serge gorianov les etapes alliance franco-russe

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  • La Revue de Paris

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  • La Revue de Paris. 1894-1970.

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  • LA REVUE DE PARIS

  • REVUE DE PARIS

    BUREAUX DE LA REVUE DE PARIS

    85*", FAUBOURG SAINT-HONOR~, 85~

    LA

    ~/J

    DIX-NEUVIME ANNE

    TOME PRE M 1ER

    Janvier-Fvrier 1912

    PARIS

    1912

  • !
  • 2 LA REVUE DE PARIS

    qu'il avait tout intrt mnager ce parent qui tait son voisin.Mais comment le reconnatre sans l'aveu de l'empereurd'Autriche et surtout de Nicolas de Russie, si intransigeantquand ses ides de lgitimit taient en jeu?

    L'empereur Nicolas acceptait que Louis-Napolon res-taurt l'empire et dsignt un hritier; il tait prt lereconnatre empereur des Franais mais ce- titre ne suffisait

    pas l'ambition du prince il voulait monter sur le trne et,sous le nom de Napolon III, relever la dynastie impriale,renverse par les puissances. L'empereur Nicolas ne pouvaitapprouver ces prtentions. En reconnaissant Napolon III, les

    puissances auraient dclar nul et non avenu tout ce qu'ellesavaient dit et fait en i&i4 et 1816; elles eussent admis queles princes restaurs en i8i5 n'taient que des usurpateurs et

    que la seule souverainet lgale en France tait celle de Napo-lon I", de Napolon II et de leur successeur Napolon III.Le cabinet imprial de Russie tait d'avis que si le prsidentde la Rpublique franaise montait sur le trne, les puis-sances allies ne pourraient admettre qu'il prit le nom de

    Napolon III.Telles furent les rflexions consignes, sur l'ordre du

    tsar, dans un mmorandum du a8 octobre qui devait tre

    communiqu aux cours allies. Le 2 dcembre, il fut mis

    sous les yeux du roi de Wurtemberg par le ministre de Russie

    prince Alexandre Gortchacow. Le roi Guillaume le lut et lerendit au prince sance .tenante. Il parut vouloir se conformer l'attitude qui serait adopte par les grandes puissances; il

    dplora l'Impasse o Napolon voulait s'engager, car, dit-il,c'est l'homme de la situation et personne ne peut accompliren France ce qu'il a entrepris, c'est--dire tenir tte au partide la rvolution . Le ministre de France Stuttgart tait alors

    Agnor de Grammont, duc de Guiche. Le prince Gortchacowle dpeint comme un esprit conciliant et trs dvou

    Napolon, auquel il avait sacrifi ses_traditions de famille etles habitudes de sa premire jeunesse. Le duc de Guichetenait le prince Gortchacow au courant des affaires de France,

    et, comme il tait dans l'intimit du prsident, ses informa-

    tions ne manquaient ni d'intrt ni de piquant.Lorsque le prince Gortchacow lui signala toutes les diffi-

  • cultes qui allaient surgir, si le prsident adoptait le chinre III,le duc de Guiche rpliqua que dans l'esprit du Prsident il ne

    s'agissait pas d'un calcul dynastique, mais d'un acte de pitenvers son oncle, qui, en abdiquant, avait proclam Napo-lon II. Plus tard, lorsque le duc de Guiche apprit les objec-tions de l'empereur Nicolas, il dit au prince Gortchacow,combien il regrettait que la dtermination du tsar n'et past connue plus tt Paris, qu'alors le prince Napolonaurait probablement cherch le moyen de donner une autredirection a. la pense populaire, tant il tait anim du vif etconstant dsir d'entretenir de bonnes relations avec le cabinet

    imprial de Saint-Ptersbourg. Mais il ne lui tait pluspossible de reculer, sans humiliation.

    Ayant appris par les journaux que l'empire venait d'tre

    proclam, le prince Gortchacow acheva sa dpche en

    regrettant que le prince-prsident et manqu sa vocation. Mais ct de ces dceptions, dit le ministre de Russie, lesentiment d'orgueil national m'a fait prouver la plus douce

    jouissance, car encore une fois, c'est chez nous que noustrouvons le dpt de l'honneur des souverains et c'est encorela voix de l'empereur qui trace la route' )).

    Ds que le roi Guillaume eut appris la promulgation de

    l'empire en France, il fit dire au prince Gortchacow combienil attachait de valeur connatre la dcision de l'empereurNicolas au sujet du titre imprial qu'allait prendre Napo-lon, et que, pour sa part, il n'hsiterait pas adopter le

    parti russe. Aussi le prince Gortchacow fut trs tonn de liredans le Moniteur, arriv Stuttgart le 13 dcembre, que leroi de Wurtemberg avait envoy au duc de Guiche son pre-mier aide de camp, gnral baron de Spitzemberg, pour le

    complimenter sur l'avnement du prince Louis-Napolon. Leroi Guillaume s'empressa de dlguer, le lendemain matin,chez le prince Gortchacow son ministre M. de Neurath pourrtablir la vrit. Le roi en faisant sa partie de billard auraitdit au gnral de Spitzemberg d'assurer le duc de Guiche,s'il le voyait, que Sa Majest tait trs satisfaite des dclara-

    i. Archives centrales de Saint-Ptersbourg, 1852, Stuttgart. R. K. 2170dp. i~/2g novembre, n 601, R. N. 22:6, dp. 21 Dovembre/3 dcembreR. N. 2 25g, dp. 26 novembrc/8 dcembre, n" 6o4.

    LES TAPES DE L'ALLIANCE FRANCO-RUSSE 3

  • 4 LA REVUE DE PARIS

    tions politiques du prince Louis-Napolon. Le gnral de

    Spitzemberg s'tait empress de se rendre chez le ministre deFrance et de donner un sens trop large aux paroles du roi.M. de Guiche ne manqua pas de transmettre son gouverne-ment les courtoisies que le gnral lui avait dbites.

    Le journal officiel rfuta l'interprtation donne par leMonileur. Ce qui augmenta la confusion, c'est que M. deGuiche fut charg de tmoigner au roi combien le princeLouis-Napolon avait t sensible aux procds courtois deSa Majest. Les cours de Vienne et de Berlin n'ayant pasfait de difncults pour reconnaitre Napolon III, celle de

    Stuttgart fit de mme. Le duc de Guiche reut ses nouvelleslettres de crance, dans lesquelles il n'tait pas fait mentionduchinrelll'.

    On sait que l'empereur Nicolas, en opposition ses allis,les souverains d'Autriche et de Prusse, avait refus d'appelerNapolon III Afon~'

  • LES TAPES DE L'ALLIANCE FRANCO-RUSSE5

    des trois cours du nord. Elle la garantissait la fois contre les

    vues ambitieuses de la France et donnait les moyens de main-

    tenir entre l'Autriche et la Prusse un accord aussi ncessaire

    l'existence de la confdration germanique qu'au repos de

    l'Europe. C'est une vrit, conclutle comte, dont le roi de

    Wurtemberg ne saurait assez se pntrer.

    Le roi Guillaume se trouvait bien embarrass entre son

    puissant voisin d'outre-Rhin et son beau-frrede Russie.

    Aussi, lorsque dans le courant de l'anne i853la guerre entre

    eux parut imminente, le roi de Wurtembergse considrant

    comme une sentinelle avance contre l'agression qui pourraitvenir de l'ouest, tourna ses regards vers l'empereur Nicolas

    pour connatre sa pense et prendre tempsune attitude qui

    et son approbation.Il tait .d'autant plus perplexe que l'empereur Napolon

    venait de lui adresser une lettre, en le priant de recevoir son

    cousin Napolon-Joseph Bonaparte, neveu du roi Guillaume,

    et de lui accorder son pardon. Ce fils de l'ex-roi de Westphahe,lev l'cole militaire de Ludwigsbourg sous la surveillance

    de son oncle, tait d'abord entr au service militaire, puisavait quitt le pays et rompu toute relation avec le

    roi. Le

    prince Napolon Bonaparte arriva chez son oncle la fin

    d'octobre i85o. Le prince Gortchacow, revenu seulementde

    cong, lui fit ,une visite, car il avait connu trs intimement

    sa famille, lorsque cette branche des Bonapartetait place

    sous la protection spciale des lgations imprialesen Italie.

    Le prince Napolon, de son ct, n'avait jamais manqude

    rendre visite au prince Gortchacow lors de ses passages par

    Stuttgart. Il fut trs sensible l'attention duministre de

    Russie et leur tte--tte dura deux heures.

    Notre entretien, dit le prince Gortchacow. dans sa dpche',

    quelque vari et confiant qu'il ait t, ne peut avoir aucunevaleur

    politique. Aucun de nous n'avait de mission; c'tait une simplecauserie.

    Le prince Napolon a beaucoup d'esprit. D'aprs les notions qu'il

    possde, je dois supposer qu'il est tenu au courant et que ses rap-

    ports avec l'empereur Napolon sont d'une nature intime. Ildit sans

    t. i853, Stuttgart, n 2o83, dp. l'encre sympathique,20 octobre/i'' no-

    vembre, n 63g.

  • 6 LA REVUE DE PARIS

    dtours qu'il regrette vivement que les relations entre la Russie etla France ne soient pas telles qu'a son avis l'intrt des deux paysl'exige, que l'empereur Napolon partage ce regret, que ds lemoment o il avait rv et plus tard ralis le pouvoir, il n'avait

    pas cess de chercher dans une entente complte avec nous le pivotde sa politique extrieure. Son bon vouloir aurait chou contre descirconstances indpendantes de sa volont. Mais, je suis convaincu,a-t-il ajout, que comme c'est son ide fixe, il serait heureux de la

    reprendre, si le retour lui tait facilit sans sacrifice de dignit etsans se compromettre vis--vis du pays.

    Je rpondis que le souverain actuel des Franais ne pouvait pasignorer la justice que l'empereur avait rendue ses heureux et cou-

    rageux efforts contre le dsordre et l'anarchie. Sa Majest s'taitouvertement rjouie de son succs. Quant la France, qu'on ne sau-rait citer aucun acte de notre part qui tmoignt de l'absence dudsir d'tre dans de bons rapports avec ce pays. Le premier accroc,lui dis-je, a t votre chiffre 111 que notre histoire ne nous permet-tait pas d'admettre.

    L'empereur, rpliqua le prince, n'a jamais tenu ce chiffre. C'estune ide de Persigny. L'empereur a seulement rejet la propositionde s'intituler Louis Napolon I, parce que c'et t rpudier lammoire de notre oncle, qui, je vous le dirai franchement, faittoute notre force. Je suppose que vous n'auriez pas protest contre

    Napolon II, puisque Napolon Ier a t reconnu dans tous les traits

    europens. Je vous certiue que rien n'et t plus facile que d'carterce chiffre III qui vous a dplu, pourvu que l'observation en et tfaite en temps utile l'empereur.

    C'est cependant ce chiffre, lui rpliquai-je, qui a donn le premierveil ou autoris, en premier lieu, des suppositions sur la porteque vous chercheriez peut-tre lui donner. Le reste en a dcoul

    plus ou moins. Sous ce dernier rapport je crois que vous eussiezmieux fait de rprimer une faiblesse de mauvaise humeur et de vous

    rappeler que les dynasties anciennes peuvent tre plus strictes dansle formulaire de leur correspondance.

