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1 Sommaire Impulsion monétaire et réponse de l’économie (Anton Brender, Florence Pisani et Emile Gagna) De Bâle I à Bâle III: Que retenir de plus de 20 ans d’accords prudenels ? (Rachida Hennani) La crise financière: enseignements et perspecves (Olivier Klein) Stratégie de la banque et de l’assurance (Eric Lamarque) L’affirmaon d’un nouveau modèle bancaire (Entreen avec Marie-Chrisne Jolys et Kenza Bellakhdar ) En partenariat avec Oberthur Fiduciaire Les ancêtres de la monnaie D’Athènes à Rome, la monnaie, vecteur de progrès De la pénurie de monnaie à l’invenvité monétaire Le papier transformé en argent : invenon et expansion du billet Billets : pour longtemps, le moyen de paiement le plus praque et le plus sûr ? Banques de détail: l’impérieuse nécessité de réinventer la relaon client (Daniel Pion) La relaon difficile des français avec les acons (Bruno Séjourné) Centralité bancaire et émission monétaire (entreen avec Antoine Vion, Eric Grémont et François-Xavier Dudouet) Invesr aujourd’hui : défis et perspecves (Entreen avec Chrisan Dargnat) « Le capital-invesssement est un stabilisateur de l’économie » : Pourquoi il faut encourager le capital- invesssement français (entreen avec Olivier Millet) Le crowdfunding: éclairage sur un phénomène de société (Chloé Magnier) L’inclusion sociale peut-elle se passer du marché des capitaux ? (Régine Hollander) La spécificité du modèle mutualiste bancaire français est-elle durable? (Kaa Lobre-Lebraty) La finance responsable en France, quelles opportunités lors de l’après-crise financière ? (Thibault Cuenoud)

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1

Sommaire

Impulsion monétaire et réponse de l’économie (Anton Brender, Florence Pisani et Emile Gagna)

De Bâle I à Bâle III: Que retenir de plus de 20 ans d’accords prudentiels ? (Rachida Hennani)

La crise financière: enseignements et perspectives (Olivier Klein)

Stratégie de la banque et de l’assurance (Eric Lamarque)

L’affirmation d’un nouveau modèle bancaire (Entretien avec Marie-Christine Jolys et Kenza Bellakhdar )

En partenariat avec Oberthur Fiduciaire

Les ancêtres de la monnaie

D’Athènes à Rome, la monnaie, vecteur de progrès

De la pénurie de monnaie à l’inventivité monétaire

Le papier transformé en argent : invention et expansion du billet

Billets : pour longtemps, le moyen de paiement le plus pratique et le plus sûr ?

Banques de détail: l’impérieuse nécessité de réinventer la relation client (Daniel Pion)

La relation difficile des français avec les actions (Bruno Séjourné)

Centralité bancaire et émission monétaire (entretien avec Antoine Vion, Eric Grémont et François-Xavier Dudouet)

Investir aujourd’hui : défis et perspectives (Entretien avec Christian Dargnat)

« Le capital-investissement est un stabilisateur de l’économie » : Pourquoi il faut encourager le capital-

investissement français (entretien avec Olivier Millet)

Le crowdfunding: éclairage sur un phénomène de société (Chloé Magnier)

L’inclusion sociale peut-elle se passer du marché des capitaux ? (Régine Hollander)

La spécificité du modèle mutualiste bancaire français est-elle durable? (Katia Lobre-Lebraty)

La finance responsable en France, quelles opportunités lors de l’après-crise financière ? (Thibault Cuenoud)

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En partenariat avec Oberthur Fiduciaire

L’euro: « l’Europe dans la poche du citoyen » Le dollar, monnaie d’Amérique…et du monde !

Les monnaies africaines, vecteurs identitaires de la décolonisation la mondialisation

La Chine, berceau de la monnaie papier et première victime de la planche à billets

Les monnaies traditionnelles d’Océanie, ancêtres de la Monnaie fiduciaire

Paradis fiscaux et économie criminelle (Antoine Molé)

Les principaux enseignements de l’étude annuelle d’EY 2015 sur la fraude (Antoinette Gutierrez-Crespin et Phi-

lippe Hontarède)

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3

Pour tenter d’expliquer la crise financière de 2007-2009, il

faut remonter au violent krach boursier de 2000 qui corres-

pond à l’éclatement de la bulle technologique. Entre juin

2000 et mars 2003, le CAC 40 est passé de 7000 à 2300

points. Les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis

ont sapé un peu plus les bases de la confiance. Puis, en

2002-2003, on a découvert qu’un certain nombre d’entre-

prises (Enron, Wordlcom, Parmalat, etc.) avaient cédé à la

créativité comptable pour tromper les marchés. Cela a

entraîné une crise de confiance consi-

dérable et une violente crise du crédit.

En 2003, les grands groupes ne pou-

vaient pratiquement plus emprunter

sur les marchés financiers et leur

prime de risque s’est élevée vertigi-

neusement.

La forte récession et la crainte de dé-

flation qui en résultaient ont obligé la

FED et les différentes banques cen-

trales à réagir. Le taux directeur de la

FED est ainsi passé de 6%/7% en

2000 à 1% en 2003. Cet environnement de taux bas qui a

duré jusqu’en 2004 a permis de lutter contre la déflation.

L’action sur les taux d’intérêt a en effet soutenu le marché

de l’immobilier, ce qui a permis, par un effet richesse, au

consommateur américain de servir de « consommateur en

dernier ressort ». Ainsi, fin 2003-début 2004, la croissance

est-elle repartie.

Deuxième élément de contexte de la crise de 2007-2009 :

la mondialisation. Elle est évidemment le fait des pays

émergents, qui choisissent un mode de développement, à

partir du début des années 2000, très différent de celui

adopté précédemment par les pays asiatiques. Il avait été

fondé sur la consommation interne, il a donc buté sur des

contraintes de balances courantes, avec un retournement

très brutal des marchés de capitaux trop euphoriques an-

térieurement. En 1997, on a vu se retirer soudainement

les capitaux qui s’étaient investis à court terme dans les

pays émergents, à la recherche de rendements élevés.

Cela a provoqué la panique et la crise de 1997-1998.

Les pays émergents, et notamment asiatiques, ont donc

cherché un mode de développement plus favorable, fondé

sur l’exportation, en allant légitimement chercher la de-

mande des pays développés. Ils ont profité de leurs avan-

tages comparatifs, un faible coût du travail, donc des prix

très compétitifs sur certaines gammes de produits. Le mo-

dèle s’est également développé sur la base de devises

sous-évaluées pour faciliter leurs exportations, donc pour

soutenir leur dynamique de croissance. Durant les années

2000, les capacités de production des émergents se sont

accrues fortement provoquant des surcapacités de pro-

duction importantes, puisque simulta-

nément les pays développés n’ont

pas baissé leur propre niveau de pro-

duction à due proportion. Et la de-

mande interne des pays émergents

ne tirait pas encore suffisamment la

croissance mondiale.

L’offre mondiale de biens et services

s’est ainsi retrouvée supérieure à la

demande, avec pour corollaire une

épargne mondiale très supérieure à

l’investissement. C’est le « saving glut

», l’« excès d’épargne », cher à Bernanke, l’ancien prési-

dent de la FED. Effectivement, les pays émergents eux-

mêmes épargnaient plus qu’ils ne consommaient l’essen-

tiel de leur accroissement de revenus, dégageant des ex-

cédents d’épargne considérables qui n’étaient pas suffi-

samment absorbés par un surcroît d’investissement in-

terne.

« Les pays émergents épar-gnaient plus qu’ils ne con-

sommaient l’essentiel de leur accroissement de revenus, dégageant des excédents

d’épargne considérables qui n’étaient pas suffisamment

absorbés par un surcroît d’investissement interne »

La crise financière :

Enseignements et perspectives

Olivier Klein Professeur affilé à HEC en Economie et Finance, Directeur Général de la BRED

GOUVERNER L’ARGENT

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Les capacités de financement mondiales supérieures aux

besoins de financement ont ainsi maintenu les taux d’inté-

rêts très bas.

Dans le même temps, les salaires réels des pays dévelop-

pés n’augmentaient que très peu, voire pas, sous la pres-

sion de la compétition mondiale. Cela a donc conduit à

nouveau à une inflation très basse et à des taux d’intérêts

très bas.

Troisième élément de contexte : le refinancement automa-

tique du déficit de la balance courante américaine, qui est

la contrepartie de ce qui précède.

Dopés par leurs exportations, la

Chine, les pays pétroliers et d’autres

pays émergents ont connu une crois-

sance des excédents courants de leur

balance des paiements. Symétrique-

ment, les Etats-Unis ont creusé le

déficit de leur balance courante. Sans

douleur, puisque les réserves de

change accumulés par les Chinois ont

été placées aux Etats-Unis et ont financé l’accroissement

des dettes américaines (des particuliers, des entreprises,

voire des Etats). Les taux longs américains sont donc res-

tés très bas. Et, dès le retour de croissance en 2004, bien

que la FED ait remonté ses taux courts jusqu’à 5%, les

taux longs eux ne sont pas ou peu remontés.

Pour désigner cette décorrélation historique entre le mou-

vement des taux longs et celui des taux courts, Greens-

pan, alors patron de la Banque Centrale américaine, a

parlé de « conundrum », c’est-à-dire d’énigme. Comment,

alors que la FED remontait significativement ses taux

courts, les taux longs ne montaient-ils pas de façon auto-

matique ? La raison n’était probablement pas si énigma-

tique, comme nous l’avons vu.

D’une certaine manière, la surproduction mondiale née de

la mondialisation, mondialisation non régulée, a été occul-

tée par l’accroissement de la consommation dans les pays

développés, mais sur la base d’une croissance soutenue

artificiellement par endettement progressivement insoute-

nable, elle-même favorisée par des taux anormalement

bas.

L’endettement des ménages explose partout, à l’exception

notable de l’Allemagne. Le taux d’endettement des entre-

prises bondit également entre 2000 et 2007. Avec le retour

à la croissance à partir de 2004, les emprunteurs comme

les prêteurs sont entrés dans une phase euphorique ou-

bliant les règles de prudence traditionnelles. C’est l’effet

d’un biais cognitif, bien connu : « l’aveuglement au dé-

sastre ». Plus le temps passe, moins on sait probabiliser le

retour d’une crise catastrophique. De ce fait, dans le do-

maine financier, on accumule des dettes progressivement.

Les banques, mais aussi les prêteurs de marché, abais-

sent leurs conditions d’octroi de crédit, commençant à

demander moins de garanties et à accepter des marges

plus faibles. La sélection devient moins forte, le niveau de

levier monte. Parallèlement, les emprunteurs oublient les

règles de prudence élémentaires.

Ajoutons que depuis le milieu des années 90, avec une

accélération dans les années 2000, on a connu un phéno-

mène qui a facilité cet endettement : la titrisation. Elle con-

siste à sortir du bilan des banques des crédits pour en

faire des objets marchands et à les vendre à des investis-

seurs financiers ou indirectement à des particuliers. A par-

tir de 2005, les titrisations non réglementées connaissent

une croissance exponentielle et se font de la façon la plus

anarchique qui soit (titrisation de créances peu homo-

gènes, des titrisations de titrisations …),

rendant toujours plus difficile l’apprécia-

tion de la valeur de ces placements.

