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Saint Augustin DE LA GRÂCE DE JÉSUS-CHRIST ET DU PÉCHÉ ORIGINEL.

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Saint Augustin

DE LA GRÂCE DE JÉSUS-CHRIST ET DU

PÉCHÉ ORIGINEL.

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IN ŒUVRES COMPLÈTES

DE

SAINT AUGUSTINtraduites pour la première fois en français

sous la directionde M. l’abbé Raulx

Doyen de Vaucouleurs

TOME QUINZIÈMEŒuvres polémiques : Donatistes, Pélagiens.

pp 595-634.DE LA GRÂCE DE JÉSUS-CHRIST ET DU

PÉCHÉ ORIGINEL.Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.

Je voudrais joindre ensemble saintAugustin et saint Chrysostome :l’un élève l’esprit aux grandesconsidérations ; l’autre le ramène àla capacité du peuple.

(Boss. Ed. de Bar. XI, 441)

Bar-le-duc, L. Guérin et Cie, Éditeurs1871.

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LIVRE PREMIER. DE LA GRÂCE DEJÉSUS-CHRIST.

Saint Augustin prouve qu'il faut juger Pélage, non passur des aveux feints et simulés, quand il s'agit de la grâce,mais sur ses propres écrits. Or, Pélage fit toujours consisterla grâce dans la nature et le libre arbitre, ou dans laconnaissance de la loi. Dès lors la grâce divine n'est à sesyeux que la possibilité de la volonté et de l'action, mais nonpas un secours donné à la volonté dans l'action. De plus ilsoutenait que la grâce n'est conférée qu'à ceux qui laméritent, et qu'alors elle ne leur procure qu'une plus grandefacilité d'accomplir les commandements. Augustin cite desfragments de l'ouvrage de Pélage sur « le Libre arbitre », quiétablissent cette erreur en termes formels. Il démontreensuite qu'autre chose est la loi et autre chose la grâce, etdéveloppe les caractères de la grâce véritable et chrétienne.Il venge ensuite saint Ambroise des louanges que luidonnait Pélage en l'invoquant à l'appui de son erreur ; il citemême des paroles de l'évêque de Milan qui font de la grâcedivine le plus bel éloge.

1. Autant nous nous réjouissons de votresanté corporelle, et surtout de votre salutspirituel, bien-aimés frères, heureux amis de Dieu,Albina, Pinianus et Mélanie, autant nous mettonsd'empressement à répondre aux questions quevous nous adressez, et en cela nous goûtons unbonheur indicible dont nous vous laissons àapprécier l'étendue. Pressé d'un côté par lecourrier, de l'autre par nos occupations, beaucoupplus nombreuses à Carthage que partout ailleurs,nous avons tracé ces lignes avec toute la diligenceet tout le soin dont il a plu à Dieu de nousgratifier.

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2. Dans votre lettre, vous me parlez desefforts que vous avez tentés auprès de Pélagepour le déterminer à rétracter par écrit toutes leserreurs dont on l'accuse. Et voici ce qu'il vousaurait répondu : « J'anathématise celui qui croit ouenseigne que la grâce de Dieu, sous l'inspirationde laquelle Jésus-Christ est venu en ce mondepour sauver les pécheurs1, ne nous est pasnécessaire, non »seulement pour chaque heure oupour chaque moment, mais encore pour chacunede nos actions. Ceux qui portent ainsi atteinte à lanature même et à l'existence de la grâce, sontdignes des châtiments éternels ». Devant unlangage en apparence aussi formel, tout hommequi ignore le sens que Pélage attache à cesparoles, le sens qu'il leur donne assez clairementdans ses livres, non pas seulement dans les livresqu'il dit avoir été arrachés de ses mains avant qu'ilait pu les revoir et les corriger, non pas seulementdans les livres dont il rejette pour lui-même lahonteuse paternité, mais dans les livres mêmesdont il fait l'éloge dans ses lettres adressées àRome ; si, dis-je, on ignore le sens qu'il attache àces paroles, comment ne pas conclure qu'ellessont d'une parfaite orthodoxie ? Mais pour peuque l'on connaisse ses pensées favorites, cesparoles mêmes doivent paraître suspectes. Eneffet, quoique cette grâce de Dieu, par laquelleJésus-Christ est venu dans le monde pour sauver1 I Tim. I, 15.

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les pécheurs, ne consiste pour lui que dans larémission des péchés, il est parfaitement d'accordavec lui-même, quand il soutient que la grâcenous est nécessaire non-seulement pour chaqueheure et pour chaque moment, mais encore pourchacune de nos actions. Car nous avons besoinde son influence pour conserver le souvenirtoujours vivant de la rémission de nos péchés etle désir de ne plus pécher désormais. Enfin, pourarriver à cette exemption complète du péché,nous sommes [596] aidés, non point par unsecours ou une force étrangère, mais par lapuissance seule de notre propre volonté, qui, danschacune de ses actions, se souvient du grandbienfait qu'elle a reçu par la rémission de sespéchés. D'un autre côté, il n'est que trop ordinaireaux Pélagiens de soutenir que Jésus-Christ nousaide à ne pas pécher, parce qu'il nous a laissé dansla sainteté de sa vie et de sa doctrine un beaumodèle à imiter. A ce point de vue encore et sansse contredire, ils peuvent affirmer que la grâcenous est nécessaire à chaque moment et pourchacune de nos actions, en ce sens que dans toutenotre vie nous ayons les yeux fixés sur lesexemples que nous a laissés le Sauveur. Ce simpleexposé vous suffit pour vous faire comprendreque la profession de foi pélagienne sur la grâce esttoute différente de la profession de foicatholique ; et cependant, telle est l'ambiguïté deleur langage qu'on pourrait encore s'y méprendre.

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3. Pourquoi nous en étonner ? Dans les actesépiscopaux, Pélage ne nous apparaît-il pas lançanténergiquement l'anathème contre ceux quisoutiennent que la grâce et le secours de Dieu nenous sont pas conférés pour chacune de nosactions, et que cette grâce et ce secours consistentuniquement dans le libre arbitre, la loi et ladoctrine ? Un langage aussi ferme nous paraissaitdevoir dissiper toutes les tergiversations, surtoutqu'il condamnait même ceux qui enseignent quela grâce nous est donnée selon nos mérites.Cependant, traitant du. libre arbitre dans desouvrages en faveur desquels sa lettre adressée àRome n'est qu'une pompeuse réclame, il émettoutes les erreurs qu'il semblait avoircondamnées. En effet, s'il admet que la grâce et lesecours de Dieu nous aident pour ne pas pécher,il fait consister cette grâce et ce secours dans lanature et le libre arbitre, dans la loi et la doctrine.En d'autres termes, ce que l'on appelle le secoursde Dieu n'est autre chose que l'acte par lequel ilnous est révélé et montré ce que nous devonsfaire pour éviter le péché. Quant à agir avec nous,quant à nous inspirer même de la dilection pourle bien que nous connaissons à faire, il n'estbesoin pour cela d'aucun secours extérieur.

4. En effet, dans l'accomplissement despréceptes divins, Pélage distingue trois choses : lapossibilité, la volonté et l'action. Avec la premièrel'homme peut être juste ; avec la seconde

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l'homme veut être juste ; avec la troisièmel'homme devient juste. La première nous estdonnée par le Créateur de la nature, elle nedépend pas de notre pouvoir, et nous l'avons lorsmême que nous ne voudrions pas. Quant à lavolonté et à l'action, elles nous appartiennent enpropre et né dé. pendent que de nous. Quant à lagrâce de Dieu, elle n'est un secours ni pour lavolonté ni pour l'action, mais uniquement pour cequi ne relève pas de notre puissance, c'est-à-direpour la possibilité que nous ne tenons que deDieu. N'est-ce pas dire clairement que ce quivient de nous, c'est-à-dire la volonté et l'action,trouvent en elles-mêmes une telle puissance pouréviter le mal et faire le bien, qu'elles n'ont nulbesoin du secours de Dieu ; au contraire, ce quivient de Dieu, c'est-à-dire la possibilité, estquelque chose de si faible qu'il lui faut sans cessele secours de la grâce ?

5. Peut-être serait-on tenté de croire que je necomprends pas suffisamment leur langage ou queje dénature à plaisir le sens de leurs paroles. Ehbien ! voici textuellement celles de Pélage :« Nous distinguons ces trois choses, et après mûrexamen nous les établissons dans l'ordre suivant :Nous plaçons en premier lieu le pouvoir, ensecond lieu ! le vouloir, en troisième lieu l'être :Nous faisons résider le pouvoir dans la nature, levouloir dans le libre arbitre, et l'être dans l'effetou l'action. Le pouvoir dépend de Dieu seul qui

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l'a conféré à sa créature ; quant au vouloir et àl'être, ils dépendent de l'homme, puisqu'ilsdécoulent du libre arbitre comme de leur source.Dès lors la gloire de l'homme réside dans savolonté et dans ses bonnes actions ; cependantDieu lui-même n'est pas étranger à cette gloire,puisque c'est lui qui donne la possibilité de lavolonté et de l'action, et que par sa grâce il vientsans cesse en aide à cette possibilité. Si doncl'homme peut vouloir le bien et le faire, c'est deDieu seul qu'il tient ce pouvoir. Ce pouvoir à sontour n'a besoin, pour exister, ni de la volonté nide l'action, tandis que la volonté et l'action nesauraient exister sans ce pouvoir. Je suis donclibre de n'avoir ni la bonne volonté ni l'action ;mais il m'est impossible de ne point avoir [597] lapossibilité du bien ; elle existe en moi malgré moi,car elle est essentiellement « inhérente à toutenature créée. Quelques exemples éclairciront cettedoctrine. Le pouvoir de distinguer les objets parnos yeux ne dépend pas de nous, mais il dépendde nous de voir bien ou mal. Généralisant mapensée, j'affirme que nous pouvons faire, dire,penser le bien, mais ce pouvoir nous vient decelui qui nous l'a donné et qui l'aide de sonsecours ; mais quand nous faisons, ou que nousdisons, ou que nous pensons le bien, tout cela estexclusivement notre œuvre propre, puisque nouspouvons donner à ces opérations une directionmauvaise. Quand donc, pour confondre votre

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calomnie, nous répétons que l'homme peut restersans péché, cet aveu de notre possibilité reçue estune action de grâce et de louange rendue à Dieude qui nous vient cette possibilité ; et ce seraitfolie pour l'homme de tirer gloire d'une chose quise rapporte exclusivement à Dieu. En effet, nousne parlons ni de la volonté ni de l’action, maisuniquement de la possibilité ».

6. C'est là toute la doctrine de Pélage, telleque nous la trouvons dans son troisième livre dulibre arbitre. Il y distingue formellement ces troischoses, le pouvoir, le vouloir et l'être, c'est-à-dire,la possibilité, la volonté et l'action. Toutefois,malgré les subtilités dont il entoure la distinction,quand il nous dit dans ses paroles ou dans sesécrits que le secours de la grâce nous estnécessaire pour éviter le mal et pour faire le bien,qu'il fasse consister ce secours dans la loi et ladoctrine, ou dans tout autre chose, nouscomprenons son langage, et nous ne noustrompons pas sur le sens qu'il attache à sesparoles. En effet, nous devons savoir qu'iln'applique ce secours divin ni à notre volonté ni àl'action, mais uniquement à la possibilité de lavolonté et de l'action. Cette possibilité, nous latenons de Dieu qui l'a placée dans notre naturecréée, mais elle est quelque chose de si faiblequ'elle a besoin d'un secours continuel. Quant à lavolonté et à l'action, elles nous appartiennent enpropre et trouvent tellement dans leur force et

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leur énergie de quoi se suffire à elles-mêmes,qu'elles n'ont besoin d'aucun secours. Dès lors,Dieu ne nous aide ni à vouloir ni à agir, il vientseulement au secours de notre puissance devouloir et d'agir. Mais, contrairement à cettedoctrine, j'entends l'Apôtre nous dire « Opérezvotre salut avec crainte et tremblement ».Voulant, pour ainsi dire, leur faire comprendreque le secours divin s'applique non-seulement aupouvoir, comme ils en conviennent eux-mêmes(encore font-ils consister ce secours dans lanature et dans la doctrine), mais à l'action elle-même, l'Apôtre ne dit pas que c'est Dieu quiopère en nous le pouvoir, comme si nous avionspar nous-mêmes le vouloir et l'action, et que dansces deux opérations nous n'ayons besoin d'aucunsecours ; au contraire, il l'affirme positivement :« C'est Dieu qui opère en vous le vouloir etl'action2 ». Ne dirait-on pas que l'Esprit-Saint luimontrait par avance ces futurs adversaires de lagrâce divine et lui ordonnait de les confondre enaffirmant hautement que c'est Dieu qui opère ennous le vouloir et l'action, précisément parce quePélage devait soutenir que ces deux choses nedépendent que de nous et n'ont besoin d'aucunsecours de la grâce divine ?

7. Que Pélage, du reste, ne se flatte pas detromper les imprudents et les simples, ni de setromper lui-même, parce qu'après avoir dit que2 Philipp. II, 12, 13.

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« l'homme peut se glorifier de sa volonté et deson action », il ajoute, comme pour atténuer laportée de ses paroles : « Mais cette gloire estpartagée par l'homme et par Dieu ». Cardons-nous de croire que, par cette restriction, il rentredans le cercle de la doctrine catholique qui nousenseigne que Dieu opère en nous le vouloir etl'action. En effet, le but qu'il se proposait nous estclairement révélé pur ce qui suit : « Dieu nous adonné la possibilité de la volonté elle-même et del'action ». Que cette possibilité ait été placée parDieu dans la nature, c'est ce que Pélage affirmeclairement, comme nous l'avons vu plus haut.Toutefois, craignant qu'on ne l'accusât de ne riendire de la grâce, il ajouta : « Dieu vient sans cesseen aide à cette possibilité par le secours de sagrâce » ; Ce n'est ni à la volonté ni à l'action qu'ilvient en aide ; affirmer le contraire, c'eût été serapprocher de la doctrine apostolique. Ce queDieu aide, c'est donc la possibilité même, c'est-à-dire celle des trois opérations qu'il a placée dans lanature. Et s'il partage quelque peu la gloire quirevient à l'homme de sa volonté et de son action,ce n'est pas [598] que, quand l'homme veut, Dieuinspire l'ardeur de la dilection à sa volonté ; cen'est pas non plus que, quand l'homme agit, Dieucoopère à son action ; et cependant, que seraitl'homme sans le secours de Dieu, si Dieu partagela gloire de l'homme parce que nous ne serionscapables ni de vouloir ni d'agir, si Dieu ne nous

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avait donné une nature telle que nous puissionsvouloir et agir ?

8. Pélage assure que cette possibilité naturelleest aidée par la grâce de Dieu ; mais il est difficilede préciser ce qu'il entend par cette grâce, ou quelsecours elle donne à la nature. Toutefois, si nousconsultons les passages dans lesquels il a le plusclairement formulé sa pensée, nous serons endroit de conclure qu'à ses yeux la grâce qui vientau secours de la possibilité naturelle n'est autrechose que la loi et la doctrine.

En effet, dans un de ces passages nouslisons : « Ne font-ils pas preuve d'une profondeignorance ceux qui nous accusent de porteratteinte à la grâce divine, parce que nous disonsque cette grâce ne saurait produire en nous unesainteté parfaite sans le concours de notrevolonté ? Est-ce donc à sa grâce que Dieu aimposé des préceptes ? n'est-ce pas aux hommeseux-mêmes, mais en se réservant de leur venir enaide par sa grâce, afin que ce qu'ils sont obligés.de faire par leur libre arbitre, ils le fassent plusfacilement avec le secours de la grâce ? » Puis,voulant sans doute nous faire sentir de quellegrâce il parle, il ajoute : « Cette grâce, quoi quevous en pensiez, ne consiste pas seulement dansla loi, mais aussi dans le secours de Dieu ».Comment ne pas désirer qu'il nous montre dequelle grâce il veut parler ? En effet, l'importantpour nous serait de lui entendre prouver ce qu'il

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avance, c'est-à-dire que la grâce ne consiste passeulement dans la loi. Cette attente nous tient ensuspens ; écoutez donc : « Dieu », dit-il, « nousaide par sa doctrine et par sa révélation quand ilouvre les. yeux de notre cœur ; quand il nousdécouvre l'avenir, afin de ne pas nous laisseraccabler par les préoccupations du présent ;quand il nous dévoile les embûches du démon ;quand il nous éclaire du don multiforme etineffable de la grâce céleste ». Enfin, concluant saproposition par une sorte d'absolution, il ajoute :« Celui qui parle ainsi peut-il encore vous paraîtrenier la grâce ? Ne confesse-t-il pas tout à la fois etle libre arbitre de l'homme et la grâce de Dieu ? »Or, dans toute cette énumération il ne sort pas dudomaine de la loi et de la doctrine ; il déclarehautement que c'est là la grâce qui nous aide, il nefait que répéter ce qu'il avait déjà dit : « Nousprofessons que la grâce consiste dans le secoursde Dieu ». Ce secours, il tient à nous l'insinuersous des formes diverses, quand il nous parlesuccessivement de la doctrine et de la révélation,des yeux du cœur ouverts, de la démonstration del'avenir, des embûches diaboliques éventées, et del'illumination par le don multiforme et ineffablede la grâce céleste. Et tout cela pour nousapprendre les préceptes de Dieu et ses promesses.N'est-ce pas faire consister la grâce dans la loi etdans la doctrine ?

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9. La grâce qu'il confesse, c'est donc celle parlaquelle Dieu nous démontre et nous révèle ceque nous devons faire, mais nullement celle parlaquelle il nous aide à agir. Or, n'est-il pas vrai quela connaissance de la loi, quand elle n'est pasaccompagnée du secours de la grâce, ne produitd'ordinaire que la prévarication du précepte ?L'Apôtre n'a. t-il pas dit : « Là où il n'y a pas deloi, il n'y a pas de prévarication possible3 ;j'ignorais la concupiscence, avant que la loi eût ditVous ne désirerez pas4 ? » Il suit de là que, autrechose est la loi, autre chose la grâce, puisque laloi, loin d'être utile, est souvent nuisible, quandelle n'est pas suivie du secours de la grâce.Cependant, de quelle utilité n'est pas la loi quandceux qu'elle a rendus prévaricateurs, elle les forcede recourir à la grâce pour y trouver leurdélivrance et le moyen de triompher de laconcupiscence mauvaise ? Par elle-même elle estplutôt un commandement qu'un secours ; ellemontre la maladie, ruais loin de la guérir, ellel'aggrave plutôt, afin de produire plusd'empressement à recourir au remède de la grâce,En effet, « la lettre tue, mais l'esprit vivifie5. Si laloi était donnée pour justifier, elle produirait lajustice par elle-même ». Toutefois, pour nousmontrer quel secours nous trouvons dans la loi, le

3 Rom. IV, 15.4 Id. VII, 7.5 II Cor. III, 6.

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même Apôtre ajoute : « L'Écriture a renfermétoutes choses sous le péché, afin que ce que Dieuavait promis fût donné par la foi en Jésus-Christ àceux qui croiraient. Et ainsi la loi nous a servi[599] de conducteur pour nous mener comme desenfants à Jésus-Christ6 ». Quel plus puissantremède pouvait être offert aux orgueilleux, qued'être renfermés sous le péché plus étroitement etplus manifestement que les autres ? Peuvent-ilsencore présumer des forces de leur libre arbitrepour arriver par eux-mêmes à la justice ? Il faut aucontraire « que toute « bouche soit fermée et quetout le monde soit soumis à Dieu, parce que nulhomme ne sera justifié devant Dieu par lesœuvres de la loi. Car la loi ne donne que laconnaissance du péché ; tandis que maintenant lajustice de Dieu sans la loi nous a été manifestée,la loi et les Prophètes lui rendent témoignage7 ».Comment donc cette justice a-t-elle étémanifestée sans la loi, si elle a été attestée par 1aloi ? Il n'est pas dit qu'elle a été manifestée sans laloi, mais qu'elle est justice sans la loi, car elle estuniquement la justice de Dieu, c'est-à-dire qu'ellene nous vient pas de la loi, mais de Dieu. Nousl'obtenons, non point par la crainte que nousinspire la connaissance de celui qui commande,mais par l'amour de celui qui nous la donne, afin

6 Gal. III, 21, 22, 24.7 Rom. III, 19-21.

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que celui qui se glorifie se glorifie dans leSeigneur8.

10. Comment donc Pélage trouve-t-il dans laloi et la doctrine l'essence même de la grâce quinous aide à opérer la justice, puisque le plus grandsecours que la loi puisse nous accorder, c'est denous aider à chercher la grâce ? Personne, eneffet, ne peut accomplir la loi par la loi. Car laplénitude de la loi, c'est la charité9. Or, la charitéde Dieu a été répandue dans nos cœurs, non paspar la loi, mais par l'Esprit-Saint qui nous a étédonné10. Si donc la grâce nous est démontrée parla loi, c'est afin que la loi soit complétée par lagrâce. À quoi sert-il à Pélage de se servird'expressions différentes pour exprimer la mêmepensée ? ne veut-il pas nous empêcher decomprendre que c'est dans la loi et la doctrinequ'il fait consister toute cette grâce dont ilinvoque le secours en faveur de la possibilité denature ? Je comprends cette crainte de sa part,puisqu'il a condamné ceux qui soutiennent que lagrâce et le secours de Dieu ne nous sont pasdonnés pour chacune de nos actions, et qu'ilsconsistent dans le libre arbitre ou dans la loi et ladoctrine. Maintenant il croit échapper à sa proprecondamnation, par cette multitude de locutions

8 I Cor. I, 31.9 Rom. XIII, 10.10 Id. V, 5.

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différentes sous lesquelles il déguise la loi et ladoctrine.

