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FORUM EUROPEEN POUR LA SECURITE URBAINE Sécucités Prévention Europe Etude comparée des politiques de prévention de la criminalité de sept villes européennes Jean-Paul BUFFAT Chef de projet Avec le soutien de la Commission Européenne, Direction Générale Justice et Affaires Intérieures (Programme Hippokrates)

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FORUM EUROPEEN POUR LA SECURITE URBAINE

Sécucités Prévention Europe

Etude comparée des politiques de prévention de la criminalité de

sept villes européennes

Jean-Paul BUFFAT Chef de projet

Avec le soutien de la Commission Européenne, Direction Générale Justice et Affaires

Intérieures (Programme Hippokrates)

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Sécucités Prévention Europe - Rapport final 2

REMERCIEMENTS Le Forum Européen pour la Sécurité Urbaine tient à remercier tout particulièrement tous les partenaires qui ont contribué à l’aboutissement du projet : Joan BAILEY, Directrice du Community Safety Partnership, Ville de Luton (GB), John BLACKMORE, Ex-Directeur du Community Safety Partnership, Ville de Brent (GB), Michel BOURGAT, Adjoint au Maire, Ville de Marseille (Fr), Josep BRUGADA, Adjoint au Maire, Ville de Girona (Es), Milena CHIODI, Programme sécurité, Ville de Modena (It), Sohail HUSAIN, Directeur Adjoint, Crime Concern (GB), Claude JACQUIER, Chercheur au Centre National de Recherches Scientifiques (Fr), Michael MERTENS, Directeur du Service Jeunesse, Ville de Bonn (All), Angela MILLER, Programme Mentoring +, Ville de Brent (GB), Gian-Guido NOBILI, Consultant en sécurité urbaine, Ville de Bologna (It), Anna PAGANS, Maire, Ville de Girona (Es), Josep PALOUZIE VIZCAYA, Directeur de la Police Locale, Ville de Girona (Es), Catherine SCHLITZ, Fonctionnaire de Prévention, Ville de Liège (Bel), Wiebke STEFFEN, Membre du Conseil Fédéral de Prévention de la Criminalité, Land de Bavière (All), Hannu TAKALA, Secrétaire Général, Conseil National de Prévention de la Criminalité (Fin), Marita ZIMMERMANN, Service Jeunesse, Ville de Bonn (All). Nous n’oublions pas toutes les personnes, élus, techniciens ou citoyens, rencontrées lors des visites de villes qui ont consacré une part de leur temps pour nous faire part de leur expérience. Enfin, nous remercions la Délégation Interministérielle à la Ville (Fr) pour son soutien.

Août 2002

Forum Européen pour la Sécurité Urbaine

38, rue Liancourt – 75014 Paris – France Tél : 00 33 (0) 1 40 64 49 00 – Fax : 00 33 (0) 1 40 64 49 10

Internet : http://www.urbansecurity.org Courriel : [email protected]

« Ni la Commission Européenne, ni aucune personne agissant en son nom n’est responsable de l’usage qui pourrait être fait des informations ci-après. »

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Sécucités Prévention Europe - Rapport final 3

Il est essentiel d’échanger les expériences parce qu’on ne peut pas construire l’Europe sans communication. Pour nous, élus, il est nécessaire de comparer les stratégies mises en oeuvre parce que nous avons le devoir d’améliorer toujours plus la vie des habitants dans nos villes.

Josep Brugada, Adjoint au Maire de Girona, Espagne

Participant du programme Sécucités Prévention Europe

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INTRODUCTION ........................................................................................................ 6

1. Contexte et objectifs du projet ............................................................................................ 6

2. Méthodologie......................................................................................................................... 9

4. Plan du rapport .................................................................................................................. 13

1. LA PREVENTION DE LA CRIMINALITE, UNE APPROCHE COMMUNE EN EUROPE ? ............................................................................................................... 15

1.1 L’insécurité en Europe et dans les villes étudiées.......................................................... 15 1.1.1. La criminalité enregistrée dans les Etats membres ................................................... 15 1.1.2. Des tendances communes dans toutes les villes étudiées........................................... 16 1.1.3. Des spécificités locales qui sont l’expression de contextes locaux et nationaux différents............................................................................................................................... 20

1.2. Des contextes nationaux qui ont progressivement favorisé la formation de partenariats à l’échelon local ................................................................................................ 21

1.2.1. Le concept de prévention de la criminalité dans les Etats européens ....................... 22 1.2.2. Le développement des politiques nationales de prévention de la criminalité au Royaume-Uni, en Belgique et en France ............................................................................. 23 1.2.3. Les politiques de prévention en Allemagne, Espagne et Italie................................... 26

1.3. L’émergence d’une politique européenne de prévention de la criminalité................ 28 1.3.1. Une construction relativement récente ...................................................................... 28 1.3.2. La notion de prévention de la criminalité au niveau européen.................................. 30 1.3.3. Les objectifs et priorités de la prévention de la criminalité pour l’Union Européenne.............................................................................................................................................. 31

2. LA PREVENTION DE LA CRIMINALITE AU NIVEAU LOCAL........................... 33

2.1. La démarche suivie par les villes pour la mise en oeuvre d’une politique de prévention de la criminalité................................................................................................... 33

2.1.1. Les villes améliorent leur connaissance de l’insécurité : l’étape du diagnostic ...... 33 2.1.2. Les villes se dotent de plans d’action : la formalisation des stratégies partenariales.............................................................................................................................................. 34 21.3. La consultation des habitants est au coeur des préoccupations démocratiques des politiques locales de prévention de la criminalité ............................................................... 35

2.2. L’organisation du dispositif de prévention de la criminalité à l’échelle de la ville ... 36 2.2.1. Vers une structuration des services de prévention de la criminalité au sein des villes.............................................................................................................................................. 37 2.2.2. La mise en place de coalitions locales et de comités de pilotage des dispositifs constitue une approche commune ........................................................................................ 38 2.2.3. Deux modèles de pilotage de la politique de prévention de la criminalité à l’échelon local : le pilotage par l’Etat et le pilotage par les collectivités territoriales....................... 40

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2.3. Les politiques locales de prévention de la criminalité affichent des priorités communes et procèdent à des ciblages similaires................................................................ 42

2.3.1. Les politiques territorialisées..................................................................................... 42 2.3.2. Des politiques à destination de publics spécifiques : les jeunes et les personnes à risques .................................................................................................................................. 44 2.3.3. Les politiques en matière lutte contre les toxicomanies constituent désormais une priorité des politiques locales de prévention de la criminalité ............................................ 48

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS ............................................................ 50

BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................... 53

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Introduction

1. Contexte et objectifs du projet Mise en place de Conseils Nationaux de la Délinquance dès 1971 au Danemark ou de structures spécialisées équivalentes telles que le Secrétariat Permanent à la Politique de Prévention en Belgique en 1992 ou plus tardivement le Deutsches Forum für Kriminalprävention en 2001 en Allemagne, lancement de programmes nationaux de prévention de la criminalité dans une majorité des Etats européens, développement du partenariat au niveau local : autant de réponses variées mises en place dès les années 1970 pour lutter contre l’insécurité. Il s’agit aussi de réponses à une demande sociale de plus en plus forte face à une situation que l’on peut attribuer pour une grande part à la crise des systèmes de régulation liés à l’Etat-providence1 et de signes de la préoccupation des pouvoirs publics. Il faut ajouter à ceci, l’attitude des élus qui sont bien souvent les premiers à devoir faire face aux demandes de leurs administrés et ont pris conscience de l’effet structurant des questions de sécurité à l’occasion des élections et qui se retrouvent en quête de modèles d’action ou plus simplement de dispositifs concrets. Un récent rapport remis au Conseil de l’Europe2 mentionne ainsi : «L’insécurité est devenue une des préoccupations majeures des sociétés urbanisées. Face à l’augmentation de la petite et de la grande criminalité [...] on attend des responsables politiques des actions rapides et des solutions concrètes » et d’ajouter : « cette situation dans laquelle se trouve la plupart des pays d’Europe, fait que la sécurité est devenue un enjeu primordial des élections politiques ; les formations en présence sont contraintes de réagir devant l’inquiétude de leurs concitoyens ». Ceci met bien en évidence que si les notions et concepts peuvent différer d’un pays à l’autre, la lutte contre la criminalité est bien devenue une priorité tant au niveau local, national, qu’européen. Outre la transversalité de toutes les politiques impulsées, l’intérêt porté à l’échelon local par les politiques nationales et européennes constitue un point fort des initiatives menées. La pertinence de l’échelon local dans le traitement de la criminalité apparaît dès le début des années quatre vingt dix du siècle dernier dans les travaux des institutions européennes voire internationales. On peut ici citer de manière non exhaustive plusieurs de ces travaux représentatifs de ce mouvement. Ainsi, la Charte urbaine européenne (Conseil de l’Europe 1992) qui en son sixième thème (sécurité urbaine et prévention de la délinquance), a mis en avant la nécessité de mettre en place au niveau local des instances partenariales de traitement de la délinquance. De même le rapport Salish « Rapport sur la petite délinquance dans les agglomérations urbaines et ses

1 Sur les politiques de prévention et de sécurité en Europe : réflexions introductives sur un tournant, P.Hebberecht, D.Duprez, in Déviance et Société, vol. 25, 2001. 2 Sécurité et prévention de la criminalité dans les villes : création d’un observatoire européen, Projet de rapport, J.M. Bockel (Rapporteur), Commission de l’environnement et de l’agriculture, Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, avril 2001.

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liens avec la criminalité organisée » (Parlement européen, 1993) a insisté sur la nécessité d’un traitement local de la criminalité. La conférence de Petrozavodsk (Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l’Europe, 1999) a également reconnu l’apport des pouvoirs locaux dans la coopération transfrontalière sur les thèmes de la prévention, de la criminalité et de la sécurité urbaine. Enfin, le Forum international sur la pauvreté urbaine de Nairobi (O.N.U., 1999) intégrait la nécessité de la prévention de la criminalité dans la gestion des villes afin de promouvoir l’intégration sociale. Hormis la reconnaissance de l’échelon local dans le traitement de la criminalité, toutes les initiatives mentionnées ci-dessus ont pour traits communs de valoriser une approche interdisciplinaire, une articulation des politiques de sécurité et des politiques d’accompagnement, l’établissement de partenariats entre les acteurs de la prévention ainsi que le développement d’approches qui privilégient la proximité avec les citoyens. Ces priorités font de la sécurité des personnes et des biens un facteur du développement de nos sociétés3. Outre les travaux cités plus haut, l’article 29 du Traité d’Amsterdam (1997) marque une étape importante dans le domaine de la prévention de la criminalité en mentionnant celle-ci parmi les politiques de l’Union Européenne concourrant à un espace de liberté, de sécurité et de justice. Le Conseil européen de Tampere (15 & 16 octobre 1999) ainsi que la conférence de Praia da Falésia (4 & 5 mai 2000) ont par la suite souligné l’importance de cet objectif dans leurs conclusions. Le premier a demandé l’intégration des aspects liés à la prévention dans les actions de lutte contre la criminalité et le développement de programmes nationaux de prévention de la criminalité tandis que la seconde a identifié les lignes directrices pour les actions futures en matière de prévention au niveau de l’Union Européenne. En 2001, le soutien de la Commission Européenne à l’initiative4 de la présidence française de l’Union Européenne et de la Suède à la mise en place du Réseau Européen de Prévention de la Criminalité marque encore l’implication de l’échelon européen dans ce type de politiques au même titre qu’il a pu le faire pour le secteur de la criminalité organisée. Ce réseau regroupe à la fois des représentants institutionnels (issus des ministères de la Justice et s’ils existent de l’Intérieur), des chercheurs ainsi que des organisations associatives représentatives de chacun des pays membres de l’Union. Le lancement, la même année, de la ligne budgétaire Hippokrates par la direction Justice et Affaires Intérieures de la Commission Européenne destinée au soutien d’initiatives dans le domaine spécifique de la prévention de la criminalité constitue un autre point fort des orientations qui sont prises. C’est par ailleurs cette ligne de financement qui soutient le projet Sécucités Prévention Europe. Le Forum Européen pour la Sécurité Urbaine, organisation non gouvernementale créée en 1987 qui rassemble près de trois cent collectivités territoriales européennes a, dès sa création, centré ses activités autour des échanges entre les acteurs européens travaillant dans le champ de la sécurité. Le Manifeste Sécurité et Démocratie 5 a constitué une étape importante dans la reconnaissance de la pertinence d’un traitement local de la criminalité pour les villes de ce

3 C’est ainsi que les Nations Unies ont, à l’occasion du 10ème congrès pour la prévention du crime et le traitement des délinquants (Vienne, 10-17 avril 2000), souligné l’importance de mener un effort en vue « d’intégrer un volet prévention du crime dans les stratégies nationales et internationales de développement ». 4 Journal Officiel des Communautés européennes du 16 décembre 2000, référence C 362/15. 5 Manifeste des villes « Sécurité & Démocratie », Forum Européen pour la Sécurité Urbaine, Naples, décembre 2000.

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réseau qui y ont édicté des principes d’action communs en matière de prévention de la criminalité. Des travaux antérieurs menés par le Forum Européen pour la Sécurité Urbaine soutenus par l’Union Européenne ont quant à eux permis d’étudier plus en avant les méthodes employées au niveau local pour lutter contre la criminalité, notamment par la mise en place de structures de coopération permanentes6. Ceux-ci avaient mis en évidence une diversité des contextes locaux et nationaux tant au niveau des insécurités que des outils dont disposent les Etats et les villes. Cependant, malgré ces spécificités et tout en excluant une approche développementaliste qui supposerait que les expériences les moins avancées tendraient toutes vers un idéal type unique proche du modèle anglo-saxon, une place importante faite au partenariat dans les méthodes utilisées au niveau local pour prévenir la criminalité est observée et ce, qu’il s’agisse de politiques « top down » (initiées par le niveau national) ou « bottom up » (enfantées au niveau local). Force est de constater que malgré l’origine d’une politique, la complexité de la scène locale impose à ses acteurs à la fois de dépasser les cadres établis (qu’on leur propose ou qu’on leur impose) ou le cas échéant d’en inventer. En réalité, ils se servent tout autant des outils qui sont mis à leur disposition que des spécificités locales. En ce sens, toutes les politiques menées dans les villes sont innovantes et sont l’expression de la capacité à agir d’un territoire et de ses acteurs. Faire état de toutes les différences qui ont été citées n’empêche ni dans la théorie, ni dans la pratique de comparer et d’échanger les expériences locales parce que celles-ci concernent des individus (auteurs, victimes ou citoyens) et des territoires qui sont souvent semblables. Les politiques de prévention de la criminalité doivent être analysées comme autant de moyens ou d’obstacles non pas pour permettre d’atteindre un idéal type de politique publique mais pour préserver cet objet commun des personnes et des biens. Il n’est donc pas surprenant que nombre de travaux menés en Europe sur la prévention de la criminalité concluent à la nécessité de développer les échanges des savoir-faires et d’expériences. Ce thème de l’échange est devenu récurrent à tous les niveaux et le Prix Européen de la Prévention de la Criminalité qui récompense chaque année des projets locaux en constitue un bon exemple. Ce rapport présente les problématiques et les pratiques locales à l’oeuvre dans sept villes européennes dans le domaine de la prévention de la criminalité. Il s’agit aussi de les inscrire dans une perspective européenne à la fois en les comparant entre elles mais aussi en les étudiant au regard du développement des politiques initiées par les institutions de l’Union Européenne. Plus en détails le projet Sécucités Prévention Europe a pour objectifs :

1 - De faire émerger les cadres conceptuels qui président, au niveau national et local, à la mise en œuvre des politiques de prévention de la criminalité et de confronter les différentes approches ;

6 Notamment : Outils pour l’action, Forum Européen pour la Sécurité Urbaine, M. Marcus, C. Vourc’h, décembre 1996 & Les politiques partenariales et contractuelles favorisent-elles une approche intégrée et globale de la lutte contre l’exclusion sociale ?, JP Buffat, Forum Européen pour la Sécurité Urbaine, décembre 2001.

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2 - D’étudier plus précisément la manière dont les collectivités territoriales en Europe conçoivent une politique de prévention et de dresser le tableau général de la méthodologie, du contenu et des orientations de ces politiques ;

3 - De repérer ce qu’il y a de commun dans les villes étudiées, et ce qui ressort comme spécifique au niveau des grandes tendances de la violence et de l’incivisme urbain comme au niveau des méthodes de prévention (notamment au regard de la participation des habitants qui est constitutive de l’apport des villes dans la détermination des politiques de prévention). 4- De constituer un cadre conceptuel commun des politiques locales de prévention au sein des sept villes.

2. Méthodologie Le choix des sites Sept villes7, Bonn (Allemagne), Brent (Royaume-Uni), Girona (Espagne), Liège (Belgique), Luton (Royaume-Uni), Modène (Italie) et Marseille (France) sont étudiées dans ce rapport. Le choix de ces sites ne relève pas du hasard. Il a d’abord a été déterminé par la nécessité de comparer des politiques mises en place dans plusieurs Etats membres de l’Union afin d’assurer une dimension européenne suffisamment large pour l’étude. Il implique à la fois des Etats du Nord (Belgique, France, Royaume-Uni) où les politiques locales de prévention s’inscrivent dans des stratégies nationales clairement identifiables mises en place dès les années 1980 qui concernent en particulier le partenariat, et des Etats du Sud (Espagne et Italie) qui laissent une plus grande place à l’innovation locale. Enfin, l’exemple allemand est ‘hybride’ dans la mesure où, du fait de la structure fédérale de l’Etat, l’organisation locale de la prévention de la criminalité varie encore fortement selon les Länder étudiés. Aucune des villes ne peut constituer un modèle représentatif des pratiques menées au niveau local dans son pays même si elle les reflète pour partie. C’est ensuite l’implication des villes dans le développement des stratégies de prévention de la criminalité qui a déterminé leur implication dans le projet. Il s’agit notamment du fait que Brent participe depuis de nombreuses années à des projets européens, que Liège occupait la présidence du Forum Belge pour la Prévention et la Sécurité Urbaine et Girona celle du Forum Espagnol pour la Sécurité Urbaine, que Modène a été la première ville italienne où a été mis en place un protocole de sécurité, que la prévention de la ville de Marseille s’appuie largement sur la richesse de son milieu associatif, que le dispositif de Luton fait une part importante à la prévention de la délinquance juvénile et que Bonn a un taux de criminalité sensiblement supérieur à celui du Land de Nordrhein-Westfalen8. Les villes étudiées ne sont pas d’importance démographique égale. Si la moyenne démographique se situe aux alentours des 170 000 habitants, Girona, la plus petite et Marseille, la plus grande métropole, se distinguent nettement des autres villes.

