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Partie 1 Se positionner dans l’innovation Chapitre 1 Choisir l’innovation comme mode de compétition Chapitre 2 Anticiper la dynamique de l’innovation Chapitre 3 Développer son potentiel d’innovation par les réseaux • Choisir l’innovation comme mode de compétition • Anticiper la dynamique de l’innovation • Développer son potentiel d’innovation par les réseaux • Mettre en place un processus d’innovation • Stimuler la créativité individuelle • Stimuler la créativité organisationnelle • Formuler la proposition de valeur : approche marketing • Construire un business model • Reconfigurer la chaîne de valeur et construire un portefeuille de business models • Sélectionner un mode de présentation du projet d’innovation • Définir les modalités de sélection interne des projets d’innovation • Construire l’écosystème de l’innovation • Protéger et valoriser l’innovation • Capitaliser sur l’expérience d’innovation : construire l’organisation innovante Se positionner dans l’innovation Générer des idées d’innovation Transformer les idées en concepts d’innovation Sélectionner les projets d’innovation Diffuser l’innovation © 2011 Pearson Education France – Management de l'innovation – Séverine Le Loarne, Sylvie Blanco

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Partie 1

Se positionner dans l’innovation

Chapitre 1 Choisir l’innovation comme mode de compétition

Chapitre 2 Anticiper la dynamique de l’innovation

Chapitre 3 Développer son potentiel d’innovation par les réseaux

• Choisir l’innovation comme mode de compétition• Anticiper la dynamique de l’innovation• Développer son potentiel d’innovation par les réseaux

• Mettre en place un processus d’innovation• Stimuler la créativité individuelle• Stimuler la créativité organisationnelle

• Formuler la proposition de valeur : approche marketing• Construire un business model• Reconfigurer la chaîne de valeur et construire un portefeuille de business models

• Sélectionner un mode de présentation du projet d’innovation• Définir les modalités de sélection interne des projets d’innovation• Construire l’écosystème de l’innovation

• Protéger et valoriser l’innovation• Capitaliser sur l’expérience d’innovation : construire l’organisation innovante

Se positionnerdans l’innovation

Générerdes idées

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Transformer lesidées en concepts

d’innovation

Sélectionnerles projets

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Diffuserl’innovation

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Chapitre 1

Choisir l’innovation comme mode de compétition

Le groupe EMI est le créateur du scanner. Pourtant, six ans aprèsle lancement du produit, c’est General Electric qui est le leadersur ce marché, EMI étant devenu un acteur marginal sur l’activitéqu’il a pourtant créée : le géant de l’imagerie médicale a non seu-lement pu imiter l’offre d’EMI mais a aussi utilisé des actifs spéci-fiques – tels que sa force de vente mondiale, déjà intégrée dansle monde médical, sa notoriété dans cette application – pourcontrecarrer l’avantage concurrentiel d’EMI, essentiellementfondé sur la technologie1.

En 2000, Dell Computer est présenté comme le leader de l’industrieinformatique, en se différenciant de ses concurrents grâce à unmodèle économique innovant, fondé, entre autres, sur la ventedirecte au client et sur la personnalisation de l’offre. Cet avantageconcurrentiel sera très rapidement imité par HP.

Ikea est connu pour être un modèle d’entreprise qui innove : IngvarKamprad décide tout d’abord de créer le meuble en kit, afin de faireentrer plus de meubles dans son camion de livraison. Ce conceptsera peu à peu imité, lentement, mais sûrement. Depuis l’ouverturedu premier magasin, en 1955, le groupe innove tour à tour dans desinnovations produits, combinant ingéniosité, esthétique et prix,mais aussi dans la création de nouvelles activités. La maison en kiten est une parfaite illustration.

1. Cet exemple est décrit par D. Teece (1986) dans son article « Profi-ting from technological innovation: Implications for integration,collaboration, licensing and public policy », Research Policy, vol. 15,1986, pp. 295-305.

Après avoir lu ce chapitre, vous serez capable de :

• définir les trois typologies d’innovation et d’en comprendre leur intérêt ;

• comprendre qu’innover pour l’entre-prise n’est pas une fin en soi, que l’acte s’inscrit dans une recherche de maîtrise des facteurs clés de succès existants ou dans la création de nouveaux ;

• identifier les règles du jeu et facteurs clés de succès (FCS) d’une industrie et repérer les zones d’innovation.

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12 Partie 1 – Se positionner dans l’innovation

es trois exemples non exclusifs, EMI, Dell et Ikea, introduisent plusieurs leçons surl’innovation :

D’abord, ils rappellent que l’innovation est multiforme : le cas d’Ikea fait référence à l’inno-vation de produits et à l’innovation de procédés. Dell renvoie à une innovation dans lemodèle économique : on vend l’ordinateur non plus sous la forme d’un package, maiscomme un assemblage de pièces achetées quasiment à l’unité. EMI crée une innovationradicale, tandis que les derniers produits Ikea renvoient à une innovation de type incré-mental, définition que nous présenterons dans les prochaines pages.

Ensuite, ces exemples montrent que l’innovation n’est pas une finalité, mais un moyende différenciation avec la concurrence existante : Ikea se distingue des concurrentsdirects en créant sa propre gamme de meubles. Une fois que la concurrence sur lesmeubles en kit sera établie, le groupe cherchera à innover sur leur prix. L’innovation estdonc en lien avec la recherche du développement d’un avantage concurrentiel.

Dernière leçon tirée de ces exemples : l’avantage concurrentiel n’est pas durable, loins’en faut. Dans certains cas, il dure même très peu de temps, quelques années tout aumieux. Dans les industries où l’avantage concurrentiel est de courte durée, l’innovationrépétée devient alors la règle.

Ce chapitre présente les deux sujets soulevés par ces trois exemples :

• les différents modes de compétition à mettre en œuvre pour se différencier de sesconcurrents et le rôle de l’innovation dans chacun de ces modes de compétition ;

• les trois principales typologies employées pour classer les innovations, leurs intérêtset limites respectifs.

Pour ce faire, nous articulons notre réflexion en trois temps : pourquoi l’entrepriseinnove-t-elle ? Nous répondrons à cette question en exposant les innovations quis’inscrivent dans la continuité et celles qui créent de la rupture et cassent les règles du jeude l’activité. Nous présenterons ensuite la deuxième typologie classiquement utiliséepour classer les innovations : l’innovation de produit ou de service et l’innovation deprocédés. Troisième temps : avec qui l’entreprise innove-t-elle ? La réponse à cettedernière question sera l’occasion de discuter la pertinence de la dernière typologied’innovations employée, à savoir l’opposition entre les innovations radicales et les inno-vations incrémentales ou architecturales. Enfin, nous conclurons ce chapitre en présen-tant le phénomène « d’hypercompétition » et en discutant la pertinence du mode decompétition par l’innovation pour faire face à ce phénomène.

1 Innover, pour quoi ?Pourquoi mettre en place un processus d’innovation au sein d’une entreprise, la faireévoluer, tant dans sa structure, dans ses procédés, son organisation que dans les offresqu’elle propose ? Comment orienter ce processus ? Pour répondre à quelle finalité ? Cettepremière section répond à cette question et présente une première typologie d’innova-tion, classiquement employée : l’innovation de rupture versus l’innovation de continuité.

