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MÉDECINS DU MONDE ALEX DÉCOTTE Si tous les enfants du monde... Avec la participation de Patrick Aeberhard et Claude Lefèvre Préface de FRANÇOIS MITTERRAND Albin Michel

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MÉDECINS DU MONDE

ALEX DÉCOTTE

Si tous les enfants du monde...

Avec la participation de Patrick Aeberhard

et Claude Lefèvre

Préface de FRANÇOIS MITTERRAND

Albin Michel

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© Éditions Albin Michel, S.A., 1989 22, rue Huyghens, 75014 Paris

Tous droits réservés. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit — photographie, photocopie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre — sans le consentement de l'auteur et de l'éditeur est illicite et constitue une

contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

ISBN 2-226-03873-6

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Préface

Au terme de cette année qui célèbre le bicentenaire de la proclamation des Droits de l'Homme, je salue une initiative qui, grâce à ce voyage sur l'ancienne route des esclaves, a donné la parole aux enfants.

C'est avant tout ces enfants que je tiens à féliciter du travail qu'ils ont accompli, de leur détermination et du courage dont ils ont fait preuve.

Enfants des conflits, ils sont les victimes innocentes de la guerre. Dans le tiers monde, ils sont les premiers frappés par la malnutrition

et par l'impossibilité d'accéder aux soins, même les plus élémentaires. Dans nos sociétés développées, ils sont confrontés à la drogue, aux

mauvais traitements ou tout simplement au desserrement des liens familiaux.

Aujourd'hui, rien n'est plus important que de protéger un enfant dans son intégrité physique, mentale, spirituelle.

L'enfant mérite un statut juridique à part entière. Cette place faite à l'enfant va enfin être reconnue officiellement grâce à l'approbation par les Nations unies de la Convention internationale des Droits de l'Enfant.

Il aura fallu attendre dix années pour que ce projet aboutisse. Les Français ont joué, pendant toutes ces années, un rôle déterminant pour que progresse cette idée. Les mouvements familiaux, les organisations humanitaires, comme Médecins du Monde, les pouvoirs publics en ont été, chacun à leur façon, les acteurs indispensables.

Il s'agit en effet d'une pierre fondamentale apportée à l'édifice du droit humanitaire, ce droit du XX et du XXI siècle. Aussi, je souhaite que la France soit l'un des premiers pays à ratifier cette convention et que les travaux d'adaptation de notre droit national soient rapidement menés à bien.

Le cadre juridique est devenu nécessaire mais nous ne pouvons oublier que le droit fondamental, si affirmé par les enfants à l'issue de leur périple, est leur « droit à l'enfance ».

François MITTERRAND

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Préambule

Enfants affamés, enfants mutilés, enfants abandonnés, enfants marty- risés... Enfants silencieux.

Enfants de la guerre... déjà adultes, ils sont notre raison d'agir depuis vingt ans.

En 1968 au Biafra, autour de Bernard Kouchner, nous avons, une fois pour toutes, décidé qu'il n'y a ni enfants de droite ni enfants de gauche. Chaque fois que des enfants sont atteints dans leur corps ou dans leur dignité, il nous appartient, en tant que médecins ou infirmiers et en tant que témoins, de les soigner, de les protéger et de dénoncer leur situation.

Pendant vingt ans, à travers la planète, nous avons essayé de comprendre et de témoigner en faveur des enfants du Liban, d'Éthiopie, du Salvador ou d'Afghanistan.

Nous avons secouru les enfants boat-people du Viêt-nam ; nous avons évoqué le sort des enfants sud-africains ou palestiniens, sans pour autant négliger les enfants martyrs ou violés des pays développés.

Plus récemment, nous avons accueilli Action École qui est devenu un département de Médecins du Monde. Action École, qui permet de réunir les enfants européens et les enfants du tiers monde, est un lieu propice aux rencontres et aux initiatives. Les enfants ont déjà lancé plusieurs opérations d'aide : Un bateau pour l'Éthiopie. Des écoles pour le Mali, le parrainage Enfants de Thaïlande...

En cette année du bicentenaire de la Déclaration des droits de l'homme et au moment où les Nations unies s'apprêtent enfin à ratifier la Convention des droits de l'enfant, après dix années d'attente, Médecins du Monde a voulu donner la parole aux enfants.

Nous avons réuni sur un bateau quinze enfants de nationalités et d'origines différentes. Ils ont suivi l'ancienne route du commerce des

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esclaves, de Nantes à Gorée, de Gorée à Fort-de-France, et de Fort-de- France à New York. A chaque étape, ils ont rencontré des enfants du monde entier et, ensemble, ils ont analysé et commenté cette Conven- tion.

