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DOCUMENT DE RÉFLEXION 7 foodsecurecanada.org Documents de réflexion de Sécurité alimentaire Canada La politique alimentaire populaire se fonde sur dix documents de réflexion détaillés. Ces documents de réflexion ont été générés grâce aux 350 tables rondes, des centaines de propositions de politiques, des douzaines de téléconférences, des discussions en ligne, et trois conférences pancanadiennes. Plus de 3500 personnes ont participé à leur développement. Ces documents couvrent une vaste gamme de questions et de recommandations politiques détaillées pour la reconstruction du système alimentaire du Canada. Contrairement à Du pain sur la planche, ce ne sont pas des documents de consensus et ils n’ont pas été approuvés par chacun des membres de Sécurité alimentaire Canada. Ce sont plutôt des documents vivants, destinés à éclairer le débat, stimuler la discussion et contribuer à bâtir une meilleure compréhension de notre système alimentaire et comment il devrait êtreet doit êtreréparé. 1) Souveraineté alimentaire autochtone 2) Souveraineté alimentaire dans les communautés rurales et isolées 3) Accès aux aliments dans les communautés urbaines 4) Agriculture, infrastructures et moyens de subsistance 5) Pêcheries durables et mode de subsistance convenable pour les pêcheurs 6) Environnement et agriculture 7) Science, technologie et alimentation 8) Politique alimentaire internationale 9) Accès général à des aliments sûrs et sains 10) Démocratie alimentaire et gouvernance Sécurité alimentaire Canada est une organisation nationale à base d’adhésion qui est engagée dans la lutte contre la faim et pour l’instauration d’un système alimentaire sain, équitable et écologique. Notre vision est définie dans Du pain sur la planche : Une politique alimentaire populaire pour le Canada. Science, technologie et alimentation

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Documents de réflexion de Sécurité alimentaire Canada La politique alimentaire populaire se fonde sur dix documents de réflexion détaillés. Ces documents de réflexion ont été générés grâce aux 350 tables rondes, des centaines de propositions de politiques, des douzaines de téléconférences, des discussions en ligne, et trois conférences pancanadiennes. Plus de 3500 personnes ont participé à leur développement. Ces documents couvrent une vaste gamme de questions et de recommandations politiques détaillées pour la reconstruction du système alimentaire du Canada. Contrairement à Du pain sur la planche, ce ne sont pas des documents de consensus et ils n’ont pas été approuvés par chacun des membres de Sécurité alimentaire Canada. Ce sont plutôt des documents vivants, destinés à éclairer le débat, stimuler la discussion et contribuer à bâtir une meilleure compréhension de notre système alimentaire et comment il devrait être— et doit être— réparé. 1) Souveraineté alimentaire autochtone 2) Souveraineté alimentaire dans les communautés rurales et isolées 3) Accès aux aliments dans les communautés urbaines 4) Agriculture, infrastructures et moyens de subsistance 5) Pêcheries durables et mode de subsistance convenable pour les pêcheurs 6) Environnement et agriculture 7) Science, technologie et alimentation 8) Politique alimentaire internationale 9) Accès général à des aliments sûrs et sains 10) Démocratie alimentaire et gouvernance

Sécurité alimentaire Canada est une organisation nationale à base

d’adhésion qui est engagée dans la lutte contre la faim et pour

l’instauration d’un système alimentaire sain, équitable et écologique.

Notre vision est définie dans Du pain sur la planche : Une politique

alimentaire populaire pour le Canada.

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Contact : SÉCURITÉ ALIMENTAIRE CANADA FOOD SECURE CANADA CP 48020 BP Bernard Montréal (Québec) H2V4H0 Canada (514) 271 7352 [email protected] www.foodsecurecanada.org

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RÉSUMÉ Notre système alimentaire est le fruit du savoir et de la capacité d’innover des peuples autochtones et des agriculteurs. Cependant, cette richesse et ce savoir ont été marginalisés et sont actuellement menacés, alors que les nouvelles technologies ont favorisé l’industrialisation du secteur agroalimentaire, tout en facilitant son contrôle par l’entreprise. Il est nécessaire que nous appréhendions la science et la technologie d’une manière telle qu’elles puissent inclure l’ensemble des savoirs utiles, codifiés, tacites et découlant de modes d’apprentissage et de pratiques diversifiés. Au cours des années et décennies à venir, la science et la technologie en agroalimentaire accroîtront ou restreindront notre capacité à affronter les défis auxquels nous faisons face. Notre manière d’aborder la recherche scientifique et l’application de nouvelles (ou d’anciennes) technologies renforcera ou affaiblira nos capacités futures à subvenir à nos besoins alimentaires, à soutenir des modes de subsistance agricoles durables, de même qu’à protéger à long terme la biodiversité et la santé des écosystèmes. Prioriser l’agriculture écologique et faire en sorte que les processus décisionnels soient démocratiques et fondés sur le principe de précaution sont deux conditions nécessaires afin que la science et la technologie puissent renforcer notre capacité à affronter les défis présents et futurs.

INTRODUCTION Au cours des 10 000 à 12 000 dernières années, les sociétés humaines ont domestiqué au moins 5 000 types de cultures et une diversité d’animaux d’élevage probablement bien supérieure aux 40 espèces actuellement répertoriées1. Dans son ensemble, la famille humaine a également entretenu, par ses activités de chasse, de pêche et de cueillette, des dizaines de milliers d’autres espèces destinées à rehausser le goût de nos aliments, à contrer la faim en attendant la période des récoltes, à compléter l’éventail de nos aliments

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de base et à enrichir nos cultures. Comme l’indique l’Évaluation internationale des connaissances, des sciences et des technologies agricoles pour le développement (EICSTAD) : « C’est le prolongement de la capacité d’innovation locale des peuples autochtones qui est presque entièrement responsable de la juxtaposition initiale de la science, du savoir et de la technologie qui a engendré, au fil du temps, les systèmes certifiés d’agriculture écologique2. » Nos systèmes alimentaires sont le résultat de réseaux complexes de relations et de connaissances sociales et environnementales. La biodiversité qu’ils recèlent nous offre encore aujourd’hui près de deux millions de variétés de plantes, 8 000 races d’animaux d’élevage et, probablement, 24 000 espèces de poissons à partir desquels nous pouvons préparer nos repas3. Au cœur de ce riche réseau se trouvent au moins 1,7 milliard de petits producteurs agricoles ou de paysans répartis sur 450 millions de fermes à travers le monde, près de 200 millions de gardiens de troupeaux, 800 millions d’agriculteurs urbains et au moins 100 millions de pêcheurs. Les autochtones comptent pour plusieurs, sinon la majorité, de ces différents fournisseurs alimentaires4. Toutefois, il est actuellement notoire que nous avons perdu davantage de savoir scientifique agricole au courant des derniers siècles que nous n’en avons acquis. De manière certaine, nous avons perdu la plupart des agriculteurs et des pêcheurs, de même que la plupart des variétés et des races.

