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Systèmes de production et modèles de développement agricoles en Afrique subsaharienne : enjeux et perpectives

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Systèmes de production et modèles de développement agricoles en Afrique subsaharienne : enjeux et perpectives

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I- Les termes et les enjeux du débat sur les modèles de développement agricoles en Afrique subsaharienne

A- Un rapport fondateur (l'IAASTD 2010) : quels systèmes de production agricoles pour demain ?

« L’agriculture à la croisée des chemins: sécurité alimentaire et changements climatiques » ? CNUCED CONFERENCE DES NATIONS UNIES sur le commerce et le développement Décembre 2010 ( voir Article 1)

Dans la plupart des pays en développement, l’agriculture représente entre 20 et 60 % du PIB, et emploie jusqu’à 65 % de la main d’œuvre, assurant ainsi des moyens de subsistance à environ 2,6 milliards d’individus dans le monde. En dépit de l’accroissement de la production vivrière mondiale au cours des quelques dernières décennies, la réalisation de l’OMD consistant à réduire la faim de moitié d’ici à 2015 apparaît aujourd’hui hors de portée.

En fait, le nombre d’individus souffrant d’une faim chronique est passé de moins de 800 millions en 1996 à plus d’un milliard récemment.Le réchauffement planétaire constitue une grave menace pour la production et le commerce agricoles et accroît en conséquence les risques de malnutrition et d’extrême famine. Les estimations préliminaires pour la période allant jusqu’en 2080 indiquent une baisse de quelque 15 à 30 % de la productivité agricole dans les régions en développement les plus exposées aux effets des changements climatiques, à savoir l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud. La production agricole totale pourrait diminuer de 50 % dans certains pays de ces régions

C ‘est en raison de ces constats que la Banque Mondiale et les Nations Unies furent à l’initiative de ce rapport international chargé d ‘évaluer les systems de production agricoles et d’envisager les solutions possibles: the International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development (IAASTD), connu sous le nom de World Agriculture Report.

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Le Professeur Robert T. Watson, connu pour ses publications sur la couche d’ozone dans les années 1980 et très impliqué dans le GIEC, a dirigé les travaux entrepris pour la realisation de ce rapport. D’ailleurs la structure et le fonctionnement de l’IAASTD se rapprochent de celui du GIEC à quelques differences près.

L’IAASTD dispose d’un bureau constitué de 30 représentations gouvernementales et de 30 représentants de la société civile.

Des institutions scientifiques et des ONG qui travaillent en partenariat avec les paysans sont également représentés (Green peace, Pesticide action Network), des associations de consommateurs également. Parmi ces représentants on compte aussi des sociétés comme Syngenta et Unilever.

Comme dans le cas du GIEC les publications scientifiques sont sélectionnées en ménageant un équilibre entre différentes disciplines, regions du monde, genre… L’approche est pluri disciplinaire: écologues, climatologues, anthropologues, médecins, géographes, historiens, philosophes… Les savoirs paysans sont également interrogés. Ce rapport s ‘est attaché remettre la situation de l’agriculture actuelle dans un contexte historique (analyse de l’évolution au cours des 50 dernières années) et de dresser des perspectives pour les 50 prochaines années.

Le rapport de l’IAASTD est destiné à envisager quels sont les secteurs et les regions prioritaires où des investissements pourraient être réalisés et de quelle façon. En particulier il est question d ‘envisager quelles politiques pourront être menées par les 15 institutions de recherches internationales principales (CGIAR consultative group on International research) administrées par la Banque Mondiale, en particulier pour résoudre les problemes de sous alimentation et de mal nutrition dans les regions les plus affectées.

Plus de 400 scientifiques issus de toutes le regions du monde , et recouvrant un grand nombre de disciplines ont travaillé pendant 4 ans pour répondre à la question suivante:

«Comment pouvons-nous réduire la faim et la pauvreté, améliorer les moyens de subsistance en milieu rural et faciliter un développement équitable, écologiquement, socialement et économiquement durable grâce à la production, à l’accès et à l’utilisation de connaissances, de sciences et de technologies agricoles?»

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- Rapport IAASTD : bilan et defis à relever (extraits traduits) en qq points

-Premièrement qq constats :

-l'échec fondamental des politiques de développement économique des générations récentes a été de s'appuyer sur le prélèvement du capital naturel plutot que sur une gestion durable de ce capital.

-la recherche et le développement n’ont pas réussi à combler l’« écart de rendement » entre le potentiel biologique des cultures de la Révolution verte et ce que les agriculteurs pauvres des pays en développement parviennent généralement à produire sur le terrain. Cet écart est sans doute lié à l ‘imposition d un pack technique unique qui n est pas adapté à l'environnement, à l'économie, aux situations sociales et culturelles des petits agriculteurs.

-la recherche et les politiques agricoles menées par les institutions internationales et nationales ont largement ignoré le fonctionnement des systèmes de production paysans. La place tenue par des plantes et cultures locales qui assurent une grande partie des moyens de leur subsistance (arbres, légumes / légumineuses et racines) et par les animaux a été négligée sinon méprisée

.

- l'agriculture intensive est souvent encouragée et gérée de manière non durable

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-les structures sociales souvent communautaires qui, associées à des formes de gestion des ressources plus larges que les systemes de production agricoles, se sont effondrées au nom de la propriété privée garante de la bonne gestion… dérivée de la théorie de la Tragedie des communs de Hardin. Durabilité écologique, économique et sociale en ont été remise en question.

- la recherche et le développement n’ont pas réussi à répondre pleinement aux besoins des pauvres, pas seulement pour les calories, mais pour la large gamme de biens et services indispensables à la santé, à la qualité de vie, à la sécurité, au bien-être et à la liberté de choix.

-la malnutrition et la mauvaise santé humaine en lien avec l’alimentation sont encore répandues, malgré les progress réalisés. La recherche sur les quelques aliments de base d'importance mondiale, en particulier les céréales, s'est faite aux dépens des besoins en micronutriments, qui étaient assures par la plus large gamme d'aliments consommés traditionnellement par la plupart des gens.

