larcierseulement potentiellement à leur « destin biologique » individuel, à la chronique d'une...

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585 Edmond Picard (1881-1900) - Léon Hennebicq (1901-1940) - Charles Van Reepinghen (1944-1966) - Jean Dal (1966-1981) Editeurs : LARCIER, rue des Minimes, 39 - 1000 BRUXELLES 16 septembre 2000 119 e année - N ° 5978 Bureau de dépôt : Charleroi X Hebdomadaire, sauf juillet/août ISSN 0021-812X 28 2000 INFORMATIONS GÉNÉTIQUES ET ASSURANCE Discussion critique autour de la position « prohibitionniste » du législateur belge I INTRODUCTION Le développement et la mise sur le marché de ces techniques d'analyse génétique prédicti- ves et l'émergence de ces « nouveaux biens » que sont les informations génétiques (1) sus- citent l'intuition paradoxale d'une chance mais également d'une menace inédite pour la vie privée des personnes d'une part, et pour leurs droits économiques et sociaux d'autre part. L'inquiétude est récurrente face aux iniquités sociales préjudiciables à certains individus mais aussi à certains groupes sociaux, iniqui- tés potentiellement exacerbées par la mise à disposition des tests génétiques et par la ré- partition inégalitaire de l'accès à ces informa- tions potentiellement stigmatisantes. L'on commence à peine à percevoir la manière radicale dont le « projet génome humain » pourrait en conséquence transformer les struc- tures et les relations sociales (dans les domai- nes de l'emploi, de l'assurance, mais aussi plus généralement dans tous les contextes sociaux où se manifestent des disparités entre indivi- dus, en termes de pouvoirs ou de moyens (2). Plus largement, les avancées des connaissan- ces en génétique humaine affecteraient très substantiellement nombre de dichotomies cul- turellement déterminantes, comme celles qui opposent les sphères publique et privée, le na- turel à l'artificiel, les notions de santé et de maladie, de déterminisme et de liberté (3). La « connaissance » que les analyses généti- ques proposent aux personnes d'acquérir sur elles-mêmes soit parce qu'existent le cas échéant certaines stratégies préventives ou thérapeutiques à mettre en œuvre, soit parce qu'il est estimé qu'une meilleure connaissan- ce de son propre destin biologique, même en l'absence de toute perspective thérapeutique ou préventive, accroît l'autonomie et respon- sabilise les individus (4), ne les confronte pas seulement potentiellement à leur « destin biologique » individuel, à la chronique d'une mort annoncée dans le pire des cas, elle leur fait aussi entrevoir l'étendue des servitudes dont elles pourraient être menacées si cer- tains tiers devaient avoir accès à ces informa- tions génétiques. En même temps, elle les charge d'une responsabilité si pas juridique, du moins morale envers eux-mêmes, leurs descendants, la collectivité et les générations futures (5). C'est, entend-t-on, à une forme hypertrophiée, infinie de responsabilité indi- viduelle que pourrait bien mener la disponibi- lité croissante des informations génétiques (6). S SOMMAIRE Informations génétiques et assurance. Discussion critique autour de la position « prohibitionniste » du législateur belge, par A. Rouvroy . . . . . . . . . . . . . . . . . . 585 Règlement collectif de dettes - Article 1675/8 du Code judiciaire - Secret professionnel de l'avocat - Inconstitutionnalité (Cour d'arbitrage, 3 mai 2000) . . . . . . . 603 Droit judiciaire - Demande en justice - Extension (Cass., 1 re ch., 18 février 2000) . . . . . . 604 Droit judiciaire - Acte d'appel - Délai - Nullité - Étendue (Cass., 1 re ch., 11 février 2000) . . . . . . 605 Instruction préparatoire - Pourvoi en cassation - Irrecevabilité - Chambre des mises en accusation (Cass., 2 e ch., 24 novembre 1999) . . . . 605 Procédure disciplinaire - Gendarme - Commission d'enquête parlementaire (Cons. d'Etat, 7 avril 2000, note) . . . . . 605 Procédure répressive - Instance nouvelle - Tuteur - Appel (Bruxelles, ch. mis. acc., 27 mars 2000) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 607 Télécommunications - Infrastructure publique - Elément moral (Corr. Nivelles, 31 mars 2000) . . . . . . 607 (*) Cette recherche a bénéficié d’un financement du pôle d’attraction interuniversitaire (phase IV - P4/35 - « Theory of the norm and democratic regulation »). L’auteur tient à remercier l’Institut suisse de droit comparé de Lausanne ainsi que le Centre de philoso- phie du droit de l’Université catholique de Louvain. (1) « The source of change is not so much technolo- gical as it is economic. As health care has been trans- formed into a complex industry (...) organizations of all kinds — employers, insurers, plans, networks, systems, pharmaceutical makers, device makers and many others — have had growing interests in data to control their costs increase their revenues or improve their performance in some other dimension. They have been willing to invest information, to pay for information, to sell information — information itself has become a business » (Paul Starr, « Health and the Right to Privacy », American Journal of Law and Medicine, 1999, vol. 25, p. 196). (2) Alastair T. Iles, « The Human Genome Project : A Challenge for to Human Rights Framework », Har- vard Human Rights Journal, 1996, vol. 9. pp. 27-60. (3) S. Jasanoff, « Biology and the Bill of Rights : can Science Reframe the Constitution? », American Journal of Law and Medicine , 1987, vol. 13, pp. 249-289. (4) La question de savoir si la connaissance plus précise de son « destin biologique » accroît réelle- ment l'autonomie et la capacité d'autodétermination des personnes est toutefois discutée. Au-delà de cette première question surgit une deuxième interro- gation qui consiste à se demander si tout accroisse- ment de l'autodétermination est réellement souhaita- ble, et souhaité. (5) Rapport n o 46 du comité consultatif national (français) d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, 30 oct. 1995, « Avis et recommandations - Génétique et médecine : de la prévision à la prévention ». (6) Kris Dierickx, intervention dans le cadre du « Midi de la bioéthique » du 31 mars 2000 organisé (*) Droit des contrats LE MANDAT par Patrick WÉRY Voyez dépliant au centre de ce journal J.T. n° 5978 - 28/2000 Larcier - © Groupe De Boeck s.a. [email protected] / F.U.N.D.P. / strada276

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    Edmond Picard (1881-1900) - Léon Hennebicq (1901-1940) - Charles Van Reepinghen (1944-1966) - Jean Dal (1966-1981)Editeurs : LARCIER, rue des Minimes, 39 - 1000 BRUXELLES

    16 septembre 2000119e année - N° 5978

    Bureau de dépôt : Charleroi XHebdomadaire, sauf juillet/août

    ISSN 0021-812X28

    2 0 0 0

    INFORMATIONS GÉNÉTIQUES ET ASSURANCEDiscussion critique autour de la position « prohibitionniste » du législateur belge

    IINTRODUCTIONLe développement et la mise sur le marché deces techniques d'analyse génétique prédicti-ves et l'émergence de ces « nouveaux biens »que sont les informations génétiques (1) sus-citent l'intuition paradoxale d'une chance maiségalement d'une menace inédite pour la vieprivée des personnes d'une part, et pour leursdroits économiques et sociaux d'autre part.L'inquiétude est récurrente face aux iniquitéssociales préjudiciables à certains individusmais aussi à certains groupes sociaux, iniqui-tés potentiellement exacerbées par la mise àdisposition des tests génétiques et par la ré-partition inégalitaire de l'accès à ces informa-tions potentiellement stigmatisantes.

    L'on commence à peine à percevoir la manièreradicale dont le « projet génome humain »pourrait en conséquence transformer les struc-tures et les relations sociales (dans les domai-nes de l'emploi, de l'assurance, mais aussi plusgénéralement dans tous les contextes sociauxoù se manifestent des disparités entre indivi-dus, en termes de pouvoirs ou de moyens (2).

    Plus largement, les avancées des connaissan-ces en génétique humaine affecteraient trèssubstantiellement nombre de dichotomies cul-turellement déterminantes, comme celles quiopposent les sphères publique et privée, le na-turel à l'artificiel, les notions de santé et demaladie, de déterminisme et de liberté (3).

    La « connaissance » que les analyses généti-ques proposent aux personnes d'acquérir surelles-mêmes soit parce qu'existent le caséchéant certaines stratégies préventives outhérapeutiques à mettre en œuvre, soit parcequ'il est estimé qu'une meilleure connaissan-ce de son propre destin biologique, même enl'absence de toute perspective thérapeutiqueou préventive, accroît l'autonomie et respon-sabilise les individus (4), ne les confronte passeulement potentiellement à leur « destinbiologique » individuel, à la chronique d'unemort annoncée dans le pire des cas, elle leurfait aussi entrevoir l'étendue des servitudesdont elles pourraient être menacées si cer-tains tiers devaient avoir accès à ces informa-tions génétiques. En même temps, elle lescharge d'une responsabilité si pas juridique,du moins morale envers eux-mêmes, leursdescendants, la collectivité et les générationsfutures (5). C'est, entend-t-on, à une formehypertrophiée, infinie de responsabilité indi-viduelle que pourrait bien mener la disponibi-lité croissante des informations génétiques(6).

    SS O M M A I R E� Informations génétiques et assurance.

    Discussion critique autour de la position « prohibitionniste » du législateur belge, par A. Rouvroy . . . . . . . . . . . . . . . . . . 585

    � Règlement collectif de dettes - Article 1675/8 du Code judiciaire - Secret professionnel de l'avocat - Inconstitutionnalité(Cour d'arbitrage, 3 mai 2000) . . . . . . . 603

    � Droit judiciaire - Demande en justice - Extension(Cass., 1re ch., 18 février 2000) . . . . . . 604

    � Droit judiciaire - Acte d'appel - Délai - Nullité - Étendue(Cass., 1re ch., 11 février 2000) . . . . . . 605

    � Instruction préparatoire - Pourvoi en cassation - Irrecevabilité - Chambre des mises en accusation(Cass., 2e ch., 24 novembre 1999) . . . . 605

    � Procédure disciplinaire - Gendarme - Commission d'enquête parlementaire(Cons. d'Etat, 7 avril 2000, note) . . . . . 605

    � Procédure répressive - Instance nouvelle - Tuteur - Appel(Bruxelles, ch. mis. acc., 27 mars 2000) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 607

    � Télécommunications - Infrastructure publique - Elément moral(Corr. Nivelles, 31 mars 2000) . . . . . . 607

    (*) Cette recherche a bénéficié d’un financement dupôle d’attraction interuniversitaire (phase IV - P4/35- « Theory of the norm and democratic regulation »).L’auteur tient à remercier l’Institut suisse de droitcomparé de Lausanne ainsi que le Centre de philoso-phie du droit de l’Université catholique de Louvain.(1) « The source of change is not so much technolo-gical as it is economic. As health care has been trans-formed into a complex industry (...) organizations ofall kinds — employers, insurers, plans, networks,systems, pharmaceutical makers, device makers andmany others — have had growing interests in data tocontrol their costs increase their revenues or improvetheir performance in some other dimension. Theyhave been willing to invest information, to pay forinformation, to sell information — information itselfhas become a business » (Paul Starr, « Health andthe Right to Privacy », American Journal of Law andMedicine, 1999, vol. 25, p. 196).(2) Alastair T. Iles, « The Human Genome Project :A Challenge for to Human Rights Framework », Har-vard Human Rights Journal, 1996, vol. 9. pp. 27-60.

