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Avec 37,6 % des 55-64 ans en emploi, la France occupe une des plus mauvaises places en matière de travail des seniors en Europe. Bien loin des 75 % qu’avoisinait notre pays dans les années 1970. Si l’on souhaite atteindre à l’horizon 2010 le taux de 50 % fixé par le Conseil européen de Stockholm, de profondes réformes vont devoir être mises en œuvre dans ce domaine. Prolonger dans de bonnes conditions les carrières doit notamment passer par une

réduction de l’usure professionnelle dès l’entrée dans la vie active et par une plus grande attractivité des emplois en fin de carrière. Ce qui demande, pour y parvenir, une nouvelle gestion de la pénibilité, une plus grande polyvalence de chacun et l’accès à la formation continue tout au long des carrières. Pour l’heure, nous en sommes à la phase des constats. La revalorisation de la place et du travail des seniors dans l’entreprise reste à généraliser.

SeNIoRS

D’une gestion par l’âgeà une gestion des âges

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Le vieillissement de la population active devenant une réalité, ainsi que l’allongement des durées de cotisations professionnelles, des changements radicaux dans la gestion des parcours professionnels vont devoir être mis en œuvre pour favoriser un emploi plus durable. Deux leviers d’action se dégagent pour mener cette « révolution » : réduire la pénibilité des postes et promouvoir la formation professionnelle continue.

Actuellement, la place des anciens n’est plus en entreprise. Cette situa­

tion résulte pour une large part de la politique d’incitation aux départs en retraite anticipés lancée dans les années 1980 pour faire face aux problèmes de chômage. Conçue comme un outil d’ajustement aux fluc­tuations du marché du travail, cette mise à l’écart anticipée de la vie active des quinqua­génaires et plus est rapide­ment entrée dans les pratiques et les mentalités.

Après le baby-boom, le papy-crack ?

On compte ainsi aujourd’hui 400 000 chômeurs dispensés de recherche d’emploi (tous les plus de 57,5 ans, et les plus de 55 ans sous conditions) et 10 000 départs anticipés par

mois de salariés ayant com­mencé à travailler jeunes. « Si l’adhésion à cette politi-que sociale s’est faite aussi facilement, elle n’est probable-ment pas sans lien avec l’état des conditions de travail en fin de carrière, souligne Serge Volkoff, directeur du Centre de recherches et d’études sur l’âge et les populations au travail. Les indicateurs internationaux montrent que la France est un

pays où les conditions de travail sont plutôt moins bonnes que dans d’autres pays. » La France est, il est vrai, championne du monde en matière de produc­tivité horaire. Mais aujourd’hui, la donne change : problème de renouvel­lement des effectifs, disparition des compétences et des savoir­faire, difficultés de finance­ment des retraites, perte de la mémoire des entreprises, pyra­mide des âges défavorable, les départs anticipés sont remis en cause, et la question du vieillis­sement au travail prend une nouvelle orientation. Pour que l’on parvienne à mieux vieillir en continuant à travailler, l’ap­proche doit donc profondé­ment évoluer. Elle se pose pour

TRavaIL deS SeNIoRS

Développer un emploi durable

Le taux d’emploi des 55 ans et plus se situe en-dessous de la moyenne européenne, qui est de 42,5 %. Une situation à laquelle cherche à remédier le plan national concerté pour l’emploi des seniors, lancé en 2006... Un travail de longue haleine dont les effets ne se feront sentir que dans 20 à 30 ans.

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les quinquas actuels, mais aussi pour ceux de demain. On se retrouve ainsi dans une situation qui demande à la fois des réponses dans l’urgence et de l’anticipation pour les pro­chaines générations. Pour les seniors actuellement en poste, la gestion des fins de carrière se fait dans la plupart des cas de façon individuelle. « Si l’avancée en âge s’accom-pagne d’un certain nombre de déclins, le personnel vieillissant apprend à travailler autrement, développe diverses stratégies d’économies dans le travail, gère la pénibilité de son poste en adaptant les modes opé-ratoires », note Serge Volkoff. Mais ces adaptations restent majoritairement individuel­

les, ne faisant l’objet d’aucune gestion collective ni de poli­tiques de grande envergure.Pour ce qui est des futurs seniors, des politiques de ges­tion du vieillissement vont devoir être mises en place pour leur permettre de rester en bonne santé dans les meilleu­res conditions de travail pos­sibles. La gestion des âges ne peut trouver sa réponse que dans des actions d’anticipation menées dès l’entrée dans la vie active, reposant sur deux grands leviers : la prévention de l’usure professionnelle et le développement de parcours valorisants et qualifiants tout au long de la vie active.