Désormais, les consommateurs les plus aisés sont également confrontés à des problèmes de mauvaise alimentation, car les citadins choisissent de manger des aliments hautement transformés, riches en calories et en graisses, tout en restant pauvres en micronutriments. En outre, la souveraineté alimentaire suscite de plus en plus d’inquiétudes

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-De nombreuses pratiques impliquent des défrichements toujours croissants avec des mises à feu parfois incontrolables, l'érosion des sols, la pollution des sols et de l’eau, une utilisation inefficace de l'eau… Cette agriculture, soutenue par certains gouvernements (Bresil, Indonésie;..) est inféodée aux sociétés agrochiques et aux lobbies pétroliers.

-la gouvernance agricole et les institutions se sont concentrées sur des projets de développement agricoles très sectoriels. Les différents systèmes de production qui comprennent l'agriculture, tels que les céréales, la foresterie, la pêche, l'élevage, etc., sont rarement analysés de facon globale. La recherche des synergies entre ces différents éléments est abandonnées au profit de solutions techniques sectorielles, au detriment de systemes paysans qui permettait dans cerains cas une utilisation optimale de ressources limitées (exemples sahéliens , agriculture comme élevage)

- les projets agricoles ont été conçus sans forcément établir des connexions avec les activités non agricoles en amont et en aval. Il existe ainsi de nombreuses «déconnexions» organisationnelles et conceptuelles entre l'agriculture et les secteurs traitant (1) de la transformation des aliments, (2) de la transformation des fibres, (3) des services environnementaux, et (4) du commerce et de la commercialisation, (5) du transport, mais aussi (6) de l’approvisionnement en semences et en intrants, …

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Les défis essentiels à relever

- reconnaître et promouvoir la diversité et la diversification des systèmes de production, et favoriser les associations d'une gamme beaucoup plus large d'espèces d'importance locale qui peuvent générer des revenus et fournir des services écosystémiques.

- les produits agricoles doivent être maintenus à un prix juste et approprié afin que les agriculteurs puissent acheter les intrants sans s endetter et améliorer leurs conditions de vie

-améliorer la qualité nutritionnelle des aliments crus produits par les petits agriculteurs pauvres et des aliments transformés achetés par les riches urbains dans les supermarchés.

-envisager, compte tenu des menaces du changement climatiques et de la degradation de la biodiversité, des systemes agricoles qui soient plus proches de la neutralité carbone, qui minimisent les émissions de gaz à effet de serre et entretiennent la biodiversité.

-promouvoir la recherche et la formation à différents niveaux en integrant des savoirs et savoir faire locaux. En raison de la grande diversité des disciplines pertinentes, des strates socio-économiques et des stratégies de production / développement, l'agriculture durable sera plus intensive en connaissances que jamais auparavant. Une partie du défi consiste donc à encourager les synergies recherche et savoirs paysans, à réinventer les établissements d'enseignement et de formation (collèges, universités, écoles techniques et organisations de producteurs), et à soutenir le travail de nombreuses ONG en augmentant également les investissements à long terme dans le transfert en amont et en aval des connaissances.

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On peut considerer qu il existe deux voies relativement indépendantes en terme de modèle Agricole:

-un modèle de croissance agricole, étroitement associée à l’agrochimie et à la globalisation des économies et des échanges, dont la vocation est l’accroissement de la production de denrées alimentaires. Les revolutions vertes telles que menées en Chine, en Inde puis dans de nombreux pays dAsie ou envisagées en Afrique subsaharienne aujourd hui en sont une des déclinaisons.

-un modèle de développement agricole, qui promeut non seulement une amélioration de l’alimentation des populations mais une amelioration des conditions de vie de façon plus générale. Celà passe par des formes plus intégrées et plus durables de la gestion des ressources “naturelles” et humaines et la conception d’échanges commerciaux plus locaux et mieux régulés.

Ces modèles sont ils d'ailleurs forcément à dissocier, inconciliables ? L'agriculture contractuelle peut constituer une forme de combinaison : approche très controversée néanmoins

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B/ Des enjeux spécifiques pour l'agriculture africaine

Depuis septembre 2015, de nouveaux objectifs ont été définis à l’occasion de l’adoption de l’agenda 2030. L‘objectif n° 2 vise à la resorption de la faim, à privilégier la souverainté alimentaire et à la promotion d’une agriculture durable intensive, capable de nourrir non seulement les agriculteurs familiaux mais de dégager

des excédents commercialisables .

L’Objectif du millénaire pour le développement de réduire de moitié l’extrême pauvreté en Afrique subsaharienne entre 1990 et 2015 n’a pas été atteint.

Son élimination à l’horizon 2030, recherchée par les nouveaux objectifs de développement durable qui ont été adoptés, ne pourra être réalisée que si un effort considérable est fourni pour améliorer la situation des ruraux qui constituent, en Afrique, le groupe le plus pauvre et dont les perspectives d’évolution de revenu sont très incertaines.

L’agriculture, dont 60 % de la population africaine tire ses revenus, est au cœur de ce défi.

Définir des scénarios d’évolution possible de la production et de la productivité de l’activité agricole, en tenant compte des variables environnementales et démographiques, s’impose donc pour prévenir les crises alimentaires qui pourraient bien perdurer et les crises sociales que ne manqueraient pas de générer une sous rémunération et un sous-emploi massifs d’une population jeune en forte augmentation. (Farm 2015)

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Ce qui frappe, dans les nouvelles projections de population mondiale publiées par l’Organisation des Nations unies (ONU) le 21 juin, c’est moins la forte croissance démographique prévue en Afrique, désormais largement anticipée, que sa révision continuelle à la hausse. En effet, depuis les projections publiées par l’ONU en 2012, le nombre d’Africains attendu en 2050 a été augmenté de 135 millions de personnes (6 %), soit l’équivalent de deux fois la population française actuelle.

La transition démographique, c’est-à-dire la baisse de la fécondité, est certes bien engagée dans cette région, puisqu’elle est tombée de 5,1 naissances par femme à 4,7 au cours de la période 2010-2015. Mais son rythme a été nettement surestimé. On peut bien sûr se demander s’il l’est encore1.

