, ils acceptent souvent des compromis non satisfaisants à cause des

coûts et des délais17.

L’offre de services juridiques est donc associée à des coûts élevés. Pourtant, bon

nombre de situations reliées au fonctionnement quotidien de la vie en société

tels le travail, la famille ou le voisinage, pourraient, avec l’aide d’un médiateur

expérimenté, se régler en quelques heures.

16 Buck, A., Pleasance P. et al. « Do Citizens Know How to Deal with Legal Issues? Some Empirical

Evidence », Journal of Social Policy, 2008. 17 Hadfield, G. K., « Higher demand Lower Supply? A Comparative Assessment of the Legal

resources Landscape for Ordinary Americans », Gould School of Law, 2009.

39

4.5 Le fonctionnement du marché de la justice

4.5.1 Les professionnels dans le marché de la justice

Les services juridiques sont essentiels au bon fonctionnement de la démocratie.

Les résultats d’analyses d’experts semblent démontrer que les coûts de

production de ces services ne seraient pas trop élevés.

Cependant, leurs modes de distribution, c.-à-d. leurs points de services, dans

lesquels l’État joue un rôle de premier plan, semblent inefficaces en matière de

prix et de l’accessibilité aux ménages à revenus moyens. Toutes choses étant

égales par ailleurs, cela signifie que le marché des services juridiques comporte

un nombre donné d’imperfections.

Les analyses sur le marché des services juridiques rendus par les professionnels du

droit catégorisent ces derniers comme les autres services professionnels. Dans ce

contexte d’un service professionnel rendu, le coût de transaction entre l’avocat

ou le notaire et le client porte sur l’« asymétrie d’information ».

L’asymétrie d’information, soit l’incapacité pour le ménage d’établir la valeur

d’un service juridique, est le corollaire de l’appréciation de la qualité du service

et de celui qui le rend. Le service juridique est un « produit de confiance », et ce,

au même titre que les autres services professionnels. Cet état de fait rend très

difficile la mesure pour le client de la valeur ajoutée du service qu’il reçoit.

Comment le ménage peut-il distinguer un excellent service juridique par rapport

à un médiocre? Comment le ménage peut-il évaluer qu’il a payé un prix élevé

pour un service de qualité moindre18?

De plus, bon nombre d’économistes estiment que le marché des services

juridiques est trop réglementé. Cette règlementation se traduit par une entrée

limitée sur le marché (ordres professionnels), par peu d’innovation de la part des

praticiens et par des coûts qui parfois sont disproportionnés par rapport à la

valeur ajoutée. Nonobstant ce qui précède, certains auteurs soutiennent que

des forces du marché amènent certaines pratiques autrefois qualifiées de

complexes vers des applications plus universelles. Il s’agit du service devenu

« commodité19 ».

18 Stephen, F. H., « An Economic Perspective on the Regulation of the Legal Services Markets»,

Committee Inquiry Into the Regulation of Legal Services », Great Britain, 2006. 19 Susskind, R., « The End of Lawyers: Rethinking the Nature of Legal Services », Oxford University

Press, 2008.

40

4.5.2 Les cours de justice

La littérature existante démontre que, majoritairement, l’analyse des cours de

justice est réalisée par des chercheurs issus des milieux juridiques. Certains

auteurs ont tenté de mesurer l’efficience des tribunaux 20 . Au Canada, les

contenus du livre vert traitant de la réforme des tribunaux en Colombie-

Britannique sont porteurs de pistes intéressantes21. Le livre vert met en évidence

un constat transversal au sein des économies avancées, soit, notamment, la

diminution historique du nombre de dossiers inscrits mais, à l’opposé, des coûts et

des délais en croissance. Le livre vert stipule que le fonctionnement des

tribunaux doit changer parce qu’il est essentiel aux familles et aux emplois dans

l’économie.

Au Québec, le projet de réforme de la procédure civile constitue un certain

progrès. Les contenus visent à simplifier et à améliorer la procédure, ce qui

devrait se traduire par des économies de coûts et de délais. Le ministre de la

Justice du Québec a émis les propos suivants22 :

«Les changements aux règles actuelles sont proposés pour rendre la justice civile

beaucoup plus accessible, tout en préservant le droit de toutes les parties de

faire valoir leurs droits auprès du tribunal. Ainsi, dans le but de réduire les délais

de justice, le projet de loi met l'accent sur les modes amiables de règlement des

conflits, comme la médiation ou la conciliation, des modes plus conviviaux,

accessibles et rapides.

De plus, pour les parties optant pour la voie judiciaire traditionnelle, le projet de

nouveau Code de procédure civile prévoit que les demandes, les actes de

procédure et les moyens de preuve devront être proportionnés à la nature et à

la complexité de l'affaire en cause. Il est aussi accordé aux juges des pouvoirs

accrus de gestion, notamment pour assurer le respect des principes de

proportionnalité et de coopération inscrits dans ce nouveau Code de

procédure civile. Ils pourraient le faire, par exemple, en examinant le nombre

d'interrogatoires et d'expertises, deux éléments maintes fois dénoncés comme

sources importantes de frais ou de délais pour le citoyen. »

Ces réformes sont bienvenues. Cependant, faire passer le plafond monétaire de

la Division des petites créances de 7 000 $ à 15 000 $ constitue-t-il une avancée

suffisante? Ce seuil est de 25 000 $ en Alberta (2006) et en Ontario (2010).

20 Fix-Fierro, H., « Courts, Justice and Efficiency: a Socio-Legal of Economic Rationality in

Adjudication », Hart Publishing, 2004. 21 Minister of Justice and Attorney General, « Modernizing British Colombia’s Justice System », 2012. 22 Québec, le 30 avril 2013 /CNW Telbec/ - Le ministre de la Justice et Procureur général du

Québec, monsieur Bertrand St-Arnaud, a déposé le projet de loi no 28 instituant le nouveau Code

de procédure civile.

41

Dans la même veine, la réforme de 2010 au Nouveau-Brunswick a fait passer le

seuil monétaire des petites créances à 30 000 $23. En 2013, sur la base de la

valeur économique des échanges courants chez les ménages à revenus

moyens, un seuil de 15 000 $ est plutôt réducteur de la réalité économique du

XXIème siècle.

La problématique de la Division des petites créances est criante : le nombre de

dossiers inscrits est passé de quelque 75 700 en 1980 à moins de 19 900 en 2011. Il

n’y a pas que le plafond auquel il faille s’intéresser. Nous reviendrons plus loin sur

différentes pistes susceptibles d’améliorer l’accès à la justice pour les ménages à

revenus moyens.

4.6 Les tendances du marché de la justice

Comme énoncé précédemment, il n’existe pas un mais plusieurs marchés de la

justice. Le segment de la classe moyenne est soumis à des impératifs différents.

Cette classe « tampon », prise entre ce que l’État offre gratuitement aux plus

démunis et, à l’autre extrémité, les citoyens mieux nantis qui peuvent accéder à

des services complets, aurait, semble-t-il, renoncé dans bien des cas à faire

valoir ses droits.

Différentes tendances susceptibles d’avoir des répercussions sur les sociétés

industrialisées ont été identifiées précédemment. Rappelons notamment que les

utilisations accrues de la technologie dans toutes les sphères de l’activité

économique au Québec continueront de modifier non seulement la pratique du

droit, mais également la demande de services. Les consommateurs

bénéficieront d’une meilleure information et, de plus, ils pourront identifier des

substituts.

Outre la technologie, c’est la rémunération des avocats et des notaires qui va

changer. Le développement de la technologie facilite l’offre de produits de

commodités et les ménages paieront un prix conséquent à la valeur ajoutée du

service acheté.

De même, dans le contexte du projet de réforme du Code de procédure civile,

les avocats devront s’ajuster à certains changements qui modifieront les façons

de faire. Dans le cas de litiges dits classiques, il faut souligner l’ajout des

Méthodes appropriées de règlement de conflits (MARC), et les considérations

apportées à la valeur économique des litiges constituent des changements qui

auront un impact certain sur les situations où les ménages pourraient ne pas voir

pas l’utilité de recourir aux professionnels du droit.

23 Ministère de la Justice du Nouveau-Brunswick, « Règle 80 », 2010.

42

5 LE PANIER DE SERVICES JURIDIQUES : L’OFFRE POUR LES

MÉNAGES À REVENUS MOYENS

5.1 L’architecture classique de l’offre

Le diagramme ci-dessous établit les principales composantes de l’offre de

services juridiques.

Diagramme 2

L’offre de services juridiques

Le diagramme met en évidence les composantes de l’offre de services

juridiques. Les services juridiques correspondant aux « actes réservés » sont

considérés pour les avocats et les notaires comme le marché primaire. Les actes

exclusifs de l’avocat (art. 128 et 129 de la Loi sur le Barreau) et du notaire (art. 15

et 16 de la Loi sur le notariat) ont également subi l’assaut de forces externes au

marché.

L’offre de services juridiques au Québec

Magistrature

Les actes non exclusifs

Travailleurs professionnels et autres qui

rendent des services juridiques

Les avocats et

les notaires

Différents

organismes,

véhicules,

plateformes

Économie

sociale

Technologie

(WEB, médias

sociaux)

Cliniques

juridiques, Centres

de proximité,

ÉDUCALOI, PRO

BONO

Les tribunaux de

première

instance, TAQ

Notaires

Avocats

La première ligne

de l’industrie des

services

juridiques

Les actes réservés

La magistrature, les avocats et les notaires

43

Par exemple, le temps consacré à des actes exclusifs pour l’avocat a diminué

au cours des 30 dernières années en passant à près de 75 % en 1981 à un peu

plus de 50 % en 200824. En ce qui concerne les notaires, par leur rôle d’officier

public, certains actes devant être obligatoirement notariés, nous ne disposons

pas de statistiques quant aux variations telles que celles des avocats.

Cependant, il appert que le notaire a développé au cours des années une

expertise en procédure non contentieuse, par exemple en matière de tutelle et

curatelle, de régime de protection, de mandat donné en prévision d’une

inaptitude, de vérification de testaments, etc. Ces services permettent au

citoyen de recourir aux services du notaire plutôt que de devoir présenter une

requête devant un tribunal, diminuant ainsi les délais et les coûts. Ces services

sont en constante augmentation depuis leur introduction dans la loi.

Dans la partie gauche du diagramme, des organismes ou plateformes offrent à

la disposition des ménages à revenus moyens des services non exclusifs aux

avocats et aux notaires. Une gamme variée de services juridiques, soit de

l’information ou encore de l’assistance pour aiguiller ces derniers, est disponible

rapidement et gratuitement.

À droite du diagramme, rappelons que les tribunaux de première instance ont

vu leurs clientèles chuter de façon substantielle au cours des 30 dernières

années. Au total, le nombre de dossiers inscrits est passé de 246 000 en 1980 à

118 890 en 201125. C’est là un signe majeur du changement structurel sur le

marché. Dans ce cas-ci, l’offre a augmenté, comme nous le verrons, mais le

potentiel de ce segment de marché a chuté de 51,7 %. Nous y reviendrons plus

loin.

Donc, sur le plan de la conjoncture du marché, on assiste à un effritement des

segments traditionnels. Parallèlement, des produits substituts à l’offre

traditionnelle sont apparus sur le marché.

24 Selon les résultats des enquêtes quinquennales réalisées par le Barreau du Québec depuis 1981.

La dernière version a été produite en 2008 (Enquête socioéconomique auprès des membres du

Barreau du Québec - CIRANO). 25 Il s’agit de la Cour du Québec (Petites créances, Chambre civile) et de la Cour supérieure

(Chambre civile, Chambre de la famille, Chambre du divorce). Source, Justice Québec pour les

années 1980 à 2011 inclusivement.

44

5.2 Avocats et notaires : les officiers de justice de première ligne

5.2.1 L’évolution des effectifs

Les avocats et les notaires sont les professionnels qui constituent, en 2013, la base

de l’architecture de l’offre de services juridiques. Cette offre s’est accrue au

cours de la dernière décennie. Il convient de situer l’évolution du nombre de

praticiens en fonction de l’évolution de la population. Nous reviendrons sur l’état

des effectifs en 2012 en comparaison de ceux du réseau de la santé.

Le tableau qui suit présente l’évolution du nombre d’avocats et de notaires

entre 2002 et 2012.

TABLEAU 9 Croissance du nombre d’avocats et de notaires

Variables 2002 2007 2012 Variation

2002/2012 ( %)

Avocat 19 768 22 575 24 458 23,7

Par 100 000 habitants 264 291 304 15,0

Notaires 3 144 3 412 3 838 22,1

Par 100 000 habitants 42 44 48 13,5

Total/100 000 habitants 306 335 351 14,8

Produit intérieur brut (PIB) 232,9 G $ 314,1 G $ 325,1 G $ 39,6

Source: Office des professions du Québec (Statistiques annuelles), ISQ (Données sur le PIB).

Les taux de croissance des avocats et des notaires sont similaires : 23,7 % et

22,1 % respectivement sur la décennie, soit un différentiel de 1,6 %. La croissance

du nombre de ces professionnels par 100 000 habitants est inférieure au taux

d’accroissement du nombre de membres pour chacun des ordres. La répartition

géographique des avocats et des notaires au Québec est présentée à

l’annexe I.

Dans la même veine, des analyses récentes démontrent que le nombre

d’avocats et de notaires au sein des pays à économies avancées est à peu près

similaire26. Des différences sont à noter au sein de l’Union européenne, mais dans

l’ensemble, les écarts les plus importants touchent les juridictions de l’Europe de

l’Est27.

26 Comité sur les problématiques reliées à la pratique privée et l’avenir de la profession, « Les

avocats de pratique privée en 2021 », Barreau du Québec, 2011. 27 Commission européenne pour l’efficacité de la justice, « Systèmes judiciaires européens », Édition

2012, Conseil de l’Europe.

45

5.2.2 Y a-t-il surplus ou insuffisance de l’offre de professionnels du droit ?

Une question survient de façon récurrente en regard du nombre de

professionnels du droit dans le marché. Les économistes s’entendent pour situer

cette analyse à l’intérieur des paramètres de la croissance du PIB. Le tableau

précédent indique que le PIB s’est accru de 39,4 % sur la décennie. Ce taux est

de loin supérieur à l’évolution des effectifs avocats et notaires pendant la même

période. Ainsi, sur cette base, il n’y aurait pas d’excédent quant à l’offre de ces

professionnels du droit sur le marché au Québec.

Nonobstant ce constat, des analyses plus pointues produites récemment

n’arrivent pas tout à fait aux mêmes conclusions28. Aux États-Unis, un universitaire

estime, sur la base d’une analyse qualitative, qu’il y a carrément un excès de

l’offre d’avocats dans ce pays. Selon les résultats de cette étude, cette situation

existerait également au sein d’autres juridictions29.

Toujours sur cette question d’excès de l’offre, un autre économiste a analysé la

question sous deux aspects plutôt novateurs, soit mesurer la performance du

droit et des professionnels du droit à titre de « facilitateurs des échanges

économiques » et comme ceux qui « redistribuent la richesse30 ». Les résultats

sont plutôt étonnants.

