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TECHNIQUES TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS - N° 206 - MARS/AVRIL 2008 87 I - INTRODUCTION Dans les dernières décennies, le dévelop- pement rapide de l’urbanisation a résulté dans une demande accrue pour la cons- truction de tunnels (transport, assainisse- ment, réseaux divers, …). La majeure par- tie de ces tunnels sont désormais réalisés à des profondeurs faibles et par des tunneliers mécanisés dont les diamètres augmentent régulièrement. Le tunnel du Groene Hart, construit en 2005 aux Pays-Bas, a été excavé par un tunnelier à pression de boue de 14,87 m de diamètre extérieur. Le tunnel de Madrid M-30 excavé par un tunnelier à pression de terre de 15,2 m de diamètre est jusqu’à présent le tunnel achevé de plus grand diamètre. En sep- tembre 2006, deux tunneliers à pression de boue de 15,43 m de diamètre ont débuté le creusement du Shanghai Yangtze River Tunnel (Chine). Avec l’accroissement du diamètre de ces tunneliers, le volume excavé augmente de façon importante ainsi que la probabilité de rencontrer lors de l’excavation des ter- rains de natures différentes mais dont les propriétés sont globalement faibles à médiocres. La stabilité du front au cours de l’excavation devient alors une problé- matique importante du projet. Un état des connaissances montre que cette problé- matique est mal connue pour les tunnels de très grand diamètre. L’analyse de la stabilité du front dans le cas de tunnels à front pressurisé circulaires peu profonds passe par la détermination de la pression à appliquer au matériau au sein de la chambre. Cette pression doit en particulier éviter les phénomènes d’effon- drement (rupture active ou collapse) et le refoulement (rupture passive ou blow-out) du sol au voisinage du front. Dans la litté- rature, on trouve en général pour traiter de ce problème des approches analy- tiques basées sur l’équilibre limite (Horn, 1961; Anagnostou & Kovári 1994; Broere, 2001) et l’analyse limite (Davis et al. 1980; Leca & Dormieux, 1990; Chambon & Corté, 1994; Soubra 2000, 2002; Wong & Subrin, 2006). L’ensemble de ces référen- ces considère une pression de confine- ment du front uniforme, ce qui est une hypothèse acceptable pour des diamètres de tunnel petits à moyens (approximative- ment 10 m sans que cette limite ne soit à l’heure actuelle justifiée). En revanche, aucune analyse de la stabilité du front n’a à l’heure actuelle été proposée pour des tunneliers de très grand diamètre et sup- portés par une pression de boue ou de terre, pour laquelle l’hypothèse de pres- sion de confinement uniforme n’est a priori plus valable. La répartition non uniforme de la pression de boue ou de terre est due essentielle- ment à la densité du matériau présent dans la chambre d’abattage. Pour les tun- neliers à pression de boue, cette densité doit rester dans certaines limites, en parti- culier pour assurer un cake à l’avant du front de qualité satisfaisante. De plus, celle-ci est toujours inférieure à la densité du sol en place et proche de celle de l’eau. Ainsi, il existe une différence de Stabilité locale du front pour les tunneliers à pression de boue de grand diamètre dans les argiles molles F. Emeriault & R. Kastner INSA-Lyon, LGCIE, F-69621; France Y. Li & Z.X. Zhang Key Laboratory of Geotechnical & Underground Engineering, Ministry of Education; Department of Geotechnical Engineering, School of Civil Engineering, Tongji University, Shanghai 200092; China Résumé : L’apparition d’une instabilité locale du front dans le cas de tunneliers à pression de boue de grand diamèt- re est étudiée par une approche par analyse limite ainsi que par analyse numérique 3D. Le cas du projet du Yangtze River tunnel (Shanghai, Chine) est pris comme support. Les ruptures par effondre- ment et par refoulement sont consi- dérées. Les résultats obtenus pour les deux approches montrent qu’il est nécessaire de prendre en compte la rupture locale dans le cas des grands diamètres en parti- culier pour une rupture par refoule- ment en partie supérieure du front quand la pression de boue est trop élevée. En revanche, seul un effon- drement global du front apparaît quand la pression de boue est trop faible. Les formes et extensions des mécanismes de rupture ainsi que les pressions de boue correspon- dantes sont présentées et commen- tées dans les cas extrêmes d’effon- drement et de refoulement. Abstract: LOCAL STABILITY OF THE FRONT FOR LARGE DIAMETER SLURRY SHIELDS IN SOFT CLAYS The occurence of a local instability of the front with large diameter slurry shields is studied by both a limit ana- lysis and a 3D numerical analysis, using the Yangtze River tunnel (Shanghai, China) as a support to the study.Failures by collapse and blow out are considered. The results obtai- ned for both approaches show that, for large diameters, it is necessary to consider the local failure, in particular for a failure due to a blow out occu- ring at the upper part of the front when mud pressure is too high. On the contrary, only a global collapse of the front occurs when mud pressure is too low. Shapes and extensions of the failure mechanisms, as well as asso- ciated mud pressures are presented and discussed in the extreme cases of collapse and blow out.