Mieux gérer les carrières

Maintenir des conditions de travail soutenables et attracti­ves est une condition sine qua non pour réussir cette politique. Une réduction de la pénibilité du travail est donc incontour­nable pour y parvenir. Mais la suppression de la pénibilité par l’aménagement de postes est loin d’être pos­sible partout. Faute de pouvoir instaurer des conditions de travail adaptées à chacun, il faut parallèlement faire en sorte que des reclas­sements ou des réorientations soient possibles en cours de car­

rière, afin de proposer des par­cours motivants et attrayants. Un salarié vieillissant qui s’en­nuie ou a perdu sa motivation cherchera à partir au plus vite, d’autant plus s’il souffre de problèmes de santé. Cela doit donc se concrétiser par l’ins­tauration de formations pro­fessionnelles tout au long de la vie active, qui faciliteront la mobilité des personnes et leur permettront de construire des

parcours plus motivants, en phase avec leurs attentes et leurs envies. À titre d’exem­ple, l’apparition des nouvelles technologies perturbe forte­ment ceux qui ne sont pas nés avec. L’informatique a pro­gressivement remis en cause les façons de travailler. Or on n’enseigne pas aux anciens à repenser leur organisation de travail en fonction de cet outil. D’où le fait que l’adap­tation peut rester particuliè­rement difficile pour certains. Des formations continues ten­draient à limiter ce type de situation. « Il faut également miser plus sur la formation ini-tiale, faire en sorte que les gens soient mieux armés pour se réorienter à certains moments de leur carrière, leur permet-tre une diversité de parcours qui maintiendra leur goût au

Le vieillissement« Le vieillissement est un processus graduel  et irréversible de modification des structures et des fonctions de l’organisme résultant du passage du temps », selon la définition de l’OMS. Il a des effets sur le système nerveux (fonctions sensorielles, locomotrices, cognitives) et sur

l’appareil cardio-respiratoire (fréquence cardiaque, volumes respiratoires, régulation de la ventilation, réponse à l’effort). Néanmoins, entre 20 et 60 ans, ses effets demeurent minimes. Mais des déficits peuvent être révélés ou majorés dans certaines circonstances de travail. Ce qui peut notam-ment expliquer le fait qu’à l’âge de 35 ans l’espérance de vie des ouvriers est de sept ans inférieure à celle de cadres.

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Les pays scandinaves sont souvent montrés en exemple pour la gestion de l’emploi des plus de 55 ans. Leur politique s’appuie, entre autres, sur une revalorisation de l’image du travailleur âgé.

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travail », estime Jean­Pierre Meyer, chargé du projet vieillis­sement­santé­travail à l’INRS. Néanmoins, pour l’heure, on ne peut que constater un décalage entre perception et mise en œuvre opérationnelle. Les autorités et les dirigeants d’entreprises sont tout à fait conscients de la problémati­que que commence à poser le départ massif à la retraite de la génération du baby­boom. Des politiques et des réflexions commencent à être mises en œuvre, à l’image du plan national d’action concer­tée pour l’emploi des seniors (2006­2010), de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ou de la conférence sur les parcours professionnels dans la fonc­tion publique qui s’est tenue à l’automne dernier et qui vise justement à valoriser les com­pétences des agents et à pro­mouvoir leur mobilité.

Une anticipation timide

Mais, dans les faits, la réacti­vité et l’anticipation restent encore timides. Les PME n’ont pas forcément les moyens de se pencher sur cette question, d’autant que l’on se situe dans des conflits d’échelle de temps : la gestion d’une entreprise se prévoit rarement au­delà de 5 à 10 ans, tandis que la gestion de la santé au travail doit se projeter à 20 ou 30 ans. « Les RH ont un rôle central à jouer, mais ne doivent pas être livrées à elles-mêmes, estime Serge Volkoff. La prise en compte de l’activité des seniors doit figu-rer dans toute une chaîne de décisions de l’entreprise. » Le chantier s’avère gigantesque, à l’image de son ambition. Certains sont pessimistes sur l’avenir, mais pour d’autres, comme Éric Drais, sociologue

Médecin inspecteur régional du travail à la Direction régionale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle des Pays-de-la-Loire, Annie Touranchet a réalisé dans sa région deux études sur les causes

d’inaptitudes définitives chez les salariés de plus de 50 ans.

C’est en constatant une augmentation des inaptitudes définitives sur les rapports annuels qu’Annie Touranchet a décidé de se pencher sur les pathologies dont souffraient les seniors dans les cinq départements de sa région. Une première enquête, réalisée en 2002-2003, a porté sur 2 557 personnes en inaptitude définitive de plus de 50 ans. Elle a fait apparaître que les contraintes physiques étaient majoritairement en cause (70 %) par rapport aux contraintes organisationnelles ou mentales (20 %). Les affections recensées étaient rhumatologiques à 80 %, mentales (syndrome dépressif) à 25 % et cardiovasculaires à 15 %, certaines personnes cumulant plusieurs pathologies. Principaux secteurs d’activité concernés : le bâtiment (travaux de maçonnerie), la santé et l’action sociale, les services aux entreprises (activités de nettoyage), l’industrie alimentaire, les transports terrestres et le commerce gros et détail. Une deuxième étude menée en 2004 a été élargie à tous les âges et à toutes les causes d’invalidité. Bilan : 44 % des inaptitudes définitives sont apparues entre 50 et 59 ans. Avec comme pathologies dominantes : les affections rhumatologiques pour 44 % des cas et les affections mentales pour 21 %. Les princi-paux facteurs en cause sont le port de charges lourdes, les contraintes posturales et articulai-res. À noter que dans 14 % des cas, aucun fac-

teur n’a été identifié. Il s’agissait globalement des mêmes secteurs d’activité que dans la première étude : la construction, le commerce de détail, la santé et l’action sociale. Face à ces constats, Annie Touranchet estime que « pour que les seniors restent dans  l’emploi, il faut que les conditions de fin de vie active soient correctes et adaptées à leur santé. C’est tout à fait possible. Mais cela doit passer par des initiatives à différents niveaux : aménagement du temps de travail, actions de tutorat pour développer la  reconnaissance du travail des anciens, répar-tition adaptée des tâches entre jeunes et moins jeunes. Par exemple, le travail morcelé, le fait de mener plusieurs tâches en même temps, qui ne pose pas de problème en début de carrière, devient compliqué quand on avance en âge. Alors que, au contraire,  les actions plus répétitives semblent plus adaptées aux seniors ».

