sociÉtÉ des antiquaires de louest

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s SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE L'OUEST DES ORIGINES DE LA OOMMtJNE DE POITIERS L'illustre Augustin Augustin Thierry a retracé dans un style plein de vie et de couleur locale les luttes dramatiques au milieu desquelles prirent naissance, au commencement du XlIe siècle, les communes de Laon, de Rheims et d'Amiens. Bien des lec- teurs Poitevins connaissent ces admirables récits qui les ont intéressés, malgré l'éloignement des temps et dei lieux. lis ont puisé une idée vraie et saisissante, ruais prtielleet incomplète, de la grande révolution communale, car toutes les municipali- tés anciennes n'ont point été fondées dans le sang, comme celles précitées. Rien n'est plus varié que les communes du Moyeu-Age considérées, soit dans leur origine, soit dans leur nature et l'étendue de leur constitution. M. Thierry le reconnait lui- même dans divers passages de ses ouvrages, atté- nuant ainsi le système trop général et trop absolu qui lait de l'insurrection populaire le béreeau de toutes les institutionA municipales. M. Guizot, un autre maitro de la. science historique, le proclame hautement en s'exprimnt ainsi e Ces mots , une t ville, une commune, une charte de commune, Document k 111111 II 11111 11111 I 11111111111 1 La9 00056352 2 7 _, —j

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SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE L'OUEST

DES ORIGINES

DE LA OOMMtJNE DE POITIERS

L'illustre AugustinAugustin Thierry a retracé dans unstyle plein de vie et de couleur locale les luttesdramatiques au milieu desquelles prirent naissance,au commencement du XlIe siècle, les communesde Laon, de Rheims et d'Amiens. Bien des lec-teurs Poitevins connaissent ces admirables récitsqui les ont intéressés, malgré l'éloignement destemps et dei lieux. lis ont puisé une idée vraie etsaisissante, ruais prtielleet incomplète, de la granderévolution communale, car toutes les municipali-tés anciennes n'ont point été fondées dans le sang,comme celles précitées. Rien n'est plus varié queles communes du Moyeu-Age considérées, soit dansleur origine, soit dans leur nature et l'étendue deleur constitution. M. Thierry le reconnait lui-même dans divers passages de ses ouvrages, atté-nuant ainsi le système trop général et trop absoluqui lait de l'insurrection populaire le béreeau detoutes les institutionA municipales. M. Guizot, unautre maitro de la. science historique, le proclamehautement en s'exprimnt ainsi e Ces mots, unet ville, une commune, une charte de commune,

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-6-e nous trompent en nous faisant auribuer aux• institutions municipales de cette époque une

unité, un ensemble qui leur manquaient absolu-« ment. Au dedans, comme au dehors des murso d'une ville; dans la cité, comme dans l'état, touto était spécial, local, partiel. Les divers établis-• sements, les diverses classes d'habitants possé-• daient, à des litres de nature et de date diver-

ses, des franchise!, des privilèges tantôt divers,o tantôt semblables, mais toujours indépendantsr les uns dis autres... La charte de commune« pouvait même n'être pas la scurce la plus• féconde des libertés municipales. Concevonsje• Moyen-Age dans sa bizarre et vivace variété• ne lui attribuons jamais nos idées générales et• nos organisations systématiques (I) o.

Cette appréciation si judicieuse et si conformeaux données de l'histoire démontre péremptoire-ment combien' il est.nécessajre d'étudier chacunedes anciennes communes de Francs en particulierpour se former une opinion exacte sur les causesvéritables et diverses qui leur ont donné naissancesous 'des formes rarement semblables; Commencédès le Xie siècle sous l'influence età l'imitation desassoci tions jurées de la Trève de Dieu, instituéespar l'intervention bienfaisante de l'Eglise () lemouvement communal se propagea et devint géné-rai durant toute la durée du Xllesiècle. Grâce à lapuissance de l'association, la classe moyenne desvilles, déjà à demi émancipée par le travail etl'industrie, apprit à résister avec succès aux e'cèsde la tyrannie féodale, et, autant par son habiletéque parla force, conquit enfin son affranchisse-.ment complet.• S'il est vrai q u'en certaines villesles bourgeois eurent recours à des violences 'san-

(1)Histoire do la civilisation en Fiance, L. iv.(2) La Paix et la'Trève do Dieu, par Semichon. -

Histoire d'Âumale, par le môme.

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glantes qui ont arraché à un chroniqueur conte,mporain, Guibert. de Noeiit. (I), des paroles demalédiction asez justifiées dans circonstancescoiflze l'institution des communes, il est certainégalement qu'en beaucoup de lieux, ils firent con-sacrer leurs légitimes prétentions par des transac-tions pu ont produit les chartes de communes.Yvesde Chartres (2) donne lices traités le nom depattes de paix. Souvent n me de grands seigneursibtelligents, aussi bien dans leur propre intérêt quedans celui de leurs sujets, accordèrentspontané-ment les libertés si enviées. Les rois de Francs etd'Angleterre , depuis Louis. le Gros et Henri liPlantagenet, intervinrent ég&lement avec autoritédans cette transformation sociale à laquelle per-wnne ne pouvait deméurer indilflrent. MaisMM. Thierry et Guizot ont fait SVEC raison justicede l'erreur trop longtemps dominante; basée ur lamauvaise interprétation d'un texte d'Oderic Vital,qui attribue à la royauté Capétienne l'initiative deI institution des communes. La vérité est que laroyauté, qui n'avaitpont encouragé le mouvement,le favorisa, le modéra et s'en servit habilement auprofil dé sonautorité alors bien laible, et, ne l'ou-blions pas, aussi au profit non moins grand dutiers état clontl'alliance intime lui fut dès lorsacquise contre la féodalité (3).

Dès le commencement du XILe siècle, dans lenord et l'ouest de la France, la révolution com-munale se Sanifesie souvent sous la forme decommune jurée. Qu'entend-on par cettedénômina-tiun I La commune jurée est une assurance mu-tuelle, une associationmunicipale constituée sousla foi du serment dani le but de défendre les droits

(J) Liv. iii; chap. 7.(J) Ep. 253 ap. Hist. de France t. xuy , introd. de

dorn.Brial.(3) LaFranceau tempsdescroisades,par.devaublanct. t.