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TECHNIQUES

TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS - N° 206 - MARS/AVRIL 2008 87

I - INTRODUCTIONDans les dernières décennies, le dévelop-pement rapide de l’urbanisation a résultédans une demande accrue pour la cons-truction de tunnels (transport, assainisse-ment, réseaux divers, …). La majeure par-tie de ces tunnels sont désormais réalisés àdes profondeurs faibles et par des tunneliersmécanisés dont les diamètres augmententrégulièrement. Le tunnel du Groene Hart,construit en 2005 aux Pays-Bas, a étéexcavé par un tunnelier à pression deboue de 14,87 m de diamètre extérieur.Le tunnel de Madrid M-30 excavé par untunnelier à pression de terre de 15,2 m dediamètre est jusqu’à présent le tunnelachevé de plus grand diamètre. En sep-tembre 2006, deux tunneliers à pressionde boue de 15,43 m de diamètre ontdébuté le creusement du ShanghaiYangtze River Tunnel (Chine).

Avec l’accroissement du diamètre de cestunneliers, le volume excavé augmente defaçon importante ainsi que la probabilitéde rencontrer lors de l’excavation des ter-rains de natures différentes mais dont lespropriétés sont globalement faibles àmédiocres. La stabilité du front au coursde l’excavation devient alors une problé-matique importante du projet. Un état desconnaissances montre que cette problé-matique est mal connue pour les tunnelsde très grand diamètre.

L’analyse de la stabilité du front dans le casde tunnels à front pressurisé circulairespeu profonds passe par la déterminationde la pression à appliquer au matériau au

sein de la chambre. Cette pression doit enparticulier éviter les phénomènes d’effon-drement (rupture active ou collapse) et lerefoulement (rupture passive ou blow-out)du sol au voisinage du front. Dans la litté-rature, on trouve en général pour traiterde ce problème des approches analy-tiques basées sur l’équilibre limite (Horn,1961; Anagnostou & Kovári 1994; Broere,2001) et l’analyse limite (Davis et al. 1980;Leca & Dormieux, 1990; Chambon &Corté, 1994; Soubra 2000, 2002; Wong &Subrin, 2006). L’ensemble de ces référen-ces considère une pression de confine-ment du front uniforme, ce qui est unehypothèse acceptable pour des diamètresde tunnel petits à moyens (approximative-ment ≤10 m sans que cette limite ne soit àl’heure actuelle justifiée). En revanche,aucune analyse de la stabilité du front n’aà l’heure actuelle été proposée pour destunneliers de très grand diamètre et sup-portés par une pression de boue ou deterre, pour laquelle l’hypothèse de pres-sion de confinement uniforme n’est apriori plus valable.

