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SAPEURS-POMPIERS ET RISQUE PESTICIDE EN INTERVENTION Docteur Erik BOQUET SDIS 45 DU Risque Chimique de l’école du Val-de-Grâce Promotion 2010-2011

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SAPEURS-POMPIERS ET RISQUE PESTICIDE EN INTERVENTION

Docteur Erik BOQUET SDIS 45

DU Risque Chimique de l’école du Val-de-Grâce

Promotion 2010-2011

REMERCIEMENTS

A mes enseignants et à mes collègues qui me permettent de progresser pour mieux servir.

"SAPEURS-POMPIERS ET RISQUE PESTICIDE EN INTERVENTION".

SOMMAIRE

AVANT-PROPOS page 1

INTRODUCTION page 2

1 RAPPEL SUR LES PESTICIDES page 3

2 STATISTIQUES DES INTERVENTIONS DES SAPEURS-POMPIERS page 5

3 GRAVITE DE L’EXPOSITION AUX PESTICIDES page 6

3.1 EXPOSITION AUX FUMEES D’INCENDIE DE PESTICIDES page 7

3.2 EXPOSITION DIRECTE AUX PESTICIDES page 8

4 PROTECTION CONTRE L’EXPOSITION AUX PESTICIDES page 11

4.1 LA PROTECTION RESPIRATOIRE page 11

4.2 LA PROTECTION CUTANEE page 11

4.3 ROLE DU SERVICE DE SANTE ET DE SECOURS MEDICAL (SSSM) page 12

5 SUIVI POST-EXPOSITION AUX PESTICIDES page 13

LISTE DES ABREVIATIONS ADR : Accord européen relatif au transport international de marchandises Dangereuses par Route ARI : Appareil Respiratoire Isolant CLP : règlement du parlement européen relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges CTA/CODIS : Centre de Traitement de l’Alerte/Centre Opérationnel Départemental d’Incendie et de Secours CMIC : Cellule Mobile d’Intervention Chimique EPI : Equipement de Protection Individuel FPT : Fourgon Pompe-Tonne NOP : Neurotoxique Organophosphoré NTE : Neuropathy Target Esterase OPP : Pesticide Organophosphoré ORP : Observatoire des Résidus des Pesticides SDIS : Service Départemental d’Incendie et de Secours SP : Sapeur-pompier SSSM : Service de Santé et de Secours Médical VSAV : Véhicule d’Assistance et de Secours Aux Victimes

1

AVANT-PROPOS

Ce mémoire a pour objectif d’étudier un risque auquel sont exposés quotidiennement les

Sapeurs-Pompiers(SP).

Ce risque est un risque chimique qui n’est pas forcément répertorié comme tel au départ de

l’intervention. Les SP primo-intervenants l’affrontent donc sans protection spécifiquement

adaptée.

Après une analyse du risque encouru, une réflexion est proposée sur les procédures

d’engagement et le suivi des personnels.

2

INTRODUCTION

L’utilisation de produits chimiques tant dans l’agriculture que dans les conflits armés remonte

à l’antiquité :

Homère décrit l’utilisation du soufre et Pline recommande l’utilisation de l’arsenic

comme insecticide ;

Démosthène aurait utilisé des fumées puantes contre les Spartiates durant la guerre du

Péloponnèse (428-424 avant notre ère) et des Perses auraient utilisé un produit à base

de soufre contre les Romains vers l’an 100 de notre ère en Syrie.

Ces histoires parallèles se rejoignent quand des chimistes allemands de la société IG Farben,

dont Gerhard Schrader, exploitent les propriétés neurotoxiques d’un insecticide

organophosphoré en 1936 : le Tabun, produit huit fois plus puissant que le Phosgène.

Les SP peuvent donc être confrontés sur intervention à des produits industriels dont la toxicité

est équivalente à celle des armes chimiques.

