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n o 10 - mai 2012 BLOG, TWITTER… être ou ne pas être un écrivain branché SIGNES DE SENS l’accès aux savoirs par l’innovation LIBRAIRES D’ANCIEN à la croisée des mondes ESQUELBECQ VILLAGE DU LIVRE PRESSE ANCIENNE un trésor est caché dedans

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no10 - mai 2012

BLOG, TWITTER… être ou ne pas être

un écrivain branché

SIGNES DE SENSl’accès aux savoirs

par l’innovation

LIBRAIRES D’ANCIEN à la croisée des mondes

ESQUELBECQVILLAGE DU LIVRE

PRESSE ANCIENNE un trésor est caché dedans

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Certifié PEFC. Provient de forêts gérées durablementwww.pefc-france.org

Eulalie la revue est une publication du Centre régional des Lettres et du LivreNord – Pas de Calais, association loi 1901Directeur de la publication : Henri Dudzinski

Conseil d’administration : Daniel Boys (vice-président) Andrzej Bilecki, Esther De Climmer,Henri Dudzinski (président), Môn Jugie (trésorière), Philippe Massardier (secrétaire), Michel Quint.Léon Azatkhanian (directeur), Aurélie Olivier (chargée de mission)Marie-Claude Pasquet (chargée de mission), Élisabeth Bérard (chargée d’administration).CRLL Nord – Pas de Calais : La Citadelle, Avenue du Mémorial des Fusillés, BP 30296,62005 Arras Cedex, [email protected] / www.eulalie.fr

Le CRLL est subventionné par le ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles,le Conseil régional Nord – Pas de Calais, le Conseil général du Pas-de-Calais, le Conseil général du Nord,Artois Comm., communauté d’agglomération de l’Artois. Il reçoit le soutien de la Communauté urbaine d'Arras

Directeur de la rédaction :Léon AzatkhanianRédaction : Pascal Allard, François Annycke, Elisabeth Bérard, Géraldine Bulckaen, Clotilde Deparday, Jean-Marie Duhamel, Sarah Elghazi, Marie-Laure Fréchet,Judith Oliver, Aurélie Olivier,Sophie Pecquet, Paul Renard,Marie-Eve Tossani, Corinne Vanmerris.Correctrice : Amélie Clément-FletPhotos : CRLL sauf mention contraireDiffusion : Affichage et Diffusion(Dunkerque), Culture et Communication(Lille). Avec le soutien des médiathèquesdépartementales du Nord et du Pas-de-CalaisMise en page : Jane SecretConception graphique : TL3> Alexie Hiles/ Sébastien Morel/Eric RigollaudImprimeur : Imprimerie Jean-Bernard, adhérent Imprim’vert, sur un papiercertifié PEFC (provient de forêtsgérées durablement)ISSN : 2101-5198 – Dépôt légal : mai 2012La rédaction n’est pas responsable des articles qui lui sont envoyés spontanément.Couverture : « Même pas peur ! »,Cassandre Luc

Gutenberg et sa tablette numérique

Je l’imagine dans son atelier, au moment où les premières pages étaient pressées. Quelle émotion ! L’une des plus grandes révolutions de l’humanité est née de l’imagination féconde de Gutenberg, l’imprimerie. Pendant des siècles, c’est ce principe qui a prévalu, tout en s’adaptant à la mécanique, l’électricité puis l’électronique mais avec toujours ce principe de presse pour imprimer. Gutenberg for ever depuis le XVe siècle, depuis la Bible à 42 lignes et cette association éternelle entre Gutenberg, livre, bible, bibliothèque. Et puis, patatras…La progression arithmétique de la technologie s’est transformée en progression logarith-mique. En dix ans, le changement est plus puissant qu’en cinq siècles.Que faut-il en penser, comment faut-il se comporter, comment s’adapter ? Toutes ces ques-tions, les acteurs de la chaîne du livre se la posent chaque matin. Non Sire, cette fois ce n’est pas une révolution mais une adaptation à la Darwin. Les auteurs et les éditeurs utilisent la technologie et la dématérialisation, soit pour écrire, soit pour se faire connaître, soit pour diffuser. Entre craintes, méfiances et certitudes, Eulalie vous ouvre les portes de ce monde nouveau. S’ils étaient nos contemporains, Johannes Gutenberg aurait une tablette graphique et Christophe Colomb naviguerait sur les océans du web à la recherche de nouveaux mondes.Johannes aurait-il les mêmes émotions que celles procurées par ses premières pages imprimées ? Christophe serait-il plus serein sur le web que sur l’Atlantique ? Impossible de répondre mais c’est ce sont bien à des bouleversements de même ordre auxquels nous sommes confrontés.Mais que toute cette réflexion ne vous empêche pas de plonger, dès la page 26, avec délice et sans modération dans les livres anciens avec leurs défenseurs, leurs promoteurs et leurs restaurateurs.Finalement, c’est le livre qui nous donne une belle leçon de civilisation partagée pour un équilibre global.

HENRI DUDZINSKIPRÉSIDENT DU CRLL NORD – PAS DE CALAIS

n°10 - mai 2012

BLOG, TWITTER… être ou ne pas être

un écrivain branché

SIGNES DE SENSl’accès aux savoirs par

l’innovation

LIBRAIRES D’ANCIEN à la croisée des mondes

ESQUELBECQVILLAGE DU LIVRE

PRESSE ANCIENNE un trésor est caché dedans

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4ÊTRE OU NE PAS ÊTRE UN ÉCRIVAIN BRANCHÉ

À l’ère du web 2.0, écrire est la chose du monde la mieux partagée. Certains écrivains s’aventurent sur le web avec prudence, d’autres y voient une formidable passerelle entre les gens et les genres.

8DES AUTEURS ET DES LIVRES

Dominique Sampiero, Patrick Varetz, Cécile Richard, Sabine Bourgois, Fabien Soret, Michael Jenkins, Alain Chopin, Virginie Vidal, Dario Fo, Anne Tomczak, Richard Baron, Olivier de Solminihac et Kaddour Riad.« Les revues en revue »

18PATRIMOINE LITTÉRAIRE : GEORGES BERNANOS

Né à Paris, Bernanos passa durant sa jeunesse toutes ses vacances à Fressin. Adulte, il continua à y faire de fréquents séjours. Ce petit village du Pas-de-Calais et ses environs occupent une place primordiale dans son œuvre.

20SIGNES DE SENS, L’ACCÈS AUX SAVOIRS PAR L’INNOVATION

Autant dire que le grand public n’y entend rien aux sourds. Cette méconnaissance maintient une frange importante de la population à l’écart des ressources de l’écrit. Depuis 2003, Signes de Sens imagine des outils pédagogiques innovants pour permettre à ce groupe polymorphe « de renouer avec la lecture, de se cultiver et de se construire ».

26LIBRAIRES D’ANCIEN : À LA CROISÉE DES MONDESLe livre ancien fascine. Objet sacré, exemplaire épuisé devenu précieux ou simple livre de seconde main… Il est aussi multiple que ceux qui en font commerce. à l’heure du numérique, des pans entiers alimenteront à terme les filières de recyclage. Resteront les livres rares cultivés par les bibliophiles. Tour d’horizon d’un métier en apesanteur.

32ESQUELBECQ, VILLAGE DU LIVRE

Sur le papier, l’idée tient la route. Faire d’un joli vil-lage des Flandres un lieu de rencontre autour du livre. Lancé en 2007 par une équipe de bénévoles, le projet nordiste a attiré huit bouquinistes. Mais il a encore du mal à trouver son souffle. La commune et la Région s’engagent heureusement à prendre le relais, pour que l’aventure continue.

36FRÉDÉRIC LEPINAY : L’EMPÊCHEUR D’ÉDITER EN RONDPortrait d’un éditeur, jadis journaliste, aujourd’hui éditeur, depuis toujours agitateur.

38PRESSE ANCIENNE LOCALE ET RÉGIONALE : UN TRÉSOR EST CACHÉ DEDANSUn trésor dort dans les réserves de nos bibliothèques et de nos archives. Témoin depuis plus de deux siècles, de tous les combats politiques et des grands événe-ments de l’histoire, mais aussi de la vie locale. Une mine presque inépuisable d’informations originales, cocasses, émouvantes, scandaleuses, déroutantes…

44ÉDITION ONLIT.NET : 100% NUMÉRIQUEÀ l’origine conçue comme une revue en ligne, la plate-forme littéraire propose depuis peu des livres numériques.

45À SUIVRE…Le CRLL s’installe à Arras et se dote de nouveaux sta-tuts / Prix Amphi 2012 / Lettres nomades 2012 / 4e édition du festival Trame(s) / Prix littéraire Planète Bleue / Jacques Jouet et les Papous à Valenciennes

48CASSANDRE LUC, LA DOUCEUR À L’ÉTAT SAUVAGEL’illustratrice Cassandre Luc a grandi à Carvin, à l’ombre d’un terril. Bercée par le cri des chouettes, elle y a appris à aimer la nuit, à explorer la face cachée des êtres et des choses qu’elle révèle aujourd’hui dans ses images couleur de lune.

SOMMAIRE ¶©

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Blog, Facebook, Twitter…

Être ou ne pas

être un écrivain branché

À l’ère du web 2.0, écrire est la chose du monde la mieux partagée.

Réseaux sociaux, sites et blogs sont devenus les réceptacles

d’une indescriptible et infinie graphomanie. Tout le monde écrit.

Pour ceux dont c’est l’art et le métier, la question se pose de

rejoindre ou non ce flux.L’écrivain doit-il être branché,

connecté ? Certains s’aventurent sur le web avec prudence, d’autres y voient une formidable passerelle

entre les gens et les genres.Mais avec toujours en filigrane, à

travers l’écran, la quête perpétuelle de la qualité littéraire et l’ombre

tutélaire du papier…

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VOUS souhaitez rencontrer des écrivains ? Facile. Envoyez-leur un message sur Face-book. Votre auteur préféré

possède sûrement sa page ou son profil. Cliquez sur « ajouter comme ami » et vous partagerez l’interface de sa vie publique et/ou privée. Vous pourrez échanger sur un chat (lire "tchat" ou discussion instantanée), étape ultime avant de décrocher son 06… (son numéro de téléphone). Vous êtes largués ? Sans doute en êtes-vous restés aux rencontres feutrées dans l’arrière-boutique d’une librairie. Ou à la correspondance polie adressée aux bons soins de l’éditeur… Rassurez-vous. Le monde n’a pas tourné sans vous et les écrivains eux-mêmes ne sont pas si « branchés » qu’on le croit.

Filtrer Dans le microcosme littéraire nordiste, on ne connaît guère qu’Amandine Dhée, volontairement décroissante, qui refuse obstinément jusqu’au portable et au mail. Fanny Chiarello, elle, freine des quatre fers. « J’ai une page sur Facebook uniquement parce qu’une amie infor-maticienne trouvait aberrant que je n’y sois pas, raconte la jeune romancière. Je ne m’en sers que comme une vitrine, pour annoncer mon actualité. Je ne veux rien y laisser filtrer de personnel. Pen-dant quelques années, j’ai eu un blog qui était un peu comme un journal intime. J’y mettais mes dessins, mes poèmes. Je pensais être chez moi, mais j’ai fini par avoir l ’impression de montrer mes fesses au monde entier. » Si elle a aujourd’hui ouvert un nouveau blog, il est d’une grande sobriété et très modes-tement intitulé « Rien de spécial »… Dominique Quelen n’est pas en reste avec son blog créé il y a quatre ans pour le seul plaisir, dit-il, de l’intituler

« Bartleby-Oblomov ». Les lettrés apprécieront… Il n’y a jamais publié une ligne. Il est en revanche présent sur Facebook, poussé par les lycéens à qui il enseigne le français. Mais c’est avec un soin maniaque qu’il soigne son « mur ». « J’efface tous les commentaires et les posts qui me dérangent, les traces parasitaires de la vie résiduelle », dit-il, évoquant avec consternation ceux à qui il voue de l’admiration et qui postent un jour la photo d’un chaton… « J’enlève aussi régulièrement des amis, poursuit-il. Je trouve ça pathologique d’avoir 2 575 amis. Et ça m’angoisse d’être celui de plus. »Quand on écrit, on écrit tout le temps, remarque Jean-Marc Flahaut, qui peau-fine chaque post. « Je ne vois pas l’in-térêt d’écrire : ce midi, spaghetti bolo. Quand je poste un statut, je ne peux l’imaginer autrement que littéraire. »

Communiquer Patrick Varetz fait aussi dans la sobriété sur Facebook. « Je ne mets rien que je ne maîtrise. » Lui partage prin-cipalement ses lectures, selon une for-mule consacrée : « Ai avalé… » Il poste aussi son actualité et celle de ses amis (les vrais), écrivains comme lui. « Face-book, c’est un peu comme une 4e de cou-verture, cela donne de la visibilité. Cela permet aussi de créer un réseau autour de l’écrit. »C’est un outil professionnel, renchérit Jean-Marc Flahaut. « Tout se fait par des rencontres. Avec des éditeurs ou avec des auteurs », dit-il en se réjouissant de pouvoir, grâce à Facebook, échanger avec des écrivains américains. « Cela me permet de m’éloigner de ma fantas-magorie personnelle. » Ce que confirme Patrick Varetz. « Un livre, c’est telle-ment de boulot, d’angoisse, de doute. Cela vous isole vraiment. Facebook

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permet de resocialiser la bête. » Carole Fives, elle, passe plus d’une heure et demi par jour à échanger sur Facebook. Elle possède aussi un site vitrine, léché comme un livre, et qui fait état de son actualité. Même concept chez Jean-Marc Flahaut. « Mon blog me sert à rendre compte de mon actualité et de mon activité littéraire. Il m’inscrit dans un parcours d’écriture. Il me rappelle ce que j’ai fait et pourquoi je l’ai fait. C’est ma boîte à biscuits, ma col-lection d’ex-voto. »

S’exposerL’idée de s’exposer, plus ou moins volon-tairement, fait donc son chemin chez les écrivains. Encore que… S’exposer, oui. Mais pas question de toucher à ce qu’il y a dans la vitrine. Autrement dit commenter. « Je hais les commentaires, résume Fanny Chiarello. Je les trouve inutiles et nom-brilistes. Chacun estime qu’il mérite de donner son avis. Il devient impossible de lire une vraie critique. Le web 2.0, c’est la médiocratie. » La jeune femme traduit aussi une certaine peur d ’un rapport frontal au lecteur. « C’est rageant d’être incomprise. » Ce que confirme Carole Fives. « On ne s’attend pas aux réactions violentes. Certains lecteurs confondent l’auteur et le narrateur. On a envie de leur dire : attention, c’est de la fiction. » Charles Pennequin croit égale-ment à leur obligeance. « Quand je publie un texte sur internet, c’est une sorte de brouillon, comme si je mettais mon doigt dans l’eau et que je regardais se former des cercles autour. Les gens doivent com-prendre que ce n’est pas abouti, que l’on est en train de chercher. » Jean-Marc Flahaut a tenté de mettre sur son blog des textes en chantier. « L’idée d’un regard extérieur ou de quelqu’un qui met son grain de sel ou de sable m’inté-ressait. Une façon de socialiser des textes. Mais on se retrouve vite entre complai-sance et critiques non constructives. »Ce que Dominique Quelen nomme le « syn-drome LOL ». « Qu’apporte un "j’aime" ou un "super bien ton texte" ? », pointe-t-il.

ExplorerS’il suscite chez certains méfiance et réserve, le web se révèle pour d’autres une intéressante « machine textuelle », pour reprendre le titre d’un article récent du Monde des Livres. Jean-Marc Flahaut ima-gine ainsi un blog collaboratif pour tra-vailler à une œuvre collective. Ou un blog making of de ses livres : « Les musiques que j’ai écoutées pendant que j’écrivais, la pre-mière version, le fond de ma corbeille… ». Carole Fives a tiré de son expérience de Facebook une nouvelle pour ados où elle raconte une rupture en direct sur le net. Charles Pennequin évoque lui cette « autre dimension » que l’internet donne à ses textes. « C’est du work in progress. J’écris parfois directement sur le net, sans trai-tement de texte. Et tant pis si je perds en route la connexion… » Olivier de Solminihac cultive aussi ce rapport à l’instantanéité. Dans ses Ready

Poems, publiés sur Facebook, il capture en photo l’irruption du texte dans le paysage. « Au début, j’ai trouvé ces images sans les chercher. Elles se sont imposées à moi comme une façon d’écrire de la poésie sans écrire. De me défaire de l’intentionnalité. »L’écrivain le plus branché du web reste sans doute Lucien Suel. « J’ai toujours pris ce qu’il y avait de plus intéressant dans les nouvelles technologies, résume-t-il. Du stencil au numérique, avec l’idée de rendre public mon travail. » S’il anime plusieurs blogs personnels et collectifs, il est depuis quelques mois particulièrement actif sur Twitter où il publie notamment un feuilleton (Kurtwitter) et des apho-rismes inspirés par son jardin. « J’aime la contrainte un peu austère des 140 signes. C’est pour moi comme une écriture en vers justifiés. » Avec Twitter, il republie également des textes plus anciens, pour créer des passerelles entre les lecteurs et les genres littéraires, entre le papier et

l’écran. « L’internet est plus pointu, plus expérimental. Mais nous ne sommes pas dans la problématique du papier contre le numérique. Les choses ne s’éliminent pas, elles s’ajoutent. »

PublierLe papier en tout cas ne cesse de remettre le numérique en perspective. « On ne sait plus écrire à la main, constate Dominique Quelen. Et comme l’espace texte de l’écran permet un certain recul, on est en quelque sorte son premier lecteur. Mais j’ai besoin d’un passage au papier pour être dans la littérature. » Jean-Marc Flahaut se voit lui comme un « artisan du texte, qui a besoin, pour écrire, de visualiser matériellement l’objet livre ». Comme si l’ombre tutélaire du papier ne cessait de planer. « Pour moi, internet est un média inesthétique et péris-sable. Alors que je n’arrive pas à trouver le livre daté », souligne Fanny Chiarello.

« Je préfère encore publier dans une obscure revue que sur le net », note Patrick Varetz qui dit sacraliser le papier, mais aussi le rôle de l’éditeur. « Je ne sais pas ce que vaut ce que j’écris. J’ai besoin de

quelqu’un à qui je reconnais le droit de me le dire. » Ce que confirme Fanny Chiarello. « N’importe qui pense qu’il est écrivain parce qu’il a un petit blog. Je suis assez pour écrire 20 000 pages qui restent dans un tiroir. Un livre, c’est le fruit d’une ren-contre entre un auteur et un éditeur. C’est là que se fait la littérature. » Si la rencontre se fait parfois sur le net, elle y achoppe aussi parfois, comme en témoigne Olivier de Solminihac. « J’aimerais faire un livre des Ready Poems. Mais les éditeurs de lit-térature les considèrent comme de l’image, et les éditeurs de photos disent que ce n’est pas de la photo. » S’affranchir du papier, de l’éditeur, des genres, du support ? Rares sont ceux qui acceptent, comme Lucien Suel, que la lit-térature puisse désormais s’écrire « dans le grand nulle part de l’internet ». Mais même lui d’avouer « j’imprime tout ce qui est important sur papier… »

MARIE-LAURE FRÉCHET

¶ ÊTRE OU NE PAS ÊTRE…

« Mon blog, c’est ma boîte à biscuits, ma collection d’ex-voto. »

Jean-Marc Flahaut

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…UN ÉCRIVAIN BRANCHÉ ¶

Site web consacré à la création littéraire contemporaine, Libr-critique observe et publie « toutes les écritures qui donnent à penser », résume l’un de ses fondateurs, Fabrice Thumerel, critique littéraire et chercheur à l’Université d’Artois. L’écri-ture numérique (et non l’écriture numé-risée) fait donc partie de ses champs d’action. « C’est une période charnière », observe le spécialiste qui scrute l’émer-gence d’œuvres utilisant l’intertextua-lité. « La révolution de l’écriture n’est pas liée au médium. Si les hypertextes sont seulement un jeu mécanique, ce n’est pas intéressant. Ce qui l’est, c’est l’interaction entre le texte, le son et l’image. » Le cher-cheur s’intéresse également à l’interac-

tivité avec le lecteur. « La notion d’œuvre finie, close, est remise en cause. Paul Valéry avait déjà souligné l’arbitraire du point. Le web permet d’écrire l’œuvre au fur et à mesure. Ou d’en écrire de multiples versions. Comme les Impressionnistes et leurs séries, qui ont marqué la fin du dessin académique. » Tout n’est cependant pas bon à (re)garder. « Entre expérimen-tation et avant-garde, on recherche avant tout un investissement dans l’œuvre », explique Fabrice Thumerel. « Il n’y a pas de guerre des supports, mais une complémen-tarité », note-t-il, tout en soulignant que les internautes supplantent déjà les lecteurs*…www.libr-critique.com

M.-L. F.