Le modèle de l’économiste porte sur l’analyse de la croissance économique

mesurée sur une période de 37 ans (1970-2007), pour des échantillons de 27, 33

et 40 pays. Fait intéressant de l’auteur, les échantillons comprennent autant de

pays à économies avancées que de pays à économies émergentes. Le résultat

marquant de cette analyse chronologique est qu’il existe un nombre « optimal »

d’avocats pour une économie donnée. Aux États-Unis, un groupe d’avocats

équivalant à 38 % des effectifs totaux font que ce pays est au-dessus de

l’optimum économique.

Appliquer ce modèle au Québec produit des résultats inquiétants. L’excès de

l’offre se traduirait par plusieurs milliers de professionnels en trop.

Pour l’auteur de l’analyse, le travail des avocats à titre de facilitateurs des

échanges économiques se traduit par des bénéfices nets en matière de respect

du droit de la propriété et de l’ordre social. L’absence d’un État de droit sous le

contrôle des civils anéantit ce rôle de facilitateur. C’est au point de vue de la

distribution de la richesse que le rôle des avocats est moins évident.

28 Rampell, C., « The Lawyer Surplus, State by State », Economic Modeling Specialists Inc., 2013. 29 Harper, S. J., « The Lawyers Bubble: A Profession in Crisis », Basic Books, 2013. 30 Magee, S., P., « The Optimum Number of Lawyers », Department of Finance, University of Texas,

2010.

46

L’offre excédentaire d’avocats provoque des ondes de chocs importants dans

la redistribution de la richesse collective. Les avocats sont en partie responsables

du lien souvent mal adapté entre les institutions et la société.

Sur une base théorique, les groupes qui retirent le plus de bénéfices du

dysfonctionnement des institutions démocratiques seront les plus enclins à

bloquer les réformes ; de puissants groupes de pression vont investir

massivement dans le « lobbying » tant et aussi longtemps que les bénéfices

surpasseront les coûts ;

Les services publics gratuits créent des effets pervers lorsque leur nombre

dépasse la capacité de production de l’État ; dans le cas du système

judiciaire, les individus considèrent les coûts comme excessifs ; toutefois, ces

usagers, par le truchement de l’offre de biens publics, n’en paient pas le vrai

prix ; voilà qui explique, en partie du moins, le faible niveau d’investissements

dans le système et l’engorgement des tribunaux ;

L’expectative de la rente économique à retirer d’un facteur de production

doit être supérieure au rendement du marché ; appliqué au droit, le système

de justice est le principal intervenant dans la détermination du droit de la

propriété ; dans le cas de litiges, les avocats deviennent alors les facteurs de

production pour déterminer la propriété ; l’asymétrie d’information permet à

l’avocat d’accaparer une portion substantielle de la rente découlant de la

propriété de l’information ;

Le vieillissement des institutions démocratiques peut rendre le

fonctionnement de la société moins efficace. Les institutions juridiques

vieillissent mal, ce qui n’est pas le cas du droit, car celui-ci s’adapte aux

nouvelles réalités ; le mal fonctionnement des institutions accroît le taux de

rendement privé des avocats, ce qui favorise l’arrivée d’un plus grand

nombre d’avocats chaque année ; ce phénomène se traduit par plus de lois

et plus de règlements ainsi que par l’intervention de puissants lobbys qui,

conjointement, ne militent pas nécessairement pour une meilleure utilisation

des ressources rares de l’économie ; et

Finalement, l’auteur s’interroge sur les effets d’un contingentement de la

profession ; deux écoles de pensée s’opposent sur ce sujet, d’un côté, les

tenants de la limitation de l’accès à la profession et, de l’autre, ceux pour qui

l’offre et la demande constituent le meilleur mécanisme de régulation dudit

marché ; ce n’est pas le marché des services juridiques qui pose problème ;

le problème découle plutôt des rendements excessifs reliés au contrôle des

avocats sur des institutions juridiques bureaucratisées de façon excessive. Il

faut évidemment situer ces constats dans leurs contextes respectifs. Les États-

Unis possèdent un nombre élevé d’avocats par 100 000 habitants, soit 368.

Les citoyens américains ont également la réputation d’être plus « litigieux »

que les Canadiens et les Québécois. Cependant, convenons que certains de

47

ces résultats constituent des pistes de réflexion intéressantes quant à l’excès

de l’offre.

5.2.3 La santé de l’État de droit versus la santé de ses citoyens

Toute comparaison entre des professions est hasardeuse. Toutefois, en tenant

pour acquis que l’État de droit est garant des libertés, du bon fonctionnement

de l’économie et des relations harmonieuses entre les citoyens, nous avons vu

auparavant que les ressources financières consacrées à cet édifice sont faibles.

Qu’en est-il du nombre de professionnels susceptibles d’assurer ces

fonctionnements ?

Le tableau ci-après fait état des professionnels de première ligne.

TABLEAU 10 Effectifs avocats/notaires versus médecins/infirmières

Provinces

Avocats-notaires Par 100 000 habitants

Médecins-

infirmières Par 100 000 habitants

Ratio

Santé/droit

Québec 351 1 025 3

Ontario 312 858 3

Alberta 327 924 3

Colombie-Britannique 268 842 3

Source: Office des professions du Québec, Statistique Canada.

Comme il fallait s’y attendre, le ratio des professionnels de la santé et du droit

traduit une réalité où il y a trois fois plus des premiers que des seconds. Il ne s’agit

pas d’évaluer la valeur d’une profession relativement à une autre. Cette

observation met en évidence le fait que, malgré l’importance stratégique de

l’État de droit, la société ne dispose que de peu de ressources humaines.

5.2.4 Les modes appropriés de résolution de conflits (MARC)

Quand survient un conflit ou une situation à contenu juridique, les ménages de

la classe moyenne ont souvent le réflexe de se tourner vers la justice

traditionnelle. D’autres avenues s’offrent cependant à eux. Les MARC

constituent l’une des pistes parmi les plus intéressantes pour accroître de façon

substantielle l’accès à la justice. Plusieurs aspects du projet de réforme du Code

de procédure civile devraient favoriser rapidement le taux de pénétration des

MARC.

Le projet de réforme du code prévoit que les ménages doivent tenter de

s’entendre par tous les moyens mis à leur disposition avant de s’adresser aux

48

tribunaux de première instance. Le projet de réforme du code stipule également

que les procédures doivent être proportionnelles à la hauteur des enjeux

financiers. Donc, la justice ne doit plus être uniquement entre les mains des

ménages/entreprises/organisations qui ont les moyens d’y faire obstacle.

Les MARC portent essentiellement sur la négociation, la conciliation, la

médiation et l’arbitrage. Il y a peu de données statistiques sur ces segments de

marché. Les dernières enquêtes qui traitaient de justice participative datent de

2008 et 201131. Dans une proportion de 39,5 % des membres, les avocats du

Québec estimaient à ce moment qu’il s’agissait là de la principale occasion

d’affaires.

Le Barreau du Québec s’est penché très tôt sur les MARC. Dès la fin des années

1990, un comité s’est intéressé à ceux-ci et au développement de ce segment

de marché. Le Comité de médiation en matière familiale a été formé en 1997 et

celui en matière civile et commerciale a vu le jour en 2002. En 2003, les deux

comités sont devenus le Comité de justice participative (Barreau du Québec).

Plus récemment, en février 2013, un service des règlements de différends (projet

pilote) a été mis sur pied pour les litiges en matière civile et commerciale dont la

valeur ne dépasse pas 25 000 $32. Ce projet s’inscrit dans la lignée du règlement

de conflits hors des recours classiques. L’un des volets originaux de ce nouveau

service porte l’attribution d’un « forfait » à l’avocat, ce qui établit un niveau de

certitude quant aux coûts, en plus d’éliminer des délais. Le service met à la

disposition des usagers potentiels une banque de médiateurs à forfaits.

Quant à la profession notariale, elle s’est également intéressée aux MARC depuis

plusieurs années. En effet, le notaire, par son rôle impartial, peut tout à fait, à

l’instar des avocats, jouer un rôle de médiateur. Il existe d’ailleurs plusieurs

accréditations, en médiation familiale, en médiation civile et commerciale et

aux petites créances. Le nombre de notaires accrédités est respectivement de

147, 15 et 370.

Ces initiatives s’inscrivent dans la lignée des réformes récentes annoncées par le

ministre de la Justice du Québec.

31 Barreau du Québec, « Enquête socioéconomique auprès des membres du Barreau du

Québec », CIRANO, 2009, et Chambre des notaires du Québec, « Enquête sur la profession en

2011 », Ipsos Descarie. 32 Projet pilote sous la responsabilité du « Service du développement et du soutien à la profession »

du Barreau du Québec, février 2013.

49

5.2.5 Le recours ultime : les tribunaux de première instance

Le recours aux tribunaux peut se mesurer par le nombre de dossiers inscrits

devant les premières instances. C’est un fait connu : sur une base historique, le

nombre de dossiers inscrits a diminué.

TABLEAU 11 Activité judiciaire au Québec

Tribunal 2002 2005 2011 Variation

2011/2002

Cour Du Québec

Chambre civile 60 868 52 055 26 374 (56,7 %)

Cour du Québec

Division des Petites créances 29 044 27 611 19 901 (31,5 %)

Cour supérieure

Chambre civile 19 088 13 826 15 163 (20,6 %)

Cour supérieure

Chambre de la famille 17 049 15 551 13 975 (18,0 %)

Cour supérieure

Chambre du divorce 19 028 16 639 14 535 (23,6 %)

Tribunal administratif

du Québec 33 606 42 337 30 719 (8,6 %)

TOTAL 178 683 168 019 120 667 (32,5 %)

Source: Justice Québec.

Ce tableau indique qu’au total le nombre de dossiers traités devant les tribunaux

de première instance a chuté du tiers, soit de 32,5 %. Les coûts et les délais

arrivent au premier rang des explications sur ces baisses au cours de la

décennie. La diminution du nombre de dossiers pourrait non seulement

s’expliquer par l’utilisation non seulement des MARC par les avocats et les

notaires, mais également de procédures non contentieuses par ces derniers.

50

5.2.6 L’information juridique

L’accès du grand public à l’information juridique

Jusqu’à tout récemment, l’information juridique ne s’adressait qu’aux membres

de la profession, aux universitaires et aux étudiants. Le volet affaires ou

professionnel ne fait pas l’objet de la présente analyse. Le volet grand public a

fait son apparition il y a une quinzaine d’années. La diffusion universelle de

l’accès à Internet, stimulée par une baisse substantielle des coûts de connexion,

par la facilité d’usage des moteurs de recherche et par la disponibilité d’une

gamme variée d’appareils, a permis d’accéder aux marchés grands publics.

Ainsi, les décisions des tribunaux judiciaires et administratifs et les textes de loi

sont accessibles sans frais sur Internet. De plus, les cliniques juridiques

universitaires ou communautaires diffusent de l’information juridique. L’un des

organismes apparemment parmi les plus en vue est Éducaloi. Depuis plus de 10

ans, cette entreprise, supportée par le Barreau du Québec, la Chambre des

notaires et la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ), serait

devenue un leader pour la vulgarisation de concepts juridiques. Les taux de

fréquentation du site Internet d’Éducaloi ainsi que les demandes de

renseignements ou de prestation de services témoigneraient de son succès.

Toutefois, il faut rappeler que la clientèle grand public n’est pas homogène.

Comprendre de l’information juridique même vulgarisée nécessite une certaine

maîtrise de la lecture et de la déduction. Ainsi, selon les statistiques les plus

récentes, ce sont 49 % des Québécois de 16 à 65 ans qui se classent en bas des

2 niveaux de compétence en lecture33. Cela se traduit par 800 000 Québécois

analphabètes alors que 1 700 000 disposent de faibles compétences en lecture.

De ce total, 45 % occupent actuellement un emploi. Depuis les 20 dernières

années, environ le quart des jeunes décroche de l’école chaque année, et ce,

avant l’obtention du premier diplôme équivalant à celui de cinquième

secondaire. Il est difficile alors de segmenter le marché de ces citoyens, qu’ils

soient de la classe moyenne ou non.

33 Fondation pour l’alphabétisation, « Rapport annuel 2012 ».

51

Finalement, il faut mentionner ici la mise sur pied de projets pilotes des Centres

de justice de proximité de Justice Québec34. Les Centres de justice de proximité

souhaitent promouvoir l’accès à la justice pour les citoyens. Ils offrent des

services d’information, de soutien et d’orientation. Ces services sont

complémentaires aux ressources existantes. Ils constituent une source

d’information juridique proche des citoyens et visent notamment à rendre la

justice plus accessible et à accroître la confiance dans le système.

Les publications portant sur le droit

Les publications format papier sont encore fort nombreuses, qu’il s’agisse de

livres, de revues ou de magazines. Toutefois, la révolution numérique fait en sorte

que ces publications, dans un avenir rapproché, sont en voie d’être offertes sous

forme électronique uniquement. La migration des collections et autres

documentations vers le virtuel dans les grandes bibliothèques dont celles des

universités, s’accélèrent. La chute conjoncturelle des ventes de pâtes et papiers

et de papiers fins témoigne des changements en cours.

C’est par le biais de dizaines de sources que les milieux juridiques ont accès à

des collections, à des recueils, à de la jurisprudence ou encore à de la doctrine

« en ligne ». L’offre d’information est très segmentée sur la base de la langue, de

la géographie et du type de pratique des avocats.

Enfin, plusieurs initiatives ont été mises sur pied par différents organismes,

notamment par les ordres professionnels, afin d’informer le public de ses droits et

obligations. Le service de première ligne 1-800-NOTAIRE génère 50 000 appels

par année. Ce service a mis en ligne un site internet orienté en fonction des

besoins du grand public et de lancer un service 1-800-NOTAIRE 2.0 (en ligne pour

le grand public).

34 Le projet pilote comprend les centres à Montréal, Québec et Rimouski.

52

5.3 L’architecture informelle de l’offre

5.3.1 Les professionnels non avocats

La présence de professionnels non avocats auprès des ménages de la classe

moyenne est encore très peu répandue au Québec.

5.3.2 Les organismes communautaires qui offre des services juridiques

La dernière étude exhaustive sur le sujet date d’une huitaine d’années 35. Il s’agit

majoritairement d’organismes à but non lucratif (OBNL). Selon les résultats de

cette étude, on recense 46 690 organismes communautaires au Québec. Sur la

quinzaine de secteurs d’activités, 930 de ces organismes offrent des services en

droit et en assistance juridique. Ce nombre est non négligeable et, dans la

sphère des milieux de l’économie sociale, il ajoute du poids à l’offre formelle.

Le financement de ces OBNL provient du gouvernement (69 %), d’activités

d’autofinancement (29 %), de dons (5 %) et d’autres sources variées (2 %). Il

serait utile de recenser les types d’interventions de ces organismes.

5.3.3 Internet

L’usage d’Internet

Le tableau qui suit dresse le profil de l’usage d’Internet, ou des technologies de

l’information et de la communication (TIC), au Québec.

TABLEAU 12 Usage des TIC selon les segments de la population

Segment Âge Utilisateurs de l’Internet Usage

Génération Y 18-34 93,4 % réguliers

2,7 % occasionnels 9,1 h/semaine à la maison

Génération X 35-44 91,0 % réguliers

3,6 % occasionnels 8,2 h/semaine à la maison

Jeunes Boomers 45-54 82,1 % réguliers

5,5 % occasionnels 8,1 h/semaine à la maison

Boomers 55-64 70,1 % réguliers

6,5 % occasionnels 7,1 h/semaine à la maison

Aînés 65 + 40,6 % réguliers

8,6 % occasionnels 8,1 h/semaine à la maison

Source: CEFRIO, « Cinq générations d’internautes : profil des usagers des TIC en 2011 »,

NETendances, 2012.