Selon les dernières statistiques, la population africaine devrait doubler entre 2017 et 2050, à 2,53 milliards de personnes. Elle représenterait alors 26 % du nombre total d’habitants, contre 17 % aujourd’hui. Pour l’agriculture, les enjeux liés à ce boom démographique sont considérables.

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1- Un enjeu démographique : nourrir 2,5 milliards de personnes en 2050 ?

« En Afrique, toujours plus de bouches à nourrir » (FARM) note du 12 juillet 2017Jean-Christophe Debar, directeur de la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde

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https://www.afrique-asie.fr/la-demographie-africaine-atout-ou-handicap/2016

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Pour une analyse très précise de la démographie en Afrique subsaharienne: Tabutin Dominique, Schoumaker Bruno, « La démographie de l'Afrique subsaharienne au XXIe siècle. Bilan des changements de 2000 à 2020, perspectives et défis d’ici 2050 », Population, 2020/2-3 (Vol. 75), p. 169-295. DOI : 10.3917/popu.2002.0169. URL : https://www.cairn.info/revue-population-2020-2-page-169.htm

Le premier défi est bien sûr celui de la sécurité alimentaire et de la nutrition. Pour ne pas dépendre excessivement des importations, le continent africain devra accroître fortement sa production agricole. Entre 2017 et 2050, il y aura en Afrique 1,27 milliard de bouches supplémentaires à nourrir. Entre 1984 et 2017, l’augmentation a été de 536 millions. La production alimentaire doit donc non seulement s’accroître, mais croître plus vite, d’autant plus que la progression de la demande de produits animaux nécessite une forte hausse de la production d’aliments du bétail et que l'urbanisation rapide crée de nouveaux besoins. En outre, il faudra aller au-delà de l’expansion de la production agricole pour pallier les carences nutritionnelles des catégories les plus vulnérables, en particulier les enfants.

Le second enjeu est la capacité des filières agroalimentaires à créer des emplois. Plus de 40 % de la population africaine est âgée de moins de 14 ans, contre 24 % en Asie et 16 % en Europe. Le flot de jeunes arrivant sur le marché du travail va s’amplifier. La population agricole vieillit et doit se renouveler. Mais il est douteux qu’elle puisse employer davantage de bras, dans des conditions de travail décentes, alors que, globalement, elle souffre déjà d’un excédent de main-d’œuvre. Les industries et les services d’amont et d’aval de la production agricole offrent en revanche de formidables opportunités, à condition bien sûr que les jeunes soient suffisamment formés et que les créateurs d’entreprises trouvent un environnement politique et réglementaire favorable.

Le troisième défi est étroitement lié aux deux premiers. La faim et la pauvreté, conjuguées à d’autres facteurs (tensions ethniques et religieuses, concurrence pour l’accès aux ressources…) et dans un contexte général de grande fragilité des Etats, sont le terreau de l’insécurité. Les ruraux en quête d’un meilleur avenir, fût-il illusoire, partent vers la ville ou tentent d’émigrer ; d’autres se lancent dans des trafics ou s’enrôlent dans des groupes terroristes. Le Sahel est particulièrement touché, or les perspectives en matière de démographie et d’impact potentiel du changement climatique (avec notamment un risque accru de sécheresse) y sont alarmantes. Alors que la population de l’Afrique subsaharienne devrait être multipliée par 2,1 d’ici à 2050, elle le serait par 2,3 au Tchad et 2,4 au Mali.

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- Nourrir les villes

A l’échelle du continent, la forte croissance démographique va de pair avec l’explosion urbaine. Toutes les villes voient leur population augmenter, certaines s’affirment comme d’immenses métropoles (La Caire, Lagos, Addis-Abeba) et les villes entre 200 000 et 1 million d’habitants se multiplient.

Les agriculteurs africains doivent produire pour se nourrir, pour nourrir leur famille et pour nourrir ceux qui ne sont pas agriculteurs. . L’Afrique est la seule région du monde où la population rurale va continuer de croître jusqu’en 2050 (dans la péninsule indienne, la courbe de la population rurale commence à décliner à partir de 2030). Il y a un exode rural en Afrique mais il n’empêche pas la population rurale d’augmenter.

http://www.atoo.ci/2020/02/10/comprendre-la-geographie-urbaine-de-lafrique-une-priorite-pour-le-continent-selon-le-nouveau-rapport-du-csao-ocde/

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http://cafe-geo.net/nourrir-25-milliards-dhommes-en-2050-lafrique-face-a-son-defi-alimentaire/

L’augmentation de la demande alimentaire des villes peut être aussi considérée comme une formidable opportunité économique pour les paysans africains : le vivrier marchand s'est considérablement développé.

Par ailleurs la pression sur les marchés urbains en cas de pénurie peut constituer un facteur d'instabilité majeur (émeutes e 2008 et 2011)

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https://public.wmo.int/fr/medias/communiqu%C3%A9s-de-presse/un-rapport-interorganisations-appelle-l%E2%80%99attention-

sur-l%E2%80%99%C3%A9tat-actuel-et

2/ Quelles évolutions climatiques en Afrique? Quels impacts sur les systèmes agricoles et pastoraux ?

Le rapport sur l’état du climat en Afrique en 2019, une publication inter organisations coordonnée par l’Organisation météorologique mondiale (OMM), donne un aperçu des tendances climatiques actuelles et futures et des impacts correspondants sur l’économie et dans des secteurs sensibles tels que l’agriculture. Il insiste sur les leçons à retenir pour lutter contre le changement climatique en Afrique et recense des moyens de remédier aux graves lacunes et difficultés recensées.

«Le changement climatique a un impact croissant sur le continent africain. Il frappe plus durement les plus vulnérables et accroît l’insécurité alimentaire, les déplacements de population et les pressions exercées sur les ressources en eau. Ces derniers mois, nous avons assisté à des inondations dévastatrices et à une invasion de criquets pèlerins. À présent, la perspective inquiétante d’une sécheresse causée par un épisode La Niña se dessine. La pandémie de COVID-19 a aggravé le bilan humain et économique», a déclaré le Secrétaire général de l’OMM, M. Petteri Taalas..