En outre, la titrisation a permis à cer-

taines banques de ne plus se sentir res-

ponsables des crédits qu’elles oc-

troyaient en s’exonérant tout à la fois

d’une analyse sérieuse des risques de

l’emprunteur comme du suivi (« monito-

ring ») du client emprunteur. Se généralise alors, dans

certains types de banques, un comportement dit « d’aléa

moral », puisqu’elles engendrent un surcroit de risque

pour le système économique de par leurs propres actions.

Enfin, la dissémination des objets titrisés ne permet plus

d’avoir une véritable supervision prudentielle. La théorie

économique et financière traditionnelle, qui suppose

qu’une diffusion large du risque est meilleure qu’une con-

centration dans des banques supervisées et professionna-

lisées pour les gérer, s’est révélée totalement erronée. Les

montages de plus en plus sophistiqués (CDO, CDO de

CDO, etc.) ont permis à de nombreuses banques d’inves-

tissement d’engranger des revenus croissants, puisque

c’était elles qui en faisaient l’ingénierie financière, en en

« Ajoutons que depuis le milieu des années 90, avec une accélération dans les années 2000, on a connu

un phénomène qui a facili-té cet endettement :

la titrisation »

GOUVERNER L’ARGENT

5

assurant le montage.

Côté américain, le

paroxysme de la titri-

sation a consisté dans

le montage de certains

crédits subprime.

Dans nombre de cas,

des crédits immobiliers

étaient proposés à des

personnes qui n’avaient pas les revenus pour pouvoir les

rembourser. Tout reposait sur l’idée que l’immobilier de-

vait connaître une évolution haussière permanente de son

prix et qu’il suffirait de revendre le bien pour pouvoir rem-

bourser, indépendamment des revenus récurrents des

ménages.

Les investisseurs, qu’ils aient été particuliers ou spécia-

listes, ont été pris par un biais cognitif bien classique :

l’effet d’ancrage. Malgré la baisse constante des taux, les

investisseurs avaient en tête (c’est l’effet d’ancrage) des

taux de rendement beaucoup plus élevés que ceux qui

leur étaient proposés et qui étaient compatibles alors avec

le taux de croissance économique et le taux d’inflation. Ils

étaient donc en attente de proposition de rendement satis-

faisant à leurs yeux, quitte à ne pas chercher à com-

prendre comment ces taux de rendement « anormaux »

étaient possibles. Certaines entreprises, quant à elles,

acceptaient d’élever leur niveau d’endettement afin de

présenter un taux de rendement sur leurs actions (ROE)

compatible avec les attentes des investisseurs, au prix

parfois d’acrobaties comptables ou financières.

La période 2003-2007 a donc été une phase euphorique,

peu différente en réalité des phases euphoriques du

Notons que la crise de 2007-2009 est bien

une répétition de l’his-toire, aggravée par un élément nouveau qu’est

la titrisation.

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GOUVERNER L’ARGENT

6

XIXème siècle ou de la première moitié du XXème siècle.

Dans la phase récente, nous avons assisté à une bulle

immobilière et à une bulle de crédit, qui se sont auto-

entretenues. Dans toutes ces phases euphoriques, l’aveu-

glement au désastre (« desaster myopia ») s’amplifie. Les

comportements de prévention s’émoussent alors au fur et

à mesure du temps, provoquant de ce fait la possibilité

même d’un retour de ces crises.

Notons que la crise de 2007-2009 est bien une répétition

de l’histoire, aggravée par un élément nouveau qu’est la

titrisation. On a en effet connu une crise immobilière peu

banale aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Espagne

notamment. Conjointement, on a vu une crise de l’endette-

ment et du levier (« leverage »), suivie naturellement d’un

désendettement et d’un « deleveraging » généralisés qui

se poursuivent encore et qui laissent à penser que pen-

dant un temps certain la croissance devrait être très faible.

Ajoutons encore qu’une crise majeure de liquidité s’est

faite jour, entremêlée à la crise de l’immobilier et à la crise

du crédit et de l’endettement.

En 2008, survenait effectivement une crise de liquidité

d’une violence inouïe. Face à l’incertitude fondamentale

quant à qui détenait quoi et quant au contenu même des

titrisations, plus personne ne voulait prêter à personne. Le

marché inter-bancaire notamment était totalement figé. Si

les banques centrales n’étaient pas intervenues massive-

ment, il n’y aurait plus de banques. Une très grave crise

de liquidité est également apparue en 2010-2011 pour les

banques de la Zone Euro.

La globalisation financière mal régulée, à partir de 1987, a

entrainé de facto la réapparition et la répétition de crises

systémiques qui ont vu s’entremêler les trois formes de

crises financières précitées.

Enfin, reverra-t-on des crises financières ? Notre opinion

est qu’elles sont inéluctables dans le monde tel qu’il est.

D’une part parce que la finance est intrinsèquement ins-

table et que l’on vit depuis trente ans des cycles financiers

faisant se succéder des phases euphoriques avec des

bulles de crédit comme du prix des actifs patrimoniaux –

actions et immobilier notamment -, et des phases dépres-

sives avec éclatement de ces mêmes bulles, réapparition

des crises de liquidité, provoquant des crises financières

majeures.

Les réglementations financières et bancaires sont néces-

saires, mais à supposer qu’elles soient parfaitement effi-

caces, elles ne tendraient qu’à adoucir les hauts et les

bas, sans pour autant abolir la succession de ces phases.

D’autre part, les réglementations prudentielles elles-

mêmes ne sont pas exemptes d’erreurs. De temps en

temps, elles tentent de corriger les causes de la crise pré-

cédente avec une sous-estimation des causes futures.

Enfin, certaines réglementations excessives ou mal cali-

brées peuvent elles-mêmes accroître la pro-cyclicité de la

finance, voire engendrer les prochaines crises.

Il est à notre avis ainsi possible d’atténuer l’instabilité fi-

nancière par de bonnes mesures et une bonne réglemen-

tation prudentielle, y compris macro-prudentielle, mais

illusoire de prétendre la supprimer.

De même, il est absolument indispensable de réglementer

les banques. Mais, il serait dangereux de vouloir trop

abaisser le niveau de risque pris par elles, alors que leur

utilité économique et sociale réside dans le fait même

d’être des centrales de risque – de crédit, de taux d’intérêt,

de liquidité, etc.- et de gérer ces risques professionnelle-

ment et de façon supervisée.

Ce serait très certainement provoquer une instabilité bien

plus grande encore que de repousser ces risques hors

des banques vers du « shadow banking » et des hedge

funds peu ou pas contrôlés ou sur les entreprises et les

ménages eux-mêmes qui ne sont pas armés pour le faire.

OLIVIER KLEIN est Professeur affilié à HEC en économie et finance. Il est égale-ment co-responsable de la Majeure (Master 2) de la Grande Ecole Managerial and Financial Economics d’HEC et de son Master en Managerial and Financial Economics. Olivier Klein est par ailleurs membre du Comité Scientifique de l’Ecole Doctorale en Sciences de gestion à HEC – Panthéon Sorbonne (Paris I).

Depuis fin 2012, Olivier Klein est Directeur Général de la BRED, la plus impor-tante banque commerciale du Groupe BPCE. Il est également Administrateur de Natixis Asset Management et de Nexity.

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GOUVERNER L’ARGENT

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L’affirmation d’un nouveau modèle

bancaire

Entretien avec Marie-Christine Jolys et Kenza Bellakhdar Associées chez KPMG

L’AVENIR DE LA BANQUE

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Marie-Christine Jolys associée chez KPMG et

responsable du département règlementaire

Banque, ainsi que Kenza Bellakhdar, senior

manager et coordinatrice de l’étude

«Communication financière des banques eu-

ropéennes : Défi pour la transparence 2015»,

ont répondu à nos questions.

Quelle est la situation économique des banques

européennes, aujourd’hui, et quels sont leurs axes

stratégiques en 2015 ?

M-C. J : Depuis la crise financière de 2008, les profits des

banques européennes ont accusé une baisse d’environ -

30 % en 2011 et en 2012. En 2013, nous avons assisté à

un renversement de cette tendance avec une croissance

de 4% des résultats. Cette hausse timide est désormais

confirmée par les résultats de 2014 : le profit cumulé des

seize plus grandes banques a progressé de 45%, cumu-

lant un total de 65 milliards contre 45 milliards en 2013. Il

s’agit d’une rupture avec les précédents scénarii et d’une

nouvelle donne en matière de performance bancaire. Ces

résultats s’expliquent par la bonne dynamique commer-

ciale mais également par une rigoureuse gestion des

coûts opérationnels et des risques de la part des

banques. L’objectif des banques est d’avoir une structure

en capital et des réserves de liquidités renforcées.

Par ailleurs, depuis 2 à 3 ans, les banques se recentrent

sur leurs activités cœur. Cette stratégie a conduit à des

cessions de filiales, jugées trop éloignées des activités

historiques des établissements bancaires. On remarque

également un recentrage sur le client : la banque doit être

au service du client. Par ailleurs, les banques veulent être

en mesure de rémunérer les actionnaires. Les banques

d’investissement, elles-aussi font la part belle au client et

moins à la prise de risque.

Pour la neuvième année consécutive, vous avez

mené une analyse comparative des discours de

dirigeants à la tête des plus grands groupes ban-

caires européens. A quoi ressemble la banque

« nouvelle génération », à travers leurs propos ?

M-C. J : Les dirigeants se font l’écho d’une nouvelle gé-

nération de banque : la banque numérique au service du

client. Leurs discours portent la modernisation de leurs

établissements, notamment grâce à une ambitieuse poli-

tique d’investissement dans les technologies digitales.

L’accès est mis sur l’amélioration des sites internet, le

développement des applications mobiles et à la générali-

sation de certains services de banque en ligne. Cer-

taines banques ont acquis des entreprises du secteur

numérique afin de conduire ce changement qui prendra

encore plusieurs années.

K. B Si l’agence physique prime encore aujourd’hui,

on peut imaginer que demain les rendez-vous entre les

clients et les conseillers se fassent en visioconférence.

Dans les pays anglo-saxons, les banques ont déjà la pos-

sibilité de communiquer avec leurs clients via des ava-

tars. Il s’agit de s’adapter aux nouveaux modes de con-

sommation des clients et maintenir leur lien avec eux.

M-C. J : En outre, les dirigeants affichent leur volonté de

construire des banques solides. Ils exposent d’ailleurs la

qualité de leurs bilans pour l’année 2014 et soulignent la

résistance de leurs établissements face aux tests de la

BCE (asset quality revue) ainsi qu’aux stress tests.

Les conclusions de cet exercice montrent, en effet, qu’un

stress sévère et prolongé peut être absorbé par les

banques sans besoin additionnel de fonds propres. Ces

banques fiables, résolument tournées vers le client cor-

respondent aux attentes des consommateurs. Aussi, les

dirigeants sont en phase avec la réalité et ont bien pris

note des mutations du système bancaire.

