situations-jeu - uv2s.cerimes.fruv2s.cerimes.fr/media/revue-eps/media/articles/pdf/70318-41.pdf ·...

6
TENNIS DE TABLE ADAPTATIONS TYPIQUES D'UN COLLEGIE LORS DE « SITUATIONS-JEU » PAR J. GUÉRIN Examiner l'activité d'un élève dans des « situations-jeu » en tennis de table et dévoiler plus précisément le sens qui se déploie dans l'action de l'élève, est le prolongement du travail de recherche sur l'activité des adolescents en classe. Face à un manque d'engagement des élèves, les professionnels de l'éducation s'interrogent sur les conditions à créer pour qu'ils puissent apprendre et se trans- former. De nombreux enseignants tentent de répondre à travers la mise en place de tâches conçues ou repérées dans des revues professionnelles censées placer l'élève dans une démarche d'apprentis- sage. Cependant, rares sont les travaux qui se sont intéressés, dans une perspective descriptive (et non pas seulement prescrip- tive), à l'expérience réelle vécue par les élèves dans ces tâches. LES « SITUATIONS-JEU » Les « situations-jeu » (SJ) [1] tiennent une place essentielle dans le processus de construction des connaissances EPS, notamment parce qu'elles constituent une référence pour l'enseignant et les élèves et qu'elles reflètent le choix des connais- sances à enseigner à l'école. Comme le rappelle J. Metzler [1] les SJ sont le pro- duit d'une double adaptation des règle- ments relatifs aux APS. La première vise à concevoir une situation motrice adaptée aux ressources des élèves, la seconde prend en considération les caractéristiques du contexte physique, social et culturel. Ces adaptations conduisent les ensei- gnants à aménager certains traits caracté- ristiques de l'APS comme le rapport au matériel, à l'espace, au type d'intervention sur le ballon ou la balle, aux autres joueurs et également au système de marque (enca- drés 1 et 2). QUATRE FORMES TYPIQUES D'ENGAGEMENT Rechercher des coups préférentiels compatibles Cette forme d'engagement de l'élève consiste à rechercher des solutions compa- tibles avec les contraintes de la tâche et ses points forts. Pendant quelques minutes, l'élève évalue le rapport de force et recherche des solutions pour s'y adapter. Tout d'abord, il vérifie l'efficacité de cer- tains coups préférentiels au regard des par- ticularités de son adversaire. Il exécute ainsi des services et des enchaînements de coups qu'il maîtrise afin d'évaluer leur 41 Revue EP.S n°318 Mars-Avril 2006 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

Upload: hoangkhanh

Post on 13-Sep-2018

216 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

TENNIS DE TABLE

ADAPTATIONS TYPIQUES D'UN COLLEGIEN

LORS DE « SITUATIONS-JEU »

PAR J. GUÉRIN

Examiner l'activité d'un élève dans des « situations-jeu » en tennis de table et dévoiler plus précisément le sens qui se déploie dans l'action de l'élève, est le prolongement du travail de recherche sur l'activité des adolescents en classe.

Face à un m a n q u e d ' e n g a g e m e n t des élèves, les professionnels de l'éducation s ' interrogent sur les conditions à créer pour qu'ils puissent apprendre et se trans­former. De nombreux enseignants tentent de répondre à travers la mise en place de t âches conçues ou repé rées dans des revues professionnelles censées placer l 'élève dans une démarche d'apprentis­sage. Cependant, rares sont les travaux qui se sont intéressés, dans une perspective descriptive (et non pas seulement prescrip­tive), à l 'expérience réelle vécue par les élèves dans ces tâches.

LES « SITUATIONS-JEU »

Les « situations-jeu » (SJ) [1 ] tiennent une place essentiel le dans le processus de cons t ruc t ion des conna i s sances EPS , notamment parce qu'elles constituent une référence pour l'enseignant et les élèves et qu 'el les reflètent le choix des connais­sances à enseigner à l 'école. Comme le rappelle J. Metzler [1 ] les SJ sont le pro­duit d 'une double adaptation des règle­ments relatifs aux APS. La première vise à concevoir une situation motrice adaptée

aux ressources des é lèves , la seconde prend en considération les caractéristiques du contexte physique, social et culturel. Ces adaptat ions conduisent les ense i ­gnants à aménager certains traits caracté­ristiques de l 'APS comme le rapport au matériel, à l'espace, au type d'intervention sur le ballon ou la balle, aux autres joueurs et également au système de marque (enca­drés 1 et 2).

