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Courrier de l'environnement de l'INRA n°47, octobre 2002 15 systèmes de grande culture intégrés principes et outils de conception, conduite et évaluation par Jean-Marie Nolot INRA, domaine expérimental d'Auzeville, BP 27, 31326 Castanet-Tolosan cedex [email protected] Mis en place en 1995 sur 33 ha du lycée agricole d'Auzeville, le dispositif SGCI (systèmes de grande culture intégrés) a été le cadre d'une recherche sur la conception et l'évaluation de systèmes de grande culture. Sont présentés ici le contexte socio-économique de sa mise en place, la démarche originale suivie, les 3 systèmes conçus et conduits, et quelques résultats. Un profond changement de contexte : vers des systèmes intégrés et flexibles La rupture qu'introduit la nouvelle PAC (1991) dans le contexte socio-économique de la grande culture peut se résumer en 3 points : chute des prix, apparition de contraintes environnementales, segmentation du marché en filières « qualité ». La chute brutale des prix (de presque 50%, à peu près compensée par une aide à l'hectare) incite à réduire les charges opérationnelles (à extensifier), ce qui permet d'augmenter significativement la surface par travailleur. La mouvance de la ré- glementation agri-environnementale et des aides appelle une capacité d'adaptation rapide. Avec les filières « qualité », enfin, une nou- velle céréaliculture diversifiée se développe sur la base contractuelle de multiples cahiers des charges, combinant obligation de moyens et/ou obligation de résultats. Dans ce nouveau contexte en recherche d'équilibre, en attendant le cadre clair d'un nouveau contrat social entre la société et son agriculture, les systèmes de grande culture doivent être intégrés et flexibles, intégrés parce qu'ils devront satisfaire un compromis acceptable entre les objectifs de rentabilité, maintien de la fertilité et respect de l'en- vironnement, flexibles pour une adaptation rapide au contexte fluctuant et diversifié. Quelques définitions l'agronomie est la science de la conduite raisonnée de la parcelle cultivée. La parcelle reçoit de l'agriculteur des interventions techniques homogènes. Le système de culture définit la cohérence avec laquelle l'agriculteur utilise ses moyens de production sur chaque parcelle pour atteindre des objectifs de production et gérer la fertilité du milieu. Le système de culture se décompose en succession de cultures et itinéraires techniques. L'itinéraire technique est la succession raisonnée des interventions culturales appliquées à une culture sur une parcelle. Une règle de décision spécifie le raisonnement d'une intervention technique. Elle fait correspondre un ensemble de choix techniques possibles à un ensemble de situations éventuelles (contexte). Son formalisme est en général : « si je suis dans telle situation, alors je ferai tel choix ».

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Courrier de l'environnement de l'INRA n°47, octobre 2002 15

systèmes de grande cultureintégrés

principes et outils de conception, conduite et évaluation

par Jean-Marie NolotINRA, domaine expérimental d'Auzeville, BP 27, 31326 Castanet-Tolosan cedex

[email protected]

Mis en place en 1995 sur 33 ha du lycée agricole d'Auzeville, le dispositif SGCI (systèmes de grandeculture intégrés) a été le cadre d'une recherche sur la conception et l'évaluation de systèmes degrande culture.

Sont présentés ici le contexte socio-économique de sa mise en place, la démarche originale suivie, les3 systèmes conçus et conduits, et quelques résultats.

Un profond changement de contexte : vers des systèmes intégrés et flexibles

La rupture qu'introduit la nouvelle PAC (1991) dans le contexte socio-économique de la grandeculture peut se résumer en 3 points : chute des prix, apparition de contraintes environnementales,segmentation du marché en filières « qualité ». La chute brutale des prix (de presque 50%, à peu prèscompensée par une aide à l'hectare) incite à réduire les charges opérationnelles (à extensifier), ce quipermet d'augmenter significativement lasurface par travailleur. La mouvance de la ré-glementation agri-environnementale et desaides appelle une capacité d'adaptation rapide.Avec les filières « qualité », enfin, une nou-velle céréaliculture diversifiée se développe surla base contractuelle de multiples cahiers descharges, combinant obligation de moyens et/ouobligation de résultats.

Dans ce nouveau contexte en recherched'équilibre, en attendant le cadre clair d'unnouveau contrat social entre la société et sonagriculture, les systèmes de grande culturedoivent être intégrés et flexibles, intégrés parcequ'ils devront satisfaire un compromisacceptable entre les objectifs de rentabilité,maintien de la fertilité et respect de l'en-vironnement, flexibles pour une adaptationrapide au contexte fluctuant et diversifié.