Quelles causes d’inaptitudes chez les seniors ?

à l’INRS, « la gestion des retrai-tes oblige à un accroissement des exigences par rapport aux conditions de travail, et peut

constituer une belle occasion de repenser en profondeur la pré-servation de la santé des sala-riés ». L’avenir dira si des actes

concrets vont rapidement être effectués dans ce sens.

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La question du maintien en activité des seniors se pose de façon aiguë dans

le BTP. Face à des activités phy­siquement éprouvantes chez des salariés qui ont souvent commencé à travailler très jeunes, à d’imminents départs massifs à la retraite, à un pro­blème de renouvellement des effectifs sur un marché en pénurie, la gestion du vieillis­sement prend un nouveau visage. « Encore récemment, l’investissement était plutôt porté sur le recrutement de juniors, synonyme de dyna-misme pour une entreprise. Et le départ anticipé des seniors constituait une réponse à la pénibilité du travail », explique Claudie Lebaupain, médecin du travail et secrétaire générale du groupement national multidis­ciplinaire du BTP. Aujourd’hui, la préservation de la santé des salariés pour leur permettre de terminer leur carrière dans de bonnes conditions devient une priorité. Si l’état des lieux est clairement établi, la mise en œuvre de solutions s’avère encore complexe. « Force est de constater que le chemin est long entre la prise de conscience d’un problème et le lan-cement d’actions sur le terrain », constate Catherine Bonnin, médecin

du travail à l’Association pari­taire de santé au travail du BTP en région parisienne.

Des solutions complexes

Les grands groupes ont pour la plupart déjà mis en œuvre des réflexions et des politiques sur le sujet et développé divers

leviers d’actions. Parmi les­quels : améliorer les conditions et l’aménagement du travail. « Permettre à un salarié de tra-vailler après 50 ans, c’est avant tout lui donner les moyens d’ar-river à 50 ans en bonne santé physique et mentale », poursuit Catherine Bonnin. Ce qui passe par une vaste politique de pré­vention des risques d’accidents

Départ à la retraite de la génération du baby-boom, allongement des durées de cotisations pour bénéficier d’une retraite à taux plein, pénurie de main-d’œuvre… Le BTP se trouve confronté à un contexte qui l’oblige à repenser la gestion de ses « quinquas ».

BTP

Accompagner les seniors, un nouveau défi

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du travail et de l’usure profes­sionnelle, en aménageant cer­tains postes de travail et en mettant en œuvre des bonnes pratiques pour tous. Car sou­lager les seniors ne doit pas se traduire par un alourdisse­ment de la charge de travail des actuels jeunes, qui seraient à leur tour usés de façon antici­pée. Un des enjeux est d’autre part de maintenir sur le long terme ces aménagements réa­lisés dans le cadre de restric­tions d’aptitudes. « On évolue dans un environnement mou-vant, où maintenir les aména-gements s’avère plus difficile que dans un cadre fixe », souli­gne Claudie Lebaupain.

Des situations très disparates

Autre levier d’action : entre­tenir la motivation et l’intérêt des seniors. Cela passe par le maintien de leur employabilité tant du point de vue de la santé que des compétences développées. « Cela peut être des propositions de reconversion, des intégra-tions dans des cycles de forma-

tion, ou des entretiens spécifiques vers 55 ans pour réfléchir avec les

salariés à leur troisiè-me carrière, terme préférable à celui

de fin de carriè-re », note Laurent

Célérier, DRH chez Bateg, du groupe Vinci. Autre piste d’action : la trans­

mission des savoirs, sous forme de tutorat.

C’est là une occasion

de valoriser l’expérience et les acquis des plus anciens, et de moins les solliciter physique­ment. « Je suis sa tête pour lui expliquer la technique, il est mes jambes pour grimper et courir », témoigne un binôme senior. Mais les échanges intergéné­rationnels sont parfois compli­qués à mettre en place, du fait

des représentations – pour ne pas dire des discriminations – intergénérationnelles.