    (3) S. Jasanoff, « Biology and the Bill of Rights :can Science Reframe the Constitution? », AmericanJournal of Law and Medicine , 1987, vol. 13,pp. 249-289.(4) La question de savoir si la connaissance plusprécise de son « destin biologique » accroît réelle-ment l'autonomie et la capacité d'autodéterminationdes personnes est toutefois discutée. Au-delà decette première question surgit une deuxième interro-gation qui consiste à se demander si tout accroisse-ment de l'autodétermination est réellement souhaita-ble, et souhaité.(5) Rapport no 46 du comité consultatif national(français) d'éthique pour les sciences de la vie et dela santé, 30 oct. 1995, « Avis et recommandations -Génétique et médecine : de la prévision à laprévention ».(6) Kris Dierickx, intervention dans le cadre du« Midi de la bioéthique » du 31 mars 2000 organisé

    (*)

    Droit des contrats

    LE MANDAT

    par Patrick WÉRY

    Voyez dépliant au centre de ce journal

    JT_5978_28_2000.fm Page 585 Wednesday, September 13, 2000 12:05 PM

    J.T. n° 5978 - 28/2000Larcier - © Groupe De Boeck [email protected] / F.U.N.D.P. / strada276

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    A. — Quelques particularitésdes tests et informations génétiques

    A la différence des tests médicaux « classi-ques », les tests génétiques prédictifs s'appa-rentent davantage à la notion de pronostic quede diagnostic en ce sens que, le plus souvent,ils ne révèlent pas un problème de santé actuelchez un individu qui en présenterait les symp-tômes, mais révèlent seulement une probabili-té ou une susceptibilité particulière à certainesmaladies chez des personnes asymptomati-ques, « en bonne santé » au moment du testgénétique. C'est en ce sens que les analysesgénétiques sont l 'out i l pr ivi légié de la« médecine prédictive », qui consiste à prédi-re sans pouvoir nécessairement apporter enco-re de perspective préventive ou thérapeutique,la survenance de certaines maladies avantmême l'apparition des premiers symptômes,voire même avant la naissance des individusconcernés. Ces tests génétiques sont révéla-teurs pour la santé future de l ' individu« directement concerné » par le test, mais éga-lement pour celle des membres de sa familleet de ses descendants (7).Les progrès de la génétique humaine permet-tent de différencier le génotype (les caracté-ristiques génétiques « sous-jacentes ») d'unindividu, de son phénotype (les caractéristi-ques « visibles », lesquelles résultent le plussouvent de l'interaction des facteurs généti-ques et environnementaux). Le caractère« permanent », « inhérent » du génotype à lapersonne à laquelle il se rapporte a pu fairedire à certains que « le matériel génétique mo-dèle le masque par lequel la société et le droitreconnaissent la personne; un masque nonplus fait de traits familiers, soumis aux capri-ces du temps et des sentiments, mais un mas-que immuable, une empreinte intérieure, fidè-le et inaltérable » (8). Il est vrai que lesdonnées génétiques, en ce qu'elles renseignentsur des caractéristiques généralement (maispas toujours) (9) héritées, que la personneconservera sa vie durant et qu'elle transmettrapotentiellement à ses descendants (10), peu-vent être qualifiées de « permanentes » (lesperspectives de thérapie génique sont encoretrop minces pour qu'un « état génétique »puisse, aujourd'hui, être considéré comme ré-versible). De là à dire que les données généti-ques participent à l'essence de l'individu, il n'ya qu'un pas, peut-être trop rapidement franchipar les représentations sociales qui entendent

    leur faire partager, dans une forme parfoismême accentuée, radicalisée, le régime d'in-disponibilité et d'inaliénabilité de la personnehumaine.

    La valeur prédictive des informations généti-ques doi t ê t re nuancée : la plupart des« maladies génétiques » sont polygéniques etmultifactorielles. Les résultats des analysesgénétiques ne peuvent indiquer le plus sou-vent que la présence ou l'absence de prédispo-sitions et ne constituent donc que très rare-ment un diagnostic certain. Dans la plupartdes cas, les résultats de tests génétiques ne re-flètent que le renforcement ou l'affaiblisse-ment de susceptibilités à certaines maladiesou à des maladies dont la survenance est par-tiellement conditionnée par des facteurs nonseulement génétiques mais également envi-ronnementaux. De plus, que l'on puisse établirdes liens entre des maladies et certains gènesne permet pas encore de déterminer la gravité,le moment de survenance, la durée de la mala-die, ni la mesure dans laquelle la maladie semanifestera un jour ou restera du domaine desprobabilités statistiques.

    B. — L'introuvable statut juridique des informations génétiques

    et la nécessité d'une régulation de leur usage

    Leurs caractères prédictif, permanent, indivi-duel et collectif (les informations génétiquesmarquent l'irréductible individualité de cha-cun en même temps qu'elles témoignent deson inscription tout aussi irréductible dans ungroupe, une « lignée », et de son appartenanceà l'humanité), font des informations généti-ques un « objet » quelque peu insaisissable,voué à échapper semble-t-il à toute tentativede qualification juridique définitive. Lorsquel'on ajoute que le matériau génétique est à lafois matériel et immatériel, substance et in-formation (le moindre échantillon biologiqueest une vér i table « banque de donnéesgénétiques »), l'appréhension juridique desinformations génétiques paraît défier l'imagi-nation du droit. Que la définition d'un statutjuridique des données génétiques ne semblepas à la portée immédiate du législateur ne si-gnifie pas toutefois qu'il ne faille pas en régu-ler l'usage.Cette régulation est d'autant plus nécessaireque l'accessibilité virtuellement illimitée à cesinformations, favorisée par leur traitementautomatisé et un progressif déclin du rapportinterindividuel médecin-patient comme para-digme du rapport thérapeutique (11) (12) font

    ressentir l'urgence d'une protection plus effec-tive de la vie privée.

    Le droit à la protection de la vie privée est icientendu comme la limitation de « l'accès à unepersonne » , comme le droit pour cette person-ne d'empêcher la divulgation de certaines in-formations à d'autres personnes (13). En cesens, le droit à la protection de la vie privée im-plique notamment le respect par le profession-nel de la santé de son devoir de confidentialité.Mais le droit au respect de la vie privée impli-que auss i ce r t a ines p ré roga t ives p lus« actives » dans le chef de son titulaire, elleimplique aussi le droit de décider de recevoirou de ne pas recevoir certaines informations leconcernant (le droit de savoir ou de ne pas sa-voir), ainsi que le droit (ou est-ce une liberté?)de décider en quelles circonstances et à quellesconditions ces informations pourraient êtrepartagées avec des tiers (les membres de la fa-mille, personnel soignant, ou entités ayant unintérêt financier à la connaissance de l'état desanté actuel ou futur de la personne) (14). Cettedernière prérogative, qualifiée de « droit àl'autodétermination informationnelle » intro-duit un conflit, une opposition à l'intérieurmême du concept de droit à la protection de lavie privée, entre les prérogatives « passives »(« droit » à la confidentialité des informations,encore souvent présenté comme indisponible,absolu, impliquant pour la personne tenue ausecret professionnel une obligation de secretdont même la personne « concernée » ne pour-rait le délivrer) et les aspects « proactifs » dudroit à l'autodétermination informationnelle,qui pose son titulaire comme « maître » des in-formations le concernant, dont il aurait le droit(ou la liberté) de disposer à sa guise, à la ma-nière d'un propriétaire.

    (11) For physicians, multilateral responsibilitieshave replaced an ancient tradition of bilateralcommitment ». (David M. Studdert, « Direct Con-tracts, Data sharing and Employee Risk Selection :New Stakes for Patient Privacy in Tomorrow'sHealth Insurance Markets », American Journal ofLaw and Medicine, 1999, vol. 25 (2-3), p. 234).

    (12) « Health data are frequently protected as part ofthe physician - patient relationship. However, datacollected in our information age is based only insmall part on this relationship. Many therapeutic en-counters in a managed care context are not with aprimary care physician. Patients may see variousnonphysician health professionals. Focusing legalprotection on a single therapeutic relationship withinthis information environment is an anachronisticvestige of an earlier and simpler time in medicine ».

    par l'Unité d'éthique biomédicale de l'Université ca-tholique de Louvain, « Dépistage génétique : y a-t-ilun consentement éclairé? »(7) E. Virginia Lapham, Chahira Kozma, Joan O.Weiss, « Genetic Discrimination : Perspectives ofConsumers », Science, 25 oct. 1996, vol. 274,pp. 621-624.(8) Jean-Christophe Galloux, Essai de définitiond'un statut juridique pour le matériel génétique, thè-se, Bordeaux, 1988.(9) De nouvelles mutations peuvent intervenir chezun individu, qui n'existaient pas parmi les membresdes générations précédentes.(10) « Since the D.N.A. a person inherits and passeson remains largely unchanged throughout life, gene-tic testing for inherited disorders, based on analysisof D.N.A., can potentially be carried out at any pointfrom conception to old age ». (Advisory committeeon genetic testing - Report on genetic testing for lateonset disorders, London, Health Department of theUnited Kingdom, 1998).

    (Lawrence O. Gostin, « Genetic Privacy », J.L.M.E.,1995, vol. 23 (4), p. 325).(13) « Health information privacy refers to an indi-vidual's claim to control the circumstances in whichpersonally identifiable health information is collec-ted, used and disclosed. Maintaining the privacy ofhealth information does not necessarily meankeeping the information secret. Rather, protectingthe privacy of health information involves enablingthe person to whom the information relates to controlits acquisition, use and disclosure. To respect one'sautonomous interests, patients should have the rightto exercise some control over the acquisition, useand disclosure of personal information. (...) Whileprivacy relates broadly to the acquisition and use ofhealth information, confidentiality denotes indivi-dual privacy interests that arise out of a specific re-lationship with the person about whom the informa-tion is gathered. Privacy arising form theserelationship — primarily those between physicianand patient — is protected by traditional legal andethical duties to maintain the confidentiality of theinformation. For example, the law has traditionallyrecognized a duty of physicians to not disclose me-dical information about their patients without the pa-tient's consent, absent some limited justification.Thus, confidentiality may be viewed simply as a nar-rower subset of health information privacy ».(Lawrence O. Gostin, James G. Hodge, Nationalcenter for health statistics, white paper, « Balancingindividual privacy and communal uses of healthinformation », 1999. http://www.critpath.org/msph-pa/ncshdoc.htm).(14) Mark A. Rothstein, « Genetic Privacy andConfidentiality : Why They Are So Hard toProtect? », Journal of Law, Medicine and Ethics,1998, vol. 26, p. 198.