QUATRE FORMES TYPIQUES D'ENGAGEMENT

Rechercher des coups préférentiels compatibles Cette forme d ' e n g a g e m e n t de l ' é lève consiste à rechercher des solutions compa­tibles avec les contraintes de la tâche et ses points forts. Pendant quelques minutes, l ' é l ève évalue le rappor t de force et recherche des solutions pour s'y adapter. Tout d'abord, il vérifie l'efficacité de cer­tains coups préférentiels au regard des par­ticularités de son adversaire. Il exécute ainsi des services et des enchaînements de coups qu' i l maîtrise afin d'évaluer leur

41 Revue EP.S n°318 Mars-Avril 2006 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

1. CONTEXTE Cet article rend compte d'une partie des travaux de recherche que nous menons (cf. encadré 2). Notre étude s'inscrit dans une approche située de l'appren­tissage et entreprend de décrire et de comprendre l'activité des élèves engagés dans des SJ en tennis de table (TdeT). Notre conviction est que la prise en compte du point de vue de l'élève est essentielle pour construire une EPS signifiante et adaptée à chacun. Nous considérons que l'activité et l'apprentissage consistent fondamentalement à construire des signi­fications dans un cours d'action [2]. Notre intention est de reconstruire la dynamique de construction des significations d'élèves au cours de SJ durant une longue période de leur activité en EPS. À travers la reconstitution de l'histoire des interactions entre l'élève et la situation, l'objectif était, d'une part, de vérifier dans quelle mesure l'adaptation de cet élève était en adéquation avec les attentes de l'enseignant

et d'autre part, d'évaluer la pertinence des tâches prescrites. Cette double visée nous semble intéres­sante pour aider les enseignants à optimiser la conception des SJ. Cette étude est menée dans un collège de la ban­lieue parisienne. Chaque lundi pendant six semaines, une classe de 4e sportive accepte d'être observée par un chercheur. Parmi les élèves, 3 gar­çons dont Samuel sont volontaires pour évoquer leur expérience. Ils pratiquent le TdeT à l'AS et en club pour deux d'entre eux et affectionnent la dimension duelle et compétitive. Deux types de SJ sont plus particulièrement étudiés : des tâches d'apprentissage prévoyant respective­ment un aménagement du système de marque et des possibilités d'intervention sur la balle. Dans la première, le but pour l'élève est de « marquer des points directs » (balle non touchée par l'adversaire) afin de développer chez lui la capacité à créer des

conditions favorables pour placer une balle rapide et gagner le point. Dans la deuxième, il s'agit pour l'élève de « lifter les balles » afin de reproduire des savoir-faire travaillés durant le cycle d'enseignement. Les points gagnés sans respecter la consigne ne sont pas comptabilisés. Ces deux type de SJ se sont respectivement déroulés sous la forme de champion­nats par poules de niveau de jeu et d'une « montée-descente ». Les élèves sont filmés lors de quatre SJ. Ensuite, dans un délai maximum de deux jours, ils participent à un entretien individuel au cours duquel ils sont encouragés, à partir de l'enregistrement audiovisuel de leur pratique, à expliciter et à commenter leur acti­vité au cours des SJ. L'analyse de l'activité des élèves dans les différentes SJ permet d'identifier quatre formes typiques d'engagement. Nous les illus­trons sur la base de l'étude de cas de l'activité de l'un des trois élèves, que nous avons nommé Samuel.