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-8--de tous et de chacun, reconnue, quelquefois mémolongtemps après sa formation, comme à Saint-Orner (1), par le consentement formel ou tacitedu veigneur féodal et administrée par des chefsélus dont l'autorité est presque souveraine dansles limites de la ville et de la banlieue. C'est souscette forme éminemment libérale qu'ènt pris nais-sance les communes du Poitou et de la Saintonge,Poitiers,Niort, la Rochelle, Saint-Jean-d'Angély,Oléron, Saintes. On comprend sans peine l'im-portance de cette institution, la puissance énormequelle donna au tiers état et l'intérêt qui s'attachenaturellement à son histoire. Si les auditeurs quinous font l'honneur de nous écouter ont lu avecquelque plaisir les origines communales de villaéloignées, racontées avec tant de charma par M.Augustin Thierry, peut-être éprouverobt-ils unesatisfiction plus vive, plus patriotique à entendreparler de celles de leur chère cité poitevine. Ilsvoudront bien toutefois pardonner à la prose dudisciple de na pas atteindre la hauteur du styleinimitable du mattre.

Dans une séance déjà ancienne, un de mes prédéceneurs à la présidence a développé dunemanière heureuse tes transformations successivesde ce vieil hôtel-de-villo devenu l'hôtel de notreSociété. La grande institution dont il fut l'asilependalit plus de six cents ans mérite bien aussid'avoir sa monographie. L'oeuvre est trop vaste,trop complexe pour être présentée en quelquespages rapides. Nous nous contenterons d'exposerles circonstances historiques qui L'ont .réée et con-solidée.

La commune de Poitiers n'est pas née dans lesang comme celles de Laon, d'Amiens et do quel•ques autres villes. Elle doit son existence, tout lemonde le sait, à la concession spontanée d'une

(4) Risi. a0 Sait t-Orner, Far Gifl'.

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grande princesse, la célèbre Aliénor d'Aquitaine.La rameuse charte qu'elle signa à cette occasion,en 4199. démontre d'une manière incontestableson origire toute p½ciflque. Cependant les bour-geois poitevins du X11° siècle, miigré leur carac-tère froid, eurent aussi leur jour de colère et derebellion Le désir bien légitime en lui-même dep0 !écler l'institution nouvelle leur suggéra lafatale pensée de la revendiquer, de la conquérir àmain armée. Ce curieux événement d'hbtoirerlocale, très longtemps ignoré, flou; a été révélépar un précieux fragment inédit de la vie de LouisVII, oeuvre de l'illustre Suger, dont la découverterécente est due à l'érudition de M. Jules Lair (1).

C'était en 1138- lI y avait à peine une annéeque le jeune roi Louis VII, après avoir épousédnns l'église Saint-André de Bordeaux (It juillet1137) Aliénor, l'héritièr .' des ducs Guiflaurneavait été couronné duc d'Aquitfine à Poitiers,-au milieu de la joie générale (Il aoflt 1137) (21tRappelé en toute hâte à Paris par la mort de 5011

père, il n'avait pu faire qu'un séjour insulFisanten Poitôu et était reparti avec sa jeune épouse.Tout à coup un, message sinistre lui arrive de sesnouvelles provinces. La ville de Poitiers s'estsoulevée, la commune y a été proclamée, les in-surgés ont fortifié leurs murailles - et ont organiséune vaste confédération avec toutes les autrestilles du Poitou (3). Quel pouvait être le moblevéritable lie cette insurrection ? N'avait-ellepour but que ht constitution de la commune? oubien n'était-ce là qu'un prétexte, qu'un moyeuhabile et populaire employé pour renverser le. nou-veau gouvernement?--

L'annexion de l'Aquitaine à la monarchieCapétienne «avait point été le fruit ne la con-

(fl Bibliothèque de l'Ecole des chartes, t. 4, 4873.oui(2)Vie de Ls le Gros, ap. OEuvres de Suger.

(3)Fragment inédit de la vie de Louis vu, pâr Suger.

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quête Ptet de la violence., C'était le rés uliat lieu reux,inespéré du mariage librement consenti de LouisVII et d'A .Iiénor, mariage recommandé parle pèrelui-même de la princesse, mort en pèlerinage àSaint-Jacquesde Compostelle , et négocié parles barons du duché, qui avaient envoyé dans cebut des ambassadeurs au roi Louis VI. L'accordétait donc coieplet, et c'est ainsi que s'expliquel'enthousiasme qui accompagna les têtes (lUcouronnement. D'un autre côté, g'jJ est vrai queles habitants de Poitiers ne fassent point doté en-core d'une commune, leur condition. n'étaitpourtant pas mauvaise.Depuis un temps immémo-rial ils jouissaient de tous les droits civils, droitde propriété,liberté de mariage, liberié de Lester,garanties particulières pour les cautions judiciai-res etc. Tous ces droits avaient été confirmés etobservés sous. le règne des anciens comtes desPoitou (I). Il n'est même pas irnpossibie qu'ilfussent en possession de quelques débris du régimemunicipal romain dont la persistance est.attestédans plusieurs villes du midi de la Loire. Ce quitendrait à le prouver, c'est un passage assez énig-matique du récit de l'insurrection de 1138 danslequel Suger rapporte que les citoyens de Poitiersoccupèrent le municipe de la ville, urbis miinici-piutn occupasse (2). Ces mots indiqueraient assezclairement l'existe.nced'un monument quelconque,peut-être le Palais, siège d'une administrationurbaine..ui aurait tout au moins retenu le nonitraditionnel de l'antique curie romaine. Il n'estpas possible de déterminer avec un teste si courtet si peu explicite la nature deceice organisation,sitant ent qu'elle existât. Peut-être n'élait-cequ'un

(1) Voir la charte de libertés concédée à la ville dePoitiers par Âliénor,en 1199 (arch, comm. de ,Poi tiers A I,liasse I).

(2) Feagmefit inédit, etc...

