sur le chemin du temps ramifié

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Sur le chemin du temps ramifié 2009- 2012 Sahori NAOE École supérieure d'art de l'agglomération d'Annecy Mémoire de Master II, 2012

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École supérieure d'art de l'agglomération d'Annecy, Mémoire de Master II, 2012

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Page 1: Sur le chemin du temps ramifié

Sur le chemin du temps ramifié 2009- 2012

Sahori NAOE

École supérieure d'art de l'agglomération d'Annecy Mémoire de Master II, 2012

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Aujourd'hui le temps, est-il une notion universelle ? Est-ce que notre rapport au temps est plus complexe ou moins complexe qu’auparavant ? Comment les artistes s’approprient-ils cette notion de temps ?

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Sommaire

Avant-propos

Le temps sensible

Sensations dans la poésie japonaise

La couleur du temps

Ligne et Cercle

Le temps est né avec le ciel

L’homme avait besoin de repères

La contemporanéité

Des chiffres et Des cycles

Statisme et Dynamisme

Le chemin du temps ramifié

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Avant-propos

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En juin 2009, après avoir traversé des milliers de kilomètres et passé des heures en avion, je suis arrivée en France. En décollant de Tokyo, lorsque je regardais au hublot la nuit, je voyais cette vue aérienne présentée derrière moi, c’était le dernier paysage et souvenir de mon pays. Depuis ce moment-là, il me semble que le temps est suspendu, comme s’il faisait une longue pause.

Constatant cela, ma préoccupation est devenue de matérialiser le temps. Mais le temps ne se voit, ni ne s’entend. Le temps est invisible. Comment peut-on matérialiser le temps ? D’habitude on commence par observer un objet, mais lorsqu’il s’agit du temps, la mise à distance, les perspectives ne sont plus possibles, car il s'écoule sans cesse. Ce mémoire est une source de réflexion et mon œuvre y jaillit.

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Face à une autre culture, je recrée mes repères spatio-temporels. En vivant dans un autre pays, on devient plus attentif. Je m'aperçois tout de suite que le temps n’est pas perçu de la même façon entre les japonais et les gens n’habitant pas cette île. A partir de ce moment là, j’ai ressenti une grande influence japonaise qui a un sens très naturel au fond de mon être, pourtant je ne l’ai identifiée qu’à travers mes interactions avec l’occident.

J’ai ainsi déduit que ce sens de la vie, que cette influence n’est sans doute pas commune à toutes les personnes vivant sur la terre. L’influence culturelle est en liens étroits avec les idées philosophiques. J'ai découvert également que la poésie japonaise fait souvent référence à la notion de perception du temps. Cette notion est devenue un élément très important dans mon travail. Je suis à la recherche de la matérialisation du temps surtout que ce temps n’est, à priori, pas universel.

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« Mon travail ne produit pas d'objet car l'objet de mon œuvre, c'est la perception. »

James Turrell

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Le temps est une « chose » dont tout le monde parle mais que personne n'a jamais vue. Le temps ne se voit, ni ne s’entend.

Et parfois, comme Saint-Augustin on peut s’agacer :

Le temps sensible Une perception via nos cinq sens et notre

intellect « Si personne ne me le demande, je le sais : mais que je veuille l’expliquer à la demande, je ne le sais pas ! » 1

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Les cinq sens permettent à l’homme de percevoir le monde qui l’entoure. L’être humain possède cinq sens qui correspondent chacun à un organe : les yeux, les oreilles, la langue, le nez, et la peau.

« Nous voyons, entendons, touchons, goûtons dans le temps, mais non le temps lui-même. »

Etienne Klein

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Chez Aristote l’intellect est l'intelligence en tant qu'elle reçoit des connaissances par le moyen des sens. Les philosophes sont les premiers à s’aider de leur intellect pour définir le temps.

Pour Baruch De Spinoza, un philosophe néerlandais du XVIIème siècle, le temps n’est qu’un mode de pensée qui sert à expliquer la durée, la continuité de l'existence.

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Emmanuel Kant parle de « l'idéalité transcendantale » du temps.

« Le temps n'est pas chose objective et réelle, il n'est ni substance, ni accident, ni rapport : il est la condition subjective qui rend possible la coordination par l'esprit humain de tous les objets sensibles selon une loi déterminée : il est intuition pure. »

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Marcel Proust fait une réflexion majeure pour son époque sur le temps. A la recherche du temps perdu interroge l'existence même du temps, sa relativité et l'incapacité à le saisir au présent. Il exprime aussi ses doutes vis-à-vis des sens.

« Le témoignage des sens est, lui aussi, une opération de l'esprit où la conviction crée l'évidence. »3

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Henri Bergson dit que le temps est une invention, ou il n’est rien du tout. Le temps « vrai » serait le temps psychologique, qui est lui non mesurable, dans laquelle nous baignons par intuition et qui formerait un temps absolu.4

Pour représenter le temps, notre intellect utilise la métaphore, emploie la comparaison. Cela fait partie de la perception. Souvent il est comparé à des images, est recréé par des symboles : le fleuve ou le sablier qui coule, le robinet qui goutte, éventuellement son bruit, le tic-tac de l’horloge. Les artistes symbolisent souvent le temps, et nous le retransmettent à travers nos sens.

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Vivaldi utilise la représentation de l’orage (les éclairs et le tonnerre) pour montrer des instants bref dans L'été des Quatre Saisons.

Lamartine et son poème Le Lac où cette célèbre strophe « Ô temps ! Suspends ton vol » résume à elle seule toute la notion de perception du temps, et l’impuissance de l’humain à l’appréhender.