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Chapitre 1 – Choisir l’innovation comme mode de compétition 13

1.1 Brefs rappels sur les règles du jeu de la compétition entre entreprises

Décider sur quoi, quand et comment innover s’inscrit de manière logique dans la straté-gie de l’entreprise. Aussi, avant même d’identifier les différentes catégories d’innovationet de comprendre leur enjeu, convient-il de rappeler certaines bases de managementstratégique sur lesquelles nous nous appuierons par la suite. Dans cette quête de lacompréhension du lien entre type d’innovation et enjeu pour l’entreprise, nous nousintéresserons successivement à deux concepts. Le premier est celui d’industrie ou dedomaine d’activité stratégique (DAS), que nous assimilerons aux terrains de jeu surlequel l’entreprise joue et est en compétition avec d’autres. Le second concept est celui defacteur clé de succès de l’industrie (FCS), que nous comparerons à la règle du jeu envigueur sur ce terrain.

1.1.1 Les FCS : règles du jeu de l’industrie et objet de l’innovation

Toute entreprise ou organisation qui souhaite être durablement présente sur uneindustrie doit être en conformité avec les règles de cette dernière. Par industrie, nousentendons l’ensemble des activités tournées vers la production de biens manufactu-rés. L’entreprise peut être présente sur toutes les activités de l’industrie ou, aucontraire, se spécialiser sur une activité particulière. Par règle, nous ne faisons pasuniquement référence aux réglementations en vigueur, aux normes, mais aussi etsurtout aux pratiques que l’ensemble des acteurs présents ont peu à peu développées,instaurées, institutionnalisées. Prenons l’exemple de l’industrie de l’agroalimentaireet, plus précisément, de l’activité ultra-frais qui comprend, entre autres, les produitslaitiers. Un nouvel acteur qui souhaite intégrer cette activité devra se plier aux règlesen vigueur : présenter les dates limites de conservation sur ses produits, respecter lesnormes afférentes au respect de la chaîne du froid. Il devra aussi présenter desproduits qui respectent les codes traditionnellement reconnaissables par les clients-consommateurs. En France, un yaourt se vend généralement en packs de 4, 8 ou plusd’unités, les conditionnements sont dans un type de plastique fermé par un opercule,généralement bleu ou blanc. L’entreprise présente sur cette activité distribue sesproduits via un réseau, qui fonctionne par centrale d’achat. Elle devra être référencéeauprès de ce réseau. Les délais de paiement des distributeurs sont traditionnellementde 90 jours. L’entreprise devra donc structurer son besoin en fonds de roulement(BFR) en conséquence. BFR, référencement chez un distributeur, respects des délaisde conservation… Toutes ces conditions sont appelées facteurs clés de succès (FCS).Les FCS sont les conditions que doit remplir toute entreprise qui souhaite êtredurablement présente sur une industrie.

Bien évidemment, ces facteurs clés de succès ne restent pas figés dans le temps. Les entre-prises présentes sur l’industrie considérée, ainsi que les clients qui ont tous progressive-ment adhéré à l’offre initiale, sont autant de sources d’évolution de ces FCS. Tout commel’industrie, les facteurs clés de succès suivent un cycle de vie : on distingue généralementdes FCS émergents, présents depuis peu sur l’industrie, maîtrisés par quelques entreprisesdominantes qui les imposeront ensuite comme de nouvelles règles. Ces FCS émergentss’opposent aux FCS matures, qui existent depuis bon nombre d’années sur l’industrie et

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14 Partie 1 – Se positionner dans l’innovation

qui sont maîtrisés par l’ensemble des entreprises. L’exemple 1.1 présente une illustrationconcrète des évolutions des FCS sur l’activité des capteurs d’images entre 1998 et 2008.

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1.1 Évolution des facteurs clés de succès de l’activité des capteurs d’images

entre 1998 et 2005

Le capteur d’images trouve de nombreuses applications : webcams, caméras, appa-reils photo mais aussi téléphones portables, systèmes de sécurité, etc. Certaines deces applications étaient balbutiantes en 1998. Pour autant, l’ensemble des indus-triels qui œuvrait sur cette activité répondait aux FCS suivants, lesquels étaientdemandés surtout par des clients tels que Nokia ou Canon, par exemple.

D’abord, il fallait produire des capteurs à des coûts toujours plus faibles, sansdégrader leur qualité, en particulier le nombre de pixels contenus dans lecapteur. Ensuite, le capteur ne devait pas être proposé seul sur une puce, maisintégré à d’autres fonctions et nécessiter une faible consommation d’énergie.Ainsi, le capteur d’un téléphone portable employé pour prendre une photo-graphie ne devait consommer qu’une petite partie de l’énergie contenue dans labatterie ! Le quatrième FCS correspond au faible temps de développement etd’industrialisation pour la commercialisation de ces capteurs : les clients tels queles constructeurs de téléphones font rapidement évoluer leurs gammes deproduits. Ils souhaitent donc qu’il en soit de même pour l’ensemble des compo-sants de leurs produits, dont les capteurs. En outre, cette industrialisation rapidedu capteur doit également s’accompagner de la capacité à produire de gros volu-mes. Dernier FCS : le capteur doit pouvoir se vendre soit seul, soit intégré àd’autres fonctions.

La figure 1.1 présente les FCS dans l’encadré central. En 1998, les FCS dominants,c’est-à-dire les règles du jeu à maîtriser absolument sous peine d’être rejeté del’activité, sont les suivants : capacité d’intégrer d’autres fonctions à la puce, propo-ser une puce qui consomme peu d’énergie et, enfin, développer rapidement cettedernière. En 2005 (voir figure 1.2), les règles du jeu dominantes sur cette activitédemeurent, mais les FCS les plus importants ont évolué et sont désormais ceux-ci :la maîtrise des coûts de production, le développement et la mise sur le marché rapi-des de la puce et, enfin, la possibilité de vente de ce capteur sous deux formes, lapuce seule ou intégrée dans un système.

Pour faire face à ces FCS, l’entreprise réfléchit aux ressources dont elle dispose, à sescapacités et compétences. Pour ST Imaging, filiale du groupe STMicroelectronics,spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de composants (électroni-ques) permettant la capture et le traitement d’une image, ces ressources et compé-tences sont résumées dans les bulles qui entourent l’encadré central. Cependant, cesmêmes ressources et compétences sont maîtrisées de manière inégale. En 1998 (voirfigure 1.1), ST commence à développer des offres, en partenariat avec des clientsqu’elle considère clés car, soit ils sont leaders sur leur marché, soit ils possèdent dessavoir-faire qui peuvent l’aider. Néanmoins, ces partenariats ne sont pas encore solides.En 2005, cette faiblesse est résolue (voir figure 2.2).

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Chapitre 1 – Choisir l’innovation comme mode de compétition 15

Figure 1.1 — Facteurs clés de succès de l’activité de capteurs d’images et positionnement de ST Imaging en 1998.

Figure 1.2 — Facteurs clés de succès de l’activité de capteurs d’images et positionnement de ST Imaging en 2005.

Source : De Margerie V. et Le Loarne S., « Visualiser la combinaison entre ressources et compétences pour optimiser les risques et créer un avantage compétitif durable : proposition de carte cognitive », RIIE, Revue Internationale de l’Intelligence Économique, n˚ 1, 2009.