Ils ont étudié les thèmes de la faim, du travail, de la drogue, du divorce, de l'école, du droit aux soins. Ni la guerre ni la question des réfugiés n'ont été éludées. La faim, la prostitution, les brutalités, les bidonvilles sont des problèmes auxquels ils ont parfois été confrontés et auxquels ils ont voulu apporter leur réponse.

Les quinze enfants, cambodgien, polonais, sénégalais, guatémaltè- que, israélien, palestinien, américain, suisse, belge, français, érythréen, marocain, libanais, martiniquais, vietnamien ont rencontré, le 26 août 1989, le secrétaire général des Nations unies, M. Javier Perez de Cuellar, et lui ont fait part de leurs craintes mais aussi de leur espoir.

D'ailleurs, en novembre 1989, un de leurs représentants sera présent dans la délégation française, au moment de l'adoption de la Convention des droits de l'enfant, aux Nations unies.

C'est avec détermination qu'ils sont devenus les ambassadeurs des enfants qui souffrent dans le monde. Une telle action a été rendue possible grâce à tous ceux qui nous ont soutenus et, en particulier, l'association Enfance et Partage, l'association François-Xavier Bagnoux, l'association Ecole Instrument de Paix, l'association française de défense des Droits de l'Enfant, l'association Handicap International, l'associa- tion Défense Enfant International et la commission du Respect des Droits de la Personne (Québec). A bord un journaliste, Alex Décotte, a suivi les différentes étapes et recueilli la parole des enfants.

Le courage et la détermination de ces enfants nous interdisent de penser que cette action puisse être terminée. Nous allons les aider à créer une association internationale des droits de l'enfant, comme le stipule le 15 article de la Convention.

Pour une fois, nous nous sommes occupés d'enfants qui vont bien et qui luttent pour la dignité des autres enfants. Espérons que cette initiative sera un message de justice et d'espoir afin que quinze millions d'enfants ne meurent plus chaque année dans le monde.

Dr Patrick Aeberhard Président d'honneur de MDM

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Nantes, avant le départ

Imaginez une quinzaine de gosses de douze à seize ans, venus d'une quinzaine de régions du monde, Belgique, Cambodge, Érythrée, États- Unis, France, Guatemala, Israël, Liban, Maroc, Martinique, Palestine, Pologne, Suisse, Sénégal, Viêt-nam. Imaginez que ces enfants aient vécu des moments de grand bonheur ou d'infini malheur, que Grégory-le- Français soit l'élu attentif d'un conseil municipal d'enfants, que David- l'Américain vive confortablement à Greenwich Village, qu'Ambre-la- Belge ait des parents exemplaires, qu'Anne-Laure-l'Helvète passe ses hivers au pied des pistes, que Gilles-le-Martiniquais soit l'image du bonheur, mais que Mamadou-le-Sénégalais vive sans eau ni électricité, que Shuki-l'Israélien ne supporte plus la politique de son pays, qu'Ammar-le-Palestinien soit en exil, que Piotr-le-Polonais vive au quotidien les temps de pénurie, que Mohammed-le-Marocain soit à cheval entre deux cultures, que Gerson-le-Guatémaltèque ait grandi dans la rue, que Sami-le-Libanais ait passé la moitié de sa vie dans les caves de Beyrouth, que Hieng-la-Cambodgienne ait vu les Khmers rouges assassiner des parents et leurs enfants, que Luan-le-Vietnamien ait été récupéré in extremis par le Rose Schiafino affrété par Médecins du Monde, avec une poignée de boat-people dérivant en mer de Chine...

Imaginez que tous ces enfants se retrouvent sur une goélette de l'espoir, un trois-mâts de coureurs des mers, le fameux Vendredi 13, et qu'ils embarquent à leur rythme sur la route qui était autrefois celle des esclaves, de la traite des Noirs, du trafic de « bois d'ébène », du commerce triangulaire dont on sait que Voltaire lui-même ne dédaignait pas de toucher les dividendes : Nantes, Afrique, Antilles, Amérique.

Imaginez que ces quinze gosses ne soient accompagnés que d'une demi-douzaine d'adultes, quatre marins, un médecin, un journaliste. Et que ce journaliste ait le privilège, pendant près de deux mois passés à

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naviguer avec eux ou à rencontrer aux escales les enfants du Sénégal ou des Caraïbes, de partager l'histoire d'amour de ces quinze petits navigateurs. De les observer. De les écouter. Et de transcrire pour d'autres enfants, d'autres adultes, leurs rires et leurs inquiétudes, leurs drames et leurs espoirs, leurs passions et leur tendresse.

Ce privilège fut le mien, à l'invite de Médecins du Monde et sous la rassurante protection d'un homme de sagesse et de respect, Philippe Facque, skipper du Vendredi 13-Messager de Nantes.

J'ai été le témoin discret de ces enfants. J'ai glané leurs silences, d'abord, leurs mots, ensuite. Ils se sont racontés, ont échangé leurs joies et leurs douleurs. J'ai trois fois leur âge mais je crois n'avoir jamais été aussi heureux. Je les en remercie et j'espère ne pas les décevoir.