Anticiper auprès des jeunes

Pour les PME, qui constituent la majorité des entreprises du secteur, la problématique

se pose en d’autres ter­mes et ces leviers d’ac­tion s’avè­rent difficiles à mettre en

œuvre. « Les considérations y sont gérées au jour le jour et essentiellement à court terme, constate Claudie Lebaupain. D’autre part, la pression écono-mique sur ces petites entrepri-ses est trop forte pour qu’elles aient le temps de prendre du recul sur de telles questions. Leurs marges de manœuvre sont trop réduites. » Les métiers demeurent manuels, avec des charges physiques très lourdes et des cadences resserrées. « Il faut effectuer un gros travail d’an-ticipation auprès des jeunes.Aujourd’hui, on gère les effets du passé », remarque Claudie Lebaupain. « Dans les faits, cela s’effectue pour beaucoup par une gestion individuelle, au cas par cas, ce qui n’a pas valeur d’exemple particulière à grande échelle », poursuit Catherine Bonnin. Si la mutation est en marche, les solutions collec­tives restent encore à déve­lopper à grande échelle.

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La place de la formation continue

Si, pour beaucoup, une meilleure gestion des parcours professionnels passe par une formation continue tout au long des carrières, un problème se pose rapidement : son accessibilité. Comme le souligne Serge

Volkoff, du Centre de recherches et d’études sur l’âge et les populations au travail, « si la loi de 1971 sur le droit à la formation  professionnelle continue visait à compenser les inégalités de formation initiale, c’est finalement l’inverse qui se produit. Et on constate un déficit des formations chez les salariés à partir de  

45-50 ans ». Différentes études montrent que, quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle, l’accès aux formations continues fléchit sensiblement chez les salariés en seconde partie de carrière. « Les représentations des différents acteurs sur les capacités d’apprentissage de chacun  interfèrent pour partie : les salariés pensent que les  formations ne s’adressent pas forcément à eux. De même que les employeurs considèrent que, passé un certain âge, ce n’est plus la peine de former leurs salariés », remarque Catherine Delgoulet, ergonome et maître de conférences à Paris V. Par ailleurs, le contenu des formations ne paraît pas forcément adapté aux besoins. « Les formations sont  parfois trop déconnectées des situations réelles de travail  et ne prennent pas suffisamment en compte l’expérience  et les acquis des plus anciens. Une formation est  malheureusement souvent conçue comme “une remise  à zéro”, ce qui met les plus âgés dans des situations  délicates », poursuit-elle. Pour être attractifs, de tels outils restent donc à adapter aux besoins des seniors, en intégrant dès la conception des formations leur expérience et leurs motivations.

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Accompagner les seniors, un nouveau défi

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■ Travail et Sécurité : Quel regard portez-vous sur la situation actuelle des seniors en France ?

Anne-Marie Guillemard, socio-logue : La France n’est pour l’heure pas parvenue à relever le défi du vieillissement de sa main­d’œuvre. Cela car, depuis des décennies, notre politique de l’emploi repose sur une gestion par l’âge, qui aboutit à une discrimination par l’âge. Si les incitations aux départs précoces initiées ces trente dernières années disparais­sent progressivement depuis la réforme des retraites de 2003, c’est au profit d’autres solutions de départs antici­pés, comme le congé maladie longue durée. Les sorties de vie active se font toujours en

moyenne autour de 58 ans, mais sous de nouvelles formes légales. Aujourd’hui, il est clair que personne ne veut une pro­longation du temps de travail. Employeurs, salariés, parte­naires sociaux : tout le monde regarde vers la sortie !

■ Par quoi passe la revalori-sation du travail des seniors ? A.-M. G. : Il faut promouvoir une véritable révolution des

mentalités, abandonner la logique qui fait de l’âge la prin­cipale variable d’ajustement aux fluctuations du marché du travail. Le vieillissement de la main­d’œuvre doit être pris comme une opportunité. Pour cela, la question d’un nouveau management des parcours professionnel est essentielle. Or, passer d’une gestion par l’âge à une gestion intégrée de la diversité des âges reste à inventer dans notre pays.

aNNe-MaRIe GuILLeMaRd, SoCIoLoGue :

« Instaurer un travail soutenable. »Anne-Marie Guillemard est sociologue au Centre d’études des mouvements sociaux et professeur à la faculté des sciences humaines et sociales de Paris V. Spécialiste du travail des seniors et de la gestion du vieillissement, elle revient sur la problématique française.

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Parmi nos voisins européens, la Finlande a réussi sa révolution culturelle dans ce domaine, en lançant en 1998 son premier plan emploi en faveur des plus de 45 ans (1). ■ Comment expliquez-vous ce bon résultat ?

A.-M. G. : Le plan quinquennal finlandais a fait l’objet d’un effort pédagogique très impor­tant. Leur slogan, « L’expérience est une richesse nationale », traduisait la volonté de renver­ser l’image dépréciée du tra­vailleur âgé. D’autre part, ce qui importe pour eux est la qualité de l’emploi. Or la promotion de la santé et du bien­être au tra­vail demeure l’une des grandes faiblesses de la France. Nous sommes encore trop dans une logique de réparation et d’in­demnisation des risques, au lieu d’être dans la prévention.

■ Concrètement, comment mettre en œuvre cette révolution ?