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    L'utilisation des informations génétiques pardes tiers intéressés à la santé future de la per-sonne — en raison notamment des relationscontractuelles que ces tiers entretiennent ouenvisagent d'entretenir avec elle — et les dis-criminations qu'entraînerait l'exploitation desinformations génétiques à des fins de sélec-tion ou de classification des personnes posentdes questions qui semblent inédites. La crain-te des discriminations génétiques occupe uneplace de choix dans les préoccupations qu'ins-pirent au droit la « révolution génétique »(15). Autant que l'intrusion de « tiers » dansl'intimité génétique des personnes et le recueilabusif d'informations, ce sont les utilisationssubséquentes des informations mises au jourcomme outils de sélection / de discriminationdes personnes qui semblent redoutées. Cesdiscriminations seraient le fait non seulementd'organismes privés soucieux d'opérer certai-nes sélections en vue d'une meilleure rentabi-lité de l'entreprise (telle est l'hypothèse del'assurance vie), mais aussi des institutionspubliques, astreintes, dans une société cons-ciente du caractère limité des ressources, auximpératifs d'efficience élevés au rang d'impé-ratifs éthiques imposés dans l'élaboration deschoix collectifs (16).

    Dans ce contexte, le droit à la protection de lavie privée, la « genetic privacy », présenteune double valeur, « substantielle », mais aus-si instrumentale dans la mesure où il sembleinvoqué non seulement pour lui-même maiségalement, et surtout, pour garantir contrecertains usages abusifs qui pourraient êtrefaits des informations génétiques, usages quifavoriseraient les discriminations dans l'accèsà certains « biens sociaux » (l'assurance enl'occurrence, mais aussi éventuellement, dansd'autres secteurs, l'emploi, les soins de santé,l'éducation, la garde parentale, ...).

    C. — Informations génétiques et assurance santé, un autre débat

    Dans le secteur de l'assurance, l'informationgénétique peut avoir une incidence dans deuxdomaines distincts : l'assurance vie (ou l'assu-rance décès, comme il arrive à juste titre qu'onla nomme), d'une part, et l'assurance santé,d'autre part. Ces deux domaines en effet sontceux dans lesquels l'assureur s'intéresse àl'état de santé des personnes (17).

    Les débats relatifs à l'utilisation des informa-tions génétiques dans le contexte de l'assuran-ce se sont focalisés, dans les pays européensdisposant d'un système d'allocation universel-le de soins de santé, sur la problématique desdiscriminations génétiques dans l'accès à l'as-surance vie.

    Aux Etats-Unis, par contre, l'attention se fo-calise surtout autour des discriminations gé-nétiques dans l'accès à l'assurance soins desanté et à l'emploi (18), les deux étant intime-ment liés dans la toute grande majorité descas, étant donné que le système d'assurancegroupe extrêmement répandu met à la chargedes employeurs l'assurance soins de santé dessalariés, l'institution d'assurance n'intervenantque dans la gestion administrative du système,en tant que « mandataire », en quelque sorte,de l'employeur (19). L'accès des employeurset des assureurs aux informations génétiquesont déjà suscité discriminations et exclusionsà la fois dans le secteur de l'emploi et dans ce-lui de l'assurance (20). Dans certains Etats dumoins, il n'est pas permis aux employeursaméricains de se fonder sur les caractéristi-ques génétiques du candidat pour refuser del'embaucher lorsque le candidat est apte àexercer les fonctions essentielles de l'emploien question et qu'il ne menace pas sa propresanté ni celle des autres. Une fois le candidatembauché, l'employeur peut toutefois exclure,pour cet employé, le bénéfice de la couverturepar l'assurance santé des maladies pour les-quelles les résultats des tests génétiques ontidentifié chez l'employé certaines prédisposi-tions (pour autant que cette exclusion soit ac-tuariellement justifiée, bien sûr). Ce systèmeprésente de nombreux problèmes, non seule-ment parce qu'il est de nature à créer des caté-gories de personnes inemployables et inassu-rables mais parce qu'il risque aussi d'empê-cher toute mobilité des travailleurs (quipeuvent craindre, en changeant d'entreprise,de se voir priver d'assurance santé), lesquelsse trouvent alors en position d'extrême fai-blesse, « otages » de l'employeur.

    Une certaine protection est toutefois prévuecontre les risques de perte d’assurance en casde changement ou de fin d’emploi par leHealth Insurance Portability and Accountabi-lity Act de 1996. Cette loi s’applique aux po-lices d’assurance contractées via l’employeuret permet aux employés de pouvoir conserverla couverture d’assurance en cas de change-ment d’emploi ou de fin du contrat de travail.Le champ d’application de la loi s’étend auxpolices d’assurance fournies par l’employeur,que celui-ci recoure à un système d’autofinan-cement de ces assurances, ou qu’il fasse appelaux services « intermédiaires » d’une sociétéd’assurances. La loi interdit spécifiquementaux « assurances groupe » d’utiliser, pour éta-blir des clauses d’éligibilité, d’exclusion oud’interruption de couverture, des informa-tions génétiques. Le texte prévoit en outre quedes informations génétiques particulières nepeuvent être considérées comme « preexistingcondition in the absence of the diagnosis ofthe condition related to such information ».Aucune disposition ne prévoit par contre deprotection de la « privacy » des employés. Parailleurs, rien dans le texte n’empêche les assu-rances groupe de prévoir, pour certaines ca-ractéristiques génétiques particulières, uneexclusion de couverture ou d’imposer des pri-mes plus élevées, pour autant que ces mesuresne soient pas « directed at individual sick em-ployees or dependents » (21).

    Le propos ne concernera pas l'utilisation desinformations génétiques dans le contexte desassurances sociales, fondées sur un principede solidarité (et non de mutualité), commel'assurance maladie-invalidité chez nous. Lesassurances fondées sur ce principe de solida-rité, les primes à charge de chaque assuré nedépendent absolument pas des risques con-crets qu'ils présentent à titre individuel, maiséventuellement de leur niveau de revenu. Demême, l'allocation à charge de l'assurance so-ciale en cas de réalisation du risque ne dépendabsolument pas du montant de la prime payéepar l'assuré antérieurement (22). Dans le ca-dre de ce type d'assurance, la question d'uneliberté contractuelle des parties ne se posepas, comme ne se pose pas non plus directe-ment, dans ce contexte, le risque de « discri-minations génétiques ».

    La sécurité sociale, telle qu'elle est organiséechez nous, n'est certes pas la panacée, mais lesenjeux des problèmes qu'elle rencontre faceaux progrès biotechnologiques sont trop diffé-rents de ceux qui surgissent de la confronta-tion des assurances commerciales au « savoirgénétique ».

    Dans le contexte de la sécurité sociale, c'est auniveau de la définition collective des politi-ques de santé qu'en définitive se pose quandmême la question de la sélection des besoinsde santé qui seront pris en charge ou non parla collectivité : l'utilisation rationnelle desressources limitées du secteur de la santé exi-ge que soient faits certains choix, suivantquels critères? Plusieurs options existent : lescritères du type « coût-bénéfice », le « princi-

    (18) Voy. notamment Alexandra K. Glazier.« Genetic Predispositions, Prophylactic Treatmentsand Private Insurance : Nothing is Better Than aGood Pair of Genes », A.J.L.M., 1997, vol. 23 (1),p. 45; Jon Beckwith, Joseph S. Alper, « Reconside-ring Genetic Antidiscriminaion legislation »,J.L.M.E. , 1998, vol. 26, pp. 205-210; JeremyA. Colby, « An Analysis of Genetic DiscriminationLegislation Proposed by the 105th Congress »,A.J.L.M., 1998, vol. 14 (4), p. 443 : « Genetic discri-mination by insurers would increase the number ofuninsurable people, and would unfairly limit affor-dable health care to people already genetically pre-disposed to remain healthy. (...) it may also shiftcosts on society. For many people, denial of healthinsurance may be the equivalent of denying themhealth care itself. » Voir aussi Kathy L. Hudson etal., « Genetic Discrimination and Health Insurance :An Urgent Need to Reform », Science , 1995,vol. 270, p. 391 et Jean-Noël Ringuet, Proposition(canadienne) d'ajout d 'un nouveau motif dediscrimination : le patrimoine génétique, mémoireprésenté au comité de révision de la loi canadiennesur les droits de la personne, Chicoutimi, nov. 1999.(19) Karen Rothenberg, Barbara Fuller, MarkRothstein, Troy Duster, Mary Jo Ellis Kahn, RitaKunningham, Beth Finc, Kathy Hudson, Mary-Clai-re King, Patricia Murphy, Gary Swergeld, FrancisCollins, « Genetic Information and the Workplace :Legislative Approaches and Policy Challenges »,Science, 1997, vol. 275, pp. 1755-1757 : « Obvious-ly, the fears of discrimination in health insurance andemployment are interwinted. Without a job, mostpeople in our country do not have health insurance ».(20) Voy. notam., sur cette problématique américai-ne, Neil Holtzman, David Shapiro, « Genetic testingand public policy », B.M.J., 1998, vol. 316, pp. 852-856.

    (15) Billings P.R., Kohn M.A., de Cuevas M.,Beckwith J., Alper J.S., Natowicz, M.R., « Discri-mination as consequence of genetic testing », Ameri-can Journal of Human Genetics, 1992, vol. 50(3),pp. 476-482.(16) Voy. l'avis du comité consultatif national (fran-çais) d'éthique pour les sciences de la vie et de la san-té du 20 mars 1998, « Progrès technique, santé etmodèle de société : la dimension éthique des choixcollectifs ».(17) François Ewald et Jean-Pierre Moreau, « Géné-tique médicale, confidentialité et assurance », Ris-ques, 1994, no 18, p. 111.

    (21) Health Insurance Portability and Accountabili-ty Act, 104 Public Law N° 104-191, 701, 110 STAT,1936 (1996).

    (22) Onora O'Neil, « Insurance and Genetics : TheCurrent State of Play », The Modern Law Review,1998, p. 716.

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    pe de Pareto » et ses variantes, la maximalisa-tion du nombre (par franc) d'années de surviecorrigée par leur qualité (les QALY)... (23).

    Si les risques de discriminations fondées surles caractéristiques génétiques des assuréssont moindres, voire inexistants dans le con-texte de ce type d'assurances obligatoires or-ganisées généralement au niveau de l'Etat,d'autres questions se posent dans la confron-tation entre le droit à la protection de la vieprivée des individus, et les nécessités de cen-tralisation d'informations relatives à la santédes citoyens, nécessaire au bon fonctionne-ment du système. Pour bénéficier des avanta-ges de l'Etat-providence, les citoyens sontobligés de renoncer, ne fût-ce que partielle-ment, au secret entourant leur histoire biolo-gique.

    La « collectivisation » des rapports de soins etdonc aussi des informations relatives à la san-té des citoyens, n'est pas une caractéristiquede la seule « médecine génétique » (bien que,précisément, la génétique humaine illustre« biologiquement » cette « collectivisation »).Cette collectivisation est un fait étroitementlié, chez nous, au phénomène de prise en char-ge étatique des soins de santé. Pareille priseen charge collective, fondée sur un système desolidarité, doit notamment, pour conserver ouplutôt conquérir son équilibre, pouvoir opérerune centralisation des informations relatives àla santé des individus. Une certaine collectivi-sation des rapports de soins, et donc une trans-parence relative des besoins de chaque ci-toyen en terme de soins de santé, est doncégalement une conséquence inévitable sem-ble-t-il du respect, par l'Etat, des obligationspositives qui lui incombent afin de respecterle « droit à la santé » des citoyens. Au nom dece droit à la santé de tous, qui ne saurait êtrerespecté que moyennant la prise en compte ducaractère limité des ressources dont l'Etat dis-pose afin de faire fonctionner ce secteur dessoins de santé, ne pourrait-on envisager quel'Etat, dans un but d'anticipation des besoinset de prévention, contraigne des personnes in-dividuelles à se soumettre à certains tests gé-nétiques, voire à certaines interventions quine présenteraient pas pour elles un intérêt thé-rapeutique direct, mais qui présenteraientpour des tiers, pour une personne future, oupour la collectivité (c'est là l'un des objetsprincipaux des politiques de prévention, quiimpliquent le cas échéant des opérations dedépistage), un tel intérêt?

