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SOCIOLOGIE DU GENRE 12/12/2012 SUJET D’ETUDE : L’appréhension du genre dans les crèches à travers les relations entre le personnel spécialisé et les enfants. GROUPE : Manon JULLIEN, Gaston LAVAL, François MERESSE, Hélène TERZIAN 1

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SOCIOLOGIE DU GENRE 12/12/2012

SUJET D’ETUDE : L’appréhension du genre dans les crèches à travers les relations entre le personnel spécialisé et les enfants.

GROUPE : Manon JULLIEN, Gaston LAVAL, François MERESSE, Hélène TERZIAN

1

Le titre est même plus précis et traite du genre À la crèche (ou dans la crèche)
Jolie couverture qui donne envié de vous lire

Sommaire

Sommaire ................................................................................................................................ 2

2

Où est- il ce sommaire ?

SYNTHÈSE DE DEUX CHAPITRES

D’OUVRAGES

3

Très bon travail de lecture. La présentation est claire, rigoureuse, les textes s'éclairent l'un l'autre, sans jamais s'éloigner du sujet que vous avez défini. Le style est fluide. Bravo!
9/10
Le plan fonctionne bien

Introduction

Nous avons choisi de réaliser une enquête afin de comprendre le rôle des Educateurs de Jeunes

Enfants dans le processus d’apprentissage du genre dans les premiers mois de la vie des enfants. Pour

cela nous nous sommes appuyés sur deux ouvrages offrant une appréhension différente de la question :

d’abord le recueil d’articles intitulé La petite enfance, entre familles et crèches, entre sexe et genre

ordonné par N. Coulon et G. Cresson dans lequel nous nous centrerons exclusivement sur le chapitre

intitulé « Indicible mais omniprésent : le genre dans les lieux d’accueil de la petite enfance ».

L’autre chapitre est extrait de l’ouvrage collectif intitulé L’inversion du genre. Quand les métiers

masculins se conjuguent au féminin ... et réciproquement paru aux Presses Universitaires de Rennes et

plus particulièrement au chapitre écrit par le psychopédagogue N. Murcier « Petite enfance et rapports

sociaux de sexe : la formation de professionnel(le)s de la petite enfance, idéologies et représentations

sociales ».

La formation différente entre G. Cresson, sociologue de formation et N. Murcier, psychopédagogue

spécialiste en sciences de l’éducation, permet d’étudier la question sous un angle différent ce qui nous

a permis d’enrichir notre analyse mais aussi nos questionnaires d’entretien et d’aiguiser notre regard

au moment de observations sur le terrain.

Il convient de comprendre grâce à ces deux ouvrages comment se pose la question du genre dans les

lieux d’accueil de la petite enfance à travers la formation reçue par le personnel, la constitution des

équipes d’accueil, les activités proposées aux enfants etc.

Finalement on peut se poser de façon plus générale l’interrogation suivante : quel apprentissage du

genre est délivré aux jeunes enfants dans les crèches ?

Pour y répondre il convient de s’arrêter d’abord sur la constitution des éducateurs travaillant en

crèche avant d’analyser que celle-ci peut parfois être le vecteur de diffusion de stéréotypes encore très

marqués auprès des enfants.

I. Les Educateurs de Jeunes Enfants (EJE) : un monde de femmes

4

Les rapports sociaux de sexe s’expriment dans tous les secteurs de la société, et la petite enfance ne

fait pas exception, au contraire, elle serait le moment le plus déterminant selon G. Cresson de

l’apprentissage du genre. C’est dans les premières années de la vie de l’enfant que les représentations

en terme de genre vont être déterminantes puisqu’elles vont conditionner les comportements futurs de

l’enfant. Pourtant dès l’entrée dans une crèche une observation est frappante : le personnel est presque

toujours essentiellement constitué de femmes.

Chiffres à l’appui G. Cresson montre ainsi que le secteur de la petite enfance emploie presque

exclusivement des femmes : 99,5% des puéricultrices et 98,5% des assistantes maternelles sont des

femmes. Pourtant, N. Murcier insiste sur la multiplication des politiques au niveau européen et

français afin de promouvoir l’égalité professionnelle entre hommes et femmes et la lutte contre les

stéréotypes. Malheureusement il note que ces politiques consistent le plus souvent à faciliter l’accès

des femmes à des métiers masculins tandis qu’à l’inverse on ne pense que peu ou pas du tout

l’intégration des hommes dans des métiers traditionnellement considérés comme féminins. Cela vaut

pour les métiers de la petite enfance dans lesquels les hommes restent très largement minoritaires.

Dans son étude G. Cresson cherche à comprendre par un détour historique ce qui a pu mener à cette

situation de « monopole féminin » et pour cela cite les travaux de C. Bouve qui explique qu’au

XIXème siècle le travail en crèche était encore interdit aux hommes. Aujourd’hui encore il existerait

une suspicion ancrée dans les représentations collective à l’égard du désir des hommes de travailler

avec de jeunes enfants. Cela mène à des discours contradictoires sur l’absence des hommes en crèche.

D’une part on développe des propos sur la nécessité de faire venir les hommes dans les crèches avec

l’idée qu’ils pourraient apporter notamment leurs qualités propres, au premier rang desquelles,

l’autorité et la bonne gestion d’équipe. G. Cresson explique que beaucoup de professionnelles qu’elle

interroge verraient notamment là une présence bénéfique pour les petits garçons élevés « sans père ».

D’autre part, à l’opposé, subsistent des méfiances et des stéréotypes comme l’idée d’une maladresse

naturelle de l’homme face aux bébés ou pire un risque de pédophilie. G. Cresson montre bien

comment ces discours tendent à réduire l’homme à sa virilité, les excluant de fait nécessairement de

ces emplois féminins.

Ces observations de G. Cresson sur le personnel de crèche peuvent de ce point de vue être enrichies

par l’analyse de N. Murcier sur le recrutement des hommes dans la formation d’Educateurs de Jeunes

Enfants. Dans son enquête N. Murcier interroge les professionnelles de quatre centres de formation

d’Île-de-France et réalise des entretiens avec dix garçons et dix filles qui suivaient alors la formation.

Il note lui aussi une profonde contradiction entre l’idéalisation de la présence masculine dans les

crèches et la réalité de l’arrivée de ces hommes dans ces métiers qui demeure très marginale. Pire

encore il note que pour beaucoup de praticiennes interrogées cette présence de l’homme dans les

5

Paradoxe bien souligné

institutions de la petite enfance ne va pas de soi. Les jeunes hommes qu’il interroge affirment

d’ailleurs le plus souvent qu’au moment de l’entretien permettant d’intégrer la formation d’EJE il leur

faut être plus clair sur leur projet professionnel et sur leurs motivations, comme si finalement ils

avaient besoin de justifier plus que les femmes ce désir de travailler en crèche. N. Murcier note même

que la plupart de ces jeunes hommes, et même certaines jeunes femmes, affirment que la formation est

parfois plus difficile à intégrer pour les hommes. Il montre que les qualités attendues se réfèrent à des

aptitudes que les filles ont pu plus facilement développé du fait de leur socialisation. L’auteur fait donc

le constat d’une possible discrimination des hommes au sein des formations des Educateurs de Jeunes

Enfants.

La quasi absence des hommes dans les lieux d’accueil de la petite enfance s’explique donc en amont

par leur faible représentation dans les parcours de formation et par une orientation différenciée au

moment de leur adolescence en fonction des sexes. Il subsiste des stéréotypes selon lesquels

finalement une femme s’émancipe en adoptant les modèles masculins tandis qu’au contraire un

homme se déviriliserait en adoptant les modèles féminins. Du fait de cette hiérarchie des sexes

profondément ancrée dans la société la masculinisation d’un métier féminin n’est pas un phénomène

symétrique à la féminisation des métiers masculins.

Partant de ce constat d’une très faible présence des hommes dans la formation d’Educateurs de

Jeunes Enfants et donc également dans les crèches il convient de s’interroger, en s’appuyant sur ces

travaux, sur les conséquences quant à l’appréhension de la question de genre dans la formation mais

surtout dans les rapports entretenus avec les enfants au sein des crèches.

II. Une formation « matrifocalisée » qui limite l’appréhension du genre

chez les jeunes enfants

G. Cresson fait rapidement le constat lors des ses observations en crèche d’une faible ouverture à la

question du genre dans les pratiques quotidiennes des EJE. Pour comprendre cela il faut selon elle

explorer la façon dont ces professionnel-les sont formés pendant leurs études. C’est le contenu des

études qui explique ce manque manifeste d’intérêt pour le thème des différences sexuées très présentes

en crèche mais relativement peu discutées. Le personnel de crèche ne s’embarrasserait le plus souvent

pas de justification pour des phénomènes qui semblent aller de soi et notamment en ce qui concerne la

paternité. En effet la sociologue montre, en s’appuyant sur les travaux de S. Delforge, que l’on tend à

définir la mère essentiellement par sa maternité tandis que le père aurait le choix de s’investir plus ou

6

Bonne transition

moins fortement dans ses responsabilités éducatives. Il ressort des pratiques dans les crèches l’idée

d’un lien naturel entre la mère et l’enfant. A cet égard nous mêmes avons été surpris au cours de nos

recherches par ce constat assez révélateur de l’existence dans le dictionnaire du terme « materner »

tandis que le terme « paterner » n’est toujours pas entré dans la langue française. Cette observation est

assez révélatrice de cette opposition systématique largement répandue dans la société et que révèle G.

Cresson entre les fonctions symboliques (socialisation, sexuation et autorité) attachées au père et les

fonctions de maternage (sécurité affective, soin au quotidien) attachées à la mère.

Ce constat est celui même que développe N. Murcier lorsqu’il décrit la formation reçue par les EJE

comme un enseignement extrêmement « matrifocalisé ». L’auteur montre que l’enseignement s’appuie

sur une alternance entre théorie à l’école et pratique à travers différents stages dans lesquels les élèves

révèlent qu’il est difficile de réfléchir sur le terrain en terme de domination et de pouvoir ou difficile

de déconstruire certains stéréotypes parce que cela n’est pas forcément fait dans la formation. N.

Murcier reprend l’analyse de Daniel Verba et fait lui aussi le constat de la prédominance de références

d’auteurs du champ psychanalytique. Les auteurs les plus cités par les étudiants interrogés sont ainsi F.

Dolto, D. Winnicott ou encore R. Spitz qui travaillent essentiellement sur la relation entre la mère et

l’enfant. Ces discours tendent à diffuser notamment l’idée selon laquelle les dysfonctionnements que

l’on peut observer chez l’enfant proviendraient de carences chez la mère. N. Murcier explique que la

relation du père avec l’enfant a été occulté jusque très récemment dans la littérature psychanalytique et

reste aujourd’hui encore l’idée très prégnante selon laquelle un enfant n’est jamais mieux qu’avec sa

mère.

Nicolas Murcier montre que les centres de formations tendent à diffuser des idéologies comme celle

de la prédominance de la mère, ces élaborations théoriques constituent pour lui « des sortes de

dogmes, de croyances imposées comme des vérités incontournables » (Sellenet, 2005). Après avoir

observer quelques mémoires d’élèves en fin de formation il fait état de ces références permanentes à

ces auteurs du champ psychanalytique avec une concentration de la réflexion autour de la relation

entre la mère et l’enfant. Il extrait ainsi d’un mémoire la citation suivante assez révélatrice du contenu

de l’idéologie délivrée dans ces formations : « C’est la mère qui garantit un bon développement de

l’enfant dans ses premiers mois de vie. Elle est sans aucun doute la personne la plus adaptée pour cela

à condition qu’elle aille bien », ou encore « il est évident que la relation maternelle est unique et

irremplaçable » (extraits de mémoire d’EJE session de 2004).

De même N. Murcier note dans l’un des centres de formation que les étudiants reçoivent une

formation de 3h sur la paternité, soit à peine 0,25% du volume horaire total de la formation théorique.

7

Il apparaît donc clairement dans l’analyse des projets éducatifs que les mutations sociales en cours

depuis quelques décennies dans l’institution familiale ne sont pas prises en compte : féminisation du

travail social, rapport de l’homme à l’enfant etc.

Finalement ce constat de la prédominance de la dyade mère/enfant par N. Murcier au sein de

formations permet de comprendre ce que G. Cresson observe au sein même des crèches, c’est à dire

l’enfermement de la femme dans sa maternité qui serait imposée alors que la paternité resterait pour

l’homme une alternative pour laquelle il peut opter ou non.

Il est nécessaire de comprendre maintenant les conséquences de telles perceptions sur les pratiques

concrètes réalisées quotidiennement par les EJE avec les enfants.

III. La crèche : un lieu de diffusion de certains stéréotypes

Nous l’avons dit, les stéréotypes entretenus dans la formation des éducateurs tendent à ne pas être

remis en cause au moment de la pratique avec les enfants mais, pire encore, ils mènent parfois à des

pratiques stéréotypées auprès des enfants conditionnant ainsi leur apprentissage du genre en perpétuant

ces représentations inégalitaires.

De ce point de vue G. Cresson analyse le lieu même de la crèche, dans sa dimension matérielle,

comme un lieu susceptible de diffuser des stéréotypes. Cela est le cas dans le choix des livres proposés

aux enfants. La sociologue cite ici l’enquête menée par Carole Brugeilles et Sylvie Cromer en 2002

qui avaient dépouillé un corpus de 537 albums pour enfants en bas âge et avaient montré une

surreprésentation masculine et une forte hiérarchisation des sexes. G. Cresson note que les livres pour

enfant des crèches qu’elle observe sont très traditionnels, la famille y est très présente et le père est

toujours représenté comme l’autorité tandis que la mère est plutôt vue comme le personnage qui

apporte de l’affection aux enfants et qui s’occupe de l’entretien du ménage. Dans le choix même de

ces livres la question de l’identité et des rôles sexués n’est jamais interrogée comme critère de choix

par les professionnelles qui mettent plutôt en avant les thématiques du livre (acquisition de la propreté,

de la motricité etc). Du point de vue des jeux les professionnelles affirment mettre tous les jeux à

disposition de tous les enfants mais la sociologue note, et c’est très important, que l’accessibilité n’est

pas forcément la garantie d’un usage semblable. Ce point sera vérifier dans notre étude notamment

8

Encore une fois transition TB ménagée

dans la comparaison des pratiques offertes aux enfants dans la crèche de l’Université Paris Dauphine

par rapport à celles de la crèche Bourdarias.

Finalement dans les entretiens réalisés par G. Cresson il ressort que d’après les professionnelles les

différences entre filles et garçons interviennent après l’âge de la crèche et que les tout petits sont

réputés pour avoir les mêmes besoins indépendamment de leur sexe. Il y a une tendance chez les EJE à

penser parfois que la question du genre n’est pas pertinente au sein de la crèche pourtant la sociologue

révèle des situations qui mettent à mal ces affirmations comme notamment le cas d’une directrice de

crèche qui explique que pour le Noel des enfants les garçons ont reçu un camion tandis que les filles

ont reçu un poupon.

Les stéréotypes sont finalement diffusés le plus souvent de façon inconsciente, à travers la façon de

regarder un enfant par exemple qui est nourrie des représentations sociales liées au genre. « La

préoccupation pour la motricité d’un petit garçon et tout aussi précoce que pour l’admiration de la

beauté des filles » observe ainsi la sociologue. Les circonstances exceptionnelles et festives est sont

souvent le théâtre d’un redoublement de ces différences faites en crèche. Un jour de carnaval on repère

ainsi très nettement la récurrence des stéréotypes de sexe avec des petites filles massivement en «

ange » ou « princesse ». G. Cresson à l’occasion d’une de ces fêtes observe la réaction très explicite

d’une EJE qui, s’adressant à un petit garçon voulant mettre une couronne de princesse, déclare « ce

n’est pas pour les garçons ». Finalement pour les petits dont l’identité de sexe est moins assurée et

évidente le Carnaval devient l’occasion d’une affirmation redoublée de l’appartenance de sexe ou de

genre et apparaît comme un véritable rite d’institution.

L’organisation des activités est aussi un révélateur des différences inconscientes faites en garçons et

filles par les pratiques professionnelles. De ce point de vue G. Cresson observe par exemple une

tendance des EJE à tempérer les jeunes filles lorsqu’elles prennent « trop de place » au détriment des

autres enfants. Pire encore les EJE organisent parfois une véritable division sexuée des activités en

organisant des moments lectures plus longs pour les garçons ou en séparant filles et garçons à la

cantine. Cette intervention des professionnelles conduit indéniablement à une homosociabilité future

des enfants qui accentue plus encore les inégalités entre les sexes.

N. Murcier observe pourtant un désir des étudiants, filles comme garçons, de parler et d’étudier plus

en profondeur la question de la paternité. On peut légitimement penser que, selon lui, cela permettrait

de réduire l’appréhension sexuellement différenciée des petites filles et des petits garçons en crèche

dont nous venons de citer de multiples observations chez G. Cresson. Il explique que les futurs EJE

sont amenés au cours de leur formation à rencontre des mères car selon les formatrices ce sont elles

qui sont amenées à conduire leurs enfants à la crèche. Il y a donc une exclusion d’entrée du père mais

9

D'où leur grande efficacité sociale...
Alors que la vocation du carnaval est la subversion des normes et des valeurs quand elles sont acquises...

surtout il y a un accueil des parents pensés de fait seulement sous le regard de la mère. N. Murcier

rappelle le rôle déterminant des institutions de la petite enfance dans la perpétuation du partage inégal

des taches entres hommes et femmes. La formation matrifocalisée conduiraient les EJE à mener une

éducation différenciée au sein des crèches ce qui aurait pour conséquence de perpétuer les inégalités

entre hommes et femmes. Il explique qu’en accordant une place plus déterminante à la paternité dans

la formation cela pourrait mener à changer les représentations des éducateurs des jeunes enfants

restées très traditionnelles et à appréhender les nouvelles mutations sociales de l’institution familiale.

Conclusion

La question du genre se pose donc en crèche de façon à la fois forte et discrète. Le monopole des

femmes sur ces emplois est le résultat d’une formation au cœur de laquelle les hommes sont encore

largement marginaux et marginalisés. Par conséquent N. Murcier montre que cette formation reste

encore marquée par de nombreux stéréotypes de genre et G. Cresson observe sur le terrain les

conséquences d’une telle formation matricentrée sur les pratiques quotidiennes en crèche :

euphémisation ou naturalisation des caractéristiques associées au féminin et grande valorisation de

celles accordées au masculin. Il semblerait que les petites filles soient en effet moins encouragées dans

les activités collectives mais par contre leur apparence est davantage l’objet de l’attention des adultes.

Les préoccupations pour les capacités physiques sont plus prononcées quand il s’agit des garçons.

Si ces différences produites par les formateurs sont avérées, elles ne sont cependant pas le fruit de

comportements volontaires et conscients de la part des Educateurs de Jeunes Enfants. Du fait de la

formation qu’ils ont reçu qui n’interrogeait que très peu la question du genre ces adultes n’imaginent

même pas que celle-ci puisse se poser dès l’âge de la crèche. Finalement grâce à l’étude de ces deux

ouvrages on réalise que le décalage entre les propos tenus (certifie une indifférence au genre dans la

petite enfance) et les pratiques observées nettement dépendantes du genre est révélateur de la difficulté

à appréhender ces questions, de la ténacité des préjugées et de la persistance des rapports sociaux de

sexe qui se reproduisent. L’ancrage dans une sorte d’« habitus » professionnel de ces préjugés les rend

d’autant plus difficiles à combattre.

De ce point de vue notre étude comparative réalisée entre une crèche classique et une crèche non-

genrée pourra apporter des éléments de réponse à cette question de l’appréhension du genre dans les

crèches et la difficulté notamment pour les EJE à prendre conscience du caractère parfois stéréotypé de

leurs pratiques avec les enfants.

10

REVUE DE PRESSE

- DEGUEN Florence, « A bas le sexisme… à la crèche ! », in Le Parisien, publié le 7 septembre

2012, [en ligne] < http://www.leparisien.fr/laparisienne/societe/a-bas-le-sexisme-a-la-creche-07-09-

2012-2154411.php>, page consultée le 5 décembre 2012.

- KERCHOUCHE Dalila, « EXIT les baby machos », in Madame le Figaro, publié le 10

septembre 2012, [en ligne] <http://madame.lefigaro.fr/societe/exit-baby-machos-110912-279062>,

page consultée le 5 décembre 2012.

- MAUGER Léna, « Immersion dans une crèche anti-sexiste », in ELLE, publié le 9 décembre

2011, [en ligne] <http://www.elle.fr/Maman/Mon-bebe/Questions-psy/Immersion-dans-une-creche-

anti-sexiste-1831016>, page consultée le 5 décembre 2012.

- MURCIER Nicolas, « La réalité de l’égalité entre les sexes à l’épreuve de la garde des jeunes

enfants », in Observatoire des inégalités, publié le 9 mars 2007, [en ligne]

<http://www.inegalites.fr/spip.php?article642&id_mot=27>, page consultée le 5 décembre 2012.

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Très bon choix. Corpus varié
Là encore le plan fonctionne bien, même si l'on est parfois un peu perdu dans vos passages d'un article à un autre. Bon travail ici aussi, bien articulé avec l'ensemble.
8/10

Introduction

Les quatre articles que nous avons sélectionnés s’articulent autour de la thématique du « sexisme à la

crèche » et aux moyens d’y remédier. C’est d’ailleurs le titre que Florence Deguen a donné à son

papier paru dans Le Parisien le 7 septembre 2012 à propos de la crèche Bourdarias de St Ouen en

Seine-St-Denis. Plus descriptif qu’analytique, il relate du projet éducatif de cette crèche particulière

qui a par ailleurs été la première à faire l’objet d’une visite officielle de ministres à savoir la ministre

des Droits des Femmes et Porte-parole du Gouvernement Najat Vallaud-Berlkacem et Dominique

Bertinotti ministre déléguée à la Famille. C’est à cette occasion que l’article a été écrit, tout comme

celui de Dalila Kerchouche, « Exit les bébés machos » paru trois jours plus tard dans Madame le

Figaro. La crèche Bourdarias est également l’objet d’ « immersion dans une crèche antisexiste »,

article de Léna Mauger paru le 9 décembre 2011 dans le magazine Elle.

I. La relation du personnel avec les enfants

Les articles de Elle et du Parisien insistent sur une dimension particulière de la crèche à savoir son «

inspiration suédoise », ce dernier y consacre même un encadré en conclusion. « Le pays de la parité »

(Mauger) a « directement inspiré » le projet éducatif de la crèche Bourdarias selon Deguen. Elle

rappelle d’ailleurs qu’avec la coopération et la participation financière du Conseil Général de Seine-St-

Denis des intervenants suédois sont venus faire des formations à plusieurs reprises au personnel de la

crèche audonienne et qu’à partir de cette expérience le personnel a pu constater que même sans le

savoir, il véhiculait les stéréotypes d’une société sexiste.

C’est ce point précis qui est au centre du quatrième article que nous avons choisit à savoir « La

réalité de l’égalité entre les sexes à l’épreuve de la garde des jeunes enfants » de Nicolas Murcier

datant du 9 mars 2007. Il énonce très clairement dès le début de son article la problématique de la

perception de la « socialisation différenciée » par les professionnel-les, dont ils et elles n’ont en

général pas conscience. C’est d’ailleurs ce que dit clairement « Béatrice, trente-cinq ans de carrière, «

on pensait ne faire aucune différence et on se voyait […] agir distinctement avec les uns et les autres »

» que ce soit à l’accueil des enfants, pendant la journée au cours des activités ou au moment du départ.

A préciser que la question du rôle et de la relation avec les parents sera abordée ultérieurement.

12

Bonne contextualisation

Mais en connaissance de ses difficultés et pour les combattre, l’équipe essaye de permettre aux

enfants de se développer sans appréhension, stigmatisation, sexualisation parce que c’est « entre 0 et 6

ans [que] les enfants intègrent des valeurs, des habitudes… » (Mauger). Geneviève Cresson et

Nathalie Coulon rejoignent ici Nicolas Murcier qui, sans le dire explicitement, fait comprendre au

travers de son texte que beaucoup se joue au moment de la petite enfance et qu’il ne faut en aucun cas

négliger cette période de la vie, de « socialisation primaire » (Mauger).

II. Les rôles des parents et du personnel

Murcier le décrit très bien dans son article, la cellule familiale constitue l’élément principal de la

socialisation primaire aussi il ne faut surtout pas négliger l’importance de celle-ci dans l’apprentissage

et la transmission des normes de genre aux jeunes enfants. Que la crèche porte ou non un projet

éducatif visant à remettre en cause les différenciations entre les sexes, si les comportements ne vont

pas dans la même direction à la maison, cela devient difficile voire impossible pour l’enfant de ne pas

s’imprégner de ces normes. Comme le relate l’article de Florence Deguen au travers de l’exemple

d’Arnaud dont le fils est à la crèche Bourdarias : « On ne voyait pas bien ce que le sexisme avait à

voir avec des petits bouts de moins de 3 ans. Et puis, on s’est rendu compte que nous-mêmes on

perpétuait plein de clichés. Notre Adrien était un gars, un grand, un costaud. Jamais on ne lui aurait

dit : T’es mignon…».