7 En raison des élections municipales, la ville de Lisbonne (Portugal) n’a pas pu suivre le projet. 8 En 2001, le taux de criminalité de la ville de Bonn s’élevait à 111,35‰ tandis qu’il s’établissait à 76,42‰ dans le Land de Nordrhein-Westfalen. Les données relatives à la criminalité de chaque sont étudiées plus en détails dans la première partie de l’étude.

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Bonn Brent Girona Liège Luton Marseille Modène 310 000 252 000 75 000 186 000 183 100 807 000 176 000

Tableau 1 : Le nombre d’habitants par ville D’un point de vue socio-économique Brent, Liège, Luton se détachent avec des profils plus défavorisés. Modène se distingue par l’importance des populations étrangères qu’elle accueille et certains quartiers en voie de réhabilitation tandis que Bonn et Girona seront plutôt considérées comme favorisées. Enfin, Marseille se distingue par sa taille et la variété des contextes que l’on peut y rencontrer. Liège est située dans un ancien bassin industriel basé sur l’activité sidérurgique et minière qui a souffert d’une crise importante et se trouve de ce fait endettée depuis plusieurs dizaines d’années. Par sa situation géographique et les activités (loisirs, commerces) qu’elle concentre, son pouvoir d’attraction et les flux de populations enregistrés sont importants. Le nombre de personnes sans emploi qui bénéficient d’aides publiques reste élevé et celui des « inactifs de la deuxième génération »9 semble, selon les services de la ville, en augmentation. Les caractéristiques de la situation du logement ainsi que le gel tardif par rapport à d’autres communes belges de l’octroi d’aides sociales aux demandeurs d’asile, expliquent également en partie la présence sur le territoire, de plusieurs milliers de demandeurs d’asile nouvellement régularisés ou clandestins, y compris de demandeurs d’asile inscrits sur le territoire d’autres communes. Brent et Luton se rejoignent dans la mesure où toutes deux sont touchées par des conditions socio-économiques difficiles dans plusieurs de leurs quartiers. Ainsi, la ville de Brent (qui est un des arrondissements de Londres où se situe le Stade de Wembley) a été classée en 2000 comme la 78ème ville la plus défavorisée et trois de ses quartiers sont rangés parmi les 100 plus touchés d’Angleterre et du Pays de Galles. Elle souffre de l’un des taux de mortalité des moins de 24 ans les plus élevés du pays. La part des minorités ethniques au sein de la population totale atteint 53%10. Il s’agit principalement des personnes originaires d’Inde, des Caraïbes et du Pakistan. Quant à Luton, la part des représentants des minorités ethniques est plus faible (19,2%) mais atteint dans certains quartiers 60%. Selon les secteurs de la ville, le taux de personnes sans emploi varie de 3 à 12%. On estime que 9% des logements sont inappropriés à une vie convenable des habitants. Modène compte également plusieurs quartiers en difficulté. Le secteur de la gare ferroviaire, anciennement un quartier industriel dans lequel les populations ouvrières étaient regroupées, est désormais le lieu de regroupement de populations en difficultés (notamment des immigrés clandestins). La ville accueille en outre une population étrangère relativement importante (10 000 personnes). Si Bonn et Girona sont d’une importance démographique très différente, elles se caractérisent par des conditions socio-économiques plus favorables. Ceci s’explique en partie par le fait que Bonn était la capitale de l’ex République Fédérale Allemande et bénéficie de ce fait de nombreuses infrastructures (notamment en termes de transports) et d’un niveau de vie élevé. Girona reste une cité historique plutôt riche même si un de ses quartiers concentre des populations défavorisées. 9 Il s’agit ici des jeunes qui ont toujours vu leurs parents sans emploi et qui ne disposent eux –mêmes pas d’un emploi. 10 En 1991, ce taux s’élevait à 5,5% au niveau national.

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Enfin, Marseille se compose de noyaux villageois éparpillés sur tout le territoire communal. Depuis une centaine d’années, ces quartiers ont constitué des Comités d’Intérêt de Quartier animés par des bénévoles. Le taux des logements sociaux est très nettement supérieur à la moyenne nationale. Si l’identification des habitants à leur ville est très forte, on recense une communauté musulmane importante (150 000 ou plus) et plus de 80 000 comoriens. Le taux de personnes sans emploi est en baisse depuis 6 ans mais sa moyenne s’établit à 17% et s’élève à 50% dans certains quartiers. Enfin, tout comme Liège, Marseille attire les demandeurs d’asile. Il est apparu que ces profils déterminent en partie les insécurités auxquelles ces villes font face. A l’évidence, Bonn et Girona pourront être considérées comme des villes moins touchées par les insécurités contrairement à Liège (une des villes les plus touchées par la criminalité en Belgique francophone) ou Marseille plus particulièrement victime de la criminalité organisée (trafic des êtres humains, de biens en zone portuaire, etc.). Reste que l’on retrouve à des degrés divers dans toutes les villes étudiées des problématiques communes qui renvoient à des publics identiques (délinquance juvénile, criminalité liées à l’usage de la drogue, vulnérabilité des personnes âgées, etc.) ou à des mêmes lieux (centres- villes, espaces commerciaux, etc.). Ceci permet, malgré les limites inhérentes à la diversité des profils étudiés, de dégager un corpus commun tant au niveau des problématiques que de l’organisation générale de la prévention de la criminalité, voire d’étudier la réaction de villes différentes à un même problème. La démarche suivie Deux séminaires de travail ont été organisés (Girona les 15 & 16 février 2002 et Paris, les 28 & 29 juin 2002) et ont réuni des représentants, élus ou techniciens11, de ces villes ainsi qu’un chercheur12. Des personnalités issues de l’organisation Crime Concern (Royaume-Uni), du Conseil National de Prévention de la Délinquance de Finlande, de la Commission de Prévention de la Criminalité du Land de Bavière (Allemagne), et de la Région Emilia Romagna (Italie) se sont joints au groupe. Ceux-ci ont eu pour tâche de présenter leurs travaux et d’apporter leurs réflexions aux projets locaux de prévention de la criminalité qui ont été présentés. Outre le cadrage méthodologique de la mission, ces séminaires ont été l’occasion pour chacun de présenter l’organisation générale de la prévention de la criminalité dans la ville considérée et des projets spécifiques (concernant notamment la revitalisation d’un quartier, les dispositifs de médiation et la prévention de la délinquance juvénile). Des visites in situ effectuées dans chacune des villes, ont été l’occasion de mener des entretiens individuels ou collectifs13 principalement dans le but d’étudier les dynamiques partenariales à l’oeuvre. Comme le montre le graphique ci-après, si les chefs de projets de

11 Par techniciens, nous entendons la personne en charge du dispositif de prévention de la criminalité dans la ville. Cependant pour la présentation de projets concrets, des personnes en charge de dispositifs particuliers sont intervenus lors des séminaires. 12 Monsieur Claude Jacquier, Chercheur au Centre National de Recherches Scientifiques (France). 13 Il s’agit notamment du Comité de pilotage du service de prévention de la ville de Liège et de la réunion Stakeholders à Luton.

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Sécucités Prévention Europe - Rapport final 12

prévention (58%) et les représentants du milieu associatif (20%) constituent la plus grande partie des personnes auditionnées, des rencontres auprès des élus (9%) et de citoyens ou de personnes précarisées ont également enrichi les conclusions de ce rapport.

Graphique 1 : les catégories de personnes auditionnées au cours du projet Les grands objectifs de ces visites de villes étaient tout à la fois de : - Apprécier tant que possible la « réalité de terrain » de chaque ville et d’en découvrir les

spécificités ⇒ Comment l’acteur perçoit-il la criminalité et son évolution ? Quelles sont les

caractéristiques des publics concernés par les mesures mises en place (tant les victimes que les auteurs) ?

- Voir comment s’organise la prévention de la criminalité

⇒ Quelle est l’organisation des services tant au niveau des objectifs poursuivis que des moyens mis en oeuvre ?

- Croiser la vision des acteurs de terrain

⇒ Comment s’organise le travail avec les autres partenaires ? Quelles sont les forces et faiblesses du dispositif ?

Personnes rencontrées au cours des visites de villes

9%

58%

20%

13%Elus

Personnel communal

Représentants associatifs

Autres

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Sécucités Prévention Europe - Rapport final 13

La méthodologie du projet

3 Regards

Le groupe de travail La vision des décideurs et des acteurs locaux

Une analyse des données relatives à la sécurité urbaine et

des contextes nationaux et européen

3 Axes d’analyse 2 séminaires de travail réunissant les représentants des 7 villes, un chercheur et des experts européens

Environ 80 décideurs et des acteurs locaux rencontrés dans les villes partenaires du projet

- Analyse de la situation de la sécurité urbaine dans chacune des villes étudiées

- Etude des contextes nationaux (politiques initiées en matière de sécurité urbaine)

- Analyse des politiques européennes

3 Objectifs - Mise en place de la

méthodologie générale du projet

- Présentation générale des dispositifs de prévention de la criminalité (1er séminaire) et de projets spécifiques (2ème séminaire) mis en oeuvre dans chacune des villes du projet

- Répertorier les problèmes d’insécurité rencontrés dans le cadre du service concerné

- Apprécier la dynamique partenariale dans la ville étudiée

- Inscrire les politiques locales étudiées dans leur contexte national

- Mettre en perspective les politiques étudiées avec les orientations fixées au niveau européen

4. Plan du rapport Si le développement des politiques de prévention de la criminalité en Europe est indéniable, ce rapport a pour objet de présenter les points communs et les différences entre des expériences menées à l’échelon local. Par delà les différences liées aux contextes tant nationaux que locaux, il s’agit de découvrir si l’on peut dégager un cadre commun aux projets étudiés. La première partie de ce rapport fait un état de la criminalité dans les Etats membres et les villes étudiées et présente les réponses apportées par ces Etats et l’Union Européenne, en détaillant les politiques de prévention de la criminalité qu’ils développent. La deuxième partie se consacre à l’étude de la prévention de la criminalité dans les sept villes étudiées. Il s’agit de présenter à la fois la démarche suivie pour la mise en place des dispositifs, l’organisation des moyens au sein des villes pour piloter et suivre la politique de prévention, et les priorités d’action qui sont définies.

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Enfin, on présentera en conclusion des recommandations relatives à la mise en place, au suivi à l’évaluation des politiques locales de prévention de la criminalité ainsi qu’au rôle des Etats et de l’Union Européenne en la matière.

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1. La prévention de la criminalité, une approche commune en Europe ?

1.1 L’insécurité en Europe et dans les villes étudiées

1.1.1. La criminalité enregistrée dans les Etats membres

Taux de criminalité (en ‰) Local National Bonn 111,35 77 Brent 129,1 Luton 118 103,3

Liège 229 81,1214 Girona n.c. 23 Marseille 122,3 68,8 Modène 58,36 38

Tableau 2 : Les taux de criminalité pour l’année 2001 (Source : FESU)

La comparaison des taux de criminalité nationaux met en évidence un plus grand nombre de faits rapportés pour un même nombre d’habitants dans les Etats les plus au Nord de l’Europe (Royaume-Uni, Belgique, Allemagne et dans une moindre mesure France). Ceux du Sud (Espagne et Italie) se détachent avec des taux de criminalité inférieurs à 40 ‰. Ceci n’indique pas nécessairement une criminalité moins importante dans ces Etats. En effet, d’une part, les statistiques administratives ne recouvrent pas toutes les mêmes infractions et ne prennent donc pas en compte la même part de réalité15. D’autre part, le report des faits dans les comptages officiels dépend également de l’activité des services de police et de l’attitude des citoyens à faire état aux services compétents des faits dont ils ont été les victimes. D’une façon générale, certaines catégories de faits sont globalement mieux reportées. Il s’agit notamment des atteintes aux biens pour lesquelles les assurances exigent une déclaration aux services officiels pour que les victimes soient indemnisées (par exemple les vols de voitures) alors que d’autres restent mal renseignées. On peut identifier trois principaux facteurs16 qui expliquent que les faits ne soient pas reportés par une victime : la victime estime que le fait n’est pas assez grave ou n’engage que des pertes négligeables, elle estime que les services de police ne pourront rien faire ou encore considère que le fait reste du domaine de la sphère privée (c’est notamment le cas des violences intrafamiliales).

14 Pour l’année 2000. 15 Ceci implique également qu’une modification de l’outil statistique peut entraîner une augmentation en volume du nombre de faits constatés. Cette situation s’est notamment rencontrée au Royaume-Uni avec une modification en 2002 des statistiques policières qui incluent désormais les appels d’urgence (qui y sont systématiquement reportés). 16 British Crime Survey, Home Office, 2000.

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Malgré les limites de la comparaison de la criminalité dans les différents Etats européens, il est pertinent d’étudier les évolutions générales. Une étude britannique17 met ainsi en évidence une augmentation de la criminalité de 1% dans les Etats membres de l’Union Européenne sur la période 1996 – 2000 avec une augmentation en Belgique (17%), Autriche (15%), Portugal (13%), Pays-Bas (9%), France (6%) et Grèce (6%) et une diminution en Irlande (27%), en Angleterre et au Pays de Galles (8%) et en Allemagne (6%). Sur la même période, les crimes violents ont enregistré dans les Etats membres une augmentation moyenne de 14% tandis que les cambriolages d’habitations ont diminué de 15%, et les vols de véhicules de 2%. Les limites des statistiques administratives pour rendre compte de la réalité du crime ont conduit la majorité des Etats membres à mettre en place des outils de plus en plus complets pour expliquer leurs statistiques - c’est par exemple le cas du Rapport sur la sécurité en Allemagne ( Erster Sicherheitsbericht 2001)18 - ou pour renseigner sur les faits qui sont les moins connus, c’est ici le cas des enquêtes de victimation menées notamment dans les pays anglo-saxons (British Crime Survey ) ; une démarche suivie par plusieurs villes.

1.1.2. Des tendances communes dans toutes les villes étudiées L’analyse des statistiques administratives des sept villes du projet, complétée par les informations recueillies au cours des visites sur sites, permet de dégager des tendances communes sur la nature de la criminalité à laquelle les villes doivent faire face :

• La criminalité acquisitive représente la part la plus importante dans la délinquance globale :

Les vols de toute nature (dans les habitations, les véhicules, les commerces, etc.) représentent au moins la moitié de la criminalité enregistrée dans toutes les villes ( 54,9% à Bonn, 60,3% à Liège et jusqu’à 67% à Modène). La part la plus significative de cette catégorie est constituée des vols liés aux véhicules19 (28% du total des vols à Luton) suivent les cambriolages d’habitations et de commerces. Les villes concentrent des zones d’activités (commerces, loisirs) et offrent des opportunités criminelles élevées, notamment en centre-ville. Il en va ainsi à Marseille dans le quartier de la Canebière, dans le centre-ville de Liège et dans les gares notamment à Bonn où le souterrain qui donne accès au quai (le « Bonner Lauch ») facilite des regroupements de personnes marginalisées. Enfin, les zones qui ont les plus fortes densités de logements sont évidemment celles où sont commis le plus grand nombre de cambriolages. Cependant, le taux de cambriolage peut varier fortement selon les caractéristiques des habitations et leur situation dans la ville. Budd (1999)20 identifie à ce sujet plusieurs facteurs qui augmentent les risques de cambriolage notamment : un manque de systèmes de sécurisation, des taux d’occupation peu

17 International comparaisons of criminal justice statistics 2000, Gordon Barclay & Cynthia Tavares, Research Development & Statistics Directorate (Home Office), juillet 2002. 18 Erster Periodischer Sicherheitsbericht, Bundesministerium des Innern, Bundesministerium der Justiz, 2001. 19 Vols de véhicules et à l’intérieur des véhicules 20 Cité par l’audit de sécurité de la ville de Luton : Budd, T. (1999), Burglary of Domestic Dwellings : Findings from the British Crime Survey, Home Office Statistical Bulletin 4/99, Londres, Home Office.

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élevés, le fait de vivre dans un habitat isolé ou dans le centre-ville, lorsque l’occupant est une famille monoparentale Il est à noter non seulement pour les cambriolages mais aussi pour les autres types de crimes, que les auteurs ne sont pas systématiquement issus de la ville considérée. Ainsi à Liège, les auteurs sont majoritairement des non-résidents (60% du total des auteurs identifiés), les sites étudiés sont pour la plupart des grandes agglomérations où les flux de population sont importants et augmentent la criminalité d’origine exogène c’est-à-dire pour laquelle les auteurs ne sont pas résidents dans la ville.

• La délinquance s’exerce de façon significative sur la voie publique La délinquance qui s’exerce sur la voie publique constitue une part significative de la criminalité. Ainsi, même lorsque cette forme de criminalité ne constitue que 10% à 30% de la criminalité générale, c’est celle qui risque de marquer le plus les citoyens, parce qu’elle est peut être la plus visible. L’audit de sécurité de la ville de Brent mentionne ainsi que même si le niveau de la délinquance de voie publique (« Street crime ») est peu élevé comparativement aux autres villes de la banlieue de Londres (un taux de 9,4‰), ce type de criminalité est une priorité majeure pour les habitants et les services de la municipalité. Cette criminalité de rue regroupe notamment les « vols classiques » comme les vols de véhicules, mais aussi des vols type « pickpocket » (+ 26% à Bonn en 2001 par rapport à l’année précédente), et plus particulièrement des vols de téléphones portables qui s’accompagnent parfois de violences (+ 62,2% des vols avec violences à Marseille en 2001 par rapport à l’année précédente). Ce dernier type de criminalité est étroitement lié au développement et à la démocratisation des nouvelles technologies, devenues des biens de consommation courants. De telles modifications du marché de la consommation influencent la criminalité tant au niveau de sa structure que de son importance. Plusieurs études soulignent que ce type de criminalité a tendance à diminuer une fois que le marché se sature car cela entraîne une baisse des prix suffisante pour ne plus justifier les vols motivés par un profit à la revente21.