Les Canadiens ont accueilli avec enthousiasme les récents développements scientifiques et, bien que la science soit souvent perçue comme une panacée, il arrive parfois que nous la subissions telle une épidémie. Récemment, les gouvernements ont eu beaucoup de difficultés à justifier et à contrôler l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB, maladie de la vache folle), les aliments modifiés génétiquement, les cas de listériose reliés à la consommation de viande industrielle, l’émergence d’agents pathogènes dangereux chez les élevages intensifs et le fait que chaque jour, 30 000 personnes au Canada sont victimes d’empoisonnement alimentaire à divers degrés5. Notre foi contemporaine en la science a également été ébranlée par diverses préoccupations dont la pollution par les pesticides, la contamination par le pollen des cultures génétiquement modifiés et la non-viabilité à long terme d’un système alimentaire dépendant des carburants fossiles. Aujourd’hui, la crainte des conséquences sanitaires et environnementales à long terme de nos réussites scientifiques s’est installée là où, autrefois, la science était synonyme d’une meilleure santé et d’un plus grand bien-être. Bien que la science et la technologie soient porteuses de grandes promesses, celles-ci sont présentées de manière exagérée et simpliste – bien souvent par une industrie qui entend faire des gains financiers par la vente de nouvelles technologies. En l’absence de volonté politique visant à développer des politiques et des règlements afin de juguler les changements climatiques et d’autres grands problèmes complexes mais importants, les entreprises et les gouvernements s’en remettent aux solutions technologiques. Ces dernières englobent autant l’arsenal de solutions bien connues des produits chimiques

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synthétiques et des fruits du génie génétique que les différentes applications en émergence issues de la nanotechnologie, de la biologie synthétique et des technologies du génie climatique. Ces dernières prennent racine dans le contexte d’une mainmise mondiale sur les terres visant à alimenter les technologies «vertes», grandes consommatrices de biomasse, au détriment de la production alimentaire et de la santé des écosystèmes. L’érosion concomitante de la biodiversité et de la résilience des communautés compromet gravement la capacité des populations à renforcer les systèmes alimentaires locaux et à se prémunir face aux défis grandissants qu’engendrent les changements climatiques. Considérant l’imminence des désastres reliés aux changements climatiques, les conséquences éventuelles du pic pétrolier ainsi que la perte continuelle de biodiversité en agriculture à l’échelle mondiale qui va en s’aggravant, nous sommes en droit de nous poser les questions suivantes : la science et la technologie sont-elles vraiment en mesure de résoudre ces importants problèmes ? Notre manière d’utiliser la science aggrave-t-elle le problème ? Comment pouvons-nous orienter la science et la technologie afin qu’elles répondent à nos besoins les plus urgents ? Et qui déterminera ces derniers ? Enfin, qui décidera des solutions à mettre de l’avant et qui en aura le contrôle ?

PROCESSUS DÉMOCRATIQUE EN POLITIQUE SCIENTIFIQUE : LA SCIENCE DANS LA SOCIÉTÉ La science et la technologie en agroalimentaire accroîtront ou restreindront notre capacité à affronter les défis auxquels nous faisons face. Notre manière d’aborder la recherche scientifique et la technologie renforcera ou affaiblira notre capacité à subvenir à nos besoins alimentaires, à maintenir des moyens d’existence durables en agriculture, de même qu’à protéger la biodiversité et la santé des écosystèmes. La science et la technologie ne pourront renforcer notre capacité à affronter les défis présents et futurs en agriculture et en production alimentaire qu’à la seule condition que nous priorisions l’agriculture écologique et que nous fassions en sorte que les processus décisionnels soient démocratiques. Il est d’abord nécessaire que nous appréhendions la science et la technologie d’une manière telle qu’elles puissent inclure l’ensemble des savoirs utiles, codifiés, tacites et découlant de modes d’apprentissage et de pratiques diversifiés – ce qui comprend notamment les savoirs locaux, autochtones ou communautaires. L’Évaluation internationale des connaissances, des sciences et des technologies agricoles pour le développement (EICSTAD) a convenu qu’une nouvelle approche et qu’une nouvelle vision du monde étaient nécessaires pour guider le savoir, la science et la technologie. Elle a également reconnu que des changements politiques et institutionnels étaient requis afin de revaloriser les savoirs traditionnels et locaux et d’articuler leur interaction avec la science officielle6.