3

1 RAPPEL SUR LES PESTICIDES

L’utilisation des pesticides, terme créé sur la base de l’anglais pest (« parasite ») lui-même

provenant du latin pestis (« fléau »), avait initialement suivi les progrès de la chimie

minérale. Au 19ème siècle les traitements fongicides étaient à base de sulfate de cuivre ou de

mercure : la bouillie bordelaise, mélange à base sulfate de cuivre et de chaux mis au point

dans les années 1880 au domaine du château Dauzac, a permis de combattre le mildiou

(Plasmopara viticola).

Elle a ensuite profité du développement de la chimie organique. A partir des années 1950, le

DDT (dichloro-diphényl-trichloro-éthane) a permis une lutte efficace contre le moustique

vecteur du paludisme (marais Pontins aux alentours de Rome dans les années 1950, étangs du

Languedoc dans les années 1960…).

Le DDT et les produits organochlorés ont été progressivement remplacés dans les pays

industrialisés par des produits plus toxiques mais plus sélectifs et biodégradables.

Les pesticides regroupent selon l’ORP (Observatoire des Résidus des Pesticides) : (1)

● les produits phytosanitaires, substances actives destinées à :

o protéger les végétaux contre les organismes nuisibles,

o exercer une action sur les processus vitaux des végétaux,

o assurer la conservation des produits végétaux,

o détruire les végétaux indésirables,

o détruire des parties de végétaux et prévenir une croissance indésirable des

végétaux,

● certains produits biocides,

● certains antiparasitaires vétérinaires,

● certains antiparasitaires humains

● et des produits anciens ou interdits mais persistants.

Quatre cadres réglementaires différents régissent leur mise sur le marché :

la directive 91/414/CE du 15 juillet 1991 pour les produits phytosanitaires,

la directive 98/8/CE du 16 février 1998 pour les produits biocides

et les directives 2004/27/CE et 2004/28/CE du 31 mars 2004 pour les produits

antiparasitaires à usages vétérinaires et humains.

4

La classification des pesticides actuellement utilisés est difficile compte-tenu de leur variété

d’activité ou de structure chimique : il existe à ce jour plus de 900 substances actives, ce

chiffre augmentant de 15 à 20 substances par an.

En raison de la grande hétérogénéité des produits phytosanitaires, ils sont souvent classés

selon leurs actions antiparasitaires. Les 3 principales familles sont alors :

les fongicides (environ la moitié du tonnage),

les herbicides (un peu plus du tiers du tonnage),

les insecticides (3% du tonnage).

Les autres familles de produits phytosanitaires comprennent notamment les acaricides, les

rodonticides, les taupicides, les molluscicides…

Une deuxième classification repose sur la nature chimique de la substance principale. Les

principaux groupes chimiques sont :

les organochlorés,

les organophosphorés,

les carbamates,

les pyréthrynoïdes,

les triazines,

les urées substituées.

De 1945 à 1985, leur consommation a doublé tous les dix ans.

Depuis 1990, l’efficacité accrue des produits a permis de diminuer cette consommation.

Malgré une diminution progressive de 99 600 tonnes en 2001 à 71 600 tonnes en 2006, la

France reste le premier consommateur de pesticides en Europe (avant l’Allemagne et l’Italie)

et le troisième au monde (après les Etats-Unis et le Japon).

Au sein de cette consommation, la place des organophosphorés a diminué de 53% entre 2000

et 2004. Les carbamates, en augmentation de 14,6%, leur ont ravi la première place.

Leur utilisation est à 95% agricole (67,4% pour les grandes cultures comme le blé, l’orge et le

colza) et 5% seulement non agricole (deux tiers pour les jardiniers amateurs et un tiers pour

l’entretien des espaces verts et des voies de transport). (2)

Les installations agricoles constituent donc des installations à risque notamment par la nature,

la concentration et les quantités de produits phytosanitaires susceptibles d’y être stockés.

5

Les SP intervenant en milieu agricole sont susceptibles d’être exposés à des pesticides et

notamment aux pesticides organophosphorés (OPP).

Par ailleurs le règlement CLP relatif aux nouvelles règles de classification, d’emballage et

d’étiquetage des produits chimiques en Europe va remplacer progressivement, puis abroger

totalement (date limite du 1er juin 2015) le système européen préexistant. Ainsi au cours de

cette période de transition, la coexistence des deux types de réglementation complique le

travail d’identification et d’évaluation des risques pour les primo-intervenants confrontés à

des produits phytosanitaires.