    Je le crois aussi, m'a-t-il dit, nous nous serions placs sur un

    pidestal plus lev, mais l'homme est homme. Les circonstances,qui se sont produites l'avnement au trne de l'empereur Napo-lon, lui ont fait croire qu'il allait se trouver isol; il s'est rappelque c'est l'isolement qui a perdu Louis-Philippe. Nous avons besoind'alliances. La vtre, que nous rclamons par-dessus tout, nousfaisait dfaut. C'est alors que l'Angleterre est venue nous proposerla sienne. Elle nous dit Nous vous accordons vos coudesfranches pour Constantinople, la Belgique, spcialement pour vousen Orient ou en Italie, si cela vous convient; faites d'autres combi-

  • LES TAPES DE L'ALLIANCE FRANCO-RUSSE 7

    naisons. Nous lui donnmes la main. Palmerston aun certain

    ascendant sur l'empereur. Il le flatte dansses vanits et dans ses

    haines. Le premier, il a pouss avecsuccs la reconnaissance du

    titre et il affecte d'avoir les Orlans en horreur au niveau de l'empe-

    reur c'est un engouement trs positif. Drouynde Lhuys, de son

    ct, a des lunettes anglaises; tous ses errements politiquesconver-

    gent vers l. Dans la questiond'Orient, on nous reproche une initia-

    tive hostile la Russie, nous en avons plutt l'apparence quela

    ralit. En Angleterre, les formes parlementaires,les discussions du

    conseil des ministres, etc., entranent des lenteurs d'excution.Chez

    nous, ces questions se traitent et sedcident entre l'empereur et

    Drouyn de Lhuys, et il en rsulte,tout naturellement, que quoique

    l'action soit combine d'abord entre les deux, nos ordres devancent

    ceux envoys par l'Angleterre. Je sais quenous n'avons rien gagner

    dans cette affaire sans d'immenses sacrifices pcuniaires,et que

    toute la manipulation de cette questionest un vritable gchis. Mais

    comment en sortir? Les choses sont trop avances pour quela

    France puisse reculer. Suppos que l'empereur Napolon,et il peut

    beaucoup, voult essayer un virementde bord, aurait-il la chance

    d'en tre ddommag par une alliance avecla Russie?

    Le prince me fixa attentivementcherchant ma pense dans le

    regard. Je lui dis Alliance est un grandmot en politique. C'est

    un livre partie double. La Russiea des allis, auxquels l'unit une

    conformit de principes, d'intrts, de,traditions de longue date,

    des rapports d'une rgularit assure.Le terrain sur lequel nous

    sommes avec l'Autriche et la Prusse n'est pas un mystre, et certes

    la France, y apportant les mmes vueset les mmes sentiments, y

    serait accueillie avec empressement et dans desconditions dont sa

    dignit n'aurait pas ~se plaindre.Il se pourrait toutefois que ce

    n'est

    pas de ce genre d'alliance que vousvoulez parler; je me permettrai

    alors de vous demander par quel gage vous voulez quesoit cimente

    celle que vous offrez en perspective?Notre dynastie, dit le prince Napolon, pour

    se consolider, a

    besoin d'offrir la France des avantages ostensibles quelconques. Que

    vous en coterait-il de nous laisser avoir Nice et la Savoie? Si quel-

    ques petits duchs disparaissaienten Italie, l'assiette politique de

    l'Autriche n'en souffrirait gure et il serait si facilede la ddom-

    mager ailleurs.

    Pas de remaniement territorial en Europe, monseigneur. Pour

    nous, sa carte est faite. Elle a t trace par desflots de sang. De

    semblables vues, ne sauraient jamais mener une ententeavec nous.

    Eh bien! dit le prince, n'existe-t-il donc pas d'autres moyens par

    lesquels des alliances se forment?Vous avez beau me dcourager, je

    tiens cette union des deux plus grandes puissances du monde,

  • 8 LA REVUE DE PARIS

    une union qui deviendrait aussitt compltement continentale, parceque l'Autriche et la Prusse ne pourraient pas manquer d'y prendrepart. L'allusion tait assez claire, mais le silence que je gardaiaussitt lui apprit que je ne voulais pas le comprendre. Il ne lchapas toutefois la thse et reprit Notre malheur est de n'avoirjamais eu Saint-Ptersbourg un dpositaire de la pense del'empereur Napolon. J'ose me flatter qu'il aurait t agr par saMajest l'empereur. Lamoricire' est un adversaire personnel demon cousin. C'tait une grande faute de l'avoir envoy. Castelhajac~n'est pas sa hauteur. D'ailleurs il ne connat presque pas l'empe-reur Napolon, c'est tout au plus s'il lui a adress la parole troisfois. Voyez le guignon qui nous poursuit. b

    L'empereur,invite le gnral Goyon de la manire la plus gra-cieuse, et au lieu de l'envoyer avec empressement Varsovie, on lefait revenir Paris. Je puis vous certifier, parce que j'tais sur leslieux, que ce dfaut de savoir-vivre ne doit pas tre mis sur le comptede l'empereur Napolon, mais sur la malheureuse rdaction desdpches tlgraphiques. En rappelant Goyon Paris, l'empereurignorait les formes et, je crois mme, la source auguste de l'invita-tion. Si l'empereur Napolon voulait envoyer aujourd'hui un hommede sa confiance Ptersbourg, croyez-vous qu'il serait le bienvenu?

    Vous comprenez, monseigneur, que vous-m'adrcssez une ques-tion laquelle je ne suis pas mme de rpondre. Je puis seulementvous certifier que tout retour de la France vers une politique ration-nelle, toute disposition srieuse pour sortir du gchis (j'empruntevos paroles) seront recueillis par l'empereur comme un fait hono-rable pour l'empereur des Franais et apprcis, comme un gagepour le repos du monde, troubl aujourd'hui.

    Le prince revint sur cette ide plusieurs fois, mais il ajoutaittoujours Cependant si nous reculons ainsi, il faudrait que ce fut bonne enseigne.

    Le prince Napolon tenait une entente de la France avec

    i. Christophe-Lcon-LouisJuehault de Lamoricire, gnral, gouverneur-gnral de l'Algrie, ministre de la Guerre sous Cavaignac, fut charg, en18~9, d'une mission diplomatique en Russie.

    2. BarthIemy-Dominique-Jacques-Armand, marquis de Castelbajac, avaitt ministre plnipotentiaire en Russie de 1849 i854.3. L'empereur Nicolas avait invite le gnral Charles de Goyon, plustard duc de Feltre, qui avait suivi les manoeuvres en Prusse, assister aux

    manoeuvres russes daus le royaume de Pologne. Le gnral ne put s'yrendre, faute d'avoir reu l'autorisation de son gouvernement, et le chance-lier de l'empire crivit au comte Kisslew que cette attitude de l'empereurNapolon avait surpris le tsar et qu'il ne l'oublierait pas (dpche du 25 sep-tembre/7 octobre i853).

  • LES TAPES DE L'ALLIANCE FRANCO-RUSSE Q

    la Russie, et se basant sur l'accueil plein de bont que la

    grande-duchesse Olga lui avait fait, il assura au princeGortchacow que cela lui servirait pour dmontrer l'empe-reur Napolon que lui et tous les siens n'taient pas aussi malvus Saint-Ptersbourg qu'il le supposait. Le roi Guillaume e

    dsirait un rapprochement avec l'empereur Napolon; il s'taitrconcili avec le prince Napolon qui il dclara que sa posi-tion tait parfaitement claire et qu'on le trouverait sans fautedans les rangs des souverains de la confdration germanique,s'il surgissait des complications. Le prince Napolon assura son oncle que son imprial cousin ne nourrissait aucune hosti-lit contre l'Allemagne.

    Le roi Guillaume avait toujours reconnu de l'esprit son

    neveu; mais cette fois il lui avait trouv le jugement singu-lirement mri et sa conduite avait t pleine de tact et deconvenance. Le roi Guillaume ne redoutait pas une France

    conqurante, mais une France rvolutionnaire, qui attirt elle tous les mauvais esprits que renfermait l'Allemagne.

    D'aprs lui, il 'suffisait d'un affaiblissement de l'autorit de

    Louis-Napolon pour que l'orage se dchant. L'intrt de

    Louis-Napolon tant de combattre le principe rvolution-

    naire, le roi Guillaume pensait qu'il n'y avait pas de moyenplus efficace pour dompter la rvolution sur le continent

    qu'un rapprochement avec Louis-Napolon. Il le croyait pos-sible sans concessions, sans sacrifice de dignit ni d'intrts.Un accord n'engagerait nullement l'avenir et ne serait que

    l'acceptation d'un fait accompli. Napolon disposant des forces

    de la France, il fallait s'en servir tant qu'il tait au pouvoir.Un refroidissement de son intimit avec l'Angleterre en seraitla consquence probable; mais l'Angleterre tant l'ennemie du

    repos du monde, c'tait assurer ce repos que d'empcher le

    gouvernement anglais d'exercer l'influence immorale qu'ilrvait d'obtenir sur les destines du continent. Offrir Louis-

    Napolon des facilits pour s'entendre avec les puissances con-

    servatrices, ce serait ramener le gouvernement franais sur leterrain d'ordre et d'autorit o se tenaient les autres souve-rains 1.

    i. i853, Stuttgart, n 2!86, dp. 3/i5 novembre, n'~ 642.

  • L'empereur Nicolas approuva tout ce qu'avait dit son

    ministre et lui manda qu'il tait autoris crire ou

    informer le prince Napolon d'une .manire indirecte, mais

    sre, que Sa Majest le tsar tait dispose a accueillir avec

    plaisir toute personne de confiance qui pourrait lui tre envoye

    par l'empereur Napolon'. Le prince Gortchacow crivit au

    prince Napolon

    V. A. ne sera pas surprise si je conserve un souvenir reconnaissant

    de son accueil Stuttgart et bonne mmoire de l'entretien dont elle

    m'a honor. Elle le sera peut-tre d'en retrouver l'assurance parcrit. Voici mon excuse. V. A. I. me disait que les bons rapportsse forment ou se rtablissent par la loyaut et la franchise. C'tait

    me mettre en prsence de mes propres convictions et me devancer

    sur une voie o j'espre ne pas tre rest en arrire. Cependant, jeme rappelle d'une lacune involontaire de ma part, il est vrai, et que

    je lui demande la permission de combler. En m'exprimant ses

    regrets de ce que la pense intime de S. M. l'empereur Napolonavait manqu jusqu'ici d'un dpositaire Saint-Ptersbourg, V. A. I.

    m'avait demand si une personne de la confiance particulire de

    S. M. y serait la bienvenue. Je crois n'avoir rpondu alors qu'enthse gnrale. Aujourd'hui, je suis heureux de pouvoir vous

    assurer, monseigneur, que tout personnage investi de cette qualitserait sans aucun doute reu avec un vritable plaisir par l'empereur,mon matre.

    En communiquant au chancelier, comte Nesselrode, cette

    lettre, que devait emporter le lendemain le ministre de

    France, comte de Barn, le prince Gortchacow regretta de

    n'avoir pas t autoris se prononcer lors de son entretien

    avec le prince Napolon, car l'ardeur de celui-ci augmentaitles chances de succs, et une lettre timide, mesure, parfois

    compromettante pouvait difficilement remplacer les ressources

    varies de la parole, de l'accent, de l'impression. Si, ajoutele prince, Louis-Napolon entendait ses intrts, il se placeraitsur ce terrain, bien que ce serait la prestation d'un hommageclatant que sa position actuelle doit rendre pnible son

    amour-propre 2.

    Le prince Gortchacow avait port sa lettre cachete

    i853, Stuttgart. Exp. n" ~65, 12 novembre.

    i853, Stuttgart. Rc. 228o, dp. 21 novembre/3 dcembre, n" 645.

