sos-torture/burundi · web viewen effet, depuis la crise de 2015, ces réseaux sociaux ont...

15
Bulletin N°18 du 20 Janvier 2020 Répression sélective du discours de la haine La paix et la cohésion nationale à l’épreuve En haut à droite, une prévenue Gloriose Karerwa Kamikazi à la barre du tribunal avec son Avocat, poursuivie pour aversion raciale et imputation dommageable et à gauche, Kenny Claude Nduwimana, libre, diffusant impunément des message de haine ethnique

Upload: others

Post on 11-Oct-2020

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: SOS-TORTURE/BURUNDI · Web viewEn effet, depuis la crise de 2015, ces réseaux sociaux ont valablement compensé le vide créé par la destruction des médias indépendants comme

Bulletin N°18 du 20 Janvier 2020

Répression sélective du discours de la haine

La paix et la cohésion nationale à l’épreuve

En haut à droite, une prévenue Gloriose Karerwa Kamikazi à la barre du tribunal avec son Avocat, poursuivie pour aversion raciale et imputation dommageable et à gauche, Kenny Claude Nduwimana, libre, diffusant impunément des message de haine ethnique

Page 2: SOS-TORTURE/BURUNDI · Web viewEn effet, depuis la crise de 2015, ces réseaux sociaux ont valablement compensé le vide créé par la destruction des médias indépendants comme

Le Burundi, comme d’autres pays du monde, connaît la dynamique d’usage des technologies de l’information et de la communication avec les réseaux sociaux notamment. Cette révolution dans la communication a des retombées positives sur la libre circulation de l’information limitée généralement par le verrouillage de l’espace démocratique.

En effet, depuis la crise de 2015, ces réseaux sociaux ont valablement compensé le vide créé par la destruction des médias indépendants comme les radios RPA, Bonesha FM+, Télé-Renaissance et la radiation des organisations indépendantes de la société civile impliquées dans la promotion des droits de l’homme et la bonne Gouvernance comme la Ligue Iteka, Acat-Burundi, l’Aprodh, Focode, Forsc, etc.

Mais, les effets pervers ne manquent pas sur le plan de l’éthique, de la déontologie professionnelle et de la morale en matière de traitement et de diffusion de l’information car « la toile est devenue une caisse de résonance qui permet de propager la haine et d’inciter à commettre des actes racistes. Sur internet, on déverse des propos qu’on n’oserait pas exprimer face à face »1

Au Burundi, l’enlisement de la crise de 2015 a partiellement transformé les réseaux sociaux burundais en forum virtuel de prolifération des enseignements de la haine susceptibles d’inciter à des actes de violence à l’endroit des victimes ciblées pour leur appartenance ethnique ou politique.

Cette situation s’empire avec la fièvre électorale de 2020 sans que le pouvoir judiciaire, censé inverser cette tendance, n’intervienne pour protéger les victimes potentielles contre ces actes de stigmatisation incitant à la déshumanisation, au mépris public et à la violence.

Certes, le Ministère public a déjà menée quelques actions répressives en la matière mais il devient impuissant lorsque les auteurs des discours de la haine sont proches du pouvoir CNDD-FDD.

Cette pratique de deux poids, deux mesures de la Justice est illustrée par le procès d’une employée de la Mairie de Bujumbura, de l’ethnie tutsi, Gloriose Karerwa Kamikazi, détenue depuis le 5 juillet 2019 pour voir tenu sur WhatsApp des propos discriminatoires à l’égard des femmes hutu, membres de l’association « Intwari ».

Au même moment, un soi-disant journaliste de l’ethnie hutu, Keny Claude Nduwimana, sympathisant au CNDD-FDD, effectue des reportages et anime des émissions sonores par le même canal WhatsApp en véhiculant messages d’incitation à la haine ethnique et à l’extermination des Tutsi. Il profère également des menaces à l’endroit des Hutu de l’opposition, dont les membres du CNL de Agathon Rwasa, leur reprochant de composer avec les Tutsi.