• Les niveaux de délinquance sont liés aux conditions socio-économiques des lieux étudiés

De même que la nature de la criminalité n’est pas la même dans tous les secteurs d’une ville, par exemple à Marseille où l’on constate une prédominance des cambriolages au sud, des actes de violence et des vols au centre, et trafics en tout genre au nord, il en va de même concernant le poids de la délinquance. Celui-ci peut enregistrer de fortes variations selon les quartiers comme c’est le cas à Luton où le secteur de Saints enregistre un taux de criminalité de 55,8‰, tandis que ce taux s’élève à 184‰ pour le secteur de South. Si la concentration d’activités dans une même zone peut favoriser le développement de certaines formes de criminalité, les facteurs socio-économiques jouent également un rôle important dans la nature de la criminalité et dans sa répartition au sein des villes. L’audit de sécurité de la ville de Luton établit ainsi que 87,9% des variations des niveaux de criminalité seraient liés au contexte socio-économique. Ainsi à Brent, les secteurs de Saint Raphael, de

21 Opportunity Makes the Thief, M. Felson & R. V. Clarke, Police Research Series, Paper 98, Research Developement Statistics, 1998.

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Willesden et d’Harlesden pâtissent à la fois de faibles conditions socio-économiques et de taux de criminalité élevés tandis que ceux de Barnhill, de Sudbury Court et de Kenton jouissent au contraire, de conditions socio-économiques élevées et d’une criminalité moindre. De plus, on constate que les lieux les moins favorisés attirent souvent des populations plus sensibles notamment les toxicomanes ce qui peut provoquer une augmentation de la criminalité. Même lorsque les liens entre les conditions socio-économiques et le niveau de la criminalité sont moins clairement établis, toutes les villes comptent des quartiers littéralement stigmatisés par la population voire même parfois par les habitants des quartiers et considérés comme des « points noirs ». Il en va ainsi dans un quartier de Girona qui regroupe seulement une trentaine de familles de gitans, du quartier de la Cayolle à Marseille ou encore du quartier de Bressoux-bas-Droixhe de Liège constitué majoritairement de logements sociaux, dont 70% de la population est inactive, et qui a été selon l’aveux des services de la ville dans la « ligne de mire des médias ». La stigmatisation de certains lieux dans un territoire peut rendre le travail des acteurs de la prévention de la criminalité particulièrement difficile et comme le souligne l’audit de la ville de Brent, l’amélioration des conditions économiques et sociales d’un quartier ne pourra être atteinte sans la réalisation d’un travail visant à l’amélioration du sentiment d’insécurité des habitants.

• L’implication des jeunes dans la délinquance constitue une préoccupation importante pour les citoyens et les pouvoirs publics

Pays Part des mineurs dans le total des auteurs identifiés (en %)

Allemagne 20 Belgique non disponible Espagne 5,422 France 21 Italie non disponible Royaume-Uni 8,923

Tableau 3 : La part des mineurs dans la criminalité enregistrée en 2001 (Source : FESU)

Si la part des mineurs dans le total des auteurs de crimes est relativement faible, son augmentation inquiète une majorité d’Etats membres qui en tient largement compte dans la réforme de leur législation, notamment en s’interrogeant sur le recours au droit pénal, sur la révision de la majorité pénale des mineurs, ou encore sur le durcissement des sanctions pour les mineurs récidivistes24. Cette préoccupation de l’implication des mineurs dans la délinquance se reflète dans les villes étudiées : les personnes interrogées ont signalé à la fois une augmentation récente des

22 Part des 0 – 16 ans. 23 Part des 10 – 17 ans. 24 A ce sujet : M. Marcus, in Séminaire européen « La Justice des mineurs en Europe », 19 & 20 octobre 2000, Paris (France).

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regroupements de jeunes en bandes qui restent souvent peu structurées25, un rajeunissement de ces populations (vers 12 - 13 ans) et une récente féminisation de ces populations bien que l’on constate que les jeunes auteurs de crimes de sexe masculin restent très largement surreprésentés dans la délinquance juvénile26. On remarque que ce sont dans les vols ou encore dans la délinquance de voie publique (Street crime) que les jeunes sont les plus impliqués. Ainsi, à Bonn, les 0-21 ans représentent près de 52% du total des auteurs de vols et 49,2% des auteurs de délinquance de rue, et il en va de même à Marseille où les mineurs qui représentent 25% du total des auteurs de crimes identifiés, comptent pour 40% dans la délinquance de voie publique. D’une façon générale, on constate que ce sont les plus âgés qui sont les plus impliqués dans la criminalité, notamment à Luton, où les 15-19 ans ne représentent que 6,8% de la population, mais 23,4% du total des auteurs de crimes. Cependant, l’implication de la jeunesse dans la criminalité reste particulièrement difficile à apprécier. D’une part, si une majorité des acteurs locaux s’accordent pour constater une augmentation de cette catégorie d’auteurs de crimes, il reste bien difficile d’établir ce qu’ils entendent par « jeune ». Il s’agit d’une notion qui, comme le mentionne l’analyse de la criminalité du Contrat Local de Sécurité de la commune de Marseille, ne comporte pas « de limite d’âge très précise ». En effet, le plus souvent elle ne renvoie pas strictement à la majorité légale ou à la majorité pénale. D’autre part, ce sentiment d’un durcissement de la délinquance juvénile fait une large part aux perceptions des citoyens et des services des villes à l’égard de groupes de jeunes qui, comme le signale un policier de la ville de Luton, « même s’ils ne sont pas criminogènes intimident les citoyens par leur seul importance numérique ». Cette stigmatisation des jeunes se retrouve dans une majorité de villes où l’on constate que même pour les faits de moindre importance, les liens entre adultes et jeunes restent difficiles. Comme le signale une assistante du Tribunal des mineurs de la ville Modène les adultes qui déposent plainte auprès des services de police transforment parfois systématiquement en crime ce qui peut parfois être qualifié « d’actes de légèreté inhérents à la jeunesse ». Enfin, il faut aussi souligner parallèlement à l’implication des jeunes dans la commission d’actes criminels, leur surreprésentation dans certains types de crimes en tant que victimes. En effet, si les possesseurs de véhicules ou d’habitations sont par essence les plus vulnérables aux vols ou encore que les personnes âgées constituent également une catégorie particulièrement vulnérable, il apparaît qu’une proportion significative de jeunes et surtout de jeunes adultes sont victimes de crimes. Ainsi une enquête de victimation menée à Bonn en 1998 met en évidence que 42% des 15-19 ans ont été dans l’année plusieurs fois victimes tandis que ce pourcentage s’abaisse pour les tranches d’âge supérieures. D’autres études menées à Brent et à Luton mettent en évidence que les jeunes victimes sont plus particulièrement touchées par les crimes violents comme les agressions. Une enquête menée à Brent auprès d’un échantillon de 900 étudiants a mis en évidence que 38% de ceux-ci ont été victimes d’agressions physiques (et 78% d’agressions verbales).

25 La notion de délinquance en bandes n’est pas évidente. En effet, contrairement à ce que l’on peut observer aux Etats-Unis où existent certains gangs très structurés et obéissant à des règles strictes, les témoignages recueillis dans les villes du projet renvoient plutôt la notion de délinquance juvénile en bandes à des groupes de mineurs constitués pour l’occasion qui peut se faire et se défaire au gré des opportunités. 26 L’audit de la ville de Luton met ainsi en évidence qu’après 17 ans, le rapport entre les mineurs délinquants de sexe masculin et de sexe féminin est de l’ordre de 3 à 1.

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1.1.3. Des spécificités locales qui sont l’expression de contextes locaux et nationaux différents Si toutes les villes étudiées font largement face à des problématiques et des préoccupations communes telles qu’une délinquance de basse intensité (qui a tendance à s’exercer de plus en plus sur la voie publique et dans laquelle les jeunes et les jeunes adultes seraient de plus en plus impliqués), il faut bien admettre que des différences notables subsistent. Ces différences renvoient tant à des spécificités locales qu’à des problématiques nationales, renforcées par les controverses électorales, qui influenceront également les priorités locales. A ce titre, il apparaît que la nature de la criminalité dans les grandes métropoles que sont Marseille et Liège s’écarte plus nettement de celle des autres villes. Marseille semble contenir une montée des violences urbaines qui caractérise d’autres grandes villes françaises comme Strasbourg mais doit faire face à plusieurs formes d’insécurité spécifiques liées notamment à ses quartiers les plus précarisés où l’on compte parfois d’importantes minorités ethniques27. Il s’agit en premier lieu de la criminalité organisée principalement axée sur les trafics parallèles et les trafics de stupéfiants, dans les quartiers les plus défavorisés et autour de la zone portuaire. Les sous-cultures de violence qui les favorisent étant surtout celles de l’exclusion et de la précarité, elles atteignent tous les individus à divers degrés de corruption, mais très peu de familles peuvent être considérées comme maffieuses. La toxicomanie et ses conséquences seraient, selon les services de la ville, liées à cette délinquance. Plus que toute autre ville partenaire du projet, Marseille doit faire face au phénomène des jeunes en situation d’errance28 qui se regroupent notamment dans la gare ferroviaire de Saint-Charles. Cette catégorie de publics regroupe à la fois des jeunes qui fuguent ponctuellement de leur domicile et ne sont, a priori, que peu impliqués dans la criminalité tandis que d’autres s’impliquent plus activement dans la délinquance (vols, recels, etc.). La médiatisation largement relayée au niveau national a, au moins temporairement, réorienté une partie du travail associatif vers ces publics. Liège, qui est enclavé au sein d’une agglomération de 400 km2 et compte près de 500 000 habitants, exerce également un fort pouvoir d’attraction sur des populations fragilisées notamment, comme il a déjà été évoqué, les demandeurs d’asile, mais aussi des publics plus marginalisés. La proximité de la commune avec la ville de Maastricht favorise ce que les acteurs locaux nomment le « trafic de la fourmi » (passage de la frontière pour se procurer des stupéfiants nécessaires à une consommation personnelle ou vente de la quantité nécessaire pour financer la consommation personnelle) et a pour conséquence d’augmenter le nombre de personnes en situation d’exclusion sociale. En effet, ces personnes investissent les logements vacants (on compte 3 500 logements laissés à l’abandon pour 85 000 logements répertoriés) et autres squats que certains propriétaires mettent à leur disposition, ce qui est également le cas à Marseille où les prostituées notamment, louent des logements à la semaine.

27 Cependant, du fait de la tradition française qui refuse toute approche communautariste de type anglo-saxonne mais privilégie au contraire un égalitarisme qui exclu toute référence à une appartenance à une minorité ethnique, il reste difficile d’étudier les liens entre la précarisation de certaines communautés et son incidence en terme de sécurité. 28 Selon les services de la villes, il s’agit principalement de jeunes adultes (10% de moins de 16 ans) plutôt de sexe masculin (62 % de garçons et 38 % de filles) majoritairement d’origine française même si l’on signale l’apparition de filières mafieuses qui entraînent une immigration sauvage, pour les besoins des trafics et de la prostitution.

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Luton et Brent, quant à elles, sont marquées par un climat de violences urbaines plus ancien. Ceci s’est notamment illustré à Brent par des règlements de comptes aboutissant à des assassinats en pleine journée de jeunes adultes issus de la communauté africaine29. De plus, l’habitat pavillonnaire et la présence d’alleys à l’arrière des maisons facilitent les cambriolages. Ces villes se distinguent également par le phénomène de l’abus d’alcool qui y est particulièrement plus développé que dans les autres pays. En 2000, 33% des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête de victimation britannique30 affirmaient ainsi avoir été victimes de violences dans ou aux abords des pubs. Si la consommation d’alcool n’implique cependant pas toujours de criminalité violente mais plutôt des désordres (tapages nocturnes, etc.) l’importance du phénomène oriente le débat pour déterminer s’il ne faudrait pas lier cette problématique à celle des toxicomanies, notamment en renforçant les actions de prévention à destination des publics les plus jeunes. En effet, on observe notamment à Brent, que la consommation abusive d’alcool touche plus particulièrement les mineurs de 13 -14 ans qui se réunissent en grands groupes et boivent quantités d’alcools forts. Les villes des Etats du Sud, Modène et Girona, mais aussi Bonn en Allemagne si elles ont comparativement aux autres des niveaux de criminalité globalement moins élevés, ont cependant des seuils de tolérance plus faibles de la part de la population à l’égard de la délinquance. Les deux premières doivent faire face à une augmentation plus récente de populations étrangères et également à des trafics liés à la prostitution et à la drogue (principalement dans le cas de Modène). A Bonn où la population a pu être sensibilisée par le départ de près d’un tiers de ses forces de police à la suite de la perte du statut de capitale de la République Fédérale Allemande, les problématiques spécifiques tournent principalement autour de la lutte contre l’extrémisme de droite qui est toujours une priorité dans ce pays ainsi que la lutte contre le fondamentalisme islamique, une problématique encore renforcée à la suite des attentats du 11 septembre 2001 à New York.

1.2. Des contextes nationaux qui ont progressivement favorisé la formation de partenariats à l’échelon local Dans la mise en oeuvre d’une politique locale de prévention de la criminalité, le niveau et la structure de la criminalité ne sont évidemment pas les seuls facteurs qui orientent les priorités d’action. Toutes les villes étudiées dans ce rapport ne disposent pas des mêmes cadres d’action dans la mesure où les Etats européens ont pour la plupart à partir des années 1980 - 1990 mis en place de nouvelles politiques publiques de sécurité qui les encadrent plus ou moins. Si un retour sur les notions (prévention, sécurité, crime) s’impose, il est nécessaire de distinguer les politiques de prévention de la criminalité menées au Royaume-Uni, en Belgique et France, de celles de l’Allemagne, de l’Espagne et de l’Italie dans la mesure où les premières sont les plus clairement identifiables et constituent celles qui influencent le plus nettement le niveau local dans son action.

29 Cette situation a poussé la ville, en partenariat avec la Police et les habitants des quartiers concernés, à lancer une campagne médiatique « choc » d’envergure intitulée Not Another Drop Campaign (littéralement plus une seule goutte de sang). 30 Bristish Crime Survey, Home Office, 2000.

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1.2.1. Le concept de prévention de la criminalité dans les Etats européens Comme le soulignent Hebberecht et Sack31, une analyse des concepts de prévention de la criminalité est nécessaire dans une approche comparative, tant ceux-ci peuvent varier d’un pays à l’autre. Ainsi, tandis qu’il s’agira plutôt de dissuasion pénale en Allemagne où le terme de prévention a, contrairement à la France par exemple, longtemps fait référence aux activités policières pour prévenir les risques et dangers avant de recouvrir les initiatives à destination de publics et territoire en difficulté. Au Royaume-Uni et en Belgique, on entend par prévention l’ensemble des pratiques développées en dehors du système pénal qui visent à réduire voire supprimer les comportements déviants. Plus encore que dans les pays précités, la prévention de la criminalité est étendue aux politiques sociales en France et en Espagne. La production d’une catégorie, ici la prévention de la criminalité, demeure un processus social qui renvoie directement à des cultures et à des réalités politiques différentes. A ce titre, il n’est pas surprenant que ce terme prévention de la criminalité (en anglais, crime prevention) employé par les institutions européennes à des fins d’unification des discours32 ne fasse guère l’unanimité en Europe auprès des acteurs locaux et nationaux. Cependant, concernant la sécurité, un consensus s’établit pour en faire une condition de la protection et de la liberté des individus, voire un droit fondamental comme l’a défini en France la Loi d’Orientation et de Programmation sur la Sécurité du 21 janvier 199533 ou encore telle qu’elle est présentée dans le Plan fédéral de sécurité belge34 qui précise: « [...] on entend par sécurité un droit de l’homme et une condition nécessaire au maintien de l’Etat de droit » et d’ajouter : « Dans le cadre du développement de l’Etat social actif, dont les pierres angulaires sont la croissance économique et la protection sociale, la gestion de la sécurité par les autorités s’impose ». On retrouve ces différences dans le terme crime qui impliquera un crime de sang ou des activités de l’ordre de la criminalité organisée en Espagne et en Italie, tandis qu’il renvoie au Royaume-Uni, aux infractions pénalement qualifiées et à celui de désordre (disorder) qui concerne plus directement les comportements sociaux qui touchent la qualité de vie des citoyens. Ces différences de concepts ne sont pas anodines et les travaux menés dans le cadre de ce projet ont mis en évidence que les notions ont un véritable impact sur la façon des acteurs locaux de penser la lutte contre l’insécurité et par voie de conséquence, sur leur façon de percevoir leur propre champ d’intervention et sur l’orientation des politiques qu’ils engagent. Tous les acteurs locaux interrogés s’accordent à considérer que le travail de prévention de criminalité qu’ils mènent consiste, selon l’un des participant, à créer une « force du calme », excluant ainsi les formes les plus dures de la criminalité du champ de leur action (tout du moins du point de vue de leur impact mais pas systématiquement de leurs causes). Si la prévention de la criminalité peut être définie comme l’intervention sur les causes du crime

31 La prévention de la délinquance en Europe, Nouvelles statégies, sous la direction de P. Hebberecht et F. Sack, L’Harmattan, 1997. 32 Il est également probable que l’utilisation du terme prévention de la criminalité par les institutions européennes ait été guidé par la difficulté de traduire d’autre dénominations. 33 Article 1er de la loi : « La sécurité est un droit fondamental et l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives. L’Etat a le devoir d’assurer la sécurité en veillant sur l’ensemble du territoire de la République, à la défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l’ordre publics, à la protection des personnes et des biens ». 34 Plan fédéral de sécurité, Ministère de la Justice, 31 mai 2001.