2. À PROPOS DE LA THÈSE DE JÉRÔME GUÉRIN

L'ACTIVITÉ D'ADOLESCENTS EN CLASSE : CONTRIBUTION À UN PROGRAMME DE RECHERCHE EN ANTHROPOLOGIE COGNITIVE

Cette thèse sur l'activité d'élèves et d'adolescents de la région parisienne dans le cadre quotidien de leur vie scolaire débute par le bilan d'une étude

« exploratoire » sur les connaissances pratiques mobilisées par les enseignants dans les débuts de cours d'EPS. L'étude montre que ces derniers, co-cons-truits par l'enseignant et les élèves, ne peuvent être expliqués que si l'on se donne les moyens d'accéder à la fois à l'activité de l'enseignant, à celle des élèves et à leur articulation. Considérant que la littérature scientifique a déjà fourni des éléments significatifs sur l'activité de l'enseignant, l'auteur se focalise sur celle des élèves, peu étudiée, sans doute du fait des difficultés méthodologiques. À travers trois études de terrain, l'auteur poursuit un triple objectif. Un objectif empirique : la connaissance des activités des élèves en classe comme dynamique de couplage avec la situation de classe dans son ensemble, en pas­sant par la reconstruction de l'histoire des significations données par les élèves à leur expérience vécue. Un objectif méthodologique : le développement d'un observatoire de telles activités et de sa théorie. Un objectif technologique (technologie éducative) : repenser les pratiques d'enseignement à partir de la connaissance des activités des élèves en classe.

Le chapitre 1 présente d'abord de façon systématique et rigoureuse les hypothèses générales sur l'activité humaine et les principes épisté-

mologiques de leur étude présidant au programme de recherche dit « du cours d'action » développé en ergonomie depuis une quinzaine d'années essentielle­ment par Jacques Theureau mais aussi par un certain nombre de chercheurs, y compris dans les STAPS. Puis l'auteur dresse un bilan bien documenté de la littérature scientifique concernant ce programme de recherche.

Le chapitre 2 décrit l'activité des élèves engendrée par l'introduction des mé­thodes de recueil de données empiriques en classe d'EPS. Les résultats

essentiels portent sur l'apprentissage par les élèves de l'explicitation de leur expérience, la co-construction des conditions de cette explicitation, et les per­turbations induites par les méthodes de l'observatoire du cours d'action. Ces résultats sont exploités dans les deux études présentées ensuite, soit pour con­cevoir des techniques et procédures de coopération avec les élèves et recueil­lir des données, soit pour définir des précautions à prendre dans les protocoles.

Le chapitre 3 décrit et interprète l'activité des élèves en cours de mathéma­tiques. L'auteur s'intéresse à l'articulation des dimensions dissimulée et visi­

ble aux yeux du professeur de l'activité d'un élève de Seconde. L'organisation et la signification de l'action de Karim est décrite avec finesse et montre la manière dont est résolu le dilemme fondamental de l'activité en classe : mémoriser ou comprendre et les processus de décrochage ou « d'accrochage » pendant les cours. La discussion des résultats concerne deux aspects : d'une part l'articu­lation entre des composantes clandestines et publiques de l'activité en classe, d'autre part le rôle de l'enseignant envisagé comme une contrainte ou une ressource par l'élève. Les résultats empiriques et technologiques novateurs conduisent à questionner la pertinence d'une conception individualiste de l'ap­prentissage, à repenser la classe dans son ensemble et sa dynamique comme un réseau d'apprenants dans un environnement significatif pour eux.

Le chapitre 4 revient sur les APS programmées au cours de l'année scolaire, se focalisant sur l'activité d'un élève en tennis de table pendant le cours et la

« situation-jeu ». Tout d'abord, les résultats mettent en évidence le faisceau de préoccupations types organisant l'activité de l'élève lors des cours. À travers

l'analyse de plusieurs épisodes, l'auteur décrit la fluctuation de ces préoccupa­tions et les caractéristiques de la situation à l'origine de l'évolution de l'engage­ment de l'élève. Ensuite, les résultats présentent l'activité adaptative de l'élève dans des « situations-jeu » visant le réinvestissement de savoir-faire travaillés en classe. L'analyse montre que les conditions sont rarement réunies pour qu'il y ait une adéquation entre les effets recherchés par l'enseignant et l'activité effectivement développée par un élève fortement engagé dans une logique d'opposition. La congruence entre les attentes de l'enseignant et l'action de l'élève est épisodique et éphémère. Les résultats sont discutés selon trois axes : l'adaptation spécifique de l'activité à l'aménagement des « situations-jeu », le respect de la consigne/marquer des points, l'équilibre précaire de l'accord entre l'enseignant et l'élève.