Bien qu’il serait intéressant et tout à fait légitime de continuer sur le rôle stricto sensu des parents et

de la cellule familiale, notre sujet porte sur les crèches, les "personnages (adultes) principaux" de notre

analyse sont donc les personnels de ces crèches. Et c’est d’ailleurs sur eux que Murcier centre son

article.

Pour ne pas nous déconnecter des parents si brusquement, autant parler de la relation entre ces

derniers et le personnel. Celui-ci a généralement des attentes quant aux rôles des parents comme le

rappelle Murcier, en se basant sur les travaux de Thierry Blöss et Sophie Odena, via la survalorisation

des mères qui sont les personnes attendues le matin et le soir pour amener et venir chercher les enfants,

les personnes auxquelles l’on fait référence si « le père fréquente la structure d’accueil ». Il va jusqu’à

appeler une des parties de son article « L’idéologie de la primauté maternelle portée par les

professionnelles » pour bien signifier que celles-ci, consciemment ou pas, contribuent à la perpétuation

de ce que Murcier appelle « la partition traditionnelle des rôles parentaux ». A tel point qu’au travers

des différents qu’il dit avoir mené il comprend un dénigrement par les personnels de l’institution dans

laquelle ils travaillent comme étant de seconde zone parce qu’éloignée de la figure maternelle.

13

La profession d’Educateur de Jeunes Enfants (EJE) peut donc être auto-dévalorisée, et ce n’est pas

sans conséquence sur la profession. Après la mise à distance des hommes par soupçon, par potentiel

risque de pédophilie, Murcier montre l’importance du matricentrisme chez les personnels d’où selon

lui la nécessaire remise à plat des formations des EJE. Aussi la présence de David dans la crèche

Bourdarias est particulière non seulement parce que « c’est rare, un homme en crèche » comme il le dit

lui-même, mais dans ce projet précis « c’était important qu[’il] ne soit pas porté que par des femmes »

à tel point que selon Deguen « sa présence a balayé les derniers doutes parentaux ». La mixité serait

donc aussi importante entre les enfants dans leurs activités que dans le personnel.

III. L’importance des pouvoirs publics

C’est à l’occasion de la visite ministérielle officielle de septembre que les articles du Parisien et de

Madame le Figaro ont été écrits, faisant apparaître la question des pouvoirs publics comme centrale.

En effet, la création par François Hollande d’un véritable Ministère des Droit des Femmes est un

symbole fort en vue de l’égalité ou du moins de la lutte contre les inégalités. La visite d’une crèche qui

promeut le combat contre les inégalités de genre dès la petite enfance dans son projet éducatif était

donc un symbole fort.

Mais plus que le symbole, le sociologue Nicolas Murcier va argumenter sur des questions sur

lesquelles les pouvoirs publics peuvent agir telles que les congés parentaux où les allocations

familiales… Le premier point qu’il aborde est celui de la « nécessaire modification de la formation des

professionnel-le-s de la petite enfance » pour contrer le matricentrisme évoqué précédemment. Il parle

ensuite de l’importance du développement « des politiques d’égalité femmes/hommes efficientes » qui

dépassent les simples « engagements de principe ». Ceci devant se faire selon lui par la revalorisation

des politiques familiales (APE, PAJE, complément de libre choix d’activité, congé parental

d’éducation…) permettant aux parents, et notamment aux hommes, de placer leurs enfants en crèche

quand les deux travaillent plutôt qu’un système de garde ceci cumulé par la faiblesse des « taux

d’indemnisation qui ne permettent pas de pallier la cessation totale ou partielle de l’activité

professionnelle ». Une des problématiques majeures est celle de l’inadéquation « entre les offres et les

demandes de places en structure d’accueil » d’où sa proposition de « développer une offre publique de

garde » même si la problématique de la précarisation à outrance des femmes reste la contrainte

majeure de la structure du marché du travail française parce qu’influent sur l’adéquation entre vie

professionnelle et vie familiale.

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Oui lien ici entre politique familiale et politique d'emploi

En suivant les explications, analyses et recommandations de Nicolas Murcier, il apparaît clairement

que c’est tout un fonctionnement institutionnel, tout un système de valeurs qui est à changer parce que

tout est lié autour de la question de la petite enfance : formation des professionnels, capacité d’accueil,

besoin des parents, emplois de ces derniers et égalité entre eux dans ce domaine, lutte contre les

discriminations de genre par toutes les sphères (publiques et privées, sociales et économiques,

familiales et socialisantes).

Si ces articles nous ont permis de prendre connaissance de l’existence de la crèche Bourdarias où

nous avons eu la chance de nous rendre, il convient de préciser que notre rencontre avec la crèche a

révélé les « lacunes » ou plutôt la vision très manichéenne de certains de ces articles (et

principalement l’article paru dans Elle et celui du Figaro Madame), critiques dont nous ferons part

dans la synthèse générale.

15

Observation comparée des crèches de

Dauphine et de Bourdarias

Deux T-shirts d'une collection de la marque Petit Bateau qui avait fait beaucoup réagir parceque marquant clairement la différenciation fille/garçon.

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Le plan d'observation est judicieux et habilement organisé dans la présentation
Votre restitution et analyse sont excellents!
9,5/10

Introduction

Afin de nous rendre compte de l’influence des différences de traitement/pédagogie/mentalité et

relation, interaction quotidienne au sein des institutions de la petite enfance, nous avons décidé de

réaliser deux observations : une dans la crèche de Dauphine “classique” quant à son fonctionnement et

sa pédagogie, et une autre dans une crèche expérimentale située en Seine Saint-Denis, à Saint-Ouen

(Bourdarias) et qui tente, depuis 2009, de ne pas faire de différence de traitement, relationnelle entre

les enfants selon leur sexe et de ne pas véhiculer de stéréotypes masculins/féminins et de fait, de

rééquilibrer les rapports hommes/femmes dans la société et dans les représentations que s’en font les

enfants. Il nous semblait alors intéressant d’observer cet “ovni” de puériculture et d’éducation pour

comprendre et voir ce qui diffère objectivement. Or, au premier abord et d’un point de vue totalement

extérieur et vierge de toutes littératures et d’informations sur le sujet, l’observation dans les locaux de

la crèche de Bourdarias peut sembler décevante car tout semble peu ou prou similaire à une crèche

“classique”. Toutefois, en observant de plus près, certaines différences émergent et semblent avoir une

importance capitale.

C’est pourquoi il est judicieux de réaliser l’étude comparée des deux observations menées selon

plusieurs points : l’organisation des lieux et des temps de vie, la relation personnel/enfants et de ce fait

les comportements variant des enfants observés et les différences au sein du personnel. Il est toutefois

important de signaler avant le développement de cette comparaison que les observations réalisées ont

été assez différentes. En effet, nous avons pu réaliser une observation à la crèche de Dauphine durant

toute une matinée dans le groupe des moyens. Ce groupe était constitué de trois petites filles, Sophie1,

Christine et Hortense et un petit garçon Noé, géré par MATHILDE. Du fait de la présence d’un seul

garçon et de nos attentes de différenciation selon les sexes nous avons parfois eu l’impression de plus

se focaliser sur le comportement de ce dernier, toutefois, les faits relatés ici restent véridiques. Lors de

notre visite à la crèche de Bourdarias, les temps d’observation ont été plus restreints du fait de notre

besoin de s’entretenir avec l’équipe dirigeante de la crèche et les éducatrices de jeunes enfants.

Habituées à être sollicitées par des médias, elles nous ont beaucoup parlé durant l’observation, ce qui

n’a pas laissé la place à une observation participante comme à Dauphine, même si l’analyse des

différences de relation et comportements des professionnels a pu être réalisée.

1 Les prénoms ont été modifiés, et par souci de facilité de lecture, ceux des adultes sont en majuscules.

17

I. Une organisation spatiale et quotidienne vectrice de différentiation

Il apparaît tout d’abord que l’organisation des espaces dans lesquels évoluent les enfants au cours de

la journée aient une influence flagrante quant à la reproduction des inégalités entre les enfants de sexe

différent et à la reproduction des stéréotypes.

Lors de l’observation dans la crèche de Dauphine, il nous a été proposé d’observer la matinée dans la

salle des moyens (15-16 mois). En effet, la crèche de Dauphine est divisée en différentes salles

d’activité et de vie selon les classes d’âge, les enfants ne se mélangent donc que lors des arrivées

matinales ou du temps d’attente des parents en soirée. Ainsi dans cette salle, le centre de la pièce est

occupé par un tapis sur lequel est posé une sorte de cage à poules, toboggan. En périphérie de la pièce

sont disposés des lits avec des poupées, une bibliothèque, un four, un coin dînette, une machine à

laver; une petite table pour faire les activités artistiques est placée dans un coin, tout comme le coin

change. Au mur sont affichés un tableau avec les prénoms des enfants, écrits en vert, et un “range-

doudou” avec une petite pochette pour chaque enfant, les prénoms étant écrits en orange.

18

La salle principale de la crèche Bourdarias, au rez-de-chaussée, l'entrée se trouve dans le dos du photographe.

La crèche de Bourdarias possède une organisation qui peut paraître similaire mais diffère en

quelques points. Les enfants sont aussi séparés selon les niveaux d’âge mais les salles sont beaucoup

plus grandes et permettent une cohabitation d’un plus grand nombre d’enfants. Par ailleurs, les salles

dans lesquelles l’observation des activités nous a été proposée étaient organisées différemment. Dans

la salle, une table était disposée dans un coin pour faire les activités et plusieurs meubles étaient

disposés au centre de la pièce, dont une bibliothèque et à côté un grand coffre avec des jouets, la

plupart étant des poupées ou peluches. Dans une autre salle d’observation, la disposition des meubles

et jouets était somme toute similaire.

Les différences organisationnelles de l’espace peuvent paraître anodines, mais cela est d’une

importance à ne pas négliger. Effectivement, les jouets à dominante “jeu de rôle et d’imitation” sont, à

Dauphine, tous situés en périphérie de la salle, jeux vers lesquels les petites filles vont être plus

incitées à se tourner du fait de leur socialisation familiale ou des propositions des puéricultrices, alors

que les petits garçons sont plus enclins à jouer à des jeux de motricité et agilité. Ainsi, les petites filles

vont être envoyées en périphérie et dans un coin de la salle et les petits garçons vont potentiellement

occuper le centre de la pièce. Du fait de l’organisation de la salle différente à Bourdarias et la mise en

place des jeux d’imitation et de rôle au centre de pièce, la crèche tente de permettre aux petites filles

de s’affirmer et de ne pas être reléguées dans un coin.

19

Par ailleurs, l’offre d’activités diffère également entres les deux crèches. Lors de notre visite à la

crèche de Dauphine, les enfants ont participé à une activité créative de dessin. Toutefois, cette activité

a été réalisée car un enfant a sollicité la puéricultrice MATHILDE pour dessiner. Celle-ci a donc

proposé aux autres enfants présents de suivre Noé et de participer. Au contraire, la crèche de

Bourdarias propose tous les jours différentes activités aux enfants qui sont incités à aller dans toutes

les activités quel que soit leur type : créative, manuelle, motrice... Ainsi, le jour de l’observation

étaient proposées aux enfants une activité de jeux aquatiques, une de bricolage et de peinture sur pot.

Cette différence dans les choix des activités et la manière dont elles sont présentées aux enfants est

déterminante. En effet, même si les enfants de la crèche de Dauphine sont encore assez jeunes le fait

de proposer des activités différentes tous les jours aux enfants et de les inciter quelque soit leur sexe à

choisir l’une ou l’autre permettrait à ces enfants de pouvoir participer à des activités auxquelles ils

n’auraient peut-être pas pris part car n’étant pas connotées selon leur sexe biologique, comme c’est le

cas à Bourdarias. Effectivement, lors de l’observation, plusieurs petites filles participaient à l’activité

bricolage, un petit garçon faisait de la peinture sur pot et la parité était respectée quant à l’activité

aquatique. Ainsi les stéréotypes et les comportements sexués qu’ils véhiculent sont mis à mal dans la

crèche de Saint-Ouen. Dans celle de Dauphine, et face à l’absence de propositions d’activités et

l’incitation à y participer, les enfants seront alors probablement plus enclins à se tourner vers des

activités correspondant aux attentes sociales de leur sexe biologique, même si lors de l’observation un

petit garçon a demandé à faire une activité typiquement plus “féminine”, les enfants ne sont pas incités

directement à faire cela.

20

Une autre différence est observable au sein des deux institutions : les livres et supports pédagogiques

utilisés pour le temps calme. MATHILDE a tout d’abord utilisé des images auxquelles était associé le

son qui y correspondait. Les images qui représentent des instruments de musique (piano, guitare,

saxophone) sont toujours associées à des petits garçons, tout comme celles qui représentent un sport,

on voit par exemple des petits garçons jouer au basket ou en train de faire du vélo. Viennent ensuite

des images pour exprimer des sentiments, un petit garçon qui pleure, une petite fille qui fait un câlin

avec sa mère ou une petite fille qui hurle. D’autres images sont présentées aux enfants telles des

mixeurs, machines à laver, marteau, voiture.. Les enfants ont ensuite eu droit à une histoire enregistrée

sur un CD audio dont les protagonistes étaient des animaux mais dont les voix étaient essentiellement

masculines, notamment pour les personnages principaux.

Lors du temps calme observé dans la crèche de Bourdarias, le livre lu aux enfants était intitulé

“Monsieur Papa et ses 10 enfants”, histoire racontant le quotidien d’un père de famille au foyer

s’occupant de l’éducation de ses 10 enfants. De plus, l’auxiliaire de puériculture présente dans la salle

d’observation nous a expliqué que les livres lus, mais également les puzzles ou autres supports

éducatifs étaient choisis pour ne pas véhiculer des stéréotypes genrés aux enfants. Ainsi, il apparaît

que dans les choix qui peuvent sembler anodins de supports pédagogiques, les enjeux soient cruciaux:

à Dauphine, la prédominance et la valorisation se portent sur les individus de sexe masculin alors que

les livres ou autres jeux de Bourdarias tentent d’aller à l’encontre des standards stéréotypés et de

rééquilibrer les rapports entre sexes. Toutefois, même si cela peut avoir une influence, celle-ci est

démultipliée par les relations entre le personnel et l’enfant.

21

Une "table musicale" dans la salle de musique de la crèche Bourdarias de St Ouen

II. La relation personnel/enfants : une différence de comportements et de

rapports selon les sexes

Lors de nos enquêtes de terrain, des différences de comportements et de réactions face aux enfants

ont été observées, mais des transmissions de stéréotypes sont aussi observables.

Tout d’abord, il semblerait que les auxiliaires de puériculture puissent avoir des influences sur la

socialisation genrée des enfants du fait de leurs réactions et comportements divergents selon le sexe de

ces derniers. En effet, lors de l’observation à la crèche de Dauphine il apparaît que la tolérance vis à

vis des comportements masculins est plus grande que face aux petites filles. Différents exemples

illustrent cela : l’accueil matinal des enfants se fait entre 9h et 9h30, les enfants pendant ce temps

évoluent tous ensemble dans le couloir. Pendant ce laps de temps, les petits garçons criaient et

empêchaient les filles de venir avec eux, sans aucune intervention des auxiliaires. Cependant, dès lors

qu’une des petites filles s’est mise à crier une des puéricultrices présentes lui a dit “arrête de crier, ça

ne sert à rien”. Par la suite, lors de l’observation dans la salle des moyens Noé le petit garçon vole le

jouet avec lequel jouait Hortense, celle-ci se met donc à crier, MATHILDE luit dit alors qu’il est

inutile de crier et invite Noé à prendre d’autres jouets. Cependant, dès que Christine essaye à son tour

de prendre le jouet d’une de ses camarades, MATHILDE lui fait alors directement les gros yeux et lui

montre sa réprobation. Ensuite, les petites filles jouent avec des jeux de construction, Christine

construit une tour et Noé arrive et décide de prendre la tour et de la détruire, personne ne dit rien. Plus

tard, l’activité lecture est un moment d’interaction entre les enfants et l’adulte, cependant MATHILDE

sollicite constamment Noé si celui-ci ne participe ou n’imite pas l’image présentée. Par ailleurs, quand

celle-ci baisse les images quelques secondes pour expliquer quelque chose à un des enfants, Noé hurle

alors et MATHILDE remontre directement les images en lui disant “oh pardon”. À table, MATHILDE

est assise à côté de Noé pendant tout le repas. Au bout d’un moment Hortense décide de ne plus

manger, MATHILDE lui dit alors que c’est tant pis pour elle et que c’est une vilaine fille. Noé ne

mange pas non plus, MATHILDE l’aide à manger, elle lui dit “je t’aide Noé parce que tu n’as pas

mangé grand chose”. Au moment du dessert, Hortense refuse de goûter la salade de fruits, personne ne

s’en occupe, Noé, lui, est incité voire forcé à goûter la salade de fruits. Cependant, les puéricultrices

semblent également avoir un comportement différent avec les petites filles, plus doux et dans la

valorisation esthétique de celles-ci. Lors du repas MATHILDE et la cuisinière qui aide à nourrir les

enfants demandent ensemble à Hortense si elle s’est coupée les cheveux, mais lui disent aussi qu’elle

est “coquinette”. De plus, lors des changes, MATHILDE fait des câlins et des chatouilles aux petites

filles. Enfin, lorsqu’arrive le moment du rangement, tous les enfants sont incités à ranger. Or Noé reste

de côté, MATHILDE le rappelle alors à l’ordre “Noé a le droit de venir aider à ranger aussi”. Ce

dernier se rapproche de MATHILDE et des filles mais n’aide pas à ranger et n’est pas repris par

22

MATHILDE. Néanmoins, les petites filles sont tout de même sollicitées et encouragées à se

débrouiller seules, lors de l’activité dessin: elles sont invitées à ouvrir leur feutre seule “essaye toute

seule, tire fort”, ou alors lorsqu’elles n’ont plus envie de faire une activité “tu peux y aller Sophie”, ou

sont félicitées “tu te débrouilles bien pour manger toute seule”. De plus, MATHILDE même

lorsqu’elle est occupée par Noé reste présente pour les petites filles.

Au contraire, à la crèche de Bourdarias les choses sont tout autres. En effet, les enfants sont

interpellés par leurs noms et sollicités à parler beaucoup d’eux et de leur ressenti. Zélie est ainsi

arrivée à l’activité peinture sur pot après avoir participé à l’activité aquatique et CLARISSE lui a posé

de nombreuses questions en lui demandant si elle avait eu moins peur que la fois précédente ou si elle

avait apprécié cette activité. Zélie répondait à toutes ces questions. En effet, les enfants sont incités

dans cette crèche à dire ce qu’ils pensent et ce dont ils n’ont pas envie. Ainsi lors de la lecture pendant

le temps calme, les enfants sont tous assis et participent à l’histoire, en faisant des commentaires, Zélie

ponctue chaque fin de page par “bah ouais”. Les puéricultrices de la crèche de Bourdarias tentent

d’établir un équilibre entre les garçons et les filles en ne permettant pas aux petits garçons de

s’imposer et de prendre plus de place, ce qu’ils font plus facilement et incitent les filles à s’exprimer.

Les institutions de la petite enfance peuvent également générer des stéréotypes dans la construction

des enfants du fait des interactions quotidiennes.

Tout d’abord, à la crèche de Dauphine, aucun professionnel homme n’est présent alors qu’un

éducateur est présent à la crèche de Bourdarias, même si celui-ci exerce un poste à autorité ce qui n’est

pas le meilleur exemple d’égalité sexuelle. De plus dans leurs interactions quotidiennes les

puéricultrices de Dauphine transfèrent ces stéréotypes. Ainsi, lors de l’observation à Dauphine, un

bruit de mixeur provenant des cuisines s’est fait entendre, Christine s’est alors écriée “Maman?”,

MATHILDE a eu pour réaction de demander à Christine “ c’est maman qui cuisine à la maison? Elle

cuisine maman à la maison?”. Lors du rangement MATHILDE a incité Sophie à coucher les poupées

pour “qu’elles fassent la sieste”. Le moment du temps calme a aussi apporté son lot de stéréotypes.

Une des images présentées représentait un aspirateur, MATHILDE a alors demandé aux enfants “qui

fait le ménage à la maison? C’est Maman?”, les enfants ont répondu oui, et MATHILDE a ensuite

demandé “c’est Papa?”. Un des enfants répond alors que son père fait le ménage, MATHILDE répond

alors “c’est bien si c’est papa, je dirai à ton papa que c’est très bien”. Par ailleurs, l’interprétation de

deux autres images est vectrice de différenciation genrée: lorsque la photographie d’un petit garçon en

train de pleurer apparaît MATHILDE explique que celui-ci pleure car “il a peut-être un bobo, ou il

s’est fait gronder”. Pour ce qui est de la petite fille en train de crier, celle-ci “nous casse les oreilles”.

23

Oui, Elena Gianini Belotti a étudié ces différentes interprétations et rectio s aux pleurs dans la construction du genre lors des premiers âges de la vie

L’observation dans la crèche de Bourdarias a été moins longue et n’a pas permis de relever des

stéréotypes transmis comme cela, la lecture du livre parlant par exemple d’un père au foyer ou les

auxiliaires tentant d’aborder au maximum les enfants comme des êtres et individus à part entière et

faisant un lourd travail sur eux-mêmes pour ne pas véhiculer des stéréotypes genrés. En effet le

personnel de Bourdarias est en perpétuelle remise en question quant à ses approches pédagogiques et

relationnelles avec les enfants. Les auxiliaires sont en constante observation mutuelle et se font des

remarques pour permettre de ne pas faire de différences entre les enfants.

Ainsi, dans la crèche “traditionnelle” et au terme de l’observation menée il apparaît que des

stéréotypes sont véhiculés tout au long de la journée, assignant les femmes aux tâches domestiques et

familiales et valorisant le caractère plus fort des petits garçons et des hommes en général. De plus les

relations entre collègues sont moins fréquentes dans cette crèche ce qui ne permet pas forcément

l’observation et les remises en question que réalise le personnel de la crèche de Saint-Ouen.

Or, toutes ces différences entraînent également des comportements variant selon le sexe des enfants.

A la crèche de Dauphine, les enfants ne se mélangent pas trop. Lors du temps d’accueil, les petits

garçons jouent majoritairement entre eux et rejettent les petites filles qui voudraient les rejoindre,

celles-ci jouant donc entre elles ou dans leur coin. En effet, une petite fille voulait rejoindre le fort que

s’étaient construit les garçons et leur emprunter un ballon, ceux-ci ont refusé. Par ailleurs, les enfants

n’ont cessé de vouloir se voler les jouets avec lesquels ils jouaient, se disputant et s’énervant ainsi

beaucoup entre eux. De plus, lors de l’observation, mis à part Noé, les enfants ont été très perturbés

par notre venue, ceux-ci étaient étonnés et méfiants de nous voir dans la salle. Malgré les

encouragements de MATHILDE aucun d’entre eux n’a osé venir nous voir, se rapprochant mais

restant toujours à une certaine distance ou en cherchant à attirer notre attention en jouant à cache-

cache de loin avec nous. Toutefois, aucun réel contact n’a été réalisé avec les enfants lors de cette

observation.

En revanche, lors de l’enquête de terrain menée à Bourdarias, les enfants n’ont pas semblé perturbés

par notre présence et sont même venus spontanément pour nous parler, nous donner des jouets. De

plus, il n’y a pas eu lors de notre visite de chamailleries entre les enfants quant à l’obtention de

certains jouets. Les enfants sont aussi incités à jouer tous ensemble et sont en réalité toujours mélangés

entre sexes pour les activités. Le but de cette crèche est de rééquilibrer les rapports entre sexes.

Ainsi, il semblerait que dans la crèche de Dauphine les relations intersexes mais également entre

enfants soient plus compliquées et que les enfants soient moins curieux ou aventureux. Les enfants

24

La crèche de Dauphine semble surtout moins médiatisée que celle de St. Ouen

évoluant au sein de la structure de Bourdarias sont beaucoup plus respectueux les uns des autres mais

également ont une meilleure confiance en eux qui leur permet d’appréhender les étrangers de manière

plus courageuse.