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Robert Smithson créé : Spiral Jetty, une spirale impossible à saisir sans admettre la notion de l'infini. Chef-d'œuvre du Land Art, naît de la forte impression ressentie par Smithson lors de sa visite du Grand Lac Salé.

La spirale est ‘‘une figure par laquelle tous les points de l’espace sont simultanément tenus, sous des lois de fréquences et d’accumulations’’. Elle dévie, déborde, se recoupe et pratique le temps du retour, de l’éternel retour nietzschéen. 5

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Tous ces occidentaux cités précédemment et mis en relation me font constater que pour eux le temps est avant tout psychologique voire même créé par l’intellect.

Je repense ici que cette appréhension du temps n’est pas tout à fait universelle.

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Christine Buci-Glucksmann philosophe française, spécialiste de philosophie poétique et esthétique décrit son voyage-séjour au pays du soleil levant :

« Cette obsession japonaise du temps, un temps devenir et flux, un temps fait de moments plus ou moins suspendus, où le regard peut se recueillir dans l’instant, ou se perdre dans ses reflets et transparences.[...] Comme les cycles de la nature, les saisons, les floraisons des cerisiers, les cascades des jardins ou les variations des poèmes zen, nous « sommes tous des passants ». » 6

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Chez les japonais, le temps est le fleuve qui coule autour de nous. Quand j’y étais je n’ai pas reconnu cette sensation, or après que je me sois expatriée, j’ai tout de suite ressenti cette conception dans mon âme. Paradoxalement en vivant en France, j’effectue un retour aux sources, je réfléchis sur le temps de manière immanente.

Tous les humains sur la Terre disposent des mêmes cinq sens. Cependant, nos sens sont en partie motivés par les phénomènes naturels, qui eux ne sont pas universellement identiques. La géographie modifie l’intellect et les racines de nos idées du temps.

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Chez les japonais, il existe la sensibilité pour l'éphémère :

ものの哀れ [Mono no awaré]

C’est un acte de percevoir la saveur de l’éphémère dans ce qui est invisible en temps normale. Il existe depuis l’époque de Heian (794-1185) dans les idées littéraires.

Sensations dans la poésie japonaise ''La vie est considérée comme belle et courte,

comme une fleur de cerisier''

« Les couleurs des fleurs

ont, hélas, pâli,

tandis que moi, vainement

absorbée dans mes pensées, je voyais passer

les jours de pluie obstinée »

Ono no Komachi

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La poésie japonaise discute souvent une notion qui concerne la perception du temps. Les poètes japonais contemplent les phénomènes naturels, tels que les passages de chaque saison et dans chaque mouvement on trouve l’esthétique.

Les fleurs de cerisier s’épanouissent au printemps, les pétales tombent, de jeunes feuillages poussent drus sur les branches, l’arbre perd ses feuilles et la neige couvre les branches.

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''La vie est considérée comme belle et courte,

comme une fleur de cerisier''

La beauté n’implique pas la perfection, la nature étant elle-même imparfaite.

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Nous les japonais, nous projetons la durée de vie sur une fleur de cerisier. C’est l’instant éphémère où les pétales de cerisier tourbillonnent dans le vent.

Dans le contexte de la création artistique, la contemplation est l'acte de percevoir à travers les sens.

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Le poète capte par le biais de tous ses sens le temps qui est en mouvement léger. Il retransmet également cette perception à l’écrit pour susciter chez le lecteur la mobilisation de tous ses sens en retour.

Cette perception du temps existe et revient toujours dans la culture japonaise. Elle est indissociable de l’observation de la nature. Je ne m’en suis aperçue que lorsque je n’étais plus entourée de cette culture natale.

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« A quoi comparer ce monde

A l’absence de trace derrière un bateau Parti à la rame dans l’aube »

Dogen

Ce poème a été composé par Dogen (1200- 1253), fondateur du Zen-Soto et poète qui exprime la notion du présent qui dure et celle de l'existence-temps. Le Zen a développé ce sens aigu de l’appréciation de tous les éléments naturels jusqu’aux plus modestes et a contribué à élever au rang de doctrine esthétique les concepts de

わびさび [wabi sabi]

(sobriété mélancolique). 7

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« Des feuilles de lotus dans l'étang Bougent sur l'eau Pluie de juin »

Masaoka Shiki

Les poésies japonaises, Haïku, qui sont faites de dix-sept syllabes (5-7-5), expriment souvent leurs émerveillements, par rapport au temps qui coule en utilisant Kigo. Les kigo sont des mots ou des phrases associés à une saison particulière. La pluie de juin est associée à l'été dans la classification des Kigo. Le poème parle donc obligatoirement de cet espace-temps.

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La linguistique est simple, la forme est réduite pourtant le sentiment est très net et relevé. Un court éblouissement est l’essentiel du Haïku.

De l'hiver au printemps, de l'été à l’automne, les saisons circulent, on le sent non seulement par la température et la vision des paysages qui se transforment, mais aussi par le rayonnement du soleil ou encore l'odeur du vent.

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Le terrain de l'île nippone est complexe. Le pays est parsemé de nombreuses montagnes, dont beaucoup sont volcaniques et creusées de lacs. Le climat tempéré et la géographie du pays ont nourri la perception de l'environnement naturel et de ses propres états.

Le poème est également lié aux croyances religieuses et à la cosmologie affectant les arts et la culture. Le shintô, religion indigène, se fonde sur la vénération des Kami, incarnés dans tous les éléments naturels, du simple rocher ou arbre jusqu’aux montagnes et cascades.