La répartition non uniforme de la pressionde boue ou de terre est due essentielle-ment à la densité du matériau présentdans la chambre d’abattage. Pour les tun-neliers à pression de boue, cette densitédoit rester dans certaines limites, en parti-culier pour assurer un cake à l’avant dufront de qualité satisfaisante. De plus,celle-ci est toujours inférieure à la densitédu sol en place et proche de celle del’eau. Ainsi, il existe une différence de

Stabilité locale du front pour les tunneliers à pression de boue degrand diamètre dans les argiles molles

F. Emeriault & R. KastnerINSA-Lyon, LGCIE, F-69621; France

Y. Li & Z.X. ZhangKey Laboratory of Geotechnical & Underground Engineering, Ministry of Education;

Department of Geotechnical Engineering, School of Civil Engineering, Tongji University, Shanghai 200092; China

Résumé :L’apparition d’une instabilité localedu front dans le cas de tunneliers àpression de boue de grand diamèt-re est étudiée par une approchepar analyse limite ainsi que paranalyse numérique 3D. Le cas duprojet du Yangtze River tunnel(Shanghai, Chine) est pris commesupport. Les ruptures par effondre-ment et par refoulement sont consi-dérées. Les résultats obtenus pourles deux approches montrent qu’ilest nécessaire de prendre encompte la rupture locale dans lecas des grands diamètres en parti-culier pour une rupture par refoule-ment en partie supérieure du frontquand la pression de boue est tropélevée. En revanche, seul un effon-drement global du front apparaîtquand la pression de boue est tropfaible. Les formes et extensions desmécanismes de rupture ainsi queles pressions de boue correspon-dantes sont présentées et commen-tées dans les cas extrêmes d’effon-drement et de refoulement.

Abstract:LOCAL STABILITY OF THE FRONT FORLARGE DIAMETER SLURRY SHIELDS INSOFT CLAYSThe occurence of a local instability ofthe front with large diameter slurryshields is studied by both a limit ana-lysis and a 3D numerical analysis,using the Yangtze River tunnel(Shanghai, China) as a support to thestudy. Failures by collapse and blowout are considered. The results obtai-ned for both approaches show that,for large diameters, it is necessary toconsider the local failure, in particularfor a failure due to a blow out occu-ring at the upper part of the frontwhen mud pressure is too high. Onthe contrary, only a global collapse ofthe front occurs when mud pressure istoo low. Shapes and extensions of thefailure mechanisms, as well as asso-ciated mud pressures are presentedand discussed in the extreme casesof collapse and blow out.

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pression au front entre la boue et le sol enplace au niveau de la clé et du radier dutunnel. Cette différence augmente avec lediamètre du tunnel , comme l’illustre laFigure 1, où Su et Sb sont les pressions deboue en clé et en radier; Pu et Pb les pres-sions de terre correspondantes; D0 est lediamètre du petit tunnel et D celui d’ungrand. De ce fait, on peut attendre desmécanismes de rupture du front différentsde ceux identifiés jusqu’à présent pourdes tunnels de diamètre faible à moyen.

Dans cet article, une méthode simplifiéeest proposée pour prendre en compteune répartition de pression non uniformesur le front basée sur les mécanismesmulti-blocs présentés par Soubra (2002).En particulier on analyse la possibilité derupture locale du front dans le cas degrands diamètres. De plus, une analysenumérique 3D plus précise est menéepour valider les résultats obtenus par l’ap-proche analytique aussi bien en terme depression critique (pour les deux mécanis-mes possibles de refoulement et d’effon-drement) que de forme et d’ampleur de lazone de sol en rupture. Cette comparai-son est menée sur un cas particulier, celuidu Shanghai Yangtze River Tunnel encours de construction et actuellement leplus grand tunnel au monde excavé princi-palement dans des argiles normalementconsolidées de qualité médiocre.L’analyse permet également de définir àpartir de quel diamètre et dans quellesconditions géotechniques il est nécessairede parler de grand diamètre et de faireune étude spécifique de l’instabilité localedu front.

2 - SITE SUPPORTLa majeure partie du projet du ShanghaiYangtze River Tunnel consiste à traverser larivière par un tunnel de 7,5 km de lon-gueur entre les iles de Pudong et deChangxing Island dans la banlieue deShanghai (Chine). L’excavation des deuxtunnels parallèles est faite par deux tunne-liers à pression de boue construits parHerrenknecht et ayant chacun un diamètrede 15,43 m, ce qui en fait à l’heureactuelle le plus grand diamètre au monde.Les travaux sont réalisés en partenariat parShanghai Tunnel Engineering Company(STEC) et Bouygues. Débutés en septem-bre 2006, le creusement doit permettre lalivraison du tunnel pour l’ExpositionUniverselle de Shanghai en 2010.