2 STATISTIQUES DES INTERVENTIONS DES SAPEURS-POMPIERS

Sur l’année 2009, les SP ont effectué 4 250 100 interventions. (3)

Les incendies représentent 343 301 interventions (soit 8%), ceux concernant des

locaux agricoles représentent 3 201 interventions (soit 0,07%).

Bien que cela ne concerne qu’un faible pourcentage du total, les SP interviennent donc 9 fois

par jour pour ce type d’incendie sur le territoire national.

Ces interventions en milieu agricole voient s’ajouter à des risques déjà connus, comme le

risque thermique et le risque toxique mis en évidence par les études sur la composition des

fumées, le « risque pesticide ».

Il ne faut pas oublier les interventions hors incendie qui peuvent également exposer les SP

aux pesticides :

accidents de la circulation routière (302 379 interventions soit 7,11%),

secours à personne sur les lieux de travail (187 309 interventions soit 4,40%) ou pour

intoxication (42 349 interventions soit 0,99%).

Mais la part de ces interventions sur les routes ou sur les lieux de travail impliquant des

pesticides n’est malheureusement pas précisée.

Pourtant cette indispensable étape du transport vers le destinataire final est celle de tous les

dangers : dispersion sur l’ensemble du réseau routier français, grande vulnérabilité et, lorsque

les quantités sont faibles, absence de marquage du véhicule pouvant alerter les secours sur la

dangerosité des produits transportés (exemptions à la réglementation ADR).

6

Au total, le risque d’exposition aux OPP est un risque quotidien pour les SP, même si ne sont

prises en compte que les interventions pour incendie.

3 GRAVITE DE L’EXPOSITION AUX PESTICIDES

Le feu est une réaction d’oxydation rapide et exothermique qui nécessite :

un combustible,

un comburant,

et une source d’inflammation.

C’est le triangle du feu.

Dans le monde agricole, les incendies peuvent se produire :

avec flammes par agression thermique directe ou indirecte,

ou sans flammes (feu couvant) par auto-échauffement suivi d’auto-inflammation.

Dans ce dernier cas, la cause est une fermentation végétale ou l’incompatibilité entre engrais à

base de nitrate d’ammonium et d’autres produits.

Selon le stockage, certains risques secondaires sont possibles :

silos de céréales risque d’explosion (poussières, gaz issus de la fermentation),

stockage d’engrais ou de pesticides risque d’explosion (chauffage des engrais,

contamination par des produits incompatibles avec des engrais à base de nitrate

d’ammonium).

Il ne faut pas oublier les risques liés aux stockages de combustible (gazole, fuel, gaz …). (4)

Deux risques plus spécifiques nécessitent d’être détaillés : l’exposition aux fumées d’incendie

de pesticides et l’exposition directe aux pesticides.

En effet, au cours d’un incendie impliquant des pesticides, la composition des fumées

comprend un certain nombre de toxiques particuliers liés aux pesticides concernés et

aggravant les risques pour les personnels travaillant dans cette atmosphère.

Par ailleurs, la chaleur peut provoquer une réduction de la résistance mécanique des

emballages et conduire à un écoulement de produits phytosanitaires fortement concentrés.

7

3.1 EXPOSITION AUX FUMEES D’INCENDIE DE PESTICIDES

Les différentes études menées en laboratoire ou sur le terrain lors d’interventions réelles ont

mis en évidence la composition des fumées d’incendie.

Ces dernières sont composées de :

vapeur d’eau entrainant un risque thermique,

particules de suies entrainant un risque d’hypoxémie par effet barrière,

gaz entrainant un risque toxique.

Les gaz formés sont différents selon la ventilation de la combustion :

en cas de feu couvant, les produits de pyrolyse sont essentiellement des produits

carbonés, de nature irritante pour les voies respiratoires.

en cas de feu sous-ventilé, il y a formation importante de monoxyde de carbone (CO),

de dioxyde de carbone (CO2), d’acide cyanhydrique (HCN), de gaz acides…

en cas de feu bien ventilé, la combustion est efficace et les principaux produits formés

sont dioxyde de carbone (CO2), le monoxyde de carbone (CO), en moindre quantité et

de nombreux gaz toxiques.