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souvenir conservé par une dénomination local'e(l).Quoi qu'il en soit , le désir de conquérir une

émanciRatiou plus èomplète lut-il bien un motifassez puissant pour pousser les Poitevins h la ré-volte? Sans doute le faitnest pas impossible. Onavait bien vu. l'année précédente, la ville d'Or-léans, dotée pourtant d'une assez large constitutionmunicipale, s'insurger au nom -de la communejurée et attirer sur elle la juste colère de Louis VIIqui revenait alors d'Aquitaine. Mais si la communejurée eût été le seul objectif de l'insurrection dePoitiers en 1138, comment expliquer alors sort al-liance, sa confédération avec, toutes les villes ettous les châteaux, c'est-à-dire tous les seigneursde la province qui, sans doute, se souciaient assezpeu du triomphe de la commune poitevine () ?Sui-vaut toutes les probabilités historiques résultant del'interprétation des textes, ce mouvementa étébienplus sécessionniste que communal. L'annexion del'Aquitaine à la monarchie Capétienne n'avait pointété du goût de tout le monde. Dès le retour ducortège royal après les (êtes du mariage à Bor-deaux, des velléités de résistance aussitôt répriméess'étaient manifesté' s en Saintonge. ( s ), et nous sa-vons,en outre,que Louis Vil, après la soumission dePoitiers, tut obligé de marcher contre lé seigneurdeTalmont (4). lI y avait doncdes méconter.t, surtoutparmi les barons. L'insurrection, fruit de leurs'

(I) La persistance du régime municipal romain danstout le midi, admise par Raynouard et Thierry, est loind'être prouvée. Les communes du Bourbonnais aux xIte etxnre siècles procèdent doutes de' l'initiative féodale (voirM. GrEssoreille dans son mémoire la à la Sorbonne en182), Cependant quelques villes ont conservé des tracesde l'organisation antique.

(2) Retiquas Pictavie ur&es , oppida et firmitatesidipsvmcum eis confedera.sse (Fragment inédit, etc...)

(3) Vie de Louis te Gros, '1137.(4)Fragment inédit. etc...

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- 12 -excitations, fut dirigée avant tout, n'en doutons pas,contre le nouveau gouvernement royal, et pourlui donner plus de. force, pou' la rendre plus po-pulaire, ils soulevèrent habilement les bourgeoisde Poitiers, eu taisant miroiter à leurs yeux,comme couronnement et récompense de leursefforts, l'institution si enviée de la commune jurée.D'un autre côté, ceux-ci n'eussent peut-être pasosé recourir aux armes sans la coopération inté-ressée de ta ligue des seigneurs.

Lorsque lui parvint la nouvelle dusoulèvement,Louis VII avait éprouvé la plus vive inquiétude etune profonde irritation. Il n'y avait pas un n'o-ment à perdre, le succès des révoltés pouvant cii-tramer les plus gravi s conséquences. Le roi, surle conseil de Suger, J'illustre ministre de son père,et sans attendreThibaud, comte de Champagne, quirerusa lâchemeritde l'accompagner ; prépara rapi-dement une expédition. Il se mit cri pour lePoitou à la tète de deux cents chevaliers et (l'uncorps d'élite d'archers et d'arbnlétriers. A sortapproche, la ligue féodale se dissipa comme parenchantsment, et Poitiers demeuïaseul exposé auxcoups de sa colère. Lorsqu'il •arrva devant cetteville, à la fin d'avril 1438, les bourgeois impu is-sertis et désillusionnés se rendirent sans condi-tions. Il n'y eut point d'effusion de sang. MaisLouis VU ne pouvait laisser impunié l'o[fensecom-mise contre son autorité souveraine. Il prononçala dissolution iJe la commune jnurrectmonnelle,déclara nul et de nul effet le , serment p a r lequelles citoyens s'étaient liés, et exigea des meilleure;familles la remise d'un certain nimbre d'otages,jeunes gens et jeunes filles, qu'il co,damna aubannissement dans diverses régions du royaume.

La sévtrité de cet arrêt plonges les Poitevinsdns la désolation la plus grande. Désespérés, nsachant comment échapper à la terrible peinequi les Irappait, ils conçurent l'heureuse penséede recourir à Suger, le puissant conseiller ie la

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couronne, qui suivait le monarque è quelquesjournées de distance. Les pères et mères couru-rent au devant de lui ; ils se jetèrent aux piedsde son cheval, et, versant des larmes.amères, lesupplièrent d'implorer la grâce de leurs enfants.Suger, se faisant l'interprète (le leur repentir, allatrouver le roi, auquel il exposa l'humble requêtede ces malheureux. Le.jeuue Louis VII était che-valeresque et €T i. éreux, il avait une entière etjuste conflanceen son habile conseiller. Tout enlui faisant remarquer la justice de ta co p damna-tion, il s'en remit complètement. à sa décision.Suger, homme réservé et politique éminent, 1 ai-lendit quelques jours pour se prononcer Il n'avaitjamais été opposé au mouvement communal clansce qu'il avait de légitime (I) ; mais il ne voulaitpasair à la légèreet compromettre ainsi l'autoritéroyale.

La cour s'était installée dans l'antique palaisrebâti par les comtes de Poitou, déjà appelépalais royal sous les Carlovingiens. Là â toujoursété le siège de l'âutorité et do la justice. Au XlIesiècle, l'aspect de ce grand monument différaitcomplètement de celui qu'il présente aujourd'hui.Si l'on excepte cette grande et admirable salle, l'undes bijoux archéologiques de notre ville, il nesubsiste plus rien de l'ancien palais, et l'on nepeut e rendre un compte exact des autres bâti-ments d'habitation qui devaieut nécessairementaccompagner la grande salle. Un immense fossél'environnait de toutes parts et un pont jeté par-dessus clans l'aie de la rue Notre-Dame"la-Petite,sur l'emplacement de ce que l'on nomme aujour-d'hui l'échelle du palais, le mettait en commu ni

-cation avpc cette partie de la ville. Aucunesmaisons n'existaient le long des rues actuelles du

(t) Hist. du ministère de Suger et de sa régence, parCombes, 4853,

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Marché et de la Rgratterie, bordées uniquementpar le foss4. De telle sorte que des fenêtres dupalais l'oeil embrassait toute la place Notre-Dame -et découvrait l'église, alors toute:resplendissautedejeu Cesse. C'est le récit même de Suger qui révèlecette situation des lieux.

