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Copyright © Festival de Cinéma Européen des Arcs – Révélations Culturelles. Toute reproduction interdite sans l’autorisation de l’auteur. LE SILENCE DE LORNA Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne, Belgique, France (2008) À partir de 11 ans Conseillé pour les 13 ans et plus Jean-Pierre Dardenne (né en 1951) et Luc Dardenne (né en 1954) sont deux frères réalisateurs, scénaristes et producteurs belges qui travaillent toujours en tandem. Représentants du cinéma social européen, leurs personnages sont souvent confrontés à de grands dilemmes moraux. Afin de gagner en indépendance, les frères Dardenne créent en 1975 la société de production Dérives, qui produit leurs films mais aussi ceux d’autres auteurs comme Solveig Anspach, Costa-Gavras, Bruno Podalydès ou Cristian Mungiu. PRIX : Prix du scénario au Festival de Cannes en 2008 Prix LUX du Parlement européen en 2008 FILMOGRAPHIE : 1978 : Le chant du rossignol 1979 : Lorsque le bateau de Léon M. descendit la Meuse pour la première fois 1980 : Pour que la guerre s'achève, les murs devaient s'écrouter 1981 : R... ne répond plus 1982 : Leçons d'une université volante 1983 : Regard Jonathan/Jean Louvet, 231 1987 : Il court, il court, le monde (court-métrage)

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Copyright © Festival de Cinéma Européen des Arcs – Révélations Culturelles. Toute reproduction interdite sans l’autorisation de l’auteur.

LE SILENCE DE LORNA Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne, Belgique, France (2008)

À partir de 11 ans Conseillé pour les 13 ans et plus

Jean-Pierre Dardenne (né en 1951) et Luc Dardenne (né en 1954) sont deux frères réalisateurs, scénaristes et producteurs belges qui travaillent toujours en tandem. Représentants du cinéma social européen, leurs personnages sont souvent confrontés à de grands dilemmes moraux. Afin de gagner en indépendance, les frères Dardenne créent en 1975 la société de production Dérives, qui produit leurs films mais aussi ceux d’autres auteurs comme Solveig Anspach, Costa-Gavras, Bruno Podalydès ou Cristian Mungiu. PRIX : Prix du scénario au Festival de Cannes en 2008 Prix LUX du Parlement européen en 2008 FILMOGRAPHIE : 1978 : Le chant du rossignol 1979 : Lorsque le bateau de Léon M. descendit la Meuse pour la première

fois 1980 : Pour que la guerre s'achève, les murs devaient s'écrouter 1981 : R... ne répond plus 1982 : Leçons d'une université volante 1983 : Regard Jonathan/Jean Louvet, 231 1987 : Il court, il court, le monde (court-métrage)

Copyright © Festival de Cinéma Européen des Arcs – Révélations Culturelles. Toute reproduction interdite sans l’autorisation de l’auteur.

1987 : Falsch 1992 : Je pense à vous 1996 : La Promesse 1999 : Rosetta 2002 : Le Fils 2005 : L'Enfant 2008 : Le Silence de Lorna 2011 : Le Gamin au vélo 2014 : Deux jours, une nuit 2016 : La Fille inconnue TAGS : mafia, immigration, mariage blanc, addiction, amour, trafic, clandestin SYNOPSIS: Pour devenir propriétaire du snack qu’elle tient avec son amoureux Sokol, Lorna, jeune femme albanaise vivant en Belgique, se fait complice de la machination de Fabio, un homme du milieu. Ce dernier organise un faux mariage avec le jeune naïf Claudy pour qu'elle obtienne la nationalité belge et épouse ensuite un malfrat russe prêt à payer beaucoup pour lui aussi obtenir la nationalité belge. Pour que ce second mariage se fasse rapidement, Fabio prévoit d’assassiner Claudy. Lorna gardera-t-elle le silence ? EXTRAIT INTERVIEW AVEC LES RÉALISATEURS: Vous donnez les informations au compte-gouttes. Comment avez-vous géré cette rétention d’information et à quel point prenez-vous le risque de perdre le spectateur ?