Les tunnels sont principalement situéssous le lit de la rivière Yangtze, qui estcomposé d’argiles très molle et molle,avec des lentilles locales de sable fin limo-neux. Selon la nomenclature locale, lestunnels doivent essentiellement traverserles couches notées 4-1 et 5-1-2 correspon-dant respectivement à des argiles limo-neuses grises molles et des argiles limo-neuses grises (Xu et al. 2003).

Les tunnels sont par ailleurs excavés à uneprofondeur moyenne de 65 m sous leniveau de la rivière, ainsi une pressionhydrostatique de 650 kPa est attendue.

Dans sa partie la moins profonde, le rap-port C/D n’est que de 0,7, avec C et D lacouverture et le diamètre du tunnel. Dufait des conditions géologiques défavora-bles et des grandes dimensions du front

d’excavation, la problématique de la stabi-lité du front est un point crucial du projet.Le profil le plus dangeureux est retenupour cette étude, soit C/D=0,7, commeillustré sur la Figure 2, où Hw est la hauteurd’eau au dessus de la clé du tunnel.

3 - MÉCANISME DE RUPTURELOCALE Une méthode rationnelle et bien définiepermettant la détermination de la pres-sion de confinement a été proposée parSoubra (2002) à partir du modèle par ana-lyse limite 3D de Leca & Dormieux (1990).Elle prend en compte un mécanisme derupture translationnel multi-blocs et four-nit une borne supérieure (ou approche parl’extérieur) de la pression de confinement.Le mécanisme proposé donne plus dedegrés de liberté dans la définition de lasurface de rupture et améliore donc lesrésultats du mécanisme de Leca etDormieux (1990). Ce mécanisme multi-blocs est applicable pour une pression deconfinement uniforme.

3.1 - Mécanisme de rupturemulti-blocs (Soubra 2002)L’analyse de la stabilité du front pour untunnel circulaire de diamètre D excavé àune profondeur H ou couverture C estbasée sur une idéalisation du problèmeillustrée sur la Figure 3. Une surcharge ver-ticale σs est appliquée sur la surface hori-zontale du sol, σt est une pression suppo-sée uniforme qui s’applique sur le front dutunnel. Le mécanisme de rupture est com-posé de plusieurs troncs de cônes rigides

TECHNIQUES Stabilité locale du front pour les tunneliers à pression de boue de grand diamètre dans les argiles molles

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Figure 1 - Différence de pression au front suivant le diamètre du tunnel Figure 2 - Profil géologique type avec un rapport C/D=0.7

(a) Diamètre normal (b) Grand diamètre

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ayant une section circulaire et un angled’ouverture égal à 2φ, avec φ l’angle defrottement interne du sol (supposé homo-gène sur l’ensemble de la profondeur).Les différents blocs de ce mécanisme ontun mouvement de corps rigide qui cor-respond pour chacun à un mouvement detranslation dont la direction est colinéaireà l’axe du cône, de sorte qu’elle forme unangle φ avec la surface de discontinuité. Lavitesse de chaque cône est déterminée desorte que la vitesse relative entre deuxblocs tronconiques fasse un angle φ avecla surface de contact entre les deux cônes.Le mécanisme considéré est alors complè-tement déterminé par n paramètres angu-laires α et βi (i=1…n-1), où n est le nombrede blos rigides. La construction géomé-trique de ce mécanisme est analogue àcelle de Leca et Dormieux (1990) ; cepen-dant, par son nombre de degrés de libertéplus important, il améliore les résultats de

cette précédente approche en terme devaleurs de pression critique (en effondre-ment comme en refoulement). Il restecependant applicable théoriquement ourigoureusement uniquement au cas desmatériaux associés (ψ = φ).