    10 LA REVUE DE PARIS

  • LES TAPES DE L'ALLIANCE FRANCO-RUSSE II

    M. de Barn, et il ne lui en avait pas laiss ignorer le contenu.Celui-ci lui avait demand la permission d'en accompagnerl'envoi direct au prince Napolon de quelques lignes, par les-

    quelles il insisterait sur la certitude qu'une rception bien-veillante serait rserve un homme de confiance de Louis-

    Napolon. Il s'tait mme permis d'ajouter que l'issue au

    profit de la Russie de la lutte en Orient tt ou tard ne pou-vant pas tre douteuse pour quiconque pesait les forces respec-tives, le gouvernement franais ne dsirait point, pour un

    incident politique passager, perdre de vue ses grands et vri-tables intrts.

    Le comte de Barn reut du prince Napolon un billetlui annonant que tous les dsirs de l'Empereur taient

    pour un prompt rtablissement de meilleurs rapports entreles deux empires; mais les auaires taient trop engagespour prendre l'initiative que proposait le comte de Barn;malheureusement, les circonstances taient souvent plusfortes que les volonts. Le prince Napolon faisait dire au

    prince Gortchacow, combien il se flicitait de la reprise deleurs anciens rapports et combien il dsirait les conserver l'avenir.

    Et pourtant un incident passager , comme le disaitM. de Barn, fut la cause d'une guerre longue, pnible et

    dsastreuse entre la France et la Russie.

    Le i8/3o mars 1856 fut sign le trait de Paris qui mit fin la guerre de Crime. Dans les instructions secrtes quereut le premier plnipotentiaire de Russie au congrs, le

    gnral comte Alexis Orlow, il tait dit que nous devionsnous mettre en garde contre Napolon; incertains que nous

    tions sur les projets que pouvait faire natre le soin de sa

    conservation, nous ne saurions nullement nous lier d'avance

    sa politique mais tout de mme il serait prudent de nousassurer ses bonnes dispositions en lui faisant entrevoir les

    avantages qui pourraient en rsulter pour lui et nomm-

    i856, Paris. Vt, exp. n 4o, dp. 3o janvier.

  • 13 LA REVUE DE PARIS

    ment que sans la participation efncace de la Russie, et quellesque fussent les tendances du reste de l'Europe, aucune coali-tion efficace contre la dynastie napolonienne ne serait pos-sible ni ralisable.

    Lorsque le trait de paix fut sign la Russie resta dansl'incertitude quant ses relations futures. L'alliance des troiscours du Nord ne subsistait plus; la Sude au nord, la Turquieau sud se trouvaient places vis--vis de la Russie dans desconditions nouvelles et dlicates. L'Angleterre sortait mcon-tente de cette paix. Les causes qui avaient provoqu la coali-tion continuaient d'exister. La seule sauvegarde contre elletaient les dispositions de Napolon. Il fallait le gagner sans

    s'engager le suivre dans ses entreprises.Pour rendre Napolon favorable aux vues de la Russie, le

    comte Orlow devait dcider s'il tait opportun de lui faciliterles moyens d'effacer des transactions de 8i4 et i8i5 les

    stipulations concernant la famille Bonaparte'.Un refroidissement momentan dans les rapports de la

    France et de l'empire russe suivit la. nouvelle d'une con-vention qu'elle avait signe avec l'Angleterre et l'Autriche,en excution d'un engagement pris Vienne en-1855. Cetteconvention conclue le 3/i avril i856 tait destine sauve-

    garder la Turquie contre toute atteinte son indpendanceet son intgrit. Le comte Orlow fut prvenu par le comteWalewski quinze j ours aprs la signature de cette convention;l'ambassadeur de Russie rpondit que le cabinet franaisaurait eu meilleure grce de l'en instruire quinze jours plustt, mais qu'il savait que l'Angleterre et l'Autriche avaient miscette combinaison en avant afin de compromettre la Franceaux yeux de la Russie et de rompre leur cordialit qui com-

    menait dj inquiter les cours de Vienne et de Londres~.

    L'empereur Alexandre en lisant la dpche d'Orlow, y fit cetteannotation Cette conduite de la France envers nous n'est

    pas loyale et doit nous servir mesurer le degr de confiance

    que Napolon peut nous inspirer.

    Le sentiment de n'avoir pas agi loyalement envers l'empe-

    t. i856, Paris. VI, exp. n 120, dp. 5 avril.

    !856, Paris. II, rc. n'~658, dp. tl. i8/3o avril, n" 86.

  • reur Alexandre amena Napolon s'expliquer avec le baronBrunnow. qui tait rest Paris pour surveiller les nouveaux

    rapports entre les deux cours. Napolon rejeta la conclusionde l'acte du i5 avril sur l'insistance de lord Clarendon et ducomte de Buol'. L'impratrice Eugnie crut devoir justifierson mari en rptant, elle-mme, au comte Orlow, lors deson audience de cong, combien Napolon apprhendait d'treaccus de fausset pour avoir sign la convention. Je sais,dit-elle, par Walewski que les Anglais et les Autrichiens vou-laient toute force entrer dans les dtails des casus belli, mais

    Napolon a rejet premptoirement et trs dcidment cette

    exigence, en disant Je ne signerai qu'une formule gn-rale, car c'est moi seul que je rserve de dcider dans l'appli-cation ce qui constitue un casus belli ou non.

    Pendant l'anne i856 Napolon III s'effora de gagner laconfiance de l'empereur Alexandre et d'aplanir les difficults

    qui surgirent dans l'excution des stipulations du trait de

    paix. Napolon III dsirait se rapprocher de la Russie; c'estce qu'il exprima dans une lettre qu'il crivit le 6 janvier i85yau tsar'. Il y explique qu'tant intimement li avec l'Angle-terre, il a voulu, la paix conclue, nouer avec lui des liensd'estime rciproque. cc Autant, dit-il, j'ai t franc et fidle l'Angleterre, autant je le serai Votre Majest, si, de gravesvnements survenant en Europe, l'intrt de nos deux paysnous permettait de combattre ensemble. )) Voici la rponse de

    l'empereur Alexandre 3

    Je pense avec vous qu'une entente sincre entre la France et laRussie est le meilleur gage du repos du monde, que des relationsintimes entre nous assureraient dans toutes les ventualits le respectdes transactions auxquelles nous avons concouru, tout en contribuant la grandeur et la prosprit des peuples qui nous sont confis.Je me placerai dans cette voie avec la rsolution que donnent uneconviction et la confiance que vous m'inspirez personnellement. Jeprie Votre Majest d'y compter dans tous les temps.

    En proposant ce projet de lettre l'empereur Alexandre,le prince Gortchacow signala son attention deux expres-

    i. t856, Paris. Rc. n goi, dp. i/x3 mai.

    2. 1857, France. Empereur, rc.3. 1857, France. Empereur, exp. lettre !2/28 janvier.

    LES TAPES DE D'ALLIANCE FRANCO-RUSSE l3

  • sions qui lui semblaient rendre la pense de sonsouverain

    il y parlait d'une entente entre la Russie et la France,ce

    qui voulait clairement dire/d'un ct que l'empereur n'en

    faisait pas une question de dynastie, de l'autre que Napolon

    pouvait compter sur cette entente tant qu'il saurait semain-

    tenir au pouvoir; a" il disait que cette entente tait lemeilleur

    gage du repos du monde cela voulait dire que conquteset

    remaniements aventureux en taient exclus. Le prince Gor-

    tchacow terminait son rapport en ces termes Quoi qu'il 'en

    soit, je dois rpter, Sire, que la lettre de Napolonet votre

    rponse sont les plus grands vnements des deuxdernires

    annes

    Dans le courant de l'anne 1857, le grand-duc Constantin,

    frre de l'empereur de Russie, vint en France et fut reu cor-

    dialement par le couple imprial. Napolon dans ses entretiens

    avec le grand-duc lui tmoigna toute sa confiance. Ds lors, le

    prince Gortchacow trouva que, cette fois, Napolon tenaitrel-

    lement la Russie ce n'taient plus des phrases. Il fallait se

    l'attacher, et si Napolon recherchait une entrevue,il tait

    ncessaire de s'y prparer. Gortchacow proposa l'empereurAlexandre de confrer le cordon de Sainte-Catherine a. l'imp-ratrice Eugnie. L'empereur Alexandre s'empressa d'exprimer Napolon, combien il avait t touch de

    l'accueil que son

    frre avait trouv aux Tuileries 11 m'a rendu ndlement

    compte des questions importantes que Votre Majesta abor-

    des avec lui. J'en apprcie toute la gravit et j'ai t profon-dment touch d'un lan de confidence, laquelle je vous pried'tre persuad que je rpondrai toujours avec la plus

    entire

    rciprocit Napolon dclara, de son ct, que,les liens

    entre eux venant se resserrer, ils pourraient plus ouvertement

    changer leurs ides. Dans sa lettre, Napolon remercia

    Alexandre pour l'ordre de Sainte-Catherine dontle comte

    Kisslew venait de remettre les insignes l'impratrice

    Eugnie avec une lettre d'Alexandra Fedorowna".

    Le sjour du grand-duc Constantin Paris fit natrele bruit

    d'une entrevue des deux empereurs. Elle tait fort dsire aux

    i. ]85~. Dolzlades, 5 janvier.

    a. i85~. France. Empereur, exp. n ay~, lettrest mai.

    3. France. Empereur, rc. n i-)58, lettre 17 juin.

    14 LA REVUE DE PARIS

  • Tuileries on disait que le roi de Wurtemberg en avait crit

    la grande-duchesse Stphanie de Bade' et que c'tait par son

    entremise qu'on esprait y parvenir. A la cour des Tuileries,

    on craignait de prendre l'initiative de la proposition pour ne

    pas veiller la susceptibilit de l'Angleterre; mais Napolondemandait l'ambassadeur de Russie, comte Kissiew, queltait l'itinraire du tsar en Allemagne au beau-frre de l'em-

    pereur Alexandre, au prince Alexandre de Hesse, Napolon

    exprimait son vif dsir de le rencontrer; enfin au charg d'af-

    faires de Russie Paris, Balabine, qui le questionnait sur

    l'poque et le lieu de l'entrevue, le comte Walewski rpondit

    que Napolon aurait prfr l premire quinzaine de septembreet Stuttgart

    Guillaume de Wurtemberg dsirant jouer un rle dans le

    rapprochement, se proposa d'inviter ses parents de grandesftes qui devaient avoir lieu le 27 septembre, l'occasion

    du soixante-seizime anniversaire de sa naissance. Il se fit

    ordonner par ses mdecins un voyage dans le midi de la

    France, Biarritz, o il vit Napolon dans la seconde moiti du

    mois d'aot. L'empereur lui exprima le dsir de lui faire une

    visite Stuttgart en ajoutant qu'ayant t inform du projetde l'empereur de Russie de se rendre galement Stuttgartdans le courant du mois de septembre, il serait trs heureux

    d'y rencontrer Sa Majest et que, par consquent, il choisis-

    sait volontiers ce moment~.

    Nous ne savons de quelle manire l'empereur Alexandre fut

    invit par le roi Guillaume; mais le 6/18 aot le princeGortchacow crivit Balabine qu'une entrevue tant convenue

    entre les deux souverains, Napolon III avait abandonn

    l'empereur Alexandre le choix de l'endroit et du moment, que

    i. Elle tait la fille du comte Claude de Beauharnais, le neveu du vicomte

    Alexandre de Beauharnais, premier mari de l'impratrice Josphine. Napo-lon I' l'avait adopte et marie au grand-duc Frdric de Bade. Napolon III

    lui portait une grande affection,car elle tait apparente sa mre, ex-reine

    Hortense, et elle avait t l'amie intime de celle-ci.

