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Seine domestiquée

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Seine domestiquée

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NaufragesA en croire les manuels scolaires de géographie, de tous les fleuves de France, « la Seine est un fleuve navigable ». Autant que sur la Loire, la Garonne ou le Rhône, des bateaux ont, depuis les temps les plus lointains, emprunté son cours. Les conditions de navigabilité y étaient très précaires autrefois et, aujourd’hui encore, la navigation en Seine est réputée être une des plus difficiles. Les périls engendrés par les glaces ou le mascaret ont déjà été évoqués, mais il y en avait bien d’autres et de plus fréquents.Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la Seine offrait des conditions de navigation très différentes de ce qu’elles sont devenues. L’estuaire, allant en s’élargissant à l’aval de Caudebec, offrait, jusqu’à Heurteauville et sa chapelle du « Bout du vent » un plan d’eau assez propice à la navigation de petites embarcations sous voile, poussées par le vent d’ouest dominant. Malgré tout, le franchissement de l’embouchure et le passage des caps comme ceux de Tancarville ou de Quillebeuf était extrêmement redouté des navigateurs. Le risque de s’y échouer et de sombrer ensuite était permanent. L’embouchure était encom-brée de bancs de sables et d’argiles, des « sables mouvants », susceptibles d’aspirer très rapide-ment, selon les témoignages, les embarcations qui s’y faisaient prendre. En cas d’échouage sur ces bancs, les bancs pouvaient se dérober sous les coques et celles-ci se briser. L’illustra-tion d’un naufrage sur le banc du Tôt, en face de Quillebeuf est très éloquente sur la rapidité avec laquelle les navires pouvaient sombrer, encore au XIXe siècle.Un témoignage de 1388 souligne lui aussi qu’un incident bénin au départ tourne vite

à la catastrophe. Un bateau qui rompt son ancre lors du flot, dérive rapidement avec les courants et se trouve drossé sur un banc où il s’échoue, s’éventre et perd sa cargaison… au profit des riverains qui ont un droit de « varech », désignation d’origine scandinave que l’on retrouve dans l’anglais « Wreck » pour désigner une épave.Les chenaux de navigation se déplaçaient sans cesse en très peu de temps sur toute la largeur de l’embouchure sous l’effet conjugué des vents et des houles. Parfois, ils passaient au nord, parfois au sud. Les cartographes s’arrachaient les cheveux en constatant qu’à peine leurs cartes achevées, elles n’étaient plus valables. Des sondages réalisés au XIXe indiquent qu’en dix-sept ans, le chenal a changé vingt-sept fois d’emplacement dans l’embouchure. Les cartes montrent en outre qu’il était extrêmement sinueux et offrait un parcours improbable.Les vents de mer qui s’engouffraient en rafales dans l’embouchure ajoutaient encore au dan-ger pour la navigation. Les tempêtes étaient parfois violentes, la visibilité réduite, la houle déchaînée avec des vagues qui frappaient avec puissance les murailles des falaises. Les bateaux devenaient souvent ingouvernables avec le déchaînement des éléments. Le nombre de naufrages qui eurent lieu dans cette partie du fleuve est impressionnant, parfois plus d’une centaine en un siècle.

Vents contrairesLe fleuve était entre Caudebec-en-Caux et Rouen deux à trois fois plus large qu’au-jourd’hui : entre 750 m et 1 km. Mais, la

Une navigation périlleuse

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de la proximité des rives, des îles où les fonds remontaient assez rapidement. Lors des étés de sécheresse, le niveau du fleuve pouvait baisser significativement et les étiages conjugués aux bas niveaux de marées accroissaient les risques d’échouage.