Bien sûr, leur voyage n'est qu'une goutte d'eau pacifique dans un océan de violence et d'injustice. On continue de se pilonner à Beyrouth, de se haïr en Afrique du Sud, de se battre en Palestine, de se morfondre dans les camps de réfugiés du monde entier. Mais il y a désormais un embryon de paix, fait d'une quinzaine de gosses et de tous leurs petits amis rencontrés au fil du voyage. Un embryon qui ne demande qu'à vivre et à grandir.

A priori, rien ne prédisposait chacun de ces quatorze enfants à cette véritable croisade destinée à attirer l'attention des adultes sur le drame quotidien et insoutenable de milliers, de millions d'enfants, aux quatre coins de la planète. Rien, sinon le hasard, la chance et la volonté. C'est en effet le double hasard d'un bicentenaire et du calendrier de l'ONU qui a fait naître l'idée de cette croisade en 1989 ; c'est la chance qui a fait de chacun un membre de cette expédition ; et c'est leur volonté qui leur permettra, sans doute, de franchir en deux mois les écueils d'un voyage qui ne sera pas de tout repos.

Le Vendredi 13, rebaptisé pour l'occasion Messager de Nantes, est un bateau mythique, construit pour la course. Il a participé à de nom- breuses transatlantiques et donné à Jean-Yves Terlain ses premiers titres de gloire. Aujourd'hui, affrété spécialement par Médecins du Monde, ce trois-mâts goélette de trente-neuf mètres entreprend un nouveau voyage avec, à son bord, quatorze enfants et sept adultes. Ce ne sera ni une croisière ni une partie de plaisir. Les enfants partent pour une véritable croisade et les adultes n'ont qu'à bien se tenir !

En ce bicentenaire de la Révolution française et de sa Déclaration des droits de l'homme, les enfants n'ont toujours, eux, aucun droit. Ils sont les premières victimes de la folie, de la cupidité ou, tout simplement, de

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la misère des adultes. De dangereux illuminés les embrigadent de force au premier rang de guerres sans merci ; d'avides trafiquants les vouent au rôle infâme de passeurs ou de consommateurs de drogue ; d'autres leur apprennent le vol comme on enseigne les bonnes manières ; dans les rues de Bogota ou de Guatemala City, la violence est reine ; à Patpong, à Bangkok, et en Europe même, des milliers d'enfants sont en situation de travail souvent forcé ou obligés de mendier dans les rues ; des enfants sont livrés aux fantasmes sexuels de clients qui sont aussi, parfois, des parents ; la pauvreté transforme des centaines de milliers d'enfants en travailleurs forcés, sans droits ni dignité; la guerre, la maladie, la brutalité en font des orphelins ou des laissés-pour-compte. Il est temps que cela cesse.

En un demi-siècle de palabres, à l'ONU ou sous les lambris genevois de la défunte Société des Nations, les adultes n'ont toujours pas réussi à se mettre d'accord sur le respect des droits des enfants. Bientôt l'ONU devrait enfin accoucher d'une véritable Convention des droits de l'enfant. Mais combien de pays la ratifieront-ils? Et combien de gouvernements la feront-ils respecter ? Alors, comme ce fut déjà le cas au temps des croisades, ce sont les gosses qui vont montrer du doigt la faiblesse, la lâcheté et l'indifférence de ces adultes auxquels ils voudraient surtout ne pas ressembler.

Les adultes, eux, ne restent pas insensibles à cette croisade. Peut-être même souhaiteraient-ils, inconsciemment, y participer. Sur les quais de Nantes, les badauds attendent le Vendredi 13. Le choix du bateau ne s'est fait que quelques semaines avant le départ. D'autres noms avaient été prononcés, mais c'est finalement sur celui-ci que Philippe Facque a jeté son dévolu. Le trois-mâts se trouvait quelque part dans les Caraïbes. Il a fallu lui faire traverser l'Atlantique en catastrophe puis lui imposer une grande toilette à Lorient. Du coup, les enfants sont arrivés à Nantes avant lui. Ils avaient quitté Paris le 27, au lendemain de l'entrevue que leur avait accordée Danielle Mitterrand.

A Nantes commençaient d'arriver les messages d'encouragement. La presse et la télévision n'avaient pourtant encore donné qu'un faible écho à l'événement et rares étaient ceux qui, en France, avaient déjà entendu parler de ce projet. Le publicitaire Jacques Séguéla, le chanteur Yves Simon et Mme Giscard d'Estaing étaient du nombre.

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MESSAGE D'YVES SIMON POUR LES AMBASSADEURS DES DROITS DE L'ENFANT

J'imagine que vous discutez, parlez, et que la mer, tout autour, vous rappelle que le monde est immense.