    2. iSSy, Paris. III, rc. Note verbale remise parKissiew a Kissingen,

    2~ juin/6 juillet.

    3. i85~. Paris. II, rc. Lettre de Balabine, ~ojuillet/t' aot, reue le

    2~ juillet.

    4. t857. Stuttgart. Rc. Stoffregen, dpche du 14/16 aot, n" 33, lettre

    du chef du cabinet du roi Guillaume, du 23 aot, de Biarritz.

    LES ETAPES DE L'ALLIANCE FRANCO-RUSSE l5

  • l6 LA REVUE DE PARIS

    Stuttgart tait dans les convenances de l'empereur de Russieet qu'il y serait les s5, sG et 27 septembre'.

    Le roi de Prusse, Frdric-Guillaume, voulut aussi se rendre

    Stuttgart, mais il en fut empch par sa sant. Au reste, il devaitavoir l'assentiment des souverains qui se rencontreraient, et

    supposer que l'empereur Alexandre y consentt, il tait impos-sible de demander le consentement de Napolon~. L'Autricheaussi tait inquite l'empereur Franois-Joseph demanda uneentrevue l'empereur Alexandre. Le prince Gortchacow tchade montrer son souverain que cette demande tait un hom-

    mage public, une sorte d'amende honorable pour le pass et

    que si l'empereur d'Autriche tentait de justifier sa conduite,il fallait le ramener sur le terrain de l'actualit. L'entrevuefut accorde par une lettre au grand-duc de Saxe-Weimar. Larencontre devait avoir lieu Weimar aprs celle de Stuttgart3.

    Le 25 septembre, Napolon fit son entre Stuttgart venantde Bade, o il tait all saluer sa tante la grande-duchesseStphanie. Il avait amen ses gnraux aides de camp, Pierre-Louis de Failly et Flix Fleury et le prince Joachim Murat,colonel des Guides Le 24 septembre tait arriv l'empereurAlexandre; sa suite se composait du comte Adlerberg, du

    prince Basile Dolgoroukow, de Tolsto et de plusieurs aidesde camp. Le comte Kissiew fut mand de Paris par son sou-verain. Le prince Gortchacow n'avait amen que Hamburger.Le roi de Wurtemberg logea dans son palais l'empereur Napo-lon et rserva un appartement l'impratrice Eugnie,de sorte

    que les officiers russes de la suite n'y purent trouver de place.Quant au tsar il s'installa chez le prince royal Charles-Frdricdans la villa de Berg, quelques kilomtres de la ville

    On avait espr Paris, jusqu' la dernire minute, quer. i85~. Paris. V, exp. n 55g, lettre du 6 aot. Exp. n 3o3, tl. 6 aot.

    t85~. DoUades, Berlin, 3/i5 septembre.

    3. i85y. Doklades, Darmstadt, 6/18 et i~/ic) septembre.

    4. Rothan, /ct'Ke ~e Stuttgart. ~Ci'KC des .DeH~ ~Tbn~es, i~ dcc.1888, p. 576.

    5. Le comte Wfadimir Adlerberg, gnral aide de camp, ministre de lamaison de l'empereur. Le conseiller priv et snateur Jean Tolstoi', adjointdu ministre des Affaires trangres. Andr Hamburger, chef des Archivesde la chancellerie du ministre. Le prince Basile Dolgoroukow, gnral decavalerie et chef de la police.

    6. Rothan, ~W., 1857, Stuttgart, rc., lettre 3i aot/12 septembre.

  • l'impratrice Eugnie pourrait tre du voyage. Le comteWalewski avait crit le 15 septembre au ministre de France

    Stuttgart, marquis de Ferrire, de lui faire savoir si l'imp-ratrice de Russie viendrait Stuttgart. Aprs trois dpchespressantes du roi Guillaume, restes sans rponse, le marquisde Ferrire tlgraphia que l'impratrice Marie avait enfin faitsavoir qu'elle ne viendrait pas. Elle arriva cependant, le 26dans la soire*. Elle avait retard l'annonce de son arrive

    jusqu'au dernier moment de peur de se rencontrer avec l'im-

    pratrice Eugnie. Celle-ci raconta au comte Kissiew, quel-ques annes aprs l'entrevue de Stuttgart, qu'elle avait eul'occasion de lire une lettre de l'impratrice de Russie date del'anne i856. Cette lecture produisit sur elle une impressionfort pnible et la dcida ne pas aller Stuttgart, malgr le dsirde l'empereur Napolon.

    La princesse Mathilde, cousine de Napolon et nice du roiGuillaume, dans une lettre l'empereur Alexandre, reue

    Stuttgart le 28 septembre, lui fit part de ses regrets de ne paspouvoir lui porter de vive voix l'expression d'un attachementet d'une reconnaissance que rien'n'affaiblissait; mais craignantque sa chtive personne ne se trouvt mal de tout le bruit etdu mouvement qui allaient animer Stuttgart, la princesse sesentait force de faire des vux de loin pour qu'une connais-sance faite sous les auspices d'un auguste parent et d'unhomme aussi clair que le roi de Wurtemberg, resserrt lelien d'une amiti, dont la valeur serait apprcie partout et

    pour le bonheur de beaucoup. Elle-mme se classait parmi cesderniers, car elle tait de ceux qui savaient se rjouir de l'ac-cord et du bien de tous

    L'empereur Alexandre lui rpondit, aprs l'entrevue, qu'ilavait prouv un plaisir tout particulier faire la connais-sance personnelle de l'empereur Napolon et qu'il ne doutait

    pas, ainsi que la princesse, que leur rencontre ne contribut resserrer les liens entre les deux empires et par l ajouter unnouveau gage au maintien de la. paix et au repos de l'Europe 3.

    i. Rothan, :< p. 5~8.2. i85~. France. Princesse Mathilde, rc. n 1712, lettre 2 septembre.3. 1887. France. Princesse Mathilde, exp. n 655, lettre 16/28 septembre,

    Stuttgart.

    i~ Janvier tgt2. 2

    LES ETAPES DE L'ALLIANCE FRANCO-RUSSE l'y

  • Le prince Gortchacow, comme il le dit dans une notice

    prsente Sa Majest Varsovie, sur le chemin de Stuttgartattribuait la prochaine entrevue une immense importance.Il doutait, cependant, qu'elle pt aboutir la signature d'un

    acte diplomatique. Napolon y rpugnerait tant qu'il envisa-

    gerait son alliance avec l'Angleterre comme une garantie de

    son existence dynastique. Il n'y avait pour la Russie aucune

    ncessit a. lui forcer la main. Mais le seul contact personnelentre les deux empereurs tait d'une importance qui ne devait

    chapper aucun cabinet, ni aucun esprit srieux en Europe.Et plus la Russie s'abstiendrait de livrer le secret de ces con-

    versations, plus l'inutilit des investigations leur donnerait de

    l'importance. Le prince Gortchacow, nanmoins, pensait

    qu'on ne pouvait se contenter de phrases courtoises, qu'ilfallait s'attendre ce que Napolon abordt deux catgoriesde questions l'une qui se rsoudrait par des rponses posi-tives et dans laquelle une initiative de l'empereur Alexandre

    serait dsirable; l'autre o l'empereur Napolon demanderait

    des solutions sur des questions spciales, surtout celles o il

    aurait un intrt personnel.Quant la premire catgorie, le prince Gortchacow pensait

    qu'il faudrait arriver aux conclusions suivantes

    i Convenir que, dans les questions d'un intrt europen

    qui surgiraient dsormais, avant de prendre une dcision

    quelconque, les deux souverains s'entendraient directement et

    que, si des malentendus apparaissaient, on chercherait les

    aplanir par la mme voie.

    2 Dclarer Napolon que, lui, Alexandre, convaincu queles intrts permanents de la Russie et de la France exigeaientune entente intime ne se prterait aucune coalition contre

    la France analogue celle qui avait eu la Sainte-Alliance pour

    symbole.Quant la seconde catgorie de questions, il serait diffi-

    cile de deviner les sujets que Napolon voudrait aborder. Le

    prince Gortchacow pensait qu'il n'y avait pas d'inconvnient

    lui dire que la Russie tait dispose, ne pas contrarier l'action

    franaise en Afrique et en Asie. En Europe, il y aurait des gra-

    i. 185~. Doklaes, Varsovie, 27 a.ot/8 septembre.

    l8 LA REVUE DE PARIS

  • dations dans nos sympathies, mais la Russie ne tiendrait pasirrvocablement au statu quo.

    Maintenant, il serait dsirable d'avoir un engagement crit,ne ft-ce que pour le dposer aux archives ct de la conven-tion du 3/i5 avril i856. Cet engagement entre la Russie et laFrance consacrerait la fermeture des dtroits et l'inviolabilitdu territoire des principauts. Une semblable convention serait

    prcieuse comme le gage d'une entente intime, exclusive, car

    Napolon comprenait que l'appui de la Russie en Europe dpen-dait de celui qu'il lui accordait en Orient. D'aprs les ides

    que Napolon avait exprimes au grand-duc Constantin, il nese montrerait aucunement proccup de la conservation de la

    Porte, mais dispos en rgler les destines d'accord avec laRussie. Pour mettre Napolon en mesure de prouver la sinc-rit de ses paroles, le prince Gortchacow proposait de luidemander que les reprsentants des deux pays en Orient,

    diplomates et consuls, reussent l'ordre de marcher d'accord.A peine l'empereur Napolon avait-il occup ses apparte-

    ments au palais royal, que le tsar, accompagn de son beau-frre le prince Alexandre de Hesse, se prsenta pour le saluer.Il n'avait pas voulu attendre sa visite, il se considrait commefaisant partie de la famille royale. Ainsi fut tranche la ques-tion des prsances. C'est ce que raconte Rothan'. Le comteKissiew rapporte que l'empereur Alexandre, quittant sa villa,se rendit au palais au moment

    o Napolon sortait de chez le

    roi; les deux souverains se rencontrrent dans la grande salleet s'loignrent dans une chambre ct, o ils restrent causer pendant une demi-heure 2. C'tait le 25 septembre vers5 heures de l'aprs-midi. Dans la journe, le vice-chancelierrencontrant Kissiew, lui dit qu'il cherchait un homme quilui prtt son assistance pour abroger les clauses du trait de

    Paris, concernant la flotte de la mer Noire et les frontires deBessarabie 3. Le mme jour le prince Gortchacow et le comteWalewski se runirent; le lendemain, le prince crivit auministre de France, l'invitant venir le voir pour consolider

    i. Rothan,

  • ce qu'hier ils n'avaient fait qu'baucher'.((La France et la

    Russie actuelles ne se connaissant pas et ne se comprenantencore qu'imparfaitement, ils ne devaient

    se sparer que bien

    convaincus de ce qu'ils valaient l'un et l'autre. Leur entre-

    tien dura deux heures; le prince en prsenta le rsum

    l'empereur'. L'empereur Napolon ne spculait plussur

    l'alliance trois, parce qu'il ne pouvait plus compter sur

    l'Angleterre. Il ne croyait d'alliance possible qu'avecla Russie

    sans tiers. Ce fut la mme ide que recueillit l'empereur

    Alexandre de ses conversations avec Napolon; Walewski

    paraissant dsirer que l'entente aboutt un acte, le prince lui

    dit que, comme il tait plus matredu franais que lui, Gort-

    chacow, il n'avait qu' mettre ses ides sur le papier et qu'ils

    les discuteraient. Voici sur quoi ils taient tombs d'accord

    i" Que dans toutes les questions d'un intrt europen,les

    deux souverains s'entendraient et que ni la Russie, ni la

    France ne participerait une coalition contrel'une ou l'autre

    de ces puissances;2 Que la Russie et la France marcheraient d'accord en

    Orient et, qu'elles s'entendraient dans le cas o la Turquie

    viendrait dissolution;

    3" Que, ds aujourd'hui, les ministres et les consulsdes

    deux puissances en Orient seraient instruits demarcher d'ac-

    cord, et que nommment les consuls franaisrecevraient

    l'ordre de s'abstenir de toute propagande religieuse.Le comte Walewsld assura au prince que la France, quand

    mme elle aurait la plus belle arme sous les armes, ne cher-

    chait pas faire natre de guerre, mais que, si elletait force

    et nommment en Italie, Napolon aimerait s'entendre sur

    l'attitude que prendrait la Russie dans cette ventualit.A

    cet endroit du rapport de Gortchacow l'empereur Alexandre

    observa Il me l'a aussi demand en toutes lettres et je lui

    ai rpondu que 'je ne comptais pas recommencerl'anne

    1849.