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• Coûts de production faibles à nombre de pixels équivalent• Intégration de fonctions supports à la puce• Faible consommation de la puce• Temps très court de mise en marché pour des applications de volume• Possibilité d’acheter soit la puce, soit la solution complète

Capacité deproduction en phase avec

un marché global

Support R&D

Accès à des technologiesauxiliaires (micro-optique &

macro-mécanique)

Réseau de vente global

Partenariat avecles clients clés

Implication de lamaison mère

(Capex)

Accès à la technologieCMOS

Contrôle des évolutionsde la technologie CMOS

• Coûts de production faibles à nombre de pixels équivalent• Intégration de fonctions supports à la puce• Faible consommation de la puce• Temps très court de mise en marché pour des applications de volume• Possibilité d’acheter soit la puce, soit la solution complète

Capacité deproduction en phase avec

un marché global

Support R&D

Accès à des technologiesauxiliaires (micro-optique &

macro-mécanique)

Réseau de vente global

Partenariat avecles clients clés

Implication de lamaison mère

(Capex)

Accès à la technologieCMOS

Contrôle des évolutionsde la technologie CMOS

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16 Partie 1 – Se positionner dans l’innovation

1.1.2 Les FCS : orienter l’innovation et casser les règles du jeu de l’industrie

Dans la section précédente, nous avons vu que l’entreprise joue sur une industrie et sespécialise dans une ou plusieurs activités qui la composent. Ces activités constituent sonterrain de jeu. Cette deuxième partie s’intéresse aux règles en vigueur sur ces terrains, enl’occurrence aux facteurs clés de succès que l’entreprise doit maîtriser pour pouvoirdécemment participer sur le terrain qu’elle a choisi. Le recours à une réflexion sur lesfacteurs clés de succès de l’activité est important car il constitue un moyen d’identifi-cation de l’objet d’innovation. Dans la mesure où les règles du jeu sont données, l’enjeuconsiste à déterminer comment l’offre et le processus de production ou de livraison decette même offre permettent à l’entreprise de jouer avec les règles du jeu de son activité.Ainsi, grâce à l’identification des FCS, l’entreprise identifie la finalité de son inno-vation : l’innovation s’effectue dans les règles du jeu de l’activité. Ainsi, comme leprésente l’exemple 1.1, l’entreprise ST Imaging cherchera à innover dans son produit enproposant justement des solutions qui consomment moins d’énergie, peut-être au détri-ment d’une amélioration très importante de la performance du produit, (une augmenta-tion considérable du nombre de pixels, par exemple). En ce sens, réfléchir aux FCSoriente l’innovation.

En outre cette réflexion conduit à identifier les zones d’ombres pour créer de nouvellesrègles, de nouveaux FCS, par l’innovation. Il s’agit ainsi de casser les règles du jeu demarché en créant des FCS émergents. Rappelons-nous le premier acteur qui a proposéun téléphone avec un écran tactile ou des applications qui vont bien au-delà du simpleappel téléphonique ! L’enjeu consiste à gêner les concurrents directs : l’intérêt desclients pour ce type de produits oblige les concurrents à modifier leurs projets de télé-phones et à suivre indirectement les règles imposées par cet innovateur, qui sera alorssuivi par les autres acteurs ! Second exemple, Dell, qui a su proposer un mode d’achatdifférent de celui de ses concurrents directs, HP, IBM ou autres acteurs : tandis que cesderniers vendaient l’ordinateur « en pack » (écran, clavier, unité centrale, équipée de telou tel processeur, telle mémoire, etc.), Dell offre la possibilité à ses clients de choisirl’écran, le processeur, la mémoire, etc. et ensuite d’assembler les composants. Certes,d’autres entreprises offrent déjà ce mode de commercialisation de l’ordinateur. Cepen-dant, Dell, par sa taille et le système logistique qu’il met en place, est le premier acteur àvéritablement casser la règle du jeu selon laquelle l’ordinateur s’achète en pack pour legrand public non familier de l’informatique. Dès lors, comment repérer les zonesd’ombres pour innover ? L’exemple de Dell répond à la question : la comparaison entreles ressources de l’entreprise et les FCS permet d’identifier les « zones d’ombre ». Plusprécisément, l’identification des FCS incite les acteurs de l’entreprise à réfléchir à l’étatde leurs ressources pour maîtriser ces FCS. La réflexion sur les ressources – par exemplela bonne maîtrise du système logistique chez Dell – permet d’identifier les compétencesdistinctives de l’entreprise, compétences qu’elle utilise actuellement ou latentes, maissurtout compétences qui lui permettraient d’être meilleure que ses concurrents sur leterrain de jeu.

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Chapitre 1 – Choisir l’innovation comme mode de compétition 17

1.2 L’innovation pour jouer ou casser les règles en vigueur : l’innovation de rupture

La section 1.1 rappelle que l’entreprise, pour être compétitive, doit jouer avec les règlesen vigueur sur son terrain de jeu, son périmètre d’action. Elle peut avoir recours à deuxstratégies : soit elle respecte ces règles, qu’elles aient été ou non établies par elle, soit ellecherche à les casser en en créant de nouvelles. Ce constat nous amène donc à présenter lapremière typologie qui classe les innovations en deux catégories : les innovations derupture et les innovations de continuité.

1.2.1 Les innovations de rupture : casser le périmètre et les FCS

L’innovation de rupture, comme son nom l’indique, concerne une innovation de produitou de processus qui casse les règles du jeu et les normes en vigueur sur l’activité considérée.

Rupture : de quoi s’agit-il ?

Deux niveaux de rupture sont traditionnellement envisagés :

1. Le premier niveau est la rupture par rapport à ce que le client et l’utilisateur ontl’habitude de consommer. L’utilisation d’un téléphone portable pour prendre desphotographies en 2003 peut être considérée comme une innovation de rupture en sontemps. La rupture porte ici sur la finalité de l’objet – prendre une photographie et ne pastéléphoner –, mais d’autres éléments de rupture existent. Ainsi, le mode de commer-cialisation du café, par dosettes individuelles et non par paquet renvoie à une ruptureen termes de modèle économique ou de business model1. La rupture en termes d’usageest illustrée par l’ajout d’un écran tactile sur un ordinateur : l’utilisateur ne se sertplus de la souris, du clavier ou encore de la commande vocale pour effectuer une tâche.

2. Le second niveau, qui est unanimement reconnu et identifié dans les recherches sur lethème de l’innovation de rupture, est la technologie. On parle alors de découvertescientifique qui « casse le couplage produit/technologie et qui fournit les bases pourun nouveau mode de compétition2 ». Autrement dit, toutes les innovations derupture cassent les règles du jeu, les modifient en profondeur, ainsi que les modes decompétition. En outre, ces innovations consistent surtout en des innovationsfondées sur la technologie, laquelle technologie se substitue aux technologies envigueur pour donner naissance à des produits ou services aux finalités similaires. Lecas de l’intégration d’un système de réfrigération dans une canette en aluminiumillustre ce propos : le système se substitue à la cannette classique, qui sera refroidiedans un réfrigérateur ou une glacière. Un autre exemple réside dans le recours aubéton, au début du XXe siècle, comme matériau de construction à la place de la pierre,du pisé ou de tout autre matériau et qui, de fait, implique de nouveaux modes deconstruction (utilisation d’ossatures métalliques pour créer du béton armé, etc.).Le concept d’innovation de rupture a été théorisé par plusieurs chercheurs. Néan-moins, la théorisation la plus connue et diffusée est celle de Christensen (voir appro-fondissement 1.1). Cette théorisation, présentée au chapitre 2 de ce manuel, est

1. Cet aspect de l’innovation est développé dans les chapitres 8 et 9 de cet ouvrage.2. Traduction de Kassiecieh et al., « Factors Differenciating the Commercialization of Disruptive and

Sustaining Technologies », IEEE, Transactions on Engineering Management, 494, 2002, pp 375-387.