La réalisation de trois études empiriques de grande ampleur apporte à différents niveaux des éléments de réponse à ces objectifs ambitieux. Sur le plan de la

connaissance de l'activité des élèves, cette thèse contribue à une meilleure compréhension de la culture scolaire et de l'activité quotidienne des adoles­cents dans le cadre de l'éducation physique et plus largement dans un cadre scolaire. Ces études sont toutes introduites par un ensemble de questions par­faitement bien explicitées et les données recueillies sont très intéressantes. L'auteur montre à quel point la collaboration entre chercheur et élève peut être étrangère aux relations habituelles entre les adultes et les élèves en milieu sco­laire. Ce résultat constitue un acquis en matière d'observatoire et de théorie de l'observatoire des activités des élèves, d'autres résultats méthodologiques recoupent et développent l'observatoire et sa théorie pour toutes sortes d'acti­vités dans des situations variées. Ce travail est aussi une contribution à l'en­richissement des conditions à construire pour obtenir des données sur l'activité et la conscience pré-réflexive et au processus de cette construction, à travers les « tests sociaux » du chercheur, l'appropriation du dispositif de construction de données à diverses fins. Ainsi la co-construction exigeante d'un observatoire du cours d'action, dans un contexte difficile, devrait éviter désormais toute banalisation de l'autoconfrontation comme simple technique appliquée de façon standard dans un certain nombre de recherches sur l'enseignement. À travers une analyse fine et précise, l'auteur apporte des éléments nouveaux concer­nant les conditions de collaboration à établir avec les acteurs sur les objectifs de recherche, donc aussi la manière de familiariser ces acteurs avec certaines dimensions de la culture de recherche, dès les enregistrements vidéo des com­portements et leur processus d'établissement et de développement : la garantie de validité des données repose non pas sur l' « objectivation » de l'acteur mais sur sa collaboration active à la recherche sur son activité prise par lui (elle) et le chercheur comme « objet commun » d'étude.

Cette thèse est donc utile et stimulante pour les pistes qu'elle ouvre en terme de recherches à venir.

Charles Roncin

Cette thèse de doctorat en STAPS a été soutenue le 30 novembre 2004 à Orléans. Elle a obtenu la mention très honorable. Le jury était composé de Marc Durand, rapporteur et président, professeur des universités, université de Genève ; Charles Roncin, directeur de thèse, professeur des universités, STAPS, université de Rennes Il ; Jacques Riff, co-directeur de thèse, maître de conférences, STAPS, université d'Orléans ; Jacques Theureau, rapporteur, directeur de recherche au CNRS IRCAM, Paris ; Jean-Pierre Schreiber, professeur des universités, université d'Orléans.

42 Revue EP.S n°318 Mars-Avril 2006 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

pertinence en terme de gain de point. La préoccupation est aussi d'éviter de repro­duire des actions inefficaces. Pour cela, l ' é l ève essaie de m a s q u e r ses po in t s faibles. Ensuite, il recherche des parades aux coups adverses en se focalisant sur le retour de service afin de vérifier la validité des connaissances relatives aux caractéris­tiques du jeu de son adversaire. En effet, certaines consignes ont pour conséquence de modifier de manière radicale le rapport de force habituel entre les élèves. Cette forme d'engagement intervient à des moments différents selon que la SJ s'ins­crit dans une compéti t ion de type soit championnat soit « montée-descente ». Dans le premier cas (aménagement de la situation « marquer des points directs ») cette phase d'enquête intervient systémati­quement lors de la période d'avant-match au cours de laquelle les élèves s'accordent q u e l q u e s minu te s pour é change r des ba l les . Cet te phase prend fin lorsque l'élève estime avoir identifié suffisamment d'actions susceptibles de répondre au pro­blème posé par la SJ. À l ' issue de cette période, l 'élève définit un plan d'action plus ou moins riche qu'il va reproduire. Cet engagement intervient également lors d'un écart au score défavorable. Dans ce dernier cas, l'élève considère le set comme perdu et exploite les dernières balles pour tester de nouvelles parades. Dans la SJ « lifter les balles », cette forme d'engage­ment n'est repérée que lorsque le rapport de force lui est largement favorable. Il estime que la perte de point n'est pas pré­judiciable et qu'il peut évaluer l'efficacité de certains coups. Cette adaptation de Samuel traduit une manière singulière de concilier des préoc­cupations contradictoires. En effet, l'amé­nagement des SJ confronte l 'élève à un dilemme : faire ce que demande le profes­seur et accepter de pouvoir perdre des points ou reproduire des coups préféren­tiels compat ib les , efficaces, mais non attendus par l'enseignant. Ses préoccupa­tions compéti t ives ne permettent pas à l'élève d ' a d o p t e r un e n g a g e m e n t congruent avec les consignes du profes­seur. Ce qui in téresse pr ior i ta i rement Samuel c 'est de gagner le maximum de matchs pour monter à la table la plus haute ou obtenir le meilleur classement dans sa poule.