Sources principales : Achala Abeysinghe, Brianna Craft et Janna Tenzing, 2016 « L’Accord de Paris et les PMA. L’analyse des résultats de la COP21 au regard des positions des PMA », dossier IIED International Institute for Environment and Development, London, UK, 30 p

Rapport spécial sur un réchauffement global à +1,5°C (2018) :https://www.climat.be/files/4115/3900/0027/181008_IPCC_sr15_spm.pdf

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Des attentes en terme de prévisions et de projections/changement climatique

«Les données scientifiques sur le climat représentent un pilier du renforcement de la résilience, une pierre angulaire de l’adaptation au changement climatique, ainsi qu’un terreau fertile pour les moyens d’existence et de développement durables. Le rapport sur l’état du climat en Afrique a donc un rôle essentiel à jouer à cet égard, notamment pour étayer les mesures que nous prenons afin d’atteindre les objectifs de l’Agenda 2063 pour l’Afrique»,( Commissaire à l’économie rurale et à l’agriculture de la Commission de l’Union africaine, Mme Josefa Leonel Correia Sacko.)

«L’une des raisons pour lesquelles les services d’information sur le climat sont peu utilisés pour planifier et mener des activités de développement en Afrique est que les données fiables et opportunes sur le climat sont rares. Ce rapport, qui se concentre sur l’Afrique, contribuera largement à combler cette lacune. La Commission économique pour l’Afrique a pris part à sa rédaction, par l’intermédiaire du Centre africain pour la politique en matière de climat, afin de mettre en évidence le lien qui existe entre le changement climatique et le développement, et de souligner que pour mieux rebondir après la pandémie de Covid-19, il faut envisager un développement vert, durable et résistant au changement climatique, fondé sur les meilleures données scientifiques disponibles. La participation de multiples institutions et organismes à l’établissement de ce rapport renforce nos principes et méthodes de travail collaboratifs», ( Secrétaire générale adjointe et Secrétaire exécutive de la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique, Mme Vera Songwe.)

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Hausse des températures En Afrique, l’année 2019 a été l’une des trois années les plus chaudes jamais constatées. Cette tendance devrait se poursuivre. Au cours des dernières décennies, le réchauffement de l’Afrique a progressé de manière comparable à celui de la plupart des autres continents, et donc légèrement plus rapidement que la moyenne mondiale.Les dernières prévisions décennales, qui incluent la période quinquennale 2020–2024, indiquent un réchauffement continu et une diminution des précipitations, notamment en Afrique du Nord et en Afrique australe, ainsi qu’une augmentation des précipitations au Sahel.

Selon les scénarios médians présentés dans le cinquième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), de vastes régions africaines connaîtront, d’ici les deux dernières décennies de ce siècle, un réchauffement supérieur à 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Dans une grande partie de l’Afrique, la température a déjà augmenté de plus de 1 °C par rapport à 1901, avec une multiplication des vagues de chaleur et des journées caniculaires. Selon le GIEC, il est probable que les précipitations diminuent en Afrique du Nord et dans le sud ouest de l’Afrique du Sud‑ d’ici la fin du siècle.

Tendances, pour quatre sous-périodes, de la température moyenne de l’air à la surface du globe établies à partir des jeux de données HadCRUT4, NOAAGlobalTemp et GISTEMP. Les barres représentent la tendance de la moyenne des trois jeux de données et les traits noirs indiquent la fourchette entre les tendances les plus hautes et les plus basses des trois jeux de données.)

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Des phénomènes météorologiques extrêmes.

Le rapport sur l’état du climat en Afrique rassemble des informations sur les événements à fort impact de l’année 2019. Le cyclone tropical Idai a été l’un des cyclones tropicaux les plus destructeurs jamais enregistrés dans l’hémisphère Sud. Il a fait des centaines de victimes et entraîné le déplacement de centaines de milliers de personnes au Mozambique, au Malawi et à Madagascar.

L’Afrique australe a souffert d’une sécheresse étendue en 2019. En revanche, dans la corne de l’Afrique, les conditions très sèches qui ont prévalu en 2018 et pendant la majeure partie de 2019 ont laissé la place à des inondations et des glissements de terrain dus à de fortes précipitations fin 2019. De mai à octobre 2019, des inondations ont également été enregistrées au Sahel et dans les zones environnantes.

Prévisions moyennes multimodèles de la température près de la surface et des précipitations pour la période quinquennale 2020–2024. Les couleurs indiquent les anomalies par rapport à la période 1981–2010 de la moyenne de plusieurs prévisions internationales transmises au Centre principal de l’OMM pour les prévisions climatiques annuelles à décennales (https://hadleyserver.metoffice.gov.uk/wmolc/). Les prévisions se fondent sur des observations et ont été élaborées à partir du 1er novembre 2019. Source: Service météorologique du Royaume-Uni

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Impacts sur la sécurité alimentaire

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), depuis 2012, le nombre de personnes sous-alimentées a augmenté de 45,6 % dans les pays d’Afrique subsaharienne exposés à la sécheresse.

L’agriculture est l’épine dorsale de l’économie africaine. Elle englobe la plupart des moyens de subsistance du continent. Le continent est donc très exposé et vulnérable aux impacts de la variabilité du climat et du changement climatique.

Les projections du GIEC suggèrent que le réchauffement aura des effets dévastateurs sur la production agricole et la sécurité alimentaire. Il faut souligner cependant qu il y a bien d'autres facteurs qui jouent sur la production agricole et sur l'approvisionnement alimentaire des populations.

Parmi les principaux risques pour l’agriculture figurent la baisse de rendement des cultures due au stress thermique et hydrique et l’augmentation des dégâts causés par les ravageurs, les maladies et les inondations sur l’infrastructure des systèmes alimentaires. Une telle situation compromettrait gravement la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des ménages, des régions et des nations.

D’ici le milieu du siècle, les principales cultures céréalières d’Afrique seront touchées, avec toutefois des différences en fonction des régions et les cultures.