La nouvelle édition de votre bulletin de Justice se penche sur cette problématique en tirant la sonnette d’alarme sur l’inertie de la Justice et de la police face aux enseignements aux allures génocidaires qui menacent gravement la paix et la cohésion nationale.

Gloriose Karerwa Kamikazi, détenue pour aversion raciale, imputation dommageable,

1https://www.cath.ch/newsf/suisse-sur-internet-et-les-reseaux-sociaux-les-discours-de-haine-en-forte-augmentation/

2

Page 3: SOS-TORTURE/BURUNDI · Web viewEn effet, depuis la crise de 2015, ces réseaux sociaux ont valablement compensé le vide créé par la destruction des médias indépendants comme

injures envers des femmes hutu, membres d’une association

Lors de sa comparution en date du 5 décembre 2019, le Ministère public précisait que Gloriose Karerwa Kamikazi a insulté publiquement les femmes membres de l’association « Intwari » en manifestant la haine envers une partie de l’ethnie et que son audio ternit l’image de la communauté burundaise.

Complétant le Ministère public, l’Avocat de la partie civile faisait remarquer que la prévenue a comparé les femmes de l’Association « Intwari » aux oiseaux « Inkware » en train de gravir une montagne et que c’est déshumanisant de comparer des personnes avec des animaux.

Le Ministère public a requis une peine de trois ans pour « aversion raciale et imputation dommageable et injure » (art. 265 et 266 du CP) mais aussi pour outrage adressé à un fonctionnaire ou un agent de l’administration publique (art.396 du CP).

Le représentant du Ministère public justifie cette peine car l’Association des Femmes Intwari est constituée de personnalités œuvrant dans l’administration publique, donc Kamikazi se serait attaquée à l’autorité.

Dans sa défense, Gloriose Karerwa Kamikazi a plaidé coupable tout en faisant remarquer que l’audio a été diffusé à son insu par son collègue. Elle demandait pardon aux victimes de ses propos vexatoires.

La partie civile évalue les dommages-intérêts à 1.000.000 de Fbu pour chaque membre de l’Association « Intwari » dont l’effectif est 600 soit 600 millions de Fbu et 10.00.000 pour les Avocats.

Il est à rappeler qu’il y a deux ans, la Justice burundaise avait arrêté un cadre du parti CNDD-FDD, Melchiade Nzopfabarushe, qui avait averti les partisans du non au référendum constitutionnel de mai 2018 qu'ils pourraient finir au fond du lac Tanganyika.

C’était le 15 avril 2018, au cours d’un meeting du CNDD-FDD à Migera en commune de Kabezi, de la province de Bujumbura. Face à la réprobation quasi unanime provoquée par ses propos incendiaires, réprouvés même par le parti CNDD-FDD lui-même, il a été arrêté et jugé dans une

Gloriose Karerwa Kamikazi

Employée de la Mairie de Bujumbura, Gloriose Karerwa Kamikazi, de l’ethnie Tutsi, a été arrêtée par le Service National de Renseignement (SNR) le 5 juillet 2019 pour avoir transmis par WhatsApp un élément sonore dénigrant des femmes Hutu. Elle avait échangé ce message audio avec un collègue qui preste au service du titre foncier en mairie de Bujumbura. Ce dernier a diffusé le message dans un groupe et qui a largement circulé.

3

Page 4: SOS-TORTURE/BURUNDI · Web viewEn effet, depuis la crise de 2015, ces réseaux sociaux ont valablement compensé le vide créé par la destruction des médias indépendants comme

procédure de flagrance, puis condamné le 29 avril 2018, à trois ans de prison ferme « pour incitation à la haine ».

Après le verdict, la Ministre burundaise de la Justice, Madame Aimée Laurentine Kanyana, avait affirmé que cette sanction était un message fort en précisant que quiconque s’adonne à des propos de nature à diviser la population burundaise, à inciter la population à s’entretuer, à fuir le pays, sera toujours puni, conformément à la loi.

Mais, moins de deux mois après, c’est-à-dire le 20 juin 2018, Melchiade Nzopfabarushe a été mis en liberté2.