    Bartha-Maria Knoppers, par exemple, tente dejustifier un nouveau contrat social fondé à lafois sur le principe de réciprocité médecin-pa-tient et sur le principe de mutualité patient-so-ciété. Elle décrit le premier principe commeimpliquant pour le médecin le devoir de parta-ge r ses conna i s sances dans un bu t de« prévention des préjudices sociaux et psycho-logiques, non seulement à l'égard du patient,mais également à l'égard de la famille de celui-ci et de la société en général ». Le second prin-cipe, assimilé à une forme de « responsabilitécivique » est explicité comme suit : « selon leprincipe de mutualité, l'individu reçoit des ren-

    seignements génétiques et est libre d'agir ounon à leur égard. Ceux qui n'entreprennentaucune action demeurent liés par le contrat so-cial classique aux termes duquel l'Etat conti-nue à imposer des restrictions à la liberté indi-viduelle en fonction de la notion de « biencommun ». Il est possible que pour l'Etat, le« bien commun » suppose la mise en œuvre deprogrammes eugéniques obligatoires. Lemaintien et la survie de la liberté individuellerésident par conséquent dans la participationcivique (...) La maladie génétique n'est pas uneaffaire individuelle, elle touche également lafamille, la collectivité et les générations futu-res. L'individu a de ce fait l'obligation de con-tribuer à la détection et à la compréhension desmaladies génétiques » (24).

    L'on comprend bien l'âpreté des controversesque peut générer ce genre de positions, notam-ment en raison de l'inspiration utilitariste quine semble pas tenir compte suffisamment desexigences de la justice distributive « Le traitsaillant de la conception utilitariste de la jus-tice est que, sauf indirectement, la façon dontla somme des satisfactions totales est répartieentre les individus ne compte aucunement,pas plus que ne compte, sauf indirectement, lafaçon dont un homme répartit dans le tempsses satisfactions. Dans les deux cas, la répar-tition correcte est celle qui produit le conten-tement maximum » (25).

    Par ailleurs, quels tests génétiques un Etat est-il prêt à financer par le biais de la sécurité so-ciale? Quelles « affections génétiques » la col-lectivité est-elle prête à prendre en charge, àdéfaut pour les personnes directement concer-nées d'avoir pris les mesures préventives de na-ture à éviter ou à retarder la manifestation deces affections? Ces questions devraient susci-ter des réflexions approfondies, auxquellestoutefois nous ne nous livrerons pas dans laprésente étude. Ces réflexions sont pourtantextrêmement importantes à entreprendre, et nesont pas aussi éloignées de celles auxquelles laprésente étude a l'ambition de se livrer. « S'ilest facile et de bon ton, alors que cela reste ac-tuellement purement théorique, de s'inquiéterdes conséquences éthiques des progrès de lagénétique quant à l'assurance privée, on peutredouter qu'ils ne restent pas sans effet sur l'as-surance sociale et l'architecture philosophiquede nos systèmes de sécurité sociale. On peutmême penser que les conséquences à attendrede la médecine prédictive seront beaucoup plusgraves en ces domaines publics que pour l'as-surance privée dans la mesure où on lui permetde fonctionner selon ses règles. John Rawls,auteur d'une célèbre Théorie de la justice et re-connu comme le philosophe de nos démocra-ties sociales, explique que notre notion de lajustice, fondée sur l'égalité, ne se comprendqu'à partir d'un principe d'ignorance radicalequant à nos destins individuels. C'est ce que lamédecine prédictive vient bouleverser (...);elle va nous obliger à repenser la solidarité etle contrat social en fonction d'un savoir desinégalités (26).

    D. — L'utilisationdes tests et informations génétiques

    dans le cadre de l'assurance commerciale. Exemple d'une position « prohibitionniste » :

    la loi belge du 22 juin 1992 sur l'assurance terrestre

    Si, dans de nombreux pays, le législateur estaccusé de prendre du retard dans la régulationde la protection de la vie privée menacée parles développements spectaculaires de la géné-tique humaine dans la prévention des discri-minations que pourrait provoquer un accès in-contrôlé de tiers à « l'intimité génétique » despersonnes, il semble que le législateur belge aété particulièrement diligent à cet égard, dansun secteur particulier, en organisant, dans laloi du 22 juin 1992 sur l'assurance terrestre,un régime juridique spécifique pour les infor-mations génétiques — et elles seules — qu'ilinterdit tant à l'assuré qu'à l'assureur d'exploi-ter dans le cadre de la conclusion ou de l'exé-cution d'un contrat d'assurance.

    Les articles 5 et 95 de loi du 22 juin 1992 surl'assurance terrestre forment pour la Belgiquele siège de cette matière.

    Art. 5 (obligation de déclaration) : « Le pre-neur d'assurance a l'obligation de déclarerexactement, lors de la conclusion du contrat,toutes les circonstances connues de lui et qu'ildoit raisonnablement considérer comme cons-tituant pour l'assureur des éléments d'appré-ciation du risque. Toutefois, il ne doit pas dé-clarer à l'assureur les circonstances déjàconnues de celui-ci ou que celui-ci devrait rai-sonnablement connaître. Les données généti-ques ne peuvent pas être communiquées. S'iln'est point répondu à certaines questions écri-tes de l'assureur et si ce dernier a néanmoinsconclu le contrat, il ne peut, hormis les cas defraude, se prévaloir ultérieurement de cetteomission ».

    Art. 95 (Information médicale) : « Le méde-cin choisi par l'assuré remet à l'assuré qui enfait la demande les certificats médicaux né-cessaires à la conclusion ou à l'exécution ducontrat. Les examens médicaux nécessaires àla conclusion ou à l'exécution du contrat nepeuvent être fondés que sur les antécédentsdéterminant l'état de santé actuel du candidatassuré et non sur des techniques d'analyse gé-nétique propres à déterminer son état de santéfutur.

    » Pour autant que l'assureur justifie de l'ac-cord préalable de l'assuré, le médecin de ce-lui-ci transmet au médecin-conseil de l'assu-reur un certificat établissant la cause dudécès ».

    S'il faut revenir sur cette question de l'utilisa-tion des tests et informations génétiques dansle cadre de l'assurance, question qui, en Belgi-que, paraît pourtant formellement réglée de-puis 1992, c'est que la vigueur des débats qui,à l'étranger, font rage à leur endroit et la diver-sité des options retenues ont de quoi réveillerquelques perplexités. L'on se réjouit dans lapresse belge de ce que la loi de 1992 nousmettrait à l'abri des « dérives » comme cellesque connaîtrait le Royaume-Uni où les assu-reurs viennent de voir autoriser par le gouver-nement l'utilisation des tests et informationsgénétiques pour les besoins de la conclusionou de l'exécution des contrats d'assurance depersonnes. La législation belge, prohibant for-mellement l'échange d'informations généti-

    (24) Bartha-Maria Knoppers, Dignité humaine etpatrimoine génétique, 1991, pp. 78-79.(25) John Rawls, Théorie de la justice, Seuil, 1997,p. 51 (pour la traduction française).(26) François Ewald et Jean-Pierre Moreau, « Géné-tique médicale, confidentialité et assurance », Ris-ques, 1994, no 18, p. 116.

    (23) Voy. l'avis no 57 du 20 mars 1998 du comitéconsultatif national d'éthique pour les sciences de lavie et de la santé (France), « Progrès technique, santéet modèle de société : la dimension éthique des choixcollectifs ».

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    ques prédictives entre le client et son assureurd'une part, et entre le médecin de l'assuranceet l'assureur d'autre part, est-elle réellementsatisfaisante?

    Le but de la présente étude ne sera pas de dé-crire en détail la solution retenue par le légis-lateur belge, solution qui peut être qualifiéede « prohibitionniste », en ce sens qu'elle ex-clut purement et simplement les informationsgénétiques prédictives du lot d'informationsqui peuvent être échangées et prises en comp-te dans le contexte de l'assurance terrestre.Pour la beauté du geste théorique, mais aussiet surtout dans l'espoir d'entrevoir certainesquestions structurelles propres au secteur del'assurance de personnes (l'assurance vie enl'occurrence) acculé, dans la réactualisationconstante de son système d'évaluation des ris-ques, par l'exigence de compétitivité, la pré-sente étude n'a d'autre ambition que d'explo-rer, à la lumière de trois des paradoxes les plusapparents (évoqués ci-dessus), certains pré-supposés et certaines conséquences de la po-sition du législateur belge. Il s'agira donc icide resituer cette position dans un contexteplus large, en l'évaluant à la lumière de troisprincipes : le principe de justice actuarielle,celui de l'autodétermination informationnelle(laquelle renforce en quelque sorte le principede la liberté contractuelle) et enfin le principed'égalité.

    Dans un chapitre premier, nous nous introdui-rons au cœur de la problématique de l'utilisa-tion des informations génétiques dans le cadrede l'assurance commerciale (c'est principale-ment l'assurance vie que la problématiqueconcerne) en empruntant, à titre de prélude, ladouble voie du droit international convention-nel et du droit comparé. Trois questions prin-cipalement se posent à l'égard de l'utilisationdes informations génétiques pour les besoinsde la conclusion ou de l'exécution d'un contratd'assurance :

    A. — L'assureur peut-il exiger que le candidatou l'assuré se soumette à des tests génétiquespréalablement à la conclusion du contrat d'as-surance ou à son exécution?

    B. — S'il ne peut contraindre le candidat à sesoumettre à des tests génétiques, l'assureurpeut-il exiger la communication des résultatsde tests génétiques pratiqués antérieurement?

    C. — Si l'assureur ne peut exiger la communi-cation des résultats de tests génétiques prati-qués antérieurement, l'assuré peut-il néan-moins communiquer vo lonta i rement àl'assureur les résultats de tests génétiques leconcernant, afin d'être classé le cas échéantdans une catégorie à risques moins élevés?

    Par rapport à ces trois questions, il sera propo-sé un éventail non exhaustif des réponses dé-veloppées par le droit international conven-tionnel d'une part, et en droit comparé d'autrepart, à titre d'exemple de la diversité des posi-tions envisageables à leur endroit.

    Les chapitres II, III et IV seront dédiés princi-palement au développement de trois problé-matiques, lesquelles complexifient un peu lestrois questions envisagées au premier chapi-tre. Il s'agira d'évaluer la compatibilité d'unerégulation « prohibitionniste » telle que l’amise en place le législateur belge avec respec-tivement les principes de justice actuarielle,d'autodétermination informationnelle (et deliberté contractuelle) et, enfin, d'égalité.