Quelques définitionsl'agronomie est la science de la conduite raisonnée de laparcelle cultivée.

La parcelle reçoit de l'agriculteur des interventions techniqueshomogènes.

Le système de culture définit la cohérence avec laquellel'agriculteur utilise ses moyens de production sur chaqueparcelle pour atteindre des objectifs de production et gérer lafertilité du milieu. Le système de culture se décompose ensuccession de cultures et itinéraires techniques.

L'itinéraire technique est la succession raisonnée desinterventions culturales appliquées à une culture sur uneparcelle.

Une règle de décision spécifie le raisonnement d'uneintervention technique. Elle fait correspondre un ensemble dechoix techniques possibles à un ensemble de situationséventuelles (contexte). Son formalisme est en général : « si jesuis dans telle situation, alors je ferai tel choix ».

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Côté « recherche agronomique »

Ce contexte crée une demande nouvelle de conception et évaluation de nouvelles façons de produire,et incite à un profond changement de démarche. Dans le contexte précédent, stable et favorable auproductivisme, le système de culture se réduit souvent à une succession de cultures et de pratiquesculturales standardisées par l'intensification (qui gomme la diversité des milieux), et se valide parexpérimentation. Dans le contexte actuel, instable et diversifié, l'expérimentation est impuissante àtester toute la gamme des systèmes de culture envisageables, et à apporter ses réponses avant que lecontexte ne soit déjà différent...

Maintenant donc, plus qu'un système de culture « clé en main », l'agriculteur doit attendre de sonconseiller les méthodes et outils pour concevoir, conduire et évaluer par lui-même le système deculture le mieux adapté à sa situation (disponibilité et mode d'organisation des facteurs de production).

Et l'objectif scientifique de conception-conduite-évaluation de systèmes de culture revient alors àformaliser la démarche qui permettra à l'agriculteur de convertir tout ensemble spécifié d'objectifs etcontraintes en un ensemble cohérent de règles de décision, et à élaborer les outils qui lui permettrontde les mettre en œuvre et de les évaluer.

Conception d'un système de culture - les 3 systèmes étudiés

Pour lancer une démarche générique de cons-truction - conduite de systèmes de grande culture,pour concevoir des outils (modèles et indicateurs)pour l'accompagner et pour identifier les infor-mations nécessaires (connaissances agronomiques,variables de milieu, contraintes organisation-nelles), nous avons choisi pour cadre concret unegamme de 3 situations (contextes) assez re-présentative de la réalité, particulièrement enMidi-Pyrénées.

Sur le dispositif expérimental SGCI d'Auzeville,afin de valider et affiner par itérations successivesl'ensemble de la démarche, nous avons construit etconduit pendant huit ans 3 systèmes qualifiés de :A, productif propre ; B, extensif technique ; et C,rustique simple.

Le sol d'Auzeville est argilo-calcaire, variable de 24 à 34%d'argile (jusqu'à 50% en sous-sol), globalement profond(réserve utile supérieure à 180mm) et drainé (mais desproblèmes d'excès d'eau et de structure du sol subsistent).Le climat toulousain se caractérise par 4 850°J annuel(compatible avec le groupe variétal 1/2 tardif), 660 mm deprécipitations et 900 mm d'ETP (évapo-transpirationpotentielle), un déficit hydrique estival prononcé, le tout avecune forte variabilité.Le parc matériel utilisé est celui d'une exploitation de 150 hade grande culture (semoir 3 m, épandage 12 m, récolte3,5 m, tracteurs de 60 à 120 CV). La surface des 24 parcellesde l'essai est de 1,4 ha.Noter qu'on ne représente pas bien sur un dispositifexpérimental la concurrence entre parcelles et travaux pourle meilleur usage des jours disponibles.Le contexte ayant été assez stable, et les choix techniquesinitiaux s'étant avérés plutôt valides, la définition de A, B et Ca peu évolué en 8 ans.

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Pour concevoir un système de culture, la démarche suivie peut se décomposer en 4 temps :1) préciser l'ensemble d'objectifs et contraintes à satisfaire (contexte et cahier des charges) ;2) exprimer une stratégie agronomique « candidate », inspirée par le cahier des charges ;3) spécifier un ensemble intégré de règles de décisions ;4) et une démarche d'auto-évaluation.