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Par ailleurs, il est nécessaire de poser la question suivante : la science et la technologie sont au service de qui ? Cette question doit servir de balise à la politique scientifique, en plus de nous permettre de déterminer qui bénéficiera de l’introduction d’une nouvelle technologie donnée et qui en subira les conséquences. Ces questions, de même que la prise en compte de solutions de rechange – dont l’option consistant à rejeter une nouvelle technologie –, restent nécessaires si nous prétendons vouloir démocratiser la prise de décision en matière de science et de technologie. Ces questions demeurent également cruciales afin d’intégrer le principe de précaution au sein de la prise de décision en politique scientifique. Avec l’avènement des soi-disant technologies de pointe telles que le génie génétique, les bureaucraties industrielles et gouvernementales se sont ardemment opposées à la tenue de grands débats publics et ont systématiquement empêché l’accès du public aux processus permettant de déterminer les objectifs de la recherche et développement et le destin des nouvelles technologies. Par exemple, la capacité de procéder à l’évaluation indépendante des technologies a été virtuellement éliminée en même temps que furent démantelées certaines agences gouvernementales telles que le Conseil des sciences du Canada (démantelé en 1993). Pendant ce temps, le contrôle qu’exerce l’entreprise sur les technologies employées en production alimentaire constitue une préoccupation croissante, autant pour les agriculteurs que les consommateurs canadiens. Le contrôle de l’entreprise sur les intrants agricoles – particulièrement sur les semences – s’exerce par l’entremise d’applications technologiques telles que le génie génétique, qui s’accompagne de droits de propriété intellectuelle, et d’autres mécanismes légaux et règlements tels que la Loi sur la protection des obtentions végétales, qui permet de conférer, aux sélectionneurs publics et privés, des droits de propriété intellectuelle sur certaines variétés de plantes7. En conséquence, une dizaine d’entreprises contrôlent à elles seules 73 % du marché commercial mondial des semences, les trois entreprises en tête s’accaparant 53 % de celui-ci. Monsanto, la quatrième plus importante entreprise en matière de production de pesticides au monde, est actuellement la plus grande entreprise semencière (possédant une part équivalant à 27 % du marché) et détient approximativement 86 % de toutes les semences génétiquement modifiées vendues dans le monde8. La technologie Terminator (technologie génétique restrictive, ou GURT), destinée à rendre les semences stériles suite à la première récolte, a été expressément conçue pour empêcher les agriculteurs de conserver et de réutiliser les semences. Il s’agit là d’un exemple patent de recherche et développement allant à l’encontre de l’intérêt public, qui illustre en outre le besoin d’instaurer une plus grande démocratie au sein des processus d’élaboration de politiques en matière de science et de technologie.

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La démocratisation du processus de prise de décision en matière de science et de technologie ne sera possible que lorsque :

a) la science sera perçue comme étant chargée de valeurs et socialement enracinée ;

b) différentes formes de savoirs seront reconnues ;

c) les producteurs alimentaires et les consommateurs seront impliqués.

Ce processus de démocratisation contribuera à résoudre le problème du déséquilibre du pouvoir dans le domaine de l’agriculture, notamment celui de la marginalisation des communautés et des savoirs indigènes et locaux. Il s’attaquera également aux problèmes particuliers découlant du déclin de la recherche publique et de la montée du pouvoir économique et politique de l’entreprise, lequel détermine de plus en plus la forme que prennent les nouvelles technologies et le rôle qu’elles jouent.

Recommandations pour une plus grande démocratie au sein de la politique scientifique : 1) La science doit toujours être considérée comme étant seulement un outil plutôt que

comme une solution universelle. À cet égard, la capacité du public et des communautés concernées ou affectées par un problème donné à s’opposer à l’implantation d’une nouvelle technologie et à rejeter des technologies existantes doit être institutionnalisée au sein de la politique scientifique canadienne.

2) Il est nécessaire d’établir un certain degré d’indépendance entre, d’une part, les priorités de la science et, d’autre part, le développement et la croissance économique.

3) Il ne suffit pas de rendre transparentes les portes closes derrières lesquelles la politique

scientifique est formulée et mise en application ; elles doivent plutôt s’ouvrir. Cela requiert la mise en place d’un processus démocratique réel, basé sur une véritable participation publique. L’établissement de la ligne d’action scientifique en matière d’alimentation et d’agriculture doit se transformer en un processus participatif auquel prennent pleinement part les producteurs, les communautés locales et autochtones, ainsi que les consommateurs, le tout dans une perspective plus vaste visant la résolution de problèmes.

4) Il est nécessaire de rétablir un équivalent du Conseil des sciences du Canada afin de

fournir un mécanisme pour la mise en place d’objectifs plus vastes qui soit indépendant du gouvernement, de même qu’un suivi du tableau d’ensemble de l’orientation qu’emprunte le développement scientifique. Un Conseil national scientifique pour

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l’alimentation et l’agriculture devrait être mis sur pied, mais à la seule condition qu’il soit orienté par un solide processus dirigé par les agriculteurs et les communautés.

5) Les modèles de consultations gouvernementales ont besoin d’être réévalués et reconçus par le biais de dialogues avec la société civile. La dépendance excessive actuelle envers la consultation en ligne, par exemple, doit être évitée et l’accent doit être plutôt mis sur des processus prenant place à l’échelle des communautés.

6) Des processus consultatifs nationaux, basés sur le principe de précaution, doivent être

menés pour l’ensemble des nouvelles technologies – telles que le génie génétique, la nanotechnologie et la biologie synthétique – et ce, avant même leur application dans les domaines de l’alimentation et de l’agriculture.

RECHERCHE GUIDÉE PAR L’INTÉRÊT COLLECTIF ET PRIORITÉS GOUVERNEMENTALES Le gouvernement fédéral a élaboré un plan d’action en matière d’innovation, lequel s’inscrit dans un cadre politique plus vaste visant à établir un contexte favorable à l’entreprise par le truchement de différentes mesures telles que la déréglementation, le libre-échange et l’élimination des contraintes au mouvement de capitaux. Vers la fin des années 1980, la science et la technologie ont été placées au cœur de la politique industrielle et économique fédérale, et le gouvernement a sélectionné quelques secteurs économiques clés pour lesquels il mettrait en place un effectif de recherche. Au sein de cette stratégie économique, les nouvelles technologies de pointe, telles que le génie génétique, la nanotechnologie et la biologie synthétique, ont été privilégiées au détriment d’autres avenues. Les subventions à la recherche sont actuellement fortement orientées vers la création de produits ou de procédés brevetés. Les nouvelles technologies qui engendrent de nouveaux produits et de nouvelles opportunités d’affaires pour l’entreprise orientent actuellement les objectifs de la recherche publique et privée. En 1999, le Groupe d’experts sur la commercialisation des résultats de la recherche universitaire avait prédit qu’« En l’absence d’une quelconque intervention publique, les compagnies privées délaisseront le financement de la recherche lorsque les retombées de celle-ci prennent les caractéristiques d’un bien public – c’est-à-dire des retombées qui sont non-rivales et non-exclusives9 ». L’avancement du génie génétique, par exemple, est déterminé par les intérêts de l’entreprise, lesquels visent essentiellement le développement de technologies brevetables en vue de générer des profits. Les solutions aux problèmes agricoles qui découlent des applications de cette technologie sont par