Conclusion

Les interactions et la vie quotidienne des crèches semblent avoir une importance quant à leur

influence sur la socialisation de l’enfant. En effet, les crèches “normales” sont vectrices de stéréotypes

et de dévalorisation féminine, incitant l’affirmation masculine, de par leur espace organisationnel,

leurs activités, mais également par les réflexions du personnel et le comportement de celui-ci qui

diffère selon les enfants et leur sexe. En revanche, dans une crèche tentant d’effacer toutes ces

différences, les références aux stéréotypes et attentes masculines/féminines semblent se dissiper. Cela

semble avoir une influence directe sur les enfants qui sont beaucoup plus respectueux et ont une

meilleure estime d’eux mêmes, ce qui peut conduire à des futurs adultes ayant une vision plus

équilibrée des rapports de sexe et faisant la guerre aux stéréotypes genrés.

25

Notre démarche :

du « buzz médiatique » à l’entretien

26

Introduction

La recherche d’articles en rapport avec notre sujet nous a rapidement menés sur l’initiative

départementale d’une crèche de la Seine-Saint-Denis, la crèche Bourdarias. Décrite comme une crèche

luttant pour l’égalité et la parité à travers les activités proposées aux enfants, nous avons décidé d’en

contacter la direction afin d’y mener notre enquête de terrain, en comparaison de l’observation menée

à la crèche « traditionnelle » de Dauphine.

Nous voilà donc sur le chemin de la crèche, désormais trop vieux pour y emporter notre doudou, mais

encore trop jeunes pour y déposer non sans pincement au cœur notre bambin. C’est avec notre

dictaphone et notre grille d’enquête que nous avons frappé à la porte de la crèche. Nous avions hâte

d’observer de nos propres yeux cette crèche pour l’égalité.

I. Approche ethnographique pré-entretien

A peine mettons-nous un pied dans le bureau de la direction que nous apercevons une « Charte de

l’Egalité », grand kakémono érigé à la vue de tous les visiteurs. Application directe oblige (ou simple

coïncidence ?), la direction de la crèche est composée d’une directrice, Madame Aude Constantin et

d’un directeur adjoint, M. David Helbecque. Bureaux identiques, l’un face à l’autre, il semblait que

tout était réuni pour pouvoir parler sereinement d’égalité et de genre.

« Il y a des parcours où l’on ne sait pas trop pourquoi on y arrive ; puis on y arrive, on y va… Et puis

on y reste »

A. Une équipe dirigeante qui a suivi sa trajectoire, et surtout ses convictions

Madame Constantin, 43 ans et maman d’une petite fille, se refuse immédiatement de parler de «

vocation » en évoquant son métier et préfère parler tout simplement de «formation». Si cela ne fait que

12 ans qu’elle travaille dans les métiers de la petite enfance, notre enquêtée exerçait dans un premier

temps en maternité. Quelque temps après avoir été auxiliaire de puéricultrice, puis éducatrice de

jeunes enfants (EJE) pendant 7 ans, Mme Constantin a par la suite souhaité accéder à des

27

Style très vivant

responsabilités d’encadrement en obtenant un Certificat d’Aptitude aux Fonctions d’Encadrement et

de Responsable d’Unité d’Intervention Sociale. Après avoir également obtenu un master 1, la

directrice poursuit sa formation aujourd’hui en master 2 en « Intervention Sociale et Education

Familiale » à Paris X Nanterre, son sujet de mémoire portant sur la question du genre. Elle précise

enfin que son arrivée dans cette crèche est un hasard : la directrice précédente avait en effet déjà

enclenché le processus, et Madame Constantin y a tout de suite adhéré, en souhaitant porter ce projet

très prometteur, et répondant à ses propres convictions.

Monsieur Helbecque, 36 ans, se destinait quant à lui à des études scientifiques, comme beaucoup de

ses camarades masculins. Mais une rencontre amicale de jeunesse le rapprochant du monde du

scoutisme et de valeurs telles que la prise de responsabilités et l’ouverture aux autres, ainsi que le

passage par le service militaire en gendarmerie dont il a préféré la dimension préventive au détriment

du côté trop « militaire » lui ont révélé son primat pour le rapport humain. C’est alors que de retour de

son service militaire, M. Helbecque entre dans le milieu associatif de l’éducation populaire pour

développer une pédagogie au sein de ces quartiers. Fort de nombreuses rencontres, il se lance dans des

études d’Educateur de Jeunes Enfants (EJE), et se rend compte qu’il y a trouvé sa « voie ». A la

question de la réaction de son entourage quant à cette décision, le sous-directeur répond

immédiatement qu’ « il faut savoir que dans ma famille les hommes s’occupent beaucoup des enfants

», avant d’évoquer un oncle ayant arrêté de travailler pour s’occuper de ses enfants, ou encore de son

père s’occupant de lui et de ses frères les week-ends où leur mère travaillait.

Aux côtés de M. Helbecque, seul un autre homme (ensuite devenu éducateur spécialisé) suivait cette

formation sur une promotion de 60 étudiants, illustration de l’ancrage féminin (évident ?) de ce métier,

et de la plus forte aspiration des hommes d’accéder à des postes de pouvoir. Du fait même que M.

Helbecque soit à cette époque le seul homme, et de fait plus âgé que les autres (car déjà passé par

d’autres formations antérieures), il fut rapidement associé à cette « double casquette : expérience

+homme, on m’a dit que c’était facile d’accéder à des responsabilités ». Mais il assure que c’est de

par sa personnalité qu’il en est arrivé là. Après avoir exercé en tant qu’éducateur de terrain, il aspire à

plus de responsabilités et souhaite accompagner des projets. C’est alors qu’il frappe à la porte de cette

crèche dont il apprend le projet genre pour l’égalité fille-garçon. Et entre immédiatement dans la

dynamique de la crèche.

« La directrice précédente avait déjà fait un gros travail quant à la place de l’homme dans les

crèches. »

28

B. Une pédagogie suédoise adaptée à la française : de la pédagogie «

compensatoire », à la pédagogie « active »

La naissance de ce projet est un long processus et ne s’est pas fait du jour au lendemain. Depuis

2005, le département de la Seine Saint-Denis s’intéresse à l’identité sexuée de l’enfant mais aussi à la

violence faite aux femmes. Suite à une journée professionnelle organisée à l’attention de tous les

agents de service de la petite enfance durant laquelle étaient présentes des personnalités parmi

lesquelles Françoise Héritier, l’Observatoire des inégalités de la Seine Saint-Denis a souhaité

rapprocher ces questionnements sur la petite enfance au pan de la violence faite aux femmes et a

organisé, en 2007, un voyage d’études en Suède. De fait, il s’agissait d’y découvrir les écoles

préscolaires où les questions de genre sont parties prenantes de leur pédagogie dite « compensatoire »,

sans oublier que les pays nordiques et en particulier la Suède, sont les meilleurs élèves dans le champ

de l’égalité au niveau mondial. Revenue enchantée, l’équipe a décidé de s’inspirer de cette expérience

pour proposer d’expérimenter une pédagogie similaire dans une crèche du département, adaptée au

système français. C’est alors qu’en 2007, la crèche Bourdarias est choisie (la directrice de l’époque,

Marie-Françoise Belammy souhaitant déjà depuis longtemps y faire entrer des hommes en tant

qu’éducateurs) pour expérimenter une pédagogie qualifiée d’ « active » (terme préféré à celui de «

compensatoire »).

Si l’on préfère ici parler de pédagogie « active », c’est parce qu’il n’est pas question de faire un «

copier-coller » de la pédagogie suédoise. Dans un premier temps parce que cela n’a pas de sens, mais

surtout parce que les deux pays ne sont pas situés sur le même plan au niveau de l’avancée égalitaire.

En Suède, les deux parents ont droit à des congés parentaux de même durée, les crèches n’existent pas

(on parle d’ « écoles préscolaires »), et enfin, le niveau d’étude des éducateurs suédois est beaucoup

plus élevé du fait même qu’ils soient des universitaires. C’est donc un tout autre paradigme qu’il est

nécessaire d’avoir à l’esprit pour légitimer cette adaptation à la pédagogie suédoise.

La démarche enclenchée dans la crèche est donc le produit de plusieurs étapes, dont l’adhésion des

acteurs de la crèche a constitué le moteur fondamental : « En fait quand on a commencé à faire ce

travail, on l’a fait sans de chemin tracé. On l’a vraiment fait avec notre sensibilité, voilà, ce qu’on

avait en nous ».

« Faire émerger une pensée n’est pas forcément très facile, surtout auprès de cette tranche d’âge

d’enfant, car ça réveille beaucoup de sa propre histoire, de ses propres pulsions »

29

C. Un travail réflexif qui fait partie d’un processus

Le point central qu’il faut avoir à l’esprit et que nous avons compris à l’aide cette enquête est que ce

travail vers l’égalité est un véritable processus, qui se fait au quotidien, et qui paraît même presque

imperceptible lors de nos observations. Il ne suffit pas en effet de tendre un marteau à une petite fille et

un poupon à un petit garçon pour marcher vers l’égalité. Cela passe tout d’abord par un long travail

réflexif sur le personnel-même de la crèche et sur leur propre attitude envers les enfants. « Tout cela

passe par l’attitude des adultes » déclare la directrice, « parce que les enfants imitent les adultes ».

L’ensemble des acteurs de la crèche a dû par exemple se poser la question du genre, de l’inégalité, et

du sens que ces termes pouvaient avoir pour chacun d’entre eux. Puis elle précise que « tout ce qu’on

vous dit là, c’est un long cheminement de réflexion, d’observation, car ce qu’on peut arriver à dire

aujourd’hui c’est parce qu’on a énormément observé les enfants et nos propres attitudes à nous

aussi». Avant d’avouer que souvent « le naturel » les rattrape lorsqu’il leur arrive encore

inconsciemment de dire qu’une petite fille a une jolie robe ou qu’un petit garçon est très courageux...

Mais le fait même de s’interroger sur leurs propres comportements est une étape du projet, et cela

continue toujours aujourd’hui. «On n’a pas encore fini de travailler sur nous » rajoute le directeur

adjoint.

Pour donner un exemple parmi tant d’autres, un des apports de la pédagogie suédoise a été de

réfléchir sur l’attribution des adjectifs attribués généralement aux petites filles et aux petits garçons.

En traduisant ainsi des adjectifs suédois en français, et en les réadaptant au contexte, une grille

d’adjectifs (qui est en annexe de notre dossier) a été construite et mise à la disposition des éducateurs

ainsi que des parents afin de cocher les adjectifs qu’ils étaient habitués, sans en avoir conscience, à

attribuer aux enfants selon leur genre. Dans les stéréotypes, « le garçon doit être courageux, qu’il soit

fort et qu’il ne pleure pas et il faut que la petite fille soit belle. Belle et tais-toi » ajoute enfin la

directrice. Le travail sur soi passe donc également par la parole, fort vecteur de clichés et stéréotypes.

« C’est un vrai travail en commun. Ce n’est pas juste une équipe pensante (la direction) et les autres

au travail »

D. Plus qu’une simple crèche : une équipe

Pendant l’entretien, la direction a longuement insisté sur le travail mené collectivement par

l’ensemble des acteurs de la crèche, de la lingère à la direction, en passant par les auxiliaires de

puéricultrices et le cuisinier. Ainsi, le travail réflexif s’est effectué dans tous les « corps » de métiers

30

de la crèche, parce que chacun est en contact avec l’enfant et lui transmet son vécu, sa vision des

choses. Tous participent à la vie de la crèche : les auxiliaires de puéricultrices sont présentes au

quotidien, la direction, mais aussi la lingère qui anime les activités de jeux d’eau par exemple, ou

encore le cuisinier qui encadre les ateliers cuisine du jeudi. En plus de la démarche en elle-même, ce

projet a d’ailleurs la particularité de fédérer l’ensemble de la crèche.

Si nous avons insisté sur le travail réflexif effectué par le personnel de la crèche, il faut savoir que

les parents sont aussi partie intégrante de ce projet. « On ne peut pas mener un tel projet sans eux non

plus. Les premiers éducateurs de leurs enfants ce sont eux ! ». Outre les réunions d’information ou

autres conférences sur le genre auxquelles ils sont vivement conviés, ces derniers sont également

amenés à réfléchir sur leurs propres pratiques. Pour la direction, « l’idée est de travailler main dans la

main ». La grille d’adjectifs précédemment évoquée leur a par exemple été soumise, en complément

d’un questionnaire sur la répartition des tâches ménagères dans leurs foyers. De plus, les parents sont

toujours fortement invités à visiter la crèche, à participer à des ateliers avec leurs enfants et les

éducateurs, et notamment les pères. Si la directrice avoue avoir observé une évolution quant à

l’implication des pères dans l’investissement de l’éducation de leurs enfants, il arrive encore parfois

que le père ne soit jamais venu chercher son enfant. C’est aussi contre ce phénomène que le projet

mérite d’être mené : la direction invite ces papas à se rendre dans la crèche, donnant parfois même lieu

à des situations amusantes à l’image d’ un papa très « robuste » (sans vouloir attribuer d’adjectif

masculinisant !) qui paraît tout timide au milieu de l’univers des enfants. La directrice déclare

observer relativement un plus grand investissement du père dans les jeunes familles appartenant à un

statut social élevé.

Mais l’implication des parents au sein de cette crèche va bien au-delà. Conscients du fort potentiel

de ce projet, certains parents ont eux-mêmes décidé de monter une association (« Graines d’égalité »)

afin de défendre et développer ce projet au-delà même des frontières de la crèche pour que ce

processus égalitaire se poursuive à l’école. Une maman (journaliste travaillant au planning familial et

faisant depuis longtemps partie d’organisations féministes) que nous avons eu la chance d’interroger et

qui a accepté de répondre à nos questions nous a justement confié que « ce qu’il y a d’intéressant ici,

c’est que les professionnels ont mené une réflexion d’analyse de leurs propres pratiques et de leurs

propres représentations », et que les parents essayent « de faire franchir le ‘projet genre’ des murs

vers la maternelle et la primaire ».

« On fait un travail important et on caricature négativement notre travail, et on souffre de cela»

31

Passionnant!
Bien de situer cet extrait d'entretien. La citation suivante est-elle aussi tirée de cet entretien?

E. C’est un chemin vers l’égalité, pas un renversement des stéréotypes.

En allant à la rencontre de cette crèche, il faut avouer que nous nous attendions à voir de nos propres

yeux ce qui est majoritairement décrit dans les articles de presse, à savoir les petites filles avec un

marteau et les petits garçons en train de changer des couches à leur poupon. Mais nous avons

rapidement pris conscience que le chemin vers l’égalité se faisait de façon beaucoup plus

imperceptible, presque invisible, mais surtout au quotidien. « C’est de l’attitude, c’est des

comportements, c’est des paroles. Vous pouvez sortir de là en vous disant que finalement c’est une

crèche comme une autre, avec des activités comme une autre, pas plus ni moins. Mais c’est beaucoup

dans la pensée, dans les attitudes et dans les personnes aussi », précise la direction.

Car il s’agit en effet d’une crèche comme une autre, de l’arrivée des enfants, à la sieste, en passant

par les activités proposées aux enfants ou encore aux règles fixées par le personnel d’encadrement.

Certes à la différence des autres crèches, des activités telles que le bricolage, la cuisine, ou encore

l’atelier « émotions » sont proposées à tous, mais il ne s’agit là qu’une étape du projet, participant à la

démarche complète. Le but n’est pas de forcer les petits garçons à pouponner mais plutôt de leur

laisser le choix, et également pour les petites filles. « On invente tout le temps, on est tout le temps

dans la créativité, l’inventivité, l’innovation… », ajoute la directrice, avant que le directeur adjoint

complète : « c’est un travail de fourmi, minutieux, invisible, dans le temps, en cohérence d’équipe…

Des choses longues! ». Ce travail minutieux ne passe donc pas forcément que par les activités mais

surtout par l’ensemble des images, des comportements, que les enfants ont tendance à enregistrer.

C’est pour cette raison qu’un grand travail, avec l’aide d’une association, a été effectué entre autres

sur la lecture faite aux enfants de façon à supprimer tout ouvrage trop stéréotypé, reléguant la mère

aux fourneaux et le père au travail. Il a été également observé que les animaux connus pour être forts,

courageux, tels le lion, incarnent des personnages masculins ; tandis que les animaux frêles, peureux,

nécessitant une protection, tels les petits oiseaux, incarnent des personnages féminins. La direction

banni ainsi la littérature jeunesse vecteur de schémas stéréotypés, et promeut au contraire des ouvrages

tels « Je veux un zizi » de Laetitia Lesaffre aux éditions Talons hauts. Et c’est surtout le fait que la

direction ait un « œil critique sur ce qu’ (ils) proposent aux enfants (…) et la façon dont (ils)

accompagnent l’histoire » qui est important dans la démarche. M. Helbecque évoque à ce titre une

anecdote autour d’un moment de lecture aux enfants, mettant en scène un animal dont on ne

connaissait au départ pas le sexe, en train de prendre dans ses bras son enfant qui n’arrive à dormir.

Instinctivement, les enfants ont attribué ce rôle à la maman. Si M. Helbecque n’a pas imposé

d’attribuer au contraire ce rôle au papa, il a tout de même « suggéré » aux enfants d’avoir le choix. Si

32

le choix s’est porté, pour les enfants, sur le fait qu’il s’agisse d’une maman, l’important est de retenir

que l’adulte a simplement proposé un choix, une alternative.

Car il ne s’agit en aucun cas d’inverser les stéréotypes : « On ne va pas non plus tout bannir »

déclare la directrice, « ce serait ridicule, et on tomberait dans des excès » continue-t-elle. C’est ce que

condamne les acteurs de cette crèche à propose de ce qui a pu être décrit par de nombreux

journalistes : « On a rencontré pas mal de médias, et ce n’est pas forcément bien compris ! », avant de

nous avouer désormais refuser tout interview de journalistes.

L’objectif n’est pas de gommer les différences entre filles et garçons mais bien plutôt de leur

apprendre à vivre harmonieusement, en leur donnant accès à tout, de façon égalitaire, et surtout les

aider à acquérir une estime de soi. Les enfants sont invités à s’exprimer, à exprimer leur sensibilité,

leur personnalité, et ce sans complexe de genre, et c’est pour cette raison qu’il peut arriver que filles et

garçons soient parfois séparés, pour que par exemple les filles apprennent à crier fort, mais pas pour

les forcer à agir « comme un garçon ». Le but étant « qu’ils s’autorisent à exprimer leur personnalité

telle qu’elle est et pas telle qu’on voudrait qu’elle soit. C’est pour éviter de les enfermer dans des

stéréotypes justement on les sépare un tout petit peu ; on leur propose, ce sont des propositions en fait

», ajoute la direction.

Si les effets d’un tel projet sont encore difficilement perceptibles, ils semblent néanmoins

prometteurs si l’échelle de cette initiative se voit élargie tant sur un plus grand espace que dans les

échelons scolaires supérieurs. La cour de récréation de la maternelle qui se situe en face de la crèche

Bourdarias permet aux éducateurs de reconnaître les anciens enfants de la crèche qui semblent plus

affirmés que les autres, et occuper l’espace de façon égale pour les filles et les garçons. Enfin, à une

tout autre échelle, deux jeunes étudiants suédois de 20 ans qui sont passés par les écoles dites «

préscolaires » ont été interrogés et déclarent avoir acquis une grande estime de soi, une confiance qui

leur permet d’entreprendre sans complexe leur avenir.

« On essaye de maintenir ce projet quand même dans une réalité de terrain qui est complexe »

F. Un immobilisme des pouvoirs publics

Si le projet de cette crèche est porteur d’un fort potentiel, et suscite l’adhésion tant du personnel de

la crèche que des parents, il semble néanmoins qu’il rencontre une forte résistance de la part des

institutions et notamment du Conseil Général. Le cas est justement bien différent en Suède où les

initiatives viennent du gouvernement lui-même. « On est un peu seuls dans cette histoire quand même

», avoue la directrice. Car si le Conseil Général a financé la formation de 12 jours en Suède, les

33

réflexions qui ont suivi ne sont que le fruit du personnel de la crèche et des parents, et cette institution

« s’est sentie dépassée par notre travail », pense Mme Constantin qui dénonce le manque de marge de

manœuvre accordée à la crèche.

C’est notamment face à cette inertie politique que les parents se sont montés en association. L’idée

est de poursuivre ce projet, de le développer, et le transporter au-delà des frontières de la crèche, car

peu d’initiatives semblent être mises en œuvre dans ce sens. Et la direction souligne fièrement cette

implication des parents, soulignant une fois de plus la dimension fédératrice du projet, « c’est grâce

aux parents que les choses vont bouger ! S’il se passe quelque chose c’est grâce à eux » insiste la

directrice. Pour les mêmes raisons, il semble que l’équipe dirigeante désire également exporter et

développer ce projet ailleurs, là où les conditions seront davantage favorables et moins soumises à une

résistance financière ou idéologique : « Nous on n’a pas les moyens (…), On ne peut pas faire ce

qu’on veut, on ne peut pas dire ce qu’on veut, diffuser ce qu’on veut… » insiste la directrice. Avant

d’ajouter que la résistance à la diffusion de ce projet à l’ensemble des crèches du département vient

d’une incapacité du Conseil Général à fédérer et à trouver des équipes suffisamment motivées pour

mener à bien un tel projet. La priorité ne semble donc pas à ce type de dossiers, en addition aux

restrictions budgétaires. La direction parle ainsi de « forces contraires »… même si elle tente de rester

optimiste pour les années à venir.

II. Réflexions post-entretien

En plus d’avoir très fortement contribué à notre étude, cet entretien nous a appris énormément sur les

aléas de la recherche. On peut dans un premier temps évoquer la relation enquêteurs-enquêtés qui,

même si peu perceptible dans notre analyse, s’est « détendue » tout au long de l’entretien. Si les

premières questions sont assez neutres et ne nécessitent pas de parler de soi ou d’anecdotes plus

personnelles, cela vient plus « naturellement » au bout d’un temps nécessaire pour instaurer une

confiance, peut-être en voyant que notre démarche n’est pas la même que celle des journalistes…

Par ailleurs, afin de préparer au mieux notre entretien et du fait de suivre le cours de sociologie du

genre, nous étions, avant-même de mener notre enquête, relativement informés sur la question du

genre dans la crèche et plus particulièrement de l’initiative de Bourdarias. Il est important d’avouer

que nous « appréhendions» certaines réponses, voire même que nous étions avides de clichés (que

nous n’avons bien sûr pas observés ni entendus) relatés dans la presse et justement dénoncés par la

crèche. Inversement, nos enquêtés très avertis sur le sujet également, comprenaient la démarche

34

sociologique derrière nos questions, à l’image de la réponse que donne Mme Constantin : « vous avez

une vision trop schématique dans votre tête ! (Rires) » à l’une de nos questions.

En complément des remarques précédentes, on peut ajouter que le simple fait d’étudier la sociologie

du genre est un « risque » de voir des stéréotypes partout ; la difficulté a donc été de s’en détacher et

de prendre du recul.

Le FILM

Le Genre idéal : film réalisé collectivement par le personnel de la crèche Bourdarias dans le cadre des

Observatoires des Inégalités. Diffusion à l’Espace 1789 de Saint-Ouen en présence des élus du Conseil

Général. Avant-première suivie d’une discussion.

A la suite de notre entretien, la

direction nous a invités à la

projection en avant-première du

film réalisé par le personnel de

la crèche que nous avons

rencontré. Ce film permet de

retracer la démarche de la crèche

que nous avons retracée, un peu

comme « pour rendre visible ce

qui paraît invisible ». A travers l’intervention de tous les acteurs de la crèche, et en découvrant les

travaux menés quotidiennement au sein de la crèche, le film dévoile la capacité permanente du

personnel et des parents à remettre en question leur comportement, ce qui est tout à fait cohérent avec

nos propres observations sur le terrain. Afin de témoigner de la forte réflexivité dont fait preuve le

personnel, on peut y voir chacun d’entre eux s’exprimer sur une photo de leur enfance illustrant pour

eux ce que signifie le « genre », ou encore en train de visionner des images d’eux-mêmes en activité

avec les enfants et donc se donner la capacité de se remettre en question.

Finalement, ce documentaire constitue une parfaite conclusion à notre propre enquête de terrain,

mais il ne s’agit en aucun cas de l’aboutissement de la démarche de cette crèche : ce n’est qu’une étape

dans le processus. Et les parents, largement présents lors de cette projection (dont certains avaient

accepté de répondre à notre micro-trottoir), l’ont bien compris. Certains, très engagés dans

l’association évoquée précédemment, n’ont pas hésité à faire part de leur désir de porter ce projet dans

35

Des élus du Conseil Général de Seine-St-Denis après la diffusion du film

les écoles et ont questionné les élus sur les initiatives prévues à cet objet, avant de se heurter à une

inertie flagrante dont nous faisait part la direction.