Illustration. SJ « marquer des points directs »

Contre Benoît, Samuel recherche l'effet latéral lui permettant d'enchaîner une attaque en coup droit pour rompre l'échange afin de marquer 3 points. Après plusieurs essais, il valide l'enchaînement effet latéral droit/attaque coup droit car Benoît est en difficulté pour retourner ce type de service. Samuel explique qu'en position de service, son intention est de réduire la durée des échanges pour mar­quer rapidement. Il justifie cette prise de distance par rapport aux attentes de

l'enseignant : « Je sais que je perds si je fais ce que montre le prof (une rupture combinant vitesse et placement latéral). Moi, il faut que je marque vite car plus l'échange dure plus j'ai de chance de perdre le point. Benoît sait que je n'ai pas un bon revers, donc avec l'effet latéral il peut pas me gêner ». Samuel s'emploie donc à trouver parmi ses points forts des solutions susceptibles de réduire au maxi­mum la durée des échanges (dessin 1).

Exécuter des coups efficaces

Ce qui organise l'action de l'élève, c'est la reproduction de coups efficaces qui corres­pondent à une sélection parmi ses coups « forts ». Ce choix est déterminé soit à l'is­sue de la phase d'enquête soit en se réfé­rant à des connaissances du jeu de son adversa i re cons t ru i tes lors d 'un autre match par exemple. Selon la nature de l'aménagement, il exécute un nombre plus

ou moins impor t an t de c o u p s . Les contraintes sur les possibilités d'interven­tion sur la balle réduisent ses possibilités de reproduire des coups forts. Ainsi on observe un jeu extrêmement stéréotypé. L'élève reproduit un seul coup fort dont il varie le placement latéral ou l'effet afin de p rése rver son eff icaci té . Cet te forme d'adaptation est jugée suffisante dès l'ins­tant où l'élève prend l'avantage au score. Cette reproduction de coups intervient lorsque l'élève ne se donne plus le droit à l 'erreur et estime qu'il doit absolument marquer des points. En match de poule, cette forme d'engagement est identifiée lorsque l'écart au score est serré. En posi­tion de serveur, Samuel exécute systémati­quement un effet latéral coupé droit puis un coup droit fort avec une trajectoire ten­due. Seul le placement en profondeur de la

balle de service varie. Lors des matchs de « montée-descente », l'élève estime qu'il est impératif d'être immédiatement effi­cace. En effet, le fait de jouer au temps, oblige l'élève à marquer le plus tôt pos­sible pour prendre immédiatement une avance au score et la conserver [3]. Si certaines catégories de coups répondent aux attentes de l'enseignant, la préoccupa­tion prioritaire de l'élève est de marquer des points pour gagner. C'est ce qui le conduit dans le cadre des situations avec aménagement du système de marque à exclure les solutions prônées par l'ensei­gnant. L'écart au score n'est pas suffisant pour prendre le risque de reproduire des coups trop décalés par rapport à ses coups forts. De plus, la reproduction de coups jugés efficaces par l'élève lui offre la pos­sibilité de gagner du temps pour agir. En se préparant, après un service, à enchaîner un retour cela lui permet un gain en efficacité.