Selon le scénario de changement climatique le plus pessimiste, le rendement moyen diminuerait de 13 % en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, de 11 % en Afrique du Nord et de 8 % en Afrique de l’Est et en Afrique australe. Le millet et le sorgho sont les cultures les plus prometteuses, avec une perte de rendement d’ici 2050 limitée à 5 % et 8 %, respectivement, en raison de leur plus grande résistance au stress thermique, tandis que le riz et le blé devraient être les cultures les plus malmenées, avec une perte de rendement d’ici 2050 estimée à 12 % et 21 %, respectivement.

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Conséquences sanitaires

La hausse des températures et la modification des régimes de précipitations ont également un impact significatif sur la santé des populations africaines. L’augmentation des températures et des précipitations rend l’habitat plus favorable aux insectes piqueurs et à la transmission de maladies à vecteur comme la dengue, le paludisme et la fièvre jaune.

Par ailleurs, des maladies apparaissent dans des régions où elles n’étaient pas présentes. En 2017, on estime que 93 % des décès dus au paludisme dans le monde sont survenus en Afrique. Les épidémies de paludisme se déclenchent souvent après des périodes de précipitations exceptionnellement fortes. En outre, le réchauffement des hauts plateaux d’Afrique de l’Est permet aux moustiques porteurs du paludisme de survivre à des altitudes plus élevées.

Impacts économiques

Selon le Fonds monétaire international, les conséquences négatives du changement climatique sont surtout ressenties dans les régions à climat relativement chaud, dont font partie un nombre excessivement élevé de pays à faible revenu.

Le Centre africain pour la politique en matière de climat estime qu’une augmentation de la température mondiale entraînerait une baisse considérable du produit intérieur brut des cinq sous-régions africaines.

Pour des scénarios allant d’une augmentation de 1 °C à 4 °C des températures mondiales par rapport aux niveaux préindustriels, le PIB global du continent diminuerait de 2,25 % à 12,12 %. L’Afrique de l’Ouest, l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Est seraient davantagepénalisées que l’Afrique australe et l’Afrique du Nord.

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Action climatique

Dans l’Agenda 2063 pour l’Afrique, établi en 2013, le changement climatique est présenté comme un défi majeur pour le développement du continent.

Depuis 2015, ce sont principalement les contributions déterminées au niveau national (CDN) au titre de l’Accord de Paris qui étayent les politiques publiques mises en place pour faire face au changement climatique. Cinquante-deux (52) pays africains ont déjà présenté leurs premières CDN et œuvrent cette année à les réviser en prévision de la COP 22.

Les pays africains et les petits États insulaires en développement sont les territoires qui présentent les plus grands déficits de capacités dans le domaine des services climatologiques. L’Afrique possède également le réseau d’observation terrestre le moins développé de tous les continents.

Plus de 90 % des pays du continent ont ratifié l’Accord de Paris. De nombreux pays africains se sont engagés à passer à des énergies vertes dans un délai relativement court. Au total, 70 % des pays africains font de l’énergie propre et de l’agriculture une priorité dans leurs CDN ( favoriser la croissance socio-économique, notamment dans le secteur agricole).

Dans ce secteur, qui emploie 60 % de la population africaine, les techniques de valorisation utilisant des sources d’énergie efficaces et propres seraient capables de réduire la pauvreté deux à quatre fois plus vite que la croissance de tout autre secteur.

Par exemple, l’utilisation de l’énergie solaire et d’une micro-irrigation efficace multiplie par 5 à 10 les revenus des exploitations agricoles, augmente les rendements jusqu’à 300 % et réduit la consommation d’eau jusqu’à 90 % tout en compensant les émissions de carbone grâce à une génération d’énergie propre pouvant atteindre 250 kW.

Les femmes représentent entre 60 % et 70 % des agriculteurs. La réduction de la pauvreté grâce à la croissance du secteur agricole africain est donc une priorité en terme de lutte contre les inégalités

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Une étude commanditée par FARM et réalisée par le Cirad (Dorin 2015) évalue les grandes tendances d’évolution de la production, de la demande, des disponibilités et de la productivité en agriculture en se concentrant sur l’Afrique subsaharienne (ASS). Les résultats de cette analyse prospective s’appuient sur des projections réalisées par la FAO (Alexandratos, N. and J. Bruinsma. (2012)

Dorin B. (2015). Dynamiques agricoles en Afrique subsaharienne: une perspective à 2050 des défis de la transformation structurelle, CIRAD-CSH, Montpellier-New DelhiAlexandratos, N. and J. Bruinsma. (2012). World agriculture towards 2030/2050: the 2012 revision. ESA Working paper No. 12-03. Rome, FAO., p.28)

- Selon l’étude du Cirad, la progression de la demande en produits agricoles alimentaires prévue pour l’Afrique subsaharienne (ASS) à l’horizon 2050 serait la plus forte parmi toutes les régions du monde (multipliée par 2,6 par rapport à 2006).

- La production ne suivrait pas tout à fait ce rythme soutenu, bien que son augmentation soit aussi la plus élevée de toutes les régions pour tous les groupes de produits.

- Grâce à l’apport des importations, la disponibilité alimentaire par habitant serait satisfaisante , mais au prix du maintien d’un taux de dépendance, mesuré par le ratio importations nettes/consommation, de 12 %, dû notamment au déficit en produits animaux pour lesquels l’ASS serait la deuxième région importatrice.

- Diminuer de moitié les pertes entre la récolte et la consommation, avec pour résultat la possibilité d’augmenter le disponible consommable d’environ 7,5 %, ne serait pas suffisant pour combler le déficit de consommation mais aurait un impact significatif sur les importations nettes agricoles en Afrique, qui baisseraient de moitié.

C- Perspectives et enjeux à relever pour l'Afrique subsaharienne

Benoît Faivre Dupaigre, FARM Changement climatique : un défi de plus pour l’agriculture en Afrique. Perspectives 2050 pour la sécurité alimentaire et la productivité agricole

1- Promouvoir une révolution verte sur le modèle asiatique ? Une solution en dépit de ses résultats controversés?

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Si les projections de disponibilités alimentaires, dans l’étude, sont relativement favorables, on doit tempérer cet optimisme au regard des révisions de croissance démographique successives et des contraintes climatiques .