36

Le personnel de la crèche Bourdarias déployant une banderole confectionnée avec des T-shirts d'enfants sur lesquels est écrit "UNIES POUR L'EGALITE"

SYNTHÈSE GÉNÉRALE DE L’ENQUÊTE

SUJET D’ETUDE : L’appréhension du genre dans les crèches

à travers les relations entre le personnel spécialisé et les enfants.

37

C'est un travail que je trouve en tous points (ou presque, comme vous le verrez dans mes commentaires) EXCELLENT et digne d'un travail de mémoire de Master. Votre dossier de synthèse est littéralement passionnant car vous avez su mutualiser les travaux individuels avec beaucoup d'intelligence. Le style est fluide, clair, précis. Les documents et extraits d'entretien et d´observations sont toujours bien amenés dans le commentaires et pertinents comme administration de la preuve de ce que vous avancez. Le plan fonctionne parfaitement. C'est un travail a ce point réussi qu'il justifie, malgré qqs petites maladresses signalées, la note de 10/10! Travail extrêmement prometteur.

Introduction générale et projet d’étude

Lorsqu’en classe le format final de l’examen sous forme d’enquête de terrain autour de la question

du genre a été expliqué notre groupe s’est assez rapidement formé car nous avions tous les quatre pour

projet de travailler sur la petite enfance. Il était clair dans l’esprit de chacun de nous que l’enfance, et

plus précisément les premiers mois de la vie du nouveau né, est un moment charnière dans

l’apprentissage du genre. En effet comme nous l’avons appris en classe à travers le corpus de textes

proposé, l’enfant n’a pas conscience de son identité sexuelle avant l’âge de 2-3 ans, ce sont donc les

représentations transmises avant cet âge qui vont déterminer en partie les représentations des futurs

adultes quant à l’identité sexuelle de chacun.

Si la population de notre étude, les enfants en bas âge, était alors déterminée la question du terrain

d’étude s’est ensuite posée. Il apparaissait nécessaire à chacun de travailler sur l’une des instances de

socialisation primaire de l’enfant. Dans ce cadre nous avons choisi les institutions d’accueil de la

petite enfance plutôt que la famille notamment car il nous semblait intéressant d’analyser ces

institutions qui transmettent de la même façon à des enfants de différentes origines sociales des

représentations sociales du genre. Le choix de la crèche comme terrain d’étude est alors paru comme

une évidence du point de vue théorique et il est vrai que l’idée de réaliser un travail empirique dans cet

univers à part nous enthousiasmait tous beaucoup.

Avant de commencer toute recherche sur les travaux scientifiques réalisés sur ce sujet il nous fallait

cerner une problématique bien précise. Comment comprendre le genre dans une institution telle que la

crèche ? Par quel angle était-il judicieux de l’aborder ? Fallait-il s’intéresser aux seules interactions

entre les enfants ? Autant de questions que chacun de nous s’est posé. Une fois cette réflexion menée

de façon individuelle nous avons collectivement décidé d’aborder la crèche comme un lieu susceptible

de diffuser des stéréotypes sur les relations entre hommes et femmes à travers la transmission d’une

éducation genrée, c’est à dire n’offrant pas les mêmes perspectives d’épanouissement aux petites filles

et aux petits garçons. Cependant, c’est notre première approche avec la littérature sur le sujet qui a

terminé de construire le cheminement de notre enquête.

En effet, dans un premier temps nous avons découvert différents travaux sociologiques comme ceux

de G. Cresson qui s’intéresse explicitement au lieu de la crèche analysé comme vecteur de stéréotypes

à travers les objets ou activités proposés aux enfants. Ces études entraient parfaitement en résonnance

avec la vision que nous avions de notre enquête à ce moment. Nous nous sommes ensuite tournés un

peu par hasard au cours de nos recherches sur les travaux du psychopédagogue Nicolas Murcier et la

confrontation à ses idées a donné un sens beaucoup plus large à notre étude et nous a permis de

38

Votre enseignante aussi!

redéfinir notre problématique. En effet N. Murcier s’intéresse à la formation des professionnel-le-s de

la petite enfance, les Educateurs de Jeunes Enfants (EJE). Les analyses qu’il offre de cette formation

presque exclusivement chasse gardée des femmes nous a permis de prendre conscience de

l’élargissement qu’il convenait d’apporter à notre problématique. Il fallait comprendre les

représentations genrées diffusées en crèche comme résultat d’une formation antérieure des EJE

imprégnée elle même des très nombreux stéréotypes. Notre enquête s’appuierait donc non seulement

sur l’analyse de la formation reçue par le personnel des crèches mais aussi sur la transmission de

stéréotypes auprès des enfants. Ces deux objets ne sont pas séparés dans notre analyse puisqu’il forme

un tout, les deux s’expliquant et s’éclairant mutuellement. C’est du fait de la formation des EJE que

des stéréotypes sont nourries au sein des crèches.

Le point d’orgue à la définition de notre projet d’enquête a été mis lorsque nous avons réalisé la

chance que nous offrait notre environnement de pouvoir réaliser une enquête comparative.

En effet, l’Université Paris-Dauphine possède une crèche ouverte aux enfants du personnel de

l’établissement. Cela représentait pour nous un terrain idéal, car implanté sur le lieu même de nos

études et donc il nous serait possible d’y mener de nombreuses analyses ou questionnaires. Dans le

même temps, dès le début de nos recherches, de nombreux articles de presse nous ont permis de

découvrir l’existence d’une crèche non genrée à Saint Ouen. La crèche Bourdarias devenait alors un

matériau exceptionnel afin de comprendre comment lutter contre la transmission de stéréotypes liés au

sexe dans les crèches. Nous avions donc le terrain idéal à disposition et nous avons jugé que notre

enquête ressortirait enrichie par cette analyse comparative.

Voici donc le cheminement de notre pensée, une pensée qui grâce à nos recherches et aux

opportunités offertes par notre environnement proche nous a permis de nous arrêter sur une

problématique définitive qui suit :

L’appréhension du genre dans les relations entre les professionnels et les jeunes enfants à travers

l’étude comparative entre la crèche dite classique de l’Université Paris-Dauphine et la crèche de

Bourdarias qui promeut une éducation non genrée. La question du genre sera donc appréhendée dans

cette étude au détour de l’éducation et l’éveil des jeunes enfants.

Afin de comprendre donc comment les crèches peuvent être un lieu de transmission implicite de

stéréotypes du genre il convient de relater de nos observations selon une organisation en trois parties

qui recoupent des points essentiels de nos analyses à la fois théoriques et empiriques. Dans la

première, il conviendra de comprendre le parcours des professionnels de la petite enfance en montrant

que cette formation peut parfois être elle-même porteuse de stéréotypes d’autant plus difficiles à

combattre qu’ils sont intériorisés par ces éducateurs. Dans un second temps nous nous arrêterons plus

promptement sur la vie au cœur de la crèche dans son entière matérialité en expliquant que les objets,

les activités, les lectures etc proposés aux enfants peuvent être porteurs d’inégalités de genre entre les

39

petites filles et les petits garçons. La troisième partie fera plutôt office d’ouverture en tant que nous

aborderons l’émergence de la question du genre dans les crèches au plan politique ce qui nous

conduira à parler plus largement des moyens mis en œuvre au plan étatique pour permettre des

initiatives telles que celle née à Saint Ouen.

I. La source des stéréotypes : retour sur la formation des professionnels de la

petite enfance

Cette question de la formation des professionnels des la petite enfance n’était au départ qu’un

élément d’importance relative que nous voulions évoquer dans notre étude mais nous ne pensions pas

immédiatement qu’il s’agirait là du point d’ancrage des stéréotypes retrouvés en crèche.

Comme rappelé en introduction c’est la lecture de différentes études de spécialistes et en particulier

du psychopédagogue N. Murcier qui nous a permis de nous rendre compte de l’importance de porter

un regard sur la carrière même des professionnels et notamment sur la formation des Educateurs de

Jeunes Enfants (EJE) présents à la crèche de l’Université Paris-Dauphine et la crèche Bourdarias de

Saint-Ouen. Nous nous sommes particulièrement appuyés sur le chapitre intitulé « Petite enfance et

rapports sociaux de sexe : la formation des professionnel(le)s de la petit enfance, idéologies et

représentations sociales » extrait de l’ouvrage collectif L’inversion du genre. Quand les métiers du

masculin se conjuguent au féminin... et réciproquement. Nous ne nous attarderons pas ici sur le détail

de l’analyse de Murcier que vous trouverez en annexe dans l’étude comparative de ce chapitre avec un

autre réalisé par G. Cresson, rappelons simplement quelques conclusions importantes.

Dans ce chapitre N. Murcier démontre que la formation d’EJE est une formation de femmes et même

réservée aux femmes. Les hommes y sont largement minoritaires et ceci s’explique notamment par

l’idée solidement ancrée dans la société selon laquelle les métiers de l’enfance seraient réservés aux

femmes. Des jeunes hommes de la formation interrogés par le chercheur déclarent ainsi qu’au moment

de l’entretien d’entrée dans la formation ils doivent justifier ce désir de travailler avec des enfants en

bas âge alors que cela paraît parfaitement naturel pour une jeune fille. En plus de ce constat, N.

Murcier explique que la formation délivrée est extrêmement « matrifocalisée » du fait notamment des

auteurs mis auxquels les professeurs (essentiellement des femmes par ailleurs) font référence. Ces

auteurs appartiennent souvent au champ de la psychologie et insistent dans leurs ouvrages sur la dyade

mère/enfant qui serait au cœur de la construction de ce dernier. Ainsi on transmet aux futurs EJE l’idée

selon laquelle les troubles du comportement d’un enfant ne peuvent provenir que de problèmes chez la

mère. La figure paternelle est exclue ou presque de l’enseignement, à tort selon les témoignages de

certains élèves. Finalement l’élément déterminant de l’analyse de Murcier relève de cette critique de la

formation qui ferait de la prédominance de la mère dans l’épanouissement de l’enfant une sorte de

40

dogme. Ce constat a permis d’aiguiser notre œil d’observateurs et d’éclairer certains des

comportements ou témoignages d’EJE que nous avons récoltés dans les deux crèches.

En effet, on a pu très vite remarquer chez les EJE interviewés une difficulté à se placer dans une

posture critique vis à vis de leur formation. Très souvent au cours des questions posées nous tentions

d’aborder la question de la discrimination des hommes, la question de l’absence du père dans les

représentations transmises de la relation parents / enfants. Toutefois, nous nous heurtions souvent à des

négations nettes dès nos premières questions, et ceci notamment à la crèche de l’Université-Paris

Dauphine. De ce point de vue l’analyse comparative permet parfaitement de comprendre la posture

différente entre les EJE des deux crèches vis à vis de la formation et des pratiques. Ainsi nous avons

eu la chance à Dauphine d’interviewer différentes professionnelles possédant un diplôme d’EJE mais

qui avaient un regard différent quant à la question de la représentation des hommes dans ces

formations : « Je ne sais pas expliquer la faible présence des hommes et je n’ai jamais rencontré

d’hommes qui s’occupent de tout petit, mis à part à l’école maternelle (...) On pousse les hommes à

faire des métiers moins féminins que ces métiers là. Après moi ce qui me rassure c’est que depuis que

j’ai fini ma formation il y en a de plus en plus » (une EJE à la crèche de l’Université Paris Dauphine).

Les EJE sont donc souvent conscientes de l’absence d’hommes qui ne peut être niée mais elles ne se

questionnent que très peu à ce sujet. La réalité du caractère presque exclusivement féminin de la

formation d’EJE semble presque acceptée comme telle. Lorsqu’on leur demande par exemple

comment agir pour attirer des hommes plus nombreux l’une des EJE de la crèche de Dauphine nous

apporte cette réponse : « Euuuuuh (blanc de plusieurs secondes) je pense que oui, oui oui, oui il y a

des choses faites mais ce sont des choses qui datent d’il y a tellement longtemps (elle parle de la

suprématie des femmes dans ces métiers) que les choses doivent être surement faites avant la

formation, dans les lycées par exemple. Une fois dans la formation les gens ont accepté donc c’est

trop tard ». Il y a donc l’idée qu’une remise en question de l’extrême féminisation de ces métiers ne

peut venir des étudiants ou des professeurs de la formation même mais pour elle il devrait y avoir

plutôt une sensibilisation en amont dans les collèges et lycées.

Les représentations stéréotypées sont ressorties de façon explicite lorsque nous avons commencé à

nous questionner sur les représentations hommes / femmes chez les EJE. Ainsi nous interrogions les

professionnels sur le bienfait et l’apport d’une présence masculine en crèche parmi les EJE et les

réponses apportées sont très intéressantes. « Les hommes sont plutôt dans les faits que dans la

réflexion. Ils agissent et se posent souvent des questions mais après l’action seulement ». (Bérénice,

jeune EJE à la crèche Paris Dauphine). Parfois des stéréotypes ressortent clairement des réponses :

«On a eu un homme pendant deux ans, Bryan. Il nous apportait quelque chose de différent, un autre

regard. Quand un homme est là, qu’il fronçait les sourcils et haussait le ton les enfants avaient

tendance à être plus réceptifs. Il apportait une approche différente, je ne sais pas. Il se mettait plus en

41

Très bien de faire le lien

retrait et puis voilà nous ici on est toutes des femmes avec nos caractères, il avait le côté un peu moins

frivole que la femme ». (EJE de la crèche Paris Dauphine). Il y a donc une tendance nette dans les

représentations des EJE à enfermer l’homme dans sa virilité, il serait la figure autoritaire, même au

sein de la crèche. Ici à l’inverse les femmes sont réduites à leur « frivolité » comme si la gravité était

un registre réservé à l’homme tandis que la douceur et la légèreté seraient le domaine réservé des

femmes. Il y a donc l’idée implicite que le travail avec les enfants en crèche requiert certaines qualités

plutôt féminines tandis que les hommes seraient eux plus naturellement faits pour des postes où leur

autorité peut s’exprimer. Il semblerait donc que les représentations des EJE sur leur propre formation

et sur le métier soient teintées de nombreux stéréotypes, et il est visible bien souvent que ces

représentations influencent leurs relations avec les enfants et engendrent un risque de diffusion des ces

stéréotypes auprès des plus petits. Porter un regard critique sur leurs pratiques semble pourtant une

opération très compliquée pour les EJE, ce qui rend la lutte contre une appréhension genrée de la

réalité d’autant plus compliquée.

En effet, lorsqu’on questionne les EJE sur le caractère égalitaire de leurs formations et donc de leurs

pratiques on s’attaque ici à des vérités qui sont souvent niées en bloc. Il est difficile pour elles de

remettre en question leur savoir. Avec leur formation elles se sont constituées une sorte d’habitus

professionnel dont elles ont incorporé les représentations et qui leur permet d’agir et de donner un sens

à chacune des situations qui s’offrent à elle dans toutes les circonstances. Dans la crèche de

l’Université Paris-Dauphine non sensibilisée à la question du genre nous avons ainsi observé une

tendance au rejet de nos questions sur ce sujet.

Par exemple lorsqu’on nous posons la question suivante « Y a t-il dans certaines activités un

traitement distinct des garçons et des filles ? Des moments réservés plutôt pour les uns ou les

autres ? » la réponse montre cette négation en bloc puisqu’à peine fini la formulation une EJE de

l’Université nous dit « Ah non, non non non, on fait tout pareil avec tout le monde, pas de différence ».

Cette EJE qui nous répond est la plus ancienne, elle a quarante années de métiers et dans son interview

de 6 minutes il est intéressant de voir que l’expression « pas de différence » revient 11 fois. Elle

perçoit dans nos questions que nous tentons de mettre en question le caractère égalitaire entre filles et

garçons de certaines pratiques et cela est nié en bloc pour deux raisons. Tout d’abord cette inégalité

n’est pas perçue comme telle par les EJE qui agissent selon les critères reçus dans leur formation. Mais

plus encore, il est difficile pour les EJE de remettre en cause ces pratiques puisqu’elles sont

constitutives de leur propre identité professionnelle. Finalement seul un point de vue extérieur semble

pouvoir faire prendre conscience aux EJE des stéréotypes pouvant être diffusés à travers leurs

pratiques, c’est ce qui a eu lieu à la crèche Bourdarias.

En effet, c’est grâce à l’intervention de professionnels suédois que la crèche Bourdarias de Saint

Ouen a décidé de monter un projet d’éducation non genrée des petits enfants. Ceux-ci sont intervenus

durant un stage organisé en 2007 et par la suite l’équipe s’est constituée et a travaillé dans le but de

mener ce que les Suédois nomment une « pédagogie compensatoire », expression à laquelle la

42

directrice de la crèche Bourdarias préfère celle de « pédagogie active ». Derrière cette expression on

perçoit que ce projet est avant tout un projet d’action, le personnel le qualifie même de militant,

puisqu’il s’agit à proprement parlé d’une lutte contre les inégalités hommes / femmes dès le plus jeune

âge. Pourtant, ce projet a connu des réticences et ce notamment du fait de la difficulté pour les

professionnelles de la crèche de faire l’autocritique de leur pratique. Nous avons eu la chance là encore

de pouvoir rencontrer le personnel, et notamment Béatrice qui travaille à la crèche depuis plus de

trente ans et qui a donc pu attester des changements observés. Elle explique qu’elle même était

quelque peu réticente à l’égard de cette pédagogie nouvelle au départ et notamment parce qu’elle avait

l’impression qu’on lui montrait que la pratique qu’elle développait depuis 30 ans pouvait être

stéréotypée. Ici encore on touche à l’identité professionnelle, cependant Béatrice, contrairement à la

professionnelle de Dauphine citée plus haut, a eu la chance d’avoir des explications et des

éclaircissements quant à l’origine et la diffusion de ces stéréotypes ce qui a permis chez elle une prise

de conscience.

Elle explique d’ailleurs : « Finalement c’est avant tout un travail sur soi, sur nos propres

perceptions, c’est ce que je trouve bien dans cette pédagogie active car elle nous fait changer autant

qu’elle peut changer le rapport entre les enfants ». La pédagogie active consiste donc en un double

travail, à la fois avec soi même et aussi avec les enfants. Ceci explique qu’il s’agisse d’un processus

long et jamais achevé de déconstruction des représentations par les EJE et de création d’une identité

professionnelle nouvelle. Contrairement à ce que pensent beaucoup d’individus ou notamment la

presse qui grossit le trait, la pédagogie active ne consiste pas à donner des marteaux aux filles et des

poupons aux garçons. Béatrice, au cours d’une activité bricolage avec un groupe de deux filles et deux

garçons nous explique ainsi : « Le but n’est pas de mettre les poupées dans les mains des garçons. On

essaye plutôt de les faire jouer ensemble, de créer une certaine égalité entre filles et garçons dans

différents activités comme ici le bricolage » et ajoute ensuite « il s’agit de permettre aux petites filles

de s’exprimer plus ouvertement, et il ne faut pas rabaisser le petit garçon mais plutôt lui donner

l’occasion d’exprimer ses émotions par des mots ». D’après elle qui a une grande expérience les

résultats sont très visibles, les petits garçons seraient beaucoup moins violents tandis que les petites

filles parviendraient à plus imposer leur voix. Pour elle les plus grandes transformations observables

concernent « le respect de l’autre et l’estime de soi ».

Une autre EJE récemment diplômée que nous interrogeons nous a elle aussi offert un point de vue

intéressant puisqu’elle a expliqué qu’elle a très vite appris à déconstruire en arrivant à Bourdarias

certaines des représentations stéréotypées acquises au cours de sa formation. Elle montre comment

derrière certaines petites expériences du quotidien des différences entre petites filles et petits garçons

étaient faites : « je ne savais pas au moment de l’accueil des enfants que lorsque je disais à une petite

fille qu’elle est belle ou bien habillée j’avais tendance à lui donner une certaine représentation d’elle

43

même ». Pourtant l’accueil des enfants et des parents est bien le moment où les stéréotypes ressortent

le plus selon nos observations. N. Murcier montre ainsi que la primauté de la femme dans la relation

avec l’enfant s’y fait sentir plus que n’importe quand. A ce sujet on a pu noter dans nos observations à

Dauphine certaines résurgences de ces inégalités. L’une des EJE que l’on interroge sur l’accueil des

parents nous dit ainsi : « Ils posent souvent les mêmes questions, si leurs enfants ont bien joué et

mangé etc et par exemple moi j’explique aux mères quels légumes faire manger à leurs enfants à

différents âges ». A travers l’habitus professionnel la mère est encore conçue, de façon inconsciente,

comme la personne responsable de faire manger les enfants.

Le processus mené avec la pédagogie active demande donc un travail de chaque instant mené non

seulement par les EJE de la crèche Bourdarias, mais aussi par l’ensemble des acteurs de la crèche, de

la lingère, à la direction, en passant par le cuisinier et les parents. Aussi, lors de nos observations nous

avons été surpris nous-même par le caractère semblable de la crèche à toutes les autres. Les EJE nous

explique que la pédagogie active passe avant tout par la parole, la façon de s’adresser à un enfant

quelque soit son sexe. « On avait tendance avant à parler plus doucement aux petites filles et à dire

aux garçons de ne pas pleurer, ca jouait surement sur leurs représentations de l’homme et de la

femme » reconnaît ainsi Béatrice.

De par la formation des EJE qui divulgue une image stéréotypée des rôles des hommes et des

femmes la crèche devient un lieu où le genre est appréhendé à travers des pratiques inégalitaires. La

perception des rôles au sein même des équipes entre hommes et femmes témoignent de cette vision

archaïque de l’homme comme être viril et de la femme protectrice et bienveillante. La pédagogie

active entend contrer ces idées très ancrées dans le social. Mais il ne s’agit pas de faire des petits

garçons des petites filles comme cela est parfois grossièrement présenté. Il s’agit de combattre es

stéréotypes qui avancent toujours cachés derrière des pratiques quotidienne et donc difficiles à déceler

d’autant qu’ils sont intériorisés par les EJE au cours de leur formation. Il s’agit avant tout d’un travail

d’équipe, solidaire, avec une appréciation et une remise en cause collective et des pratiques de chacun

au sein de la crèche. Il s’agit avant tout donc d’un travail sur soi autant qu’avec les enfants.

Si nous avons étudié ici en quoi consistait ce travail chez les professionnel(le)s, il convient

désormais de comprendre comment, à travers différentes pratiques quotidiennes la crèches peut

concrètement devenir un lieu vecteur d’inégalités hommes / femmes. Pour cela il convient notamment

de montrer que le genre est en permanence au cœur des pratiques avec les petits enfants.

II. La vie quotidienne dans les crèches : le genre en action

C’est une des questions centrales que nous posions lors de nos entretiens : « faîtes-vous une

différence entre garçons et filles ? / Agissez-vous différemment ? ». La réponse que nous avons eue que

44

cela soit à Dauphine ou à Bourdarias a été « non » comme l’on pouvait s’y attendre à ceci près que les

compléments de réponse où celles aux questions suivantes ainsi que nos observations sur le terrain

nous indiquaient de grandes divergences. En effet alors que les EJE de Bourdarias nous parlaient du

projet éducatif voire même des différences avec leurs expériences passées, celles de Dauphine

pouvaient infirmer ce qu’elles nous disaient auparavant par leurs attitudes ou même des phrases

directes comme Bérénice « les garçons sont plus indépendants, autonomes, je les laisse se

débrouiller ». Nicolas Murcier l’écrivait d’ailleurs dans son article, les personnels de crèche n’ont pas

conscience de la différenciation qu’ils introduisent. En effet, ceux-ci dans leurs interactions

quotidiennes avec les enfants, mais également avec les parents sont vecteurs de nombreuses

discriminations genrées et autres stéréotypes. Comme l'explicite bien l'article de Geneviève Cresson,

mais l'ont aussi bien illustré nos observations sur le terrain, la relation directe avec l'enfant diffère

selon le sexe de ce dernier. Ainsi, les EJE sont beaucoup plus douces avec les petites filles, dans la

valorisation esthétique et l'incitation à être plus en retrait et discrètes et tempérées avec ces dernières.