Illustration. SJ « marquer des points directs »

Samuel choisit de reproduire systémati­quement un schéma de jeu connu a priori efficace (effet latéral coupé/attaque en coup droit). Contre Benoît (score de 6-4) et Kalid, il inscrit plusieurs points-consignes qui lui permettent de prendre l'avantage au score et de gagner le match. En position de serveur, la préoccupation de Samuel est de prendre l'initiative en contraignant l'adversaire à retourner une balle favo­rable pour rompre l'échange : « Là, après le service, je me prépare pour smasher la balle, je sais qu'il va être obligé de la lever ». L'exécution de cet enchaînement d'actions a mis en œuvre des connais­sances validées lors des échanges précé­dents (le service avec le coup droit en don-

43 Revue EP.S n°318 Mars-Avril 2006 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

nant un effet latéral coupé permet d'en­chaîner une 3' balle d'attaque en coup droit) et des connaissances construites lors (les séances précédentes (Benoît est gêné pour retourner l'effet latéral coupé) (dessin 2).

Répondre aux attentes de l'enseignant L'é lève accepte de modif ier de façon notable sa façon habituelle de jouer. Il adapte son système de jeu en intégrant des savoir-faire ou des schémas de jeu tra­vaillés et appris lors de la séance. Cette adaptation intervient essentiellement lors

des matchs de poule ; lors des SJ « jouer en lift » sous forme de « montée-descente », c 'est plus rare. Se conformer à ce que demande l'enseignant intervient dans un contexte particulier, lorsque le score est très favorable et que l'élève estime qu'il ne peut plus perdre le match. Cette évolution du contexte a pour effet d 'annuler le caractère contradictoire de préoccupations qui l'étaient initialement. L'élève peut répondre aux attentes de l'en­seignant sans pour autant abandonner son objectif de victoire. Dans cette configura­tion, l 'élève sait ou constate rapidement

que le rapport de force lui est favorable et qu'il est quasiment sûr de gagner le match. L 'adversaire est en difficulté face aux contraintes de la SJ et son jeu ne présente aucun danger. Par conséquent, il peut s'au­toriser la perte de points sans compro­mettre sa victoire. Samuel est certain de monter à la table supérieure ou de rempor­ter le set et le match. Les conditions sont réunies pour que la forme d'adaptation à la situation soit congruente avec les attentes de l 'enseignant. Cette forme d 'engage­ment intervient également lorsque l'intérêt de l'élève pour la situation diminue. En exécutant des savoir-faire moins maîtrisés, l'élève assure le maintien de l'intérêt de la situation. Ça n ' intéresse pas Samuel de gagner trop facilement le duel.

Illustration. SJ « lifter les balles »

Contre Paul, Samuel accepte d'exécuter des coups en revers. Il mène de 5 points (7 à 2). À cet instant, en position de relanceur, Samuel évalue l'efficacité d'une balle lif­tée avec le revers. « Là je suis sûr de gagner, je sais qu'il ne reste plus beaucoup de temps. Je me dis que je peux essayer de jouer avec le revers ». Après avoir réussi son revers lifté, il valide les connaissances suivantes : « je suis capable de retourner en revers une balle liftée efficace contre Paul ». « Paul est en difficulté pour ren­voyer mon revers ». A partir de cet instant quasiment toutes les balles côté revers ont été retournées en revers lifté (dessin 3).

Transgresser les règles du jeu La reproduction de coups jugés a priori efficaces n'est pas suffisante pour empê­cher l'ajustement de l'adversaire ou trou­ver des parades. L'élève décide de trans­gresser les règles de la SJ. Cette adaptation est identifiée lorsque l'écart au score est défavorable à Samuel. Parfois le contexte rend rapidement inefficace la reproduction de coups forts. Ainsi Samuel se retrouve face à des adversaires qui s'adaptent rapi­dement. Il n'arrive plus à maintenir 1"in­certitude et se trouve face à un dilemme : respecter les règles du jeu et diminuer ses chances de victoire ou t ransgresser la consigne et augmenter ses chances de victoire. La t r ansg re s s ion s ' e x p r i m e de deux façons : la première est une contestation des points gagnés par l 'adversaire et la seconde est la reproduction de coups non autorisés par l ' aménagement de la SJ. Cet te forme d ' e n g a g e m e n t appara î t lorsque Samuel est opposé à des adver­saires dont le niveau d'habileté est consi­déré comme moins élevé que le sien. La transgression délibérée de la consigne tra­duit plus nettement ses priorités. Avant toute chose, il s'agit de gagner pour mon­ter à la table supérieure. Le fait d'être en difficulté face à un élève habituellement moins bien classé est mal vécu par Samuel. Il crie, jette sa raquette, écrase la balle par exemple. Pour lui, jouer uniquement en lift ce n'est pas du tennis de table. Il ne veut