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afin de réduire leur survenance et leur impact 35, il est également nécessaire de préciser la notion de prévention de la criminalité dans les Etats européens. Celle-ci se distingue en premier lieu de la dissuasion qui est directement liée au fonctionnement du droit pénal. Ensuite, la prévention concerne à la fois la prévention de la victimation et celle du passage à l’acte. Enfin, elle pourra être situationnelle, c’est-à-dire éviter l’acte criminel par la mise en place de mesures techno-préventives telles que la vidéosurveillance, ou d’ordre social, et reposerait dans ce cas sur une analyse de l’insécurité en terme de défaillances des politiques économiques et sociales.

1.2.2. Le développement des politiques nationales de prévention de la criminalité au Royaume-Uni, en Belgique et en France C’est surtout à partir des années 1980 que les pays européens ont développé de nouveaux discours et de nouveaux outils dans le domaine de la prévention de la criminalité. Ils ont de ce fait réorienté leurs politiques criminelles vers le partenariat et l’échelon local. C’est principalement en Belgique et au Royaume-Uni36 que les gouvernements, fortement influencés par le néo libéralisme et une remise en cause de l’Etat providence, ont les premiers, développé de nouvelles politiques de prévention. Le cas français diffère dans la mesure où la politique de prévention de la criminalité actuelle procède de l’impulsion donnée par le niveau local. On peut considérer que le lancement en 1986, sous l’impulsion du gouvernement de Margaret Thatcher, de « l’initiative des cinq villes » (Five Towns Initiative) suivie, deux années plus tard, du programme Safer Cities qui consistait à financer des activités de prévention de la criminalité au niveau local, a marqué un tournant dans la politique du Royaume-Uni en favorisant l’émergence d’une politique de prévention de la criminalité. Il s’agissait, principalement de développer une approche transversale de la lutte contre la criminalité de la part des administrations, de responsabiliser les populations et de promouvoir l’implication du secteur privé dans la prévention (concrétisée par la mise en place la même année de l’organisation Crime Concern). Cependant, le pouvoir politique en place avait soigneusement évité de donner de nouveaux pouvoirs aux autorités locales en majorité aux mains des travaillistes. Selon Crawford, les projets ainsi mis en place ont souffert d’un manque de démocratie dans la mesure où le gouvernement conservateur ne considérait pas qu’il était mandaté par la population locale ou qu’un lien de représentation politique existait pour les membres du comité de pilotage de programme Safer Cities37. Le rapport Morgan rédigé en 1991, qui d’une certaine manière, faisant écho au rapport Bonnemaison en France (1982), a marqué le tournant idéologique le plus marquant en mettant

35 The Conjonction of Criminal Opportunity : A framework for Crime Reduction Toolkit, P. Ekblom, 2001 36 Nous ne mentionnons ici que les pays qui concernent l’étude. Cependant, il convient d’ajouter les Pays-Bas dont le gouvernement a, très tôt cherché à mettre en place une politique de prévention. En 1979, un Bureau National de la Prévention au sein de la Police avait été mis en place, et en 1983, les travaux de la Commission Roethof avaient insisté sur la mise en œuvre d’une politique de prévention à l’échelle nationale, l’implication de représentants de la société civile dans les politiques de prévention et la nécessité d’encourager la coopération et la partenariat au niveau local. Lancé en 1985, le programme Société et Criminalité, s’inscrivant dans les réflexions antérieures, avait ainsi permis de financer près de 200 projets de prévention de la criminalité au niveau local. 37 Les politiques de sécurité locale et de prévention de la délinquance en Angleterre et au Pays de Galles : nouvelles stratégies et nouveaux développements, A. Crawford in Déviance et Société, 2001.

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en avant la nécessité d’une approche partenariale de la prévention de la criminalité tout en soulignant la carence des politiques locales de prévention due à l’absence de membres élus dans les structures de pilotage. Les conclusions du rapport ayant été rejetées par le gouvernement, il fallu attendre juillet 1998 pour que le nouveau gouvernement travailliste engage une nouvelle politique en promulguant le Crime and Disorder Act38. Celui-ci a repris en partie les conclusions du rapport Morgan et a introduit deux innovations majeures39 qui ont modifié le panorama de la prévention de la criminalité. D’une part, il introduit de nouvelles unités spécialisées dans la délinquance juvénile (Youth Offender Teams) dont chaque autorité locale doit se doter. D’autre part, il dispose que les autorités locales et les polices locales (les autorités responsables) doivent mettre en oeuvre une stratégie locale de réduction de la criminalité et des « désordres ». Les Community Safety Partnership (environ 375 en 2002) ainsi mis en place se basent sur une analyse de la criminalité et l’établissement d’un plan d’action partenarial qui doit être revu tous les trois ans. Un bilan des actions engagées permet de mettre en évidence que ces partenariats locaux reflètent plus les orientations définies au niveau national (lutte contre les violences domestiques, contre les cambriolages et la criminalité liée à la drogue) qu’au niveau local notamment parce que les financements proviennent en grande partie de l’échelon national qui garde ainsi fait une maîtrise des priorités. En Belgique, c’est en 1985 que le gouvernement, partant de l’augmentation de la criminalité, d’une diminution des taux d’élucidation, et des critiques à l’égard de son appareil policier40, a donné le point de départ du développement d’une politique nationale de prévention de la criminalité - principalement situationnelle - qui a débouchée sur la mise en place d’un Conseil National de Prévention de la Criminalité au niveau national, et de Commissions de Prévention de la Criminalité au niveau provincial. Il fallut attendre 1988 avec le lancement d’un nouveau programme d’action, communément désigné Plan de la Pentecôte, faisant suite au rapport Bourgeois (30 avril 1990), pour que le gouvernement favorise le déploiement d’une politique de prévention de la criminalité à teneur plus sociale et plus locale. Ce programme prévoyait notamment l’instauration d’une concertation systématique au niveau provincial et local entre les bourgmestres, le Ministère public, les trois services de police (concertation pentagonale) et le développement local de la prévention de la criminalité. Fortement influencé par les critiques à l’égard de ses institutions41 et de son appareil policier, le gouvernement belge a dû également faire face à une percée électorale42 de l’extrême droite en Flandres et élabora un Programme d’urgence sur les problèmes de société visant à garantir la sécurité du citoyen en renforçant les actions de prévention et de lutte contre la petite criminalité. Peu de temps après, l’adoption le 9 juin 1992 par le Conseil des ministres d’une note politique sur la sécurité du citoyen43, fut concrétisée par la mise en place des Contrats de Sécurité et de Société conclus en septembre 1992 avec les cinq grandes villes du pays44 et sept

38 Disponible à l’adresse Internet suivante : http://www.legislation.hmso.gov.uk/acts.htm 39 A ce sujet : The Crime and Disorder Act, A briefing by Crime Concern, Dr. Sohail Husain, 30 juin 2002. 40 A ce sujet : Le nouveau paysage policier : Des origines aux premières leçons d’une intégration locale, P. Vanbellingen, mémoire universitaire, Ecole liégeoise de criminologie Jean Constant, Université de Liège, 2001. 41 Dewit, Waele et Magnette soulignent ainsi : « Dans aucun pays d’Europe, le taux de confiance dans les institutions centrales n’est si faible. Depuis plus de deux ans, un Belge sur cinq seulement exprime une relative confiance dans l’action du gouvernement fédéral ». extrait de Gouverner la Belgique, Presses Universitaires de France, 1999. 42 A l’occasion des élections législatives du 24 novembre 1991. 43 Cette note envisageait l’allocation de crédits supplémentaires aux communes à la condition que celles-ci respectent les priorités nationales notamment l’action sur les causes sociales de la criminalité 44Anvers, Bruxelles, Charleroi, Gand, et Liège.

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communes bruxelloises45. Un service du Ministère de l’Intérieur, le Secrétariat Permanent à la Politique de Prévention (SPP), a été mis en place peu de temps après afin d’assurer le suivi et la gestion des initiatives locales. Ces contrats s’articulaient autour d’un volet prévention et d’un volet policier. Le dispositif des Contrats de Prévention (dont le volet policier avait été amputé) fût ajouté pour les communes ayant des problèmes d’insécurité moindres. L’objectif proclamé de ces dispositifs était d’aider les communes à lutter contre l’insécurité en subsidiant des projets46 mis en place par elles et de participer à l’amélioration des conditions de vie dans les quartiers et auprès des habitants. Ce dispositif qui est reconduit annuellement par les autorités fédérales et qui a été modifié à plusieurs reprises, est désormais unifié sous l’appellation de Contrats de Sécurité et de Prévention (74 contrats de ce type en 2002). La France a elle aussi engagé à la même période une politique de prévention de la criminalité qui repose sur des principes communs à ceux qui viennent d’être évoqués pour le Royaume-Uni et la Belgique. Elle s’en distingue par son origine qui procède pour une grande part, de la capacité mobilisatrice d’un député-maire, Gilbert Bonnemaison47, auteur, en 1982, d’un rapport intitulé Face à la délinquance : prévention, répression, solidarité48. Se revendiquant d’une approche pragmatique et refusant de trancher dans le débat de l’époque sur les causes de la délinquance qu’elles soient sociales ou individuelles, il était parvenu à mobiliser au sein du Conseil National de Prévention de la Délinquance des élus de toutes tendances et à promouvoir une politique en faveur des quartiers en difficulté. En 1983, ont été lancés les Conseils Communaux de Prévention de la Délinquance véritables instances de concertation et de planification des programmes de prévention de la criminalité au niveau local, qui demeurent aujourd’hui encore, l’organe de pilotage de ces politiques dans les communes49. Cependant, la politique de prévention est restée pendant une longue période du ressort d’une politique plus globale, la politique de la ville, coordonnée par un organisme spécialement dédié crée en 1988, la Délégation Interministérielle à la Ville dotée d’une unité prévention et placée aujourd’hui sous l’autorité du Ministère de la Ville. Les années 1990 ont été marquées par une transformation profonde du paysage français de la sécurité notamment avec la création en 1991 au sein du Ministère de l’Intérieur d’un organisme spécialisé sur les questions de sécurité intérieure, l’Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure, et avec la promulgation de la Loi d’Orientation et de Programmation pour la Sécurité (1995) qui souligne l’importance de l’implication des autorités locales dans les dispositifs de prévention de la criminalité. De même, cette décennie fut l’occasion du lancement de nombreux dispositifs en lien avec la sécurité et principalement orientés autour de l’organisation des forces de polices : réorganisation de la police nationale (1996), loi sur les polices municipales, généralisation de la réforme de la police de proximité (2000). 45 Anderlecht, Forest, Ixelles, Molenbeek, Saint-Gilles, Saint-Josse et Schaerbeek. 46 Ces projets devaient être explicitement centrés sur : soit sur la lutte contre la délinquance (par exemple, l’engagement de fonctionnaires de police supplémentaires) ; soit sur des projets de prévention situationnelle; soit sur la prévention à destination des populations particulièrement fragilisées face aux phénomènes de délinquance (personnes âgées, handicapées …) ; soit la prévention des professions à risque (médecins, pharmaciens, personnel soignant, certaines catégories d’indépendants …) ; soit l’encadrement de groupes dont les agissements pouvaient être de nature à voir se développer des pratiques délinquantes. 47 L’action de Gilbert Bonnemaison s’est étendue au niveau européen et international. Il est le fondateur d’organismes tels que le Forum Européen pour la Sécurité Urbaine (Paris, France) ou encore le Centre International de Prévention de la Criminalité (Montréal, Québec). 48 Face à la délinquance : prévention, répression, solidarité, G. Bonnemaison, Commission des maires sur la sécurité, Rapport au Premier Ministre, La Documentation française. 49 Suite au changement de gouvernement intervenu en France en mai 2002, une modification des dispositifs est à prévoir. Celle-ci concernerait l’abandon des Conseils Communaux de Prévention de la Délinquance et la création de Contrats Locaux de Sécurité et de Prévention de la Délinquance.

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A l’image des Community Safety Partnership au Royaume-Uni et des Contrats de Sécurité et de Prévention en Belgique, le gouvernement français a lancé le 28 octobre 1997, les Contrats Locaux de Sécurité (603 en été 2002) un dispositif contractuel établi par le Maire, le représentant de l’Etat (le Préfet) et de la Justice (le Procureur de la République) mais étendu à d’autres partenaires. Ces contrats, dont la méthodologie a été précisée dans un guide pratique à destination des acteurs locaux50, reposent sur une analyse préalable de la criminalité et du sentiment d’insécurité ; ils comprennent deux volets, l’un relatif à la prévention de la criminalité, l’autre à la coordination des forces de police. Cependant ils se distinguent des partenariats britanniques et belges par un encadrement moins strict de la part des autorités supralocales, notamment par le fait que celles-ci n’attribuent pas aussi directement de financements aux villes.

1.2.3. Les politiques de prévention en Allemagne, Espagne et Italie Du fait de résistances dues à leur organisation administrative, mais aussi à leur histoire, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie ont plus tardivement que d’autres entrepris la mise en oeuvre d’une véritable stratégie de prévention de la criminalité basée sur des outils communs. Du point de vue de la mise en place de structures de coopération locales, l’enjeu, en Allemagne et dans une moindre mesure en Espagne, est plutôt de formaliser ou d’institutionnaliser des pratiques locales au niveau national tandis que dans d’autres pays comme l’Italie le caractère centralisé des politiques de sécurité a plus longtemps dévalorisé le rôle des coopérations locales autres que celui déclinant une politique nationale à l’échelle locale. En Espagne, les politiques du champ de la prévention de la criminalité sont d’une certaine manière, l’expression d’une transition démocratique plus tardive que dans d’autres états européens. Comme le met en évidence Recasens51, elles furent les grandes perdantes, qui de plus, ont souffert des tensions très grandes au niveau de l’Etat, à cause de la décentralisation et du manque de coordination. Ce sont les politiques les plus sécuritaires qui sont mises en oeuvre et qui concernent par nature principalement les forces de police52. Ces politiques concernent prioritairement le domaine du terrorisme, mais aussi des toxicomanies et de la délinquance juvénile. Reste qu’il n’y a pas, à l’heure actuelle, de développement de stratégies communes si des structures de concertation existent ça et là notamment dans la ville de Barcelone en Catalogne. Pour ce qui est de l’Italie, qui a comme l’Espagne procédé à des ciblages de ses politiques de sécurité et de prévention de la criminalité sur le terrorisme et de la criminalité organisée et la lutte contre la délinquance juvénile, le développement des politiques de prévention de la criminalité a longtemps pâti d’une conception centralisée de la sécurité très développée. Celle-ci a fait l’objet d’une réaffirmation par la loi n° 121 d’avril 1981 réformant le statut de la police d’Etat et a énoncé que le préfet est l’autorité provinciale de la sécurité publique. Cette même loi met aussi en place des comités provinciaux de sécurité publique dans lesquels

50 Guide pratique pour les Contrats locaux de sécurité, La Documentation française, 1998. 51 Politiques de sécurité et prévention dans l’Espagne des années 1990, A. Recasens I Brunet, in Déviance et Société, 2001. 52 L’Espagne est le pays européen dont le taux d’encadrement policier (nombre de policiers rapportée à la population) est le plus élevé d’Europe : 486 pour 100 000. Il est suivi de l’Italie (471 pour 100 000), de la France (408 pour 100 000) puis de la Belgique (377 pour 10 000).

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siègent, sous l’autorité du Préfet, les services de l’Etat en charge de ces questions à l’exception des services judiciaires. Il a fallu l’élection du maire au suffrage universel direct en 1991, pour qu’une brèche soit ouverte dans cet ordonnancement traditionnel et que les élus locaux exigent l’exercice d’un pouvoir effectif dans les politiques de prévention de la criminalité au niveau local.

Les protocoles de sécurité signés entre les Préfectures et les municipalités qui concernent désormais une soixantaine de villes et dont le premier fut signé à Modène en février 1998 sont le résultat de cette réorganisation des compétences et des responsabilités au bénéfice des élus locaux. S’ils n’organisent pas un transfert de pouvoirs, ils permettent la coordination de compétences distinctes entre maires et préfets. Cette évolution a connu une reconnaissance législative par le biais de la loi du 27 juillet 1999 ouvrant le comité provincial de sécurité au maire de la ville chef-lieu de province et au président provincial élu.

Enfin, pour ce qui est de l’Allemagne, le système fédéral oriente naturellement la construction et la mise en oeuvre des politiques de sécurité vers chacun des 16 Länder qui le composent ce qui ne favorise pas une unité des pratiques et politiques de prévention de la criminalité. De plus, le fait que la prévention de la criminalité ait longtemps été considérée comme relevant des attributions de la police, l’absence d’organismes spécialisés ou encore le faible empressement des pouvoirs locaux à prendre part à la prévention ont poussé certains à qualifier l’Allemagne de pays en voie de développement en la matière53.

Cependant, certains Länder au premier rang desquels le Schleswig-Holstein54, suivi de la Hesse ou encore de la Basse Saxe, se sont avérés précurseurs, en mettant en place des Conseils de Prévention de la Criminalité (Krimilnalpräventiveräte) réunissant notamment des représentants des ministères de l’Education, des Affaires Sociales et de la Justice. Depuis la moitié des années 1990, le paysage de la prévention s’est sensiblement modifié. Depuis 1995, la Journée Allemande la Prévention de la Criminalité qui se tient annuellement assure un échange entre les acteurs de la prévention et l’on compte désormais près de 2 000 conseils locaux de prévention de la criminalité ou structures apparentées55 (Kommunale Präventionsgremien). Le Forum Allemand pour la Prévention de la Criminalité (Deutsches Forum für Kriminalprävention ) mis en place en 2001, est chargé de développer une stratégie commune et assure une coopération entre la Fédération, les Länder et les communes.