De son côté, Claude Keny Nduwimana semble avoir le feu vert pour diffuser impunément des audio WhatsApp incendiaires aux allures génocidaires contre les Tutsi ...

Le but de ce reportage était manifestement de recueillir des témoignages sur la répression aveugle dont les Hutu ont été largement victimes après le massacre des Tutsi par des rebelles hutu dits « Mai Mulele » dans le sud du pays à partir du 29 avril 1972. Il a pu même s’entretenir avec un membre du clergé catholique à ce propos.3

Mais, ses propos les plus virulents sont diffusés dans des audio WhatsApp anonymes soigneusement préparés et destinée au public cible hutu. A ce propos, votre Bulletin se propose de mettre en exergue quelques extraits incendiaires de deux audio de ce médium de la haine dont il pu se procurer, non pas dans l’intention du lui faire la publicité mais pour tirer la sonnette d’alarme sur le danger de tels enseignements diffusés en toute impunité, au su et au vue des autorités policières et judiciaires du pays.

2 http://sostortureburundi.over-blog.com/2018/07/resume-executif-trimestre-2-du-rapport-trimestriel-sur-la-situation- des-droits-de-l-homme-au-burundi-du-1er-mars-au-30-juin-2018.htm

3 Fichier mp3, taille (7,7mb), durée ( 28’53)

Kenny Claude Nduwimana

Claude Keny Nduwimana, de l’ethnie Hutu semble avoir le feu vert de diffuser des enseignements sonores et incendiaires en langue nationale (Kirundi) aux allures génocidaires contre le Tutsis par WhatsApp. Il se présente publiquement comme journaliste indépendant. Dans une audio WhatsApp, il dit avoir mené une investigation le 18 décembre 2019 en province de Makamba sur le massacre des Hutu en 1972 par des « Tutsi hima » et « vérifier si les Tutsi avaient été préalablement tués comme ils ont l’habitude de mentir », selon ses propres termes.

4

Page 5: SOS-TORTURE/BURUNDI · Web viewEn effet, depuis la crise de 2015, ces réseaux sociaux ont valablement compensé le vide créé par la destruction des médias indépendants comme

Le premier élément audio4 a été diffusé, après l’attaque d’une position militaire burundaise basée dans la réserve de la Kibira en Commune Mabayi dans la nuit du 16 au 17 novembre 2019.

Kenny Claude Nduwimana impute l’attaque de Mabayi au Rwanda et de là, il en endosse globalement la responsabilité à tous les Tutsi du Burundi qu’il compare « aux épines qui ne pourrissent pas », insinuant ainsi qu’ils ont encore la capacité de nuire, en complicité avec le Rwanda, même s’ils ne sont plus au pouvoir.

Il part de l’assassinat du Président Ndadaye et ses collaborateurs en 1993 par un groupe de militaires tutsi pour prouver que « les Tutsi ne pourront jamais accepter le pouvoir des Hutu ». En conséquence, il invite les Hutu à « ne plus se marier avec les épines » c’est-à-dire les femmes Tutsi. D’après lui, « les Hutu sont des Israélites, la race de Dieu » « Ubwoko bw’Imana » en Kirundi alors que les Tutsi des « étrangers Philistins »

II évoque l’histoire biblique de Samson hébreux, qu’il prend pour un Hutu mort trahi par sa femme Dalila prise comme Tutsi au service de ennemis Philistins. Il regrette ainsi que « les Hutu nommés aux hautes fonctions publiques embauchent des Tutsis proches parents de leurs épouses ». Il s’ingère aussi dans la vie privée de « ses frères hutu » en leur recommandant « de ne plus fréquenter les restaurants des Tutsi de peur d’être empoisonnés ».

Selon lui, « les enfants de la rue sont exclusivement Hutu parce que les Tutsi ont pillé leurs biens. Ils ont tués leurs pères et leurs grands-pères. » Il explique que les Tutsi « restent démographiquement minoritaires à l’instar des chiens qui ne se reproduisent pas beaucoup même s’ils donnent naissance à plusieurs chiots ». Pour lui, la raison est que « les chiens se nourrissent naturellement de sang à l’instar des Tutsi qui ont versé le sang des Hutu, d’où il faut les frapper ».