Un changement de contexte (prix, primes, réglementation...) ou le diagnostic de choix techniquesinappropriés amènent naturellement à ajuster ou même à reconstruire le système (flexibilité).

Contexte et cahier des charges : une gamme de ressource en eau et main d'oeuvre

Le contexte précédemment décrit justifie que les 3 systèmes suivent l'objectif commun d'intégration(rentabilité, maintien de la fertilité, respect de l'environnement), de flexibilité et d'auto-évaluation.

Ils ne sont différenciés au départ que par le niveau de ressource en eau et en main-d'œuvre :

A ne manque ni d'eau d'irrigation, ni de main-d'œuvre : il consomme jusqu'à 240 mm en cultures d'été,il est pratiqué dans une exploitation de quelque 80 ha par UTH (unité travail homme), où la grandeculture est l'activité principale ;

en B, l'eau et la main-d'œuvre sont moyennement limitants : irrigation limitée à 120 mm en cultured'été, chaque UTH cultive environ 160 ha de grande culture, la grande culture est l'activité principale ;

C est cultivé en sec, et la main-d'œuvre y est peu disponible : par exemple, l'agriculteur est pluriactif,la grande culture n'est pas sa première préoccupation, il a souvent recours à l'entreprise.

Stratégie proposée : productivité, rationnement ou esquive des problèmes.

Les 3 systèmes sont « raisonnés » : chacun doit assurer une cohérence durable entre les états de milieuet de culture et les interventions techniques qu'il est en mesure d'assurer, en tirant profit des synergiespossibles entre choix techniques et en gérant des compromis entre leurs effets contradictoires.

À chaque niveau de ressource en eau et en main-d'œuvre, on associe un objectif de rendement (ou unécart au rendement potentiel du lieu), ce qui donne une base de raisonnement et explicite le degréd'extensification choisi.

Sur les cultures et variétés les plus productives (éventuellement tardives et fragiles), A vise lerendement potentiel ou une qualité particulière et satisfait donc le besoin de la culture en eau,fertilisation et protection, mais sans majoration d'assurance sur les intrants (qui ne serait ni rentable, nirespectueuse de l'environnement).

Pour réduire globalement le besoin en eau et protection, les charges opérationnelles et le temps detravail, B choisit des cultures moins gourmandes et les rationne (on freine la mise en place du couvertvégétal, on ne vise donc pas le rendement potentiel), mais il faut rationner juste pour assurer un boncompromis productivité/charges (régularité de rendement et qualité, maîtrise de l'itinéraire technique).

En plus de rationner (objectif de rendement réduit), C doit esquiver les problèmes, en choisissant dessuccessions sans risque et des cultures à petits besoins (ou tolérantes à des besoins insatisfaits), tout enmaintenant sur la durée la fertilité du milieu (fertilité chimique NPK- azote, phosphore, potassium -matière organique, structure du sol, stock d'adventices, risque sanitaire).

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Règles de décision : spécifier les choix techniques en toute circonstance envisagée

Les décisions se prennent en 2 tempssuccessifs. En début de campagne, on se fixedes objectifs de production (espèce, variété,date de semis, succession de cultures, ob-jectif de rendement et objectifs inter-médiaires). Puis, au fur et à mesure dudéroulement de la campagne, en temps réel,se déroule l'itinéraire technique qui s'adapteaux particularités de l'année et de la parcelle(climat, indicateurs d'états du sol et de laculture).

Début de campagne(septembre en culture d'hiver, février enculture d'été) : choix de culture...

Une combinaison culture-variété-période desemis-succession est jugée possible si on saiten simulation lui associer un itinérairetechnique et un résultat technico-éco-nomique satisfaisant le cahier des charges.

Parmi les cultures possibles, on choisit lesmeilleures dans le contexte économique dumoment (prix et aides...) et sous contraintede succession de cultures (risques agro-nomiques) et d'organisation du travail (poin-tes de travaux, concurrences). Ce choix fixel'assolement et le cadre de conduite dechaque culture.

Les choix les plus fréquents sur notredispositif et, en dessous, les objectifs de pro-duction associés sont présentés dans l'en-cadré ci-contre.