En 2012, en ce qui a trait à l’usage global d’Internet au Québec, 78,9 % des

adultes affirment l’avoir utilisé au moins une fois au cours de la semaine

précédant le sondage. Le taux est stable alors qu’il était à 79,1 % en 2011.

35 Alliance de recherche – universités communautés en économie sociale – Équipe UQAM, « Le

secteur sans but lucratif et bénévole au Québec », 2006.

53

Le taux d’Internautes réguliers est plus faible en fonction du groupe d’âge : chez

les adultes québécois de 18 à 34 ans (93,4 %), de 35 à 44 ans (91,0 %), de 45 à 54

ans (81,2 %), chez les 55 à 64 ans (70,1 %) et chez les citoyens de 65 ans et plus

(40,6 %).

Au Québec, les adultes dont le revenu familial annuel moyen se situe dans une

fourchette de 40 000 $ à 59 999 $, le taux est élevé (90,5 %). Il en est de même

pour ceux qui ont un revenu familial annuel moyen supérieur à 60 000 $ (93,4 %).

Ces derniers sont proportionnellement plus nombreux à utiliser Internet

régulièrement. Enfin, les groupes socioprofessionnels où l’on trouve les plus forts

utilisateurs réguliers d’Internet sont les étudiants (92,8 %), les professionnels

(97,3 %) et les cols blancs (91,1 %).

Il ne fait aucun doute que les ménages à revenus moyens ont accès à Internet

sur une base régulière. Ils peuvent alors, si cela est requis, procéder à une

recherche d’information juridique en ligne.

Internet et l’information juridique

Une recherche rapide sur Google Canada en avril 2013 a produit les résultats

suivants pour les mots clés « information juridique » et une multitude de variantes

sur ces derniers. La quantité d’information obtenue par cette recherche anglais-

français en ligne est la suivante :

745 000 pour les termes « produits juridiques »;

1 150 000 pour les termes « services juridiques »;

1 780 000 pour le terme « avocat »;

690 000 pour le terme « notaire »;

1 990 500 pour les termes « fournisseurs de services juridiques ».

Ces résultats font état de possibilités illimitées. Évidemment, la recherche en

anglais en produit beaucoup plus. Il faut également tenir compte du volet

mondial du Web où, pour le français, de l’information juridique provenant

d’autres juridictions francophones que le Québec apparaissent. Ce constat vaut

également pour la recherche en anglais.

Notons que cette masse d’information est assujettie à de nombreuses

contraintes, la première étant la complexité de l’information et de

l’interprétation des liens ou des impacts avec les situations.

54

La justice ne fait pas exception aux autres secteurs d’activités présents sur la

Toile. Il faut prendre en considération le fait que le citoyen ordinaire ne peut

prétendre à une maîtrise de concepts qui débordent son expertise et son

quotidien.

5.3.4 Les publications et émissions spécialisées

Les ordres professionnels du droit jouent un rôle de premier plan dans la

production de documentation spécialisée. Les publications ou les émissions ont

comme objectif d’informer les ménages à revenus moyens sur certains risques

pointus reliés à la vie courante. Ces risques émanent en grande partie de la

consommation courante.

Des groupes tels que « Protégez-vous » portent spécifiquement sur la protection

du consommateur36. Leurs secteurs d’intervention sont assez larges et couvrent

l’alimentation, la technologie, l’automobile, l’habitation, les affaires, les loisirs et

la famille. Le droit est omniprésent dans le processus de consommation. Pour les

volets juridiques grand public, le groupe collabore avec différents intervenants

du milieu. Qu’il s’agisse d’articles, de guides d’achat ou de recours contre les

vendeurs, les questions juridiques sont transversales.

Finalement, l’émission La Facture est également une source d’informations

juridiques non négligeable37.

36 Le site « Protégez-vous.ca » constitue une manne d’informations destinées au grand public. 37 Le site « Radio-Canada.ca » est également une source à consulter.

55

6 L’ACCÈS À LA JUSTICE POUR LES MÉNAGES À REVENUS

MOYENS : LA DEMANDE EXPRIMÉE

6.1 Différentes enquêtes auprès des justiciables

Les résultats d’évaluation ou d’enquêtes sur les besoins en services juridiques

pour les justiciables sont en nombre limité.

6.1.1 Au Canada, en Ontario et au Québec

À quoi ressemble la demande de services juridiques pour la majorité de

justiciables à revenus moyens ? Les résultats de deux études, réalisées l’une au

niveau canadien et l’autre en Ontario, font état de résultats intéressants38.

TABLEAU 13 Problématiques juridiques des ménages à revenus moyens

Nature des problèmes Canada-2005

( %)

Ontario-2010

( %)

Endettement 22,3 5

Consommation 19,2 2

Emploi 17,4 9

Logement 5,4 10

Familial (séparation-divorce) 5,2 28

Dommage corporel 4,7 7

Testament-Inaptitude 4,0 13

Risques de poursuite en justice 3,7 3

Assistance sociale 3,5 1

Discrimination 3,5 2

Relation avec les corps policiers 3,1 0

Pensions d’invalidité 2,6 2

Autres problèmes de nature familiale 2,4 0

Hospitalisation 2,2 1

Immigration-statut de réfugié 0,8 2

Voisinage 0 3

Code de la route-circulation 0 3

Criminel-pénal 0 9

Source: Upper Canada Law Society, Listening to Ontarians – Ontario Civil Legal Needs Project,

2010.

38 Currie, A., « A National Survey of the Civil justice Problems of Low and Moderate Income

Canadians: Incidence and Patterns », Justice Canada 2005; Upper Canada Law Society, «

Listening to Ontarians – Ontario Civil Legal Needs Project », 2010.

56

Au Canada, en 2005, les résultats indiquent que près de 60 % des problèmes

observés relèvent de l’endettement, de la consommation et de l’emploi. Pour

les autres catégories, le poids diminue rapidement. Fait surprenant, ces

catégories représentent 16 % des problématiques en Ontario en 2010, le poids

majeur étant pour le droit familial (28 %).

Ainsi, le profil du Canada versus celui d’une province spécifique, l’Ontario en

l’occurrence, traduit des différences significatives sur le plan des problématiques

juridiques vécues. Les caractéristiques socioéconomiques (emploi, revenus)

d’une province ainsi que son profil démographique (âge, communautés

culturelles) influent grandement sur la demande de services juridiques. Il faut

également prendre en considération l’écart dans le temps pour ces deux

enquêtes.

Une enquête à portée plus restreinte réalisée au Québec fait état d’une

similitude avec l’Ontario au regard de problèmes en matière familiale (23 %)39.

Là s’arrête la comparaison, l’étude portant plutôt sur les institutions de la justice

et non sur les besoins des ménages de la classe moyenne en tant que tels.

6.1.2 Les besoins en justice civile : une analyse comparative

Différents résultats ont été compilés sur les besoins en services juridiques de la

classe moyenne au sein des pays de l’OCDE. Le problème premier en est

évidemment un de comparabilité des résultats d’une juridiction à l’autre.

L’année de réalisation des enquêtes peut également influer sur l’analyse.

Néanmoins, les résultats suivants pour la classe moyenne méritent d’être

soulignés :

Aux États-Unis (2004), 52 % de ce groupe ont connu des situations juridiques40;

Au Canada (2006), les résultats de l’étude indiquent que, sur une période de

trois ans, 48 % des Canadiens à revenu moyen ont vécu un ou plusieurs

problèmes juridiques41;

En Nouvelle-Zélande (2006), c’est 26 % de ces citoyens qui ont connu un

problème juridique au cours de l’année42; et

39 Ministère de la Justice du Québec, « Sondage auprès de la population sur la confiance à

l’égard du système de justice au Québec », Léger Marketing, 2006. 40 Carle, S. D., « Re-Valuing Lawyering for Middle-Income Clients », Fordham Law review, 2001. 41 Currie, A., « A national Survey of the Civil justice Problems of Low and Moderate Income

Canadians: Incidence and Patterns », Justice Canada 2005. 42 New Zealand Legal Services Agency, « National Survey of Unmet Legal needs and Access to

Services », 2006.

57

Aux Pays-Bas (2006), 67 % de ces justiciables déclarent avoir connu des

problèmes juridiques dans les cinq dernières années43.

On peut affirmer qu’un poids non négligeable de résidents de certains pays de

l’OCDE doit faire face à des problématiques juridiques à l’intérieur de périodes à

longueur variable.

6.2 Le recours aux services juridiques chez la classe moyenne au

Québec

Dans le contexte de la présente étude, un sondage a été réalisé auprès des

ménages de la classe moyenne au Québec. La réalisation de ce sondage a été

confiée à la maison de recherche CROP44.

6.2.1 La notoriété spontanée de problèmes juridiques

Une première question de l’enquête portait sur le fait d’avoir vécu un problème

juridique. Les résultats du tableau ci-après traduisent ce que les ménages ont

exprimé.

TABLEAU 14 Expression d’un problème de nature juridique

Nature des problèmes Province Montréal Québec RDC1

Divorce-séparation 27 25 30 28

Achat-vente de propriété/bien 16 16 17 17

Rédaction d’un testament 15 15 13 15

Accusation criminelle 6 8 5 4

Litige-conflit 5 7 4 2

Problème juridique 4 4 6 4

Défendre ses droits-se protéger 4 4 5 4

Autres 14 13 13 17

Ne sait pas 9 10 6 9

Source : CROP, « Recours aux services juridiques et perception à l’égard du système judiciaire

québécois », Observatoire des services professionnels, 2013.

Reste du Canada (RDC).

43 Van Velthoven, B., « Path to Justice in the Netherlands », 2004. 44 La copie intégrale de l’enquête est disponible sur le site observatoirepro.com.

58

Les situations de divorce et séparation, les transactions de biens durables et la

rédaction d’un testament correspondent aux situations les plus fréquemment

rencontrées par les ménages de la classe moyenne. Ces poids sont à peu près

similaires qu’il s’agisse du Grand Montréal/Québec ou du reste du Québec

(RDQ).

Les problèmes de nature criminelle sont plus élevés dans le Grand Montréal, ce

qui ne surprend pas, Montréal et sa périphérie étant la région la plus populeuse

et la plus densément peuplée.

6.2.2 Taux d’incidence du recours à une assistance juridique

Le niveau de risque de problème juridique auquel ils seront confrontés à

l’intérieur d’un horizon temporel de trois ans interpelle tous les ménages de la

classe moyenne du Québec. Le taux d’incidence est reproduit au tableau ci-

dessous.

TABLEAU 15 Taux d’incidence d’une problématique juridique

Incidence Taux ( %)

… a vécu une situation ayant nécessité d’avoir recours à un avocat

ou à un notaire 46

… a vécu une situation qui aurait pu nécessiter le recours à un avocat

ou à un notaire mais pour laquelle vous n’avez pas consulté 11

Non, aucune personne dans mon foyer n’a vécu de situations de

cette nature 47

Ne sait pas 1

Source: Ibid.

Au dernier chapitre, il a été établi que le nombre de ménages de la classe au

Québec était d’environ 2,5 millions. Selon les données du tableau, cela signifie

que 1,15 million de ménages ont vécu une situation nécessitant le recours à un

professionnel du droit. Cela signifie également que 275 000 ménages n’ont pas

consulté alors qu’ils auraient probablement dû le faire.

6.2.3 Situations ayant nécessité une assistance sur le plan juridique

La demande exprimée se traduit par l’estimation des potentiels, c.-à-d. les

segments de marché, au point de vue quantitatifs. Sur la vingtaine de situations

pouvant avoir nécessité une assistance sur le plan juridique, trois se démarquent

auprès des répondants. Il est à noter que les ménages pouvaient répondre à

plusieurs des énoncés de situations.

59

TABLEAU 16 Demande d’assistance forte

Situation Incidence de l’usage avocat/notaire

Nombre de ménages

Transactions immobilières 48 % 1 200 000

Testaments/successions/

procurations 38 % 700 000

Familial 21 % 525 000

Source : Ibid.

Le tableau précédent indique les segments forts de la demande exprimée par

les ménages à revenus moyens. Cela signifie que près de la moitié des

acheteurs/vendeurs ont consulté un notaire ou un avocat lors d’une transaction

immobilière.

Pour les autres situations, les taux sont en deçà de 10 %, sinon inférieurs à 5 %. Les

potentiels moyens sont présentés au tableau qui suit.

TABLEAU 17 Demande d’assistance moyenne

Situation Incidence de l’usage avocat/notaire

Nombre de ménages

Propriétaires/locataires 7 % 175 000

Emploi 6 % 150 000

Consommation 5 % 125 000

Criminel/pénal 5 % 125 000

Source: Ibid.

Bien qu’ils soient qualifiés de moyens, ces segments représentent des occasions

intéressantes pour les avocats et les notaires. Il faut noter ici que des organismes

paragouvernementaux peuvent assister les ménages dans leurs démarches, soit

la Régie du logement dans le cas de relations propriétaires-locataires ou encore

l’Office de la protection du consommateur pour la consommation.

60

Le dernier tableau de cette section regroupe les segments qualifiés de faibles.

TABLEAU 18 Demande d’assistance faible

Situation Incidence de l’usage avocat/notaire

Nombre de ménages

Endettement 4 % 100 000

Voisinage 4 % 100 000

Copropriété 3 % 75 000

Immigration 3 % 75 000

Construction résidentielle 2 % 50 000

Tutelle/curatelle 2 % 50 000

Dommages corporels 1 % 25 000

Traitements médicaux 1 % 25 000

Travail autonome 1 % 25 000

Gouvernement 1 % 25 000

Municipalité 1 % 25 000

Commissions scolaires 1 % 25 000

Professionnel 1 % 25 000

Source: Ibid.

Le poids des ménages ayant dû recourir à une assistance juridique est quand

même relativement élevé. Voyons maintenant quelles sources ont été

consultées.

61

6.2.4 Sources d’informations consultées et degré de satisfaction

Les sources d’informations consultées

Trois diagrammes sont reproduits au regard des sources d’informations45.

Le premier met en évidence le fait que les avocats et les notaires constituent de

facto les intervenants de première ligne pour les ménages de la classe

moyenne.

Diagramme 3

0 5 10 15 20 25 30 35 40

Avocat/notaire

Ami

Parent

Internet

Poids en %

Sources de consultations primaires

Notons cependant que les autres sources représentent, à des degrés variables,

des substituts autres que le droit (parent, ami) et une source disposant d’un large

éventail d’informations juridiques (Internet).

Outre les avocats et notaires, Internet et son développement continu

deviendront à terme un concurrent encore plus redoutable pour les

professionnels du droit. Songeons notamment au balayage de la quantité

d’information que ce véhicule peut réaliser en peu de temps, à n’importe quel

moment et à des coûts de transaction souvent nuls.

Ce positionnement de la Toile confirme les résultats d’analyses du Britannique

Susskind en ce qui concerne le développement de « services juridiques de

commodités » et de l’incontournable défi de la R&D pour la mise en marché de

produits à valeur ajoutée pour les avocats et notaires46.