Ils aiment, ils consultent, ils lisent…http://etats.civils.free.frhttp://www.sitaudis.frhttp://poezibao.typepad.comhttp://pc-ds.blogspot.comremue.netwww.tierslivre.netwww.cipmarseille.com

Fanny Chiarello, romancièreDernière parution : L’éternité n’est pas si longue(L’OLIVIER, 2011) www.fannychiarello.com

Carole Fives, écrivain et plasticienneDernière parution : Quand nous serons heureux(LE PASSAGE, 2010) carolefives.free.fr

Jean-Marc Flahaut, auteur de romanset nouvelles et poèteDernière parution : Shopping ! Bang bang !(AVEC DANIEL LABEDAN, À PLUS D’UN TITRE ÉDITIONS,COLLECTION À CHARGE, 2010)www.fromyourfriendlyneighborhood.blogspot.com

Charles Pennequin, poèteDernière parution : Comprendre la vie (P.O.L., 2010)

Dominique Quelen, poèteDernière parution : Câble à âmes multiples (FISSILE, 2011)

Olivier de Solminihac, auteur de romans,nouvelles et textes jeunesseDernière parution : Un Rideau d’arbres (LIGHT MOTIV, 2012)

Lucien Suel, écrivain et poèteDernière parution : Blanche Étincelle(PARIS, LA TABLE RONDE, 2012)http://academie23.blogspot.fr et http://luciensuel.blogspot.fr

Patrick Varetz, romancier et poèteDernière parution : Bas Monde (P.O.L., 2012)

Fabrice Thumerel : « Nous sommesà une période charnière »

*Près de deux Français sur troisse connectent à internet quasiment tous les jours.Seul un sur trois lit plus d’un livre par an.

Le Livre des visages de Sylvie Gracia(ÉDITIONS JACQUELINE CHAMBON/ACTES SUD, 2012)Pendant plus d’un an, Sylvie Gracia a publié des photos sur Facebook, instantanés de vie qu’elle a légendés. Peu à peu, une écriture s’est mise en place, portée par les lecteurs. L’ensemble publié sur papier constitue un roman d’une apparente déconstruction.

Ah. de Emma Reel (SEUIL, POUR IPAD, IPHONE OU IPOD TOUCH, 2012)Blogueuse et utilisatrice des réseaux sociaux, Emma Reel a consigné dans un livre numérique ses rencontres avec les hommes. Chaque histoire intègre des liens ouvrant sur de l’image ou du son, ou renvoyant à une autre histoire, créant un parcours de lecture labyrinthique.

Après le livre de François Bon(PUBLIE.NET ET SEUIL, 2011)Une réflexion pertinente sur la façon dont le numérique affecte la façon dont on écrit, mais aussi celle dont on lit.

À LIRE

Pierre Martin : « Cela n’auraitjamais été possible sans le net »Tout a commencé comme une blague de potaches. Avec l’idée que les gens res-semblent à leur prénom. « On a inventé la nomognomonie, sur la base de la physio-gnomonie », explique Pierre Martin, l’un des membres de ce trio d’auteurs qui anime sur le net « La liste ». Le blog enchaîne une série de portraits ciselés, petits bijoux d’humour basés sur une liste alphabé-tique de patronymes inspirants. Les por-traits sont rédigés à tour de rôle par deux nordistes, Pierre Martin, qui travaille dans le journalisme et la vidéo, et Julien Gosselin, metteur en scène et acteur, ainsi que Johann Trümmel, prof de français en

Espagne et déjà auteur d’un roman (La Marge molle, Balland). Les deux premiers n’avaient jusqu’alors jamais été publiés. Ils le seront à la fin de l’année, car « la Liste » a séduit 10/18 qui la sort en version papier. « Cela n’aurait jamais été possible sans le net, analyse Pierre Martin. Je crois assez peu au potentiel de repérage d’un manus-crit. Internet a créé une sorte de recon-naissance du « like », sans attendre celle d’un éditeur. » Par la force des choses, nous sommes devenus des auteurs, mais on ne se considère pas comme des écrivains. Nous sommes des écrivants… »http://namelist.tumblr.com M.-L. F.

Voir programme complet page 47

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¶ DES AUTEURS ET DES LIVRES

IL s’est fait un nom dans le monde des lettres – une trentaine de titres à ce jour, fictions, récits, « prose poétique » –, comme dans celui du cinéma – cosignant notamment les scénarios de deux films de Bertrand Tavernier, Ça commence

aujourd’hui en 1998, Holy Lola en 2004. Ce printemps, Dominique Sampiero publie simultanément Bégaiement de l’impossible et de l’impensable, troisième opus d’un tryptique commencé en 2007 (éditions Lettres vives) ainsi qu’un essai consacré à Henri Matisse, Matisse Étude pour Saint Dominique (Invenit). En attendant la parution, début juillet, de Le bruit des vagues, récit pour enfants (chez Bayard) qu’il dit attendre avec beaucoup de fierté. Comme son voisin Pierre Dubois, l’elficologue à la barbe fleurie, Dominique Sampiero est un écrivain attaché à une terre du Nord, cet Avesnois du bocage dans la contemplation de laquelle il puise son inspiration, arpentant les vallons, tutoyant les ruisseaux, guettant le bruissement des feuilles dans les bois ou regardant passer l’hiver par la fenêtre de sa maison, avec son chat (tous ceux qui pratiquent les livres et l’écriture le savent : on apprend beaucoup de ses chats).

Bégaiement de l’impossible et de l’impensable poursuit un tryp-tique de prose poétique entamé en 2007Il n’était pas vraiment déterminé comme tel. Initialement, j’avais mélangé dans ce livre la prose poétique avec des aphorismes sur la nuit. Finalement, j’ai retravaillé le texte en le resserrant et en enlevant les aphorismes. À l’origine, j’ai commencé ces ouvrages comme on ouvre un carnet intime, lors d’une période d’isole-ment. J’avais – j’ai – le sentiment peut-être d’avoir des problèmes d’identité, entre mes fonctions de scénariste pour le cinéma, ancré dans une réalité sociale, les écrits de fiction ou poétiques et mon état d’enseignant. À la différence d’autres pays comme les États-Unis ou le Canada par exemple, il est toujours difficile, en France, d’avoir plusieurs casquettes. Alors, prose poétique, oui, comme ont pu la pratiquer un Francis Ponge, un Christian Bobin, un Phi-lippe Delerm, même si l’écriture peut prendre différentes formes. Il s’agit de toute façon d’un rapport obsessionnel et constant à un lieu, l’Avesnois. La plupart de mes livres y sont enracinés.

Comment travaille Dominique Sampiero ?Au quotidien ou presque, très régulièrement, deux, trois fois par semaine. L’écriture est un exercice proche de la méditation :

je remplis de grands cahiers, l’ouvrage se construit peu à peu, les versions se succèdent, il peut y en avoir une quinzaine, parfois dix-huit. Tous les sens sont en éveil, avec un sixième sens qu’on peut appeler l’esprit, et un septième, qui pourrait être l’âme, mais j’ai des scrupules avec cette appellation à forte connotation religieuse, à laquelle je préfère « l’autre corps ». Ce qui permet un élargissement beaucoup plus vaste.

La première séquence de Bégaiement… s’intitule « Fenêtre pour passer l’hiver » (« la fenêtre garde la nostalgie d’un regard plus vaste qu’elle… »)Je suis souvent, chez moi, près d’une fenêtre. Je me suis d’ailleurs aperçu récemment que j’écris la plupart du temps face à une fenêtre. Je repense souvent à ma grand-mère, aux longues heures que je passais avec elle autrefois à la fenêtre de la maison : son regard était comme perdu dans un ailleurs indéfinissable, je faisais de même. Contrairement à l’idée qu’on peut se faire des rideaux qui se soulèvent derrière les vitres dans les villages, ce n’est pas ici l’idée de voyeurisme mais de méditation qui est à la clé : la fenêtre est l’œil de la maison, on finit par faire un avec la fenêtre, comme une petite extase.

La nature, le paysage sont omniprésents dans vos textes. « J’aime le ciel bas » écrivez-vousJe me balade beaucoup à pied. Je prends des leçons de pay-sages, cette lumière du Nord, célébrée par tant de peintres – j’ai écrit autrefois un essai sur Peter de Hooch –, ciels qui se bou-chent puis qui s’éclairent pour se révéler comme par miracle. Ces ciels, on les retrouve par exemple dans les films de Bruno Dumont, La Vie de Jésus ou L’Humanité. La lumière, comme un paysage, c’est un personnage en soi, sans doute une leçon héritée de Matisse.

Dans ces paysages, les corps sont aussi très présentsLes corps, le charnel, la sensualité. On est toujours dans le rap-port à l’extase, entre charnel et spirituel. On est alors dans l’évo-cation de la jouissance, avec cette présence du féminin dans le paysage. Là, je me différencie sans doute d’un Christian Bobin ou d’un Francis Ponge par la place que j’aime donner aux odeurs – liées pour moi à des souvenirs d’enfance avec mon père quand nous allions pêcher –, une érotisation des paysages.

Les leçons de paysagede Dominique Sampiero

RENCONTRE

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DES AUTEURS ET DES LIVRES ¶

Qu’avez-vous envie de dire au lecteur qui ouvre un livre de Dominique Sampiero ?Qu’il emporte le livre avec lui, dans sa poche. Se promener en forêt de Mormal ou dans la Sambre, s’asseoir, et lire. J’aime l’idée de picorer, déconstruire en tous sens si vous voulez, prendre la dimension du silence dans le texte, ce silence qui creuse et permet de trouver l’essence des mots et des choses. Rimbaud évoque le dérèglement de tous les sens, je dirais l’écarquillement de tous les sens.

Des projets ?Je viens de travailler à deux scénarios de longs métrages, deux courts-métrages avec le lycée Jean-Rostand de Roubaix. Me sou-venant d’avoir suivi, autrefois, des stages de direction d’acteurs et de mise en scène, je crois pouvoir apporter quelque chose aux acteurs pour passer derrière la caméra et passer à la réalisation. Quoi de plus beau que de raconter des histoires ?

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-MARIE DUHAMEL

« Ce matin, la lumière au-dessus des arbres est plus blanche que les murs.La pluie lave le silence au bord des vitres, ça souffle sous les portes et dans les interstices, le vent traque les pierres qu’il touche pour se connaître, éprouver sa force, et jeter son visage de branche contre la fenêtre, cherchant la bouche qui s’étonne de n’avoir pour limite que l’air des phrases et des mots (…) »« Le vent fait le tour de ma vie par des chemins de terre où j’attends que la solitude m’attende à son tour pour remonter. Je suis un arbre ou peut-être rien. Et cela enfin est moi. Le vide dans les cheveux de l’air. »Dominique Sampiero, Bégaiement de l’impossible et de l’impensable

Dominique Sampiero

Bégaiements de l’impossibleet de l'impensableÉDITIONS LETTRES VIVES

ISBN : 978-2-914577-51-9 23 96 PAGES – 13 ¤ – 2012

Henri Matisse,étude pour Saint DominiqueÉDITIONS INVENIT

ISBN : 978291869821040 PAGES – 9 ¤ – 2011

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Putain d’indépendance Kaddour Riad

¶ DES AUTEURS ET DES LIVRES

RÉCIT

JEUNESSE

C’est un album au format élé-gant qui se loge au creux de la main comme un objet fragile, un petit livre presque carré qui intrigue son lecteur dès la couverture. Le bleu tendre d’un

ciel sans nuage y contraste avec l’étrangeté de masques aux yeux vides, suspendus comme une brassée de ballons envolés au-dessus d’un titre légèrement inquiétant : Rien n’est moins sûr. Avec ce premier ouvrage, Fabien Soret, ancien étudiant des Beaux-Arts de Valenciennes, aujourd’hui installé dans la région de Dunkerque, choisit d’interroger les apparences, de questionner nos identités. Son texte sobre, qui frise par-fois l’énigme, dialogue avec des illustrations au crayon et à

l’aquarelle d’une grande délica-tesse. Une économie de moyens bienvenue, qui laisse à l’œil la place de circuler, à l’esprit l’es-pace pour rebondir. L’humour discret empêche la gravité. Le dénouement a un faux air d’évi-dence. « Une journée comme ci… une journée comme ça… Ce qui est certain, c’est qu’on a l’embarras du choix. Il y a une multitude de manières d’être ». Pourvu que l’on veuille bien tomber le masque, bien sûr.

CLOTILDE DEPARDAY

Rien n’est moins sûrFabien Soret

ATELIER DU POISSON

août 2011ISBN : 978235871020630 PAGES – 13 !

Putain d’ indépendance, c’est une histoire d’histoires et d’Histoire. Celle d’un enfant – puis d’un adolescent – plongé dans les affres d’une époque tourmentée dont il ne pourra

comprendre les ressorts que bien des années plus tard. Puis, en même temps, celle d’un nar-rateur adulte, qui ne se montre complaisant ni avec son passé, ni avec son pays, pas plus qu’avec son lecteur. C’est aussi un fragment chaotique de l’his-toire de l’Algérie, de sa culture, de son patrimoine, durant les années qui précèdent et sui-vent la décolonisation. À travers la figure du père du narrateur, le roman sou-lève également la question de l’identité, dans ce qu’elle a de plus contradictoire et doulou-reux. Cet homme incarne la réussite de l’ambition civilisa-trice idéalisée par les colons.

Sa connaissance parfaite de la langue et des lettres françaises fait de lui un homme brillant mais étouffé par un système bureaucratique humiliant qui lui reproche précisément d’être un indigène. Pis ! Un indigène doué. Kaddour Riad dit les difficultés et les contradic-tions d’une indépendance tant espérée, péniblement acquise, et finalement volée. Il le fait dans une prose vivante, avec un art de la métaphore et un sens de l’énumération qui font de ce premier récit une belle entrée en littérature.

MARIE-EVE TOSSANI

ÉDITIONS LA CONTRE ALLÉE

COLLECTION « LA SENTINELLE »mars 2012ISBN : 9782917817162192 PAGES – 17,5 !

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DES AUTEURS ET DES LIVRES ¶

ROMAN

Patrick Varetz,le verbe au milieu du chaos

BAS monde se déroule dans 30 mètres carrés. Violette – violée ? –, vient de « mettre bas » le narrateur qui est le seul à raconter cette histoire d’injures, de violences, de cris. Un huis clos où quatre personnages tentent de

survivre aux autres : un père confit de haine et d’impuissance ; une mère déconsidérée par tous, notamment par Caudron, accoucheur improvisé ; et la grand-mère dominatrice. Dans cette boîte sans ouverture, le berceau est une boîte à chaus-sures aux allures de cercueil. « Je travaille sur le rétrécissement du réel », dit Patrick Varetz. Boîtes et vies enchâssées ; une sensation d’étouffement renforcée par la mise en page. Description et dialo-gues s’imbriquent, comme un même tunnel narratif.

L’origine du mondeEn lisant Jusqu’au bonheur, nous assistions au voyage d’une âme en enfer. Bas monde est le portrait d’un enfer plus réel, et historique : les années cinquante. Si le père travaille dans une usine pétrochimique, ce n’est pas un hasard. « Le sujet, c’est le chaos des origines. » Origine du narrateur, autant que de la société de consommation. Entre les deux romans on retrouve quelques points communs : un Caudron aux contours flous, un père violent, le corps médical, et cette énergie négative d’un bonheur contraint. La place du corps reste centrale, renforçant le malaise : odeurs fortes ; membres épars – le nourrisson est réduit à l’état d’oreille et d’yeux et le père traite sa compagne de « peau », un contenant sans contenu. « Je n’oublierai jamais où le verbe prend sa source : entre les gémis-sements de ma mère et les aboiements suffoqués de mon père. » Le verbe permet au narrateur d’ordonner son chaos intérieur ; une autre manière de naître à lui-même. Naissance d’un narrateur, naissance d’un auteur. Jusqu’au bonheur lançait un écrivain. Avec Bas monde, Patrick Varetz invente sa langue, donne naissance à un style et à un univers condensé dans cette phrase d’Augiéras placée en exergue : « Je n’étais qu’une voix hantée par l’avenir, bien décidée à vaincre ».

FRANÇOIS ANNYCKE

Son premier roman nous emmenait Jusqu’au bonheur, un voyage dans un univers concentrationnaire médicalement assisté. Avec Bas monde, Patrick Varetz fait le récit des premiers jours d’un condamné. Entre ironie et effroi.

Patrick VaretzBas MondeÉDITIONS P.O.L., avril 2012ISBN : 978-2-8180-1627-5 192192 PAGES, 14 !

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¶ DES AUTEURS ET DES LIVRES

de Dario Fo est un Pierrot souriant, un bateleur de tréteaux, qui jongle avec tous les dialectes de l’Italie – malheureusement intraduisibles en français – pour toucher spontanément le cœur des citoyens. Car François harangue les foules, les soulève contre l’oppresseur, les met face à leurs contradictions et les responsabilise, mais peut aussi les entraîner dans un combat qu’il regrettera le lendemain. Malicieusement anticlérical, mais jamais anti-spirituel, anarchiste rêveur qui s’ignore, il refuse la possession parce qu’elle implique le pouvoir. Robin des bois sans armes, la parole divine le traverse en tous lieux, mais surtout pas à l’église… C’est un magnifique personnage de théâtre, ici raconté en plusieurs tableaux qui donnent à la pièce des allures de roman d’éducation : François convertissant au quasi-végétarisme un loup qui terrorise les habitants du village de Gubbio depuis des années ; mettant en pièces par souci de justice sociale les quarante tours des notables d’Assise… avant de devenir lui-même maçon, campant avec ses compères devant le Vatican dans l’espoir d’être reçu et de tenter de faire reconnaître l’ordre des franciscains par Innocent III. Surréaliste toujours, c’est un rêve qui convaincra le vieux pape d’adouber celui qu’il considé-rait la veille comme un joyeux illuminé.Bref, en refermant le livre, on a hâte de bientôt voir dans les environs (une mise en scène de Toni Cecchinato, avec Pascal Racan dans le rôle-titre, a été proposée en février 2012 à Bruxelles) une version scénique de cette épopée d’une virtuosité incroyable, prévue pour être incarnée – dernière malice de Dario Fo – par un acteur seul en scène…

SARAH ELGHAZI

C’est un peu l’aboutissement d’un rêve d’éditeur, pour La Fontaine, que de publier cette pièce, écrite en 1999 et encore inédite en France. Son auteur est Dario Fo, drama-turge et comédien italien, agitateur poli-tique et trublion poétique auréolé d’un prix Nobel de littérature qui ne lui a rien fait perdre de la simplicité ni de la fantaisie de son approche du théâtre.Pour preuve, ce François, le Saint Jongleur, traduit en français par Toni Cecchinato et Nicole Colchat, est une évocation pica-resque et réinventée de la vie de Saint François d’Assise, fondateur de l’ordre des franciscains en Italie au XIIe siècle. Une hagiographie inattendue de la part de Fo, militant d’extrême gauche devant l ’Eternel ? Peut-être, mais c’est sans compter sur sa capacité à tout transformer en hilarante fable, en farce médiévale, en prise à partie du public.Au-delà de la religion, François a valeur de symbole ; s’il reste aujourd’hui l’un des saints les plus populaires, même parmi les non catholiques, c’est bien sûr grâce aux valeurs de simplicité, d’entraide et d’égalité véhiculées au sein de son ordre, mais aussi, nous dit Dario Fo, grâce à sa faconde légendaire, relayée par de nombreux biographes. Illettré, mais auteur de poèmes lyriques sur la nature (le terrien Cantique des Créatures), le François

ÉDITIONS DIALOGUES THÉÂTRE, mars 2012ISBN : 978-2-35361-037-261 PAGES –12,50 !

François, le Saint JongleurDario Fo

THÉÂTRE

Des Astres, De l’Amour Virginie Vidal

BD

Un signe, une histoire. Tel est le canevas narratif de la dernière BD de Virginie Vidal parue en février et scénarisée par son com-plice Kami. Amour y rime résolument avec humour. Érotisme et astrologie convergent étrangement. La rencontre, la spontanéité, l’inattendu, l’espoir déçu… toutes ces petites choses de la vie quotidienne sont ainsi illustrées dans les tranches de vie qui forment cet ouvrage. Chacune de ces histoires est ponc-tuée par une interrogation finale à l’allure de maxime : « L’envie de me mettre à nu justifie-t-elle que j’ôte mon costume ? » Les relations humaines sont questionnées à tra-vers le prisme humoristique de l’astrologie. Nos rencontres relèvent-elles de la pure coïncidence ou de la confluence des signes ? Ce n’est finalement pas tant le zodiaque et ses présages qui prédominent ici, mais plutôt une approche amusante du rapport que chacun entretient à l’autre, qu’il soit aimé, désiré, détesté ou encore méprisé. Par ailleurs, la jeune auteure lilloise a glissé quelques clins d’œil à sa ville. À vous de trouver quels lieux ont été joliment détournés…

MARIE-EVE TOSSANI

ÉDITIONS LA BOÎTE À BULLES, février 2012ISBN : 978-2-84953-133-4172 PAGES – 18 !