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18 Partie 1 – Se positionner dans l’innovation

largement utilisée pour développer des méthodes d’anticipation de ruptures et defutures innovations.

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.1 La théorisation de l’innovation de rupture par C. Christensen (1997)

Clayton Christensen est un professeur spécialisé dans le management de l’innova-tion de rupture et des ruptures technologiques. Son ouvrage majeur, paru en 1997,et issu de ses recherches à la Harvard Business School, est intitulé Le dilemme del’innovateur.

Pourquoi les grandes entreprises qui respectent les règles du jeu perdent-ellesleur industrie et meurent-elles ?

Dans cet ouvrage, Christensen explique les raisons pour lesquelles certaines gran-des entreprises en position de leader sur leurs industries respectives viennent àmourir. La raison de ce décès est simple : elles ne proposent que des innovations decontinuité (sustaining innovations) sans se soucier des autres acteurs, qu’ils appar-tiennent à leurs industries ou non : l’opérateur de téléphonie, leader sur son activitédepuis très longtemps, s’intéressera à son activité, développera des nouvelles offres,sans se préoccuper des développements d’offres de ses concurrents, et, surtout, sansse soucier de l’arrivée de nouvelles technologies, développées par ces mêmesconcurrents ou par des acteurs d’activités connexes. Or, ces nouvelles technologiespeuvent générer des offres substituts à la communication par téléphone ! Cesacteurs proposent ainsi des offres plus performantes, sources de nouvelles utilisa-tions. Lorsque ces utilisations se généralisent, elles modifient peu à peu les règles dujeu de l’industrie.

Entre-temps, les entreprises leaders prennent conscience de la rupture technologi-que, identifient l’innovation de rupture, mais il est trop tard : le marché a déjàadopté cette dernière, l’entreprise leader n’a plus le temps de rattraper son retardet n’en a pas les ressources. Elle perd des ventes, puis des parts de marché, sonleadership et, petit à petit, meurt.

Le mécanisme des innovations de rupture

Les évolutions des innovations de rupture suivent une trajectoire comparable àcelle des technologies de rupture. Au fur et à mesure de leurs utilisations, les tech-nologies dites de continuité (ou sustaining technologies) évoluent, sont modifiéespar les différents laboratoires de R&D avec lesquels travaillent les entreprises qui lesexploitent, les développent et les commercialisent. Ces innovations de continuité,qui reposent toutes sur la même technologie, gagnent progressivement en perfor-mance. À titre d’illustration, les capteurs d’images ont pendant très longtemps étédéveloppés à partir du standard CCD. Toute progression en termes de performanceétait liée à l’amélioration de la technologie CCD. Puis vint la technologie CMOS,dont le développement a été initié par les développeurs de caméras ou d’appareils

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Chapitre 1 – Choisir l’innovation comme mode de compétition 19

Deux catégories d’innovation de rupture

D’un point de vue stratégique, deux types d’innovation de rupture sont identifiés :

1. La première innovation de rupture est une offre, qui repose, comme nous l’avonsprécédemment décrit, sur une rupture technologique. Néanmoins, elle n’est pas utili-sée par les entreprises pour contrer les entreprises leaders. Au contraire, elle est desti-née à des marchés qui ne sont pas ciblés par ces entreprises leaders. Ces innovationsde rupture contribuent donc à la création de nouveaux marchés, de nouvelles activi-tés, sur lesquelles de nouvelles règles du jeu sont créées. Une nouvelle moléculepermettra ainsi de développer un médicament qui ne ciblera pas les patients des paysindustrialisés mais ceux des pays émergents. La nouvelle molécule sera peut-êtrecoûteuse à développer mais facilement duplicable et à un coût bien moindre que celleactuellement employée. Elle permettra donc de développer un médicament qui pourraitêtre vendu à un prix acceptable pour les patients d’un pays émergent.

2. La seconde innovation de rupture a, elle, vocation à être commercialisée sur la mêmeactivité que celle des entreprises leader. L’objectif est donc clairement de casser lesrègles du jeu en vigueur sur cette activité et de changer la donne de la compétition.

photographiques, à la recherche d’un système moins coûteux à produire que le CCD.Initialement, cette technologie ne permet pas d’atteindre une performance identique àcelle du CCD. Elle donne naissance à des capteurs CMOS de 300 pixels, contre près de3 mégapixels pour le CCD ! Cependant, une amélioration progressive de cette techno-logie de rupture permet de développer graduellement des capteurs plus performants,qui atteignent désormais la performance des CCD. La figure 1.3 illustre ce propos.

Figure 1.3 — L’innovation de rupture selon Christensen.

Source : d’après Christensen C., The innovator’s Dilemma: When New Technologies Cause Great Firms to Fail, Harvard Business School Press, 1997.

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20 Partie 1 – Se positionner dans l’innovation

1.2.2 Les innovations de continuité : jouer avec les FCS en vigueur

Par opposition aux innovations de rupture, les innovations de continuité renvoient aurespect des règles du jeu en vigueur dans l’industrie. La nouveauté pour l’entreprise estfaible, celle de l’industrie également. L’innovation de continuité repose sur le respect desfacteurs clés de succès, sans les remettre en cause. Dans la pratique, elle renvoie, parexemple, à l’amélioration d’un produit sans grande modification : sur l’activité électro-ménager, il pourra s’agir de la relance d’une bouilloire électrique qui respectera lesformes et conventions en vigueur (le format, la résistance, les codes couleurs, les gammesde prix, etc.). Pour le cas de ST imaging (voir exemple 1.1), on parlera d’une innovationde continuité pour les gammes de capteurs qui respectent l’ensemble des FCS énumérés :un nombre de pixels allant de 4 à 10 mégapixels par image captée, délivré aux prixactuellement en vigueur sur le marché et livrable dans les usines en très grandes quanti-tés – plusieurs centaines de milliers d’exemplaires – chez le constructeur de téléphonesdans un délai de quelques jours.

Ce type d’innovation est comparable à l’innovation de type incrémental, présentée entroisième section de chapitre.

2 Innover pour être compétitif, comment ?La précédente section s’intéressait à la finalité de l’innovation et montrait qu’elle servaità l’entreprise à maintenir sa compétitivité. La section qui suit prolonge le raisonne-ment en s’intéressant aux orientations de l’innovation : le maintien de la compétiti-vité en réduisant les coûts – l’entreprise cherchera à innover dans des procédés moinscoûteux – ou en se distinguant de ses autres concurrents – l’entreprise s’intéresseraalors au développement de produits, de services innovants. L’innovation de produitsou de services versus l’innovation de procédés constitue la deuxième typologie del’innovation.

2.1 Les deux idéaux types de compétition : la différenciation par les coûts ou par l’offre

L’innovation a pour finalité de permettre à l’entreprise de se différencier de ses concur-rents. On identifie généralement deux modes de différenciation : par les coûts et par lacréation de valeur.