de stabiliser un chemin de halage hors d’eau partout où cela était nécessaire. Mais quand l’aménagement fut réalisé, le halage avait qua-siment disparu.L’ensemble du chenal était beaucoup moins profond qu’il ne l’est actuellement, avec des fonds très variés selon les endroits. Au plus pro-fond, dans la partie concave des méandres, le chenal offrait 3 à 4 m de tirant d’eau. Ailleurs, il fallait se méfier des bancs rocheux ou sableux,

les chemins aménagés sur les berges en suivant au plus près leur tracé sinueux. Mais il arri-vait souvent que ceux-ci soient submergés par les crues, interrompus par l’effondrement des berges minées par le courant ou tellement piéti-nés et boueux qu’ils devenaient impraticables. Les terrains qui bordaient les rives à l’intérieur des boucles étaient le plus souvent marécageux et obligeaient les haleurs à passer d’une rive à l’autre jusqu’à ce que l’endiguement permette

navigation à voile se heurtait à maintes diffi-cultés, principalement dues à l’existence des méandres. Non seulement le dessin des boucles engendrait fatalement une exposition diffé-rente aux vents, mais les collines pouvaient faire écran, créer des tourbillons, laisser passer des bourrasques au droit des vallons. La navi-gation à la voile devenant trop problématique, le halage était mis en œuvre. Les hommes ou les chevaux tiraient les embarcations depuis

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La navigation nocturne se révélait tout aussi dangereuse que par temps de brume à une époque où n’existait pas encore de balisage lumineux. Pour profiter de la marée ou ne pas perdre de temps, certains navigateurs, « connaissant bien le fleuve » ou véritables « trompe-la-mort », n’hésitaient pas à voguer la nuit. Comme le montrent certaines gravures, on peut imaginer néanmoins que les condi-

Dans cet environnement de fleuve sauvage, même sans brume, le nombre d’épaves flot-tant à la surface, principalement des arbres tombés des rives ou des îles, devait être consi-dérable quand on voit ce qu’il en est encore aujourd’hui. La coque des plus petites embar-cations pouvait être éventrée en les heurtant et il fallait parfois le concours de plusieurs gaffes pour les écarter.

fréquente de naufrages. Tous les repères du pay-sage étaient abolis et le risque d’être abordé par un autre bateau ou de heurter une épave flot-tante était maximal. Le brouillard nécessitait généralement de se mettre au mouillage et de souffler à intervalles réguliers dans une corne de brume. Mais se mettre au mouillage n’était pas, non plus, sans danger. La vague de flot, en survenant brutalement, pouvait faire chavirer les embarcations et engloutir leurs passagers.

Nuits et brouillardsUne bonne partie de l’année, le brouillard pouvait très rapidement former des bancs épais au-dessus des eaux et cela dans certains méandres plus que d’autres à la faveur de varia-tions locales de températures, entre Biessard et la Bouille par exemple. La navigation avec une visibilité réduite à néant était une cause

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tions accomplies par les rescapés de naufrage. L’abbaye de Bon-Port aurait été fondée en 1190 par Richard Cœur-de-Lion qui, naviguant sur la Seine et en danger de périr, aurait fait vœu de construire ce monastère s’il arrivait « à bon port ». Le danger à cet endroit semble pourtant moins grand qu’à Quillebeuf où une Notre-Dame du Bon-Port est également vénérée. Entre histoire et légende, il faut bien convenir que la Seine était vraiment un fleuve périlleux

Ex-votosLe nombre d’églises, de chapelles ou de monu-ments principalement dédiées à la Vierge tout le long du cours de la Seine tend également à confirmer les périls que faisait encourir le fleuve aux navigateurs. Le nombre d’ex-voto et de graffitis, les pièces de vitrail qui ornent les établissements religieux attestent des dévo-

A la mauvaise saison, lorsque de mauvaises conditions de navigation se liguaient entre elles, on ne peut s’étonner, ainsi que le rap-porte la chronique, qu’il faille quelquefois trois semaines pour parcourir les 120 km qui séparaient l’embouchure de la Seine du Port de Rouen.

tions pouvaient être meilleures les nuits de pleine lune.Dans le meilleur des cas, en utilisant au mieux les courants de flots pour franchir bancs et tra-verses, un bateau pouvait espérer remonter à Rouen en quatre marées, soit deux jours pleins. C’était en fait rarement le cas compte-tenu des aléas que comportait le parcours et remonter en une semaine tenait presque de l’exploit.