Cependant le moment fixé pour le départ desbannis était arrivé. Depuis l'entrevue de Louis VIIet de son ministre, trois jours s'étaient écoulés etl'ordre royal n'avait point été révoqué il allaits'exécuter. Convoqués dès le malin sur la placeNotre-Dame, les malheureux condamnés s'yréunirent pour faire leurs préparatils et se mettreen route. Les charrettes ouvéh-cules de toutegrandeur et de toute forme, les chevaux et les ânesqui devaient les transporter dans des pays loin-tains débouchaient de tous côtés sur la place. Lesparents et les amis attristés èl arg aient les baga-ges. La foule était énorme, on ne voyait que desvisages en larmes, on n'entendait que des crisdéchirants. Tout le monde s'abandonnait bruyam-ment au désespoir. Ls parents des victimes tou -chant au moment de cette terrible sparation,con-sidérée comme éternelle, poussaientde véritableshurlements, lin bruit confus, sinitre,épouvantbles'élevait du sein de cette multitude désolée et par--venait jusqu 'au Palais. L 'oreille du roi et • de sesconseillers en fut frappée. 1k se précipitèrent au!fenêtres. Là ils purent contempler dans toute sonhorreur cette scènenavrante d 'unpeuple en-deuil. Le eunu roi en fut visiblement ému. Il sedéroba vivement à un tel spectscle et réunit aus-sitôt Fou con!eil. Na sachant quel parti prendre,hésitant à pardonner de peur de porter atteinte àla majesté royale, il interrogeait d'un regard an-xieux le prudent Suger. Celui-ci, à ta sagesse du-quel son jeune maître avait remis, ou le -sait, le'jugement de l'affaire, n'avait pas encore fait con-nattre son opinion. Il avait sans nul doute étudiél'état des.esprits.dans la ville et il avait acquis la

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conviction que le repentir des Poitevins était sin-cère. Etivéritable homme politique il avait com-pris qu'une sévérité exagérée pouvait gravementindisposer une populaiori réunie depuis si peu detemps à la monarchie française. « Grand roi, s'é-cria-t-il tout û coup, si vous avez pitiéde l'immenseaffliction de ces malheureux, Dieu miséricordieuxvous rendra la sympathie et la soumission nonseulement de cette ville de Poiters, mais encorede toutes les autres cités de l'Aquitaine. N'ayezaucune crainte. Moins vous serez sèvère, plus votreautorité royale deviendra grande et puissante. n -« Approchez-vous donc avec moi des fenêtres duPalais, répondit le roi, et accordez leur 'en monnom le pardon de leur insurrection communaleremettez leurs enfants en pleine eL complète liber.té et adjurez-les de ne plus jamais retomber dansun pareil forfait, t - Suger, du haut des fenêtresdu Palais, proclama donc à haute voix l'amnistieroyale. En entendant son pardon inespéré, la foule,un moment stupéfaite, poussa d'immenses accla-mations. La dôuleur, tout à l'heure inconsolable,se changea subitement en joie sans,bornes. Descris de reconnaissance plus vifs encore que lesamers sanglots si vite apaisés retentirent partoutsur la place. Bientôt tout était oublié, Le calme, lebonheur et la paix étaient rentrés dans la cité (I)

La clémence généreuse et politique de Louis Villui avait à jamais conquis l'amour des Poitevins.Mais leur tentative téméraire et inopportune retar-da de soixante ans l'établissement de la communejurée dans leur ville. Durant cette longue période,bien des événements se produisirent en Poitou. Lefait capital qui domine tous les autres, c'est la sé-paration de cette province et de toute l'Aquitainede la France Capétienne etsou union à la couronnedes rois d'Angleterre de la dynastie angevine des

(I) Fragment inédit de la vie de Louis via, par Suger.

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- 16 -Plntagenets. Le divorce d'Aliénor et du roi LouisVl1,prononcé à Beaugency en 1152,et son mariageavec Henri H Plantagenet en furent, on le sait, lacause.

Le gouvernement des rois Plantagenots se montrafavorable au mouvement communal en Aquitainecomme en Normandie. Dès l'an 1170, Henri II con-céda aux.habitants de la Rochelle la permissidnd'établir parmi eux !a commune jurée, afin, ditla charte, de mieux défendre leur ville et leurslibertés (4). D'autres communes furent instituéessur le modèle de celle de la Rochelle, à Saintes,à lue d'Oléron, à Saint-Jean d'kngély (2). Le roiJean sans Terre concéda également aux bourgeoisde Niort le droit de s'organiser en commune (31août 4(99) (3). La reine Aliéner suivit la mêmepolitique. Rendue à la liberté par la m n de sonépoux (4489), qui l'avait retenue dans une longuecaptivité en Angleterre pour la punir d'avoirfomentâ ta révolte de ses fils, cette princesse étaitrevenue en Poitou, oit exerça avec habileté lasouveraineté au grand profit de l'autorité de sesdeux enfants, les rois Richard Cœurde-Lior1 etJean-sans-Terre, Dès qu'elle en eut le pouvoit, en4199, elle s'empressa de confirmer les communesde la Rochelle, de Saintes, de l'île d'Oléron (41,et le roi Jean ratifia aussit6 cei actes les 44 et 25juillet (5). Elle confirma aussi la commune de Niorten 1203 (6).

(Il libido l'Ecole des chartes, 4e série, t. iv,p. 19 156.(2 Rotuli chartarum, i, P. 1,5. - Hist. des comtes,

du Poitou, par IlesIy, p. 496.— Foedera, etc., par RymerL. t, p III, 112.

(3) Rotuli chartarum i, 13, 14.(Û) beslv, P. 496. - lEst, de la Rochelle, par Arcère,

11,660 « - Rist de la Sainlonge, par Massiou, ii, 166. -Rymer, z, lii, 112. - Layettes du Tr, dosehattes, parToulet, z; 208.

(5) Rot. chart. z p. I, 5.(6) Le Trésor do Niort, par Augier do laTerraudière.