On perçoit bien la volonté des banques de restau-

rer le lien de confiance avec leurs clients, de mieux

tenir compte des usages et des attentes de ces der-

niers, avec le digital ou le principe de proximité par

exemple… Bref, de redevenir des acteurs respec-

tables au service de leurs clients. Avaient-elles per-

du le sens des responsabilités ?

M-C. J: Avec la crise financière et des scandales tels

que l’affaire Madoff, les établissements bancaires ont pâti

d’une mauvaise image. Aujourd’hui il y a une volonté

affichée de la part des banques de restaurer leur réputa-

tion et de s’afficher comme des acteurs respectables et

responsables.

K. B : Il y a eu une prise de conscience des banques qui

ne tolèrent plus aujourd’hui le comportement de certains

banquiers qui ont pu, par le passé, faire prendre des

risques aux établissements afin de générer des profits

spectaculaires sans penser aux conséquences. On a vu

que certains dirigeants de banques se sont eux-mêmes

excusés du comportement de leurs banquiers. Après ces

excès, l’heure est à la moralisation exigée par l’opinion

publique. Les banques sont donc rappelées à leurs res-

ponsabilités. Ceci est particulièrement flagrant dans les

pays anglo-saxons, où il existe les « class actions », ces

recours collectifs qui ont permis des indemnités significa-

tives. Dans ce contexte, les banques érigent leur éthique

et leur valeur grâce à un code de bonne conduite. Nous

L’AVENIR DE LA BANQUE

9

avons constaté que les cinq banques anglo-saxonnes de

notre étude ont mis en place un indicateur pour mesurer

la satisfaction client.

Désormais, les banques sont sous pression : de

l’opinion, on vient de le voir, mais aussi des autori-

tés de régulation (stress tests, Bâle 3…) ou encore

fiscales. Comment cette pression est-elle vécue par

les dirigeants de ces banques ?

M-C. J: En 2014, les provisions et amendes ont atteint

les 29 milliards d’euros, en raison notamment de la vigi-

lance exercée par les régulateurs américains, particulière-

ment impliqués dans le respect de la règlementation.

Preuve en est, l’amende de BNP Paribas, a atteint une

somme record équivalente à une année de résultats. Les

banques ne peuvent plus échapper à la normalisation de

leurs activités qui demandent de lourds investissements

informatiques afin de sécuriser les données. Ainsi les

contraintes légales et réglementaires sont désormais ap-

préhendées comme des risques inhérents à l’activité ban-

caire.

K. B : Au-delà de ce volet répressif, le volet préventif se

développe en Europe avec Bâle I, II et III. Il s’agit de faire

face aux exigences renforcées en matière de fonds

propres de solvabilité ou de capacité d’absorption des

pertes. Les banques jouent le jeu et anticipent la législa-

tion. Ainsi, les établissements bancaires répondent à ces

nouvelles attentes du marché et démontrent leur capacité

à générer du capital en affichant des ratios supérieurs

aux minimas règlementaires. Le ratio de CET 1 moyen

s’élève ainsi à 11 % pour un minimum de 4,5% au 31

décembre 2014. De même pour les ratios qui sont en

cours de calibrage et de mise en œuvre comme le nou-

veau ratio sur l’absorption des pertes. Il existe un réel

effort de compliance de la part des banques.

Dans votre étude, vous notez que les banques, dans

leur ensemble, consacrent une part croissante de

leurs rapports annuels à la RSE. Au-delà des évi-

dences, à quoi ressemble concrètement la RSE ban-

caire ?

M-C. J : Dans ce contexte post crise, les banques affir-

ment leur rôle dans la société et communiquent de plus

en plus sur leurs actions. La RSE bancaire se traduit ainsi

par un engagement croissant notamment sur la place des

femmes au sein des établissements, un sujet sur lequel le

secteur bancaire accusait encore quelques retards. Au

niveau de la gouvernance, les banques favorisent une

approche durable à l’instar de l’intégration des critères

environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). A

titre d’exemple, Nordea a intégré ces facteurs dans les

décisions d’investissement ce qui lui a valu d’être distin-

guée comme la banque qui possède le meilleur proces-

sus ESG de l’Europe en 2014 par le magazine « Capital

Finance International ».

De plus, nous constatons une forte implication des

banques dans les actions caritatives comme le soutien à

l’éducation ou à l’entreprenariat. UBS a ainsi lancé en

2014 « UBS and Society » dans une optique philanthro-

pique et de soutien de l’investissement durable. La

banque a ainsi été élue meilleure banque parmi les

banques des « Dow Jones Sustainability Indices ». Pour

sa part, LBG s’est engagée dans de nombreux pro-

grammes de communauté comme le« Lloyds Scolar pro-

gram », qui se focalise sur l’entreprenariat social. Elle a

également levé plusieurs millions de fonds en faveur de la

recherche médicale. LBG annonce avoir lancé un parte-

nariat avec « BBC Children in Need » pour 2015 et 2016

dans l’objectif d’aider enfants et jeunes démunis. Il s’agit

d’aligner les activités bancaires avec l’intérêt de la com-

munauté.

« Être plus solide, plus efficace, et plus utile »…

Peut-on résumer ainsi les « bonnes résolutions » des

banques, en 2015 ?

M-C.J: Effectivement c’est un résumé pertinent. Plus

que jamais, les banques veulent être au service de l’éco-

nomie. Il s’agit de répondre aux procès d’intention qui

affirment que les banques ne financent plus l’économie.

Or, les chiffres montrent le contraire.

L’AVENIR DE LA BANQUE

10

11

Les

ancêtres de la

monnaie

L’histoire de la monnaie se confond avec celle de l’huma-

nité…

Aussitôt qu’ils ont travaillé, collaboré, coopéré pour assu-

rer leur subsistance et améliorer leurs conditions de vie,

les hommes ont ressenti le besoin d’un moyen permettant

de fluidifier leurs échanges. « Avant l’échange monétaire

ou derrière l’échange monétaire, il y a l’échange tout court.

L’homme est un animal échangiste, pourrait-on dire. Il a

d’instinct du goût pour ce jeu où tout le monde gagne »,

écrivent les économistes Philippe Simonnot et Charles Le

Lien (1).

Cette propension humaine à l’échange prend toutefois une

importance croissante à compter de la « révolution du

néolithique ». Comme le note Vincent Lannoye, auteur

d’une histoire de la monnaie (2), à cette époque, « les

nomades chasseurs-cueilleurs se sont sédentarisés pour

un approvisionnement plus régulier. Ils ont ainsi pu tirer

parti de l’élevage sur les terres incultes et de l’agriculture

dans les champs rendus arables par l’irrigation et d’autres

techniques. Pour protéger les troupeaux et les récoltes,

les communautés s’étaient approprié des territoires et

elles s’étaient regroupées en villages, puis en villes forti-

fiées ou en cités-États ».

L’EXPANSION DE LA MONNAIE

12

Cette nouvelle forme d’organisation va bien sûr de pair

avec une diversification et une spécialisation progressive

des tâches dont chacun s’acquitte pour contribuer au bien-

être de la communauté. Les métiers font progressivement

leur apparition. D’une masse indistincte des chasseurs-

cueilleurs émergent des cultivateurs, des éleveurs et des

artisans de toutes sortes, dotés de compétences spéci-

fiques : forgerons, charpentiers, tisseurs, mineurs, etc.

Initialement ce nouveau mode d’organisation ne nécessi-

tait toutefois pas de recourir à la monnaie, ni même au

troc, le modèle dominant étant plutôt collectiviste. À l’instar

de ce qui se pratiquera bien plus tard dans les kibboutz et

les communautés alternatives des années 1960-1970,

l’ensemble des biens produits était redistribué à l’en-

semble des membres !

C’est l’extension géographique de ces communautés, la

complexification et la diversification des services et biens

produits qui sonnera le glas de cette sorte d’archéo-

marxisme. Sur de vastes territoires, l’emprise du pouvoir

central se relâchant, une part croissante des échanges se

déroulait directement entre des agents économiques plus

autonomes, donnant naissance à une « économie mixte »,

combinant redistribution et libre-échange dans un foison-

nement d’initiatives privées. Vincent Lannoye explique les

immenses avantages résultant de cette croissance des

échanges : « Avec l’échange de viande contre des outils,

un boucher produisait davantage ou avec des procédés

plus économes. L’artisan d’outils trouvait plus intelligent de

fabriquer un outil pour l’échanger contre un pain nutritif

que de produire lui-même un pain malingre. Le monde

extérieur profitait ainsi d’une mine de fer, d’une rivière

poissonneuse, de terres fertiles ou d’un autre avantage

géographique. »

Si bénéfique fut-elle pour une humanité luttant encore

souvent pour sa subsistance, cette économie de troc mon-

tra toutefois rapidement ses limites. Un exemple : un pê-

cheur souhaitant acquérir des amphores ne pouvait, sui-

vant ce modèle, n’obtenir celles-ci qu’après avoir trouvé

un fabricant d’amphores désireux d’acquérir du poisson…

Et si ce dernier était plutôt désireux d’avoir du vin, il ne

restait plus au pêcheur qu’à échanger son poisson contre

du vin avant de revenir vers le fabricant d’amphores. À

supposer toutefois que le marchand de vin ait lui envie de

poisson…

Pour résoudre cette complexité inextricable et s’épargner

d’interminables marchandages, les participants aux nom-

breux marchés et foires où se déroulaient les échanges

ont dès lors abandonné progressivement le troc pur pour

lui substituer l’échange contre un bien intermédiaire

unique admis de tous comme, par exemple, le sel. Dans

ce système, le pêcheur vendait son poisson contre des

sacs de sel avant de les utiliser pour acheter des am-

phores ! Le choix fréquent du sel dans de nombreuses

contrées ou époques s’explique par ses nombreux avan-

tages. D’une part, il est aisément fractionnable, permettant

un calcul plus fin du prix. D’autre part, il est imputrescible

et permet donc un report dans le temps de l’échange, et

l’apparition d’une forme d’épargne. Enfin et surtout, il sus-

cite la confiance : en effet, en raison de son usage pour la

conservation de la viande et du poisson, chacun savait

qu’un sac de sel trouverait toujours preneur.

Signe de l’importance acquise par le sel dans la vie éco-

nomique de nos lointains ancêtres, le mot « salaire »

trouve là son origine. Toutefois un grand nombre d’autres

matières ont également rempli cette fonction au cours de

l’histoire comme le blé ou même le bétail. En latin, ce der-

nier était d’ailleurs désigné par le mot « pecus » d’où dé-

coule le terme actuel de « pécuniaire ». Et en sanskrit il

était appelé « rupa » à l’origine du mot « roupie » utilisé

aujourd’hui encore pour nommer les monnaies de nom-

breux pays tels que l’Inde, le Pakistan, l’Indonésie ou en-

core le Népal. Même le mot « capital » dérive de

« cheptel ». Ce recours au bétail comme « monnaie »

d’échange peut sembler curieux. Il s’explique en fait par sa

facilité de transport : à l’inverse des sacs de sel ou de blé,

le bétail a l’avantage de se transporter lui-même ! Peut-on

voir dans ces biens intermédiaires de véritables mon-

naies ? Pas tout à fait. En effet, même si, au fil des

siècles, le sac de sel est devenu une sorte d’unité comp-

table, passant de main en main au gré du commerce, sans

même être consommé, il ne peut être pleinement qualifié

de monnaie parce qu’il reste potentiellement consom-

mable. On parle donc plus volontiers de « protomonnaie »

ou de « monnaie marchandise ». « La monnaie sera pure

lorsque le bien intermédiaire “non consommé” aura évolué

en monnaie “non consommable” et sera utilisée pour les

transactions par l’ensemble de la population. Ce stade

sera atteint avec des monnaies symboliques en pièces de

cuivre ou en billet de papier », note Vincent Lannoye.