45 La classification des sources d’information a été établie de la façon suivante : primaires (> 10 %),

secondaires (5 et 10 %), tertiaires (< 5 %). 46 Susskind, R., « The End of Lawyers: Rethinking the Nature of Legal Services », Oxford University

Press, 2008.

62

Au niveau de ce premier segment de la demande, il appert que, dans l‘intérêt

supérieur de la protection du public, le rôle de l’avocat et du notaire doit à

terme, se suppléer à ceux des parents-amis. Les parents ou amis peuvent

aiguiller les ménages de la classe moyenne vers les professionnels.

Cependant, il faut prendre en compte du fait que les parents ou amis peuvent

ne pas posséder une bonne lecture des situations à contenu juridique, avoir des

opinions biaisées du milieu juridique ou encore, ce qui pourrait s’avérer

problématique, tenter de jouer à l’homme de loi.

Le second diagramme indique que les sources de consultation sont encore une

fois relativement variées. Un premier constat : la relation d’affaires se classe

comme une source de référence importante quoique son poids soit de 8 %.

Cette mention n’est pas surprenante car, pour le grand public, quelqu’un en

affaires connaît très certainement mieux les aspects légaux que la moyenne des

gens.

Diagramme 4

0 2 4 6 8 10

Relation d'affaire

Chambre des notaires

Assurance frais juridiques

Assistance téléphonique

Barreau du Québec

Site du Gouvernement

Poids en %

Sources de consultations secondaires

Toutefois, il importe de souligner que les autres sources d’information consultées

gravitent dans le giron du monde professionnel associé directement à la justice.

On y retrouve évidemment le Barreau du Québec et la Chambre des notaires.

Les pourcentages de l’assistance téléphonique et l’assurance de frais juridiques

confirment les résultats d’analyses antérieures quant à leurs taux de

pénétration47. Notons que le marché de l’assurance de frais juridiques semble

stagner depuis quelques années. Le nombre de ménages assurés ne change

pas.

47 Comité d’experts sur l’assurance juridique, « L’assurance juridique une solution pour l’accès à la

justice », 2012.

63

Le troisième diagramme regroupe huit sources avec des résultats plutôt moyens.

Certains de ces résultats surprennent dans le cas entre autres, des Centres de

justice de proximité (2 %) et de l’organisme ÉducaloiI (3 %). Pour les Centres de

justice de proximité, il s’agit d’un projet pilote; leur notoriété et leur visibilité

restent à développer. Pour Éducaloi, la notoriété semble au rendez-vous, mais

son rayonnement resterait à construire auprès d’une clientèle plus large. Le

résultat des cliniques juridiques est également contre toute attente.

Diagramme 5

0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5

Éducaloi

Palais de justice

Magazine Protégez-vous

1-800-NOTAIRE

Centre de justice de proximité

Clinique juridique

Banque

Pages jaunes

Poids en %

Sources de consultations tertiaires

Finalement, selon les statistiques disponibles, le 1-800-NOTAIRE produit des taux

de fréquentation élevés. Cela ne semble pas se traduire par un rayonnement

corrélé à ces taux.

6.2.5 Satisfaction à l’égard des informations reçues

Selon les données de l’enquête, pour les ménages ayant eu recours à un

professionnel du droit et payé les frais, 65 % d’entre eux ont consulté un notaire

et 33 %, un avocat. Le pourcentage des ménages ayant eu recours à un

médiateur ou à l’assistance juridique passe à 5 %.

Les ménages à revenus moyens affichent des taux de satisfaction élevés au

regard des sources consultées. Les notaires arrivent au premier rang (95 %) et les

avocats rémunérés par le client, au troisième rang (92 %).

Fait intéressant, Internet affiche un taux de 75 %, ce qui est surprenant malgré la

fréquence d’utilisation. Le lien informel et non convivial entre ce médium et

l’usager peut expliquer ce taux.

64

6.2.6 Les services juridiques gratuits au Québec

De façon spontanée, une forte majorité de ménages, soit 74 %, connaissent

l’existence de services juridiques gratuits. Sur le plan de l’énoncé d’une liste de

services gratuits offerts au public, les taux sont significatifs : Régie du logement

(89 %), Office de la protection du consommateur (87 %), Aide juridique (80 %),

Justice Québec (78 %), Droits de la personne (70 %), Victimes d’actes criminels

(61 %), Protecteur du citoyen (61 %) et Option consommateur (55 %).

Par la suite, toutes les autres mentions assistées lors de l’enquête font état de

résultats plutôt moyens et tombent à 20 % et moins. Ces résultats s’expliquent par

le fait que les éléments forts font partie de l’information au quotidien ou de

l’expérience vécue par des amis ou des parents. Le tiers (33 %) des répondants

connaissent les services rendus par l’Aide juridique. Le taux de notoriété baisse à

6 % pour l’assurance de frais juridiques et à 1 % pour les institutions financières.

Les véhicules de protection du consommateur et la Clinique juridique Juripop

ont des taux de 2 %.

6.2.7 Expérience devant un tribunal

Une proportion de 40 % des ménages de la classe moyenne affirme avoir vécu

une expérience devant un tribunal. Dans l’ordre, il s’agit de la Cour du Québec

(53 %), la Cour supérieure (11 %), les Petites créances (9 %) et la Cour municipale

(7 %). Pour les autres tribunaux, y compris les tribunaux administratifs, les poids

sont inférieurs à 3 %.

Parmi ces ménages, 44 % ont retenu les services d’un avocat. Pour ceux qui ne

l’ont pas fait, la situation ne le requérait pas (15 %) ou encore les coûts

paraissaient trop élevés (13 %).

6.2.8 Les alternatives aux tribunaux

Les ménages sont soit très intéressés (31 %) ou assez intéressés (53 %) par les

alternatives. Le taux s’avère significatif, soit 84 % des répondants. Les alternatives

énumérées sont également perçues comme intéressantes, soit, entre autres, la

conciliation/médiation (86 %) et l’arbitrage (81 %). Suivent ensuite les mini-procès

avec 66 %.

65

6.2.9 Un meilleur accès à la justice

Une section importante de l’enquête traite de moyens pour améliorer l’accès à

la justice pour la classe moyenne. Le tableau qui suit présente un éventail de

moyens ainsi que leur taux de perception.

TABLEAU 19 Moyen pour améliorer l’accès à la justice

Variables Poids

( %)

Expérience du ménage

avec la justice ( %)

A connu un

recours

Situation

avec

recours

Aucun

besoin

Simplifier les procédures 58 52 54 64

Aide juridique plus accessible 53 48 70 57

Limiter les honoraires selon la valeur du litige 52 54 47 51

Obligation de la médiation avant la cour 47 47 48 46

Raccourcir les délais 46 41 42 52

D’autres façons de tarifer les services 24 24 27 24

Services juridiques non taxés 24 20 28 28

Régime universel d’assurance juridique 21 24 25 18

Régionaliser la justice (tribunaux) 3 4 3 3

Tenir compte de l’origine culturelle 3 3 5 1

Source : Ibid.

Les observations suivantes permettent de situer les différentes problématiques :

Les trois premières propositions affichent des poids supérieurs à 50 %;

Il existe une certaine homogénéité des résultats selon que le ménage a

connu un litige ou non, et ce, pour tous les énoncés;

Les ménages qui ont vécu une situation avec besoin de recours

apprécieraient une augmentation des seuils de l’Aide juridique.

Rappelons ici que l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile

comportera justement certaines de ces propositions, soit, entre autres, la

simplification des procédures (moins d’articles), l’incitation aux modes de

règlement de différends et la prise en considération des frais et honoraires en

fonction de la valeur du litige.

66

6.2.10 Les autres considérations de l’enquête

La Division des petites créances

Une faible majorité de ménages (53 %) estime que les plafonds devraient être

supérieurs. Le nouveau plafond devrait être de 10 000 $ (35 %), entre 10 000 $ et

15 000 $ (35 %) ou supérieur à 15 000 $ (20 %).

Le plafond de la Division des petites créances est maintenant de 15 000 $. Selon

les résultats de l’enquête, le tiers des ménages seront satisfaits, alors que 20 %

auraient préféré des limites plus élevées.

L’Aide juridique

C’est dans une proportion de 82 % que les ménages sont en faveur de

l’accroissement des seuils d’admissibilité à l’Aide juridique. Ces ménages sont

tout à fait d’accord (52 %) ou plutôt d’accord (30 %).

Les seuils proposés varient considérablement. Une majorité de ménages (81 %)

estime que le seuil devrait être plus que 22 080 $. Certains les voient à un revenu

supérieur à 40 000 $ (20 %), ce qui évidemment, n’a que de faibles chances de

se produire.

Augmenter les seuils d’admissibilité à l’Aide juridique fait presque l’unanimité

chez les ménages à revenus moyens bien que ceux-ci ne soient pas admissibles.

Toutefois, il faut se rappeler que c’est Justice Québec qui finance le programme.

Ce dernier est financé par les deniers publics. Or, les résultats de l’enquête

indiquent que c’est dans une majorité de 83 % que les ménages s’opposent à

l’accroissement des taxes et des impôts pour améliorer l’accès à la justice y

compris l’Aide juridique évidemment. Ce résultat n’est guère surprenant. Parmi la

gamme de biens publics offerts par le gouvernement du Québec, la justice est

plutôt loin dans les priorités.

67

7 L’ADÉQUATION DE L’OFFRE ET DE LA DEMANDE DE SERVICES

JURIDIQUES

7.1 Les besoins exprimés des ménages à revenus moyens

7.1.1 Le cadrage des besoins

Le diagramme ci-dessous reproduit le cheminement pour un ménage de la

classe moyenne lors d’une situation ayant nécessité l’intervention d’un

professionnel du droit.

Diagramme 6

Cheminement des ménages face à une situation de nature juridique

Immobilier (48%)

Succession (38%)

Famille (21%)

Ont consulté un

professionnel du droit

(45,3%)

Professionnel

consulté

Avocat (33%)

Notaire (66%)

Raisons de ne pas

consulter

Coûts élevés (33%)

Entente amiable (15%)

Ont choisi de ne pas

recourir à un

professionnel du droit

(10,8%)

Ayant nécessité

une assistance

juridique

(43,9%)

N’ayant

nécessité

aucune

assistance

juridique

(56,1%)

Problématique

juridique (44%)

Les résultats de l’enquête auprès des ménages à revenus moyens présentés au

chapitre précédent font état de situations plus complexes que celles

synthétisées au diagramme. Cela dit, le diagramme met en place le

fonctionnement du marché potentiel pour le segment des « ménages à revenus

moyens ».

68

Le tableau ci-dessous fournit les informations quant au potentiel du marché.

TABLEAU 20 L’expression des besoins (horizon de 3 ans)

Demande de services juridiques Poids (ménages)

Demande apparente 1 100 000

Demande exprimée 482 900

Demande exprimée et non satisfaite 23 625

Source: CROP, « Recours aux services juridiques et perceptions à l’égard du système judiciaire

québécois », Observatoire des services professionnels, 2013.

Le tableau indique que 1,1 million de ménages à revenus moyens ont connu une

situation nécessitant l’intervention d’un professionnel du droit. Environ 482 900

ont effectivement consulté un professionnel.

Par contre, près de 25 000 ménages ont ni plus ni moins renoncé à leurs droits.

Rappelons que l’on se réfère à un horizon temporel de trois ans. Pour une année,

la moyenne serait alors de 160 967 ménages pour la demande exprimée et de

7 875 pour la proportion non satisfaite.

Un ménage de la classe moyenne sur cinq connaîtra une situation nécessitant

un recours aux services juridiques au cours d’une année donnée (19,3 %). Moins

de un pourcent (0,9 %) vont renoncer à une démarche.

7.1.2 L’adéquation des besoins au panier de services

L’adéquation des besoins au panier de services repose sur les liens existants

entre ce que les ménages de la classe moyenne requièrent comme services et

ce que l’offre formelle/informelle met à leur disposition.

69

Diagramme 7

Adéquation de l’offre et de la demande

Le diagramme reproduit l’état du marché apparent. L’adéquation de l’offre

et de la demande met en relief une relation que l’on peut qualifier d’inverse

entre la fréquence d’occurrence d’une situation juridique et le recours aux

ressources disponibles sur le marché.

Les problématiques juridiques auxquelles font face les ménages à revenus

moyens sont nombreuses, soit plus d’une douzaine (voir les résultats du

sondage CROP en annexe). Cependant, en ce qui concerne la fréquence

de ces problématiques dans la vie courante, ces dernières sont limitées à

quelques groupes distincts, comme en fait foi le diagramme. Le ménage a

accès à une gamme variée de services juridiques, mais le référencement

pour la quête de solutions porte sur quelques sources circonscrites au notaire,

à l’avocat, au parent, à l’ami, à Internet ou à la relation d’affaires. Les

multiples autres facettes de l’offre de services ne représentent que des

sources marginales de référencement, c.-à-d. la notoriété, pour les ménages.

Pour le tiers des ménages faisant face à une situation nécessitant

l’intervention d’un spécialiste, le coût des services constitue le principal frein à

la consultation auprès d’un professionnel du droit.

Demande (Situations)

Divorce/séparation

Achat/vente de

propriété/bien

Rédaction d’un

testament/mandat

Litige/conflit

Problème juridique

Défendre ses droits (se

protéger)

Offre (Services)

Notaire

Avocat

Parent/ami

Internet

Relation d’affaires

Chambre des notaires

Barreau du Québec

Assurance frais juridiques,

Éducaloi, Revues, 1-800-

NOTAIRE, Centre de justice de

proximité, JURIPOP, Cliniques

juridiques et autres organismes

Fréquence élevée Situations/services utilisés

Fréquence faible Situation/services utilisés

70

A contrario, les sources secondaires et tertiaires de consultation, souvent

gratuites et faciles d’accès, ne sont que très peu utilisées. Bref, la dichotomie

entre les besoins exprimés et l’offre de services est bien présente.

Ainsi au regard de l’équilibre dans le marché, un premier constat sur l’offre et

la demande de services juridiques traduit une situation de marché

« dysfonctionnel ». En un mot, le marché est en déséquilibre. Cet écart entre

les besoins et les disponibilités en matière de services juridiques explique en

partie les difficultés d’accès à la justice pour les ménages de la classe

moyenne.

Cependant, avant d’identifier et de proposer des pistes de solutions pour

faciliter l’adéquation de l’offre formelle et informelle à la demande, voyons

quels sont, outre le coût de certaines composantes du panier de services, les

blocages qui en limitent une distribution optimale.

Dans un premier temps, les ménages connaissent peu ou pas le meilleur

point de services; cela constitue pourtant un incontournable pour ce qui

est de l’accès au marché;

Deuxièmement, dans l’imaginaire collectif, la prestation de services

juridiques ne dépasse pas le cadre formel du duo notaire/avocat;

Troisièmement, l’omniprésence de « silos » où les structures du panier de

services fonctionnent de façon indépendante, ce qui ampute la

performance de l’ensemble;

Finalement, et tel qu’il a été souligné antérieurement, le coût de certaines

composantes du panier de services est carrément hors d’atteinte des

ménages à revenus moyens.

7.2 Les lacunes du cadre actuel

7.2.1 Aiguillonner les justiciables de façon optimale

Aiguiller le client vers le bon point de services, voilà un premier frein à l’atteinte

de l’équilibre dans le marché, c.-à-d. le coût de transaction. Les segments de

marché présentés au diagramme et desservis par deux groupes d’intervenants

distincts font état d’un certain chevauchement.