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Poitiers la vieille capitale des ducs Guillaume,ne pouvait être oubliée par leur puissante héri-tière dans cette distribution de libertés municipa-les. Ii eut été injuste et impolitique, alors que lesrois de France et n'Àngleterre. e' gagés dans unelutte implacable, s'efforçaient de se gagner à l'en-vie l'amitié du tiers étHi, db laisser plus longtempscelte ville privée dit de cette institutionsi recherchée. La révolte de 1438 était bien ou-bliée, et d'ailleurs Aliénor, quoique très jeune àcette époque, ne pouvait ignorer que l'insuI-rection avait été en partie dirigée coutre celtemême monarchie française qui menaçait de re-prendre de nouveau les provinces de l'Aquitaine.Elle conçut donc l'heureuse et politique penséede s'assurer par un insigne. bienfait la fidélité desPoitevins. Pendant son séjour à Niort, vers la finde mai 1109, la reine et duchesse octroya à laville te Poitiers une première charte contenantla confirmation dos libertés civiles dont ils étaienten possession depuis-un temps immémorial (1).Puis elle en signa une seconde beaucoup ,plus im-portante, qui l'autorisait à s'organiseren communejurée. Les détails d'organisation n'y sont 1 ointindiqués Les bourgeois Poitevins y sont seule-ment invités à s'unir, à se confédérer pour dé-fendre même par la force leurs droits et leursfranchises. Ils devront aussi outeuir, ajoute lacharte, l'autorité de la souveraine. C'était tropjuste sans aucun doute, mais on touche là dudoigt le motif un peu intéressé de la concPssior'.Néanmoins .le droit de se former 'en communeétait pour 1M citoyens de Poitiers une immensefaveur, puisqu'il leur donnait le pouvoir, de re-pousser toute agression, toute vexation, de quel-H

ist. de Niort, par Briquet. - Hist. du Poito parThibaudeau.

(1) Areb. comm. do Poitiers 1, liasse I; charte origi-pale d'Aliénor,

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que part qu'elles Vinssent, de se maintenir en paix• et de se régir librement dans leu! ville (1)..

Il serait intéressant de connaître l'organismeintérieur des premières constitutions communalescréées au Mie siècle en Poitou et en Saintonge.Elles semblent avoir pris pour modèle, notam-ment celle de Saintes, le type déjà adopté à laRochelle, cité puissante par son commerce et samarine (2). Mais on ignore la nature de ce type.Les corps municipaux lurent-ils composés, commequelques années plus tard, de cent bourgeoisprésidés par un maire électif investi de la pleinejuridiction î on ne polirait l'affirmer. Arcère lesuopose pour la Rochelle, -et le fait n'est pas loi-possible, quoiqu'il ne soit pas démontré (3). Cequ'il y a de certain, c'est que toutes ces communeseurent pour chefs , dès l'origine , des mairesannuels nommés parle roi, soit directement, soitsur la présentation des bourgeois. Si l'on en croitBouchet (Pk) et d'anciennes traditions poitevinesconsignées clans les listes chronologiques desmaires, la commune n'était alors régie que parun ma re désigné par le souverain (5). A Poitiers,Je maire lut institué aussitôt après la connessionde la commune. La charte d'Aliénor étant envi-ron de la tin de mai 1199, il est probable qu'ilentra en fonctions au mois de juin, le vendrediaprès la fête de Saint-Jean-Baptiste. Depuis tors,en effet, ce joura été invariahlèment adopté pourl'élection des maires. Il y a là une tradition cons-tante qui doit remonter à la naissance même delit

(t) Arcli. connu. de Poitiers  43, liasse 1, charte decommune donnée par Aliénor, cintenue dans un vidimusde t97,

() Voir la eantlrmation de la commune de Saintespar Aliénor, en 4199.

(3) Hist. de la Rochelle, ! 193.(A) Annales d'Aquitaine, 166.-(5) Liste des maires de Poitiers, dom F'onteneau, t, 33,

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— 19 -.Le premier maire de Poitiers, en l'an 1200, s'a p-

pelait Savari (I) C'était un familier, un officier dela cour de Jean-sans-Terre et. de la reine Aliénor.En 1199,11 exerçait l'office de malte de la mon,unie de Poitiers, que le roi Jean lui confirmait àtitre héréditaire, le 10 août, en vertu d'un acteprécédent de sa mère Aliénor 2). Savari était engrande faveur, près du roi Jean. Il assista à CD'-non aux f&es de son mariage avec la célèbre Isa-belle Taillefer d'Angouléme. Le roi lui accorda à.cette occasion. le 31 août 1200, des lettres de sat-vf

lard e et d'exemption de droits sur tous ses

biens (3). Ce serait donc pendant sa mairie, en Van1200, le 45 avril, qu'aurait eu lieu la tentative depillage des routiers anglais, r:contée par la célè-bre légende du miracle des Clefs (i). Ce fait ten-drait à démontrer que dès cette époque les mairesavaient la garde et capitainerie de la ville.

Le deuxième maire de Poitiers, successeur deSavari, on 1202, se nommait Soronet. C'était,comme son prédécesseur, un officier royal. Bour-geois de Poitiers, il y avait sa maison située ruedes Orfèvres, in vico fabrorum, aujourd'hui rueSt-Etienne (5). Son nom figure avec la qualifica-tion de maire dans plusieurs chartes de la reineAliénor (6). 0e 4488 à 1198, Soronet avait exercéles fonctions deprévôt de Montreuil-Bonnin (1).puis celtes de prévôt de Poitiers en 1200 (8). Du-

(1j ' Arcli. de la Vienne G-6, chap. de N. D., liasse 52acte de l'an 4200 Savarico majore Pictavensium.

(2) Rotuli chartarum, i, p. M; acte du 10 août 1199daté dé Rouen.. e

(3) Rot, chart. s, p. 75.(à) Mém. des Antiquaires de l'Ouest, t. iii, 209.(b) Thibaudeau, t. si, 350.(6) Besly, 497. - Bibi, de l'Ecole des chartes, Aesério,

t. iv, 338. - Arch. de la Vienne, Fontenay-le-Comte,liasse 1..

(7) Charte du roi Richard, ap. Arçh. de la Vienne E-1.(8)'Arcb, de la Vienne G8, liasse 82.