Dans un deuxième élément audio5, les propos haineux de Kenny Claude Nduwimana prennent des dimensions plus irrationnelles lorsqu’il explique par exemple que « les éboulements et inondations ayant occasionné des morts au cours de la deuxième moitié du mois de décembre 2019 en Mairie de Bujumbura et en province de Cibitoke sont les conséquences du fait que certains dignitaires Hutu se sont mariés avec les femmes Tutsi ou les fréquentent ».

Puis, il n’épargne pas les Hutu du parti CNL de Agathon Rwasa qu’il accuse « d’avoir parmi ses conseillers des Tutsi comme l’ex-président Pierre Buyoya et Tatien Sibomana de l’Uprona ».

4 Fichier mp3, taille (11,4n-mb), durée (24’,41)5 Fichier mpeg-4, taille (9,2mb), durée (19,54)

5

Page 6: SOS-TORTURE/BURUNDI · Web viewEn effet, depuis la crise de 2015, ces réseaux sociaux ont valablement compensé le vide créé par la destruction des médias indépendants comme

Une justice de deux poids deux mesures au profit du discours haineux du CNDD-FDD : un processus de génocide en cours ?

Le mercredi 26 novembre 2019, le Ministère de la Sécurité publique et de la gestion des catastrophes, par l’intermédiaire de son porte-parole, Pierre Nkurikiye, a organisé un point de presse dans la province Gitega afin de clarifier les informations erronées transmises par certains faux médias en ligne rwandais tels que Iyakure TV, Kigali News, Ishami et d’autres.

Il a indiqué que « les fausses informations qu'ils véhiculent visent à la déstabilisation, semer la panique, la division et la distraction des burundais qui se préparent pour les élections paisibles de 2020 » Il a également rappelé que « ces actes constituent une cybercriminalité reconnue et punie par la loi burundaise »6

Il y a lieu alors de s’interroger sur les raisons de l’inaction de la Justice et de la police par rapport au discours haineux sans précédent véhiculé par Kenny Claude Nduwimana ? Les principales raisons pourraient être les suivantes :

1) Premièrement, les messages de Kenny Claude Nduwimana s’inscrivent dans le contexte de la montée de l’intolérance politique et des discours de la haine ethnique du CNDD-FDD et de ses membres depuis la crise de 2015 : Le président Nkurunziza et les miliciens Imbonerakure utilisent fréquemment le terme « Mujeri » ou « chiens errants » pour dénigrer les Tutsi et par extension les opposants politiques. C’est en quelque sorte la déshumanisation continue des Tutsi et des opposants politiques présentés par Kenny Claude Nduwimana comme « des chiens qui se nourrissent du sang des Hutu » à abattre.

De surcroît, Kenny Claude Nduwimana prône la discrimination des Tutsi au niveau des recrutements dans les institutions publiques, une politique mise en œuvre depuis l’avènement du CNDD-FDD au pouvoir en 2005.

6 http://www.provincegitega.gov.bi/index.php/81-actualites/628-burundi-la-population-est-appele-a-ne-pas-ecouter-les-faux-medias-et-de-rester-serein-et-vigilant

Manifestement, Kenny Claude Nduwimana diffuse ses messages de haine sur le territoire Burundais et mène ses « reportages et investigations » sous l’œil complice des autorités administratives, judiciaires et policières au moment où des reportages professionnels des journalistes comme ceux de Iwacu ou Isanganiro sont très surveillés et mobilisent toute la chaine pénale du Ministère public pour les réprimer abusivement.