L'observation réalisée dans la crèche de Dauphine illustre bien ce comportement lorsque la petite

Christine tente de voler le jouet d'une de ses camarades et est immédiatement réprimandée alors que

Noé quelques minutes auparavant n'a subit aucune réprobation. L'histoire de Camille à la crèche est

aussi un bon exemple, face à la tristesse d'Agathe, Martine, l'EJE décide de lui faire un câlin et de la

cajoler. La caricature de cette attitude a également été faite dans l'histoire lorsque Martine dit à Léa

qu'elle est coquette et qu'elle a une jolie robe. En revanche, l'attente face aux petits garçons est tout

autre, avec une valorisation de l'agilité, de l'affirmation et de la force de ces derniers. Le petit garçon

est le plus souvent le centre d'attention des EJE. Lors de notre observation, Noé est surveillé durant

tout le repas et est incité à finir son assiette et à manger plus, alors qu'Héloïse dans la même situation,

ne reçoit pas cette incitation. L'illustration est aussi donnée par l'histoire de Camille va à la crèche,

lorsque Gustave arrive et qu'il est félicité pour sa force, et non réprimandé lorsqu'il se lève lors de la

lecture et empêche les autres enfants de voir les images. Toutefois, les transmissions de stéréotypes

genrées sont aussi réalisées par l'intermédiaire des réflexions faites par les EJE lors de la journée. La

réponse spontanée de Mathilde face à l'étonnement de Christine d'entendre un mixeur qui lui rappelait

sa maman en est une parfaite illustration. Mathilde lui demande alors si sa maman cuisine chez elle. Il

n'est aucune fois fait allusion au père pour la réalisation de cette tâche ménagère. Ce constat est quasi

le même lorsque les enfants se trouvent confrontés à l'image d'un aspirateur pendant le temps calme.

Mathilde leur demande qui fait le ménage chez eux, face aux réponses incluant en majorité les mères

de famille, l'EJE fait alors référence au père pour l'exécution de cette tâche domestique en exprimant

toutefois l'admiration et la surprise « tu lui diras que je le félicite ».

Les fonctionnements observés entre les deux crèches par nos soins lors des observations ne montrent

pas de différences majeures dans les fonctionnements des crèches au niveau de l’organisation générale.

45

La directrice de Bourdarias nous disait justement que ce n’est pas tant dans les activités en elles-

mêmes que dans l’attitude qu’il y aurait une différence. C’est en faisant attention à ce que l’on dit,

comment on le dit et comment l’enfant le réceptionne que les valeurs se transmettent. En effet, la

crèche de Saint-Ouen suite à ce constat et après une formation auprès d'une équipe suédoise a mis en

place une pédagogie toute autre quant à son établissement. Le but des EJE de Bourdarias est de ne plus

faire de différence entre les enfants et de rééquilibrer les rapports entre les sexes notamment en

incitant les petites filles à s'affirmer et s'exprimer ouvertement et proposant aux petits garçons de faire

part de leurs émotions et de mieux les canaliser. Comme nous l’avons évoqué précédemment, cette

pédagogie passe tout d’abord par une partie réflexive effectuée par le personnel, puis par un travail

quotidien, minutieux, mené auprès des enfants. Cette pédagogie est un processus, et pas un

aboutissement.

Ainsi, la petite Zélie est beaucoup sollicitée lors de son retour de l'activité aquatique afin de savoir si

elle a apprécié et comment elle se sent. Nous avons essayé de traduire cette pédagogie dans l'histoire

créée lorsque par exemple Hans demande à tous les enfants si l'activité leur plait et qu'ils peuvent

s'exprimer. Certes l’une des EJE de Bourdarias qui avait travaillé dans plusieurs autres crèches

auparavant nous disait qu’au cours de ses trente ans d’expérience elle avait vu une véritable évolution

dans le temps mais au niveau de l’éducation des jeunes enfants en général. L’exemple frappant des

promenades où les bambins étaient attachés par une corde pour ne pas qu’ils s’écartent semble

aujourd’hui archaïque alors même que c’était il y a « seulement vingt ans » disait-elle pendant que

cinq enfants (deux garçons, trois filles) faisaient des « jeux d’eau ». La deuxième EJE qui surveillait

l’activité avec elle, beaucoup plus jeune, nous disait être à Bourdarias depuis deux ans et avait travaillé

trois ans dans une première crèche et voyait une vraie différence pour elle parce que les enfants « sont

beaucoup plus calmes, ils prennent plus leur temps, nous on est moins dedans, on a plus le temps de

se poser, d’observer. […] C’est une structure qui donne le temps de prendre le temps ».

La journée type des deux crèches que nous avons observées est dans son organisation sensiblement

la même à savoir :

- 8h30-9h30 : accueil des enfants

- 9h30-11h : activités

- 11h-12h : déjeuner

- 12-14h : sieste ou activités

- 14h-16h : activités

- A partir de 15h30 : départ des enfants

46

Nuance importante...

La différence est particulièrement visible dans le contenu des activités et les comportements des

enfants. Les activités à Dauphine ne sont pas prévues par avance et sont proposées aux enfants de

manière spontanée. Les enfants font donc des dessins suite à la demande de Noé. Au contraire à

Bourdarias, plusieurs activités sont proposées chaque jour aux enfants, en faisant toujours preuve de

« créativité, d’innovation… » insiste la direction qui veut surtout que les enfants aient le choix. Ceux-

ci sont incités à aller dans n'importe laquelle d'entre elles, quel que soit leur sexe. Ainsi, des petites

filles peuvent faire du bricolage et des petits garçons des activités plus créatives. Lors de notre

observation, deux petites filles bricolaient alors qu'un petit garçon faisait de la peinture sur pot

(comme vu lors de l'analyse comparée des deux crèches). L'offre d'activité et la manière dont elles sont

présentées aux enfants est donc un déterminant de la diffusion ou non des stéréotypes genrés. De plus,

à Bourdarias, les EJE ont la volonté de respecter une mixité dans les activités des enfants et dans la vie

quotidienne. La constante mixité à Bourdarias permettrait selon les EJE d’avoir des enfants moins

perturbés, plus à l’écoute. Il est vrai que, à part pour les activités nécessitant la production de bruits, le

volume sonore entre les deux crèches n’était pas comparable (ceci dit rappelons que les observations

n’ont chacune duré qu’une matinée, elles ne sont donc pas nécessairement représentatives). Toutefois,

il apparaît que les enfants sont beaucoup plus respectueux les uns des autres et plus sereins. C'est ce

que nous avons essayé de démontrer dans l'histoire en soulignant les différences entre le premier et le

deuxième jour de Camille à la crèche, lors du deuxième jour, peu d'incidents se passent entre les

enfants, ils jouent ensemble et sont plus respectueux du reste du groupe, notamment lors de la lecture.

Les institutions de la petite enfance ont également une influence sur les stéréotypes genrés et leur

transmission du fait de leurs supports pédagogiques et de l'organisation de la pièce, ce que la crèche

de Bourdarias a bien compris et tente d'être vigilante quant à ces choses, même si une EJE présente

lors de l'observation nous expliquait qu'il était très difficile de trouver des supports qui ne véhiculaient

pas de stéréotypes sexués. L’exemple de la sieste et des moments lectures est intéressant parce que les

choix de livre, fait l’objet d’une attention toute particulière. Les histoires qui sont lues aux enfants

font très souvent l’apologie de la distinction : papa qui travaille et est dans son fauteuil tandis que

maman reste à la maison, fait la cuisine et la vaisselle ; que ce soit au travers de figures animales ou

réelles. Les livres lus lors du temps calme de l'observation à Dauphine par exemple présentent des

protagonistes masculins ou des images valorisant le sexe masculin (les garçons font du sport, jouent

d'un instrument, sont forts alors que les petites filles crient et sont insupportables). A Bourdarias, au

contraire, les enfants ont pu écouter l'histoire de Monsieur Papa et ses dix enfants, père au foyer qui

supporte toutes les tâches domestiques. C’est ici que les distinctions de genre sont le plus et en même

temps le moins visible parce que cela fait plusieurs générations que sont lues les mêmes histoires donc

il n’y a pas d’interrogations des parents ou des personnels de crèche sur ce qu’elles transmettent.

Comme nous le disions dans la revue de presse à propos de l’article du Parisien, c’est « entre 0 et 6

ans [que] les enfants intègrent des valeurs, des habitudes… ». Mais là encore, il convient de rappeler

47

que la volonté n’est pas d’inverser les stéréotypes. C’est en allant à la rencontre de la crèche que nous

avons pu prendre du recul quant à la vision manichéenne trop souvent décrite par les journalistes.

« Ici, les filles bricolent et les garçons cuisinent » dans le chapeau de l’article paru dans Elle ; « On

encourage les filles à manier le marteau à l’atelier bricolage, et les garçons à s’exprimer à l’atelier

émotions » enchaîne l’article de Madame Le Figaro. Ces assertions brutes et dénuées de sens étaient

justement fustigées par la direction de la crèche Bourdarias qui refuse désormais de recevoir des

journalistes. L’article du Parisien semble, quant à lui, avoir saisi la subtilité de la démarche en prenant

soin de décrire la pédagogie suédoise à l’œuvre et en citant les mots justes de la directrice : « La lutte

contre les stéréotypes sexués n’est pas quelque chose qui se voit ».

Mais ce qui est aussi important de prendre en considération en plus des supports pédagogiques, c'est

l'organisation mobilière de la crèche. En effet, dans les crèches traditionnelles, comme c'est le cas à

Dauphine (cf. analyse comparée des crèches), les jouets d'imitation, le plus souvent utilisés par les

petites filles sont situés en périphérie du point central de la salle, ce qui va indéniablement entrainer

les petites filles à se retrouver dans les coins, alors que les petits garçons plus enclins à jouer à des

jeux d'agilité, vont occuper le centre des pièces. Cela véhicule donc encore une différenciation genrée,

les petits garçons étant centraux et plus importants que les petites filles rejetées dans les coins des

pièces. En revanche, dans la crèche de Bourdarias, les jeux d'imitation sont situés au centre de la pièce,

laissant le loisir aux petites filles mais également aux petits garçons de pouvoir jouer à ces jeux tout en

restant au centre de la pièce et s'affirmant. (Cf. l’article de G. Cresson)

Les deux bornes de la journée à savoir l’accueil et le départ des enfants sont également de bons

terrains de l’analyse et de l’observation des transmissions des discriminations de genre. Nicolas

Murcier analyse le rôle des parents dans la socialisation primaire et montre que les EJE sont tout

autant responsables sur certaines dimensions. De plus, les EJE sont aussi porteuses de différenciation

genrée du fait de la matrifocalisation qu'elles réalisent. En effet, les mères sont au centre de l'attention

des EJE et considérées comme le parent responsable des enfants. Les EJE attendent « naturellement »

que ce soient elles qui viennent chercher leur enfant à la crèche et de dialoguer avec elles pour tous

problèmes concernant l'enfant et cherchent à trouver des excuses et des raisons pour lesquelles les

mères ne peuvent pas effectivement s'occuper de leur enfant. Nous avions délibérément caricaturé

cette phase lors de notre mini pièce de théâtre lorsque Martine, l’EJE du premier jour : « Monsieur,

pensez à dire à votre femme de donner un doudou à Camille pour la sieste » ; « Ta maman ne peut pas

venir? ».

48

III. Les politiques publiques

La crèche Bourdarias et son projet de pédagogie active ne semble pas confinée au rang

d’expérience puisque ces derniers temps des personnalités politiques semblent s’y intéresser de près.

Dans cette perspective, la visite de Najat Vallaud-Belkacem et de Dominique Bertinotti a été un

moment fort de la rentrée pour le monde de la petite enfance. Deux des articles que nous avons

sélectionnés parlent de cette visite. La dimension politique est d’une importance capitale. L’entretien

que nous avons mené avec la directrice de la crèche le révélait. La présence de la Ministre des Droits

de Femmes et de la Ministre déléguée à la Famille montre bien la volonté politique du gouvernement

d’encourager l’initiative qui réside dans le projet éducatif de la crèche Bourdarias.

Nicolas Murcier annonçait clairement des principes afin de revaloriser le système de crèche, la

formation des EJE, l’augmentation des allocations familiales… Mais plus encore, comme nous le

disait la directrice de la crèche Bourdarias, il faut maintenant des actes concrets du gouvernement mais

également des collectivités. Il convient de rappeler que le système de crèches dépend principalement

des municipalités et des conseils généraux ; d’ailleurs le Président du Conseil Général de Seine-St-

Denis Stéphane Troussel s’était joint aux deux ministres lors de la visite de la crèche. Le Conseil

Général est d’ailleurs à l’initiative d’un des points majeurs dans l’apprentissage par les personnels de

la crèche Bourdarias à savoir l’organisation de stages de formation à St Ouen par des suédois. Cette

initiative est rappelée dans un encadré à la fin de l’article du Parisien de notre revue de presse.

La problématique qui s’impose aux pouvoirs publics est celui des moyens parce que pour permettre

de lutter efficacement contre les transmissions de valeurs sexistes, discriminantes il faut permettre à

d’autres établissements portant un tel projet éducatif de voir le jour mais également continuer dans la

durée parce que si l’apprentissage d’une égalité est faite en crèche mais défaite dès la maternelle puis

continuée à l’école primaire cela ne servirait pas à grand-chose. Cet avertissement était clairement

exposé par la directrice de la crèche de St Ouen. Mais c’est aussi une problématique qui touche toute

la société parce que peu d’enfants sont accueillis en crèche faute premièrement de places suffisantes il

faut donc en construire et les faire vivre, deuxièmement la formation des personnels de ces structures

afin que l’appréhension face au plus grand risque de pédophilie d’hommes travaillant avec de jeunes

enfants disparaissent et qu’au contraire ce ne soit plus un monde « réservé » aux femmes, que la

diversité et la mixité soit plus présente parmi les EJE semble selon celles de Bourdarias plutôt positive

tout comme l’est la mixité garçons-filles pour les enfants, troisièmement la capacité des parents

notamment financières de les placer dans ces établissements et enfin une contrainte temporelle pour

eux parce que ne réussissant pas à joindre correctement congés parentaux pris à 98% par les mères, qui

sont elles-mêmes très majoritairement représentées parmi les salariés à temps partiels.

49

Les mères doivent en effet régulièrement quitter le monde du travail un certains temps pour élever

leurs enfants parce que ne pouvant assurer la charge financière d’une garde quand celles-ci sont à mi-

temps, au SMIC : « Parmi les 3,2 millions de salariés qui gagnent moins que le Smic, 80 % sont des

femmes »2.

Toutefois le personnel de la crèche Bourdarias entend étendre la pédagogie active à d’autres horizons

et pour cela il peut compter sur le soutien actif de nombreux parents motivés et organisés pour faire en

sorte que l’éducation non genrée reçue à la crèche ne soit pas qu’une brève parenthèse dans la vie de

leurs enfants. Pour avoir un sens concret et agir en profondeur sur les représentations de leurs enfants

les parents ont conscience de l’importance de lui donner une suite, non seulement chez eux mais aussi

dans l’institution scolaire. C’est d’ailleurs en ce sens qu’une intervention des pouvoirs publics se fait

attendre. Si les élus du Conseil Général de Seine-Saint-Denis reconnaissent les bienfaits de cette

expérience beaucoup attendent désormais d’eux qu’ils agissent en montrant un réel désir de faire de

cette expérience une norme à suivre pour l’ensemble des institutions relatives à l’éducation des

enfants, de la crèche à l’école maternelle et primaire. C’est peut être sur ce point que nos observations

nous laisse d’ailleurs le plus sceptique. Nous avons été invités à participer à la diffusion à L’espace

1789 d’un documentaire réalisé sur la crèche Bourdarias en présence de certains des élus concernés

par la question. Durant cette soirée de nombreux parents ont pris la parole pour faire part de leur

enthousiasme au sujet de ce projet en interrogeant directement les élus quant à sa poursuite aux

échelons scolaire supérieurs. Il était frappant de voir qu’à travers de longues réponses, détournant

parfois presque le sujet, les élus n’ont pour l’instant pas de réelle conception d’un quelconque

prolongement de l’éducation active à la fois dans d’autres crèches mais aussi et surtout dans les écoles.

Il serait de notre point de vue pourtant dommage de faire de la crèche Bourdarias une simple vitrine

sur laquelle s’enorgueillir sans penser à faire de cet exemple une norme à suivre au niveau local afin

d’impulser un élan au niveau régional puis national. Nous avons d’ailleurs appris à cette occasion que

d’autres projets de la sorte étaient nés à Toulouse notamment, c’est dire si Bourdarias peut constituer

un exemple. Reste maintenant à savoir si les pouvoirs publics agiront dans cette direction. Face à une

multitude de volontaires et un projet humain d’une telle richesse pour les enfants il serait

dommageable que le projet Bourdarias s’arrête aux portes de la crèche. S’il est important au plan

politique de se demander quel monde nous laisserons à nos enfants, la question de savoir quels enfants

nous laisserons à la société future l’est peut-être plus encore. En ce sens, la crèche Bourdarias en

élevant les enfants dans le respect mutuel ne réalise pas seulement un acte militant mais prépare aussi

le « vivre ensemble » et assure en un sens la cohésion sociale de demain en cherchant des solutions

aux inégalités entre hommes et femmes encore à l’origine de violences nombreuses et invisibles.

2 Maurin Louis, « "Hommes-femmes : en finir avec la discrimination", entretien avec Margaret Maruani, sociologue », in Observatoire des inégalités, 5 juin 2011 [en ligne] <http://www.inegalites.fr/spip/IMG/xls/newsletter/spip. php?article211&id_mot=27>, page consultée le 11 décembre 2012.

50

Oui et posez aussi la question de savoir pourquoi ces résistances dans l'ordre social ?

Au travers de notre problématique, il faut souligner l’importance des conséquences et du nombre de

domaines sur lesquels les pouvoirs publics doivent agir. La transmission des discriminations de genre

se fait certes dans la crèche d’où l’importance de changer le formatage sociétal des personnels, des

parents, des entreprises et des pouvoirs publics eux-mêmes.

Conclusion

Nous n'étions pas partis avec des a priori très fondés, juste l'envie de découvrir un monde qu'aucun

de nous en connaissais vraiment et dont nous pensions l'importance dans la thématique qui est la nôtre

à savoir la transmission des normes et discriminations de genre dans les crèches.

Après avoir lu, observé, interviewé, comparé des terrains et des écrits il nous est apparu de

l'importance de cet espace.

De part les relations qu'entretiennent les enfants, que les personnels et les parents leurs font

entretenir entre eux, qu'eux-mêmes entretiennent entre eux. De part la formation des éducateurs de

jeunes enfants, le manque d'offre de places en crèche (voire même le manque d'établissement tout

court) et les contraintes auxquelles sont astreintes les familles et notamment les mères; objets d'un

"matricentrisme" (Murcier) puissant de la part des personnels et des institutions qu'elles émanent des

pouvoirs publics ou des médias qui caricaturent toute initiative allant à l'encontre de "l'establishment"

moral discriminatoire.

Des solutions sont envisagées par des sociologues tels que Nicolas Murcier ou Geneviève Cresson,

par des initiatives politiques comme les aides du Conseil Général de Seine-St-Denis, la visite officielle

des deux ministres et par les personnels eux-mêmes qui montent des projets, essayent de les faire

vivre, de les développer et de les exporter horizontalement c'est-à-dire à d'autres crèches et

verticalement pour que le système scolaire suive.

C'est un long chemin qui essaye de s'engager vers la diminution et à terme la fin de cette

discrimination, qui commence par la petite enfance et qui continue et doit se mener dans toutes les

sphères de la société

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Rupture de construction, soit anacoluthe comme dirait le capitaine Haddock !

ANNEXES

- Entretien avec la directrice et le directeur-adjoint de la crèche Bourdarias

- « Camille va à la crèche »

- Retranscriptions de micro-trottoirs réalisés auprès de parents déposant leurs enfants à la crèche Bourdarias.

- Grille d’entretien pour la crèche de Dauphine.

- Grille d’entretien pour la crèche Bourdarias.

- Grille d’adjectifs utilisée à la crèche Bourdarias.

52

-

Annexe 1 : Entretien avec la directrice et le directeur-adjoint de la crèche Bourdarias

Dans le cadre d'un dossier concernant le rôle éducatif des institutions de la petite enfance pour un Master 1 en sciences de la société à Paris Dauphine nous allons vous poser quelques questions.

Remarques préalables à la lecture de l’entretien

Dans la retranscription, il sera précisé, lorsque les paroles sont prononcées par la directrice Madame

Constantin, ou par le directeur adjoint, Monsieur Helbecque. Notre entretien s’est fait conjointement,

mais il est arrivé que l’un des deux enquêtés soit sorti du bureau pour continuer le fonctionnement

« normal » de la crèche.

Certaines questions prévues dans la grille n’ont pas été posées (nous les avons néanmoins

volontairement laissées apparaître) soit parce que la réponse a été donnée précédemment, soit parce

que la question nous a finalement parue maladroite dans le contexte, après avoir eu une meilleure

connaissance du terrain au fil des questions.

Inversement, certaines questions sont nées spontanément parmi notre groupe d’étudiants : elles sont

donc précédées par la simple indication « Etudiants » au fil de la grille. Il peut s’agir également de

demandes de précisions.

Enfin, les indications en italiques auront la même fonction que les didascalies dans les pièces de

théâtre.

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I. LE PERSONNEL : FORMATION, CONVICTIONS

1) Comment est née votre vocation ? Pourquoi avoir choisi cette profession? (simple trajectoire

professionnelle ou vocation ?)

La directrice, Madame Constantin : Je déteste le terme de vocation. C’est une formation dans un

domaine. C’est mon avis. Je ne supporte pas ce terme. J’ai fait une formation d’éducateur de jeunes

enfants mais pas nécessairement en crèche. Cela fait 7 ans que je travaille en crèche en tant

qu’éducatrice de jeunes enfants et aujourd’hui je suis directrice de cette structure. Ce projet qui tourne

autour de l’égalité fille-garçon dès le jeune âge on le traite depuis 2006. C’est donc une réflexion très

longue qui ne se fait pas du jour au lendemain. Il y a toute une partie réflexive où nous avons été

formés par une pédagogue suédoise. Revenons à la base. Ici dans le département, ils s’intéressent à la

sexualité de l’enfant depuis 2005 où ils ont monté une journée professionnelle pour tous les agents de

service de la petite enfance pour essayer de comprendre le sexe, l’identité sexuée, et de savoir

comment on pouvait s’adresser aux enfants dès tout petit dans la crèche et comment on pouvait

répondre à peut-être des questionnements que les uns les autres avaient et du coup le titre de cette

journée c’était : « le rose c’est pour les filles, le bleu pour les garçons, Arthur 3 ans », un petit garçon

d’une crèche qui posait cette question. Donc on a rencontré des gens comme Françoise Héritier, des

linguistes, plusieurs personnes qui ont fait une journée très intéressante. Et après, il y avait un autre

chapeau : la lutte contre les violences faites aux femmes. Il y a un observatoire dans le département du

93 et la responsable de cet observatoire voulait rapprocher et comprendre comment on arrivait aux

violences et savoir si ce n’était pas non plus à traiter dès la petite enfance. Du coup, le service des

crèches qui s’intéressait au service des crèches et à la sexualité et l’observatoire qui s’intéressait aux

violences se sont rapprochés et ils sont partis faire un voyage d’étude en suède pour découvrir les

écoles préscolaires car avaient aussi entendu dire qu’ils travaillaient depuis très longtemps sur ces

questions, aussi sur les violences donc sont partis pendant une semaine en 2007 pour voir ce qui se

faisait là-bas. Par la suite quand sont revenus, ont rassemblé de nouveaux tous les agents du

département au niveau du service des crèches voire plus pour nous relater leur séjour et nous ont

ramené un film et ont été extrêmement enthousiastes de ce qu’ils avaient pu voir là-bas et à partir de

là, donc c’était juin 2007, ils ont proposé d’expérimenter une pédagogie « égalitaire », un travail sur

l’égalité et ont choisi cette crèche en 2007 pour plusieurs raisons. Déjà il y avait un travail de fait

auprès des hommes, c’est-à-dire qu’il y a avait déjà des hommes dans la crèche, et le souhait de la

directrice précédente était de faire rentrer des hommes : le cuisinier était un homme et l’éducateur

aussi. C’était quand même rare d’avoir 2 hommes dans une structure très féminine.

54

Etudiants : Donc la crèche était « normale » avant et elle existait ?

Mme Constantin : Elle est toujours normale et existe depuis très longtemps, mais l’ancienne directrice

qui est arrivée sur le poste et sur cette crèche en 2000 a fait un gros travail autour de la place de

l’homme dans la crèche. C’est pour ça qu’elle a réussi à obtenir qu’un éducateur prenne le poste, tout

comme le cuisinier. Après il y a eu cette proposition, et la crèche a été fermée en même temps pour

rénovation. Donc ça nous a laissé le temps de réfléchir à comment retravailler dans une crèche

rénovée. Il y a donc eu au moins ces 2 paramètres là. En avril 2009 la crèche a ré ouvert avec ces

locaux-là et à partir de là, il y avait eu toute la réflexion au préalable. On a donc reposé les conditions

de base car on ne peut se lancer dans un projet innovant comme celui-ci si l’on n’a pas un projet de

base solide et c’est pour cela qu’on nous l’a aussi proposé parce qu’il y a des crèches qui vont plus ou

moins bien, avec plus ou moins de difficultés. Là c’était une équipe qui marchait bien, qui travaillait

dans le bon sens, dynamique, qui avait beaucoup réfléchi à l’éveil de l’enfant, à la place des parents.