11. Dans un autre passage, après avoirlongtemps soutenu que nous nous formons ànous-mêmes notre bonne volonté sans aucunsecours de Dieu, Pélage se pose à lui-même unequestion, relativement à une épître de l'Apôtre :« Comment », dit-il, « restera vraie cette parole del'Apôtre : Car c'est Dieu qui opère en vous levouloir et l'action ? » Il comprenait lui-mêmel'évidente contradiction de cette parole avec sapropre doctrine. C'est donc pour la lever qu'ilajoute : « Dieu opère en nous de vouloir ce quiest bon, de vouloir ce qui est saint, quand, nousvoyant livrés aux cupidités terrestres et attachésaux choses présentes comme de vils animaux, ilallume dans nos cœurs des désirs plus nobles etfait briller à nos yeux la grandeur de la gloirefuture et l'espérance des récompenses éternelles ;quand par la révélation de la sagesse il soulèvejusqu'au désir de Dieu notre volonté tremblante ;quand enfin, quoique vous souteniez le contraire,il nous persuade tout ce qui est bien ». N'est-il pasévident que, à ses yeux, la grâce par laquelle Dieuopère en nous de vouloir ce qui est bon, n'est rienautre chose que la loi et la doctrine ? En effet,c'est dans la loi et dans. la doctrine des saintesÉcritures que nous est promise la grandeur de lagloire future et des récompenses. Si la sagessenous est révélée, c'est aussi par la doctrine,

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comme c'est elle qui nous persuade tout ce qui estbon. Dira-t-on qu'il parait y avoir une différenceentre l'enseignement et le conseil ou plutôtl'exhortation ? C'est possible, mais tout cela setrouve renfermé sous la dénomination généralede doctrine, et par doctrine nous entendons toutepensée formulée parla parole ou par l'écriture. Lessaintes Écritures enseignent tout à la fois etexhortent ; l'homme peut également enseigner etexhorter. De notre côté, nous voulons que Pélageconfesse la grâce véritable, c'est-à-dire celle parlaquelle la grandeur de la gloire future est non-seulement promise, mais fermement crue etespérée ; celle par laquelle la sagesse est non-seulement révélée, mais aimée ; celle par laquelletout ce qui est bien nous est non-seulementconseillé, mais encore [600] persuadé. Tousentendent dans les Écritures le Seigneur nouspromettant le royaume des cieux, mais suit-il de làque tous aient la foi11 ? On conseille à tous, maistous sont-ils persuadés de s'adresser à Celui quinous dit : « Venez à moi, vous tous quitravaillez12 ? » Si donc nous voulons savoir quelssont ceux qui ont la foi, quels sont ceux qui sontpersuadés de venir à Jésus-Christ, écoutons cesautres paroles : « Personne ne vient à moi s'il n'estattiré par mon Père qui m'a envoyé » ; puis,parlant de ceux qui ne croient pas, le Sauveur

11 II Thess. III, 2.12 Matt. XI, 28.

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ajoute : « Je vous ai dit que personne ne peutvenir à moi, si mon Père ne lui en donne lagrâce13 ». Telle est la grâce que Pélage doitconfesser, s'il veut mériter non-seulement le titre,mais la qualité de chrétien.

12. Que dirai-je de la révélation de lasagesse ? Peut-on facilement espérer de parvenirici-bas à la grandeur des révélations de l'apôtresaint Paul ? et cependant nous devons croire quetoutes ces révélations avaient pour objet lasagesse. Toutefois, voici que l'Apôtre nous dit lui-même : « De crainte que la grandeur de mesrévélations ne me causât de l'orgueil, Dieu apermis que je ressentisse dans ma chair unaiguillon, qui est l'ange de Satan, pour mesouffleter. C'est pourquoi j'ai prié trois fois leSeigneur, afin que cet ange de Satan se retirât demoi ; et le Seigneur m'a répondu : Ma grâce tesuffit, car la force se perfectionne dans lafaiblesse14 ». Il est certain que l'Apôtre possédaitalors la charité dans son plus haut degré deperfection, et cette charité n'était accessible àaucun sentiment d'orgueil ; quelle nécessitépouvait-il donc y avoir à lui envoyer l'ange deSatan pour le souffleter et étouffer l'orgueilqu'aurait pu soulever en lui la grandeur de sesrévélations ? L'orgueil ou l'enflure, n'est-ce pas lamême chose ? N'est-il pas dit de la charité : « Elle

13 Jean, VI, 44, 66.14 II Cor. XII, 7-9.

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ne jalouse point, elle ne s'enfle point15 ? » Cettecharité allait même croissant de jour en jour danscet Apôtre, puisque l'homme intérieur serenouvelait en lui de jour en jour16 ; dans ceprogrès constant vers la perfection, elle nepouvait donc donner prise à l'orgueil. Mais ce quipouvait s'enorgueillir de la grandeur desrévélations, c'était son esprit, du moins jusqu'aumoment où il serait tout rempli du solide édificede la charité ; cet édifice n'était point encoreachevé, puisqu'il en hâtait le couronnement.

13. Dès lors, puisqu'il refusait, avant qu'il eûtatteint le plus haut degré de perfection. dans lacharité, de soutenir la lutte qui réprimait sonorgueil, il a mérité de s'entendre dire : « Ma grâcete suffit, car la vertu se perfectionne dans lafaiblesse ». « Dans la faiblesse », non passeulement, comme le croit Pélage, dans lafaiblesse de la chair, mais tout à la fois dans lafaiblesse de la chair et dé l'esprit. En effet, euégard à cette souveraine perfection, son espritétait d'une grande faiblesse, et pour empêcherqu'il s'enorgueillit, il dut ressentir l'aiguillon de lachair ou l'ange de Satan. D'un autre côté, si nouscomparons cet apôtre à tant d'hommes charnelsqui ne perçoivent pas les choses qui sont del'esprit de Dieu17, il nous paraîtra doué d'une force

15 I Cor. XIII, 4.16 II Cor. IV, 16.17 I Cor. II, 14.

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prodigieuse. Si donc la force se perfectionne dansla faiblesse, celui qui n'avoue pas sa faiblesse nesaurait se perfectionner, Or, la grâce par laquellela force se perfectionne dans la faiblesse, conduità la perfection souveraine et à la glorificationéternelle ceux qui sont prédestinés et appelésselon les décrets de Dieu18. Avec cette grâce, non-seulement nous savons ce que nous avons à faire,mais nous réglons nos couvres sur notreconnaissance ; non-seulement nous croyons ceque nous devons aimer, mais nous aimons ce quenous croyons.

14. Si l'on veut donner à cette grâce le nomde doctrine, j'y consens encore, pourvu qu'onentende par là que c'est Dieu lui-même qui larépand avec une suavité ineffable jusque dans lesreplis les plus profonds du cœur, non-seulementpar l'intermédiaire de ceux qui plantent et quiarrosent extérieurement, mais directement et parlui-même, quoique d'une manière secrète etcachée19 ; de telle sorte que, tout en montrant lavérité, il répande aussi la charité. En effet, c'estainsi que Dieu enseigne ceux qui sont appelésselon les décrets éternels ; en leur apprenant cequ'ils doivent, il leur donne la grâce de faire cequ'ils savent. De là cette parole de l'Apôtre auxThessaloniciens : « Quant à ce qui regarde lacharité fraternelle, il n'est pas besoin que nous

18 Rom. VIII, 28.19 I Cor. III, 7.

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vous en écrivions, puisque [601] Dieu lui-mêmevous à appris à vous aimer les uns les autres ». Etpour prouver que c'est Dieu qui le leur a appris, ilajoute : « Et vous le faites à l'égard de tous lesfrères qui a sont dans toute la Macédoine20 ».Ainsi donc, le signe certain auquel vousreconnaîtrez que votre doctrine vient de Dieu,c'est de la mettre en pratique par vos œuvres.C'est ce que font tous ceux qui sont appelés dansles décrets éternels ; le Prophète les nomme »lesenfants dociles de Dieu21 ». Quant à celui qui saitce qu'il doit faire et qui ne le fait pas, s'il a Dieupour auteur de sa connaissance, ce n'est pas selonla grâce, mais selon la loi ; ce n'est pas selonl'esprit, mais selon la lettre. Toutefois, plusieurssemblent accomplir les prescriptions de la loi, parcrainte des châtiments et non par amour de lajustice ; et c'est là ce que l'Apôtre appelle la justicequi vient de la loi, justice commandée et nondonnée. Dès qu'elle est donnée, elle n'est plusnotre justice, mais la justice de Dieu ; elle est ennous, mais elle nous vient de Dieu. Écoutonsl'Apôtre : « Que je sois trouvé en lui, n'ayantpoint une justice qui me soit propre, et qui mesoit venue de la loi, mais ayant celle qui naît de lafoi en Jésus-Christ, et cette justice vient deDieu22 ». Ainsi donc, il est certain que la loi vient

20 I Thess. IV, 9, 10.21 Isa. LIV, 13 ; Jean, VI, 45.22 Phil. III, 9.

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de Dieu, mais la justice légale ne vient pas deDieu, mais de la loi ; au contraire, s'il s'agit de lajustice qui se consomme par la grâce, elle ne vientque de Dieu. On appelle l'une justice légale parcequ'elle n'est que l'accomplissement de la loi,déterminé par la crainte du châtiment ; l'autres'appelle justice de Dieu, parce qu'elle est donnéepar le bénéfice de la grâce. Pour cette dernière lecommandement cesse d'être terrible pour devenirsuave et doux, selon cette prière du Psalmiste.« Vous êtes suave, Seigneur, et dans votre suavitéenseignez-moi « votre justice23 » ; en d'autrestermes Faites, Seigneur, que je me soumette à laloi, non pas servilement et par crainte duchâtiment, mais par amour et par une charitéparfaitement libre. En effet, celui qui obéit avecplaisir obéit librement, et quiconque apprend decette manière, accomplit parfaitement ce que laloi lui enseigne.

15. Sur ce mode d'enseigner, le Sauveurdisait : « Celui qui a entendu et appris de monPère vient à moi24 ». Donc, de celui qui ne vientpas il ne serait pas vrai de dire qu'il a entendu etappris qu'il doit aller à Jésus-Christ, puisqu'il neveut pas accomplir ce qui lui a été enseigné.L'enseignement qu'il a reçu. n'est donc pas celuique Dieu donne par sa grâce. En effet, puisque,selon la parole de l'infaillible vérité, « quiconque a

23 Ps. CXVIII, 68.24 I Jean, VI, 45.

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appris vient », si quelqu'un ne vient pas, c'est qu'iln'a pas appris. N'est-il pas évident qu'il en' est quiviennent, et qu'il en est aussi qui ne viennent pas,par suite de la libre détermination de leurvolonté ? Il suffit de ce libre arbitre pours'opposer à l'appel de Dieu ; mais pour yrépondre le libre arbitre ne suffit pas seul, il doitêtre aidé ; et quand ce secours lui est accordé,non-seulement il sait ce qu'il doit faire, mais il agitconformément à sa connaissance. Dès lors, quandDieu enseigne, ce n'est pas par la lettre de la loi,mais par la grâce du Saint-Esprit ; il enseigne detelle manière que celui qui est enseigné, non-seulement voit et connaît, mais veut et désire, agitet achève. Par ce mode d'instruction vraimentdivine un secours efficace est accordé non-seulement à la possibilité naturelle de vouloir etd'agir, mais à la volonté même et à l'action. Si lagrâce n'aidait qu'à notre pouvoir, le Seigneuraurait dit : Quiconque a entendu et appris de monl'ère peut venir à moi. Voici, au contraire,comment il s'exprime : « Celui qui a entendu etappris de mon Père vient à moi ». Quant aupouvoir même de venir, Pélage l'attribue à lanature, ou si l'on veut à la grâce, mais à la grâcetelle qu'il l'entend, c'est-à-dire à celle qui vient enaide à la possibilité ; tandis que venir, loin d'êtreune simple possibilité, devient un acte positif, uneffet direct de la volonté. De ce qu'un hommepeut venir, il ne s'ensuit pas qu'il vienne, à moins

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qu'il ne le veuille et qu'il agisse conformément àsa volonté. Or, celui qui a appris du Père, non-seulement peut venir, mais il vient ; de la purepossibilité il passe à l'action, cède à l'affection desa volonté et réalise l'effet de son action.

16. Quant aux exemples cités par Pélage, ilsn'ont d'autre conséquence que de rendre plus clairà nos yeux, comme il l'avait promis, le sens de sadoctrine ; ces exemples [602] nous la font mieuxconnaître, mais ne nous la feront pas embrasser.« Nous pouvons », dit-il, « voir par nos yeux, maisce pouvoir ne vient pas de nous ; mais quant àvoir bien ou mal, ceci vient de nous ». LePsalmiste va lui répondre par ces paroles qu'iladresse à Dieu : « Détournez mes yeux, de craintequ'ils ne voient la vanité25 ». S'il appartient avanttout aux yeux de l'esprit de voir bien ou mal, cettefaculté se transmet naturellement aux yeux de lachair. Toutefois nous ne parlons ici ni de ceux quiont les yeux sains, ni de ceux qui ont les yeuxlouches ; nous parlons de bien voir pour secourirla misère, et de voir mal pour enflammer laconcupiscence. Il est vrai, sans doute, que c'estpar les yeux extérieurs que l'on voit le pauvrepour le soulager, et la femme pour la désirer ;cependant c'est des yeux intérieurs que procèdesoit la compassion pour bien voir, soit la passionpour convoiter. Pourquoi donc David dit-il àDieu : « Détournez mes yeux, de crainte qu'ils ne25 Ps. CXVIII, 37.

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voient la vanité ? » Pourquoi demande-t-il ce quiest en notre plein pouvoir, si Dieu ne vient pas enaide à notre volonté ?

17. « Le pouvoir que nous avons de parler »,dit-il, « vient de Dieu ; ce qui vient de nous, c'estque nous parlions bien ou mal ». Telle n'est pointla doctrine de celui qui parle bien. « Ce n'est,point vous qui parlez », dit-il ; « mais c'est l'Espritde votre Père qui parle en vous26 ». « Rentrant »,dit Pélage, « dans les généralités, je soutiens que lepouvoir que nous avons de faire, de dire, depenser toute sorte de bien, nous vient de celui quinous l'a donné et qui lui prête son secours ». Ilrépète ici la distinction qu'il a établie entre cestrois choses : la possibilité, la volonté et l'action,de manière à prouver que Dieu ne vient en aidequ'à la possibilité. Pour compléter sa pensée, ilajoute : « Ce qui vient de nous, c'est de bien agir,de bien parler et de bien penser ». Il a oublié ici cequ'il avait cru devoir dire plus haut pour atténuerla rigueur de ses expressions : « Donc l'hommetire toute la gloire de sa bonne volonté et de sabonne action » ; ajoutant aussitôt : « Mais cettegloire est commune à l'homme et à Dieu, de quiseul il tient la possibilité de vouloir et d'agir ».Pourquoi donc, après nous avoir énuméré cesexemples, a-t-il oublié de terminer par cetteréflexion Quant au pouvoir que nous avons defaire, de dire et de penser le bien, ce pouvoir ne26 Matt. X, 20.

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nous vient que de Dieu qui lui vient en aide par sagrâce ; mais si nous agissons bien, si nous parlonsou pensons bien, c'est à nous et à Dieu qu'enrevient la gloire ? Il a gardé sur ce point le plusprofond silence, et, si je ne me trompe, j'entrevoisclairement les conséquences qu'il avait à craindre.

18. Enfin, s'il entreprend de nous montrerpourquoi c'est à nous que revient la gloire de nosbonnes actions : « C'est parce que », nous dit-il,« nous pouvons tourner tout en mal ». S'il eût ditque cette gloire est commune à Dieu et à nous,n'avait-il pas à craindre qu'on ne lui fît cetteréponse : Si, parce qu'il nous a donné lapossibilité, Dieu partage avec nous la gloire de ceque nous faisons, de ce que nous disons, de ceque nous pensons de bien ; quand nous faisons,quand nous disons, quand nous pensons le mal, laresponsabilité n'est-elle pas commune à nous et àDieu qui nous a donné la possibilité de faire lebien et le mal ? Par conséquent, ce qu'à Dieu neplaise, s'il partage avec nous la gloire de nosbonnes actions, il doit partager également avecnous la culpabilité de nos actions mauvaises. Eneffet, cette possibilité qu'il nous a donnée, nousrend aussi capables de faire le bien que de faire lemal.

19. Parlant de cette possibilité dans sonpremier livre du Libre arbitre, Pélage s'exprimeainsi ; « Dieu a mis en nous la possibilité du bienet du mal ; cette possibilité, si je puis m'exprimer

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ainsi, est comme une sorte de racine fructifianteet féconde, qui produit et enfante les résultats lesplus divers, au gré de la volonté de l'homme ; et,suivant le libre arbitre de celui qui la cultive, ellepeut soit briller de tout l'éclat de la fleur desvertus, soit se couvrir honteusement de toutes lesépines des vices ». Ne pesant pas lesconséquences de ses paroles, Pélage,contrairement à la vérité évangélique et à ladoctrine apostolique, ne donne au bien et au malqu'une seule et même racine. Le Seigneur, ne ditpas que l'arbre bon peut porter de mauvais fruits,ni que l'arbre mauvais peut en porter de bons27.D'un autre côté, en nous disant que la racine detous les maux c'est la cupidité, l'apôtre saint Paulnous [603] avertit que la racine de tous les biens,c'est la charité28. Ces deux arbres, le bon et lemauvais, ne sont-ce pas deux hommes, l'un bonet l'autre mauvais ? Or, quel est l'homme bon, sice n'est pas l'homme de bonne volonté, c'est-à-dire l'arbre d'une bonne racine ? Et l'hommemauvais, quel est-il ? N'est-ce pas l'homme d'unevolonté mauvaise, c'est-à-dire l'arbre d'unemauvaise racine ? Or, les fruits de ces racines etde ces arbres, c'est ce que nous faisons, c'est ceque nous disons, c'est ce que nous pensons ; lesbons sont produits par la bonne volonté, et lesmauvais parla volonté mauvaise.

27 Matt. VII, 18.28 I Tim. VI, 10.

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20. L'homme rend l'arbre bon quand il reçoitla grâce de Dieu. De mauvais qu'il était, il ne peutde lui-même se rendre bon ; il ne peut le devenirque par celui et en celui qui est toujours bon. Ets'il a besoin du secours de la grâce, ce n'est passeulement pour devenir un bon arbre, maisencore pour porter de bons fruits, car sans cesecours il ne peut rien faire de bon. En effet,Dieu lui-même coopère à la formation du fruitdans les bons arbres, soit parce queextérieurement il plante et arrose par l'organe deses ministres, soit surtout parce que c'est lui seulqui donne intérieurement l'accroissement29. Quantà l'arbre mauvais, c'est l'homme qui le rend tel,quand il se rend lui-même mauvais, quand il sesépare du bien immuable ; n'est-ce pas cetteséparation qui produit la volonté mauvaise ?Toutefois cette déchéance n'inocule pas une autrenature mauvaise ; il suffit qu'elle vicie une naturequi avait été créée bonne. Guérissez le vice, ettout le mal aura disparu, car le vice s'étaitintroduit dans la nature, mais le vice lui-même neconstituait pas une nature particulière.

21. Ainsi donc, quoi qu'en dise Pélage, cettepossibilité ne constitue qu'une seule et mêmeracine commune au bien et au mal. Autre chose,sans doute, est la charité -racine du bien, autrechose la cupidité racine de tous les. maux ; il y aentre elles toute la distance qui sépare la vertu du29 I Cor. III, 7.

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vice. Mais ces deux racines à leur tour reposentsur une racine qui leur est commune, lapossibilité. En effet, non-seulement l'homme peutavoir la charité qui fera de lui un bon. arbre ; ilpeut, aussi avoir la cupidité qui fera de lui unarbre mauvais. Quant à la cupidité qui est un vice,elle a pour auteur l'homme lui-même, ou leséducteur de l'homme, mais elle n'a pas pourauteur celui qui a créé l'homme. Car cette cupiditén'est autre chose que « la concupiscence de lachair, la concupiscence des yeux, et l'ambition dusiècle, laquelle ne vient pas du Père, mais dumonde30 ». Or, qui ne sait que, dans le langage del'Écriture, le monde est souvent pris pour ceuxqui l'habitent ?

22. S'agit-il de la charité qui est une vertu ?l'Écriture proclame hautement qu'elle ne vient pasde nous, mais de Dieu : « La charité vient deDieu ; quiconque a la charité est né de Dieu, et ilconnaît Dieu parce que Dieu est charité31 ». Cettecharité nous fait mieux comprendre cette autreparole : « Celui qui est né de Dieu ne pèchepoint ; il ne peut pécher32 ». La raison en est quecette charité, selon laquelle il est né de Dieu,« n'agit point témérairement et ne pense pas lemal33 ». Quand l'homme pèche, ce n'est pas selon

30 Jean, II, 16.31 Id. IV, 7, 8.32 I Jean, III, 9.33 I Cor. XIII, 4, 5.

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la charité qu'il pèche, mais selon la cupidité, parsuite de laquelle il n'est pas né de Dieu. N'avais-jedonc pas raison de dire que ces deux différentesracines sont entées sur la possibilité, qui leur sertde souche commune ? Écoutons maintenantl'Écriture : « La charité vient de Dieu », nous dit-elle ; ou mieux encore : « Dieu est charité » ; etl'apôtre saint Jean s'écrie : « Voyez quelle charitéle Père nous a donnée, jusqu'à nous appeler etnous constituer enfants de Dieu34 ! » À cetteparole : « Dieu est charité », comment peut-ilencore soutenir que la seule chose que noustenions de Dieu c'est la possibilité, tandis quenous avons par nous-mêmes la bonne volonté etl'action bonne ? La bonne volonté est-elle doncautre chose que la charité ? Et la sainte Écriturene nous crie-t-elle pas dans toutes ses pages quecette charité nous vient de Dieu, qu'elle nous aété donnée par le Père, afin que nous devenionsses enfants ?