* * *

* *

Malgré des différences souvent proclamées par les acteurs des politiques de prévention de la criminalité, les Etats se rejoignent sur plusieurs points. D’une part, les politiques de sécurité se sont progressivement élargies au champ social et on constate aujourd’hui dans une autonomisation relative du secteur de la prévention. D’autre part, des structures spécialisées ont été mises en place à l’échelon national dans une majorité de pays : Crime Reduction Unit au Royaume-Uni, Unité de Prévention de la Délégation Interministérielle à la Ville en France, Secrétariat Permanent à la Politique de Prévention en Belgique, Deutsches Forum für Kriminalprävention en Allemagne. Pour les autres, des structures associatives jouent un rôle

53 Rapport sur la démarche partenariale dans la prévention de la criminalité – Allemagne, W. Sohn, Comité européen pour les problèmes criminels, Conseil de l’Europe, 2001. 54 Le Conseil de Prévention de la Criminalité du Land du Schleswig-Holstein a été mis en place quelques semaines avant la réunification allemande. 55 Le service fédéral de la police judiciaire (Bundeskriminalamt) recense un grand nombre de pratiques locales de prévention de la criminalité : http://www.bka.de

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unificateur notable, principalement le Forum Italien pour la Sécurité Urbaine et dans une moindre mesure, le Forum Espagnol pour la Sécurité Urbaine. Enfin, le partenariat s’est imposé comme la réponse à l’augmentation de la criminalité et de la demande de sécurité. 1.3. L’émergence d’une politique européenne de prévention de la criminalité

1.3. L’émergence d’une politique européenne de prévention de la criminalité

1.3.1. Une construction relativement récente La Charte Urbaine Européenne56 proclamée en 1992 qui rassemble une série de principes sur la bonne gestion urbaine est un document précurseur. Il constitue en effet, un effort majeur dans l’élaboration d’un corps de principes d’action en matière de prévention de la criminalité censé transcender les politiques nationales en se fondant sur la pertinence de cette politique à l’échelon de la ville. L’influence de Gilbert Bonnemaison sur la rédaction du sixième thème de la Charte, Sécurité urbaine et prévention de la délinquance, n’est pas étrangère à cette approche délibérément locale et aux principes qui y sont énoncés.

Charte Urbaine Européenne (Extraits)

Thème 6. Sécurité urbaine et prévention de la délinquance PRINCIPES 1. Une politique cohérente de sécurité et de prévention de la délinquance doit reposer sur la prévention, la répression et la solidarité 2. Une politique locale de sécurité doit reposer sur des statistiques et des informations détaillées et à jour 3. La prévention de la délinquance concerne tou(te)s les membres de la cité 4. Une politique efficace de sécurité urbaine repose sur une coopération étroite entre la police et la population locale 5. Une politique locale de lutte contre la toxicomanie doit être mise en oeuvre 6. La prévention de la récidive et la création de solutions alternatives à l’incarcération constituent des objectifs essentiels 7. Le soutien aux victimes est un élément clé dans toute politique de sécurité urbaine 8. La prévention de la délinquance doit être reconnue comme une priorité sociale, et bénéficier de moyens financiers plus importants Concernant l’Union Européenne, le développement d’un modèle de prévention de la criminalité a été plus tardif. Si la Conférence de Stockholm (1996) a examiné le lien entre la prévention de la criminalité et l’exclusion sociale, c’est le Traité d’Amsterdam qui a marqué une étape importante dans le domaine de la prévention de la criminalité au niveau de l’Union Européenne.

56 Charte Urbaine Européenne, Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe (CPLRE), Conseil de l’Europe, 1992.

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En effet, celui-ci mentionne en son article 29 la prévention de la criminalité (et non la criminalité organisée) parmi les politiques de l’Union Européenne concourrant à un espace de liberté, de sécurité et de justice.

Traité d’Amsterdam (Extraits)

Article 29

Sans préjudice des compétences de la Communauté européenne, l’objectif de l’Union est d’offrir aux citoyens un niveau élevé de protection dans un espace de liberté, de sécurité et de justice, en élaborant une action en commun entre les Etats membres dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, en prévenant le racisme et la xénophobie et en luttant contre ces phénomènes. Cet objectif est atteint par la prévention de la criminalité, organisée ou autre, et la lutte contre ce phénomène, notamment le terrorisme, la traite d’êtres humains et les crimes contre des enfants, le trafic de drogue, le trafic d’armes, la corruption et la fraude [...]. Le Conseil Européen de Tampere (1999) a, par la suite, souligné l’importance de cet objectif dans ses conclusions en demandant l’intégration de la prévention de la criminalité dans les stratégies de lutte contre la criminalité et en fixant des priorités d’étude qui seront par la suite reprises par le Réseau Européen de Prévention de Criminalité et la ligne de financement européenne Hippokrates57.

Conseil Européen de Tampere (Extraits) VIII. Prévention de la criminalité au niveau de l'Union 41. Le Conseil européen demande l’intégration des aspects liés à la prévention dans les actions de lutte contre la criminalité et le développement des programmes nationaux de prévention de la criminalité. Des priorités communes doivent être dégagées et définies en matière de prévention de la criminalité, dans le cadre de la politique extérieure et intérieure de l’Union, et elles devront être prises en compte lors de l’élaboration de nouvelles dispositions législatives. 42. Il convient de développer l'échange des meilleures pratiques, de renforcer le réseau des autorités nationales compétentes en matière de prévention de la criminalité ainsi que la coopération entre les organismes nationaux spécialisés dans ce domaine, et d’étudier à cette fin la possibilité d’un programme qui serait financé par la Communauté. Cette coopération pourrait avoir avant tout pour priorités la délinquance chez les jeunes, la criminalité urbaine et celle liée à la drogue.

57 Le Conseil des ministres de l’Union Européenne a adopté le 28 juin 2001 le programme Hippokrates, programme d’encouragement, d’échanges, de formation et de coopération dans le domaine de la criminalité pour les années 2001 et 2002. Les axes de travail retenus étaient : les thèmes horizontaux concernant tant la criminalité à caractère général que le crime organisé (sentiment d’insécurité et victimation, relations entre crime organisé et la criminalité générale, la mesure des phénomènes criminels) les thèmes concernant la criminalité à caractère général (la délinquance juvénile, la criminalité urbaine, la criminalité liée à la drogue) et les thèmes concernant la criminalité organisée (mesure des phénomènes criminels, organisation du partenariat, l’utilisation des techniques de sécurisation dans la prévention du crime organisé, la coopération entre les autorités publiques et les services de sécurité interne des entreprises, la faisabilité de l’approche « crime proofing » et l’évolution des risques inhérents aux évolutions économiques, technologiques et sociales).

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D’autres dates, comme la conférence de Praia da Falésia (4&5 mai 2000) qui a été l’occasion d’identifier les lignes directrices pour des actions futures en matière de prévention au niveau européen, ont mis en évidence l’implication de l’Union européenne dans les politiques de prévention. D’une façon générale, la prévention a été abordée dans le cadre de l’Union européenne à la fois :

- De manière ‘verticale’, c’est-à-dire en relation avec certains types de crimes tels que la traite des êtres humains ou encore l’exploitation sexuelle des enfants ;

- Et de façon ‘horizontale’, notamment lorsqu’il s’est agi d’étudier les victimes de la criminalité au sein de l’Union Européenne.

1.3.2. La notion de prévention de la criminalité au niveau européen ⇒ La criminalité Si la criminalité englobe les actes délictueux commis par des individus, la Commission Européenne distingue :

- La criminalité au sens propre, c’est-à-dire les faits pénalement qualifiés de crimes dans les législations nationales ;

- La délinquance qui correspond à un niveau d’infraction pénale moins grave mais plus fréquent (type : vols, recels, agressions, fraudes, etc.) ;

- La violence qui tend à se répandre dans les milieux les plus divers (voie publique, stades, écoles, structures familiales, etc.) ;

- Et l’incivisme qui, sans constituer une infraction pénale, peut créer un climat de tension et d’insécurité.

⇒ La prévention Pour la Commission Européenne58, la prévention de la criminalité recouvre toutes les activités qui contribuent à arrêter ou réduire la criminalité en tant que phénomène social, à la fois quantitativement et qualitativement soit à travers des mesures de coopération permanente et structurée, soit à travers des initiatives ad hoc. Ces activités sont le faits de tous les acteurs susceptibles de jouer un rôle préventif, qu’ils soient issus du secteur public (services judicaires, répressifs et sociaux), bénévole (associations) ou privé (entreprises). Comme le font les Etats, l’Union Européenne distingue différentes approches de la prévention selon que celles-ci se concentrent sur les victimes, les auteurs, les personnes ou groupes à risque ou sur les situations à risque. Il faut aussi différencier les catégories de mesures de

58 Nous nous référons ici à la Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, La prévention de la criminalité dans l’Union européenne – Réflexion sur des orientations communes et propositions en faveur d’un soutien financier communautaire, COM(2000) 786 final

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prévention selon qu’elles ont pour but la réduction des opportunités, la réduction des facteurs sociaux et économiques qui favorisent le développement de la criminalité ou la prévention de la victimisation.

1.3.3. Les objectifs et priorités de la prévention de la criminalité pour l’Union Européenne Il s’agit de :

- réduire les opportunités qui facilitent le crime ; - atténuer les facteurs qui facilitent l’entrée dans la criminalité ainsi que la récidive ; - éviter la victimation ; - faire diminuer le sentiment d’insécurité ; - promouvoir une culture de la légalité ; - prévenir l’infiltration par les milieux criminels des structures de l’économie.

Afin d’atteindre ces objectifs, l’Union Européenne souhaite assurer une meilleure coordination des politiques existantes. Ainsi des liens devront être faits avec la politique sociale ou encore la politique urbaine (à ce titre, le Parlement, le Conseil des Régions et la Commission Européenne soulignent dans leurs travaux la dimension urbaine des politiques de prévention de la criminalité). De plus, la Commission a soutenu l’initiative prise par la présidence française et la Suède concernant la création d’un Réseau européen de prévention de la criminalité centré notamment sur les points soulevés lors du Conseil européen de Tampere. Plus précisément, le détail des priorités de travail de cet organisme est :

1. La délinquance juvénile : - les facteurs de risque : alcool, drogues, faibles ressources économiques et sociales ; - l’impact des programmes visant à modifier les comportements ; - les pratiques judiciaires et réparatrices ; - le partenariat entre police et services sociaux pour prévenir la délinquance juvénile. 2. La criminalité urbaine : Ici, la commission mentionne « les événements qui affectent la vie au niveau local » plus particulièrement : les cambriolages, les actes criminels contre les véhicules automobiles et les personnes ainsi que les graffitis et le vandalisme. Les mesures prioritaires concerneront ici la médiation sociale (résolution des conflits), la réduction de la criminalité par les plans d’urbanisme et d’architecture et la mise au point de normes pour la construction de véhicules automobiles. 3. La criminalité liée à la drogue :

- Les mesures répressives et de prévention ; - La prévention par le biais de politiques sanitaires et sociales

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4. Les liens entre la criminalité organisée et la criminalité en général

5. Le partenariat

Ces priorités et axes de travail sont en réalité le fruit d’une réflexion des institutions européennes sur le bilan des politiques de prévention de la criminalité entreprises dans les Etats membres :

- La valorisation d’une approche interdisciplinaire ; - L’articulation des politiques de sécurité et des politiques d’accompagnement

(politique sociale, éducative, etc.) ; - Le développement du partenariat entre les acteurs de la prévention au motif que celle-

ci n’est efficace que si elle s’appuie sur toutes les composantes de la société (notion de coproduction) ;

- Le développement d’approches qui privilégient la proximité avec les citoyens (dispositifs de police et de justice de proximité).

La réflexion européenne qui tend désormais à favoriser un modèle de politique de prévention de la criminalité n’est donc pas autonome, comme le proclament bon nombre d’acteurs nationaux et locaux, mais elle constitue une synthèse cohérente des initiatives et pratiques en cours.

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2. La prévention de la criminalité au niveau local

2.1. La démarche suivie par les villes pour la mise en oeuvre d’une politique de prévention de la criminalité Face à la multiplication des initiatives de prévention de la criminalité au sein des villes, celles-ci sont en quête d’un renouvellement de méthodologie. De plus, si la question du Comment faire ? se pose pour la réalisation d’un diagnostic de sécurité ou pour l’établissement d’un plan d’action, elle se pose également concernant la consultation des citoyens dans la mise en place des politiques de prévention de la criminalité.

2.1.1. Les villes améliorent leur connaissance de l’insécurité : l’étape du diagnostic Toutes les villes cherchent à répondre localement aux problématiques qui se posent à elles ; et face à l’insuffisance des statistiques policières, pour rendre compte de la réalité, elles ont toutes entrepris des démarches en vue de l’amélioration de la connaissance de l’insécurité. Cependant, la qualité des outils mis en place reste inégale. Même dans les pays où l’Etat n’a pas lancé de politiques partenariales de prévention de la criminalité, c’est-à-dire l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, les villes ont tout de même cherché à améliorer leurs instruments. La ville de Girona a réalisé une enquête de victimation en 1999 afin de déterminer à la fois les types de crimes dont sont victimes les habitants de la ville (en distinguant les agressions, les atteintes aux véhicules, les cambriolages, agressions et vols dans les commerces et les actes de vandalisme). Cette enquête a cependant été réalisée sur un échantillon relativement faible (364 personnes) et ses résultats restent de ce fait peu exploitables. Confrontée à la difficulté pour obtenir des informations sur les victimes et les auteurs de crimes, la ville de Modène a entrepris une démarche similaire mais qui à la différence notable de Girona, est reconduite chaque année. La ville de Bonn, sur décision du Conseil de Prévention de la Criminalité a, quant à elle, commandité en juin 1998 une analyse de la criminalité à l’Université de la ville (dans le cadre d’un projet spécifique intitulé : KRABBE) qui se veut plus complète. Elle se décompose en deux parties : d’une part, une explication de la statistique policière et d’autre part, un sondage mené auprès de 4 000 résidents de la ville. La partie relative à la présentation des statistiques policières est relativement détaillée et propose une mise en perspective de la situation de Bonn dans le Land de NordRhein Westfahlen. La section consacrée au sondage poursuivait deux objectifs : renseigner sur les victimes de crimes (type enquête de victimation) et sur le sentiment d’insécurité des populations. Concernant ce sentiment d’insécurité, les résultats sont particulièrement satisfaisants pour la ville puisque les deux tiers des personnes interrogées affirmaient se sentir en sécurité. Cependant, comme à Girona, l’analyse n’a pas été reconduite et ne permet pas d’étudier l’évolution du sentiment d’insécurité.

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C’est bien dans les villes anglo-saxonnes, belges et françaises que les outils sont les plus détaillés. A Marseille, un diagnostic local de sécurité a été réalisé en mars 1999 par une société privée de conseil en sécurité urbaine59. Ce diagnostic procède de la méthode développée par les autorités nationales qui, comme en Belgique, suppose la réalisation de ce diagnostic avant la réalisation du plan d’action (le Contrat Local de Sécurité). Ce diagnostic est relativement élaboré dans la mesure où il propose, outre une analyse « classique » des grandes catégories de faits criminels, une contextualisation des faits dans l’espace (en différenciant la situation criminelle dans les différents secteurs de la villes). De plus, la démarche entreprise s’assimile plus clairement à un diagnostic partagé, dans la mesure où l’analyse des données est issue de plusieurs organisations et non plus seulement de la police. A Liège, un diagnostic local de sécurité est entrepris de façon similaire mais est conduit annuellement. Ce sont les villes anglo-saxonnes qui produisent les analyses de la criminalité les plus évoluées. D’une part, les sources de données utilisées sont beaucoup plus nombreuses. Ainsi, les liens entre criminalité et conditions socio-économiques sont plus développés que dans les autres villes60. Les services de la ville de Brent ont mis en place un système d’information cartographique préconisé par le Home Office afin de mettre en lien les statistiques policières avec 21 indicateurs socio-économiques. D’autre part, le nombre de partenaires consultés et impliqués dans la réalisation du diagnostic atteint plus de 30 organisations à Luton. Cependant, cette avance des villes anglo-saxonnes doit être relativisée. Elle implique des ressources financières conséquentes, une capacité de mobilisation forte et une durée de réalisation relativement longue (le diagnostic de la ville de Luton a été entrepris en août 2001 et finalisé en mars 2002). De plus, la multiplication des sources de données utilisées constitue un défi pour les villes dans la mesure où tous les partenaires ne disposent pas d’informations exploitables. Enfin, comme le souligne une note du Home Office, des différences notables persistent entre les conclusions des diagnostics et les priorités qui sont définies sans que celles-ci soient toujours expliquées61.

2.1.2. Les villes se dotent de plans d’action : la formalisation des stratégies partenariales Une fois le constat de l’insécurité et de la demande sociale établi, quatre villes sur les sept étudiées disposent de stratégies formalisées dans des plans d’action. Une fois de plus, ce sont ces villes dont les pays ont mis en place des politiques plus volontaristes qui favorisent cette formalisation : en Angleterre et au Pays de Galles, avec le lancement des Community Safety Partnership ; en Belgique, avec le programme des Contrats de Sécurité et de Prévention ; et en France, avec les Contrats Locaux de Sécurité (l’exemple italien relève quant à lui beaucoup plus nettement de l’organisation des compétences entre l’Etat et la commune). Dans tous ces cas c’est donc la politique nationale considérée qui impose cette démarche. 59 La France semble être un des rares Etats européens qui compte des sociétés privées proposant de tels services (environ 70 sociétés). Dans les autres pays, les villes font plutôt appel aux universités (comme à Bonn) ou à des organisations plus importantes telles que Crime Concern au Royaume-Uni. 60 Ainsi en France, le Diagnostic Local de Sécurité de Marseille signale : « Par ailleurs, il est très remarquable de constater qu’il n’existe guère de variable sociale, économique ou démographique qui soit significativement corrélée à la délinquance commise à Marseille comme l’ont clairement démontré des études réalisées par le Cabinet Dubouchet [ la société privée impliquée dans la réalisation du diagnostic], préalables au Contrat Local de Sécurité ». 61 A review of audits and strategies produced by crime and disorders partnership in 1999, C. Phillips, M. Considine, R. Lewis, Brief Note 8/00, Home Office, novembre 2000.