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DES AUTEURS ET DES LIVRES ¶

Marie Bornasse, Cécile Richard POÉSIE

RÉCIT

« Le jour-même de mon anni-versaire, j’ai refusé d’avoir dix ans. » Ainsi débute le récit de Sabine Bourgois, prologue laco-nique d’un livre d’à peine cent pages dont la petite musique résonne longtemps encore dans la tête du lecteur après qu’il l’a quitté. Une page d’enfance dont on imagine sans peine combien

elle a pu demeurer enfouie en elle jusqu’à ce qu’elle remonte à la surface et qu’elle prenne consistance littéraire par le prisme des mots et des phrases.C’est l’histoire de Cécile, amie de cœur de la narratrice, insé-parables comme peuvent l’être des fillettes complices sur les bancs de l’école primaire comme dans les confidences. Un jour, Cécile n’est plus venue à l’école : son amie apprend qu’elle est morte dans l’in-cendie de la maison familiale à Lille. Un incendie provoqué par le père, coiffeur de son état, dépressif. Seule la mère en a réchappé.« Par où reprendre ton his-toire, Cécile ? » La narratrice, qui ne conçoit pas d’écriture

de l’enfance, thème qui lui est cher, sans Cécile, entame une enquête qui est autant une quête : retour sur le fait divers et sa restitution qu’elle retrouve dans le grand quo-tidien du Nord de la France, rencontre avec le journaliste qui l’a rapporté – et qui a vu le cadavre de la petite –, halte au cimetière (le grand cimetière du Sud, à Lille). « Au moment de la mort de Cécile, toute la violence et la vanité du monde me sont entrées dans la chair. » De la malle aux souvenirs s’échappent des odeurs, des senteurs, des sensations. Dans ces enchaînements d’émotions compassionnelles et rétrospec-tives d’une jeune femme elle-même devenue mère, seule la

musique de Schubert apporte un peu d’apaisement. Un livre prenant, littéraire et tourmenté, que Sabine Bour-gois aurait pu titrer, dans l’es-prit de la littérature et de la musique de l’époque baroque, Le Tombeau de Cécile.

JEAN-MARIE DUHAMEL

Les Unités, Sabine Bourgois

COMPTOIR D’ÉDITION

septembre 2011ISBN : 978-2-919163-02-1100 PAGES – 12 !

« Marie Bornasse est une bor-nassousse, c’est-à-dire une qui met les pieds dans le plat, dans le plat il y a des frites, du jus de marrons, des oignons dorés, des petits pois, de la viande molle et rose avec des plis et quelques poils douteux. » Marie Bornasse, c’est une force vitale,

un élan vivifiant, un appétit grande bouche. C’est aussi une couleur – rouge, « du rouge pour faire belle, du rouge pour faire sexuel, du rouge pour faire femme (…), la couleur des joues rouges, le rouge santé, le rouge jupe, le rouge sous la jupe, l’actrice la robe rouge, rouge sexy… ». Marie Bornasse, c’est un personnage dessiné en cou-verture, une esquisse, quelques traits qui lui donnent une sil-houette comme les quelques lignes tressées dans chaque paragraphe qui décrivent un aspect de sa personnalité origi-nale. Une originalité qui ne doit pas faire oublier son huma-nité : « car chacun d’entre nous

n’est pas comme tout le monde, et comme c’est le cas de tout le monde eh bien qu’on se le tienne pour dit, je suis comme tout le monde et toi aussi ». Ces paragraphes sont chaque fois centrés sur une situa-tion, un trait de caractère, un aspect physique ; un portrait en pointillé où l’on découvre sa bouche, son corps, son amour pour Monsieur Propre – certai-nement un poète – et la grasse matinée. Un support aussi aux lectures-performances réali-sées par Cécile Richard, qui lit avec gourmandise ces quelques éléments épars. Appétit grande bouche.

FRANÇOIS ANNICKE

ÉDITIONS DU DERNIER TÉLÉGRAMME

mars 2012ISBN : 978-2-917136-53-988 PAGES – 13 !

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¶ DES AUTEURS ET DES LIVRES

Après avoir travaillé ensemble sur un premier album, Un temps de passage (Light Motiv, 2010) le photographe Richard Baron et l’auteur Olivier de Solmi-nihac se retrouvent pour un nouveau dialogue entre textes et images.Les clichés de la Cité 1940 de Libercourt, actuellement en cours de rénovation, ont été le point de départ des narrations de l’écrivain. On déambule dans les rues de Libercourt, mais

aussi en Pologne, sur les ter-rils, dans les bois, un peu dans la tête de Lucie, un peu dans l’histoire de la vieille dame. On pénètre surtout dans quelques tranches de vie, où l’excep-tionnel est à chercher dans l’or-dinaire et l’inattendu dans le quotidien. Et c’est précisément par cette flânerie qu’il faut se laisser porter, pour ouvrir au hasard ce Rideau d’arbres.

MARIE-EVE TOSSANI

Un Rideau d’arbres Richard Baron, Olivier de Solminihac

PHOTO/LITTÉRATURE

ROMAN

Il la regardeAlain Chopin

Le narrateur d’Il la regarde, Antoine Janin, nous entraîne au gré des sinuosités du temps qui passe entre la Bretagne où il a grandi et Lille où il est, depuis 20 ans, critique de cinéma pour La Voix du Nord. Ses déambulations, cinématographiques à force de détails visuels, rythmées par les rencontres et les lieux qui dessinent son quotidien, bercent l’attente engendrée par les irrégularités d’un échange épistolaire singu-lier avec Anne, dont le sou-venir de la silhouette frêle et attirante, entrevue une pre-mière fois près d’un manège à Trébeurden, n’aura de cesse de le poursuivre. Avec ce deuxième livre paru aux édi-tions Dialogues, Alain Chopin nous initie à la proximité des voyages, qui sont avant tout l’invention d’un regard.

AURÉLIE OLIVIER

Le Touquet, Les années si follesde Paris-Plage Anne Tomczak

DOCUMENTAIRE

Fiat lux, fiat urbs. En se don-nant cette devise, Le Touquet préfigurait-il son destin de ville lumière, première plage française, capitale du luxe, de l’élégance, des arts et du jeu ? Quand en 1837 le notaire pari-sien Jean-Baptiste Daloz achète 1 600 hectares de garennes, il les destine à l’élevage et à l’agriculture. Devant son peu de résultats, il finit par y planter

deux phares (d’où la devise) et un lotissement, le Paris-Plage. Il faudra 15 ans à ses habitants pour se détacher de la commune de Cucq et prendre leur indé-pendance. Le Touquet était né, un jour du printemps 1912. On fête donc cette année son centenaire. L’occasion pour les éditions La Voix du Nord de sortir un nouvel ouvrage. La rédaction en a été confiée à la journaliste Anne Tomczak. Nommée en 1993 responsable de l’édition d’Étaples-sur-Mer, elle se passionne d’abord pour l’histoire du Royal Picardy. « Un hôtel si vaste que l’on ne pouvait le contempler tout entier que du ciel », raconte-t-elle. L’établis-sement a été détruit en 1968, mais son ombre plane encore sur le Touquet et symbolise à

lui seul toute une époque que la journaliste a redécouverte. « En matière de mode et de décoration, le Touquet était une vitrine pour le reste de la France. Les têtes couronnées, les artistes s’y pressaient. » C’est cette histoire qu’Anne Tomczak reprend dans une version synthétisée et enrichie d’un premier ouvrage sur le sujet. Au fil d’une riche icono-graphie et des précieux témoi-gnages des contemporains des années folles du Touquet, s’égrènent les grandes heures de la station, avant qu’elle ne perde à jamais de sa superbe.

MARIE-LAURE FRÉCHET

ÉDITIONS LA VOIX DU NORD, 2012ISBN :978-2-84393-158-168 PAGES – 6,90 !

ÉDITIONS DIALOGUES, mars 2012ISBN : 9782918135432248 PAGES – 19,90 !

Éditions Light Motivfévrier 2012

ISBN : 9782953790825144 PAGES – 32 !

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DES AUTEURS ET DES LIVRES ¶

Le Temps d’une douceur PRATIQUE

Un Été en Flandres Michael Jenkins ROMAN

De la cuisine pour les quiches (quoique… pas que) mais pas pour les tartes ! Voilà ce que proposent Lucille Réveillon, Laurianne D’Huysser, Alexandra Deslandes et Madeline Maugé, quatre étudiantes de l’IUT Métiers du livre de Tourcoing, en publiant un petit livre de 20 recettes pâtissières, Le Temps d’une douceur, aux Éditions Méli-Mélo. Cette maison d’édition école, créée par l’IUT, des professeurs et des étudiants, a pour but d ’offrir une diffusion professionnelle aux projets de recherche les plus aboutis. Ce dispositif a donné naissance à un premier ouvrage publié l’an dernier, Tagliatelles d’auteurs, qui était déjà une anthologie culinaire. Cette année,

la cuisine est à nouveau à l’honneur, et de façon plus assumée encore, sous l’angle des douceurs et autres mignardises. De là à dire que les étudiants ne pensent qu’à ça, il y a un pas que l’on se gardera de franchir.Petit guide pratique pour s’initier ou se perfectionner à l’exercice parfois périlleux de la pâtisserie, il conviendra à tous ceux que cet art de l’exquis a chatouillé un jour, des enfarinés les plus tartes aux intellos les plus rissolés. Tous trouveront là à boire et à manger et de quoi satisfaire leurs envies de douceur, soudaines ou latentes, celles de quatre heures du matin comme celles du dimanche après-midi en famille. Les photos de Sylvie Aït-Ali illustrent chacune des étapes de la recette que l’on choisira d’expérimenter. Un moyen de savoir si l’on est en bonne voie… ou non. Le livre est chapitré en trois tiers, selon le temps que requièrent les préparations. Ceux dont le quotidien est réglé par l’adage tempus fugit remercieront ces initiatrices et éditrices en herbe. Cuisine et révisions de partiels ne sont plus ici antinomiques.

L’ont-ils été vraiment ? Brownies au sirop d’érable, cupcakes aux myrtilles et autre muffins sont prêts à partager entre amis en moins d’une heure. Les plus téméraires ou les moins affairés pourront s’attaquer au gâteau glacé meringué ou au Ch'ti macarons (sic). Après quelques essais, l’expression « pâtis-serie maison » ne sera plus ce concept inac-cessible, à la fois fascinant et angoissant. Le rouleau et le mixeur deviendront vos fidèles compagnons de jeu, quelles que soient vos préférences les plus intimes. Avec un peu d’imagination, on comprendra quelle utilisation peut être faite de ces étranges cuillères plates à l’aspect peu pratique. Et surtout, on deviendra expert dans l’utilisation de termes tels que sablé, feuilleté, ou brisé – liste non-exhaustive. Là où il y a de la gêne il n’y a pas de plaisir, dit l’adage. Vous qui entrez dans ce livre, abandonnez toute gêne ! Goûtez, picorez, dévorez… et osez dire avec une irrépres-sible fierté : « C’est fait maison ! ».

M.-E. T.

Ce plat pays n’est pas le sien, mais l’auteur britannique Michael Jenkins lui voue une admiration sans faille. Il a 14 ans lorsque ses parents l’envoient pour la première fois en villégiature dans les

Flandres françaises, où se retrouve chaque été toute la famille. Sous la houlette de tante Yvonne, reine-mère autoritaire mais juste, l’adolescent découvre là un monde qui lui est complètement inconnu, avec ses codes, ses légendes, ses secrets enfouis et un mot « la Flandre ». Au fil des pages apparaissent les personnages qui forment la voûte humaine de ce récit, plein de tendresse et d’humanité : la pingre tante Alice, la timide Thérèse, la mystérieuse Lise, l’excentrique Florence. Et Jack, le grand-père inconnu… En toile de fond, les deux guerres mondiales racontées par ceux qui les ont vécues, des histoires d’amour et de désamour et le portrait d’une classe sociale attachée à ses racines

et à la transmission de ses valeurs.Le livre, dans lequel « l ’ imagination et la mémoire se sont unies » retrace plus qu’un moment de vie, les premiers éblouissements d’une sensibilité, mêlés aux couleurs et aux parfums d’un été. Cette réédition du roman de Michael Jen-kins (une première traduction avait parue en 1997) demeure aussi une touchante déclaration d’amour pour une région et ses habitants. En ravivant les souvenirs de son premier été en Flandre, l’auteur ne peut s’empêcher de les magnifier dans une sorte de mythologie personnelle. Mais peu importe puisqu’il parvient à en partager la saveur avec son lecteur !

M.-E. T.

MÉLI MÉLO ÉDITIONS

mars 2012ISBN : 978-2-9587000-0-8109 PAGES – 7 !

LE MARAIS DU LIVRE ÉDITIONS

février 2012ISBN : 9782914327107253 PAGES – 20 !

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L’AbeilleNo 20« Ce vingtième numéro de L’Abeille re-prend trois communications données lors de la journée d’études organisée en 2011 par la Société des Amis de Panckoucke […] Marie-Christine Allart y traite d’une presse méconnue, la presse agricole qui apporte un éclairage original sur l’his-

toire de l’agriculture et sur le monde paysan à travers ses prises de position et ses réactions. Philippe Marchand s’est intéressé à trois journaux de lycées, ceux de Lille, Tourcoing et Béthune, parus après la loi du 29 juillet 1881 et au moment où l’arrêté du 5 juillet 1890 modifie le régime intérieur des collèges et des ly-cées. La région est encore la seule à posséder un hebdomadaire sportif généraliste. Jean-Paul Visse livre une étude fouillée sur la presse sportive et le développement du sport dans le Nord – Pas de Calais. Enfin, les lecteurs retrouvent dans ce numéro la biblio-graphie de la presse régionale élaborée par Bernard Grelle, et la rubrique « Vie des médias » avec un article d’Emile Henry sur le nouveau mensuel régional Terre du Nord. »

Abonnement : 15 ¤ pour trois numéros par an / ISSN : 1959-0245Société des Amis de Panckoucke / www.panckoucke.org

RSH, la Revuedes Sciences HumainesNo 305, mars 2012« C’est un Aragon un peu inattendu, avec son écriture au carrefour des genres et des influences, que ce numéro se propose de faire connaître. Non seulement on y découvrira le lien étonnant avec Ponge, le lien profond avec Matisse, mais on y découvrira aussi une approche

renouvelée de la poésie : examen de la relation qu’Aragon a entretenue avec Neruda dans le « rire amer » de la déstalinisation, étude du croisement insoupçonné avec la culture musulmane dans Le Fou d’Elsa, ou du lien avec la chanson. […] Si bien qu’au-delà du XIXe siècle […] et de la modernité du XXe siècle qu’Aragon aura contribué à définir, c’est vers le XXIe siècle que ce numéro braque son projecteur, sur un Aragon à venir. […] C’est entre le réalisme de la photographie et la tentation du dialogisme carnavalesque qu’oscille toute l’œuvre d’Aragon, dans une paradoxale continuité, depuis les excès dadaïstes d’Anicet (1921) et les « fantasmagories » surréalistes du Paysan de Paris (1926), jusqu’à la folle indécision narrative des trois derniers romans […] en passant par les romans du Monde réel (1934-1951), où le réalisme socialiste affiché ne va pas sans son envers, avec ses failles évidentes qui viennent miner le roman à thèse. »

ISBN : 978-2-913761-52-0/25 ¤/www.septentrion.com

Comme un terrierdans l’igloo… No 19« Ce numéro intitulé « Par-dessus le bastin-gage » concerne le thème de l’idiotie ; non pas l’idiotie en général ou celle des autres, mais la sienne propre. Auteurs y partici-pant : Marie-Noëlle Agniau, Michel Ohl, Malika Smati-Haddad, Denis Ferdinande,

François Huglo, Roland Hinnekens, Julien Ferdinande, Francis Giraudet, Denis Langlois, Peter-Arthur Cæsens feat. Christoph Bruneel, Philippe Jaffeux, Daniel Daligand. La chronique musicale est assurée dans ce numéro par Jumpin’ Jack Devemy. Les illustra-tions proposées sont de Christoph Bruneel. À ce numéro, le DVD habituellement joint a cette fois-ci pour tête d’affiche Christian De-goutte et un dossier consacré à la Nouvelle école flamande (NEF) : Peter-Arthur Cæsens, Jose Vandenbroucke et Christoph Bruneel. »

10 ¤ pour la publication + son DVD

Galaxies

No 15, janvier 2012 « En ouverture de ce numéro de Galaxies, Philippe Curval nous entraîne avec son personnage dans un pas de côté vers la cité des doges. […] Charles Stross est l’invité de cette livraison de Galaxies. […] Yann Minh, dont le texte semblera peut-être à certains

dérangeant (tant pis pour eux) sait bien qu’on ne sort de la crise qu’en inventant, en inventant et en inventant encore. […] Inventer, c’est ce qu’il fait avec son remarquable Egregore 2050. Le texte de Leonid Kaganov est de facture plus classique, et on se demande ce que vient faire ici cette histoire pour enfant, quand soudain, sans changement de ton, tout se glace… Quant à celui de Camille Alexa, que nul ensuite ne se demande « Où allons-nous ? » et encore moins « Comment ? ». Une seconde lettre de l’Inde, une réminiscence de textes oubliés dénichés par le bouquineur, et voici les notes de lectures réunies par Laurianne Gourrier et Alain Dartevelle pour vous mettre en appétit. »

ISSN : 1270-2382/11 ¤

La Nouvelle Revue Moderne No 30« Au sommaire, des proses poétiques de Gérard Farasse, des récits de rêves et des collages de Philippe Lemaire, des dessins de Marie Noël Döby, une nouvelle inédite de Victoria Thérame, un récit de Rita Rasmussen, des poèmes de Jacques Canut, Bruno Sourdin et Katia Roessel. Un numéro éclectique à l’image du parcours de cette revue de création littéraire qui fête ses dix printemps en 2012. »

ISSN : 1632 1081/6 ¤/nouvellerevuemoderne.free.fr

Les revues en revue

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Nord’

No 59 « En consacrant ce numéro à Calais, Frédérique Péron et Christian Leroy ont voulu privilégier une ville dont le patrimoine – entre autre littéraire – est peut-être moins connu que celui de Douai […] ou celui de Cambrai […]. Or, Calais est la patrie de Pigault-Lebrun (1753-1835),

immense écrivain un peu oublié qui mérite d’être redécouvert. Shelly Charles (Paris IV-CNRS) fera ainsi connaître « La fortune de Pigault-Lebrun ». Plus largement, F. Péron présentera son œuvre et sa vie et C. Leroy proposera l’étude d’une de ses pièces, sur l’esclavage, Le Blanc et le noir. Mais Calais est aussi un « objet » littéraire que l’on retrouvera dans une anthologie de textes littéraires sur la ville. […] »

ISBN : 978-2-913858-28-2 / 15 ¤ / www.revue-nord.com

Roman 20-50No 53, juin 2012« Les trois œuvres romanesques considérées comme les plus importantes de Richard Millet (La Gloire des Pythre, 1995 ; Lauve le pur, 2001 ; Ma vie parmi les ombres, 2003) sont ici revisitées par les meilleurs connaisseurs actuels de l’écrivain. Inspiration, thématique, structure, style, intertextualité et réception de ces trois romans sont explorés de façon monographique mais en liaison avec l’ensemble de l’œuvre d’un écrivain en passe de devenir l’une des voix les plus puissantes et les plus originales de notre contemporanéité littéraire. Les huit études ici rassemblées sont précédées d’un texte inédit de l’écrivain, L’Échange, que Richard Millet a accepté de confier à la revue Roman 20-50. »

ISBN : 102-908481-75-8/ISBN-13 : 13978-2-908481-75-4/ISSN : 0295-5024/ 18 ¤www.septentrion.com

Cahiers Robinson No 31« Le roman pour la jeunesse doit attendre les années 1980 pour voir apparaître une écriture spécifique pour les adolescents. […] Ce sont à la fois des auteurs comme François Bon, des thématiques comme l’écriture de la guerre et en particu-lier de la Shoah, des sous-collections comme « Page Blanche /cinéma » ou « Page Noire », l’inscription de la col-lection dans le paysage éditorial et cri-

tique des années 1980 qui sont regardés avec attention dans ce numéro. […] »

ISSN : 1253-6806/ISBN : 978-2-9536170-3-0/16 ¤

Rehauts No 29, printemps-été 2012« Rehauts […] propose dans son numéro 29 deux cahiers de dessins ; le premier consacré à Pierre Matthey, chef d’atelier de peinture à l’École des Beaux-Arts de Pa-ris pendant plus de 20 ans, à qui le Musée de Picardie d’Amiens a consacré une ex-position au printemps dernier ; le second

consacré à Claude Chaussard qui, parallèlement à son travail de peintre, a réalisé des œuvres d’aménagement urbain et public en France et au Canada. […] »

ISBN : 978-2-917029-17-6 / 13 ¤

BELGIQUEL’Arbre à Paroles no 154, hiver 2011-2012 « […]De la poésie malgré l’horreur. Sur ce pari, Alain Dantinne a réuni textes de réflexion et poèmes qui sont comme autant d’invitations à écrire quand la poésie devient acte de résis-tance. […] Une façon de croire encore que l’on peut rendre ce monde plus habitable, malgré tous les post-totalitarismes [… ]. »

ISBN : 978-2-87406-535-4/7,5 ¤

Indications no 391, février 2012 « […] comment écrire le rock, comment écrire sur le rock ? […] François Bon scrute l’avenir numérique de l’écriture. […] Frank Herbert construit un monde dans les dé-serts de Dune. Anne-Marie Garat arpente les contre-allées de l’Histoire. Les privés de James Crumley se biturent allègrement. […] »

ISBN : 2-805920-12-7/8 ¤/www.indications.be

Le Carnet et les Instants no 170 février/mars 2012 Figures de l’oralité, Bruxelles vue par les écrivains, un hommage à Hubert Nyssen, fondateur d’Actes Sud… Voilà le large panel théma-tique abordé par ce nouveau numéro. La 15e édition du Bon Usage et l’entrée de Cioran dans la Pléiade sont également célébrés. Vous retrouverez des articles consacrés à Tom Lanoye, Max Deauville…

Abonnement gratuit/http ://www.promotiondeslettres.cfwb.be

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1818

¶ PATRIMOINE LITTÉRAIRE

NÉ à Paris, Georges Bernanos passa durant sa jeunesse, même en hiver, toutes ses vacances à Fressin, petit village du Pas-de-Calais près d’Hesdin, où ses parents achetèrent une maison de maître en 1895. Souvent

malade, Bernanos se ressource au grand air ; il lit avec enthou-siasme Walter Scott, Balzac, l’antisémite Drumont et écrit des bluettes sentimentales ; il a pour amis de nombreux prêtres (une photographie le représente vêtu de la soutane) ; il va à cheval à Fruges pour jouer au billard, tire au pistolet et même au canon, au grand dam de ses voisins ; il fait de la politique en attaquant un prêtre rallié à la République, l’anarchiste Sébastien Faure et

le radical Ferdinand Buisson. En plus de ses vacances, Bernanos fait sa rhétorique à l’Institution Sainte-Marie d’Aire-sur-la-Lys où il n’apprécie pas le directeur et ses condisciples « flamands ». Adulte, Bernanos retourne à Fressin où sont baptisés deux de ses enfants, où il échappe à la mort suite à une perforation intestinale.Tout cela est peu pour faire figurer Bernanos dans le patrimoine littéraire du Nord de la France. Tous comptes faits, il a sans doute vécu aussi longtemps à Palma de Majorque (d’octobre 1934 à mars 1937), où il vit et dénonça la répression franquiste, et plus long-temps au Brésil (de septembre 1938 à juin 1945), où il prit immé-diatement parti pour de Gaulle, que dans le Pas-de-Calais. Mais ce

Georges Bernanos,l’homme de Fressin

Né à Paris,Georges Bernanos passa

toutes ses vacances à Fressin, petit village du

Pas-de-Calais prèsd’Hesdin. Les paysages du Nord occupent une place primordiale chez l’auteur des Grands Cimetières sous

la lune. Quatre de ses romans se passent en

Artois et plusieurs fois, dans ses écrits de combat,

Bernanos revient avec émotion sur le pays de

son enfance.