Ces gaz toxiques sont classés en trois catégories :

les polluants irritants

o suies,

o acides minéraux

o et produits organiques irritants dont plus d’une vingtaine est identifiable : acide

chlorhydrique (HCl), bromure d’hydrogène (HBr), acide fluorhydrique (HF),

composés carbonés (formaldéhyde, acroléine, butyraldéhyde…) et dérivés

azotés (ammoniac (NH3), isocyanate…),

les polluants asphyxiants, qui sont les plus dangereux : monoxyde de carbone (CO),

acide cyanhydrique (HCN), sulfure d’hydrogène (H2S)…

les composés à toxicité spécifique, en quantité limitée et aux effets cancérigène,

mutagène, allergisant (benzène, dioxine, dibenzofurane…)…

Les polluants irritants et asphyxiants conditionnent le risque de toxicité aiguë (risque létal et

d’incapacitation).

8

Les polluants à toxicité spécifique ont des effets sans notion de seuil et se manifestant

uniquement sur le long terme. (5) (6)

Dans le cas de combustibles pesticides, ces gaz asphyxiants comprennent également :

Diazote (N2) (ou azote, composant à 78% notre atmosphère) sans toxicité propre à

pression atmosphérique mais entraînant une hypoxie avec risque de malaise puis de

coma.

Chlorure d’ammonium (NH4Cl), irritant.

Protoxyde d’azote (N2O), provoquant nausées, vomissements et douleurs abdominales.

A concentration trop élevée, il entraîne une hypoxie.

Acide nitrique (HNO3), suffocant occasionnant une irritation oculaire et respiratoire

avec risque d’Oedème Aigu Pulmonaire (OAP) lésionnel retardé.

Dioxyde d’azote (NO2), également suffocant et responsable des vapeurs rutilantes… (7)

Dans le cas précis du diméthoate, OPP insecticide de formule C5H12NO3PS2 commercialisé

sous le nom de Danadim®, les produits de décomposition sont constitués des produits

classiques d’incendie mais aussi de quantités importantes de mercaptans et de traces

d’isocyanates. Le méthylmercaptan (synonyme méthanethiol) est un suffocant entraînant une

irritation puis une détresse respiratoire avec OAP lésionnel ainsi qu’une méthémoglobinémie.

L’isocyanate d’éthyle est également suffocant.

3.2 EXPOSITION DIRECTE AUX PESTICIDES

Outre les fumées en cas d’incendie, les sapeurs-pompiers peuvent être en contact direct avec

des pesticides quel que soit le type d’intervention précisé plus haut.

Le risque dépend alors de la substance chimique active et de sa forme, ces éléments

conditionnant la voie de pénétration possible.

Les organochlorés (DDT, chlordane, dieldrine, lindane…) ne sont quasiment plus utilisés en

raison de leur très longue rémanence et sont pour les principaux produits retrouvés peu

volatils.

9

Le mode de pénétration principal recensé dans les études de toxicologie est la voie orale. La

voie cutanée est possible (molécules très lipophiles) mais avec une faible absorption. La voie

aérienne n’a pas été étudiée.

La faible fréquence de l’intoxication à ces produits en métropole ne peut pourtant être

négligée compte-tenu de sa gravité :

toxicité neurologique avec angoisse, agitation et parfois convulsions suivies de décès,

toxicité digestive avec nausées, diarrhée et atteinte hépatique notamment avec le

chlordécone,

rhabdomyolyse, rares troubles sanguins (anémie ou leucopénie) avec le lindane. (8) (9)

Les OPP (Chlorpyrifos, Diméthoate, Malathion, Fenthion…) sont moins persistants que les

organochlorés mais hautement toxiques. Peu volatiles et très liposolubles, ils pénètrent par

voie aérienne (cas le plus fréquent), digestive et cutanée.