La différenciation par les coûts consiste à adopter, peu ou prou, la même démarche quecelle des concurrents directs, à proposer une offre similaire mais à un coût moindre.Généralement ce gain de coût est associé à une baisse de prix. Considérant que la baissede prix d’une offre peut contribuer à en augmenter la demande, une telle démarche favo-rise donc le maintien, voire l’augmentation de parts de marché1.

1. Ce chapitre est consacré aux fondamentaux de la stratégie. Néanmoins, il se focalise sur la place de l’inno-vation dans la recherche et le maintien d’un avantage concurrentiel par l’entreprise. Nous renvoyons donc lelecteur en quête de plus d’informations sur les concepts, outils et démarche en management stratégique àl’ouvrage de Johnson, Scholes, Whittington et Frery, Stratégique, 8e éd., Pearson Education, 2008.

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Chapitre 1 – Choisir l’innovation comme mode de compétition 21

La différenciation par la création de valeur concerne la capacité de l’entreprise àproposer quelque chose de plus que ses concurrents ou de différent, ce quelque chosecontribuant à donner de la valeur à l’offre lancée sur le marché. Il peut s’agir d’unattribut complémentaire dans l’offre : l’assureur Axa est le premier, en 1996, à incluredans ses contrats d’assurance automobile une garantie concernant la prise en chargedes blessures du conducteur et de ses passagers en cas d’accident. Il peut aussi s’agird’une création de valeur par l’image : Seat propose des automobiles dont l’image estjeune et sportive. Il peut aussi s’agir de la garantie d’un résultat plus fiable : la techno-logie Smart Cut de Soitec permet, lors de son lancement en 1997, de réduire les inter-férences entre composants placés sur une puce électronique de 30 %, réductionqu’aucun autre concurrent de l’époque n’est capable de proposer, quelle que soit latechnologie.

2.2 Catégorisation de l’innovation selon l’objet : innovation de produit versus innovation de procédé

Que l’entreprise poursuive une stratégie de différenciation par les coûts ou par la naturede ses offres sur une activité donnée, elle innove de différentes manières. Le termed’innovation est attribué à des situations diverses.

Chez SEB, leader mondial du petit électroménager, on parlera d’innovation pour unenouvelle cafetière, qui remplace un produit appartenant à une gamme précédente etdont on aura changé le facing, la forme, mais pas le mode de fonctionnement. On quali-fiera aussi l’Actifry d’innovation de produit, due à la rupture du mode de fonctionne-ment d’une friteuse et à l’absence de promotion du produit pour son lancement.L’innovation est donc à la fois un produit, une nouvelle technologie et un nouveaumode de lancement.

De même, lorsque Soitec lance la technologie Smart Cut, qui permet, entre autres, dedéposer une très fine couche d’hydrogène polarisée sur du silicium, composant principalde la puce électronique, l’entreprise modifie non seulement les propriétés de la puce – enréduisant les interférences entre les composants électroniques –, mais également le modede conception même de la puce. L’innovation porte alors ici sur le procédé, lequel est enrupture avec ce qui se faisait précédemment. Le classement de l’innovation selon sonobjet rend compte des différentes modalités en proposant la différenciation entre leproduit ou le service, et le procédé.

2.2.1 Présentation de la typologie

L’innovation de produit ou de service semble compréhensible d’elle-même. Ellerenvoie au développement et à la mise en marché d’un produit et/ou d’un servicenouveau. Le caractère novateur reste néanmoins à apprécier : on parlera d’un produitnouveau aussi bien pour une innovation porteuse d’une rupture technologique quepour le nième produit destiné à remplacer le précédent. Ainsi, on qualifiera d’innova-tion la Renault Espace, lancée en 1984, concept aussi innovant pour Renault et son

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partenaire Matra que pour les conducteurs français, par sa forme et sa carrosserie enplastique. La nouvelle Golf, quel que soit le modèle, sera aussi qualifiée d’innovationproduit. Un autre exemple relatif au monde de l’électroménager : la premièreNESPRESSO, nouveau concept de cafetière, sera qualifiée d’innovation produit, toutcomme la nouvelle cafetière qui remplacera une précédente en présentant uniquement unchangement de couleur ou de forme.

L’innovation de procédé caractérise la création d’un nouveau processus pour parvenir àun résultat, un produit, existant. La notion de processus est à considérer au sens large.Il peut s’agir d’un nouveau processus de production. L’exemple le plus emblématiquepourrait être l’organisation scientifique du travail proposée par Taylor pour produire desbiens en grande série, plus rapidement et au moindre coût. Il peut également s’agir de lamodification d’un composant, qui ne modifie pas ou peu, le produit final. Ainsi, l’obten-tion de la vanilline, composant donnant le goût vanillé aux parfums ou aux aliments, estpermise par un procédé chimique issu du benzène, lequel remplace la vanille naturelle.Outre les innovations de procédés de production, celles de procédés de commercialisa-tion peuvent aussi être identifiées. Le cas du développement d’offres packagées parSchneider auprès de clients entreprises, gros consommateurs d’énergie électrique, en estune illustration : au lieu de vendre des composants électriques et une prestation d’instal-lation ou de réparation de ces composants de manière séparée, Schneider décide, en2005, d’innover et est le premier prestataire de ce type à proposer des forfaits de mainte-nance annuelle auprès de ses gros clients, incluant le remplacement de composantsdéfectueux.

2.2.2 Implication de cette typologie d’innovation pour l’entreprise

Dans la pratique, la distinction entre innovation de produits/services ou en termes deprocédés est délicate à opérer : des innovations de produits s’accompagnent souventd’une innovation de procédé. Ainsi, le développement de la prise à puits affleurant,réalisé par Legrand, présentée en introduction du manuel, est une innovation de produitqui a aussi conduit l’entreprise à revoir partiellement sa conception d’une prise électrique(innovation de procédé).

Aussi, l’intérêt d’une telle catégorisation ne réside pas dans la distinction entre les inno-vations proprement dites mais surtout dans la question qu’elle soulève : pour qui l’inno-vation est-elle notoire ? Est-ce pour l’entreprise ou pour les utilisateurs, ou plusgénéralement, le marché ?

En fonction du destinataire, l’intérêt de l’innovation concerne l’entreprise : l’intérêtd’une innovation visible uniquement par l’entreprise réside surtout dans la recherched’une réduction de coût. En revanche, une innovation visible par le marché, peut, certes,remplir cette première finalité, mais doit également permettre à l’entreprise de disposerd’une offre qui se différencie des concurrents. La figure 1.4 résume les différentes confi-gurations envisageables.

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Chapitre 1 – Choisir l’innovation comme mode de compétition 23

3 Innover : avec qui ?L’entreprise innove pour se défaire d’une concurrence trop intense en développant desinnovations de rupture ou de continuité. Elle cherche à se distinguer de ses concurrentsen se différenciant soit par les coûts, soit par une proposition de valeur originale et, de fait,innove soit en proposant de nouveaux produits ou de nouveaux procédés. Cependant,peut-elle réellement innover seule ? Cette troisième section présente le concept de chaînede valeur, repris dans les chapitres 8 et 9. Cette rapide présentation permet d’exposer ladernière typologie d’innovation classiquement utilisée, qui se fonde sur la distinctionentre innovations incrémentales, radicales et architecturales.