Pour autant, malgré l’essor des monnaies symboliques

communément utilisées aujourd’hui, le recours aux

« protomonnaies » n’a pas entièrement disparu. Outre sa

persistance dans des contrées reculées attachées à des

usages locaux archaïques, il réapparaît aussi dans les

périodes de chaos : on songe notamment à l’usage du

paquet de cigarettes dans l’Allemagne de l’immédiat après

-guerre. Si l’apparition des « protomonnaies » a représen-

té un formidable progrès pour l’humanité, leurs réappari-

tions sporadiques sont aujourd’hui le signe de terribles

régressions.

(1) La monnaie: Histoire d'une imposture, par Philippe

Simonnot et Charles Le Lien, Editions Perrin, 2012, 276 p.

(2) L'Histoire de la Monnaie pour comprendre l'Économie,

par Vincent Lannoye, CreateSpace Independent Publis-

hing Platform, août 2011, 452 p.

L’EXPANSION DE LA MONNAIE

13

Banques de détail :

l’impérieuse nécessité de

réinventer la relation client

Entretien avec Daniel Pion Associé Conseil, Responsable de l'industrie Banque de détail chez Deloitte

La banque est l’un des piliers du secteur pri-

vé en France et les Français comptent parmi

les plus gros épargnants. Les banques de

détail font néanmoins face à de multiples mu-

tations structurelles et conjoncturelles. En

effet, avec l’explosion des services et des

produits 2.0, les banques doivent repenser

leur rôle, voire se restructurer. Au cœur de

cette stratégie, la relation-client constitue un

axe d’ajustement. Daniel Pion, en charge

pour le cabinet Deloitte d’une étude sur les

relations entre banques et clients en 2014,

nous éclaire sur cette mue.

Vous évaluez chaque année la confiance des

Français vis-à-vis de la banque. Quels sont vos

résultats ? Comment se positionnent les

banques face à ces exigences ?

Depuis cinq ans, notre étude mesure le niveau de con-

fiance des clients dans leur banque. Elle analyse cinq

facteurs déterminants : l’intérêt client, l’écoute, la crédibili-

té, la transparence et la fiabilité. Le niveau de confiance

reste faible depuis 5 ans ; seuls 60% des clients ont con-

fiance dans leur banque principale.

Notre étude a permis de constater de grandes disparités

entre les attentes des clients et ce que les banques met-

tent concrètement en œuvre afin d’y répondre. L’écart est

le plus grand ( 38%) s’agissant de l’intérêt client qui cor-

respond aux attentes des clients en matière de conseil à

valeur ajoutée, d’accompagnement sur le long terme et

d’individualisation de la relation. 50% des clients considè-

rent cette dimension primordiale dans la relation avec leur

banque. Or, seuls 12% des clients interrogés se déclarent

très satisfaits sur ce critère. L’écart le plus faible (21%),

concerne le critère de transparence, soit la manière dont

la banque communique avec ses clients sur ses tarifs &

conditions et produits & services.

Cette perte de confiance est très probablement liée à la

crise de 2008 qui a largement impacté négativement

l’image des banques. Depuis, cet indice de confiance

peine à remonter. Or, la confiance est primordiale car il

existe une relation mécanique entre le niveau de con-

fiance et le chiffre d’affaires que les banques génèrent :

plus la confiance est élevée, plus le PNB additionnel est

important. D’où l’intérêt de travailler sur les leviers per-

L’ARGENT LES MENAGES ET LES BANQUES

14

mettant d’améliorer la situation. Dans ce contexte, les

efforts des banques portent sur trois axes qui sont indis-

sociablement liés : l’organisation du réseau, la gestion

des RH et les outils mis à disposition des chargés de

clientèle.

Les canaux mobiles sont devenus prédomi-

nants pour les opérations simples. Quelles

stratégies multicanal peuvent adopter les

banques afin d’optimiser leur relation-client ?

Face à l’apparition des solutions digitales et l’évolution

des modes de consommation, les banques n’ont pas eu

d’autres choix que d’intégrer les canaux mobiles pour

faire évoluer leur politique de la relation client. Au-delà du

multicanal, le véritable défi des banques est de réussir le

pari de l’omni-canal. En effet, il s’agit pour les banques de

garantir l’interopérabilité et le caractère interruptible entre

les différents canaux qu’elles proposent. Une demande

d’un client doit pouvoir commencer, par exemple, par

mail, se poursuivre sur les réseaux sociaux et se conclure

en agence sans que l’information client ne se perde. La

banque doit être capable de traquer en temps réel l'en-

semble des interactions avec ses clients.

Les clients s’attendent à un parcours transparent, en

temps réel et fluide, comme celui que proposent des so-

ciétés comme Amazon ou Apple. Les clients veulent vivre

une expérience similaire avec leur banque qui doit être

désormais plus flexible, plus mobile et plus transparente :

la banque ATAWAD (pour« AnyTime, AnyWhere, Any

Device »). Il s’agit également de « ré enchanter le par-

cours client » en proposant une expérience qualitative

unique tant sur le fond que sur la forme. Cela implique

des investissements conséquents pour les banques qui

vont bien au-delà des seuls aspects technologiques :

c’est tout le business model de la banque de détail qui

doit être repensé : offres de P&S, tarification, organisa-

tion, process et bien sûr profil de ses conseillers clientèle.

Comment expliquez-vous que l’agence phy-

sique perdure alors que le degré de satisfac-

tion client reste faible ?

En effet, il existe un réel paradoxe. Force est de constater

que les clients désertent leur agence physique et privilé-

gient la banque mobile pour les opérations simples

comme une commande de chéquier ou un virement de

compte à compte. En revanche, pour les opérations plus

complexes (mise en place d’un crédit immobilier, sous-

cription d’un contrat d’assurance –vie …), le client a en-

core besoin d’une interface humaine. Ceci est d’autant

plus vrai quand on sait que les clients sont de moins en

moins bien informés : seuls 15% d’entre eux sont ainsi

capables d’exprimer de manière complète et précise leurs

besoins en matière de finance personnelle..

Le véritable enjeu porte en réalité moins sur le nombre

d’agences (quasiment stable sur les dernières années

puisqu’entre 2011 et 2014, il n’a baissé que de 0.8%) que

sur l’organisation de la relation clients. Aujourd’hui, ce qui

intéresse le client n’est pas tant d’avoir un conseiller en

agence attitré mais que la banque réponde de manière

précise et efficace à ses besoins propres. A l’avenir, on

pourrait ainsi parfaitement imaginer que les clients aient

plutôt accès à un pool de conseillers, interconnectés,

partageant en temps réel les mêmes informations clients

et qui pourraient être localisés à différents endroits au

sein du réseau bancaire.

Est-ce à dire que demain la relation entre les

banques et leurs clients sera uniquement digi-

tale ?

Notre étude met en valeur la satisfaction du client par

rapport aux canaux qui lui sont proposés (internet fixe,

internet mobile, agence physique, email, téléphone, cour-

rier et centre d’appel). Lorsque l’agence physique est

utilisée seule, l’expérience client est la plus faible. Le taux

de satisfaction est plus élevé dès lors que le réseau ban-

caire combine l’agence physique avec un autre canal.

Cela montre bien que l’agence physique reste au centre

de la relation client, tant que cette dernière est digitalisée

et connectée. La difficulté pour les banques réside dans

la juste combinaison du digital et du physique.

Les banques adoptent différentes stratégies. La Caisse

d’épargne a fait de son agence physique un véritable hub

multicanal dans lequel tous les outils digitaux sont égale-

ment mis à disposition de ses clients. BNP Paribas a,

pour sa part, choisi de garder son réseau d’agences phy-

siques et de lancer en parallèle Hello Banque, une

agence 100% on line.. Sur ce terrain, le recours croissant

à des outils d’intelligence artificielle afin d’améliorer la

qualité des interactions avec la clientèle se pose. Aujour-

d’hui, de telles applications sont mures et peuvent appor-

ter aux clients des réponses à leurs questions avec un

degré élevé de pertinence.

Cette utilisation ne remplace évidemment pas le chargé

de clientèle mais vient en support. En effet, elle lui permet

de dégager du temps commercial qu’il peut alors utiliser

au profit de la recherche et de l’élaboration de proposi-

tions à plus forte valeur ajoutée pour le compte de ses

clients. Il s’agit de renforcer sa proactivité mais égale-

ment de le sécuriser face à des situations complexes,

notamment dans le domaine réglementaire et du respect

de la conformité.

Ces innovations renforcent la nécessité pour les banques

d’adopter une approche réellement globale et intégrée du

L’ARGENT LES MENAGES ET LES BANQUES

15

digital. Car le digital va non seulement bouleverser l’en-

semble de l’organisation et des processus métiers de la

banque mais également son offre de produits et de ser-

vices. L’essor des FinTech témoigne bien de ces muta-

tions à l’œuvre.

Dans ce contexte, quelles sont les implications

en matière de segmentation de la clientèle?

Un des défis des banques de détail est de parvenir à per-

sonnaliser leurs offres de produits et services tout en

restant rentables. La tâche est particulièrement ardue car

la banque de détail, de par sa définition même, s’adresse

à des millions de clients.

Le Big Data (ou advanced) analytics) permet une micro

segmentation de la clientèle. Il repose sur des algo-

rithmes permettant de constituer des poches de popula-

tions de clients extrêmement homogènes, ayant les

mêmes attributs sociodémographiques et/ou ou caracté-

ristiques comportementales. Il convient d’aller au-delà de

la simple segmentation fondée sur des critères purement

quantitatifs (surface financière, par exemple) et d’utiliser

des axes d’analyse plus fins, tels que le rapport au risque

du client, son degré de connaissance des produits finan-

ciers, ses centres d’intérêt ou bien encore son mode de

consommation des différents canaux bancaires mis à sa

disposition. Les banques investissent dans de tels outils

et si elles n’ont pas la possibilité de développer ces outils

en interne, elles font appel au crowdsourcing qui se déve-

loppe et fournit des résultats très performants.

Selon vous, quels sont les enjeux de la relation

-client à l’avenir?

Les demandes des Français sont croissantes en matière

de conseil personnalisé. De plus, ces derniers s’attendent

à ce que les banques défendent davantage leurs intérêts.