La contamination par voie cutanée peut être directe, caractérisée par une latence d’apparition

des signes cliniques inversement proportionnelle à la dose et allongée selon la tenue

vestimentaire. Elle peut également être indirecte via les Equipements de Protection

Individuelle (EPI) eux-mêmes et notamment les gants. L’effet réservoir du stratum corneum

entraîne une exposition interne par relargage qui continue alors que la contamination externe a

disparu. Les signes peuvent ainsi persister une dizaine de jours. Un cas récent d’intoxication

par voie cutanée avec du Chlorpyrifos a confirmé cette notion.

Cette voie de contamination prend d’autant plus d’importance que l’industrie s’oriente vers

des produits moins volatils pour limiter le risque d’inhalation. (10) (11)

Les OPP sont des inhibiteurs irréversibles principalement des acétylcholinestérases présentes

dans le système nerveux central, les hématies et le muscle strié mais aussi des cholinestérases

non spécifiques présentes dans le plasma, le foie et différents autres tissus. Certains d’entre

eux inhibent également la Neuropathy Target Esterase (NTE). L’action cancérogène, lors

d’expositions chroniques, est discutable.

Ils entraînent : (12) (13)

des effets muscariniques :

o troubles gastro-intestinaux,

o hypersécrétion salivaire, nasale et bronchique,

10

o détresse respiratoire par atteinte périphérique avec bronchospasme en notant

qu’à côté de cet effet pharmacologique existe un effet retardé immuno-

allergique et un effet irritatif à l’origine de syndromes de Brooks (asthme

induit), (14)

o myosis, troubles de l’accommodation, photophobie,

o hypotension, bradycardie puis arrêt cardiaque,

des effets nicotiniques :

o crampes,

o paralysie avec atteinte des muscles respiratoires,

o crises convulsives moins fréquentes qu’avec les neurotoxiques

organophosphorés (NOP) probablement à cause d’une moins forte affinité pour

les cholinestérases que les NOP,

une atteinte nerveuse centrale :

o céphalées, ataxie, confusion,

o coma,

o détresse respiratoire par atteinte centrale.

Certains OPP particulièrement lipophiles, ayant une forte affinité pour la NTE, peuvent

entrainer une symptomatologie plus durable voire une récurrence des signes neurologiques

après une première phase d’apparente guérison (syndrome intermédiaire). (15) (16) (17) (18)

Dans le cas précis du glyphosate, OPP herbicide de formule C3H8NO5P commercialisé sous le

nom de Roundup® (le plus vendu des OPP), la décomposition par combustion produit des

fumées toxiques avec des oxydes d’azote, de phosphore et de carbone. L’inhalation du produit

lui-même montre un effet suffocant. Il y a également un effet caustique cutané et oculaire.

Des réactions allergiques de type eczéma ne sont pas rares.

Dans le cas du Parathion, OPP insecticide de formule C10H14NO5PS qui n’est plus

commercialisé en France mais encore fabriqué, la décomposition par combustion produit les

mêmes fumées toxiques. Sa pénétration cutanée est importante et prolongée.

Les carbamates (Aldicarb, Méthomyl, Carbosulfan, Propoxur…) inhibent les

acétylcholinestérases et d’autres estérases par un mécanisme voisin des organophosphorés

mais de façon réversible. Ils n’ont pas d’action cancérogène.

11

Les pyréthrines et pyréthrynoïdes sont des esters de l’acide chrysanthémique, peu toxiques.

Ils peuvent parfois provoquer des manifestations allergiques, respiratoires et nerveuses

(convulsions) en cas d’intoxication massive. La tétraméthrine est suspecte d’être cancérogène.

Les diazines et triazines sont peu toxiques. Ils peuvent être responsables de dermites de

contact. Ils sont cancérogènes.

Les urées substituées ne sont caustiques qu’à très fortes doses ingérées. Certaines molécules

seraient cancérogènes.

4 PROTECTION CONTRE L’EXPOSITION AUX PESTICIDES

Une protection respiratoire et cutanée doit absolument être mise en place.

4.1 LA PROTECTION RESPIRATOIRE

Elle est assurée par l’Appareil Respiratoire Isolant (ARI) porté lors de la phase d’attaque du

feu et qui devrait l’être lors de la phase de déblai compte-tenu du risque déjà répertorié

d’intoxication au monoxyde de carbone (CO).