6

Page 7: SOS-TORTURE/BURUNDI · Web viewEn effet, depuis la crise de 2015, ces réseaux sociaux ont valablement compensé le vide créé par la destruction des médias indépendants comme

2) Deuxièmement, Kenny Claude Nduwimana, présente les Hutu comme « peuple de Dieu », « Israélites », « Ubwoko bw’Imana » en Kirundi, une race supérieure par rapport à celle des Tutsi « Ibinyendaro » ou « Philistins ». il veut se faire l’écho du messianisme du président Pierre Nkurunziza qui se substitue à Moïse de la Bible comme il l’a déjà démontré en interprétant la bible pour son propre compte.

On se rappelle que lors d’une prière de trois jours organisée à Gitega, le 24 janvier 2019, Pierre Nkurunziza évoquait le passage suivant du Livre de l’Exode, au chapitre 25 ligne 1 à 2 lorsque le Seigneur parla à Moïse : « Dis aux fils d’Israël de prélever pour moi une contribution. Vous la recevrez de tout homme que son cœur y incitera ». Pierre Nkurunziza a inversé la version biblique en disant aux Bagumyabanga présents « ce Moise c’est moi Pierre Nkurunziza »7

Puis, Pierre Nkurunziza a plusieurs fois repris dans ses discours que ses opposants auront affaire à Dieu.

3) Troisièmement, Kenny Claude Nduwimana verse dans la négation du génocide des Tutsi au Rwanda dans les termes les plus virulents et vulgaires en disant que « les restes des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda se trouvant dans différents centres du Mémorial du Génocide sont constitués d’ossements des chiens et singes collectés à des fins de manipulation ». De même, en date du 16 août 2016, le Porte-Parole du parti CNDD-FDD d’alors, Gélase Ndabirabe, affirma sans détour que « des montages génocidaires ont été mis au point contre le gouvernement hutu de Kigali de l'époque dans le but de lui attribuer la responsabilité du génocide 1994 ». 8

4) Quatrièmement, Kenny Claude Nduwimana livre un message de criminalisation des défenseurs des droits de l’homme comme Pierre Claver Mbonimpa de APRODH, Pacifique Nininahazwe du FOCODE et Me Armel Niyongere de SOS-TORTURE similaire à celui de certaines autorités gouvernementales ou des cadres du CNDD-FDD. Il les qualifie de « vauriens », « Imburakimazi ; Imburakazi » en Kirundi de « vulgaires criminels qui ne devaient pas distraire les autorités ».

Enfin, dans ses différents messages, Kenny Claude Nduwimana ne tarit pas d’éloges à l’endroit du Président Nkurunziza qu’il présente comme le visionnaire des Hutu. Par exemple, Il fait un clin d’œil aux Hutu en interprétant le proverbe en Kirundi prononcé par le président Nkurunziza lors des échanges de vœux annuels avec les corps de défense burundaise le 20 décembre 2019 à Gitega.

En effet, le président Pierre Nkurunziza avait dit en Kirundi « Inkoko zija gushira zicudika n’ibisiga » c’est à dire « Le péril des coqs & poules est dans leur alliance avec l’aigle ». Pour Kenny Claude Nduwimana, Pierre Nkurunziza a livré un message spécifique aux Hutu pour les dissuader de s’engager dans des alliances contre-nature avec les Tutsi au cours des élections de 2020. Le même message est destiné, d’après Kenny Claude Nduwimana, à certains dignitaires hutu qui continuent de courtiser ou de se marier avec les « Bahimakazi » ou les femmes tutsi, qu’il qualifie aussi de « poisons » ou de « prostituées », source de leur mort.

7 Television Renaissance : https://www.youtube.com/watch?v=LN0nMLsgNaI8 http://www.rfi.fr/afrique/20160821-burundi-cndd-fdd-parti-pouvoir-negation-genocide-rwanda

7

Page 8: SOS-TORTURE/BURUNDI · Web viewEn effet, depuis la crise de 2015, ces réseaux sociaux ont valablement compensé le vide créé par la destruction des médias indépendants comme

La question est de savoir si Kenny Claude Nduwimana est l’initiateur isolé de ces messages haineux ou si c’est une caisse de résonance du CNDD-FDD au regard de la complicité administrative et judiciaire dont il jouit.