3.1 L’entreprise et sa chaîne de valeur

3.1.1 La chaîne de valeur et l’interdépendance des acteurs qui la composent

La chaîne de valeur externe, également appelée filière, se définit comme l’« ensemble desstades de production qui conduit des matières premières à la satisfaction du besoin finaldu consommateur, que ce besoin final s’adresse à un bien matériel ou à un service »(Michel et al., 20001, d’après Saporta, 1989).

Originellement, à chaque stade de production correspond une entreprise spécialiséedans la réalisation d’un produit semi-fini, lequel, à l’issue de différentes transformations,deviendra le produit final. Considérons, de manière volontairement caricaturale, lachaîne de valeur laitière. Cette dernière se caractérise, en amont, par l’élevage de bovins,

Figure 1.4 — Destinataire de l’innovation et différenciation majoritairement recherchée.

1. Michel D., Salle R., Valla J.-P., Marketing Industriel, Stratégies et mise en œuvre, 2e éd., Economica, 2000.

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Innovation pour l’entreprise

Innovation produit/servicesans innovation de procédé

Recherchede la différenciation

de court terme

Innovation produit/serviceavec innovation de procédé

Recherchede la différenciation

Innovation de procédé

Recherchede la réduction

des coûts

Innovation de procédé avecpeu ou pas de modification

du produit/service

Recherchede la réduction

des coûts

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destinés non pas à la production de viande, mais à celle de lait. Le lait ainsi produit estregroupé dans des coopératives laitières, lesquelles le revendent à des entreprises quiproduisent des yaourts – Danone, Nestlé, par exemple –, ou tout autre produit utilisantcette matière première. Ces entreprises vendront, à leur tour, le fruit de leur production,à des distributeurs, hypermarchés, supermarchés, etc., qui commercialiseront le produitfini à des particuliers. Ce cloisonnement « une entreprise, spécialisée à un stade deproduction » n’existe pratiquement pas. Deux mouvements expliquent ce phéno-mène : d’une part, la chaîne de valeur, le degré d’interaction entre les entreprises enamont de la chaîne et celles en aval, mais aussi la spécialisation des entreprises, évoluentselon le degré de maturité de l’industrie à laquelle elles appartiennent. D’autre part, lachaîne de valeur est avant tout composée d’entreprises qui décident, pour des raisons decoûts essentiellement, d’externaliser certaines fonctions.

Chaîne de valeur externe et degré de maturité de l’industrie : approche dynamique dubesoin des autres pour innover. D’un point de vue historique, l’entreprise qui fonde lachaîne de valeur externe occupe généralement plusieurs stades de production. Prenons lecas de la chaîne de valeur de l’informatique (voir exemple 1.2).

L’évolution des missions des entreprises dans la chaîne de valeur externe évolue selon lestade de maturité de cette chaîne, laquelle est liée au cycle de vie de l’industrie. Dans lesindustries en cours de création, la chaîne de valeur externe n’existe pas ! L’entreprisepionnière qui crée la nouvelle industrie s’approvisionne chez des fournisseurs qui appar-tiennent à son réseau et qui, pour la plupart, codéveloppent avec elle de nouveauxcomposants. L’entreprise pionnière tire ainsi les fournisseurs vers un nouveau débouchécommercial, et, par là même, crée progressivement une chaîne de valeur plus ou moinsétablie. En outre, l’entreprise pionnière assure la majorité des stades pour parvenir auproduit fini. Au fur et à mesure que l’entreprise se développe et que l’industrie émerge,

Exem

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1.2 La chaîne de valeur de l’informatique

Dans les années 1980, les fabricants d’ordinateurs sont des acteurs dits très intégrésdans la mesure où ils occupent la quasi-intégralité de la chaîne de valeur : Apple ouIBM concevaient et produisaient certains composants utilisables uniquement dansleurs ordinateurs, ils concevaient l’architecture même de l’ordinateur, assemblaient cedernier et, souvent, le distribuaient eux-mêmes. De plus, les fabricants développaientet incluaient un système d’exploitation propre à la gamme d’ordinateurs proposés.Prenons maintenant le cas d’Apple. L’entreprise est longtemps restée très intégrée,concevant des composants spécifiques pour ses ordinateurs, développant un systèmed’exploitation propre, assurant elle-même la distribution de ses ordinateurs au traversd’un réseau de magasins à l’enseigne Apple. On constate aujourd’hui que les autresfabricants se sont peu à peu désengagés de la conception et de la production decomposants, du développement et de la production de systèmes d’exploitation pour seconcentrer actuellement sur des rôles de conception et d’assemblage d’ordinateurs. Telest le cas de HP qui initialement concevait les composants et assemblait ces derniers.Désormais, le métier de cette entreprise s’apparente plus à celui d’un concepteur deproduit fini, d’un assembleur que d’un concepteur de pièces et de composants.

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avec l’apparition de concurrents directs, l’entreprise se désintègre partiellement et confieainsi certains stades, la production par exemple, ou la facturation, à des partenaires,fournisseurs en amont, ou distributeurs en aval, se concentrant sur un métier qu’elle esten train de construire. La chaîne de valeur émerge et se désintègre peu à peu, comme lemontre l’exemple 1.2 consacré à la chaîne de valeur de l’informatique.

Chaîne de valeur externe et chaîne de valeur interne : l’entreprise a-t-elle toutes lescompétences pour innover ? Intégration et désintégration de la chaîne de valeurrenvoient à l’internalisation ou, au contraire, à l’externalisation de fonctions de l’entre-prise, et donc à la composition de sa chaîne de valeur interne.

Pour rappel, le concept de chaîne de valeur a été surtout développé par Michael Porter1,qui distingue deux catégories de fonctions de l’entreprise (voir chapitre 8) :

• Les fonctions principales, qui s’inscrivent dans la chaîne de valeur, dans le processusde transformation des matières premières en produit fini. Porter identifie, en 1984, lalogistique externe – assimilable à la fonction achats ou à toute autre fonction destinéeà l’approvisionnement de l’entreprise en matières premières ou produits semi-finis –,la fonction de production, la fonction de logistique interne – qui s’occupe de l’ache-minement du produit transformé par l’entreprise vers les points de distribution, lavente et le service après-vente.

• Les fonctions dites de support, qui alimentent les fonctions principales : R&D, finance,ressources humaines, etc.

Certes, dans ce modèle, certaines fonctions de l’entreprise peuvent apparaître de manièresimplifiée ou même dépassée. D’autres fonctions ne sont pas envisagées dans ce modèlequi, rappelons-le, a été publié en 1984 : les fonctions marketing et merchandising, parexemple. Cependant, l’intérêt d’une réflexion sur la composition de la chaîne de valeurinterne à l’entreprise réside dans l’identification des ressources que l’entreprise possèderéellement, dans l’organisation de ces ressources et, ainsi, dans l’identification descompétences qu’elle peut mettre en œuvre.

3.2 Catégorisation de l’innovation selon l’intensité de l’innovation : innovation radicale, innovation incrémentale et innovation architecturale

Une autre manière d’aborder l’innovation consiste à dépasser le clivage entre produits etprocédés et d’envisager l’innovation selon son « intensité » et l’impact qu’elle peut avoirsur la chaîne de valeur externe. Concrètement, qu’elle soit pour l’entreprise ou le marché,l’innovation est plus ou moins significative, importante. On distingue ainsi l’innovationincrémentale, l’innovation radicale et l’innovation architecturale.