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Guide des navigateurs« Gargantua et les amers » aurait pu être le titre un chapitre de l’œuvre de Rabelais opposant le géant débonnaire, goinfre et paillard à des Sorbonnards pisse-vinaigre. Rien de tout cela en fait.

Pour faciliter leur navigation, les marins se sont guidés, de toute éternité, sur des repères dans le paysage des côtes, appelés des « amers » : un arbre, un clocher... Et Gargantua dans tout ça ?Ce personnage, d’essence mythologique, est bien plus que le héros pittoresque né de l’ima-gination de l’auteur de la Renaissance. Cet écrivain n’a en fait rassemblé que les « faicts et dicts » rapportés sur ce géant sur tous les

l’époque gauloise pour nous parvenir, presque intact aujourd’hui. A toutes les époques, Gargantua est demeuré un héros, un voyageur infatigable, aimé des populations rurales. Et sa popularité est tou-jours intacte aujourd’hui. Chacun conviendra assez facilement que c’est Obélix, et non pas Astérix, qui est le héros le plus populaire de cette bande-dessinée. Goscinny et Uderzo, ont, sans en avoir eu conscience, placé chez Obélix

territoires qu’il est censé avoir parcouru, et cela pendant des milliers d’années. Gargantua est le dieu le mieux identifié du panthéon celtique parce qu’il est proche des populations. Fils de la vierge Bélisama fécondée par l’esprit du dieu solaire Bélénos, son origine remonte sans doute au Néolithique et au culte des déesses-mères. Et son culte s’est perpétué à

Gargantua et les amers

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de cette éminence qui s’y prête. Etait-ce une coïncidence si, une foule importante s’était ras-semblée en 1904 pour assister au dynamitage de cette roche mythique ? A Saint-Nicolas de la Taille, était jadis répertorié une Chaise de Gargantua aujourd’hui oubliée. A Jumièges, on désignait deux monticules, sup-posés avoir été édifiés par le bon géant creusant le lit de la Seine de ses mains, du nom des « Pel-letées de Gargantua. Dans la même paroisse,

de la vallée de Seine, même si la mémoire ou l’existence de certains en a été perdue. La vallée de Seine est jalonnée d’endroits dédiée à Gargantua parce qu’il était un dieu « utile », et en premier lieu aux navigateurs. A Tancarville, la Pierre gante guidait les navi-gateurs dans l’embouchure de la Seine. La tra-dition orale ajoute même qu’il s’agissait d’un phare gaulois. Il n’était pas improbable en effet que des feux aient pu être allumés au sommet

tous les attributs de Gargantua. Livreur de men-hirs, il en a la truculence, la force herculéenne, l’insatiable appétit, l’engagement à soutenir les faibles, la capacité à mettre des armées entières en déroute, de protéger les navires marchands des pirates… L’hypothèse de l’origine ancienne de ce person-nage peut être étayée par le fait que nombreux sont les menhirs ou les dolmens de la fin du Néolithique qui sont associés à Gargantua. Le nom, lui-même, tire son origine des éléments rocheux. « Gar » signifie pierre, « gan », géant et « tua », l’homme. Parmi ses attributions de dieu « à tout faire », Gargantua est l’ordonna-teur du cosmos et des paysages, faute d’explica-tions géologiques jusqu’à récemment. Quand il urine, il donne naissance aux rivières et aux fleuves dont la Seine. Pour les populations rurales, le façonnement des reliefs ne pouvait trouver d’explications autres que l’intervention d’un géant à la force colossale.Dès la fin de la Préhistoire, la Seine est un axe majeur pour la navigation de commerce. La grande richesse du moment est le bronze dont notre région semble être un vaste centre de fabrication et la Seine une voie d’exportation.

