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La détention des mineurs délinquants au Togo Les efforts de la Voie de la justice Créée il y a quelques années par deux avocats du barreau de Nice, Maîtres Anna Karin FACCENDINI et Claudia GNAGNERI, et et portée à bout de bras par Richard SEDILLOT, avocat à Rouen que nous connaissons bien à Liège, l'association française Voie de la justice parcourt en caravane les pays d'Afrique de l'ouest et tout particulièrement le Togo et le Bénin. J'ai rencontré à Lomé la petite troupe d'avocats togolais, français, suisse, luxembourgeois qui participaient à la caravane en ce mois de décembre 2009. Cette année, Ingrid MEERTENS et Estelle BERTHE ont rejoint la caravane et ont rencontré, au Togo, des détenus qui croupissaient dans les prisons depuis parfois de nombreuses années alors qu'ils avaient purgé leur peine, et des magistrats, démunis et avides de connaître les usages de nos magistrats européens, la jurisprudence et la doctrine. L'équipe a fait libérer une petite centaine de détenus en déposant des requêtes de mise en liberté après avoir consulté ce qui peut être appelé des « registres de détenus », plaidé et rencontré les magistrats. J'ai eu la chance d'accompagner le groupe lors de la visite à des mineurs détenus à la Brigade de police pour mineurs de Lomé. Nous avons rencontré une quarantaine de jeunes, filles et garçons surtout. Nous avons été reçus très aimablement par l'officier de police de cette brigade qui nous a expliqué qu'il hébergeait, en milieu fermé, des jeunes de 14 à 17, ou peut-être 18 ans, en détention préventive (parfois plusieurs mois). La plupart des voleurs, pour lesquels il est souvent difficile de trouver une famille indispensable à leur libération. Certains jeunes sont, lorsque la détention préventive a fait l'objet d'une décision et que leur famille n'est pas retrouvée ou ne les accepte plus, transférés à un centre d'accueil de « réinsertion sociale » qui s'occupe également des mineurs les plus déshérités, ce que nous a confirmé le psychologue du centre, plein de passion et d'imagination. Il pallie le manque d'infrastructures, de matériel, de moyens, de services sociaux (pas de test, pas de locaux organisés, pas de différence de traitement selon la gravité des faits, pas de moyens de locomotion pour rencontrer les parents … quand il y en a, pas de service de cure pour soigner et réinsérer les jeunes drogués …). 90 % des jeunes détenus dans cette brigade sont issus d'une famille monoparentale (la mère est sans revenus) ou sans famille du tout. De toute façon, l'enfant, nous a-t-il dit, est une charge pour la famille.

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La détention des mineurs délinquants au Togo

Les efforts de la Voie de la justice

Créée il y a quelques années par deux avocats du barreau de Nice, Maîtres Anna Karin

FACCENDINI et Claudia GNAGNERI, et et portée à bout de bras par Richard SEDILLOT,

avocat à Rouen que nous connaissons bien à Liège, l'association française Voie de la justice

parcourt en caravane les pays d'Afrique de l'ouest et tout particulièrement le Togo et le

Bénin.

J'ai rencontré à Lomé la petite troupe d'avocats togolais, français, suisse, luxembourgeois qui

participaient à la caravane en ce mois de décembre 2009.

Cette année, Ingrid MEERTENS et Estelle BERTHE ont rejoint la caravane et ont rencontré,

au Togo, des détenus qui croupissaient dans les prisons depuis parfois de nombreuses

années alors qu'ils avaient purgé leur peine, et des magistrats, démunis et avides de

connaître les usages de nos magistrats européens, la jurisprudence et la doctrine.

L'équipe a fait libérer une petite centaine de détenus en déposant des requêtes de mise en

liberté après avoir consulté ce qui peut être appelé des « registres de détenus », plaidé et

rencontré les magistrats.

J'ai eu la chance d'accompagner le groupe lors de la visite à des mineurs détenus à la Brigade

de police pour mineurs de Lomé. Nous avons rencontré une quarantaine de jeunes, filles et

garçons surtout.