A.-M. G. : On ne prolongera pas de force la durée d’acti­vité. Il faut rendre attractif le travail des seniors. Pour cela, l’entretien du capital humain est essentiel. Prolonger la vie active des plus de 50 ans sup­pose qu’auparavant ait été entretenue et préservée leur capacité de travail. Cela exige des politiques de formation,

d’emploi et du travail tout au long de la vie professionnelle. Il va impérativement nous fal­loir mettre en œuvre un travail

soutenable, se traduisant par des formes plus préventives, flexibles et optionnelles de pro­tection des individus. Il faudra

par ailleurs investir dans la for­mation tout au long de la vie. Or, pour l’heure, nous sommes très mauvais sur les formations des plus de 40 ans. Enfin, le dia­logue social a également une importance capitale dans cette évolution. À l’avenir, il va falloir définir des projets d’entreprise qui mobiliseront les salariés de tous âges.

1. Lire à ce sujet l’interview de Juhani Ilmarinen, de l’Institut finlandais de la santé au travail (FIOH), p. 25.

Propos recueillis par C. R.

« Compétences Quinqua chez Eurocopter »

Eurocopter, filiale du groupe EADS, a mené entre 2003 et 2005 un projet « Compétences Quinqua » sur ses sites de production de Marignane et de La Courneuve. Il s’agissait d’analyser les métiers qu’occupent les seniors dans l’entreprise, afin de les accompagner jusqu’à la fin de leur carrière et de se préparer aux départs massifs à la retraite attendus à partir de 2008. Dans le cadre de ce projet, un diagnostic auprès de 90 salariés et 30 managers de l’entreprise a été fait en 2003. Une expérimentation a ensuite été menée dans deux secteurs d’activité : la fabrication de pièces neuves et la révision et réparation des boîtes mécaniques d’hélicoptères. Le premier concernait 450 personnes et une quarantaine de métiers, le second 180 personnes et 12 métiers. « Pénibilité, temps  

d’apprentissage et compétences nécessaires, valeur ajoutée des métiers étaient certains des critères pris en compte pour identifier les métiers prioritaires du point de vue du vieillissement pour lesquels des actions (aménagements de postes, valorisation de compétences) devaient être menées », explique Laurence Bellies, ergonome de l’entreprise.Un état des lieux a conduit à la mise en place d’une organisation plus souple sur certains postes de travail ainsi qu’à des recommandations techniques et opérationnelles. La rotation d’opérateurs sur plusieurs postes a également été mise en œuvre. Un groupe d’intervention externe a été créé : 12 personnes en fin de carrière ont ainsi été détachées auprès de clients de l’entreprise, après avoir suivi une formation spécifique. Une trentaine de métiers dans l’entreprise ont fait l’objet d’une formation au transfert des savoirs.Ce vaste projet s’est en partie appuyé sur les travaux de l’observatoire de santé au travail Evrest (Évaluation des relations et évolutions en santé du travail) de l’entreprise. En effet, depuis 2002, les services médicaux d’EADS ont mis en place, avec le Creapt (1), un questionnaire santé/ conditions de travail. Rempli par le personnel lors des visites médicales, il permet de suivre dans le temps des indicateurs quantitatifs des caractéristiques du travail et de la santé en privilégiant la recherche d’effets précoces sur la santé. « Les indicateurs retenus reflètent  concrètement la situation sur le terrain, permettent d’objectiver les liens entre santé et travail et d’indiquer de possibles pistes d’action. La santé au travail est mieux prise en compte », constate Corinne Archambault de Beaune, médecin du travail sur le site de La Courneuve. C. R.

1. Centre de recherches et d’études sur l’âge et les populations au travail

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Elle est pas belle, la vie ? Ce slogan de Fleury­Michon, producteur de

plats cuisinés et de produits frais basé en Vendée, s’appli­querait­il aux conditions de travail de ses salariés ? Créée en 1904, l’entreprise a eu, de tout temps, une politique sociale atypique, devançant même parfois la législation : mutuelle complémentaire en 1942, Comité d’hygiène et de sécurité créé dès 1950, réduc­tion des horaires de travail à partir de 1982, congé parental pris en charge par l’entreprise – avec la participation du CE – dès le premier enfant et jus­qu’aux six ans du dernier. Dans cette structure peu commune pour un grand de l’agroalimen­taire, la gestion de la santé des

employés vieillissants est logi­quement une préoccupation prise en compte. Si ces 30 der­nières années, le vieillissement du personnel a été traité de manière « classique » (passage des postes les plus physiques à des postes plus « doux » à partir de 50 ans, préretraites à mi­temps à 55 ans pour tous de 1987 à 2004), depuis 2002, le problème est abordé diffé­remment du fait des nouvelles réglementations et de l’évo­lution démographique.

Des adaptationsmatérielles

Avec 517 personnes de plus de 50 ans sur un effectif total de 3 304, la pyramide des âges de l’entreprise est loin d’être criti­

que. Ce qui n’empêche pas les dirigeants de se pencher sur les conditions de travail pour maintenir autant que possible leurs employés en bonne santé jusqu’au terme de leur carrière. Des aides techniques ont ainsi été mises en place pour limiter la charge physique. Un cha­riot d’aide à la manutention des bobines de films permet aux personnes avançant en âge de conserver leur poste de conducteur de ligne. Il contri­bue également à reclasser des salariés ne pouvant plus être exposés aux gestes répétitifs du conditionnement, ainsi qu’à féminiser les postes de condui­te de ligne. Un siège réglable a été mis au point par le méde­cin du travail. Les anciens étant plus petits et les jeunes plus

FLeuRy-MIChoN

Une entreprise aux petits soinsPouvoir travailler en vieillissant doit passer par des aménagements à différents niveaux : aides techniques, équipements individuels, nouvelles organisations de travail. Des pistes d’action que met en œuvre Fleury-Michon auprès de ses salariés.