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Le caractère animiste des japonais fait que tremblements de terre et tsunamis sont choses courantes et appréhendés de manière sereine par la population. Ce respect de la nature et des montages a été renforcé après l’introduction du bouddhisme.

Les tableaux Ukiyoé (littéralement – l’image du monde flottant) renommés Les trente-six vues du mont Fuji a été réalisé par Hokusai Katsushika. Le mont Fuji, la montagne sacrée est toujours dans le cœur des Japonais. Les tsunamis représentés dans ces tableaux montrent la relation entre les éléments et la domination de cette montagne plus que symbolique.

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Les relations des hommes avec la nature paraissent aussi bien que les relations des hommes entre eux. L’homme n’a de sens que dans et par ce qui l’entoure.

Le rapport au temps pour les japonais est diffèrent, parfois il y a le « tempo lent ». On peut le voir dans le film japonais : L’ile nue (1960) réalisé par Keneto Shinto. Ce film montre la notion de temps cyclique particulièrement sensible en milieu rural.

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Lorsque l’on parle du temps en Français, on dit « J’ai le temps, je n’ai pas le temps »,

alors qu’en japonais, on ne possède pas le temps, on dit « il y a le temps, il n’y a pas le temps ».

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Le fait de poétiser la perception du temps amène à lui donner des caractéristiques précises : mobilité, éphémérité et légèreté. La nature est le premier cycle, vers lequel nos regards se tournent. Pour moi la poésie japonaise a des connexions étroites avec la peinture impressionniste. Toutes deux se basent sur des phénomènes naturels. Toutes deux retranscrivent des émotions, notamment nous font réfléchir sur le temps qui passe.

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Les impressionnistes ont essayé de capter les effets de lumière les plus fugitifs à partir de leur sensibilité. Dans les pays occidentaux, ils sont à l’origine d’une prise de conscience des variations lumineuses et colorées de notre environnement.

La couleur du temps

Claude Monet, peintre impressionniste réalise la Série de la Cathédrale de Rouen en rendant compte des changements de la lumière dus au passage du temps, d’une saison à l’autre...Il s’est livré à une recherche des variations de tons, de lumières et de couleurs en fonction du temps.

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La couleur et le temps ont des rapports étroits. On aperçoit le cours du temps dans la nature par les couleurs. Pour moi, le rose pour le temps du printemps, le vert pour l’été, le rouge vif pour l’automne et le blanc pour l’hiver.

La couleur azur définit toujours un certain bleu, le bleu du ciel, le ciel infini ; et évoque dans le même temps l’horizon, l’illimité, le céleste, le radieux, l’opaque, le nocturne, le vertige.8

Le bleu m’inspire pour exprimer et pour saisir des éléments immatériels et fluides.

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Mais il n’y a pas que dans le domaine de la peinture que la couleur joue avec le temps.

La couleur sépia, qui appartient aux teintes du brun, nous fait penser au temps passé. On la voit souvent dans le domaine de la photographie, mais aussi sur d’anciens documents. Le ton de la couleur montre un passé qui n’est pas si loin mais qui est certainement révolu, presque nostalgique. On peut alors parler d’un « effet » sépia.

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Pourtant lorsque l’on regarde une grande quantité de photographies anciennes, on s'aperçoit que les plus nombreuses sont imprimées en noir sur blanc. Les tons sépias sont plutôt analogues à l’image que nous avons du temps révolu.

Le photographe japonais Hiroshi Sugimoto consacre son œuvre au temps. Il ne fait pas de photographies en couleur parce qu’elle est artifice selon lui, et ne représente ni la réalité ni la nature ni l’espace-temps. La couleur est comme chimique. La photo en noir et blanc est une abstraction du monde réel, suspendu dans le temps. Même en photographiant des éléments hors du temps (personnages de cire dans un musée, animaux empaillés) elle réussit à donner aux gens une impression de réel. Chacun peut projeter ses propres couleurs sur ces photos en noir et blanc, ainsi l’imagination peut leur redonner vie, les remettre à une place dans l’espace-temps.

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Une autre explication du choix du noir et blanc dans l’art pour se rapprocher du temps peut être trouvée dans les œuvres de Roman Opalka.

« Le gris est le noir et le blanc. Il exprime l'unité du mouvement des couleurs. Il exclue le dualisme et manifeste le tout. Le gris est universel. Il porte toutes les couleurs, a l’image du spectre des couleurs en mouvement. Mais le gris est neutre : je le remplis avec le vécu de ma vie. Le gris n’est pas une couleur symbolique, il est devenu pour moi celle du mouvement non visible. Sur ce fond gris, il y a ma vie : le contraire d’une couleur froide, indifférente : il est la couleur de mon sacrifice pictural, étalé par la conduite du concept, son mouvement et son temps. Aux grands pôles, aux extrêmes du noir du premier Détail et du blanc sur blanc, le sfumato d’une existence : la couleur peut devenir mortellement émotionnelle. »

Roman Opalka

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A proprement parler, on ne peut pas colorer le temps car le temps est invisible, mais on peut percevoir son mouvement, son passage par nos sens et le remplacer par les couleurs pour le matérialiser.

Et quelle est la forme du temps ? Le passage du temps fait-il toujours une ligne droite comme l’image de la frise chronologique ?

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« Une pendule vue de profil de sorte que le temps disparaisse, mais qui accepte l’idée de temps autre que linéaire. » 9

Marcel Duchamp

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Toujours dans la représentation faite par l’intellect, l’homme a le désir d’illustrer, de dessiner le temps, il y a alors deux perceptions différentes du temps : le temps linéaire et le temps circulaire.