La revue Nord’ a consacré son numéro 11 (juin 1988) à

Georges Bernanoswww.revue–nord.com.

Voir également Jean-Loup Bernanos : Georges Bernanos

à la merci des passants, Plon, 1986 ; Lucien Suel : « Le dernier prophète » et « Litanies du tombeau de

Mouchette » dans Petite Ourse de la Pauvreté, Dernier

Télégramme, 2012.Portrait de Georges Bernanos par Odile Santi

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qui importe pour un écrivain, c’est non sa vie, mais son œuvre. Or Fressin et ses environs occupent une place primordiale dans les écrits de combat et les romans de Bernanos.

Le pays de l’enfancePlusieurs fois, dans ses écrits de combat, Bernanos revient avec émotion sur le pays de son enfance, qui n’est pas pour lui Paris, où il vivait pourtant la plus grande partie de l’année, mais le lieu de ses vacances. Celui-ci lui a donné sa formation morale, honneur et courage, et est à l’origine, sans discontinuité, de l’adulte, qui veut préserver en lui l’esprit d’enfance : « Qu’importe ma vie ! Je veux seulement qu’elle reste jusqu’au bout fidèle à l’enfant que je fus. Oui, ce que j’ai d’honneur et ce peu de courage, je le tiens de l’être aujourd’hui mystérieux qui trottait sous la pluie de septembre, à travers les pâturages ruisselants d’eau, le cœur plein de la rentrée prochaine, des préaux funèbres […] – de l’enfant que je fus et qui est à présent pour moi un aïeul. »Cette fidélité au pays de l’enfance n’a rien à voir avec le régiona-lisme, ni avec l’enracinement cher à Barrès. Si Bernanos semble d’abord en accord avec le chantre de la Lorraine, quand il écrit :« Rien ne fera jamais de moi un déraciné, je ne vivrais pas cinq minutes les racines en l’air, je ne serai déraciné que de la vie. Tant que je vivrai je tiendrai au pays comme à l’enfance, et lorsque la sève ne montera plus, toutes les feuilles tomberont d’un seul coup .» Il s’en éloigne en disant qu’il « tien[t] à la Provence par un sentiment mille fois plus fort et plus jaloux », mais il se reprend aussitôt par un retour aux paysages de l’enfance auxquels il n’est pas enraciné comme un produit extérieur à la terre, puisqu’il est un élément constitutif de cette terre :« Il n’en reste pas moins vrai qu’après trente ans d’absence […] les personnages de mes livres se retrouvent d’eux-mêmes aux lieux que j’ai cru quitter. Ici ou ailleurs, pourquoi aurais-je la nostalgie de ce que je possède malgré moi, que je ne puis trahir ? Pourquoi évo-querais-je avec mélancolie l’eau noire du chemin creux, la haie qui siffle sous l’averse, puisque je suis moi-même la haie et l’eau noire. »L’Artois est la matrice de la création littéraire bernanosienne car ce territoire a porté comme une mère les personnages romanesques :« Chemins du pays d’Artois, à l’extrême automne, fauves et odorants comme des bêtes, sentiers pourrissants sous la pluie de novembre, grandes chevauchées des nuages, rumeurs du ciel, eaux mortes ! … J’arrivais, je poussais la grille, j’approchais du feu mes bottes rou-gies par l’averse. L’aube venait bien avant que fussent rentrés dans le silence de l’âme, dans ses profonds repaires, les personnages fabuleux encore à peine formés, embryons sans membres, Mou-chette et Donissan, Chantal, et vous, vous seul de mes créatures dont j’ai cru parfois distinguer le visage, mais à qui je n’ai pas osé donner de nom, cher curé d’un Ambricourt imaginaire. »

Paysages spirituelsL’action de quatre romans de Bernanos se passe en Artois : Sous le soleil de Satan, Journal d’un curé de campagne, Nouvelle histoire de Mouchette et Monsieur Ouine.

Bernanos s’y montre réaliste. Pour nommer ses personnages, il emploie des patronymes réels ou vraisemblables ; il procède de même pour nommer les lieux qui tous entourent Fressin. Il décrit les paysages avec fidélité : ainsi « le chemin de paradis », qui joux-tait la maison familiale et qui apparaît dans Journal d’un curé de campagne. Il s’inspire, dans Sous le soleil de Satan, de faits réels comme les retombées régionales de la séparation de l’Église et de l’État.L’idéologie transparaît dans la façon dont Bernanos décrit les classes sociales. L’aristocratie, trahissant le sens de l’honneur, est décadente, la bourgeoisie se cantonne dans le matérialisme et la paysannerie, qui boit la « bistouille », est souvent alcoolique. Seuls échappent à cette vision pessimiste certains prêtres et, dans une moindre mesure, deux braconniers (Bernanos préfère les aventu-riers aux conformistes). L’abbé Donissan (Sous le soleil de Satan), le curé d’Ambricourt (Journal d’un curé de campagne) et le curé de Fenouille (Monsieur Ouine) visent avec plus ou moins de réussite à approcher la sainteté. Les braconniers Eugène (Monsieur Ouine) et Arsène (Nouvelle histoire de Mouchette) sont des hors-la-loi et des meurtriers potentiels, mais ont le sens de l’honneur.Au-delà du réalisme et d’une sociologie teintée par l’idéologie, l’Artois prend surtout une dimension métaphysique. Ses paysages : plaines et collines, routes et chemins, soumis à la pluie et au vent, envahis par la vase et par la boue, ne sont pas seulement le cadre de l’intrigue, mais des acteurs du combat perpétuel entre Dieu et Satan : que l’on pense aux collines où Donissan rencontre, durant la nuit, le diable incarné sous les traits d’un maquignon, ou à la route, ensoleillée, qu’empruntent en moto Olivier et le curé de cam-pagne, qui fait alors l’expérience d’une amitié surnaturelle.Bernanos n’est pas que l’homme de Fressin, mais un auteur uni-versel dont la principale préoccupation est de mettre son lecteur en face de sa condition humaine et divine.

PAUL RENARD

PATRIMOINE LITTÉRAIRE ¶

Dans la continuité de « Georges Ber-nanos, terre d’enfance » (2011), une nouvelle série de manifestations rendra hommage à Bernanos, dans le Haut-Pays d’Artois et à Aire-sur-la-Lys où l’écrivain fut élève au collège Sainte Marie de 1904 à 1906.Programme complet et renseigne-

ments auprès de l’Office de Tourisme intercommunal du Canton de Fruges : 03 21 04 02 65 / [email protected]

« Bernanos, humaniste et voyageur, rencontres et balades littéraires » 15 juin – 29 juillet 2012Fressin, Fruges, Aire-sur-la-Lys

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Autant dire que le grand public n’y entend rien aux sourds. On ignore tout ou presque de leur importance numé-rique, de leur diversité, comme des difficultés qu’ils ont à affronter dans une société essentiellement axée sur la communication verbale. Cette méconnaissance maintient une frange importante de la population à l’écart du patri-moine culturel et des ressources de l’écrit. Et cela, Signes de Sens l’a bien compris. Depuis 2003, l’association lilloise imagine des outils pédagogiques innovants pour permettre à ce groupe polymorphe « de renouer avec la lecture, de se cultiver et de se construire ». Parmi ceux-ci, des pièces de théâtre, des visites et dispositifs de médiation dans les musées mais aussi l’édition de livres – dvd qui ont valu à l’association une reconnaissance et un soutien de la part du ministère de la Culture. Cette année, Signes de Sens ajoute une corde à son arc avec Elix, une plate-forme internet d’échange et de partage structurée autour d’un dictionnaire en ligne. C’est l’occasion de revenir sur neuf ans d’un travail acharné.

Signes de Sens,l’accès aux savoirspar l’innovation

À quels biens culturels ont finalement accès les personnes privées d’ouïe ? Simon Houriez ne s’était encore jamais posé la

question. Avant de rencontrer un sourd, voilà dix ans. Pour cet ancien chimiste investi dans le théâtre associatif lillois, c’est une révélation. « J’ai mesuré à quel point rien n’était fait pour eux. À l’époque, c’était particulièrement triste », se souvient ce trentenaire, qui, en se penchant sur la question, a pris conscience de sa complexité (formes très variables de la surdité [cf p.24], maîtrise globalement problématique du f ra nça is écrit , importance de l’échec scolaire…) comme de ses très nombreuses implications. « Même si les situations sont très inégales, les sourds enregistrent un déficit culturel qui génère une véritable exclusion. Comment sentir son appartenance à un pays et

à une communauté quand la majorité des messages vous échappent ? Quand vous évoluez en marge des savoirs et représentations qui font partie de la culture partagée et participent de la construction identitaire ? » Une question en amenant une autre, cette prise de conscience déclenche une véritable réaction en chaîne, dont témoigne l’évolution des axes de travail de l’association.

Comprendre pour intégrerAu départ, pour Simon Houriez et ses amis, il s’agissait modestement d’ouvrir aux sourds les portes du théâtre et de les faire côtoyer un public entendant grâce à des spectacles jeune public mêlant mime, voix et langue des signes. Le succès est immédiat, et pour cause. L’air de ne pas y toucher, l ’association esquisse à l’époque une voie nouvelle dans la

Simon Houriez © Signes de Sens

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lutte contre l’isolement des sourds. Une position de médiation qui, en adaptant l’offre culturelle et en décloisonnant les publics, se tient aussi loin de la tentation du communautarisme que des écueils de l’assimilation. Car cette seconde perspective domine, depuis l’interdiction de la Langue des signes (LSF) en 1880. « Depuis plus d’un siècle, on a essentiellement cherché à « adapter » les sourds en les faisant entendre ou parler, ce qui est globalement complexe, voire, dans certaines situations, impossible [cf p.24] », déplore ainsi Simon Houriez. Et de poursuivre : « Il me semble qu’on se trompe de question. Si on ne peut faire entendre un sourd, pourquoi ne pas simplement chercher à l ’épanouir ? ». Néanmoins, pour ne pas rester un vœu pieux, le souci d ’« épanouir les sourds » induit une réflexion sur l’accessibilité qui passe par

la compréhension des besoins spécifiques des personnes visées. Mettre à disposition des contenus culturels ne suffit pas à leur appropriation. L’équipe de Conte sur tes doigts (nom que porte l’association jusqu’à 2009) l’a vite mesuré : « Lors des ateliers qu’on animait dans les écoles, on s’est rendu compte que les enfants sourds avaient du mal à imaginer des histoires. Et pendant les spectacles, pas mal de choses qui nous semblaient évidentes leur échappaient : les références à d’autres contes, mais aussi le principe des intrigues, l’idée d’un nœud dramatique, d’un dénouement. Quand j’en parlais aux spécialistes, on me répondait « ces enfants ne savent pas imaginer, ne savent pas abstraire ». Je trouvais ça surprenant. Et puis j’ai réalisé que finalement, c’était moins une question de capacité physiologique qu’une question d’accès aux

histoires. On ne peut pas demander à des enfants d’inventer quelque chose s’ils ne disposent pas, au préalable, d’un minimum de référents susceptibles d’être ré-agencés, recomposés ». Aussi, très vite se pose la question de l’accessibilité des livres aux jeunes enfants sourds.

Renouer avec le livreÀ l ’époque, Simon Houriez arpente librairies et bibliothèques, rencontre familles, professionnels de la surdité et acteurs de la chaîne du livre. Et très vite, cerne deux problèmes majeurs. D’abord les relations très chaotiques qu’entretiennent les (jeunes) sourds à la lecture et au français écrit [cf, p.24]. Mais aussi l’état embryonnaire de l’édition spécialisée : « Pour schématiser, il existait des lexiques de langue des signes, des livres sur la surdité ou sur la LSF et des histoires qui

L’Histoire à premières vues © Thomas Chatagner, 2010

...

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¶ SIGNES DE SENS

mettent en scène un personnage sourd. Bref, trop peu d’ouvrages qui parlaient aux sourds d ’autres choses que de surdité » se souvient Simon. « Il n’y a pas là de quoi s’épanouir, ni éveiller un enfant à la compréhension du monde… » L’équipe décide alors, dès 2005, de se lancer dans l’édition avec deux objectifs : « familiariser l’enfant avec l’objet livre en créant des souvenirs positifs liés à la lecture » et « ouvrir des espaces d’apprentissage nouveaux en le faisant sortir de son environnement proche ». Elle travaille alors à la création de supports innovants, des livres-dvd, qui, selon un mode combinatoire, multiplient les voies d’accès aux contenus pédagogiques. Les informations contenues dans l’image et le texte du support papier sont ainsi prolongées et complétées par les interventions vidéo d’un comédien sourd, puis par des jeux interactifs.« On a avancé empiriquement, en procédant par essais-erreurs, en testant nos livres dans les ateliers et salons. Chacun d’eux a permis le développement du suivant, plus abouti », explique Simon Houriez.

« Ce travail d’édition est à concevoir comme un champ de recherche et dévelop-pement », même s’il s’est considérablement professionnalisé depuis 2005, au point de donner naissance à une maison d’édition autonome (depuis 2009, Conte sur tes doigts ne désigne plus que l’activité édi-

toriale, l’association est rebaptisée Signes de Sens). Aujourd’hui, Conte sur tes doigts compte six titres à son catalogue. Confor-mément au souci fondateur de décloisonner les publics, ces imagiers animés, car-nets d’enquêtes teintés de fantastique et albums jeunesse portant sur l’histoire ou les cultures du monde, s’adressent autant aux jeunes sourds qu’aux entendants. Ils mêlent français écrit (texte et sous-titres du dvd), gestes (mimes ou langue des signes), et images (papier ou animées).

Ce que les sourds ont à nous direLe travail acharné sur ces livres (un budget de 30 000 à 50 000 euros par titre), a permis et entraîné une réorientation de l’as-sociation mère. Chaque obstacle rencontré ouvrant sur une nouvelle zone d’ombre de la prise en charge de ce public, il a autorisé le développement de nouvelles activités pédagogiques ou de médiation qui puisent dans les observations de l’équipe. « Finale-ment, l’accessibilité n’est pas un enjeu en soi mais un des paramètres de la transmission des savoirs. En se penchant sur les besoins spécifiques d’une communauté, on a mis le doigt sur un certain nombre d’impensés qui invitent à ré-envisager les outils de média-tion en général. Car quel que soit le public, il faut dissocier différents axes de travail : susciter l’envie d’apprendre, s’assurer de la bonne compréhension des informations, entretenir l’attachement de l’apprenant au support, mais également ne pas négliger la mémorisation et la ré-exploitation des don-nées. Chacun de ces axes correspond à des enjeux qui appellent des exigences et des savoir-faire différents. » Sollicitée par le Quai Branly, l’association a donné une forme tangible à cette réflexion :

« On a avancé empiriquement,en procédant paressais-erreurs »

L’équipe de Signes de Sens © Signes de Sens, 2011. De gauche à droite, au premier plan : Karine Porchet, Aurélia Fleury, Aurélie Brulavoine, Julie Houriez, Sandrine Basset. 2nd plan : Kateline Le Meliner, Jocelyne Houriez, Félicien Bineau, Marie Milville, Simon Houriez, Fanny Maugard

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SIGNES DE SENS ¶

une application pour Ipad (prévue pour décembre 2012). S’il est animé par un comédien sourd, ce jeu de piste exigeant à travers les collections est conçu comme un outil tout public. À l’image des livres, il associe à la langue des signes l’image, le texte et la voix.

ElixEn parallèle, Signes de Sens travaille à la mise en place d’outils plus ciblés pour « permettre aux sourds de se cultiver et de se construire ». Depuis 2009, elle contribue activement à la professionnalisation de guides sourds (création d’un réseau, formations…) et à la systématisation des visites en langue des signes dans les musées de la région (LAM, MUba, musée des Flandres…). Avec la mise en ligne du site Elix en 2011, l’association va plus loin. Exploitant le potentiel offert par les réseaux sociaux, cette plate-forme internet donne accès à un éventail de ressources et de contenus pédagogiques : une vidéothèque en LSF sur le modèle de Youtube ; un dictionnaire en ligne (traductions signées des définitions) ; un agenda national des manifestations

culturelles adaptées aux personnes sourdes et, bientôt, des sessions d’e-learning (en cours de développement). Elix fournit également un espace d’expres-sion inédit propice à l’émergence d’une culture sourde. Car les 1 100 membres déjà enregistrés peuvent bien sûr apprendre et échanger mais aussi contribuer à l’enri-chissement de la langue des signes fran-çaise. « La LSF souffre d’une jeunesse lexicale. Encore aujourd’hui, il existe de nombreux domaines, notamment spé-cialisés, qu'elle n'a pas investis ». Par des vidéos postées sur le site, chacun peut ainsi proposer un signe quand celui-ci n’existe pas, et participer, par un système de vote, à l’élection du signe le plus per-tinent. De couronne dentaire à mandi-bule, en passant par crêpage, bigoudi ou corniche en corbeille, on observe les trous lexicaux se combler peu à peu. « Car sou-tenir l’épanouissement des sourds, c’est aussi leur donner les moyens de déve-lopper et de maîtriser leur propre langue : c’est par la langue qu’on s’approprie son environnement. » CQFD.

JUDITH OLIVER

Association Signes de Sens

76 boulevard Jean-Baptiste Lebas, 59000 Lille

Téléphone : 03 20 06 00 45 - 06 98 68 67 96

Site internet : www.signesdesens.org

Email : [email protected]

Elix

Réseau social en langue des signes,

Elix, c’est un dictionnaire, une vidéothèque

et une communauté en LSF.

http://elix-lsf.fr

Illustration du livre-dvd « Autour du monde à premières vues » © Zookeeper, 2010

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¶ SIGNES DE SENS

Qu’est-ce que la surdité ?On estime autour de 5 millions le nombre de « déficients auditifs » en France métro-politaine. Ces chiffres, publiés sur le site du Centre d’information sur la surdité Nord – Pas de Calais, couvrent toutefois une réalité hétérogène : il existe une grande variété de profils liés à l’âge (les personnes âgées sont incluses dans le calcul), à l’his-toire individuelle (sourds de naissance ou devenus sourds), aux modes de communi-cation (LSF, oral…), au degré et à la struc-ture de surdité, à la nature et à la densité des réseaux sociaux, au parcours familial, scolaire, professionnel… On estime à 300 000 le nombre de sourds profonds, dont 200 000 le seraient devenus à l’âge adulte et 80 000 avant l’acquisition de la parole (2 % seulement pour cause héréditaire). Ces chiffres res-tent des estimations, qui varient amplement d’une source à l’autre. Ils établissent néanmoins tous qu’il s’agit du handicap le plus courant en France, devant la cécité.