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— —rani le cours de sa mairie, en il recul du roiJean-sans-Terre, le li août, la mission de: prendrepossession des châteaux des Lusignan, Rugies leBrun et "coffrol, qui venaient d'être faits prison-iiiers au siège de Mirebeau dans leur tentative enfaveur d'Arthur (t). C'était là une grande marque.Je confiance qui prouve que les maires n'étaientpas alors seulement les représentants de la coin-mufle, mais aussi parfois les mandataires du roi.Soronet exerçait encore la mairie en lO3 (2).- La constituton communale de Poitiers, jusque-làpeu connue et probablement assez peu large, vaprendre tout à coup un ample et brillant dévelop-pement. Elle va revêtir des formes vraiment libé-rales, libellées avec soin dans des statuts, test à lamunificence du roi de France, Philippe-Auguste,que les Poilevius seront redevablcs de ce progrès.La mort de la vieille reine Aliénor, dont l'influenceet la popularité en Aquitaine étaient incontestables,priva la monarchie des Plantagenets d'un pré.cieux et dernier appui (31 mars 1204). Philippe-.Auguste, qui avait gagné à sa cause une partie desbarons et qui guettait le moment favorable, entraen Poitou e,(i204, précédé du bruit de ses con-quêtes sur Jean-sans-Terre en Normandie. Le paysn'opposa presqu'aucune résistance et Poitiè-s luiouvrit ses portes le 10 août (3). Il alla loger auPalais, comme son père k roi Louis VII. Ce qu'ilfallait avant tout eu nouveau souverain pour seconcilier les esprits, c'Ôtait un res pect religieux àl'égard des usages et des franchises anciennes dupays. Ses premiers actes prouvent bien qu'il lecomprit. Il confirma, en effet, les communes deNiort, de Saint-Jean-d'Angély et de Poitiers. Il semontra même plus généreux, puisqu'il les autorisa

(l)'Rotuli litt, patent. r, P. 46.2) Besly, M.3) Itigord,ap. Hist. le Fr. t. xvii, p. 59. - GuilI.,

Atm. ap. idem.

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— 21à se réorganiser sur le modèle des statuts de Rouenèonsidérés comme les plus parfaits (1). Une pre-mière charte, en vertu de laquelle le roi confirmepurement et simplement la commune jurée dePoitiers, reproduit presque mot à mot les deuxôhartes d'Aliénor de 1199 l ,2). Mais, à la demandedes habitants, il leur en adressa bientôt une se-conde contenant la copie des statuts de Rouenqu'il envoyà également aux villes de Saint-Jean-d'Angély et de Niori (novembre 4204) (3). C'était laforme la plus libre et la plus savante, remarque.aveclraison M. Augustin Thierry. Toutefois,![ cornmet une erreur lorsqu'il prétend qu'elle avait étéadoptée par tes villes de Poitiers et de Niort sousla domination anglo-normande, avant la conquêtefrançaise de 104 (4). Si les statuts de Rouen yeussent été déjà en vigueur, fhilippe-Auguste neleseût pas octroyés comme don do joyeuxavène-ment.

L'économie générale de la constitution com-munale de Rouen peut se résumer de la manièresuivante : Un - collège permanent de cent bourgeoisou pairs choisit chaque année dans soit sein troiscandidats parmi lesquels le roi nomme le maire.Les bourgeoisélisent aussi tous les ans douze éche-vins et douze conseillers. Le maire et les douzeéchevins se réunissent deux fois la semaine, et les

(f) Ord. des rois de France, t. xi, p. 287, août 120t. xi, 290, 1204 L. V, 671, an 4204.• (2) Ârch. comm. de Poitiers A-5, liasse 1. - Ordoun.

t. xi, 190.— D. Fonteneau, t. n, p. 189. - Thibaudeau,340.

• (3) BibI, de Poitiers, ms. 242, t. 7. - D. Fonteneau, t.XXIII, 239.— Ordona. t. v.—Le texte de cette charte dansl'édition des ordonnances est très incomplet. D. Fonte-neau et le ms. 242 la donnent en entier. La charte deStJean-d'Angdiy imprimée dans les ordonnances necontient pas aussi tous les statuts de Rouan.

(4) Histoire du Tiers-Etat, t. ii.

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-- -douze. conseillers font partie del'assembléc. Choquequinzaine a lieu la réunion générale descent pairs.Le secret des délibérations est ordonné FOUS peined'expulsion. Tout membre 'qu' n'assiste- pas aux

ssemb1ées est' passible d'uneamende variable, sui.vaut sa qualité d'échevin, de conseiller ou de pair,è moins d'avoir fait'cornaitre au maire le motifde son absence. Le maire préside et dirige les séan-ces, et si l'un des assistantsinterrompt deux foiscelui auquel la parole a été accordée ou quitte sonsiège sans permission, il est condamné à l'amendede douze deniers aU profit de la ville. Toute insultefaite en séance sera réprimée aussitôt par l'assem--bl*e, La punition du maire sen double en casd'une i nfractionquelconque.paFce qu il doit l'exem-ple à tousses collègues. La juridiction civile etcriminelle sur tous les membres de la communeappartient an maire assisté de quelques échevins,sauf dans les' cas de vol,'de meurtre et de -bles-sures, qui appartiennent aux juges royaux. Lacommune aura le droit de requérir justice des of-ficiers royaux contre un étranger qui aurait nui àl'un de âesmembres. Tontepersonne qui prétendrafaire partie de la commune jurée devra le prouverpar le térubignage de deux membres. Tout clercou chevalier qui, étant débiteur d'un membre de lacommune, reFusera d'être jugé par le maire, seraexclu de toute relation avec la commune, qui lepoursuivra jusqù'à ce que justice soit rendue aucréancier. Dans les procès entre membres de lacommune le'- témoignage des vingt-quatre échevins.ou conseillers sera reçu sans recourir au serment.Tout débiteur de n,ntaaise volonté sera chassé dela ville, et, s'il ' y rentre avant d'avoir payé, il seraemprisonné par In commune et ne sera relâché quemoyennant une amende de- centsous. Si un mem-bre de la commune, poursuivant un débiteur étran-ger devant la juridiction seigneuriatè de ce dernier,n'a pas obtenu jugement dans les trois jours de sademande, la commune fera elle-même justice. Le