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conséquent trop coûteuses et souvent inappropriées pour les communautés qu’elles sont supposées servir. Les pratiques agricoles doivent être spécifiquement adaptées aux conditions climatiques et géographiques. Or, la recherche en agriculture étant confinée à quelques sites seulement – ce qui restreint la palette des conditions expérimentales en ce qui a trait aux paramètres climatiques et géographiques –, ses résultats sont par conséquent extrapolés aux autres régions. Les solutions de type taille unique ne sont pas appropriées en agriculture. En lieu et place, la recherche en agriculture devrait être adaptée aux particularités locales et ses priorités devraient être définies par les agriculteurs et les peuples autochtones en fonction des variétés, des races et des méthodes que ceux-ci emploient dans leurs régions. Dans la plupart des cas, les technologies servent également l’agriculture industrielle au détriment des consommateurs et des producteurs. Au lieu de mettre l’accent sur le développement de technologies brevetables, la politique et la réglementation en matière de recherche doivent d’abord valoriser les systèmes agricoles écologiques et comprendre l’agriculture dans toute sa complexité écologique et socioéconomique. « Une augmentation et un renforcement du savoir, de la science et de la technologie agricoles selon les préceptes des sciences agroécologiques contribueront à résoudre les problèmes environnementaux tout en maintenant et en accroissant la productivité10. » Plutôt que d’investir dans des avenues restreintes de recherche sur les semences ou les gènes dans le but de créer des produits commerciaux, les agriculteurs et les autres chercheurs montrent que le rendement peut être doublé à une fraction du coût des technologies de pointe et ce, à l’aide de pratiques agricoles telles que la restauration de la fertilité des sols, la gestion de l’eau, la récolte, la rotation des cultures, la culture multiple et l’intégration du bétail. Ces dernières pratiques soutiennent l’agriculture écologique à long terme et peuvent être largement partagées, souvent sans qu’il ne soit nécessaire de se procurer des intrants agricoles coûteux. La résilience demeure une caractéristique nécessaire à l’établissement de la souveraineté alimentaire et reste tributaire de la capacité d’innovation et des savoirs locaux et autochtones. Les peuples autochtones, les petits agriculteurs et les pêcheurs détiennent une somme impressionnante de connaissances sur la terre, la forêt, l’eau et la capacité de ces milieux à produire des aliments. Les pratiques agricoles de l’époque précédant celle où l’industrie chimique s’est fortement immiscée dans l’agriculture étaient complexes et hautement perfectionnées. Ce savoir doit être reconnu comme étant novateur et soutenable. La participation des peuples autochtones et des agriculteurs pourrait générer des résultats qui reflètent la connaissance acquise à la ferme, laquelle est susceptible de répondre plus adéquatement aux besoins des agriculteurs et autres producteurs alimentaires.

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La recherche doit être en mesure de déterminer comment soutenir et renforcer la capacité à produire des aliments dans un contexte où sévissent les changements climatiques, où les ressources pétrolières se font rares, et où les consommateurs recherchent des aliments plus sains et produits localement. Si la recherche scientifique fait fi des modifications climatiques et prend pour acquis que les ressources pétrolières sont inépuisables, elle devient une entrave à l’établissement de la souveraineté alimentaire et ralentit la mise en place des solutions nécessaires. Le financement de la recherche doit conséquemment être modifié de manière à renforcer les capacités du secteur de l’agriculture biologique et soutenir des pratiques agraires écologiques. En résumé, nos objectifs de recherche devraient être définis en démocratisant l’accès à la science et à la technologie. Une telle définition des objectifs de recherche selon un mode démocratique pourrait se concentrer sur les aspects suivants :

1) Un soutien à la production et à la transformation alimentaire en régie écologique et biologique, le tout en mettant l’accent sur la production locale et à petite échelle ;

2) La diversification des cultures, des élevages ainsi que la protection de la diversité microbienne en agriculture, autant en contexte urbain que rural ;

3) La création de technologies de production et de transformation qui sont respectueuses de l’environnement, celles-ci pouvant parfois demander moins de travail, parfois plus ;

4) La protection, l’encouragement et l’amélioration des technologies employées par les communautés autochtones et locales ;

5) Le renforcement des capacités des communautés autochtones et locales à suivre les impacts des technologies et à en faire rapport.

Au Canada et ailleurs dans le monde, le nombre de projets de recherche subventionnés par des fonds publics a radicalement chuté au cours des dernières décennies, alors que les recherches soutenues par des fonds privés ont augmenté. Qui plus est, les intérêts privés déterminent de plus en plus la trajectoire de la recherche publique, notamment par le truchement d’initiatives fédérales de financement jouissant d’un soutien financier paritaire de la part de l’entreprise Du reste, les relations sont dorénavant plus étroites entre l’industrie et les organismes subventionnaires gouvernementaux (tels que la Fondation canadienne pour l’innovation et Génome Canada), lesquels ont déterminé les critères d’obtention des subventions et ont encouragé de manière plus ouverte la création de partenariats avec l’industrie11.

La plupart des recherches subventionnées par le gouvernement ne sont pas effectuées en entreprise, mais dans le giron universitaire. Pourtant, dans l’ensemble, le financement des universités par le palier fédéral a diminué soudainement, alors que le financement en

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provenance du secteur privé a augmenté de manière notable12. De plus, le gouvernement fédéral a activement encouragé la commercialisation de la recherche universitaire. La majorité des universités possèdent maintenant leurs propres Bureaux de transfert de la technologie, ceux-ci étant chargés de remplir les demandes de brevet, de trouver les permis nécessaires et des débouchés commerciaux à la recherche universitaire, ainsi que d’appuyer la création d’entreprises dérivées. Le Groupe d’experts sur l’avenir de la biotechnologie alimentaire de la Société royale du Canada a noté que l’introduction d’intérêts entrepreneuriaux dans le développement des nouvelles technologies est source de conflits d’intérêt au sein de la communauté scientifique.

Recommandations 1) Il est nécessaire que la politique scientifique, la recherche et la réglementation

encadrant les nouvelles technologies valorisent d’abord l’agriculture écologique et tiennent compte de la complexité écologique et socio-économique de l’agriculture.