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grands, il permet à chacun, sans distinction d’âge, de bien se positionner par rapport au poste de travail, quelle que soit sa morphologie. Par ailleurs, de nombreux équipements indi­viduels sont à disposition du personnel : vestes matelassées, chaussures basses en rempla­cement des bottes, semelles anti­transpiration…

Une nouvelle organisation

En vue de prévenir l’appa­rition des troubles musculo­squelettiques, des poignets de maintien et des supports de coude sont distribués à toute personne dès qu’elle ressent des douleurs. Un petit « guide des étirements » a en outre été édité pour inciter chacun à pratiquer chez soi des exercices quotidiens d’échauffement des principaux muscles sollicités dans l’activité professionnelle. D’autre part, une organisation personnalisée est autorisée : travailler uniquement le matin

ou l’après­midi, alors que la plupart alternent en 2 x 8 tour­nants, varier la répartition des temps partiels. Les postes en horaires normaux sont réser­vés en priorité aux plus âgés et aux jeunes mères de famille.Parallèlement, des études sur les différents postes de travail sont régulièrement menées en interne par le service Santé au travail pour identifier les pro­blèmes ergonomiques et les actions prioritaires à mener. « Les gens se font facilement de

fausses idées sur les véritables situations de travail. Par exem-ple, les partenaires sociaux avaient une fausse représenta-tion de la proportion de seniors dans nos effectifs, explique le Dr Yves Dopsent, médecin du travail. Il ne faut pas hésiter à faire des enquêtes sur les popu-lations au travail pour connaî-tre les véritables tendances. »Ainsi une étude « Souffrance et travail » portant sur l’âge de survenue des premières patho­logies a montré que les problè­mes de santé apparaissent plus tôt chez les personnes ayant le plus de responsabilités et effectuant le plus d’heures de travail.

Des apparences parfois trompeuses

Contrairement aux idées reçues, les cadres et les com­merciaux sont donc plus rapide­ment touchés que les ouvriers, dont l’activité fait pourtant plus appel au physique. Concernant les formations, la

règle est d’accorder plus de temps et plus d’en­cadrement aux plus anciens lors de la mise en place de nouvel­les technolo­gies ou de nouveaux process. « En revanche, il ne faut pas opter pour des formations spécifique-ment orien-tées vers les seniors, qui limiteraient le partage d’ex-périence et les cloisonneraient plus encore. Pas plus qu’il ne faut faire de distinction hom-mes-femmes », note encore Yves Dopsent. Il reste néan­moins encore des progrès à faire en la matière : les plus de 51 ans, qui constituent 17 % de l’effectif, ne représentent que 10,5 % des formés, et comptent seulement pour 5 % des heures de formation du groupe.

C. R.

Que disent les accords de GPEC (1) sur la gestion des âges ? Y a-t-il eu une évolution dans ce domaine ces dernières

années ? C’est à ces questions qu’a tenté de répondre Florence Chappert, chargée de mission au département Compétence Travail Emploi de l’Anact, en se penchant sur des accords signés entre 2003 et 2007. Il en ressort que jusqu’en 2003, les accords de GPEC avaient essentiellement pour objet des dispositifs de cessation anticipée d’activité. « Seules 

quelques intentions furent innovantes, comme ce fut le cas alors pour Michelin par exemple, qui mettait l’accent sur l’ergonomie des postes  et l’employabilité du  personnel âgé », souligne Florence Chappert. À partir de 2005 apparaissent des accords portant sur les salariés dits de « seconde partie de carrière », essentiellement destinés aux 45/55-60 ans. On y trouve systématiquement la mise en place d’entretiens de carrière tous les cinq ans, l’encouragement au temps partiel et la pratique du tutorat et du parrainage dans le cadre des transmissions

intergénérationnelles. Quelques accords se démarquent, en abordant, comme chez EADS, « les conditions de travail  et de santé des plus de  50 ans ; le repositionnement  prioritaire des salariés  si problème d’adaptation au poste de travail lié à l’âge ».Ces accords de GPEC de seconde partie de carrière tendent à présent à devenir des accords de gestion préventive s’adressant à toute la population de l’entreprise. 28 % des accords prévoient d’ailleurs des parcours, que ce soit de progression professionnelle ou de promotion, ou des

passerelles inter métiers ou filières. « Cependant, remarque Florence Chappert, dans un contexte  d’allongement de la vie  professionnelle, il y a encore beaucoup d’encouragements au retrait d’activité. On  rencontre peu de dispositifs visant à améliorer les  conditions du travail, comme l’organisation de travail  ou l’ergonomie des postes,  ou les conditions d’emploi (aménagement horaire,  télétravail). »

1. Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences

D. V.

GPEC : peut mieux faire...

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Travail & Sécurité 01 - 08 25

■ Travail et Sécurité : Quel est l’âge légal du départ à la retraite en Finlande ?