Sur les traces du bon géantLa Basse-Seine était située à la confluence des approvisionnements en métaux entrant dans la composition de cet alliage et, dans le cadre d’une navigation longue et périlleuse, les marins avaient besoin de points de repère pour se situer dans des boucles qui se ressem-blaient entre elles.Ce n’est donc pas un hasard si de nombreux sites portent encore aujourd’hui l’empreinte de Gargantua dans de nombreux toponymes

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En entrant dans le port de Rouen, on ne peut manquer de voir se dresser le Mont Gargan, même s’il a été rebaptisé depuis côte Sainte-Ca-therine, pour effacer le lieu de culte solaire qui se déroulait à cet endroit. A Saint-Adrien, au-dessus de la chapelle, un site identique à celui de La Fontaine était appelé jadis « fauteuil de Gargantua ». Eperon des Roches d’Orival qui ne peut pas-ser inaperçu, la Roche du Pignon, sans qu’on

est attestée également l’existence d’une Curia gigantatis, autre chaire du Géant. Au hameau de la Fontaine, entre Duclair et Hénouville, un ensemble de deux éperons rocheux formant accoudoirs et encadrant un vallon perché a éga-lement été dénommé « Chaise de Gargantua » et est encore bien connue. C’est là, selon la légende, que le géant assis pour se reposer en trempant ses pieds dans la Seine fit de ses jambes un pont pour aider un voyageur à traverser.

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compte tenu de sa taille réduite et de sa situa-tion, mais il semble en fait avoir indiqué la présence d’un ancien gué. Il est hautement pro-bable que les menhirs, isolés dans la campagne, aient pu servir de « poteaux indicateurs » comme plus tard les calvaires dont beaucoup sont d’ailleurs des menhirs réadaptés.Dans la mythologie, Gargantua, missionné par Teutatès, est le protecteur de la communauté et en particulier du commerce et des marchands qui voyagent sans cesse sur les routes, fleuves et mers. Assimilation de plusieurs dieux, il a une relation certaine avec le Mercure gaulois qui se confond avec celui de la mythologie gré-co-romaine et aussi avec Hercule.

puisse associer son nom à Gargantua faute d’en connaître le sens, il a sans doute joué lui aussi un rôle d’amer. A l’amont, à Connelles, un pinacle semblable a eu pour nom « Roche du Géant ».

Au service des voyageursEnfin, le menhir de Port-Mort fait partie des multiples « Graviers de Gargantua », cailloux importuns dont le géant débarrassait ses sou-liers lors de ses pérégrinations. Il est peu pro-bable qu’il ait pu être un amer de navigation

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Navigation primitiveDu fait de sa grande largeur, l’estuaire de la Seine, tel qu’il était autrefois, pouvait être perçu comme une continuité naturelle de l’espace maritime dans les terres. L’estuaire de la Seine était d’ailleurs administrativement

considéré comme un espace maritime jusqu’à Rouen. Quand le département se nommait encore Seine-inférieure, cette portion du fleuve s’appelait la Seine maritime.La navigation sur la Seine est fort ancienne. Les hommes du Paléolithique disposaient peut-être déjà d’embarcations primitives pour pêcher ou franchir le fleuve. Il est en revanche avéré que les colons néolithiques arrivèrent, il y a 10 000 ans, du Croissant fertile en navi-

normandes étaient à leur tour exportées dans le sud de l’Angleterre actuelle et qu’au Bronze tardif, des épées de bronze étaient importées de l’île de Bretagne.Pour tenir la mer, le modèle des petits bateaux qui sillonnaient la Méditerranée avait-il été copié ou même introduit dans la Manche par les marchands grecs ou phéniciens ? A l’Âge du Fer, les Gaulois disposaient en tout cas du ponto navire à quille peu saillante et carène évasée

guant, par étapes, sur le bassin du Danube puis sur celui de la Seine. A l’âge du bronze — 4 500 BP —, sans que l’on sache précisément de quelles embarcations les hommes dispo-saient, on sait que les minerais d’étain et de cuivre étaient importés des îles britanniques pour être fondus dans des ateliers de bronziers en vallée de Seine et que des haches de bronze