Jean-Pierre Dardenne: Dans les premières versions du scénario, notre producteur nous a dit qu’il y avait tellement de suspense qu’il y en avait sans doute trop ! Nous n’avons pas voulu perdre le spectateur mais créer chez lui une attente, des interrogations. C’est la première fois que nous créons un film sur base du suspens et nous avons joué avec les règles du genre, notamment par les ellipses, qui étaient là dès le départ.

Mise à plat, l’intrigue est digne d’un polar américain. On y parle de mafia, de faux-papiers, de mariage blanc, de meurtre, etc. Pourtant, vous parvenez à imprimer votre regard si caractéristique. Comment avez-vous fait pour rester dans un certain cinéma du réel ?

Luc : Un des éléments importants, c’est que Lorna et Fabio échappent à l’image stéréotypée de l’héroïne de film noir et du gangster. Il fallait qu'ils restent des gens comme vous et moi. Lorna et son petit ami, sont des immigrés qui ambitionnent une vie normale, ils essayent de s’installer plus dignement, ce qui est tout à fait légitime. On ne peut pas parler de Lorna comme d’une femme fatale, parce qu'on la montre dans un quotidien très banal. Il y a cependant des éléments du film de genre dans l’esthétique : la nuit, la ville, la pluie…

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Est-ce que l’immigration est un des thèmes du film, ou est-ce un moyen de raconter l’histoire de votre personnage ?

Luc : C’est un contexte. Il est bien évident que nous n’identifions pas l’immigration au "milieu", mais les mafias russes et albanaises existent. Elles sont nées de l’effondrement du bloc communiste et de l’infiltration sauvage du capitalisme et tout cela a produit du trafic humain, d’argent et de drogue. Notre héroïne est dans ce milieu, mais au départ c’est une réfugiée économique. C’est une fille qui vivait très pauvrement et pour elle, Liège c’est le paradis. Il y a moyen de travailler, elle fait des projets de mariage, elle épargne pour acheter un snack, etc. Malheureusement elle se retrouve au cœur d’une machination qui se fait sur le dos d’une personne considérée comme de moindre importance parce que c’est un camé. Si Claudy meurt, ce n’est pas trop grave. C’est une idée répandue aujourd’hui, et qui est complètement dingue, et c’est précisément l’immigrée, Lorna, qui va changer de regard par rapport à lui. Il faut se rendre compte que même dans le milieu du cinéma on nous a dit "quand même, les gens n’aiment pas voir un camé, c’est dangereux". Mais pour Rosetta aussi on nous avait dit "quoi, vous filmez une fille qui vit dans un camping!"

On retrouve dans ce film un thème qui traverse votre œuvre, celui de la culpabilité.

Jean-Pierre : En deux mots je dirais que ce thème nous intéresse parce que c’est lorsqu’on se sent coupable qu’on s’humanise. Dans chacun de nos films, c’est grâce à la culpabilité que le personnage brise sa routine et change.

(Source – Cineuropa : http://cineuropa.org/ff.aspx?t=ffocusinterview&l=fr&tid=1587&did=85557)

THÉMATIQUES ET INTERPRÉTATIONS: Un univers circonscrit par l’argent

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Les frères Dardenne décrivent un monde délimité par des frontières liquides, des flux d’argent, l’argent que l’on voit circuler, tout au long du film, passer de mains en mains. Cela est posé dès la première scène, par la première phrase prononcée par l’héroïne. « Trois cent quarante … » désigne la somme qu’elle dépose à la banque avant de prendre rendez-vous pour un prêt. Dans ce film, l’argent n’est pas une notion abstraite. Il est matérialisé par les enveloppes ou les liasses de billets dont l’échange semble ponctuer tous les rapports humains. Il matérialise aussi le travail fatigant de Lorna dans une blanchisserie ou bien celui, dangereux, de Sokol qui est payé pour tester pendant une heure le niveau de radio activité dans une centrale nucléaire. C’est aussi la rétribution de l’asservissement physique et moral des principaux protagonistes. Loin de leur octroyer la liberté espérée, la quête de l’argent leur confisque tout libre arbitre. Cela va des décisions existentielles, « tu vas avorter demain » ordonne Fabio à Lorna, aux choix les plus banals, « tu n’as pas autre chose à te mettre ? » demande le même Fabio à l’héroïne. Un film de vie et de mort