71

Diagramme 8

Un panier de services juridiques ciblé

La zone de chevauchement ne constitue pas un élément négatif en soi pour

l’équilibre à atteindre dans le marché. L’état des lieux du marché ne permet pas

de diriger rapidement et à moindre coût les ménages de la classe moyenne vers

le point optimal de service.

Les résultats du sondage sont porteurs de résultats très significatifs au regard de

l’usage des services de type « grand public ». Concrètement, les services offerts

notamment par les Centres de justice de proximité à titre de « répartiteur » ne

bénéficient que d’un faible taux de notoriété. Il en est de même pour le

fournisseur d’information juridique Éducaloi.

Clientèle Ménage

Clientèle Grand public

Services

juridiques

de masse

Services

juridiques ad

hoc

Éducaloi, Cliniques

juridiques, Centres de justice

de proximité, Juripop

Notaires, avocats, parents-

amis, Internet, relation

d’affaires

Zone de

« chevauchement »

72

7.2.2 Le monopole des avocats et des notaires

Une question surgit relativement à l’impact du monopole des avocats et des

notaires sur l’adéquation de l’offre et de la demande de services juridiques.

Cette question porte sur l’aspect monopolistique de l’offre de services. Est-ce

que les ménages seraient mieux servis sans le monopole de ces professionnels?

En économique, deux écoles de pensée s’affrontent. D’une part, les tenants de

la liberté d’accès proposent l’élimination de toutes entraves au fonctionnement

d’un marché dont ici, le monopole des avocats et des notaires. D’autre part, les

défendeurs de l’interventionnisme de l’État s’appuient sur la protection de

l’intérêt public, celle-ci constituant une meilleure garantie pour l’équité.

Les tenants de la déréglementation d’un secteur économique fussent-il

juridiques, ne font évidemment pas l’unanimité. Force est d’admettre que

l’expérience du décloisonnement des marchés financiers dans les années 1980 a

produit des résultats mitigés au cours de la dernière décennie48. Les spéculateurs

de la haute finance, avec le peu de contraintes découlant des opérations du

marché, ont littéralement pillé l’« économie réelle ». Les économies avancées

ont peine à se remettre de la dernière récession de 2008, causée notamment,

rappelons-le, par l’émission à grande échelle du « papier commercial », véhicule

de placement hautement spéculatif garanti par des rendements futurs d’actifs à

montages complexes.

Nonobstant ce qui précède, il semble paradoxal d’avoir vanté précédemment

dans ce texte les mérites du « décloisonnement » du secteur juridique en

Grande-Bretagne49. Si nous avons identifié de nombreux bénéfices découlant de

cette réforme, avouons que d’autres aspects suscitent bon nombre

d’appréhensions.

Dans cette perspective, les Alternative Business Structures (ABS) et la possibilité

offerte aux cabinets d’avocats anglais de se financer sur le marché public ne

font pas l’unanimité au sein des experts. Ainsi refont surface les questions de

l’intérêt du public dans son sens autant économique que juridique. Dans les

suites de ces réorganisations, le public sera-t-il protégé adéquatement?

48 Traditionnellement, le secteur financier comprenait quatre « piliers » mutuellement exclusifs, soit

les banques, les compagnies d’assurances, les fiducies et le courtage immobilier (marché

boursier). Le décloisonnement de ce secteur a été introduit en Grande-Bretagne sous le règne de

Margaret Thatcher. Puis, il s’est rapidement étendu à toutes les économies membres de l’OCDE,

dont les États-Unis en premier. Sous le gouvernement Mulroney, le Canada s’est adapté à cette

tendance. Les opposants à cette réforme structurelle majeure du secteur financier mondial

prévoyaient des conflits d’intérêts entre les intérêts des grands groupes corporatifs et

l’assujettissement de l’économie des « États souverains » à la finance internationale. 49 Nous faisons référence ici au Legal Services Act adopté en 2007 dans ce pays.

73

Compte tenu du rôle déterminant des avocats et des notaires dans le maintien

en place et de l’évolution de l’État de droit, ces points méritent une analyse plus

approfondie. Le modèle des ABS pourrait s’adapter à des entreprises qui visent

les clientèles de types grands publics. Déjà, le réseau Quality Sollicitors dans ce

pays constitue un projet de mouture similaire50.

Dans l’éventualité de l’adoption de lois et règlements similaires au Canada et au

Québec, les ménages de la classe moyenne devraient éventuellement faire

face à ces nouvelles réalités.

D’une part, dans le modèle d’affaire de type ABS, les avocats/notaires

peuvent ne pas être majoritaires sur le plan de la propriété de l’entreprise ou,

sinon carrément absents de celle-ci; ainsi ces modèles peuvent-ils à

l’occasion assujettir les professionnels du droit à des stratégies d’entreprises

non conformes à la bonne gouvernance, à la déontologie et à l’éthique de

la profession;

D’autre part, le financement d’une organisation sur le marché public rend

obligatoire le dévoilement de données financières trimestrielles; cela semble

plutôt non usuel pour un cabinet d’avocats/notaires; la fonction de

production des services juridiques ne ressemble en rien à la production de

biens ou de services d’une société publique ailleurs dans l’économie; la

prévisibilité du rendement (les ratios ventes, bénéfice par action, ROI,

endettement à long terme) et le niveau de risque des opérations

déterminent la « valeur de l’action » en bourse et ces critères constituent des

mesures de rendement étrangères à la culture d’un « cabinet d’avocats » ou

d’une « étude notariale » devenu public.

Il ne fait aucun doute que bon nombre de services juridiques sous l’expertise des

avocats/notaires pourraient être décloisonnés et rendus de façon efficiente par

d’autres intervenants dûment habilités, c.-à-d. ayant reçu la formation

appropriée et assignés à des champs de compétences spécifiques. Ces services

issus d’une offre non traditionnelle devront toutefois remplir les critères de l’intérêt

public. Nous y reviendrons plus loin.

7.2.3 L’omniprésence des fonctionnements en « silo »

L’analyse des composantes du panier de services juridiques met en évidence le

fonctionnement en « silo » de bon nombre de celles-ci. Le silo se définit comme

une entité, un groupe de travailleurs qui fonctionnent comme des unités

autonomes au sein d’une organisation ou d’une industrie.

50 Regroupement de cabinets d’avocats avec points de vente (par un intervenant non avocat)

dans le réseau des magasins libraires W.H. Smith. On parle ici de 1 500 succursales.

74

La formation de silos

Dans le domaine de la justice, le nombre d’organisations peut porter à

confusion. Historiquement, dans ce milieu, les structures mises en place pour

répondre à un besoin parfois très circonscrit tendent, dans le temps, vers le

modèle du silo. Qu’il s’agisse d’entités du Barreau du Québec, de Justice

Québec ou de la Chambre des notaires du Québec, ces entités dotées d’une

grande autonomie de fonctionnement sous l’égide d’un conseil

d’administration, conduisent leurs opérations en fonction de la nouvelle entité.

Les professionnels issus d’une même organisation mère peuvent alors établir des

objectifs contradictoires ou opposés à celle-ci. Des « zones de confort »

s’établissent entre les membres de ce groupuscule, qui se sentent de moins en

moins interpellés par la mission initiale et en modulent une nouvelle, parfois plus

avenante. Dans cette perspective, les politiques administratives, les incitatifs de

fonctionnement, les perceptions inter organisation deviennent rapidement du

sur mesure pour l’entité et s’éloignent lentement de l’organisation mère.

Graduellement, une « sous-culture » se développe et les employés s’identifient à

l’entité plutôt qu’à l’organisme duquel ils sont issus.

Diagramme 9

Formation du « silo »

Influences externes

Besoins des clientèles

Sources de financement

Influences

internes

Sous-culture

Expérience de

groupe

Connaissance

pointue

Influences de

l’organisation

Mission/Valeurs

Structure

75

Les « silos » peuvent constituer une menace pour une organisation

À compter du moment où des silos ont été mis en place et qu’ils atteignent leur

vitesse de croisière, il devient difficile, voire impossible, d’altérer leur

fonctionnement ou de les ramener dans le giron. Les entités peuvent alors se

créer des modus operandi qui leur sont propres et souvent en parallèle de

l’ensemble d’origine. Les silos deviennent à maturité des « organisations dans

l’organisation » et sont très difficiles à éliminer.

La communication avec les silos devient alors parfois ardue, sinon impossible.

Dans le domaine du droit, si les entités n’ont pas d’objectifs communs, il est peu

probable que l’efficience soit au rendez-vous. Le plein potentiel de

l’organisation mère ne peut être exploité. Les ressources, surtout financières, sont

alors éparses parmi une panoplie d’objectifs qui peuvent a priori sembler

complémentaires.

Le diagramme suivant permet de visualiser la problématique récurrente des silos.

Diagramme10

Le danger du fonctionnement en « silo »

Chaque silo focus sur ses propres objectifs

Les silos communiquent mal entre eux

Le ressentiment s’installe entre les silos

Les membres d’un silo se sentent isolés

La coopération entre les silos est difficile

Chaque silo se concentre sur ses objectifs

76

Ainsi, le fonctionnement du silo basé sur une culture propre et un grand niveau

d’autonomie l’éloigne graduellement du giron de l’organisation. Le silo

« s’approprie » les tâches et la mission qui lui ont été confiées. Le diagramme

traduit une situation qui se complique avec le temps.

Appliqué au droit, c’est une panoplie d’organismes qui gravitent autour de

missions souvent similaires et qui visent évidemment les mêmes clientèles. Bien

entendu, plusieurs points de services peuvent se concurrencer pour desservir les

clientèles. Mais ces clientèles sont-elles bien segmentées? Les interventions sont-

elles vraiment complémentaires entre elles et de façon à faire bon usage des

ressources humaines et financières rares?

Qui plus est, le financement de ces silos provient trop souvent, voire toujours, des

mêmes sources, ce qui ajoute à la confusion dans le milieu. Pour se financer, la

plupart des organismes sollicitent tour à tour Justice Québec, Justice Canada, le

Barreau du Québec, la Chambre des notaires, la Société québécoise

d’information juridique (SOQUIJ) et le secteur privé. Dans le cas du

gouvernement, le payeur demeure toujours les citoyens et les entreprises par le

biais de la fiscalité. Pour les ordres professionnels du droit, ce sont les avocats et

les notaires qui paient en partie par le truchement des cotisations. Notons que

les entreprises formant le « Québec inc. » sont également sollicitées.

Finalement, les entités nouvelles et moins récentes ne subissent que très rarement

le test de l’évaluation objective non seulement pour leur rendement

socioéconomique en regard de l’investissement et du financement récurrent,

mais également en fonction de leur positionnement au sein du panier de

services offert aux ménages de la classe moyenne. Les statistiques quant au taux

de fréquentation d’un organisme par la clientèle physique ou virtuelle, ou

encore quant au nombre d’événements organisés, ne correspondent somme

toute qu’à un aspect très limité de la valeur ajoutée des activités d’un

organisme. L’effet de cannibalisation des clientèles et des sources de

financement pour souvent des vocations similaires constitue l’un des aspects les

moins analysés. Il ne faut pas négliger l’évaluation rigoureuse non seulement des

organismes, mais également de l’ensemble du système.

7.2.4 Le coût de certains contenus du panier de services

7.2.4.1 Le coût d’un avocat/notaire

Les écrits et témoignages au regard des difficultés de l’accès à la justice pour la

classe moyenne sont nombreux. Les coûts et les délais en seraient les obstacles

majeurs. Le sondage réalisé dans le cadre de cette étude corrobore

l’importance des coûts de la justice comme étant effectivement l’un des

blocages importants.

77

Nous l’avons vu auparavant, si les coûts sont élevés pour les professionnels du

droit, à la marge, les coûts pour certains substituts sont très faibles. Les actes des

avocats et des notaires sont tarifés en haut de la gamme de prix, alors que pour

ces substituts ils sont souvent gratuits ou à des prix abordables. De nombreux

actes des professionnels sont devenus des commodités. Ils commandent donc

des prix relativement bas et plus homogènes.

Ce qui s’avère dispendieux dans le domaine de l’accès à la justice civile porte

principalement sur le litige et de son déroulement. Oui, chaque litige est différent

et la démarche dépend souvent de l’attitude de la partie adverse. Une étude

récente en Grande-Bretagne soulève un certain nombre de questions sur le coût

d’un litige.

TABLEAU 21 Le coût d’un service juridique

Caractéristique de l’emploi

du procureur

Type d’intervention du procureur

Travail Consommation Dommage

corporel

Affaire

(PME)

Salarié de l’assureur 100 100 100 100

Accrédité par l’assureur 269 229 274 316

Pratique privée 489 414 606 525

RATIO ACCRÉDITÉ/SALARIÉ 2,7 2,3 2,7 3,2

RATIO PRATIQUE PRIVÉ/SALARIÉ 4,9 4,1 6 5,2

Source: RIAD, « Legal Protection Insurance Market in Europe », 2012.

Le tableau présente les écarts de coûts pour un assureur dans le segment des

polices d’assurance de frais juridiques. Dit simplement, les données traduisent

une réalité selon laquelle le marché libre, en l’occurrence les avocats de

pratique privée, exige des coûts de services professionnels pouvant s’avérer

supérieurs dans une fourchette qui varie entre 400 % et 600 % par rapport à

l’avocat salarié. Dans le cas de l’avocat accrédité par l’assureur, les coûts de

ses services professionnels sont de deux à trois fois moins élevés que ceux de

l’avocat de pratique privée.

Bien entendu, ce constat ne tient pas compte de la fonction de production de

la pratique privée, soit des frais de bureau, d’achat d’équipement et de

bureautique. Il faut toutefois constater que l’écart n’est pas du simple au

double : il est très élevé.

78

Le même constat s’appliquerait également aux services des avocats et des

notaires du Québec, sans doute dans une moindre proportion. En 2008, pour les

avocats, le revenu moyen des salariés était de 99 990 $ contre 139 940 $ pour les

avocats autonomes51. En 2010, dans le cas des notaires, le revenu moyen d’un

salarié était de 74 817 $ contre 105 492 $ pour le professionnel autonome52.

7.4.2.2 Le coût des contenus du panier de services est variable

Le mode de tarification des avocats et des notaires est bien connu. C’est une

majorité d’entre eux qui utilisent le mode de la « tarification horaire ». Ce modèle

d’affaires en place depuis des décennies, n’est pas un modèle économique

acceptable pour la clientèle. Le temps d’un avocat ou d’un notaire n’a pas une

valeur égale pour la demande du client. Le prix varie en fonction du service

rendu et de la valeur ajoutée que le professionnel apporte au client.

Les effets néfastes de la tarification horaire sont bien documentés53. Le fait

qu’elle encourage l’inefficience dans la fonction de production devrait servir de

catalyseur pour un changement rapide et radical du mode de tarification. Plus

des deux tiers des avocats de pratique privée utilisent ce modèle.

L’avocat ou le notaire doit gérer sa prestation de services en fonction de la

« valeur ajoutée ». Le prix des produits contenus dans le panier de services et

qu’il souhaite offrir à sa clientèle reflète cette valeur ajoutée. Le diagramme

suivant démontre le clivage entre des coûts élevés de certains services en

regard des autres composantes du panier.