23. Mais peut-être la grâce ne nous est-elledonnée qu'en vertu de nos mérites précédents.C'est du moins la doctrine qu'il a émise dans lelivre qu'il écrivit à une vierge consacrée ; il l'émetde nouveau dans sa lettre adressée à Rome. Citantd'abord ce passage de l'apôtre saint Jacques :« Soyez soumis à Dieu ; mais [604] résistez audémon, et il fuira de vous35 », Pélage ajoute :

34 I Jean, III, 1.35 Jacq. IV, 7.

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« L'Apôtre nous montre comment nous devonsrésister au démon si nous sommes soumis à Dieuet si, en faisant sa volonté, nous voulons mériterla grâce divine ; de cette manière, aidés par lesecours du Saint-Esprit, nous résisterons plusfacilement à l'esprit mauvais36 ». Jugeons par là dela véracité avec laquelle, au tribunal ecclésiastiquede Palestine, il a condamné ceux qui soutiennentque la grâce de Dieu nous est conférée selon nosmérites ! Pouvons-nous douter que ce soit bien, làsa conviction et le fond de sa doctrine ? Et dansce cas, sa profession de foi devant les quatorzeévêques a-t-elle été autre. chose qu'un impudentmensonge ? Avait-il déjà composé ce livre danslequel il enseigne formellement que la grâce nousest donnée selon nos mérites, doctrine qu'il aaussi formellement réprouvée dans le synodeoriental ? Alors il devrait avouer qu'autrefois il apartagé cette erreur, mais qu'aujourd'hui il lacondamne ; et sa conversion ferait éclater lesélans de notre joie. Mais quand on lui eut dit quecette erreur était un des griefs soulevés contre lui,il répondit : « Ceux qui soutiennent que cettedoctrine est enseignée par Célestius, doiventprouver leur affirmation ; pour moi, je n'y aijamais adhéré et j'anathématise ceux qui laprofessent ». Comment donc peut-il dire qu'il n'ajamais adhéré à cette doctrine, si le livre dont jeparle était déjà écrit avant le synode ? Ou bien,36 Chap. XXV.

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comment a-t-il osé anathématiser ceux qui laprofessent, et plus tard composer ce livre ?

24. Peut-être va-t-il répondre que cetteproposition émise par lui : « En faisant la volontéde Dieu nous méritons la divine grâce », tendaituniquement à affirmer qu'après avoir déjà reçu lagrâce de faire la volonté de Dieu, les fidèles et lesbons chrétiens reçoivent encore une grâcesupplémentaire qui leur donne la force de résisterénergiquement au tentateur. Mais s'il pouvait secroire autorisé à nous faire cette réponse, je luiopposerais ces autres paroles sorties également deses lèvres : « Celui qui court vers le Seigneur etdésire se mettre sous sa direction, c'est-à-diresoumettre sa volonté à la volonté de Dieu ; celuiqui, en s'attachant constamment à Dieu, devient,selon l'Apôtre, un seul esprit avec lui37 ; celui-làn'obtient ces précieux résultats que par l'efficacitéde son libre arbitre ». Voyez quelle puissance ilattribue au libre arbitre ; sans que pour cela nousayons besoin d'aucun secours de Dieu, il soutientque nous pouvons adhérer à Dieu « par l'efficacitéseule de notre libre arbitre ». Et quand nous noussommes ainsi unis à lui sans aucun secours de sapart, nous méritons sa grâce parce que nous luisommes unis.

Il continue : « Celui qui fait un bon usage deson libre arbitre, s'abandonne entièrement à Dieuet mortifie toute sa volonté, de manière à pouvoir37 I Cor. VI, 17.

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dire avec l'Apôtre : Je vis, non pas moi, mais c'estJésus-Christ qui vit en moi38 ; il place son cœurdans la main de Dieu en lui laissant le droit del'incliner de quelque côté qu'il voudra39 ».Assurément il nous faut un puissant secours de lagrâce divine pour que nous laissions à Dieu pleinpouvoir d'incliner notre cœur à sa volonté. Maisoù la folie de Pélage apparaît, c'est quand ilsoutient que nous méritons ce puissant secourslorsque de nous-mêmes, et par les propres forcesde notre libre arbitre, nous courons vers Dieu,nous désirons être dirigés par lui, noussoumettons pleinement notre volonté à savolonté ; nous lui adhérons constamment etdevenons un seul esprit avec lui. Selon Pélagenous parvenons à ces précieux résultats par laseule efficacité de notre libre arbitre, et c'est parces mérites précédents que nous obtenons deDieu la grâce qu'il incline notre cœur où il voudra.Comment est-elle une grâce, si elle n'est pasdonnée gratuitement ? Comment est-elle unegrâce, si elle n'est qu'une dette légitimementpayée ? Comment restera vraie cette parole del'Apôtre : « Cela n'est pas de vous, puisque c'estun don de Dieu ; cela ne vient point de vosœuvres, afin que nul ne se glorifie40 ? » Ailleurs :« Si c'est par grâce, ce n'est donc pas par les

38 Gal. II, 20.39 Prov. XXI, 1.40 Eph. II, 8,9.

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œuvres, autrement la grâce ne serait plus lagrâce41 ». Comment, dis-je, ce langage peut-ilencore être vrai, si nous pouvons par nous-mêmes accomplir des œuvres telles qu'elles nousdonnent un droit véritable à la grâce, qui cessealors d'être gratuite pour n'être plus qu'une dettelégitimement acquise ? Quoi donc ? pour parvenirau secours de [605] Dieu, nous courrons à Dieusans aucun secours de sa part ; et pour obtenir lagrâce qui nous unisse à Dieu, nous nous unirons àlui sans aucun secours de sa part ? Quel avantageplus grand la grâce peut-elle donc conférer àl'homme, s'il peut déjà, sans la grâce, devenir unseul esprit avec Dieu par la seule puissance de sonlibre arbitre ?

25. Je lis dans l'Écriture qu'Assuérus, pourlequel, comme époux, la pieuse Esther éprouvaitune sainte horreur ; avait pris place sur son trône,s'était revêtu de toute la pompe de son rang, avaitchargé ses épaules d'un manteau de pourpre, toutparsemé d'or et de pierres précieuses, et jetait unéclat redoutable. Tel il était quand Esther seprésenta devant lui ; de sa face enflammée il lancesur elle un regard terrible, comme celui d'untaureau en proie à la fureur. La reine est saisie decrainte, sou front pâlit, elle chancelle et s'affaisseinanimée dans les bras de sa suivante. Eh bien ! jevoudrais que Pélage nous dît si ce roi avait déjàcouru vers le Seigneur, s'il lui avait déjà demandé41 Rom. XI, 6.

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de le diriger, s'il avait suspendu sa volonté à lavolonté divine, si en s'unissant indissolublement àlui il était devenu un seul esprit avec lui, et toutcela par la seule puissance de son libre arbitre ;s'était-il entièrement abandonné entre les mainsde Dieu, avait-il mortifié toute sa volonté, avait-ilplacé son cœur dans la main de Dieu ? Sansm'illusionner moi-même, je crois que bien insenséserait celui qui supposerait tout cela dans le roiAssuérus : et cependant Dieu le convertit etchangea son indignation en une douceur pleine debienveillance42. Or, n'est-il pas de la dernièreévidence que pour changer l'indignation en unedouceur pleine de bienveillance, il faut unepuissance bien plus grande que pour incliner d'uncôté ou d'un autre un cœur qui n'a du resteaucune préférence bien prononcée ? Que nosadversaires lisent donc et comprennent ; qu'ilsouvrent les yeux et confessent que ce n'est ni parla loi ni par la doctrine qui retentissent au dehors,mais par une puissance intérieure et occulte,étonnante et ineffable, que Dieu produit dans lecœur des hommes, non-seulement les révélationsvéritables, mais encore la volonté et le désir dubien.

26. Que Pélage cesse donc de se tromper lui-même et de tromper les autres, par sesdiscussions contre la grâce de Dieu. Nous devonsprêcher l'absolue nécessité de la grâce de Dieu,42 Esth. V, selon les Sept.

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non pas seulement par rapport à la possibilité dela bonne volonté et de l'action, mais aussi parrapport à la volonté elle-même et à l'action, pourles rendre bonnes. J'avoue qu'il associe lapossibilité. à la volonté et à l'action, toutefois ilest parfaitement dans l'erreur quand il conclut queDieu lui-même partage la responsabilité de nospéchés, au même titre qu'il partage la gloire denos bonnes œuvres, et cela en conséquence decette possibilité elle-même. C'est donc dénaturerle secours de la grâce divine que de lui donnerpour objet unique la possibilité naturelle. QuePélage ne dise plus : « En tant que nous pouvonsfaire, dire et penser toute sorte de bien, la gloireen revient tout entière à Celui qui nous a donnéce pouvoir, et qui lui aide par sa grâce ; mais entant que nous faisons, que nous parlons ou quenous pensons le bien, à nous seuls en revienttoute la gloire, parce que c'est notre œuvrepropre ». Qu'il cesse, dis-je, de tenir un semblablelangage. Car Dieu ne s'est pas contenté de nousdonner le pouvoir et de lui venir en aide ; c'estaussi le vouloir et l'action qu'il opère en nous43.Non pas en ce sens que nous n'ayons ni volonténi action ; mais en ce sens que nous ne voulons nine faisons rien de bien sans le secours de sa,grâce. Comment dire : « Le pouvoir de bien fairenous vient de Dieu ; mais la bonne action quenous faisons nous appartient tout entière », quand43 Philipp. II, 13.

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nous entendons l'Apôtre nous assurer qu'ildemande à Dieu, pour ceux auxquels il écrivait,qu'ils né commettent pas le mal et qu'ils fassent lebien ? L'Apôtre ne dit pas « Nous demandons »que vous puissiez ne faire aucun mal ; mais « quevous ne fassiez pas « le mal » ; ce n'est pas nonplus pour que vous puissiez faire le bien, quenous prions, mais « pour que vous fassiez lebien44 ». Il est écrit : « Tous ceux qui sont conduitspar l'Esprit de Dieu sont les enfants de Dieu45 » ;si donc ils font ce qui est bien, c'est qu'ils sont,conduits par Celui qui est bon. « En tant quenous pouvons bien parler », dit Pélage, « ce donvient de Dieu, mais en tant que nous parlonsbien, ceci vient de nous » ; comment donc peut-iltenir ce langage, quand le Seigneur lui-même nousdit : « C'est l'Esprit de [606] votre Père qui parleen vous ? » Il ne dit pas : Ce n'est pas vous quivous êtes donné le pouvoir de bien parler ; mais :« Ce n'est pas vous qui parlez46 ». Il ne dit pasdavantage : « C'est l'Esprit de votre Père » quivous donne ou vous a donné le pouvoir de bienparler ; mais « qui parle en vous ». Il ne s'agitdonc pas seulement d'un secours à la possibilité,mais d'une coopération effective en nous.Comment peut-il dire, ce prôneur orgueilleux dulibre arbitre : « En tant que nous pouvons penser

44 II Cor. XIII, 7.45 Rom. VIII, 14.46 Matt. X, 20.

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le bien, ce pouvoir nous vient de Dieu ; mais entant que nous pensons le bien, cette opérationnous appartient en propre ? » À cette orgueilleuseprétention, voici ce que répond l'humbleprédicateur de la grâce : « Nous ne sommes pascapables de former de nous-mêmes aucunebonne pensée, comme étant de nous-mêmes ;tout ce que nous faisons vient de Dieu47 ». Il neparle pas du pouvoir de penser, mais de la penséeelle-même.

27. Il faut donc que Pélage avouefranchement que les notions que nous donnonsde la grâce sont clairement formulées dans lesdivins oracles. Dès lors, bien loin de se couvrird'une fausse honte pour cacher ses ancienneserreurs, qu'il les dévoile avec tous les accentsd'une douleur salutaire ; par ce moyen la sainteÉglise sortira du trouble que lui causé son aveugleobstination, et saluera de toute sa joie le retour ducoupable à la vérité catholique. Qu'il distingue,comme on doit les distinguer, la connaissance etla dilection ; car la science enfle et la charitéédifie48. Mais la science n'enfle pas quand lacharité édifie. Et comme la science et la charitésont toutes deux le don de Dieu, quoique àdifférent degré, qu'il se garde bien d'exaltertellement notre justice au détriment de la louangede notre justificateur, qu'il fasse intervenir le

47 II Cor. III, 5.48 I Cor. VIII, 1.

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secours divin dans celui de ces dons qui est demoindre importance, tandis qu'il l'exclurait decelui qui est de beaucoup le plus excellent, pour lerapporter exclusivement au libre arbitre del'homme. D'un autre côté, s'il convient que lacharité ne nous est donnée que par la grâce deDieu, qu'il rejette loin de lui la simple pensée decroire que cette grâce ne nous a été octroyéequ'en vue de nos mérites précédents. duelsmérites pouvions-nous donc acquérir, quandnous n'aimions pas Dieu ? Avant de recevoir ladilection qui nous permît d'aimer, nécessairement-nous étions déjà aimés. C'est là ce que nousatteste clairement l'apôtre saint Jean : « Non pasque nous ayons aimé Dieu, mais parce qu'il nousa aimés lui-même ». Et ailleurs : « Aimons-ledonc, puisqu'il nous a aimés le premier49 ». Cettedoctrine est aussi sublime qu'elle est vraie. Eneffet, quel moyen aurions-nous de l'aimer, si cemoyen ne nous était donné par Celui qui nous aaimés le premier ? Et si nous n'aimions pas, quelbien pourrions-nous faire ? Ou comment nefaisons-nous pas le bien, si nous aimons ? Sansdoute il peut arriver que tel commandement soitobservé quelquefois sous la seule impulsion, nonpas de l'amour, mais de la crainte ; cependant làoù il n'y a pas d'amour, non-seulement aucuneaction n'est imputée bonne, mais elle ne peutmême pas être appelée telle, car tout ce qui ne se49 I Jean, IV, 10, 19.

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fait point selon la foi est péché50 ; or, la foi agitpar la charité51. Cette grâce divine, par laquelle lacharité de Dieu est répandue dans nos cœurs parle Saint-Esprit qui nous a été donné52, doit doncêtre hautement confessée comme étant d'une tellenécessité que sans elle aucun bien n'est possible,du moins en ce qui regarde la véritable piété et lavéritable justice. Ce n'est point assez de dire avecPélage « que la grâce nous est donnée pour nousrendre plus facile l'accomplissement du préceptedivin ». Cet homme nous a suffisamment prouvéque dans sa conviction, tout précepte divin peutêtre accompli sans la grâce, quoique avec la grâcecet accomplissement devienne plus facile.

28. Sa pensée se dévoile tout entière dans celivre adressé à une vierge sacrée, et dont nousavons déjà parlé. Nous y lisons des parolescomme celles-ci : « Afin que nous méritions lagrâce divine, et que, avec le secours du Saint-Esprit, nous résistions plus facilement à l'espritmauvais ». Pourquoi ce mot significatif : « Plusfacilement ? » Le sens n'aurait donc pas étécomplet, s'il s'était contenté de dire : « Afin que,avec le secours du Saint-Esprit, nous résistions àl'esprit mauvais ? » Comment donc ne pas voirtoute la portée de cette addition ? Ce qu'il veut,c'est nous donner une si haute idée des forces de

50 Rom. XIV, 23.51 Gal. V, 6.52 Rom. V, 3.

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la nature, c'est tellement exalter ces forces, quenous restions parfaitement convaincus que, mêmesans le secours du Saint-Esprit, [607] nouspouvons réellement, quoique avec moins defacilité, résister à l'esprit mauvais.

29. Nous lisons également dans le premierlivre dur Libre arbitre : « En douant du librearbitre la nature humaine en général, le Créateur aremis entre nos mains une puissance aussi fortequ'inébranlable pour ne pas pécher ; et voici que,mettant le comble à ses bienfaits, chaque jourencore il nous fortifie de son secours ». Quelbesoin avons-nous donc de ce secours, si notrelibre arbitre est si puissant et si fort pour nousempêcher de pécher ? Ce qu'il veut nous faireentendre, c'est que, avec le secours de la grâce,nous évitons plus facilement le péché, quoiquenous puissions l'éviter sans la grâce, mais moinsfacilement.

30. Dans un autre passage du même livrePélage s'exprime ainsi : « Ce que les hommes sontobligés de faire par leur libre arbitre, leur devientplus facilement possible par le secours de lagrâce ». Retranchez ce mot : « Plus facilement »,et vous obtiendrez un sens vrai et complet, celui-ci : « Ce que les hommes sont obligés de faire parleur libre arbitre leur devient possible par la grâcede Dieu ». En ajoutant : « Plus facilement », onindique d'une manière suffisamment claire pourêtre comprise, qu'une bonne œuvre peut

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s'accomplir sans la grâce de Dieu. Or, c'est là uneerreur formellement condamnée par ces paroles :« Sans moi vous ne pouvez rien faire53 »

31. Que Pélage s'empresse donc de corrigersa doctrine, car si, dans des matières aussiprofondes, il a pu errer par pur effet de lafaiblesse humaine, son erreur aurait bientôt pourcomplice une ruse diabolique, ou une haineimpérieuse, qui lui inspirerait ou de nier sa propredoctrine, ou de la défendre témérairement,quoiqu'il puisse et doive en reconnaître lafausseté, sous les rayons si puissants de la lumièrevéritable. En effet, parcourant tout ce que Pélageet Célestius ont écrit sur cette grâce, qui nousjustifie en répandant dans nos cœurs la charité deDieu par l'Esprit-Saint qui nous a été donné, jen'ai jamais rencontré une seule proposition quidonnât de cette grâce une notion véritable. Jamaisje ne leur ai entendu formuler quoi que ce fût quime prouvât qu'ils connussent ce que sont cesenfants de la promesse, dont l'Apôtre a dit :« Ceux qui sont enfants selon la chair ne sont paspour cela enfants de Dieu ; il n'y a que les enfantsde la promesse qui soient réputés être les enfantsd'Abraham54 ». Car ce que Dieu promet, nous nele réalisons pas par le libre arbitre ou la nature,c'est Dieu lui-même qui le réalise en nous par sagrâce.

53 Jean, XV, 5.54 Rom. IX, 8.

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32. Quant à Célestius, je laisserai désormaisdans un profond silence les livres ou les libellesqu'il a invoqués dans les jugementsecclésiastiques. Du reste, je vous ai adressé cesouvrages avec les autres lettres qu'il m'a parunécessaire de vous communiquer. En les lisantavec attention, vous pourrez vous convaincreque, en dehors du libre arbitre naturel, de la loi et.de la doctrine, il n'admet aucune grâce de Dieusur le secours de laquelle nous puissions nousappuyer pour éviter le mal ou pour faire le bien.Si donc il croit encore à la nécessité de la prière,c'est uniquement comme moyen pour l'hommede montrer ce qu'il désire et ce qu'il aime. Je laissedonc Célestius pour m'occuper exclusivement dePélage, ainsi que des lettres et du libelle que toutrécemment encore il envoyait à Rome, à l'adressedu pape Innocent, de bienheureuse mémoire, etdont il ignorait la mort. Dans ces lettres ils'exprime ainsi : « Il est certains points surlesquels des hommes essaient de noircir maréputation. On m'accuse d'abord de nier lanécessité du baptême pour les enfants, et de leurpromettre le royaume des cieux en dehors detoute application de la rédemption de Jésus-Christ. On m'accuse aussi de soutenir quel'homme peut éviter le péché, sans aucun secoursde Dieu, sans aucune aide de la grâce, et ens'appuyant uniquement sur son libre arbitre ».Quant au baptême des enfants, quoiqu'il admette

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qu'on puisse le leur conférer, il formule sur cepoint les doctrines les plus contraires à la foichrétienne et catholique. Mais je n'ai pas àm'occuper ici de cette matière importante, et jeconcentre tous mes efforts sur la question de lagrâce. Voyons donc comment il répond àl'accusation. Je passe sous silence ses longuesrécriminations contre ses ennemis, et j'abordeimmédiatement les passages où il traite de lamatière qui nous occupe.

33. « Cette lettre », dit-il, « devra me justifier[608] pleinement aux yeux de votre béatitude, carje soutiens purement et simplement que pourpécher ou ne pas pécher nous sommes armés del'intégrité de notre libre arbitre, lequel est toujoursaidé du secours divin dans toutes les bonnesœuvres ». Or, les lumières que Dieu vous adonnées vous suffisent pour vous fairecomprendre que des paroles comme celles-là nepeuvent résoudre la question. En effet, nousdemandons qu'il nous dise de quel secours notrelibre arbitre est aidé, car nous craignons que,selon son habitude, il ne le fasse consisteruniquement dans la loi et la doctrine. Demandez-lui pourquoi ce mot « toujours » ; il pourra vousrépondre : Parce qu'il est dit : « Il méditera sa loinuit et jour55 ». Parlant ensuite de la condition del'homme, et accidentellement de la possibiliténaturelle qu'il possède pour pécher ou ne pas55 Ps. I, 2.

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pécher, il ajoute : « Nous disons que cettepuissance du libre arbitre est commune à tous,aux chrétiens, aux Juifs et aux gentils. Par naturetous possèdent également le libre arbitre, mais cen’est que pour les chrétiens que ce libre arbitre estaidé par la grâce ». Encore ici nous demandonsquelle est cette grâce ? Pour lui, il peut encorenous répondre : C'est la loi et la doctrinechrétienne.

34. Du reste, quoi qu'il pense de la grâce, ilaffirme sans hésiter qu'elle est donnée auxchrétiens selon leurs mérites ; et cependant,comme je l'ai rapporté plus haut56, pour obtenir satrop célèbre justification au concile de Palestine, ilavait formellement condamné tous ceux quienseignent cette doctrine. Parlant de ceux qui nesont pas chrétiens, voici comme il s'exprime : « Lebien qui se trouve en eux, ils ne le doivent qu'àleur condition, encore est-il nu et sans force.Quant à ceux qui appartiennent à Jésus-Christ, lebien qu'ils possèdent par leur condition est aidépar le secours de Jésus-Christ ». Rien encore nenous fait connaître de quelle nature est cesecours. Mais, revenant à ceux qui ne sont paschrétiens, Pélage ajoute : « Ils méritent d'êtrejugés et condamnés, parce que, doués comme ilssont du libre arbitre par le moyen duquel ilspeuvent parvenir à la foi et mériter la grâce deDieu, ils font un mauvais usage de la liberté qui56 Ch. XXII, n. 23.