    A. — La position « prohibitionniste » impli-que que l'assureur ne peut en aucun cas exigerque le candidat ou l'assuré se soumette à destests génétiques préalablement à la conclusiondu contrat d'assurance ou à son exécution, pasplus qu'il ne peut exiger la communication desrésultats de tests génétiques pratiqués anté-rieurement. L'interdiction des « discrimina-tions génétiques » à laquelle aboutit l'interdic-tion de l'utilisation des tests et informationsgénétiques dans le contexte de l'assurance ter-restre n'est-elle pas contradictoire avec lesprincipes mêmes de la justice actuarielle,dont le fonctionnement implique l'évaluationla plus objective possible des risques encou-rus par chaque assuré? L'interdiction de l'uti-lisation de données génétiques prédictivespour les besoins de la conclusion ou de l'exé-cution d'un contrat d'assurance n'est-elle pasillogique alors que, précisément, l'importantevaleur prédictive de ces données permettraitd'affiner l'évaluation du risque, et donc derendre p lus « objec t ive » , p lus « jus teactuariellement » la classification des assurésdans les différentes catégories à risque? Quel-les sont donc les spécificités du risque généti-que par rapport aux autres risques de mortalité(dans l'hypothèse de l'assurance vie) qui justi-fieraient l'exclusion de sa prise en comptepour la classification des assurés dans les dif-férentes « catégories à risque »?

    B. — L'assuré lui-même ne peut pas, même desa propre initiative, communiquer volontaire-ment à l'assureur les résultats de tests généti-ques le concernant, afin d'être classé dans unecatégorie à risques moins élevés le caséchéant. L'intrusion du législateur dans la li-berté contractuelle, la restriction imposée àl'autodétermination informationnelle de l'as-suré que constitue l'interdiction faite tant àl'assuré qu'à l'assureur d'exploiter les informa-tions génétiques pour les besoins de la conclu-sion ou de l'exécution du contrat d'assurancen'est-elle pas curieuse dès lors que l'assurancedont nous parlons est un produit commercial,qui se différencie notamment en principe del'assurance obligatoire par la très grande liber-té contractuelle des parties (27) et par le prin-cipe de la bonne foi qui préside à son fonction-nement, principe impliquant une égalité desparties dans l'accès aux informations perti-nentes pour l'évaluation des risques? N'est-ilpas étrange en outre qu'à l'heure où l'on parlevolontiers de droit à l'autodétermination in-formationnelle, l'on prive celle-ci d'effets dèslors qu'elle pourrait le cas échéant profiter àson titulaire, en lui permettant par exempled'invoquer des caractéristiques génétiques fa-vorables pour revendiquer son classementdans une catégorie à risques inférieurs?

    C. — La création par le législateur d'un régimejuridique spécifique pour les informations gé-nétiques et elles seules ne génère-t-il pas lui-même certaines formes de discriminations?

    Qu'entend-t-on par « tests génétiques » et par« informations génétiques » (28)? La questionest incontournable puisqu'il faut bien qu'unrégime juridique particulier s'applique à unobjet particulier lui aussi, clairement identi-fiable et différent des autres objets exclus deson champ d'application. Ce régime juridiquespécifique est-il compatible avec le principed'égalité? L'un des paradoxes de la position dulégislateur belge consiste en ce qu'en enten-dant prévenir les discriminations génétiquesdans le secteur de l'assurance terrestre, il metpeut-être à mal, lui-même, le principe d'égali-té. Ne prévoyant un régime juridique particu-lier que pour les données génétiques, la loi de1992 ne suscite-t-elle pas inévitablement desdifférences de traitement par l'assureur entreles « clients » porteurs de « risques généti-ques » (lesquels ne seront pas identifiés), etles autres assurés? Ce nouveau chef de discri-mination implicitement consacré que sont lescaractéristiques génétiques n'est-il pas quel-que peu arbitraire?

    1CHAPITRE PREMIERLES APPORTS DU DROIT INTERNATIONAL CONVENTIONNEL

    ET DU DROIT COMPARÉ

    A. — Le droit international conventionnel

    Au niveau du droit international convention-nel, un certain consensus semble toutefois sedégager à cet égard, comme en témoigne laConvention du Conseil de l'Europe sur lesdroits de l'homme et la biomédecine adoptéeen 1997 (29).

    L’approche paneuropéenne et la volonté ex-plicite d’inscrire la « protection des droits del’homme à l’égard des avancées de la médeci-ne et de la biologie » dans la généalogie desinstruments internationaux de protection desdroits de l’homme, ce dont témoigne notam-ment la Convention du Conseil de l’Europesur les droits de l’homme et la biomédecineadoptée en 1997 (30), sont sans conteste uneoriginalité de l’approche européenne. Lesdroits de l’homme forment en Europe la pers-pective commune. En particulier, le droit à laprotection de la vie privée, énoncé à l’article 8de la Convention européenne des droits del’homme, semble, dans la matière qui nous in-téresse ici, inspirer assez sensiblement les ré-gulations en voie d’élaboration.

    L’approche américaine est toute différente, nefût-ce que parce qu’elle ne semble pas se réfé-rer d’une manière aussi évidente à un ordre ju-ridique et à des normes supranationaux. Lesquestions relatives à la régulation des enjeux

    (27) « L'assurance est liée à la notion de contrat li-brement consenti. Elle s'inscrit dans un principed'échange, de cotisations et de prestations, de droitset d'obligations réciproques des contractants (...) Ondira qu'il y a des obligations d'assurance, mais il fautnoter qu'en dehors des assurances sociales, ce nesont que des assurances de responsabilité, et celaparce qu'elles visent l'indemnisation des tiers. »(François Ewald et Jean-Pierre Moreau, « Génétiquemédicale, confidentialité et assurance », Risques,1994, no 18, p. 113).

    (28) L'échec successif des dizaines de propositionsde législations fédérales américaines en matière de« genetic privacy » et de « genetic discrimination »s'explique en partie par l'impossibilité de trouver unconsensus suffisant quant à la définition de ce quesont les tests et informations génétiques.(29) Convention sur les droits de l'homme et la bio-médecine, 4 avril 1997, S.T.E., no 164.(30) Convention sur les droits de l’homme et la bio-médecine, 4 avril 1997, S.T.E., n° 164

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    éthiques, juridiques, sociaux des développe-ments de la génétique humaine font bien l’ob-jet de multiples études spécifiques, financéesprincipalement par l’ « Organisation du projetgénome humain » (HUGO), mais aucune deces études n’envisage réellement la probléma-tique dans une perspective internationale ousupranationale. Les réflexions américainessur ces sujets semblent davantage engagéesdans une « compartimentalisation » des pro-blématiques suivant les divers courants tradi-tionnels de la théorie du droit (31). Il n’existepas, outre-Atlantique, de fil conducteur uni-que, comme celui qui existe en Europe sous laforme des droits de l’homme, qui puisse relierentre elles, ni favoriser une interprétation con-vergente des multiples instruments régula-teurs. En ce qui concerne la vie privée, il im-porte également pour notre propos d’êtreattentifs aux spécificités américaines. Lesconceptions de la « privacy », ainsi que lesmécanismes mis en œuvre pour la garantir,sont bien différents de part et d’autre del’Atlantique.

    Pour en revenir à l’approche européenne, ilimporte de tenir compte, pour les questionsqui nous intéressent ici, de la Convention duConseil de l’Europe sur les droits de l’hommeet la biomédecine, seul instrument contrai-gnant à l’heure actuelle.

    L'article 10 (vie privée et droit à l'informa-tion) prévoit par ailleurs que« 1. Toute personne a droit au respect de sa vieprivée s'agissant des informations relatives àsa santé.

    » 2. Toute personne a le droit de connaîtretoute information recueillie sur sa santé. Ce-pendant, la volonté d'une personne de ne pasêtre informée doit être respectée.

    » 3. A titre exceptionnel, la loi peut prévoir,dans l'intérêt du patient, des restrictions àl'exercice des droits mentionnés au paragra-phe 2».

    L'article 12 (tests génétiques prédictifs) decette convention énonce en effet qu'« il nepourra être procédé à des tests prédictifs demaladies génétiques ou permettant soitd'identifier le sujet comme porteur d'un gèneresponsable d'une maladie, soit de détecterune prédisposition ou une susceptibilité géné-tique à une maladie qu'à des fins médicales oude recherche médicale, et sous réserve d'unconseil génétique approprié ».

    Il convient de noter toutefois qu'en vertu del'article 26.1. de cette Convention, certainesrestrictions peuvent être apportées par lesEtats à l'exercice des droits énoncés notam-ment aux articles 10 et 12. « L'exercice desdroits et les dispositions de protection conte-nus dans la présente Convention ne peuventfaire l'objet d'autres restrictions que cellesqui, prévues par la loi, constituent des mesu-res nécessaires, dans une société démocrati-

    que, à la sûreté publique, à la prévention desinfractions pénales, à la protection de la santépublique ou à la protection des droits et liber-tés d'autrui ».De la même manière que, dans la Conventioneuropéenne des droits de l'homme (art. 14),sont considérées comme inadmissibles lesdiscriminations fondées sur des critères com-me le sexe, la race, la couleur, la langue, la re-ligion, les opinions politiques ou toutes autresopinions, l'origine nationale ou sociale, l'ap-partenance à une minorité nationale, la fortu-ne, la naissance ou toute autre situation,l'article 11 (non-discrimination) de la Con-vention du Conseil de l'Europe sur les droitsde l'homme et la biomédecine énonce que :« Toute forme de discrimination à l'encontred'une personne en raison de son patrimoinegénétique est interdite ».L'article 26.2 de la Convention exclut, pourcet article 11, toute possibilité de restrictionpar les Etats.Notons aussi, au passage, que l’exposé desmotifs de la recommandation (par nature noncontraignante) du Conseil de l’Europe relativeà la protection des données médicales du13 février 1997 explicite que « les rédacteursde la recommandation ont souligné que lecandidat à l’emploi, au contrat d’assurance ouà d’autres services ou activités ne devrait pasêtre forcé de subir une analyse génétique, parle fait de rendre l’emploi ou le contrat d’assu-rance dépendants d’une telle analyse, sauf siune telle dépendance est explicitement prévuepar la loi et si l’analyse est nécessaire à la pro-tection de la personne concernée ou d’un tiers(travail avec des substances dangereuses, parexemple) » (32).La déclaration de l'Association médicale mon-diale sur le projet génome humain s'intéresseégalement à cette problématique des discrimi-nations génétiques et constate qu'« il existe unconflit entre le potentiel croissant des nouvel-les technologies de révéler l'hétérogénéité gé-nétique et les critères de l'assurance privée etde l'emploi. Il serait désirable d'adopter pourles facteurs génétiques le même accord tacitequi interdit l'usage de la discrimination racialedans l'emploi ou l'assurance. La cartographiegénétique risque de devenir une source de stig-matisation et de discrimination raciale, et une« population à risque » peut se retrouver« population défectueuse » (33). Rencontrer cerisque impliquerait l'adoption de législationsdu type des « anti-discrimination statutes »américaines (34).Les discriminations génétiques seraient aussiinadmissibles que les discriminations fondéessur l'appartenance ethnique ou le sexe, parexemple, car, dans les deux cas, il s'agirait dediscriminations fondées sur des caractéristi-ques immuables, inhérentes aux personnes, etnon sur les qualifications ou aptitudes (35).