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- 23 -service militaire estdù au roi par la commune,mais le maire et les éèhevins désigneront le nom-bre de citoyens réservés pour la garde de la ville.Pourêtre reçu membre de la commune, lui prêtersermentet jouirde ses libertés. il faut être présen-té et admis par lem aire et les échevins réunis enséance. Nul ne pourra résider plus d'un an et unjour dans la ville, ni jouir de ses libertés, sans sefaire Ailier à la commune. Tout parjure sera con-damné par le maire à la perte de ses biens ou à ladestruction de sa maison, et s'il ne possède rien ilquittera la ville pendart un an et un jour. Celuiqui voudra fl q plus faire partie de la commune ciiaura la liberté en le déclarant, mais il ne pourraplus y rentrer qu'après un air un jour, en seconformant de nouveau aux Formalités de récep-tion. Li garde des clefs de la ville. appartient aumaire. Toutindividu qui viendrait à quitter la gardees portes serait puni de cinq sous d'amende, Si

Un &ranger porte préjudice à un membre rie lacommune et qu'il puisse être aisi, il sera chargéle chaînes et mis en prison jusqu'à satisfactions'il ne peut être pris, la commune requerra leseigneur du coupable de rendre justice, et, si ellene peut l'obtenir, elle le fera saisir dès que cela luisera po?sible pour en tirer elle-même la satkfac-tiori voulue. Personne ne pourra retuser au mairede remplir une mission pour la commune. Si unéchevin ou conseiller venait à se laisscr corrompreà prix d'argent dans ses fonctionsdejuge de l'èche-vinage. sa maison serait détruite. Le maire jurerade ne faire aucune d'émache auprès du roi, sansl'assentiment de la commune, dans le but dtdemeurer en charge.plus d'une année. Les échevinset les conseillers jureroi't comme lui, au commen-cement de leur année d'exercice, de juger avecéquité et selon leûr conscience. Toutes lesamendes seront consacrées aux dépenses de lacommune.

Cet exposé succinct suffira sans doute pour

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faire apprécier l'étendue et l'importance des li-bertês municipales concédées la ville de Poitiers.Les bourgeois auraient pu assurément se décla-rer àjarnais satisfaits. Cependant, dix . huit ans plustard, le roi Philippe-Augtnte,par saChartedu moisde novembre 122, leur accorde pour des motifspolitiques, pro boné pacis, des avantages encoreplus considérables. Voici les dispositions les plusnotables qui modifient et augmentent les frao-chises contenues dans les statuts de 120L Toutd'abord, le choi y, du maire., des douze échevins,et des douze conseillers, est remis à l'électiondirecte et exclusive des cent bourgeois. Les élusseront uniquement tenus chaque année de prêterserment de fidélité au roi entre les mains du baillide Poitou. Exemption totale de droits de douaneest accordée aux Poitevins sur toutes leurs iar.chandises dans l'étendue des anciens domaines (lela couronne Anglo .Normande. Les citoyens • dePoitiers auront seuls le droit de trafiquer dansleur ville suries marchandises provenant des con-trées transmarines. Ils sont alfranchi g de la taille,en ce sens qu'ils ne seront tenus de la payer auroi qu'après y avoir consenti. Le maire aura seulle drbit de faite appréhender au corps les hommesde la commune, si ce n'est à l'occasion d'un descas royaux, car alors il doit aide et secours aubailli pour faire justice, même des hommes de lacommune. La juridiction complète, personnelleet réelle, appartiendra au corps municipal danstoute l'ét.sndue de la ville, excepté dans les lieuxbù existent des justices seigneuriales. Mais lebailli royal sera seul compétent pour les crimesle vol, rapt, homicide et blessure. La cominunedePoiti°i's devra au roi lis service militaire, maisseulement au delà de la Loire, et dans la mesure oùle doivent les seigneurs Poitevins à raison deleurs fiefs. Or on sait, par des documents posté-rieurs, que ce service était dû entre Loire et

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— 25 -Dordogne pOUL' la durée de quarante jours (I).

La charte royale de 1222 se termine par cesmots: Nous accordons IS présentes libertés etfranchises aux citoyens de Poitiers, tant qu'ils de-meureront fidèles à nous et à nos successeurs. Coitecondition résolutoire, presque menaçante, sex-pliqué si l'on considère l'importance des privilègesconcédés. Elle exprime admirabtetiient la penséedu pouvoir royal qui, suivant l'observation trèsjustede M. Leber, considérait dès cette époque leschartes communales comme des titres essentielle-lemeti révocables, en vertu de son droit supé-rieur et souverain (2). Mais quel pouvait Cure lemotif de ces énormes concessions, de cette indé-pendance municipale presque complète, accordéesen 1222 par Philippe-Auguste à la ville de Poitiersdéjà si favorisée en 1204 ? Le roi semble avoir euenvue, d'une part, de récompenser cette ville desa fidélité constante à la cause française depuis1204, d'autre part de se l'attacher plus fortementencore dans la crise nui se préparait et dont tedénouement devait être la conquête définitive duPoilou en 1224. Poitiers, situé alors sur l'xtrémefrontière des possessions françaises, avait à se dé-fendre non seulement contre Ihotilité des sei-gneurs féodaux, et notamment de ses redoutiblesvoisiusles Lusignan, tourà tour ftançasou anglaisiuivantleurs intérêts; mais il avait en même tempsà se prémunir contre les intrigues du parti an-

àlais dont le principal adhérent, Philippe, doyene la cathédrale, avait été évincé de l'év&hé en

1216 pi' le candidat français (3). Des tiraille-

(t) Arch comm. de Poitiers k- i'

liasse I. - Layettesduirésor descbartes,i, ffl. - 0rdonnances, t. xii, 30*.Thibaudeau, t, ni, 314.• (2) Hist. du pouvoir municipal, par Lober, p. 373.

(3) Voir l'introduction au terrier du grand flotfluais, par M. Bardonnet, dans -les mémoires dos Àntiq.de l'Ouest, t. sxxvni, IWU.

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meula intérieurs, des réclamations pressantes, desviolences extérieures, analogues à celles dont lesbourgeois déNiort étaient alors victimes de la partdes seigneurs voisins (1). ont•dû solliciter l'atLen-'tion, déterminer la décision de Philippe-Auguste.Voilà sans cloute les causes déterminantes qu'ilfaut deviner dans ces mots du début de la charteroyale, pro bonopact, qu'on ne saurait inttr.préteraurenient. Au surplus, l'alliance intime qui s'éta-blissait partout entre la roy6ùté et Le tiers état, enface d'un- féodalité hostile et turbulente, était tel-lement natureUe, tellement nécessaire et indiquée'par la situation politique de la société, qu'il n'y apas à s'étonner des faveurà municipales concé-dé p s aux Poitevins par Philip&Augiiste. Les inté-réts étaient identiques, et, malgré la prévision d'unretrait possible des libertés de la ville exprimée àla fin de l'acte, le roi n'en était pas mons assuréd'avance de sa fidélité.