Longtemps, les enfants se sont tus parce qu'ils n'avaient pas le droit à la parole.

Clemenceau, un homme politique français, a dit : « Honte aux pays où- les enfants se taisent. Gloire à ceux où l'on parle. »

Grâce à vous, bientôt, lorsque vous serez revenus de votre périple et que M. Perez de Cuellar, à l'ONU, vous aura entendus, on pourra dire :

« Gloire aux pays où les enfants parlent. Honte à ceux où ils n'ont que le droit de se taire. »

MESSAGE DE JACQUES SÉGUÉLA POUR LES AMBASSADEURS DES DROITS DE L'ENFANT

Dans son premier discours de président, John Fitzgerald Kennedy a lancé aux Américains : « Ne vous demandez pas ce que l'Amérique va faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous allez faire pour l'Amérique. »

De même, ma question est : « Qu'allez-vous faire durant votre mue d'adolescents pour aider à la liberté des hommes ? »

MESSAGE D'ANNE-AYMONE GISCARD D'ESTAING PRÉSIDENTE DE LA FONDATION POUR L'ENFANCE

La Société proclame votre droit à être préservés de la misère, de l'ignorance, de l'exploitation. N'oubliez pas que vous avez aussi le devoir de lutter contre l'asservissement à l'argent, à la violence, au sexe ou à la drogue. Que cette croisière vous aide à prendre des forces pour ce combat.

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Le choix de Nantes est un souhait de Jean-Marc Ayrault, le maire de la ville. En associant Nantes à cette expédition de la liberté, il souhaite sans doute aussi faire passer un message particulier à une île minuscule, Gorée, et à un continent immense, l'Afrique.

Nantes était autrefois l'un des principaux centres de la traite négrière. D'honnêtes bourgeois y armaient des navires qui emportaient en Afrique des tissus de fantaisie, des colifichets, de l'alcool, des fusils, autant de monnaies d'échange contre lesquelles, dans l'îlot de Gorée qui fait face à l'actuelle Dakar, ils obtenaient de cupides chefs indigènes la remise de cargaisons d'esclaves, pudiquement rebaptisées « bois d'ébène ». Les hommes étaient mis aux fers à fond de cale, les femmes autorisées à voyager sur le pont. Quant aux enfants, ils étaient assimilés aux hommes s'ils en avaient la force de travail, ou tués avant l'embarquement s'ils ne constituaient qu'autant d'inutiles bouches à nourrir, le temps d'un voyage qui menait les négriers et leur cargaison humaine jusqu'aux Antilles ou en terre américaine.

Ce n'est donc pas un hasard si les quatorze enfants s'apprêtent, à bord du Messager de Nantes, à suivre la même route. A Gorée, ils retrouveront sur les lieux mêmes de la traite une quarantaine d'autres gosses venus tout exprès de quatre coins du monde. Ensemble, ils rédigeront une sorte de Cahier de doléances des enfants de la planète. Et ce cahier, Anne-Laure, Gerson, Piotr, Ambre, Mamadou, Luan et les autres iront ensuite le montrer à de petits amis inconnus en Martinique, descendants d'esclaves aujourd'hui affranchis, avant d'aller le présenter à la fin du mois d'août pour l'anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, à M. Perez de Cuellar, secrétaire général des Nations unies. Sera-t-il au rendez-vous ? Il ferait beau voir qu'il se dérobe à l'invite de ces quatorze gosses, ambassadeurs extraordinaires et plénipotentiaires de la Planète des Mômes !

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De Nantes à Gorée (30 juin-17 juillet)

Vendredi 30 juin

Ce matin, c'est la ville de Saint-Sébastien-sur-Loire, en face de Nantes, qui accueille les enfants. Ce n'est pas un hasard. A Saint- Sébastien se trouve un comité Action École particulièrement actif. L'un des enfants qui embarqueront à bord du Vendredi 13, Grégory, habite d'ailleurs Saint-Sébastien, où il est membre du conseil municipal des enfants.

L'après-midi, retour à Nantes et petite fête populaire sur le quai d'Aiguillon, où le Vendredi 13 est revenu s'amarrer. Les badauds s'intéressent au Vendredi 13 et, du coup, tournent le dos à l'estrade sur laquelle se produisent artistes et musiciens locaux. Des ministres et autres officiels se succèdent dans un ballet de motards. Les enfants, eux, commencent à prendre leurs marques à bord. Ils s'aventurent dans l'entrepont et découvrent l'exiguïté du lieu. Au premier coup d'œil, lorsqu'ils se sont trouvés au bord du quai et que leur est apparu le bateau, ils avaient déjà été surpris. Le Vendredi 13 est certes l'un des plus grands bateaux de course mais, pour le confort et l'espace, il vaut mieux s'adresser aux croisières Paquet !