2) Le financement à long terme de la recherche en agriculture écologique doit être assuré et affranchi de l’obligation de s’adjoindre un financement paritaire par l’entreprise. Le financement stable et à long terme de la recherche en agriculture qui encourage la production durable d’aliments en fonction des besoins spécifiques de chaque région doit être augmenté et ce, aux paliers fédéral et provincial de même que dans les universités. Ce type de recherche devrait également avoir pour objet le développement de méthodes adaptées aux petits agriculteurs et à l’agriculture urbaine.

3) Les priorités en matière de recherche devraient être déterminées avec le concours des

communautés autochtones, des agriculteurs, des transformateurs alimentaires, des consommateurs et des chercheurs. La recherche en soi devrait être menée à l’aide des efforts conjoints des scientifiques et des agriculteurs. Les agriculteurs, les peuples autochtones et les autres producteurs d’aliments doivent accroître leur niveau de contribution au sein de la recherche et de l’enseignement. Par exemple, la recherche effectuée à la ferme et la recherche appliquée, jumelées à des programmes de formation et de services-conseils, devraient être davantage développées.

4) Le Plan d’action du Canada en matière d’innovation devrait être refondu de manière à

ce qu’il reconnaisse pleinement que l’innovation n’est pas le fruit exclusif du travail en laboratoire, mais également celui du travail d’agriculteurs, de peuples autochtones et d’autres communautés locales produisant des aliments. Nous devrions prendre acte du risque que représente le fait de dépendre uniquement de solutions technologiques et, en conséquence, rendre la science plus souple et diversifiée. Pour ce faire, nous devons valoriser une diversité de manières d’acquérir des connaissances, ainsi que trouver des moyens de tirer parti des connaissances et des conseils des agriculteurs, des communautés locales et des peuples autochtones.

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5) Mettre sur pied un organe indépendant et financé à partir de fonds publics, dont le

mandat consisterait à surveiller et à contrôler la recherche agroalimentaire du secteur privé.

6) Rétablir des stations expérimentales gérées par le secteur public afin d’assurer des

résultats non biaisés dans la recherche sur les plantes et les animaux. Un financement public accru devrait être dédié au développement de variétés qui sont adaptées aux conditions qui règnent à l’extérieur des principales zones agricoles du Canada.

7) Les professeurs et les chercheurs impliqués au sein de notre système d’éducation

doivent prendre connaissance de la valeur des diverses méthodes agricoles non conventionnelles et en assurer la diffusion. Cela contribuera à une meilleure sensibilisation et considération quant à l’agriculture biologique durable, qui permet d’augmenter le nombre de solutions possibles pour les agriculteurs.

8) La recherche devrait se concentrer sur des pratiques agricoles et des technologies qui

favorisent les exploitations agricoles de plus petite taille. 9) Le Canada devrait s’engager à soutenir la biodiversité des semences par l’entremise

d’un financement gouvernemental de base visant le développement d’initiatives portant sur la diversité ou le patrimoine semenciers telles que Semences du patrimoine Canada et la Banque de gènes de pomme de terre basée à Fredericton au Nouveau-Brunswick. La préservation du patrimoine génétique des cultures de base devrait être soutenue.

10) Le libre partage de semences et de races non OGM ou non brevetées devrait être

protégé et appuyé à titre de pratique agricole essentielle. 11) La recherche devrait être orientée vers les cultures durables, biologiques, locales et

recelant les meilleures chances de résister aux changements climatiques. Davantage de financement et de recherche scientifique devrait cibler la pédobiologie (biologie du sol).

12) La recherche doit contribuer à maintenir et à renforcer la production alimentaire dans

un contexte de changements climatiques, de raréfaction des ressources pétrolières et où les citoyens cherchent de plus en plus à se procurer des aliments sains et produits localement.

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REGLEMENTATION FONDEE SUR LE PRINCIPE DE PRECAUTION La réglementation demeure un terrain très disputé, particulièrement en raison du fait que l’industrie tente souvent de museler les critiques se rapportant aux risques potentiels des nouvelles technologies qu’elle tente de mettre sur le marché. En même temps, l’industrie cherche à assurer sa légitimité et à obtenir la confiance de la population par l’entremise de la réglementation émanant des gouvernements. Une réglementation efficace et flexible est perçue comme étant un moyen important de créer un contexte favorable à l’investissement des entreprises. En matière de réglementation, une tension continuelle s’observe entre, d’une part, la demande pour une plus grande flexibilité afin de soutenir la croissance économique et, d’autre part, celle pour une plus grande rigueur afin de protéger l’intérêt du public. La question de la confiance du public envers la réglementation est souvent réduite au seul aspect de la transparence. La transparence constitue indubitablement un facteur prépondérant dans le renforcement ou la perte de la confiance de la population, en plus de demeurer essentielle à la mise en place d’une réglementation démocratique. Toutefois, la crise de confiance du public envers la réglementation ne se résume pas à la seule question de la transparence, celle-ci ayant déjà été employée pour détourner l’attention de la nécessité de mettre de l’avant des solutions structurelles. Le système politique aborde la question du risque différemment selon qu’il s’agisse d’une technologie réputée bénéfique ou essentielle pour la société. Toutefois, la supposition quant au bénéfice sociétal d’une nouvelle technologie n’est généralement pas vérifiée en raison du fait que notre politique scientifique et notre dispositif réglementaire ne prévoient pas l’évaluation de cette dimension13. La réglementation a le pouvoir de déterminer si et comment une nouvelle technologie doit être introduite dans la société, mais en réalité, celle-ci ne considère que rarement les conséquences sociales et économiques d’une telle introduction. La réglementation canadienne en matière de génie génétique, par exemple, est promue par le gouvernement et défendue par l’industrie comme étant strictement fondée sur la science, excluant ainsi les considérations de nature non scientifique. En privilégiant les critères scientifiques et en excluant les considérations socioéconomiques au sein de la réglementation, le gouvernement peut museler les préoccupations du public et faire appel à l’autorité scientifique afin de légitimer des décisions controversées. La réglementation fondée sur la science a été mise en place de manière à ne compter que sur