La constitution communale de Poitiers est désôr-niais fixée, complète, définitive. Li charte de I22eu est le digue et heureux couronnement. Mainte-nant elle va fonctionner avec régularité. Elle nesubira pendant plusieurs siècles que d'insignifian-tes modifications intérieures. Son mécanisme sage-ment combiné , tout en donnant satisfaction ttoutes les classes et professions, n'ouvrira l'accèsdes premières charges qu'aux hommts expérimen-tés. Sous sonégide, et grâce aux franchises com-merciales qu'elle contient , vont s'organiser lescorporàions d'arts et métiers, si nombreuses, siflorissantes à Potiers, au Mlle siècle, Elevée àcette école éminemment pratique et insiructived'une administration municipale presqu'indépen-dante où elle est la première intéressée, la bour-geoisie va grandir en influence, en richesses enexpérience. Elle pénétrera dans toutes les fonctionsciviles et judiciaires. La royauté l'admettra dans

(1) Introd. au terrier du grand fief d'Aunis, etc...

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-17 -ses conseils et en recevra un puissant secours pourla formation de l'unité nationale. Plus tard auxXVIIe et XVlIIe siècles, à Poitiers comme partout,les privilèges communaux peu à peu minés, d'a-bord sournôisement.puis ouvertement par les pro-grès-du pouvoir royal et de la centralisationadministrative, diminueront, s'affaibliront et tom-beront presqu' sans bruit. Cnose aussi notable quesingulière, suivant l'observation si vraie de M.Guizot, ce sont les bourgrois entrés au service desrois qui ont surtout contribué à ladestructiori deslibertés communales si chères à leurs ancêtres (I).Les &bus aussi, celte lèpre inévitable de toutes lesinstitutions humaines, n'ont pas été étrangers àleur chute.

Malgré tout, les communes jurées ont eu unelongue et glorieuse existence. Elles ont été uninstrument puissant d'affranchissement et debonheur pour les peuples. Elles ont occupé uneplace considérable dans la société du Moyen-Age.Qu'en reste-t-il aujourd'hui? Des souvenirs quipourtant n'ont pas tout à fait perdu leur vieillepopularité. La ville de Poitiers en élevant cesplendide Hôtel-de-Ville que nos échevins si éco-nomes du Moyen-Age n'auraient jamais consentià construire, a eu la patriotique pensée d'y placerl'image de la première fondatrice de ta commune.Le vitrail de la principale fenêtre de la grandesalle représente Aliénor d'Aquitaine remettant engrande solennité la charte de commune aux bour-geois poitevins assemblés. Près d'elle, un moine,son secrétaire, est assis à une table. Au bout de laTue bordée de maison$ à pignons aigus où la fouleest réunie, or. aperçoit L'fglise Noite . øam-la-Grande. Le dessin et les couleurs de ce vitrailsont irréprochables. Il produit un grand effet.Malheureusement, malgré ses qualités artistiques,

(1) Hist. de la civilisation én-France, t. iv,

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il reproduit d'une manière tout à fait fausse lesouvenir historique que son auteur & eu la pré-tention d'évoquer. Défaut grave dans la circons-tance, qui eût été évité sans peine si le peintre etl'architecte eussent daigné consulter les archéo-logues et es historit'ns. Examinons plutôt. Lestraits et la pose d'Aliéner dénotent une jeune etjolie lemme. Or, en 1109, lors de la création dela commune, elle était octogénaire. L'église deNotre-Dame €e trouve là parfaitenïerg déplacée,puisque !a Charte n été signée à Niort. Sa remisesoleniie!le aux bourgeois est égsleinent contraireaux données de l'histoire. Le personnage, sansdoute le Maire, qui, dans le v itrail. lareçoit desmains royales, est vêtu d'un grossier tablier depeau qui n'était tointévidemmeut le costume véri-table du notable quelconque, peut-être Savari, quiexerça le premier les tonction q de maire. L'artiste,auteur (lu vitrail de l'Hôtel-de-Ville, se fût bienmieux conformé aux données historiques connues,s'il eût représenté Aliénor sois les traits de lacélèbre statue de son tombeau à Fontevranit ets'il l'eût plaee dans une des grandes salles dubeau donjon de Niort, debout ou as•ise au milieudei chevaliers et officiers de sa cour, tenant laCharte À la main. Il eût été juste en outre decompléter ces Souvenirs, en plaçant dans une desfenêtres de la grande salle, où sont reintes d'ail-leurs avec beaucoup d'à-propos les armoiries desanciens maire;, le 'portrait du roi Philippe-Au-guste, auqu. I Puitiers fut redevable te ses plusgrandes libertés municipales.

Laissons maiitenant le brillant Hôtel-de-Ville duXIXe siècle où k souvenir de l'antqueet populaireconstitution communale n'est pas tout à tait perdu,nous le constatons avec joie. Revenons dans cesombre bâtiment consacré si longtemps aux réu-nionsde nos rudes échevins du Moyen-Age, devenuaujourd'hui le paisible asile des antiquaires. S'ile.At pour jamais abandonné par les administrateurs

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de la cité, Irs traditions de leurs prédécesseurs ysont du moins conservées et étudiées comme ellesle méritent. Là, dans les régions sereines de l'éru.dition d'où les préoccupations extérieures sontabsentes, nous pouvons nous livret àce travailattrayant et en exposer le résultat aux auditeursaussi nombreux que distingués qui chaquM annéetémoignePt par leur piésence la sympathie qu'ilsportent à notre compagnie. Nous nous estimeronsheureux, messieurs, si ce tableau d'événementslointains, mais d'un intérêt tout local et tout pa-triotique, s pu conquérir vos suffrages. Ce serapour nous une douce récompense et un précieuxencouragement.t.

I'ortIEits. - TYP, OtllJlN,

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