Les êtres mis en scène sont des immigrés qui tentent désespérément de survivre dans la grande machine du libéralisme économique et de la mondialisation. Leur seul objectif, leur seul horizon est la survie coûte que coûte, quitte à la payer au prix fort, celui de leur humanité. C’est un film de lutte pour la survie, de vie et de mort et ce, jusqu’à la fin. Loin d’être manichéen, ce film montre à quel point la dégradation des valeurs morales et la corruption conduisent les plus démunis à s’entre-dévorer et ainsi à se condamner. Seul un sursaut héroïque permettra à l’héroïne de s’extirper de ce monde perverti. Une dénonciation du libéralisme économique

Les personnages sont des petits pions que l’on vend ou que l’on échange. Ils deviennent l’objet de trafics qui nie toute leur humanité. C’est un tableau désolé d’une réalité sociale douloureuse, celle d’une société déshumanisée. Dans Le silence de Lorna la machine est manœuvrée par Fabio, petit maffieux que l’on voit au volant de son taxi comme aux commandes d’une tour de contrôle. C’est lui qui organise, planifie, ordonne et veille à huiler tous les engrenages, à faire que l’argent circule bien et que les échanges soient rétribués de façon fluide. Nous assistons là à la mise en images d’une définition du capitalisme financier comme modèle généralisé d’organisation des rapports humains.

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L’idée de la bonté transcendante de la nature humaine

Cependant, dans cet univers réglé pour que les trafics les plus sordides se passent avec la plus grande fluidité, un petit grain de sable récalcitrant vient faire grincer les rouages. Ce petit grain de sable, c’est Claudy, « le camé », comme Fabio le nomme. Claudy est le seul à ne pas sembler manquer d’argent. Il semble en tout cas en avoir suffisamment pour acheter l’héroïne dont il est dépendant. Mais Claudy manque d’affection, de repères et de moments partagés. Ces moments il veut les partager avec Lorna et on devine que c’est par affection pour elle qu’il décide d’essayer de renoncer à la drogue et de commencer une autre vie. Or, cette recherche du lien et du salut dans la relation à l’autre ne fait pas partie de la machination. Cette demande va désorganiser la machine infernale car elle va toucher Lorna qui peu à peu va dévier du plan initial. Plus rien n’est contrôlé par Fabio. Lorna la calculatrice, la dure, l’implacable, la déterminée va tout d’abord essayer d’épargner à Claudy le plan fatal qui lui est destiné en renvoyant son dealer, puis elle va finir, toute seule au fond d’une forêt, dépouillée de tout. Dans sa fuite, elle ne pense même pas à prendre son précieux sac à main, elle se retrouvera complètement seule se réchauffant avec quelques buches et son fantasme d’enfant. Les derniers mots qu’elle prononce à la fin du film sont à mettre en regard avec la première phrase, puisque, enfin elle ne compte plus, elle espère juste qu’ « il y a bien quelqu’un qui (nous) donnera… » PISTES DE RÉFLEXION POUR LES ÉLÈVES: - Justifiez le titre du film. Appuyez vous sur l’analyse de la bande sonore

(sons intradiégétiques et extradiégétiques) - Quel est le motif qui articule les actions des personnages ? Appuyez

vous sur la première scène du film pour justifier. Est-ce le même motif pour Claudy ?

- Comment pouvez-vous caractériser le rapport entre Claudy et Lorna ? - Lors de la première scène, pourquoi les cinéastes laissent-ils Lorna

seule dans l’image lorsqu’elle annonce son prêt et sa naturalisation à venir ? Que raconte ce choix dans son rapport aux autres ?

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- Pourquoi Lorna, Sokol et Andreï veulent s’installer en Belgique? - Est-ce que Claudy reste conscient de sa déchéance de toxicomane ? - Justifiez le choix de l’utilisation de musique très parcimonieuse. - Est-ce que le film dénonce ou constate?