Le cabotage en Seine

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Les caractéristiques du chenal, les marées, les bancs d’échouage… ont déterminé une forme de bateau caractéristique d’une vingtaine de mètres de long, à la coque très évasée, à large pontée (6 à 7 m), et de très faible tirant d’eau (0,90 m) : la gribane de Seine. Ce type de bateau, connu dès le Moyen-âge s’est per-pétué jusqu’au début de la seconde moitié du XXe siècle. Alors que bien d’autres modèles d’embarcation sillonnèrent la Seine maritime,

de comptoirs commerciaux tout au long du fleuve était créatrice de richesse du fait des pos-sibilités d’échanges qu’elle permettait. Chaque escale offrait un débouché pour les productions agricoles, forestières ou manufacturières des plateaux voisins. Caudebec était ainsi le débou-ché naturel du plateau cauchois et possédait ainsi le statut de « capitale » du pays de Caux qui lui fut ravi par Yvetot avec la construction du chemin de fer.

qui permettait l’échouage, principes auxquels obéiront la plupart des bateaux naviguant sur la Seine jusqu’à notre époque.Avant que le port de Rouen ne devienne la des-tination principale de la navigation maritime le commerce obéissait à des règles très diffé-rentes et le cabotage ou navigation au bornage dominait les échanges sur la Seine et sur la plupart des côtes. Le cabotage définit un mode de navigation sur de courtes distances et non une dimension d’embarcations.Jusqu’à une époque récente, les bateaux étaient de petite taille. Pour s’en donner une idée, les caravelles de Christophe Colomb, celles qui traversèrent l’océan Atlantique, étaient de dimensions équivalentes aux remorqueurs qui naviguent actuellement sur la Seine. La Santa Maria mesurait 26 m de long, le capitaine Jean-Thomas mesure 28 m. Certains bateaux naviguant sur la Seine, comme les besognes, dépassant 40 m, étaient plus grandes que nombre de vaisseaux croisant sur les océans, mais leur structure n’était pas adaptée à prendre la mer.

Gribanes et autres embarcationsLe cabotage s’imposait pour deux raisons majeures : en premier lieu, la nécessité de ravi-tailler en certaines marchandises, comme le sel, tous les territoires à partir des villages riverains du fleuve et, en second lieu, des conditions de navigation nécessitant de nombreuses escales sur le cours du fleuve. Les marchandises circulaient plus facilement par la voie fluviale que par la voie terrestre. Il aurait été impensable de transporter les pierres de construction qui ont servi à construire la cathédrale de Rouen par charroi. L’installation

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tuiles, du vrac (chaux, charbon de bois, char-bon de terre, du foin, du bois de chauffage…) Ces bateaux jaugeaient de 40 à 60 tonneaux, voire 80 pour un poids de 75 t.Les gribanes servaient aussi à transporter des barriques de poisson séché, de graisse de baleine, de vin, de cidre, des paniers de fruits, du sel indispensable alors à la conservation des aliments…Au nombre de cent cinquante à la fin du XIXe,

la caravelle, la nef, la galiote… pour les plus grosses au foncet, la plus petite, la gribane dut sans doute à sa robustesse et ses capacités de transports d’avoir traversé les siècles. Gréée avec une grand-voile et un foc, elle pouvait également être propulsée par de longs avirons ou halée depuis les rives avec une « bricole » qui reliait le haut du mât, les hommes ou les chevaux de traction.

elles disparurent pour la plupart dans la pre-mière moitié du XXe siècle. La dernière gribane de Seine, l’Enfant de France devenue Joble et motorisée en 1922, assura un service pour les Ponts-et-Caussées jusqu’à la fin des années 1950. Elle est conservée aujourd’hui à Muséo-seine à Caudebec-enCaux.Le cabotage ne se limitant pas aux seules gribanes. Le « Gloire au cœur de Jésus », un

Transports de marchandises diversesLa cale des gribanes étant d’un volume réduit, c’est surtout sur le pont que les marchandises voyageaient. Ce mode de transport facilitait le chargement et le déchargement de pièces volu-mineuses comme les troncs, les grosses poutres, d’énormes blocs de pierre, des briques, des

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gers par les bateaux omnibus qui sillonnaient la Seine peut aussi être assimilé à une activité de cabotage.A partir de la Seine, le cabotage était pratiqué dans certains de ses affluents. Des bateaux ont remonté la Risle maritime, canalisée jusqu’à Pont-Audemer, jusqu’en 1975. D’autres ont emprunté l’Eure jusqu’au début du XXe siècle. Les embarcations remontaient cette rivière à

par lequel ils étaient dorénavant administrés, en escales pour des navires de haute-mer.