Ils exigent également une attitude davantage proactive de

la part de leur banque. Il est primordial pour les banques

de répondre à ces exigences. Plus que jamais, elles doi-

vent réinventer leur relation client, voire leur métier de

banquier même afin de s’adapter aux mutations qui vont

secouer en profondeur le secteur bancaire au cours de

ces prochaines années.

Le cas échéant, leur clientèle pourrait les déserter pour

rejoindre le front des FinTech souvent moins chères, plus

agiles et plus innovantes. Sans une réaction forte de la

part des banques, on pourrait imaginer que les FinTech

16

grignotent plus ou moins rapidement le terrain des offres

et des produits & services bancaires, ne laissant plus aux

banques que la seule gestion comptable des comptes

bancaires de leurs clients. Il existe un réel risque

d’ « uberisation » du système bancaire dans son en-

semble. Les banques ont bien conscience qu’elles ne

peuvent pas laisser un tel écosystème de jeunes pousses

se développer indépendamment d’elles. Ainsi certaines

concluent des partenariats avec des FinTech, d’autres en

font l’acquisition voire les incubent pour « garder un œil »

sur ce qu’elles font.

DANIEL PION a rejoint le cabinet en 2006. Il a plus de 30

années d’expérience professionnelle dont 26 en conseil. Il

possède une expérience étendue de conduite de mis-

sions d’organisation, accompagnement du changement et

systèmes d’information dans les secteurs bancaires /

assurances auprès d’importants établissements finan-

ciers, et notamment dans les domaines de la banque de

détail et de la gestion privée

L’ARGENT LES MENAGES ET LES BANQUES

17

Pour les néophytes, pouvez-vous expliquer

brièvement à quoi sert la gestion d’actifs

dans une banque comme BNP Paribas ? Et

puisque nous nous intéressons, dans ce nu-

méro, aux circuits de l’argent, pouvez-vous

nous indiquer quelle est l’origine des capi-

taux que vous gérez ?

La gestion d’actifs existe maintenant depuis près de 100

ans aux Etats-Unis. En Europe, cette activité s’est déve-

loppée dans les années 60. Une entreprise de gestion

d’actifs est une entreprise qui gère de l’épargne, c’est-à-

dire qu’elle opère de la gestion pour compte de tiers.

C’est donc un intermédiaire qui a pour mission d’optimi-

ser l’épargne et de l’investir, soit en actions (les place-

ments les plus risqués), soit en obligations ou monétaire

(les placements les

moins risqués). Le

rendement est alors

proportionnel à la

prise de risque.

Historiquement, la

France est réputée

dans ce domaine et

quatre sociétés françaises se hissent dans le Top 25 des

sociétés de gestion au niveau mondial. BNP Paribas a

rassemblé ses activités de gestion d’actifs au sein de

BNP Paribas Investment Partners. Ainsi, environ 3000

collaborateurs, répartis dans 35 pays gèrent plus de 500

milliards d’euros. Ces capitaux proviennent aux deux tiers

de clients institutionnels et l’autre tiers de clients particu-

liers.

La crise économique a échaudé les épar-

gnants, dont on dit qu’ils ont développé une

très forte aversion au risque. Est-ce un phé-

nomène que confirment les profils de risque

de vos clients ?

Il est vrai que la crise a échaudé certains épargnants,

comme les Français connus pour leur aversion au risque

assez développée. Cela s’explique notamment par des

raisons culturelles mais également fiscales et règlemen-

taires. En effet, l’épargne française est depuis longtemps

marquée par la prédominance des obligations d’Etat

comme les contrats d’assurance vie ou les livrets dits

règlementés. Ces produits à la fiscalité attrayante, sont

pourvoyeurs d’épargne et permettent de financer la dette

publique ainsi détenue par les ménages français. De

plus, l’épargne française se caractérise par un investisse-

ment à court terme et à la liquidité élevée. Or, ces pra-

tiques ne semblent plus très adaptées à notre nouvel

environnement.

Ainsi, un des grands enjeux structurels aujourd’hui est de

convertir une partie de cette épargne vers de l’épargne à

plus long terme et plus productive au service du finance-

ment de l’économie réelle, c’est-à-dire les entreprises. Il

s’agit d’investir davantage dans les petites et moyennes

entreprises qui ont du mal à se financier sur les marchés

financiers. L’enjeu est tel que des mesures ont été prises

au niveau européen, notamment avec le plan Juncker ou

le lancement en octobre dernier de l’Union des Marchés

de Capitaux de la Commission européenne. Il importe de

diversifier les sources de financement – historiquement

bancaire – et d’utiliser d’autres canaux comme les mar-

chés financiers et le private equity. Ces initiatives incitent

à un déplacement de l’épargne relativement sûre vers

une épargne certes plus risquée mais surtout plus utile

pour l’emploi de demain.

Notre métier de gérant d’actifs implique de mieux faire

comprendre la nécessaire diversification des encours afin

de s’adapter à ce monde qui change. Nous sommes face

à une évolution structurelle et raisonner avec des con-

cepts anciens, comme rester sur des habitudes datées,

peut se révéler contre productif. Dans ce contexte, le

placement le plus rentable n’est plus forcément le place-

ment d’Etat, on le voit bien avec la Grèce. Certaines en-

treprises bénéficient d’une solvabilité plus élevée que leur

Etat d’appartenance. Il s’agit donc d’évoluer et de pour-

Investir

aujourd’hui :

défis et

perspectives

Entretien avec Christian Dargnat Responsable de la ligne de métier Distribution de

BNP Paribas

Investment Partners

« Notre métier de gérant

d’actifs implique de mieux

faire comprendre la né-

cessaire diversification

des encours afin de

s’adapter à ce monde qui

change. »

FINANCEMENT ET MARCHES

18

suivre le basculement qui a déjà eu lieu aux Etats-Unis et

dans certains pays européens, mais où la France accuse

un certain retard contrastant d’autant plus avec son posi-

tionnement historique.

Les nouvelles « modes » de financement

comme le crowdfunding détournent-elles

une partie de l’épargne jusqu’ici drainée par

les grandes banques de détail, voire par le

private equity ?

La gestion d’actifs représente quelques 70 000 milliards

d’euros et 25% des ressources financières. Par ailleurs,

le secteur est en expansion. Ainsi le crowdfunding ne

concurrence pas l’activité des banques, mais se pose

comme un phénomène intéressant. En effet, il est louable

de participer à faire émerger des projets motivants et

bons pour la société. Encore faut-il s’assurer du risque

que l’on prend dans le projet final

et dans toutes les étapes intermé-

diaires. Et c’est bien là la limite du

financement participatif. Si vous

investissez à titre particulier dans

un projet de crowdfunding, savez-

vous seulement le risque que vous

prenez ? L’information disponible

sur ce risque est encore trop limi-

tée sur ces plateformes à mon

sens.

La gestion d’actifs est quant à elle

très règlementée. C’est d’ailleurs

tout à fait justifié puisque nous

investissons pour compte de

tierces personnes. Ainsi, il ne fau-

drait pas qu’en marge de cet en-

cadrement règlementaire, qui ga-

rantit la sécurité des clients, se

développent des activités qui

échappent à ces obligations. Il y a

ici un risque que nous tombons

dans un engrenage ternissant de

nouveau l’image de la finance.

Quelle est la place de l’ISR et des critères

ESG dans vos décisions d’investissement ?

L’ISR et les critères ESG sont aujourd’hui des points es-

sentiels dans la manière d’approcher les clients et les

entreprises dans lesquelles investir. J’y crois personnelle-

ment beaucoup. En effet, les activités économiques qui

vont le plus se développer, seront celles dites sociale-

ment responsables. Car les citoyens sont toujours plus

soucieux de l’environnement, du respect des droits des

personnes, et d’une bonne gouvernance et il existe une

forte demande de la clientèle vers ces critères. Ainsi, les

sociétés de gestion ont tout intérêt à investir dans de

telles sociétés aux multiples débouchés et ce, peu im-

porte leur point de

vue idéologique sur

le sujet. Il s’agit

d’être en phase avec

le monde d’aujour-

d’hui et de demain.

BNP Paribas In-

vestment Partner est

très sensible à cette prise en compte de critères extra-

financiers : nous gérons 20 milliards d’euros de pur ISR

et investissons d’une manière responsable. Par exemple,

nous n’investissons pas dans certains secteurs contraires

à notre charte éthique. Par ailleurs nous avons établi une

liste d’exclusion de certaines sociétés. Il ne s’agit pas de

jeter l’opprobre de manière définitive mais nous les pré-

venons que nous n’investirons pas tant qu’elles n’auront

pas faire l’effort de compliance nécessaire afin de ré-

pondre à ces critères.

La perspective récurrente

d’une sortie de la Grèce

de la zone Euro est-elle un

facteur déstabilisant pour

les gérants d’actifs ?

Ce qui se passe en Grèce est

important. Il s’agit cependant

moins d’un problème économique

dans la mesure où le pays repré-

sente moins de 2% du PIB de la

zone euro. Le problème n’est pas

financier non plus puisque depuis

2012, l’exposition d’investisseurs

financiers a été réduite à l’occa-

sion de la première restructuration

de la dette grecque. A mon sens,

la perspective d’une sortie de la

Grèce a plus trait à des considéra-

tions d’ordre géopolitique liées à

la construction européenne et à la

stabilité régionale.

En effet, la Grèce a une position géographique straté-

gique car elle est une porte d’entrée sur le Moyen Orient

mais également sur l’Afrique du nord. Elle se situe égale-

ment aux confluents de la Turquie et des Balkans (la

zone la plus inflammable d’Europe) ainsi que de la Rus-

sie.

Peu importe de ce que l’on pense de la faible gouver-

nance de ce pays, une sortie à chaud de la zone euro

aurait été une catastrophe. Pour les gérants d’actifs c’est

tout à fait déstabilisant, mais cette crise dépasse notre

activité. Elle touche aux fondements de la construction

européenne, celle-là même qui a permis d’éviter les

guerres depuis 60 ans. Aussi, un Grexit aurait signifié

que l’Europe est « réversible ». En filigrane, se pose une

question: l’Europe a-t-elle son mot à dire face la Chine,

FINANCEMENT ET MARCHES

« L’ISR et les critères ESG

sont aujourd’hui des

points essentiels dans la

manière d’approcher les

clients et les entreprises

dans lesquelles investir. »

19

l’Inde, la Russie ?

Certes, la solution

actuelle n’est pas

tout à fait satisfai-

sante mais on a évité

le pire à mon sens. Il

faut bien voir que la

Grèce souffre d’une

contraction de son

économie de plus de

20 points, ce qu’aucun pays n’a supporté. Il s’agit néan-

moins de résoudre les problèmes structurels et non d’agir

de manière cosmétique. Il ne tient qu’à nous européens

d’œuvrer dans ce sens.

L’un de vos collègues, analyste de recherche

chez BNPP Securities Services, publiait ré-

cemment une tribune invitant les banques à

mieux comprendre le fonctionnement et les

enjeux des crypto-monnaies, comme le Bit-

coin. Quel est votre avis à ce sujet ?

Emettre de la monnaie est pour un Etat une prérogative

régalienne au même titre que de défendre ses citoyens.