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un nombre restreint d’experts, excluant ainsi les autres experts et les autres modes de connaissance. Dans ce contexte, la réglementation fondée sur la science peut être employée à titre de force anti-démocratique. La promotion de la réglementation sur une base strictement scientifique néglige également le fait que les décisions liées au risque sont ultimement ou intrinsèquement politiques. En définitive, le jugement quant à l’acceptabilité d’un niveau de risque donné doit faire partie du processus de décision politique, et doit rester distinct du rôle de conseil occupé par la science14. Comme il fut exprimé par la Round Table Discussion on the Credibility and Acceptability of Science Advice for the Decision-Makers organisée par le (défunt) Forum des politiques publiques en 1998 :

L’industrie préconise la prédictibilité et l’efficacité en ce qui a trait à la réglementation. La controverse et la participation publiques sont antinomiques à la prédictibilité. Afin de minimiser les controverses publiques et de conserver un certain degré de prédictibilité, le gouvernement fait appel à la science dans la prise de décision, en lui demandant d’établir les faits et de fournir des certitudes. De par sa nature même, la science ne peut fournir de certitudes. Nous nourrissons, et sommes encouragés à nourrir des attentes irréalistes envers la science, et ce, malgré les limites bien réelles qui sont au cœur de sa nature15.

Afin de s’attaquer à ces questions, la réglementation doit être élaborée en mettant en pratique le principe de précaution, et ce, à tous les paliers décisionnels et à chaque étape. Le principe de précaution puise ses origines dans la loi environnementale allemande des années 1970 et est reconnu à titre de droit coutumier international. Le principe de précaution est reconnu au sein de déclarations et d’accords internationaux, dont la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992 et le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques qui règlemente le commerce en matière d’organismes vivants modifiés (organismes manipulés génétiquement). Ce principe apparaît également au sein de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE), laquelle exige que toute précaution soit économiquement rentable. Plus récemment, l’EICSTAD a recommandé d’intégrer le principe de précaution au sein du processus décisionnel. Le principe de précaution demande que la prise de décision devienne plus démocratique parce qu’il soulève notamment les questions et les éléments suivants :

Existe-t-il d’autres technologies ou produits moins risqués que nous puissions employer ? Avons-nous vraiment besoin de cette technologie ?

La science possède des limites et ne peut se soustraire aux questions d’ordre politique et éthique ; en bout de ligne, la décision d’agir ou non est du ressort de la politique.

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En ce qui a trait à l’application du principe de précaution, le fardeau de la preuve et de la responsabilité doit être placé sur les épaules des promoteurs de l’activité en cause ou de ceux qui en ont les moyens.

Les gens qui seront affectés par les nouvelles technologies doivent prendre part aux décisions entourant les risques que leur sont associés.

Des actions préventives doivent être entreprises dès les premières étapes de la conception d’une technologie.

Fait important, le principe de précaution nous rappelle que toute nouvelle technologie doit et peut être rejetée si nécessaire, de même qu’il autorise explicitement cette option.

Recommandations 1) Élaborer la réglementation en mettant pleinement en pratique le principe de

précaution, et ce, à tous les paliers décisionnels et à chaque étape. 2) Mettre en place des moyens de procéder à des évaluations indépendantes des

technologies. 3) Tenir compte des aspects sociaux et économiques dans la réglementation s’appliquant

aux nouvelles technologies. 4) L’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) doit être libérée du caractère

double de son mandat consistant à la fois à promouvoir les technologies agricoles canadiennes et à les réglementer. Il devrait y avoir une séparation institutionnelle nette entre les fonctions de promotion et de réglementation au sein de l’Agence. Celle-ci devrait également mettre l’accent sur son principal mandat, soit la protection de la santé et de la sécurité du public, de même que le bien-être social et économique. Les puissantes forces économiques à l’œuvre ne doivent pas compromettre la mise en pratique de ce mandat.

5) Mettre sur pied une instance nationale d’évaluation de la technologie chargée de suivre,

d’évaluer et de retirer du marché, si nécessaire, les technologies. 6) Financer ce qu’il est convenu d’appeler un Technopédia populaire – une sorte de

Wikipédia financé par le gouvernement à l’aide duquel la population peut faire le suivi et évaluer les nouvelles technologies afin d’assurer une plus grande transparence et une responsabilisation accrue de l’industrie et des organismes de réglementation.

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REGLEMENTATION EN MATIÈRE DE GÉNIE GÉNÉTIQUE ET DES AUTRES TECHNOLOGIES EN ÉMERGENCE

Les recommandations présentées dans le cadre du Projet Pour une politique populaire ont clairement indiqué un haut degré d’inquiétude concernant les impacts reliés au génie génétique et à la manière dont ce domaine est règlementé. Nos quinze années d’expérience en matière de réglementation des aliments et des cultures génétiquement modifiés au Canada, de même que l’avènement des nanotechnologies et de la biologie synthétique, fournissent une opportunité unique et urgente d’analyser notre façon de réglementer les nouvelles technologies et d’examiner comment nous pourrions mener un débat démocratique d’envergure nationale sur la mise en application de telles technologies. Le cas du génie génétique peut d’ailleurs permettre de tirer d’importantes leçons en matière de réglementation des nouvelles technologies. Plutôt que de créer de nouvelles règles spécifiques aux technologies se rapportant à l’ADN recombinant (ADNr), le gouvernement canadien a créé la catégorie des aliments nouveaux et celle des végétaux à caractères nouveaux afin de réglementer les produits issus de la technologie de l’ADNr au même titre que les produits issus des méthodes conventionnelles de sélection des végétaux, de la mutagenèse et d’autres technologies. De la sorte, la réglementation canadienne ne parvient toujours pas à appréhender l’unicité du génie génétique, les risques inusités qui y sont rattachés, ni le caractère particulier du débat entourant cette technologie. Par ailleurs, la science à la base des décisions réglementaires procède sous le sceau secret des renseignements commerciaux confidentiels. Ce manque de transparence soulève des questions quant à la rigueur du processus d’approbation et de la science derrière ce dernier. Il n’y a actuellement aucun moyen permettant de soumettre la science sur laquelle se fonde la réglementation à un examen indépendant. La nature secrète de ce processus et ses conséquences sur la science ont été grandement critiquées par le Groupe d’experts sur l’avenir de la biotechnologie alimentaire de la Société royale du Canada, alors mandaté par certains ministères pour examiner le système réglementaire. En 2001, le Groupe d’experts a émis 58 recommandations en vue de réformer ce dernier. Toutefois, seules deux de ces recommandations ont été mises en œuvre16. La responsabilité de réglementer la dissémination des OGM dans l’environnement a été confiée à Agriculture et Agroalimentaire Canada – un ministère dont le mandat consiste à soutenir l’agriculture industrielle et le commerce – plutôt qu’à Environnement Canada, dont le mandat consiste à protéger l’environnement. Sous l’égide d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, l’Agence canadienne d’inspection des aliments a été mise sur pied