Les forces contribuant aux puissancesexternes sont (i) le poids propre des troncsde cône rigides; (ii) la surcharge en surfaceσs (dans le cas où le mécanisme estdébouchant) et (iii) la pression σt appli-quée sur le front. Les dissipations appa-raissent le long des surfaces latérales etdes sections extrêmes des éléments dumécanisme de rupture. En écrivant l’éga-lité entre puissances des forces externeset dissipation, la pression σt sur le frontapparait égale à :

où Ns et Nγ sont des coefficients liésrespectivement à la surcharge et au poidspropre; c, φ sont la cohésion et l’angle defrottement du sol et γ son poids volu-mique.

3.2 - Pression de boue critiquePour analyser la possibilité de rupturelocale du front, deux mécanismes de rup-ture sont considérés (Figure 4), correspon-dant au refoulement de la partie supé-rieure du tunnel et à l’effondrement de lapartie basse. On suppose que la rupturelocale est limitée à une zone elliptique dehauteur DL, avec DL∈ (0, D). Pour le méca-nisme de refoulement de la partie supé-rieure (Figure 4.a), le point haut de la zonede rupture correspond à la clé du tunnel.Pour l’effondrement en partie basse(Figure 4.b), on suppose que la base de larupture coïncide avec le radier du tunnel.Les cas d’effondrement en partie haute et

TECHNIQUESStabilité locale du front pour les tunneliers à pression de boue de grand diamètre dans les argiles molles

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Figure 3 - Mécanismes de rupture multi-blocs Figure 4 - Mécanismes de rupture locale considérés

(1)

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de refoulement en partie basse n’ont pasété considérés car physiquement moinscritiques.

Pour chacun des deux mécanismes derupture locale retenus, la pression critiquecorrespond à l’extremum obtenu quandDL varie de 0 à D. Dans le cas du refoule-ment en clé, on recherchera la valeur mini-male de pression alors que pour le méca-nisme d’effondrement en radier lemaximum de pression sera retenu.

Pour cela, un mécanisme multi-blocs com-portant 5 troncs de cône (i.e. n=5) est prisen compte comme illustré sur la Figure 3.En effet, Soubra (2002) a montré queconsidérer des mécanismes avec un nom-bre de blocs n supérieur à 5 n’améliorepas de façon significative les résultats(aussi bien en terme de pression causant larupture que de description du volume desol en rupture). La hauteur d’eau au dessusdu niveau du sol est considérée commeune surcharge. L’excavation étant réaliséerapidement comparée au phénomène deconsolidation et de dissipation des sur-pressions interstitielles, l’analyse est faiteen conditions non drainées.

Le Tableau 1 résume l’ensemble descaractéristiques homogénéisées du solrencontré (constitué essentiellement descouches d’argiles limoneuses grises 4-1 et5-1-2). La boue bentonitique présente unpoids volumique γF=12 kN/m3. L’étude aété menée en prenant en compte deuxoptions de représentation des caractéris-tiques du sol.

Dans le cas 1, la cohésion du sol est consi-dérée comme constante avec la profondeuralors que pour le cas 2, celle-ci augmenteavec la profondeur :

cu=-0.95z/zref+0.4 kPa (2)

où z est la profondeur de la couche de solet zref = 1 m. La valeur moyenne de lacohésion entre la clé et le radier du tunneldans le cas 2 est égale à la valeur de cu ducas 1.

Le cas 2 a été retenu pour prendre encompte la variation de la résistance au

cisaillement non drainée entre la clé et leradier du tunnel qui peut être importantedans le cas des tunnels de grand diamè-tre, tout particulièrement lorsqu’ils traver-sent des argiles normalement consoli-dées.

Selon l’hypothèse de base du mécanismede rupture multi-blocs, l’intersection dubloc en rupture avec le front du tunnel estune ellipse de grand-axe DL vertical. Lapression critique σt0 obtenue avec cemodèle multi-blocs est une pression uni-

forme (Figure 3). Or la pression appliquéepar la boue varie avec la profondeur. Ainside façon à pouvoir comparer les valeursde pression correspondant à des diamèt-res DL différents, on détermine danschaque cas une pression de boue en clédu tunnel σt=σt0-γsDL/2. Par ailleurs,comme la pression de boue augmenteavec la profondeur, la force totale qui s’ap-plique sur le front n’est pas centrée surl’ellipse de grand-axe DL mais agit avecune excentricité e. Cette excentricité esten général relativement faible (2 à 4% dudiamètre D du tunnel) ce qui justifie que lemoment induit puisse être en premièreapproche négligé.