Cette monnaie a de la valeur car elle repose sur la con-

fiance des citoyens en leurs dirigeants. Cette confiance

ne se décrète pas. De fait, Bitcoin remet en question ce

schéma en s’octroyant de manière unilatérale le droit

d’émettre une monnaie. In fine dans l’euro, il y un préteur

de dernier ressort qu’est la BCE. En cas de problème, je

m’interroge quant aux garanties et aux contreparties pro-

posées par Bitcoin.

En tant que gérants d’actifs nous sommes plus observa-

teurs de cette évolution qu’acteurs. A titre personnel, je

suis assez dubitatif quant au développement du bitcoin et

des monnaies alternatives. Il s’agit d’une libéralisation à

l’extrême, alors que l’Etat a encore sa place afin de battre

monnaie.

Les algorithmes incarnent-ils l’avenir de la

prise de décision en matière de placements ?

Quel regard portez-vous sur le trading haute

fréquence ?

Ils existent différentes natures d’algorithmes financiers. Ils

naissent naturellement de notre environnement connecté

et globalisé. Dans le cas du trading haute fréquence, il

faut savoir que 90% des ordres d’achat ou de vente gé-

nérés sont annulés dans la minute qui suit. Les algo-

rithmes utilisés dans la gestion d’actifs se portent davan-

tage comme des outils d’aide à la décision ou d’optimisa-

tion d’exécution des décisions prises en amont. La capa-

« Les algorithmes peu-

vent être utiles lors-

qu’ils sont mis au ser-

vice des négociations et

permettent de renfor-

cer l’efficience des mar-

chés financiers. »

Une règlementation perti-

nente est celle qui est élabo-

rée en prenant en compte les

conséquences potentielles

dommageables s’agissant

du financement de l’écono-

mie réelle. Elle doit égale-

ment se faire dans le respect

des intérêts nationaux.

20

CHRISTIAN DARGNAT est Responsable de la ligne de métier Distribution de BNP Paribas Investment Partners.

Il a rejoint BNP Paribas Asset Management en 2006 comme « Chief Investment Officer » et membre du Comité Exécutif.

En Avril 2009, il est nommé Directeur Général de BNPP AM. De 2009 à 2012, il était également Chief Investment Officer

de BNPP Investment Partners. Christian est Président de BNP Paribas Asset Management SGR en Italie et de CAM Ges-

tion. Il supervise les activités de la gestion Wealth Management de BNP Paribas en France et en Italie.

De juin 2013 à juin 2015, Christian a été Président de l’EFAMA (European Fund & Asset Management Association), après

en avoir été Vice-Président pendant 2 ans. Depuis 2008, Christian est Conférencier à HEC (Hautes Etudes Commer-

ciales), l’Ecole Polytechnique et Sciences Po. De septembre 2010 à juin 2013, il a exercé la Présidence du Comité Mon-

naies et Système Monétaire du MEDEF. Depuis janvier 2014, il est membre de la Commission consultative de l'AMF

"Gestion et Investisseurs institutionnels". Il est membre du collège « Investisseurs Institutionnels » de Paris Europlace.

Christian Dargnat est titulaire d’un Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) en économie et finance de l’Université de Paris

Dauphine (1988).

cité de calcul permise par ces outils favorise in fine la

meilleure qualité de service pour l’épargnant final. En

outre, ces algorithmes peuvent être utiles lorsqu’ils sont

mis au service des négociations et permettent de renfor-

cer l’efficience des marchés financiers. Dans ce contexte,

les algorithmes peuvent être source de valeur ajoutée

lorsqu’ils sont utilisés sous la forme d’outils. En revanche,

ils ne doivent pas se substituer à une prise de décision.

Le facteur humain est indispensable dans notre activité.

Les algorithmes sont donc des outils au service de la

réflexion.

Avec le renforcement de la réglementation

prudentielle, le risque systémique appartient

-il à l’histoire ancienne ?

Il serait très imprudent, voire prétentieux de dire que le

risque systémique a disparu dans la mesure où le risque

est inhérent à l’activité humaine. Or, comme nous l’avons

précédemment évoqué, la gestion d’actifs repose sur ce

facteur humain. Néanmoins, depuis la crise de 2008, les

modes de régulation se sont largement renforcés. Ils per-

mettent de mieux maitriser le risque et de garantir une

plus grande transparence et une sécurité accrue. Preuve

en est, la norme dite UCITS (pour Undertakings for Col-

lective Investment in Transferable Securities) est recon-

nue comme exemplaire en Europe. Elle a fait l’objet de

cinq réformes depuis sa création il y a plus de 25 ans,

dont trois sur les seules cinq dernières années. Cet

exemple illustre bien l’accélération normative à laquelle

les gérants d’actifs doivent faire face.

Par ailleurs, il me semble important que la règlementation

prudentielle s’opère de manière globale et homogène en

Amérique, en Asie et en Europe. Il importe d’avoir une

concordance entre les différentes normes car la gestion

d’actifs est une activité à l’échelle mondiale. Cette homo-

généisation permet d’éviter les arbitrages entre les diffé-

rentes législations. Car de tels arbitrages se font malheu-

reusement en faveur du moins-disant.

Quel est votre point de vue sur la séparation

des activités de dépôt et d’affaires ? Faut-il

un Glass-Steagall Act à l’européenne ?

Je crains qu’un Glass-Steagall Act à l’européenne aurait

de nombreux effets indésirables et n’atteindrait pas les

effets escomptés. Chaque zone géographique se carac-

térise par des orientations stratégiques, souvent histo-

riques, qui en font ses forces dans un monde globalisé

qui change très vite. S’adapter de manière pragmatique à

ce changement, là est le véritable enjeu. Par ailleurs, les

banques européennes et françaises en particulier, ne

sont pas à l’origine de la crise. Le modèle des banques

universelles a au contraire démontré sa participation au

financement de l’économie ces dernières années. Ainsi,

couper les activités de marchés des activités de finance-

ment, remettrait en cause le business model des banques

universelles. Ce qui importe aujourd’hui lorsqu’une socié-

té a une activité de marché, est de disposer d’une gestion

de risque efficace. Isoler l’activité de marché ne servirait

à rien si cette dernière est mal contrôlée. Plus largement,

une règlementation pertinente est celle qui est élaborée

en prenant en compte les conséquences potentielles

dommageables s’agissant du financement de l’économie

réelle. Elle doit également se faire dans le respect des

intérêts nationaux.

FINANCEMENT ET MARCHES

21

« Le capital-investissement

est un stabilisateur

de l’économie »

Pourquoi il faut encourager le capital-investissement français

Entretien avec Olivier Millet

Président du Directoire d’Eurazeo PME , Vice-Président de l'AFIC

22

Le concept de capital investissement ou pri-

vate equity est souvent mal compris. Pourriez

-vous faire la lumière sur ce qu’est le capital-

investissement ?

Si l’actionnariat familial, l’actionnariat boursier, ou éta-

tique sont globalement bien connus, l’actionnariat privé

d’investisseurs professionnels est encore peu identifié ou

mal compris. Il existe pourtant depuis 30 ans en France,

et il a pour vocation d’apporter du capital et d’accompa-

gner des entreprises non cotées, à des stades de déve-

loppement divers, qui ont besoin de financer des projets

de croissance.

Les entreprises très jeunes, de la start-up naissante à

l’entreprise commençant à réaliser du chiffre d’affaires

font appel au capital-innovation pour des projets plus à

risques qui ne seront pas forcément financés par des

banques.

Les entreprises plus matures se tournent vers le capital

développement pour financer des projets spécifiques.

Dans ces deux cas les entrepreneurs sont actionnaires

majoritaires et les fonds d’investissement sont générale-

ment minoritaires.

Quant au capital-transmission, il permet à un dirigeant

fondateur de transmettre son entreprise et de retirer le

fruit de son travail. Il peut, par exemple, vendre son entre-

prise à l’équipe de management en place qui peut faire

appel à un fonds de capital-investissement, le plus sou-

vent majoritaire, pour composer la nouvelle structure du

capital.

Dans les trois cas, la mécanique est la même et l’enjeu

est la croissance, comme l’illustre bien l’acronyme AFIC

pour Association française des investisseurs pour la

croissance. L’argent investi dans les entreprises est levé

en amont par les fonds de capital investissement, auprès

des collecteurs d’épargne longue. En 2014, 60% des

montants ont été levés auprès d’investisseurs français,

40% auprès d’investisseurs étrangers. Ainsi, la fonction

du private equity est d’aller chercher cette épargne

longue française et internationale et de l’injecter dans des

entreprises à différents stades de développement. Mais

au-delà de l’apport de capitaux propres, les fonds de ca-

pital-investissement stimulent également la mise en place

au sein des entreprises d’une discipline extra financière

et d’une bonne gouvernance.

Le secteur a été durement affecté par le repli

des investisseurs. Quel est aujourd’hui le bi-

lan du capital-investissement français?

Le tissu économique français est particulier avec une

multitude de petites entreprises. Aussi, les acteurs du

capital-investissement comme l’AFIC jouent un rôle clef

dans la consolidation des PME. Ils leur permettent d’at-

teindre des tailles critiques et de devenir des opérateurs a

minima européens voir mondiaux mais avec les centres

de décision qui restent en France.

2014 a été une bonne année pour le capital-

investissement français. La situation s’est améliorée par

rapport aux années précédentes. 10 milliards d’euros ont

été levés, soit une augmentation de 25% par rapport à

2013. Un résultat proche des niveaux d’avant crise. Les

ressources collectées seront investies dans les 3 à 5 an-

nées qui suivent. Ainsi en 2014, 8,7 milliards ont été in-

vestis dans les entreprises. Cela correspond à une

hausse 35% par rapport à 2013, même si cette progres-

sion ne rattrape pas le niveau d’avant crise. Enfin 1648

entreprises ont reçu un financement en 2014, un chiffre

supérieur à la moyenne de long terme. 90% ont leur

siège social en France et 75% sont des TPE et PME.

Le capital investissement français affiche une grande

capillarité et irrigue une part importante de l’économie

réelle. A la différence du capital boursier qui tourne en

moyenne en totalité tous les ans, les fonds d’investisse-

ment restent environ 5 ans au capital des entreprises, un

horizon de moyen long terme qui constitue un atout et un

stabilisateur pour se donner les moyens d’entreprendre

des projets indépendamment de la volatilité des marchés

financiers.

Nombre d’entrepreneurs hésitent encore à

faire appel au capital investissement, souvent

par peur de perdre le contrôle de leur activi-

té ou de dilution de leur capital. Quels sont

donc les atouts du capital-investissement

dans le financement d’une entreprise ?

La question est légitime. Il est logique de vouloir rester

actionnaire de l’entreprise que l’on a créée. Mais dans un

monde globalisé la vitesse du développement de l’entre-

prise est devenue un enjeu. Alors qu’hier la concurrence

était franco-française, elle est devenue européenne voire

mondiale et les questions de taille et de structuration des

entreprises sont dorénavant critiques. Le recours au capi-

tal-investissement dépend de la taille que le chef d’entre-

prise veut donner à son entreprise. Si son ambition est de

construire une entreprise plus grande ou plus euro-

péenne, le recours au capital investissement va avoir un

véritable effet accélérateur.