A 18 h 30, départ du Vendredi 13 et de ses passagers vers les entrepôts du quai Wilson, sur l'île Beaulieu. C'est de là qu'aura lieu, à 22 h 30, le départ « officiel ». Officiel seulement. La marée est en effet trop basse à cette heure-là pour permettre au bateau, dont la quille mesure neuf mètres, de s'engager sur la Loire en direction de Saint-Nazaire. Lorsque les festivités seront terminées, l'équipage fera mine d'appareiller mais se contentera d'aller s'amarrer à nouveau au quai d'Aiguillon, où il faudra attendre, discrètement, 5 heures du matin.

Vers 19 h 30, première série de discours : le maire Jean-Marc Ayrault, le chef de cabinet d'Hélène Dorlhac, le ministre de la Mer, Patrick

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Aeberhard. Puis un halo de lumière fait apparaître Richard Bohringer déclamant de sa voix rauque et fragile le poème de Tahar Ben Jelloun sur un enfant palestinien qui, touché par une balle, meurt une pierre dans la main. Après ce moment de grande émotion, différents concerts ont lieu dont le Golden Gate Quartet et Sarah Dika-Carrere. A bord, curieux et visiteurs se succèdent.

Un feu d'artifice est prévu. D'une barge proche et de grues installées sur le quai, des projecteurs illuminent le ciel. Lorsque, d'au-delà de l'île, parvient le bruit sourd d'une explosion, des centaines de mouettes refluent et tournoient dans les faisceaux des projecteurs pointés vers le ciel et s'entrecroisent dans un ballet impeccable. Par les capots entrouverts apparaissent les regards extasiés de quelques gosses. C'est la première fois, depuis le début de ce spectacle qui ne leur est pas destiné et qui leur échappe, qu'ils vibrent ainsi. Mais ces oiseaux-là ne sont-ils pas aussi ceux du voyage et de la liberté ?

Il est minuit passé lorsque se termine le spectacle. Plus question de tirer le feu d'artifice, les Nantais dorment. Dans la lumière des projecteurs, Philippe Facque fait larguer les amarres tandis que les haut- parleurs diffusent une musique irréelle et lancinante. La marée est très basse. Le quai nous surplombe d'une bonne dizaine de mètres. Des silhouettes se mettent à y courir pour suivre notre départ, sur fond de grues, d'entrepôts et de cheminées. Par l'embrasure d'un capot, deux mains d'enfant s'agitent en guise d'au revoir. Les autres dorment. Une demi-heure plus tard, nous abordons au quai d'Aiguillon désert. Avec Jérôme Caza, le cameraman, dernière bière et sandwich-merguez dans le seul bistrot encore ouvert. Vient la fatigue. Déjà, le bateau me manque.

Le départ ne m'a pas réveillé, pas plus que les enfants. Il était, paraît- il, 5 heures. Sans doute faisait-il encore nuit. Un pilote du port de Nantes est monté à bord et s'est mis à la barre. Lorsque j'émerge, vers 7 heures, l'homme se tient droit dans son discret habit bleu imperméa- ble. Sur les rives de la Loire, des ajoncs, quelques vaches et, de loin en loin, des bourgades sinistrées, au port abandonné. Crise économique, simplement.

Peu à peu, les enfants viennent rejoindre l'homme à la barre, le questionnent. D'abord un rien bougon, le voilà qui se met à parler du temps où il était commandant dans la marine marchande. Pendant trente

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ans, il a voyagé partout, Amérique du Sud, Afrique de l'Ouest, Orient. Il conserve une tendresse particulière pour l'Indochine. « Parce que les indigènes avaient une grande culture, tandis que les Africains étaient plus frustes. » Luan, le petit Vietnamien, est là, qui sautille d'un bord à l'autre. Méhret aussi. Et Hieng. Et l'homme, qui avait l'impression d'effectuer une simple mission de routine, devient attentif, presque affectueux.

Sur la rive droite, des appels de phares et des gestes à peine perceptibles dans le gris pâle de cette journée mal fardée. Ce sont « ceux du camion », amis et amies des marins embarqués sur le Vendredi 13 et dont certains ont fait le voyage des Antilles à Lorient, puis de Lorient à Nantes, pour amener le bateau, un rien décati, de ses parages tropicaux jusqu'aux chantiers navals bretons, le réparer, le préparer et l'amener jusqu'à ses nouveaux occupants, l'espace d'un été.

Voici les lignes amples du dernier pont sur la Loire. Saint-Nazaire. Ensuite, nous ne serons pas encore tout à fait en mer, mais nous serons tout de même déjà libres, débarrassés des dernières contraintes terres- tres, mais livrés aux aléas de la navigation océane. Là-haut, sur le pont, comme effacées par la bruine qui nous enrobe, les silhouettes de deux hommes qui nous ont escortés jusqu'à l'ultime moment.