1. Porter M. E., Competitive Advantage: Creating and Sustaining Superior Performance, Free Press, 1984,1998.

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3.2.1 Présentation de la typologie

Le premier niveau d’intensité envisagé est le niveau faible. On parle alors d’innovationincrémentale. L’innovation consiste à enrichir l’existant sans pour autant le remettreen cause. Il peut ainsi s’agir de la modification du design d’une cafetière ou encore del’ajout d’une fonctionnalité mineure telle que la programmation à distance de laditecafetière.

De ce fait, l’innovation incrémentale ne remet pas en cause le concept de produit ou deservice : l’ajout d’une fonction de programmation ne modifie en rien l’image que lemarché se fait d’une cafetière. Il ne change pas fondamentalement le mode d’achat oud’utilisation de la cafetière.

De la même manière, l’innovation incrémentale ne modifie en rien les règles du jeu et lesinteractions entre les acteurs dans l’activité considérée. En ce sens, l’innovation incré-mentale est comparable à une innovation de continuité.

Il n’en est pas de même de l’innovation radicale. Elle impose une rupture par rapportà l’existant, voire rend l’existant obsolète : rupture dans le fonctionnement d’un appa-reil, rupture dans les usages des utilisateurs. L’invention du port USB est, en ce sens, uneinnovation radicale puisqu’il offre un nouveau mode de connexion, un nouveau modede mémoire. Les innovations sous-jacentes, telles que la clé USB, rendent obsolètes lesdisquettes.

L’innovation radicale est souvent tirée par une nouvelle technologie. En outre, elles’accompagne aussi d’un changement d’acteurs dominants ou de l’apparition denouveaux acteurs : l’invention de la clé USB a révélé des acteurs peu connus jusqu’alors,comme Logitech. En ce sens, l’innovation radicale est comparable à une innovation derupture.

Enfin, l’innovation architecturale renvoie non pas à une remise en cause totale de l’exis-tant, mais plutôt à son réagencement. Il peut ainsi s’agir d’un nouveau mode de concep-tion d’un produit existant, auquel cas l’innovation n’est pratiquement pas visible pour leclient-utilisateur : un nouveau mode de traitement des réclamations clients. Il peutégalement s’agir de la banque en ligne : la vente en ligne existe déjà, les informations surInternet aussi, les services bancaires également. L’innovation réside dans la « nouvelle »manière d’avoir accès à ce service. En ce sens, ce type d’innovation s’apparente à l’inno-vation de procédé, présentée à la section 2.2.1 du chapitre.

3.2.2 Intérêt et enjeu de la typologie : la modification de la chaîne de valeur

Cette typologie d’innovation présente un intérêt majeur : l’impact de l’innovation surl’entreprise et la chaîne de valeur externe.

Identifier la nature de l’innovation pour savoir si l’entreprise a toutes les compétences pour innover

L’entreprise a, en principe, toutes les compétences en interne, tous les contacts nécessai-res pour développer une innovation de nature incrémentale : le changement de formed’une cafetière ne requiert pas forcément de nouvelles compétences pour une entreprised’électroménager. La plupart du temps, elle saura comment développer cette innovation,avec qui travailler et comment travailler.

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Chapitre 1 – Choisir l’innovation comme mode de compétition 27

Il n’en est pas de même pour une innovation à caractère plus radical : par exemple, STImaging n’avait pas les compétences nécessaires pour maîtriser la technologie CMOSafin de développer des capteurs : elle ne possédait ni les brevets pour exploiter cette tech-nologie, ni les compétences pour la développer, ni les équipes d’ingénieurs qui auraientfait leur thèse sur ce sujet, ni les machines nécessaires… La chaîne de valeur interne del’entreprise n’était pas suffisante pour développer des applications associées à cette tech-nologie et, plus généralement, une innovation radicale.

Dans le cas de l’innovation architecturale, les compétences de l’entreprise peuvent êtreinégalement sollicitées. La plupart du temps, l’implantation d’une innovation architec-turale, telle qu’un nouveau processus de traitement d’informations, nécessite l’interven-tion d’un autre acteur, une entreprise de conseil, une autre entreprise présente sur lachaîne de valeur : l’éditeur du logiciel contactera l’entreprise pour l’inviter à adopter cedernier, qui conduira à la mise en place d’un traitement plus ou moins innovant desinformations sur les clients.

Identifier la nature de l’innovation pour savoir si la chaîne de valeur externe accepteral’innovation

Une innovation, selon son degré de radicalité, peut naturellement se positionner dansune chaîne de valeur externe existante, sans la modifier, ou, au contraire, en impliquantune modification de cette dernière.

Ainsi, une innovation incrémentale aura peu d’impact sur l’amont ou l’aval de la chaînede valeur. Reprenons l’exemple du produit électroménager : la nouvelle cafetière nenécessite pas de nouveaux fournisseurs pour développer de nouvelles pièces. En outre, ledistributeur sait parfaitement dans quel linéaire placer la cafetière.

Cela n’est pas le cas pour une innovation à caractère plus radical : la prise à puits affleu-rant, par exemple, développée par Legrand, même si elle ne repose pas sur une techno-logie de rupture, a nécessité le développement de nouvelles pièces qui n’existaientpas. Il a donc fallu pour l’entreprise trouver un fournisseur capable, lui aussi, de fairepreuve d’innovation et de développer ladite pièce. De même, l’Actifry de SEB ou encorele Swiffer, le balais développé en 1996 par Procter & Gamble, qui sont tous deux desinnovations de rupture à caractère radical, posent des difficultés aux distributeurs : lesproduits n’appartiennent pas à une catégorie de produits existante, les distributeurs nesont pas convaincus de l’existence d’un marché. Dès lors, ils ne savent pas où placer leproduit, comment le mettre en valeur et, finalement, bien le vendre. Pour cette raison,ces deux produits ont été difficilement acceptés par les distributeurs. De fait, l’innovationpeut impliquer une modification de la chaîne de valeur externe. Dans le cas de l’Actifry,SEB a recours à une distribution alternative à la grande distribution, en vendant leproduit lors de réunions, par l’intermédiaire de prescripteurs tels que les nutritionnistes.En ce sens, l’innovation radicale implique parfois des innovations de procédés pourl’entreprise quant à la mise sur le marché ; en l’occurrence, dans le cas présent, une inno-vation dans le mode de distribution.

Enfin, l’innovation peut également impliquer la naissance d’une nouvelle chaîne devaleur, avec ses propres fournisseurs et ses propres distributeurs, comme ce fut le cas lorsdu développement du premier ordinateur, à l’origine de la création de la chaîne de valeurexterne – ou de la filière – informatique.

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28 Partie 1 – Se positionner dans l’innovation

ConclusionCe présent chapitre présente les trois typologies classiquement employées pour réper-torier les innovations :

• une typologie selon le degré de rupture par rapport à l’existant qui définit les inno-vations de continuité face aux innovations de rupture ;

• une typologie selon l’objet, qui différencie les innovations de produits ou de servicesdes innovations de procédés ;

• une typologie selon l’intensité qui répertorie les innovations incrémentales, radicalesou architecturales.