La Figure 5 présente les résultats obtenuspour des hauteurs DL du mécanisme derupture locale variant de 6 m à 15,43 m.Sur cette même figure, la valeur de cohé-sion considérée dans le cas 2 est reportée,celle-ci étant calculée pour chaque DL

TECHNIQUES Stabilité locale du front pour les tunneliers à pression de boue de grand diamètre dans les argiles molles

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Poids Cohésion Angle de Module Coefficientvolumique frottement d’Young de Poisson

γ cu φu E ν

kN/m3 kPa ° MPa

cas 1 18,2 24,5 0,01 3,21 0,495

cas 2 18,2 0,95z/zref+0,4 0,01 3,21 0,495

Tableau 1. Paramètres géomécaniques utilisés dans l’analyse numérique

Figure 5 - Evolution des pressions critiques avec les dimensions du mécanisme de rupture local

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comme la moyenne des cohésions entrele pied et le sommet du bloc en rupture.Ainsi dans le cas du refoulement en clé,cette cohésion moyenne augmente avecDL car le bloc en rupture devient de plusen plus profond tout en restant débou-chant en surface. Dans le cas de l’effon-drement en radier, le bloc en rupture étanttoujours initié au niveau du radier du tun-nel réel, la cohésion moyenne jusqu’aupoint haut du bloc en rupture (qui n’estthéoriquement pas nécessairementdébouchant) est sensiblement constanteégale à celle du cas 1. Ainsi dans le cas del’effondrement il n’y a pas ou peu de diffé-rence entre les pressions critiques déter-minées dans les cas 1 et 2.

La Figure 5 montre que, dans le cas 1, lasituation la plus critique est observéequand DL=D=15,43 m aussi bien en refou-lement (pression minimum) qu’en effon-drement (pression maximum). Ceci signifieque la rupture la plus probable intéresserala totalité du front.

En revanche, quand une variation de larésistance au cisaillement non drainéeavec la profondeur est prise en compteexplicitement (cas 2), la valeur minimumde pression est obtenue, dans le cas durefoulement, pour une hauteur du méca-nisme de rupture local de 12 m, ce quimontre que le refoulement partiel de la clédu tunnel est plus probable que celle dufront dans son ensemble. Cependant onpeut noter que la différence entre les pres-sions critiques obtenues pour DL∈ (10, 15,43)est très faible. Ainsi, en pratique, une rup-ture globale du front ou une rupture par-tielle en clé avec DL>10 m ont la mêmeprobabilité d’occurrence.

Pour l’effondrement, la cohésion moyennevariant de façon très marginale, la pressioncritique maximum est obtenue pourDL=15,43 m, soit pour un mécanisme derupture global.

Les valeurs de pressions critiques obte-nues sont, en clé du tunnel, de 620 kPa et266 kPa respectivement pour le refoule-ment local en clé et pour l’effondrementglobal en radier. Ces valeurs ramenées auniveau de l’axe du tunnel sont respective-ment de 712,5 kPa et 358,5 kPa.

Ces mêmes résultats permettent égale-ment de définir de façon plus précise lesnotions de grand diamètre et de diamètrepetit à moyen à partir de considérationsmécaniques et de transition de comporte-ment. On voit ainsi que, dans le cas précisdu Shanghai Yangtze River Tunnel, pour un

diamètre de 12 m, les mécanismes d’ef-fondrement et de refoulement ne peuventêtre que globaux. En revanche pour undiamètre supérieur, en refoulement pourun matériau normalement consolidé pré-sentant donc une variation de cu avec laprofondeur, on a la possibilité de voirapparaître une instabilité locale. La valeurseuil de 12 m ne doit pas être considéréecomme universelle, elle dépend en parti-culier du type de pressurisation du front(boue ou terre), des caractéristiques méca-niques du sol, en particulier de cu et de sesvariations avec la profondeur.