51 Barreau du Québec, « Enquête socioéconomique auprès des membres du Barreau du Québec

en 2008 », CIRANO, 2009. 52 Chambre des notaires du Québec, « Enquête sur la profession en 2011 », IPSOS Descarie, 2011. 53 Voir à cet effet, « Les avocats de pratique privée en 2021 », Barreau du Québec, 2011. Voir

également American Bar Association, « The Hourly Billing : Is It Killing the Profession? », 2002.

79

Diagramme 11

Offre et demande de services juridiques

Panier de services

Offre

D1

D2

Dossiers devant

les tribunaux

Coûts des tribunaux

Coûts des

alternatives

Information juridique

& MARC

Nombre de ménages à

revenus moyens

La courbe d’offre s’accroît pour ensuite connaître un point d’inflexion par

rapport à la demande (D1). Cette courbe de demande traduit les services du

panier qui sont attribués à la représentation devant les tribunaux. La quantité

demandée est peu élevée et en diminution dans le temps. Les coûts d’accès

sont par contre très élevés. C’est à ce segment que font référence bon nombre

d’observateurs de la scène juridique pour affirmer que les ménages à revenus

moyens ne peuvent accéder à la justice.

Par contre, la demande pour les autres contenus du panier de services est

beaucoup plus élevée sur le plan de la quantité (D2). Les coûts sont également

plus bas. C’est ce que les avocats doivent valider au sein de leur mode de

pratique. Les notaires sont également assujettis à cette même réalité dans les

segments où ils pratiquent. Une autre courbe de demande se situerait entre les

deux points (D1, D2); cette portion de la demande correspond à tout ce qui peut

être qualifié de litigieux ou non mais qui n’a pas encore franchi le stade critique

du procès.

Les avocats et les notaires devront situer leur clientèle et élaborer une gamme

de prix en fonction du service rendu. Il convient ici de classer les gammes de

produits inclus dans le panier de services.

80

Diagramme 12

Une structure de coûts du panier de services

COMMODITÉS Formulaires en ligne, micro-conflit, accompagnement

INFORMATION JURIDIQUE

LITIGES

Documentation, aiguilletage, référencement

Représentation devant les tribunaux

VALEUR AJOUTÉE MARC, Conseils et avis juridiques, transactionnel

P4

P3

P2

P1

La structure de coûts des services d’avocats et de notaires reproduite au

diagramme est très flexible. La tarification en fonction de la valeur ajoutée du

service rendu prend son plein sens ici.

Il n’y a rien de gratuit, et même l’information juridique en personne ou en

ligne a un prix; ce dernier, même minimal, peut être imputé à des pouvoirs

publics ou organismes professionnels étant donné le faible coût de

reproduction et les économies d’échelles élevées atteintes par les volumes

de diffusion;

Les services de type « commodités » ne commandent pas des prix élevés

mais nécessitent un « packaging » selon la valeur du service; un service

juridique qui atteint le stade de la commodité ne requiert que peu

d’interventions de l’avocat ou du notaire;

Deux segments de marché sont identifiés pour les litiges, soit notamment

ceux qui trouveront une solution par le biais des MARC et ceux qui se

rendront devant les tribunaux.

Notons que la structure de coûts en fonction des segments permet de moduler

les prix selon la localisation du fournisseur, ses frais d’exploitation, sa réputation,

son positionnement, et ainsi de suite. Cette structure facilite l’intégration du

personnel non avocat dans le panier de services.

81

7.3 Complémentarité et dissonance du panier de services

juridiques dans le processus d’adéquation de l’offre et de la

demande

7.3.1 La complémentarité des composantes du panier de services

Le déséquilibre évident du marché a été noté précédemment. Un nombre de

justiciables donné ne pourraient, faute de moyens financiers ou autres, faire

valoir leurs droits. Ce déséquilibre relèverait principalement de l’asymétrie

d’information, donc des coûts de transactions. Ainsi, il appert que l’offre, c.-à-d.

le panier de services, fort bien développé à maints égards, ne parvient pas à

satisfaire à un poids important des besoins exprimés. Nous avons également

démontré que les dépenses publiques dans le secteur de la justice sont

faméliques en regard des autres grandes missions de l’État54 . Le panier de

services juridiques est composé d’un ensemble susceptible de favoriser l’accès à

justice pour tous les citoyens. Le diagramme ci-dessous met en relief les

composantes du panier de services.

Diagramme 13

Étape de l’usage du « panier de services »

Évidemment, ce ne sont pas toutes les catégories de services qui sont

représentées, mais une majorité de celles-ci.

54 En 2012, les dépenses sont à hauteur de 93,28 $ per capita pour la justice contre 1 983,37 $ en

éducation et 3 739,51 $ en santé.

Besoin

exprimé

Consultation Parent/ami

Internet

Relation d’affaires

Situation

litigieuse

Panier de services

Avocats/Notaires

Éducaloi

Services Pro Bono

Cliniques juridiques

Centre de justice de

proximité

Juripop

1-800-NOTAIRE

Lignes Info

Finalité du

règlement du litige

Panier de services Avocats/Notaires

MARC

Panier de

services Avocats

Tribunal de

première instance

Cour du Québec

(Petites créances)

Cour supérieure

(Famille/Divorce)

Tribunal

administratif - TAQ

IMPASSE

FAIBLE Degré de complexité de la situation ÉLEVÉ

82

8 DES AVENUES À INVESTIGUER POUR OPTIMISER L’ACCÈS

À LA JUSTICE

8.1 Le caractère transversal des solutions disponibles et/ou proposées

Le tableau qui suit présente des propositions récentes provenant de groupes qui

ont analysé des pistes pour améliorer l’accès à la justice.

TABLEAU 22 Les pistes de solutions pour améliorer l’accès à la justice

Avenues proposées Prof. Lafond1 ABC2 Prof.

Trebilcock3

Modes appropriés de résolution de conflits

(MARC) √ √ √

Adoption d’une loi sur présentation

d’excuses √

Réforme de l’Aide juridique √ √ √

Développer la culture pro bono √ √ √

Assurance de frais juridiques √ √ √

Avances provisionnelles à une partie

défavorisée √

Déduction fiscale des frais juridiques √

Nouvelle tarification des services (tarif) √

Réforme des processus de réclamation à

la Division des Petites créances √ √ √

Multiplication des initiatives de

vulgarisation √ √ √

Fixation hâtive d’une date de procès √

Gestion judiciaire d’instances √

Proportionnalité des procédures et des

moyens √

Cyberjustice √

Réforme de la formation des juristes √

Accès de groupes minoritaires à la

profession √

Approche préventive du droit √ √

Majoration des budgets de la justice √

Tri et aiguillage √

Conseils juridiques fournis par des non-

avocats √

Conseils sommaires et avocats de services √

Approches globales √

Réformes du droit de la famille √ √

Services juridiques dégroupés √ √

Accès à un avocat √

1 Lafond, P.-C., « L’accès à la justice civile au Québec », Éditions Yvon Blais, 2012.

2 Association du Barreau canadien, « Les solutions de rechange sous-étudiées à l’intention de la

classe moyenne », 2013.

3 Trebilcock, M., Duggan, A., Sossin, L., « Middle Income Access to Justice », 2012.

83

Le tableau fait état de concepts analysés par différents auteurs au regard de

stratégies ayant pour objectif de faciliter l’accès à la justice. Au-delà de 25

approches sont répertoriées. Il n’est pas possible d’analyser toutes les pistes

proposées et d’en établir les bénéfices et les coûts. Toutefois, certaines de ces

propositions sont pour ainsi dire transversales, en ce sens qu’elles se retrouvent

au sein des recommandations de l’ensemble de ces auteurs qui se sont penchés

sur l’accès à la justice depuis le début de la décennie.

Un premier groupe de stratégies porte sur les tribunaux soit entre autres, une

réforme des processus de réclamation à la Division des petites créances et

une réforme de l’Aide juridique;

Un second groupe touche les MARC et l’assurance de frais juridiques;

Un troisième groupe touche la multiplication des initiatives de vulgarisation;

Finalement, des propositions moins familières se retrouvent chez deux auteurs,

soit l’approche préventive du droit, les réformes du droit de la famille et les

services juridiques dégroupés.

Nous reviendrons sur la valeur économique des trois premières approches et sur

leur efficience en matière de capacité afin d’accroître l’accès à la justice pour

les ménages à revenus moyens.

Nous sommes d’avis que les propositions du professeur Lafond sur la déduction

fiscale des frais juridiques, sur une nouvelle approche à la tarification des services

et sur la cyberjustice méritent également d’être prises en considération. Il est

toutefois peu probable que les deux premières propositions du professeur

puissent connaître des suites positives dans l’immédiat. Voici pourquoi :

D’une part, la déduction fiscale des frais juridiques est une piste qui a déjà

été analysée par le Barreau du Québec. Un comité a d’ailleurs déposé un

rapport à l’intention du gouvernement55.

Toutefois, cette approche interpelle les revenus de l’État. En 2013, non

seulement ce dernier ne peut répondre adéquatement à l’offre actuelle de

biens publics mais, qui plus est, il en élargit régulièrement la portée. L’État

québécois manque de revenus et les défis dans un futur immédiat sont

gigantesques. Il est peu probable, dans un avenir rapproché, qu’il puisse

consentir à ce genre de demande.

55 Barreau du Québec, « Rapport du groupe de travail sur l’accès à la justice par la fiscalité », Me

Yves Séguin, 2010.

84

D’autre part, une nouvelle approche à la tarification des services est

également difficile à implanter. Il s’agit d’une approche « culturelle » qui ne

pourra être altérée qu’avec les nouvelles cohortes de jeunes

avocats/notaires qui accepteront de « packager » leurs services en fonction

des segments identifiés antérieurement.

La cyberjustice constitue une voie d’avenir. Les coûts d’implantation se feront en

partenariat non seulement avec les milieux juridiques, mais également avec les

fabricants et distributeurs de produits de haute technologie.

Nous sommes d’avis que l’ensemble des concepts avancés dans le domaine de

l’amélioration de l’accès à la justice pour les ménages à revenus moyens

possède tous des avantages certains. C’est au point de vue de la mise en

œuvre ou du renforcement de l’une ou l’autre de ces initiatives que des choix

doivent se faire et que les priorités doivent être établies. Les choix qui seront

énoncés doivent l’être dans une optique d’optimisation des ressources pour le

plus grand nombre de justiciables.

8.2 L’efficience socioéconomique des composantes du panier de

services pour les ménages à revenus moyens

Une question de base se pose au regard des politiques ou stratégies susceptibles

d’accroître l’accès à la justice pour les ménages à revenus moyens. Comment

devrait-on procéder pour décider de l’allocation de ressources humaines et

financières rares au bénéfice de cette catégorie de ménages? Combien valent

au bénéfice d’un ménage, dans le cas d’un problème de voisinage, 15 heures

de « travail de nature juridique » émanant d’un notaire, d’un avocat, d’un

magistrat, d’un ami, d’Internet ou encore d’un centre d’information juridique

(physique ou virtuel)?

Le fait que les situations à connotation juridique font partie du quotidien des

ménages est bien documenté. Qu’il s’agisse de relations familiales, d’emploi,

d’emprunt, d’accident, ces situations interpellent le droit. Une littérature récente

regroupe des pistes d’analyses intéressantes sur des propositions ayant trait à

l’amélioration de l’accès à la justice 56 . Trois stratégies émergent de ces

analyses :

Les approches ciblées (un programme d’Aide juridique élargi, les services pro

bono, les services subventionnés, les services assurés);

Les approches des individus et/ou des groupes (les méthodes appropriées de

résolution de conflits (MARC), un meilleur accès aux tribunaux);

56 Voir à cet effet Trebilcock, M., Duggan, A., Sossin, L., « Middle Income Access to Justice »,

University of Toronto Press, 2012.

85

L’appropriation ou encore l’« Empowerment » des démarches par les

justiciables (information juridique, éducation juridique publique, formation

adaptée).

Ces approches dans le contexte de l’accès à la justice sont évidemment

complémentaires. Qu’en est-il, cependant, de leur efficacité respective? Les

résultats d’analyses ne peuvent spécifier très exactement ce qui fonctionne par

rapport à ce qui fonctionne moins ou encore pas du tout. Nonobstant ce

constat, un vecteur commun émerge de ces analyses : ces stratégies

s’adressent pour leurs opérations aux mêmes sources de financement et ont

tendance à se cannibaliser.

L’efficience de ces stratégies peut se mesurer par le calcul des coûts/efficacité,

par l’évaluation des coûts de transaction et par une meilleure appropriation par

le justiciable des concepts de nature juridique. Le présent rapport ne vise pas à

procéder à une application de ces modèles d’analyses, mais bien à faire état

de leurs résultats probables par rapport aux ressources investies.

86

TABLEAU 23 Analyse comparative de stratégies Méthodes

d’évaluation

Stratégies d’accès à la justice

Aide juridique Tribunaux et MARC Information juridique

Coût/efficacité Les ressources consacrées aux

programmes d’aide juridique

procurent un plus grand

bénéfice à l’usager que les

coûts engendrés par le

gouvernement.

Notons qu’en l’espace de 5 ans

le nombre d’avocats preneurs

de dossiers à l’Aide juridique est

passé de 5 000 à 2 200.

Toutefois, l’efficacité du

programme est étroitement

corrélée à la performance

même du système judiciaire.

Les coûts pour accéder aux

tribunaux civils sont très élevés.

Par conséquent, les MARC et

autres substituts permettent

d’atteindre plus rapidement des

solutions.

L’information juridique et

l’éducation juridique

correspondent à des approches

parmi les plus prometteuses.

Les coûts de l’information

proviennent de la collecte et de

la diffusion.

Les bénéfices au justiciable

découlent du fait qu’il peut

utiliser l’information pour faire

face à une situation de nature

juridique et éventuellement

formuler une solution pour une

situation non litigieuse.

Coûts de

transaction

Rendre l’accès à la justice civile

gratuite pour les plus pauvres

par l’entremise de l’Aide

juridique signifie qu’un biais

important est créé pour d’autres

catégories de citoyens.

Des substituts aux services

classiques offerts par des

avocats/notaires permettraient

d’abaisser les coûts de

transaction.

Rendre le système de tribunaux

plus accessible en parallèle au

développement des MARC est

plus complexe que de

subventionner l’Aide juridique.

Les stratégies visant à améliorer

l’accessibilité ainsi que les

MARC seront efficaces dans la

mesure où les intervenants

avocats/notaires ainsi que la

magistrature opèrent en mode

solution.

Vendre de l’information peut

s’avérer une activité complexe

et souvent peu rentable. Les

coûts de production sont très

élevés en regard d’un coût

marginal unitaire de distribution

qui sera, lui, très faible.

Un producteur/distributeur

d’information juridique pourra

difficilement rentabiliser ses

opérations. Après usage

personnel, les clients peuvent

disséminer l’information.

Appropriation Étant donné la nature même

des clientèles de l’Aide

juridique, il s’avère difficile de

tenter que cette clientèle puisse

s’approprier les concepts

juridiques.

Les clients peuvent difficilement

« s’approprier » le modus

operandi à l’égard des

tribunaux.

Une littérature récente

démontre d’ailleurs que la

représentation du justiciable

seul devant un tribunal

comporte davantage de

problèmes que de bénéfices.

Les MARC paraissent

davantage comme une

approche plus conforme à une

démarche d’appropriation par

le justiciable.