Ligne et Cercle Notre conception traditionnelle du temps se fonde sur le fait qu’il est linéaire, formé d’une seule ligne. L’image de la ligne (frise chronologique – time line) pour représenter le temps qui continue à l'infini tandis que le temps circulaire (un rond, une boucle) fonctionne en cycle, avec des reproductions. Le nouveau cycle remplace l’ancien. Ces conceptions ont tout de même de grandes valeurs culturelles, car elles sont fondamentales pour les religions.

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Il y a eu un grand changement dans la conception du temps pour la civilisation chrétienne. C'était au VIème siècle, Denys Le Petit, un moine savant et écrivain, a proposé l’« Anno Domini » l'année supposé de la naissance de Christ...mais ce terme a été seulement généralisé dans les pays occidentaux à partir du XVème siècle (on compta même à rebours avant la naissance de Jésus-Christ). La conception jusque-là pouvait être cyclique (durant l’époque carolingienne on comptait les années à partir du début du règne de l'empereur), dorénavant, ce temps devint linéaire avec un avant et un après Jésus-Christ.10

Il n’est d’autre temps que celui de la nature, un temps cyclique, le temps des généalogies impériales.

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Pour les japonais, nous sommes dans la 24ème Heisei. C'est-à-dire, la 24ème année du règne de l’empereur japonais. Ainsi le temps est un vrai cycle, nous retournons à l’an 0 lorsque l’empereur meurt et qu’un autre lui succède. C’est comme si nous recommencions notre vie avec un nouveau cycle.

Autrefois, la temporalité historique n’existait pas, tout au plus sur un an : des travaux des champs jusqu’à la fin des récoltes. A travers ce cycle immuable des saisons, le temps pour les japonais se modelait suivant ce cycle.

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Une toute autre conception du temps peut être pensable : le temps ramifié. A partir du moment présent il y aurait des branches temporelles à une ligne temporelle unique.

Personnellement, je suis peut-être sur le temps ramifié en ce moment, depuis juin 2009, car il me semble que le temps est suspendu, qu’il passe avec une faible vitesse.

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Entre perception humaine selon nos sens et notre intellect (subjectif) et la nécessité de mesurer le temps de façon la plus scientifique, la plus universelle et irréfutable possible (objectif) se trouve le temps atomique, qui est l’aboutissement des recherches de mesures précises et concrètes du temps.

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Christine Macel, auteur d’un essai sur l’art contemporain «««« Le Temps pris. Le temps de l’œuvre, le temps à l’œuvre » définie que :

Le temps est né avec le ciel

« L’espace est moins important que le temps. C’est la mesure du temps qui est le plus important. L’espace parcouru, le lieu, deviennent moins importants que le temps lui-même et surtout sa mesure. » 11

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Mais pourtant le philosophe Platon écrivait déjà dans Le Timée :

« Le temps est né avec le ciel. [...] Le soleil, la lune et les cinq autres astres qu’on appelle planètes sont apparus pour définir et conserver les nombre du temps. »

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Depuis les sociétés primitives, et avec les réflexions des temps antiques, on mesurait le temps en observant des mouvements dans le ciel, comme la course du soleil, celle de la lune et des étoiles et l’alternance du jour et de la nuit. Les phénomènes naturels et la ronde des saisons (mouvement périodiques) furent aussi des indices pour mesurer le temps.

A l’origine, c’est l’observation directe du Soleil sur des installations qui permit de connaître l’heure, soit par la longueur de l’ombre portée par un style vertical, le gnomon, soit par la direction de cette ombre, au moyen du cadran solaire, dont le style est parallèle à l’axe du monde. Ces appareils servaient à la détermination de l’heure locale.12

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Nos sociétés modernes ont eu besoin de coordonner leurs actions. D’abord à échelle locale, puis à échelle internationale, la philosophie cartésienne a fait apparaitre la nécessité d’un rapport logique et scientifique au temps.

L’homme a donc inventé des instruments de mesure les plus réguliers possible. Dans le but de coordonner les actions des sociétés humaines (travail, rendez-vous, tactiques militaires…) plus que dans le but philosophique de savoir ce qu’est le temps.

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C'est à partir du XIVème siècle que l’horloge mécanique fut inventée dans les monastères, elle continue toujours à sonner le temps laïc, et elle contrôle le temps des citoyens.13

Cela me rappelle une anecdote : il était 15h lorsque j’ai entendu la cloche de l’église jouer Amazing Grace. Cette mélodie, je l’entendais souvent au Japon lorsque je travaillais mais elle n’avait aucun rapport avec le temps. Ici cette mélodie donne l’heure précise et c’est un outil du temps. Comme Proust avec ses madeleines, un événement constitué par une sensation fait surgir à la conscience le passé et démontre que le temps s’est écoulé.

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Le temps est en fait uniforme. Après l’arrivée de l’horloge à ressort, le temps est devenu autonome. Il est le produit des machines qui le mesurent, et aussi à son tour une mesure autonome du monde naturel et de l’univers.

Depuis 1967 on ne définit plus le temps par la rotation de la terre, mais par des oscillations mesurées au cœur des atomes du césium 133 (le temps atomique international TAI). Le Césium est en fait un métal extrait à partir de la pollucite : un minéral que l’on trouve sur les 5 continents, et qui a été découvert en 1846 sur l’île d’Elbe (Italie).

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Aujourd’hui le temps se mesure avec une précision d’un dixième de millième de seconde.14 Formellement le temps est devenu une notion universelle.

Cet historique de la mesure logique du temps pose la question de ce que peut nous réserver le futur quant à l’appréhension de ce « fluide » invisible. Est-ce que plus le millième de seconde sera précis, plus l’on réussira à définir, sentir, contrôler le temps ?