Surdité et malentendance Là encore, les frontières sont mal définies. Il est communément admis que pour les personnes sourdes, la compréhension passe essentiel-lement par la voie visuelle (LSF, lecture labiale…). Malgré les appareils auditifs, ces dernières n’entendent pas (ou mal) et ne comprennent pas les informations sonores. À l’inverse, pour les personnes malenten-dantes, la compréhension passe surtout par la voie auditive et peut être complétée par la voie visuelle (lecture labiale par exemple). Avec ou sans appareils auditifs, celles-ci sont en mesure d’entendre et de comprendre. Le site du Signal (www.lesi-gnal.fr) nous invite cependant à la plus grande prudence quant à ces terminolo-gies : « Entendre n’est pas comprendre. Les personnes sourdes peuvent réagir à un bruit sans comprendre ce qu’on leur dit. Il arrive aussi que les personnes malentendantes ne

réagissent pas à un bruit tout en comprenant la parole. Plus généralement, nous laissons à chacun le soin de se définir comme sourd ou malentendant. »

La langue des signes La langue des signes désigne un mode de communication non verbal, qui repose sur un corpus de mouvements des mains, du corps et d’expressions du visage. Dès la fin des années 1960, elle a été reconnue comme une langue à part entière par les linguistes, même si sa syntaxe, très dif-férente des langues vocales, fait encore l’objet de recherches universitaires. For-malisé par à-coups, son lexique est en

perpétuelle évolution, pour répondre à des besoins nouveaux ou suivre l’accès des sourds à un nombre croissant de domaines spécialisés (vocabulaire médical, judi-ciaire, professionnel, historique…). Ce mode de communication alternatif a commencé à être mis en forme en Europe dès les XVIIe (Espagne) et XVIIIe siècle (France, avec l’Abbé de l’Epée) afin de transmettre le message biblique aux sourds. Et ce sont les missionnaires qui ont contribué à sa diffusion à l’ensemble du monde. Pour autant, la langue des signes n’est pas une langue universelle : elle est différente d’un pays à l’autre et connaît des variations régionales. On parle ainsi de langue des signes française (LSF), américaine,

algérienne, turque ou ougandaise…En France, comme dans d’autres pays, la langue des signes a longtemps été interdite. De 1880 (Congrès international de Milan) à 1991 (voire 2005 pour certains), la LSF a ainsi été bannie des lieux d’enseignement hexagonaux au profit du français écrit et de la lecture labiale. Elle a néanmoins survécu en se transmettant hors de ces enceintes. L’étude historique de la langue des signes a donné lieu à des ouvrages passionnants, notamment celui d’Harlane Lane, Quand l’esprit entend, histoire des sourds et muets (Odile Jacob).

L’illettrisme chez les sourdsSi les situations sont très variables (notamment en fonction du degré de surdité et du moment de la perte de l’ouïe), beaucoup de sourds ne s’ap-proprient pas l’écrit et la lecture malgré des années d’apprentissage. On estime ainsi entre 60 et 80 % le taux d’illettrisme dans cette popu-lation (vs 9 % de la population enten-dante). Comme pour les étrangers dont ce n’est pas la langue mater-nelle, le déchiffrage du français écrit suppose pour les sourds un travail laborieux (richesse du vocabulaire, polysémie, complexité de la syntaxe…)

qui les prive bien souvent de tout plaisir de lire. Chez ceux qui ont perdu l’ouïe tôt, ce déchiffrage est entravé par des difficultés supplémentaires (structures des langues signées et orales radicalement différentes, présence de conjugaisons et de déclinai-sons temporelles inexistantes en LSF…) qui ne sont pas toujours prises en compte dans les écoles. En résulte un blocage psycho-logique et une position de rejet que décrit bien Marie-Thérèse l’Huillier (présenta-trice de l’émission télévisuelle « Mes Mains ont la parole » puis productrice de « l’Œil et la main ») dans son témoignage biogra-phique « Sourde, comment j’ai appris à lire » (publié en 1992, dans Voies Livres no62).

J.O.

Pour aller plus loin…

Application pour iPad «Muséo» © Signes de sens, 2010

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SIGNES DE SENS ¶

Quelques chiffres :

11 salariés, 17 spectacles, 12 ateliers, 8 formations et 17 visites en 2011, 1 200 personnes concernées, 6 livres-dvd, tirés entre 500 et 2000 exemplaires, budget par livre : entre 30 et 50 000 euros, total ventes : 4 500 exemplaires, budget 2011 : 500 000 euros.

Quelques dates :

2003 : Création de l’association Conte sur tes doigts. Mise en place de spectacles et d’ateliers pour sourds et entendants.

2005 : Les Enfants-Poupées, livre-dvd à partir de 8 ans. 65 p., 25 euros (épuisé). Enquête sur la légende d’Akabar, destinée aux ados sourds et entendants (langue des signes sous-titrée, voix off, images ani-mées… ).

2006 : Le Grand Voyage, livre-dvd d’éveil et de jeux sur les transports à destination des tout petits (sourds et entendants). À partir de 2 ans, 17 euros (épuisé).Développement de la diffusion (ADAV, colaco, CVS, Hoptoys, VHS, Visucom), structuration de la chaîne de production audiovisuelle (internalisée).

2007 : La Malédiction, suite des Enfants-Poupées, deuxième livre-dvd de la col-lection « Carnets d’enquête ». À partir de 8 ans. 72 p., 25 euros.

2008 : Animaux en mouvement, nouvel imagier animé sur le thème des animaux. Ajout d’animations 3D et de jeux inte-ractifs dans le DVD. Gagne le 1er prix du Concours Impact au Salon des entrepre-neurs de Paris. Dès 3 ans. 32 p., 20 euros.Conte sur tes doigts devient Signes de sens. Conte sur tes doigts devient une maison d’édition à part entière, tandis que l’asso-ciation change de nom pour refléter sa réo-rientation sur l’accessibilité aux savoirs.

2009 : L’Histoire à premières vues, premier tome de la collection « À premières vues » : découverte des grandes périodes histo-riques de la Préhistoire à nos jours. Au livre-dvd s’ajoute un mini site internet. 1er prix de La Créativité et de l’Innovation dans la caté-gorie « Éveiller ». Dès 5 ans. 34 p., 22 euros. Mise en place des visites en LSF dans les musées de la région, en lien avec l’associa-tion Trèfle d’Arras.Professionnalisation et création d’un réseau de guides sourds.

2010 : Autour du monde à premières vues, deuxième tome de la collection « À pre-mières vues » portant sur les cultures du monde. Dès 5 ans. 32 p., 22 euros.Il était une fois, troisième imagier animé sur le thème des personnages de conte. (DVD : langue des signes, animations, jeux interactifs) Dès 2 ans. 34 p., 17 euros.

2011-2012 : Création du site Elix.

Signes de Sens mode d’emploi

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« Des livres il y en a partout, on ne sait plus quoi en faire, c’est effrayant. Tout le monde est fas-ciné par les livres, mais l’immense

majorité ne vaut rien. Un livre ancien peut ne rien valoir s’il ne nous parle plus. Même un livre très rare, emblématique, si je n’ai pas de client susceptible d’en reconnaître la rareté, je reste avec. » François Giard, libraire d’ancien à Lille, pose la probléma-tique de son métier. Il a été libraire « en chambre », sans magasin, avant d’ouvrir pignon sur rue il y a dix ans. C’est l’atavisme familial qui l’a conduit : il est, en 200 ans, le 18e d’une longue lignée de libraires. « Mon père ne vendait que du livre ancien, il ne faisait pas grand cas du XIXe siècle. » L’époque moderne du livre commence en effet dans les années 1800. Il se démocratise, s’industrialise, perd au fil du temps de sa singularité, donc de sa valeur aux yeux des puristes.

Une subtile alchimieDe grands imprimeurs, typographes ou relieurs ont pourtant porté nombre de livres modernes au rang de pièces exceptionnelles,

comme ce Banquet de Platon, imprimé en 1935 sur un vélin de mouton immaculé par Maurice Parantière, un des plus grands imprimeurs du XXe siècle, et relié par Huser, dont François Giard propose à la vente un des huit exemplaires. Il en coûtera 3 000 euros à l’amateur éclairé. « Ce qui fait la valeur d’un livre, souligne le libraire, c’est sa rareté, le papier, le typographe, l’auteur, le texte, l’illustrateur, la reliure, la provenance… et aussi le goût du libraire, sa capacité à l’imposer, à le défendre intellectuellement. » La valeur d’un livre repose sur une subtile alchimie entre des éléments intrinsèques au livre, que l’on peut décrire, coter, et l’environnement dans lequel il est proposé à la vente : le niveau de clientèle et le regard qu’elle porte sur lui, le niveau de l’offre, la personnalité du libraire…

Des métiers différentsLe libraire d’ancien est multiple. Il est forain, travaillant exclusivement sur les marchés ; il développe son activité sur les salons, sur catalogue ou internet ; il est généraliste avec pignon sur rue ou spécialisé, dans les grandes villes – essentiellement Paris ; il n’a

que cette activité pour vivre ou la pratique en complément de revenus… autant d’iti-néraires personnels différents qui procè-dent de métiers différents. « Il y a autant de façon de pratiquer le métier qu’il y a de libraires », commentait l’un d’eux au récent Salon du livre ancien de Wasquehal.À la Vieille Bourse à Lille, les bouquinistes mêlent livres d’occasion, accessibles au chaland, et livres plus exigeants. Marie-Pascale Dubois est la plus ancienne des huit bouquinistes de la cour carrée. Depuis 1983, les après-midis du mercredi au dimanche, elle ouvre ses boîtes aux habitués et aux flâneurs. Beaucoup de livres de poche, SF et polars surtout, des cartes postales anciennes… En presque 30 ans, elle en a vu passer des badauds. Des vendeurs aussi : elle a connu l’époque des fleuristes, des numismates… Aujourd’hui, la ville accorde des places aux vendeurs d’affiches et de gadgets, qui détonnent sous les arcades de cette cour du XVIIe…

« Je suis dans l’irrationnel »François, lui, est arrivé il y a 15 ans. Alors prof d’économie-gestion, il fréquentait les lieux comme joueur d’échecs ; un

Libraires d’ancien :à la croisée des mondesLe livre ancien fascine. Objet sacré qui porte les traces intimes de celui à qui il a appartenu et le prestige de ceux qui lui ont donné forme, exemplaire épuisé devenu précieux ou simple livre de seconde main trouvé au détour d’un mar-ché mais qu’on a toujours voulu lire… Il est aussi multiple que ceux qui en font commerce. À l’heure du numérique, des pans entiers alimenteront à terme les filières de recyclage. Resteront les livres rares cultivés par les bibliophiles. Tour d’horizon d’un métier en apesanteur.

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¶ LIVRE ANCIEN

bouquiniste a eu besoin d’un remplaçant pendant un mois, il s’est laissé tenter, avant qu’un départ lui permette de poser sa candidature à un stand. En complément de revenu les premières années, puis définitivement. « Être bouquiniste ici, ça donne un sentiment d’indépendance réel. » Il parle aussi de cette « ambiance particulière ». Devenu lui-même collectionneur, de livres début XXe consacrés à l’Afrique et aux voyages, il cherche pour son étalage « le mouton à cinq pattes », en privilégiant l’état du livre et la qualité de l’édition ; « je suis dans l’irrationnel, avec des choix très subjectifs et pas toujours faciles à vendre… ».

« Un sujet bizarre, un livre interdit »Vendre. Le catalogue est encore un vecteur privilégié chez nombre de libraires. Si pour François Giard cette sélection récurrente et soigneuse d’exem-plaires uniques « fait un heureux et des malheureux qui vous en veulent pendant des années », elle reste chez Godon à Lille une marque de fabrique. Son « Amu-sement d’un Lillois », tiré six fois par an à 800 exemplaires, revendique un côté décalé, aty-pique, avec « ce qui sort de l’ordi-naire, un sujet bizarre, un livre interdit… » La moitié est vendue dans les 15 jours qui suivent l’envoi aux clients, dont une grande partie résident en région parisienne – « Il y a peu de bibliophiles dans la région ». C’est, avec leur librairie et les salons, un des trois principaux canaux de vente de Sylviane et Jérôme Godon ; internet ne représente que 5 % du chiffre d’affaires.Ils ont démarré en 1987 et sont installés depuis 1997 rue Masurel, avant que les bou-tiques chics ne transforment le paysage… et les loyers. Les Godon étaient architectes d’intérieur dans une autre vie, mais aussi collectionneurs de tout ce qui avait trait

au cinéma, sous forme papier. De leur pas-sion, ils ont fait leur métier. Mais la spécia-lisation n’ayant pas de salut hors Paris, ils se sont fait généralistes et se fournissent auprès des particuliers qui les sollicitent, sur des marchés spécialisés ou en salles des ventes.

L’adrénalinePatrick Hurtrelle, installé à Arras dans son « Continent mystérieux » se fournit

lui essentiellement auprès des particu-liers, qui trouvent dans son échoppe d’un autre âge, à côté du beffroi et de la place du marché, le seul dépositaire du livre ancien à Arras. Livres sur l’Artois – « ils valorisent et crédibilisent, même si je ne les vends pas » –, histoire militaire, beaux livres… Patrick Hurtrelle était bibliophile et libraire chez Brunet depuis 25 ans quand il s’est lancé à la suite d’un licenciement en vendant sa propre bibliothèque qui fut bien vite reconstituée : « j’ai gagné ma vie dès le premier mois ; Arras est la meilleure

ville pour le livre ! ». Ce qu’il préfère dans ce métier ? Acheter ! « C’est ça qui fait monter l’adrénaline ! » Patrick Hurtrelle semble être un des rares libraires d’ancien confiants. La plupart jettent sur le marché du livre ancien un regard inquiet.

Fort ChabrolPascal Salmon, de La Voix au Chapitre, à Lille, compare sa profession et celle des libraires de neuf : « On est sur le même

bateau, on a l’avenir dans le rétro .»En l’espace de dix ans, il a vu s’envoler l’attrait pour le livre, et quand il voit que l’achat d’une tablette permet aux nouvelles génération le téléchargement gratuit de 1 500 titres, il ne peut que lancer : « No Futur ». Il réalise 80 % de ses ventes sur internet, « sinon on n’existerait plus ». Mais là aussi, entre les particuliers qui cherchent à vendre leurs propres livres et les bulldozers du web, « on est entre le marteau et l’enclume ».Il a commencé comme marchand de cartes postales, et puis « il a fallu habiller les murs », et il a préféré les livres aux objets. En 25 ans, s’en est suivie la tenue de près de dix maga-sins à travers le Nord. Lille est son ultime pied à terre, « fort Chabrol ». Les libraires d’ancien ne sont pas confrontés à la hausse de la TVA, ils fixent eux-mêmes leur prix… Ont-ils pour autant un sort plus enviable que leurs confrères du livre neuf ? Un libraire toulousain résume sur

un blog : « Tout le monde est acheteur et vendeur, du particulier au brocanteur. Le bon livre devient cher. Si vous ne faites pas une offre conséquente au vendeur, vous passez pour un escroc ou vous ratez l’af-faire : le vendeur ira lui-même vendre sur internet. » Le XIXe siècle a transformé l’édition du livre, le XXIe bouleverse la chaîne tradi-tionnelle du livre. Les libraires d’ancien aussi sont à la croisée des chemins.

SOPHIE PECQUET

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LIVRE ANCIEN ¶

Le livre ancien dans la région a son asso-ciation. « C’est la moindre des choses : il y a bien l’ordre des médecins ! » écrit Michel Quint en ouverture de la plaquette de Lille livres anciens Nord – Pas de Calais. Comme s’il fallait souligner son rôle de garant d’une éthique, d’un savoir-faire, d’une tradition – autant que celui de remède ? Remède à l’éparpillement, aux rangs qui se clairsèment… S’unir pour « défendre, sauvegarder, promouvoir le livre ancien », argumente le président de l’association, Dominique Letellier, de la librairie épo-nyme, réélu en février dernier pour un 3e

mandat. Créée en 2000 à l’initiative de Bernard Musa (librairie Vauban collec-tion), Lille livres anciens rassemble 23 libraires d’ancien et d’occasion, l’asso-ciation Esquelbecq village du livre et six relieurs-restaurateurs. De lilloise, elle est devenue régionale. Son objet principal est

l’organisation à Lille du Salon du livre ancien, « un salon non élitiste pour les amoureux du livre ». Le premier s’est tenu à Lille Grand Palais en octobre 2000, avant d’intégrer un espace plus à sa mesure l’année suivante, le Gymnase, grâce au soutien de la ville. La dernière édition a accueilli une trentaine de libraires (venant aussi de Belgique, de Normandie ou de l’est), trois professionnels de la reliure et plus de 1 000 visiteurs. Cette manifesta-tion est le pendant d’automne d’un salon similaire qui se tient à Wasquehal chaque année au printemps depuis 22 ans.La 13e édition du Salon du livre ancien de Lille se tiendra les 13 et 14 octobre pro-chains, salle du gymnase, place Sébastopol.

S.P.Association Lille Livres Anciens

BP 102 59027 Lille Cedex, tél. : 03 20 06 46 16

[email protected] / www.lillelivresanciens.fr

Association Lille livres anciensNord – Pas de Calais

Au sens strict, peuvent être appelés « livres anciens » les livres publiés avant 1800. Après cette date, les machines, le papier, les procédés de fabrication changent. La période romantique démocratise le livre ; la bibliophilie se répand au XIXe siècle.Le terme de « librairie ancienne » apparaît en 1804 pour la distinguer de la librairie

« nouvelle », qui se consacrait aux nou-veautés. Depuis 1914, un syndicat national est consacré à la librairie ancienne et moderne, dédiée aux « livres et documents anciens, d’hier jusqu’à nos jours, et aux livres récents épuisés, par opposition à la « librairie », dont le domaine est le livre neuf et disponible chez les éditeurs ». S.P.

Vous avez dit livre ancien ?

Photos page 28En haut à gauche : Sylviane et Jérôme Godon, Librairie Godon, 16 rue Masurel, Lille, 03 20 03 56 19En haut à droite : François Giard, Librairie Giard 17 bis rue Saint Jacques, Lille, 03 20 42 01 86En bas à gauche : Marie-Christine et Pascal Salmon, La Voix au Chapitre, 273 rue Nationale, Lille, 06 09 92 11 74En bas à droite : Patrick Hurtrelle, Le Continent mystérieux, 6 rue de la Braderie, Arras, 03 21 55 21 50

Dominique Letellier, président de l’association Lille livres anciens

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Relieurs, restaurateurs :les artisans du livreRestauration et reliure étaient il y a 20 ans deux branches bien distinctes, avec chacune leur déontologie, leurs codes, leurs matériaux… La frontière est plus poreuse aujourd’hui. Portrait de trois artisans de l’art qui impri-ment leur sensibilité à leur métier.

DE fibre littéraire avec un fort penchant pou r l ’activ ité manuelle, Isabelle Lacheré était fascinée par les livres

anciens. Après un stage à l’Atelier de la sorcière verte à Lille, en 1997, elle s’inscrit au lycée de Tolbiac à Paris : CAP arts de la reliure et brevet des métiers d’art en poche, un concours s’ouvre à la BnF grâce auquel elle rejoint son atelier de restauration. Elle y est formée sur le tas, avec des livres très prestigieux : un manuscrit d’Olympe de Gouges, des épreuves corrigées de la main de Baudelaire… Aujourd’hui installée à Saint-Omer, elle pratique la restauration – « on travaille sur l’histoire du livre ; c’est

très minutieux, il faut respecter avant tout le travail fait à l’origine » – mais aussi la reliure – « là on peut se faire vraiment plaisir ». Elle se souvient d’un travail de restauration sur un des manuscrits enlu-minés des XIIIe-XIVe siècles conservés à la bibliothèque municipale de Saint-Omer : « la fraîcheur de ce livre ! ». Un fonds excep-tionnel, exposé régulièrement dans la salle patrimoniale. Mais elle attache autant d’importance aux ouvrages qui n’ont de valeur que sentimentale : un livre de cui-sine transmis de mère en fille, ce livre de contes que son grand-père avait reçu pour sa communion, que sa mère lui lisait et qu’elle lit aujourd’hui à sa fille ou encore deux cahiers d’écriture qu’un client tenait de son arrière-grand-père et qu’une reliure, pour laquelle elle a récupéré l’étiquette en cuir où figurait son nom, protégera.