- la disponibilité en denrées alimentaires en kg/cal/jour serait à la baisse / 2006.

En prenant l’hypothèse d’une diminution moyenne de 8 % de la production agricole par rapport à ce qui est projeté dans l’étude du Cirad en 2050, les disponibilités alimentaires par habitant pourraient chuter de 23 % (toujours par rapport au scénario central) en intégrant en parallèle la forte augmentation de population, à moins que les importations nettes comblent le déficit ; elles représenteraient alors l’équivalent de la moitié de la production

- l’accroissement de la population active aurait aussi un effet sur les ressources puisque la surface disponible par travailleur agricole diminuerait pour passer sous les 0,7 ha.

-si l’Afrique subsaharienne devrait être la région bénéficiant des plus fortes hausses de production d’ici 2050 (+ 164 % pour les produits végétaux et + 185 % pour les produits animaux), ce serait avec une contribution de la hausse des rendements plus faible que dans les autres régions et dans un contexte de forte croissance de la population active agricole, susceptible de creuser encore le fossé en termes de productivité du travail agricole avec le reste du monde ( …)

D’autres pistes doivent donc être explorées du côté de la productivité de la terre puisque malgré un certain rattrapage, les dynamiques de croissance des rendements projetées dans l’étude resteraient modestes par rapport à ce qu’ont vécu l’Asie de l’Est et du Sud ou l’Europe lors de leurs révolutions vertes.

L’application des hausses de rendements connues par ces régions permet d’envisager une multiplication de la productivité du travail par 2,7, contre 1,4 dans l’étude du Cirad, mais sans assurance que cela comble le retard avec les autres secteurs économiques et le reste du monde.

Ce qui en revanche est certain est que seuls des efforts accrus d’investissement et des politiques économiques fortement incitatrices à l’accumulation en agriculture, réduisant les risques supportés par les producteurs, permettront d’ouvrir l’horizon, ce que le modèle prospectif prend difficilement en charge.

Benoît Faivre Dupaigre, FARM Changement climatique : un défi de plus pour l’agriculture en Afrique. Perspectives 2050 pour la sécurité alimentaire et la productivité agricole. 2015

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2- Une nécessaire révolution agricole africaine ?

Pour répondre au défi de demain, l’Afrique doit cependant engager des révolutions agricoles.

On peut rappeler les trois grandes révolutions agricoles que l’Humanité a connues :

– La 1ère révolution agricole est celle du Néolithique il y a 12 000ans, avec la sédentarisation des hommes, rendue possible par la domestication des céréales. Cette 1ère révolution agricole correspond à l’invention de l’agriculture.

– S’il y a eu des progrès importants (invention et diffusion de la charrue dans l’Antiquité, généralisation du soc en fer et de l’assolement triennal avec jachère au Moyen Age), la 2ème révolution agricole a lieu au XVIIIème siècle, en Europe. Elle est basée sur l’association de l’agriculture et de l’élevage avec le remplacement de la sole en jachère par une sole fourragère : nourriture du bétail sur l’exploitation dont le fumier, engrais naturel, vient fertiliser la terre.

– La 3ème révolution agricole, est la révolution productiviste après la Seconde Guerre mondiale basée sur la motorisation, l’utilisation des engrais chimiques, les plantes génétiquement modifiées…

Une révolution agricole est donc un changement systémique qui fait interagir les innovations techniques, les structures foncières, les acteurs et qui s’accompagne d’un changement de philosophie de production.

L’Afrique a été touchée par ces révolutions mais elle n’a pas été un foyer des deux dernières révolutions agricoles à la différence d’autres pays du Sud (Inde, Chine) qui ont été concernés par les révolutions productivistes, appelées révolutions vertes.

La révolution de l'agriculture africaine doit être plurielle (il n’y a pas un modèle à suivre comme cela s’est fait dans tous les pays riches (Europe de l’Ouest, Amérique du Nord, Brésil, Argentine, Australie, Nouvelle-Zélande) où la révolution productiviste s’est développée avec ses techniques standardisées sans tenir compte des écosystèmes, des climats, des sociétés avec les conséquences négatives que l’on voit aujourd’hui.

En Afrique, pour réussir à relever le défi alimentaire, il est nécessaire de s’adapter aux contextes locaux et de s »pauyer sur les ressources et les savoir faire paysans, c’est un des principes de l’agro-écologie.

De fait, les paysans africains, même s’ils n’ont pas toutes les techniques modernes de production, ont su s’adapter. L’Agriculture africaine change vite, elle est de plus en plus intégrée au marché (exportation de coton, du café, du cacao).

http://cafe-geo.net/nourrir-25-milliards-dhommes-en-2050-lafrique-face-a-son-defi-alimentaire/

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Comment augmenter la production… ?

…par l’augmentation des surfaces cultivées ?

Entre 1961 et 2016, l’augmentation de la production de céréales (50MT à 200MT) a été essentiellement soutenue par une hausse des rendements (8q/ha à 17q/ha) et dans une moindre mesure par l’augmentation des superficies cultivées.

Si l’Afrique est la 1ère réserve de terres cultivables dans le monde (200Mha potentiellement cultivables – pâturages, savanes, forêts – sources FAO), il n’est pas certain que cette solution soit à envisager car elle soulève deux problèmes : le problème écologique (déforestation) et le problème foncier.

En Afrique, dans le droit coutumier, la terre a été léguée par les ancêtres et doit être léguée aux enfants; il n’y a pas de propriété privée, le cadastre n’existe pas. Cette philosophie est commune à tous les systèmes fonciers coutumiers africains (il est donc impensable de vendre la terre). La colonisation a voulu imposer le système de propriété en Afrique, « titriser » (donner des titres de propriétés aux Africains), cadastrer, afin que la terre puisse être un bien monnayable. Cette logique libérale a perturbé les systèmes fonciers coutumiers qui sont toujours actifs ou réactivés en cas de litige. De fait, le pluralisme des normes juridiques en Afrique a introduit une insécurité foncière.