    B. — Le droit comparé

    La mise en œuvre effective de ces dispositionsn'est toutefois pas évidente dans un contexteoù le poids économique du secteur de l'assu-rance peut inciter les instances régulatricesnationales à s'écarter des engagements pris surla scène internationale.

    Entre l'attitude prohibitionniste empêchanttoute communication, même volontaire, desinformations génétiques à l'assureur et uneposition libérale faisant jouer à plein la libertécontractuelle des parties et s'appuyant sur uneprotect ion purement procédurale de la« genetic privacy », solution retenue danspresque tous les Etats américains, toutes lesnuances sont possibles.

    Les attitudes nationales oscillent donc entre,d'une part, des approches prohibitionnistesqualifiées par d'aucuns de radicales (36),comme la position belge, qui, anticipant laquestion des discriminations génétiques (la-quelle n'est même pas évoquée explicitementdans la loi), empêche purement et simplementtout accès des assureurs à l'information géné-tique prédictive et empêche les assurés eux-mêmes de communiquer, même de leur pleingré, ces informations aux assureurs, et des ap-proches purement procédurales, d'autre part,dont le modèle est américain, qui s'en remet-tent au principe de la liberté contractuelle,sous réserve du strict respect par les acteurs del'exigence du consentement libre et éclairé dela personne à laquelle « appartiennent » lesinformations.

    Nous avons décrit plus haut la position prohi-bitionniste du législateur belge; venons-enmaintenant, à l'autre extrême, l'approche pro-cédurale américaine.

    A peu près la moitié des Etats américains sesont aujourd'hui dotés de législations diversesprotégeant la « genetic privacy ». En Oregon,par exemple, qui, en 1995, fut le premier Etataméricain à se doter d'une législation visant àprotéger la « privacy » des informations géné-tiques, le principe est que, moyennant quel-ques exceptions, la légalité de l'obtention, dela conservation, la divulgation d'informationsgénétiques concernant une personne sont tri-butaires du consentement spécifique de la per-sonne concernée. Ce type de législation, cen-sée protéger la « genetic privacy », a plutôtpour effet de protéger la « sécurité » des in-formations génétiques par l'instauration denormes procédurales régissant leur recueil,leur conservation et leur divulgation ... les as-surés peuvent donc refuser de se soumettreaux tests, de communiquer les résultats detests génétiques, mais dans ce cas, il n'est pasinterdit à l'assureur de leur refuser le bénéficede l'assurance. Aucun de ces Etats, d'ailleurs,n'interdit aux assureurs d'opérer des distinc-

    (32) Recommandation n° R(97)5 du Comité des mi-nistres aux Etats membres relative à la protection desdonnées médicales.(33) Déclaration adoptée par la quarante-quatrièmeassemblée médicale mondiale, Marbella (Espagne),sept. 1992.(34) Voy. notam. Susan M. Wolf, « Beyond GeneticDiscrimination - Towards the Broader Harm ofGeneticism », J.L.M.E., 1995, vol. 23, pp. 345-353.(35) Dans l'arrêt Doe v. Attorney General of theUnited States, 941 F2d (1991), il avait été considéré

    que les discriminations fondées sur le statut de por-teur du virus du sida étaient aussi inadmissibles queles discriminations fondées sur le sexe ou l'apparte-nance ethnique, en raison également du caractère ir-réversible (en l'état actuel de la médecine) de ce sta-tut, littéralement attaché à la personne (voy.Lawrence O. Gostin, « Discrimination and Disabili-ty Law » JAMA(HIV.AIDS), 1996).

    (36) E. Guldix, J. Struy, synthèse de la rechercheS.S.T.C. consacrée à « Un cadre éthique et juridiquepour l'utilisation d'informations génétiques indivi-duelles », V.U.B., 1994.

    (31) « The american response to the privacy pro-blem has always been susceptible to the vagaries andunpredictabilities of a legislative system more suitedto distributing particular private goods to consti-tuents and clienteles, than in fashioning coherent pu-blic policy in anticipation of social dangers » (ColinJ. Bennett, « The Political Economy of Privacy : AReview of the Literature », paper prepared for theCenter for Social and Legal Research, D.O.E. Hu-man Genome Project : Final Draft, April 1995.

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    tions en fonction des caractéristiques généti-ques des personnes, à condition que ces dis-tinctions de traitement soient actuariellementjustifiées (37).

    Au niveau fédéral, le programme « Ethical,Legal and Social Implications » (E.L.S.I.) del'« Human genome project » (H.U.G.O.) dif-fusait, dès 1995, une « Genetic Privacy Bill »(38), structurée en termes de devoirs des clini-ciens et chercheurs, d'une part, et de droits despatients ou « sources d'échantillons », d'autrepart. Le projet fait montre également d'uneconception purement procédurale de la« genetic privacy » et, de par sa structurationmême, ignore les différentes spécificités descontextes concrets où il aurait eu à s'appli-quer. De nombreuses autres propositions lé-gislatives se suivent depuis lors, sans qu'aucu-ne n'ait à ce jour pu aboutir.

    Par ailleurs le rapport final de l'« U.S. TaskForce on Genetic Testing », intitulé « Promo-ting, Safe and Effective Genetic Testing in theUnited States » est focalisé, comme son titrel ' i n d i q u e , s u r d e s p r é o c c u p a t i o n s d e« sécurité » et d'« effectivité », semblant encela présumer que ces questions de sécurité etd'effectivité épuisent les questions éthiques. Ilest douteux toutefois que les implicationséthiques, sociales et juridiques soient effecti-v e m e n t r e n c o n t r é e s p a r c e s n o r m e s« techniques » (39). L'on pourrait d'ailleurss'interroger sur les causes d'un tel « rétrécisse-ment » des perspectives, qui pourrait être par-tiellement dû à des circonstances institution-nelles en l'occurrence : l'U.S. Task Force onGenetic Testing est un groupe de travail éma-nant du « Working Group on Ethical, Legaland Social Implications of Human GenomeResearch », (lui-même conjointement créé parle National Institute of Health (N.I.H.) et parle Department of Energy (D.O.E.)). L'on neretrouve plus dans la « raison sociale » dusous-groupe de travail, le souci explicite desimplications éthiques, juridiques et sociales.Outre cette raison « institutionnelle », il sepourrait bien que cette focalisation sur l'effi-cacité et la sécurité réponde à un projet expli-cité dans le rapport, d'ailleurs :

    « The focus of the Task Force on potentialproblems in no way intended to detract fromthe benefits of genetic testing. Its overridinggoal is to recommend policies that will reducethe likelihood of damaging effects so thebenefits of testing can be fully realised undi-luted by harm ».

    Le projet de traduire les avancées de la géné-tique humaine en stratégies d'amélioration dela santé publique semble donc prévaloir en

    importance et en urgence sur l'évaluation éthi-que, juridique et sociale du projet. En témoi-gne encore le rapport des « Centers for Di-sease Control and Prevention » intitulé« Translating Advances in Human Geneticsinto Public Health Action : A Strategic Plan »du 1er octobre 1997.

    Entre les approches prohibitionniste et procé-durale, se retrouvent une série de positions na-tionales, d'un « libéralisme croissant » (com-me au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas) qui nefont jouer l'interdiction de façon radicale quepour les assurances représentant un montantsupérieur à un certain seuil.

    Nous avions identifié, plus haut, trois ques-tions principales se posant à l'égard de l'utili-sation des informations génétiques pour lesbesoins de la conclusion ou de l'exécutiond'un contrat d'assurance :

    A. — L'assureur peut-il exiger que le candidatou l'assuré se soumette à des tests génétiquespréalablement à la conclusion du contrat d'as-surance ou à son exécution?

    B. — S'il ne peut contraindre le candidat à sesoumettre à des tests génétiques, l'assureurpeut-il exiger la communication des résultatsde tests génétiques pratiqués antérieurement?

    C. — Si l'assureur ne peut exiger la communi-cation des résultats de tests génétiques prati-qués antérieurement, l'assuré peut-il néan-moins communiquer vo lon ta i rement àl'assureur les résultats de tests génétiques leconcernant, afin d'être classé le cas échéantdans une catégorie à risques moins élevés?

    Ces trois questions suscitent, d'un pays àl'autre, des réponses bien différentes, tributai-res à la fois de la force persuasive des lobbiesde l'assurance et des différentes sensibilitésculturelles (40).

    Il est intéressant d'ailleurs de remarquer icique la matière est peut-être l'une de celles àpropos de laquelle le phénomène de « négo-ciation des normes » est le plus remarquable.Au Royaume-Uni, par exemple, en juillet1995, le House of Commons Select Commit-tee on Science and Technology (« Assessmentof the impact of genetic testing on the insuran-ce industry » (41) recommandait que le sec-teur de l'assurance se voie invité à proposer,endéans un délai d'un an, des solutions accep-tables pour le Parlement, concernant cettequestion de l'utilisation des tests et des infor-mations génétiques dans l'assurance. Le Se-lect Committee recommandait aussi qu'à titresubsidiaire, à défaut pour le secteur de l'assu-rance de faire au Parlement des propositionsconcrètes dans le délai imparti, des réglemen-tations soient prises « d'autorité », au besoinpar la voie législative. La recommandation nefut cependant pas suivie d'effets et, en dépit del'inaction du secteur de l'assurance, le gouver-nement s'abstint également, en tout cas dansun premier temps...

    A. — S'agissant des tests génétiques qui se-raient exigés expressément par l'assureur envue de la conclusion ou de l'exécution d'uncontrat d'assurance, la plupart des pays sem-blent d'accord pour les interdire (42), étantdonné que la mesure mettrait à mal outre lavie privée du candidat assuré ou de l'assuré,son droit à l'intégrité physique, et un « droitde ne pas savoir » essentiel s'agissant d'infor-mations prédictives psychologiquementéprouvantes dans certains cas (43). L'optionparaît exigée par la Convention du Conseil del'Europe. Elle est d'ailleurs imposée par la lo-gique actuarielle elle-même, par les principesde base de l'assurance : le principe de la bonnefoi et de la mutualité dans l'échange d'infor-mations entre l'assureur et l'assuré impliqueque ce dernier communique à l'assureur toutesles informations dont il a connaissance etqu'il sait pertinentes pour l'évaluation de sonrisque personnel. Les principes actuariels fon-damentaux s'opposent donc à ce que, alorsqu'il n'aurait pas spontanément requis un testgénétique, le client se soumette à un tel test àla seule fin de la conclusion du contrat d'assu-rance.

    La règle ne semble pas pourtant faire l'unani-mité dans tous les pays, même signataires dela Convention du Conseil de l'Europe sur lesdroits de l'homme et la biomédecine. Ainsi, laSuisse, signataire de cette Convention depuisle 7 mai 1999, s'est engagée à cet égard dansun processus législatif en évidente contradic-tion par rapport à son engagement internatio-nal. L'avant-projet de loi fédérale sur l'analysegénétique humaine (version du mois de sep-tembre 1998), prévoit en effet (art. 23) que

    « (...) Se fondant sur une proposition motivéedes associations d'assurances ou d'une insti-tution d'assurance (44), l'office fédéral com-pétent désigné par le Conseil détermine, pourcertaines branches d'assurances non obligatoi-res (45), les analyses présymptomatiques dontles résultats peuvent être demandés au pre-neur d'assurance par l'institution d'assurance(...) ».