    Le prince, de son ct, rpondit Walewski qu'il taitoiseux de dcider d'avance sur les ventualits loignes et que

    i. i85' France. Walewski, exp., lettre 14/26 septembre, Stuttgart

    2. 1857, Doklades. Stuttgart, 14/26 septembre.

    20 LA REVUE DE PARIS

  • la France, dans le cas d'une entente bien tablie entre les deux

    empires, avait une bonne chance qu'ils parviendraient s'en-tendre, lorsque cela serait exig ncessaire. Le prince pensaitque l'acte que Walewski rdigerait roulerait sur les trois

    points mentionns.

    Gortchacow, dans un rapport qui doit tre du 15/27 sep-tembre, dit qu'il vient d'avoir un entretien trs important avec

    Napolon en prsence de Walewski et qu'il va travailler aveclui l'instrument diplomatique, ce qui les retarderait tous deux

    pour assister dans la tribune royale, la fte agricole donne Canstadt le jour anniversaire de la naissance du roi (27 sep-tembre). Des trois projets d'acte, dont deux font mention des

    points indiqus par le prince Gortchcow-, l'un est conu ences termes

    Leurs Majests Impriales ont pens que les intrts permanentsde leurs empires rendent dsirable une entente directe et person-nelle entre elles toutes les fois qu'une question d'une importance,politique relle surgirait en Europe et que, si des malentendus surve-naient,.elles auraient faire tous leurs efforts pour les aplanir parla mme voie. Dans le mme ordre d'Ides, leurs dites Majests ontmutuellement exprim l'intention de repousser sans hsitation toutesles ouvertures qui auraient pour but d'entraner l'une d'elles fairepartie d'une coalition dirige contre l'autre. Dans le cas o il devien-drait vident que les traits de 1815 doivent tre reviss dans l'In-trt mme du maintien de la paix gnrale, les deux souverainsauraient s'entendre, au pralable, sur les principes devant servir debases cette occasion. H en serait de mme si par des circonstancesregrettables et, malgr tous les efforts pour le prvenir, l'existencede l'empire ottoman venait tre srieusement menace.

    Ce projet peut tre de la plume de Walewski, car il parlede la revision des traits de 1815, ce qui tait l'ardent dsir de

    Napolon. L'autre projet n'en parle pas, mais contient laclause Les agents diplomatiques et consulaires en Orientrecevront l'ordre de marcher d'accord.

    Le troisime projet de convention entre les deux empereursa pour but de garantir la stricte observation des clauses dutrait de Paris. Comme on le verra plus tard, aucun de ces

    projets ne fut adopt, car l'entente ne fut consigne dansaucun acte. Quoiqu'elle part aboutir un rsultat satisfai-sant, il n'y eut pas d'intimit entre les deux souverains

    LES TAPES DE L'ALLIANCE FRANCO-RUSSE 21

  • Napolon exprimait Gortchacow de vifs regrets de voir si

    peu l'empereur Alexandre; il tait bless de ce qu'aucun mot

    n'et t prononc au sujet de l'impratrice Eugnie. Le

    prince Gortchacow prvint son souverain et le pria d'exprimerle regret de ne pas avoir fait la connaissance personnelle de

    l'impratrice. Je pense, Sire, dit Gortchacow dans son rap-

    port', que cela contribuerait beaucoup rassurer une suscep-tibilit inquite, sans droger de notre part. L'empereurAlexandre fit en marge l'annotation (( C'est bien.

    Cependant Rothan raconte que le 28 septembre, le jour du

    dpart de l'empereur Alexandre, les deux souverains avaient

    djeun chez le prince royal, seuls, sans leur suite, et qu'aprsle djeuner ils eurent un entretien qui dura deux heures, Ils

    .en sortirent, amis et contents. Le comte Kisslew confirme

    que cette dernire conversation rompit la glace entre les deux

    empereurs mais les minutes de l'instrument diplomatiquerestrent sous forme de projets sans signature~.

    Seul le roi Guillaume paraissait mcontent et vexe. Le

    ministre de Russie, l'aide de camp gnral comte Constantin

    BenkendorfT, remarqua que S. M. ressentait depuis quelques

    jours une irritation dont la cause tait difficile prciser~.A cet endroit de la dpche, l'empereur Alexandre fit l'anno-

    tation suivante Probablement parce que nous ne lui avons

    pas fait de confidences sur ce qui s'tait pass entre nous et

    Louis-Napolon.

    Revenu Paris, le comte Kissiew apprit du ministre

    Walewski que Napolon avait t particulirement satisfait

    de son dernier entretien avec l'empereur de Russie. Le comte

    Walewski tait content de la dcision qu'on avait prise de ne

    signer aucun acte, car la rsolution de ne rien crire et de

    s'en tenir aux entretiens et assurances mutuelles avait achev

    d'tablir une rciprocit de confiance que le temps ne ferait

    que dvelopper. Il ajouta que la rsolution de s'entendre, au

    pralable, sur toutes les questions valait mieux, selon lui,

    qu'un trait .

    ]. i85~. DoMades, dimanche 27 septembre.

    2. Rothan, !&M., p. 882.3. ZabIotski-Dessiatowski, ibid., p. 3g.

    i85~. Stuttgart, rc. n 1800, dp. 2/18 octobre, n 35.5. t85'7. Stuttgart, rc. Lettre de Kissiew, 2/14 octobre.

    22 LA REVUE DE PARIS

  • Le prince Gortchacow, de son ct, se flicitait de la ren-

    contre Stuttgart qui lui avait offert l'occasion de renou-

    veler connaissance avec le comte A\'alewski. Il l'avait connu

    homme aimable, brillant dans les salons, rival dangereux

    auprs du beau sexe. Il retrouva Stuttgart un homme d'Etat

    surtout dou des qualits que Gortchacow apprciait au-

    dessus de tout autre la loyaut et la fidlit la paroledonne.

    L'entrevue de Weimar ne fut qu'un simple acte de cour-

    toisie. L'empereur Franois-Joseph fit son ancien alli les

    plus tendres protestations il ritra de vive voix ce que le

    chef de son cabinet faisait dire au ministre de Russie depuis

    plus d'une anne; mais l'empereur d'Autriche emporta de

    Weimar l'impression que le souverain russe voulait des actes

    et non des phrasesLe charg de France Saint-Ptersbourg, M. Baudin, par-

    lant de l'entrevue de Stuttgart, dit qu'en Russie on y voyaitun pas qu'aurait fait l'empereur des Franais vers une nou-

    velle alliance qui l'loignait de l'Angleterre toutes les insi-

    nuations qu'on lui faisait, Baudin rpondait que l'empereurn'cartait aucune amiti, mais qu'une de ses grandes qualits,dans la vie politique, comme dans la vie prive, tait la ndlit

    ses amis. Ce qui affaiblit Saint-Ptersbourg l'importancede Stuttgart, ce fut l'entrevue de Weimar, laquelle on

    attribua plus d'importance politiqueCe mme M. Baudin se prsenta chez le prince Gortchacow

    et lui fit la lecture, par ordre du comte de Walewski, de la

    circulaire par laquelle on enjoignait aux agents franais en

    Orient de marcher d'accord avec ceux de Russie et surtout de

    s'abstenir de toute propagande religieuse. En la mentionnant

    dans son rapport S. M., le prince observa que Walewskiavait rempli loyalement et avec clrit l'engagement pris

    Stuttgart~. De mme il apprcia sa juste valeur la rponsede Walewskf'au cabinet anglais, lorsque celui-ci lui proposa

    i. i85~. Paris. V, exp. Lettre particulire, 25 octobre.

    2. Archives du 7KH!h!'e des ~~M;'M e~7'Mg'e;'M de France, t. at5, i85y,dp. de Baudin Walewski, 20 octobre, n ~6.

    3. i85~. Doklades. Saint-Ptersbourg, 4 octobre.4. l85~. Paris. III, rc. n 1867, dp. 17/2.3 octobre, n l6.{

    LES TAPES DE L'ALLIANCE FRANCO-RUSSE 23

  • 2~ LA REVUE DE PARIS

    de demander des explications au gouvernement russe au sujetde btiments de guerre destins la mer Noire, alors que lenombre de ces btiments fix par le trait de Paris tait djatteint, selon les renseignements fournis d'Odessa par les

    agents anglais. Le comte Walewski, pour toute rponse, dit

    qu'il en prviendrait l'ambassadeur de Russie. Le comteKisslew exprima Walewski sa satisfaction qu'il et ainsitrait cet incident les Anglais avaient voulu tter les inten-tions du cabinet franais aprs l'entrevue de Stuttgart;.

    Les souverains, eux aussi, ne manquaient pas de s'assurerde leur amiti. Pour la nouvelle anne Napolon crivit Alexandre'. Rappelant leur entrevue, il lui dit qu'il fait desvux ardents pour qu'une grande circonstance se prsente,o, sans se brouiller avec l'Angleterre, il puisse aux yeux dumonde marcher cte cte avec l'empereur de Russie vers unbut lev et civilisateur. A l'endroit de la lettre o il est ques-tion de l'Angleterre, l'empereur Alexandre note en marge Voil l'anicroche. L'homme, continue Napolon, jele sais, ne fait pas les vnements, mais il peut en profiter et

    malgr l'incertitude de l'avenir, c'est dj beaucoup que desavoir sur qui et sur quoi l'on peut compter. Napolonachve la lettre en priant de le mettre aux pieds de l'impra-trice Marie. En haut de la lettre Alexandre crit au crayon La lettre est en gnral trs bonne et amicale, sauf une

    phrase. En prsentant son projet de rponse~, le princeGortchacow remarque que la restriction mise par Napolon son concours est une preuve de franchise. L'empereur desFranais en parlant de civilisation peut faire allusion la

    Turquie. En retour Gortchacow mit, dans sa rponse, une res-triction afin que, de part et d'autre, l'on sache quoi s'entenir. Il supplia l'empereur Alexandre de conserver les parolesqu'il avait mises dans la rponse concernant l'impratriceEugnie. C'est, dit-il, le ct faible et c'est son ct hono-rable.

    La lettre commence par des vux auxquels l'impratrices'associe, puis viennent leurs regrets de ne pas avoir eu l'occa-

    t. i858. France. Rc. n 2. Empereur, 4 janvier (reue le 2 janvier).2. t858. DoMades, 2 janvier.3. i858. France. Empereur, exp. n i, lettre a janvier.

  • sion de faire la connaissance de l'impratrice Eugnie. L'empe-reur a conserv les meilleurs souvenirs de l'entrevue de Stutt-gart et remplira avec fidlit les engagements changs.