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Cependant, si les autres villes ne formalisent pas de cette manière leur engagement partenarial dans la mise en place et le suivi des politiques de sécurité, il n’en reste pas moins qu’elles se dotent de structures de pilotage partenariales62. Il est à souligner que les stratégies qui sont formalisées en Angleterre et au Pays de Galles, en Belgique et en France, diffèrent en plusieurs points même si l’objectif affiché est similaire : la réduction de la criminalité et du sentiment d’insécurité. D’une part, les stratégies belges et françaises relèvent d’une logique de contractualisation verticale avec l’Etat et sont donc par essence l’expression d’un accord entre ces deux niveaux de gouvernement dans la mise en oeuvre de moyens partagés à développer à l’échelon local. En ce sens elles se rapprochent de l’exemple italien même si elles proposent plus en détails les actions à mettre en place et les moyens pour y parvenir. Les stratégies anglo-saxonnes procèdent plus d’une logique horizontale qui a pour objectif uniquement de constituer un réseau d’action local et de définir la répartition des tâches entre les acteurs locaux. D’autre part, l’approche anglo-saxonne est la seule qui impose aux villes de déterminer précisément leurs objectifs non en termes de moyens mais aussi en termes de résultats. Le Home Office résume cette démarche rationalisée à l’extrême pour les acteurs des autres pays européens par le concept SMART (Specific, Measurable, Achievable, Realistic, Time-scaled) : l’objectif de chaque action entreprise doit être spécifique, mesurable, réaliste et sa réalisation doit être échelonnée dans le temps. Cette façon de construire l’action implique donc la fixation d’objectifs chiffrés par exemple la diminution de X% de la délinquance juvénile. Ces différences conduisent à des méthodes d’évaluation différentes. En Italie et en France, l’évaluation reste largement du ressort des acteurs locaux, et n’a pas été réalisée à Modène et à Marseille. En Belgique, l’évaluation conduite annuellement par les services de la ville consiste surtout à un contrôle de l’Etat des financements qu’il apporte dans le dispositif. Enfin, en Angleterre et au Pays de Galles, les résultats des actions sont quantifiés tous les trois ans et inscrits dans les nouvelles stratégies (2002 – 2005). A titre d’exemple, la stratégie 2002 – 2005 de la ville de Luton mentionne ainsi : « Au cours de la première année de la mise en oeuvre du dispositif 91% des objectifs ont été entièrement ou partiellement réalisés ; l’année suivant a été marquée par une augmentation des performances avec un total de 97% des objectifs entièrement ou partiellement atteints [...] ». Une phrase qui surprendra bon nombre d’acteurs locaux des autres pays européens63...

21.3. La consultation des habitants est au coeur des préoccupations démocratiques des politiques locales de prévention de la criminalité La démarche de mise en place et de suivi d’une politique locale de prévention de la criminalité ne consiste pas seulement à réduire la criminalité mais aussi à diminuer le sentiment d’insécurité des populations. Les villes ont donc développé des outils qui visent à évaluer cette demande sociale et à rendre compte de leurs actions. 62 Voir partie 2.2.2. du rapport. 63 La carence des dispositifs d’évaluation des villes étudiées doit être considérée en lien avec les outils que leurs fournissent les organismes nationaux. Ainsi, le Home Office à mis à disposition des villes une méthodologie d’évaluation, une démarche qui n’a pas été entreprise dans les autres pays étudiés. La méthodologie est disponible à l’adresse suivante : http://www.crimereduction.gov.uk/evaluation.htm

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Le premier instrument des villes pour connaître la nature de la demande de ses habitants est constitué de comités de quartiers dans lesquels ces derniers peuvent s’exprimer. A Marseille, des structures de ce type animées par des bénévoles ont été mises en place depuis plus de 100 ans et les élus ainsi que les policiers y sont régulièrement conviés. Les villes de Modène et de Girona ont également une culture ancienne de la participation citoyenne à la vie publique, et il en va de même à Luton qui compte plusieurs centres de quartiers qu’elle consulte régulièrement sur les questions relatives à la sécurité. Ensuite, une majorité des villes étudiées a lancé des consultations de leurs citoyens comme cela a été mentionné plus haut avec les enquêtes de victimation et / ou sur le sentiment d’insécurité. A Marseille avait été conduit en 1999 une enquête sur les attentes des citoyens qui consistait en une analyse avec des agents de la ville « dont la fonction ou la situation prédispose à une bonne connaissance de la délinquance et du sentiment d’insécurité » et à une analyse du courrier reçu par les institutions. A Luton, ce sont 9 000 questionnaires qui ont été envoyés entre septembre et novembre 2001 en vue de la réalisation du diagnostic de sécurité. Cependant, il reste selon quasiment tous les acteurs de terrain interrogés, très difficile d’organiser des réunions spécifiques sur le thème de la sécurité dans la mesure où celles-ci comptent le plus souvent la participation d’un grand nombre de personnes revendicatives qui ne pourraient rendre compte fidèlement des attentes de la population. Les villes anglo-saxonnes se distinguent ici, une fois de plus par leur approche communautariste qui facilite la prise de contact avec certaines parts de la population. Interrogée sur la difficulté de récolter ainsi des informations, la responsable du community safety partnership de Brent indique le biais méthodologique qu’elle utilise : « Il est impossible d’organiser des réunions spécifiques. A Brent, nous avons choisi de procéder autrement : nous nous invitons à des réunions dans les quartiers au cours desquelles nous présentons rapidement nos activités. Ainsi, les habitants sont informés de nos actions et nous confient plus facilement leur attentes sans que cela prenne systématiquement une dimension revendicative exacerbée ». Enfin, malgré toutes ces difficultés, les villes tendent aussi à développer leur communication sur la sécurité pour rendre compte de leurs activités notamment au travers des médias qu’elles utilisent habituellement (journal de la ville, etc.). Elles réalisent parfois des brochures de présentation de leurs services de prévention de la criminalité et de leurs objectifs généraux comme c’est le cas à Liège. Reste que les élus locaux sont encore largement réticents à communiquer sur la criminalité et à fournir des informations très détaillées en ce sens. Dans cette perspective, le site Internet spécifiquement dédié à la prévention de la criminalité de la ville de Brent constitue une exception64.

2.2. L’organisation du dispositif de prévention de la criminalité à l’échelle de la ville Il s’agit ici de présenter les moyens mis en place par les villes pour suivre voire réorienter les actions qu’elles mettent en oeuvre. Si les organisations diffèrent d’une ville à l’autre, on constate que la structuration des services de prévention de la criminalité, et la formation de coalitions locales (comités de pilotage ou structures équivalentes) constituent une solution commune. 64 http://www.brent.gov.uk/crimezone

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2.2.1. Vers une structuration des services de prévention de la criminalité au sein des villes Même si la prévention de la criminalité tend à devenir une politique à part entière, elle ne dépend pas toujours d’une direction spécifique dans les villes. Si c’est le cas à Brent, Liège, Luton, Modène, où un service spécifique est mis en place, il n’en va pas de même à Bonn et Girona. Ainsi, on peut considérer à Bonn que le domaine de la prévention est à la fois du ressort des services de police et de la Délégation à la Jeunesse tandis qu’il reste à Girona sous la responsabilité de l’adjoint au Maire en charge de la police municipale. Enfin, à Marseille, contrairement à bon nombre de villes françaises qui comportent une délégation unique à la sécurité, le secteur de la prévention est principalement du ressort du maire adjoint au Conseil Communal de Prévention de la Délinquance, mais aussi dans une moindre mesure, du maire adjoint en charge de la police municipale. Malgré ce phénomène de structuration, les visites sur site ont parfois mis en évidence la faible lisibilité de l’organisation de la prévention de la criminalité des services de la ville. Parmi les villes qui disposent d’un secteur spécifique, seule Liège est en mesure de fournir un organigramme détaillé de son service de prévention. Les acteurs locaux ne semblent pas interpellés par ce manque de clarté pour l’oeil extérieur considérant dans la plupart des cas que « un organigramme n’est pas nécessaire, nous l’avons tous à l’esprit ». Dans les services les plus structurés, les équipes de prévention de la criminalité se composent systématiquement d’un directeur de service, d’un agent financier de chefs de projets en charge de questions spécifiques. Cependant, les fonctions peuvent varier d’une ville à l’autre ; ainsi à Brent les secteurs de la ville sont partagés entre les chefs de projets en charge de questions spécifiques (délinquance juvénile, etc.) afin de garantir en cas de troubles la présence d’un même interlocuteur pour les habitants (voire aussi pour les autres services concernés) et de permettre le suivi de l’histoire d’un quartier. Fruit de l’approche communautariste anglo-saxonne, une autre spécificité des deux villes britanniques est l’importance accordée à ce que les profils des personnes en charge de questions qui touchent à des publics particuliers soient proches de ceux de ces derniers. L’organisation du service de prévention de Liège illustre bien la nécessité pour les villes d’allier implication politique, coordination générale, mise en place concrète des projets et gestion des contraintes administratives :

- Le Manager du contrat : il s’agit ici du Bourgmestre, représenté par son Chef de cabinet. Il incarne le suivi politique du dossier de sécurité de la ville ;

- La Fonctionnaire de prévention définit sa fonction comme suit : « Il s’agit en premier

lieu de provoquer des occasions de rencontres entre personnes qui n’ont pas l’habitude de se parler, et qui ont en commun un même problème à résoudre. Il faut ensuite faire remonter, du terrain vers les autorités communales, des informations sur ce qu’il serait bon de faire pour que les choses aillent mieux. Et enfin, il faut manœuvrer une série de services différents, constitués de compétences diversifiées et rattachés institutionnellement à différentes organisations, en vue de mettre en œuvre

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concrètement les projets émanant de la concertation avec les acteurs de terrain et retenus par les autorités communales »65 ;

- Une Coordinatrice administrative et financière qui assure la gestion et le suivi

financiers des actions entreprises ; - Une Evaluatrice interne qui est en charge de l’évaluation permanente (mise en oeuvre

et effets) de ces actions ; - Les coordonnateurs des projets spécifiques.

Cette tendance à une différenciation et une spécialisation des tâches reflète une technicisation du traitement du domaine de la prévention de la criminalité. Une ville peut désormais compter jusqu’à 120 personnes rattachées à ses services (et impliquées dans ce secteur) et gérer des budgets qui atteignent jusqu’à 400 000£ / an à Brent et 3 600 000€ à Liège66. C’est aussi l’effet d’une pression forte de certains Etats qui multiplient les procédures de contrôle lorsqu’ils engagent des crédits financiers au niveau local.

2.2.2. La mise en place de coalitions locales et de comités de pilotage des dispositifs constitue une approche commune Les politiques de prévention de la criminalité sont transversales et par conséquent, leur réalisation fait intervenir un grand nombre d’acteurs, qu’ils soient issus du secteur public, privé ou bénévole. La mise en place de structures ad hoc assurant le pilotage des dispositifs est donc un élément clé de la gestion de la sécurité au sein d’une ville et de l’effectivité du partenariat constitué comme le remarque une responsable française : « C’est la cohérence des acteurs et des actions qui est difficile à obtenir pas l’implication des partenaires ». Si les contrats et autres protocoles constituent la stratégie globale, ce sont ces structures qui assurent le contrôle de la mise en oeuvre des mesures de prévention de la criminalité et la réactivité nécessaire dans la prise de décision. Ces structures de pilotage du dispositif sont soit uniques, soit multiples dans ce dernier cas, tandis qu’une commission est compétente sur l’ensemble des mesures, d’autres sont spécialisées et se constituent en sous-groupes. Même dans les villes où le secteur de la prévention de la criminalité est restreint et ne fait pas l’objet d’un seul service à part entière, il existe au moins une structure de pilotage qui sert le plus souvent à symboliser l’implication des élus. Ainsi en 1999 a été mis en place à Bonn, un Conseil de Prévention de la Criminalité présidé par le Maire et qui se réunit à son initiative ou à celle du chef de la police (une à deux fois par année). A Girona, un organe décisionnel joue un rôle équivalent mais reste principalement du ressort de la police dans la mesure où il réunit le Maire, le Maire Adjoint à la Sécurité et les représentants de la police municipale et de celle de Catalogne.

65 A l’occasion de la séance publique d’évaluation du 16 octobre 2001. 66 Le Contrat de sécurité de la Ville de Liège pour 2002 représente des financements à hauteur d’environ 2.000.000 € émanant du Ministère de l’Intérieur, d’environ 1.500.000€ émanant de la Région wallonne, et d’environ 100.000 € émanant du Ministère de la Justice.

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En France et en Italie les structures, véritables coalitions locales permanentes67, deviennent plus complexes. Comme il a déjà été évoqué, à Marseille c’est le Conseil Communal de Prévention de la Délinquance (CCPD) qui remplit ce rôle. Il se réunit en assemblée plénière une fois par an à l’initiative du Maire de la ville et rassemble alors, les acteurs de terrain, les maires de secteurs et les partenaires du Contrat Local de Sécurité. De plus, des comités de suivi concernant chaque secteur de la ville peuvent se réunir afin de suivre et coordonner les actions plus particulièrement entreprises sur leur territoire. Ils peuvent également formuler des propositions aux instances supérieures. Enfin, des commissions thématiques, pilotées par des représentants de la justice, de l’Etat ou de l’Education, sont chargées d’analyser et d’élaborer des stratégies particulières (accès au Droit, prévention de la récidive, délinquance des mineurs, violence à l’école, toxicomanie, transports, lieux sensibles et squats, et errance). A Modène, il s’agit du Comité Provincial d’Ordre Public, lieu de conception et de suivi des actions entreprises dans la ville, réuni toutes les 3 semaines et dans lequel siègent le Préfet, le Maire, le Président de la Province, les représentants des forces de police. A Liège, le Comité de Pilotage réunit mensuellement la plus grande partie de l’équipe du Contrat de Sécurité et de Prévention à laquelle s’ajoute le commissaire de police ainsi que des représentants de services de la ville concernés (par exemple, le Directeur de l’Aide Sociale). Enfin, au Royaume-Uni, la mise en oeuvre des community safety partnerships favorise une structure générale plus complexe du dispositif au sein de laquelle les compétences doivent être bien définies. Ainsi à Luton, la structure se décompose en quatre paliers dans lequel un acteur pourra siéger mais il exercera des fonctions différentes :

1. Le Stakeholders Group a pour principale fonction de conseiller le comité exécutif (Executive Group). Le groupe est constitué 26 membres représentants la justice, la police, la santé, l’université de Luton, la Chambre de commerce, des organismes privés et du secteur associatif, les habitants, etc.

2. L’Executive Group doit s’assurer de l’effectivité de la conformité du plan d’action

avec les obligations légales inscrites dans le Crime and Disorder Act. Il est composé des représentants de la police de différents services de la ville, ainsi que de l’équipe du service de prévention de la criminalité.

3. Les Implementations Groups sont chargés de la mise en oeuvre concrète du plan

d’action pour le domaine qui les concerne. Ils constituent 6 groupes restreints dédiés à des thématiques ou des priorités spécifiques (par exemple en matière de délinquance juvénile). Chaque groupe est présidé par un représentant qui doit rendre compte des actions entreprises à l’Executive Group.

4. Enfin, le Crime and Disorder Managers Group contrôle l’exécution des actions selon

les directives de l’Executive Group ; il est composé de chacun des représentants des 6 Implementations Groups.

La composition des structures de pilotage appelle plusieurs remarques. D’une part, la composition des dispositifs implique systématiquement la présence des autorités locales. A ce titre, la présence de représentants des services de la ville ne représente pas une innovation et

67 Nous définissons la coalition locale comme une entente circonstancielle entre puissance, partis, personnes, etc. pour une action commune.

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n’est qu’une simple application des compétences municipales de droit commun68. C’est bien du côté de la présence des élus que se situe la question de l’implication des pouvoirs locaux dans les dispositifs évoqués. Contrairement aux constats habituellement établis, cette présence est effective dans une majorité de dispositifs. De plus, le maire dispose dans une majorité d’Etats européens de compétences importantes en matière de sécurité. Il s’agit particulièrement des pouvoirs en matière de police comme en France où le maire peut créer une police municipale, ou encore en Belgique où le Bourgmestre exerce de la même manière ses compétences en matière de police municipale69. D’autre part, la police contrairement à la justice, est omniprésente dans tous les structures partenariales et ce, à toutes les étapes : élaborations des diagnostics de sécurité, définition des orientations et contrôle des actions entreprises. Les entretiens menés dans les villes notamment auprès des représentants associatifs confirment cette prégnance de la police sur les actions de prévention. Les policiers eux-mêmes reconnaissent l’envergure de leur action et l’attribuent parfois à une carence des autres institutions en terme de dispositifs d’évaluation. Un policier britannique affirme ainsi : « la Police demeure l’organisation la plus importante du partenariat dans la mesure où de fait, elle dispose de la majorité des données qui concernent la criminalité et parce que presque tous les partenaires ont besoin d’elle pour la réalisation des action ». Enfin, les habitants ou encore les publics cibles restent les grands absents dans la production et le suivi des politiques de prévention. Ceci n’est pas spécifique et s’entend, malgré des expériences locales innovantes, largement au champ des politiques sociales70. Le citoyen n’est pris en considération que lorsqu’il exprime une demande à sa propre initiative (courriers envoyés aux élus, vote aux élections municipales, etc.), et reste considéré comme un usager à qui l’on destine les politiques. Les villes anglo-saxonnes se distinguent par leur souci d’implication des communautés : implication de représentants d’habitants dans le Stakeholders Group de Luton.

2.2.3. Deux modèles de pilotage de la politique de prévention de la criminalité à l’échelon local : le pilotage par l’Etat et le pilotage par les collectivités territoriales L’étude des sept villes du projet fait émerger deux modèles de pilotage de la politique de prévention de la criminalité soit le pilotage est pris en charge par les autorités nationales, soit par les autorités locales. Dans le premier cas, ce sont les autorités nationales qui sont les pilotes du dispositif local. C’est le cas à Liège, Modène et Marseille. Ces trois villes sont dotées de dispositifs partenariaux qui nécessitent une contractualisation avec l’Etat. L’implication de l’échelon

68 Le partenariat dans la prévention de la criminalité : Réflexions sur la composition du partenariat, à partir de quelques exemples européens. A. Wyvekens, Comité d’experts sur le partenariat dans la prévention de la criminalité, Comité européen pour les problèmes criminels, Conseil de l’Europe, 2001. 69 En vertu de la loi du 7 décembre 1998, dans le cas où la zone de police locale comprend plusieurs communes, la gestion et l’organisation du corps local est confié à un collège de police constitué des Bourgmestres de la zone concernée. Cependant, dans ce dernier cas, chaque Bourgmestre reste responsable de la sécurité de l’ordre public et de la salubrité sur le territoire de sa commune. 70 Les politiques partenariales et contractuelles de lutte favorisent-elles une approche intégrée et globale de la lutte contre l’exclusion sociale ?, JP Buffat, Forum Européen pour la Sécurité Urbaine, 2001.