« En temps réel »(selon l'état du sol et de la végétation) :choix de travail du sol, densité de semis,protection sanitaire, azote, irrigation,récolte

Ces choix sont raisonnes sur l'état du sol etde la culture, observé ou simulé en tempsréel en A et B, plus prévu en C (économied'observation) : la même règle de décisionpour les 3 systèmes amène évidemment deschoix bien différenciés selon les choix « dedébut de campagne » (moins d'adventices ensemis tardif, moins de maladies avec variétérustique et rationnement par l'azote et la

Exigeant en eau, le maïs n'est envisagé qu'en A. Le semis du 10avril autorise la variété Cécilia (groupe E). Le sorgho tolérant lasécheresse le remplace en B et C, semé vers le 1er mai (besoinde température). DK18 choisi en C est plus précoce que DK26en B. Sorgho B et maïs A ont une aide à l'irrigation d'environ180 /ha. Maïs et sorgho ont souvent bénéficié du précédent blé(sous-solage d'été).Avec quelque 690 /ha, le soja est la culture la plus aidée.D'abord choisi seulement en A pour son besoin en eau, il s'estavéré plus rentable en B que le tournesol (moins soutenu). Il estsemé fin avril (entre tournesol et sorgho). Imari ou Dekabig(groupe I) ont remplacé Queen (tardif et moins productif). Letournesol très tolérant à la sécheresse est cultivé en B et C,mais n'est compétitif qu'en C. Santiago puis Mélody sont semésvers le 10 avril en B. Albena est semé après le 20 avril en C.Soja et tournesol se sont bien accommodés du précédent peufavorable maïs ou sorgho, qui leur évite un développementvégétatif exagéré.Après tournesol (BC), on sème sans problème début décembreun pois d'hiver, variété Victor ou Cheyenne. Après le sojarécolté tard (A), on sème Baccara (type printemps) à partir du1er février (jusqu'au 15 mars en hiver humide). Baccara irriguéest plus productif que le pois d'hiver avec une protection sanitairemoindre, mais son implantation est plus aléatoire. Sans variétérustique ni facile à récolter, le pois n'est pas bien adapté à C.Pour limiter la perte d'azote, le pois est toujours suivi de blé, àdéfaut de colza ou de culture piège à nitrates.Autre culture régionale bien aidée (autour de 550 /ha), le blédur s'impose dans les 3 systèmes, semé le 10 novembre en A etB, après le 20 novembre en C. Le choix variétal (Neodur, Nefer,Arcalis...) a posé problème en C : en l'absence de variété alliantrésistance aux maladies et au mitadinage, nous sommesrevenus au blé tendre (Cézanne, Apache) avec un résultatéconomique moins attractif mais plus assuré.

Le rendement objectif est fonction de la variété, du déficithydrique prévu, du niveau de rationnement et de protectionsanitaire.Le peuplement objectif est proportionnel au rendement objectif etmajoré en semis retardé de cultures d'hiver (blé C, pois deprintemps A).Hors légumineuses, la fumure azotée est raisonnée selon laméthode du bilan généralisée:fumure = consoNobj- - fourniture du sol.En fractionnant l'apport, on colle aux besoins, sauf en C culturesd'été (apport bloqué au semis, du fait du risque de sécheresseultérieur).On utilise l'eau d'irrigation en priorité sur les cultures sensibles etsur leurs périodes critiques.

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densité, meilleure structure du sol en système peu irrigué, fournitures du sol en azote très liées àl'histoire culturale...).

Sur les 3 systèmes, les pailles sont enfouies.

Nos sols argileux de structure fragile motivent pour les cultures d'été sous-solage (après céréales) etlabour d'automne (effet structurant de l'hiver) : nous n'avons donc pas pratiqué de cultures intercalaires(difficiles à mettre en œuvre dans ce cas), mais ce choix ne doit évidemment pas être interprété commeun désintérêt pour les techniques culturales simplifiées (TCS) et les cultures pièges à nitrate (CIPAN).

Démarche d'auto-évaluation : pour juger par soi-même de la validité de ses choix techniques

Évaluer un système de culture, c'est confronter ses résultats aux exigences du cahier des charges.

Ce travail revient en priorité à l'agriculteur, le mieux placé pour apprécier les circonstances pédo-climatiques et organisationnelles de ses choix techniques, interpréter le résultat particulier obtenu surchacune de ses parcelles et ainsi contester, valider ou améliorer ses choix techniques : c'est pourquoi ladémarche d'auto-évaluation peut faire partie de la définition du système de culture1.