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Une horloge donne l’heure, mais elle ne nous montre rien de ce qu’est le temps

Le mouvement des horloges ne permet pas l’expérience physique du temps dans l’esprit des hommes.

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L’artiste est souvent critique face à ces instruments de mesure logique du temps. Pour Roman Opalka :

« Le temps arbitraire des calendriers, des horloges, qui ne sont que des instruments de mesure du temps réversible, ne m'intéresse pas. Il s'efface de lui-même par la répétition qui le définit, fractions qui annulent le passé sans laisser la trace de leur durée, focalisation seule du présent. »

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Dans les sociétés humaines selon des modalités diverses, époques et cultures, il y a différentes façons de prouver que le temps passe.

Mesurer le temps est une chose, placer le présent au bon endroit en est une autre. Pour mesurer le temps sur de grandes périodes, le calendrier a été inventé.

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Le temps se reconnaît parfois par les fêtes religieuses et les cérémonies. Mais chaque grande civilisation a eu son propre calendrier ; c'était un moyen de marquer son époque.

L’homme avait besoin de repères Les Egyptiens ont créé leur année agricole en trois saisons de quatre mois : La saison de l'inondation, la saison des semailles, la saison des récoltes. Mais est-ce que l’on a toujours besoin d’un calendrier ?

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Les Amondawa qui vivent profondément dans la forêt tropicale amazonienne du Brésil n'ont pas de veilles ou des calendriers et vivent leurs vies selon les modèles de jour et de nuit et les saisons sèches et pluvieuses. Ils n’ont aussi pas d'âge et marquent le passage de l'enfance à l'âge adulte à la vieillesse en changeant leurs noms.15

A partir du siècle dernier, on a pris conscience que l’homme a créé des repères temporels, car c'était un besoin essentiel pour lui d’avoir une mesure juste du temps. La première invention mécanique a été une horloge. Avant on nageait dans le temps comme on se laissait porter par un fleuve sans savoir à quel kilomètre on en était.

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Aujourd'hui on est devenu prisonnier de ces scansions précises. Et j’ai été prisonnière de ce temps à Tokyo avant le commencement de mon temps ramifié.

Rem Koolhaas, architecte, théoricien de l’architecture, et urbaniste hollandais affirme que Tokyo est une mégalopole fascinante : « ville générique ». Une ville du XXIème siècle, sans centre et sans histoire au sens occidental, toujours ouverte aux transformations du présent.

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Christine Buci-Glucksmann note que Tokyo nous englobe toujours de son espace hétérogène, de son énergie sans limites qui absorbe tout.16

J’étais entourée du temps sans arrêt, jamais ralenti. J’étais ensevelie sous la temporalité hybride.

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« Le contemporain est celui qui perçoit l’obscurité de son temps comme une affaire qui le regarde et n’a de cesse de l’interpeller, quelque chose qui, plus que toute lumière, est directement et singulièrement tourné vers lui. »

Giorgio Agamben

La contemporanéité Le temps hybride

« L’obscurité de son temps » dans la citation précédente pourrait être l’accélération de la vitesse du temps, l'instantanéité accrue de la transmission des images, des messages, l'accès en temps réel à l’information, l’allongement de la durée de la vie, qui ont bouleversé la relation entre les hommes et le temps. En outre, le téléphone, la télé, internet, les GPS, chat, l’information en temps réel, en direct, tout, voyage à la vitesse de la lumière, le temps n’est, pour l’instant, jamais ralenti. Les mutations de notre rapport au temps sont faites sous l’effet de son accélération de façon exponentielle.

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Nous sommes tellement convaincus que les nouvelles nous arrivent en temps réel que nous sommes devenus incapables de distinguer le nouveau et l’ancien. Nicolas Bourriaud, historien de l’art et critique, constate que :

« Notre rapport au temps est plus complexe qu’il n’a jamais été : sans illusions sur l'idée du progrès, sceptique quant à la linéarité de l’Histoire, méfiant lorsqu’il s’agit d’un retour vers les traditions passées et pas encore reconverti au temps immobile des sociétés traditionnelles. L’individu postmoderne erre dans les limbes circulaires d’une civilisation horizontalisée par la globalisation économique, à laquelle nul « grand récit » ne vient donner un sens intelligible. » 17

Page 73: Sur le chemin du temps ramifié

Dans la construction chaotique de notre société post-moderne, l’art est un plan où l’on peut tracer des indices de l'idée de la construction.

Avant on estimait que l’Histoire était une succession logique d'événements, alors que maintenant ce sont des mouvements différents (ex : la mode, les techniques des films, on ne peut plus donner de dates).

Page 74: Sur le chemin du temps ramifié

Michel Serres établi que: « Nous faisons en même temps des gestes archaïques, modernes et futuristes. [...] N’importe quel événement de l’Histoire est ainsi multitemporel, renvoie à du révolu, du contemporain et du futur simultanément. »18

Aujourd’hui grâce aux évolutions technologiques, la mesure du temps est devenue juste. Or on est entré dans l’époque hybride. Le temps hybride du réseau.

Page 75: Sur le chemin du temps ramifié

« A l’époque du virtuel, où la frontière entre réel et irréel devient de plus en plus fragile [...] notre topologie existentielle et théorique n’est plus celle du stable, de l’immuable et de l’identique. » 19

Christine Buci-Glucksmann

Il n’y a plus de conception du temps linéaire, le temps hybride fait naître la contemporanéité. Ce n’est plus tout à fait un flux continu.