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national s’exprime d’une part, parce que l’Etat, en la personne du Préfet, est un signataire obligatoire du contrat, c’est le cas de Marseille et de Modène ; d’autre part, lorsque l’Etat devient le financeur des actions, il encadre étroitement le dispositif : c’est le cas de Liège. C’est bien à Liège que l’influence des autorités nationales se fait le plus sentir. Ce sont en effet elles qui financent annuellement la grande majorité des actions entreprises dans le cadre du Contrat de Sécurité et de Prévention. Le Secrétariat Permanent à la Politique de Prévention est chargé, au sein du Ministère de l’Intérieur, d’assurer le suivi administratif et financier des contrats ; des conseillers locaux procèdent à l’évaluation des projets mis en place. Dans le cas de Modène, même si, comme le souligne le Chef du cabinet du Préfet de Modène « le Maire est le premier interlocuteur des citoyens », le Préfet demeure en faits et en droit le pilote de la stratégie de sécurité mise en oeuvre dans la ville. Le Contrat de Sécurité (Contralto Di Siccurezza) signé le 27 mars 200071 organise la coordination des compétences entre le maire et le Préfet : le premier se voit confié la politique de prévention tandis que le second conserve ses attributions de répression. Comme cela a été mentionné précédemment, c’est en effet lui qui préside le Comité Provincial d’Ordre Public. Enfin, pour ce qui est de Marseille, le Contrat Local de Sécurité, signé le 29 mars 1999 reflète la prédominance de l’Etat dans l’impulsion de la politique de prévention de la criminalité de la ville. Ce document est en effet signé par le Préfet de Région. Cependant, la prégnance de l’Etat dans le suivi des actions doit être ici relativisée dans la mesure où, comme le note un bilan d’étape réalisé à l’échelle nationale72 : « [...] l’absence d’un coordonnateur ‘Etat’ des CLS [Ndlr : Contrats Locaux de Sécurité], face aux coordonnateurs CLS des communes, a constitué un réel handicap notamment dans les départements les plus importants ». L’Etat ne finance pas directement la ville pour la mise en place d’une stratégie globale de prévention de la criminalité. De plus, malgré la présence de plusieurs organismes publics spécialisés, l’encadrement par l’Etat reste limité. La relative carence de l’expertise publique dans le soutien méthodologique à la mise en place de dispositifs locaux a même poussé l’Etat à mettre en lumière la faiblesse des dispositifs mis en oeuvre73. Dans les autres villes, Bonn, Brent, Girona, et Luton, les dispositifs sont pilotés localement par les services des villes et demeurent sous leur contrôle. Cependant, le cas des villes britanniques doit être sensiblement distingué de celui des autres pays. En effet, si le Crime and Disorder Act dispose que les autorités responsables, c’est-à-dire la police et les autorités locales, sont chargées de l’élaboration et de la mise en oeuvre de la stratégie de prévention de la criminalité (dans le cadre des Community Safety Partnership), la prégnance du pouvoir national se fait sentir à plusieurs niveaux. D’une part, le gouvernement lance régulièrement des programmes spécifiques (par exemple, sur la vidéosurveillance ou sur la délinquance juvénile) qui orientent les priorités des politiques locales. Comme le confie un représentant d’une ville britannique : « Si la prévention situationnelle, qui se concrétise notamment par l’usage de caméras de vidéosurveillance, se développe parfois au détriment de la prévention sociale, c’est parce que le gouvernement apporte des financements en ce sens ! ». De plus, le ministère de l’Intérieur met à disposition des acteurs locaux une méthodologie, qui semble au 71 Ce Contrat s’inscrit dans la continuité du Protocole d’Entente signé en février 1998. 72 Troisième Rapport de la Mission Interministérielle d’Evaluation des Contrats Locaux de Sécurité, 2001. 73 « Certains contrats ont cependant reposé sur des diagnostics peu satisfaisants car élaborés d'une manière trop hâtive.[...].Le partenariat est encore parfois trop étroit pour prendre en compte tous les aspects de l'action à promouvoir. ». Circulaire intermistérielle du 7 juin 1999.

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regard des expériences étrangères très développée74 et qui tend à unifier les pratiques locales de prévention de la criminalité75.

2.3. Les politiques locales de prévention de la criminalité affichent des priorités communes et procèdent à des ciblages similaires Malgré les différences inhérentes aux cadres nationaux et aux structures qui en découlent, les villes affichent des priorités communes qui se rapprochent de celles fixées au niveau européen. Elles peuvent se distinguer en trois catégories. La première concerne des territoires spécifiques au sein des villes dans lesquels les taux de criminalité sont les plus élevés ou qui sont les plus stigmatisés. La seconde a trait à des publics prioritaires notamment les jeunes et les personnes âgées mais aussi des « professions à risques ». Enfin, la lutte contre les toxicomanies constitue une priorité commune. Les réponses des villes face à ces priorités d’action peuvent différer à la fois dans la méthode adoptée et dans les moyens mis en oeuvre. Chaque grande catégorie de ciblage sera par conséquent illustrée de projets concrets mis en place par les acteurs locaux.

2.3.1. Les politiques territorialisées Le ciblage des quartiers spécifiques au sein de la ville est une tendance forte des politiques locales de prévention de la criminalité. Elle peut se concrétiser au travers de la mise en place de dispositifs techniques (prévention situationnelle) qui visent à un contrôle effectif des territoires par les autorités. C’est le cas des installations de vidéosurveillance, notamment à Brent qui compte désormais près de 68 caméras, ou encore d’une installation similaire prévue dans le centre-ville de Marseille. Cependant, ces dispositifs particulièrement onéreux76 ne constituent pas la plus grande part des réponses à destinations de territoires difficiles, et les acteurs locaux ont encore du mal à évaluer leur apport. La mise en place de projets axés sur la prévention sociale qui répondent à des besoins spécifiques à un quartier déterminé, se retrouve dans toutes les villes étudiées. Elle est même explicitement mentionnée dans les stratégies de prévention de la criminalité anglo-saxonnes que l’on caractérise parfois trop schématiquement par leur communautarisme. Ainsi à Brent des actions spécifiques sont entreprises à destination des secteurs de Kilburn ou de Wembley où sont notamment mis en place des dispositifs à destination des publics les plus jeunes. Un Centre de jeunesse de Wembley a ainsi été installé dès 1992 à destination des jeunes du quartier. Ils se voient proposer des activités culturelles et sportives (soutien scolaire, initiation à la musique et à la danse) et des policiers viennent régulièrement s’entretenir avec eux. Girona a quant à elle, installé 7 Centres civiques dans chacun des quartiers de la ville particulièrement destinés aux populations les plus jeunes. Ces centres dont certains ont été financés en partie par des fonds communautaires visent particulièrement à rassembler des

74 Cf. partie 2.3.1. du rapport. 75 Cette méthodologie est diffusée sur Internet : http://www.crime-reduction.gov.uk/toolkits 76 A titre indicatif, les financements obtenus par la ville de Brent représentaient environ 2,1 millions de Livres Sterling.

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sources d’informations utiles (recherche d’emploi, etc.) et proposent des formations (alphabétisation, initiation aux activités artistiques, etc.). Les projets en direction de territoires ciblés ont également pour objectif de lutter plus explicitement contre la stigmatisation de ces lieux. C’est le cas des quartiers du nord de la ville de Bonn (notamment le secteur de Dransdorf) considérés comme particulièrement touchés par le faible niveau de ressources financières de ses habitants, une montée des conflits dans les familles ainsi qu’à l’école ont fait l’objet d’une attention particulière des services de la villes. Ceux-ci y ont lancé le programme « Tolérance puissance 3 » (Toleranz Hoch Drei)77 avec pour objectif de rehausser l’image de ces quartiers et d’y promouvoir la tolérance en améliorant l’intégration sociale des jeunes. Une attention particulière est portée à ce que tous les projets entrepris dans le cadre du programme fassent l’objet d’une large diffusion sur des supports multimédias. Enfin, des projets d’importance peuvent viser à la fois la lutte contre l’insécurité et le sentiment d’insécurité d’un territoire spécifique comme c’est le cas à Liège avec la mise en place du Foyer Permanent de Sécurité du quartier de Bressoux-bas / Droixhe. Le dispositif ainsi déployé à la décision des élus, a pour objectif de combiner plusieurs programmes sur ce secteur dans une perspective globalisante. Les différentes phases de mise en place du dispositif, dans ce quartier particulièrement difficile, illustrent la méthodologie employée dans une pareille situation :

1. Réponse immédiate à la demande des habitants : en 1999, à la mise en oeuvre du projet, un mouvement citoyen fortement revendicatif s’était rapidement mis en place au point que la situation de ce quartier ait été qualifiée « d’insurrectionnelle » par les services de la ville Le Chef de projet envoyé au contact de la population a dû promettre aux habitants la « présence préventive permanente » d’équipes de policiers et gendarmes, d’une part, d’équipes de civils, d’autre part.

2. Développement d’un partenariat avec la Justice afin que les enquêtes judiciaires

nécessaires soient menées. Ce partenariat a abouti à l’arrestation des jeunes et adultes les plus impliqués dans des circuits de criminalité et leur maintien en détention. Le Foyer Permanent de Sécurité est chargé de placer rapidement sur le terrain des intervenants de première ligne capables d’aller au contact des jeunes qui occupent les rues du quartier.

3. Mise en place de l’équipe : l’ensemble des agents communaux susceptibles d’être

associés à ce type de mission est recensé : animateurs de maisons de jeunes, moniteurs sportifs, animateurs d’ateliers créatifs, travailleurs sociaux et éducateurs. Ils sont ensuite répartis entre intervenants de première ligne et intervenants de seconde ligne, les premiers recevant pour mission d’approcher le public ciblé en 3 phases : une phase d’immersion ; une phase de dialogue ; une phase de récolte des demandes, tout en expliquant sa mission dès le premier contact avec les personnes.

4. Analyse de la demande et des besoins : le recensement des demandes des jeunes a été

réalisé, travaillé avec eux puis présenté aux responsables des services communaux, d’une part et associatifs, d’autre part. Cependant, peu de suites concrètes ont été apportées en dehors d’une action directe du Foyer Permanent de Sécurité lui même.

77 Une présentation de ce programme est disponible à l’adresse suivante : http://www.toleranz-hoch-drei.de

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L’apaisement du climat social a été obtenu par l’action conjuguée de la Police, de Justice et des services de la ville et par la définition des modalités de coopération concernant l’échange des informations entre ceux acteurs. Ainsi le commissariat soumet au médiateur de quartier les conflits de voisinage dont il a connaissance. Celui-ci entreprend une médiation mais se retire dès qu’une des parties décide de faire enregistrer un dépôt de plainte. Mensuellement, un rapport personnalisé est transmis en retour au commissariat de quartier. Le commissariat de quartier informe également les médiateurs parentaux lorsque leur intervention apparaît nécessaire. De plus, les fonctions ont été précisées principalement concernant les éducateurs de rue : c’est le rôle d’éducation à la citoyenneté qui est mis en avant. La police n’attend pas d’eux qu’ils jouent un rôle de médiation en cas de trouble de l’ordre public (type tapage nocturne, rodéo, etc.) sauf dans le cas où ils seraient parvenus à établir préalablement une relation de confiance avec les jeunes concernés, qui leur paraît les autoriser à intervenir.

2.3.2. Des politiques à destination de publics spécifiques : les jeunes et les personnes à risques Outre la nécessité de répondre aux besoins spécifiques des quartiers au sein d’une ville, un autre axe fort des politiques de prévention de la criminalité est qu’elles se destinent à des publics spécifiques. Les jeunes78 sont à l’évidence une priorité des politiques nationales et locales et font le plus souvent l’objet de programmes spécifiques d’importance. D’autres publics font également l’objet d’une attention particulière ; il s’agit notamment des personnes âgées, des minorités ethniques ou des populations les plus précarisées et enfin, des professions à risques (c’est-à-dire pour lesquelles on considère que les risques de victimation sont plus grands).

• Les dispositifs à destination de la jeunesse constituent un axe fort des politiques locales de prévention de la criminalité

Les jeunes, comme l’indique l’analyse de la criminalité, sont une préoccupation commune pour les acteurs locaux. Il convient de rappeler que les acteurs locaux soulignent l’implication des jeunes dans la criminalité à la fois comme auteurs et comme victimes. Les dispositifs mis en place sont extrêmement variés et vont de la simple sensibilisation de ces publics (comme dans le cas des centres de jeunesse décrits précédemment) et à des mesures d’encadrement beaucoup plus strictes visant à la réinsertion dans la société. Un point commun des expériences étudiées et que les acteurs locaux s’accordent sur la mise en place de stratégies qui impliquent véritablement les jeunes et les responsabilisent. Comme le remarque le responsable du Centre de Jeunesse de Wembley : « Les efforts que les jeunes doivent fournir dans le cadre du projet est une condition de réussite essentielle ». Une des spécificités du secteur de la jeunesse au sein de la prévention de la criminalité est peut être sa capacité mobilisatrice. Il fait intervenir un grand nombre d’acteurs et plus particulièrement ceux issus du secteur associatif notamment lors de la mise en place de dispositifs de médiation ou de réinsertion. Nous présentons ici quelques initiatives représentatives de ce qui est à l’oeuvre dans les villes étudiées.

78 Nous avons précédemment évoqué que le terme ‘jeune’ tel qu’il est utilisé par les acteurs locaux ne renvoie pas nécessairement à l’âge de la majorité civile. On se reportera pour plus de détails à la première partie du présent rapport.

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A Modène où des activités d’information (« Informabus ») facilitent la prise de contact des services de la ville avec de groupes informels de jeunes. Toujours à Modène, une assistante sociale du Tribunal des mineurs a été détachée à la ville79 afin de suivre tous les faits criminels qui relèvent de la jeunesse. Avec un éducateur, elle assure le suivi des familles défavorisées, des mineurs en difficulté et travaille, si besoin est, avec des associations, voire même avec des psychologues pour assurer ces suivis. A Bonn, une collaboration entre le Tribunal de Jeunesse et les services de la ville a également été engagée : les représentants de la Justice (Procureur de République ou Tribunal de jeunesse) en partenariat avec les services de la ville peuvent prendre des mesures afin que les jeunes suivent des formations (14 – 17 ans) en matière de conduite automobile. Le travail de la ville de Modène ne s’arrête pas là et a favorisé la mise en place de procédures de médiation des conflits entre groupes de jeunes et habitants des quartiers les plus sensibles. Les activités de médiation à destination des jeunes se retrouvent dans toutes les villes et n’est pas surpris compte tenu de la richesse du tissu associatif de Marseille que cette thématique mobilise dans cette ville un nombre important d’associations exerçant sur ce champ80. Certaines ce sont spécialisées sur la question des mineurs en errance, c’est notamment le cas de Jeunes Errants ou dans une moindre mesure d’ADELIES (Association de Développement d’Entreprises Locales d’Insertion Economiques et Sociales). Un dispositif particulièrement original a été mis en place par l’A.R.S. (Association de Réadaptation Sociale) : le Service Prévention de Nuit. Le travail du Service Prévention de Nuit (SPN) est un travail d’écoute, d’orientation et de réponse à l’urgence. Les équipes du SPN proposent toujours aux jeunes de les ramener chez leurs parents afin d’avoir un échange avec ces derniers. Les équipes du SPN sillonnent toute la nuit (de 20h30 à 4h du matin) du lundi au samedi les rues du centre-ville de Marseille depuis 1997. En semaine et en journée, une permanence - accueil et une permanence déambulatoire sont tenues en centre-ville de 16h30 à 19h, ceci afin de poursuivre les contacts pris avec les jeunes au cours de la nuit et de les aider à se réinsérer. Deux policiers membres de l’équipe travaillent à tour de rôle et reconnaissent devoir « jongler » entre leur rôle de préservation de la sécurité publique et le travail de prévention. Le SPN a tissé des liens avec tout un réseau d’acteurs de la nuit tels que les institutions publiques (policiers, assistants sociaux, etc.) ou encore les restaurateurs et les représentants des compagnies de transports. Lors de l’année 2000, le SPN a rencontré 1 600 jeunes dans la rue de nuit (dont 63 % de garçons, 43 % de mineurs, 65 % de nationalité française et 40 % en errance). Ces jeunes connaissent aussi des troubles psychologiques importants et sont très souvent en conflit avec leurs parents. Ces rondes de nuit ont permis de faire une cartographie précise des lieux où l’on retrouve majoritairement certaines formes de délinquance comme l’alcoolisme, la toxicomanie ou la prostitution. Outre le SPN, on peut également citer, toujours pour Marseille, l’action de l’ADEJ (Accès au Droit des Enfants et des Jeunes), une association dont la ville est membre de droit et finance partiellement. Cette association a pour objet et but de favoriser l’accès au Droit des Enfants et des Jeunes. Elle travaille principalement avec des collèges et des écoles de zones difficiles.

79 Le Tribunal des Mineurs se situe à Bologne et a une compétence régionale. 80 Près de 92% du budget direct de fonctionnement du Conseil Communal de Prévention de la ville de Marseille (410 545 €) sont consacrés à des subventions aux associations.