L'évaluation se fait dans 3 axes de nature différente : il s'agira plus d'apprécier si le compromis entreces 3 axes est acceptable que d'optimiser une fonction d'utilité les combinant :

1) Pour l'évaluation technico-économique, on dispose de critères quantifiés à l'échelle de la parcelle :il s'agit d'apprécier si l'usage du facteur de production le plus limitant (surface, main d'oeuvre) adégagé la meilleure rentabilité, sous contraintede respect du cahier des charges (dosesd'intrants, qualité de récolte...).

2) L'évaluation organisationnelle apprécieplus qualitativement la faisabilité des règles dedécision à l'échelle de l'exploitation (pointesde travaux, jours disponibles, adéquation dumatériel).

3) Par l'analyse dynamique des états du sol etde la culture, l'évaluation agri-environne-mentale permet d'interpréter le résultat encomprenant l'effet année, d'apprécier l'état dumilieu laissé à la culture suivante (fertilité) etles risques de pollution encourus à l'échelle dubassin versant.

Critères d'évaluationchoisis sur le dispositif(les résultats sont présentés plus loin)

Le critère économique de marge directe (MD = produit brut-intrants - charge matériel) est satisfaisant pour apprécier larentabilité des 3 systèmes, et pour les comparer sans biais.Chaque système a son facteur limitant (surface en A, maind'œuvre en B, simplicité en C). A sera jugé sur MD/ha, B et Csur MD/UTH .Il n'a pas été trouvé de critère satisfaisant pour évaluer lasimplicité en C.Le dispositif (à l'échelle de la parcelle) ne permet qu'uneappréciation empirique de la faisabilité des systèmes...Outils et méthodes pour formaliser la démarche de diagnosticagronomique a posteriori sont seulement esquissés.

Ensemble intégré d'outils et de méthodes : pour gérer le système d'information

La mise en œuvre de la démarche décrite dans les 4 points précédents fait appel à 3 types d'actions.1) Simuler l'itinéraire technique sur une gamme de climat (et de sol), pour en apprécier l'intérêt et lafaisabilité.2) Moduler les choix techniques en temps réel par l'observation ou la simulation d'indicateurs d'états.

1 L'auto-évaluation doit mettre en œuvre des méthodes et outils praticables par l'agriculteur, par opposition à l'évaluation agronomique quimet enjeu sur un dispositif expérimental des modèles, observations et mesures lourds et coûteux en temps ou en argent. Ceci oppose surnotre dispositif le modèle bilH-bilN à des modèles de simulation du fonctionnement de la parcelle cultivée (STICS...) plus lourds à mettre enœuvre, et les observations qualitatives de tour de plaine aux mesures de composantes du rendement, d'indice foliaire, d'INN... réalisées surles stations de diagnostic agronomique.

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3) Porter un diagnostic a posteriori pour juger etajuster les règles de décision appliquées.

La gestion des informations mobilisées par ces 3types d'actions fortement imbriquées requiert unensemble intégré, cohérent et simple d'usaged'outils et de méthodes d'aide à la décision.

Dans les 3 systèmes étudiés, l'agriculteur a accèsaux avertissements agricoles (Service de laprotection des végétaux - SPV) et aux infor-mations techniques (variétés, produits phyto-sanitaires) éditées par le développement agricole.

L'usager de modèles d'aide à la décision doitpouvoir à tout moment confronter simulations etobservations de tour de plaine et, ainsi, fairel'apprentissage de l'outil (paramétrage) et orienterson observation.

Les 3 systèmes étudiés mettent une priorité sur lamaîtrise des facteurs eau (ressource ± limitée),azote (premier levier de contrôle du ration-nement) et résultat technico-économique.

bilH-bilNSur chaque campagne et chaque parcelle, la tenue desbilans hydrique et azoté est assurée par le petit modèlebilH-bilN, qui gère les données de climat (pluie, ETP,température), sol (réserve utile RU, teneur en argile),culture (précocité, vigueur, besoin en eau et azote) etitinéraire technique (semis, fertilisation, irrigation, récolte),et calcule l'état hydrique et azoté du sol (%RU, teneur ennitrate, pertes par lessivage) et de la culture (taux desatisfaction en eau et en azote, consommations).Le conseil d'irriguer est donné quand la satisfaction en eaudépasse le seuil choisi pour chaque culture. Le conseil defumure intègre l'objectif de consommation d'azote.L'état final calculé d'une campagne peut être pris pour étatinitial de la campagne suivante. Un graphique donne aposteriori une représentation synthétique du déroulementde la campagne sur chaque parcelle.