Dans les années 1960, quand les villages comptaient une centaine d’habitants, ceux qui y étaient nés attribuaient des terres aux migrants (en Afrique, on ne refuse pas la terre à une personne qui en a besoin pour nourrir sa famille). Cela ne posait alors aucun problème : terre en abondance et pas de valeur monétaire.

Aujourd’hui, la brousse est « finie » (elle a été défrichée), si bien que la pression démographique devient cause de problèmes et de conflits : les fils dont les pères avaient donné la terre à des migrants agricoles veulent la récupérer pour nourrir leur famille ce qui provoque la détresse des fils d’autochtones et des fils des migrants qui sont nés, eux aussi, dans le village. Pour éviter les conflits, les migrants quittent parfois le village pour aller dans des zones à défricher (mais il n’y en a presque plus); s’ils restent, ils n’investissent pas dans la terre (système d’irrigation par exemple) par crainte de devoir partir.

De fait, l’insécurité foncière est un blocage puissant à la modernisation des campagnes.

En revanche, l’autre facette de la philosophie foncière africaine – on donne la terre à ceux qui en ont besoin, la terre ne nous appartient pas – entre en résonance avec les enjeux environnementaux du XXIème siècle. Il y a peut-être là des solutions pour une révolution africaine.

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...par l’augmentation des rendements ?

– La solution productiviste de la révolution agricole européenne ou de la révolution verte en Inde ou en Chine a été expérimentée dans quelques projets.

Un package comprend les semences ou les races améliorées, les intrants chimiques (pesticides et engrais), l’irrigation, la motorisation... (au prix de coûts de production très lourds …) Pour que les agriculteurs se constituent une trésorerie qui leur permette d’investir , l’accès au crédit, les prix garantis ou les subventions sont parfois attribuées (pas systématiquement et au prix parfois d'un lourd endettement)

- le potentiel de l'irrigation

Aujourd’hui, 18% des terres dans le monde sont irriguées, elles participent à 40% de la production agricole. Ce sont des terres à très hauts rendements.

En Afrique de l’Ouest, seul 1% des terres cultivées sont irriguées. Historiquement, les agriculteurs africains n’ont pas mis en oeuvre les systèmes d’irrigation qui se sont développées depuis des millénaires ailleurs dans le monde, (Chine méridionale par exemple). La marge de progression reste considérable.

Les organisation internationales (FAO, Banque mondiale pour le développement) visent 20% des terres agricoles irriguées en Afrique en 2050. Cette solution est possible et satisfaisante sur le papier mais là encore des difficultés sont à surmonter car il faut prendre en compte des paramètres socio-économiques.

-l'agroécologie et l'adaptation des savoirs locaux ex du Zaï-les savoirs faire paysans et les capacités d 'adaptation locales

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Exemple 1 Training small-scale women farmers in Kenya: escaping poverty within four years

In Kenya, 70 percent of the population make their living from agriculture, cultivating the commonly barren soils of the country. Most of them are small-scale farming families with two to three hectares of land. More than one fifth of the population is still undernourished. In 1993, with the aim of improving food security in rural areas, Kenyan agronomist Ngugi Mutura founded the NGO Sustainable Agriculture Development Program (SACDEP) and established a training program for smallscale women farmers. It combines organic farming, the breeding of locally adapted seeds and water management with small animal husbandry and the use of renewable energy, as well as self-managed microcredit systems.The point of departure is always a comprehensive analysis which focuses on which resources are available in the different local farming communities and how these could best be used and increased without high investment costs. Self-help groups of 30 to 40 people, 80 percent of whom are women, receive four years of training in organic farming on their plots of land. The training covers techniques such as composting and the production of natural plant protection. To get started, each group is taught how to construct water tanks and how to finance this through saving and lending groups. The groups also receive milk goats and small livestock. Together the women decide who will first get animals; the offspring is then passed on to the next group members. “Open field days” encourage a regular exchange of know-how between the women farmers, with expert farmers opening their farms for visitors and sharing their experience. As a part of the SACDEP training, so-called “Practicing Skills Facilitators” (PSFs) are defined as contact persons who are available in the field for any questions regarding cultivation. These field days and the training through PSFs are recognized as a successful approach to knowledge dissemination.In 2015, a scientific evaluation praised the success of the program in reducing poverty and achieving equal opportunities for women. Since 1993, SACDEP has reached 55,000 families in six regions of Kenya. Today, thanks to their diversified farms, the farmers are both food secure and independent. The families have sufficient quantities of their own seeds for up to three sowings per year, enough to survive if droughts destroy a harvest. Based on 20 years of experience, SACDEP has developed a training program for organic, small-scale farming, which will also be taught at the first college for organic farming in East Africa which is currently being built up in Thika, 40 kilometers northof Nairobi. bit.ly/SACDEP

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Exemple 1 More with less: boosting yields with the System of Rice Intensification