La Loire, maintenant, se mêle à l'océan. Les différences de salinité se marquent par des lisérés mousseux et blanchâtres, que nous brisons au passage et qui se forment à nouveau derrière nous. Nous approchons de quatre gros navires ancrés au large et qui attendent sans doute de pouvoir charger ou décharger leur cargaison à Nantes ou à Saint- Nazaire. Près d'eux, un bateau plus petit et noir, sur lequel se détache, en blanc, le mot PILOTE. Ici va s'arrêter le travail de notre guide en bleu. Il fait signer un reçu à l'équipage tandis que le bateau noir vient tourner autour de nous avant de mettre un canot à l'eau. L'embarcation nous aborde par bâbord et, sans même s'arrimer, s'accouple à notre flanc, bord contre bord, le temps pour notre pilote d'enjamber notre bastingage et de sauter sur l'avant du canot, où il s'agrippe à une grande barre métallique horizontale. Le canot rejoint le bateau noir, se glisse derrière lui. Nous ne verrons pas l'homme monter à bord mais nous le verrons, peu après, faire d'amples signes d'adieu. Lui qui disait, tout à l'heure, ne pas regretter d'avoir troqué la navigation au long cours contre la sécurité quotidienne de ce petit travail côtier, je le soupçonne aujourd'hui de nous envier à l'évocation des couleurs, des senteurs, des musiques, des saveurs et, peut-être, des frayeurs qui vont être les nôtres

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au fil du voyage. Réminiscences de pays qu'il a aimés et qui seront autant de nos escales.

Il fait froid pour la saison. Le vent d'ouest charrie des nuages gris et mauves. La bruine s'intensifie, les vagues clapotent de plus en plus. Il était 9 heures quand nous sommes passés sous le pont de Saint-Nazaire et 10 quand le pilote nous a quittés. Cette fois, l'aventure est devant nous. Les premiers malaises aussi.

Le repas de midi se passe pourtant sans encombre mais, sitôt après, la mer se gâte et, les uns après les autres, les petits passagers se sentent mal. Alors que tombe la nuit, c'est quasiment la panique. Sans doute claustrophobes, à moins qu'ils ne préfèrent simplement être malades ensemble, la plupart des enfants s'entassent dans le carré commun plutôt que de regagner leurs cabines individuelles. Le bateau gîte très fort sur bâbord. J'ai moi-même été pris d'un coup. Philippe Facque tente de convaincre les enfants de gagner leur cabine. Pour certains, c'est sans doute le premier vrai mal de mer.

Petit lever hésitant. Plusieurs enfants sont encore très malades : Luan, Anne-Laure, Hieng, Karine et Gerson, le petit Guatémaltèque. Même Bénédicte, le médecin de bord, n'échappe pas à la règle. D'autres s'en tirent mieux, mais sombrent cependant par moments : Sami, Méhret, Mamadou, Gerson. Heureusement, le soleil fait une apparition progressive et, l'après-midi, tout rentre à peu près dans l'ordre.

Les aléas de la mer font place aux désirs de la jeunesse. Gerson est très demandé et en joue. Il aime à réunir autour de lui, sur sa couchette installée dans le carré, ses fans en pâmoison, Karine, Méhret, Ambre. Philippe s'en inquiète un rien. Il n'a sans doute pas tort. Puis tout le monde se met à danser sur une cassette de Johnny Clegg. La nuit tombe.

Depuis le premier jour, deux quarts avaient été instaurés, avec tournus toutes les quatre heures. Premier quart : Y von, Marc et moi, pour les adultes ; Sami, Piotr, Gilles, Mamadou, David, Méhret, Ambre pour les enfants. Deuxième quart : Philippe, Laurent, Jérôme et Bénédicte pour les adultes ; Karine, Gerson, Luan, Mohammed, Hieng, Anne-Laure, Grégory pour les enfants. Mais le mal de mer avait tout désorganisé et les quatre marins professionnels s'étaient répartis à eux

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seuls les responsabilités. Avec le retour du moral et de l'équilibre, les quarts prennent réalité. Plusieurs enfants se mettent même à la barre, à peine surveillés du coin de l'œil, pour autant que le temps soit clair et la mer calme, par l'un ou l'autre des marins. Méhret et Mamadou sont parmi les plus assidus.

La « baignoire », renfoncement rectangulaire situé à l'arrière et au centre duquel est disposée la barre, est aussi un lieu de rencontre. On raconte les histoires les plus scabreuses. Méhret et Ambre s'en donnent à cœur joie. Jeu ? Provocation ?

Je prends le quart à 8 heures mais j'ai tellement mal au dos que les deux premières heures me sont un calvaire. A 10 heures, je dételle. J'espère que ça ne va pas durer. Mon travail en souffrirait, mes contacts avec les autres aussi.