Au-delà du caractère théorique de ces typologies – les entreprises qui innovent n’ont pasnécessairement conscience du type d’innovation en cours de développement chez elles –,ce chapitre rappelle que chacune des trois typologies permet de replacer l’innovation aucœur de la stratégie de l’entreprise1 :

• L’innovation sert, au choix, deux finalités : la capacité de l’entreprise à poursuivre sacompétition selon les règles du jeu en vigueur sur son activité, ou la capacité del’entreprise à casser ces règles et à en créer de nouvelles. La catégorisation de l’innova-tion selon le type de rupture qu’elle introduit permet à l’entreprise de réfléchir àl’intérêt de lancer telle ou telle innovation : l’innovation a-t-elle pour finalité decasser les règles du jeu établies et donc de bousculer les concurrents ? Si tel est le cas,les concurrents seront-ils vraiment déroutés ? L’entreprise a-t-elle réellement lesmoyens de changer, par son innovation, les règles du jeu de l’activité ? De maintenirsa compétitivité ? L’innovation permet à l’entreprise d’être compétitive, soit en déve-loppant une différenciation par les coûts, soit par la valeur. L’opposition entre inno-vation de produits/services et innovation de procédés interroge l’entreprise sur sacapacité à se différencier sur une de ces deux variables.

• L’innovation ne se fait pas seule et son développement implique le recours à desmembres appartenant à la chaîne de valeur externe à l’entreprise. Elle peut aussibouleverser cette même chaîne de valeur. Une réflexion à partir de la typologie –innovation radicale, innovation incrémentale versus innovation architecturale crée laproblématique des conséquences du lancement de l’innovation sur la chaîne devaleur de l’activité : l’innovation bouleversera-t-elle la chaîne de valeur ? Les diffé-rents acteurs de la chaîne de valeur sont-ils disposés à adopter cette innovation ?L’entreprise qui innove doit-elle innover dans sa manière d’imposer l’innovationproduits/services et associer des partenaires ?

Ainsi, ces trois typologies offrent des grilles de questionnement pour l’entreprise sur lapertinence à innover et sur la façon de le faire.

1. Mintzberg H., Lampel J. et Ahlstrand B., Strategy Safari : A Guided Tour Through the Wilds of StrategicManagement, Prentice Hall, Fiancial Times, 2008 ; (version française : Safari en pays stratégie, 2e éd.,Pearson Education, 2009).

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Chapitre 1 – Choisir l’innovation comme mode de compétition 29

Bibliographie complémentaireChristensen C., Anthony Scott D., Berstell G., Nitterhoused D., « Finding the Right Job for your

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Étude de cas

Legrand : comment se différencier des autres par l’innovation ?Initialement positionnée dans la fabrication de porcelaine industrielle, l’entreprise Legrands’est spécialisée dans la fabrication de systèmes d’appareillage électriques de bassetension. Cette activité correspond au développement et à la production de produits quipermettent de transporter, de traiter ou de délivrer un courant de basse tension, c’est-à-dire pour la France, un courant d’une tension de 220 volts. Cette activité se décomposeen sous-activités telles que les prises électriques, les interrupteurs ou encore les compteurs.

Pour être durablement présente sur cette activité, Legrand, à l’instar de ses concurrents,comme Schneider Electric, doit maîtriser les facteurs clés de succès (FCS) suivants :

• L’entreprise doit concevoir des produits qui respectent les normes de sécurité liées autransport de l’électricité, normes qui diffèrent dans tous les pays où l’entreprise estprésente. Il peut s’agir, par exemple, de la norme concernant la taille de la fiche, laprésence d’une prise de terre, etc.

• L’activité de l’appareillage électrique de basse tension est très concurrentielle : unemultitude d’acteurs, européens comme chinois, proposent une offre quasi similaire :la multiprise, l’interrupteur, etc. La compétition est en partie guidée par le prix.Aussi, l’ensemble des acteurs sur cette activité s’efforcent-ils de produire à moindrecoût. Cela implique, entre autres, la maîtrise de deux FCS :

1. La réduction des coûts de main-d’œuvre par l’automatisation du processus deproduction ou par la fabrication dans des pays où la main-d’œuvre est peu coûteuse.

2. La réduction du coût unitaire par la production de gros volumes.

• L’entreprise doit bénéficier d’un réseau de distribution solide, qu’il s’agisse de maga-sins dits spécialisés – les magasins de bricolage pour le grand public mais aussi lespoints de vente pour les professionnels – ou plus généralistes comme les hypermarchés.Cette distribution implique la maîtrise de plusieurs FCS :

1. Un savoir-faire quant aux démarches de référencement auprès de la centraled’achat de ces grands magasins.

2. La constitution d’un besoin en fonds de roulement qui prend en compte le faitqu’une grande part de ces distributeurs paient leur fournisseur dans un délai quipeut durer trois mois.

3. La constitution d’une équipe de merchandising qui négocie et vérifie, point de ventepar point de vente, que les produits sont bien présentés, au bon endroit et au bon prix.

• L’entreprise travaille avec l’installateur, qui dispose d’un grand pouvoir de prescriptiondes produits auprès des clients. Ce fait implique deux FCS que l’entreprise doit maîtriser.

1. La nécessité de concevoir des produits qui peuvent être installés en un temps trèscourt et qui nécessitent un très faible savoir-faire de la part de l’installateur ou deson apprenti.

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Étude de cas 31

2. La définition d’une stratégie de rapprochement avec ces installateurs.

• Pour faire face à la baisse récurrente des prix de ces composants, le concurrent direct,Schneider Electric, a eu l’idée d’introduire une nouvelle règle du jeu : celle de vendrenon pas les composants en tant que tels, mais le service de remplacement de cescomposants, et cela auprès de certains clients professionnels exclusivement.

Dans ce marché extrêmement normé, les concurrents sur cette activité sont relative-ment nombreux : Legrand est leader mais Schneider est également présent. À ces deuxprincipaux acteurs s’ajoutent d’autres concurrents à la notoriété moindre, qui produi-sent dans des pays où les coûts de main-d’œuvre sont faibles et qui proposent desproduits identiques à ceux de Legrand mais moins chers ! Les fournisseurs de cescomposants électriques, produits devenus banalisés et nécessaires à l’habitat ou auxbâtiments à vocation professionnelle, sont relativement indifférenciés : fournisseurs deplastique, de moules industriels, de fils et de câbles. Les innovations sont très peuprésentes sur ce domaine. Ces fournisseurs jouent une compétition fondée essentielle-ment sur le rapport prix de vente/volume. La qualité des composants est considéréecomme un acquis. Les distributeurs, quant à eux, font pression sur les concurrents pourse dégager une marge maximale sur la vente des produits d’appareillage électrique,gammes de produits qui ne représentent qu’une faible partie de leur chiffre d’affaires.Les substituts, enfin, de ce type d’appareillage, sont peu nombreux et indirectspuisqu’ils reposent sur le principe que l’électricité n’est pas utilisée. Pour le moment,seules les batteries jouent ce rôle. Des premiers tests de transports d’un courant électri-que par voie d’air ont eu lieu au MIT (Massachusetts Institute of Technologies) mais larecherche est encore trop à l’état amont pour qu’un produit recourant à cette techniquevoie le jour avant quelques années.

QuestionsAu regard des informations dont vous disposez sur Legrand et du contenu de ce chapitre,imaginez des stratégies d’innovation que cette même entreprise pourrait mener :

1. Quelles stratégies d’innovation pourraient être menées par Legrand pour gagnerune compétition par les coûts ?

2. Quelles stratégies d’innovation pourraient être menées par Legrand pour gagnerune compétition par la différenciation ?

3. Pour chacun des deux modes de stratégies envisagées, quel est le type d’innovationdominant ?

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