L'évaluation des itinérairestechniquesLes itinéraires techniques prévus, puis réellementappliqués, sont évalués avec une base de donnéestechniques (temps de travaux) et économiques (prix desproduits et récoltes : la coopérative La Toulousaine, coûtdes interventions : « tarifs d'entraide », matériel amorti surune grande surface, sans coût de main d'œuvre). Oncalcule ainsi TW (temps de travail), ChM (charge« matériel »), ChO (charges opérationnelles), PB (produitbrut : rendement x prix), NID (marge directe : PB+aides-ChO-ChM).

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Eléments d'évaluation des trois systèmes de culture étudiésJuste 3 points - agronomique, technico-économique, agri-environnemental - pour illustrer lesdémarches d'évaluation mises en œuvre et apporter quelques résultats obtenus sur le dispositifexpérimental SGCI d'Auzeville2.

Validité de la stratégie de rationnement et d'esquive : nécessité du diagnostic

Cette évaluation se fait par l'observation des effets des interactions entre date de semis, densité, azoteet irrigation sur la mise en place et le développement de la culture, le développement des maladies etl'élaboration du rendement. La validité de la stratégie de rationnement et d'esquive a été globalementvérifiée sur l'ensemble des cultures : réduire azote et densité concourt bien à réduire maladies et besoinen eau ; semer tard réduit bien adventices et maladies - mais augmente le risque de sécheresse.

Nous n'apportons ici qu'une illustration de ce travail de diagnostic agronomique3 choisissant l'exempledu tournesol durant 2 années à forte pression de phomopsis4. Le tableau ci-dessous décrit lesitinéraires techniques étudiés et indique, pour chacun d'eux, le pourcentage de tiges atteintes par lephomopsis.

En 2000, un même état sanitaire acceptable est obtenu en B avec un traitement fongicide et en C_stavec la stratégie intégrée de rationnement (-25% de symptômes en réduisant azote et densité de semis)et d'esquive (-25% en retardant le semis) : comme les années précédentes, cette stratégie semble bienvalidée.Mais ce résultat est contredit en 2001, C étant le plus malade, avec un résultat technique assezdésastreux (18 q) : en fait, cette année, dans un premier temps, la parcelle C (bien structurée et qui areçu tout son azote au semis) était plus poussante que la parcelle B (de structure dégradée et pourlaquelle le principal apport d'azote est retardé avant la première irrigation) ; avec une attaque dephomopsis particulièrement précoce, c'est donc paradoxalement B qui vérifie l'intérêt du rationnement.En C, il fallait ici semer plus tard ou traiter5.

2 La faisabilité organisationnelle des 3 systèmes étudiés n'est pas évaluable expérimentalement, mais ne fait guère de doutes...3 Les résultats analysés ici relèvent de l'évaluation agronomique permise par le dispositif expérimental (la variante R a en effet accueilli desessais analytiques sur toute la gamme des gTandes cultures d'intérêt régional). Mais on peut penser que l'agriculteur attentif au suivi de sescultures (tours de plaine) serait arrivé aux mêmes conclusions par autoévaluation.4 Mycose due à Diaporthe helianthi. Voir la fiche de HYP3 à www.inra.fr/HYP3/pathogene/3phohel.htm5 En 2001, l'avertissement SPV donnait un risque de Phomopsis exceptionnel, et l'échec du rationnement était visible en tour de plaine :en C, ne pas traiter ne doit pas être un choix normatif. Hors essai, on a bien observé de moindres dégâts en semis de début mai, mais retardervolontairement le semis reste un choix difficile à faire...

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Évaluation agri-environnementale : encore des problèmes de choix de méthodeLes trois systèmes sont ici évalués par le calcul d'indices agri-environnementaux (méthode INDIGOde l'INRA, centre de Colmar) sur les campagnes 1999 et 2000, variantes R « rotation fixe ».

Le graphe ci-dessous présente la valeur prise par chaque système de culture sur les 8 indices calculés.Les valeurs supérieures à 7 sont considérées comme satisfaisantes.

IEn, l'indice bilan d'énergie, est bon en C malgré le niveau élevé de travail du sol. Le coût énergétiquede l'azote et de l'irrigation pénalise A et B. Au quintal produit, le rendement énergétique des 3systèmes est cependant comparable.

Ilrr, l'indice d'irrigation, est acceptable parce que l'irrigation est raisonnée sur le besoin en eau de laculture. Il n'y a pas de bonification appréciable pour le rationnement poussé de B.