44 Revue EP.S n°318 Mars-Avril 2006 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

pas perdre la face, c'est la reconnaissance par ses pairs et l'enseignant qui est en jeu. Les autres solutions compatibles sont écar­tées car elles ne sont pas suffisamment efficaces. On constate donc que le respect de la consigne est fortement dépendant des enjeux symboliques et réels sur l'image de soi dans la classe. A travers cet épisode on peut voir à quel point le respect de la consigne est relativement fragile. Cette forme d'adaptation manifeste une crise de sens et révèle l'émergence d'un rapport de force entre l'enseignant et l'élève.

Illustration. SJ « lifter les balles » en montée-descente Samuel, en position de relanceur, est opposé à Victor, le score est de 4-7. La perte de plusieurs points, suite à des fautes directes, le conduit à tester l'exécution d'une balle coupée : « Je voulais voir s'il (Victor) allait dire quelque chose mais je sais qu'il n'allait pas s'en apercevoir. Kalid lui, il aurait tout de suite arrêté la balle. C'est là que je vois qu'il a un niveau inférieur à nous parce qu'il ne voit pas que j'ai triché ». L'absence de réaction de Vic­tor conduit Samuel à valider la connais­sance : « Je peux retourner la balle avec un effet coupé sans que mon adversaire le remarque ». Ainsi à partir de 5-8, Samuel retourne toutes les balles côté gauche en revers coupé : « C'est la seule façon pour que je puisse marquer des points ». Malgré cette transgression de la consigne Samuel perd le match et descend pour la première fois du cycle à la table 3 (dessin 4).

L'identification de plusieurs formes d'en­gagement révèle que le type d'aménage­ment de la SJ et la forme compétitive ont des incidences sur l'organisation de l'acti­vité adaptative des é lèves . Ce résultat mon t re aussi que les cond i t i ons sont r a remen t réunies pour q u ' i l y ait une adéquation entre les effets recherchés par l 'enseignant et l 'activité effectivement développée par un élève fortement engagé dans une logique de duel. La congruence entre les attentes de l'enseignant et l'action des élèves est un phénomène épisodique et éphémère. Nous avons montré que l'adaptation est ici guidée par un faisceau de préoccupations à orientation compétitive (qui donne une résonance particulière à chaque situation). Cet é lève cons idè re la séance d ' E P S comme un lieu de construction ou de pré­servation d'une image de soi positive et la SJ comme une tâche susceptible de renfor­cer son statut vis-à-vis de ses pairs et de l'enseignant. Il s ' ag i t de réa l i se r la meilleure performance possible pour obte­nir une bonne note et la reconnaissance des autres. Or le type d 'aménagement et la forme de compét i t ion peuvent rendre incompatible, du point de vue de l'élève, le fait de marquer des points et de répondre

aux attentes de l'enseignant. Au-delà des exigences contradictoires inhérentes à la pratique du tennis de table (gênes de l ' adversa i re /ne pas perdre de points ; gagner du temps/priver l 'adversaire de temps pour réagir, etc. [3]), l 'élève doit gérer des préoccupations contradictoires purement scolaires. A un autre niveau, ces différentes formes d'adaptation mettent en évidence que le problème posé à l'élève ne peut se résumer à celui délimité par l'enseignant. La signi­fication donnée au contexte par l'élève a clairement indiqué son influence sur l'or­ganisation de l 'activité adaptative. Par conséquent, si apprendre, c'est construire des relations avec l'environnement [4], il nous semble impor tan t de mener une réflexion sur les conditions d'organisation des SJ. Autrement dit, pour assurer la via­bilité d'une tâche conçue comme un bon piège à apprendre [5], il faudrait aussi apprécier quelles sont les conditions affec­tives (enjeux en terme d'image de soi), les logiques des élèves (opposition, maîtrise ou coopération), la forme de compétition (« montée-descente » plus contraignante que les SJ en groupes de niveaux) qui per­mettront de construire un contexte favori­sant l'intégration de(s) consigne(s) et donc la transformation de la motricité. Dans le cadre du tennis de table en parti­culier et des sports de raquette en général, il est probable que la forme compétitive sous forme de « montée-descente » soit peu propice à la transformation des com­portements. Si cette APS suscite d'emblée l ' in té rê t de ce type d ' é l è v e s , on a vu qu'elle pouvait être source de conflits et de démot iva t ion . En effet, p ropose r des matchs au temps rend difficiles les phéno­mènes de repérage par rapport au score [6].