Géraldine Venant Mouroux, elle, se consacre exclusivement à la restauration. Elle préfère fondre ses gestes dans ceux de ses prédéces-seurs plutôt que de les aventurer dans des créations. Greffer un cuir neuf aux endroits où il manque, plutôt que de tout enlever et

perdre « un témoignage de l’histoire de la reliure et de l’artisan ». Glisser entre les lèvres d’une déchirure un papier japon avec une colle neutre et réversible. Combler des trous de vrillettes avec une pâte à papier faite de chiffons de lin… « C’est le contact avec le travail ancien que je recherchais, le souci de conservation, du vieillissement… » Elle évoque les carnets de Marceline Des-bordes-Valmore, à la bibliothèque de Douai, ou un livre ayant appartenu à Jules Verne et annoté de sa main, et son œil brille d’avoir été si proche de « l’intimité de la personne ». Elle évoque aussi ces livres très anciens aux sujets très pointus, comme le premier livre de médecine, du XVIe siècle, illustré de planches anatomiques et coté plus de 100 000 euros. Le virus, elle l’attrape à 16 ans lors d’un stage de découverte chez un relieur à Dunkerque. Formée à l’Atelier d’art appliqué du Vésinet, elle suit parallèlement un cursus d’histoire de l’art. Aucun concours BNF ou archives nationales n’étant ouvert à sa sortie, elle s’installe à son compte. Ses clients sont à part égale les bibliothèques, les particuliers et les libraires d’ancien. Établie depuis sept ans à Steenvoorde, elle vient de déménager à Boulogne.

¶ LIVRE ANCIEN

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VIENT DE PARAÎTRE

Jean-Claude-Emile Perrin vient de publier, par souscription, la seconde édition de son Glossaire du papetier. Il compte désormais 824 termes expliqués, des mots anciens qui font l’histoire de la papeterie et du livre aux dernières normes environnementales, et 130 illustrations. L’ancien papetier tradi-tionnel des Vosges, installé à Bousbecque, en a confié l’impression sur papier PEFC 120 g à Deschamps à Neuville-en-Ferrain.

Pour commander l’ouvrage :http://glossaire-du-papetier.blogspot.com

Hervé Delecourt aurait pu être menuisier, mais à 18 ans, après trois ans d’apprentis-sage sans passion, il choisit de rejoindre l’armée. Elle le gardera 25 ans. C’est là qu’il découvre les livres anciens comme secrétaire documentaliste archiviste à Vincennes, pendant sept ans. Un déclen-cheur. Retraité de l’armée, il renoue avec le travail manuel et passe son CAP de relieur, à 52 ans. Et voilà trois ans qu’il est installé dans son garage transformé en atelier, à Haubourdin, à l’enseigne de la Pomme d’or. Il prépare pour un particulier une première édition de 1919 des Croix de bois de Dorgelès, qu’il va relier plein cuir mosaïqué. D’autres ouvrages reposent sous presse après avoir été débrochés, net-toyés, réparés… Il égrène toutes les étapes avec ces mots d’un autre âge : la plaçure, le corps d’ouvrage, l’aprêture, la couvrure, la finissure, la visiture… Un précieux livre d’heures a trouvé une savante boîte à sa mesure, un dictionnaire bilingue de poche fatigué, une seconde jeunesse. Qu’il pas-tiche des reliures du XVIe ou relie pour une mairie des documents d’état civil, il dit y prendre le même plaisir. « C’est le fini qui m’intéresse, le travail bien fait. » Sous-mains pleine peau, boîtes, albums photos… il décline son savoir-faire à la demande et le transmet, de l’initiation à la prépara-tion du CAP arts de la reliure. Lui se fixe comme objectif de décrocher le brevet des métiers d’art, et d’un jour devenir meilleur ouvrier de France.

SOPHIE PECQUET

Photos page 30

En haut à gauche : Isabelle Lacheré : Le Sens du papier, 10

bis rue Hendricq 62500 Saint-Omer. www.lesensdupapier.fr

Au centre : Géraldine Venant Mouroux : 36 rue Aspirant

Leuregans 62200 Boulogne-sur-Mer. www.venant-mouroux.com

En bas à droite : Hervé Delecourt : Atelier de reliure de la

Pomme d’or, 25 rue J.F. Kennedy 59320 Haubourdin.

reliuredelapommedor.pagesperso-orange.fr

LIVRE ANCIEN ¶

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« On peut vivre de ça ? » Michel Grisolet s’amuse encore de la réaction d’une de ses voisines au bon sens flamand, quand il s’est installé parmi les tout premiers sur la place d’Esquelbecq en 2008. Tout comme son collègue Gilbert

Mertens, bouquiniste belge qui revoit le conseil municipal lui demander à son arrivée s’il allait faire des gaufres… Ces deux anecdotes montrent le chemin qu’il a fallu parcourir pour que ce petit village de 2 200 habitants se lance tout entier dans ce projet culturel, touristique et économique ambitieux. Car dans ce secteur rural, si l’on compte bien un château classé et un saint, l’évêque Folquin, il n’y avait aucune légitimité particulière à développer un tel projet. Et jusqu’alors pas un seul commerce où acheter un livre…

Une nuit, des cafés, des marchésTout a démarré d’une initiative personnelle, celle d’Evelyne Valois, alors pharmacienne à Esquelbecq. Depuis toujours, elle aime les livres et ce n’est que poussée par ses parents qu’elle a embrassé une carrière scientifique. Elle réalise aujourd’hui son rêve en épau-lant sa fille Charlotte à la tête de la librairie Tirloy à Lille. Mais en 2007, elle n’en est pas encore là. Voilà qu’un ami lui envoie un article de presse relatant la création du village du livre de Fon-tenoy-la-Joûte et sa quinzaine de bouquinistes miraculeusement installés au milieu de la campagne lorraine. Emballée par l’idée, elle réunit une « quinzaine de fous », crée l’association « Esquel-becq, village du livre », qu’elle préside toujours et lance la première nuit du livre, le « 07/07/07 », comme un heureux présage. La 5e édition se tiendra justement cette année, encore un 7 juillet. L’événement attire près de 5 000 visiteurs et une centaine de professionnels du livre, artistes et auteurs. Dans l’année,

Esquelbecq, village du livreà la croisée des chemins…

l’association organise aussi tous les deux mois des cafés littéraires et a noué des liens avec la Villa Yourcenar, l’association Escales des Lettres ou le musée de Cassel. Le troisième dimanche de chaque mois, entre octobre et juin, se tient également un marché aux livres qui réunit une douzaine de professionnels. Enfin se prépare pour la fin de l'année, un bal littéraire autour de Boris Vian. L’ensemble de ces projets étant porté par une équipe d’une soixantaine de bénévoles.

Sur le papier, l’idée tient la route. Faire d’un joli village des Flandres un lieu de rencontre autour du livre, à l’ins-tar de sept autres en France, comme Bécherel ou Fonte-noy-la-Joûte. Lancé en 2007 par une équipe de bénévoles, le projet nordiste a attiré huit bouquinistes. Mais entre passion et raison professionnelle, engagement associatif et réalité économique, il a encore du mal à trouver son souffle. La commune et la Région s’engagent heureuse-ment à prendre le relais, pour que l’aventure continue.

¶ ESQUELBECQ…

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Des bouquinistes et des bonnes volontés Au-delà des manifestations et événements ponctuels, le Village du livre, ce sont aussi les bouquinistes qui le font vivre. Ils sont aujourd’hui huit. C’est à la fois peu et déjà pas si mal. Certains ferment en semaine, mais les visiteurs sont rares en dehors des week-ends et les bouquinistes doivent aussi trouver du temps pour prospecter et alimenter leur fonds. Chaque bouquiniste reçoit une allocation de 2 000 euros pour cou-vrir ses frais d’installation, mais charge à lui ensuite de faire tourner sa boutique, ce qui est une autre affaire. « Les bouqui-nistes ont du tempérament. Ils sont individualistes et indépen-dants, et pourtant, ils aimeraient qu’on les encadrent », commente Evelyne Valois qui doit souvent gérer les griefs. Loin de la seule passion qui anime les bénévoles, les commerçants suivent en effet leur logique économique. Et là où l’association parle de complé-mentarité, eux entendent concurrence. « On se retrouve parfois sur une même succession ou à enchérir sur un même lot en salle des ventes », épingle Michel Grisolet, qui voudrait que chacun se spécialise, voire plaide pour une charte de bonne pratique. Peu réaliste, répond Gilbert Mertens, pour qui un livre est un livre et donc potentiellement une vente… Lui préfère la jouer collectif, imaginant par exemple une vente aux enchères publique à laquelle chaque libraire contribuerait avec ses plus beaux ouvrages. L’association, elle, doit être un peu sur tous les feux. Attirer des visiteurs, mais aussi des clients. Faire venir des auteurs, mais aussi des commerçants. « Nous aimerions prendre un peu de recul et nous consacrer à l’organisation des événements autour du livre », remarque Evelyne Valois. Car à ce rythme, les bonnes volontés s’épuisent un peu. « L’association est partie comme pour un 100 m, mais c’est un marathon », remarque très justement Gilbert Mertens.

Un nécessaire relais Un marathon certes ou plutôt une course de relais. Car au-delà des intérêts de chacun, la commune s’est heureusement très tôt posi-tionnée en faveur du projet. « C’est un vrai choix de développement, pour maintenir la vie dans le village », explique Jean-Michel Devynck, le maire d’Esquelbecq, qui, après la création de la Maison du Westoeck, voit dans le Village du livre une façon de mettre en valeur la ruralité. « On refuse de voir disparaître notre identité. On doit donc réussir, c’est vital ». Quitte à consentir à un gros effort financier. Cette année, 350 000 euros, soit près de 20 % du budget de la commune, iront au

Village du livre. Si la commune subventionne la Nuit du livre (à hau-teur de 3 000 euros) et met à disposition personnel et matériel, elle est surtout active dans l’achat d’un patrimoine immobilier dédié au projet. Elle loue ainsi une maison à des bouquinistes, une autre est en cours de rénovation et accueillera prochainement un céramiste qui vendra des livres d’arts et une troisième accueillera trois cellules commerciales. Elle récupérera aussi à terme l’ancienne minoterie. Depuis trois ans, elle a également un droit de préemption sur les commerces. Les inves-tissements fonciers (650 000 euros en 2012) sont financés en partie par des fonds européens, par le Département et par l’État. Un contrat de projet État-Région a également permis cette année d’embaucher une permanente à mi-temps et de développer la communication et la signa-létique. Un panneau sera ainsi posé sur l’A25 d’ici la fin de l’année, ainsi qu’un autre au niveau de la gare. « On est à la croisée des chemins, résume le maire. Si nous n’avions pas obtenu ces soutiens financiers, et en particulier celui de la Région, le projet serait tombé à l’eau. »

… VILLAGE DU LIVRE ¶

Hortense Verhaeghe (à gauche), chargée du développementet de la communication d’Esquelbecq Village du Livreet Evelyne Valois, présidente de l’association.

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¶ ESQUELBECQ…

Gilbert Mertens :businessman altruiste

SON voisin Michel Grisolet l’appelle Le Belge. Il lui renvoie du « mon ami ». Façon de résumer que les deux sont aussi diffé-rents qu’on peut l’imaginer. Epaulé par son épouse Salete,

Gilbert Mertens est l’archétype du bon commerçant : accueillant et souriant. Il est à la tête d’une vaste boutique de 200 m2. « Une grande surface », raille Michel de l’autre côté de la place. Il faut dire que pour bien faire, le couple a repris l’ancienne épicerie du village, ce qui n’a pas manqué de faire grincer les habitants, même si le commerce périclitait. L’enseigne, « L’Épicerie culturelle », n’est pas un pied de nez. Elle existait déjà à Fontenoy-la-Joûte, où le couple l’a précédemment rachetée. Belge donc et ancien directeur technique d’un grand hôtel, Gilbert sait faire marcher une affaire. À l’heure de la reconversion, il s’est tourné vers le livre pour être libre et profiter de la vie. « Mais je me suis d’abord dit : est-ce que cela va pouvoir m’occuper toute la journée ? ». Il se souvient encore de la première fois qu’il est venu avec Salete à Esquelbecq. « On a pensé que l’on s’était trompé », dit-il pour décrire son étonnement de trouver si peu d’activité. Mais le couple a cru au potentiel du village et fort de son expé-rience à Fontenoy-la-Joûte, où leur boutique est un peu en retrait, a investi la place. Surtout, ils n’ont pas lésiné, apportant un stock de 60 000 ouvrages, livres anciens ou d’occasion, et beaucoup de BD. « Nous avons un produit pour toute la famille », dit Gilbert, qui a clairement la bosse du commerce. Un site internet vient aussi compléter l’offre en magasin. « Je suis un businessman. J’achète et je vends du livre. Je veux en vivre, pas en survivre », dit-il en se réjouissant de ne plus voir « un seul jour avec zéro visiteur ». Cependant Gilbert ne la joue pas perso. Il est un des rares bouqui-nistes à faire partie du conseil d’administration de l’association « Esquelbecq Village du livre » et veut vraiment s’investir dans le projet. « Les bouquinistes, c’est pire que les vendeurs de timbres, dit-il pour résumer les petites rivalités. Plus on sera nombreux, et plus ça marchera. Mais il faut que tout le monde se parle et fonc-tionne avec tout le monde. Est-ce parce que je suis belge que je vois les choses comme ça… ? »

Un petit miracleFin mars, Esquelbecq s’est déplacée à Lille et a installé un mini vil-lage du livre dans le hall du Conseil régional. « On essaie de rendre ce que l’on nous donne, on s’investit vraiment », souligne Jean-Michel Devynck. Daniel Percheron, président de la Région, n’a pas manqué de lui rendre la politesse en qualifiant de « petit miracle » l’aventure de cette poignée d’administrés. « Nous allons vous aider et faire quelques folies budgétaires pour qu’Esquelbecq prenne son envol » a-t-il promis. Chacun a son idée sur la façon d’utiliser la manne. Michel, lui, a déjà écrit au maire pour lui proposer de s’intéresser au fonds de l’atelier du sculpteur Charles Gadenne, décédé en janvier, et rêve d’une statue sur la place… Mais l’avenir du village passe aussi par l’appropriation du projet par ceux qui y vivent au quotidien. Jean-François Quéniart, conteur et jardinier, va ainsi dédier un petit coin de son jardin des simples aux livres de jardinage. Jean-Marc Fleury, brocanteur, va ouvrir sa maison où se mélangeront livres et antiquités autour du thème de l’écriture. Et tous les habitants seront prochainement conviés à venir visiter Redu, dans les Ardennes belges. Cette petite commune, aujourd’hui jumelée avec Hay-on-Wye, qui a initié le concept de village du livre au Pays de Galles en 1964, comptait moins de 500 habitants au milieu des années 80. Avec sa vingtaine de bouquinistes et ses huit restaurants, c’est aujourd’hui l’un des villages les plus visités de Belgique…

MARIE-LAURE FRÉCHET

M.-L. F.Salete et Gilbert Mertens

…Gilbert et Salete Mertens L’Épicerie culturelle 3 place Bergerot 59470 Esquelbecq 03 28 62 40 58 [email protected]

Michel Grisolet SemellesOvent 15, grand Place 59470 Esquelbecq 03 28 22 34 [email protected]

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… VILLAGE DU LIVRE ¶

UN plancher qui grince comme la cale d’un vieux rafiot, une odeur d’encaustique qui signe la maison bien tenue et des livres et des livres, en piles et en tas. On débusque Michel au

fond de la boutique, derrière son bureau, à moitié enfoui (l’homme et le meuble) sous un fatras d’objets qui doivent sûrement faire sens pour lui. Si l’on ne connaît pas le bonhomme, on croit être tombé sur un misanthrope, car il bougonne, vous rabroue et d’après ses concitoyens fait souvent la gueule. Mais on aurait tort de tourner les talons. Michel, c’est un peu le capitaine Haddock : bourru, mais sensible. Et la comparaison ne s’arrête pas au caractère. Premier installé à Esquelbecq comme bouquiniste, Michel a d’abord été marin, embarqué avant même l’âge de 16 ans. « J’ai tout fait, raconte-t-il. La pêche, les ferrys, les vieux gréements ». Surtout il a fait la cuisine à bord. Façon de se trouver une planque… Et il a beaucoup lu. « Quand tu pars huit mois en mer, tu te fais chier à mort. J’ai commencé à lire avec le capitaine Cook, Moitessier et National Geographic. Sur le pont, en plein soleil à l’équateur avec un bouquin, la terre peut s’arrêter de tourner, tu n’en as rien à foutre… ». Le mariage le rattrape et il accoste à Dunkerque où il donne un coup de main en cuisine au Yacht club avant d’en tenir la barre

pendant cinq ans, puis de reprendre un plus petit établissement. « Mais la cuisine, c’est un métier de fou. J’ai commencé le trafic de bouquins ». Sous-entendu les brocantes et les marchés. « Et Evelyne m’a trouvé sur un trottoir ». La présidente de l’association Esquelbecq, village du livre, le convainc de venir s’installer dans une petite maison qu’elle a achetée sur la Grand-Place. « Ma femme est tombée amoureuse du jardin », dit-il pour ne pas avouer qu’ici, lui aussi a trouvé où se poser. La boutique porte le nom évocateur de SemellesOvent et il cite volontiers Baudelaire et Rimbaud parmi ses auteurs préférés. « Avec une phrase, j’en ai assez pour la journée… ». Il s’est spé-cialisé dans les livres anciens et rares, en particulier les livres de marine et de voyage. « J’achète avant tout pour moi, pour col-lectionner », dit-il et c’est vrai que parfois, il faut lui arracher un livre qui vous fait envie. Un peu peintre à ses heures, il avait décidé de transformer son arrière-boutique en atelier. « Mais tout le monde venait pour le café ». Alors c’est resté comme ça. Et s’il vous a à la bonne, Michel sort sa cafetière à l’italienne et refait le monde.

M.-L. F.

Michel Grisolet : bouquiniste canal historique

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IL a créé Les Lumières de Lille, sa maison d’édition, en 2005. Et il affiche aujourd’hui un catalogue de douze ouvrages, uniquement des essais. Les

médias, tendance « ça ne tourne pas très rond », et l’Histoire, version épisodes passés sous silence, sont ses thèmes de prédilection. Tout a commencé dans les années 90. Frédéric Lépinay entre comme journaliste à la rédaction lilloise du quotidien régional, La Voix du Nord. Il y restera dix ans. Il affectionne les sujets à teneur polémique assumée, traîne son calepin dans les quartiers populaires de Lille où l’on se souvient encore de certains de ses articles engagés et de l’intérêt non feint qu’il portait à ceux qui n’ont pas la parole. Il n’aime pas les pouvoirs en place. Élus et collègues n’ont pas oublié non plus son côté frondeur et inflexible. En 2000, il quitte La Voix du Nord via une clause de cession, comme plusieurs dizaines de ses collègues, et travaille comme journa-liste indépendant pour le gratuit 20 Minutes et l’agence de presse Associated Press. C’est à ces derniers qu’il pense lorsqu’il laisse poindre son amertume sur les difficiles conditions de vie des pigistes aujourd’hui.

Du document d’enquêteFrédéric Lépinay le journaliste jette l’éponge et « bascule » en mars 2010 : il sera

éditeur, plus quelques activités, disons… d’ordre alimentaire. Sa maison a alors cinq ans d’existence, il a déjà publié ce qui reste toujours l’un de ses titres les plus vendus, La Voix du Nord, histoire secrète, qu’il a lui-même écrit. Son activité d’éditeur se conjuguait parallèlement avec celle du journaliste, désormais c’est son activité principale.Il n’est pas inquiet quand il se lance. « J’avais identifié un certain nombre de sujets, se souvient-il. Je me disais qu’il y avait moyen de faire ici, en région, ce que font les Arènes ou Plon, du vrai document d’enquête. Je le pense toujours. D’ailleurs, des livres comme Le Secret des Mulliez ont très bien marché. Et j’ai été désolé de voir que le bouquin de l’ex-maire d’Hénin-Beau-mont, Gérard Dalongeville avait été édité par un parisien. »Écrire l ’histoire de La Voix du Nord allait de soi quand il a quitté l’entreprise. « J’avais lancé l’idée, mais nous étions plusieurs au départ, dit-il. C’est une his-toire incroyablement intéressante, dans la perspective plus globale de l’histoire de la presse. Ce qui s’y est passé là entre 1940 et 1945 a eu lieu aussi dans d’autres régions. » Finalement, il bosse seul, compulse nombre de documents publics et privés qui éclai-rent les périodes qu’il n’a pas vécues. Plus tard, il rééditera Le Mensonge reculera, un

Frédéric Lépinay,l’empêcheurd’éditer en rondL’homme ne mâche pas ses mots. Quand on lui demande s’il est encore journaliste, il répond du tac au tac : « J’ai été journaliste carté jusqu’en 2010, puis victime de la crise industrielle et de la malhonnêteté des employeurs. » Qu’il assortisse sa réponse d’un grand sourire n’adoucit en rien le propos de Frédéric Lépinay, jadis journaliste donc, aujourd’hui éditeur, depuis toujours agitateur.

¶ ÉDITION

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[email protected] Tél. 03 20 65 95 07http://leslumieresdelille.com

pamphlet de Natalis Dumez, un des co-fonda-teurs de La Voix du Nord, sorti une première fois en 1946. S’il tourne la page Voix du Nord, l’histoire de la région et notamment la période de l’Occupation continue de le passionner.Il a édité La Traque des résistants nordistes, de Grégory Célerse. Un de ses chantiers à venir est l’histoire de la presse clandes-tine, dont on trouve déjà trace en région pendant la Première guerre mondiale. « Il y a un public pour ça et on peut tou-jours apporter de nouvelles infos. » Dans ce type de projet, il n’est pas auteur, mais fait un tel travail en lien avec les auteurs (un archiviste, une jeune chercheuse en histoire) que sa frustration de ne pas écrire lui-même est apaisée. En 2014, Les Lumières de Lille devraient publier un texte sur Léon Trulin ; dans les tuyaux également la réédition d’un texte de Vin-cent Leleux, directeur de l’Écho du Nord, de 1823, sur les Fêtes de Lille.