Tout porte à croire que son impunité s’inscrirait dans une logique de préparation d’un génocide mais il faudrait plus d’investigations et de preuves pour confirmer cette hypothèse.

Le médium « Itara Burundi » a tenté d’en savoir plus en lui demandant de faire la lumière sur ses éléments audio qui véhiculent le venin de la haine. Il a répondu qu’il n’est au service d’aucune institution et qu’il a déjà produit 11 messages audio mais il nie être l’auteur d’autres messages audio exprimés par la même voix que la sienne.

Toutefois, selon, « Itara Burundi », tous ceux qui ont entendu ces messages attestent qu’il s’agit bel et bien de sa voix. 9 De surcroît, Kenny Claude Nduwimana se contredit par la cohérence entre ses éléments audio anonymes et ses reportages « Vyabaye ryari ?», en Français « cela s’est passé quand ?». Il utilise le même terme des extrémistes hutu « Bahima » pour désigner les Tutsi. Puis, dans une communication audio anonyme d’une rare violence verbale10 où sa voix est reconnaissable, il évoque un reportage qu’il a effectué en commune Rumonge et ce dernier est accessible en ligne sur You Tube sous le titre « Amagorwa y’impfuvyi za 1972 » ou « le calvaire des orphelins de 1972 » en Français. 11

Bref, en analysant le contenu des différentes communications audio de Kenny Claude Nduwimana qui se synchronisent avec les autres messages de la haine du CNDD-FDD relevés par les organisations des droits de l’homme comme la FIDH12 , il y a lieu d y déceler aux moins les six premières étapes du processus d’un génocide, établies par l’expert universitaire et activiste Gregory H. Stanton.13

Selon lui, le génocide est un phénomène humain dont le processus peut être analysé et compris Il peut par conséquent être prévenu. Il se développe en dix étapes qui ne suivent pas toujours une progression linéaire et elles peuvent coexister.

1. La classification : Division des personnes entre « nous » et « eux » par des groupes en position d’autorité, selon l’origine ethnique, la race, la religion ou la nationalité.

2. La Symbolisation : Identification des gens en tant que Juifs, Roms, Tutsis, etc. Les distinguer par des couleurs ou des vêtements symboliques.

3. La discrimination : Un groupe dominant utilise la loi, les coutumes et le pouvoir politique afin de nier les droits d’autres groupes.

4. La déshumanisation : Affirmation par propagande de la valeur moindre du groupe victime par rapport au groupe majoritaire. Les assimiler à des animaux, des insectes ou des maladies.

5. L’organisation : Conception de plans de meurtres génocidaires, en général par l’État, son armée ou des milices.

9 https://itaraburundi.com/2020/01/04/burundi-amajambo-abiba-amacakubiri-yoba-arayatumwa/ 10 Fichier mpeg-4, taille (9,2mb), durée (19,54)11 https://www.youtube.com/watch?v=-mUwcFsSqbI (vu le 21 janvier 2020) 12 https://www.fidh.org/IMG/pdf/rapport_burundi_une_repression_aux_dynamiques_genocidaires.pdf 13 https://genocide.mhmc.ca/fr/genocide-etapes

8

Page 9: SOS-TORTURE/BURUNDI · Web viewEn effet, depuis la crise de 2015, ces réseaux sociaux ont valablement compensé le vide créé par la destruction des médias indépendants comme

6. La polarisation : Amplification des différences entre les groupes par la propagande. Interdiction d’interactions entre les groupes. Meurtre des membres modérés du groupe oppresseur.

7. La préparation : Identification et séparation des groupes victimes. Obligation de porter des symboles. Déportation, isolement et famine planifiée. Préparation de listes de mise à mort.

8. La persécution : Les victimes sont identifiées et isolées en raison de leur ethnicité ou de leur identité religieuse. Au sein de l’État génocidaire, les membres des groupes discriminés vont parfois être obligés de porter des symboles les identifiant et biens et propriétés sont souvent expropriées.

9. L’extermination : Début des massacres, perçus par les tueurs comme des actes « d’extermination » car ils croient que leurs victimes ne sont pas pleinement humaines.