4 - ANALYSE NUMERIQUE AVECFLAC3D

4.1 - Modèle numérique FLAC3D

utiliséDe façon à analyser plus finement le com-portement du front pendant la rupture,une analyse numérique a été effectuéeavec le logiciel en différences finiesFLAC3D (Itasca 2006).

Etant donné la symétrie du problème, seulun demi-modèle est considéré (Figure 6).De plus, les dimensions de ce modèle per-mettent de s’affranchir d’éventuels effets debord. Le niveau d’eau est situé à une hau-teur de 2D au dessus de la clé du tunnel.

Les différentes couches de sol sont suppo-sées obéir à une loi de comportementlinéaire élastique – parfaitement plastiqueavec un critère de rupture de Mohr-Coulomb et une loi d’écoulement asso-ciée (ψ = φ). Une analyse non drainée duproblème de stabilité est réalisée avec lesparamètres de sol reportés dans leTableau 1.

De manière à concentrer l’analyse sur lemécanisme de rupture du front dans le casd’un tunnelier mécanisé, la procédure

d’excavation a été simplifiée au maximum(comme ont pu le justifier Gioda &Swoboda, 1999). Une longueur de tunnelde 13 m (soit la longueur de la machineréelle) sont ainsi excavés en une seuleétape. Dans le même temps, une réparti-tion de pression de boue trapézoïdaleinitiale est appliquée sur le front. La valeurmoyenne σs0 est égale à la contrainte hori-zontale totale régnant au sein du massif auniveau du centre du tunnel (dans ce cas,σs0=537,6kPa). Le gradient de pression deboue avec la profondeur est égal au poidsvolumique de la boue. La pression deboue au centre du front σsi est augmentée(ou diminuée) en multipliant σs0 par unfacteur M à chaque étape de calcul i, jus-qu’à ce que le refoulement (ou l’effondre-ment) apparaisse.

σsi = M . σs0 (3)

L’apparition de la rupture est définie dansle cas présent par l’impossibilité en fin d’é-tape de calcul d’avoir une force non équili-brée proche de 0 et des vitesses maximumconstantes supérieures à 10-11 ~ 10-12 m / pas de calcul.

4.2 - Résultats du modèle numériqueDans le cas 1, l’effondrement apparaitpour une valeur de M égale à 0,65 et lerefoulement pour M=1,30 ; dans le cas 2on obtient respectivement M=0,70 etM=1,30.Les pressions critique minimum etmaximum sont alors calculées par (3) etreportées dans le Tableau 2.

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Figure 6 - Caractéristiques géométriques du modèle 3D et maillage utilisé

Tableau 2. Comparaison des pressions critiques dansle cas 2 (référence = niveau de l’axe du tunnel)

Effondrement Refoulement

Modèle 5 cônes 358,5 kPa 712, kPa

Modèle numérique 3D 376,3 kPa 698,9 kPa

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Les isovaleurs de déplacement à la rup-ture dans le cas 2 sont présentées sur laFigure 7. Une rupture par effondrementintéressant l’ensemble du front estobtenu. Ce mécanisme est cohérent avecles résultats en centrifugeuse deChambon et Corté (1994). En revanche, lemécanisme de refoulement est unique-ment localisé dans la partie supérieure dufront (d’ailleurs plus marqué dans le cas 2que pour une cohésion constante du sol).

En effondrement (Figure 8.a et 8.b), l’en-semble du front est concerné par desvitesses importantes, les points les plusdangeureux étant proches du radier dutunnel. La zone en rupture est circulaire etcorrespond à l’ensemble du front. Enrefoulement (Figure 8.c et 8.d), la ruptureest restreinte dans la partie supérieure dutunnel (3/4D pour le cas 1 et 1/2D pour lecas 2). Le mécanisme de rupture a uneforme elliptique avec un grand-axe hori-zontal. Les points les plus critiques sontsitués en clé. Une autre visualisation de larupture est donnée par la Figure 9 surlaquelle sont représentées les évolutionsdes vitesses pour des points distribuésrégulièrement sur un axe vertical du frontdu tunnel.