Nous avons été reçus très aimablement par l'officier de police de cette brigade qui nous a

expliqué qu'il hébergeait, en milieu fermé, des jeunes de 14 à 17, ou peut-être 18 ans, en

détention préventive (parfois plusieurs mois). La plupart des voleurs, pour lesquels il est

souvent difficile de trouver une famille indispensable à leur libération.

Certains jeunes sont, lorsque la détention préventive a fait l'objet d'une décision et que leur

famille n'est pas retrouvée ou ne les accepte plus, transférés à un centre d'accueil de

« réinsertion sociale » qui s'occupe également des mineurs les plus déshérités, ce que nous a

confirmé le psychologue du centre, plein de passion et d'imagination. Il pallie le manque

d'infrastructures, de matériel, de moyens, de services sociaux (pas de test, pas de locaux

organisés, pas de différence de traitement selon la gravité des faits, pas de moyens de

locomotion pour rencontrer les parents … quand il y en a, pas de service de cure pour

soigner et réinsérer les jeunes drogués …).

90 % des jeunes détenus dans cette brigade sont issus d'une famille monoparentale (la mère

est sans revenus) ou sans famille du tout. De toute façon, l'enfant, nous a-t-il dit, est une

charge pour la famille.

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Ce psychologue est entouré d'une éducatrice et d'un sociologue, petite équipe qu'il a formée

lui-même.

Le lieu de détention est d'un confort très réduit. Nous n'avons pas vu les « chambres » mais

une grande salle où étaient réunis les jeunes en carré, dans une discipline extraordinaire (pas

un ne bougeait), ânonnant des phrases que leur faisait apprendre l'éducatrice religieuse.

Nous avons pu constater que la cuisine était très rustique et qu'il n'y avait même pas une

cour ou un préau où les jeunes pouvaient prendre l'air.

Pendant notre visite, les deux pionnières niçoises ont rencontré le procureur et le juge de la

jeunesse, tout récemment muté, qui auraient promis la libération des jeunes pour Noël. Inch

Allah.

Une audience était fixée au 23/12/2009 mais nous n'avons pas encore reçu de « bonnes »

nouvelles concernant ces jeunes.

J'ai personnellement rencontré quatre ou cinq jeunes, de 14 à 17 ans, qui étaient détenus,

parfois depuis plusieurs mois. Ils n'avaient pas d'avocat. Ils m'ont raconté leur histoire et

leurs méfaits : vol d'une paire de chaussures, vol d'un mouton …

Sur la base des renseignements qu'ils nous donnaient des questionnaires et des fiches ont été

établis que nous avons remis ensuite aux avocats togolais qui acceptaient de prendre en

charge leur suivi et leur défense, gratuitement bien sûr …

Il n'y a, bien entendu, pas d'aide juridique au Togo et, lors du discours inaugural du congrès

de la CIB qui se tenait en même temps à Lomé, le Président de la république a annoncé qu'il

venait de voter un crédit de 250.000.000 CFA (± 3.846,00 €) pour l'aide juridictionnelle, la

créance au Togo en quelque sorte. Mais c'est un début nous l'espérons.

* * *

J'ai lu le code pénal togolais : l'article 455 du code pénal prévoit que des juges de la jeunesse

sont compétents pour les mineurs dès 14 ans.

L'article 460 précise que le juge les entend et décide de leur enfermement provisoire dans un

centre d'accueil tel celui que nous avons visité.

L'article 461 prévoit que si la personnalité du mineur et les circonstances l'imposent, le

mineur de plus de 16 ans peut être incarcéré dans un quartier réservé de l'établissement

pénitentiaire.

L'article 463 prévoit qu'après enquête le juge peut :

– classer si les circonstances le justifient ou s'il y a une cause de non-imputabilité ;

– renvoyer en cabinet ;

– peut renvoyer à l'audience.

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Mais, la lettre est souvent loin de la réalité. Et celle-ci est plus que souvent douloureuse.

A nous de soutenir la Voie de la justice.

Mabeth BERTRAND-HENRY

Avocat à Liège

Membre de la Commission jeunesse