Le capital-investissement est un financement profession-

nel. En 2012, alors que l’emprunt bancaire représentait

92% des sources de financement des PME et ETI en

France, 7% venaient du capital- investissement et 1%

seulement de la Bourse, selon le rapport de Paris EURO-

PLACE ("Redonner sa compétitivité au pôle investisseurs

de la Place de Paris" du 20/09/13). Suite à la crise, les

banques sont soumises à des ratios bancaires qui con-

traignent leur capacité de prêts aux entreprises. Dans ce

FINANCEMENT ET MARCHES

23

contexte nouveau, celles-ci vont devoir se tourner vers

d’autres modes de financement, notamment vers le finan-

cement en capital. Avec le capital-investissement une

entreprise dispose non seulement de fonds propres pour

accélérer sa croissance, mais aussi d’un accompagne-

ment pour transformer et structurer son développement.

L’entrepreneur est souvent face à ces problématiques de

gestion de la croissance. Nous lui apportons notre exper-

tise, une vision complète, de la stratégie aux enjeux ma-

nagériaux, patrimoniaux et financiers. Le développement

d’une entreprise ne s’improvise pas ; le fait d’avoir à ses

côtés un partenaire dédié, expérimenté et engagé sur le

moyen-long terme est un atout compétitif majeur pour

l’entreprise et ses dirigeants.

Dernier aspect, le capital-investissement est également

un accélérateur pour les entreprises qui souhaitent réali-

ser des opérations de croissance externe en France, en

Europe ou dans le reste du monde. Ces opérations qui

renforcent le tissu économique en transformant des PME

en ETI mondialisées, sont le plus souvent très complexes

tant dans l’identification des enjeux, dans l’analyse et le

financement. Là aussi, avoir un partenaire professionnel

à ses côtés est un atout majeur pour l’entrepreneur.

Vous avez déclaré que « le capital-

investissement doit balayer devant sa

porte ». Qu’entendez-vous par là ?

Il n’y a pas d’activité humaine sans dérives, qu’elles

soient politiques, sportives, industrielles. Dans notre sec-

teur, certains excès ont terni l’image de la profession et la

fonction positive que joue le capital-investissement pour

l’économie réelle. Certains acteurs se sont contentés

FINANCEMENT ET MARCHES

24

OLIVIER MILLET est Président du Directoire d’Eurazeo PME depuis 2005, Olivier Millet est éga-

lement Vice-Président de l'AFIC depuis 2014. Il a été Président de la commission ESG de

l'AFIC de 2009 à 2015. Olivier Millet a débuté sa carrière comme entrepreneur en 1986 en

créant Capital Finance (revue de référence du capital investissement français). Il a ensuite

rejoint 3i (de 1990 à 1994), avant d’intégrer Barclays Private Equity France où il a participé

pendant 11 ans au développement et au succès de ce fonds pan-européen. En 2005, Olivier

Millet dévient président du directoire d’OFI Private Equity société d’investissement cotée en

2007 et devenue en 2011 Eurazeo PME, désormais filiale du groupe Eurazeo.

d’opérations purement financières et déconnectées des

enjeux de développement des entreprises, notamment

par un niveau d’endettement trop élevé avec pour consé-

quences de freiner le développement au lieu d’être une

ressource positive.

La crise de 2008/2009 a éradiqué ces

rares mais médiatiques excès. Les exi-

gences de nos bailleurs de fonds ont aug-

menté. Ils ne se contentent pas d’attendre

que la valeur de leur investissement pro-

gresse, mais souhaitent que les profes-

sionnels du capital investissement démon-

trent que leur travail est utile au développe-

ment des entreprises dans lesquelles ils

sont actionnaires. Les fonds de capital-

investissement sont challengés à la fois

par les grands investisseurs institutionnels

et par les entrepreneurs sur la valeur ajou-

tée de leur accompagnement, au-delà de

leur apport de capitaux. Nous devons bien

sûr à nos parties prenantes un historique de performance

financière, mais également un historique de performance

dans la relation avec l’entreprise et ses dirigeants.

Quel impact a la montée en puissance de ces critères

ESG dans les stratégies de financement des entreprises

mais également pour les fonds de private equity ?

Au début de l’implémentation des stratégies ESG dans le

capital-investissement français en 2008, cette démarche

pouvait être un argument de différenciation des fonds. Ce

n’est plus le cas maintenant. Nous sommes passés d’un

« nice-to-have » à un « must-have ». La prise en compte

de critères extra financiers est incontournable et attendue

par les entreprises et nos investisseurs.

L’ESG est devenu une des briques de maturité et de pro-

fessionnalisation du capital investissement. Notre contri-

bution est d’agir pour une mise en place adaptée des

critères ESG dans la conduite des affaires. Car toute en-

treprise est confrontée à ces enjeux, qu’ils soient environ-

nementaux (le E de ESG), sociaux (S) pour construire un

projet collectif qui motive au-delà du salaire, et

de gouvernance (G) avec la mobilisation d’une

équipe solide autour du dirigeant, des contre-

pouvoirs et un partage les responsabilités.

Les fonds d’investissement ont un rôle de

filtres pour exclure certaines entreprises ou

domaines de leur portefeuille, sur la base d’au-

dits ESG par exemple, et avec la publication

de rapports annuels ESG sur les entreprises

en portefeuille. Il est important de noter que le

capital-investissement français est premier

dans le monde en matière d’ESG, ce dont

nous pouvons nous féliciter.

Quels défis reste-t-il à relever ?

Le capital-investissement est de plus en plus utile à l’éco-

nomie car il créé un cercle vertueux entre l’épargne des

Français et le financement de nos entreprises, en particu-

lier les PME. L’enjeu est donc de poursuivre le dévelop-

pement de cette industrie dans une période charnière, et

les pouvoirs publics peuvent jouer un rôle déterminant

afin de permettre au capital investissement de jouer plei-

nement son rôle de soutien de l’économie.

« Avec le capital-

investissement une

entreprise dispose

non seulement de

fonds propres pour

accélérer sa crois-

sance, mais aussi

d’un accompagne-

ment pour transfor-

mer et structurer son

développement »

FINANCEMENT ET MARCHES

25

Le dollar,

monnaie de l’Amérique…

et du monde !

« Pour cent dollars de plus » (Jack London), « Cinquante

mille dollars » (Ernest Hemingway), « La douleur du dol-

lar » (Zoé Valdès), « I have dollars » (Wen Zhu), « Une

pluie de dollars » (Pelham Grenville Wodehouse), « Le

sourire à cinq dollars » (Shashi Tharoor) « Pour une poi-

gnée de dollars » (Sergio Leone), « Cent mille dollars au

soleil » (Henri Verneuil)… Preuve de sa renommée uni-

verselle, des centaines de romans et de films de par le

monde citent le dollar dans leur titre. Plus que tout autre

monnaie, le dollar excite l’imagination, suscite la convoi-

tise, symbolise la réussite, l’enrichissement ou la cupidité.

Le dollar est connu voire utilisé sur toute la surface du

globe. Même dans les contrées les plus pauvres et les

plus reculées, rares sont les personnes qui ne pourraient

reconnaître le fameux billet vert ! Et pourtant, les débuts

du dollar sont plutôt modestes. Le premier dollar naît en

même temps que la déclaration d’indépendance des colo-

nies anglaises d’Amérique du Nord, le 4 juillet 1776. Ce

n’est alors qu’un simple morceau de papier, appelé aussi

« monnaie continentale » parce qu’il est émis par le

« congrès continental » réunissant les colonies en quête

de liberté.

MONNAIES DU MONDE

26

Sa création vise à financer la guerre contre les Britan-

niques mais aussi à affirmer d’emblée la souveraineté du

nouvel État. Pas question pour les insurgés de continuer

à utiliser la monnaie de la couronne britannique ! La

naissance d’une nation va de pair avec la naissance

d’une nouvelle monnaie. Et comme, dans le cas de la

République américaine, les deux phénomènes sont con-

comitants, le dollar devient, plus encore que dans les

anciennes nations européennes, le symbole même du

pays et de sa liberté.

Autant que leur goût de la réussite matérielle, cette ori-

gine explique certainement le vif attachement des ci-

toyens américains à leur monnaie. L’iconographie de la

nouvelle monnaie garde d’ailleurs la trace de ces temps

héroïques. Aujourd’hui encore, les billets de 1 dollar s’or-

nent du portrait de George Washington, premier prési-

dent des États-Unis tandis que ceux de 10 dollars sont

frappés de celui d’Alexandre Hamilton, son premier Se-

crétaire au Trésor.

Pour autant, à l’époque des « pères fondateurs », le dol-

lar n’est pas encore ce qu’il est devenu aujourd’hui. À

vrai dire, il n’est même pas une véritable monnaie natio-

nale. Au début du XIXe siècle, pas moins de 8000

banques différentes émettent chacune quelque huit cou-

pures différentes, sources de confusion et véritable au-

baine pour les faux-monnayeurs qui n'ont même pas à

se donner la peine de copier des billets existant, la créa-

tion d'une nouvelle monnaie au nom d'une banque fictive

suffisant à abuser leurs victimes !

Il faudra attendre la guerre de Sécession pour qu’Abra-

ham Lincoln – dont le visage est reproduit sur les billets

de 5 dollars – engage, en 1863, la remise à plat du sys-

tème avec la volonté de créer une monnaie unique pour

l’ensemble des états membres de l’Union. C’est à cette

époque que les billets commencent à être frappés de

l’Aigle américain et qu’est élaborée la devise « In God

We Trust » qui, toutefois, n’ornera les billets que dans

des années 1950 après avoir été initialement reproduite

sur les pièces.

Comme toute monnaie, le dollar entretient un lien étroit

avec l’histoire du pays qui l’émet. Pour le psychosocio-

logue et anthropologue Clotaire Rapaille, observer un

dollar revient à contempler « une histoire vivante de

l’Amérique et de la philosophie américaine » (1). En ef-

fet, outre les grandes figures de l’histoire américaine

placées au recto du billet, le verso est aussi orné d’un

savant dosage de symboles mystérieux évoquant tantôt

la foi en Dieu, tantôt la fidélité aux idéaux du siècle des

Lumières qui ont inspiré la révolution américaine mais

surtout la confiance dans la « destinée manifeste » des

États-Unis.

Ainsi, la devise « Novus Ordo Seclorum » reproduite sur

le billet de 1 dollar et qui n’annonce rien de moins qu’une

« nouvelle ère américaine ». Une prétention dont on

pourrait aisément sourire si le dollar n’était effectivement

devenu non seulement la première monnaie mondiale,

mais carrément la mon-

naie du monde. Malgré la

grande crise de 1929,

l’histoire du dollar est

celle d’une ascension

continue vers ce statut

dont les deux grands ja-

lons sont 1944, avec les

accords de Bretton

Woods et 1976 avec la

décision unilatérale des

États-Unis d’abandonner

tout lien du dollar avec

l’or.