IPhy, l'indice d'usage des produits phytosanitaires, est presque acceptable dans les 3 systèmes quiutilisent des produits peu toxiques en respectant les doses avec un pulvérisateur en bon état.

IN, l'indice azote, est insatisfaisant dans les 3 systèmes : IN pénalise fortement le sol nu en hiver sansnuance de profondeur de sol et type de succession de cultures.

IP, l'indice phosphore, est à peine satisfaisant, la fumure pratiquée ne suffisant pas au maintien de lafertilité du sol (ce que l'analyse de sol a confirmé). A, qui reçoit la même fumure et exporte plus que Bet C, est un plus pénalisé.

IMo, l'indice de matière organique, n'est pas bon du fait de la pratique du labour (dilution) et del'irrigation (minéralisation plus rapide). A limite la chute par un volume élevé de pailles restituées.

ISC, l'indice de succession de cultures, est à peine suffisant parce que la succession tournesol ou soja-pois comporte un risque sanitaire élevé (risque non vérifié) : de telles normes devront êtrerégionalisées.

IAs, l'indice d'assolement, est excellent avec 4 cultures (et forfaitairement 20% de prairie en gel fixe).

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Avec INDIGO, IN juge sévèrement les troissystèmes alors que le raisonnement de l'azoteest au cœur de leur conduite : pour ap-profondir cette question, examinons ce que« dit » le modèle bilH-bilN utilisé pour si-muler la pollution nitrique - regroupement de1995 à 1999 - (tableau ci-contre).

NO3, la teneur en nitrates de l'eau percolée,est calculée en diluant NLt l'azote perdu parlessivage en un an dans less la lame d'eaudrainée ; reh reliquat d'azote minéral entréehiver, fum apport d'azote et IC durée de l'in-terculture (sol nu) sont des variablesexplicatives.

En moyenne, les 3 systèmes aboutissent à desrésultats peu différents, avec une teneur enNO3 en dessous de la norme de 50 ppm. Cecis'explique évidemment par le fait que la fu-mure azotée, même en A, n'a jamais étéexcessive.

Entre 1996 (année sèche) et 1999 (année humide), on voit que l'effet année est bien plus important.

L'effet succession de culture (classement NO3 décroissant) est le plus significatif : le pois laissebeaucoup de reliquats, que le blé (pourtant le meilleur choix de culture suivante) exploiteimparfaitement. Puis se pose le problème des intercultures longues (en sol nu)...

Conclusions : intégrerconnaissances et méthodes...

Les systèmes étudiés et le contexte dela grande culture

II est entendu que les résultats de l'essai SGCIsont indissociables du milieu d'Auzeville et ducontexte passé. On peut cependant en tirerquelques conclusions pratiques et générales, enprenant ABC pour représentants de 3 attitudestypes en grande culture : productivisme,extensification, simplification.

Au résultat économique, le système A productifpropre, normalement en tête en produit brut etmarge brute, fait à peine jeu égal avec B extensifsur le critère de marge directe par hectare.

Et c'est même C rustique qui serait en tête si A etB n'avaient profité d'une aide supplémentaire àl'irrigation.

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Sur le graphique ci-contre, on note que touteaugmentation de prix de récolte est bien sûrfavorable à l'intensification, et que, sansaide supplémentaire à l'irrigation, A, B et Cseraient assez équivalents avec un prix duquintal majoré d'un tiers (situation repéréepar *).

Ce résultat très en faveur de l'extensificationse vérifie sur toutes les espèces de grandeculture étudiées : le meilleur résultatéconomique serait apporté par un systèmemixte BC, selon les niveaux d'aide et detolérance de la qualité au rationnement de laculture. Il est clair aussi que ce contexten'est pas directement favorable à la créationd'emploi en grande culture.

C'est aussi en A que les principauxproblèmes agronomiques ont été rencon-trés : dégradation de la structure du sol avecl'irrigation, problème de sclérotinia en soja.Dans le contexte actuel, la conduite A desgrandes cultures n'a plus lieu d'être et, ensituation de disponibilité en eau et main-d'œuvre, il serait justifié de faire évoluer cesystème vers des productions de qualitéparticulière et de prix élevé. Que A évoluevers l'agriculture biologique (système àforte obligation de moyens, exigeant entemps d'observation, nombre et qualité desinterventions culturales) serait donc paradoxalement assez raisonnable...