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leur a été donnée. Au contraire, on doitrécompenser ceux qui, faisant, un bon usage deleur libre arbitre, méritent la grâce de Dieu, etobservent ses commandements ». La conclusionévidente à tirer de ces paroles, c'est que le grâcenous est conférée selon nos mérites, quelle quesoit du reste cette grâce, dont il évite avec soin denous dire la nature. En disant de ceux qui font unbon usage de leur libre arbitre, qu'ils doivent êtrerécompensés et qu'ils méritent la grâce de Dieu, ilindique clairement que cette grâce leur est due àtitre de justice. Que devient donc cette parole del'Apôtre : « Nous sommes justifiés gratuitementpar sa grâce57 ? » Et cette autre : « Votre salutvient de la grâce ? » Et de crainte qu'on n'attribuecette justification à nos œuvres, saint Paul ditpositivement que c'est « par la foi » que noussommes justifiés. Cette foi encore, sel'attribueront-ils à eux-mêmes sans la grâce deDieu ? Non, dit, l'Apôtre, car « elle ne vient pasde nous, elle est un don de Dieu58 ». Pouvons-nous donc mériter ce qui est le principenécessaire de tous nos mérites, c'est-à-dire la foi ?Dira-t-on que cette foi ne nous est pas donnée ?Mais alors que devient cette parole : « Selon lamesure du don de la foi que Dieu a départie àchacun de nous59 ? » Dira-t-on qu'elle nous est

57 Rom. III, 24.58 Eph. II, 8.59 Rom. XII, 3.

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conférée en conséquence de nos méritesprécédents ? Alors ce n'est plus un don qui nousest fait, et je ne vois plus ce que peuvent signifierces paroles : « Pour Jésus-Christ, il vous a fait lagrâce non-seulement de croire en lui, mais encorede souffrir pour lui60 ». L'Apôtre atteste qu'undouble don nous a été fait, celui de croire enJésus-Christ et celui de souffrir pour Jésus-Christ.Quant à nos adversaires, le foi. leur paraîttellement une conséquence du libre arbitre, qu'ellecesse d'être un don gratuit, pour n'être plusqu'une dette proprement dite ; elle n’est doncplus une grâce, puisque le caractère essentiel detoute grâce c'est d'être gratuite.

35. Mais voici que Pélage commande aulecteur de passer de ses lettres au livre de saprofession de foi. Il vous a parlé de ce livre et ytraite plusieurs points sur lesquels il n'était pointinterrogé. Voyons donc comme il s'exprime surles questions qui nous occupent. Partant dudogme de la Trinité, il était arrivé à la résurrectionde la chair, sans que personne l’y obligeât, et iltermina ainsi sa longue [609] discussion : « Nouscroyons au seul baptême dont la formulesacramentelle doit être pour les enfants ce qu'elleest pour les adultes ». C'est là ce qu'il vous a dit àvous-mêmes ; mais que nous importe que laformule du baptême soit pour les enfants cequ'elle est pour les adultes ? Ce ne sont pas les60 Phil. I, 29.

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paroles, mais la chose elle-même que nousexaminons. Il a été plus loin dans une réponseorale qu'il vous a faite et que vous me transmettezen ces termes : « Les enfants reçoivent le baptêmepour la rémission des péchés ». Il ne s'agit plus iciseulement des paroles de la rémission des péchés,puisqu'il avoua que c'est pour cette rémission elle-même que les enfants sont baptisés. Toutefois sivous lui demandez quel péché peut leur êtreremis, il soutiendra qu'ils n'en ont aucun.

36. Si Célestius lui-même ne nous l'avaitappris, personne assurément ne se serait doutéque cette confession si claire en apparence cachaitune contradiction. Dans le libelle qu'il invoqua àRome dans le procès ecclésiastique, il confessaque « les enfants sont baptisés pour la rémissiondes péchés », et cependant il nia que « ces enfantsfussent coupables d'aucun péché originel ». Maislaissons de côté le baptême des enfants et voyonsce que pense Pélage du secours de la grâce, mêmedans cette profession de foi qu'il envoya à Rome.« Nous faisons profession de croire au librearbitre, mais nous disons en même temps quenous avons toujours besoin du secours de Dieu ».Ici encore nous demandons quel est ce secoursdont il reconnaît en nous le besoin continuel ; etsa réponse est pour nous fort ambiguë, parce qu'ilpeut répondre qu'il entend parler de la loi onde ladoctrine chrétienne dont le secours est nécessaireà cette possibilité naturelle. Pour nous, la grâce

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que nous cherchons en les confessant, c'est celledont l'Apôtre a dit : « Dieu ne nous a pas donnél'esprit de crainte, mais l'esprit de force, de charitéet de continence61 ». Or, de ce que tel hommepossède le don de science qui lui enseigne ce qu'ildoit faire, il ne suit pas nécessairement qu'ilpossède le don de charité pour l'accomplir.

37. À l'exception d'une lettre de peud'étendue que Pélage dit avoir adressée au saintévêque Constance, j'ai lu tous les livres ou écritsdont il fait l'énumération dans la lettre qu'ilenvoya au pape Innocent de sainte mémoire. Or,je n'ai trouvé nulle part quoi que ce fût qui pûtme prouver qu'il voit dans la grâce, non passeulement un secours à cette possibilité naturellede la volonté et de l'action qu'il nous attribue, lorsmême que nous ne voudrions ni ne ferions lebien, mais un secours réel à la volonté et à l'actionelles-mêmes, conféré par le Saint-Esprit répanduen nous.

38. « Qu'ils lisent », dit-il, « la lettre que j'aiécrite, il y a déjà douze ans, au saint évêquePaulin. Les trois cents vers qu'elle renferme nesont qu'un cri par lequel je confesse la grâce et lesecours de Dieu, par lequel aussi je proclame quenous ne pouvons rien faire de bien sans Dieu ».J'ai lu cette lettre, et j'y ai trouvé qu'il ne parle àpeu près que de la faculté et de la possibilité denature, et que c'est là pour lui ce qui constitue la61 II Tim. I, 7.

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grâce de Dieu. Quant à la grâce chrétienne, il n'enprononce que le nom, et avec une telle rapidité,qu'il est facile de voir qu'il ne craignait qu'uneseule chose, c'était de n'en pas dire un seul mot.Du reste, la fait-il consister dans la rémission despéchés ou dans la doctrine de Jésus-Christ, en ycomprenant les exemples de sa vie divine, commeil l'avait fait déjà dans d'autres opuscules ? ou bienvoit-il dans la grâce un secours pour bien faireajouté à la nature et à la doctrine par l'inspirationd'une charité très-ardente et très-lumineuse ? c'estlà un point sur lequel on ne saurait aucunement seprononcer.

39. « Qu'ils lisent encore », dit-il, « ma lettreau saint évêque Constance ; quoique en peu deparoles, j'y ai clairement établi l'union de la grâceet du secours de Dieu avec le libre arbitre del'homme ». J'ai déjà dit que je n'ai pas lu cettelettre ;62 mais si elle ressemble aux autres, si elle neformule que des idées qui nous sont déjàconnues, il n'y a pas lieu pour nous de la chercheravec tant d'ardeur.

40. « Qu'ils lisent également la lettre que nousavons écrite en Orient à Démétriade, viergeconsacrée à Jésus-Christ ; ils pourront s'yconvaincre que si nous louons la nature del'homme, nous lui adjoignons toujours le secoursde la grâce ». J'ai lu cette lettre, et il m'avaitsemblé qu'il y confessait [610] réellement cette62 N. 37.

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grâce dont il est question, malgré de nombreusescontradictions que j'y remarquais. Mais quandj'eus entre les mains les autres ouvrages qu'ilcomposa dans la suite, je compris quel sens ildonnait à ce mot, la grâce, et l'erreur qu'ildéguisait habilement sous ce terme général, touten évitant avec soin ce qui aurait pu heurter lesesprits et blesser les consciences. Dès le débutnous lisons : « Poursuivons notre entreprise auprix de nos sueurs et sans aucune défiance de lamédiocrité de notre esprit, car nous seronsinfailliblement aidés par la foi d'une mère et parle mérite d'une vierge ». De ces paroles je mecroyais en droit de conclure qu'il confessait lanécessité de la grâce pour chacune de nos actions,et je ne remarquais pas qu'il pouvait faireconsister cette grâce dans la seule révélation de ladoctrine.

41. Dans un autre passage de ce même livre,voici comme il s'exprime : « Si les hommes n'ontpas besoin du secours de Dieu pour se montrertels que Dieu les a faits, comprenez ce que deschrétiens peuvent faire, puisque Jésus-Christ arenouvelé leur nature et qu'ils sont aidés par le asecours de la grâce divine ». Par cette naturerenouvelée il entend uniquement la rémission despéchés ; c'est ce qui résulte clairement de cesautres paroles du même livre : « Ceux mêmes quise sont en quelque sorte endurcis par une longuehabitude de pécher, peuvent se renouveler par la

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pénitence ». Quant au secours de la grâce divine,il peut n'y voir encore que la révélation de ladoctrine.

42. Nous lisons encore dans cette mêmeépître : « Si, avant la loi et longtemps avant lavenue de Notre-Seigneur et Sauveur, des hommesont vécu, comme nous l'avons dit, dansl'innocence et la sainteté, à combien plus forteraison, nous qui jouissons de l'éclat de sa venue,nous qui sommes renouvelés par la grâce deJésus-Christ et changés en des hommes meilleurs,nous qui sommes purifiés dans son sang et portésà la perfection de la justice par ses exemples,devons-nous nous élever à un plus haut degré desainteté que ces hommes qui ont vécu avant laloi ? » Remarquez que, sous des termes différents,dans ce passage comme dans les autres, Pélagefait consister le secours de la grâce dans larémission des péchés et dans les exemples quenous a laissés Jésus-Christ, Il ajoute : « Noussommes meilleurs que ceux qui ont vécu sous laloi, selon cette parole de l'Apôtre : Le péché nevous dominera plus, car vous n'êtes plus sous laloi, mais sous la grâce63. C'est en conséquence dece principe que maintenant nous instituons unevierge parfaite, enflammée tout à la fois par lanature et par la grâce, et attestant par la saintetéde sa vie le double bienfait de la nature et de lagrâce ». Cette conclusion qu'il nous présente tend63 Rom. VI, 14.

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évidemment à nous faire admettre que le bien dela nature c'est celui que nous avons reçu par notrecréation, et que le bien de la grâce c'est lacontemplation des exemples de Jésus Christ. Ilsuivrait de là que le péché n'a pas été pardonné àceux qui furent ou sont encore sous la loi, parcequ'ils n'ont pas été témoins des exemples deJésus-Christ ou qu'ils ne croient pas.

43. Telle est bien sa doctrine, comme leprouvent certains passages de son troisième livresur le libre arbitre. Son interlocuteur lui avaitobjecté ces paroles de l'Apôtre : « Je ne fais pas ceque je veux ; je vois dans mes membres une autreloi qui répugne à la loi de mon esprit, etc. » Pélagelui répond : « Vous appliquez à l'Apôtre lui-mêmeun langage que tous les docteurs de l'Églisen'appliquent qu'au pécheur ou à celui qui estencore placé sous le joug de la loi ; une tropgrande habitude du vice constitue pour luicomme une nécessité de pécher ; sa volonté n'estpas sans quelque désir du bien, mais elle se sentprécipitée vers le mal par l'habitude même qu'elleen a. Or, ce que l'Apôtre dit d'un seul hommes'applique réellement au peuple que la loiancienne retient captif sous la loi du péché. Selonl'Apôtre lui-même, il ne pourra s'arracher à cettemauvaise habitude que par Jésus-Christ, quicommence, dans le baptême, par effacer tous lespéchés de ceux qui croient, les excite ensuite àtendre a la sainteté parfaite par son imitation, et

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triomphe, par ses exemples, de l'habitude qui lesentraîne vers le mal ». Telle est l'idée qu'il se faitdu secours accordé à ceux qui pèchent sous laloi ; ce n'est que par la grâce de Jésus-Christ qu'ilssont justifiés et délivrés. Telle est en euxl'habitude de pécher que la [611] loi ne sauraitplus leur suffire ; il leur faut Jésus-Christ, non pasJésus-Christ leur inspirant la charité par le Saint-Esprit, mais leur offrant à contempler et à imiter,dans la doctrine évangélique, l'exemple de sesvertus. N'était-ce donc pas pour lui une occasiontoute favorable de définir ce qu'il entend par lagrâce, puisque c'est dans ce passage auquel ilrépond que l'Apôtre nous dit : « Malheureuxhomme que je suis, qui me délivrera de ce corpsde mort ? La grâce de Dieu par Jésus-ChristNotre-Seigneur64 ». Mais puisque Pélage faitconsister la grâce, non pas dans le secours de lapuissance de Jésus-Christ, mais dans les exemplesqu'il offre à notre imitation, pouvons-nousespérer qu'il nous donnera des idées précises surla grâce, quand il ne semble préoccupé que dudésir de cacher sa pensée sous des formulesambiguës et générales ?

44. Dans cette même lettre à la viergeDémétriade nous lisons : « Soyons soumis àDieu, faisons sa volonté, et nous mériterons lagrâce divine, et avec le secours du Saint-Espritnous résisterons plus facilement à l'esprit64 Rom. VII, 15, 23-25.

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mauvais ». Il résulte clairement de ces paroles que,s'il veut que nous soyons aidés par la grâce duSaint-Esprit, ce n'est pas que sans ce secours etpar la seule possibilité naturelle, nous ne puissionspas résister au tentateur, mais c'est uniquementpour que cette résistance nous devienne plusfacile. Ainsi donc, quel que soit ce secours, toutnous porte à croire que pour lui la grâce n'estautre chose qu'une connaissance plus expliciteque l'Esprit-Saint nous révèle et que la nature nepeut nous donner, ou du moins qu'elle ne nousdonne que très-difficilement. Telles sont lesconclusions qui m'ont paru découler de cettelettre à la vierge Démétriade ; vous pouvez vous-mêmes en apprécier la valeur.

45. « Qu'ils lisent également », dit-il, « unopuscule que j'ai composé tout récemment, enfaveur du libre arbitre. Cette lecture leur prouveraqu'on ne saurait, sans une criante injustice, nousaccuser de nier la grâce, puisque, à toutes lespages de ce livre, nous confessons hautement lacoexistente du libre arbitre et de la grâce ». Cetouvrage renferme quatre livres ; je les ai lus, et cesont eux qui m'ont fourni la matière désdiscussions que j'ai soutenues avant decommencer l'examen de la lettre qu'il envoya àRome. Du reste, dans ces quatre livres, quand ilsemble parler de la grâce qui nous aide à éviter lemal et à faire le bien, il se garde bien de sortir del'ambiguïté de ses expressions, et pour lui tout se

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résume à dire à ses disciples que la loi et ladoctrine sont le seul secours que la grâce fournitau pouvoir naturel. Quant à nos prières, le seulbut que nous puissions nous y proposer, c'estd'obtenir que la doctrine divine brille à nos yeuxd'un plus vif éclat ; mais il ne s'agit nullementd'obtenir pour l'esprit de l'homme un secours quilui aide à accomplir, par la dilection et par l'action,le précepte dont l'obligation lui est parfaitementconnue. Tel est le point le plus clair de sadoctrine, et il ne fait que le confirmer par ladistinction qu'il établit entre la possibilité, lavolonté et l'action. Il soutient que la possibilitéseule est toujours aidée par le secours divin ; maiss'agit-il de la volonté et de l'action, elles ne luiparaissent avoir besoin d'aucun secours de Dieu.Quant au secours dont il veut bien favoriser lapossibilité naturelle, il le fait consister tout entierdans la loi et dans la doctrine, telles qu'elles noussont révélées par le Saint-Esprit, révélation quenous ne cessons d'implorer dans nos prières.D'un autre côté, il ne refuse pas aux tempsprophétiques le secours de la loi et de la doctrine ;aussi conclut-il que s'il s'agit de la grâceproprement dite, le secours de cette grâceconsiste uniquement dans les exemples que Jésus-Christ nous a laissés. Nouveau subterfuge qui nevous empêche pas de voir que ce secours seconfond avec la doctrine évangélique. Ainsi donc,on nous montre la voie que nous devons suivre ;

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alors, sans avoir besoin d'aucun secours, et avecles seules forces de notre libre arbitre, nous noussuffisons à nous-mêmes pour ne jamais sortir dela voie. Il va plus loin encore et soutient que lanature seule peut découvrir cette voie, quoiqu'elley arrive plus facilement quand elle est aidée par lagrâce.

46. Voilà comment s'est résumée dans monesprit toute la doctrine de Pélage sur la grâce.Vous comprenez que ceux qui partagent ceserrements n'ont aucune idée de la justice de Dieuet veulent établir leur propre justice65 ; ils sontdonc loin de cette justice qui nous vient, non pasde nous, mais de Dieu66, et [612] dont ils auraientdû puiser la connaissance surtout dans lesÉcritures canoniques. Mais hélas ! parce qu'ilslisent ces Écritures avec le parti pris d'y retrouverleurs erreurs, l'évidente même les laisseinsensibles. Plût à Dieu qu'ils prêtassent du moinsune attention soutenue aux écrits des docteurscatholiques, et que l'amour exclusif de leurspropres opinions ne leur fît pas négliger cesouvrages dans lesquels ils savent bien devoirtrouver la véritable interprétation des Écritures, etles notions les plus sûres de la nature et dusecours de la grâce ! Pélage lui-même, dans ledernier ouvrage qu'il invoque pour sajustification, c'est-à-dire dans le troisième livre du

65 Rom. X, 3.66 Philipp. III, 9.

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Libre arbitre, cite avec éloge le témoignage desaint Ambroise ; vous allez juger.

47. « Le bienheureux évêque Ambroise », dit-il. « est l'oracle par excellence de la foi romaine,ses livres sont la plus belle fleur que l'on trouveparmi les Latins, sa foi et son interprétation dessaintes Écritures sont tellement pures, que sesennemis eux-mêmes n'osent l'attaquer ». C'est ences termes qu'il prodigue les louanges à l'évêquede Milan ; sa sainteté, sans doute, n'avait d'égaleque sa science, et cependant son autorité n'estpoint à comparer avec celle des Écriturescanoniques. Ces éloges, du reste, ne sont pointdésintéressés de sa part ; si saint Ambroise a bienmérité à ses yeux, c'est parce que, dans un passagede ses écrits, il semble fournir à Pélage unepreuve que l'homme peut rester sans péché. Nousn'avons plus à traiter cette question ; la seulechose qui nous occupe, c'est le secours de lagrâce, tel qu'il nous est conféré pour ne pluspécher et pour vivre saintement.

48. Que Pélage prête donc l'oreille, et ilentendra ce vénérable évêque de Milan, dans sonsecond livre de l'exposition de. l'Évangile selonsaint Luc67, disant et enseignant que Dieu coopèremême avec nos volontés. « Vous voyez », dit-il,« que partout la vertu du Seigneur se mêle auxefforts humains ; personne ne peut édifier sans leSeigneur, garder sans le Seigneur, et rien67 Liv. II, n. 84, sur saint Luc, ch. III, 22.

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commencer sans le Seigneur. De là cette parolede l'Apôtre : Soit que vous mangiez, soit que vousbuviez, faites tout pour la gloire de Dieu68 ». Leshommes ont coutume de dire : nouscommençons, et c'est Dieu qui achève ; saintAmbroise, vous l'avez remarqué, condamnemême ce langage et ne craint pas de dire :« Personne ne peut rien commencer sans leSeigneur ». Au sixième livre du même ouvrage,parlant des deux débiteurs d'un même créancier, ils'exprime ainsi : « Selon les hommes, celui quidevait le plus, c'est celui qui avait le plus offensé ;mais la miséricorde du Seigneur a changé cetordre de choses, et maintenant celui qui devait leplus, c'est lui qui a le plus aimé, pourvu cependantqu'il ait obtenu la grâce69 ». Ce docteur catholiquepouvait-il enseigner plus clairement que ladilection elle-même, qui permet à un hommed'aimer davantage, est l'un des bienfaits de lagrâce ?

49. Parlant ensuite de la pénitence quiprocède de la volonté, saint Ambroise, dans leneuvième livre de ce même ouvrage, soutient qu'ilfaut : à la pénitence même la miséricorde et lesecours du Seigneur. « Les bonnes larmes sontcelles qui lavent la faute. Or, ceux que Jésusregarde, pleurent. Pierre renia son Maître unepremière fois et ne pleura point, parce que le

68 I Cor. X, 31.69 Liv. VI, n. 25, sur saint Luc, ch. VII, 41.

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Seigneur ne l'avait point encore regardé ; il lerenia une seconde fois et ne pleura point, parceque le Seigneur ne l'avait point encore regardé ;enfin il le renia une troisième fois, Jésus alors leregarda et Pierre pleura amèrement70 ». Que lesPélagiens lisent l'Évangile, et ils verront que Jésusétait. dans l'intérieur de la maison de Caïphe etqu'il s'y justifiait devant les princes des prêtres.Quant à l'apôtre saint Pierre, il était au dehors,dans l'atrium, tantôt assis avec les serviteursauprès du feu, tantôt debout, allant et venant,comme le prouve la concordance la plusauthentique des Évangiles. Le regard que Jésus luiadressa ne fut donc point un regard corporelextérieur. Ces paroles : « Le Seigneur le regarda »,désignent uniquement un acte intérieur quis'accomplit dans l'intelligence et dans la volonté.Dans son infinie miséricorde le Seigneur vintsecrètement au secours de son apôtre, toucha soncœur, réveilla son souvenir, le visita par une grâceintérieure, l'émut jusqu'à lui faire verser deslarmes extérieures et l'enflamma d'un immenserepentir. Tel est le mode sous lequel [613] Dieuvient en aide à nos volontés et à nos opérations ;voilà comment il opère en nous le vouloir etl'action.

50. Dans ce même livre de saint Ambroise,nous lisons encore : « Si Pierre est tombé71, lui qui

70 Liv. X, n. 89, sur saint Luc, ch. XXII, 61.71 Liv. X, n. 91, sur saint Luc, ch. XXII.

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avait dit : Lors même que tous les autres seraientscandalisés, moi je ne le serai pas72, quel autrepourra donc présumer de lui-même ? Davids'était écrié : J'ai dit dans mon abondance, je nechangerai jamais plus tard nous l'entendonsavouer que sa présomption s'est tournée contrelui : Vous avez détourné votre face, dit-il à Dieu,et je suis tombé dans un trouble profond73 ». QuePélage prête donc une oreille attentive auxenseignements du grand évêque de Milan, qu'ilimite. sa foi, puisqu'il se répand en louanges sursa doctrine. Qu'il l'écoute humblement, qu'ill'imite fidèlement ; et surtout, qu'il ne s'obstinepas dans sa présomption, de crainte qu'il nepérisse éternellement. Pourquoi Pélage voudrait-ilse précipiter dans cet océan d'où Pierre n'a étédélivré que par celui qui est la pierre angulaire del'Église et du salut ?