Les élèves sont contraints de reproduire des actions efficaces pour marquer des points. De plus, pour que les élèves ne fas­sent pas c o m m e s ' i l n ' y avait pas de consignes, nous proposons de mettre en place deux manières de gagner lors des SJ avec aménagement du système de marque. Par exemple, l'élève pourrait gagner la SJ soit en marquant deux points à l'aide d'une balle liftée soit en remportant le set. Les résultats de ce travail soulignent l'inté­rêt de mener des études visant une analyse compréhensive de la dynamique de l'acti­vité et de l'engagement des élèves en EPS. A travers une connaissance fine de l'acti­vité dans les tâches scolaires, l'enseignant peu t a insi éva lue r leur p e r t i n e n c e au regard des objectifs pédagogiques et optimiser leur conception.

Jérôme Guérin Maître de conférences,

IUFM de Bretagne. Site de Brest (29).

Bibliographie [1] Metzler J., « Adaptation des « situations-jeu ». Revue EPS. n° 296, juillet-août 2002. 12] Theureau J.. Le cours d'action : méthode élémen­taire. Octarès éditions, 2004. [3] Sève C. « Analyse sémiologique de l'activité des pongistes de haut niveau lors de matchs internatio­naux ». Thèse de doctorat en STAPS, 2000. [4] Hauw D., « Enseignement et apprentissage : une vision située ». Revue EP.S. n° 298, novembre-décembre 2002. [5] Testevuide S., Construction de situations d'étude privilégiées et vigilance au sens. 4e journées d"étude Act'ing, Nouan Le Fuzelier. 2002.

[6] Sève C. « Dynamique et signification de l'activité des pongistes en match », Dossier 53. Sports de raquettes : entre pratiques et théories, édition Revue EP.S, 2001.

45 Revue EP.S n°318 Mars-Avril 2006 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

Lutte PAR DANIEL R A Y

> Collection « De l'école aux associations » L'ouvrage de référence sur l'enseignement de la lutte au collège et au lycée !

En s'appuyant sur des expériences vécues, en intégrant des données cul­turelles, institutionnelles et scientifiques incontournables, cet ouvrage vise un enseignement complet de la lutte au collège et au lycée.

Après avoir abordé les dimensions réglementaires, techniques et histo­riques, l'auteur s'inscrit dans la logique d'un cycle de lutte : mise en acti­vité (échauffement, jeux, chutes, arbitrage...), observation, conduites typiques, situations d'apprentissage, évaluation... Sans jamais perdre de vue les problèmes spécifiques de la lutte, notamment au plan de la sécurité.

Cet ouvrage intéressera particulièrement les professeurs d'EPS, les étu­diants optionnaires et polyvalents de licence STAPS et master éducation et motricité, les candidats au CAPEPS et à l'agrégation.

240 pages

32 € sans port

Code 25011

38 € port compris

Une affaire de discipline L'éducation physique en France

et en Europe (1970-2000) PAR GILLES KLEIN

Collection « RECHERCHE ET FORMATION »

Dans le contexte international, Gilles Klein dénoue l'affaire d'une éduca­tion physique ballottée entre valeurs humanistes et engagements poli­tiques non tenus.

Puis il fait la mise au point sur l'Eu­rope et expose les raisons de la crise d'une matière scolaire tiraillée entre concurrences et complémentarités institutionnelles, entre éducation et sport.

Il évoque enfin la transformation collective de l'éducation physique en France, avec les conflits et les débats théoriques que cela a suscité.

440 pages • Code 11035 30 € sans port • 35 € port compris

46 Revue EP.S n°318 Mars-Avril 2006 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé