sainte-beuve_portraits de femmes_critique_1886.pdf

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    4/555

    Digitized

    by

    the Internet

    Archive

    in 2010 with funding from

    University

    of Ottawa

    http://www.archive.org/details/portraitsdefemmOOsain

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    PORTRAITS

    DE

    FEMMES

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    6/555

    PARIS.

    IMPRIMERIE

    E.

    CAPIOMONT

    ET

    C

    ie

    C,

    RI'E

    DES

    POITEVINS,

    6

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

    7/555

    PORTRAITS

    DE

    FEMMES

    PAR

    C.-A.

    SAINTE-BEUVE

    DE

    L

    ACADEMIE

    FRANAISE

    NOUVELLE

    EDITION, REVUE ET

    CORRIGEE

    Avez-vous

    donc t

    femme,

    Monsieur,

    pour

    prtendre

    ainsi nous

    connatre ?

    Non,

    Madame,

    je

    ne

    suis

    pas

    le

    devin

    Tirsias, je

    ne

    suis qu'un humble

    mortel

    qui vous a beaucoup

    aimes.

    (Dialogue indit.)

    Y

    me

    de

    SVIGN

    Mme

    de

    STAL

    Mm

    DE

    DURAS

    Mme

    DE

    SOUZA.

    Mme

    D

    E

    LA

    FAYETTE

    M. de

    la

    Rochefoucauld

    Mme

    DE

    LONGUEVILLE.

    Mme

    ROLAND

    Mme

    DES

    HOULIRES.

    Mme

    DE

    KRUDNER

    Mme

    GU1ZOT,

    ETC., ETC.

    ^

    I

    PARIS

    GARNIER FRRES,

    LIBRAIRES-DITEURS

    l,

    RUE

    DES

    SAINTS-PRKS,

    C

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    l

    a

    sembl

    plus

    commode

    et

    mme

    assez

    piquant

    de

    Tanger

    de

    suite

    et

    de runir

    en

    un

    mme

    volume

    les

    divers

    portraits de femmes

    qui

    taient

    dissmins

    dans

    les

    cinq

    tomes

    des

    Critiques

    et

    Portraits;

    on

    y

    a

    ajout

    irois

    ou

    quatre

    articles,

    avec le

    soin

    d'excepter

    tou-

    jours

    les

    vivants.

    En commenant

    par

    un

    morceau

    sur

    Mme

    de

    Svign, on n'a

    pas

    prtendu

    donner

    un

    por-

    trait

    tudi

    de

    cette

    personne

    incomparable

    : ce ne

    sont

    que

    quelques

    pages

    lgres,

    autrefois

    improvises

    au

    courant

    de

    la

    plume

    aprs

    une

    lecture

    des

    Lettres,

    et

    antrieures

    aux

    recherches

    rcemment

    publies;

    mais

    on

    les

    a

    replaces ici bien

    plutt

    titre

    d'hommage,

    et

    parce

    qu'il

    est

    impossible

    d'essayer

    de

    parler

    des

    femmes

    sans

    se

    mettre

    d'abord

    en

    got

    et

    comme

    en

    humeur

    par

    Mme de

    Svign.

    Gela

    tient

    lieu

    d'une

    de

    ces

    invocations

    ou

    libations

    qu'on

    aurait

    laites

    dans

    l'antiquit la

    pure source

    des

    grClS-

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    PORTRAITS

    DE

    FEMMES

    MADAME

    DE

    SVIGN

    Les

    critiques,

    et particulirement

    les trangers,

    qui,

    dans

    ces

    derniers temps,

    ont

    jug

    avec

    le

    plus

    de

    svrit

    nos

    deux

    sicles littraires,

    se

    sont

    accords reconnatre

    que

    ce

    qui

    y

    dominait, ce qui

    s'y

    rflchissait

    en

    mille

    faons,

    ce

    qui

    leur donnait

    le

    plus d'clat

    et

    d'ornement,

    c'tait

    l'esprit

    de

    conversation et de socit,

    l'entente du

    monde

    et

    des

    hommes,

    l'intelligence

    vive

    et

    dlie

    des

    convenances

    et

    des

    ridicules,

    l'ingnieuse

    dlicatesse

    des sentiments,

    la

    grce,

    le

    piquant,

    la

    politesse

    acheve

    du langage. Et

    en eftet

    c'est

    bien l,

    avec

    les rserves

    que chacun fait,

    et

    deux

    ou

    trois

    noms

    comme

    ceux de

    Bossuet et

    de

    Montesquieu

    qu'on sous-

    entend,

    c'est l, jusqu'en 1789

    environ,

    le

    caractre distinctif.

    le

    trait marquant

    de la

    littrature

    franaise

    entre les

    autres

    littratures

    d'Europe.

    Cette

    gloire,

    dont

    on

    a

    presque

    fait

    un

    reproche

    notre

    nation,

    est assez fconde

    et assez

    belle

    pour

    qui

    sait

    l'entendre

    et

    l'interprter.

    Au

    commencement

    du

    dix-septime sicle, notre

    civilisa-

    lion,

    et parlant

    noire

    langue

    et

    notre

    littrature,

    n'avaient

    rien

    de

    mr

    ni

    d'assur.

    L'Europe, au

    sortir

    des

    troubls

    re-

    ligieux

    et

    travers

    les

    phases

    de

    la guerre de

    Trente

    an9,

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    4

    PORTRAITS

    DE

    FEMMES.

    enfantait

    laborieusement

    un

    ordre

    politique

    nouveau

    ;

    la

    France

    l'intrieur

    puisait son

    reste

    de

    discordes

    civiles.

    A

    la cour,

    quelques

    salons,

    quelques

    ruelles

    de

    beaux-esprits

    taient

    dj

    de

    mode

    ;

    mais

    rien n'y

    germait encore

    de

    grand

    et

    d'original,

    et

    l'on

    y

    vivait

    satit

    sur

    les

    romans

    espa-

    gnols,

    sur

    les

    sonnets et

    les

    pastorales

    d'Italie.

    Ce

    ne

    fut

    qu'aprs

    Richelieu,

    aprs

    la

    Fronde,

    sous

    la

    reine-mre

    et

    Mazarin,

    que

    tout

    d'un

    coup,

    du milieu des

    ftes de

    Saint-

    Mand

    et

    de

    Vaux,

    des

    salons de

    l'htel

    de

    Rambouillet

    (ljou

    des

    antichambres

    du

    jeune

    roi,

    sortirent,

    comme

    par

    mi-

    racle,

    trois

    esprits

    excellents,

    trois

    gnies diversement

    dous,

    mais

    tous

    les

    trois

    d'un got

    naf

    et pur, d'une parfaite

    sim-

    plicit,

    d'une

    abondance

    heureuse, nourris

    des

    grces

    et des

    dlicatesses

    indignes,

    et destins

    ouvrir un

    ge

    brillant

    de

    gloire o

    nul ne

    les a

    surpasss.

    Molire, La

    Fontaine,

    et

    Mme

    de

    Svign

    appartiennent

    une

    gnration

    littraire

    qui

    prcda

    celle

    dont

    Racine

    et

    Boileau furent

    les chefs,

    et

    ils se

    distinguent

    de

    ces

    derniers

    par

    divers

    traits

    qui

    tiennent

    la

    fois

    la

    nalure de

    leurs

    gnies

    et

    la

    date de

    leur

    venue.

    On sent

    que,

    par

    tournure d'esprit

    comme

    par position, ils

    sont

    bien plus

    voisins de la France

    d'avant

    Louis

    XIV,

    de

    la

    rieille

    langue

    et

    du

    vieil

    esprit

    franais; qu'ils

    y

    ont

    t

    bien

    plus

    mls

    par

    leur

    ducation

    et

    leurs

    lectures, et

    que,

    s'ils

    sont

    moins apprcis

    des

    trangers

    que

    certains

    crivains

    postrieurs, ils

    le

    doivent prcisment

    ce

    qu'il

    y

    a de

    plus

    intime, de

    plus

    indfinissable

    et

    de

    plus charmant

    pour

    nous

    dans

    leur

    accent

    et

    leur

    manire.

    Si

    donc

    aujourd'hui, et

    avec raison, l'on s'attache

    rviser

    et

    remettre

    en

    question

    beaucoup

    de

    jugements

    rdigs,

    il

    y

    a

    quelque

    vingt

    ans,

    par

    (1)

    Dans

    un

    Mmoire

    pour

    servir

    l'Histoire de

    la

    Socit

    po-

    lie

    (1835),

    M.

    Rderer

    a suivi

    de

    prs el

    dml

    tout

    ce

    qui

    se

    rap-

    porte

    l'htel

    de

    Rambouillet

    en

    particulier,

    avec

    une

    prdilection

    et

    une

    minutie

    qui

    ne

    nuisent,

    selon nous,

    ni

    l'exactitude

    ni

    l'agr-

    ment

    de

    son

    livre.

    Il

    y

    faudrait

    pourtant

    absolument, pour

    le9

    noms

    propres

    et

    les

    dates,

    une

    impression

    plus

    correcte.

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

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    MADAME DE

    SVIGN.

    5

    les

    professeurs

    d'Athne;

    si

    Ton dclare

    impitoyablement

    la

    guerre

    beaucoup

    de renommes

    surfaites, on

    ne

    saurait

    en

    revanche

    trop

    vnrer

    et

    trop

    maintenir

    ces

    crivains

    immor-

    tels, qui, les premiers, ont

    donn

    la littrature franaise

    scu

    caractre

    d'originalit, et

    lui

    ont

    assur jusqu'ici une

    physio-

    nomie unique entre

    toutes

    les

    littratures.

    Molire

    a tir

    du

    spectacle de

    la

    vie,

    du jeu

    anim

    des

    travers,

    des

    vices

    et des

    ridicules humains,

    tout ce

    qui

    se

    peut concevoir

    de

    plus fort

    et

    de

    plus

    haut en

    posie.

    La

    Fontaine

    et

    Mme

    de

    Svign,

    sur

    une

    scne

    moins

    large, ont

    eu un

    sentiment

    si

    fin et si

    vrai des

    choses et de

    la

    vie

    de leur temps,

    chacun sa

    ma-

    nire,

    La

    Fontaine, plus rapproch de la

    nature, Mme

    de

    Svign

    plus mle la socit; et

    ce

    sentiment exquis,

    ils

    l'ont

    tellement

    exprim

    au

    vif

    dans leurs crits,

    qu'ils

    se

    trouvent placs sans effort

    ct

    et

    fort peu

    au-dessous

    de leur

    illustre

    contemporain.

    Nous

    n'avons

    en

    ce

    moment

    parler

    que

    de Mme de

    Svign; il

    semble

    qu'on

    ait

    tout

    dit

    sur

    elle

    ;

    les dtails

    en

    effet

    sont

    peu

    prs

    puiss

    ;

    mais

    nous

    croyons

    qu'elle

    a

    t

    jusqu'ici

    envisage

    trop

    isol-

    ment, comme

    on avait

    fait longtemps

    pour

    La

    Fontaine,

    avec

    lequel

    elle a tant

    de ressemblance.

    Aujourd'hui

    qu'en

    s'loignant

    de

    nous,

    la socit,

    dont

    elle

    reprsente

    la

    face

    la

    plus

    brillante,

    se

    dessine

    nettement

    nos

    yeux

    dans

    son

    ensemble,

    il

    est plus

    ais,

    en

    mme temps

    que

    cela

    devient

    plus

    ncessaire, d'assigner

    Mme

    de

    Svign

    son

    rang,

    son

    importance

    et

    ses

    rapports. C'est

    sans

    doute

    faute

    d'avoir

    fait

    ces

    remarques et

    de

    s'tre

    rendu

    compte

    de

    la

    diffrence

    des

    temps,

    que

    plusieurs

    esprits

    distingus

    de

    nos

    jours

    pa-

    raissent

    assez

    ports juger avec

    autant

    de lgret

    que

    de

    rigueur

    un des

    plus

    dlicieux

    gnies

    qui

    aient exist.

    Nous

    serions

    heureux

    si

    cet

    article

    aidait

    dissiper

    quelques-unes

    de

    ces

    prventions

    injustes.

    On

    a

    beaucoup

    fltri les excs

    de

    la

    Rgence;

    mais,

    avant

    la

    rgence

    de

    Philippe

    d'Orlans, il

    y

    en

    eut

    une

    autre,

    non

    moins

    dissolue,

    non

    moins

    licencieuse,

    et

    plus

    atroce

    encore

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

    14/555

    6

    POKTRAITS

    DE

    FEMMES.

    parla

    cruaut

    qui

    s'y

    mlait;

    espce

    de

    transition hideuse

    entre

    les

    dbordements

    de

    Henri

    III

    et

    ceux

    de Louis

    XV.

    Les

    mauvaises

    murs

    de

    la

    Ligue, qui

    avaient

    couv

    sous

    Henri

    IV

    et

    Richelieu,

    se

    rveillrent,

    n'tant

    plus

    compri-

    mes.

    La

    dbauche

    alors

    tait

    tout

    aussi

    monstrueuse

    qu'elle

    avait

    t

    au

    temps

    des

    mignons, ou

    qu'elle fut

    plus

    tard

    au

    temps

    des

    rous;

    mais

    ce

    qui

    rapproche

    cette

    poque

    du

    seizime

    sicle

    et la distingue

    du

    dix-buitime,

    c'est

    surtout

    l'assassinat,

    l'empoisonnement,

    ces

    habitudes

    italiennes

    dues

    aux

    Mdicis

    ;

    c'est la

    fureur

    insense

    des duels,

    hritage

    des

    guerres

    civiles.

    Telle

    apparat

    au lecteur

    impartial

    la

    rgence

    d'Anne

    d'Autriche

    ;

    tel est

    le

    fond

    tnbreux et

    sanglant sur

    lequel

    se

    dessina

    un

    beau

    matin la Fronde,

    qu'on

    est

    con-

    venu

    d'appeler

    une

    plaisanterie

    main anne. La conduite

    des

    femmes

    d'alors,

    les

    plus

    distingues

    par

    leur

    naissance, leur

    beaut

    et leur

    esprit, semble

    fabuleuse,

    et

    l'on aurait

    besoin

    de

    croire

    que

    les

    historiens

    les

    ont calomnies.

    Mais,

    comme

    un

    excs

    amne

    toujours

    son

    contraire,

    le

    petit

    nombre

    de

    celles

    qui

    chapprent

    la

    corruption

    se

    jetrent dans la

    mtaphysique

    sentimentale

    et

    se

    firent prcieuses;

    de

    l

    l'htel

    de Rambouillet

    (1).

    Ce

    fut l'asile

    des bonnes murs au

    sein

    de

    la

    haute

    socit.

    Quant

    au

    bon

    got,

    il

    y

    trouva

    son

    compte

    la longue, puisque

    Mme

    de

    Svign

    en

    sortit.

    Mlle

    Marie de

    Rabutin-Chantal,

    ne

    en 1

    626,

    tait fille

    du

    baron

    de

    Chantai,

    duelliste effrn,

    qui, un

    jour

    de

    Pques,

    quitta la

    sainte table

    pour aller servir

    de second

    au

    fameux

    comte

    de

    Bouteville.

    leve par

    son

    oncle

    le

    bon

    abb

    de

    Coulanges,

    elle

    avait

    de

    bonne

    heure

    reu

    une

    instruction

    solide, et appris,

    sous

    les soins

    de

    Chapelain

    et de

    Mnage,

    le

    latin,

    l'italien

    et

    l'espagnol

    (2).

    A

    dix-huit

    ans, elle

    avait

    (1)

    On

    a

    fort

    crit dans

    ces

    derniers

    temps

    sur

    l'htel

    de Rambouil-

    let

    :

    on

    en

    pourrait

    noter

    depuis

    Rderer

    quatre ou

    cinq

    ptlites his-

    toires

    ou

    notices

    diverses.

    11 me

    semble

    qu'on

    s'est efforc

    en

    gnral

    de

    le

    faire

    finir

    un peu

    trop

    tt.

    11

    apparat

    en

    pleine

    floraison

    et

    il

    a

    tout son

    clat

    au

    dbut

    de

    la

    Rgence

    (1G13-1G18).

    (2)

    Les lalents

    les plus

    libres

    et les

    plus

    origiraux

    ne

    deviennent

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

    15/555

    MADAME

    DE

    SVIGN.

    7

    pous

    le

    marquis

    de

    Svign,

    assez

    peu

    digne

    d'elle,

    et

    qui,

    aprs

    Tavoir

    beaucoup

    nglige,

    fut

    tu

    dans

    un

    duel

    en

    165i.

    Mme

    de

    Svign,

    libre

    cet

    ge,

    avec

    un

    fils

    et

    une

    fille,

    ne

    songea

    pas

    se remarier.

    File

    aimait

    la

    folie

    ses

    enfants,

    surtout

    sa

    fille;

    les autres

    passions

    lui

    restrent

    toujours

    in-

    connues.

    C'tait une

    blonde

    rieuse,

    nullement

    sensuelle,

    fort

    enjoue

    et badine;

    les

    clairs

    de son

    esprit

    passaient

    et

    reluisaient

    dans

    ses

    prunelles

    changeantes,

    et,

    comme

    elle

    le

    dit

    elle-mme,

    dans

    ses

    paupires

    bigarres.

    Elle

    se

    fit

    prcieuse;

    elle alla

    dans le

    monde,

    aime,

    recherche,

    cour-

    tise

    (1),

    semant

    autour

    d'elle

    des

    passions

    malheureuses

    auxquelles elle

    ne

    prenait

    pas

    trop

    garde, et

    conservant

    g-

    nreusement

    pour

    amis

    ceux

    mme

    dont

    elle

    ne

    voulait

    pas

    pour

    amants.

    Son

    cousin

    Bussy, son

    matre

    Mnage,

    le.

    prince

    de

    Conti, frre

    du

    grand Gond,

    le

    surintendant

    Fouquet, perdirent leurs

    soupirs

    auprs

    d'elle;

    mais

    elle

    de-

    meura inviolablement fidle

    ce

    dernier

    dans

    sa

    disgrce

    ;

    et quand elle

    raconte

    le procs du

    surintendant

    M.

    de

    Pomponne,

    il faut voir

    avec

    quel

    attendrissement

    elle

    parle

    de notre

    cher

    malheureux

    Jeune encore

    et

    belle

    sans

    prten-.

    tions, elle s'tait mise dans

    le monde sur

    le

    pied

    d'aimer

    sa

    fille,

    et

    ne

    voulait d'autre

    bonheur

    que

    celui

    de

    la

    produire

    et de la voir

    briller

    (2).

    Mlle

    de

    Svign

    figurait,

    ds

    1663,

    parfaits

    que

    s'ils ont

    eu

    une

    discipline premire,

    s'ils

    ont

    fait une

    bonne

    rhtorique;

    Mme

    de

    Svign lit la

    sienne

    sous

    Mnage

    et

    sous

    Chapelain.

    (1)

    Mme

    de

    La Fayette

    lui

    crivait

    :

    Votre

    prsence

    augmente

    les

    divertissements,

    et

    les

    divertissements augmentent

    votre

    beaut

    lorsqu'ils

    vous environnent;

    enfin

    la

    joie

    est

    l'tat

    vritable

    de

    votre

    me,

    et

    le chagrin

    vous

    est plus contraire qu'

    personne

    du

    monde. Mme

    de

    Svign

    avait

    ce

    qu'on peut

    appeler

    de

    l'fctt-

    meur,

    dans

    le

    sens

    d'humour, mais

    une

    belle

    humeur

    chaque

    in-

    stant

    colore et

    varie de

    la plus

    vive imagination.

    Ces

    clairs-l

    et

    ceite

    gaiet

    de

    couleurs font

    parfois

    comme un

    voile

    au-devant

    de

    sa

    sensibilit,

    qui,

    mme aux

    moments

    de

    deuil, ne

    peut

    s'empcher

    encore

    de

    prendre

    les

    livres

    gracieuses

    : il

    faut

    s'habituer

    la

    voir

    l-dessous.

    Il

    y a

    un

    coin

    de

    Mme

    Cornuel

    dans

    Mme

    de

    Svign.

    (2)

    On

    a un

    charmant

    portrait

    de

    Mme de

    Svign

    jeune

    par

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

    16/555

    8

    PORTRAITS DE FEMMES.

    dans

    les

    brillants

    ballets

    de

    Versailles, et

    le

    pote

    officiel,

    qui

    tenait

    alors

    la

    cour

    la

    place que

    Racine

    et

    Boileau

    pri-

    rent

    partir

    de

    1672,

    Benserade,

    fit

    plus

    d'un

    madrigal en

    l'honneur

    de

    celte

    bergre

    et

    de

    cette

    nymphe

    qu'une mre

    idoltre

    appelait

    la

    plus

    jolie

    fille

    de

    France.

    En

    1669,

    M.

    de

    Grignan

    l'obtint en mariage,

    et,

    seize

    mois

    aprs, il

    l'em-

    mena en

    Provence,

    o il commandait

    comme

    lieutenant

    g-

    nral, durant

    l'absence

    de

    M.

    de

    Vendme.

    Dsormais

    spare

    de

    sa

    fille,

    qu'elle ne

    revit plus

    qu'ingalement

    aprs

    des

    intervalles

    toujours

    longs,

    Mme

    de

    Svign

    chercha une

    consolation

    ses ennuis

    dans une

    correspondance de

    tous

    les

    instants,

    qui

    dura

    jusqu'

    sa mort (en

    1696),

    et

    qui

    com-

    prend

    l'espace de

    vingt-cinq

    annes, sauf

    les

    lacunes

    qui

    tiennent

    aux runions

    passagres

    de

    la mre

    et

    de la

    fille.

    Avant cette

    sparation

    de

    1671,

    on

    n'a

    de

    Mme de

    Svign

    qu'un

    assez petit

    nombre

    de

    lettres adresses

    son

    cousin

    Bussy,

    et

    d'autres M.

    de Pomponne

    sur

    le

    procs

    de

    Fou-

    quet. Ce

    n'est donc

    qu'

    dater

    de

    cette

    poque

    que

    l'on

    sait

    parfaitement

    sa

    vie

    prive,

    ses

    habitudes,

    ses

    lectures,

    et

    jusqu'aux moindres

    mouvements de

    la

    socit

    o

    elle

    vit

    et

    dont

    elle est l'me.

    Et

    d'abord,

    ds

    les

    premires

    pages

    de

    cette

    correspon-

    dance,

    nous

    nous

    trouvons dans un tout

    autre

    monde

    que

    celui

    de

    la

    Fronde

    et

    de

    la

    Rgence;

    nous

    reconnaissons

    que

    l'abb

    Arnauld

    ;

    il

    faut

    qu'elle ait eu bien de

    l'clat

    et

    de

    la

    couleur

    pour

    en

    communiquer

    un

    moment au

    style de

    ce

    digne

    abb,

    qui

    ne

    parat pas

    avoir

    eu,

    comme

    crivain,

    tout

    le

    talent de

    la

    famille

    :

    Ce fut

    en

    ce

    voyage,

    dit-il

    en

    ses

    Mmoires

    (

    l'anne

    165 ?),

    quo

    M.

    de

    Svign me fit

    faire connoissance

    avec

    l'illustre

    marquise

    de

    Svign,

    sa

    nice...

    11

    me semble

    que

    je

    la

    vois encore

    telle

    qu'elle me

    parut

    la premire

    fois que

    j'eus

    l'honneur

    de

    la

    voir,

    arrivant

    dans

    le

    fond de

    son

    carrosse

    tout

    ouvert,

    au

    milieu

    de

    M.

    son

    fils

    e*

    de

    ma-

    demoiselle

    sa

    fille

    :

    tous trois

    tels que les

    potes

    reprsentent

    Latone

    au

    milieu

    du

    jeune

    Apollon

    et

    de

    la

    jeune

    Diane,

    tant

    il

    clatoit

    d'a-

    grment

    dans la

    mre et

    dans les

    enfants 1

    Que

    c'est

    bien elle un

    esprit,

    une

    beaut,

    une

    grce

    h

    plein

    soleil,

    dans

    un

    carrosse

    tout ou-

    *cr

    ,

    et

    radieuse

    entre

    deux beaux

    enfants 1

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

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    MADAME

    DE

    SVIGN.

    9

    te qu'on

    appelle

    la

    socit

    franaise

    est

    enfin

    constitu.

    Sans

    doute

    (et,

    au dfaut des

    nombreux

    mmoires

    du

    temps,

    le

    anecdotes

    racontes

    par

    Mme

    de

    Svign

    elle-mme

    en

    fe-

    raient

    foi), sans

    doute

    d'horribles

    dsordres, des

    orgies

    gros-

    sires se

    transmettent

    encore

    parmi

    cette jeune

    noblesse

    laquelle Louis

    XIV

    impose pour

    prix de sa faveur la dignit,

    la

    politesse

    et l'lgance

    ;

    sans

    doute,

    sous

    cette

    superficie

    brillante et

    cette

    dorure de

    carrousel, il

    y

    a

    bien

    assez de

    vicea

    pour

    dborder

    de

    nouveau

    en

    une

    autre

    rgence,

    surtout

    quand

    le

    bigotisme d'une

    fin

    de rgne

    les

    aura

    fait

    fermenter. Mais

    au

    moins les

    convenances

    sont

    observes;

    l'opinion

    com-

    mence

    fltrir

    ce

    qui

    est ignoble

    et

    crapuleux.

    De

    plus,

    en

    mme temps

    que

    le

    dsordre

    et la

    brutalit

    ont perdu

    en

    scandale,

    la

    dcence

    et

    le

    bel-esprit

    ont

    gagn

    en

    simplicit.

    La

    qualification

    de

    prcieuse a

    pass

    de

    mode;

    on

    se

    souvient

    encore,

    en

    souriant,

    de

    lavoir

    t,

    mais on ne

    l'est

    plus.

    On

    ne disserte point

    comme

    autrefois,

    perte de vue,

    sur

    le

    sonnet

    de

    Job

    ou

    d'Uranie,

    sur

    la

    carte de

    Tendre

    ou sur

    le

    caractre

    du

    Romain;

    mais on cause;

    on

    cause

    nouvelles

    de cour,

    souvenirs

    du

    sige de

    Paris

    ou

    de

    la

    guerre

    de

    Guyenne;

    M.

    le

    cardinal

    de

    Retz

    raconte

    ses voyages,

    M.

    de

    La

    Rochefoucauld moralise,

    Mme

    de

    La

    Fayette

    fait des r-

    flexions

    de cur,

    et Mme de

    Svign les

    interrompt

    tous

    pour

    citer un mot de sa

    fille,

    une espiglerie de son

    fils,

    une

    distraction

    du

    bon

    d'Hacqueville

    ou de

    M.

    de

    Brancas.

    Nous

    avons

    peine,

    en

    1829,

    avec

    nos

    habitudes

    d'occupations

    po-

    sitives,

    nous reprsenter

    fidlement

    cette vie

    de loisir

    et

    de

    causerie.

    Le

    monde

    va

    si

    vite

    de

    nos

    jours,

    et

    tant

    de

    choses

    sont

    tour

    tour amenes

    sur

    la

    scne, que

    nous

    n'avons

    pas

    trop

    de

    tous

    nos

    instants

    pour

    les

    regarder

    et

    les

    saisir.

    Les

    journes

    pour

    nous se passent en

    tudes,

    les soires

    eu

    discus-

    sions

    srieuses;

    de conversations l'amiable, de

    causeries,

    peu

    ou

    point.

    La

    noble socit

    de

    nos jours,

    qui

    a conserv

    le

    plus

    de

    ces

    habitudes

    oisives

    des

    deux

    derniers

    sicles,

    semble

    ne

    l'avoir

    pu

    qu' la

    condition

    de

    rester

    trangre

    1.

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

    18/555

    10

    PORTRAITS

    DE

    FEMMES.

    aux

    murs

    et

    aux

    ides d' prsent

    (1).

    A

    l'poque

    dont nous

    parlons,

    loin

    d'tre

    un

    obstacle

    suivre

    le

    mouvement

    litt-

    raire,

    religieux

    ou

    politique,

    ce

    genre

    de

    vie

    tait

    le

    plus

    propre l'observer; il suffisait de

    regarder

    quelquefois

    du

    coin

    de

    l'il

    et

    sans

    bouger

    de sa chaise,

    et

    puis

    l'on

    pou-

    vait, le reste du temps,

    vaquer

    ses

    gots

    et

    ses

    amis.

    La

    conversation,

    d'ailleurs,

    n'tait

    pas

    encore

    devenue,

    comme

    au

    dix-huitime sicle,

    dans

    les

    salons

    ouverts sous la

    prsi-

    dence

    de

    Fontenelle,

    une

    occupation,

    une

    affaire,

    une

    pr-

    tention

    ;

    on

    n'y

    visait

    pas

    ncessairement

    au

    trait; l'talage

    gomtrique,

    philosophique et

    sentimental n'y tait pas

    de

    rigueur;

    mais

    on

    y

    causait de soi,

    des

    autres,

    de

    peu

    ou

    de

    rien.

    C'tait, comme dit Mme de

    Svign,

    des

    conversations

    infinies

    :

    Aprs le

    dner,

    crit-elle

    quelque part

    sa

    fille, noue

    allmes

    causer

    dans

    les

    plus

    agrables

    bois

    du

    monde;

    nousy

    fmes

    jusqu'

    six

    heures

    dans

    plusieurs

    sortes

    de

    conversa-

    lions

    si

    bonnes,

    si tendres, si

    aimables,

    si

    obligeantes

    et

    pour

    vous

    et

    pour moi, que j'en

    suis

    pntre

    (2).

    Au milieu

    de

    ce

    mouvement

    de

    socit

    si

    facile

    et si simple,

    si

    capri-

    cieux

    et si

    gracieusement anim, une visite, une

    lettre

    re-

    ue,

    insignifiante

    au

    fond,

    tait

    un

    vnement

    auquel

    on

    prenait

    plaisir,

    et

    dont

    on

    se

    faisait

    part

    avec

    empressement.

    Les

    plus

    petites

    choses

    tiraient

    du

    prix

    de

    la manire

    et

    de

    (1)

    Depuis

    que ces pages

    sont

    crites, j'ai

    eu

    souvent

    l'occasion

    de

    remarquer

    tout

    bas

    avec,

    bien

    du plaisir

    qu'on

    exagrait

    un

    peu

    cette

    ruine de l'esprit

    de

    conversation

    en France

    :

    sans doute l'ensemble

    de

    la

    socit n'est plus

    l,

    mais il

    y

    a

    de

    beaux restes,

    des

    coins

    d'ar-

    rire-saison.

    On

    est

    d'autant

    plus

    heureux

    d'en

    jouir

    comme

    d'un

    re-

    tour

    et

    presque

    d'un

    mystre.

    (2)

    Mademoiselle

    de

    Montpensier,

    du mme

    ge

    que

    Mme

    de Svi-

    gn,

    mais

    qui s'tait

    un

    peu

    moins

    assouplie

    qu'elle,

    crivant en

    1G60

    Mme

    de

    Molteville

    sur

    un idal de

    vie

    retire qu'elle

    se

    compose,

    y

    se composent

    ncessairement

    ces

    trsors

    cachs),

    l'amant

    qui

    survit

    se

    consacre

    un

    souvenir

    fidle,

    et

    s'essaie

    dans

    les

    pleurs,

    par

    un

    retour

    circonstanci,

    ou

    en

    s'aidant

    de

    l'harmonie

    de

    l'art,

    transmettre

    ce

    souve-

    nir,

    l'terniser.

    Il

    livre

    alors

    aux

    lecteurs

    avides

    de

    ces

    sortes

    d'motions

    quelque

    histoire

    altre,

    mais

    que

    sous

    le

    dguisement

    des

    apparences

    une

    vrit

    profonde

    anime;

    ou

    bien

    il garde

    pour

    lui et

    prpare,

    pour

    des

    temps

    o

    il

    ne

    sera

    plus,

    une

    confidence,

    une

    confession

    qu'il

    intitulerait

    volontiers,

    comme

    Ptrarque

    a

    fait

    d'un

    de

    ses

    livres,

    son

    secret.

    D'autres

    fois,

    enfin,

    c'est un

    tmoin,

    un

    dpositaire

    de

    la

    confidence

    qui

    la rvle,

    quand

    les

    objets

    sont

    morts

    et

    tides

    peine ou

    dje

    glacs.

    11

    y

    a des

    exemples

    de

    toutes

    ces

    formes

    diverses

    parmi les

    productions

    nes

    du

    cur;

    et

    ces

    formes,

    nous

    le

    rptons, sont,

    assez

    insignifiantes,

    pourvu

    qu'elles

    n'touffent

    pas

    le

    fond

    et

    qu'elles

    laissent

    l'il

    de

    l'me

    y

    pntrer

    au

    vif

    sous leur

    transparence.

    S'il

    nous

    fal-

    lait

    pourtant

    nous

    prononcer,

    nous dirions

    qu'

    part

    la

    forme

    idale,

    harmonieuse,

    unique,

    o

    un

    art

    divin

    s'emparant

    d'un

    sentiment

    humain

    le

    transporte,

    l'lve

    sans

    le

    briser,

    et le

    peint

    en

    quelque

    sorte dans

    les

    cieux,

    comme

    Raphal

    peignait

    au

    Vatican,

    comme

    Lamartine

    a

    fait

    pour

    Elvire,

    part ce

    cas

    incomparable

    et glorieux,

    toutes

    les

    formes

    in-

    termdiaires

    nuisent

    plus

    ou moins,

    selon

    qu'elles

    s'loignen'

    du

    pur et naf

    dtail des

    choses

    prouves.

    Le

    mieux,

    selon

    nous,

    est

    de s'en

    tenir

    troitement

    au

    vrai

    et de

    viser

    au

    roman

    le moins possible

    (1),

    omettant

    quelquefois

    avec

    got,

    (1)

    Toutes

    les

    histoires

    de

    VAstre

    ont un fondement

    vritable,

    mais

    l'auteur les a

    toutes

    romances

    ,

    si

    j'ose user

    de

    ce mot.

    C'est

    Patru

    qui

    dit

    cela

    (OEuvres

    diverses,

    tome II)

    dans

    ses curieux

    claircissements

    sur

    l'ouvrage

    de

    D'Urf.

    Le

    sens

    qu'il

    donne

    ce

    mot

    est

    celui

    d'idalisation,

    d'ennoblissement,

    de quintessence

    des

    choses

    relles;...

    leur

    traduction

    au

    clair

    de

    lune,

    en

    quelque sorte.

    AinM,

    au

    lieu

    de

    parler de

    l'impuissance

    de

    son frre an,

    D'Urf

    suppose

    que

    l'amant prtendu

    est

    une fille

    dguise

    en garon

    ;

    ainsi,

    au

    lieu

    de

    la

    petite

    vrole,

    que

    prend

    par

    dvouement

    la

    princesse

    de

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

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    24

    PORTRAITS DE

    FEMMES.

    mais se

    faisant

    scrupule

    de

    rien

    ajouter.

    Aussi les

    lettres

    crites au

    moment de la

    passion,

    et qui

    en rflchissent,

    sans

    offort

    de

    souvenir,

    les mouvements

    successifs,

    sont-elles

    inap-

    prciables

    et

    d'un

    charme

    particulier

    dans

    leur dsordre.

    On

    connat

    celles

    d'une

    Portugaise,

    bien

    courtes

    malheureuse-

    ment

    et

    tronques.

    Celles de

    Mlle de

    Lespinasse,

    longues

    et

    dveloppes,

    et

    toujours

    renaissantes comme la passion,

    au-

    raient

    plus

    de

    douceur

    si

    l'homme

    qui elles

    sont

    adresses

    (M. de

    Guibert)

    n'impatientait et

    ne

    blessait

    constamment

    par

    la

    morgue

    pdantesque qu'on

    lui

    suppose,

    et

    par

    son

    gosme

    qui

    n'est

    que

    trop

    marqu.

    Les

    lettres de

    Mlle

    Ass,

    les

    moins

    connues

    de

    toutes

    ces

    lettres

    de femmes,

    sont

    aussi

    les plus

    charmantes,

    tant

    en

    elles-mmes

    que

    par

    ce

    qui les

    entoure.

    L'auteur

    de

    Mademoiselle

    Justine de

    Liron

    (),

    qui

    connat

    cette

    littrature

    aimable

    et

    intime

    beaucoup

    mieux

    que

    nous,

    vient

    de

    l'augmenter

    d'une

    histoire

    touchante,

    qui,

    bien

    qu'offerte

    sous

    la

    forme du

    roman,

    garde

    chaque

    ligne

    les

    traces

    de

    la

    ralit

    observe

    ou

    sentie.

    Pour qui

    se

    complat

    ces

    ingnieuses

    et

    tendres

    lectures;

    pour

    qui a

    jet

    quelque-

    fois

    un

    coup

    d'il

    de

    regret,

    comme

    le

    nocher

    vers

    le

    rivage,

    vers

    la

    socit

    dslongtemps

    fabuleuse

    desLa

    Fayette

    et

    des

    S-

    \ign;

    pour

    qui

    a

    pardonn

    beaucoup

    Mme

    de

    Maintenon,

    en

    tenant

    ses

    lettres

    attachantes, si

    senses

    et si unies

    ;

    pour

    qui

    aurait

    volontiers

    partag

    en

    ide

    avec

    Mlle

    de Montpen-

    aier

    cette

    retraite

    chimrique

    et

    divertissante

    dont elle pro-

    pose

    le

    tableau

    Mme

    de

    Motteville,

    et

    dans

    laquelle

    il

    y

    aurait

    eu

    toutes

    sortes

    de

    solitaires

    honntes

    et

    toutes

    sortes

    de

    conversations

    permises,

    des

    bergers,

    des

    moutons,

    point

    d'amour,

    un

    jeu

    de

    mail,

    et

    porte

    du

    lieu, en

    quelque

    fort

    voisine,

    un

    couvent

    de

    carmlites

    selon

    la rforme

    de

    sainte

    Thrse

    d'Avila

    ;

    pour

    qui,

    plus

    tard,

    accompagne

    Cond,

    il

    suppose

    une

    beaut

    qui

    se

    dchire

    le visage

    avec

    la

    pointe

    4

    un

    diamant.

    (1)

    M.

    E.

    Delcluie.

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    DU

    ROMAN

    INTIME.

    25

    d'un

    regard

    attendri Mlle

    de

    Launay,

    toute

    jeune

    fille

    et

    pauvre

    pensionnaire

    du couvent,

    au

    chteau

    antique

    et

    un

    peu

    triste

    de

    Silly,

    aimant le

    jeune

    comte,

    fils

    de

    la

    maison,

    et

    s'entretenant de

    ses

    ddains

    avec Mlle

    de

    Silly

    dans

    une

    alle

    du

    bois,

    le long

    d'une

    charmille,

    derrire

    laquelle

    il

    les

    entend;

    pour

    qui

    s'est fait

    la

    socit

    plus

    grave

    de

    Mme

    de Lambert,

    et

    aux

    discours

    nourris

    de

    christianisme

    et

    d'antiquit

    qu'elle

    tient avec

    Sacy;

    pour qui,

    tour

    tour,

    a

    suivi

    Mlle Ass

    blon,

    o elle sort

    ds

    le matin

    pour

    tirer

    aux

    oiseaux, puis Diderot

    chez

    d'Holbach

    au Granval,

    ou

    Jean-Jacques aux pieds de

    Mme

    d'Houdetot

    dans

    le

    bosquet;

    pour

    quiconque

    enfin

    cherche

    contre

    le

    fracas

    et la

    pesan-

    teur

    de nos jours un

    rafrachissement,

    un

    refuge

    passager

    auprs

    de

    ces

    mes

    aimantes et polies

    des

    anciennes

    gnra-

    tions

    dont

    le

    simple langage

    est dj

    loin

    de nous,

    comme

    le

    genre

    de

    vie

    et

    de

    loisir

    ;

    pour

    celui-l,

    Mlle

    de

    Liron

    n'a

    qu'

    se

    montrer;

    elle

    est

    la

    bienvenue

    :

    on

    la

    comprendra,

    on

    l'aimera;

    tout inattendu

    qu'est

    son

    caractre,

    tout

    irr-

    gulires

    que

    sont

    ses

    dmarches,

    tout

    provincial

    qu'est

    par-

    fois son accent,

    et

    malgr

    l'improprit

    de

    quelques

    locutions

    que

    la

    cour

    n'a

    pu

    polir

    (puisqu'il

    n'y

    a plus

    de

    cour),

    on

    sentira ce

    qu'elle

    vaut,

    on

    lui

    trouvera

    des

    surs.

    Nous

    lui

    en

    avons

    trouv trois

    :

    l'une,

    dj

    nomme,

    Mlle

    Ass;

    les

    deux autres,

    Ccile

    et

    Caliste,

    des

    Lettres

    de

    Lausanne.

    Elle

    ne

    serait

    pas

    dsavoue d'elles.

    Bien

    qu'un

    peu

    raisonneuse,

    ille

    reste

    autant nave

    qu'il

    est possible

    de

    l'tre

    aujour-

    d'hui,

    et,

    ce

    qui rachte

    tout

    d'ailleurs,

    elle

    aime

    comme

    il

    faut

    aimer.

    Mlle de Liron

    est

    une

    jeune fille

    de

    vingt-trois

    ans

    qui ha-

    bite

    Chamalires,

    prs

    Glermont-Ferrand

    en

    Auvergne,

    avec son

    pre,

    M. de

    Liron,

    dont elle

    gaie

    la

    vieillesse et

    dirige

    la

    maison,

    suffisant

    aux

    moindres

    dtails,

    surveillant,

    dans

    sa

    prudence,

    les

    biens,

    la

    rcolte

    des prairies,

    et

    aussi

    l'ducation

    de

    son

    petit cousin

    Ernest,

    de

    quatre ans

    moins

    Ag

    qu'elle,

    et

    qui,

    depuis

    quatre ans

    juste,

    est

    venu

    du

    s-

    2

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

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    26

    PORTRAITS

    DE

    FEMMES.

    minaire

    de

    Clermont

    s'tablir

    chez son

    grand-oncle

    et

    tuteur.

    Le

    pre

    d'Ernest

    tait

    dans les

    ambassades;

    M. de Liron

    trouve

    naturel

    qu'Ernest

    y

    entre

    son

    tour

    :

    voici l'ge;

    pour

    l'y

    introduire, il

    a

    song

    l'un de

    ses

    anciens

    amis,

    M.

    de Thi-

    zac,

    qui,

    de

    son

    ct, se

    voyant

    au terme dcent du

    clibat,

    songe que

    Mlle de

    Liron

    lui

    pourrait

    convenir,

    et

    arrive

    Chamalires

    aprs

    l'avoir

    demande

    en

    mariage.

    Or,

    Ernest

    est

    amoureux

    de sa

    cousine,

    laquelle aime

    sans

    doute

    son

    cousin,

    mais

    l'aime

    un

    peu

    comme

    une

    mre et le

    traite

    volontiers

    comme

    un

    enfant.

    Mlle

    de

    Liron,

    toute

    campa-

    gnarde

    qu'elle

    est, a

    un

    esprit mr

    et

    cultiv, un

    carac-

    tre

    ferme et

    prudent,

    un

    cur

    qui

    a pass par

    les

    preu-

    ves

    :.

    elle

    a

    souffert

    et

    elle

    a

    rflchi.

    Une anne

    avant

    qu'Ernest

    vnt

    habiter

    du

    collge

    la maison, il

    para-

    trait

    qu'elle

    aurait

    fait

    une absence,

    et perdu, durant cette

    absence,

    une

    personne

    fort

    chre

    :

    elle

    portait

    du

    deuil

    au

    retour,

    et

    c'tait

    prcisment l'poque

    de

    la

    fameuse ba-

    taille de

    B...

    (Bautzen

    peut-tre?)

    o

    tant d'officiers franais

    prirent.

    Quoil'hroneadj

    aim?Quoi

    Ernest ne sera pas

    le

    seul,

    l'unique; il

    aura eu

    un

    devancier

    dans

    le

    cur, et

    qui

    sait?

    dans

    les

    bras de

    sa

    charmante

    cousine

    Eh

    mon Dieu,

    oui;

    qu'y

    faire?

    L'historien

    vridique de

    Mlle de

    Liron

    pourrait

    rpondre

    comme

    Mlle

    de

    Launay

    disait

    d'une de

    ses

    inclina-

    tions

    non

    durables

    :

    i Je

    l'aurais

    supprime si

    j'crivais

    un

    roman.

    Je

    sais

    que

    l'hrone

    ne

    doit

    avoir

    qu'un

    got;

    qu'il

    doit tre

    pour quelqu'un

    de parfait

    et

    ne

    jamais

    finir,

    mais

    le

    vrai est

    comme

    il

    peut, et

    n'a de mrite que d'tre

    ce

    qu'il

    est. Ses

    irrgularits sont

    souvent

    plus

    agrables

    que

    la

    perptuelle

    symtrie

    qu'on retrouve

    dans

    tous les

    ou-

    vrages

    de

    l'art.

    C'est

    ainsi,

    propos

    d'irrgularits,

    que

    ce

    petit

    viHage

    de

    Chamalires,

    assemblage

    singulier

    de

    proprits

    particu-

    lires,

    maisons, prs,

    ruisseaux,

    chtaigneraie

    et

    grands

    noyers

    compris,

    le

    tout

    enferm

    de

    murs

    assez

    bas

    dont

    les

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

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    DU

    ROMAN

    INTIME.

    27

    sinuosits

    capricieuses

    courent

    en

    labyrinthe,

    compose

    au\

    yeux

    le

    plus

    vrai et

    le

    plus

    riant des paysages.

    Mlle

    de

    Liron

    a

    donc

    aim

    dj

    :

    ce

    qui

    fait

    qu'elle

    est

    femme,

    qu'elle

    est

    forle,

    capable

    de retenue,

    de

    rsolution,

    de

    bon

    conseil;

    ce

    qui

    fait

    qu'elle ne

    donne

    pas

    dans

    de

    folles

    imaginations

    de

    jeune

    filie,

    et

    qu'elle

    sent

    merveille

    qu'Ernest

    lui est

    de

    beaucoup

    trop

    ingal

    en

    ge,

    qu'il

    a

    sa

    carrire

    commencer, et

    que

    si

    elle

    se

    livrait

    aveuglment

    ce

    jeune

    homme,

    il

    ne

    l'aimerait ni

    toujours,

    ni

    mme

    long-

    temps.

    Elle

    ne se

    figure

    donc

    pas

    le

    moins

    du

    monde

    un

    avenir

    riant de

    vie

    champtre,

    de

    domination

    amoureuse

    et

    de

    bergerie

    dans ces

    belles prairies

    foin,

    partages

    par

    un

    ruisseau

    qu'elle

    a

    sous

    les

    yeux,

    ou

    dans

    quelque

    rocher

    t-

    nbreux

    de

    la

    valle de Villar,

    qui

    n'est

    qu'

    deux pas

    :

    elle

    ne

    rve pas

    son

    Ernest

    ses

    cts

    pour

    la vie.

    Mais

    tout en

    se

    promenant avec

    lui

    sous une

    alle de

    chtaigniers

    devant

    la

    maison,

    tout

    en

    prenant le

    frais

    prs

    de

    l'adolescent chri

    sur

    un

    banc

    plac

    dans

    celte

    alle,

    elle le

    prpare

    l'arrive

    de

    M de Thizac

    qu'on

    attend le jour

    mme;

    ellel'engage

    pro-

    fiter de

    cette

    protectionimportante

    pour

    mettre

    un

    pied

    dansle

    monde,

    et elle lui

    annonce avec

    gravit

    et

    confiance

    qu'elle

    est

    dcide

    se

    laisser

    marier

    avec M. de

    Thizac

    :

    car,

    dit-elle, mon

    pre,

    qui est

    g

    et

    valtudinaire,

    peut

    mou-

    rir. Que

    ce

    malheur

    arrive, et

    je

    me

    retrouve

    dans le

    cas

    d'une jeune

    fille

    de

    seize

    ans,

    force

    de

    se

    marier

    sans

    avoir le temps de

    concilier

    les

    convenances

    avec ses

    gots.

    C'est

    ce que

    je

    ne

    veux

    pas.

    L'emportement

    d'Ernest,

    sa

    bouderie,

    son

    dpit

    irrit,

    ses

    larmes,

    le

    dtail

    du

    mouchoir,

    gracieux encore

    dans

    sa

    sim-

    plicit

    un

    peu

    vulgaire,

    c'est

    ce

    que le

    narrateur

    fidle

    a

    reproduit

    bien mieux

    qu'on ne

    saurait

    deviner.

    Qu'il

    nous

    suffise

    de dire que

    la

    fermet

    amicale de

    Mlle

    de

    Liron

    tient

    en

    chec Ernest

    ce

    jour-l

    et

    le

    suivant;

    que

    le

    mot vous

    n'tes

    qu'un

    enfant,

    propos

    jet

    l'amour-propre

    du

    jeune

    cousin,

    achve de

    le dcider;

    que

    M.

    de

    Thizac,

    qui

    arrive

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

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    28

    PORTRAITS

    DE

    FEMMES.

    en

    litire

    avec son

    projet

    de

    contrat

    de

    mariage

    et un brevet

    de

    nomination

    pour

    Ernest,

    est

    accueilli

    fort convenable-

    ment,

    et

    que

    celui-ci

    annonce

    bien

    haut,

    avec

    l'orgueil

    d'une

    rsolution

    soudaine, qu'il

    part

    le

    lendemain de grand

    matin pour

    Paris.

    Mais

    le soir

    mme,

    quand

    tout le

    monde

    est

    retir,

    quand

    la

    maison

    entire

    repose,

    et

    que

    Mlle de Liron,

    aprs

    avoir

    fait son

    inspection

    habituelle,

    entre

    dans

    sa

    chambre, non

    sans

    songer

    ce

    pauvre

    Ernest

    qu'elle

    craint

    d'avoir

    afflig

    par

    sa

    dernire

    brusquerie,

    que

    voit-elle?

    Ernest

    lui-mme

    qui

    est

    venu

    l, ma

    foi pour

    lui dire

    adieu, pour

    lui

    repro-

    cher

    sa

    duret, pour

    la

    voir

    encore,

    et partir en

    la

    maudis-

    sant...

    Mais

    Ernest

    ne

    part qu'au

    matin,

    ivre

    de

    bonheur,

    bnissant

    sa

    belle

    cousine, oubliant une

    montre

    qui

    ne quit-

    tera

    plus

    cette

    chambre

    sacre,

    ayant

    promis, par

    un

    invio-

    lable

    vu,

    de

    ne

    revenir qu'aprs

    un

    an

    rvolu,

    et

    de

    bien

    travailler

    durant ce

    temps

    son

    progrs

    dans

    le

    monde.

    Ernest

    s'tait

    gliss dans

    cette

    chambre comme un enfant:

    il

    en

    sort

    dj

    homme.

    Le

    matin

    mme,

    M.

    de

    Liron

    a

    reu

    son

    rveil

    une

    lettre

    de

    sa

    fille,

    qui

    lui

    annonce

    qu'aprs

    y

    avoir

    srieusement

    rflchi,

    elle

    croit

    devoir

    refuser la

    main

    de M. de

    Thizac

    et

    les

    avantages

    dont

    il

    voulait bien l'honorer.

    Un an

    se

    passe.

    Mais

    c'est

    ici le

    lieu

    de

    dire

    que

    Mlle

    de

    Liron

    tait

    belle,

    et

    comment elle

    l'tait;

    car

    sa

    beaut va

    s'altrer

    avec

    sa

    sant

    jusque-l

    si parfaite,

    et

    quand

    Ernest

    la

    reverra

    aprs le

    terme

    prescrit, malgr

    l'amour

    d'Ernest

    et

    ses

    soins

    de

    plus

    en

    plus

    tendres, elle

    lira

    involontaire-

    ment

    dans ses

    yeux

    qu'elle

    n'est

    plus

    tout

    fait la

    mme.

    Mlle

    de

    Liron

    est

    blanche

    comme le lait; elle

    a de

    beaux

    cheveux

    noirs

    et

    des yeux

    d'un

    bleu

    de

    mer,

    genre

    de

    beaut

    assez

    commun

    parmi

    les

    femmes

    du

    Cantal

    o

    sa mre

    tait

    ne.

    Elle

    est

    un

    peu

    grasse,

    s'il

    faut le dire,

    ce

    qui

    n'est

    pas

    mprisable

    assurment,

    mais

    ce

    qui

    nuit

    quelque

    peu

    a

    l'idal.

    Au

    reste,

    je

    loue

    de

    grand

    cur

    l'historien

    vridique

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    DU

    ROMAN

    INTIME.

    29

    de

    nous

    avoir

    monlr

    Mlle de

    LTonunpeu

    grasse,

    puisqu'elle

    l'tait

    sans

    nul

    doute

    au commencement

    de

    cette

    aventure;

    mais

    je

    voudrais

    qu'il

    se

    ft

    tromp

    en

    nous

    le

    rappelant

    vers

    la

    fin,

    et lors

    d'une

    saigne au pied

    qu'on

    lui

    pratique

    avec

    difficult dans sa dernire

    maladie.

    Les

    souffrances

    de

    Mlle

    de Liron

    avaient

    d la

    maigrir

    la

    longue. Mlle

    Ass,

    qui

    mourut, il

    est vrai,

    d'une

    phthisie aux poumons,

    et

    non

    d'un

    anvrisme au

    cur,

    tait

    devenue bien

    maigre,

    comme

    elle

    le

    dit

    :

    Je

    suis

    extrmement

    maigrie

    :

    mon

    change-

    ment

    ne

    parat pas autant quand

    je suis

    habille.

    Je

    ne

    suis

    pas jaune,

    mais

    fort ple;

    je

    n'ai pas

    les

    yeux

    mau-

    vais;

    avec

    une coiffure

    avance

    je suis encore assez bien

    ;

    mais

    ie

    dshabill

    n'est pas

    tentant,

    et

    mes

    pauvres

    bras,

    qui,

    mme dans

    leur

    embonpoint, ont

    toujours

    t

    vilains

    et

    plats, sont comme

    deux

    cotrets.

    Si Mlle

    Ass,

    mme

    dans

    son

    meilleur

    temps,

    a toujours

    t

    un

    peu

    maigre,

    il

    est

    certes

    bien

    permis

    Mlle

    de Liron

    d'avoir

    toujours

    t

    un

    peu

    grasse;

    cela

    nous

    a

    valu

    au

    dbut

    une jolie

    scne

    do-

    mestique de

    ptisserie,

    o

    l'on voit

    aller

    et

    venir dans

    la

    pte

    les

    mains blanches

    et poteles,

    et

    les

    bras nus jusqu'

    l'-

    paule

    de

    Mlle de

    Liron.

    Mais,

    je

    le

    rpte,

    je

    dsirerais fort

    que

    vers

    la

    fin,

    au

    milieu

    des

    douleurs

    et

    de

    la

    sublimit

    de

    sentiments

    qui domine,

    il

    ne ft

    plus

    question de cette

    dis-

    position insignifiante

    d'une

    si

    noble

    personne

    : la flamme

    de

    la lampe,

    en

    s'tendant,

    avait

    d

    beaucoup user.

    J'ima-

    gine, pour

    accorder

    mon dsir

    avec l'exactitude

    bien

    re-

    connue

    du narrateur,

    qu'ayant

    su

    par

    un

    tmoin

    que la

    saigne

    au

    pied

    avait t

    difficile,

    il

    aura

    attribu

    cette

    dif-

    ficult

    un

    reste

    d'embonpoint,

    tandis

    que

    la

    saigne

    au

    pied

    est

    quelquefois

    lente

    et pnible,

    mme

    sans

    cette

    circonstance.

    Quoi

    qu'il

    en scit,

    la nuit de la

    visite et

    du

    dpart

    d'Ernest,

    Mlle

    de

    Liron,

    ple,

    en robe

    blanche,

    demi

    pme

    d'effroi,

    ses

    grands

    cheveux

    noirs,

    que

    son

    peigne

    avait

    abandonns,

    retombant

    sur

    son visage, et ses yeux

    clatant

    de

    la

    vivacit

    de mille

    motions,

    Mlle

    de

    Liron,

    en

    ce

    moment,

    2

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

    38/555

    30

    PORTRAITS

    DE

    FEMMES.

    tait

    au comble

    de sa

    beaut

    et

    atteignait

    l'idal; c'est

    ainsi

    qu'Ernest

    la vit, et

    qu'elle

    se grava dans

    son

    cur.

    Puisqu'on

    connat

    le

    portrait

    de

    Mlle

    de

    Liron,

    puisque

    j'ai

    os

    citer un passage de

    Mlle

    Ass

    malade,

    qui,

    en don-

    nant

    une

    incomplte

    ide de

    sa personne,

    laisse

    trop

    peu

    entrevoir

    combien elle

    fut

    vive et gracieuse, cette

    aimable

    Circassienne

    achete

    comme

    esclave,

    venue

    quatre

    ans

    en

    France,

    que

    convoita

    le

    Rgent, et que le chevalier

    d'Aydie

    possda; puisque

    j'en

    suis aux

    traits

    physiques

    des

    beauts

    que

    Mlle

    de Liron rappelle et

    l'air

    de

    famille

    qui les dis-

    tingue,

    je

    n'aurai

    garde

    d'oublier la

    Ccile des

    Lettres de

    Lausanne,

    cette

    jeune

    fille

    si

    vraie,

    si

    franche,

    si

    sense

    elle-

    mme,

    leve par une

    si

    tendre

    mre,

    et

    dont

    l'histoire

    ina-

    cheve

    ne dit rien, sinon

    qu'elle

    fut

    sincrement

    prise

    d'un

    petit

    lord

    voyageur, bon

    jeune

    homme,

    mais

    trop

    enfant

    pour

    l'apprcier,

    et

    qu'elle

    triompha probablement

    de

    cette

    passion

    ingale

    par

    sa

    fermet

    d'me. Or Ccile

    a des

    rap-

    ports

    singuliers

    de

    contraste

    et

    de

    ressemblance avec

    Mlle

    de

    Liron

    ;

    coutons

    sa

    mre

    qui nous

    la

    peint :

    Elle est assez

    grande,

    bien

    faite,

    agile;

    elle

    a

    l'oreille parfaite

    :

    l'emp-

    cher de

    danser

    serait

    empcher

    un daim

    de

    courir... Fi-

    gurez-vous

    un

    joli

    front,

    un

    joli

    nez,

    des

    yeux

    noirs

    un

    peu

    enfoncs

    ou

    plutt

    couverts, pas

    bien grands,

    mais

    brillants

    et

    doux;

    les

    lvres

    un

    peu

    grosses

    et

    trs-ver-

    meilles,

    les

    dents

    saines,

    une belle

    peau de

    brune,

    le

    teint

    trs-anim,

    un

    cou

    qui

    grossit

    malgr

    tous

    les

    soins

    que

    je

    me donne,

    une gorge qui

    serait

    belle si

    elle

    tait

    plus

    blanche,

    le

    pied et

    la

    main

    passables;

    voil

    Ccile...

    Eh bien oui,

    un

    joli jeune

    Savoyard habill

    en

    tille,

    c'est

    li

    assez

    cela.

    Mais

    n'oubliez

    pas,

    pour

    vous la

    figurer aussi

    jolie

    qu'elle

    l'est,

    une

    certaine

    transparence

    danb le

    teint,

    je

    ne

    sais

    quoi

    de

    satin,

    de

    brillant

    que

    lui

    donne

    sou-

    vent

    une

    lgre

    transpiration

    :

    c'est

    le

    contraire du

    mat,

    du

    terne;

    c'est

    le

    satin

    de

    la

    fleur

    rouge

    des

    pois

    odorif

    rants.

    Voil

    bien

    prsent

    ma

    Ccile.

    Si

    vous

    ne

    la

    recoc-

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

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    DU

    ROMAN

    INTIME.

    31

    naissiez

    pas

    en la

    rencontrant

    dans la rue,

    ce

    serait

    votre

    faute.

    Ainsi

    tout

    ce

    que Mlle de

    Liron

    a de brillant

    par

    la

    blancheur, Ccile

    l'a

    par le rembruni; ce que

    l'une

    a

    de

    commun

    avec

    les femmes du

    Cantal,

    Tau Ire l'a

    avec

    les

    jolis

    enfants

    de

    Savoie; le

    cou

    visiblement

    paissi

    de Ccile

    est

    un

    dernier caractre de

    ralit, comme

    d'tre

    un peu

    grasse

    ajoute

    un

    trait distinctif

    Mlle de

    Liron. Pour

    ne pas

    nous

    apparatre

    potises

    la

    manire

    de

    Laure

    ou

    de

    Mdora,

    elles

    n'en

    demeurent

    pas

    moins

    adorables

    toutes

    les

    deux,

    et

    on

    ne

    s'en

    estimerait

    pas

    moins

    fortun

    pour la

    vie

    de leur

    agrer

    l'une

    ou

    l'autre,

    et

    de

    les obtenir,

    n'importe

    laquelle.

    Mais

    au

    milieu de

    ces

    discours

    un

    an

    s'est

    coul.

    Ernest,

    secrtaire d'ambassade

    Rome,

    a

    reu

    un

    ordre

    de

    retour;

    il part

    demain

    pour

    Paris;

    de

    l

    il

    courra

    Chamalires.

    Il

    va

    faire

    sa

    visite

    d'adieu

    Cornlia.

    Cornlia

    est

    une

    belle

    et jeune

    comtesse

    romaine qui

    s'est

    prise

    d'amour

    pour

    Ernest;

    Ernest

    lui a

    loyalement avou

    qu'il

    ne

    pouvait

    lui

    accorder tout

    son

    cur, et

    Cornlia n'a

    pas cess

    de

    l'aimer.

    Ce

    n'est

    pas un

    hros de

    roman

    qu'Ernest :

    nous

    l'avons

    connu

    adolescent

    vif,

    imptueux,

    d'une

    physionomie

    spiri-

    tuelle,

    ni

    beau

    ni

    laid;

    il est devenu

    homme,

    appliqu

    aux

    affaires,

    modrment

    accessible aux

    distractions

    de

    la

    vie,

    fidle

    sa chre et

    tendre

    Justine, mais

    non

    pas

    insensible

    Cornlia.

    Ernest

    est

    un homme

    distingu autant

    qu'ai-

    mable

    :

    Mlle

    de

    Liron l'a

    voulu

    rendre

    tel,

    et

    y

    a

    russi.

    Par

    moments, plus

    tard

    surtout,

    je le

    voudrais

    autre;

    je le

    vou-

    drais,

    non

    plus dvou, non

    plus

    soumis,

    non

    plus

    attentif

    au

    chevet

    de

    son

    amie

    mourante;

    Ernest

    en

    tout

    cela

    est

    parfait

    : sa

    dlicatesse touche; il

    mrite

    qu'elle

    lui

    dise

    avec

    larmes,

    et

    en

    lui

    serrant

    la

    main aprs

    un

    discours

    lev

    qu'elle

    achve

    :

    toi

    lu

    entends

    certainement

    ce

    langage

    ;

    toi,

    tu

    sais

    vraiment

    aimer

    Ernest

    est

    parfait,

    mais

    il

    n'est

    pas idal;

    mais,

    aprs

    cette

    amre

    et

    religieuse

    dou-

    leur

    d'une

    amie

    morte

    pour

    lui,

    morte

    entre

    ses

    bras,

    aprs

    ^tte

    sanctifiante

    agonie au

    sortir de

    laquelle

    l'amant

    serai*

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

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    32

    PORTRAITS

    DE

    FEMMES.

    all

    autrefois se

    jeter

    dans un clotre

    et prier

    ternellement

    pour

    l'me de

    l'amante,

    lui,

    il

    rentre par

    degrs

    dans

    le

    monde

    ;

    il

    trouve

    moyen,

    avec

    le

    temps,

    d'obir

    l'ordre

    de

    celle

    qui

    est

    revenue

    l'aimer comme

    une

    mre; il

    finit par

    se

    marier et

    par

    tre

    raisonnablement heureux.

    Cet Ernest-

    l

    est

    bien

    vrai,

    et

    pourtant je

    l'aurais

    voulu

    autre. Le

    che-

    valier

    d'Aydie me

    satisfait

    mieux. 11 est

    des

    douleurs telle-

    ment

    irrmdiables

    la

    fois

    et

    fcondes,

    que,

    malgr

    la

    fragilit

    de nctre

    nature

    et

    le

    dmenti

    de

    l'exprience,

    nous

    nous

    obstinons

    les

    concevoir

    ternelles; faibles,

    incon-

    stants,

    mdiocres

    nous-mmes,

    nous

    vouons hroquement

    au

    sacrifice

    les

    tres

    qui

    ont

    inspir

    de grandes

    prfrences

    et

    caus

    de

    grandes

    infortunes;

    nous nous

    les

    imaginons

    comme

    fixs

    dsormais

    sur cette

    terre dans la situation

    sublime

    o

    l'lan

    d'une

    noble

    passion

    les

    a ports.

    Mais

    nous

    n'en

    tions

    qu'au

    dpart

    de

    Home.

    Lorsque

    Ernest,

    profitant

    d'un

    cong,

    arrive Chamalires,

    il

    y

    trouve

    donc, outre

    M. de

    Liron, fort

    baiss

    par

    suite

    d'une

    attaque,

    Aille Justine,

    souffrante

    depuis prs

    d'un an:

    elle

    dguise

    en

    vain, sous

    un

    air

    d'indiffrence

    et

    de

    gaiet,

    ses

    apprhensions

    trop

    certaines.

    La nouvelle position des

    deux

    amants,

    l'embarras

    lger

    des

    premiers

    jours,

    le

    rendez-

    vous

    la

    chambre,

    le

    bruit

    de

    la

    montre

    accroche

    encore

    la

    mme

    place, le

    souper

    deux

    dans une

    seule assiette

    (1),

    cette

    seconde

    nuit

    qu'ils

    passent

    si

    victorieusement et

    qui

    (1)

    Quelques

    personnes

    ont trouv

    redire

    ce

    petit souper

    d'Er-

    nest

    et de

    mademoiselle

    de

    Liron.

    Pour

    moi,

    je

    l'avoue,

    ce repas

    trs-frugal

    bien

    qu'apptissant,

    et

    o

    prside

    d'ailleurs

    une

    exacte

    privation,

    n'a

    rien qui me

    choque, comme le font,

    dans la

    charmante

    correspondance

    de

    Diderot,

    certains aveux

    sur

    les

    quinze

    marnais

    jours

    dont

    mademoiselle Voland

    puie un petit

    verre

    de vin et

    une cuisse

    de

    perdrix

    de

    trop

    ;

    et

    ce

    n'est

    pas

    du tout

    non

    plus

    le

    cas

    picurien

    de

    Ninon

    vieillie

    crivant au

    vieux

    Saint-vremond

    :

    Qns

    j'envie

    ceux

    qui

    passent

    en

    Angleterre, et

    que

    j'aurois

    de

    plaisir

    dner

    t

    encore

    une

    fois avec vous

    N'est-ce

    point une grossiret

    que

    le

    souhait

    d

    un

    dner?

    L'esprit

    a

    de

    grands

    avantages

    sur le corps

    :

    t

    cependant

    le corps

    fournit

    souvent de petits

    gots

    qui

    se

    ritrent,

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

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    DU

    ROMAN

    INTIME.

    33

    laisse

    leur

    ancienne

    nuit

    du

    23

    juin

    unique

    et

    intacte,

    ico

    raisons

    pour

    lesquelles Mlle

    de

    Liron

    ne

    veut

    devenir

    ni

    la

    femme

    d'Ernest

    ni sa

    matresse,

    l'aveu

    qu'elle

    lui

    fait

    de

    son

    premier

    amant,

    cette

    vie

    de

    chastet,

    mle

    de

    mains

    baises, de

    pleurs sur

    les mains

    et

    d'admirables

    discours,

    enfin

    la

    maladie croissante,

    la

    promesse qu'elle lui

    fait

    don-

    ner

    qu'il

    se

    mariera, l'agonie et

    la

    mort,

    tout cela forme

    une

    moiti

    de

    volume

    pathtique

    et pudique

    o

    l'me

    du

    lecteur

    s'pure

    aux motions les

    plus

    vraies

    comme

    les

    plus

    ennoblies.

    coutons

    Mlle

    de

    Liron

    dans cette seconde nuit,

    qui

    n'amne

    ni

    rougeur

    ni repentir

    :

    Ah

    mon

    ami, crois-

    moi,

    il

    faut laisser

    venir

    le bonheur de

    lui-mme : on

    ne

    le

    fait

    pas. As-tu

    jamais

    essay dans

    ton

    enfance

    de

    repla-

    cer

    ton

    pied prcisment

    dans l'empreinte

    qu'il venait

    de

    laisser sur

    la

    terre?

    On

    n'y

    saurait parvenir

    :

    on

    corne

    toujours

    les

    bords ...

    Va

    nous

    sommes

    bien

    heureux ...

    Peu

    s'en

    est

    fallu que

    nous ne

    gtions

    aujourd'hui

    notre

    admirable

    bonheur de l'anne

    dernire

    Crois-moi

    donc,

    conservons

    notre

    23 juin

    intact : c'est le destin qui l'a

    arrang,

    c'est Dieu qui

    l'a

    voulu;

    aussi

    son souvenir ne

    nous

    donne-t-il

    que

    de

    la

    joie.

    Si

    Ernest

    et

    vcu

    une

    poque

    chrtienne,

    j'aime

    croire

    qu'il

    ne

    se ft

    pas

    mari

    aprs

    la

    perte

    de

    son

    amie,

    et

    qu'il

    ft

    entr

    dans

    quelque

    couvent,

    ou

    du

    moins dans

    l'Ordre

    de

    Malte.

    Si

    Mlle de Liron

    avait vcu

    une semblable

    poque,

    elle

    se

    ft

    inquite,

    sans

    doute,

    de

    sa

    faute comme

    Mlle

    Ass;

    elle et exig un

    autre

    confesseur que

    son

    amant;

    elle

    et tch de se

    donner

    des

    remords,

    et

    s'en

    ft

    procur

    probablement

    force d'en

    chauffer

    sa

    pense.

    C'est,

    au contraire,

    un

    trait parfait et

    bien

    naturel de

    la

    part d'une telle femme

    en

    notre

    temps que de lui

    entendre

    dire :

    Sais-tu,

    Ernest,

    que

    pendant

    ton

    absence

    et

    dans

    et

    soulagent

    l'me de

    ses

    tristes

    rflexions.

    Ici,

    dans

    notre tte,

    -tte

    des

    jeunes amants,

    la

    saveur

    de ralit, donne par

    le

    petit

    fes-

    tin,

    est

    tout

    aussitt

    corrige

    et

    releve

    par

    le

    sacrice.

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

    42/555

    34

    PORTRAITS

    DE

    FEMMES.

    l'esprance

    d'adoucir les regrets

    que

    j'prouvais de

    ne

    c

    plus

    te

    voir, j'ai

    fait bien

    des

    efforts

    pour

    devenir

    dvote

    Dieu?

    Mais il

    faut

    que je

    te

    l'avoue,

    ajouta-t-elle

    avec un

    de

    ces

    sourires

    angliques

    comme on

    en

    surprend

    sur la

    a

    figure

    des

    malades

    rsigns,

    je

    n'ai

    pas pu.