L’information permet à

l’intéressé de comprendre

certains paramètres de la

situation juridique dans laquelle

il est placé.

La disponibilité d’information

juridique fiable, donc de

qualité, rend le justiciable plus

connaissant du fonctionnement

du système judiciaire.

L’information juridique diminue

en quelque sorte la barrière de

l’asymétrie d’information.

Source: Barendrecht, M., « Legal Aid, Accessible Courts or Legal Information? Three Access to Justice

Strategies Compared », Tilburg University, 2009.

87

Les résultats présentés au tableau sont intéressants. Les solutions afin d’accroître

l’accès à la justice pour les ménages à revenus moyens relèvent de l’application

de différentes stratégies.

Le bref profil des stratégies présentées au tableau traduit le fait que l’information

et l’éducation juridiques semblent des approches prometteuses. Les économies

d’échelle font en sorte que le coût de distribution de l’information diminue.

Quant à l’éducation, même si nous avons discuté des problématiques

d’analphabétisme antérieurement, il faut convenir que le taux de littératie est

élevé au Québec57.

Les justiciables peuvent prendre connaissance de certains produits d’information

juridique et les mettre en perspective selon leur problématique. Un certain

pourcentage d’entre eux pourront alors résoudre leurs problèmes.

Le « packaging » de certains types de contenus d’information juridique requiert

un format compréhensible pour les ménages, et ce, sans consulter un expert.

L’information doit porter spécifiquement sur un aspect et être accessible

rapidement, ce qui mène ni plus ni moins à l’« autosuffisance » pour des

situations simples, les alternatives étant, dans ce cas, limitées.

Il importe de souligner ici que les professionnels de première ligne , c.-à-d.

avocats/notaires, sont incontournables en ce qui concerne les aspects

complexes. Bien que l’information juridique puisse abaisser considérablement les

coûts d’accès à la justice, celle-ci n’est pas un substitut aux tribunaux et aux

MARC. L’information servira à abaisser les coûts totaux d’accès à la justice

lorsque utilisée conjointement avec d’autres outils.

L’appropriation de concepts juridiques par le ménage améliore le contrôle de

ce dernier sur le vécu d’une situation. L’appropriation diminue l’incertitude et les

coûts de recherche d’une solution.

57 La littératie se définit comme : « Apprendre à lire et à écrire (des textes et des chiffres), lire et

écrire afin d’apprendre ainsi que développer ces compétences et les utiliser efficacement pour

combler des besoins de base. »

88

8.3 Facilitateurs et freins à l’accès à la justice

Le diagramme qui suit retrace la démarche probable d’un ménage à revenus

moyens pour faire face à une situation pouvant nécessiter un recours aux

services juridiques. La relation inverse entre coûts de transaction et délais au

regard de l’accès au panier de services est bien présente.

Diagramme 14

Accéder ou non à la justice

De fait, le panier de services met à la disposition des ménages à revenus moyens

un éventail de produits permettant de résoudre une majorité de problématiques

qui, rappelons-le, relèvent en grande partie de trois types de situations de la vie

courante58. La partie de droite du diagramme (zone critique) correspond au

vécu d’une minorité de ménages à revenu moyen

58 Il s’agit des segments transactions immobilières (48 %), testaments/successions/procurations

(38 %) et familial (21 %). Source : CROP, « Recours aux services juridiques et perception à l’égard du

système judiciaire québécois », Observatoire des services professionnels, 2013.

Situation

nécessitant un

recours aux

services

juridiques

Obtention

d’une

solution au

problème

Non litigieux

Litigieux

Médiation

FAIBLE/NUL Coût de transaction ÉLEVÉ

Procès ÉCHEC

INFORMATION

JURIDIQUE et

DÉMARCHE

D’APPROPRIATION

PAR LE MÉNAGE

TRÈS COURT Délais dans le temps TRÈS LONG

DÉLÉGATION À UN

TIERS « PROFESSIONNEL »

ZONE

CRITIQUE

89

Outre les tribunaux, des pistes d’accès à la justice pour les ménages à revenus

moyens ont été identifiées. Qu’il s’agisse de l’information, de la formation, des

conseils/avis ou encore des MARC, tous ces moyens constituent des avenues

non seulement à investiguer, mais aussi à développer, « packager » et implanter

sur une plus grande échelle. Sur une base strictement économique, et compte

tenu de la capacité de payer de l’État, la plupart de ces pistes demanderont

des investissements rentables, car elles permettront d’accroître de façon

substantielle l’accès la justice pour ces 6,4 % des ménages à revenus moyens qui

ont un problème ou vivent une situation de nature juridique qu’il faut régler au

cours d’une année.

Les résultats de cette recherche indiquent sans équivoque qu’il n’y a pas de

solution miracle au regard de l’accès à la justice. Il n’existe pas non plus

d’avenue rapide face à cette crise de l’accès maintenant bien documentée.

Toutefois, rappelons que ce qui est inaccessible pour les ménages à revenus

moyens porte sur les procès, soit l’attente et les coûts. Les avis juridiques et la

représentation constituent la base de notre système, mais les milieux juridiques

savent pertinemment que ce ne sont pas les seuls moyens d’assister les ménages

à revenus moyens.

Rappelons-le, il n’y a pas de proposition définitive. Tel qu’on l’a souligné

auparavant, on ne peut, dans ce rapport, établir les avantages et les

inconvénients de la totalité de pistes identifiées et susceptibles, selon leur

efficience escomptée, d’améliorer l’accès à la justice pour les ménages à

revenus moyens.

Nous retenons un certain nombre de pratiques émergentes qui sont susceptibles

de produire des bénéfices à très court terme. Il s’agit bien entendu de faciliter

l’appropriation des contenus du panier de services.

8.4 Des pratiques émergentes : des façons innovatrices

d’améliorer le panier de services

8.4.1 Les nouvelles plateformes

L’une des façons de réduire le coût de production des services juridiques est de

le répartir sur une plus grande quantité de clients. Le service devient

homogénéisé et, par la suite, informatisé. Nous avons vu que la plupart des

situations de nature juridique affichent des traits communs et que les

compétences juridiques nécessaires pour les régler pourraient être mises à la

disposition de tous sur Internet par le biais de sites dédiés. La supervision de

professionnels du droit est évidemment incontournable pour le succès de cette

approche.

90

Dans cette perspective, notons le site « Fired Without Cause » de la Colombie-

Britannique59. Ce site fournit aux citoyens de l’information gratuite sur leurs droits

de base face à un congédiement. Pour des coûts minimaux, des services sont

offerts60. Le panier de services pourrait alors être élargi et inclure, à moindre coût,

des outils portant par exemple sur la résolution d’un problème de dette. Notons

que certains produits sont déjà disponibles, telles la rédaction d’un testament

simple ou encore l’élaboration d’un bail. Ces produits seraient utiles aux

ménages à revenus moyens. Il s’agit de montants plutôt modestes pour obtenir

de l’aide/assistance juridique.

Les avocats et les notaires pourraient alors adopter leurs offres de services

professionnels en déterminant comment desservir de façon plus rentable pour

eux différents segments de marché. L’usage de formulaires et de questionnaires

interactifs pourrait modifier considérablement les stratégies de prestation de

services juridiques.

8.4.2 Le règlement de micro-litiges en ligne

Le règlement de micro-litiges en ligne prend l’allure d’une tendance lourde.

Songeons ici au modèle lancé par eBay. Le modèle d’affaires d’eBay est tout

simplement gigantesque. Les statistiques sont éloquentes :

Il s’agit de 233 millions d’usagers;

On compte 135 millions de clients enregistrés;

La valeur des échanges se situe à 32,8 milliards de dollars ; et

Les revenus d’entreprise d’eBay se situent à hauteur de 2,8 milliards de

dollars.

Les échanges sur eBay sont payés par PayPal. Jusqu’à tout récemment, de

nombreux problèmes surgissaient lors des transactions. Les deux compagnies ont

alors procédé à des investissements substantiels pour des systèmes efficaces de

gestion de micro-conflits. En 2011, près de 60 millions de micro-conflits provenant

des usagers d’eBay ont été réglés.

59 www.FiredWithoutCause.com (Empower Yourself). 60 Pour 39,99 $, le justiciable peut utiliser une calculatrice lui permettant d’évaluer la valeur d’une

allocation de mise à pied. Pour 59,98 $, le même service est offert avec une lettre personnalisée

pour présenter une contre-proposition à l’employeur.

91

Ce qui étonne, c’est que ce ne sont pas les milieux juridiques qui ont réglé le

problème d’eBay. Ce sont des informaticiens, accompagnés par de

professionnels du droit, bien sûr, qui ont facilité le règlement de micro-conflits

pour des millions de citoyens dans le monde. La proposition du professeur Pierre-

Claude Lafond, de l’Université de Montréal, mérite d’être bien écoutée de tous

les milieux soucieux de l’accès à la justice pour les ménages à revenus moyens.

Par conséquent, le modèle « eBay » s’est rapidement développé, soit

notamment par des sites tels www.themediationroom.com et

www.cybersettle.com. Ces modèles peuvent être adaptés à différents types de

conflits civils. Ils peuvent également être conçus de façon à fournir des services

à coût moyens par le biais du dégroupage , c.-à-d. « unbundling » , en élaborant

une banque d’avocats/notaires prêts à offrir différents services de type

commodité par le biais d’Internet.

Dans cette même sphère d’offre de services juridiques, le Legal Help Centre au

Manitoba constitue une expérience intéressante. Ce centre, un organisme à but

non lucratif, est formé de bénévoles œuvrant avec des universitaires et des

étudiants en droit. Le centre offre de l’information de nature juridique par

l’entremise de sa page Web et il organise des ateliers sur la façon de se

représenter seul. Des bénévoles assistent les personnes dont le revenu familial est

inférieur à 50 000 $. Il s’agit d’une approche très ciblée pour faciliter l’accès à la

justice.

8.4.3 L’option de l’universalité de l’assurance de frais juridiques

Les problématiques de l’accès à la justice ne sont évidemment pas le propre du

Québec. Dans les faits, il s’agit d’une situation qui interpelle de façon générale

toutes les nations et, de façon plus criante, les pays à économies développées.

Un excellent collectif d’auteurs s’est penché sur cette question au début des

années 200061. Un groupe d’universitaires traite tour à tour de diverses facettes

de l’accès à la justice autant dans les économies industrielles que dans les

économies en développement ou émergentes. L’un des auteurs traite d’ailleurs

de l’expérience suédoise en matière de mise en place d’un système universel

d’assurance de frais juridiques62. La Suède, pays social-démocrate s’il en est, a

opté en 1997 pour l’abolition de son régime universel d’Aide juridique couvrant

tous les citoyens. Ce dernier a été remplacé par un programme universel

« d’assurance juridique ».

61 Moorehead, R., Pleasence, P., « After Universalism: Re-engineering Access to Justice », Blackwell

Publishing, 2003. 62 Ibid. Voir l’article de Francis Regan, « The Sweedish Legal Services Policy Remix: The Shift from

Public Legal Aid to Private Legal Expenses Insurance », page 49.

92

Au Canada, au début de la décennie, un autre collectif d’auteurs s’est intéressé

à l’accès à la justice pour les Canadiens à revenus moyens63. L’un des chapitres

de l’ouvrage traite de l’option de l’universalité de l’assurance de frais

juridiques64. La présente section résume l’essence de l’option développée par les

auteurs.

D’entrée de jeu, la disponibilité de l’assurance de frais juridiques au Canada est

passée en revue. On note que le marché de l’Ontario est desservi par un unique

assureur. Les coûts de l’assurance de frais juridiques auprès de cet assureur sont

au-dessous de 500 $ pour une couverture de 100 000 $ par réclamation, ce qui

inclut les coûts du litige. Tout le domaine du droit familial est exclu.

À titre de référence, le cas « exceptionnel » du Québec dans le domaine des

frais juridiques est souligné. En effet, les auteurs indiquent que pour un coût

variant entre 35 $ et 90 $ les assurés bénéficient d’une couverture de 5 000 $ par

litige pour un maximum de 15 000 $ par année. L’assurance comprend

l’information juridique et la représentation devant les tribunaux. Le justiciable a

accès à l’avocat de son choix. Environ 10 % des ménages québécois sont

couverts par ce type de police.

Les auteurs estiment que l’offre et la demande de frais juridiques sont

étroitement corrélées à l’intervention de l’État si ce dernier est déterminé à

corriger les imperfections du marché pour l’accès à la justice. La demande

visant ces polices d’assurance ne va pas s’accroître sans l’impulsion de l’État.

Cette intervention devrait alors stimuler l’offre en limitant par un grand nombre

d’assurés, les risques inhérents à ce type de couverture.

À l’appui de ce qui précède, les auteurs indiquent que depuis bientôt 10 ans, et

malgré le soutien inconditionnel du Barreau du Québec en matière de

promotion de l’assurance de frais juridiques, le taux de pénétration stagne.

Les primes d’assurance étant très élastiques, l’assurance de frais juridiques n’est

pas un produit jugé attrayant autant pour le consommateur (besoin incertain)

que pour l’offre (faible coût pour les courtiers). Pour les auteurs, accroître ce

marché de façon substantielle porte sur l’universalité de ce produit d’assurance.

Pour eux se pose d’ailleurs une question très pertinente. Si l’assurance de frais

juridiques « obligatoire » n’est pas une option, quelles sont alors les alternatives?

Cette question est posée toujours dans l’optique d’accroître l’accès à la justice.

63 Trebilcock, M., Duggan, A. Sossin, L., « Middle Income Access to Justice », University of Toronto

Press, 2012. 64 Ibid. Voir à cet effet l’article de Sujit Choudry, Michael Trebilcock et James Wilson, « Growing

Legal Aid Ontario into Middle Class: A Proposal for Public Legal Expenses Insurance », page 385.

93

Nous souscrivons évidemment à cette approche par rapport au fait que, bien

qu’il n’y ait pas de solution unique, l’assurance de frais juridiques représente une

alternative, une option disponible à peu de frais.

Le diagramme ci-après présente une proposition de fonctionnement d’un

programme universel d’assurance de frais juridiques.

Diagramme 15

Scénario d’assurance de frais juridiques universel

Notons d’entrée de jeu que le programme universel proposé au législateur

ontarien constitue en quelque sorte une extension de l’Aide juridique. Il s’agit ni

plus ni moins d’inclure la classe moyenne dans le programme d’aide juridique,

mais sous un mode de financement original. Nous ne souscrivons pas à cette

approche. La réceptivité de cette proposition serait, selon nous, nulle.

La première des composantes du modèle suppose une diminution du coût de

certains services juridiques par la concurrence et l’innovation dans le marché.

L’offre de couverture bénéficie quant à elle d’économies d’échelles

importantes.

La proposition comporte également un volet d’« Opting Out » pour le justiciable.

Cette option de l’assuré repose sur les résultats de recherches en sciences

sociales au regard de la rationalité du jugement personnel et de la décision des

consommateurs.

Assurance de frais juridiques

universel

Choix "d'Opting

Out" du

consommateur

Concurrence

dans le marché

Choix "d'Opting In" de l'avocat

Niveau des primes

Administartion du programme

Cas des participants à

problèmes

Paiement de l'avocat et

différentiel de tarifs

94

Ceux-ci ne procèdent pas automatiquement à l’analyse des coûts et des

bénéfices de toutes leurs décisions et préfèrent souvent le statu quo. Les auteurs

établissent le parallèle entre cet aspect et le nouveau régime d’épargne-

retraite volontaire du gouvernement du Québec.