Juhani Ilmarinen, du FIOH : Depuis 2005, l’âge légal de départ à la retraite en Finlande varie entre 63 et 68 ans. Passé 63 ans, le salarié peut déci­der s’il souhaite continuer à travailler. Les pensions aug­mentent de 4,5 % pour toute année supplémentaire tra­vaillée. Ceux qui travailleront jusqu’à 68 ans auront donc une retraite bien plus élevée que s’ils s’arrêtaient à 63 ans. Aujourd’hui, l’âge effectif moyen de départ à la retraite est proche de 60 ans, mais il est en train d’être repoussé. Et le taux d’emploi des 55­64 ans est de l’ordre de 53 %, chez les hommes comme chez les femmes.

■ Comment la Finlande est-elle arrivée à ce taux, qui est l’un des plus élevés d’Europe ? J. I. : La Finlande a commencé à se pencher sur les problèmes de vieillissement au début des années 1980, en s’appuyant sur des concepts innovants comme la formation à la ges­tion du vieillissement, l’em­ployabilité, l’aptitude au travail et la promotion de l’aptitude au travail. Le Programme national finlandais sur les travailleurs vieillissants (Finpaw) a été mis en œuvre en 1998­2002. Pour son action dans ce domaine, la Finlande a reçu en 2006 le prix Carl Bertelsmann (1).

■ Quelles ont été les clés de la réussite ?

J. I. : L’un des facteurs de réus­site a été la collaboration des ministères finlandais des Affaires sociales et de la Santé, du Travail et de l’Édu­cation. Syndicats de salariés et syndicats patronaux étaient associés. Le FIOH était respon­sable des activités de recher­che et de formation durant le Finpaw. Cette dream team a été en mesure de faire évo­luer la situation des seniors en Finlande. Avant le Finpaw, le taux d’activité des seniors était inférieur de quelque 16 points à ce qu’il est aujourd’hui.

■ Quels autres grands change-ments avez-vous observés ?

J. I. : La discrimination vis­à­

vis des seniors et des juniors a diminué, la qualité de la vie au travail s’est améliorée, en par­ticulier chez les plus de 55 ans, et les taux de participation à la formation tout au long de la vie ont progressé. Par ailleurs, la sensibilisation aux problè­mes du vieillissement a fait évoluer les attitudes vis­à­vis des individus vieillissants, tant chez les employeurs que chez les salariés. Aujourd’hui, de 30 à 50 % des organisations et des entreprises appliquent la formation à la gestion de l’âge pour l’encadrement et la direction.

■ Ces solutions sont-elles trans-posables dans d’autres pays ?

J. I. : Les concepts de base qui ont été validés dans les entre­prises finlandaises peuvent être appliqués dans d’autres pays, en adaptant les solutions mises en œuvre à la culture de chaque entité. La Finlande propose aujourd’hui des pres­tations de formation à la ges­tion de l’âge en anglais et en allemand. Ainsi, trois groupes de directeurs et de DRH de Hollande ont suivi chez nous une formation de deux jours à la gestion de l’âge. Les partici­pants ont indiqué que ce type de formation était transpo­sable à leur pays. Il en irait de même pour la France.

1. Prix international récompensant l’innovation et l’exemplarité des solutions apportées aux grands problèmes sociaux.

Propos recueillis par C. R.

FINLaNde

Un taux d’emploi des seniors parmi les plus élevés d’EuropeJuhani Ilmarinen est directeur du département « Life Course and Work » de l’Institut finlandais de la santé au travail (FIOH). Il revient pour nous sur l’expérience menée dans son pays en matière de gestion du vieillissement au travail.

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26 Travail & Sécurité 01 - 08

CaPITaINe Cook

Cap sur la polyvalenceAfin d’anticiper le vieillissement de son personnel, la conserverie Capitaine Cook de Plozevet (Finistère) s’est lancée dans une nouvelle gestion de l’activité de ses salariés. Objectif : instaurer une plus grande polyvalence, en diversifiant les tâches.

Gérer le vieillissement à la fleur de l’âge, telle est l’approche de

Capitaine Cook. Cette conser­verie de poissons, qui produit 17 millions de boîtes par an, se penche depuis fin 2006 sur la gestion du vieillissement de son personnel. Cette politique est née d’une projection dans le temps de sa pyramide des âges : si l’âge moyen sur le site de Plozevet, qui compte 110 personnes en production, est actuellement de 42 ans, d’ici à 2011, un tiers de l’effectif aura plus de 50 ans. L’entreprise compte trois lignes de produc­tion : sardines, maquereaux, thon. La ligne du thon est très automatisée (40 % du volume de production pour 8 % de la main­d’œuvre), mais le travail sur les sardines et les maque­

reaux demeure, lui, manuel et répétitif : étripage, filetage, emboîtage, conditionnement… Face aux risques de troubles musculosquelettiques, l’en­cadrement a décidé d’agir pour maintenir ses salariés en emploi dans de bonnes conditions. Mais comment faire ? Sur quel­les problématiques travailler en priorité ? « Après réflexion, nous nous sommes orientés vers plus de polyvalence », répond Gwenaëlle Le Cor, res­ponsable de production. Un groupe de travail a récemment été monté pour évaluer la polyvalence des personnes et analyser les postes. « Instaurer une rotation sans améliorer au préalable les postes risque d’ex-poser davantage les personnes aux contraintes. Une analyse

Lorsque les rotations sur les postes se passent bien, le personnel demande souvent à tourner davantage.