    La confiance que je place en V. M. I. me donne la certitude de metrouver ct d'elle, lorsqu'il s'agira d'un but lev et civilisateur.J'apprcie la franchise avec laquelle vous m'indiquez une restriction.J'y rpondrai avec le mme sentiment, c'est--dire que je ne meconsidre autoris compter sur votre concours que lorsque ceconcours ne serait pas en contradiction avec les intrts de l'empirequi vous est confi et je suis sr que vous avez fait la mme restric-tion mon gard, dans l'esprit d'quit qui vous caractrise.

    Lorsque le couple imprial de France chappa l'attentatOrsini, Alexandre exprima toute sa joie dans une lettre' queporta Paris l'aide de camp gnral Pasiwitch. Napolonremercia Alexandre par une lettre autographe dans laquelleil dit qu'il tait temps que tous les souverains s'entendissent

    pour chasser du continent cette secte infernale qui ne rvait

    qu'assassinat et pillage.Survinrent des soulvements dans diffrentes provinces de

    Turquie, en Herzgovine principalement, o la Porte envoyaune expdition qui empita sur le territoire du Montngro.Le comte Kissiew fut charg par le prince Gortchacow d'ex-

    poser Walewski ses ides sur l'opportunit d'une conf-rence, dont l'initiative aurait man du gouvernement fran-ais. Mais Walewski, tout en assurant que Napolon taitdsireux de s'entendre sur toutes ces questions, dclina cetteinitiative 3. L'Autriche ayant dclar vouloir seconder la Portedans sa lutte contre le Montngro, Napolon promit aucabinet de Saint-Ptersbourg de ne pas souffrir une occupa-tion de la Montagne Noire et de ne pas reconnatre la suzerai-net de la Porte sur le.Montngro.

    Lorsque, malgr les exhortations de la France et de la

    Russie, la Porte occupa Grahovo que le Montngro avait

    toujours estim lui appartenir, Kisselew et Walewski arr-

    r. i858. France. Empereur, exp. n 18, lettre 7 janvier.2. i858. France. Empereur, rc. n 288, lettre 8 fvrier.

    3. i858. Paris. I, rc. dp. iy/2g mars, n 5:.

    4. :858. Paris. V, exp., dp. 3 avril. i858. Paris, re. lettre 31 avril/3~mars.

    LES TAPES DE L'ALLIANCE FRANCO-RUSSE 3&

  • arrtrent les dcisions suivantes dans le cas o la Porte ne

    consentirait pas cesser les hostilits, la Russie et la France

    reconnatraient simultanment l'indpendance du Montngro,et en cas d'inefficacit de cette menace feraient une dmon-

    stration navale Antivari~. La dmonstration ayant t reconnue

    invitable, la France envoya dans l'Adriatique les vapeurs

    .A~'&si''ras et Z~aH, la Russie la frgate Polkan et le brick

    P/~oc~/e~. Ainsi les pavillons des deux empires devaient

    flotter l'un ct de l'autre. A vrai dire le Montngro tait

    indiffrent Napolon, mais c'tait une occasion d'affermir

    l'entente. C'est lui qui proposa l'envoi dans l'Adriatique de

    vaisseaux des deux pays. Il frappait et occupait l'imaginationdes Franais; il prouvait la face du monde l'intimit de ses

    rapports avec la Russie; il profitait de l'occasion pour cher-

    cher noise l'Autriche, car envoyant une forte escadre dans

    l'Adriatique et, surtout s'il s'emparait d'Antivari, la paix avec

    l'Autriche ne tiendrait plus qu' un fil qu'il dpendrait de

    Napolon de rompre. Dans le premier cas, la Turquie et

    l'Autriche flchiraient; Vienne et Constantinople sauraient

    l'avenir qu'il fallait compter avec la Russie mais si Napolonvoulait profiter de ce prtexte pour rompre avec l'Autriche

    et pour distraire les esprits en France par une guerre en Italie,

    la Russie aurait pu tre invite lui prter un concours

    efficace. D'aprs le prince Gortchacow, le maximum de ce

    concours devrait tre une coopration morale, c'est--dire

    d'chelonner sur la frontire autrichienne les troupes que la

    Russie avait dj, sans les augmenter, afin que, le cas chant,

    dans l'incertitude des intentions de la Russie, l'Autriche ft

    oblige de ne point se dgarnir de ce ct Les Turcs ces-

    srent les hostilits, la flotte franaise se rendit Raguseet la coopration d'un seul de nos vaisseaux parut suffisante

    pour montrer les pavillons des deux empires runis

    Mais Napolon voulut savoir en quoi pouvait consister

    i. i858. Paris. II, rc. n" 844, dp. 3o avril/12 mars, n" 89.

    i858. Paris. I, rc. tl. 3o avril, 4/16 mai. Paris. VI, exp., tl.3

    et 4 mai.3. i858. Pologne. Lieutenant-gnral, exp., lettre du prince Alexandre

    Gortchacow au prince Michel Gortchacow,5 mai.

    4. i858. Paris. I, rc., tl. 4/i* 7/19, 12/24 mai.

    26 LA HEYUE DE PARIS

  • l'assistance de la Russie dans le cas o la France aurait

    lutter en Italie. Revenant l'ide de fixer par crit des enga-

    gements rciproques, il avait d'abord exprim au comte

    Kissiew l'opinion que ces sortes d'engagement devaient avoir

    un objet bien dfini. Tout en exprimant l'espoir que l'auaire

    du Montngro se rglerait selon les vcpux des deux cabinets,

    il dit que s'il devait en tre autrement, cette affaire pourraitalors prter une entente. Kissiew mit Ptersbourg l'avis

    qu'un engagement sur papier, quand bien mme il ne porterait

    que sur une question spciale, offrirait la Russie d'incon-

    testables avantages. Cet engagement, de caractre dfensif,

    n'entraverait pas la libert de notre action et neutraliserait

    les ententes formes contre la Russie. Ce serait une barrire

    oppose aux empitements de l'Autriche, une arme contre la

    prpotence britannique Le prince Gortchacow observaen

    marge Voil pourquoi je suis tout prt donner suite

    l'ide d'un engagement par crit, le cas chant.

    Le manque de tout engagement crit faisait croire Napolon

    qu'il ne pouvait compter sur la Russie dans aucune des combi-

    naisons d'avenir et que la Russie se rsignait une paix tout

    prix. Le prince Gortchacow chargea Kissiew d'carter les

    doutes de Napolon. La Russie dsirait la paix; mais si des

    ncessits imprieuses obligeaient l'empereur des Franais

    diriger hors de chez lui l'activit de son peuple, il devait

    compter sur la Russie dans les limites qui lui avaient t

    indiquesDe son ct le comte Walewski s'alarmait des bruits qui

    se rpandaient en Allemagne sur l'entente entre les deux

    empires. Il raconta au comte Kissiew que, d'aprs des rap-

    ports secrets de police, le prince Gortchacow dans ses entre-

    tiens avec certains reprsentants des cours allemandes, ne ces-

    sait de leur rpter que la bonne entente. de la Russie avec

    Louis-Napolon n'avait rien d'exceptionnel, que l'Allemagnene devait pas la prendre au srieux, car elle n'avait pour objet

    que d'affaiblir l'alliance anglo-franaise".Sur cette lettre se trouve, en marge, une annotation de

    i. 1868. Paris. I, rcc., lettre 7/19 mai.

    2. :858. Paris. VII, exp., lettre :< aot.

    3. i858. III, rc., lettre 20 aot.

    LES TAPES DE L'ALLIANCE FRANCO-RUSSE 3y

  • 38 LA REVUE DE PARIS

    Gortchacow Pourquoi croit-il (Walewski) des rapports de

    police notre marche vis--vis de la France est assez claire.

    D'ailleurs, il est dans l'intrt des ministres trangers de

    rpandre de semblables bruits. Cela me prouve une fois de

    plus que Walewski n'est pas trs fort. L'empereur Alexandrecontinue l'annotation Et cela me prouve encore combien

    vous devez tre sur vos gardes dans vos conversations en

    gnral et avec les diplomates'en particulier, qui seraient

    enchants de nous brouiller avec la France.

    Napolon avait besoin de cette entente, parce qu'il tait

    proccup des auaires d'Italie. L'entrevue qu'il avait eue

    Plombires, dans le courant de l't, avec le ministre pimon-tais Cavour, avait raviv l'intrt qu'il portait la rgnration

    italienne. L'Autriche pouvait prendre l'initiative de la guerre en

    la dclarant simultanment la France et la Sardaigne. Dansce cas, Napolon esprait que la Russie se dciderait conclure

    une alliance avec la France'. C'est pour obtenir ce concoursde la Russie en cas d'une guerre contre l'Autriche que l'empe-reur Napolon envoya son cousin Varsovie o se trouvait

    l'empereur Alexandre.

    SERGE GORIANOW

    (~4 SH~e.~)

    t. i858, Paris. III, rc, dp., g/2i avril, n" 177.

  • LES DIEUX ONT SOIFI

    xv

    Il fallait vider les prisons qui regorgeaient; il fallait juger,

    juger sans repos ni trve. Assis contre les murailles tapissesde faisceaux et de bonnets rouges, comme leurs pareils sur

    les fleurs de lis, les juges gardaient la gravit, la tranquillitterrible de leurs prdcesseurs royaux. L'accusateur public etses substituts, puiss de fatigue, brls d'insomnie et d'eau-

    de-vie, ne secouaient leur accablement que par un violent

    effort; et leur mauvaise sant les rendait tragiques. Les jurs,divers d'origine et de caractre, les uns instruits, les autres

    ignares, lches ou gnreux, doux ou violents, hypocrites ou

    sincres, mais qui tous, dans le danger de 'la patrie et dela Rpublique, sentaient ou feignaient de sentir les mmes

    angoisses, de brler des mmes flammes, tous atroces de vertuou de peur, ne formaient qu'un seul tre, une seule tte sourde,irrite, une seule me, une bte mystique, qui, par l'exercicenaturel de ses fonctions, produisait abondamment la mort.Bienveillants ou cruels par sensibilit, secous soudain par un

    brusque mouvement de piti, ils acquittaient avec des larmesun accus qu'ils eussent, une heure auparavant, condamnavec des sarcasmes. A mesure qu'ils avanaient dans leurtche, ils suivaient plus imptueusement les impulsions deleur cur.

    i. voir la Revue des i5 novembre, 1'' et 15 dcembre tgn.

  • Ils jugeaient dans la fivre et dans la somnolence que leur

    donnait l'excs du travail, sous les excitations du dehors et les

    ordres du souverain, sous les menaces des sans-culottes et des

    tricoteuses presss dans les tribunes et dans l'enceinte publique,

    d'aprs des tmoignages forcens, sur des rquisitoires frn-

    tiques, dans un air empest, qui appesantissait les cerveaux,faisait bourdonner les oreilles et battre les tempes, et mettait un

    voile de sang sur les yeux. Des bruits vagues couraient dans le

    public sur des jurs corrompus par l'or des accuss. Mais ces

    rumeurs le jury tout entier rpondait par des protestations

    indignes et des condamnations impitoyables. Enfin, c'taient

    des hommes, ni pires ni meilleurs que les autres. L'innocence,le plus souvent, est un bonheur et non pas une vertu qui-

    conque et accept de se mettre leur place et agi comme

    eux et accompli d'une me mdiocre ces tches pouvantables.Antoinette, tant attendue, vint enfin s'asseoir en robe noire

    dans le fauteuil fatal, au milieu d'un tel concert de haine queseule la certitude de l'issue qu'aurait le jugement en fit res-

    pecter les formes. Aux questions mortelles l'accuse rpondittantt avec l'instinct de la conservation, tantt avec sa hauteur

    accoutume, et, une fois, grce l'infamie d'un de ses accu-

    sateurs, avec la majest d'une mre. L'outrage et la calomnie

    seuls taient permis aux tmoins; la dfense fut glace d'effroi.Le tribunal, se contraignant observer les formes, attendait

    que tout cela ft fini pour jeter la tte de l'Autrichienne

    l'Europe.