4.2 LA PROTECTION CUTANEE

Elle est assurée par les EPI des personnels armant les fourgons (vêtements de protection pour

la lutte contre les incendies).

La norme NF EN 469 de février 2006 précise la résistance requise de ces EPI à la pénétration

des produits chimiques liquides : (19)

Conditions :

Produits :

o NaOH à 40%

o HCl à 36%

o H2SO4 à 30%

o o-xylène à 100%

12

Température:

o 20°C.

Résultats :

Répulsion de plus de 80% et absence de pénétration dans la surface la plus interne.

Mais ceci n’est valable que pour un temps d’application de 10 secondes.

Le SDIS 77 a mené des études sur le sujet en collaboration avec le Centre d’Etudes de

Bouchet. Ces dernières confirment que la tenue F1 des équipages des Véhicules d’Assistance

et de Secours Aux Victimes (VSAV) n’apporte aucune protection par rapport à l’Ypérite

liquide et que les vêtements de protection ou « tenue de feu » des équipages des Fourgons

Pompe-Tonne (FPT) apportent une protection inférieure à 15 minutes. (20)

Il découle de ces résultats que la stratégie actuelle d’intervention des SP devrait être modifiée

selon le même schéma que celui mis en place le SDIS 77 :

Toute intervention « à risque chimique » selon des critères d’appels prédéfinis

implique l’engagement d’un FPT chargé de la reconnaissance avec équipage en

« tenue de feu » avec ARI capelé pour une durée d’engagement ne dépassant pas 10

minutes,

Les renforts demandés seront fonction de cette reconnaissance :

o Cellule Mobile d’Intervention Chimique (CMIC) en cas de confirmation de

l’alerte chimique,

o VSAV et autres engins en cas d’infirmation de cette alerte.

4.3 ROLE DU SERVICE DE SANTE ET DE SECOURS MEDICAL (SSSM)

Une procédure d’intervention intégrant le SSSM comme celle déjà mise en place au SDIS 45

permettrait :

de compléter ces protections par une surveillance opérationnelle des personnels par

médecin et infirmier sur le terrain (aide à la décision du niveau de protection auprès du

Commandant des Opérations de Secours, surveillance clinique des personnels, prise en

charge des personnels symptomatiques éventuels) limitant au mieux les risques pour

ces derniers,

de compléter les moyens d’identification de la CMIC par l’engagement du pharmacien

au CTA/CODIS en vue d’action de renseignement.

13

5 SUIVI POST-EXPOSITION AUX PESTICIDES

Si la protection des personnels sur intervention est l’objet de réflexions sur de nouvelles

procédures d’engagement, le suivi des personnels après intervention est encore au stade de

l’analyse.

L’intoxication aux organophosphorés et carbamates est reconnue comme maladie

professionnelle (Code du Travail et Code de la sécurité Sociale).

Il convient donc de mettre en place une procédure de suivi des personnels :

Critères de déclenchement d’un suivi,

Fréquence de ce suivi,

Prise en compte des EPI portés.

Ce suivi devra probablement être prolongé en post-professionnel comme le décret n° 2009-

1546 du 11 décembre 2009 relatif au suivi médical post-professionnel des agents de l’Etat

exposés à un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction le précise.

Le contenu de ce suivi au sein de cette procédure est à déterminer :

Biologique :

o Numération sanguine + transaminases (organochlorés, carbamates…),

o Cholinestérases (organophosphorés) avec élaboration possible d’une stratégie

d’action en fonction de la baisse du taux et de la présence associée de signes

cliniques,

o Dosage de dérivés urinaires, (18)

Electroencéphalogramme (organochlorés),

Electromyogramme (organophosphorés),

Tests neurocomportementaux pour évaluer les troubles neurotoxiques centraux …

14

CONCLUSION

Le « risque pesticide » est un risque quotidien pour les SP.

Bien que les carbamates leur aient ravi la première place sur le marché ces dernières années,

les OPP demeurent la menace majeure : leurs mécanismes d’action toxique sont proches mais

seuls les OPP ont une action irréversible.