Sur le plan des pourvoyeurs de services juridiques, la proposition offre le choix

aux avocats (notaires au Québec) d’accepter des dossiers sur la base du « cas

par cas ». Ils n’ont aucune obligation d’adhérer au régime. Les auteurs estiment

qu’un nombre suffisant d’avocats accepteraient des mandats d’assurance de

frais juridiques, ce qui aurait pour effet de générer un bassin non négligeable de

procureurs expérimentés.

Les primes d’assurance de frais juridiques sont évaluées à partir d’estimations

actuarielles. Cette méthode assure un transfert des revenus élevés de la classe

moyenne supérieure vers les plus bas revenus de cette classe. Cette

composante du modèle rendrait complémentaires l’Aide juridique et

l’assurance de frais juridiques.

La rémunération de l’avocat ainsi que les différentiels de tarifs , c.-à-d. au-dessus

de l’assurance, sont sujets à une révision constante. La consolidation de la

demande amènera un ajustement des tarifs entre les régions et entre les types

de pratique65. Dans ce modèle, l’avocat qui accepte un mandat fournit le

service au coût indiqué. Les coûts excédentaires découlant de l’offre de

services ne sont pas imputés à l’assuré.

La proposition de gestion de ce programme universel implique forcément que

l’Aide juridique ontarienne a dû recourir à une nouvelle formule. La

collaboration des assureurs privés n’est pas explicitement traitée dans le

modèle.

Des filtres sont mis en place pour identifier et limiter le nombre de participants

problématiques. Par exemple, une période de carence obligatoire pourrait en

quelque sorte éliminer les citoyens désirant adhérer au régime lorsque

l’éventualité d’un litige fait surface.

L’option d’un programme universel d’assurance de frais juridiques mérite à elle

seule une étude beaucoup plus approfondie. Nonobstant ce constat,

convenons que l’approche offre de multiples avantages pour les ménages de la

classe moyenne. Le législateur québécois a maintes fois innové dans l’offre de

biens publics aux citoyens et l’accès à la justice est sans aucun doute l’un de

ces biens parmi les plus importants. Il y va du bon fonctionnement du Québec.

65 C’est ce que le Britannique Richard Susskind appelle « les commodités ». Voir sur ce Sujet

Susskind, R., « The End of Lawyers? Rethinking the Nature of Legal Services », Oxford

University Press, 2008.

95

Certains volets du modèle des partenariats publics-privés (PPP) pourraient très

certainement être importés dans le cas de l’assurance de frais juridiques. Le

Québec possède une expérience pratique de cette approche. Les assureurs

possèdent, au même titre que les institutions financières dans le cas du régime

d’épargne-retraite volontaire, une expertise qui ne peut qu’être bonifiée dans le

cas du régime universel

9 L’ACCÈS À LA JUSTICE POUR LES MÉNAGES

À REVENUS MOYENS

9.1 Les grands constats de l’étude

Les résultats de l’étude sur l’offre et la demande de services juridiques pour les

ménages du Québec à revenus moyens nous permettent de dresser les constats

suivants :

Une architecture juridique incontournable

Une littérature abondante confirme que l’État de droit permet le maintien et

le développement de la démocratie; le fonctionnement harmonieux de

l’économie et de la société civile est redevable de l’État de droit;

Pourtant, et malgré l’importance stratégique de l’État de droit, la justice au

Québec est l’un des services gouvernementaux largement sous-financés, soit,

notamment, en 2012, à hauteur de 93,28 $ sur une base per capita

comparativement à 1 983,37 $ en éducation et à 3 739,51 $ en santé, les

autres grandes missions de l’État du Québec.

Un environnement interne assujetti à un stress intense

Selon plusieurs auteurs, les coûts et les délais du système de justice amènent

un nombre grandissant de justiciables à renoncer à leurs droits, faute de

moyens.

La structure démographique du Québec tend à un vieillissement accéléré de

sa population, ce qui va modifier la demande de services en général et de

services juridiques en particulier.

Les finances publiques continueront d’être une source de problèmes : les

ménages à revenus moyens sont les plus taxés en Amérique du Nord, le

service de la dette représente un poids croissant, le développement et la

mise à niveau des infrastructures exigent des investissements massifs, l’offre

de biens publics s’accroît et l’on remet en question la capacité des fonds de

pension à satisfaire à une demande accrue à compter de la fin de la

présente décennie.

96

Les ménages à revenus moyens au Québec gagnent entre 40 125 $ et

98 250 $ et ils constituent le groupe le plus sollicité autant sur le plan politique

et économique (fiscal) que social.

Quant au stress découlant de l’environnement externe

Le développement des technologies continuera de faire évoluer de façon

accélérée l’économie et la société; les coûts associés à cette tendance

lourde ne sont pas connus et ils sont très difficiles à évaluer.

De plus, les effets de la mondialisation sont dorénavant permanents et

affectent l’interaction entre tous les agents économiques au niveau local et

partout dans le monde , c.-à-d. gouvernement, ménages et entreprises.

Les besoins en services juridiques

La demande de services juridiques correspond à un besoin discrétionnaire

des ménages lors d’une situation qui requiert des avis ou conseils.

Les besoins sont particuliers à chaque segment, dont les ménages à faibles

revenus, les ménages à revenus moyens, les PME, les grandes entreprises et

les institutions publiques.

Le premier réflexe du contribuable au regard de la justice se porte sur les

avocats, les notaires et les tribunaux.

Ainsi, on peut observer une offre formelle de services juridiques provenant

des actes exclusifs des avocats et des notaires; pour le volet de l’offre

informelle, on trouve différents acteurs professionnels du droit et autres

plateformes disponibles telles Internet, les émissions de télévision ainsi que les

journaux et revues spécialisés.

Pourtant, l’activité judiciaire au Québec est en nette décroissance et est

passée de 178 683 dossiers en 2002 à 120 667 dossiers en 2011.

La demande exprimée

Si les besoins en services juridiques peuvent s’avérer variés et comportent

différents degrés de complexité, les résultats de l’enquête auprès des

ménages à revenus moyens font état de trois segments forts, soit les

transactions immobilières (48 %), les testaments/successions/procurations

(38 %) et le droit familial (21 %).

97

Les sources d’informations consultées

Les ménages à revenus moyens font référence majoritairement à un avocat

ou à un notaire lors d’une situation nécessitant une consultation ou des

informations de nature juridiques.

Les autres sources, tels les magazines, les sites Internet dédiés et les cliniques

juridiques, ne sont que peu consultées.

L’adéquation de l’offre et de la demande de services juridiques

Les résultats de l’enquête démontrent que, durant une année, environ

160 967 ménages à revenus moyens ont connu une situation nécessitant

l’intervention d’un professionnel du droit, ce qui correspond à 6,4 % de ces

ménages.

Au cours d’une même année, environ 7 875 ménages à revenus moyens ont

renoncé à une démarche nécessitant l’intervention d’un professionnel du

droit, il s’agit d’un poids de 0,3 %.

Les composantes du panier de services les plus coûteuses portent sur le

segment des litiges qui se rendront devant les tribunaux.

Les alternatives qui s’offrent aux ménages de la classe moyenne représentent

un coût de transaction variant de quasi nul (informations juridiques) à moyen

(avocats et notaires).

Ce qui freine l’accès à la justice

La structure du panier de services est trop souvent de type « silo », ce qui

ampute la performance de l’ensemble et freine donc l’accès à la justice.

Les ménages à revenus moyens connaissent peu ou pas le meilleur point de

services.

Pour ces ménages, la prestation de services juridiques relève uniquement de

l’avocat ou du notaire.

Certaines des composantes du panier de services représentent trop souvent

un coût élevé et hors d’atteinte pour le ménage à revenus moyens.

98

9.2 Un panier de services juridiques pour les ménages à revenus

moyens

9.2.1 Les attentes des partenaires de cette étude

L’étude de « l’offre et la demande de services juridiques, les besoins

contemporains des ménages à revenus moyens » a été réalisée en partenariat

avec le Barreau du Québec, la Chambre des notaires, SOQUIJ et la Fondation

du Barreau. Les attentes de ces partenaires se sont avérées complémentaires.

Il y a consensus sur trois avenues majeures à promouvoir pour améliorer l’accès à

la justice, soit, notamment, l’éducation juridique, la prévention et la vulgarisation

de type « grand public ». Ces prérogatives sont incluses à différents niveaux au

sein des stratégies et actions des partenaires.

9.2.2 Les recommandations découlant de l’étude

Les ménages à revenus moyens représentent le segment négligé des justiciables

en ce qui concerne l’opportunité de faire valoir leurs droits lorsqu’une situation

l’exige. Les recommandations à la page suivante visent à mettre en place des

stratégies capables de produire à terme une réelle amélioration pour ces

ménages.

99

Recommandation #1

Consolider le développement des MARC par le déploiement de projets

actuellement en essai (médiation commerciale) ou de projets futurs vers le

secteur des ménages à revenus moyens. Un plan de développement selon les

segments devrait supporter cette approche pour les avocats et les notaires.

Recommandation #2

Une étude des bénéfices et des coûts découlant de la mise en place d’un

régime universel d’assurance de frais juridiques devrait être entreprise.

Recommandation #3

La complexité de la société contemporaine et la modernité des problématiques

qui en découlent nécessitent une approche préventive et l’accent sur

l’éducation juridique. Celle-ci devrait de plus faire l’objet d’un programme

obligatoire d’enseignement auprès des élèves, et ce, dès le secondaire. Les

initiatives d’éducation et de vulgarisation juridique devraient être mieux

coordonnées, voire consolidées et homogénéisées. Le ministère de l’Éducation

du Québec devrait être approché à cet effet.

Recommandation #4

Pour éviter une « cannibalisation » des sources de revenus et des clientèles en ce

qui a trait à la quête de moyens pour améliorer l’accès à la justice, une

meilleure coordination des différents organismes voués au même objectif

d’accès à la justice est nécessaire. Ce type de coordination harmonisée pourrait

faire l’objet d’un financement conséquent selon les objectifs visés et selon les

organismes. Tous les intervenants pourraient alors être informés et s’ajuster en

conséquence afin d’éliminer la duplication de ressources rares, mais trop

nombreuses à occuper des champs d’activité similaires, sinon identiques.

Recommandation #5

Mettre en place une structure de recherche de type public-privé afin s’assurer

de disposer des connaissances sur une base continue relativement aux besoins

en services juridiques. Des connaissances pointues sont requises sur le point de

mire des recherches à entreprendre, sur la segmentation des marchés, sur les

tendances observées, sur l’élaboration d’indicateurs de mesure du changement

et sur le développement de banques de données fiables.

RECOMMANDATIONS

100

Recommandation #6

L’accroissement du volume de données numériques est exponentiel, on les

qualifie de « Big Data ». Les très gros volumes de ces données intrinsèques aux

documents, i.e. métadonnées, permettent, lorsqu’on les analyse avec de

puissants algorithmes de synthèse, un travail d’évaluation qui est à révolutionner

la pratique du droit.

Il y aurait lieu d’agir de façon proactive et d’accroître les initiatives de

Recherche et développement dans ce secteur. Pour ce faire, il faut identifier,

évaluer, retenir et financer des projets novateurs.

ANNEXES

Annexe I Répartition géographique des notaires et des avocats

RÉGION ADMINISTRATIVE Notaires SECTION Avocats

Bas-Saint-Laurent 80 Abitibi-Témiscamingue 171

Saguenay-Lac-Saint-Jean 115 Arthabaska 245

Capitale-Nationale 442 Bas-St-Laurent / Gaspésie-

îles-de-la-Madeleine 229

Mauricie 115 Bedford 227

Estrie 176 Outaouais 1503

Montréal 1 025 Laurentides / Lanaudière 1047

Outaouais 205 Montréal 13553

Abitibi-Témiscamingue 52 Québec 3793

Côte-Nord 30 Richelieu 654

Nord-du-Québec 5 Saint-François 518

Gaspésie-Îles-de-la-

Madeleine 38 Saguenay / Lac-Saint-Jean 351

Chaudière-Appalaches 203 Mauricie 270

Laval 177 Côte-Nord 95

Lanaudière 183 Longueuil 1194

Laurentides 240 Laval 765

Montérégie 616 TOTAL 24 615

Centre-du-Québec 112

TOTAL 3 814

Annexe II Bibliographie

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une invitation à l’imagination et à l’action, Justice pour tous, trouver

l’équilibre, août 2013;

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Profession: Praise and Critique», University of Tennessee College of Law,

Legal Studies Research Paper Series, 2012;

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Yvon Blais, Thomson Reuters, 2012;

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England and Wales », 2004;

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Thomson Reuters, 2012;

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17. OCDE, « De l'indignation et l'inégalité à l'inclusion et l'intégrité », Forum,

Paris, mai 2011.

18. Paterson I., Fink M., Ogus A., « Economic Impact of Regulation in the Field

of Liberal Professions in Different Member States », Study for the European

Commission, DG Competition, 2003;

19. SEO Economic Research, « Regulation of the Legal Profession and Access

to Law », 2008;

20. Sako, M., « Global Strategies in the Legal Services Marketplace:

Institutional Impacts on Value Chain Dynamics », Oxford University, 2009;

21. Secretary of State and Constitutional Affairs, «The Future of Legal Services:

Putting Consumers First », Department for Constitutional Affairs, 2005;

22. Susskind, R., « Tomorrow’s Lawyer », Oxford University Press, 2013;

23. Susskind, R., « Transforming the Law, Essays on Technology, Justice and the

Legal Marketplace », Oxford University Press, 2000;

24. The Legal Services Board, « Understanding the Economic Rationale for

Legal Services Regulation – a Collection of Essays », 2011;

25. The Legal Services Board, « Evaluation: How Can We Measure Access to

Justice for Individual Consumers? », 2012;

26. The Legal Services Board, « Market Impacts of the Legal Services Act 2007

– Baseline Final Report », 2012;

27. Trebilcock, M., Duggan, A., Sossin, L., « Middle Income Access to Justice »,

University of Toronto Press, 2012.

28. Wald, E., «The Economic Downturn and the Legal Profession, Foreword:

The Great Recession and the Legal Profession », Fordham Law Review,

2010;

29. Winston, C., Crandall, R. W., « First Thing We Do, Let's Deregulate All the

Lawyers », Brookings Press; 2011

Annexe III Liste des personnes consultées

1. Me Josée Bouchard, Barreau du Haut Canada.

2. Monsieur Marc Antoine Cloutier, Président, Clinique JURIPOP;

3. Me François Forget, notaire, Réseau Juris Conseil;

4. Me Luc Harvey, Président, Régie du Logement;

5. Me Pierre Claude Lafond, professeur titulaire, Faculté de droit, Université de

Montréal;

6. Me Michèle Moreau, Directrice générale, PRO BONO QUÉBEC;

7. Me Michèle Moreau, Directrice générale, Centre de justice de proximité du

Québec (Montréal);

8. Me Nathalie Roy, Directrice générale, ÉDUCALOI;

9. Madame Gabrielle W. Cusson, conseillère, Dossiers socio-économiques,

FADOQ

10. Mr Michael Trebilcock, Professor of Law and Economics, Faculty of Law,

University of Toronto.