Au départ de la SeineLa batellerie peut être également considérée comme une navigation de cabotage spécifique à l’amont de Rouen. Le transport des passa-

tion de cabotage qui avait survécu grâce à leur mobilisation pour l’endiguement du che-nal disparut complètement. Les voies ferrées secondaires desservant la plupart des anciens ports, le ravitaillement par l’eau n’avait plus lieu d’être.Seuls quelques ports— Saint-Wandrille, Le Trait, Port-Jérôme, Radicatel et Honfleur — se convertirent en complément du Port de Rouen

ancien cotre de pêche aux harengs, assurait par exemple, le trafic de marchandises les plus diverses sur la Seine et convoyait régulière-ment du bois de chauffage entre La Mailleraye et le Havre. De petits caboteurs à vapeur puis à moteur assurèrent la relève jusqu’à ce que la plupart des petits ports, comme celui de Duclair, cessent leurs activités. Avec l’amélio-ration des accès nautiques au Port de Rouen et l’augmentation des tonnages, la naviga-

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tage permettait d’approvisionner Saint-Aubin-de-Quillebeuf par un petit canal et, vraisem-blablement de transporter la tourbe récoltée à la Grand-Mare.

partir des Damps. Tout le long du parcours, des biefs canalisés depuis le XVe siècle, plusieurs écluses et pertuis permettaient de franchir les obstacles. Le trafic se poursuivit entre Chartres et Louviers jusqu’en 1870 et la rivière fut finale-ment déclassée à la navigation en 1926. Le sas des écluses de la Villette à Louviers fut même réaménagé en piscine.Grâce à une écluse située au niveau de l’église de Quillebeuf, une petite navigation de cabo-

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Heurs et malheurs d’HarfleurPour parler des ports de Seine, il faut d’emblée en distraire celui du Havre, parfois considéré comme tel, mais qui n’en possède aucune des caractéristiques.Même s’il s’étend aujourd’hui sur une partie de la plaine alluviale de l’embouchure et même sur celle-ci avec la construction récente de Port 2000, le port du Havre est un port de mer en eau profonde qui n’a rien de commun avec ceux de la Seine. Fondé en 1517 par François 1er, le choix de son emplacement fut guidé par son accessibilité permanente, sans avoir à subir les aléas de la navigation de l’estuaire afin de protéger militairement l’entrée de la Seine contre des agresseurs potentiels, les Anglais pour ne pas les citer. Harfleur est bien, quant à lui, un port de Seine. Après avoir menacé de détrôner Rouen au Moyen-âge, en ayant la perspective d’accueillir des navires de mer qui n’auraient pas à remon-ter tous les méandres, l’ensablement perpétuel de l’entrée de la Lézarde fit qu’il resta un port de cabotage comme les autres avec une posée à la pointe du Hoc. La construction du port du Havre acheva définitivement son déclin et ce n’est que l’ouverture du canal de Tancarville qui lui permit de reprendre un statut de port, pour accueillir quelques yachts de luxe.

Ports maritimes et fluviauxLa navigation en Seine laisse aujourd’hui l’image de gros navires qui remontent et redes-cendent la Seine pour relier Rouen à la mer.

Pourtant la destinée du port de Rouen n’était pas écrite d’avance et il dut se prémunir en permanence, même aux périodes d’apogée, des causes d’un déclin. C’est par exemple, en nouant dès le XVIe siècle des relations étroites avec Honfleur pour résister à la concurrence que Rouen a pu prendre le contrôle de l’en-semble des ports de l’estuaire. Jusqu’au début du XXe siècle, tous les vil-lages qui bordaient le fleuve étaient autant de petits ports ouverts au négoce de marchandises diverses ou d’activités ayant trait à la naviga-

Les ports de Seine