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Cet accès au Droit est certainement le meilleur moyen d’endiguer la délinquance dès le départ et lors de la structuration psychologique des individus et des esprits citoyens. L’ADEJ forme aussi des adultes éducateurs et enseignants à la pratique de l’accès au Droit. Cette association travaille avec l’Éducation Nationale et est financée par les partenaires institutionnels, dont la ville de Marseille par le CCPD, l’État, le Conseil Général et la Région. La question de la jeunesse est également un axe fort des politiques des villes anglo-saxonnes. Le gouvernement a lancé à destination des autorités locales un programme de ciblage des 50 jeunes les plus à risque (c’est-à-dire ceux qui pourraient basculer dans la criminalité en tant que victimes et auteurs) : le projet de lutte contre l’exclusion des jeunes (Youth Inclusion Programme81). Cette technique de ciblage des populations est spécifique aux villes britanniques, Luton et Brent qui ont, par ailleurs, développé des méthodologies particulièrement évoluées en matière de délinquance juvénile. Les deux villes ont mis en place avec l’organisation Crime Concern un programme intitulé Mentoring+. Ce dispositif est à destination de jeunes à risque de 11 à 19 ans. Il réunit un nombre important de partenaires (jusqu’à quatorze dans un même quartier) notamment les écoles de la ville qui permettent de détecter ces publics. Le programme se décompose en plusieurs projets tels que le Safe in the City (En sécurité dans la ville) destiné à prévenir l’errance des jeunes notamment en mettant en place des médiations entre parents et enfants, le Brent Youth Action (Action Jeunesse), dans lequel les jeunes sont impliqués afin de soumettre les problèmes qu’ils vivent au quotidien. Les acteurs attribuent le succès de ces projets à l’implication de jeunes pour des dispositifs qui concernent des jeunes. Ainsi, des jeunes qui ont eu des difficultés sont formés dans les projets et peuvent à l’issue de leur formation encadrer d’autres jeunes notamment en leur proposant un soutien scolaire. Ces jeunes mentors ne sont en aucun cas rétribués financièrement, mais les équipes du projet estiment qu’il est essentiel que leur action soit reconnue (notamment en leur remettant des certificats à l’issue des formations qu’ils suivent).

• Les dispositifs à destination de publics à risques Si la jeunesse est l’objet du plus grand nombre de mesures dans les dispositifs de prévention de la criminalité des villes étudiées, d’autres populations font l’objet d’attentions particulières principalement parce qu’ils ont été victimes ou du fait de leur profession qui les expose à des risques spécifiques, ou encore leur vulnérabilité à certains types de crimes. Il s’agit premièrement des mesures de médiation qui concernent à la fois les victimes et les auteurs de crimes. C’est notamment le cas à Marseille, où l’association ASMAJ (Association de soutien à la Médiation et aux Antennes Juridiques) pratique des consultations juridiques (54%) et de la médiation civile et pénale (9%) dans le cadre d’affaires sélectionnées par les représentants de la Justice. La seule condition à l’engagement d’une procédure de médiation est le consentement des deux parties et leur implication dans le processus. Cette médiation recherche des solutions, librement négociées, à un conflit opposant des parties, dont l’une au moins, a déposé plainte à la suite d’une infraction commise. Le médiateur tente de concilier les parties opposées, en respectant le Droit. Cela permet de sensibiliser l’auteur d’une infraction pénale et de lui faire prendre conscience de ses actes en le motivant pour « réparer » les conséquences. De plus, la victime peut s’exprimer et participer au processus de « réparation ». Rien n’est fait sans le consentement bilatéral des parties ; le taux de réussite se situe aux alentours de 50%. Les échecs sont principalement renvoyés devant les tribunaux. A Liège, un Service d’Accompagnement des Mesures Judiciaires Alternatives (SAMJA) assure 81Des informations sur ce programme sont disponibles à l’adresse suivante : http://www.youth-justice-board.gov.uk

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un suivi des adultes effectuant des peines alternatives qui se concrétisent par un travail d’intérêt général ou une formation socio-éducative. Plus spécifiquement, orientée vers les seules victimes, la ville de Modène a mis en place trois services d’aide aux victimes qui offrent une aide matérielle et psychologique, notamment pour les immigrés victimes de discriminations raciales. De même, à Liège un Service d’Assistance Policière aux Victimes (SAPV) a été ouvert afin de permettre aux victimes de disposer d’une aide et d’être orientées vers d’autres dispositifs. A Bonn, la police propose à des jeunes filles et des jeunes femmes des formations (20 heures pour les jeunes filles / 30 heures pour les jeunes femmes) sur la lutte contre le harcèlement sexuel qui permettent à la fois de les sensibiliser mais aussi de détecter celles qui auraient été victimes de tels agissements afin de les orienter vers les services compétents. Ensuite, les professions qui sont le plus exposées à certaines formes de criminalité font également l’objet de dispositifs de plus en plus évolués qui s’inscrivent dans les stratégies de prévention de la criminalité des villes. A Luton, une division spécifique, la Crime Reduction Unit, a développé le projet Business Watch, qui consiste en un système radio reliant les commerçants, les services de sécurité privée et la police locale. Par ce moyen de transmission d’information, on communique aux commerçants les nouvelles qui concernent la criminalité (les nouvelles méthodes criminelles, les auteurs suspectés, etc.). Le dispositif a été récemment étendu aux discothèques et aux pubs. Cependant, la ville doit faire face aux réticences des pubs qui chaque année doivent demander le renouvellement de leur licence et par conséquent ne veulent pas être mal vus par les services de police. A Liège, le programme CAP – Sécurité (Coordination des Actions Préventives et de Sécurité) est destiné aux buralistes, aux agents des services de la Poste et aux médecins qui effectuent des gardes de nuit. Ce programme allie à la fois prévention technique (systèmes de communication avec les services de police semblables à ceux développés dans le projet Business Watch de Luton) et sensibilisation et formation de ces publics afin de réduire les risques de victimation. Ainsi, pour ce qui est des médecins généralistes, le projet fait l’objet d’une convention entre la Ville, le Groupement des Généralistes Liégeois, le Télésecrétariat, la Police et la Gendarmerie. Un protocole d'intervention garantissant l'intervention policière en cas d'appel par le médecin a été mis en place. De plus, les médecins participent à des séances d’information qui leur présentent le système, mais aussi d’autres mesures de prévention générale. S’inscrivant dans une démarche similaire, plusieurs villes ont également des projets qui visent à renforcer la protection notamment en matière de cambriolages chez certaines couches de la population. Si à Bonn la police en partenariat avec des services de sécurité privée proposent des formations à la sécurisation des habitations (installations d’alarmes, etc.), c’est certainement à Luton qu’a été mis en place un des projets les plus innovants en la matière. Celui-ci concerne les personnes âgées (entre 70 et 90 ans) auxquelles on dispense des formations et conseils sur la manière de lutter contre l’intrusion de personnes à son domicile. L’innovation provient du fait que les services de la ville fournissent à ces personnes des moyens pour se prévenir des vols (« Granny Boots »82) relativement simples. Les visites de villes ont mis en évidence que si les questions relatives aux prostitués (hommes ou femmes) sont souvent citées comme prioritaires notamment par les élus, de rares exceptions près, les villes investissent encore peu directement ce champ. Pour la ville et la 82 Le « Granny Boot » est un simple tasseau de bois qui permet aux personnes âgées de bloquer leur portes lorsqu’elles doivent l’ouvrir.

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police, cette thématique souvent affichée comme une priorité politique, est complexe, et relève principalement de l’ordre public. Il s’agit donc la plupart du temps de démanteler les réseaux d’exploitation et de trafics d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle et de diminuer la visibilité du phénomène. Modène a ainsi mis en place un groupe de travail sur la prostitution réunissant la Préfecture et les services de la ville (notamment le Centre pour les Etrangers, la Police Municipale ainsi que des associations d’aide aux victimes). La problématique de la prostitution engage pourtant également des questions qui relèvent de l’aide aux victimes, et ce sont alors majoritairement les associations (telles qu’Icare à Liège ou encore l’ARS à Marseille) qui interviennent.

2.3.3. Les politiques en matière lutte contre les toxicomanies constituent désormais une priorité des politiques locales de prévention de la criminalité Le fait que la lutte contre les toxicomanies soit devenue une priorité dans la majorité des villes, à la fois sous l’angle de la santé et de la sécurité n’a pas été évident dans la mesure où elle impose l’intervention d’acteurs dont les objectifs et pratiques peuvent s’opposer. Comme le confie un travailleur de rue de la ville de Bonn : « la Police a mis du temps à comprendre qu’on ne pouvait pas leur donner d’informations ! Sinon on peut changer de métier ! Par contre, on leur demande parfois qu’ils nous fournissent des informations... ». Depuis, un local réunissant policiers et travailleurs de rue a été installé dans la ville, mais ceux-ci n’y tiennent pas de permanences aux mêmes heures... Cette nécessité de dépasser les clivages entre secteur de la santé et secteur de la sécurité a également été ressentie à Modène, où un conflit de principe qui avait opposé les éducateurs engagés dans la réduction des risques auprès des toxicomanes et les policiers a décidé la ville à mettre en place un groupe de travail sur la lutte contre les toxicomanies. Le partenariat établi sous la coordination du Directeur des services sociaux réunit aujourd’hui un grand nombre d’acteurs ( Préfecture, Police d’Etat, Police municipale, représentants du secteur de la sécurité de l’éducation, etc.) et a permis d’aboutir à la mise en place d’un service d’aide aux toxicomanes. Ce service s’occupe du soin, du suivi et de la réduction des risques auprès des toxicomanes. En parallèle, la ville a développé des activités de sensibilisation des plus jeunes dans les discothèques (Projet intitulé « Buona la Notte »). Comme le remarque une représentante du secteur de la santé de la ville de Marseille, c’est l’action des élus qui s’est avérée décisive pour dépasser ces clivages professionnels : « Ce sont les élus qui ont permis la coexistence de politiques sanitaires avec des politiques plus sécuritaires. Nous nous posons les problèmes ensemble afin qu’il y ait un point de vue santé dans les dispositifs de sécurité ». Reste que l’accès des plus marginalisés aux espaces de soins est devenu un objectif prioritaire pour les pouvoirs locaux. La ville de Marseille compte désormais de nombreux dispositifs à destination des toxicomanes notamment des animateurs de prévention. Cependant, les acteurs locaux reconnaissent que si la réduction des problématiques liées aux toxicomanies est possible dans les espaces publics, elle reste beaucoup plus difficile à réaliser dans les espaces « fermés » (les écoles par exemple). Les villes anglo-saxonnes se distinguent en liant la thématique des toxicomanies à celle de l’alcoolisme. A Luton, un important projet mené en partenariat entre la ville et les services de police (Community against Drugs) vise à promouvoir les actions de prévention et d’éducation en matière de drogue et d’alcool. Ce projet est plus particulièrement destiné aux minorités ethniques (notamment celles issues du Pakistan et du Bengladesh) qui sont les plus touchées

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et ont, selon les services de la ville, encore du mal à admettre l’existence de toxicomanes en leur sein. Le travail des équipes du projet consiste à détecter les membres de ces communautés les plus touchées et d’engager avec elles des formations individuelles. La stratégie est ici clairement de type bottom up : des groupes référents informent les équipes de la ville de l’évolution de la situation dans les quartiers. Un autre dispositif intéressant, l’Observatoire de Prévention et de concertation sur les Drogues, mis en place à Liège vise, tout comme le dispositif de Luton, à détecter plus rapidement les phénomènes, à les interpréter et les répercuter le plus rapidement possible vers les services concernés. Le dispositif liégeois lutte contre les toxicomanies compte désormais les organismes suivants :

- Un service d’accueil d’urgence au Centre Hospitalier spécifiquement dédié à l’accueil des toxicomanes et qui assure la prise en charge de ces personnes par les organismes partenaires ;

- Un service d’accueil des toxicomanes nommé SORT qui effectue également un travail

de sensibilisation auprès des services de Police ;

- Un centre de prise en charge intitulé START-MASS ouvert 24 heures sur 24 pour les toxicomanes ;

- Et une Cellule Pharmacien-Conseil qui permet aux toxicomanes les plus marginalisés

d’accéder rapidement à des traitements de substitution.

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CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS Le projet Sécucités Prévention Europe avait pour objectif de comparer les politiques de prévention engagées dans sept villes européennes afin d’en dégager un corps commun. Cet objectif constituait pour tous les participants un vrai défi : comment comparer ce qui se fait dans une ville avec des politiques menées dans d’autres villes européennes que l’on imagine à bien des égards différentes ? Les séminaires de travail, les visites sur site et les recherches effectuées ont rapidement mis en évidence des problématiques communes et des solutions souvent similaires. Reste qu’il sera nécessaire à l’avenir de revenir sur les mêmes sites pour comparer leurs évolutions respectives... Nous présentons ici les conclusions et recommandations que la comparaison des politiques étudiées permet de dégager tant au niveau de la mise en oeuvre d’une stratégie locale de prévention de la criminalité que du rôle des Etats, de l’Union Européenne. Les dispositifs locaux de prévention de la criminalité

Le diagnostic La grande majorité des villes a mis en place des outils pour mieux connaître la situation criminelle à laquelle elle doit faire face et pour mieux évaluer la demande sociale. Cependant ces outils pèchent parfois par un manque de données complétant les statistiques policières et/ ou l’absence de périodicité permettant d’étudier les évolutions. Recommandations

- La réalisation d’un diagnostic partagé est une condition sine qua non de la mise en place et du suivi des actions.

- Outre une analyse de la criminalité et du sentiment d’insécurité des populations, ce diagnostic rassemblera le plus grand nombre de données disponibles auprès des partenaires qui seront associés à la mise en place du projet. Une enquête de victimation pourra compléter l’analyse afin de renseigner sur les violences les moins communément étudiées comme les violences intrafamiliales.

- Les modalités de participation des habitants notamment lors de réunions restent sous-estimée pour une véritable prise en compte de leur parole dans ces politiques et doivent être améliorées.

- Ce diagnostic doit être reconduit périodiquement, une périodicité de deux années semble nécessaire.

Le partenariat au niveau local Le partenariat est le trait commun le plus remarquable des expériences étudiées. Comme nous l’avons vu, il peut être provoqué, lorsque les institutions nationales engagent les villes à le mettre en place, ou volontaire, lorsque les villes le mettent en place à leur propre initiative. Le nombre de partenaires impliqués dans la réalisation des politiques de prévention est toujours important mais se restreint nettement dans les phases de conception et de réalisation des actions.

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Sécucités Prévention Europe - Rapport final 51

Recommandations

- Le partenariat doit être élargi à un grand nombre d’acteurs tant publics, privés que bénévoles (les associations).

- Il doit constituer un engagement véritable des organisations représentées à travailler ensemble. En outre, les modalités de coopération entre acteurs peuvent être précisées (notion de partenariat conventionné).

- La notion de territorialisation est essentielle, des secteurs d’une même ville peuvent nécessiter des plans d’actions et des partenariats spécifiques.

- Une structure de pilotage mise sous la responsabilité du maire ou de l’élu en charge des questions de prévention de la criminalité doit se réunir régulièrement (mensuellement) pour fixer les priorités.

- Une structure ad hoc composée des partenaires des actions s’assurera de l’efficacité des mesures mises en oeuvre. Une représentation des élus est indispensable.

Le plan d’action Si toutes les villes mettent en place des stratégies de prévention de la criminalité relativement cohérentes, elles ne font pas toute l’effort de la formaliser dans un document auquel les services de la ville (et dans une moindre mesure les citoyens) puissent se référer. Recommandations

- Le plan d’action doit se décomposer en thématiques spécifiques. - Les moyens mis en oeuvre et les objectifs fixés seront précisés. - Les objectifs seront fixés à court, moyen et long terme - Comme le diagnostic, la stratégie générale mise en oeuvre doit être réétudiée

périodiquement.

L’évaluation des actions L’évaluation globale des dispositifs est, à de rares exceptions près, selon l’aveu des acteurs locaux, le point faible des politiques étudiées. Recommandations

- L’évaluation poursuit deux objectifs : permettre aux acteurs des politiques de prévention de s’assurer des résultats des actions entreprises et informer les citoyens des politiques mises en oeuvre

- L’évaluation concerne à la fois : Les processus de mise en oeuvre des actions ( quels changements organisationnels ? / Quelle implication des partenaires ? Quel lien avec d’autres initiatives ? etc.)

- Des ressources mobilisées (humaines, financières, etc.) - De l’impact des actions (Les actions ont-elles eu le résultat recherché ? / Quels sont

les résultats inattendus ? etc.). - L’évaluation doit être périodique : l’annualité peut paraître excessive et est le plus

souvent liée dans les projets étudiés à l’allocation de ressources par les autorités nationales. Une temporalité de deux années paraît appropriée.

- On suggère des collaborations avec les universités pour la réalisation des évaluations.

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Le rôle des Etats et de l’Union Européenne

Le rôle des Etats L’influence des politiques nationales est une variable clef dans l’établissement d’une stratégie locale de prévention de la criminalité, c’est notamment un élément structurant des politiques locales anglo-saxonnes, belges et dans une moindre mesure française. A l’image de la Belgique et du Royaume-Uni, l’Etat peut être un partenaire financier important et permettre ainsi à des villes en difficulté de développer des politiques d’importance. Les outils à destination des acteurs locaux (guides, échanges de pratiques, soutien méthodologique) restent cependant beaucoup plus développés au Royaume-Uni. Recommandations

- Il est indispensable que les Etats reconnaissent la ville comme le niveau pertinent de la mise en place d’une politique de prévention de la criminalité.

- L’équilibre entre les dispositifs de prévention de la criminalité et de répression doit être atteint.

- Le soutien en terme de méthodologie et de financement pour la mise en place de politiques locales de prévention de la criminalité doit être en partie assuré par le niveau national.

- Les échanges de pratiques entre les acteurs locaux doivent être favorisés (guides de pratiques, organisation de rencontres, soutien aux réseaux d’acteurs locaux, etc.).

Le rôle de l’Union Européenne

La politique de prévention de la criminalité de l’Union Européenne a récemment été marquée à la fois par la ligne de financement budgétaire Hippokrates et la mise en place du Réseau Européen de Prévention de la Criminalité. Elle constitue une synthèse pertinente des actions engagées dans les Etats. Des rencontres tels que la Conférence de Naples (décembre 2000) ont démontré que beaucoup d’acteurs des politiques de prévention de la criminalité sont désormais prêts à se fédérer autour de l’idée européenne. Recommandations

- L’Union Européenne doit continuer à soutenir échanges entre les acteurs locaux des politiques de prévention de la criminalité.

- Des formations soutenues par les institutions européennes à destination des acteurs locaux en matière de prévention de la criminalité et réalisées par des universités ou des réseau de villes constitueraient une avancée majeure dans la progression de l’idée européenne.

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