En fin de matinée, nous sommes en vue de la terre, au nord de l'Espagne. Le vent a tourné et vient maintenant du sud-est. Nous suivons longtemps la côte, sur bâbord. Nous ne faisons que la deviner. Pendant quelques dizaines de minutes, les reliefs disparaissent. Ce n'est pas encore le passage du cap Finisterre, seulement la trouée de La Corogne.

Une troupe de dauphins vient nous escorter pendant quelques minutes. Quelqu'un lance :

— Pour qu'ils sautent, il faut siffler. Du coup, les enfants qui s'étaient précipités sur le pont, appareil-

photo à la main, sifflent et sifflent encore. Çà et là, un dauphin consent parfois à laisser filer son aileron hors de l'eau. Les enfants en oublient les deux pigeons qui, depuis Saint-Nazaire, nous accompagnent et se posent parfois sur le pont. L'un bleu, l'autre rouge, ils ont hâtivement été baptisés Ulysse et Pénélope et semblent ne pas se lasser de notre compagnie.

Le soir, je me mets aux fourneaux. Rôti de porc à l'ail et aux herbes, pommes sautées, il n'en restera rien.

La nuit a été froide. Le ciel est gris. Nous avons dépassé hier soir le cap Finisterre et voguons désormais plein sud. Les vagues nous

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prennent de côté et nous font balancer sans cesse. A 10 heures, aucun des enfants n'est encore venu prendre son petit déjeuner. Sans doute certains sont-ils à nouveau un peu malades. Les autres folâtrent dans leur couchette.

L'objectif New York semble encore très lointain, comme irréel. Pour l'heure, foin des droits de l'enfant. Chacun semble avoir oublié pourquoi il est ici. La vie se partage entre les quarts, les jeux, un peu de repos et de longs sommeils. Entre eux, les enfants semblent ne pas vouloir faire plus ample connaissance, par manque de curiosité ou par crainte d'avoir, à leur tour, à subir la curiosité des autres. Un peu comme si, à l'insouciance de leurs premiers contacts, devait alors inévitablement succéder une véritable prise en charge, une ébauche de responsabilité des uns (plus âgés, plus riches ou sans problèmes) à l'égard des autres (plus jeunes, plus pauvres, ou issus de régions en guerre). On dirait que, pour eux, le silence et la navigation ont supprimé les différences et que la parole risquerait de briser le rêve.

C'est aujourd'hui l'anniversaire de Hieng. Treize ans sur le Ven- dredi 13, c'est 13 excitant et 13 exceptionnel. Nous lui confectionnons un gâteau avec deux quatre-quarts bretons tout droit venus du supermarché, nappés de chocolat fondu à la casserole et ornés de quatre bougies appartenant à l'équipement du bord, une rouge pour la dizaine, trois roses pour les unités.

Il est aussi temps de travailler. Marc rassemble son monde sur le pont. Libre parole, pour l'heure. Quelques-uns évoquent leur pays, leurs origines, leur famille. Mais ces premiers aveux restent assez superficiels. Sans doute, à nouveau, pour ne pas briser la magie. Ensuite, chacun se concentre sur ce qu'il sait le mieux faire, ou qu'il a le plus envie de faire. Sur de grandes feuilles blanches, Gilles s'applique à dessiner ce qui menace le plus les enfants du monde : faim, analphabétisme, guerre, prostitution, violence, drogue.

Gerson-le-caïd en pince pour la nymphette Karine. C'est à elle maintenant de se jouer de lui. Qui est-il donc, ce Gerson ? La brève fiche fournie par MDM dit qu'il n'a plus qu'une sœur et sa grand-mère, au Guatemala. Mais Gerson parle de son père, dit qu'il est boulanger, cite même le nom du village. Pourtant, lorsqu'on lui demande s'il fera du pain pour nous, il répond qu'il faut trop de choses. Nous lui proposons pourtant de la farine, du sel, de la levure, de l'eau.

— Non, il faut encore beaucoup d'autres choses pour faire du pain, réplique Gerson.

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De deux choses l'une : ou bien les boulangers guatémaltèques ont des manières très compliquées, ou bien Gerson n'a pas de père.

Luan a été recueilli voilà deux ans, paraît-il, avec d'autres boat-people vietnamiens, en mer de Chine. Pourquoi ses parents n'étaient-ils pas avec lui à bord de ce bateau du dernier espoir ? Ils semblent être restés au Viêt-nam. Luan ne parle pas de ça, même si ces événements de sa vie récente ne peuvent lui être sortis de l'esprit. Il se contente de gambader, vif comme l'anguille, apparemment heureux. Peut-être nous dira-t-il quelques-uns de ces souvenirs-là dans les jours qui viennent. Il aurait suffi qu'un bateau de pirates attaque leur embarcation, ou simplement que les vents soient contraires, et Luan serait mort. Combien de petits Luan ont-ils été mangés par les requins en mer de Chine ?