    Les solutions nationales, dans la pratique, nedépendent pas toujours, loin s'en faut, de laposition d'un législateur ou d'une instance ré-gulatrice détentrice d'un pouvoir ou d'unefonction législatrice. Il arrive fréquemmentque le secteur de l'assurance lui-même, antici-

    (40) Voy. notam. Ruth Chadwick (co-ordinator),« Genetic Screening : Ethical and PhilosophicalPerspectives », Final Report, febr. 1997, Euroscreen.http ://www.uclan.ac.uk/facs/ethics/eurolrep.htm(visité le 14 avril 2000).(41) Human Genetics : The Science and its Conse-quences, Third Report House of Commons Scienceand Technology Committee, july 1995, HC231,H.M.S.O.

    (37) Michael S. Yesley, « Protecting GeneticDifference », intervention à l'occasion du sympo-sium Biotechnology and the Law : New Perspectiveson Public Access and Proprietary Rights, 20-21 févr. 1998, Berkeley Center for Law and Techno-logy.(38) G.J. Annas; L.H. Glantz, P.A. Roche, « TheGenetic Privacy Act and Commentary », BostonUniversity School of Public Health, 1995, http://www.bushph.bu.edu/Depts/HealthLaw/.(39) Voy. notam., pour une analyse critique synthé-tique de ce rapport, Nicholas Joll, « Promoting Safeand Effective Genetic Testing in the United States :Final Report of the US Task Force on Genetic Tes-ting, from an Ethical Perspective », Euroscreen,no 11, printemps 2000.

    (42) Voy. notam., pour une discussion plus appro-fondie, P. Sandberg, « Genetic Information and LifeInsurance : a Proposal for an Ethical EuropeanPolicy », Social Science and Medicine, 1995,vol. 40, p. 1549.(43) « Genetic material is not comparable with con-ventional medical information. The extent of infor-mation contained in one's genome and its predictivequalities distinguish it from one's medical history.Genetic information is also by its very nature extre-mely private. Many individuals prefer to let their fu-ture unravel as time passes rather than be burdenedwith the knowledge that they are going to suffer, orare predisposed to, a disease. To require testing as aprerequisite to insurance conflict with an indivi-dual's right not to know » (David Keays, « The legalimplications of genetic testing : insurance, employ-ment and privacy », Journal of Law and Medicine,1999, vol. 6 (4), p. 361.(44) C'est moi qui souligne.(45) Ce sont évidemment principalement ici les as-surances vie qui sont visées.

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    pant les craintes du public, prenne les devantset adopte des moratoires ou des lignes de con-duite particulières en la matière. La France etl'Australie (notamment) fournissent à cetégard deux modèles intéressants.

    En mars 1999, par exemple, la Fédérationfrançaise des sociétés d'assurance (F.F.S.A.)renouvelait pour une période de cinq années,l'engagement pris en 1994 « de ne pas tenircompte des résultats de l'étude génétique descaractéristiques d'un candidat à l'assurance,même si ceux-ci leur sont apportés par l'assu-ré lui-même ». La F.F.S.A. a en outre engagéses membres à ne pas exiger des candidats àl'assurance vie qu'ils se soumettent à des testsgénétiques en vue de la souscription de cetteassurance et à ne pas réclamer les résultats detests génétiques réalisés précédemment. Dansson rapport du mois d'octobre 1999 (rapportSérusclat) intitulé « Génomique et informati-que : l'impact sur les thérapies et sur l'indus-trie pharmaceutique », l'Office parlementaired'évaluation des choix scientifiques et techno-logiques recommandait que le législateurfrançais mette à profit cette période de mora-toire pour fixer des règles précises, particuliè-rement à l'occasion de la révision de la loi surla bioéthique no 94-654 du 29 juillet 1994. LeConseil d’Etat, dans son rapport de novembre1999, intitulé « Les lois de bioéthique : cinqans après », considère toutefois que « les re-présentants de la profession de l’assurances’étant engagés à ne tenir en aucune manièrecompte des résultats de tests génétiques, jus-qu’en mars 2004, il ne paraît pas opportun quele législateur, devançant largement cetteéchéance, encadre dès aujourd’hui une prati-que qui est susceptible d’évoluer rapidementau gré du développement qui sera celui destests génétiques ».

    En droit australien (46), où n'existait aucunedisposition empêchant expressément un assu-reur d'exiger, préalablement à la signatured'une police d'assurance, que le candidat sesoumette à des tests génétiques, c'est à la LifeInvestment and Superannuation Associationof Australia (L.I.S.A.) (47) que revint l'initia-tive de prendre position, en 1997, contre lapratique qui consisterait à exiger ces tests gé-nétiques préalablement à l'octroi de policesd'assurances vie ou d'assurances maladie-in-validité (48). Cette position était toutefoisnuancée par la considération faite dans le tex-te que des développements futurs, non prévi-sibles au moment de la rédaction, pourraientjustifier une révision de cette position. La plusrécente Genetic Privacy and Non-Discrimina-tion Bill 1998 (Cth) proposée par le sénateurScott Despoja, vise notamment à interdire queles assureurs n'exigent de leurs clients poten-tiels de se soumettre à des analyses génétiques(cl. 19 [c]). La Genetic Privacy and Non-Dis-crimination Bill 1998 (Cth), prévoit cepen-dant, à titre d'exception au principe énoncépar le même texte de la non-discriminationgénétique, que les assureurs peuvent avoir ac-cès et utiliser les résultats de tests génétiquespréexistants.

    B. — S'agissant de la communication des ré-sultats de tests pratiqués antérieurement audébut de la négociation du contrat d'assuran-ce, donc, les positions sont plus divergentesencore. Il ne semble pas, d'ailleurs, qu'il soitpossible de déduire des termes de la Conven-tion du Conseil de l'Europe aucune interdic-tion explicite à cet égard (49). L'article 12 decette Convention vise à empêcher qu'il soitprocédé à des tests génétiques à d'autres finsqu'à des fins médicales ou de recherche médi-cale, mais ne prévoit rien s'agissant de l'utili-sation des résultats de tests pratiqués effecti-vement à des fins médicales ou de recherchemédicale antérieurement à la conclusion ducontrat d'assurance. La communication de cesrésultats peut-elle être exigée par l'assureur?Le candidat à l'assurance peut-il volontaire-ment communiquer ces résultats à l'assureur?La question est extrêmement controverséedans la plupart des Etats.

    En France, le comité consultatif nationald'éthique, dans son avis no 46 de 1995 « Gé-nétique et médecine : de la prédiction à la pré-vention » décidait que

    « ... l'utilisation des résultats d'un examen descaractéristiques génétiques à des fins autresque médicales ou de recherche, par exempledans le cadre d'un contrat d'assurance ou del'emploi, est interdite, même si elle est le faitdes sujets testés eux-mêmes ou qu'elle se faitavec leur accord... ».

    Le rapport du Conseil d’Etat de novembre1999, « Les lois bioéthiques : c inq ansaprès », semble nettement s’écarter de l’avisantérieur du C.C.N.E., en tout cas sur ce pointprécis. Pour le Conseil d’Etat, « (...) il sem-blerait plus cohérent avec la législation ac-tuelle et plus conforme aux principes del’équité actuarielle, consacrés par le Code pé-nal et la jurisprudence, qu’un souscripteur nepuisse cacher à son assureur le résultat d’untest de prédisposition qu’il aurait subi volon-tairement avant la conclusion du contrat (...)cette (...) solution devrait dissuader les sous-cripteurs potentiels de s’engager dans desstratégies opportunistes. Ils seront en effet te-nus de communiquer à toute compagnie d’as-surance les résultats de tests génétiques lesconcernant si ces résultats ont déjà été com-muniqués à une autre compagnie ou si le futurassuré a accepté de les subir à sa demande. Si,en effet, mue par le désir d’obtenir unemeilleure tarification auprès d’un autre assu-reur, une personne accepte de subir un test etque ses espoirs sont déçus, il y va du principede loyauté contractuelle que les résultats ensoient connus de l’assureur vertueux vers le-quel elle se retourne ».

    Au Royaume-Uni, le 2 décembre 1996, unecommission consultative pour la génétiquehumaine, la « Human Genetics AdvisoryCommission » (H.G.A.C.) (50) fut mise enplace par le ministre britannique des Scienceset Technologies, et chargée d'étudier l'ensem-ble des conséquences sociales, éthiques, et/ou

    économiques des développements de la géné-tique humaine (51). L'H.G.A.C. s'est penchéesur la question de l'utilisation des tests généti-ques et de leurs résultats dans le secteur del'assurance. Les travaux de la commission sesont surtout focalisés sur les problèmes poséspar rapport à l'assurance vie. En décembre1997, l'H.G.A.C. publiait un rapport intitulé« The Implications of Genetic Testing forInsurance », lequel aborde différents aspectsde la problématique de l'utilisation de l'infor-mation génétique dans le secteur de l'assuran-ce. Dans ses remarques préliminaires, le rap-port constatait que la disponibilité et l'accessi-bilité des assurances et en particulier desassurances vie sont dans l'intérêt public, dansla mesure notamment où pour la plupart descitoyens au Royaume-Uni, l'accès à l'assuran-ce vie conditionne les possibilités d'acquérirla propriété d'un logement et de garantir unesécurité satisfaisante aux personnes à charge.L'H.G.A.C. émettait d'emblée l'avis suivantlequel il importait non seulement aux indivi-dus mais également à la société dans son en-semble et au secteur de l'assurance lui-mêmeque personne ne soit exclu du bénéfice de l'as-surance vie sans raisons valables. La commis-sion ne prônait pas pour autant une interdic-tion immédiate, totale et définitive de l'utilisa-t ion des informat ions génét iques dansl'assurance, l'idée étant qu'à l'heure de la ré-daction du rapport, les tests génétiques étaientencore insuffisamment performants pour pou-voir fournir des informations pertinentes surle plan actuariel. Pour les mêmes raisons sem-ble-t-il, l'H.G.A.C. estimait que les risquesd'antisélection n'étaient pas indiscutables.S'agissant des risques de discriminations gé-nétiques, l'H.G.A.C. n'en dit pas grand-chose,et se borne à affirmer sa volonté d'étudier laproblématique. A la différence du législateurbelge, l'H.G.A.C. semble concevoir la protec-tion des informations génétiques d'une part etles risques de discriminations génétiquescomme deux problématiques distinctes. En cequi concerne la question de la communicationdes informations génétiques, elle prône le res-pect par le secteur de l'assurance d'un mora-toire pendant lequel les assureurs ne requer-raient pas la communication des résultats detests génétiques. La justification est un peudécevante toutefois en ce qu'elle ne fait querépéter purement et simplement les règles ac-tuarielles, dont l'exigence de ne se baser, pourl'évaluation des risques, que sur des informa-tions dont la pertinence actuarielle est suffi-samment établie... L'argument est de typetechnique (52), il n'est pas même fait mentiondu « droit de ne pas savoir » de l'assuré ou ducandidat assuré à l'égard des informations gé-nétiques le concernant... il était recommandéau gouvernement de mettre en place un régi-me en vertu duquel le moratoire ne pourraitêtre levé que pour autant que le secteur de l'as-surance en justifie la nécessité. Il découle durapport que pour justifier la levée du moratoi-re, les assurances devraient prouver un rap-

    (49) Tony McGleenan, Genetic Information and theChallenge to privacy, 13th Annual Bileta Conferen-ce : « The Changing Jurisdiction », 27-28 mars1998, Trinity College, Dublin, (British and Irish Le-gal Education Technology Association).(50) Colin Campbell, « A Commission for the 21stCentury », The Modern Law Review, 1998, pp. 598-602.