    Trois jours aprs l'excution de Marie-Antoinette, Gamelin

    fut appel auprs du citoyen Fortun Trubert, qui agonisait

    trente pas du bureau militaire o il avait puis sa vie, sur un

    lit de sangle, dans la cellule de quelque barnabite expuls. Sa

    tte livide creusait l'oreiller. Ses yeux, qui ne voyaient dj

    plus, tournrent leurs prunelles vitreuses du ct d'Evariste

    sa main dessche saisit la main de l'ami et la pressa avec une

    force inattendue. Il avait eu trois vomissements de sang en

    deux jours. Il essaya de parler sa voix, d'abord voile et faible

    comme un murmure, s'enfla, grossit

    Wattignies Wattignies Jourdan a forc l'ennemi

    dans son camp. dbloqu Maubeuge. Nous avons reprisMarchiennes. a ira. a ira.

    3o LA' REVUE DE PARIS

  • Et il sourit.

    Ce n'taient pas des songes de malade; c'tait une vue claire

    de la ralit, qui illuminait alors ce cerveau sur lequel descen-

    daient les tnbres ternelles. Dsormais l'invasion semblait

    arrte les gnraux, terroriss, s'apercevaient qu'ils n'avaient

    pas mieux faire que de vaincre. Ce que les enrlements

    volontaires n'avaient point apport, une arme nombreuse et

    discipline, la rquisition le donnait. Encore un effort, et la

    Rpublique serait sauve.

    Aprs une demi-heure d'anantissement, le visage de For-

    tun Trubert, creus par la mort, se ranima, ses mains se

    soulevrent.

    Il montra du doigt son ami le seul meuble qu'il y et

    dans la chambre, un petit secrtaire de noyer.Et de sa voix haletante et faible que conduisait un esprit

    lucide

    Mon ami, comme Eudamidas, je te lgue mes dettes

    trois cent vingt livres dont tu trouveras le compte. dans ce

    cahier rouge. Adieu, Gamelin. Ne t'endors pas. Veille la

    dfense de la Rpublique. a ira.

    L'ombre de la nuit descendait dans la cellule. On entendit

    le mourant pousser un souffle embarrass, et ses mains qui

    grattaient le drap.A minuit, il pronona des mots sans suite

    Grattez les murs. encore du salptre. Faites livrer les

    fusils. La sant? trs bonne. Descendez ces cloches.

    Il expira cinq heures du matin.

    Par ordre de la section, son corps fut expos dans la nef de

    la ci-devant glise des Barnabites, au pied de l'autel de la

    Patrie, sur un lit de camp, le corps recouvert d'un drapeautricolore et le front ceint d'une couronne de chne.

    Douze vieillards vtus de la toge latine, une palme la

    main, douze jeunes filles tranant de longs voiles et portantdes fleurs entouraient le lit funbre. Aux pieds du mort,deux enfants tenaient chacun une torche renverse. Evariste

    reconnut en l'un d'eux la fille de sa concierge, Josphine,

    qui par sa gravit enfantine et sa beaut charmante lui rappelaces gnies de l'amour ou de la mort, que les Romains sculp-taient sur leurs sarcophages.

    LES DIEUX ONT SOIF 3l

  • 32 LA, REVUE DE PARIS

    Le cortge se rendit au cimetire ci-devant Saint-Andr-des-Arts aux chants de la Marseillaise et du a ira.

    En mettant le baiser d'adieu sur le front de Fortun Trubert,variste pleura. Il pleura sur lui-mme, enviant celui qui se

    reposait, sa tche accomplie.Rentr chez lui, il reut avis qu'il tait nomm membre du

    conseil gnral de la Commune. Candidat depuis quatre mois,il avait t lu sans concurrent, aprs plusieurs scrutins, parune trentaine de suffrages.

    On ne votait plus les sections taient dsertes; riches et

    pauvres ne cherchaient qu' se soustraire aux charges publi-ques. Les plus grands vnements n'excitaient plus ni enthou-siasme ni curiosit; on ne lisait plus les journaux. varistedoutait si, sur les sept cent mille habitants de la capitale, troisou quatre mille seulement avaient encore l'me rpublicaine.

    Ce jour-l, les Vingt et Un comparurent.Innocents ou coupables des malheurs et des crimes de la

    Rpublique, vains, imprudents, ambitieux et lgers, la foismodrs et violents, faibles dans la terreur comme dans la

    clmence, prompts dclarer la guerre, lents la conduire,trans au Tribunal sur l'exemple qu'ils avaient donn, ilsn'taient pas moins la jeunesse clatante de la Rvolution; ilsen avaient t le charme et la gloire. Ce juge, qui va les inter-

    roger avec une partialit savante; ce blme accusateur, qui l,devant sa petite table, prpare leur mort et leur dshonneur;ces jurs, qui voudront tout l'heure touffer leur dfense; le

    public des tribunes, qui les couvre d'invectives et de hues,

    juge, jurs, peuple, ont nagure applaudi leur loquence,clbr leurs talents, leurs vertus. Mais ils ne se souviennent

    plus.variste avait fait jadis son dieu de Vergniaud, son oracle de

    Brissot. Il ne se rappelait plus et, s'il restait dans sa mmoire

    quelque vestige de son antique admiration, c'tait pour conce-voir que ces monstres avaient sduit les meilleurs citoyens.

    En rentrant, aprs l'audience,- dans sa maison, Gamelinentendit des cris dchirants. C'tait la petite Josphine que samre fouettait pour avoir jou sur la place avec des polis-sons et sali la belle robe blanche qu'on lui avait mise pour la

    pompe funbre du citoyen Trubert.

  • LES DIEUX ONT SOIF 33

    .j, ~. -o- j~

    ier Janvier i()i3. 3

    XVI

    Aprs avoir durant trois mois sacrifi, chaque jour, la

    patrie des victimes illustres ou obscures, Evariste eut un

    procs lui; d'un accus il fit son accus.

    Depuis qu'il sigeait au Tribunal, il piait avidement, dans

    la foule des prvenus qui passaient sous ses yeux, le sducteur

    d'lodie, dont il s'tait fait, dans son imagination laborieuse,une ide dont quelques traits taient prcis. Il le concevait

    jeune, beau, insolent, et se faisait une certitude qu'il avait

    migr en Angleterre. Il crut le dcouvrir en un jeune migrnomm Maubel, qui, de retour en France et dnonc par son

    hte, avait t arrt dans une auberge de Passy et dont le

    parquet de Fouquier-Tinville instruisait l'affaire avec mille

    autres. On avait saisi sur lui des lettres que l'accusation consi-

    drait comme les preuves d'un complot ourdi par Maubel avec

    les agents de Pitt, mais qui n'taient en fait que des lettres

    crites l'migr par des banquiers de Londres chez qui il

    avait dpos des fonds. Maubel, qui tait jeune et beau, parais-sait surtout occup de galanteries. On trouvait dans son carnet

    trace de relations avec l'Espagne, alors en guerre avec la

    France; ces lettres, la vrit, taient d'ordre intime, et, si

    le parquet ne rendit pas une ordonnance de non-lieu, ce fut

    en vertu de ce principe que la justice ne doit jamais se hter

    de relcher un prisonnier.Gamelin eut communication du premier interrogatoire subi

    par Maubel en chambre du conseil et il fut frapp du caractre

    du jeune ci-devant, qu'il se figurait conforme celui qu'ilattribuait l'homme qui avait abus de la confiance d'Elodie.

    Ds lors, enferm pendant de longues heures dans le cabinet

    du greffier, il tudia le dossier avec ardeur. Ses souponss'accrurent trangement quand il trouva dans un calepin djancien de l'migr l'adresse de l'-i/noMy Peintre, jointe, il est

    vrai, celle du 'S7~e I~ du Portrait Je la ci-devant Dauplneet de plusieurs autres magasins d'estampes et de tableaux. Mais,

    quand il eut appris qu'on avait recueilli dans ce mme calepin

    quelques ptales' d'un illet rouge recouverts avec soin d'un

    papier de soie, songeant que l'illet rouge tait la fleur prfre

  • d'lodie qui la cultivait sur sa fentre, la portait dans ses

    cheveux, la donnait il le savait en tmoignage d'amour,

    variste ne douta plus.Alors, s'tant fait une certitude, il rsolut d'interroger

    Elodie, en lui cachant toutefois les circonstances qui lui avaientfait dcouvrir le criminel.

    En montant l'escalier de sa maison, il sentit ds les paliersinfrieurs une enttante odeur de fruit et trouva dans l'atelier

    Elodie qui aidait la citoyenne Gamelin faire de la confiturede coings. Tandis que la vieille mnagre, allumant le four-

    neau, mditait en son esprit les moyens d'pargner le charbonet la cassonade sans nuire la qualit de la confiture, la

    citoyenne Blaise, sur sa chaise de paille, ceinte d'un tablier de

    toile bise, des fruits d'or plein son giron, pelait les coings etles jetait par quartiers dans une bassine de cuivre. Les barbesde sa coiffe taient rejetes en arrire, ses mches noires se

    tordaient sur son front moite; il manait d'elle un charme

    domestique et une grce familire qui inspiraient les douces

    penses et la tranquille volupt.Elle leva, sans bouger, sur son amant son beau regard d'or

    fondu et dit

    Voyez, Evariste, nous travaillons pour vous. Vous man-

    gerez, tout l'hiver, d'une dlicieuse gele de coings qui vousaffermira l'estomac et vous rendra le cur gai.

    Mais Gamelin, s'approchant d'elle, lui pronona ce nom

    l'oreille:

    Jacques Maubel.

    A ce moment, le savetier Combalot vint montrer son nez

    rouge par la porte entre-baille. Il apportait des souliers,

    auxquels il avait remis des talons et la note de ses ressemelages.De peur de passer pour un mauvais citoyen, il faisait usage

    du nouveau calendrier. La citoyenne Gamelin, qui aimait

    voir clair dans ses comptes, se perdait dans les fructidor et

    les vendmiaire.

    Elle soupiraJsus! ils veulent tout changer, les jours, les mois, les

    saisons, le soleil et la lune! Seigneur Dieu, monsieur Com-

    balot, qu'est-ce que c'est.que cette paire de galoches du 8 ven-

    dmiaire ?

    34 LA REVUE DE PARIS

  • Citoyenne, jetez les yeux sur votre calendrier pour vous

    rendre compte.Elle le dcrocha, y jeta les yeux, et, les dtournant aussitt

    Il n'a pas l'air chrtien! fit-elle, pouvante.

    Non seulement cela, citoyenne, dit le savetier,mais nous n'avons plus que trois dimanches au lieu de quatre.Et ce n'est pas tout il va falloir changer notre manire de

    compter. Il n'y aura plus de liards ni de deniers, tout sera

    rgl sur l'eau distille.

    A ces paroles la citoyenne Gamelin, les lvres tremblantes,leva les yeux au plafond et soupira

    Ils en font tropEt, tandis qu'elle se lamentait, semblable aux saintes femmes

    des calvaires rustiques, un fumeron, allum en son absence

    dans la braise, remplissait l'atelier, d'une vapeur infecte qui,

    jointe l'odeur enttante des coings, rendait l'air irrespirable.lodie se plaignit que la gorge lui grattait, et demanda qu'on

    ouvrt la fentre. Mais, ds que le citoyen savetier eut pris

    cong et que la citoyenne Gamelin eut regagn son fourneau,variste rpta ce nom l'oreille de la citoyenne Blaise

    Jacques Maubel.