En fait c’est une crèche qui a toujours beaucoup réfléchi ! C’est très important parce qu’on considère

que les auxiliaires de puériculture ont des petits niveaux d’étude ; puisque c’est une formation qui se

fait après la 3ème, et que de plus en plus le niveau baisse puisqu’on accueille maintenant des CAP petite

enfance, voire que des BEP sanitaires et social… Le niveau baisse beaucoup. Après c’est un autre sujet

la professionnalisation des agents. Donc du coup faire émerger une pensée n’est pas forcément très

facile, surtout auprès de cette tranche d’âge d’enfant, car ça réveille beaucoup de sa propre histoire, de

ses propres pulsions… Voilà donc il y a un côté psy qui apparaît, mais on ne va pas refaire le monde

non plus ! A ce moment-là, des années 2000 jusqu’à aujourd’hui, certes l’équipe a changé, mais on a

quand même des piliers, des personnes qui étaient vraiment là depuis l’origine et qui ont vécu tout le

projet. En 2000, il y avait un éducateur homme, moi je suis arrivée en janvier 2007 en tant

qu’éducateur. Au bout de 6 mois, la crèche a fermé et quand elle a ré ouvert, je suis devenue adjointe

et David (M. Helbecque) est arrivé. David est arrivé par choix par rapport au projet, c’est-à-dire que

quand il y a eu le recrutement, il était stipulé que cette crèche travaillait sur l’égalité fille-garçon. Donc

un choix de sa part, et pour ma part un choix aussi de continuer à travailler sur ce sujet avec l’ancienne

directrice qui est partie il y a très peu de temps.

Etudiants : Vous aviez choisi à la base de faire ce métier parce que vous vouliez travailler avec les

enfants ?

Mme Constantin : Non, il y a des parcours où l’on ne sait pas trop pourquoi on y arrive ; puis on y

arrive et puis on y va et puis on y reste. J’ai commencé à travailler dans la petite enfance par la toute

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petite porte : j’étais auxiliaire de puéricultrice pendant 3 ans, puis j’ai passé le diplôme d’éducateur de

jeunes enfants, et j’ai eu une progression assez rapide car c’est vrai que je préférais la conduite de

projet, l’encadrement d’une équipe, je me voyais plus là-dedans que tout le temps sur le terrain.

Le directeur-adjoint, Monsieur Helbecque : C’est compliqué. Moi j’ai eu une formation à la base

scientifique, bac S et je me destinais à la base à faire des études plutôt scientifiques. Jusqu’à 18-20

ans, je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire. J’avais juste des facilités en sciences. Après mon

Bac, c’était un peu compliqué, parce que je cherchais vraiment une orientation qui s’est plutôt orientée

vers un DUT, pour pourquoi pas travailler dans la police scientifique. C’était plutôt mon idée. Donc je

suis passé en physique, mais ça ne s’est pas forcément bien passé. Moi j’ai besoin de cadres, et le DUT

ça fonctionnait bien et finalement j’ai fait une année, puis pour la 2nde année j’étais sur liste d’attente et

je me suis mis sur le marché du travail et parallèlement à ça, à 16 ans, il y a un ami que je connais

depuis longtemps qui était avec moi au collège qui faisait du scoutisme et finalement le côté de

prendre des responsabilités, d’être ouvert aux autres, de filer un coup de main… Le rapport humain,

c’est vraiment ça qui m’a plu. Si la formation scientifique m’a structuré, c’est plutôt le rapport humain

qui a pris le dessus sur la suite, et après mes études un peu « foirées », je suis allé faire mon service

militaire dans la gendarmerie, toujours dans l’esprit rapport humain, rendre service… Sauf que la

gendarmerie ce n’est pas que ça. C’est le côté prévention qui m’attirait mais le côté militaire ne m’a

pas plu ! Et à la fin de mon service militaire, je suis rentré dans le milieu associatif de l’éducation

populaire, avec les emplois-jeunes où ils proposaient des postes justement pour développer cette

pédagogie au sein des quartiers. Sauf que les dispositifs emplois-jeunes n’aboutissaient à rien à

l’époque. Mais ça m’a permis de faire de nombreuses rencontres avec des professionnels de

l’éducation, qui étaient très ouverts sur la prévention, sur l’accompagnement des enfants, et j’ai un

jour rencontré un jour l’instit’ de maternelle qui m’a demandé si je connaissais la profession

d’éducateur de jeunes enfants. Educateur oui ça me disait quelque chose, mais plutôt les éducateurs

spécialisés, mais pas les EJE. J’ai été à la rencontre d’EJE, très peu d’hommes, il n’y en a quasiment

pas, alors qu’un homme qui veut accompagner les enfants pour grandir ça peut se faire aussi. Ils

peuvent avoir les mêmes qualités. Donc je suis parti pour faire ma profession. Et c’est vraiment en

engageant ma formation d’EJE que je me suis rendu compte que c’était ça que je voulais faire. C’est

alambiqué mais c’est cohérent.

Etudiants : Quelle a été la réaction de votre entourage lorsque vous avez annoncé vouloir devenir

EJE ?

M. Helbecque : Ils ne savaient pas forcément ce que c’était non plus, donc je leur ai expliqué un peu

en quoi ça consistait. Mails faut savoir que dans ma famille les hommes s’occupent beaucoup des

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enfants. Mon oncle a arrêté de bosser pour s’occuper de ses enfants et a repris un peu les études pour

être prof.

Mes parents sont mariés et je suis l’aîné de 3 garçons. Et il est arrivé que ma mère bosse le week-end

donc c’est mon père qui s’occupait de nous. J’ai grandi dans cette ouverture. Moi je me souviens

m’être battu avec ma cousine pour donner le biberon à mon petit frère .

Dans ma formation d’EJE, on était une promo de 60, on était 2 hommes, le deuxième est parti en cours

de formation pour devenir éducateur spécialisé. La chance que j’ai eu aussi, (si c’est une chance), la

première personne qui m’a aidé au sein de la formation c’était un homme EJE qui exerçait au sein

d’un jardin d’enfants. Ce qui s’est passé aussi, c’est que du fait de mon passé, moi j’avais déjà 30 ans

(la plupart des étudiantes en avaient 20-25), j’avais de l’expérience professionnelle, des responsabilités

auparavant, et tout de suite, double casquette : expérience +homme, on m’a dit que c’était facile

d’accéder à des responsabilités. Mais c’était beaucoup en fonction de mes compétences. Je n’ai pas

profité de mon statut d’homme. Pendant 5 ans j’ai été éducateur de terrain comme a pu l’être Claire, et

puis rapidement, je me suis dit que ce qui m’intéressait c’était que c’est bien d’être auprès des enfants

mais aussi la conduite des projets, de mener des projets un peu novateurs comme celui-ci, faire des

partenariats, un peu moins le contact avec les enfants et un peu plus dans l’encadrement des adultes,

dans leur accompagnement. Les quelques temps que l’on passe avec les enfants c’est un grand plaisir

et ils le ressentent, mais j’ai un peu de distance et j’aspire à prendre des responsabilités de crèches, à

accompagner des équipes… Mais ce n’est pas du fait que je sois un homme, c’est du fait de ma

personnalité.

J’ai frappé à la porte de cette crèche parce que je me suis demandé ce que je faisais tout seul au sein

de ma formation et quelle était la place des hommes dans les structures de la petite enfance. J’exerçais

auparavant dans une autre crèche dans le département, et j’ai vu un petit encart «pour Bourdarias,

projet sur le genre l’égalité fille-garçon ». Je me suis présenté à Marie-Françoise (la directrice

précédente) et Haude (Mme Constantin, l’actuelle directrice), et j’ai pris le chemin en même temps

que mes collègues, et j’étais dans le dynamisme d’équipe.

Je suis arrivé ici en avril 2009 lorsqu’elle a ré ouvert. Donc je suis arrivé concrètement sur le terrain

quand le projet a commencé, sachant que la crèche essayait déjà de faire rentrer les hommes dans la

crèche en préalable. Aussi une volonté d’inviter les pères à venir. Les enfants se construisent dans le

concubinage. Il faut qu’il y ait un rôle d’homme. Et c’est notre responsabilité aussi. Un enfant se fait à

2 en général, et c’est la responsabilité du père comme de la mère.

J’ai 36 ans, je vis en couple, pas marié pas pacsé, je vis en couple avec ma meilleure amie qui est la

maman d’un enfant de 5 ans. J’ai 2 petits frères.

Etudiants : Avant d’arriver ici, vous vous sentiez à l’aise dans votre profession ou c’était compliqué au

début ?

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M. Helbecque : C’était compliqué au début, parce que je me demandais quel regard avaient les parents

sur la présence d’un homme dans la petite enfance, et s’il n’y avait pas de regard accusateur etc. J’en

ai discuté avec mes collègues qui m’ont regardé avec des grands yeux. Vous savez, c’est le phénomène

de la rumeur, si tu fais un truc mal, est-ce qu’on ne va pas me mettre une étiquette… ? J’étais

tranquille avec mes aspirations d’accompagner les enfants, mais j’en ai beaucoup parlé avec mes

collègues et ça m’a aidé de travailler en équipe pour y voir plus clair, et puis d’en discuter avec les

parents, de voir qu’ils me faisaient confiance. Si on se pose la question ça peut tout de suite nous

miner. Il y a toujours ce risque : pourquoi un homme dans la petite enfance ? N’aurait-il pas des

tendances à vouloir faire du mal aux enfants… ? Certes certains profitent de leur puissance d’adulte

pour faire du mal aux enfants, et il faut bien sûr être prudent pour voir ce qui se cache derrière.

Etudiants : Dans votre formation, est-ce-que vous avez eu l’impression que vos éducateurs avaient

d’autres attentes de vous par rapport aux femmes ?

M. Helbecque : Par rapport aux résultats et à ce que l’on devait produire c’étaient les mêmes. En

centre de formation c’est facile parce qu’il y a nos noms et au niveau de l’examen, c’est anonyme, et

j’espère qu’ils évaluaient les étudiants en fonction de ce qu’ils produisaient. J’ai juste senti l’attente au

niveau de mon expérience.

Etudiants : Y a-t-il des enfants de familles homoparentales dans la crèche ?

M. Helbecque : Alors s’il y en a on n’est pas au courant. On était intervenu à l’Institut du Châtelet 3et

j’avais été interpelé par une professionnelle de Suisse, et qui m’a demandé si l’on avait des enfants

« transgenres » à la crèche… A à peine 3 ans ! Alors que c’est l’âge où ils se découvrent, et ne sont pas

encore dans ce choix à faire !

Etudiants : Claire (une des éducatrices de la crèche) disait justement qu’il faut arrêter de penser qu’on

(la crèche) veut transformer les petites filles en petits garçons et l’inverse ; ce n’est pas réduit à ça !

M. Helbecque : Oui, on souffre de ça, parce qu’on fait un travail important et on caricature

négativement notre travail.

3 L'Institut Émilie du Châtelet (IEC) a été créé en 2006 sous l’impulsion du Conseil régional d’Île-de-France et pilote depuis 2012 le pôle Genre du Domaine d’intérêt majeur (DIM), labellisé par la Région Île-de-France, « Genre, Inégalités, Discriminations ». (http://www.institutemilieduchatelet.org/)

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2) Quel type de formation avez-vous suivi ? (traditionnelle, spécialisation…)

Mme Constantin : J’ai commencé par auxiliaire de puéricultrice, ensuite EJE, puis diplôme de niveau

2 : Certificat d’Aptitude aux Fonctions d’Encadrement et de Responsable d’Unité d’Intervention

Sociale, en même temps j’ai fait un master 1 et je suis en train de faire un master 2 en Intervention

Sociale et Education Familiale donc je fais mon mémoire sur le genre, à Paris X Nanterre.

3) Quelle a été votre perception, votre avis, votre critique vis-à-vis de cette formation ?

(enseignement neutre, volontairement stéréotypé, involontairement stéréotypé, vecteur de clichés…)

Avez-vous remarqué, au cours de votre formation, des différences faites entre filles et garçons ?

Mme Constantin : (elle évoque sa formation en cours) Justement, « j’utilise » ce travail dans mes

réflexions pour un travail universitaire et de recherche. En fait quand on a commencé à faire ce travail,

on l’a fait sans chemin tracé. On l’a vraiment fait avec notre sensibilité, voilà, ce qu’on avait en nous.

On n’a pas suivi… La pédagogie en Suède, on s’en est inspiré, mais on n’a surtout pas voulu faire un

copier-coller parce que de toute façon on n’est pas dans les mêmes registres : les femmes et hommes y

ont des congés maternité et paternité de presque 1 ans, les crèches n’existent pas, les formations de

ceux qui s’occupent des enfants sont des universitaires donc ils sont beaucoup plus diplômés pour

s’occuper des enfants, alors qu’en France on considère que savoir changer une couche ça ne demande

pas d’avoir un niveau d’étude important !

Etudiants : Donc finalement pensez-vous que votre formation était peut-être stéréotypée ?

Mme Constantin : Une fois qu’on a fait ce travail, des stéréotypes on en voit partout. Du coup les

formations et toute la société sont faits de préjugés… On s’en rend compte parce qu’on y a réfléchit.

Aujourd’hui ce n’est donc plus inconscient justement, c’est bien l’inverse. On est conscient alors

qu’avant non. On ne se posait que très peu la question pour savoir pourquoi il n’y avait qu’1 ou 2

hommes dans une formation d’éducateur de jeunes enfants.

4) Depuis combien de temps exercez-vous ce métier ?

Mme Constantin : Je suis arrivée dans la petite enfance tardivement ; j’ai fait d’autres choses avant.

Donc j’ai été diplômée d’auxiliaire en 1998 ou 1999 et j’ai réellement exercé mon métier en 1999 en

petite enfance. Mon premier job était à l’hôpital, en maternité. Donc cela ne fait que 12-13 ans que je

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travaille dans ce milieu.

5) Y a-t-il eu un élément déclencheur dans votre volonté de travailler dans une crèche « non

genrée » ?

Mme Constantin : Lorsque je suis arrivée dans cette crèche, ce projet n’était pas encore mis en place et

je ne savais pas encore tout ce qui s’y passait, que déjà l’ancienne directrice avait ce projet. J’y suis

arrivée plutôt par hasard, et j’ai tout à fait adhérer au projet, et c’est pour cela que j’y suis encore

(j’habite très loin). Mais je reste parce que c’est intéressant. L’idée est sinon de l’amener, de le

développer ailleurs…

Etudiants: Oui, les parents semblaient dire qu’ils voulaient exporter ce projet au-delà de la simple

crèche (en maternelle, primaire, collège…) ?

Mme Constantin : Tout à fait, je pense qu’à force ça va se faire, mais c’est toujours compliqué

d’intervenir dans l’éducation nationale. Nous on est Conseil Général, l’éducation nationale c’est

encore un autre chapitre, une autre entité, une autre institution, et rassembler des gens de plusieurs

institutions n’est pas forcément très simple !

6) Quelle explication feriez-vous à l’observation du faible taux d’hommes dans les lieux

d’accueil pour les jeunes enfants ? Seriez-vous pour une parité dans le personnel ?

Mme Constantin : Les hommes font des études pour accéder à des études à hautes responsabilités, le

pouvoir, et puisque c’est un métier de femme dans les représentations des gens et puis, de s’occuper

d’enfants pour un homme (même si ça va mieux maintenant)… Les hommes il y a quelques décennies

ne s’occupaient pas de leurs propres enfants, alors aller s’occuper des enfants des autres dans les

structures d’accueil petite enfance ça paraît complètement absurde (Rires)! Aujourd’hui on en trouve

un tout petit peu, mais pas énormément ! Moi à l’époque où je faisais ma formation, ce n’est pas très

vieux, en 2005 (EJE), on était 120 étudiants, et dans ma promo il n’y en avait pas, et dans la promo d’à

côté il n’y en n’avait qu’un.

Au niveau des auxiliaires on n’en trouve pas sur le département. Si, il y a peut-être 3 ou 4 auxiliaires

hommes. Il y en a peut-être davantage au niveau des éducateurs, mais simplement les éducateurs ne

restent pas très longtemps sur le terrain parce que justement, ils vont aller accéder à des postes à

responsabilité, et vont plus rapidement la hiérarchie. Ceux sur le terrain restent juste « le temps de… ».

60

7) Présentation personnelle de la personne interrogée : Age, sexe, nb d’enfants, situation maritale,

ordre dans la propre fratrie

Mme Constantin : 43 ans, pacsée, un enfant (fille qui n’est pas la fille de l’homme auquel je suis

pacsé), je suis l’aînée de 4 enfants (3 filles 1 garçon, dans l’ordre : fille, fille, garçon, fille) dans un

couple marié.

II. PERSONNEL ET RELATION AVEC L’ENFANT

1) Racontez une journée type à la crèche.

Mme Constantin : Les enfants arrivent avec leurs parents, ou un seul ou les 2. Au passage, les parents

sont très investis dans la crèche. Donc la crèche est complètement ouverte, et l’on tente de l’ouvrir de

plus en plus, en ouvrant des ateliers pour ceux qui seraient disponibles. L’idée est de travailler main

dans la main.

Donc les enfants arrivent. Entre 9h30 et 10h se mettent en place un certain nombre d’ateliers. Divers

ateliers, certains sont plutôt statués dans la semaine comme l’atelier cuisine car il demande plus de

manipulation, d’adultes, donc c’est tous les jeudis matins. A côté de ça, tous les autres ateliers :

bricolage, musique, jeux d’eaux, émotions… On essaye tous les matins d’en mettre 2-3 en place.

Après le repas arrive très rapidement, 11h. 2 services pour qu’ils soient moins nombreux et pour qu’on

puisse avoir une relation plus individuelle avec les enfants. Puis déshabillage, petit temps de jeux. Ils

vont se coucher, chez les tous petits c’est à la demande, et quand ils grandissent, de 12h45-13h jusqu’à

15h-15h30. Puis goûter, on se réveille on se change, on s’habille. Suivant les tranches d’âge,

autonomie plus ou moins importante. Les parents commencent à arriver, puis mise en place de temps

calme, de lecture.

2) Quelles sont les activités proposées aux enfants ?

Mme Constantin : Quelques-unes ont déjà été citées. Les plus courantes : la cuisine, le bricolage, mise

en place du jardinage, la lecture (partenariat avec la bibliothèque ; on est en train de créer un

partenariat avec la ludothèque pour faire des temps avec la ludothèque qui est juste à côté), atelier

poupées (garçons/filles), des choses autour des émotions avec des petites histoires/diapositives, sur les

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murs, du jeu libre (pas que des choses bien cadrées comme ça), tous les jeux de construction, de

transvasement (semoule, sable), psychomotricité développée pour chaque tranche d’âge (ramper, etc).

On invente tout le temps, on est tout le temps dans la créativité, l’inventivité, l’innovation… Tout le

monde participe. On est vraiment une équipe. Par exemple, le jeu d’eau en ce moment se fait avec la

lingère. L’atelier cuisine, c’est le cuisinier qui est présent, avec certes une auxiliaire, mais il est

présent. Donc tous les corps de métiers sont présents ! David (M. Helbecque) est à la fois aussi avec

moi, il est aussi un peu dans les services. Nous soutenons tous les ateliers.

3) De quels types de jeux disposez-vous ?

4) Sont-ils accessibles à tous les enfants de la même façon ?

Mme Constantin : Oui, les enfants sont séparés durant certaines activités. Pourquoi cette question ?

(rires)

Etudiants : Je pense que vous savez ! Je ne veux pas vous influencer… (Rires)

Mme Constantin : C’est en effet ici l’influence de la pédagogie suédoise où dans leur réflexion ils ont

jugé bon à un moment donné de séparer filles et garçons pour leur permettre entre pairs de pouvoir

peut-être être différents. C’est-à-dire que peut-être les filles ensemble, sans le regard de l’autre, le

masculin, pourront être, faire ou dire des choses différentes, et entre garçons aussi. Et donc ce qu’on

nous avait montré la première fois, c’est qu’on apprenait à des petites filles ensemble à crier fort.

S’autoriser à crier fort. Est-ce-que dans un groupe mixte, la fille va pouvoir élever la voix de la même

manière que si elle est tout de seule et si on ne l’invite à le faire ? Et pour les garçons, si un garçon est

avec les filles, il va pouvoir s’autoriser à libérer ses émotions ? C’est dans ce but-là. Ce sont des temps

donnés pour s’exprimer. Parce que l’on reste des filles ou garçon et qu’on n’est pas là pour changer les

identités de chacun. Chacun a son identité, qu’elle soit féminine ou masculine. On veut juste leur

donner la possibilité d’accéder à tout.

Etudiants : Donc la séparation des activités ne se fera pas forcément pour les jeux mais plutôt pour

l’expression personnelle ?

Mme Constantin : Alors, ce n’est pas comme ça… (Rires). Vous restez trop dans votre question et dans

votre schéma que vous avez dans la tête, vous n’arrivez pas à ouvrir.

62

M. Helbecque (il essaye de nous faire comprendre) : C’est ça l’idée avec les enfants. Même si on ne

les sépare plus beaucoup, il y a certains moments où on les sépare pour leur permettre de les laisser

s’exprimer dans un contexte différent que celui de la mixité, mais ça ne passe pas forcément par un

jeu, pas forcément sur des temps donnés. Ça peut être sur des temps d’expression corporelle,

lorsqu’ on leur raconte des histoires, sur les temps de cuisine (l’autre jour en cuisine j’ai pris le groupe

des filles par exemple), et en fait on observe vraiment ce qui se passe avec comme objectif de ne pas

les séparer tout le temps mais quand ils sont ensemble, qu’ils soient les plus « naturels » possibles.

C’est vraiment l’idée que quand ils sont ensemble qu’ils soient eux-mêmes et qu’ils s’autorisent à

exprimer leur personnalité telle qu’elle est et pas telle qu’on voudrait qu’elle soit. C’est pour éviter de

les enfermer dans des stéréotypes justement qu’on les sépare un tout petit peu.

Mme Constantin : On leur propose, ce sont des propositions en fait !

Le directeur-adjoint : Voilà, on leur propose de s’exprimer dans des temps un peu différents. Notre

idéal, et c’est ce qui se passe en ce moment, c’est qu’ils soient ensemble tout le temps et qu’ils

expriment leur propre personnalité tout le temps, leur propre sensibilité. Un garçon qui est sensible, il

peut aussi l’exprimer quand il est en groupe mixte…

Mme Constantin : c’est UNE étape, de les séparer, ça fait partie de tout le projet, de la démarche et du

processus sur les 3 ans. C’est pour ça qu’on dit qu’on ne le fait plus beaucoup parce que pour les

enfants qui sont « grands » aujourd’hui, filles et garçons, ensemble, s’autorisent complètement à être

eux-mêmes filles ou garçons. Le but étant qu’ils aient confiance en eux, qu’ils aient de l’estime et

qu’ils n’aient pas peur du monde ! (Rires).

5) Quel type de lecture faites-vous aux enfants ?

Mme Constantin : Alors là David je te laisse la parole ! (Rires) Parce qu’on a beaucoup travaillé sur les

stéréotypes dans les livres, et on a des partenariats avec des personnes qui traitent de ce sujet-là. On

fait très attention, on a enlevé tout ce qui était très stéréotypé…

Etudiants (Nous tentons ici implicitement d’évoquer le fait que la crèche ait retiré Petit Ours Brun de

sa bibliothèque car trop stéréotypé, ce qui est souvent repris par les médias lorsqu’ils évoquent cette

crèche) : Petit ours brun… ?

63

Mme Constantin : Ca va me poursuivre ! Petite anecdote justement : on a eu un appel de Bayard

Presse qui édite Petit Ours Brun. En effet on en a parlé dans je ne sais plus quel canard. Quelque temps

après, Bayard Presse m’appelle en me disant « on a lu que Petit Ours Brun était très stéréotypé et que

vous ne vouliez plus le lire aux enfants et tout ça ». Ils m’ont proposé de leur renvoyer quelques

exemplaires pour me montrer qu’ils avaient fait des efforts (rires). On a cherché un peu où étaient les

efforts, mais ils tentent un petit peu de gommer les stéréotypes mais il y en a presque toujours autant

quand même !

Etudiants : Du coup vous l’avez supprimé de votre bibliothèque… ?

Mme Constantin : De toute façon on n’en a jamais vraiment eus ! C’était comme si je vous parlais des

« Martines » ! Ces livres sont terrifiants !