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avec le double mandat de promouvoir et de réglementer les produits alimentaires et agricoles canadiens. Ce double mandat a compromis la capacité de l’Agence de réglementer les aliments issus du génie génétique et l’a également rendue vulnérable à de sérieuses accusations de parti pris pour l’industrie. Le génie génétique permet aux scientifiques d’insérer, directement au sein du génome d’organismes, des gènes issus d’autres espèces ou d’autres règnes dans le but de créer des plantes, des animaux et des microorganismes jusqu’alors inexistants. Ces organismes génétiquement modifiés (OGM) constituent une pollution vivante capable de s’auto-répliquer. Ils ne peuvent être ni rappelés, ni contrôlés une fois libérés dans l’environnement. Ils ont de plus la capacité de se croiser avec d’autres organismes, contaminant ainsi les écosystèmes et affectant les générations futures de manière imprévisible et incontrôlable. La contamination par les OGM représente un sérieux problème, tant sur le plan environnemental que social. Les cultures génétiquement modifiées menacent la biodiversité en agriculture, qui demeure fondamentale pour la sécurité alimentaire mondiale, en plus de compromettre l’avenir de l’agriculture biologique et des aliments qui en sont issus (l’agriculture biologique interdit l’usage des OGM). Qui plus est, les semences OGM sont la propriété de grandes entreprises qui ont fait valoir leurs droits de propriété intellectuelle sur leurs créations devant la justice. Les agriculteurs aux prises avec un problème de contamination de leur propriété par les OGM risquent d’être poursuivis par les entreprises qui détiennent des brevets sur des séquences génétiques. Le brevetage des semences OGM a été mis en place afin d’empêcher les agriculteurs de conserver leurs semences, ce qui les oblige à se procurer de nouvelles semences chaque année. Le pouvoir que confère le contrôle monopolistique des semences, et potentiellement des races, est devenu un mécanisme permettant aux entreprises et à leurs actionnaires de s’approprier la richesse des agriculteurs et des communautés rurales. L’utilisation d’OGM est incompatible avec le concept de souveraineté alimentaire qui se fonde sur un processus décisionnel démocratique auquel participent les agriculteurs, les communautés autochtones, les autres producteurs alimentaires, de même que ceux qui se nourrissent.

Recommandations s’appliquant spécifiquement au génie génétique 1) Les cultures génétiquement modifiées existantes devraient être graduellement

abandonnées et ces dernières, ainsi que les animaux génétiquement modifiés, ne devraient plus être approuvés dans le futur.

2) Il est nécessaire de mettre en place un processus de transition équitable afin d’aider les agriculteurs qui font présentement usage d’OGM à plutôt s’approvisionner chez des fournisseurs de semences non génétiquement modifiées et à adopter des pratiques agricoles écologiques.

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3) Le gouvernement doit adopter une réglementation interdisant le brevetage du vivant,

que ce soit sous la forme d’organismes vivants entiers ou de séquences de gènes. Toutes les formes de vie de même que leurs composantes doivent rester dans le domaine public.

4) Par voie d’une loi nationale, le Canada doit interdire la technologie Terminator

(technologie génétique restrictive – ou, en anglais, GURT : Genetic Use Restriction Technology), et mettre en application le moratoire instauré sous l’égide de la Convention sur la diversité biologique des Nations unies visant à interdire l’expérimentation en champs et la commercialisation de ce type de technologie.

5) Le gouvernement doit initier un processus public pour réviser la réglementation en

matière d’OGM. Ce processus doit tenir compte des 58 recommandations émises en 2001 par le Groupe d’experts sur l’avenir de la biotechnologie alimentaire de la Société royale du Canada.

6) Le principe à la base de notre système de réglementation – voulant que la technologie

de l’ADN recombinant ne soit pas essentiellement différente des technologies conventionnelles de sélection végétale – doit plutôt édicter le contraire, et le processus de réglementation doit être restructuré de manière à réglementer autant le procédé que les résultats du génie génétique. En faisant cela, l’utilisation du concept d’équivalence substantielle en réglementation, lequel est fondé sur des suppositions, doit être abandonnée.

7) Il est nécessaire d’établir un processus par lequel il serait possible d’accéder aux

données privées fournies dans le cadre de demandes d’homologation de nouveaux produits afin qu’elles soient examinées par des scientifiques indépendants.

8) Il est impératif d’établir dès maintenant un système d’étiquetage obligatoire pour tous

les aliments génétiquement modifiés, incluant les produits obtenus à partir d’animaux nourris d’OGM. Le Canada doit appuyer les efforts des pays en vue de développer des recommandations internationales en matière d’étiquetage d’OGM au sein du Codex Alimentarius des Nations unies.

9) Des scientifiques indépendants, rattachés à des laboratoires financés et gérés par le

domaine public sous la compétence du ministère de la Santé, doivent être autorisés et soutenus financièrement afin de tester de manière exhaustive et sur le long terme les effets des OGM sur la santé humaine.

10) L’introduction d’animaux et de poissons génétiquement modifiés (formes de vie

supérieures) dans le système alimentaire doit être prohibée.

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11) La localisation des essais en champs de cultures génétiquement modifiées doit être

rendue publique et annoncée dans les journaux locaux. Cela permettrait aux communautés de se prononcer plus facilement quant au choix des sites et d’ainsi aider les agriculteurs de la région dans leurs efforts visant à prévenir la contamination des cultures par les OGM17.

12) Le gouvernement doit reconnaître que la coexistence est une chose impossible : la

contamination ou la pollution génétique est inévitable et cette réalité doit être pleinement considérée dans la prise de décision. La pollution génétique menace la certification et les revenus des agriculteurs biologiques et de ceux qui n’emploient pas de semences génétiquement modifiées. Cela menace également l’avenir des systèmes agricoles écologiques, y compris les possibilités futures qui s’ouvrent à eux. Les entreprises devraient être tenues responsables des problèmes de contamination et des coûts qu’ils engendrent.