Repérer où sont les dangers, aménager les postes et les temps de travail, développer la polyvalence font partie des axes développés dans l’entreprise. ©

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Travail & Sécurité 01 - 08 27

Un club d’entreprises de l’agroalimentaire en Bretagne

La démarche menée par Capitaine Cook a été initiée dans le cadre des trois clubs d’entreprises pour la prévention des TMS de l’Association bretonne des entreprises de l’agro-alimentaire (ABEA). Coanimé par l’Aract Bretagne et l’ABEA, ce club compte une dizaine de sociétés, de 23 à 1 200 salariés. « Si toutes travaillent dans l’agroalimentaire, elles  

présentent des métiers très différents : abattage-découpe de viande, fromage, conditionnement d’œufs, transformation  de poissons, plats cuisinés… », note Florent Arnaud, chargé de mission à l’Aract Bretagne. Initialement, la prévention des TMS a été le premier sujet de réflexions et d’échanges à partir de 2004 au sein du club. Depuis fin 2006, les questions du vieillissement et de la prévention de l’usure au travail font l’objet d’une action collective « gestion des âges ». Une première partie a consisté pour chaque entreprise à réaliser un état des lieux démographique de son effectif, puis à identifier des pistes de progrès sur une problématique approfondie par chacune. « Nos problématiques et nos approches pouvant êtres très  différentes, la mise en commun de nos expériences  respectives est très instructive », explique Gwenaëlle Le Cor.

C. R.

des postes de travail doit donc parallèlement être une des pis-tes d’action prioritaire », sou­ligne Thierry Debuc, chargé de mission à l’Aract Bretagne. Pour l’heure, deux d’entre eux ont déjà été identifiés comme accessibles sans contrainte particulière : le filetage et le conditionnement.

Appréhensions face aux changements

Au­delà de l’évaluation des possibilités de polyvalence, encore faut­il en identifier les freins. « L’histoire de l’entre-prise et les habitudes de tra-vail rendent difficiles certains changements », remarque Gwenaëlle Le Cor. Sur environ 110 employés, entre 80 et 90 sont des femmes. « Les hom-mes ont par exemple toujours occupé les postes de manuten-tion, considérés comme plus physiques. Il faut parvenir à bri-ser ce clivage homme-femme. Autre exemple, on s’est rendu compte que la production et le conditionnement étaient cloi-sonnés, que les opérateurs ne passaient pas de l’un à l’autre. Changer un tel fonctionnement n’est pas simple. » Il y a une appréhension légitime face au changement. Être à un poste

connu est sécurisant. Mais, lorsque cela se passe bien, les gens demandent plus de rota­tions. Comme l’illustre le cas de Marie­Claude, qui alterne depuis trois ans et demi entre les postes de sertissage, d’étri­page et d’emboîtage. « Je res-sentais des douleurs au niveau

du canal carpien. Alterner les tâches sur différents postes soulage la douleur et aide à la récupération. Pour moi, la polyvalence est vraiment une bonne chose. »Parallèlement à la mise en œuvre d’une plus grande poly­valence, l’entreprise réfléchit

à un réaménagement de l’or­ganisation du travail. « Il nous faut développer un outil opé-rationnel pour faciliter la ges-tion des plannings », explique Sandrine Duroc, responsable des ressources humaines. D’autant que l’organisation du temps de travail est un autre levier d’action pour ménager les organismes. « Lorsque l’on travaillait sur 4,5 jours, tout le monde était satisfait d’avoir son vendredi après-midi. Mais j’entendais parfois les gens dire qu’ils le consacraient à la sieste pour récupérer de leur semaine. Dès lors, à quoi bon travailler trop intensive-ment ? », s’interroge Gwenaëlle Le Cor. L’entreprise n’en est qu’aux balbutiements, le sys­tème demande à être péren­nisé. Mais par cette approche, Capitaine Cook démontre que la gestion du vieillissement se réalise en fait à tout âge.

C. R.

Pour en savoir plus…• A.-M. Guillemard, L’âge de l’emploi. Sociétés à l’épreuve du vieillissement, Éd. Armand Colin, Paris, 2003

• A.-M. Guillemard, A. Jolivet, De l’emploi des seniors à la gestion des âges, La Documentation française, 2006

• Y. Struilou, Pénibilité du travail et retraites, rapport remis au Conseil d’orientation des retraites, avril 2003,

téléchargeable sur : www.cor-retraites.fr/IMG/pdf/doc-300.pdf

• A.-F. Molinié, La santé au travail des salariés de plus de 50 ans, Données sociales n°13, mai 2006.

• S. Volkoff, A.F. Molinié, A. Jolivet. Efficaces à tout âge ? Vieillissement démographique et activités de travail.

Centre d’études de l’emploi, Dossier n°16, 2000, téléchargeable sur : www.ce-recherche.fr/fr/publicationspdf/dos16.pdf

• Dossier thématique sur la gestion des âges : www.anact.fr

• Guide seniors, mode d’emploi, à télécharger sur : www.opcalia.com