51. Au sixième livre du même ouvrage saintAmbroise s'exprime ainsi : « Ils ne l'ont pasreçu », mais l'Évangéliste lui-même nous endonne la raison, « parce qu'il se disposait à aller àJérusalem. Or, les disciples désiraient vivementêtre reçus à Samarie. Mais Dieu appelle qui il luiplaît, et rend religieux qui il veut74 ». Quellesublime doctrine, puisée par cet homme de Dieuà la source même de la grâce divine ! « Dieu », dit-

72 Matt. XXVI, 33.73 Ps. XXIX, 7, 8.74 Liv. VII, n. 27, sur saint Luc, ch. IX, 53.

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il, « appelle qui il lui plaît, et rend religieux qui ilveut ». N'est-ce pas l'explication de cette paroleprophétique : « J'aurai pitié de celui dont j'auraipitié, et je ferai miséricorde à celui pour lequel jeserai miséricordieux ? » ou bien encore de cetteparole de l'Apôtre : « Cela dépend non pas decelui qui veut ou de celui qui court, mais de Dieuqui fait miséricorde75 » ? C'est bien là ce querépète ce grand homme de notre temps : « Dieuappelle qui il lui plaît et il rend religieux qui ilveut ». Osera-t-on dire que sans être encorereligieux tel homme peut « courir vers Dieu,désirer être dirigé par lui, conformer entièrementsa volonté à la sienne, et s'unir à lui de manière àdevenir un seul esprit avec lui, « selon la parole del'Apôtre76 ? » Or, ce grand travail de l'hommereligieux, Pélage l'attribue tout entier à lapuissante efficacité du libre arbitre. Au contraire,celui qu'il loue avec tant de complaisance, saintAmbroise nous dit : « Le Seigneur Dieu appellequi il lui plaît, et rend religieux qui il veut ». Sidonc quelqu'un court vers Dieu, désire êtregouverné par lui, soumet entièrement sa proprevolonté à la sienne, et s'unit à lui jusqu'à devenirun seul esprit avec lui77, une seule chose nousexplique ce phénomène, c'est que Dieu rendreligieux qui il veut, et il n'y a que l'homme

75 Exod. XXXIII, 19 ; Rom. IX, 15, 16.76 Paroles de Pélage plus haut, n. 24.77 I Cor. VI, 17.

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religieux qui puisse arriver à ce degré deperfection. À moins donc que Dieu lui-mêmen'opère ce précieux résultat, c'est en vain qu'unhomme tenterait de l'obtenir.

52. Avouons du reste que la question dulibre-arbitre et de la grâce de Dieu est unequestion très-difficile à traiter et à résoudre. Eneffet, voulez-vous justifier le libre arbitre ? voussemblez aussitôt nier la grâce de Dieu ; affirmez-vous la grâce de Dieu ? vous paraissez porteratteinte au libre arbitre. Est-il donc étonnant que,s'enveloppant sous son épais manteau deténèbres, Pélage affirme qu'il donne pleinconsentement à ce langage de saint Ambroise, telque nous l'avons cité, et qu'il partage et a toujourspartagé cette doctrine ? Est-il étonnant qu'ilentreprenne d'expliquer chacune de cespropositions dans le sens de ses propres erreurs ?Quoi qu'il en soit, quant à cette question de lagrâce divine et du secours de Dieu, ne perdezjamais de vue ces trois choses qu'il distingue avectant de soin le pouvoir, le vouloir, et l'être, c'est-à-dire la possibilité, la volonté et l'action. Qu'ils'agisse, non-seulement de la possibilité qui estdans l'homme ; alors même qu'il ne veut, ni n'agitbien, mais encore de la volonté et de l'action quine sont dans l'homme que quand il veut le bienou qu'il le fait ; si Pélage veut sur ce pointembrasser la doctrine catholique, il croirafermement avec nous que la volonté et l'action

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elles-mêmes ont tellement besoin du secours deDieu, que sans ce secours nous ne pouvons nirien vouloir ni rien faire de bien. Il croira avecnous que ce secours n'est autre que la grâce deDieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, grâce danslaquelle il nous rend [614] justes de sa proprejustice et non pas de la nôtre, et que cette justice,qui ne vient pas de nous, est pour nous la justicevéritable. A cette condition, le secours de la grâcede Dieu ne sera plus entre nous l'objet d'aucunecontroverse.

53. Ce qui mérite à saint Ambroise les élogesde Pélage, c'est que dans le panégyrique que cesaint docteur fit des vertus de Zacharie etd'Élisabeth, notre hérésiarque crut trouver lapreuve de ce principe favori : que l'homme peutdans cette vie rester sans péché. Envisagé du côtéde Dieu pour qui tout est possible, ce principepeut être admis ; cependant, que Pélage considèreattentivement dans quel sens saint Ambroise leproclame. A mes yeux du moins, il s'agitseulement d'un certain genre de vie très-honnêteet très-louable, dans lequel il n'y aurait rien àreprendre ni à condamner. Telle fut la vie queZacharie et son épouse menèrent aux yeux deDieu78, car ils ne trompaient les hommes paraucune dissimulation, et se montraient à leursyeux ce qu'ils étaient aux yeux de Dieu. Mais ceserait se tromper que de prétendre trouver en eux78 Luc, I, 6.

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cette perfection de justice qui entraîne pour celuiqui la possède un état d'innocence parfaite, uneexemption complète de toute faute et de toutpéché. Parlant, en effet, de la justice qui vient dela- loi, saint Paul assure qu'il ne mérite aucunreproche à cet égard ; tel était aussi Zacharie.Mais cette justice légale parait à l'Apôtre plusméprisable que les choses les plus méprisables dumonde, quand il la compare à la justice que nousespérons79, et dont nous devons avoir faim etsoif80, afin que dès cette vie où le juste vit de la foinous puissions déjà être rassasiés de ce qui estpour nous couvert du voile de la foi81.

54. Que Pélage écoute enfin ces paroles duvénérable évêque de Milan, dans soncommentaire d'Isaïe : « Personne », dit-il, « nepeut être sans péché dans ce monde ». « Dans cemonde », dit saint Ambroise ; ce n'est assurémentpas de l'amour de ce monde qu'il parle ici. Neparlait-il pas de l'Apôtre qui a dit : « Notreconversation est dans le ciel82 ? » Telle est donc lapensée que le saint évêque développait par cesparoles : « L'Apôtre admet que, dans ce monde,beaucoup comme lui sont parfaits, mais s'il s'agitde la perfection véritable, quelle distance encoreles en sépare ! Cet Apôtre n'a-t-il pas dit : Nous

79 Philipp. III, 6, 8.80 Matt. V, 6.81 Rom. I, 17.82 Philipp. III, 20.

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ne voyons maintenant que comme en un miroiret en énigme ; mais alors nous verrons face àface ; je ne connais maintenant que d'une manièreimparfaite, mais alors je connaîtrai, comme je suisconnu moi-même83 ? Ainsi donc il en est qui sontsans tache dans ce monde et qui le serontégalement dans le royaume de Dieu ; cependant,si l'on veut y regarder de plus près, on reconnaîtraque personne ne saurait être sans tache, puisquepersonne n'est sans péché ». Nous connaissonsmaintenant sur quel témoignage de saintAmbroise Pélage a prétendu appuyer son erreur.Ou bien, ce témoignage ne doit pas être pris dansun sens absolu, mais seulement probable, et endehors d'un examen plus approfondi ; ou bien ;supposé que saint Ambroise ait d'abord attribué àZacharie et à Élisabeth une justice parfaite qui nelaissât plus rien à désirer, alors on devra direqu'une étude plus sérieuse du sujet a changé sesconvictions sur ce point.

55. Enfin, puisque Pélage trouvait dans lepassage qu'il a cité de saint Ambroise quelquechose qui lui plaisait, pourquoi donc n'a-t-il pascité également ces autres paroles qui font suiteaux premières : « Il est impossible à la naturehumaine de rester immaculée depuis lecommencement ? » Pelage nie formellement quela possibilité naturelle dont nous sommes doués,soit viciée par le péché, aussi l'exalte-t-il avec une83 I Cor. XIII, 12.

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complaisance excessive, tandis que saintAmbroise en proclame hautement l'impuissanceet la faiblesse. Pélage s'en indigne, mais le saintévêque ne fait que répéter, sous une autre forme,ces paroles de l'Apôtre : « Nous avons étéautrefois enfants de colère, comme les autres84 ».En effet, par le péché du premier homme, tristefruit du libre arbitre, notre nature a été réellementviciée et condamnée. La grâce seule peut larenouveler, mais cette grâce ne peut nous venirque par le médiateur de Dieu et des hommes, etpar le médecin tout-puissant établi de Dieu pourguérir cette nature malheureuse. Jusqu'ici nousavons exclusivement parlé de cette grâce qui seuleproduit en nous la justification, et par laquelleDieu coopère en toutes choses, pour le bien, enfaveur de [615] ceux qui l'aiment85 et qu'il a aimésle premier86, puisque c'est de lui que leur vient lafaveur même de l'aimer.

Maintenant, si Dieu nous en fait la grâce,nous allons parler du péché qui est entré dans lemonde avec la mort par un seul homme, et qui delà est passé dans tous les hommes87. Nousespérons ainsi réfuter pertinemment ceux de nosadversaires qui ont osé contredire cette vérité etaffirmer l'erreur contraire.

84 Eph. II, 3.85 Rom. VIII, 28.86 I Jean, IV, 19.87 Rom. V, 12.

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LIVRE DEUXIÈME. DU PÉCHÉ ORIGINEL

Saint Augustin prouve que sur la question du péchéoriginel et du baptême des enfants, Pélage enseigneformellement la même doctrine que son disciple Célestius,qui a été solennellement condamné d'abord à Carthage etensuite à Rome. Cette question, du reste, n'est pas de cellessur lesquelles on puisse errer sans danger pour la foi ; onpeut même dire que cette erreur s'attaque au fondement dela foi. Enfin, le saint Docteur réfute ceux qui soutiennentque le dogme du péché original est incompatible avec labonté du mariage, et fait injure à Dieu.

1. Quant au baptême des enfants, je vousinvite tout d'abord à n'écouter qu'avec uneextrême défiance tous ces beaux parleurs quin'osent formellement refuser à l'enfance le bainde la régénération et de la rémission des péchés,dans la crainte de soulever autour d'eux la plusvive indignation de la part des chrétiens, et quicependant s'obstinent à soutenir que le péché dupremier homme ne se transmet d'aucune manièrepar la génération charnelle, et que les enfants nesont coupables en aucune manière du péchéoriginel ; ce qui n'empêche pas qu'on peut leuraccorder le baptême pour la rémission despéchés. Ne m'avez-vous pas écrit vous-mêmesque Pélage vous a lu certains passages del'opuscule qu'il assurait avoir envoyé à Rome ?N'avez-vous pas entendu de vos propres oreillesdes paroles comme celles-ci : « La formule dubaptême conféré aux enfants doit être la mêmeque pour les adultes ? » Après un aveu comme

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celui-là, pourrait-on supposer que le péchéoriginel puisse encore être mis en question ? Celuiqui les accuserait d'en nier l'existence neparaîtrait-il pas un infâme calomniateur, jusqu'aumoment où il donnerait lecture de ces passagesmanifestes dans lesquels nos adversaires nientformellement que le péché originel se transmetteaux enfants, et affirment que nous naissons toussans tache et sans souillure ?

2. Célestius eut du moins le mérite de sedéclarer franchement pour cette erreur. C'est aupoint qu'à Carthage, dans un jugement épiscopal,il refusa positivement de condamner ceux quisoutiennent que « le péché d'Adam n'a nui qu'àson auteur et non au genre humain, et que lesenfants, à leur naissance, sont dans le même étatqu'Adam avant sa prévarication ». À Rome même,dans le libelle qu'il adressa au pape Zosime, ildéclara, sans ambages, « qu'aucun enfant ne naîtcoupable du péché originel ». Nous empruntonsles témoignages suivants aux actes ecclésiastiquesde Carthage.

3. « L'évêque Aurélius dit : Qu'on lise ce quisuit. On lut que le péché d'Adam n'a nui qu'à sonauteur et non pas au genre humain. Après cettelecture, Célestius ajouta : J'ai dit que je doutais dela transmission du péché, sauf toutefois à meranger de l'avis de celui qui me paraîtra avoir reçude Dieu la grâce de mieux connaître la question ;et, en effet, j'ai entendu bien des choses

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contradictoires sur ce point de la part de prêtrescatholiques. Le diacre Paulin répondit : Déclinezle nom de ces prêtres. Célestius répliqua : Le saintprêtre Rufin de Rome, lequel demeura avec saintPammachius ; je lui ai entendu dire qu'il n'y a pasde transmission de péché. En est-il encored'autres, demanda Paulin ? J'en ai entendubeaucoup d'autres, répondit Célestius. – Paulin.Donnez-nous leurs noms. – Célestius. Est-ce qu'unseul prêtre ne vous suffit pas ? Un peu plus loinnous lisons encore : L'évêque Aurélius dit : Qu'onachève la lecture du libelle. On lut que les enfants,à leur naissance, sont dans le même état qu'Adamavant sa prévarication ; et on continua ainsijusqu'à la fin la lecture de ce court opuscule.

« L'évêque Aurélius dit : Célestius, est-il vrai,comme le diacre Paulin vient de l'affirmer, quevous avez enseigné que les enfants à leurnaissance sont dans le même état qu'Adam avantsa prévarication ? – Célestius. Qu'il prouve ce qu'ilavance ; pourquoi précise-t-il, avant laprévarication ? – Paulin. Niez donc que vous ayezémis cette doctrine. Je lui laisse le choix : qu'ilaffirme que cet enseignement n'est jamais sorti deses lèvres, ou qu'il le condamne formellement. –Célestius. J'ai dit que je le sommais de nous rendreraison de cette parole : avant la prévarication.[617] – Paulin. Niez-vous que vous ayez émiscette doctrine ? – L'évêque Aurélius. Permettez-moide résumer cette objection : Adam placé dans le

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paradis terrestre, et jusque-là destiné à ne pasmourir, est devenu sujet à la mort en punition deson péché. Paulin, est-ce là ce que vous dites ? –Paulin. Oui, c'est bien là ce que j'affirme. –Aurélius. Les enfants à baptiser sont-ils dans lemême état qu'Adam avant sa prévarication ; oubien, par le fait même de leur naissance, sont-ilscoupables du péché originel ? tel est ce point surlequel Paulin voudrait entendre les explications deCélestins. – Paulin. Je demande s'il enseigne lepéché originel ou s'il le nie. – Célestius. J'ai déjàparlé de la transmission du péché, car parmi lescatholiques j'ai entendu les uns affirmer et lesautres nier ; je crois du reste qu'il y a ici matière àdiscussion et non pas à hérésie. J'ai toujours ditque les enfants ont besoin du baptême et doiventêtre baptisés ; pourquoi m'en demande-t-ildavantage ? »

4. Vous voyez vous-mêmes que tout enconcédant le baptême aux enfants, Célestius neveut point avouer qu'ils naissent coupables dupéché originel, et que ce péché soit effacé par lebain de la régénération. Il ne veut point l'avouer,mais il n'ose pas non plus le nier. C'est donc cetétat d'incertitude qui l'empêche de condamnerceux qui soutiennent que le péché d'Adam n'a nuiqu'à son auteur, et non point au genre humaintout entier, et que les enfants, à leur naissance,sont dans le même état qu'Adam avant saprévarication.

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5. Dans le libelle qu'il a publié à Rome et quia été cité dans les actes ecclésiastiques, ils'exprime de manière à faire entendre que ledoute qui l'agitait a fait place à une convictionvéritable. Voici ses paroles : « Les enfants doiventêtre baptisés pour la rémission des péchés, selonla règle de l'Église universelle et selon la doctrinede l'Évangile, dans laquelle le Seigneur établit quele royaume des cieux n'est accessible qu'à ceux quiont reçu le baptême88. Puisque ce royaumedépasse les forces de la nature, il ne peut nousêtre conféré que par la liberté de la grâce. C'est làce que nous confessons ». S'il ne devait plusrevenir sur cette question, nous serions touspersuadés que Célestius admet dans les enfants larémission du péché originel dans le baptême,puisqu'il proclame qu'on doit les baptiser pour larémission des péchés. Ceci vous rappelle sansdoute cette réponse que vous fit Pélage : « Laformule employée pour le baptême des enfantsest la même que pour le baptême des adultes ».Cet aveu vous a comblés de joie parce que vouscroyiez y trouver ce que vous désiriez ; etcependant, avant d'accepter ces paroles, nousavons cru devoir les soumettre à un examen plusapprofondi.

6. Veuillez donc observer ce que Célestiusénonce, sans aucun déguisement, et vousconnaîtrez ce que Pélage a voulu vous cacher. Or,88 Jean, III, 6.

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voici ce que Célestins ajoute : « En disant que lebaptême doit être conféré aux enfants pour larémission des péchés, nous n'avions aucunementl'intention d'affirmer la transmission originelle dupéché, car c'eût été nous mettre en oppositionavec le sentiment catholique. En effet, le péché nesaurait naître avec l'homme, puisque plus tard ildevient l’œuvre personnelle de l'homme,. etqu'ainsi il n'est pas un péché de nature, mais unpéché de volonté. C'est là ce que nous devonsadmettre, si nous ne voulons pas paraître établirdifférents genres de baptême, et, à l'occasion d'unmystère, faire injure au Créateur, en enseignantque le mal est dans l'homme par nature, avantmême que cet homme puisse le commettre par savolonté propre ». Pélage a craint ou rougi de vousexposer, cette doctrine dans toute sa nudité, maisCélestius, plus logique et plus hardi que sonmaître, n'a craint ni rougi de la formulernettement et sans ambages devant le siègeapostolique.

7. Toutefois, dans son immense miséricorde,le Pontife, voyant Célestius se précipiter commeun furieux dans le gouffre de l'erreur, tenta, s'ilétait encore possible, de l'arrêter dans sa chute.Au lieu de le frapper d'une condamnationéclatante, qui l'eût précipité dans l'abîme surlequel il était suspendu, il préféra procéder parvoie d'interrogations successives, afin de luifaciliter par ses réponses le moyen de se rattacher

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à l'unité. J'ai dit que Célestius n'était point encoremanifestement tombé dans l'abîme, mais qu'il yétait seulement suspendu ; car dans ce mêmelibelle, parlant des questions qu'il posait, il avaitdit formellement : « Si quelque erreur, fruit del'ignorance, s'est glissée [618] dans nos paroles,nous connaissons notre fragilité humaine, et nousattendons de vous notre correction et lalumière ».

8. Appuyé sur cette promesse de soumission,le vénérable pape Zosime, sentant qu'il avaitaffaire à un homme que le vent d'une faussedoctrine avait enflé d'orgueil, se proposa del'amener à une condamnation formelle de toutesles accusations soulevées contre lui par le diacrePaulin, et à une acceptation explicite de la lettreapostolique de son prédécesseur de saintemémoire. Mais Célestius refusa obstinément decéder sur le premier point ; quant à la lettre dupape Innocent, il n'osa la repousser, et alla mêmejusqu'à promettre « de condamner tout ce « que leSaint-Siège condamnerait ». C'était bien là lefrénétique qui, sous l'influence d'une doucechaleur, commence à prendre du repos ; toutefoisil ne parut pas encore mériter qu'on le relevât del'excommunication qui pesait sur lui. Néanmoinsdeux mois lui furent accordés pour réfléchir etpour venir à résipiscence, en attendant qu'unelettre d'Afrique apprît à Rome s'il voulait profiterde l'indulgence qui lui était offerte. Il lui suffisait

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de déposer son obstination vaniteuse, de serappeler sa promesse et de lire attentivement lalettre à laquelle il s'était engagé de souscrire ; à ceprix sa guérison était assurée. Mais l'assembléedes évêques d'Afrique, témoin de ses dispositions,dut répondre qu'il n'était que trop juste deconfirmer la sentence qui le frappait. Lisez tousces documents, car nous vous les avons tousadressés.

9. Maintenant, que Pélage s'examine lui-même et porte sur ses écrits un jugementimpartial, et il comprendra qu'il est atteintdirectement par cette sentence. Il a surpris labonne foi des évêques de Palestine, de là cetteapparente justification dont il se flatte ; à Rome,où vous savez qu'il est très-connu, il n'a putromper personne, malgré les moyens de toutesorte qu'il a employés pour y parvenir. Lebienheureux pape Zosime ne pouvait pas oublierce que son glorieux prédécesseur pensait des actesmêmes du procès. Il comprit également ce quecette foi romaine qui doit être prêchée dans leSeigneur à toutes les nations de la terre89 pouvaitpenser de Pélage, puisque les Romains, commeun seul homme, réunissaient tous leurs effortspour venger la vérité catholique des attaques del'erreur. Pélage n'avait-il pas vécu au milieu de cesRomains ? sa doctrine pouvait-elle donc leurrester inconnue ? Ils savaient parfaite. ment aussi89 Rom. I, 8.

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que Pélage avait pour disciple fidèle ce mêmeCélestius, sur lequel ils pouvaient rendre untémoignage authentique et véritable. Or, quepensait le saint pape Innocent de ces actes dusynode de Palestine, dans lesquels Pélage seflattait de trouver sa justification ? Vous pourrezle savoir en lisant la lettre qu'il nous a écrite à cesujet, et le mémoire adressé par le synoded'Afrique en réponse au pape Zosime. Quoiquenous vous ayons déjà transmis tous cesdocuments, nous croyons devoir vous lesrappeler dans cet ouvrage.