Depuis la fin de la Se-

conde Guerre mondiale,

les échanges internatio-

naux sont libellés en dol-

lars. Mais ce succès mon-

dial du dollar est loin de

se limiter aux grandes

transactions, réalisées de

façon dématérialisée sous

la forme de jeux d’écri-

tures. La pénétration du

dollar est plus profonde.

Elle concerne aussi les

personnes physiques et

morales qui, partout dans

le monde, conservent des

billets en dollars, voire les

utilisent pour leurs tran-

MONNAIES DU MONDE

27

28

Principaux enseignements de

l’étude annuelle d’EY 2015 sur la

fraude

Antoinette Gutierrez - Crespin Associée au sein de la ligne de services Fraud Investigation & Dispute Services d’EY France

Philippe Hontarrède Responsable de la ligne de service Fraud Investigation & Dispute Services d’EY France et Luxembourg

L’étude annuelle sur la fraude publiée en mai 2015 par

EY est le résultat d’une large enquête, effectuée auprès

de plus de 3 800 participants dans 38 pays de la zone

EMEIA (Europe, Moyen- Orient, Inde, Afrique). Conduite

auprès de cadres dirigeants d’entreprise, elle offre un

état des lieux de la lutte contre la fraude et la corruption

dans le monde des affaires et en souligne les nombreux

défis.

Aujourd’hui, l’environnement des affaires reste incertain

et complexe, dans un contexte de volatilité des marchés

financiers, de chute du prix du pétrole (baisse de plus de

40% entre mai 2014 et mai 2015) et de doutes sur la

stabilité de la zone euro. Cette situation est d’autant plus

préoccupante que les objectifs de croissance fixés par le

top management restent ambitieux. A cela s’ajoutent

d’autres sources d’instabilité, telles que les restrictions

commerciales liées aux sanctions. Sans compter les

nouveaux défis

auxquels sont

exposées les

entreprises :

cybercriminali-

té, usurpation

d’identité de

hauts diri-

geants ou de

leurs clients,

détournement

de fonds, blanchiment d’argent, entre autres. A ce titre,

et comme toutes les entreprises mondiales, les entre-

prises françaises sont fortement mises à l’épreuve.

Les principaux enseignements de l’enquête concernent

tant la pression sur les collaborateurs et les entreprises

que l’insuffisance des moyens de prévention et de con-

trôle, indispensables pour réduire les risques de fraude

et de corruption. Mais au-delà des freins et zones de

progression illustrés par l’étude, se profile enfin un mes-

sage fort et d’avenir : une corrélation entre croissance et

intégrité.

Des objectifs ambitieux, une pression conti-

nue et des risques très présents

Pour rester compétitives dans un marché mondial forte-

ment concurrentiel, les entreprises poursuivent des ob-

jectifs de croissance extrêmement ambitieux et se tour-

nent vers les marchés les plus dynamiques. Ainsi, les

résultats de l’étude montrent que 31% des répondants

estiment que le management subit une pression accrue

pour développer des opérations sur les marchés émer-

gents. Or, ces marchés présentent des risques de cor-

ruption particulièrement élevés. 61% des répondants

implantés dans ces marchés à forte croissance considè-

rent la corruption comme largement répandue. Réussir

une croissance « propre » dans un marché à haut risque

est un vrai défi, d’autant que la pression sur les collabo-

« Gérer efficacement les

risques de fraude et de cor-

ruption implique la mise en

place de politiques et procé-

dures spécifiques, claires,

s’accompagnant d’une vérifi-

cation continue de leur bonne

application »

ARGENT ET OPACITE

29

rateurs peut les inciter à des comportements déviants

pouvant impacter la réputation et l’intégrité de l’entre-

prise.

Les moyens de prévention et de contrôle

nécessaires pour réduire les risques de

fraude et de corruption restent insuffisants

Malgré les enjeux dévoilés par de nombreuses affaires,

les risques de fraude et de corruption persistent, y com-

pris dans les pays matures, tant pour les entreprises que

pour leurs dirigeants et collaborateurs.

Gérer efficacement les risques de fraude et de corrup-

tion implique la mise en place de politiques et procé-

dures spécifiques, claires, s’accompagnant d’une vérifi-

cation continue de leur bonne application. Or, il est pré-

occupant que beaucoup d’entreprises n’ont toujours pas

mis en place les moyens de contrôle nécessaires. Selon

l’étude, 42% des

répondants affir-

ment que leur orga-

nisation n’a pas de

politique anti-

corruption ou igno-

rent si une telle

politique existe. Ce

résultat reste aussi

élevé (41%) sur les

marchés matures

malgré l’importance accordée à ces sujets par les autori-

tés de régulation. Ignorance ou absence, peu importe.

Pour être efficace, un programme de prévention doit au

minimum être connu par l’ensemble de l’organisation,

son objectif et ses exigences devant être largement

communiqués. Pour ce qui concerne la France, 56% des

répondants déclarent que leur entreprise a mis en place

un programme anti-corruption et un code de conduite :

un faible pourcentage face à la taille des enjeux.

« Une culture de com-

pliance forte n’est pas in-

née. Savoir comment résis-

ter aux tentations de la

fraude et de la corruption

dans un environnement

d’affaires instable implique

de se former »

ARGENT ET OPACITE

30

Par ailleurs, l’étude indique que les nouvelles divisions

opérationnelles pourraient considérer, plus que les divi-

sions historiques, la corruption comme une solution ac-

ceptable. A titre d’exemple, 25% des répondants des

divisions opérationnelles créées au cours des deux der-

nières années considèrent que payer des pots-de-vin

peut être justifié si cela permet d’assurer la pérennité de

l’entreprise. Le chiffre descend à 15% pour les répon-

dants des divisions opérationnelles mises en place il y a

plus de deux ans. Par ailleurs, 26% des répondants des

nouvelles divisions estiment que les mauvais résultats

financiers ne sont pas partagés ouvertement et de façon

transparente avec la direction du siège. L’enseignement

est clair : une attention toute particulière doit être portée

aux nouvelles divisions en incluant dès le départ de so-

lides formations anti-corruption.

Dépasser les évidences

Une culture de compliance forte n’est pas innée. Savoir

comment résister aux tentations de la fraude et de la

corruption dans un environnement d’affaires instable

implique de se former. Pourtant, l’étude met en avant

des résultats insatisfai-

sants, avec 37% des parti-

cipants qui indiquent

n’avoir reçu aucune for-

mation. Or, environ trois

quarts des répondants

ayant participé à ces for-

mations les considèrent

utiles et efficaces dans le

cadre de leurs fonctions

opérationnelles.

La mise en place d’un

dispositif d’alerte (connu

comme whistle-blowing

hotline) constitue aussi un

moyen de prévention des

risques de fraude et de

corruption. Mais encore

faut-il qu’il soit utilisé par

les lanceurs d’alerte pour

dénoncer des cas de

fraude et de corruption, et que le management analyse

en détail ces alertes et prenne des mesures concrètes à

l’issue des investigations. Cependant, plus de 20% des

répondants affirment que leur entreprise ne dispose tou-

jours pas d’une ligne d’alerte éthique permettant de re-

monter un cas présumé de fraude ou de tentative de

corruption. Par ailleurs, les cadres dirigeants ne sem-

blent pas être suffisamment au courant des enjeux opé-

rationnels de leurs collaborateurs, y compris dans les

filiales : c’est l’avis de 50% des répondants. Une telle

méconnaissance peut conduire à un décalage entre la

réalité du terrain et les objectifs fixés.

Créer un modèle d’affaires durable en al-

liant compétitivité et compliance

Trop souvent, compliance et compétitivité sont oppo-

sées. Force est de constater qu’elles sont complémen-

taires pour assurer la pérennité des affaires. Ainsi, dans

les entreprises en croissance, 31% des répondants esti-

ment les normes éthiques de leur entreprise comme très

élevées dans la conduite des affaires, contre 18% dans

les entreprises en décroissance.

Pour se positionner à moyen et long termes, l’entreprise

devrait combiner les objectifs de performance et d’inves-

tissement dans la compliance. Cet investissement doit

d’ailleurs être proportionnel aux risques identifiés et me-

surés préalablement. Il peut constituer un facteur diffé-

renciant, notamment dans le cadre d’appels d’offres na-

tionaux ou internationaux (ex. : Banque Mondiale), la

défaillance d’un tel programme pouvant, dans le pire des

cas, mener à l’interdiction de l’entreprise de participer à

des appels d’offres futurs. A l’inverse, l’absence de pro-

gramme de compliance robuste peut nuire à la réputa-

tion de l’entreprise et freiner le développement des rela-

tions d’affaires avec les

partenaires et les

clients.

Pour faire face à ces

risques, les départe-

ments de l’entreprise

(directions de la com-

pliance, juridique, des

risques, de l’audit, la

stratégie ainsi que les

fonctions commer-

ciales, de production,

etc.) doivent travailler

ensemble. En effet, ce

risque n’est pas l’apa-

nage des fonctions

juridiques ou de com-

pliance : c’est un sujet

transverse. Dans la

lutte contre la fraude et

la corruption, identifier

la complémentarité des différents services et optimiser

les ressources et budgets dédiés est donc clé pour obte-

nir des résultats efficaces. Face à la pression, le recours

aux pratiques non éthiques peut apparaître comme une

solution rapide et facile, voire comme la seule solution

possible à un moment donné, pour gagner un contrat par

exemple. Il est temps, pour ceux qui ne l’ont pas encore

fait, de réfléchir autrement. La corrélation entre com-

pliance et croissance montrée par cette étude apporte

de nouveaux arguments pour que l’entreprise opère un

changement profond dans la conduite des affaires, s’il

ARGENT ET OPACITE

31

n’est pas déjà en cours. Les cadres dirigeants sont les

premiers à devoir s’investir en la matière. Ils sont d’ail-

leurs particulièrement exposés à ces risques. Leur im-

pulsion pour favoriser une culture de travail éthique est

essentielle. Cet aspect est d’autant plus important que,

selon l’étude, la communication réalisée sur ces sujets

par le management n’est pas suffisante. Environ la moi-

tié du top management estime communiquer régulière-

ment sur son engagement en matière de normes

éthiques élevées, alors que seulement 30% des cadres

interrogés partagent cet avis.

Deux idées clés sont à retenir de cette étude : première-

ment, la compliance n’est plus optionnelle, c’est un pré-

requis pour un succès durable, et le temps est venu pour

l’entreprise d’investir dans ce domaine ; deuxièmement,

la vigilance permanente qu’impose la lutte contre la

fraude et la corruption doit s’accompagner d’un change-

ment en profondeur des mentalités.

ANTOINETTE GUTIERREZ - CRESPIN est associée au sein de la ligne de services Fraud Investigation & Dispute Ser-vices d’EY France. Elle accompagne de grands groupes en France et à l’international dans la conception, le de-sign, le déploiement et/ou le renforcement de leur dispo-sitif de compliance anti-fraude et anti-corruption.

PHILIPPE HONTARRÈDE est responsable de la ligne de ser-vice Fraud Investigation & Dispute Services d’EY France et Luxembourg. Il gère des projets de grande envergure impliquant des investigations de fraude, des services de transaction forensic, des projets de diligence pré-acquisition.

ARGENT ET OPACITE