Page 76: Sur le chemin du temps ramifié

Aujourd’hui le temps est devenu comme réseau. « Les temps se mélangent en créant un univers éternel, qui n’est pas en expansion mais se conserve automatiquement, non pas cyclique mais imprévisible, non pas récurrent mais séquentiel. »20

Avant on pouvait voir la direction du futur, les événements constituaient des pas en avant vers le futur. Aujourd'hui il n’y a plus de notion d’Histoire et toutes les choses sont relatives. Plus rien n’est moderne donc tout est désormais contemporain.

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C’est par la mesure de l’effet que produit l’œuvre qu’on pourra qualifier l’œuvre, alors qu’avant on pouvait qualifier l’œuvre avant de mesurer l’effet produit. C’est l’effet onde de choc faible/puissant qui compte.21

La temporalité propre de l’œuvre est paradoxalement de plus en plus équivoque, imprécise. Est-ce que l’on a besoin de faire appartenir l’œuvre à une certaine temporalité ?

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La mesure du temps a différentes formes et vitesses chez les artistes. Les artistes réagissent parfois contre cette accélération, ils résistent et recréent leur spatio-temporel propre.

L’art contemporain ne cesse d’utiliser le nombre comme symbole du temps qui continue, tableaux de chiffres de Jasper Johns, chiffres du temps de On kawara.

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Les Date Paintings de On Kawara sont réalisés les jours mêmes des dates inscrites sur les toiles avec un journal annoté dans la langue du pays où l'artiste a passé le premier jour de l'année, avec des photos du lieu. On Kawara grave son passage dans le fleuve du temps à travers les représentations symboliques.

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« Je voulais manifester le temps, son changement dans la durée, celui que montre la nature : mais d’une manière propre à l’homme, sujet conscient de sa propre existence : le temps irréversible. »

Des chiffres et Des cycles L’infinité du cycle de vie humain

Roman Opalka n’a jamais cessé jusqu’à sa mort de tracer, dessiner, peindre la série des nombres croissants en blanc sur un fond préparé en noir et en gris, depuis sa première toile réalisée en 1965.

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A partir de 1972, il ajouta à chaque fond d'une nouvelle toile 1% de blanc, si bien que les nombres se fondirent progressivement dans le support sur lequel elles étaient inscrites. Il enregistra quotidiennement le son de sa voix prononçant les nombres qu'il était en train de peindre. Une voix qui se transforma au fil des années...

Enfin, il termina chaque séance de travail en réalisant son autoportrait photographique. Ainsi l’évolution physique (retranscris par les sons et les photographies) est une matérialisation du temps. Par ce dispositif sans cesse renouvelé à l'échelle d'une vie, Opalka propose une méditation sans précédent sur le temps, impliquant sa vie entière au service de son œuvre.

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C’est la mort de l’artiste qui a déterminé la fin de l’œuvre qui a pour titre (telles les dates de naissances et de morts dans une encyclopédie) :

Roman Opalka 1965 / 1 - ∞ Le signe de l’infini à la place de sa date de décès rempli le sens de l’œuvre.

Il inscrit : « J’ai commencé par le 1 et non par le 0, n’était pas arrivé à l’idée de tableaux-comptés à partir du rien (du 0), mais de l’unité. En peignant un, en chuchotant un, je comprenais cet un : qualité de tout temps existante, précédée d’aucun continuum naturel, créant un rapport conceptuel avec L’infini, unité de la totalité du continuum, élément de base d’un tout. »

Roman Opalka

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Le chiffre zéro ne nous signifie pas le commencement. C’est identique pour Tastuo Miyagima, l’artiste japonais du néon.

« Nothing is permanent except change »

Il l’exprime visuellement par l’affichage numérique en constante évolution des chiffres. Les chiffres excluent le chiffre zéro, ce qui est une métaphore de la mort dans la culture japonaise. Mais dans cette culture bouddhiste il n'y a pas de mort réelle, il y a seulement la réincarnation.

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Dans son œuvre MEGA DEATH 1999. 2400 chiffres en néon clignotent à des vitesses différentes, ils répètent un compte à rebours en omettant le chiffre zéro, comme le temps cyclique. Or, à certains moments, tous les chiffres disparaissent d’un coup dans le noir. L'œuvre est conçue pour voir tous les chiffres d'un même coup d'œil.

Les chiffres évoquent la notion de temps, et la continuité, l'éternité et l'interdépendance du cycle de vie humaine. Miyajima amène ces réflexions à partir de la machine digitale de la société contemporaine.

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La notion de chiffrage du temps est universelle, mettre dans l’ordre croissant ou décroissant des chiffres sert à créer le repère temporel. Cependant les concepts mathématiques du commencement absolu et de l’infini ramènent à la problématique de l’appréhension de ses notions. Pourtant des artistes ont réussi à matérialiser ces conceptions.

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La matérialisation du temps suggère de rendre visible ce qui ne l’est pas. Seule une capture d’événements successifs peut concrètement inspirer l’idée de temps. Des artistes expérimentent des techniques pour révéler la densité du mouvement. Il apparait deux états caractérisant cette densité : le statisme et le dynamisme. Les points de vue occidentale et japonais peuvent être différents face à ses états.

Statisme et Dynamisme Comparaison entre deux temps,

deux mesures C’est dans mes interactions avec l’occident que je me suis rendue compte que le temps n’était pas percu de la même facon entre les japonais et les gens n’habitant pas cette île.

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La démarche intellectuelle du photographe Hiroshi Sugimoto me parle beaucoup. En effet, c’est un japonais qui, avant de s’expatrier, ne s’intéressait pas particulièrement à la culture japonaise mais était fasciné par la culture occidentale. En mettant les deux pieds en occident, il s’est rendu compte, que la culture japonaise, sa culture, avait beaucoup de chose à dire, à montrer. Ainsi à des miliers de kilomètres du Japon, il a mené une réflexion sur la philosophie japonaise.