10. Dans une lettre signée par cinq évêques,nous avions parlé de ces actes de Palestine, quenous ne connaissions encore que parla bruitpublic, et nous disions que Pélage, dans cet orientoù il habitait, avait été justifié par un synodeecclésiastique. Nous reçûmes d'In. nocent uneréponse dont j'extrais ces quelques lignes : « Cesactes portent la trace d'objections qui lui ont étéfaites. Mais il en est auxquelles il évite derépondre, et d'autres qu'il n'essaie de réfuter qu'enrépandant la plus profonde obscurité. Sur certainspoints, il s'est justifié par de faux raisonnementsbien plus que par des raisons vraies ; il avaitrecours, selon les besoins du moment, tantôt àdes dénégations, tantôt à des interprétationsinexactes. Mais (ce qui serait vraiment à désirer),plût à Dieu qu'il quittât son erreur pour revenir àla vérité de la foi catholique ! Plût à Dieu qu'il

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désirât et voulût se justifier en considérant et enreconnaissant cette grâce et ce secours de Dieudont nous avons besoin tous les jours ! Plût àDieu qu'il vît la vérité, et que, rentré de cœur, etnon sur la foi de je ne sais quels actes, dans lavoie catholique, il méritât l'approbationuniverselle ! Nous ne pouvons ni blâmer niapprouver le jugement porté sur lui, parce quenous ne savons pas si les actes sont véritables ; ets'ils le sont, il paraît évident qu'il s'est bien plusattaché à éluder les questions qu'à se justifierpleinement ». Ces paroles vous suffisent pourconclure que le bienheureux pape Innocentproteste de sa résolution de ne parler que de cequ'il connaît. Vous voyez ce qu'il pensait de lajustification de Pélage. Vous voyez les [619]antécédents que le saint pape Zosime avait sousles yeux ; en fallait-il davantage pour le porter àconfirmer, sans aucune hésitation, le jugement deson prédécesseur ?

11. Ne dois-je pas également vous montrercomment Pélage a trompé les évêques dePalestine, sur la question du baptême des enfants,sans parler de beaucoup d'autres ? Je m'y croisd'autant plus obligé qu'on pourrait peut-être nousaccuser d'avoir cherché, non pas à comprendre,mais à calomnier et à soupçonner témérairementla pensée de Pélage, quand nous disons qu'il acaché son opinion et qu'il enseigne absolument lamême doctrine que son disciple Célestius, dont

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pourtant il n'imite pas les allures franches : etlibres. Nous savons déjà que Célestius refusa decondamner les propositions suivantes : « Lepéché d'Adam n'a nui qu'à son auteur, etnullement au genre humain ; les enfants, à leurnaissance, sont dans le même état qu'Adam avantsa prévarication ». Ne comprenait-il pas quecondamner ces propositions c'était affirmerhautement la transmission originelle du péchéd'Adam ? Or, quand Pélage se vit accusé departager sur ce point encore la doctrine de sondisciple Célestius, il n'hésita point à la condamner.Je sais que vous avez lu les actes de ce jugement ;mais ce n'est pas uniquement à vous que jem'adresse en ce moment, et comme je craindraisque le lecteur ne reculât devant la difficulté derecourir lui-même à ces actes, je vais ici même endonner un extrait.

12. « Le synode dit : Puisque Pélage vientd'anathématiser quiconque ose témérairementsoutenir que sans le secours et la grâce de Dieu,l'homme peut rester sans péché, qu'il répondemaintenant aux autres chefs d'accusation. L'und'eux était tiré de la doctrine de Célestius, disciplede Pélage, et avait été signalé par le saint évêquede Carthage, Aurélius, et ses collègues, réunis ensynode. Célestius avait formulé sa pensée en cestermes : Adam a, été créé mortel, et serait mort,soit qu'il eût péché, soit qu'il n'eût pas péché. Lepéché d'Adam n'a nui qu'à son a auteur, et

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nullement au genre humain. La a loi, commel'Évangile, nous ouvre le a royaume des cieux.Avant la venue de Jésus-Christ, certains hommesvécurent absolument sans péché. Les enfants, àleur naissance, sont dans le même état qu'Adamavant sa prévarication. Ce n'est ni par la mort nipar la prévarication d'Adam que tous les hommessont condamnés à mourir ; de même ce n'estpoint par la résurrection de Jésus-Christ que legenre humain ressuscitera. Le saint évêqueAugustin répondant à certaines questionsqu'Hilaire de Syracuse lui avait adressées contrecertaines erreurs professées en Sicile par lesdisciples de Pélage, signalait dans son livre lespropositions suivantes : « L'homme, s'il le veut,peut rester sans péché ; les enfants, quoiquemorts sans baptême, possèdent la vie éternelle ; siles riches baptisés ne renoncent pas à tout cequ'ils possèdent, les bonnes œuvres qu'ilsaccompliraient ne leur serviraient de rien, et ils nepourront entrer dans le royaume des cieux. Pélagerépondit : Quant à la possibilité où est l'hommede rester sans péché, il en a été parléprécédemment. Quant au second point, nousavons dit qu'avant la venue de Jésus-Christ,certains hommes, selon le témoignage même del'Écriture, avaient vécu dans la sainteté et lajustice. Quant aux autres propositions, mesadversaires conviennent eux-mêmes qu'elles mesont étrangères et que je ne suis tenu à leur égard

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à aucune satisfaction. Cependant, pour répondreà tous les désirs du synode, je déclareanathématiser ceux qui soutiennent ou ontsoutenu cette doctrine ».

13. De là vous pouvez conclure, quant ausujet qui nous occupe, que Pélage a frappéd'anathème ceux qui enseignent que « le péchéd'Adam n'a nui qu'à son auteur, et nullement augenre humain ; que les enfants, à leur naissance,sont dans le même état qu'Adam avant saprévarication ». Ses juges pouvaient-ils donc nepas voir dans cet anathème une professionsolennelle de la foi catholique au dogme de latransmission du péché d'Adam à sa postérité,même aux enfants ? Célestius a refusé desanctionner la condamnation portée par Pélage,parce qu'il ne voulait point confesser l'existencedu péché originel. Maintenant si je puis montrerque, par rapport aux enfants, Pélage lui-mêmeenseignait et croyait qu'ils naissent dans uneinnocence parfaite, on comprendra facilementque, sur cette question, toute la différence entreCélestius et Pélage n'était qu'une différence deforme ; le premier était plus franc, le second pluscaché ; le premier était plus obstiné, le secondplus menteur ; le [620] premier était plus logique,et le second plus astucieux. Ce que Célestius avaitrefusé de condamner à Carthage, il refusaégalement de le condamner à Rome, sauf à secorriger si on lui prouvait qu'il s'était trompé

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comme homme. Pélage, au contraire, condamnacette même doctrine comme contraire à la vérité,pour échapper à l'anathème dont le menaçaientles juges catholiques ; mais en même temps il seréserva le droit de soutenir cette même doctrine,quand le danger serait passé, ce qui prouve qu'iln'était qu'un insigne menteur en la condamnant,ou un fourbe des plus astucieux en l'interprétant.

14. Mais j'ai hâte d'accomplir ma promesse etde montrer que Pélage, sur ce point, ne pense pasautrement que Célestius. Dans la lettre qu'ilenvoya à Rome, il fait mention de l'ouvrage qu'ilvenait de composer sur le libre arbitre. Or, voicice que nous lisons dans le premier livre de cetouvrage : « Le bien ou le mal qui nous rend bonsou mauvais, ne naît pas avec nous, mais nous lefaisons nous-mêmes. En effet, nous naissonscapables du bien et du mal, mais ni le bien ni lemal ne sont en nous, nous naissons sans vice etsans vertu ; dès lors, avant que nous n'ayons agipar notre propre volonté, il n'y a dans l'homme.que ce que Dieu y a mis par la création ». Cesparoles de Pélage, vous le voyez clairement,prouvent que le maître et le disciple sontparfaitement d'accord pour soutenir que lesenfants naissent sans avoir reçu aucune atteintedu péché d'Adam. Il n'est donc pas étonnant queCélestius ait refusé de condamner ceux quisoutiennent « que le péché d'Adam n'a nui qu'àson auteur et nullement au genre humain, et que

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les enfants, à leur naissance, sont dans le mêmeétat qu'Adam avant sa prévarication ». Mais ce quiest véritablement étonnant, c'est devoir de quelfront Pélage a osé condamner cette doctrine. Eneffet, si, comme il le dit, « le mal ne naît pointavec nous, si nous sommes formés sans aucunvice originel, si avant toute action de sa volontépropre il n'y a dans l'homme que ce que Dieu y amis par la création », n'est-il pas évident que lepéché d'Adam n'a nui qu'à son auteur, et qu'il nese transmet en aucune manière à sa postérité ? Oule péché n'est pas un mal, ou le péché n'est pas unvice, ou bien c'est Dieu qui est l'auteur du péché,Or, nous dit Pélage, « le mal ne naît point avecnous ; nous sommes formés sans aucun viceoriginel, et dans tous ceux qui naissent il ne peut yavoir que ce que Dieu y a mis par la création ».Dès lors, comment s'expliquer que Pélage, àmoins qu'il n'ait voulu tromper ses jugescatholiques, a osé condamner cette proposition :« Le péché d'Adam n'a nui qu'à son auteur, etnullement au genre humain ? D'un autre côté, sile mal ne naît pas avec nous, si nous sommesformés sans aucun vice originel, si l'homme ennaissant est absolument tel que Dieu l'a créé »,n'est-on pas en droit de dire que « les enfants àleur naissance sont dans le même état qu'Adamavant sa prévarication ? » À cette époque Adamétait exempt de tout mal et de tout vice, et il étaitabsolument tel qu'il était sorti des mains du

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Créateur. Et cependant Pélage a frappéd'anathème ceux « qui enseignent ou ont enseignéque les enfants à leur naissance sont dans lemême état qu'Adam avant sa prévarication »,c'est-à-dire exempts de tout mal et de tout vice, ettels que Dieu les a créés. Ce qu'il se proposait, enformulant cette condamnation, n'était-ce doncpas uniquement de tromper le synode catholique,et d'échapper à l'anathème qui eût révélé en lui unnouvel hérétique ?

15. En lisant le livre que j'ai adressé à notrevénérable vieillard Aurélius, et dans lequel je,discutais les actes du concile de Palestine, vousavez vu avec quel joie véritable j'accueillais cetteréponse de Pélage, car elle paraissait avoir clos ledébat et confessé ouvertement l'existence dupéché originel dans les enfants. Et, en effet, quelautre sentiment pouvais-je éprouver quand jel'entendais frapper d'anathème ceux quisoutenaient que le péché d'Adam n'avait nui qu'àson auteur et nullement au genre humain, et queles enfants à leur naissance sont dans le mêmeétat qu'Adam avant sa prévarication ? Maislorsque j'eus parcouru les quatre livres de cetouvrage dont je viens de citer quelques lignes ;lorsque je vis ce même homme se mettre enopposition directe avec la foi catholique, au sujetdu péché originel pour les enfants, je medemandai avec effroi comment cet homme avaitpu mentir aussi impudemment dans un jugement

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ecclésiastique et sur une question d'une telleimportance. Supposé que ces livres fussent écritsavant le jugement, comment a-t-il pu frapperd'anathème ceux qui avaient [621] professé cettedoctrine ? Et s'il ne les composa que dans la suite,comment a-t-il osé condamner ceux quiembrassent cette erreur ? Braverait-il le ridiculejusqu'au point de dire que son anathème nefrappait que ceux qui, dans le passé ou aumoment même, avaient professé ou professaientcette doctrine, tandis qu'ils ne pouvaientnullement s'appliquer à ceux qui dans l'avenirembrasseraient cette erreur, dût-il l'embrasser lui-même ? Il conclurait de là qu'il ne s'est pasdémenti, quoique dans la suite il ait enseigné cequ'il avait d'abord condamné. Mais il reculedevant un tel langage, non-seulement parce qu'ilserait ridicule, mais aussi parce qu'il serait d'unefausseté éclatante. En effet, dans ces mêmes livresil attaque la transmission du péché d'Adam auxenfants, et tire vanité des actes du synode dePalestine, dans lequel il parut condamnerréellement ceux qui partagent ces erreurs, et danslequel aussi il vola son absolution, grâce àl'habileté de ses mensonges.

16. Quant à la question qui nous occupe,qu'importe que Pélage réponde à ses disciplesque, « s'il a condamné les propositions qui luiétaient reprochées, c'est parce qu'il soutient que lepéché d'Adam a nui, non-seulement à son auteur,

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mais au genre humain a tout entier, non pas dansle sens d'une transmission véritable, maisuniquement à raison du mauvais exemple qui estrésulté de ce péché ? » En d'autres termes, Pélagen'entend parler aucunement d'un vice originel quele péché d'Adam aurait propagé dans sa postérité,mais d'un péché modèle qui aurait été imité partous ceux qui dans la suite se sont renduscoupables. De même s'il a dit que les enfants, àleur naissance, ne sont pas dans le même étatqu'Adam avant sa prévarication, c'est parce queces enfants n'ont encore aucune connaissance duprécepte, tandis qu'Adam jouissait de cetteconnaissance ; c'est aussi parce que ces enfantsn'ont pas encore l'usage de leur volonté libre etraisonnable, tandis qu'Adam devait en user,autrement il eût été incapable de recevoir aucuncommandement. Ainsi donc il se flatte d'avoirjustement condamné cette proposition : « Lepéché d'Adam n'a nui qu'à son auteur, etnullement au genre humain ; les enfants à leurnaissance sont dans le même état qu'Adam avantson péché ». D'un autre côté, il soutient que sansaucune contradiction de sa part : il a pu enseignerdans ses derniers ouvrages que « les enfantsnaissent sans aucun mal, sans aucun vice, et qu'ilssont tels que Dieu les a créés », sans qu'aucunennemi ait pu graver en eux ni plaies ni blessures.

17. Le langage que tient Pélage, le soin qu'ilmet à dénaturer le sens des accusations intentées

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contre lui, tout cela n'est-il pas une ruse de sa partpour montrer qu'il n'a pas trompé les juges ? Maisil n'y parviendra jamais, car, plus son expositionest astucieuse, plus a été habile et secrète lasurprise qu'il a faite à ses juges. Des évêquescatholiques l'entendent frapper d'anathème ceuxqui soutiennent que « le péché d'Adam n'a nuiqu'à son auteur, et nullement au genre humain » ;ils en concluent naturellement que Pélageprofesse sur ce point la doctrine même del'Église, et que, s'il confère le baptême auxenfants, c'est véritablement pour la rémission despéchés, non pas des péchés qu'ils ont commiseux-mêmes par imitation du premier pécheur,mais des péchés qu'ils apportent en naissant parsuite de la transmission du vice originel. Quandils l'entendent frapper d'anathème ceux quienseignent que « les enfants, à leur naissance, sontdans le même état qu'Adam avant saprévarication », ils en concluent naturellementqu'il condamne tous ceux qui nient latransmission du péché d'Adam à sa postérité, etconstituent par là même les enfants dans un étatde parfaite innocence : tel était d'ailleurs le sensformel de l'accusation sur laquelle il avait à sejustifier. Maintenant il explique son anathème : s'ila dit que les enfants ne sont pas dans le mêmeétat qu'Adam avant son péché, il voulaituniquement affirmer que ces enfants ne jouissentpas de la même fermeté d'esprit ou de corps ;

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quant à dire qu'ils n'étaient coupables d'aucunefaute par la transmission originelle, jamais il n'a eucette pensée. Mais ne peut-on pas lui répondre :Quand on vous sommait de condamner cespropositions, les évêques-catholiques leurdonnaient-ils le sens que vous leur prêtez ?Pourtant vous les avez condamnées, et, grâce àcette condamnation, ils ont cru à votreorthodoxie. Ils ne vous ont donc absous qu'enraison de la croyance qu'ils vous supposaient ;quant à celle que vous aviez réellement, elle nepouvait que vous mériter une condamnation. Sidonc vous professiez une doctrine condamnable,vous [622] n'avez pas été absous ; vous ne l'avezété qu'en raison de la croyance que vous deviezavoir. Avant que vous puissiez vous croirejustifié, on vous a cru parfaitement catholique, carvos juges ne pouvaient supposer que sous unlangage orthodoxe vous cachiez des doctrineshérétiques. Maintenant, puisque vous vousmontrez le partisan des erreurs de Célestius,croyez bien que vous partagez sa condamnation.Si dans le jugement vous avez caché vosouvrages, depuis le jugement vous les avez lancésdans toutes les voies de la publicité.

18. Une telle tond vite devait soulever contreles auteurs de cette déplorable hérésie l'unanimeréprobation des conciles épiscopaux, du Siègeapostolique, de l'Église romaine et de l'empireromain, dont Dieu protège la foi catholique et

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véritable. Qu'il daigne arracher aux liens dudémon ces tristes victimes de l'erreur ! tel était lecri général. Qui sait, en effet, si Dieu ne leuraccordera point la grâce de se repentir, deconnaître, de confesser, de prêcher la vérité et decondamner les déplorables égarements de cettehérésie ? Quelles que soient donc les dispositionsdes Pélagiens, nous ne pouvons douter que lamiséricorde de Dieu ne verse encore ses grâcessur le grand nombre de ceux qui, en suivantPélage, croyaient rester dans la communioncatholique.

19. Quant à Pélage lui-même, voyez ce qu'il atenté pour surprendre le jugement épiscopal duSiège apostolique dans cette question du baptêmedes enfants. Vous savez déjà qu'il écrivit au papeInnocent, de sainte mémoire. Cette lettre futremise au pape Zosime, qui ordonna de nous latransmettre. Dans cette lettre Pélage se plaint« que ses adversaires aient osé l'accuser de refuserle sacrement de baptême aux enfants, et de leurpromettre le royaume des cieux sans qu'aucuneapplication leur soit faite de la rédemption deJésus-Christ ». Or, telle n'est point l'accusationportée contre lui. Nous savons parfaitement qu'ilsne refusent pas le baptême aux enfants, et qu'ilsn'accordent à personne le royaume des cieux endehors de la rédemption de Jésus-Christ. Laforme sous laquelle il présente sa plainte n'estdonc pour lui qu'un moyen de répondre plus

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facilement à l'accusation portée contre lui, sansatteindre aucunement ses doctrines erronées.

Ce qu'on leur reproche, c'est de soutenir que,même avant leur baptême, les enfants neparticipent aucunement à la condamnation dupremier homme et qu'ils ne sont coupabled'aucun péché originel qui ait besoin d'être effacédans le bain de la régénération. Si donc ilsconviennent que le baptême doit leur êtreconféré, c'est uniquement pour leur donner droitau royaume des cieux, en dehors duquelcependant ils ne peuvent posséder que la mortéternelle, puisque, sans la participation au corps etau sang du Seigneur, personne ne peut avoir la vieéternelle. Voilà ce dont on les accuse au sujet dubaptême des enfants ; et, s'il suppose autre chose,c'est uniquement pour pouvoir se justifier, sansmodifier en quoi que ce soit son enseignement.

20. Maintenant, jugez vous-mêmes saréponse, et voyez comme il se ménage un refugesous le voile épais des ténèbres et des ambiguïtésdont il enveloppe la vérité ; c'est au point qu'aprèsune première lecture nous serions tentés de nousréjouir de la sincérité de sa conversion. Mais sinous étudions la développements de sa penséedans ses autre ouvrages, quelque désir qu'il ait dese cacher, nous le saisissons à découvert et nousnous prenons à suspecter ses aveux en apparenceles plus francs et les plus explicites. « Jamais », dit-il, « il n'a soutenu, jamais il n'a entendu aucun

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hérétique soutenir une semblable doctrine àl'égard des enfants » ; puis il ajoute : « Peut-onignorer l'Évangile au point, non-seulement desoutenir cette doctrine, mais même d'en avoirseulement la pensée ? Quel impie oserait jamaispriver les enfants du royaume des cieux, endéfendant de les baptiser et de les faire renaître enJésus-Christ ? »

21. Cette réponse est inutile et ne saurait lejustifier. Jamais ils n'ont soutenu que, sans lebaptême, les enfants puissent entrer dans leroyaume des cieux. :Mais telle n'est point laquestion ; il s'agit uniquement de la rémission' dupéché originel dans les enfants. Qu'il se justifiedonc sur ce point, lui qui soutient que le bain dela régénération n'a rien à purifier dans les enfants.Écoutons donc ce qu'il va nous dire. Il cited'abord ce passage de l'Évangile où il est dit quecelui qui ne renaîtra pas de l'eau et du Saint-Espritn'entrera pas dans le royaume des cieux90. Mais jel'ai [623] déjà dit, telle n'est point la question. Ilajoute aussitôt : « Quel impie oserait refuser lebénéfice de la rédemption commune du genrehumain à un enfant de quelque âge qu'il fût ? »Ceci n'est pas clair. De quelle rédemption parle-t-il ? s'agit-il de passer du mal au bien ou du bien aumieux ? Célestins lui-même a proclamé, dans sonlibelle à Carthage, la rédemption des enfants, et

90 Jean, III, 5.

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cependant il n'a pas voulu reconnaître en eux latransmission du péché d'Adam.

22. Pélage continue : « Quel impie oseradéfendre à un enfant qui est né pour une vieincertaine, de renaître à une vie perpétuelle etcertaine ? » Dans une première lecture j'ai cru quepar cette vie incertaine il voulait désigner la vietemporelle, tout en avouant qu'il aurait dûl'appeler mortelle plutôt qu'incertaine, puisqu'elledoit se terminer infailliblement par la mort.Cependant, comme après tout cette vie ne secompose que de moments rapides et fugitifs, laqualification d'incertaine me paraissaitsuffisamment justifiée pour qu'il pût l'appliquer ànotre vie temporelle. Dès lors, quoiqu'il eûtouvertement refusé de confesser la mort éternelledes enfants qui meurent sans baptême, je sentaismes inquiétudes se calmer peu à peu sous laforme de mon raisonnement. Je me disais : Si,comme il l'avoue ; la vie perpétuelle ne peut êtrele partage que de ceux qui ont reçu le baptême,les enfants qui meurent sans baptême ne peuventattendre que la mort éternelle. D'un autre côté,puisque ces enfants ne peuvent avoir commisaucun péché dans cette vie, s'ils ont besoin dejustification, ce ne peut être qu'en raison du péchéoriginel.