M. Helbecque : Pour compléter, par rapport à la littérature jeunesse, on s’est aperçus que dans

littérature de la petite enfance il y avait énormément de schémas stéréotypés avec des images du père

dans la sphère professionnelle…

Mme Constantin : Et représentés par des animaux ! Parce que les animaux sont très représentés dans la

littérature jeunesse et on va représenter le masculin par des gros ours, des lions, et il y a beaucoup plus

d’animaux représentant la masculinité, l’homme… Il n’y a pas de petites tourterelles, hirondelles, des

tous petits chatons… En fait il y a 90% qui sont des animaux forts et qui représentent le garçon. Et

quand on représente le garçon, comme dans « Petit Ours Brun », c’est avec la pipe dans son fauteuil

avec son journal et la maman ours avec son tablier en train de faire la cuisine ! On a banni tout ça. On

a analysé les livres, les ouvrages, avec justement des partenaires qui font ça. Une association travaille

beaucoup là-dessus.

M. Helbecque : ce qu’on fait maintenant par rapport aux titres, donc on travaille beaucoup avec la

bibliothèque d’à côté, on a vraiment un œil critique sur ce que l’on propose aux enfants. Alors ça nous

arrive de proposer des livres ; mais le choix est assez limité, et même parfois contre stéréotypés parce

qu’il y a des livres qui sont contre stéréotypés mais qui tombent dans l’inverse dans d’autres

stéréotypes ! C’est la difficulté. Et on essaye de porter le regard critique des enfants sur le livre. Par

exemple, le livre de B. Barton « Sur le chantier », on le lisait aux enfants, on y voit des ouvriers qui

travaillent sur un chantier. Et depuis pas longtemps, je me suis aperçu qu’il y avait des ouvrières

représentées également. Et cela ne m’a pas sauté aux yeux parce que j’étais moi-même dans ce propre

schéma, et j’étais agréablement surpris qu’il y ait une présence féminine, parce qu’il y a certaines

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femmes qui arrivent dans le BTP. Donc les livres qu’on a parlent de tous les sujets, mais on veille

vraiment à ce qu’ils ne soient pas stéréotypés et qu’ils ne véhiculent pas des choses trop fortes.

(La directrice nous montre des livres de l’édition « talons hauts »).

Mme Constantin : Eux (les éditeurs) ont vraiment cherché à éditer des livres qui soient les moins

stéréotypés possibles. Après on les trie quand même parce qu’on peut retomber dans d’autres

stéréotypes, mais c’est un puits sans fond cette histoire !

M. Helbecque : Tout est aussi dans la façon dont on accompagne le livre.

6) Pourquoi avoir décidé de supprimer les livres « Petit Ours Brun » de votre bibliothèque ?

7) Y a-t-il un moment où garçons et filles sont séparés pendant un moment ou une activité ?

8) Y a-t-il des questions ou remarques particulières de la part des enfants par rapport aux activités

que vous leur proposez ici ?

Etudiants : bien évidemment, la plupart ne parle pas encore, ou encore trop peu…

Mme Constantin : Ils sont trop petits. Ils apprécient. Ils ont des émotions de contentement, mais ne

vont pas dire « à la maison on fait comme ça, on fait ci… ». Ce sont les parents qui disent ça « elle

aime bien la cuisine par exemple ». Je pense qu’il y a des choses qu’ils font ici et qu’ils font chez eux

aussi, mais ce n’est pas l’enfant qui va dire ou qui va pouvoir exprimer à 2 ans ou 2ans ½ … C’est un

peu compliqué !

M. Helbecque : Juste peut-être par rapport aux limites que l’on pose à la crèche. Les enfants sont

autorisés à faire certaines choses à la maison qu’ils ne sont pas autorisés à faire à la crèche parce que

c’est la collectivité, que les parents acceptent mais ici ce n’est pas acceptable… Les enfants arrivent

bien à faire la différence et ça ils le verbalisent, mais pas tant sur les activités ou sur ce qu’on leur

propose.

Nous essayons ici de rediriger notre question…

Etudiants: Une fille ne va pas vous dire par exemple «je ne veux pas utiliser le marteau parce que

c’est mon père qui utilise ça à la maison » ?

M. Helbecque : Ils sont beaucoup trop petits ici.

65

9) C’est carnaval. Quels sont les déguisements proposés/confectionnés aux enfants

Mme Constantin : C’est tous les jours carnaval ici ! C’est tous les jours que les enfants se déguisent. Il

y a tout plein de sortes de tissus, de sacs, des robes, des chapeaux, d’adultes, vraiment plein de choses

qui nous ont été apportées ou que la lingère a confectionnés, ou que nous même avons apportés,

l’équipe, de chez nous. Et donc ils se déguisent. S’ils ont envie ils se déguisent, s’ils n’ont pas envie

ils ne se déguisent pas. Il y a une année où un petit garçon tous les matins mettait une robe de la crèche

et toute la journée il restait avec la robe. Ils ont le choix. C’est ça notre objectif : leur laisser le choix,

et le plus large choix possible. Tout en même temps mettre un cadre, des limites… Mais dans

l’expression d’eux-mêmes, l’idée c’est qu’ils s’expriment et qu’ils expriment leurs peines, colères,

désaccords… Des colères de filles ça existe, des pleurs de petits garçons aussi. Moi je suis assez

satisfaite de la façon dont ils peuvent exprimer les choses. Du coup il y a même un coup de revers ! Ils

s’expriment beaucoup ! On ne peut pas les oublier (rires). En tout cas c’est très très vivant !

M. Helbecque : Ce qui est dommage, c’est que ce cadre-là est complètement permis à la crèche où l’on

va les encourager à s’exprimer ; et ce qui risque de se passer et c’est pour ça que l’on souhaite que le

projet continue ailleurs à l’école, c’est qu’ils soient freinés dès qu’ils expriment leur accord ou

désaccord, du fait qu’ils doivent « rentrer dans le moule ».

Mme Constantin : Tout ce qu’on vous dit là, c’est un long cheminement de réflexion, d’observation,

car ce qu’on peut dire aujourd’hui c’est parce qu’on a énormément observé les enfants et nos propres

attitudes à nous aussi. Tout cela passe principalement par l’attitude des adultes. Et c’est un long

cheminement. Car de temps en temps, quand une petite fille a une jolie robe, on a encore tendance à

lui dire qu’elle est magnifique ! Qu’est-ce-que vous (elle nous interroge), vous dites d’un garçon et

dites d’une fille ? Le garçon doit être courageux, qu’il soit fort et qu’il ne pleure pas et il faut que la

petite fille soit belle. Belle et tais-toi. C’est nous même qui luttons contre notre propre comportement.

On a dû faire notre propre critique et on continue toujours. On ne peut pas avancer si nous même ne

sommes pas toujours dans ce questionnement, sur ce qu’on leur donne à voir. Parce que les enfants

imitent les adultes.

10) Un petit garçon pleure. Quel est votre premier réflexe ? (idem pour les filles)

11) Si un enfant vient vers vous, quel jouet allez-vous lui proposer ? Selon quel critère ?

12) Citez les qualificatifs les plus attribués selon vous aux petits garçons. (idem pour les petites

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filles).

La directrice et le directeur adjoint nous fournissent alors une grille d’adjectifs qui fait partie du

travail effectué par la pédagogie suédoise à travers des qualificatifs à cocher selon qu’ils sont

attribués aux garçons ou aux filles. (Voir en annexe).

M. Helbecque : On était en formation avec les pédagogues suédois et ils nous ont posé ce genre de

questions. C’est la traduction des termes du suédois puis adaptés. C’est un questionnaire qu’ils nous

ont posé en formation et on a posé par la suite la question aux parents, au sein d’un questionnaire qui

les interrogeait sur la question des tâches à la maison.

Etudiants : Les parents ont donc dû travailler sur eux-mêmes ?

Mme Constantin : Quand je vous dis que l’on est une équipe, du cuisinier, en passant par la lingère,

jusqu’à l’équipe de direction… ! Et les parents sont complètement parties prenantes de ce projet !

Parce qu’on ne peut pas mener un tel projet sans eux non plus. Les premiers éducateurs de leurs

enfants c’est eux !

(L’un de nous fait alors le test, en attribuant les adjectifs de la grille plutôt aux filles ou aux garçons,

et cela vient tout « naturellement » !)

Etudiants : Du coup, vous faites désormais beaucoup plus attention à ce que vous dites ?

Mme Constantin : On fait attention, mais on fourche toujours ! On dit « oh t’as une belle robe ! »…

Mince ! (Rires)

M. Helbecque : En même temps si c’est vrai !

Mme Constantin : On ne va pas non plus tout bannir, ce serait ridicule, et on tomberait dans des excès.

On a rencontré pas mal de médias, et ce n’est pas forcément bien compris ! Je ne sais pas ce que vous,

vous en comprendrez de ce qu’on vous aura raconté ! Mais c’est une sacrée question.

Etudiants : En fait je pense que tout est dans l’équilibre, qu’il y a un vrai projet de changer les

comportements, mais sans tomber dans des stéréotypes inverses comme vous le disiez, et c’est là toute

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la tension. Parce que les journalistes ont tendance à présenter votre projet comme « ils donnent des

marteaux aux filles et des poupées aux garçons »…

Mme Constantin : Et c’est pour ça que l’on arrête de voir les journalistes, parce qu’on en a marre des

journalistes ! Parce qu’ils ne comprennent rien ! Il y en a 1 parmi 10 ou 20 qui effectivement fait

l’effort de comprendre. On a eu un article dans Ouest France qui était très bien fait. Le journaliste est

allé discuter avec Serge Hefez4 par exemple. Donc il a bien compris le processus. Mais tous les autres

ne comprennent rien du tout. Et du coup, comme on est un peu tous seuls dans cette démarche, on est

forcément n’importe quoi ! « Qu’est-ce-qu’on fait faire à nos enfants aujourd’hui ! Ils sont fous » !

13) Quels enfants s'imposent le plus?

M. Helbecque : C’est délicat à observer. Mais je dirais que les garçons occupent plus l’espace. C’est

un constat que l’on a fait au début. Mais finalement ça dépend. Au point où l’on en est arrivé, on a

constaté qu’il y avait autant de différences entre une fille et un garçon qu’entre deux filles ou deux

garçons. Chacun est unique. Certains garçons prennent plus de place, d’autres sont plus posés.

14) Comment faire concrètement pour ne pas avoir une relation et un comportement influencé par

le genre de l'enfant? Pensez-vous que vous ne faites vraiment aucune différence?

Etudiants : Etes-vous quand même rattrapés à chaque fois ?

M. Helbecque : On est rattrapé à chaque fois. On ne peut pas se dire que l’on est nous complètement

égalitaires. On vise à l’être, mais il y a forcément des choses qui nous rattrapent ! On n’a pas encore

fini de travailler sur nous. Comme le premier travail s’effectue sur nous, il faut qu’on continue à

travailler sur nous-même, on fait super attention, on se reprend, mais l’intérêt est de travailler en

équipe. Petite anecdote qui me vient à l’esprit : à un moment on a fait un atelier sur les émotions, avec

projections de diapositives auprès des enfants, et une histoire d’un petit chat qui a peur, qui se réveille,

et qui dort auprès d’un de ses deux parents. Il entend un bruit dans la nuit se réveille et se demande ce

que c’est. La première image, on voit le petit chat allongé près d’une forme d’un adulte. On demande

aux enfants ce qu’ils voient sur l’image : certains disent une chaise, la lune, un petit chat, et d’autres

enfants on dit « une maman ». On ne leur avait jamais raconté l’histoire, et pour eux le petit chat

dormait auprès de sa maman. Et nous on leur dit « pourquoi ce ne serait pas le papa ? » Et on

4 Psychiatre et psychanalyste, responsable de l'unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris. Il écrit régulièrement pour la revue Psychologies.

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enchaîne comme ça. Du coup on se met d’accord au début, et on se dit que c’est papa. Et finalement je

me dis mais finalement, est-ce-que je n’ai pas induit autre chose auprès des enfants en leur imposant

que c’est le papa… ? Au final, s’ils ont envie que ce soit la maman, et bien ce sera la maman ! Je leur

offre la possibilité que ce soit le papa (car bien sûr des enfants dorment auprès de leur papa aussi !),

mais là on s’est mis d’accord.

Etudiants : Le simple fait de leur avoir proposé déjà que ça puisse être le papa est déjà une ouverture…

M. Helbecque : Bien sûr. Après c’est un travail de fourmi, minutieux, invisible, dans le temps, en

cohérence d’équipe… Des choses longues!

III. PERSONNEL ET PARENTS

1) Quelles sont les premières questions des parents lorsqu’ils viennent chercher leur enfant (voir

si cas différent selon fils ou fille) ?

Mme Constantin : Déjà, il y a 10 ans, le père qui venait chercher son enfant à la crèche, l’auxiliaire lui

disait « vous direz à votre femme que… ». Aujourd’hui, on a quand même énormément de pères

investis dans la crèche et même beaucoup ! Alors c’est marrant parce que la nouveauté, c’est que les

pères prennent plus de place que les mères ! On fait des accueils du 1er jour et tout ça et on le fait

ensemble pour se présenter. Et il y a 2 fois de suite où il y avait le père et la mère et l’enfant. L’enfant

est dans les bras du père et le père parle tout le temps ! Il présente son enfant, et la mère ne peux

presque plus rien dire ! C’était flagrant la dernière fois ! Ceci-dit ce sont des exemples…

Etudiants : Mais c’est peut-être soit que c’est encore une fois l’homme qui va s’imposer, ou alors c’est

le fait qu’on va regarder qui va agir et du coup on va davantage s’intéresser au fait que là c’est un

homme qui va prendre la place de la femme donc on s’y intéresse. Alors que d’habitude ce sont les

femmes, mais on ne pas le souligner… ?

M. Helbecque : La question est bonne ! Question qu’on s’est posés. Je trouve déjà que c’est un progrès

énorme que ce soient les deux parents qui viennent, qui puissent venir à la crèche tous les deux, même

quand ils bossent tous les deux. Ça montre qu’ils sont investis dans l’éducation de leur enfant. Ça c’est

un progrès énorme.

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Mme Constantin : C’est aussi la société qui parvient à évoluer aussi quand même, qui tente de laisser

la place aux femmes… Après il faut que les hommes parviennent à retrouver leur équilibre à eux,

parce qu’il y a eu de grands bouleversements dans la place de chacun, la place du père en l’occurrence

dans la sphère familiale. En tout cas on trouve que pour les jeunes parents, il y a un équilibre qui se

fait entre le père et la mère, les jeunes cadres dynamiques premier enfant.

Etudiants : Vous voyez une différence par rapport au milieu social ?

Mme Constantin : Oui, bien évidemment. Même au niveau culturel. Les cultures d’Afrique restent

quand même très traditionnalistes. On s’amuse à chercher les pères, on les invite ! Dernièrement, il y

avait un couple où je n’avais jamais vu le père. Et du coup j’ai dit à la maman que ce serait bien que

votre mari soit disponible, il n’a jamais vu la crèche. Il est venu, il est rentré, et il a visité. Du coup il y

a un petit déclic qui s’est fait. Mais il faut aller les chercher ! Mais il n’était pas à l’aise, alors que

c’était une grosse « baraque » ! (rires)

Etudiants : Du coup, y a-t-il des questions différentes selon que les parents viennent chercher leur

petite fille ou petit garçon ?

Mme Constantin : Nous on n’est pas dans la transmission auprès des parents lorsqu’ils viennent

chercher les enfants le soir, donc on n’a pas forcément ce regard. Les auxiliaires sont plus concernés.

2) Ont-ils des attentes particulières selon le sexe de l’enfant ?

Mme Constantin : Je pense qu’ils sont encore petits pour qu’ils aient des attentes particulières. Si par

exemple, la maman de Zélie disait « Si elle veut être cuisinière pourquoi pas, mais.. » Mais on sentait

quand même que bon… Les parents accepteraient mais quand même… ! (Rires)

3) Pour quelles raisons pensez-vous qu’ils aient choisi ce type de crèche et pas une crèche

traditionnelle ?

Etudiants : Même si après avoir discuté avec les parents, on a bien compris qu’à la base ce n’était pas

un choix de mettre les enfants dans cette crèche. (Nous avons en effet effectué un micro-trottoir à

lorsque les parents déposaient leurs enfants le matin ; voir en annexe).

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Mme Constantin : Ce n’est pas un choix à la base. Maintenant, il y a du bouche à oreille, entre les

voisins, qui parlent de cette crèche. Certains vont dire « on a la chance d’habiter dans le quartier où

est implanté cette crèche ». Mais après, on n’est pas une crèche miraculeuse non plus hein ! Dans ce

que vous avez vu, vous n’avez peut-être pas forcément vu quoique ce soit. C’est presque de l’invisible.

C’est de l’attitude, c’est des comportements, c’est des paroles. Après, c’est aussi ce que l’adulte va

poser comme question, la discussion qu’il va avoir avec l’enfant, comment il va le reprendre ou pas en

cas de débordements… On peut faire 3 ou 4 fois le même atelier vous n’aurez absolument pas la

même chose ! Et puis il y a des auxiliaires qui sont peut-être plus investies, ou qui ont peut-être plus

compris… Il y a plein de niveaux différents et donc là vous pouvez sortir de là en vous disant que

finalement c’est une crèche comme une autre, avec des activités comme une autre, pas plus ni moins.

Mais c’est beaucoup dans la pensée, dans les attitudes et dans les personnes aussi. C’est un long

processus, qui dure depuis 2007. On est en 2012, et on a vraiment mis des ateliers en place, « genrés »,

depuis réellement 6-8 mois. C’est une vraie recherche sociologique que l’on fait, mais sans forcément

s’en rendre compte. En équipe, on a cherché tous les mots qui étaient en concordance avec le genre :

stéréotype, parentalité, transmissions générationnelles, égalité… On a balayé plein de termes. Chacun

dans l’équipe a cherché, pour voir ce que ça voulait dire. Donc le temps de compréhension est déjà

long. C’est-à-dire que l’on n’a pas l’habitude de réfléchir de cette manière-là, donc c’est un très long

processus.

Etudiants : Et d’ailleurs, comment se passe le recrutement ?

Mme Constantin : Malheureusement on n’y peut rien. C’est le choix du conseil Général, les gens

arrivent ici. Sauf David, lors de l’ouverture de la crèche, qui est venu POUR le projet.

Etudiants : Ils doivent alors s’acclimater ? Comment réagissent-ils ?

Mme Constantin : Ça fédère. Ça a fédéré l’équipe. Il y a une reconnaissance de la profession de

chacun, de leur travail, qui est très difficile ! S’occuper d’enfants de 0 à 3 ans pendant des années…

Ce n’est pas facile ! Donc du coup ça donne une respiration, on a présenté notre projet, et pas que

nous, les auxiliaires, les lingères, parfois on se déplace… On parle de notre projet toujours ensemble.

C’est un vrai travail en commun. Ce n’est pas juste une équipe pensante (la direction) et les autres au

travail. Donc le fait de travailler ensemble, certes ça prend beaucoup plus de temps, mais c’est plus

riche dans les échanges. Mais ça n’empêche que ça reste une crèche avec toutes les difficultés que ça

comporte, les creux de vagues, les périodes où l’on en a ras-le-bol, toujours plus d’enfants, avec les

71

logiques financières…On essaye de maintenir ce projet quand même dans une réalité de terrain qui est

complexe.

4) Ressentez-vous un désir mutuel de la mère et du père ou bien une divergence plus ou moins

exprimée selon le lien de parenté ?

Mme Constantin : Les derniers parents sont très heureux d’arriver dans cette crèche. Ils tapent un peu

sur internet et il y a pas mal de choses, et sont contents. Maintenant, nous on est parfois en difficulté

car entre ce qui est écrit et ce qui se passe réellement…. On ne fait pas de la représentation ! Il y a des

jours où ça fonctionne bien puis il y a des jours où ce sont des activités comme dans n’importe quelle

crèche. Donc les parents sont forcément dans une attente maintenant ! Mais on a beaucoup changé

dans ce que l’on apporte aux autres. On a beaucoup évolué dans notre réflexion. On est un accueil

pour les filles et garçons et on essaye de lui apporter le plus d’ouverture possible dans sa construction

identitaire que ce soit une fille ou un garçon. Il n’y a pas de grands miracles ! Il faudrait ensuite voir ce

qui se passe dans 10-15-20 ans, ce que sont devenus ces enfants. C’est ce qui a été fait en Suède. Ils

ont retrouvé deux enfants, à 20 ans, qui étaient passés dans ces structures à pédagogie égalitaire. Une

fille et un garçon à l’université. Ils disaient que pour eux, la plus grande chose qu’ils ont acquis, c’est

le fait d’avoir confiance en eux, d’être sur leurs 2 pattes, ils dirigent leurs vies, avec beaucoup

d’ouverture vers les autres avec beaucoup de confiance en soi et d’estime de soi. Ce qui n’est pas

négligeable !

Etudiants (nous essayons de rediriger la question): Voyez-vous une différence entre le père et la mère,

un désir moins évident du père par exemple de mettre son enfant dans cette crèche… ? (Nous

évoquons alors le témoignage d’un papa qui nous avouait avoir été un peu réticent au départ mais qui

est aujourd’hui ravi)

Mme Constantin : Je ne savais pas qu’il y avait des pères réticents à mettre leurs enfants. J’ai plutôt

entendu l’inverse ! Mais je pense qu’on n’a encore pas assez de recul. Et comme on n’a pas encore de

lien avec la maternelle, on espère que les choses se fassent par les parents. Mais on est un peu seuls

dans cette histoire quand même.

Etudiants : Oui, un papa nous confiait que « le problème c’est que derrière ça ne suit pas ! ». Donc

avez-vous des déceptions de base par rapport à ça ?

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Mme Constantin : On a la chance de voir la cour de récréation de la maternelle juste à côté. Et on a le

sentiment que le fait d’être passé à la crèche leur a permis d’être plus confiant… Dans les recherches

qui ont été faites dans les maternelles, on a toujours dit que les garçons prenaient l’espace et que les

filles étaient en petits groupes. Là on a vu les filles qui se bagarraient, qui s’affirmaient, ou des

garçons qui discutaient avec des plus grands qu’eux. On a peut-être transmis quelque chose, mais on

n’a pas assez de recul. Nous on espère juste apporter un petit plus aux enfants et aux parents, et on

espère que dans les formations il y ait une formation au genre, dans les formations du social ou même

à l’école.

Etudiants : Justement, des parents nous parlaient de leur volonté de faire bouger ce projet à l’extérieur

de la crèche. Participez-vous à ce projet ?

Mme Constantin : Ce sont les parents ! Et c’est grâce aux parents que les choses vont bouger ! S’il se

passe quelque chose c’est grâce à eux. Donc eux se sont montés en association pour travailler sur le

genre, pour diffuser. On a aussi rencontré certains inspecteurs qui font un rapport et une recherche sur

les 0-3 ans, donc on attend aussi que des choses ressortent. On attend aussi beaucoup du

gouvernement, des moyens… Parce qu’en Suède c’est une volonté du gouvernement à la base qui a

fait qu’il y ait eu plusieurs lois sur les congés de maternités, et des moyens ! Nous on n’a pas les

moyens ! On a juste nos petits cerveaux et nos petites mains, notre créativité ! Donc le rôle des

institutions, de plein de choses… On ne peut pas faire ce qu’on veut, on ne peut pas dire ce qu’on

veut, diffuser ce qu’on veut…

Etudiants : Nous sommes ici dans une crèche départementale. Est-ce-que le Conseil général a financé

le projet, c’est lui qui l’a lancé… ?

Mme Constantin : C’est le Conseil Général qui a financé la formation de 12 jours avec les suédois.

Après, toutes nos réflexions sont les nôtres. C’est pour cela qu’on se sent seuls dans cette histoire.

L’idée était que ça puisse prendre dans les 55 crèches du département. Sauf que c’est une grosse

institution, et je pense qu’elle s’est sentie dépassée par notre travail et donc du coup, on est pieds et

poings liés. Ils ne supportent pas qu’on soit invités dans des colloques, séminaires, donc jusqu’à

présent, l’ancienne directrice mettait sa casquette syndicale pour aller dans les colloques. On a très peu

de marges de manœuvre. Et on n’arrive pas non plus à aller dans les autres crèches. On ne nous aide

pas. On a rencontré les ministres début septembre, et depuis rien ! La dernière fois qu’on a eu la

formation suédoise c’était en mai 2011, depuis, plus rien. Donc nous on en est à se dire que les parents

font leur travail pour essayer de semer à l’école et essayer que ça prenne, mais nous si on veut

73

vraiment continuer à travailler sur ce sujet, il faut qu’on aille ailleurs. On a l’impression d’être allés au

bout. Et du coup ça engendre des jalousies au niveau des autres directrices de crèche, « pourquoi cette

mise en avant de cette crèche, nous aussi on fait des choses… ! »… Il y a une incompréhension de la

part du politique, de l’institution… Enfin du Conseil Général dans tous les cas. Et le fait qu’on soit

rattrapés, par le ministère, les ministres, tout ça… Pour eux (le Conseil Général) c’est compliqué, et

nous on est un peu coincés là-dedans…

Etudiants : Vous pensez que les autres crèches sont réticentes ?