13) Dans le cadre du processus de développement de politiques actuellement en cours, le

gouvernement canadien doit procéder à une analyse critique des impacts des nouvelles technologies agricoles sur les communautés des pays en développement, et ce, avant de verser tout autre financement à ce secteur d’activité controversé. Le gouvernement canadien doit prendre le relais des organisations d’agriculteurs (e.g. le mouvement mondial des petits agriculteurs appelé Via Campesina et ceux qui y sont affiliés), des peuples autochtones et de leurs organisations, de même que des gouvernements nationaux qui seront les plus affectés.

14) Le Canada doit ratifier le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques

biotechnologiques signé sous l’égide de la Convention sur la diversité biologique des Nations unies, et qui a pour objectif de régir les échanges transfrontaliers d’organismes vivants génétiquement modifiés.

15) Il est nécessaire d’instaurer un moratoire national sur les nanotechnologies. Ces

dernières ne devraient pas entrer dans la fabrication des pesticides, des fertilisants, ou encore entrer dans la composition des semences ou des aliments, tant qu’elles n’auront pas été assujetties à un examen en profondeur, que leur innocuité n’aura pas été totalement démontrée et qu’elles n’auront pas fait l’objet d’un vaste dialogue public. Le Canada devrait également appuyer l’instauration d’un moratoire mondial par l’entremise d’accords internationaux.

16) Le Canada doit appuyer le moratoire sur la biologie synthétique qui est présentement

en cours de développement sous l’égide de la Convention sur la diversité biologique des Nations unies.

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CONCLUSION Toutes les opportunités offertes par le développement de la connaissance scientifique et les percées technologiques ne peuvent être bénéfiques à nos sociétés que si celles-ci sont développées, évaluées et introduites sous les auspices d’une définition démocratique des objectifs poursuivis et avec le concours de la participation du public. La science doit être menée de manière à servir des objectifs collectifs qui doivent nécessairement être déterminés démocratiquement. Par l’entremise de l’institutionnalisation du principe de précaution, la prise de décision démocratique – laquelle implique la participation des agriculteurs ainsi que des communautés locales et autochtones – permettra une réelle évaluation des risques potentiels et des opportunités découlant de la science et de la technologie.

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NOTES 1 Who will feed us? Questions for the food and climate crises. ETC Group, novembre 2009.

2 Agriculture at a crossroads. Rapport complet. Évaluation internationale des connaissances, des

sciences et des technologies agricoles pour le développement (EICSTAD), 2009, p. 67.

3 Who will feed us? Questions for the food and climate crises. Op. cit.

4 Ibid.

5 Causes des toxi-infections alimentaires. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2011.

Disponible en ligne au http://www.inspection.gc.ca/francais/fssa/concen/causef.shtml

6 Agriculture at a crossroads. Op. cit., p. 30.

7 Kuyek, D. 2002. “The real Board of directors. The construction of biotechnology policy in Canada,

1980-2002”. The Ram’s Horn, Sorrento, Colombie-Britannique, 2002.

8 From gene giants to Biomassters: Hijacking the green economy and consolidating corporate power.

ETC Group, mars 2011.

9 La valorisation de la recherche universitaire. Rapport du Groupe d’experts sur la commercialisation

des résultats de la recherche universitaire, Association des universités et collèges du Canada,

Ottawa, Canada, 1999. Disponible en ligne au http://www.carl-

abrc.ca/projects/commercial/pdf/comm_mai-f.pdf (dernier accès le 27 mai 2011).

10 Agriculture at a crossroads. Op. cit., p. 20.

11 Kuyek, D. Op. cit.

12 Ibid.

13 McRae, R., et Alden, J. 2002. « A review of Canadian food safety policy and its effectiveness in

addressing health risks from Canadians ». Pollution Probe, novembre 2002.

14 Ibid.

15 Forum des politiques publiques. 1998. Round table discussion on the credibility and acceptability of

science advice for decision-makers.

16 Andree, Peter, et Sharrat, L. 2004. Genetically modified organisms and precaution: Is the Canadian

government implementing the Royal Society of Canada’s recommendations? Polaris Institute.

17 Bjorkquist, S., et Winfield, M. 1999. The regulation of agricultural biotechnology in Canada.

Institut canadien du droit et de la politique de l’environnement, novembre 1999.

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Contact : SÉCURITÉ ALIMENTAIRE CANADA FOOD SECURE CANADA CP 48020 BP Bernard Montréal (Québec) H2V4H0 Canada (514) 271 7352 [email protected] www.foodsecurecanada.org Sécurité Alimentaire Canada fonde ses actions sur trois engagements étroitement liés : La faim zéro : En tout temps, toute personne doit être en mesure de se procurer, en toute dignité, une nourriture de qualité, en quantité suffisante culturellement et personnellement acceptable. Cela est essentiel à la santé de notre population et exige la collaboration entre plusieurs secteurs différents, y compris le logement, la politique sociale, le transport, l’agriculture, l’éducation ainsi que les groupes communautaires, culturels, bénévoles et caritatifs, et les entreprises. Un système alimentaire durable : Au Canada, la nourriture doit être produite, récoltée (y compris la pêche et autre récoltes d’aliments sauvages), transformée, distribuée et consommée de façon à maintenir et à améliorer la qualité de la terre, de l’air et de l’eau pour les générations futures, et de façon à ce que les travailleurs puissent gagner un revenu adéquat et œuvrer dans un environnement sain et sécuritaire en récoltant, en cultivant, en produisant, en transformant, en manutentionnant, en vendant au détail et en servant de la nourriture. Les aliments sains et salubres : Des aliments salubres et nutritifs doivent être accessibles pour tous (et que les aliments moins nutritifs soient moins accessibles); les aliments (ainsi que les aliments sauvages) ne doivent pas être contaminés par des agents pathogènes ou des produits chimiques industriels; et aucun aliment nouveau ne doit entrer dans la chaîne alimentaire ou dans l’environnement sans des contrôles indépendants rigoureux et l’existence d’un système de pistage et de surveillance continus pour s’assurer de sa salubrité et de sa sécurité pour la consommation humaine.