Rice is a staple food for over three billion people worldwide. By 2050, it is predicted that there could be another billion rice eaters in Asia. For this reason, scientists are working to breed new varieties, which promise higher yields. The traditional remedy in this area – greater output from higher inputs – was fundamentally questioned by a new method of cultivation developed in the early 1980s by French Jesuit priest and agronomist Henri de Laulanie. After many years of observation in field trials with small-scale farmers in Madagascar, he came up with the System of Rice Intensification (SRI); a system that requires less input but achieves greater output. SRI breaks with all established rules of wet rice cultivation. Firstly, the seedlings are transplantedat the two-leaf stage (between 8 and 12 days old) instead of waiting for one month.Secondly, the single seedlings are planted with an increased spacing of around 25 cm rather than planting them close together in bunches. With this method, seedlings do not compete for nutrients, space and sun, and develop stronger roots and more tillers. Thirdly, instead of continuously flooding fields to prevent weed growth, plants only receive the ideal amount of water and the soil is temporarily kept dry. This favors soil microbial development and reduces methane emissions. Since weed has to be controlled manually using a mechanical hand tool, the soil is well aerated, thereby improving plant growth. Finally, organic manure and compost is used for fertilization. Thanks to SRI, farmers in Madagascar were able to increase their yields from an average of two tons of rice per hectare to eight tons, with only one tenth of the amount of seeds required.Since 1997, Norman Uphoff and other scientists at Cornell University who had observed the success of SRI in Madagascar have been committed to spreading and documenting the method. With the support of farmers’ organizations and NGOs, farmers around the globe have adapted SRI principles to their climate zones and local conditions, and have often been rewarded with record yields. Switching to SRI requires a lot of courage, especially in areas where the survival of families depends on the harvest. The method requires a lot of work and knowledge, for example it is difficult for many small-scale farmers to irrigate the fields at the perfect moment. Nevertheless, 10 million small-scale farmers in over 55 countries in Asia, Africa and Latin America are now applying SRI. In China and India, authorities are already promoting the method. “I think that SRI is something unprecedented, as very few previous innovations have shown such a huge productivity windfall. And just as surprising is the fact that we have been able to proceed on such an international scale with so little support and so much opposition,” says Uphoff. Scientists from the International Rice Research Institute in the Philippines argue the method is too labor-intensive and yield increases are not sufficiently verified. Seed and agrochemical companies are also not fond of a method that lures away clients by reducing the need for seeds, fertilizer and pesticides. But SRI is spreading rapidly: Hundreds of studies have been published and innovative farmers have extended the principles to other crops such as maize, finger millet, mustard and eggplant, achieving stronger plants and higher yields. bit.ly/sri-cornell bit.ly/ileia

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Exemple 3 A natural way of controlling pests: the Push-Pull method in Ethiopia

The main sources of income for small-scale farmers in the Tolay region in the southwest of Ethiopia are cereal growing and livestock production. However, many farmers are facing numerous problems presently. Alongside depleted soils, they also have to wage a fight against two dangerous enemies: the stem borer (pirale) moth and the striga weed. The stem borer moth lays its eggs on maize and sorghum plants; the larvae then bore into the plant’s stem, eating it from the inside. Striga is a parasitic weed that penetrates the maize roots, drawing nutrients and water from the plant.If stem borers and striga occur together, they can cause huge crop losses – with fatal consequences for a region such as Tolay, where many live below the poverty line.The Push-Pull method helps to defeat both enemies. The leguminous plant desmodium is planted in between the rows of maize or sorghum. It then suppresses the growth of the striga weed by natural means – as opposed to the patented alternative of chemical company BASF, which offers hybrid maize varieties resistant to Imazapyr, a herbicide (StrigAwayR) that kills the striga seed as it germinates. The smell of desmodium repels the stem borer moths and drives them away from the main crop (push). Around the fields, the farmers plant napier grass, which attracts female stem borer moths (pull). They place their eggs in the grass where, once they try to bore into the grass, the hatched larvae die in the sticky substance the grass produces. Soils and livestock also benefit from Push-Pull. Like other leguminous plants, desmodium fixes nitrogen from the air with its root nodules. Its organic matter and the animals’ manure can thenbe composted and used to boost soil fertility. The napier grass serves as a highly nutritious extra fodder for the cattle that increases milk production. Farmers can also generate an additional income by selling the remaining grass.Push-Pull was developed in the 1990s by scientists around Professor Khan at the International Centre of Insect Physiology and Ecology (icipe) in Kenya, in collaboration with farmers. In 1995, Hans Herren, then Director General of the icipe, was awarded the World Food Prize for leading a biological pest control campaign in Africa, successfully fighting the cassava mealybug – one of the reasons he was later appointed Co-chair of the IAASTD. His Biovision Foundation helps to spread the Push-Pull method from farm to farm. The method has proven successful and has been adopted by more than 120,000 farmers in East Africa. In order to introduce the Push-Pull technique in Tolay, icipe is closely cooperating with the Ethiopian Institute of Agricultural Research. In 2013, the first trial fields were planted. Since then, almost 200 “demonstration farmers” and 18 agricultural advisers in and around Tolay have been trained to use and disseminate Push-Pull. Scientists are monitoring progress to be able to adapt the method to the local conditions. In East Africa, a new desmodium species has been introduced whichis more drought-tolerant. www.push-pull.net bit.ly/BiovisionTolay

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Si les blocages existent, les atouts pour une révolution agricole sont nombreux :

– la croissance démographique (population jeune, innovante, main d’oeuvre importante)

– des filières performantes : pour exemple, le prix de la viande en Europe entre le producteur et le consommateur est multiplié par 5 à 8 fois; en Afrique, il est multiplié par 1,2 à 1,9 fois.

– des populations résilientes qui subissent les chocs (aléas climatiques, guerres, famines) et réagissent

– des « ressources » africaines : pour exemple, le pastoralisme, pratique africaine traditionnelle d’élevage, est une pratique intelligente qui est adaptée aux enjeux environnementaux du XXIème siècle; il en est de même pour la philosophie foncière des origines qui mériterait d’être réactivée.

Des difficultés ...

– cette même pression démographique, s’il faut sortir du piège malthusien, il est vrai que la croissance démographique pose un énorme défi (bouches à nourrir, pression foncière…)

– la concurrence des importations évoquée avec le démantèlement des filières coton. Les politiques agricoles sont déficientes en Afrique à la différence de l’Europe qui a mené la révolution productiviste grâce à la PAC (Politique Agricole Commune) en protégeant les agriculteurs européens par des prix garantis ou des subventions; de même pour les agriculteurs indiens lors de la révolution verte. Les Etats africains n’ont pas les moyens ou la volonté politique de protéger les agriculteurs des marchés mondiaux (exemple pour le coton).

– la pression foncière, largement évoquée

– la dégradation des sols provoquée par la surexploitation, le manque d’investissement pour les protéger et le réchauffement climatique

– l’incertitude climatique est, en effet, un vrai souci pour l’agriculture africaine. Le réchauffement climatique, avec un impact sur les précipitations, devrait toucher plus durement les régions tropicales que les régions tempérées. Si les prévisions sont difficiles à établir pour 2050, on constate déjà, pour prendre l’exemple du Sénégal, une diminution des précipitations et des

conséquences sur les récoltes (en particulier le sorgho ou le maïs qui nécessitent plus d’apport en eau que le mil).