23. Plusieurs de nos frères se sont empressésde nous dire que ces paroles de Pélage trouventleur explication naturelle dans cette réponse qu'il

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ne cesse d'adresser à ceux qui l'interrogent : « Jesais où ne vont pas les enfants qui meurent sansbaptême ; mais je ne sais pas où ils vont » ; end'autres termes, je sais qu'ils n'entrent pas dans leroyaume des cieux. Où vont-ils donc ? Ilrépondait et il répond encore qu'il l'ignore, parcequ'il n'osait pas affirmer que la mort éternelle fûtle partage nécessaire d'enfants quine peuvent êtrecoupables d'aucun péché actuel, et auxquels ilrefusait la transmission du péché originel. Ce sontlà cependant les paroles sur lesquelles ons'appuyait à Rome pour asseoir sa justification :paroles tellement ambiguës qu'elles peuventparfaitement abriter leur croyance et servir depoint de départ à l'hérésie, surtout quand elless'adressent à des hommes isolés et ignorants quela moindre difficulté trouble et réduit au silence.

24. Nous savons que sa lettre au papeInnocent était accompagnée du livre de sa foi. Or,tous les moyens qu'il emploie pour se cacher neservent qu'à le dévoiler plus ostensiblement. Voicicomme il s'exprime : « Nous croyons en un seulbaptême, qui doit être conféré avec les mêmesparoles sacramentelles aux enfants et auxadultes ». Il ne se contente pas de dire que c'est lemême sacrement qui doit être donné à tous, carcette formule aurait paru ambiguë ; il va plus loinet affirme qu'il doit être « conféré à tous avec lesmêmes paroles sacramentelles », en sorte que larémission des péchés semble accordée aux

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enfants, non-seulement dans l’effet des choses,mais même dans la teneur des paroles. De tempsà autre Pélage émettait donc certainespropositions conformes à la foi catholique, maisle Saint-Siège ne fut pas dupe jusqu'à la fin. Unepremière condamnation avait été lancée parleconcile d'Afrique ; car cette doctrineempoisonnée s'était déjà sourdement glissée danscette province et y avait fait secrètement uncertain nombre de victimes. Bientôt Rome imitacet exemple, car Pélage y avait passé de longuesannées, qu'il avait consacrées à des prédications età des discussions. Nos frères n'hésitèrent pas à lefrapper d'une condamnation publique, que lepape Zosime sanctionna dans une lettre adresséepar lui à toutes les Églises de l'univers. Pélagecommentant l'épître de saint Paul aux Romains,raisonnait ainsi : « Si le péché d'Adam fruit mêmeà ceux qui ne pèchent pas, donc la justice deJésus-Christ profite aussi à ceux qui ne croientpas ». Et il donnait à cette pensée tous lesdéveloppements que, avec la grâce de Dieu, nouscroyons avoir réfutés dans notre ouvrage sur lebaptême des enfants91. Dans ses thèses générales,il évitait de mettre en jeu sa propre personne ;mais quand il se sentait parfaitement connu de sesauditeurs, il s'exprimait ouvertement, sansdéguiser aucunement sa pensée. Comme preuves,nous avons ces livres [624] dont j'ai parlé91 Liv. III, n. 5, 6.

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précédemment92 ; là du moins, il ne dissimule rienet déploie tout ce qu'il a de forces pour prouverque la nature humaine dans les enfants n'estnullement viciée par la transmission du péché ;dès lors, plus il lui reconnaît de droits au ciel, plusil porte atteinte à la nécessité d'un rédempteur.

25. En présence de semblables affirmations,qui pourrait douter de l'existence de cette hérésiepestilentielle contre laquelle l'Église, avec lesecours de Dieu, proteste ouvertement ? Quantaux auteurs de cette hérésie, Pélage et Célestius,ou bien ils doivent se soumettre aux rigueurs de lapénitence, ou bien, s'ils s'obstinent, ils doiventêtre solennellement condamnés. Diront-ils qu'ilsn'en sont pas les auteurs ? Ce serait nier l'évidencemême. Mais enfin, admettons qu'ils n'en sont pasles auteurs ; toujours est-il qu'ils la soutiennent etla défendent, qu'ils la sèment et la propagent parleurs paroles, par leurs lettres et par tous lesmoyens possibles ; et comme il se fait autourd'eux un grand bruit, ils y voient comme unpiédestal pour grandir leur renommée. Dans untel état de choses tout catholique ne doit-il pasdéployer toutes les forces qu'il a reçues duSeigneur pour repousser cette peste et s'opposercomme une sentinelle vigilante à son extensiondésastreuse ? Laissons donc de côté tout esprit dechicane, répondons uniquement au besoin quinous presse de répondre, combattons pour la92 Ci-dessus, n°14.

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vérité, instruisons les ignorants, faisons servir autriomphe de l'Église ce que l'ennemi avaitmachiné pour sa ruine, et réalisons ainsi cetteparole de l'Apôtre : « Il faut qu'il y ait deshérésies, afin qu'on découvre par là ceuxd'entrevous qui ont une vertu éprouvée93 ».

26. Dans mes écrits j'ai déjà longuementdiscuté cette erreur pélagienne qui se pose enadversaire déclaré de la grâce que Dieu accordeaux grands et aux petits par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Pour échapper à toute condamnation,les Pélagiens soutiennent que « cette question dela grâce est absolument étrangère à la foi » ; detelle sorte que, fussent-ils convaincus d'erreur surce point, cette erreur ne serait point un crime,mais une méprise tout humaine. Voyons s'il peuten être ainsi. Au concile de Carthage Célestiuss'exprima en ces termes : « J'ai déjà parlé de latransmission du péché, et j'ai constaté que, mêmeparmi les catholiques, les uns affirment et lesautres nient ; ce n'est donc là qu'une affaired'opinion sur laquelle l'hérésie n'est pas possible.J'ai toujours dit que les enfants avaient besoin dubaptême et devaient être baptisés. Pourquoi medemander autre chose ? » N'est-ce pas direclairement qu'on ne pouvait l'accuser d'hérésiequ'autant qu'il aurait nié la nécessité da baptêmepour les enfants ? Maintenant qu'il confesse cettenécessité, peu importe qu'il base cette nécessité93 I Cor. XI, 19.

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sur telle ou telle cause, plutôt que, sur la causevéritable : c'est là un point qui ne touche pas à lafoi ; il peut se tromper, mais son erreur ne doitpas être taxée d'hérésie. Dans le libelle qu'il apublié à Rome, il énumère tous ses articles de foidepuis la Trinité jusqu'à la Résurrection desmorts ; personne cependant ne lui avait demandécette énumération. Puis, arrivant à la questiondébattue, il s'exprime en ces termes ; « Si, endehors du domaine de la foi, nous trouvonsplusieurs questions vivement discutées, je n'aijamais eu la prétention de rien définir par mapropre autorité. C'est uniquement dans ladoctrine des Prophètes et des Apôtres que j'aipuisé les observations et les doutes que jesoumets au jugement de votre apostolat ; jen'oublie pas que, en ma qualité, je puis metromper, mais j'attends de vous la lumière pourcorriger mes erreurs ». Vous voyez la pensée quidomine dans ces préliminaires : il avoue qu'il peutse tromper, non pas en matière de foi, mais enmatière d'opinion ; qu'on le corrige commes'étant trompé, mais non pas comme étanthérétique ; et quand il aura reconnu la vérité, ondira de lui qu'il est sorti de son erreur, mais on nepourra pas l'accuser d'hérésie.

27. Célestius se méprend ici d'une manièreétrange. Les questions qu'il lui plaît de regardercomme étrangères à la foi sont bien différentes decelles que l'on peut discuter sans toucher à la foi,

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et sur lesquelles on peut douter, suspendre sonjugement définitif, et même embrasser uneopinion fausse par suite de la faiblesse inhérente ànotre humanité, Ainsi, l'on peut parfaitementdemander ce qu'était, où se trouvait situé leparadis terrestre dans lequel Dieu plaça le premierhomme, tout en admettant avec la foi [625]chrétienne l'existence de ce lieu de délices. Onpeut demander dans quel lieu se trouventaujourd'hui Élie ou Énoch, quoique nous soyonsassurés qu'ils vivent avec le même corps qu'ilsavaient en naissant. On peut demander si c'estcorporellement ou seulement en esprit quel'Apôtre a été ravi jusqu'au troisième ciel ;94

pourtant ce serait déjà une curiositécondamnable, puisque celui-là même qui a joui dece privilège nous avoue qu'il n'en sait rien, sansque cet aveu puisse blesser la foi. On peutdemander si les cieux sont bien nombreux,puisque l'Apôtre nous dit avoir été ravi jusqu'autroisième ; si ce monde visible se compose dequatre ou d'un plus grand nombre d'éléments ; cequi cause ces éclipses du soleil ou de la lune, queles savants prédisent d'ordinaire avec la certitudede leurs calculs astronomiques ; pourquoi la viedes anciens patriarches, dont nous parlel'Écriture, était si longue, et s'il leur naissait desenfants en proportion avec leur âge. On peutdemander quel fut le sort de Mathusalem, puisque94 II Cor. XII, 2.

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d'un côté il est certain qu'il n'entra pas dansl'arche, et que de l'autre, selon la supputation desmanuscrits grecs et latins, il dut survivre audéluge ; ou bien doit-on ajouter foi à quelquesrares exemplaires qui circonscrivent le nombre deses années de manière à le faire mourir avant cettegrande expiation ? Dans ces questions et unemultitude d'autres semblables, qui concernent lesœuvres les plus mystérieuses de la Providence oules passages les plus obscurs des saintes Écritures,il est très-difficile d'arriver à une solutiondéfinitive ; et, sans porter aucune atteinte à la foichrétienne, l'ignorance, l'erreur même ne sont-elles pas possibles sur un grand nombre depoints, sans que l'on tombe pour cela même dansl'hérésie ?

28. Mais s'il s'agit de ces deux hommes parl'un desquels nous avons été vendus sous lepéché, tandis que par l'autre nous sommesrachetés du péché ; par l'un desquels nous avonsété précipités dans la mort, tandis que l'autre nousa rendus à la vie ; par l'un desquels nous avons étéentraînés dans sa propre ruine parce qu'il apréféré sa volonté à la volonté de son Créateur,tandis que l'autre nous a sauvés dans sa proprepersonne, en faisant, non pas sa volonté, mais lavolonté de Celui qui l'avait envoyé95 ; disons-lehautement, ce qui concerne ces deux hommesconstitue à proprement parler la foi chrétienne.95 Jean, IV, 34 ; V, 30.

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Dieu est un, et il n'y a qu'un seul médiateur entreDieu et les hommes, Jésus-Christ Dieu ethomme96. Car il n'y a sous le ciel aucun autre nomdonné aux hommes, dans lequel nous puissionstrouver le salut97, et c'est en lui que Dieu a établila foi pour tous, en le ressuscitant d'entre lesmorts98. Dès lors, sans cette foi, c'est-à-dire sansla foi en Jésus-Christ, seul médiateur entre Dieuet les hommes ; sans la foi à sa résurrection dontDieu a fait le fondement de notre croyance et quisuppose nécessairement la foi à son incarnation età sa mort ; en d'autres termes, sans la foi àl'incarnation, à la mort et à la résurrection deJésus-Christ, il est certain, selon les principescatholiques, que les anciens justes n'auraient puêtre purifiés de leurs péchés, ni être justifiés par lagrâce de Dieu, soit qu'il s'agisse de ces justes dontnous parle la sainte Écriture, soit qu'il s'agisse deceux dont elle ne nous parle pas et qui n'en ontpas moins existé, soit avant le déluge, soit depuisle déluge jusqu'à la loi, soit sous le règne de la loi,soit dans les rangs du peuple d'Israël, soit endehors de ce peuple, à l'exemple de Job. Pourtous ces justes, c'est par la foi au médiateur queleur âme était purifiée et que la charité étaitrépandue dans leurs cœurs par le Saint-Esprit99,

96 I Tim. II, 5.97 Act. IV, 12.98 Id. XVII, 81.99 Rom. V, 5.

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qui souffle où il veut100, non pas en conséquencedes mérites, mais précédemment à tout mérite.Comment, en effet, la grâce de Dieu serait-elleune grâce, si elle n'était pas absolument gratuite ?

29. Il est certain que la mort a régné depuisAdam jusqu'à Moïse101, car elle n'a pu être vaincuepar cette loi donnée à Moïse. En effet, cette loin'a pas été donnée pour vivifier102, mais pourmontrer d'une manière plus évidente combienl'empire de la mort pesait lourdement sur leshommes, quel besoin ils avaient de la grâcevivifiante, non-seulement pour secouer le joug dela transmission du péché, mais encore pourrésister à la concupiscence, qui trouvait enquelque sorte son foyer dans la loi. Sans doute,pas plus alors qu'aujourd'hui, la miséricordedivine ne faisait injustement défaut à personne,mais la [[626] loi ne laissait pas que de rendre laprévarication plus manifeste, le règne de la mortplus éclatant, et le droit au supplice plus certain.Dès lors elle rendait aussi plus pressante lanécessité d'implorer le secours de Dieu, afin quelà où le péché a abondé la grâce y surabondât103,car la grâce seule nous délivre de ce corps demort104.

100 Jean, III, 8.101 Rom. V, 14.102 Gal. III, 21.103 Rom. V, 20.104 Id. VII, 24, 25.

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Si donc la loi donnée par Moïse n'a pusoustraire aucun homme à l'empire de la mort ;d'un autre côté, même sous l'ancienne loi, il y atoujours eu des hommes qui, au lieu de subir lesterreurs, les sévérités et les châtiments de la loi,trouvaient dans la grâce un principe de joie, deguérison et de liberté. Ces hommes pouvaients'écrier : « J'ai été conçu dans l'iniquité, et mamère m'a enfanté dans le péché ; la vue de mespéchés jette le trouble et l'effroi dans mes os105 ;créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu, etrenouvelez un esprit droit dans mes entrailles ;affermissez-moi par votre Esprit principal ; ne meprivez pas de votre Esprit106 ». Plusieurs pouvaientdire : « J'ai cri ; voilà pourquoi j'ai parlé107 ». Lafoi ; tel est donc, pour eux comme pour nous, leprincipe de leur justification. De là ces paroles del'Apôtre : « Nous avons un même esprit de foi ;selon ce qui est écrit : J'ai cru, c'est pourquoi j'aiparlé ; nous aussi nous croyons, et c'est aussipourquoi nous parlons108 ». C'est la foi qui dictaitces autres paroles : « Voici qu'une Viergeconcevra et enfantera un Fils, et ils l'appellerontEmmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous109 ». La foidisait du Messie : « Il est semblable à un époux

105 Ps. XXXVII, 4.106 Id. L, 7, 12, 14, 13.107 Id. CXV, 1.108 II Cor. IV, 13.109 Isa. VII, 14 ; Matt. I, 23.

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qui s'élance du lit nuptial ; il a tressailli comme ungéant pour dévorer sa carrière ; il est sorti du plushaut des cieux, et il retourne au plus haut descieux ; il n'est personne qui puisse se soustraire àsa chaleur bienfaisante110 ». La foi disait auMessie : « Votre trône, ô Dieu, le sceptre de votredirection, le sceptre de votre empire sont pour lesiècle des siècles ; vous avez aimé la justice et haïl'iniquité ; voilà pourquoi le Seigneur votre Dieuvous a oint, plus que vos élus, de l'huile del'exaltation111 ». Ce que nous croyons aujourd'huicomme déjà passé, ils le croyaient avec le mêmeesprit de foi comme devant arriver. Peut-onsupposer que des hommes n'aient eu aucune partà des grâces qu'ils prophétisaient avec unecomplaisance aussi affectueuse ? Écoutons cesparoles de saint Pierre : « Pourquoi tentez-vous leSeigneur jusqu'à imposer à nos disciples un jougque nous ni nos pères n'avons pu porter ? c'estdonc par la grâce du Seigneur Jésus que nouscroyons être sauvés, comme ils l'ont été eux-mêmes112 ». Ces paroles ne signifient-elles pas quec'est par la grâce de Jésus-Christ qu'ils ont étésauvés, et note par la loi de Moïse, par laquellenous avons pu connaître le péché, mais non pasnous en guérir ? « Maintenant, au contraire, sansla loi la justice de Dieu nous a été manifestée ; la

110 Ps. XVIII, 6, 7.111 Ps. XLIV, 7, 8.112 Act. XV, 10, 11.

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loi et les Prophètes lui rendent témoignage113 ». Sic'est maintenant que la justice a été manifestée,elle existait donc sous l'ancienne loi, mais alorselle était cachée. Le voile qui fermait dans letemple le sanctuaire était le symbole visible del'obscurité qui enveloppait la grâce ; à la mort duSauveur ce voile se déchira pour annoncer quecette grâce allait se révéler dans tout son éclat114. Ilest donc certain que la grâce de Jésus-Christ, seulmédiateur de Dieu et des hommes, était accordéeau peuple de Dieu, mais seulement d'une manièreocculte et mystérieuse, comme la pluie dans unetoison, cette pluie que Dieu ne doit pas, mais qu'ilaccorde en temps et lieu à l'héritage qu'il s'estchoisi115. Maintenant que cette toison est séchée,c'est-à-dire que la réprobation pèse sur le peuplejuif, la grâce brillé au sein des nations comme surune aire parfaitement dégagée116.

30. Loin de nous, dès lors, d'imiter Pélage etses disciples, et de les suivre dans cette arbitrairedivision des siècles : « Les hommes justes ontd'abord vécu sous l'empire de la nature, puis sousl'empire de la loi, et enfin sous l'empire de lagrâce ». Ils font durer l'empire de la nature depuisAdam jusqu'à Moïse. « À cette époque », disent-ils, « les hommes n'avaient d'autre guide que la

113 Rom. III, 20, 21.114 Matt. XXVII, 51.115 Ps. LXVII, 10.116 Juges, VI, 36-40.

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raison pour connaître le Créateur ; quant à ladirection de leur vie, ils la trouvaient écrite, nonpas dans une loi extérieure, mais dans leur proprecœur. Plus tard, grâce à la corruption des mœurs,la nature par [627] elle-même devint insuffisante ;c'est alors que survint la loi pour refléter, commela lune, la splendeur éteinte du soleil de la nature.Enfin, l'habitude du péché prit de telsaccroissements que la loi devint impuissante à laguérir ; c'est alors que Jésus-Christ descendit surla terre et entreprit, non pas par ses disciples,mais par lui-même, la guérison du genrehumain ».

31. Il suit de là que les anciens justes furententièrement privés de la grâce du Médiateur, ouplutôt que Jésus-Christ ne fut pas le médiateur-homme entre ces hommes et Dieu. La preuve enest qu'à l'époque où ces justes vivaient, le Verben'avait point encore revêtu notre humanité dansle sein de Marie. Mais, s'il en est ainsi, commentdonc expliquer ces paroles de l'Apôtre : « Commela mort est venue par un homme, la résurrectiondes morts doit aussi venir par un homme ; etcomme tous meurent en Adam, tous revivrontaussi en Jésus-Christ117 ? » Si nous en croyonsPélage et ses disciples, la nature suffisait à cesanciens justes, et pour se réconcilier avec Dieu ilsn'eurent aucun besoin du médiateur-hommeJésus-Christ. De même, ce n'est pas en lui qu'ils117 I Cor. XV, 21, 22.

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revivront, puisqu'ils ne sont ni de son corps ni deses membres, en ce sens du moins qu'il n'a pu lesavoir en vue quand il s'est fait homme pour leshommes. Or, voici que l'infaillible Vérité nousdéclare par la bouche des Apôtres : « De mêmeque tous meurent en Adam, de même tous serontvivifiés en Jésus-Christ » ; car « comme la mortest venue par un seul homme, la résurrection desmorts doit aussi venir par un seul homme ».Devant un tel langage, quel chrétien oseraitdouter un seul instant que ces justes des premierssiècles du monde ne soient appelés à larésurrection pour la vie éternelle et. non pour lamort éternelle, et ne puissent attendre leurvivification en Jésus-Christ ? Or, s'ils sont vivifiésen Jésus-Christ, c'est uniquement parce qu'ilsappartiennent au corps de Jésus-Christ ; s'ilsappartiennent au corps de Jésus-Christ, c'est qu'ilsont pour chef Jésus-Christ118 ; et Jésus-Christ nepeut être leur chef qu'en tant que comme Dieu ethomme tout ensemble il est le seul médiateurentre Dieu et les hommes. D'un autre côté, s'ilsparticipent à tous ces avantages, c'est que, par sagrâce, ils ont cru à sa résurrection. Et commentont-ils pu croire à sa résurrection, s'ils ontcomplètement ignoré qu'il dût se faire homme, etsi ce n'est pas cette croyance même qui a été lefondement de leur justice et de leur sainteté ?Direz-vous que l'incarnation du Verbe n'a pu leur118 Id. XI, 3.

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être d'aucune utilité, puisqu'elle n'était pointencore réalisée ? alors le jugement dernier rendupar Jésus-Christ sur les vivants et les morts n'estdonc également pour nous d'aucune utilité,puisqu'il n'est pas encore réalisé. Mais si la foivive au jugement dernier doit nous mériter d'êtreplacés à la droite de Jésus-Christ, la foi despatriarches à la future incarnation du Verbe nepouvait-elle pas les constituer membres de Jésus-Christ ?