S’indigner, il y a de çaActualité plus immédiate, l’éditeur vient de lancer une nouvelle collection de pamphlets, avec RTL m’a flingué, de Jean-Noël Coghe (voir ci-contre), une forme littéraire contestataire dont Frédéric Lépinay aime beaucoup le principe. « Le pamphlet, ce n’est pas insultant, ce n’est

pas diffamatoire. Mais dire la vérité est pour moi un minimum si on ne veut pas laisser prospérer les injustices. Car ce sont elles qui provoquent les révoltes. Sans vouloir surfer sur la vague d’Indignez-vous, il y a quand même un peu de ça… »Volontiers idéaliste, il avoue jouer à l’Eu-romillion tous les vendredis et confesse que créer un journal à Lille reste son rêve absolu, papier ou tablette numérique, qui dirait ce qui ne se lit pas ailleurs. Il trouve l’aventure de Médiapart séduisante, aime l’idée qu’un WikiLeaks permette aux citoyens d’accéder à des sommes de docu-ments jusque-là gardés secrets.Frédéric Lépinay est seul en poste aux Lumières de Lille, autodiffusion, auto-distribution (« il me resterait quoi si je n’assurais pas ça moi-même ? ») et mise l’équilibre, pour ses livres, à 1 000 exem-plaires vendus. Il se charge aussi de la communication autour de ses livres et fréquente notamment les salons du livre, notant un manque d’intérêt durable des médias pour le livre en général.Enfin, l’homme est régionaliste, aime l’idée d’agir dans la proximité et de manière locale et n’est pas plus complai-sant avec lui qu’avec son prochain. Quand on lui demande de quelles aides un petit éditeur pourrait avoir besoin, il fait la moue. « Je considère qu’un éditeur doit

se débrouiller. Soit c’est viable, soit non, soit ce qu’il produit rencontre l’intérêt du public, soit non. »Il note toutefois que l’Association des éditeurs indépendants du Nord – Pas de Calais, à laquelle il adhère, fait un travail remarquable et qu’il apprécie particuliè-rement les échanges entre professionnels et les modules de formation, « une vraie aide pour le coup. Mais on reste un peu ridicule quand on voit ce qui se passe en région PACA ou dans le Sud-Ouest ». Il y a des choses à faire, donc, et ce n’est pas pour déplaire à cet homme qui ne lâche rien.

CORINNE VANMERRIS

LES PETITS PAMPHLETSANCIENS ET MODERNES

Jean-Noël Coghe, journaliste, homme du Nord et grand amateur de rock, fut l’une des grandes voix de RTL dans la région. Après 17 ans de service, il est licencié par la radio la plus écoutée du pays. Dans ce texte il raconte l’histoire de son éviction, suite à un arrêt maladie, et règle quelques comptes avec les personnalités politiques et les confrères qui ne l’ont pas soutenu. RTL m’a flingué ! est le premier opus d’une collection qui verra cohabiter textes anciens et témoignages actuels, avec une seule ligne : ce qui est considéré comme une injustice ne doit pas être tu.

Jean-Noël CogheRTL m’a flingué

LES LUMIÈRES DE LILLE

mars 2012ISBN :978-2-919111-04-6

5 !

ÉDITION ¶

Les Lumières de Lille,

dernières parutions

La Traque des résistants nordistes

Grégory Célerse, 2011

ISBN : 978-2-919111-00-8/20 ¤

Jérôme Régnier (1918-2011)

Entretien avec François Rolin, mars 2012

ISBN : 9782919111039/18,5 ¤

Les Enfants terribles de Bollaert

Benoit Dequevauvillers, août 2011

ISBN : 9782952430593/20 ¤

Ma Guerre secrète

Jacques-Yves Mulliez, mai 2010

ISBN : 9782952430579/20 ¤

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La Vie flamande illustrée, 8 avril 1914, no298, Bibliothèque municipale de Lille, Jx14 (1913 à 1914)

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Presse locale et régionale :un trésor est caché dedansUn trésor dort dans les réserves de nos bibliothèques et de nos archives. Témoin depuis plus de deux siècles de tous les combats politiques et des grands événements de l’histoire, mais aussi de la vie locale, comme de l’existence de nos parents et grands-parents.

Ce trésor s’est constitué numéro après numéro, édition après édi-tion. Des milliers de titres de journaux d’intérêt local, dépar-

temental, régional le composent ; des mil-lions de feuilles noircies jour après jour qui représentent une mine presque inépuisable d’informations originales, cocasses, émou-vantes, scandaleuses, déroutantes, de faits plus ou moins avérés que le temps permet d’analyser, de confronter, de contredire. Un trésor aussi indispensable aux univer-sitaires, aux sociologues, aux historiens, qu’un objet de curiosités et de découvertes souvent exceptionnelles pour les amateurs curieux du passé.Or ce trésor est aujourd’hui gravement menacé. En effet, le papier utilisé à partir de la découverte de la pâte de cellulose vers les années 1850 subit un blanchiment à l’acide qui avec le temps l’attaque, le craquelle et finalement le transforme en poussière. Facteur aggravant, l’encre ferrogallique utilisée depuis le XVIe siècle agresse éga-lement le papier. Ces phénomènes sont irré-versibles mais, si l’on ne peut plus espérer sauver le support, il est encore possible d’en conserver le contenu. Depuis les années 80, c’est la raison d’être des programmes de microfilmage.Aujourd’hui, la révolution numérique offre une chance exceptionnelle. On peut en effet disposer d’une copie parfaite du journal et, grâce aux procédés d’océrisation, rendre

possible la recherche plein texte. Autrement dit, on dispose désormais à la fois d’une solution de sauvegarde ainsi que de valori-sation puisque l’utilisation est grandement facilitée. Reste que le temps est compté et qu’il n’y a plus une seconde à perdre. Depuis 2005, la Bibliothèque nationale de France, a ainsi numérisé près de 3 millions de pages soit 27 journaux nationaux disponibles sur Gallica. Elle envisage 30 à 60 millions de pages dans les prochaines années. Des régions se sont aussi lancées pour sauver ce patrimoine : en Rhône-Alpes, l’Arald a ainsi coordonné la numérisation de plus de 400 000 images.

Et en Nord – Pas de Calais ?Le Plan d’action pour le patrimoine écrit mis en œuvre en Nord – Pas de Calais depuis 2003 a retenu la presse ancienne comme l’une des priorités de son action. C’est par exemple dans ce cadre que la DRAC a sou-tenu le projet de catalogues locaux de la presse conservée dans les bibliothèques et les services d’archives. C’est également grâce aux moyens concertés de l’Etat et des collectivités territoriales concernées que la numérisation de près de 400 000 pages de la presse éditée à Roubaix et à Tourcoing a pu être menée. Une association, la Société des Amis de Panckoucke, s’est créée en 2004 pour étudier, valoriser ce matériau et sensi-biliser l’opinion à sa sauvegarde.

PASCAL ALLARD

André, Charleset leurs abeilles…C’est en 1746 que paraît dans notre région le premier journal. Il est dû à un libraire, André-Joseph Panckoucke, originaire de Bruges, installé à Lille depuis 1699. L’Abeille flamande ne comp-tera en fait que dix numéros. Mais le titre connut une longévité symbolique, l’image de l’abeille butinant les fleurs de la connaissance étant souvent reprise par la suite (L’Abeille de la Ternoise par exemple, hebdomadaire toujours bon pied, bon œil, qui revendique le titre de plus ancien journal français).Mais c’est le fils d’André, Charles Panc-koucke, ami de Voltaire, Buffon, Diderot et de tant d’autres qui s’illustrera en créant à Paris le premier « empire » de presse moderne, comptant plus de 200 collaborateurs et éditant notamment le prestigieux Mercure de France. Il existe à Lille une voie qui rappelle leur glo-rieuse mémoire. C’est en fait une toute petite impasse dans la rue Colbert qui faillit d’ailleurs être débaptisée il y a quelques années. Ce sont des descen-dants de l’illustre famille qui réussirent à sauver le nom. En attendant peut-être qu’il vienne enfin couronner un édifice à la hauteur de leurs mérites !

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¶ PATRIMOINE ÉCRIT

Entretien avec Jean-Paul VisseJean-Paul Visse, ex-journaliste à la Voix du Nord, partage son temps entre l’enseignement et la recherche sur l’histoire de la presse régionale. Il préside la Société des Amis de Panckoucke, du nom du premier homme de presse de la région, André-Joseph Panckoucke, qui fit paraître en 1746 à Lille le premier périodique créé dans la région : L’Abeille flamande.. Depuis 2005, la Société des Amis de Panckoucke suscite des recherches sur cette presse du Nord et du Pas-de-Calais, auprès d’uni-versitaires, de bibliothécaires, de journalistes, d’historiens locaux….

Comment est née la Société des Amis de Panckoucke ?L’élément déclencheur, ce fut la grande exposition sur la presse régionale que présenta la médiathèque de Roubaix en 2004. À cette occasion, elle organisa une journée d’étude nationale consacrée à la presse ancienne. Des discussions animées, passionnées parfois avec Bernard Grelle qui était le directeur de la bibliothèque, avec Philippe Waret le commissaire de l’exposition, et quelques autres person-nalités présentes, jaillit l’idée de créer une association spécifique, consacrée à la recherche sur ce patrimoine, mais aussi à l’histoire contemporaine de la presse en région. Quant au nom, il fut choisi après de longs débats. Il nous permet de rendre hommage à l’éditeur du premier journal publié en Nord – Pas de Calais : André-Joseph Panckoucke. C’était en 1746 et le journal s’appelait L’Abeille fla-mande, un hebdomadaire qui ne connut cependant que dix numéros.

Plus de cent ans après Théophraste Renaudot ?Oui, et c’est encore un mystère. Pourquoi notre région dut-elle attendre si longtemps pour connaître son premier journal alors que le potentiel d’imprimeurs était important… En revanche, dès

le début du XIXe siècle, le nombre de journaux va exploser. Notre région compte beaucoup de villes moyennes, sièges d’institutions judiciaires, de casernes, propices à l’installation d’une presse locale. Avec la révolution industrielle, l’apparition de villes nou-velles ou de villes champignons et l’alphabétisation massive, le mouvement va encore s’accélérer et l’on peut dire que le Nord – Pas de Calais devint alors une grande terre de presse.

Comment faire connaître cette richesse ?Notre association s’est donnée cette mission et c’est sa revue, L’Abeille – encore un clin d’œil à Panckoucke ! – qui en est le fer de lance. Nous allons sortir bientôt notre 20e numéro. Notre fierté, c’est que cette revue est de mieux en mieux connue et que de nom-breuses bibliothèques s’abonnent. La revue, mais aussi notre site (qui sera amélioré et mieux référencé dans l’avenir) où l’on peut trouver le contenu de tous les anciens numéros, nous font égale-ment connaître à l’extérieur de la région. Nous entrons ainsi en contact avec d’autres chercheurs, universitaires…

Y a-t-il des associations comme la vôtre dans d’autres régions ?Apparemment nous sommes la seule région à avoir une revue spé-cialisée sur l’histoire de la presse. Ce qui peut exister ailleurs, ce sont plutôt des revues de collectionneurs de journaux, comme par exemple à Lyon, pendant plusieurs années, Le Petit Jour.

Que trouve-t-on dans l’Abeille ?Des articles de fond, par exemple sur l’histoire d’un titre : Le Cour-rier du Pas-de-Calais… tout comme l’histoire des crieurs de jour-naux, l’histoire de la radio régionale, mais aussi la création récente d’un titre comme Pays du Nord. Une rubrique est consacrée à une bibliographie courante sur la presse régionale : elle est conçue pour être un outil de recherche. Tous les dix numéros, elle est refondue et disponible en ligne sur notre site. On suit bien entendu aussi avec beaucoup d’intérêt l’actualité des médias dans notre région.

Votre association publie également des catalogues commentés de la presse ancienne arrondissement par arrondissement ?L’initiateur ici aussi fut Bernard Grelle qui publia une recension de tous les titres d’information générale et politique, mais aussi spécialisés, parus à Roubaix/Tourcoing jusqu’en 1914. Pour chaque titre, sont présentées les principales caractéristiques (dates de parution, format, lieux de conservation,…). Le plus souvent, un article complète la notice et retrace l’histoire du titre, son évolution politique, les faits saillants de son existence. Ce travail, nous avons

Explorateur de mémoire

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PATRIMOINE ÉCRIT ¶

décidé de le poursuivre de façon systématique arrondissement par arrondissement et de le mener jusqu’en 1944. C’est ainsi qu’a été réalisé un catalogue des titres parus dans les anciens arrondis-sements d’Arras et de Saint-Pol-sur-Ternoise, puis un autre qui concerne l’arrondissement de Béthune et celui de Lens. Enfin, nous terminons actuellement le catalogue qui sera consacré à l’arrondis-sement de Douai. Il sera publié fin 2012. Au total désormais, plus de 600 titres sont ainsi présentés. À terme, nous souhaitons que cette matière soit disponible sur internet et envisageons avec le CRLL la création d’une base de données spécifique.

Reste quelques arrondissements à couvrir …C’est vrai ! Le littoral, le Cambrésis, le Hainaut et l’Avesnois ainsi que l’énorme réservoir que constituent les publications éditées à Lille. Nous aimerions intéresser les bibliothèques de ces secteurs, des étudiants en histoire, pour qu’ils nous aident à poursuivre ce travail et à le mener à bien dans des délais raisonnables.

La Société des Amis de Panckoucke s’intéresse aussi aux journalistes ?Oui, nous voudrions rendre hommage à tous ceux qui ont consacré leur vie à informer, raconter le quotidien de cette région et de sa population. L’Abeille a déjà proposé quelques biographies, notam-ment celle des Laleux père et fils, fondateurs de L’Écho du Nord. Nous avons également entrepris la réalisation d'un dictionnaire des journalistes et hommes de presse du Nord – Pas de Calais. À ce jour, le dictionnaire compte 500 entrées. Nous publierons, je l’es-père, un ouvrage qui sera consacré aux rédacteurs en chef de tous les journaux parus en Nord – Pas de Calais jusqu’en 1944.Par ailleurs, je voudrais aussi évoquer la parution d’une première monographie. Elle est consacrée à Jean Piat, journaliste roubaisien, rédacteur en chef de La Bataille avant guerre et de Nord Matin ensuite.

Un message en conclusion ?Plutôt un cri d’alarme et un appel à la mobilisation. Nous voudrions convaincre les pouvoirs publics de l’urgence qu’il y a à sauver ces collections de presse qui se dégradent, se détruisent sous nos yeux. La richesse incroyable que représente cette presse mérite l’intérêt collectif. BNF, grandes bibliothèques en région, services d’archives départementales, partenaires publics, groupes de presse, tout le monde a sa place dans cette mobilisation que nous appelons de nos vœux et que le CRLL pourrait probablement coordonner.

PROPOS RECUEILLIS PAR P. A.

L’Écho du Nord : 13 août 1899, « Le crime du train de Lille »,BM de Lille Jx203, no33 / 11 décembre 1898,« Le président de la République descendant dans les minesde Lens », BM de Lille, Jx203

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¶ PATRIMOINE ÉCRIT

Ouvrez les oreilles aussi !Il n’y a pas que le papier. La presse, c’est aussi l’audiovisuel, notam-ment la radio qui depuis la TSF de 1921 sollicite nos oreilles. L’aven-ture de la radio fait l’objet elle aussi d’une grande exposition. Celle-ci se tient au Musée des Arts et Métiers à Paris. Depuis la radio des amateurs jusqu’à son arrivée dans l’ère numérique, la radio n’a pas seulement vécu de multiples évolutions techniques. Elle a réinventé régulièrement son rôle : spectacle pour les oreilles dans les années 30, arme de guerre entre 39 et 45, terre de contre-culture en même temps que de divertissement, symbole de liberté avec les radios libres, lieu d’affirmation des cultures jeunes et des confi-dences adolescentes… L’exposition propose un parcours chronologique, donne à écouter émissions d’époque et montre de nombreux matériels.

À consulter également sur l’histoire de la radio en Nord – Pas de Calais,le no 13 de l’Abeille (disponible sur le site http://panckoucke.blogspot.fr).

Filles de la révolution indus-trielle, les sœurs jumelles Rou-baix et Tourcoing possèdent un trésor constitué par les journaux parus sur leur terri-toire depuis 1840. Ils racontent l’incroyable bouleversement qu’elles vécurent au XIXe siècle. Aujourd’hui encore leur terri-toire, leur identité, leur popu-lation sont marqués par le développement de l’industrie textile. Soucieux de conserver les originaux, les services d’ar-chives et les médiathèques de Roubaix et de Tourcoing ont réuni leurs collections dans les années 1990 et les ont complé-tées par les numéros déposés à la Bibliothèque nationale de France afin de les microfilmer. Restait à les numériser pour les mettre à portée de tous via internet. Sélectionné par la mission Recherche et Technologie du ministère de la Culture en 2009, le projet de numérisation présenté par les deux villes associées concernait sept titres les plus importants pour ce territoire : — L’Indicateur de Tourcoinget de Roubaix (1840 - 1913) — Le Journal de Roubaix(1856 -1944) — L’Égalité de Roubaix

-Tourcoing (1895 - 1944) — L’Avenir de Roubaix-Tourcoing (1888 – 1914) — La Croix de Roubaix-Tourcoing (1901 - 1914) — Roubaix-Tourcoing(1891 - 1891) — Le Courrier de Tourcoing (1900 – 1907)Au total, plus de 400 000 vues qui seront bientôt disponibles et qui couvrent 104 ans de la vie de Roubaix, Tourcoing et des environs. L’opération est exem-plaire par son importance, mais aussi par le travail collaboratif mené en amont qui a permis de constituer des corpus les plus exhaustifs possible, par le suivi partagé du chantier coordonné par un chef de projet roubaisien en relation permanente avec le prestataire technique, et enfin par le traitement de reconnais-sance des caractères (l’« océ-risation ») qui permettra une recherche en plein texte. Plus que quelques jours et, en juin 2012, on découvrira une pre-mière mise en ligne (qualité pdf compressé) sur la bibliothèque numérique de Roubaix.http://www.bn-r.fr

GÉRALDINE BULCKAENEn charge des projets de numérisation

à la médiathèque de Roubaix,responsable du pôle musique et audiovisuel.

Plus d’un siècle de journaux roubaisiens et tourquennois bientôt en ligne

La Vie flamande illustrée, 16 octobre 1909, no 154, BM de Lille, Jx14 (1909 à 1910)

Journal de Roubaixdu 12 mars 1910,médiathèque de Roubaix, JRX_12_03_1910

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PATRIMOINE ÉCRIT ¶

Les canards barbotent à Proville...Aux portes de Cambrai, Proville s’enorgueillit de sa superbe médiathèque. À l’intérieur, une collection étonnante, celle du Canard Enchaîné ! Une collection qui couvre la période allant de 1948 à 1989 et que la ville a poursuivie à partir de 2004. À l’origine, Jean Hego, un agent technique communal qui l’avait achetée dans une brocante et qui en a ensuite fait don à son employeur. En 2004, la bibliothèque organisa plusieurs événe-ments autour de cette collection en présence de Nicolas Brimo, administrateur et journaliste au palmipède.

La presse à la uneDepuis le 11 avril 2012 et jusqu’au 15 juillet, la Bibliothèque nationale de France présente une exposition consacrée aux quatre siècles de l’histoire de la presse. Une exposition virtuelle est également disponible. Elle propose de nombreux documents d’archives qui permettent de retracer l’histoire qui va de la Gazette de Théophraste Renaudot en 1641 à internet, de s’interroger sur le traitement de l’information, son évolution et son avenir. Des albums, des dossiers et des interviews filmées enrichissent l’exposition. Le site comprend également un important dossier sur l’histoire de la presse, des pistes pédagogiques, ainsi que plusieurs albums de photographies de l’AFP retraçant l’actualité 2012 des thèmes traités dans l’exposition. Il permet enfin une ouverture sur les ressources numérisées ou accessibles dans Gallica.

http://expositions.bnf.fr/presse

La Voix du Nordà l’exemple de Ouest-France ?En 2005, Ouest-France et la BnF ont signé un contrat de partenariat qui prévoyait, outre une expérimentation de dépôt légal sous forme numé-rique (fichier imprimeur), la numérisation rétrospective de L’Ouest-Éclair (1899-1944) et de Ouest-France (1944-2003), soit environ 7,9 millions de pages.La BnF a pris en charge le coût de la numérisation des édi-tions de Rennes (1899-1944), de Nantes (1915-1944) et de Caen (1912-1944), ainsi que l ’hébergement des données numériques.Le Centre régional des lettres de Basse-Normandie a de son côté numérisé les éditions normandes du journal qu’il propose à la consultation dans sa bibliothèque numérique Normania.Ouest-France a fourni l ’en-semble des microfilms pour la

numérisation, ce qui a permis d’en réduire sensiblement les coûts. La mise en ligne est intervenue année après année pour respecter les règles du droit d’auteur.Un tel projet est-il envisa-geable pour La Voix du Nord et son ancêtre L’Écho du Nord ? Les conditions sont différentes puisque le journal a déjà décidé de numériser l’ensemble de ses microfilms (1943-2008) soit 4 millions de pages, mais sans préciser encore les conditions de consultation.L’opération a débuté début 2012. Le journal a par ailleurs déposé en 2005 aux Archives du Nord sa collection de L’Écho et du Grand Écho. Mais aucun projet de numérisation n’existe à l’heure actuelle. Un des axes d’une future conven-tion de pôle associé entre le CRLL et la BnF ?