    Elle le regarda avec un peu de surprise, et, trs tranquille-lement, sans cesser de couper un coing en quartiers

    Eh bien?. Jacques Maubel?.

    C'est lui! 1

    Qui? lui? a

    Tu lui as donn un illet rouge.Elle dclara ne pas comprendre, et lui demanda qu'il

    s'expliqut.Cet aristocrate cet migr cet infme

    Elle haussa les paules, et nia avec beaucoup de naturel

    avoir jamais connu un Jacques Maubel.

    Et vraiment elle n'en avait jamais connu.

    EUe nia avoir jamais donn d'oeillets rouges personne qu'variste; mais peut-tre, sur ce point, n'avait-elle pas trs

    bonne mmoire.

    Il connaissait mal les femmes, et n'avait pas pntr bien

    profondment le caractre d'lodie; pourtant il la pensait trs

    capable de feindre et de tromper un plus habile que lui.

    LES DIEUX ONT SOIF 35

  • Aussi ne fut-il pas persuad par ses dngations et son air de

    quitude.

    Pourquoi nier dit-il, je sais.

    Elle affirma de nouveau n'avoir connu aucun Maubel. Et,

    ayant fini de peler ses coings, elle demanda de l'eau parce queses doigts poissaient.

    Gamelin lui apporta une cuvette.

    Et, en se lavant les mains, elle renouvela ses dngations.Il rpta encore qu'il savait, et, cette fois, elle garda le

    silence.Elle ne voyait pas o tendait la question de son amant et

    tait mille lieues de souponner que ce Maubel, dont ellen'avait jamais entendu parler, dt comparatre devant le Tri-

    bunal rvolutionnaire; elle ne comprenait rien aux souponsdont on l'obsdait, mais elle les savait mal fonds. C'est

    pourquoi, n'ayant gure d'espoir de les dissiper, elle n'en avait

    gure envie non plus. Elle cessa de se dfendre d'avoir connuun Maubel, prfrant laisser le jaloux s'garer sur une fausse

    piste, quand, d'un moment l'autre, le moindre incident pou-vait le mettre sur la vritable voie. Son petit clerc d'autrefois,devenu un joli cavalier patriote, tait brouill maintenant avec

    sa matresse aristocrate. Quand il rencontrait Elodie, dans la

    rue, il la regardait d'un il qui semblait dire Allons! la

    belle; je sens bien que je vais vous pardonner de vous avoir

    trahie, et que je suis tout prs de vous rendre mon estime. Elle ne fit donc plus effort pour gurir ce qu'elle appelait leslubies de son ami Gamelin garda la conviction que JacquesMaubel tait le corrupteur d'lodie.

    Les jours qui suivirent, le Tribunal s'occupa sans relched'anantir le fdralisme, qui, comme une hydre, avait menacde dvorer la libert. Ce furent des jours chargs, et les jurs,puiss de fatigue, expdirent le plus rapidement possible la

    citoyenne Roland, dont les paroles dignes d'une Romaine sou-levaient les murmures de la salle.

    Cependant Gamelin passait chaque matin au parquet pourpresser l'affaire Maubel. Des pices importantes taient Bor-deaux il obtint qu'un commissaire les irait chercher en poste.Elles arrivrent enfin.

    36 LA REVUE DE PARIS

  • LES DIEUX ONT SOIF 37

    Le substitut de l'accusateur public les lut, fit la grimace et

    dit variste Elles ne sont pas fameuses, les pices. Il n'y a rien

    l-

    dedans 1 des fadaises S'il tait seulement certain que ce ci-

    devant comte de Maubel a migrEnfin Gamelin russit. Le jeune Maubel reut son acte

    d'accusation et fut traduit devant le Tribunal rvolutionnaire

    le ig brumaire.

    Ds l'ouverture de l'audience, les habitus s'aperurent de

    l'embarras du Tribunal. Le prsident montrait le visage sombreet terrible qu'il avait soin de prendre pour conduire les affaires

    mal instruites. Le substitut de l'accusateur se caressait le

    menton des barbes de sa plume et affectait la srnit d'une

    conscience pure. Le greffier lut l'acte d'accusationon n'en

    avait pas encore entendu de si creux.

    Le prsident demanda l'accus s'il n'avait pas eucon-

    naissance des lois-rendues contre les migrs.Je les ai connues et observes, rpondit Maubel,

    et j'ai quitt la France muni de passeports en rgle.Sur les raisons de son voyage en Angleterre et de son retour

    en France, il s'expliqua d'une manire satisfaisante. Sa Rguretait agrable, avec un air de franchise et de J&ert qui plai-sait. Les femmes des tribunes le regardaient d'un il favo-

    rable. L'accusation prtendait qu'il avait fait un sjour en

    Espagne dans le moment o dj cette nation tait en guerreavec la France il affirma n'avoir pas quitt Bayonne cette

    poque. Un point seul restait obscur. Parmi les papiers qu'ilavait jets dans sa chemine, lors de son arrestation,

    et dont

    on n'avait retrouv que des bribes, on lisait des mots espa-

    gnols et le nom de Nieves .

    Jacques Maubel refusa de donner ce sujet les explications

    qui lui taient demandes. Et, quand le prsident lui dit quel'intrt de l'accus tait de s'expliquer, il rpondit qu'on ne

    doit pas toujours suivre son intrt.

    Gamelin ne songeait convaincre l'accus que d'un crime

    par trois fois il pressa le prsident de demander Maubel s'il

    pouvait s'expliquer sur l'illet dont il gardait si prcieusementdans son portefeuille les ptales desschs.

    Maubel rpondit qu'il ne se croyait pas oblig de rpondre

  • une question qui n'intressait pas la justice, puisqu'on n'avaitpas trouv de billet cach dans cette fleur.

    Le jury se retira dans la salle des dlibrations, favorable-ment prvenu en faveur de ce jeune, homme dont l'affaire,obscure en somme, semblait surtout cacher des mystresamoureux. Cette fois, les bons, les purs eux-mmes eussentvolontiers acquitt. L'un d'eux, un ci-devant qui avait donndes gages la Rvolution, dit

    Est-ce sa naissance qu'on lui reproche Moi aussi, j'ai eule malheur de natre dans l'aristocratie.

    Oui, mais tu en,es sorti, rpliqua Gamelin, et il yest rest.

    Et il parla avec une telle vhmence contre ce conspirateur,cet missaire de Pitt, ce complice de Cobourg, qui tait allpar del les monts et par del les mers susciter des ennemis la libert, il demanda si ardemment la condamnation dutratre, q'il rveilla l'humeur toujours inquite, la vieille sv-rit de ses collgues.

    L'un d'eux, cyniquement, lui ditIl est des services qu'on ne peut se refuser entre col-

    -lgues.Le verdict de mort fut rendu une voix de majorit.Le condamn entendit sa sentence avec une tranquillit sou-

    riante. Ses regards, qu'il promenait paisiblement sur la salle,exprimrent, en rencontrant le visage de Gamelin, un indi-cible mpris.

    Personne n'applaudit la sentence.

    Jacques Maubel, reconduit la Conciergerie, crivit unelettre en attendant l'excution qui devait se faire le soir mme,aux flambeaux

  • LES DIEUX ONT SOIF 39

    Il se coupa une mche de cheveux, la mit dans la lettre qu'il

    plia et crivit la suscription

    .-1 la citoyenne Clmence De~p!/MP/e~ ne ~7

  • ~0 LA REVUE DE PARIS.

    la chemine. Mais ils ne le virent point d'abord, cause desa stature brve et ramasse.

    De la voix fle des bossus, le citoyen Beauvisage pria lesdlgus de s'asseoir et se mit tout leur service.

    Gunot lui demanda s'il connaissait un ci-devant desIlettes, demeurant prs du Pont-Neuf.

    C'est ajouta-t-il un individu que je suis chargd'arrter.

    Et il exhiba l'ordre du Comit de sret gnrale.Beauvisage, ayant quelque temps cherch dans sa mmoire,

    rpondit qu'il ne connaissait point d'individu nomm desIlettes, que le suspect ainsi dsign pouvait ne point habiterla section, certaines parties du Musum, de l'Unit, deMarat-et-Marseille, se trouvant aussi proximit du Pont-Neuf que, s'il habitait la section, ce devait tre sous unnom autre que celui que portait l'ordre du Comit, que nan-moins on ne tarderait pas le dcouvrir.

    Ne perdons point de temps! dit Gunot. Ilfut signal notre vigilance par une lettre d'une de ses com-

    plices qui a t intercepte et remise au Comit, il y a djquinze jours, et dont le citoyen Lacroix a pris connaissancehier soir seulement. Nous sommes dbords les dnoncia-tions nous arrivent de toutes parts, en telle abondance qu'onne sait qui entendre.

    Les dnonciations rpliqua firement Beauvisageaffluent aussi au Comit de vigilance de la section. Les uns

    apportent leurs rvlations par civisme; les autres, par l'apptd'un billet de cent sols. Beaucoup d'enfants dnoncent leursparents, dont ils convoitent l'hritage.

    Cette lettre reprit Gunot mane d'une ci-devantRochemaure, femme galante, chez qui l'on jouait le biribi, et

    porte en suscription le nom d'un citoyen Pauline mais elleest rellement adresse un migr au service de Pitt. Je l'aiprise sur moi pour vous en communiquer ce qui concernel'individu des Ilettes.

    Il tira la lettre de sa poche.Elle dbute par de longues indications sur les membres

    de la Convention qu'on pourrait, au dire de cette femme,gagner par l'offre d'une somme d'argent ou la promesse d'une

  • haute fonction dans un gouvernement nouveau, plus stable

    que celui-ci. Ensuite se lit ce passage

    Je NO/'N de chez

  • Et Beauvisage tendit sa tabatire ouverte aux deux dlgus.Maintenant il faut pincer notre gredin, dit Delourmel,

    qui portait de longues moustaches et roulait de grands yeux.Je me sens d'apptit, ce matin, manger de la fressure

    d'aristocrate, arrose d'un verre de vin blanc..

    Beauvisage proposa aux dlgus d'aller trouver dans sa

    boutique de la place Dauphine son collgue Dupont an, quiconnaissait srement l'individu des Ilettes.

    Ils allaient dans l'air vif, suivis de quatre grenadiers de la

    section.Avez-vous vu jouer le Ji~/c/Me~ dernier des ~oi's?

    demanda Delourmel ses compagnons~; c'est une pice quimrite d'tre vue. L'auteur y montre tous les rois de l'Europe

    rfugis dans une le dserte, au pied d'un volcan qui les

    engloutit. C'est une pice patriotique.Delourmel avisa, au coin de la rue du Harlay, une petite

    voiture qui brillait comme une chapelle et que poussait une

    vieille qui portait par-dessus sa coifEe un chapeau de toile

    cire. n..

    Qu'est-ce que vend cette vieille? demanda-t-il.

    La vieille rpondit elle-mme

    Voyez, messieurs, faites votre choix. Je tiens chapeletset rosaires, croix, images saint Antoine, saints suaires, mou-

    choirs de sainte Vronique, Ecce homo, Agnus Dei, cors et

    bagues de saint Hubert, et tous objets de dvotion.

    C'est l'arsenal du fanatisme! s'cria Delourmel.

    Et il procda l'interrogatoire sommaire de la colporteuse,

    qui rpondait toutes l