5

Les enfants se lèvent de plus en plus tard. Ce matin, les premiers à réclamer leur petit déjeuner sont apparus vers 10 heures, les derniers vers midi. Demain, c'est décidé, plus de petit déjeuner après 10 heures.

Les choses sérieuses, c'est-à-dire drôles, commencent vers 17 h 30. Marc a décidé de réunir tous les enfants dans le cockpit (drôle de nom pour un lieu sans aucune protection) et de choisir, à raison d'un ou deux par jour, des pays d'où proviennent des enfants, à charge pour ceux qui en sont originaires d'en parler, et pour les autres de poser des questions. Il est décidé de commencer par la France, ce qui n'est pas particulière- ment affriolant. Mais, très vite, les enfants parlent d'école. En France, école obligatoire de cinq à seize ans. En Pologne, de sept à dix-huit ans. En Belgique, examens de passage chaque année et numérotation des classes crescendo plutôt que decrescendo, comme c'est le cas en France.

— Chez nous au Sénégal, dit Mamadou, l'école est organisée comme en France et, en principe, elle est gratuite. Mais elle n'est pas obligatoire. Ce serait impossible. Certains parents n'ont pas les moyens d'envoyer leurs enfants à l'école. Ils doivent travailler. En ville, les trois quarts des enfants vont à l'école mais, à la campagne, à peine plus de la moitié.

— Chez nous au Liban, continue Sami, à cause de la présence française à la fin de la guerre, c'est le système français qui est appliqué, mais l'école n'est pas gratuite. Dans les écoles d'État, la somme est symbolique mais, dans les écoles privées, gérées par l'Église, une année scolaire peut coûter très cher. Pour moi, par exemple, mes parents

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séparément et qu'une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l'enfant.

2. Dans tous les cas prévus au paragraphe 1, toutes les parties intéressées doivent avoir la possibilité de participer aux délibérations et de faire connaître leurs vues.

3. Les États parties respectent le droit de l'enfant séparé de ses deux parents ou de l'un d'eux d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant.

4. Lorsque la séparation résulte de mesures prises par un État partie, telles que la détention, l'emprisonnement, l'exil, l'expulsion ou la mort (y compris la mort, qu'elle qu'en soit la cause, survenue en cours de détention) des deux parents ou de l'un d'eux, ou de l'enfant, l'État partie donne sur demande aux parents, à l'enfant ou, s'il y a lieu, à un autre membre de la famille les renseignements essentiels sur le lieu où se trouvent le membre ou les membres de la famille, à moins que la divulgation de ces renseignements ne soit préjudiciable au bien-être de l'enfant. Les Etats parties veillent en outre à ce que la présentation d'une telle demande n'entraîne pas en elle-même de conséquences fâcheuses pour la personne ou les personnes intéressées.

Article 10

1. Conformément à l'obligation incombant aux États parties en vertu du paragraphe 1 de l'article 9, toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d'entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les États parties, dans un esprit positif, avec humanité et diligence. Les États parties veillent en outre à ce que la présentation d'une telle demande n'entraîne pas de conséquences fâcheuses pour les auteurs de la demande et les membres de leurs familles.

2. Un enfant dont les parents résident dans des États différents a le droit d'entretenir, sauf circonstances exceptionnelles, des relations personnelles et des contacts directs réguliers avec ses deux parents. A cette fin, et conformé- ment à l'obligation incombant aux États parties en vertu du paragraphe 2 de l'article 9, les États parties respectent le droit qu'ont l'enfant et ses parents de quitter tout pays, y compris le leur, et de revenir dans leur propre pays. Le droit de quitter tout pays ne peut faire l'objet que des restrictions prescrites par la loi qui sont nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l'ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d'autrui, et qui sont compatibles avec les autres droits reconnus dans la présente Convention.

Article 11

1. Les États parties prennent des mesures pour lutter contre les déplace- ments et les non-retours illicites d'enfants à l'étranger.

2. A cette fin, les États parties favorisent la conclusion d'accords bilatéraux ou multilatéraux ou l'adhésion aux accords existants.

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Article 12

1. Les États parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

2. A cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directe- ment, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.

Article 13

1. L'enfant a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l'enfant.

2. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires :

a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui ; ou b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou

de la moralité publiques.

Article 14

1. Les États parties respectent le droit de l'enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

2. Les États parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échéant, des représentants légaux de l'enfant, de guider celui-ci dans l'exercice du droit susmentionné d'une manière qui corresponde au développement de ses capacités.

3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu'aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l'ordre public, la santé et la moralité publiques, ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui.

Article 15

1. Les États parties reconnaissent les droits de l'enfant à la liberté d'association et à la liberté de réunion pacifique.

2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet que des seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l'ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d'autrui.