    (46) L'Australie ne fait pas partie des signataires dela Convention du Conseil de l'Europe.(47) Devenu depuis lors l'Investment and FinancialServices Association (I.F.S.A.).(48) « Underwriting and Genetic Testing - DraftL.I.S.A. policy on genetic testing », June 1997.

    (51) Cette commission rend compte directementaux ministres de l'Industrie et de la Santé et est finan-cée par l'Office of Science and Technology.(52) « A requirement to disclose results of specificgenetic tests as a condition of purschasing a specifictype of insurance product would only be acceptablewhen a quantifiable association between a given pa-tern of test results and events actuarially relevant fora specific insurance product has been established. »

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    port pertinent entre les résultats d'un test gé-nétique spécifique et le risque couvert par l'as-surance. Cette preuve devrait s'appuyer surdes études scientifiques publiées.

    Début 1997, l'Association of British Insurers(53) adoptait un moratoire de deux ans pen-dant lequel ils s'engageaient à ne pas exiger deleurs « clients » qu'ils se soumettent à destests génétiques avant de souscrire un contratd'assurance vie. L'association s'engageait aus-si à ne pas utiliser les résultats de tests généti-ques pour les besoins de la conclusion ou del'exécution de contrats d'assurance d'un mon-tant inférieur à 100.000 livres lorsque cescontrats d'assurance vie étaient conclus pourles besoins de la conclusion d'un contrat deprêt hypothécaire Toutefois, l'Associationconfirmait qu'elle entendait que les assurés etcandidats assurés continuent à communiquerles résultats fiables et pertinents des tests gé-nétiques qu'ils entreprendraient ou auraiententrepris précédemment, ces résultats pouvantaffecter le montant des primes exigées dans lamesure où ils indiqueraient un accroissementdes risques. Certaines parmi les principalescompagnies d'assurance vie ont toutefois dé-claré qu'elles ne demanderaient pas cette com-munication des résultats préexistants.

    Le gouvernement à son tour avait accepté lesrègles du jeu fixées par l'A.B.I. (Associationof British Insurers) dans le secteur de l'assu-rance vie (54) :— quelle que soit la couverture du contrat,l'assureur ne peut contraindre son client à sesoumettre à des tests génétiques;— jusqu'à 100.000 livres de couverture, l'as-sureur ne peut pas utiliser les résultats de testsgénétiques (même communiqués volontaire-ment par l'assuré);— au-delà de ce montant, l'assureur est libred'en tenir compte ou non, et en cas de prédis-position à une maladie grave, il lui est loisibled'augmenter le montant de la prime ou de re-fuser le bénéfice de l'assurance à son client.

    Aux Pays-Bas, les assureurs sont égalementautorisés à exiger la production des résultatsde tests génétiques pour les polices d'assuran-ce souscrites pour un montant assuré excédant200.000 florins.

    Aux dernières nouvelles, le gouvernementbritannique donnait le feu vert pur et simpleaux assureurs qui peuvent désormais utiliserles informations génétiques pour évaluer lesrisques présentés par leurs « clients », et mê-me, au besoin, obliger les candidats à l'assu-rance à se soumettre à des tests génétiques.

    C. — S'agissant de la communication volon-taire par l'assuré des informations génétiquesle concernant, et de la possibilité pour l'assu-reur d'en tenir compte, de l'exploitation éco-nomique donc, dans un certain sens, des infor-mations génétiques (« commodification ») laSuisse par exemple prévoit, à l'article 23.1 deson avant-projet de loi fédérale sur l'analyse

    génétique, que « le preneur d'assurance peutcommuniquer à l'institution d'assurance lesrésultats d'analyses présymptomatiques ouprénatales déjà effectuées s'il veut prouverqu'il a été à tort classé dans un groupe à risqueélevé ».

    Au Canada, le comité permanent des droits dela personne et de la condition des personneshandicapées intitulé « La vie privée : où se si-tue la frontière? », s'inquiétait, sous le sous-ti-tre « La vie privée considérée sous l'angle desa valeur commerciale« (p. 11), de ce que« (...) la technologie ne touche pas seulementles personnes : elle a des conséquences sur lesactivités commerciales de la collectivité dansson ensemble. Beaucoup de participants à nosconsultations craignent que la vie privée nesoit devenue une sorte de monnaie d'échangeque les gens sont prêts à céder pour obtenir unmeilleur service ou un meilleur produit, ouencore éviter d'être pénalisés. Pierre-AndréComeau, président de la commission respon-sable de la vie privée au Québec, a mis le co-mité en garde contre un débat qui serait axéuniquement sur la valeur commerciale de l'in-formation. « C'est là, a-t-il dit, la pente glis-sante sur laquelle nous entraînent les nouvel-les technologies qui veulent mettre un chiffreen dollars autour de chaque renseignement »(55).

    Nous reviendrons un peu plus tard (56) sur cedébat entourant la « marchandisation » oul'« indisponibilité » des éléments et produits— y compris informationnels (en ce comprisles informations génétiques) — du corps hu-main.

    2CHAPITRE IIDISCRIMINATIONS GÉNÉTIQUES ET JUSTICE ACTUARIELLE

    A. — Discrimination génétique : tentative de définition

    Le concept de « discrimination génétique »pourrait se définir comme « la privation decertains droits, privilèges, opportunités sur labase d'un diagnostic ou d'un pronostic généti-que » (57). Ces discriminations peuvent êtrefaites à l'encontre d'une personne ou de mem-bres de sa famille (58), sur la base des seulsécarts réels ou seulement perçus que présente

    la constitution génétique de cette personne parrapport à un génome « normal » (59). Ces dis-criminations ne sont pas fondées sur un état« présent » de la personne concernée, mais surson génotype, lequel précise la probabilité defuturs risques (60), « (...) à la différence de ladiscrimination fondée sur la présence desymptômes d'une maladie génétique, la discri-mination génétique vise des personnes enbonne santé apparente ou dont les symptômessont si faibles qu'ils n'en affectent ni la viequotidienne ni la santé » (61).

    Ces définitions, qui ont pourtant l'air assezprécises, recouvrent une réalité très vague etles interprétations qui peuvent en être donnéespeuvent être particulièrement ambivalentes.

    A titre d'exemple, il est arrivé que l'on se de-mande dans la doctrine si le concept de discri-mination génétique pourrait éventuellementcomprendre les discriminations fondées surl'orientation sexuelle ou sur le sexe (62). Dansl'hypothèse probable où cette lecture globali-sante des chefs de discrimination ne serait paspossible, l'approche antidiscrimination conce-vrait séparément ces différents critères de dis-crimination, particulièrement ceux liés ausexe, à la race et ... aux « particularités » gé-nétiques. Ce faisant, cette approche ne pren-drait pas en compte la manière dont peuventêtre liées, voir cumulées, des discriminationsfondées sur le sexe, la race et les caractéristi-ques génétiques. Cette approche segmentéelaisse pour compte les personnes pour les-quels les chefs de discriminations s'addition-nent (63).

    B. — Discriminations génétiques et vie privée : des liens ambigus

    Dans le contexte qui nous intéresse ici, l'appro-che « anti-discrimination », entretient avec laliberté contractuelle et le droit à la protectionde la vie privée — particulièrement avec l'ex-pression de ce droit à la vie privée qui permetde décider seul de l'usage qui peut être fait desinformations personnelles, l'« autodétermina-tion informationnelle » — des liens ambigus.

    Un premier paradoxe de la position du légis-lateur belge réside dans l'instrumentalisationqu'il réalise du droit à la protection de la « vieprivée informationnelle » au profit de lanon-discrimination. Afin que la « geneticprivacy » puisse avoir pour effet de prévenir

    (55) Cité dans le compte rendu officiel du 30 oct.1998 (www.parl.gc.ca.36/1/parkbus/Chambus/hou-se.debates/146_1998-10-30/han146_1230-f.htm (vi-sité le 22 mars 2000).(56) Chapitre IV.(57) Larry Gostin, « Genetic Discrimination, theUse of Genetically Based Diagnostic and PrognosticTests by Employers and Insurers », Am. J.L. & Med.,1991, vol. 17, p. 110.(58) Il est aujourd'hui possible de déduire, sur labase du génotype d'un individu, des prédictions con-cernant sa propre santé mais aussi la santé d'autresmembres de la famille. C'est ainsi à une certaine for-me de « collectivisation » des rapports de soins, et àun démembrement du « colloque singulier » entre lemédecin et son patient que semble inciter la généti-que humaine.

    (53) Association of British Insurers. Genetictesting : A.B.I. code of practice. London, : A.B.I.,1997.(54) L'association of British Insurers s'étaitd'ailleurs publiquement opposée à plusieurs disposi-tions de la Convention du Conseil de l'Europe, dontl'article 11, interdisant les discriminations généti-ques, jugé inapplicable par l'A.B.I., Eurowatch,21 mars 1997.

    (59) George P. Smith « II. Accessing Genomic In-formation or Safeguarding Genetic Privacy », 9, J.L.& Health, 121, 124 (1994-1995).(60) George P. Smith « II ». op. cit.(61) Jean-Noël Ringuet, « Proposition d'ajout d'unnouveau motif de discrimination : le patrimoine gé-nétique », mémoire présenté au comité de révisionde la loi canadienne sur les droits de la personne,Chicoutimi, nov. 1999.(62) Tony McGleenan, Genetic information and thechallenge to privacy, 13th Annual Bileta Conference :The changing jurisdiction, 27-28 mars 1998, TrinityCollege, Dublin.(63) « (...) antidiscrimination doctrine will obscureconnections between disadvantaging based on race,gender, and genetics, and will fail to serve those mostburdened by those connections » (Susan M. Wolf,« Beyond “ Genetic Discrimination ” : Toward theBroader Harm of Geneticism », Journal of Law, Me-dicine and Ethics, 1995, vol. 23, p. 349).

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    les discriminations, il fallait que les informa-tions visées ne puissent être utilisées paraucune des parties, ni par l'assureur, ni parl'assuré, en l'occurrence, les informations gé-nétiques (et elles seules) étant alors mises« hors marché ».

    « A (...) problem is that there appears to be noparticular consensus about the precise objecti-ve of privacy laws. On the one hand it is ar-gued by proponents of genetic privacy legisla-tion that these measures will prevent the worstexcesses of genetic discrimination. Alterna-tely,