Dans un tout autre domaine, mais avec le même constat, l'exemple industriel de la méthode de production inventée par les entreprises japonaises, avec en leader l’entreprise Toyota, a revolutionné les idées de rendements dans les années 70 en inventant des méthodes trés calculées d’économie du temps.

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L’artiste Sugimoto ne fait que des photographies en série. Pour les occidentaux la photographie est une image prise à un instant T, un moment capturé. une pause dans le temps. Lorsqu’il parle de ses oeuvres, il décrit l’inverse. La photographie est un film immobile. la photographie informe sur le rapport avec le temps. Il est notable que cet artiste utilise le format 8 x 10 pouces avec des expositions très longues.

Dans Seascapes, la problématique qu’il se posait était : est-ce que le premier homme sur terre a vu la mer comme premier paysage ? Et qu’est-ce qu’il a ressenti à ce moment là ? Est-ce que c’est possible de ressentir cette même émotion aujourd’hui ?

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Drive-in Theaters Cette série de théâtres a été photographiée aux ciné-parcs, Sugimoto choisit d'exposer le film pendant toute la durée de la séance, le projecteur du cinéma fournissant l'unique source de lumière. L'écran lumineux et intensément blanc est au centre de la composition.

L'unique source de lumière donne à ces travaux un aspect irréel et donne à Sugimoto l'occasion de montrer le temps qui passe au travers de la photographie, technique de l'instantané.

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A l’opposé de la démarche de capturer le temps qui s’écoule grâce à une seule photographie, une seule image, nous avons Bill Viola qui propose une mesure filmique du temps.

Cet artiste américain réalise l’œuvre The Greeting, inspiré du tableau maniériste de Jacopo Pontormo, La visitation (1528-1529). La scène est filmée, tournée en 35 mm à une vitesse de 300 images par seconde. C’est-à-dire que la durée réelle du film est de 45 secondes mais il faut 10 minutes pour voir la séquence complètement. Les mouvements des personnages sont ralentis permettant ainsi au spectateur d'apprécier l'expression des visages dans les plus petits détails de leur évolution, on y voit les sensations et les sentiments dynamiques qu’il serait impossible de remarquer dans le film et dans la réalité.

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Bill Viola explore la nature de la temporalité et ses effets. Un moment donné peut devenir très dense et précieux par rapport à d'autres moments, comparables à la vie entière. Ce qu’il cherche, ce n’est pas une critique de la perception du temps dans la société moderne, mais plutôt une substitution d’une autre façon pour acquérir l’expérience du temps.

Le temps n’a plus d’allure, ni direction particulière. Viola propose la question de la durée, particulièrement sa profondeur et sa densité. Il se tourne vers la notion du temps non seulement subjective, mais aussi essentiellement plastique et malléable à l’intérieur de l’expérience même.

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Dans le silence, Sugimoto tente de montrer le temps qui circule. La densité de l’air entoure l’univers du statisme, alors que Viola aborde le temps dans le dynamisme.

L'art nous permet de rendre présent et visible ce qui est absent et invisible.

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Durant tout le chemin du temps ramifié, l’art m’offre avant tout une méditation sur le temps et il me concède une occasion de pratiquer l’immanence du temps en moi.

Le chemin du temps ramifié J’ai retrouvé ce sens du temps dans le concept du

間 [Ma]

littéralement : mi-lieu ou intervalle, qui existe dans l’inconscient des japonais, depuis le temps de nos ancêtres.

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Le « Ma » est une forme spatio-temporelle. Un temps et un espace non maîtrisé et non maîtrisable. Il est présent dans la vie quotidienne, par exemple dans les relations humaines.

« Ma » est un temps entre des événements successifs. La métaphore du « Ma » serait le retour à la ligne, voire le saut de ligne, dans l’écriture.

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Un temps muet mais dynamique, un intervalle rythmé entre des interactions. « Ma » est toujours en mouvement bien que ce soit une nuance subtile.

J'applique ce « Ma » caractéristique japonais, dans ma création artistique (visualisation et matérialisation de ce qui est à priori invisible et éphémère).

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Par exemple, La côte est constituée d’éléments issus du paysage de la plage. Du sable, des cerfs-volants ainsi que des bouées, tous ces éléments balnéaires sont condensés et conservés dans cet endroit. Tout ce qui compose cette pièce est mobile et léger. C’est un paysage que j’ai vu un jour, à un instant donné, sur la plage. Du sable qui était en train de disparaître sous les vagues et le vent sans laisser aucune trace. Des cerfs-volants qui flottaient au vent et qui s’envolaient. Des bouées qui ont été découvertes et plantées sur la plage. La ligne horizontale divisait le paysage en deux (le ciel et la surface terrestre)

J’ai essayé de conserver ce moment composé de « Ma ». Pour moi, la peinture est un moyen pour reproduire et matérialiser l’espace-temps, cependant, dans cette œuvre, les fils bleus, rouges et jaunes sont devenus mes matériaux à la place de la peinture et la boîte remplace la toile. C’est ainsi que je saisis le concept du « Ma » dans le paysage au bord de la mer.