5 - COMPARAISON DES MÉCANISMES DE RUPTURELa Figure 10 compare dans le cas 2 lesmécanismes de rupture obtenus avec lemodèle multi-blocs et l’analyse numérique

3D. Le modèle à 5 cônes fournit par opti-misation des coefficients Nγ et Ns deuxjeux d’angles α et βi. La différence entreles deux masses en rupture est assez limi-tée comme le montre la Figure 10 aussibien en effondrement qu’en refoulement.

En première approche, les mécanismesobtenus par la théorie de l’analyse limiteet le calcul numérique sont semblables. Ilsprédisent une rupture locale en clé enrefoulement et une rupture globale eneffondrement.

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Figure 7 - Isovaleurs de déplacement à la rupture – Cas 2

Figure 8 - Isovaleurs de vitesse au front à la rupture

(a) Effondrement (M=0.70) (b) Refoulement (M=130)

(a) Effondrement

(b) refoulement

Figure 9 - Evolution des fronts de vitesses sur une verticale du front du tunnel (Cas 2) Unité : m/pas de calcul

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6 - CONCLUSIONSL’approche par rupture multi-blocs et l’analysenumérique 3D montrent, du fait de l’évolution de lacohésion du sol avec la profondeur, en particulierdans le cas de matériaux normalement consolidés,qu’une rupture locale par refoulement apparait enclé alors que la rupture par effondrement reste glo-bale.

Les pressions critiques fournies par les deux appro-ches sont voisines (Tableau 2). On note tout demême que le modèle multi-blocs ne fournit qu’uneborne supérieure de la solution du problème. Ainsila rupture peut intervenir pour des valeurs de pres-sions plus fortes en effondrement ou plus faibles enrefoulement comme l’indique le modèle numérique.

Le modèle numérique 3D montre qu’en refoule-ment, l’intersection de la zone en rupture et du frontdu tunnel peut être décrite par une ellipse dont legrand axe est horizontal. Ceci est en contradictionavec l’hypothèse fondamentale de l’approchemulti-blocs pour laquelle les troncs de cônes sontde section circulaire (ouverture 2φ) et résultant enune intersection elliptique de grand axe vertical.

Dans le cas 2, la cohésion cu variantavec la profondeur, l’approche multi-blocs a été appliquée en calculantune valeur moyenne de cu entre lesommet et le pied de la zone en rup-ture. Cependant, d’après la forme dela zone en rupture, une variation dela cohésion influence la dissipationd’énergie le long de la surface laté-rale du bloc en rupture. Un calculplus précis de la valeur moyenne decu est donc nécessaire.

La rotation du bloc causée par l’ex-centricité de la résultante des pres-sions de boue doit être considéréedans de futurs développements pouraméliorer les résultats de l’approchethéorique, en particulier dans le casde l’effondrement.

Enfin l’analyse a été ici limitée à desconditions non drainées, pour les-quelles l’hypothèse de plasticitéassociée du sol est valide (ψ = φ = 0).

La théorie de l’analyse limite à la base desrésultats de Soubra (2002) n’est en touterigueur pas adaptable au cas de la plasti-cité non associée. La voie numérique est laplus à même de traiter correctement cetype de situation.

7 - REMERCIEMENTSLes recherches présentées dans cet articleont été partiellement financées par leNational High Technology Research andDevelopment Program (863 Program) dela République Populaire de Chine. Le troi-sième auteur est également reconnaissantau programme français Eiffel Doctoratpour le financement de son séjour auLGCIE – INSA Lyon. Enfin les auteurs sou-haitent remercier le Prof. A. H. Soubrapour les échanges intéressants qu’ils onteus sur le modèle multi-blocs et pour lesavoir autorisés à utiliser son programmede calcul.

TECHNIQUESStabilité locale du front pour les tunneliers à pression de boue de grand diamètre dans les argiles molles

TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS - N° 206 - MARS/AVRIL 2008 93

Figure 10 - Comparaison des mécanismes de rupture dans le cas 2

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