Je pense que c’est l’employeur qui n’arrive pas à faire que ce projet se diffuse normalement et

simplement aux autres structures. Et puis c’est un énorme travail, il faut que les gens se mobilisent.

C’est une question qui demande un investissement, une réflexion pour emmener une équipe dans le

bateau… David et moi on est à se dire qu’on en a marre, on a envie d’aller le faire vivre ailleurs

puisqu’on n’y arrive pas là. Enfin, on y arrive, mais c’est seulement à l’échelle de la crèche.

Etudiants : Quels seraient alors vos projets ?

Mme Constantin : Il y d’autres communes, voir plutôt Conseil général ou régions qui se sont emparés

du sujet en le traitant dans leur département, et qui le traitent de façon « normale », en se posant moins

de questions, ils sont moins fébriles… La directrice qui vient de partir est en train de former des

directrices dans des communes, en répondant à des appels à projet. Donc tout le monde d’intéresse à

ce sujet. Et nous on est là, et on est coincés ! C’est politique. Il y a des forces contraires… On a

changé de président du Conseil en 2012. La première rencontre qu’il a faite c’était à la crèche en

septembre. On s’est dit « super !», parce qu’on attend toujours d’être pris en compte !

M. Helbecque : Il y a toujours des dossiers qui semblent plus importants que le nôtre. Et puis « il n’y a

plus d’argent… »

Mme Constantin : Ils avaient l’opportunité de se saisir d’une équipe qui a travaillé, et auraient pu en

faire quelque chose. Mais c’est l’inverse qui se passe. On a fait une superbe charte… (Elle montre le

kakémono de la « Charte de l’égalité » dans le bureau). Il y a l’association qui diffuse et qui va former

ailleurs, donc je pense qu’à un moment ou à un autre on va faire la même chose ! Ou aller former dans

les écoles aussi. Si jamais il y avait quelque chose au niveau de la sensibilisation dans les écoles, ou

dans les facs… Je crois que des choses se font mais il n’y a pas de cohésion. Mais je pense que ça

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viendra (dans 10-15-20 ans).

Il y a des choses qui ont bougé quand même, l’évolution de la femme. Mais c’est long. Ce genre de

projet fonctionne dans les pays nordiques, mais il ne faut pas oublier qu’ils sont moins nombreux, ne

suivent pas les mêmes études dans la formation des professionnels de la petite enfance… On est dans

le pays où la formation des jeunes éducateurs est la moins reconnue. Partout ailleurs, les gens passent

par l’Université, et ne peuvent être professionnels sans avoir un Master 2. Il y a en ce moment des

réflexions pour faire que des formations sociales soient inclues dans les universités. Donc ça

commence un petit peu, avec des conventions entres les facs et les écoles, mais les écoles veulent

garder tout ça pour eux, les Universités sont frileuses également. Tout ça c’est compliqué. Et comme

on est dans une époque où l’on « déprofessionnalise » les métiers de la petite enfance...

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C'est un entretien conduit avec précision et organisation et qui est très "réussi". La position de la directrice et sa posture déjà réflexive du fait de sa formation aurait pu être un obstacle à cette réussite, or vous parvenez magistralement a la faire réagir
sur ses pratiques, les limites, etc. Bravo!
Je m'étonne juste qu'il manque les questions sociodémographiques permettant de SITUER dans l'espace social les propos des enquêtés. Âge ? Milieu social de départ ? Marié-e ? Ayant eux mêmes des enfants ? Qqs éléments leur échappent mais ils sont insuffisants pour donner de la cohérence a leur portrait sociologique... C'est la seule critique de fond que je vous adresse.Bravo pour cet important travail de retranscription...

Annexe 2 : « Camille va à la crèche »

Aujourd'hui Camille va à la crèche pour la première fois. Camille est ravi(e) mais sa maman est un

peu inquiète. Il faut dire que depuis sa naissance c'est elle qui s'occupe de Camille. Son papa voulait

bien rester à la maison mais il n'aurait pas gagné assez d'argent. Camille doit maintenant aller à la

crèche car sa maman retourne au travail. Camille ne sait pas trop ce que fait sa maman. Elle est le chef

de pleins de gens, un peu comme la mère Noël et ses lutins, ou quelque chose comme ça. Son papa,

lui, c'est facile de s'en souvenir, il fait naître les bébés.

Camille finit de prendre son petit déjeuner pendant que tout le monde s'agite autour : sa maman fait la

vaisselle et son papa passe le balai.

« Allez Camille, je te mets ton manteau et on y va » lui dit sa maman.

Après avoir marché dans le froid, Camille et sa maman arrivent enfin à la crèche.

« C'est pas trop tôt » s 'exclame Camille. Une dame les accueille :

« Bonjour Madame. Ah voilà Camille, ne vous inquiétez pas, nous allons en prendre bien soin avec

mes collègues. Camille est dans le groupe de Martine, vous allez voir, c'est une vraie petite maman

avec les enfants ».

« Alors, c'est un bien joli prénom ça Camille.. Tu es une petite fille ou un petit garçon? »

« Moi je suis un bébé » répond Camille énervé(e).

« Hum, d'accord » répond la dame.

La maman de Camille l'aide à enlever son manteau et lui met ses chaussons. Elle lui fait un bisou,

Camille voit qu'elle a les yeux tout rouges.

« Amuse toi bien et sois sage mon cœur, à ce soir », elle s'en va.

« Allez viens jouer avec nous Camille » lui dit Martine. Mais Camille n'a pas envie et va s'asseoir dans

un coin. Léa arrive :

« Bonjour Léa. Oh comme tu as une belle robe aujourd'hui, tu es très coquette » lui dit Martine. Une

fois prête Léa va jouer à la poupée.

« Oh, comme il est fort le petit Gustave, il porte son sac tout seul comme un grand » s'écrie Martine.

Camille continue à bouder dans son coin et est agacé(e) par Gustave et Lélio qui courent et crient

partout. Camille décide de se rapprocher de Léa et Agathe qui sont beaucoup plus calmes. Mais

Martine arrive :

« Allez les enfants, on va dessiner ».

Tant pis, Camille jouera avec elles plus tard.

Tout le monde s'assoit autour de la table. Camille décide de dessiner un lion. Soudain, Lélio pique le

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feutre d'Agathe. Elle pleure et mord Lélio. Lélio pleure aussi. Martine intervient :

« Ca ne sert à rien de s'énerver Agathe. Lélio arrête de pleurer. Un grand garçon comme toi, ça ne

pleure pas. » Agathe continue de pleurer.

« Elle nous casse les oreilles » pense Camille. Martine prend Agathe dans ses bras et lui fait un câlin.

Agathe se calme enfin.

« Allez on range, on va lire une histoire maintenant » dit Martine. Camille s'assoit avec Agathe et Léa,

derrière Gustave et Lélio qui se sont mis tout devant. Mais Camille ne voit rien pendant la lecture,

Gustave n'arrête pas de se mettre devant le livre et Martine ne dit rien. Camille est énervé(e).

Voilà qu'arrive l'heure de manger. Camille fait la grimace, aujourd'hui au menu c'est carottes et

poisson. Martine demande aux enfants :

« Maman cuisine des carottes des fois à la maison? ». Personne ne répond, tout le monde est trop

occupé à manger.

C'est ensuite l'heure d'aller faire la sieste.

« C'est pas trop tôt » pense Camille.

Vers 15h, Martine réveille Camille.

« Maintenant, tu peux aller jouer jusqu'à ce que ta maman vienne te chercher ».

« Mais moi c'est mon papa qui vient me chercher » répond Camille.

« Ah bon, ta maman n'a pas le temps de venir te chercher? »

« Elle travaille, et puis j'aime bien quand c'est papa qui vient ».

Camille va faire un puzzle dans son coin. Au bout d'un moment Martine arrive :

« Ton papa est là Camille ».

« C'est pas trop tôt » pense Camille.

Camille saute dans les bras de son papa :

« Allez, vite, on s'en va » dit Camille.

Mais Martine les retient :

« Monsieur, pensez à dire à votre femme de donner un doudou à Camille pour la sieste ».

« D'accord, je vais m'en occuper » répond le papa de Camille.

« Alors, c'était bien Camille? »

« Non, c'était nul ».

Le lendemain matin, Camille n'a pas du tout envie de retourner à la crèche. Sa maman est obligée de

se fâcher :

« Arrête de trainer des pieds Camille ».

Arrivés à la crèche, un homme ouvre la porte.

« Bonjour Camille, je suis Hans et je remplace Martine aujourd'hui. » Camille est impressionné(e),

Hans est gigantesque. Sa maman lui explique qu'il vient d'un pays où il fait très froid et où habite le

père noël.

77

« Oh tiens, voilà Léa, bonjour Léa comment vas-tu? Oh Bonjour Gustave! »

Camille entend la mère de Léa dire inquiète :

« Mais, vous êtes-sûr que vous allez savoir vous occupez d'eux? »

«Allez les enfants, on va faire une activité » dit Hans.

« Asseyez-vous et prenez tous un outil, on va faire du bricolage ». Camille est ravi(e).

Camille tape de toutes ses forces .

« C'est bien Gustave, mais fais bien attention de viser le clou » lui dit Hans.

« C'est bien Léa, tu peux taper encore plus fort si tu veux ».

«Elle vous plait cette activité? » demande Hans.

« Tu aimes bien faire du bricolage Camille? »

« Oui » répond Camille.

« Et toi, ça te plait Lélio? Tu peux le dire si tu n'aimes pas l'activité. »

« Moi je voudrais lire un livre » répond Lélio.

« D'accord, nous allons lire l'histoire de Monsieur Papa et ses dix enfants » répond Hans. Camille est

de bonne humeur. L'histoire lui plait et aujourd'hui tout le monde peut voir les images car tout le

monde est assis et écoute l'histoire.

Ensuite Camille et ses amis mangent et font la sieste. Hans les réveille et leur propose de jouer tous

ensemble à la poupée en attendant que les parents arrivent. Camille aime bien jouer avec tous ses

camarades. Lélio essaye de prendre la poupée de Léa :

« Non c'est ma poupée, prends en une autre » lui dit Léa

« Oui, il y a en pleins d'autres, regarde » lui dit Hans.

À 17h Hans dit à Camille :

« C'est l'heure de partir, ton papa est là Camille ».

« Oh non, c'est trop tôt » répond Camille.

Le papa de Camille l'emmitoufle dans son manteau, « vivement demain » pense Camille.

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Bon travail créatif qui récapitule vos découvertes sur le terrain et les lectures mais qui ne rend pas justice à toute la finesse de votre analyse. C'est la limite inévitable d'un sketch. Bravo pour la mise en scène et le scénario.

Annexe 3 : Retranscription de micros-trottoirs réalisés au près de parents déposant leurs enfants à la crèche Bourdarias

Maman 1

1) Pourquoi avoir choisir la crèche Bourdarias pour vos enfants ?

Cette crèche car de bouche à oreille. Déjà dans le 93 pas facile de trouver une bonne crèche. Ma sœur

est à Epinay sur seine et apparemment là-bas ce n’est pas très bien. C’est une crèche très propre,

niveau cuisine, tout, même par rapport aux employés. Rien à dire.

2) Quelles sont vos attentes vis à vis de cet établissement qui prétend éduquer sans genre ?

Sur la parité, j’en pense que c’est très bien. Moi aussi j’ai commencé à lui acheter des poupées pour

vous dire !

Maman 2 (journaliste travaillant au planning familial, mariée, 2 fils)

1) Pourquoi avoir choisir la crèche Bourdarias pour vos enfants ?

On ne choisit pas de mettre ses enfants dans cette crèche-là précisément, parce qu’il y a aussi des

questions de secteurs. Il se trouve aussi que cette crèche m’intéressait parce que j’étais au courant du

projet genre avant même la conception et la naissance de mon premier gamin. Je n’avais aucune idée

qu’elle était à côté. Quand j’ai appris que c’était ma crèche de secteur, j’étais aussi super contente.

C’est aussi les aléas de la géographie.

2) Quelles sont vos attentes vis à vis de cet établissement qui prétend éduquer sans genre ?

Moi j’attends qu’on sorte un peu du stéréotype... Toutes les crèches, tous les professionnels ont envie

de traiter filles et garçons de la même manière. Ce n’est pas qu’ici. Simplement, ce qu’il y a

d’intéressant ici, c’est que les pros ont mené une réflexion d’analyse de leurs propres pratiques et de

79

leurs propres représentations, pour essayer de débusquer ce qui faisait obstacle à ça, et de se rendre

compte que « j’ai bien envie de les éduquer de la même façon, n’empêche je ne vais pas leur parler

pareil, leur dire la même chose, les encourager à faire la même chose. » Moi ce qui m’intéresse, c’est

d’arriver à cet équilibre-là. Il se trouve que moi j’ai 2 garçons, alors que je m’étais toujours posée la

question de l’éducation des filles. Et j’ai un parcours de militante féministe, cela fait bien 10-15 ans

que je suis dans des associations. Voilà donc c’est une thématique qui me parle beaucoup. Et j’avais

toujours beaucoup pensé au féminin, et là pour le coup, je réfléchis aussi au masculin, et en tant que

mère ça m’interpelle vachement : est-ce-qu’en même temps je ne laisse pas mon enfant parler très fort,

est-ce-que si c’était une fille je ne le restreindrais pas… Malgré ma trajectoire féministe, parce que je

suis comme les autres, j’ai été élevée comme les autres. Simplement moi je pense que par rapport à

d’autres, je vais me poser la question.

Etudiants : Du coup, sentez-vous de nouveaux comportements ?

On nous a déjà posé cette question, le seul problème c’est que moi je n’ai pas de point de

comparaison : le 1er (enfant) est rentré à 1 an à la crèche, et le 2ème y est rentré à 2 mois et demi, donc

ils se sont construits comme ça. Il y a un certain nombre de choses qui sont pour eux très claires mais

je ne sais pas si ce serait clair autrement.

3) Quelle vision des rapports hommes/femmes souhaitez-vous transmettre à vos enfants par le

biais de leur éducation dans cet établissement ?

Moi je pense que ces histoires de jouets pour filles, garçons, c’est plus tard que ça se fige. Ou en tout

cas, j’espère qu’on va planter d’autres racines. On essaye aussi d’essayer de faire franchir le projet

genre des murs vers la maternelle et la primaire. (qui sont juste à côté). Les parents n’ont pas envie que

cette aventure s’arrête, et ça profiterait à plein d’autres gamins.

Papa 1 (intermittent du spectacle, fils de 20 mois)

1) Pourquoi avoir choisir la crèche Bourdarias pour vos enfants ?

Dans le 93 on ne choisit pas vraiment, la plus proche de la maison, et notre choix premier donc très

contents d’avoir été pris. On a appris par surcroit le projet de cette crèche, quand on s’est inscrits.

Dans un 1er temps, on ne savait pas trop de quoi il s’agissait, puis il y a eu des réunions, des

conférences, et on a trouvé ça absolument passionnant, on s’en réjouit, c’est bien pensé, et dans le long

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terme, je pense que c’est quelque chose à développer le plus possible, et en dehors des crèches.

Etudiants : Il paraît que certains parents se sont montés en association ?

Quelques parents et une partie de l’équipe pédagogique s’est formée en association, mais pour le

moment elle en est à ses balbutiements, mais c’est en effet pour essayer de faire tâche d’huile, que ça

se répande un peu ailleurs, parce que si ça en reste là, c’est un peu un coup d’épée dans l’eau. Donc ils

ont commencé c’est bien, mais i faut un peu l’emmener ailleurs.

2) Quelles sont vos attentes vis à vis de cet établissement qui prétend éduquer sans genre ?

Des attentes particulières il ne fait pas en avoir trop parce que encore une fois c’est limité dans le

temps (celui de la crèche), et eux le font très sérieusement : ils ( le personnel de crèche) ne sont pas

dogmatiques ou manichéens, ils travaillent, essayent d’adapter ce projet genre aux activités proposées

aux petits, donc sont en recherche, y vont lentement et ont raison, n’assènent pas des choses qu’ils

auraient ramené d’ailleurs. Ça se construit et c’est très bien comme ça, sinon ce serait tendre un bâton

pour se faire battre. Car ce genre de projet rencontre des résistances énormes auprès d’une certaine

partie de la population, car c’est très mal compris.

Etudiants : Ressentez-vous du coup un comportement qui se modifie ?

Mon fils y est entré très petit, 6 mois, et les enfants évoluent très vite, alors faire la part des choses

ente ce qu’ils auraient pu devenir s’il n’était pas là, etc, c’est impossible. C’est surtout dans la 2ème

année que les fruits sont à récolter. Pour le moment il est encore un peu petit. Mais c’est vrai qu’il s’est

attaché à une poupée, du coup on lui a acheté la même à la maison, tout en ayant des petites voitures et

des marteaux !

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Très bonne initiative que ce microtrottoir. Vous avez travaillé bien au delà de ce que je demandais. D'ailleurs, en lisant les réponses de ces parents, je me dis que vous auriez ou tout aussi bien restituer leurs paroles dans le travail créatif, autre solution. Mais votre sketch était vraiment bien aussi.

Annexe 4 : Grille d’entretien pour la crèche de Dauphine

LE PERSONNEL : FORMATION, CONVICTION1) Comment est née votre vocation ? Pourquoi avoir choisi cette profession? (simple trajectoire

professionnelle ou vocation ?)

2) Quel type de formation avez-vous suivi ? (traditionnelle, spécialisation…)

3) Quelle a été votre perception, votre avis, votre critique vis-à-vis de cette formation ? (enseignement neutre, volontairement stéréotypé, involontairement stéréotypé, vecteur de clichés…)

4) Depuis combien de temps exercez-vous ce métier ?

5) Aimeriez-vous avoir des collègues masculins et pensez-vous que cela puisse être bénéfique?

6) Quelle explication feriez-vous à l’observation du faible taux d’hommes dans les lieux d’accueil pour les jeunes enfants ? Seriez-vous pour une parité dans le personnel ?

7) Présentation personnelle de la personne interrogée : Age, sexe, nb d’enfants, situation maritale, ordre dans la propre fratrie

PERSONNEL ET RELATION AVEC L’ENFANT1) Racontez une journée type à la crèche.

2) Quelles sont les activités proposées aux enfants ? Y a-t-il un moment où garçons et filles sont séparés pendant un moment ou une activité ?

3) De quels types de jeux disposez-vous?

4) Sont-ils accessibles à tous les enfants de la même façon ?

5) Quel type de lecture faites-vous aux enfants?

6) Y a-t-il un moment où garçons et filles sont séparés pendant un moment ou une activité ?

7) Y a-t-il des questions ou remarques particulières de la part des enfants par rapport aux activités que vous leur proposé ici ?

8) C’est carnaval. Quels sont les déguisements proposés/confectionnés aux enfants ?

9) Un petit garçon pleure. Quel est votre premier réflexe ? (idem pour les filles)

10) Si un enfant vient vers vous, quel jouet allez-vous lui proposer ? Selon quel critère ?

11) Citez les qualificatifs les plus attribués selon vous aux petits garçons. (idem pour les petites filles)

12) Quels enfants s'imposent le plus?

13) Préférez-vous travailler avec des petits garçons ou des petites filles? Pourquoi?

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PERSONNEL ET PARENTS1) Quelles sont les premières questions des parents lorsqu’ils viennent chercher leur enfant (voir

si cas différent selon fils ou fille) ?

2) Ont-ils des attentes particulières selon le sexe de l’enfant ?

QUESTIONS AUX PARENTS1) Quelles sont vos attentes vis à vis de cet établissement ?

2) Sont-ils satisfaits de l'établissement et de l'influence qu'il a en tant que relai dans l'éducation de leurs enfants?

3) Quelle vision des rapports hommes/femmes souhaitez-vous transmettre à vos enfants par le biais de leur éducation dans cet établissement ?

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Il manque bien les questions sociodémographiques ...
Très bonne grille par ailleurs. Le thématique fonctionne parfaitement ici et vous l'avez bien conçu

Annexe 5 : Grille d’entretien pour la crèche Bourdarias

LE PERSONNEL : FORMATION, CONVICTION1) Comment est née votre vocation ? Pourquoi avoir choisi cette profession? (simple trajectoire

professionnelle ou vocation ?)

2) Quel type de formation avez-vous suivi ? (traditionnelle, spécialisation…)

3) Quelle a été votre perception, votre avis, votre critique vis-à-vis de cette formation ? (enseignement neutre, volontairement stéréotypé, involontairement stéréotypé, vecteur de clichés…)

4) Depuis combien de temps exercez-vous ce métier ?

5) Aimeriez-vous avoir des collègues masculins et pensez-vous que cela puisse être bénéfique?

6) Quelle explication feriez-vous à l’observation du faible taux d’hommes dans les lieux d’accueil pour les jeunes enfants ? Seriez-vous pour une parité dans le personnel ?

7) Présentation personnelle de la personne interrogée : Age, sexe, nb d’enfants, situation maritale, ordre dans la propre fratrie

PERSONNEL ET RELATION AVEC L’ENFANT1) Racontez une journée type à la crèche.

2) Quelles sont les activités proposées aux enfants ? Y a-t-il un moment où garçons et filles sont séparés pendant un moment ou une activité ?

3) De quels types de jeux disposez-vous?

4) Sont-ils accessibles à tous les enfants de la même façon ?

5) Quel type de lecture faites-vous aux enfants?

6) Y a-t-il un moment où garçons et filles sont séparés pendant un moment ou une activité ?

7) Y a-t-il des questions ou remarques particulières de la part des enfants par rapport aux activités que vous leur proposé ici ?

8) C’est carnaval. Quels sont les déguisements proposés/confectionnés aux enfants ?

9) Un petit garçon pleure. Quel est votre premier réflexe ? (idem pour les filles)

10) Si un enfant vient vers vous, quel jouet allez-vous lui proposer ? Selon quel critère ?

11) Citez les qualificatifs les plus attribués selon vous aux petits garçons. (idem pour les petites filles)

12) Quels enfants s'imposent le plus?

13) Préférez-vous travailler avec des petits garçons ou des petites filles? Pourquoi?

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PERSONNEL ET PARENTS1) Quelles sont les premières questions des parents lorsqu’ils viennent chercher leur enfant (voir

si cas différent selon fils ou fille) ?

2) Ont-ils des attentes particulières selon le sexe de l’enfant ?

QUESTIONS AUX PARENTS1) Quelles sont vos attentes vis à vis de cet établissement ?

2) Sont-ils satisfaits de l'établissement et de l'influence qu'il a en tant que relai dans l'éducation de leurs enfants?

3) Quelle vision des rapports hommes/femmes souhaitez-vous transmettre à vos enfants par le biais de leur éducation dans cet établissement ?

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Mêmes remarques que pour l'autre grille

Annexe 6 : Grille d’adjectifs utilisée à la crèche Bourdarias

Quelles qualités sont attribuées aux filles et aux garçons ?

Qualités Filles GarçonsElégant(e)Brusque

Aventurier(e)Sentimental(e)

Courageux(euse)Indépendant(e)Entreprenant(e)Déterminé(e)

SensibleBricoleur(euse)

Beau(belle)Rapporteur(euse)

ColériqueTêtu(e)

EnergiquePleurnichard(cheuse)

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L'original de la grille que nous avons reproduite.

TB materiau

REMERCIEMENTS

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Nous tenons à remercier l’ensemble des personnes ayant accepté de contribuer à cette enquête :

- Le personnel de la crèche de Dauphine : Anne, Bérénice, Stéphanie, Margaux,La directrice, Mme Cécile Urbini-Morin

- Le personnel de la crèche Bourdarias : Béatrice, Claire, Marlène,Le directeur adjoint, M. David Helbecque,La directrice, Mme Haude Constantin

- Les parents pressés déposant leurs enfants et arrivés en retard au travail parce que nous étions trop curieux,Les moins pressés,

- Madame Tania Angeloff, Maître de Conférences en sociologie, qui a encadré notre enquête, et qui, à travers l’enseignement de la sociologie du genre a su nous apprendre à « déconstruire les stéréotypes »,

Mais aussi :

- Les journalistes, dont les articles nous ont menés à Bourdarias, avant de pouvoir les critiquer en retour pour leur vision parfois trop manichéenne,

- La Suède, pays égalitaire et dont on a encore beaucoup à apprendre,

- Le Conseil Général de la Seine Saint-Denis pour cette belle initiative qui n’attend qu’à être développée…

Et bien sûr, un grand merci à tous les enfants de la crèche de Dauphine et de Bourdarias, sans qui cette expérience n’aurait pu voir le jour.

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