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Comment les artistes transforment l’invisible ? Gerhard Richter parle de sa manière :

« Les peintures abstraites sont « des modèles fictifs » parce qu’elles rendent sensible une réalité que nous ne pouvons ni voir ni décrire, mais dont nous pouvons inférer l’existence. […] Avec les peintures abstraites nous avons créé pour nous-mêmes une meilleure possibilité d’approcher ce qui est non-visuel et incompréhensible, parce qu’elle dépeint ¨rien¨ directement, avec tous les moyens de l’art »

22

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Créer des œuvres, c'est comme si je laissais mes traces. Mes traces vont disparaître comme les empreintes de mes pas sur la neige, car tout est éphémère, c’est le

無常 [Mujo]

littéralement : rien-constant

« Le Mujo ne se limite ni à l’émotion du temps ni à la seule conscience de son écoulement. » 23

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Ce sens apparaît chez l’écrivain japonais Mishima, dans son ouvrage Le Japon moderne et l’esthétique du samouraï :

« La vie humaine ne dure qu’un instant. Passons-le donc à faire ce qui plaît »

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Mujo c’est l’apparition et la disparition de toutes les choses dans le monde. Elles sont en transition sans arrêt, inconsciemment et consciemment.

Christine Buci-Glucksmann établie la différence entre l'éphémère mélancolique et l'éphémère cosmique. L’éphémère mélancolique revit et réactualise sans fin le passé et ses traces, tandis que l'éphémère cosmique surgit entre apparition et disparition comme l’idée de Mujo.

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Giuseppe Penone souhaite que l'éphémère s'éternise, quant à moi, l'éphémère ne dure pas, se termine subitement et disparait en vain.

Je suis sur le chemin du temps ramifié, le chemin est né des interactions avec les occidentaux. Il se produit des changements imperceptibles petit à petit, et j'ai remué mon inconscient.

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Le temps ramifié est un temps singulier et éphémère qui surgit du temps, de temps en temps et s'éclipse.

C’est un chemin précaire comme la traînée de condensation derrière un avion. Celle-ci devient visible grâce à des réactions chimiques, comme ce temps ramifié qui, cette fois, apparaît avec mes découvertes partagées dans l’occident.

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En décollant de Tokyo, je voyais la vue aérienne présentée derrière moi, c’était le dernier paysage et souvenir de mon pays.

En m’éloignant de l'île du japon, par delà les mers, le chemin du temps ramifié commençait à apparaître légèrement. Il disparaîtra lors de l’atterrissage, ou alors lors du commencement d’un autre chemin du temps ramifié.

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Notes 1. SAINT AUGUSTIN. Confession, XI, Paris, Seuil, 1982.

2. Cité par CLARKE, Robert. Il était une fois le temps, Paris : Tallandier, 2005, p 15. 3. PROUST, Marcel, A la recherche du temps perdu, La Prisonnière, 1923. 4. Cité par CLARKE, Robert. Il était une fois le temps, Paris : Tallandier, 2005, p 16. 5. Cité par BUCI-GLUCKSMANN, Christine. Peinture : trois regards, Paris : édition du regard, 2000, p 100. Nietzsche a pensé son eternel retour comme conception philosophique d’une manière de vivre comme si les moments vécus seraient à revivre à l’infini. Or « On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve » écrit Héraclite. 6. BUCI-GLUCKSMANN, Christine. L’esthétique du temps au Japon : du zen au virtuel, Paris : Galilée, 2001, p 15. 7. SHIMIZU, Christine. L'art japonais, Flammarion, 2008, p 10. 8. AZUR, Fondation Cartier, 1993, p 4. 9. Cité par BUCI-GLUCKSMANN, Christine. Dans L’esthétique du temps au Japon : du zen au virtuel, Paris : Galilée, 2001, p 196. 10. Ecrit à partir de recherches personnelles et de TURNER, Anthony J. (Traduit de l’anglais par Yves Abrioux ). « La mesure de nos jours », Le temps, vite : exposition présentée au Centre Pompidou, 12 janvier-17 avril 2000, Paris : Ed. du Centre Pompidou, 2000. 11. MACEL, Christine. Le temps pris : le temps de l'oeuvre, le temps à l'œuvre, Monografik éditions : Centre Pompidou, 2008, p 20. 12. Encyclopaedia Universalis, Corpus. 11, 978.c, Paris, 2009.

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13. MELGUEN, Bernard. La mesure du temps, Rennes : Apogée, 2009. 14. Encyclopaedia Universalis, Corpus. 15, 885.b, Paris, 2009. 15. PALMER, Jason. (Page consultée novembre 2011), BBC News - Amondawa tribe lacks abstract idea of time, study says, [En ligne], Adresse URL: http://www.bbc.co.uk/news/science-environment-13452711 16. BUCI-GLUCKSMANN, Christine. L’esthétique du temps au Japon : du zen au virtuel, Paris : Galilée, 2001, 216 p., p 26 et 30 17. BOURRIAUD, Nicolas. « Time specific Art contemporain, exploration et développement durable », Expérience de la durée : Biennale de Lyon 2005, Paris : Paris-Musées, 2005, p 18. 18. Cité par Idem., p19 19. BUCI-GLUCKSMANN, Christine. L’esthétique du temps au Japon : du zen au virtuel, Paris : Galilée, 2001, p 15. 20. CASTELLS, Manuel. Dans La société en réseaux. p 485. Cité par BUCI-GLUCKSMANN, Christine. Dans L’esthétique du temps au Japon : du zen au virtuel, Paris : Galilée, 2001, p 149 - 150.

21. LATOUR, Bruno. Nous n’avons jamais été modernes, Paris, La Découverte, 2006 (éd. originale, 1991), p 162. 22. KOCH, Gertrud, Luc LANG et Jean-Philippe ANTOINE. Gerhard Richter, Dis voir, 1995, p 85. 23. BUCI-GLUCKSMANN, Christine. L’esthétique du temps au Japon : du zen au virtuel, Paris : Galilée, 2001, p 129.

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