La protection des SP doit porter sur les deux voies possibles de pénétration de ces toxiques :

respiratoire et cutanée. Si la protection respiratoire assurée par l’ARI est de bonne qualité, la

protection cutanée assurée par les vêtements de protection pour la lutte contre les incendies

est de courte durée et nécessite une procédure d’engagement particulière. La nouvelle norme

NF S 61 515 d’avril 2006 relative aux engins pompe type FPT précise qu’un lot individuel

NRBC est en dotation pour chaque personnel de l’équipage. La présence d’un tel lot avec des

Tenues Légères de Décontamination (TLD) devrait permettre de développer de nouvelles

approches.

Le suivi des SP, légalement prévu, doit être précisé afin de :

confirmer l’efficacité de la protection mise en place sur le terrain,

dépister les personnels éventuellement contaminés asymptomatiques

et surveiller les personnels contaminés symptomatiques après la prise en charge initiale.

Tout comme les SP ont pris conscience que les fumées des incendies étaient dangereuses et

nécessitaient de s’en protéger, ils doivent prendre conscience que le risque chimique n’est pas

un risque exceptionnel « de spécialité » et nécessite des procédures adaptées.

Le « risque pesticide » en est un exemple.

15

REFERENCES

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Disponible sur Internet. URL : http://www.inra.fr

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d’incendie et en retombées au sol. 2004. Rapport d’étude INERIS.

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modélisation des effets. 2005. Rapport d’étude INERIS.

7. Pagnon S, Tack K. Caractérisation des émissions de polluants engendrés par l’incendie de

cinq produits types. 2009. Rapport d’étude INERIS.

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valeurs toxicologiques de référence. 2004. Rapport d’étude INVS.

Disponible sur Internet. URL : http://www.invs.sante.fr

9. INVS. Impact sanitaire de l’utilisation du chlordécone aux Antilles françaises.

Recommandations pour les recherches et les actions de santé publique. 2009. Rapport d’étude

du Conseil scientifique INVS et INSERM.

Disponible sur Internet. URL : http://www.invs.sante.fr

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10. INRS. Documents pour le Médecin du Travail TF162 : exposition percutanée aux agents

chimiques. Résultats d’une étude sur la méthodologie d’évaluation et la pratique de terrain

[en ligne]. [version 2007].

Disponible sur Internet. URL : http://www.inrs.fr

11. Soummer A, Megarbane B, Boroli F, Arbelot C, Saleh M, Moesch C et al. Severe and

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choisir pour quelles missions. SP Mag, 2007, 987, p. 52-61.

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RESUME/ABSTRACT Les pesticides sont des produits à la toxicité équivalente à celle des armes chimiques. Les plus dangereux sont les organophosphorés. Les Sapeurs-Pompiers y sont confrontés quotidiennement. Leur protection repose alors sur : l’Appareil Respiratoire Isolant contre les fumées toxiques produites par la combustion des

pesticides, les vêtements de protection contre le contact direct des pesticides. Mais ces derniers n’assurent qu’une protection cutanée de courte durée contre cette agression. Les stratégies d’intervention doivent tenir compte de ces données afin de permettre aux Sapeurs-Pompiers d’intervenir en toute sécurité. Le suivi médical des Sapeurs-Pompiers ainsi exposés reste à déterminer. Pesticides are products with an equivalent toxicity to that of the chemical weapons. The most dangerous are the organophosphates. Fire peoples are daily confronted there. Their protection rests then on: the Respiratory System Isolating against toxic smokes produced by the combustion of

pesticides, the protective clothings against the direct contact of pesticides. But these last ones assure only a short-term cutaneous protection against this aggression. The intervention strategies have to take account of these data to allow fire peoples intervening in complete safety. The medical follow-up of fire peoples so exposed remains to be determined. MOTS-CLEFS/KEY-WORDS Pesticides, organophosphorés, protection respiratoire, protection cutanée, suivi post-exposition. Pesticides, organophosphates, respiratory protection, cutaneous protection, follow-up post-exhibition.