    J'en

    ai honte,

    mais

    je te le dis. Encore

    prsent,

    je

    sens

    bien qu'entre

    a

    l'amour et

    la dvotion

    il

    n'y

    a

    qu'un cheveu

    d'intervalle.

    et

    cependant

    je

    ne

    puis

    le

    franchir.

    Hlas

    faut-il

    que je

    te dise

    tout?... Ce

    livre

    que

    tu

    vois

    (et

    elle

    montrait l'Imi-

    ta

    tation

    de

    Jsus-Christ),

    j'en

    ai fait

    mes

    dlices

    :

    je

    l'ai

    lu

    et

    relu nuit

    et

    jour.

    Dieu me

    le

    pardonnera,

    je

    l'espre,

    puisque

    je

    m'en

    accuse

    sans

    dtour;

    mais

    chaque

    ligne

    je

    substituais

    ton

    nom au

    sien

    Oui,

    ma

    vocation,

    l'objet

    a

    de

    ma

    vie,

    tait

    sans doute de

    t'aimer,

    et

    ce qui me

    le fait

    croire, c'est

    que rien de

    ce

    que j'ai fait pour t'en

    donner

    des

    preuves

    n'excite

    en

    mon

    me

    le

    moindre

    remords.

    Nous

    avons

    entendu

    quelques

    personnes,

    d'un

    esprit

    judi-

    cieux,

    reprocher

    Mlle

    de

    Liron

    de

    la seconde

    moiti de

    n'tre

    plus Mlle de Liron de la premire, et de

    s'tre

    modi-

    fie,

    platonise,

    vaporise

    en

    quelque

    sorte, grce

    son

    anvrisme,

    de

    faon

    ne

    plus

    nous

    offrir

    la

    mme

    personne

    que

    nous

    connaissions

    pour

    ptrir

    si

    complaisamment

    la

    ptisserie

    et

    pour

    avoir

    eu

    un

    amant.

    Ce

    reproche

    ne nous

    a

    paru

    nullement

    fond. Le

    changement qui

    nous est

    sensible

    chez

    Mlle

    de

    Liron,

    mesure

    que

    nous lisons

    mieux

    dans

    son

    cur et

    que

    sa

    bonne

    sant s*altre,

    n'est

    pas

    plus

    diffi-

    cile

    concevoir

    que

    tant de

    changements

    nous

    connus,

    dvelopps

    dans

    des

    natures de femmes

    par

    une

    rapide

    inva-

    sion

    de

    l'amour.

    Les

    indiffrents

    du monde

    en

    sont

    quittes

    pour

    s'crier,

    d'un

    air de

    surprise,

    comme

    les

    lecteurs

    assez

    indiffrents

    dont

    il

    s'agit

    : Ma foi qui jamais aurait

    dit

    cela?

    Et

    pourtant

    dans

    l'histoire de Mlle de Liron, comme

    dans

    la

    vie

    habituelle,

    cela

    arrive, cela

    est, et

    il faut

    bien

    le

    croire.

    Quant

    la

    circonstance

    de rcidive

    et

    l'objection*

    d'avoir

    dj eu

    un

    amant,

    je

    ne

    m'en

    embarrasse

    pas

    davan-

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

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    DU

    ROMAN

    INTIME.

    35

    tage,

    ou

    plutt

    je

    ne

    craindrai

    pas

    d'avouer

    que

    c'est

    un

    des

    points

    les

    mieux

    observs,

    selon

    moi,

    et

    les

    plus

    con-

    formes

    l'exprience

    un

    peu

    fine

    du

    cur.

    Toute

    femme

    organise

    pour

    aimer,

    toute

    femme non

    coquette

    et

    capable

    de

    passion

    (il

    y

    en

    a peu, surtout

    en

    ces

    pays),

    est

    suscep-

    tible

    d'un

    second

    amour, si le

    premier

    a

    clat

    en

    elle

    de

    bonne

    heure.

    Le

    premier

    amour,

    celui de

    dix-huit

    ans,

    par

    exemple,

    en

    le

    supposant

    aussi

    vif

    et

    aussi

    avanc

    que

    pos-

    sible,

    en

    l'environnant

    des

    combinaisons

    les

    plus

    favorables

    son

    cours,

    ne

    se

    prolonge

    jamais jusqu'

    vingt-quatre

    ans;

    et

    il

    se

    trouve

    l

    un intervalle, un

    sommeil

    du

    cur,

    entre-

    coup

    d'lancements

    vers

    l'avenir,

    et durant

    lequel

    de

    nou-

    velles

    passions

    se prparent,

    des dsirs

    dfinitifs

    s'amoncela

    lent.

    Mlle de Lespinasse, aprs

    avoir

    pleur

    amrement

    et

    consacr

    en

    ide

    son

    Gustave,

    se prend

    un

    jour

    M.

    de

    Gui-

    bert,

    l'aime

    avec

    le

    remords

    de

    se

    sentir

    infidle

    son

    premier ami,

    et

    meurt,

    innocente

    et

    consume,

    dans

    les

    flammes

    et

    les

    soupirs.

    Si

    Mlle

    de

    Liron

    n'tait

    bien

    autre

    chose

    pour

    nous

    qu'une

    charmante

    composition littraire;

    si nous

    ne

    l'aimions

    pas

    comme

    une

    personne

    que

    nous aurions

    connue,

    avec

    ses

    dfauts

    mme

    et ses singularits de

    langage,

    nous

    repren-

    drions

    en elle certains

    mots

    qui

    pourraient

    choquer

    lei

    oreilles

    non accoutumes

    les

    entendre de

    sa

    bouche.

    Nous

    ne

    voudrions

    pas

    qu'elle

    dt

    son

    ami :

    Vous connaissez

    les

    tres.

    Mets

    ton

    paule

    prs

    de

    l'oreiller,

    afin

    que

    je

    m'accote sur

    toi.

    Dans

    toutes

    les

    actions

    de

    ma vie,

    il

    y

    a

    toujours

    eu

    quelque

    chose

    qui ressortirait

    de la

    mater-

    nit.

    Mademoiselle

    de

    Clermont, Chantilly, ne

    se

    ft

    pas

    exprime

    de

    la sorte en

    parlant

    M.

    de

    Meulan;

    mais

    Mlle de Liron

    tait

    de

    sa

    province, et

    l'accent

    qu'elle

    mettait

    ces

    expressions

    familires

    ou inusites

    les

    gravait

    tellement

    dans

    la

    mmoire,

    qu'on

    a

    jug

    apparemment

    ncessaire

    le

    nous

    les

    transmettre.

    Il

    nous

    reste,

    pour

    rendre

    un

    complet

    hommage

    Mlle

    de

  • 7/23/2019 SAINTE-BEUVE_Portraits de femmes_Critique_1886.pdf

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    36

    PORTRAITS

    DE

    FEMMES.

    Liron,

    dire

    quelques

    mots

    des

    deux

    opuscules

    touchants,

    desquels

    nous

    avons souvent

    rapproch son

    aventure.

    C'est

    la louer encore

    que

    de

    louer

    ce

    qui

    lui

    ressemble si

    diver-

    sement, et ce

    qui l'appelle

    voix

    basse

    d'un

    air

    de modestie

    et

    de

    mystre sur

    la

    mme tablette de

    bibliothque

    d'acajou-,

    non

    loin

    du

    chevet, l o tait

    autrefois

    l'oratoire.

    Lea

    Lettres

    de

    Lausanne,

    publies

    en

    1788

    par

    Mme

    de

    Char-

    rire

    (1),

    et

    aujourd'hui

    fort

    rares,

    se

    composent

    de

    deux

    parties.

    Dans la

    premire,

    une

    femme

    de

    qualit

    tablie

    Lausanne,

    la

    mre

    de

    la jolie

    Ccile

    dont

    nous

    avons

    cit

    le

    portrait,

    crit

    une

    amie

    qui

    habite la France

    les

    dtails

    de sa

    vie

    ordinaire, le petit

    monde qu'elle

    voit,

    les

    prten-

    dants

    de sa

    fille

    et les prfrences de cette

    chre

    enfant

    qu'elle

    adore; le

    tout dans un

    dtail

    infini

    et

    avec un

    pin-

    ceau

    facile

    qui

    met

    en

    lumire

    chaque

    visage

    de

    cet

    int-

    rieur.

    L'amoureux

    prfr

    est

    un

    jeune

    lord

    qui

    voyage

    avec

    un

    de

    ses

    parents

    pour

    gouverneur.

    Il

    aime Ccile,

    mais

    pas

    en

    homme

    fait

    ni avec

    de

    srieux

    desseins;

    aussi

    la

    tendre

    mre

    songe-t-elle

    gurir

    sa fille,

    et

    cette

    courageuse

    fille

    elle-mme

    va au-devant

    de

    la gurison.

    On

    quitte

    Lausanne

    pour

    la campagne,

    et

    on se dispose

    venir visiter la

    parente

    de

    France :

    voil la premire

    partie.

    La seconde

    renferme

    des

    lettres du

    gouverneur

    du

    jeune

    lord

    la

    mre de

    Ccile,

    dans lesquelles

    il

    raconte son histoire

    romanesque

    et

    celle

    de

    la

    belle

    Caliste.

    Caliste, qui avait gard

    ce nom

    pour avoir

    dbut au thtre

    dans

    The

    fair

    Pnitent, vendue

    par une

    mre cupide

    un

    lord,

    tait promptement revenue

    au

    re-

    pentir, et

    une vie

    aussi

    releve

    par

    les talents et la grce

    qu'irrprochable

    par

    la

    dcence.

    Mais

    elle

    connut

    le

    jeune

    gentilhomme qui

    crit

    ces

    lettres,

    et

    elle l'aima.

    On

    ne

    sau-

    (1)

    Je

    suis revenu plus

    tard

    et

    avec plus

    de

    dtail

    sur

    madame

    de

    Charrire,

    dans un article

    part

    qu'on

    peut

    lire ci-aprs

    (dans

    le

    prsent volume)

    ,

    ainsi

    que

    sur

    mademoiselle

    Ass (voir

    Derniers

    Po-traits,

    ou

    au

    tome III

    des

    Portraits

    littraire,

    dit.

    de

    1864). Ce

    L'a

    t

    cette

    Tois

    qu'une premire

    atteinte.

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    DU ROMAN

    INTIME.

    37

    rait

    rendre

    le

    charme,

    la

    pudeur

    de

    cet

    amour

    partag,

    de

    ses