Sur la période d'étude, le différentiel d'aide compensatoire entre cultures a favorisé soja et blé dur. Uneaide compensatoire unique aurait, en revanche, pénalisé l'ensemble des oléo-protéagineux. Prime dediversification, diversification de filières qualité seront-elles suffisantes pour dissuader la pratique desystèmes peu agronomiques, tendant vers des rotations très courtes ou des monocultures ?

Coté environnement, avec des interventions raisonnées, les 3 systèmes paraissent assez équivalents. Etle risque d'interventions mal ciblées est en fait plus élevé en B et en C, du fait du manque de tempspour observer (C) et/ou intervenir juste au bon moment (B).

Sur notre dispositif expérimental, les systèmes étudiés ont privilégié la contrainte eau et le levier derationnement azote (sauf en légumineuse) : plus efficace et mieux contrôlé que date et densité desemis, le rationnement par l'azote pose encore problème s'il s'agit de maîtriser la teneur en protéine dugrain (blé dur) et questionne sur l'intérêt de nouveaux types variétaux « bas-intrants » assurant unequalité acceptable sous conduite rationnée en azote (ce besoin s'exprime en agriculture biologique).Le dispositif n'a, par contre, pas suffisamment approfondi les questions de protection intégrée(adventices, parasites, maladies) et de simplification du travail du sol, pourtant centrales dans lagestion des systèmes de grande culture...Le temps d'observation des cultures (« tours de plaine » de l'ordre de 3 heures par parcelle et par an surle dispositif) n'a pas été comptabilisé avec le temps de travail : le tour de plaine s'organise en effet àl'échelle de l'exploitation, sa durée fluctue beaucoup avec la diversité de l'assolement, l'occurrence des

26 Courrier de l'environnement de l'INRA n°47, octobre 2002

problèmes et l'homogénéité supposée du milieu, et il est contestable de chercher à l'exprimer parhectare...

La démarche : expérimentations et modèles, échelles de travail

À partir de l'analyse du contexte de la grande culture (instable et en cours de segmentation), il nous asemblé que la durabilité des systèmes de culture devait passer par leur adaptation continue, ce qui faitévoluer l'idée de conception de systèmes de culture innovants vers celle de systèmes dynamiquescapables d'intégrer en continu les spécificités locales, les changements de contexte socio-économiqueou les innovations techniques. Formation et développement agricole ont à co-construire de telssystèmes avec l'agriculteur qui les pilotera. Le dispositif SGCI d'Auzeville, réfléchi comme un lieuconcret d'élaboration de cette démarche originale, n'a évidemment pas épuisé les questionsméthodologiques qu'elle pose.

Sur notre dispositif expérimental, à l'échelle du système de grande culture, on a pu apprécier la fortegénéricité possible des règles de décisions, outils (modèles) de conduite et méthodes d'évaluation, etconfirmer l'importance du raisonnement de la succession de cultures. Mais le travail d'intégration desconnaissances et méthodes disponibles en un seul outil de conduite de l'atelier grande culture reste àfaire, ce que l'organisation du conseil agronomique en filières ou en disciplines ne facilite pas. Et l'idéed'autoévaluation, attachée à celle de gestionnaire responsable de son système de culture, manqueencore d'outils et méthodes explicitant l'adaptation et la validation des objectifs et des règles dedécision qu'elle doit permettre...

Pour aborder la question de la durabilité de la grande culture, bien qu'encore imparfaitement maîtrisée,l'échelle « système de culture » (la parcelle cultivée) s'avère cependant maintenant insuffisante. Eneffet, pour raisonner l'organisation et l'affectation des facteurs de production et pour gérer lesconcurrences entre parcelles (fortes en systèmes extensifs), il faut aller à l'échelle de l'exploitation, etpour gérer et évaluer la durabilité des systèmes de production agricoles, c'est l'échelle territoire quiconvient (bassin versant, bassins de collecte, d'emploi, terroirs...).

Il serait cependant dommage que le nouveau contexte de recherche de développement durable outraçabilité des pratiques agricoles amène à court-circuiter l'échelle du système de culture, à laquelle sepratique le diagnostic agronomique toujours nécessaire si l'on veut comprendre ce qui s'est passé,raisonner les changements de pratiques dans la diversité des milieux et contextes, et en prévoir lesconséquences, plutôt que de poursuivre exclusivement dans la voie de la normalisation des façons deproduire.