La Vie flamande illustrée, 16 octobre 1909, no 154, BM de Lille, Jx14 (1909 à 1910)

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¶ BELGIQUE

Édition Onlit.net 100 % numériqueÀ l’origine conçue comme une revue en ligne, la plate-forme littéraire propose depuis peu des livres numériques.Un glissement logique et dans l’air du temps, mais que les animateurs du site accompagnent avec beaucoup de soin.

Pour Benoît Dupont aussi connu – sous le nom d’auteur Edgar Kosma – et Pierre de Mûelenaere, les fondateurs d’onlit.net, l’his-

toire commence à Bruxelles, en 2006. Nous vous parlons d’un temps que les geeks de moins de six ans ne peuvent pas connaître… L’éclatement de la bulle internet, en 2000, a brassé les cartes de l’économie du net, lais-sant beaucoup d’entreprises sur le carreau et ouvrant le champ libre à de nouvelles initiatives. À la faveur de ce new e-deal, les deux passionnés de littérature ont une révélation : le monde de l’édition ne pourra pas longtemps ignorer les possibilités infi-nies du net. Onlit.be voit le jour dans cette effervescence, contemporaine de la mul-tiplication tous azimuts des applications, des balbutiements des premières tablettes de lecture. Son url a rapidement été modifié pour s’embellir d’une extension internatio-nale « .net ». Il s’est en effet avéré que les lec-teurs n’étaient pas uniquement belges, mais plus généralement francophones. Quels lec-teurs à vrai dire ? Ceux d’une revue en ligne promouvant ce qui n’est alors pas encore à la mode : « 100 % numérique 100 % gratuit ».

Un texte de 8 000 signes est publié toutes les deux semaines, à raison de25 textes minimum par an. Les bougies du centième ont été soufflées en mars dernier. En février 2012, c’est le lancement d’un nouveau projet qui agite les deux parte-naires. Onlit Books vient au monde, et avec lui quatre premiers ouvrages entièrement numériques. En tête d’écran (à défaut des gondoles), Bruxelles Midi, un recueil de nou-velles collectif, gratuit, auquel François Bon a contribué. Pourquoi donc le format numérique est-il encore extrêmement critiqué et remis en question ? « C’est un problème généra-tionnel » répond Benoît Dupont, notamment pour les libraires et les éditeurs. Objet de controverse, ce support est aujourd’hui encore largement minoritaire en Belgique. Par ailleurs, lorsqu’on lui demande de quelle façon sont pensés les prix des ouvrages que son associé et lui publient, Benoît Dupont insiste sur un aspect inhérent à ce format : la concurrence. Une concurrence bien plus pernicieuse que celle supportée par les mai-sons d’édition papier, puisqu’elle regroupe l’ensemble des applications, souvent gra-tuites, mises à disposition des utilisateurs de tablettes et de smartphones. Mais les deux créateurs ne désespèrent pas, loin s’en faut : « Nous avons organisé une soirée de lancement en février pour Bruxelles Midi. Une centaine de personnes étaient pré-sentes, et nous avons même dû en refuser plusieurs. Cela prouve l’intérêt des gens pour la question ». Le site comptabilise 25 000 visites par mois, ce qui est selon lui « une réussite, parce que nous popularisons

le support numérique et que nous avons réussi à faire venir du monde ». Un autre élément encourageant est le lectorat extrê-mement hétérogène d’onlit.net, puisqu'il regroupe tous les âges et tous les types d’usagers du net, néophytes ou confirmés. Cependant, l’éditeur précise qu’il refuse d’inscrire son projet dans « une niche pour les initiés ». Une des idées pour l’avenir est de procéder à un enrichissement des textes que seul le support numérique permet. Ces ajouts ne sont pas encore effectifs pour la seule raison que souvent, l’équipement des lecteurs pour un tel usage est relativement modeste et qu’il ne permet pas l’appréhen-sion de textes enrichis. « C’est une époque de découverte pour les gens » affirme-t-il. Les deux éditeurs ont l’ambition de consti-tuer un catalogue de 70 titres d’ici 2015 et espèrent pérenniser leur entreprise, avec pour credo la patience et la certitude que le monde de l’édition évoluera.

MARIE-EVE TOSSANI

onlit.net

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À SUIVRE… ¶

Lettres nomades, 2e éditionLa première édition, l’an passé, fut un temps fort de Béthune 2011, capitale régionale de la culture. Des écrivains d’ailleurs, nomades en littérature, dont quelques-uns célèbres à l’instar de Zoé Valdès, ont fait souffler le vent du large sur l’Artois. À la lumière de ce succès, la communauté d’agglomération Artois Comm. et la ville de Béthune ont décidé de soutenir le Centre littéraire Escales des Lettres pour une deuxième édition. Le principe, éprouvé en 2011, reste peu ou prou le même : inviter lors de mini-résidences des auteurs brassant les langues et les cultures ou tout simplement voyageurs et susciter des rencontres avec les lecteurs. Amarrée au port de plaisance de Béthune, la Péniche du Livre reprendra du service pour accueillir du 21 mai au 8 juin 2012 neuf écrivains : Claudine Bertrand (Canada-Québec), Seyhmus Dagtekin (Turquie), Christian Garcin (France), Andreï Kourkov (Ukraine), Abdellatif Laâbi (Maroc), Maram al-Masri (Syrie), Nimrod (Tchad), Pia Petersen (Danemark), Minh Tran Huy (France-Viêtnam). De très beaux moments en perspective !

Tout le programme sur http://www.escalesdeslettres.com

Festival Trame(s) :du 30 juin au 1er juilletC’est un des festivals littéraires parmi les plus attachants et inven-tifs dans la région. La 4e édition de Trame(s) : Rencontres de l’édi-tion et de la création se déroulera le samedi 30 juin et le dimanche 1e juillet 2012 au musée du textile et de la vie sociale de Fourmies. Au programme : atelier de création de livre illustré avec Nathalie Infante, scène ouverte slam, performance poétique avec le trio Suel-Pruvost-Ternoy, création en public d’un livre d’artistes avec Titi Bergèse et Thalie Dumesnil, lecture musicale de Carole Fives, Amandine Dhée et Louise Bronx, jardins de lecture animée par Titi Bergèse, installation vidéo de Richard Skryzak, atelier de reliure avec Anne Gérard… Et pour couronner le tout, une très belle affiche signée Alex Widendaele.

Entrée gratuite.Toutes les informations : http://sites.google.com/site/tramesfourmies/accueil

La Planète Bleueà l’honneur

Pour la sixième année consécu-tive, Nausicaa, Centre national de la Mer, organise son prix lit-téraire Planète Bleue, « dédié à tous les amoureux de la nature et de l’océan ». Il revient aux lecteurs de choisir les futurs lauréats parmi une liste d’ou-v rages présélectionnés et répartis en trois catégories : les romans, récits et essais, les beaux-livres et la jeunesse. Depuis le 3 février et jusqu’au 3 juin, le public est invité à voter pour chacune des deux pre-mières catégories, la sélection « jeunesse » n’étant accessible qu’aux écoles et collèges. Le vote peut se faire par internet ou en déposant un bulletin directement au Centre national de la Mer, à Boulogne-sur-Mer. La thématique de 2012 « Initia-tives et conséquences positives en faveur du développement durable » est en lien avec la prochaine Conférence des Nations Unies « Rio+20 ». Deux axes majeurs sont privilégiés : l’économie verte avec son corol-laire, la lutte pour l’éradication de la pauvreté et le cadre ins-titutionnel du développement durable.La remise des prix Planète Bleue 2012 aura lieu le 8 juin à Nausicaa, à l’occasion de la Journée mondiale de l’Océan.

Modalités de participation etprogramme de la journée du 8 juinsur le site de Nausicaa :www.nausicaa.fr

Calendrier 2012 fêtes et salons du livre : changements de dates

Depuis la parution de notre calendrier 2012, deux changements de date sont intervenus à l’initiative des organisateurs.Le salon du livre de Coudekerque-Branche aura lieu le 4 novembre, et non pas le 3 juin. Les Escales hivernales se dérouleront le 15 décembre, et non plus les 8 et 9 décembre.

Errata eulalie no9P. 35

Une erreur s’est glissée dans l’article « La chaîne du livre peut-elle sauter sur les pavés des marchés publics ? ». Page 35 à la fin du dernier paragraphe, il faut lire « les librairies hors région viennent en troisième position » et non pas « les librairies de la région viennent en troisième position ».

P. 45

Suite à une erreur de fichier, c’est le pro-gramme de l’an passé du salon du livre policier de la Ville de Lens qui accompagnait l’affiche 2012. Un rectificatif a été diffusé aussitôt sur le site Eulalie et sur la page Facebook du CRLL.

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¶ À SUIVRE…

Le Centre régional des Lettres et du Livre Nord – Pas de Calais vient de franchir une étape importante de son existence. Après avoir été hébergé pendant trois ans par Artois Comm. au sein du Lab-Labanque à Béthune, le CRLL a ins-tallé ses nouveaux quartiers sur le site embléma-tique de la Citadelle d’Arras, à l’invitation de la Communauté urbaine d’Arras et de son président Philippe Rapeneau. Cette nouvelle implantation coïncide avec l’adoption, le 13 mars 2012, de nou-veaux statuts plus conformes aux missions et à la vocation de l’association qui tourne ainsi

la page de la préfiguration. Ce changement va permettre, en outre, l’ouverture de l’association aux professionnels, aux collectivités publiques et à tous ceux qui veulent soutenir la création littéraire, le livre et la lecture dans la région Nord – Pas de Calais.Dès à présent, il est possible d’adhérer en adres-sant au siège de l’association le bulletin d’adhé-sion téléchargeable en ligne sur le site eulalie.fr, rubrique « L’actualité du CRLL ».

CRLL Nord – Pas de Calais, La Citadelle, Avenue du Mémorial des Fusillés, BP 30296, 62005 Arras Cedex. [email protected] / eulalie.fr

CRLL Nord – Pas de CalaisNouvelle adresse, nouveaux statuts

Le 4 avril dernier, le jury du Prix Amphi – neuf étudiants, Elodie Ballieu, Guillaume Bou-langer, Yann Gardin, Christine Haquette, Ingrid Schnitter, Antonia Hall, Marion Kania, Yas-mina El Khaddari et Clothilde Magnier, trois professeurs de l’université Lille 3, Alison Bou-langer, Emilie Picherot, Martin Petras, et Joëlle Dufeuilly, traductrice lauréate du prix 2011 – était réuni pour choisir l’ouvrage qui serait élu au titre de meilleur roman traduit de l’année. Au terme d’échanges passionnés et passionnants, c’est l’ouvrage de l’écrivain allemand Reinhard

Jirgl, Renégat, roman du temps nerveux publié chez Quidam Éditeur et traduit par Martine Rémon qui a reçu la majorité des suffrages et s’est vu couronné « Prix Amphi 2012 ». Créé en 2001, ce prix littéraire organisé dans le cadre du cours de licence de lettres modernes « Romans traduits », récompense chaque année un texte à parts égales entre son auteur et son traducteur. Une façon, pour les étudiants concernés, à la fois d’approfondir leur connaissance de la littérature étrangère et de méditer sur les significations de la fameuse paronomase « Traduttore, traditore ».

Prix Amphi 2012

Reinhard JirlRenégat, roman du temps nerveux

QUIDAM EDITEUR, 2010ISBN : 978-2-915018-49-3

536 PAGES, 25 !

Depuis septembre 2010, l’écrivain Jacques Jouet effectue des séjours réguliers en Nord – Pas de Calais dans le cadre du projet « L’Escaut en devenir 2009-2011 », en partenariat avec l’association Travail et Culture. Sa présence a suscité plusieurs projets et interventions : une série de rencontres avec des acteurs de divers domaines professionnels (mariniers, éclusiers, métallurgistes) à partir desquelles il a dressé quelques portraits poétiques, ou encore des joutes littéraires avec Bart Van Loo au bord de l’Escaut. Poète, écrivain, nouvelliste, essayiste, cet auteur polygraphe est un des membres les plus

éminents de la planète OuLiPo. Il participe à ce titre à l’émission de France Culture, « Des Papous dans la tête ». À l’occasion du chapitre final de « L’Oulipo Pop » organisé par Le Phénix, Jacques Jouet et ses acolytes Papous se retrouveront à la scène nationale de Valenciennes le samedi 2 juin à 19h pour un enregistrement public de la célèbre émission. Seront réunis autour de François Treussard, Hélène Delavault, Jehanne Carillon, Jean-Bernard Pouy, Lucas Fournier, Hervé Le Tellier, Patrice Caumon, et Serge Joncour.

Renseignement-inscription : http://www.lephenix.fr/saison/rencontres/des-papous-dans-la-tete

Les Papous débarquent à Valenciennes !

Jacques Jouet

D.R

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P ier re -Jacques L a mbl i n , conservateur d’État, a quitté fin 2011 ses fonctions de direc-teur de la bibliothèque munici-pale classée de Douai. Arrivé à Douai en 2001, Pierre-Jacques Lamblin avait précédemment dirigé le centre de formation, aujourd’hui devenu Média-lille, à l’université de Lille 3, après avoir participé dès 1983 à la création de la médiathèque départementale de prêt du Nord comme responsable de l’antenne Flandres. Ces der-nières années il a consacré son énergie à la sauvegarde, l’iden-tification et le signalement des ouvrages du fonds patrimo-nial, et plus particulièrement à l’inventaire de la correspon-dance et des manuscrits de Marceline Desbordes-Valmore. Il a également travaillé sur le fonds Théophile Bra, sculpteur originaire de Douai qui a légué à la ville plus de 100 boîtes et albums contenant dessins et textes. Les lecteurs du Bulletin des Bibliothèques de France ou du défunt biblio.fr ne peuvent également oublier l’acuité et la causticité de ses commentaires sur le monde des bibliothèques. On recommande par exemple la lecture de : « Quand j’entends parler de patrimoine, je sors de ma réserve ».

http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2004-05-0040-007

À la demande de la Ville de Douai, le profil du conserva-teur d’État mis à disposition a été réorienté vers les ques-tions patrimoniales, la biblio-thèque conservant une très riche collection de documents patrimoniaux dont de nom-breux manuscrits. Jean Vilbas (photo), précédemment conser-vateur à la bibliothèque muni-cipale de Lille a donc rejoint l ’équipe douaisienne. C’est Guillaume Klaes, bibliothécaire territorial qui a été choisi par la Ville de Douai pour diriger l’ensemble. Le bâtiment de la bibliothèque de Douai, détruit lors des bom-bardements d’août 1944 a été reconstruit dès 1955. Sa concep-tion comme les surfaces dispo-nibles posent des difficultés d’adaptation aux exigences contemporaines. Les exemples de rénovations et d’extensions d’Arras, de Saint Omer, et demain de Cambrai montrent l’intérêt et les pistes d’une véri-table métamorphose. On peut souhaiter que Douai soit l’étape suivante… Un chantier d’am-pleur pour la nouvelle équipe de la bibliothèque, tout comme celui de la mise en œuvre d’une bibliothèque numérique qui puisse valoriser ses collections exceptionnelles ! P. A.

Après des études de cinéma, plusieurs longs voyages en Inde et au Proche Orient, et deux années passées au ser-vice du bouquiniste bruxellois Pêle-Mêle, Thibaut Willems, poursuit le travail de son pré-décesseur, Maxime Forcioli, au sein de la librairie l’Har-mattan, à Lille. Depuis juin 2011, les 30 000 titres choisis avec soin coha-bitent avec 600 DVD (films d’auteurs, documentaires) : la librairie vit résolument au rythme du temps long défendu par Diderot dans la Lettre sur le commerce de la librairie.

Jeudi 24 MaiÀ partir de 14h30Cinéma de la Gare Saint-SauveurRencontres-Débats-ProjectionsEn accueillant dix écrivains explorateurs de formes nouvelles, ces rencontres se proposent de faire la part belle aux littératures contemporaines qui s’inventent par-delà l’imprimé. Écriture en ligne, lecture-performance, écriture chorégraphique, slam, cinéma… Yves Pagès, Louise Desbrusses, Jean-Charles Massera, Marie Ginet (aka Ange Gabriel.e), Fred Griot, Edgar Kosma, Dominique Sampiero, Fabrice Thumerel, Jean-Marc Flahaut et Julien Gosselin présenteront les possibles ouverts par leurs déplacements littéraires. Rencontres animées par Jean-Max Colard, critique d’art, professeur de littérature à Lille 3.

À 19h00, Bistrot de Saint-So « Put your books up in the air » ! Soirée de littérature remuante à base de performances, libération des livres et mini-bibliothèque vivante. Starring La Générale d’Imaginaire, Ange Gabriel.e, Fred Griot, Jean-Baptiste Richard and guests !

Entrée gratuiteRéservation souhaitée à[email protected]é par le Centre régional des Lettres et du Livre Nord – Pas de Calais, en partenariat avec la Générale d’Imaginaire, Libfly.com,la librairie Dialogues Théâtre,Lille3000 et la Ville de Lille.Programme détaillé sur le site eulalie.frGare Saint Sauveur : 7 bd Jean-Baptiste Lebas, 59 000 Lille

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Cassandre Luc : la douceur à l’état sauvageCassandre Luc a grandi à Carvin, à l’ombre d’un terril. Bercée par le cri des chouettes, elle y a appris à aimer la nuit, à explorer la face cachée des êtres et des choses qu’elle révèle aujourd’hui dans ses images couleur de lune.De sa jeunesse, Cassandre garde encore le goût des objets patinés et usés, une intimité chaleureuse avec le temps qui passe. « Quand j’étais petite, on allait à Godewaersvelde voir Mamie Simone, chineuse et collection-neuse de vieux jouets. À chaque fois, c’était le même rituel toujours très attendu, on grimpait les escaliers grinçants et on entrait dans cette pièce aux merveilleuses vieille-ries. Là, naturellement, on se déplaçait comme des chats et on chuchotait comme si même le son d’une voix pouvait briser ce moment rare et précieux. »Comme sa grand-mère, l’artiste aime inviter les enfants dans son grenier à trésors, dans ce petit coin d’enfance qu’elle protège et cultive à la fois. Pour ses illustrations, elle récupère ce qui lui servira de support, le vieux papier, le bois, le tissu. Elle rassemble aussi toutes sortes d’objets qu’elle trans-forme en automates avec la com-plicité de son compagnon Laurent Mazé et les conseils de son père, Franusz, maître dans l’art du tra-vail du bois. C’est ainsi qu’il y a quelques années surgit le loup, de la forme simple d’un panneau abandonné. Ce loup est devenu aujourd’hui le personnage central d’une exposition interactive « Le loup et la lune », qui peut, au gré des envies et des invitations, s’ac-compagner d’une balade contée.« J’aime bien les gens qui n’ont pas de bol, s’amuse Cassandre, ça me touche ». Le loup est de ceux-là, de ces êtres rejetés à qui elle veut redonner une humanité. Il lui permet en même temps d’exprimer son côté « animal », cette part sombre qui fascine autant qu’elle effraie, un verbe qui revient souvent dans la conversation. L’illustratrice évoque aussi son affection pour les clowns tellement attachants

lorsqu’ils glissent et dérapent. Guirlandes lumineuses et accor-déons, l’univers forain habite ses projets. Elle rêve de créer un jour avec Laurent un spectacle pour la rue, de donner vie à un grand manège. Elle cite parmi ses influences Le Cirque de Calder et Le Manège du petit Pierre, monumentale réalisation d’art brut en fil de fer et boîtes de conserve, exposée à la Fabuloserie de Dicy en Bourgogne.Dans un monde qui tend à formater des individus consommateurs, Cassandre cherche à retrouver « les émotions pures ». De sa dou-

ceur à l’état sauvage émergent des personnages au regard loin-tain, comme posés sur le fil fragile de la vie. Ils guettent

le passage d’un « oiseau de mer qui les emmènera vivre un instant de voyage, de rêverie et d’inconnu ».

Cassandre prépare patiemment le moment où ils pourront rejoindre les pages d’un livre. Elle lit Beatrice Alemagna, Kitty Crowther, relit L’Arbre généreux de Shel Silverstein, accumule les débuts d’histoire en attendant de trouver la forme idéale, celle qui conciliera la poésie, l’humour et la grâce, celle qui « aura une âme ». Tout simplement.

CLOTILDE DEPARDAY

http://www.cassandre-luc.fr

Illustration ci-contre: « Quand le vent passe… »