10. La négation : Négation par les auteurs d’un génocide d’avoir commis des crimes. Blâme souvent rejeté sur les victimes. Dissimulation de preuves et intimidation de témoins.

Sauver à tout prix le processus électoral 2020 du déraillement …

Les enseignements de la haine en cours de Kenny Claude Nduwimana s’inscrivent également dans le contexte de tension qui s’accroît à l’approche des élections de 2020.

Le rapport de la commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur le Burundi (COIB) a initié un système d’alerte précoce et de prévention qui met en exergue huit facteurs de risques dont la tenue des élections de 2020 comme facteur déclencheur. Les huit facteurs sont les suivants14 :

Un environnement marqué par l’insécurité et une instabilité politique ; Des structures étatiques faibles notamment le système judiciaire ; Un climat d’impunité général pour les violations graves des droits de l’homme récentes et

du passé ; L’existence d’intentions et des motifs de recourir à la violence, notamment la volonté du

CNDD-FDD de se maintenir au pouvoir y compris en instrumentalisant à des fins politiques des griefs et des cas d’impunité du passé ;

La capacité des différents acteurs de recourir à la violence et à commettre des violations ; L’absence des facteurs atténuant tels qu’une société civile solide, organisée et

représentative et des médias nationaux libres, diversifiés et indépendants ; Des circonstances et un climat propice aux atrocités criminelles y compris

l’instrumentalisation de l’identité à des fins politiques ; L’existence des facteurs déclencheurs notamment la tenue des élections de 202O.

Le Parlement européen, dans sa résolution du parlement européen du 16 janvier 2020 sur le Burundi, a tiré également la sonnette d’alarme sur le fait que « l’impasse dans laquelle se

14 https://www.iwacu-burundi.org/opinion-burundi-chronique-dun-volcan-en-attente-deruption/

9

Page 10: SOS-TORTURE/BURUNDI · Web viewEn effet, depuis la crise de 2015, ces réseaux sociaux ont valablement compensé le vide créé par la destruction des médias indépendants comme

trouve la recherche d’une solution politique par le dialogue inter-burundais menace sérieusement la tenue des élections prévues pour mai 2020; que ces élections pourraient encore aggraver le glissement du Burundi vers un système autoritaire en l’absence de dialogue politique constructif; que l’incertitude persiste quant à la participation de toutes les parties intéressées à ce processus, compte tenu du rétrécissement de l’espace politique et de l’absence d’un environnement propice à des élections pacifiques, transparentes et crédibles »15 

Tout doit donc être mis en œuvre pour éviter le déraillement du processus électoral de 2020 à commencer par les institutions en charge de la protection des populations qui ne devaient pas assister impuissantes à la détérioration du climat socio-politique et sécuritaire.

Les Forces de l’ordre et de sécurité sont interpellées en premier lieu pour assurer la sécurité des populations indépendamment de l’appartenance politique et ethnique.

Le Ministère public devait également réprimer conformément à la loi, tout acte de provocation à la discrimination, à la haine éthique et à la violence particulièrement pendant la période pré-électorale, électorale et post-électorale. Il est également inapproprié et injuste qu’il y ait des Burundais qui soient au-dessus de la loi comme le cas de Kenny Claude. La protection de la population contre ce crime odieux permettra également de renforcer la cohésion entre les Burundais.

Un effort d’éducation et d’information objective du public en général et de la jeunesse en particulier devait être consenti par les pouvoirs publics sur le passé douloureux du Burundi afin de prévenir la haine contemporaine alimentée par la manipulation de l’histoire du pays et de la religion pour des fins politiciennes par des medium de la haine comme celui de Kenny Claude Nduwimana.

Enfin, les acteurs de la communauté sous régionale et internationale sont appelés à user de leur influence pour prévenir la dégradation de la situation politico-sociale et sécuritaire du pays.

________________

15Résolution du Parlement européen du 16 janvier 2020 sur le Burundi, notamment laliberté d’expression (2020/2502(RSP)

10