32. Dira-t-on que ces anciens patriarches ontdû leur salut, non pas à l'humanité, non encoreexistante, de Jésus-Christ, mais à sa divinité quiest éternelle ? Ce serait une grossière erreur.N'est-ce pas le Sauveur qui nous a dit lui-même :« Abraham a désiré voir mon jour, il l'a vu et atressailli de joie ? » Si par ce jour on doit entendrel'existence humaine du Sauveur, il est évident quedans ces paroles Jésus-Christ attestesolennellement qu'Abraham croyait àl'Incarnation. Or, si Jésus-Christ peut être soumisà la durée temporelle, n'est-ce point uniquementpar son humanité, puisque comme Dieu il estéternel et le Créateur de tous les temps ? D'unautre côté, lors même que les paroles citées plushaut devaient s'entendre de l'éternité même, quine connaît ni veille ni lendemain, de cette éternitépar laquelle le Verbe est égal au Père ; jedemanderais toujours comment Abraham a pudésirer voir l'éternité d'un homme dont il n'aurait

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pas connu la mortalité future. Je suppose enfinque l'on veuille restreindre le plus possible le sensde ces paroles ; je suppose que par ces mots « Il adésiré voir mon jour », le Sauveur ait seulementvoulu dire : Il a désiré me voir, moi qui suis lejour permanent, la lumière toujours brillante ; jesuppose que le Sauveur ait parlé de son jourcomme il a parlé de sa vie, quand il a dit : « Dieu adonné à son Fils d'avoir la vie en lui-même119 ». Ilest certain, sans doute, qu'il n'y a pas dedistinction essentielle à établir entre Jésus-Christet la vie qui lui est propre, car il est lui-même lavie, selon cette parole : « Je suis la voie, la vérité etla [628] vie120 » ; et cette autre de saint Jean : « Ilest lui-même le vrai Dieu et la vie éternelle121 ».Mais de là conclura-t-on que, sans avoir aucuneconnaissance de l'incarnation du Verbe, Abrahama désiré le voir uniquement dans la divinité. qui lerend égal à son Père, comme ont pu le désirercertains philosophes pour qui l'humanité deJésus-Christ était chose entièrement inconnue ?Qu'on m'explique alors ce que signifie cet actemystérieux par lequel il ordonne à son serviteurde placer sa main sous son fémur et de jurer parle Dieu du ciel122. Comment ne pas voir dans cefait la preuve évidente qu'Abraham savait

119 Jean, V, 26.120 Jean, XIV, 6.121 I Jean, V, 20.122 Gen. XXIV, 2, 3.

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parfaitement qu'il était lui-même le chef de la raceà laquelle le Verbe divin emprunterait la chairdont il se revêtirait ?

33. Les chrétiens trouvent également unsolennel témoignage rendu à cette chair et à cesang par le grand-prêtre Melchisédech, aumoment où il bénissait Abraham ;123 et lepsalmiste, longtemps après Melchisédech, etlongtemps avant l'événement, résumait la foi despatriarches et la nôtre quand il s'écriait : « Vousêtes prêtre pour l'éternité, selon l'ordre deMelchisédech124 ». En effet, à tous ceux quitrouvent la mort dans Adam, Jésus-Christ vienten aide, par cela même qu'il a été établi médiateurpour la vie. Or, s'il est médiateur, ce n'est pas entant qu'il est égal à son Père, car à ce titre il estcomme son Père, infiniment au-dessus de nous ;là donc où il y a égalité de distance peut-il y avoirmédiation ? Aussi l'Apôtre ne se contente pas dedire : « Il n'y a qu'un seul médiateur entre Dieu etles hommes, Jésus-Christ » ; mais il insiste àdessein sur ce mot : « Jésus-Christ homme125 ».C'est donc comme homme, qu'il est médiateur ;ce qui le rend inférieur à son Père, c'est ce qui lerapproche de nous ; ce qui l'élève au-dessus denous, c'est ce qui le rapproche de son Père.Exprimons cette pensée plus clairement encore :

123 Id. XIV, 18-20.124 Ps. CIX, 4.125 I Tim. II, 5.

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il est inférieur à son Père, parce qu'il a revêtu laforme d'esclave126 ; il nous est supérieur, mêmecomme homme, parce qu'il est exempt de toutpéché.

34. Dès lors, quiconque soutient que lanature humaine, à quelque âge que ce soit, n'a pasbesoin d'être guérie par le second Adam, parcequ'elle n'a pas été viciée dans le premier Adam, nediscute pas une simple opinion sur laquelle onpeut se tromper ou douter sans porter aucuneatteinte à la foi ; mais il se déclare ouvertement.l'ennemi de la grâce de Dieu, sur un pointessentiel de la foi qui nous rend chrétiens.Comprenez-vous que les Pélagiens exaltentl'époque de la vie de nature, comme présentantdes mœurs moins viciées ? ils oublient donc queles crimes se multiplièrent tellement sur la terrequ'à l'exception d'un juste, de sa femme, de sestrois fils et de leurs épouses, tous les hommes, parun juste jugement de Dieu, furent engloutis dansles eaux du déluge, comme plus tard la petitecontrée de Sodome sera dévorée par lesflammes127. Donc depuis que « par un seulhomme le péché est entré dans le monde et lamort par le péché, et qu'ainsi la mort est passéedans tous les hommes par ce seul homme en quitous ont péché128 », toute la génération du

126 Philipp. II, 7.127 Gen. VII et XIX.128 Rom. V, 12.

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prévaricateur est devenue une masse de perdition.Dès lors personne n'a été, n'est ou ne sera délivréque par la grâce du Rédempteur.

35. L'Écriture ne nous dit pas si, avantAbraham, les justes ou leurs enfants ont étémarqués de quelque sacrement corporel et visible.Quant à Abraham, il reçut le signe de lacirconcision, l'image de la justice de la foi129. Enmême temps il reçut l'ordre de circoncire tous lesenfants de sa maison, huit jours après leurnaissance, en sorte que ceux qui ne pouvaientencore croire de cœur pour la justice, devaientcependant recevoir le signe de la justice de la foi.Ajoutons que le précepte de la circoncision futimposé avec une telle rigueur, que Dieu lui-mêmedéclara solennellement que quiconque n'aurait pasété circoncis le huitième jour serait exterminé dumilieu de son peuple130. Si vous demandez laraison de cet horrible châtiment, ne réduira-t-ellepas à néant les arguties et les vaines déclarationsde nos sectaires sur le libre arbitre, sur l'innocenceet la pureté prétendues de la nature ? Quel mal adonc volontairement commis un enfant, pourmériter qu'il soit exterminé du milieu de sonpeuple, si son père néglige de le faire circoncire lehuitième jour ? Remarquons encore qu'il ne s'agitpas seulement ici des terreurs de la morttemporelle ; car quand il s'agissait de la mort des

129 Rom. IV, 11.130 Gen. XVII.

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justes, voici les expressions ordinairement [629]employées : « Il a été réuni à son peuple131 » ; oubien « il a été réuni à ses pères132 ». Et ce langageétait bien naturel, car si ce peuple était bien lepeuple de Dieu, le mourant n'avait plus à craindred'en être séparé par quelque épreuve que ce fût.

36. Comment donc nous expliquer qu'unenfant subisse une telle condamnation sans s'êtrerendu coupable d'aucun crime personnel etvolontaire ? Qu'on ne dise pas avec certainsPlatoniciens que, avant d'être unie à un corps,l'âme de chaque enfant s'est rendue coupabledans une autre vie en usant de la liberté qu'ellepossédait déjà de faire le bien ou le mal. L'apôtresaint Paul n'enseigne-t-il pas ouvertement queceux qui ne sont pas encore nés ne peuvent faireni le bien ni le mal133 ? Si donc un enfant estfrappé de cette terrible condamnation, c'estuniquement parce qu'il appartient à la masse deperdition, c'est parce qu'il est le descendantd'Adam, c'est parce qu'il est solidaire du premierpéché, c'est enfin parce qu'il n'a pas été arraché àcette solidarité par une grâce purement gratuite, etnon par une faveur qui était due à quelque titreque ce fût ? Et cette grâce, quelle peut-elle être, sice n'est la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ? Or, parmi toutes les autres figures qui

131 Gen. XXV, 17.132 I Macch. II, 69.133 Rom. IX, 11.

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annonçaient ce divin Messie, nous pouvonscompter sans crainte la circoncision du prépuce.En effet, dans le retour des semaines, le huitièmejour est le jour dominical dans lequel Jésus-Christa opéré sa résurrection : et puis Jésus-Christ étaitla pierre134 ; de là vient sans doute que le couteaude la circoncision était un couteau de pierre,tandis que la chair du prépuce était un corps depéché.

37. Les signes figuratifs changèrent quand futvenu celui qu'ils symbolisaient. Mais le secours dumédiateur ne changea pas, car c'est par la foi àson incarnation qu'il avait racheté les anciensjustes ; comme c'est par la foi que nous sommesmorts au péché et au prépuce de la chair, c'est parla foi et par la grâce que nous avons été vivifiésen Jésus-Christ en qui nous sommes circoncis dela circoncision spirituelle135 figurée par lacirconcision charnelle136, afin que fût détruit lecorps du péché avec lequel nous naissonsd'Adam. Nous héritons d'une source condamnée,et voilà ce qui nous condamne, à moins que nousne soyons purifiés par la ressemblance de la chairde péché, ressemblance que Jésus-Christ arevêtue, sans revêtir le péché137 lui-même, mais encondamnant le péché et en se faisant péché pour

134 I Cor. X, 4.135 Coloss. II, 11, 13.136 Rom. VI, 6.137 Rom. VIII, 3.

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nous. De là cette parole de l'Apôtre : « Nous vousconjurons au nom de Jésus-Christ, de vousréconcilier avec Dieu, qui pour l'amour de nous atraité celui qui ne connaissait point le péchécomme s'il 'eût été le péché même, afin qu'en luinous devinssions justes de la justice de Dieu138 ».Ainsi donc, Dieu, -avec qui nous sommesréconciliés, a rendu le Sauveur péché pour nous,c'est-à-dire victime du péché, afin que nos péchésnous fussent pardonnés ; dans l'ancienne loi nedonnait-on pas le nom de péchés aux sacrificesofferts pour les péchés ? Jésus-Christ a donc étéimmolé pour nos péchés, étant lui-même sanstache et sans souillure, et réalisant dans sapersonne tous les caractères qu'on recherchaitdans les victimes animales pour figurer que celuiqui viendrait pour effacer le péché serait lui-même sans péché. Quel que soit donc le jourqu'un enfant soit baptisé après sa naissance, il esttoujours vrai de dire qu'il est circoncis le huitièmejour, car 'il est réellement circoncis en celui qui,en ressuscitant le troisième jour après sa mort, estréellement ressuscité le huitième jour de lasemaine. D'un autre côté, cet enfant est circoncisd'une circoncision qui consiste dans ledépouillement du corps du péché139, c'est-à-diredans l'absolution, par la grâce de la régénérationspirituelle, de la dette que lui a fait contracter la

138 II Cor. V, 20, 21.139 Coloss. II, 11.

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contagion de la régénération charnelle.« Personne n'est pur de toute souillure (ne s'agit-ilpas uniquement de la souillure du péché ?) pasmême l'enfant dont la vie n'est que d'un jour surla terre140 ».

38. Voici la conclusion que les Pélagienstirent de leurs principes erronés : « Donc »,disent-ils, « le mariage est un mal, et l'hommeengendré par le mariage n'est pas l'œuvre deDieu ». Avons-nous donc jamais dit que ce quiconstitue la bonté du mariage, ce soit la maladiede la concupiscence, seul principe d'amour pourles époux qui ne connaissent pas le Seigneur,malgré la réprobation dont les frappe l'apôtresaint Paul141 ? À [630] nos yeux, ce qui constitue lebien du mariage, c'est la pudeur conjugale quidirige la passion charnelle vers la légitimeprocréation des enfants. D'ailleurs, que l'hommenaisse du mariage légitime, de la fornication ou del'adultère, en sa qualité d'homme, peut-il ne pasêtre l'œuvre de Dieu ? Du reste, dans unequestion où nous cherchons, non pas quelcréateur, mais quel sauveur est nécessaire àl'homme, nous n'avons pas à nous occuper de cequ'il peut y avoir de bon dans la procréation de lanature, mais de ce qu'il y a de mauvais dans lepéché dont notre nature est certainement viciée.Or, nous disons que la propagation de la nature

140 Job, XIV, 4, selon les Sept.141 I Thess. IV, 5.

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est toujours accompagnée de la propagation duvice de la nature, quoique celle-ci soit bonne parelle-même et l'autre mauvais. La nature estl'œuvre du Créateur, le vice est le résultat de lacondamnation qui pèse sur notre origine ; lanature a pour cause la bienveillance suprême deDieu, le péché a pour cause la volonté mauvaisedu premier homme ; la nature nous révèle Dieucomme premier principe de toute créature, lepéché nous révèle Dieu comme vengeur suprêmede la désobéissance ; enfin Jésus-Christ, commeDieu, est le créateur de l'homme, et après l'avoircréé, il s'est fait homme pour le guérir et leracheter.

39. Le mariage est donc bon dans tout ce quiconstitue sa nature. Or, trois choses leconstituent : la génération légitime, la foiconjugale et le symbole de l'union. Au point devue de la génération, l'Apôtre a écrit : « Je veuxque les plus jeunes veuves se marient, qu'ellesaient des enfants et qu'elles soient mères defamille142 ». Au point de vue de la foi conjugale, ilest écrit également : « Le corps de la femme n'estpoint en sa puissance, mais en celle de son mari ;de même le corps du mari n'est point en sapuissance, mais en celle de sa femme143 ». Enfin,au point de vue de l'union sacramentelle, il estdit : « Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le

142 I Tim. V, 14.143 I Cor. VII, 4.

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sépare point144 ». J'ai traité ces matières dans desouvrages qui ne vous sont point inconnus, et jecrois, avec la grâce de Dieu, en avoir parlésuffisamment145. De là encore cette conclusion del'Apôtre : « Le mariage est honorable en tout, ledevoir conjugal est sans souillure146 ». En tantdonc que le mariage est bon, il tourne en bien lemal de la concupiscence, car c'est à la raison dediriger la passion, et non pas à la passion de sediriger elle-même. Or, la passion, comme leremarque l'Apôtre, se trouve dans cette loi desmembres révoltés, laquelle se met en oppositionavec la loi de l'esprit147 ; quant à la loi du mariage,elle n'est autre chose que la raison faisant de laconcupiscence un usage légitime. En effet, si dumal il ne pouvait sortir aucun bien, Dieu pourrait-il rendre fécond l'adultère ? Cet adultère est en lui.même un horrible crime ; cependant, mêmequand il est fécond, il ne saurait être imputé àDieu, qui se sert souvent du mal commis par leshommes pour en faire sortir un bien. De mêmeles mouvements honteux de cette concupiscencequi a inspiré aux premiers coupables de se couvrirde feuillage148, ne sauraient être imputés aumariage lui-même qui rend le devoir conjugal

144 Matt. XIX, 6.145 Du Bien conjugal, n. 3 et suiv.146 Héb. XIII, 4.147 Rom. VII, 23.148 Gen. III, 7.

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non-seulement licite, mais encore utile ethonnête. On ne peut donc les imputer qu'aupéché de désobéis sauce ; car, par un justechâtiment du ciel, l'homme en désobéissant àDieu, a senti ses membres se révolter contre lui.C'est par suite de cette révolte devenueindépendante de sa volonté, qu'il a jugé nécessairede voiler le foyer honteux de la concupiscence.Est-ce que l'homme aurait eu à rougir de l’œuvredu Créateur, quand Dieu lui-même avaitcontemplé cette œuvre et l'avait trouvée bonne ?Par elle-même la nudité ne déplaisait donc ni àDieu ni à l'homme ; rien ne pouvait faire rougirtant qu'il n'y avait rien à punir.

40. Lors même que le péché n'aurait pas étécommis, le mariage aurait existé, car ce n'était pasen vain que Dieu avait donné pour aide à Adamnon pas un autre homme, mais une femme.Quant à ces paroles : « Croissez et multipliez-vous149 », elles ne sont pas la prédiction de péchéscondamnables, mais la bénédiction du mariage etde sa fécondité. Autrement s'expliquerait-onpourquoi dans sa sagesse Dieu a déposé dansl'homme un principe de reproduction ? Toutefois,si la nature n'avait pas été déshonorée par lepéché, l'homme, loin de subir la force aveugle dela concupiscence, lui aurait commandé en maîtreabsolu comme il commande à son pied demarcher, à sa main d'agir et à sa [631] langue de149 Id. I, 29.

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parler. Le trouble et l'agitation des sens n'auraientpoint précédé et suivi la perte de la virginité ; toutaurait été soumis à l'empire si calme de la charité ;la virginité ne se serait point perdue dans ladouleur, comme la maternité ne se serait pointannoncée par les gémissements. Nous avonspeine à croire à cet heureux état, parce que leschoses se passent tout autrement sous nos yeux.Mais je m'adresse à des chrétiens qui savent croireà la vérité des divins oracles, lors même qu'ils nela saisiraient par aucun fait extérieur. Est-ce que jepourrais vous montrer comment un homme a punaître exclusivement du limon de la terre,comment une de ses côtes a pu former lafemme150 ? Et cependant, ce que l'œil ne voit pas,la foi, le croit sans hésiter.

41. Non, sans doute, je ne puis vousdépeindre cet heureux état, qui eût persévéré si lepéché ne fût point intervenu ; cet état dans lequelle mariage aurait joui d'une tranquillité parfaite aupoint de vue de la concupiscence, dans lequelenfin tous les membres du corps auraient étécomplètement soumis à l'empire de la volonté.Mais si je ne puis le dépeindre, les Écritures sontlà pour fixer ma foi sur ce point. Aujourd'hui, s'ils'agit de relations entre époux, partout setrouvent les élans de la concupiscence ; s'il' s'agitde l'enfantement, il ne s'annonce que par lesgémissements et la douleur ; s'il s'agit enfin de la150 Gen. II, 7, 22.

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naissance, elle est déjà couverte des ombresfutures de la mort. Et cependant les Écrituresnous enseignent que si le péché n'eût pas étécommis, l'enfantement eût été joyeux et la mortinconnue. Adam et Ève rougissaient-ils avant lepéché ? Pourquoi donc, aussitôt le péché, secouvrir de feuillage ? Avant le péché leurs yeuxn'étaient point fermés, mais ils n'étaient pointencore ouverts à ce qui devait les faire rougir ;leur corps tout entier leur paraissait le chef-d'œuvre des mains de Dieu, et ils n'y trouvaientrien dont ils dussent rougir ou qu'ils dussentvoiler. Concluons donc que si le crime ne fût passurvenu par la désobéissance, la honte eût étéchose inconnue et la pudeur n'aurait eu rien àcacher.

42. On ne peut donc pas imputer au mariagece qui aurait pu ne pas être, sans que le mariagecessât d'exister. Cette concupiscence est un mal,mais malgré ce mal, le mariage reste bon et saitmême tirer le bien du mal. Maintenant, parce que,dans la condition que nous a faite le péché, laconcupiscence est inséparable du devoir conjugal,nous verrons certains hommes s'obstiner dansleur aveuglement et leur ignorance, et sousprétexte de condamner la concupiscence,condamner également le mariage comme illicite ethonteux ? Ils ne veulent donc pas comprendreque le propre du mariage, ce qui en fait la bontéet la gloire, c'est la postérité, la pudeur conjugale

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et le lien sacramentel ; tandis que le côté honteuxqui l'accompagne ne vient pas de lui, et n'est letriste fruit que de la concupiscence. D'un autrecôté, comme cette concupiscence est nécessaireau mariage pour lui procurer le premier des biensqui lui est propre, c'est-à-dire la propagation desenfants, on doit en entourer l'exercice du secret leplus mystérieux, le soustraire à tous les regards,voire même à la présence d'autres enfants déjànés et auxquels l'âge serait déjà une occasion depéril. De cette manière le mariage peut user de cequi lui est permis, pourvu qu'il caché dansl'ombre ce qui le ferait rougir. Voilà ce qui nousexplique pourquoi des enfants, qui ne peuventencore pécher, naissent cependant souillés de lacontagion du péché ; la souillure ne leur vient pasde ce qui est permis, mais de ce qui est honteux.En effet, la nature ne prend naissance que de cequi est permis, tandis que le vice naît de ce qui esthonteux. Le principe de la nature, c'est Dieu, quia créé l'homme et qui a établi l'union nuptialeentre l'homme et la femme ; quant au vice lui-même, il est le fruit trompeur de la ruse dudémon et du coupable consentement dé l'homme.

43. En face d'une telle prévarication, àlaquelle il était de tous points étranger, Dieu secontenta de condamner la coupable volonté del'homme et de rendre sa postérité solidaire decette condamnation. Dès lors tous les enfants quidevaient naître dans la suite des siècles furent

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légitimement condamnés dans leur soucheprévaricatrice. Or, c'est la génération charnelle quitransmet cette condamnation, qui ne saurait êtrelevée que par la régénération spirituelle.Supposons donc les parents régénérés, supposonsqu'ils persévèrent dans cette grâce, qui a été poureux le principe de la rémission de leurs péchés, laconcupiscence ne saurait plus leur nuire, à [632]moins qu'ils n'en fassent un usage illégitime, soiten se livrant à des jouissances criminelles, soitmême en se proposant, dans les limites dumariage, tout autre but que la génération desenfants, c'est-à-dire la satisfaction grossière deleurs instincts voluptueux. C'est donc pouréloigner tout danger de fornication de la part desépoux que l'Apôtre leur défend de se refuser ledevoir, si ce n'est du consentement de l'un et del'autre, pour un temps, et afin de se livrer pluslibrement à l'exercice de la prière ; cette défense,du reste, n'est qu'une condescendance et non pasun commandement151. Puisque l'Apôtre parled'indulgence ou de pardon, ne dévoile-t-il pas unefaute ? Or, considéré en lui-même et sans aucunecomparaison avec la fornication, le devoirconjugal est bon et légitime quand il a pour but laprocréation des enfants, but indiqué dans lesactes matrimoniaux. Toutefois, même quand il sepropose cette fin honnête, il est toujoursaccompagné d'un certain mouvement bestial dont151 I Cor. VII, 5, 6.

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la nature humaine doit rougir, et qui a pour causece corps de mort qui n'est pas encore renouvelépar la résurrection. Malgré cela, il n'est pointpéché, quand la raison reste assez puissante pourdiriger la passion vers le bien, et ne passe laisserentraîner vers le mal.

44. Par cela même qu'elle existe, cetteconcupiscence de la chair nuirait, si elle n'avaitpour contre-poids la rémission des péchés dansceux qui l'ont reçue. Dans tout homme qui n'afait que naître, cette concupiscence existe et nuit ;dans celui qui a repris naissance, elle existeégalement, mais elle ne saurait nuire. Elle nuittellement à ceux qui, après être nés, n'ont pasrepris naissance dans la grâce, qu'il ne leur sert derien d'être nés de parents régénérés. En effet, lasouillure originelle est une souillure personnelleaux enfants d'Adam. Peu importe donc que lesparents en aient reçu la rémission ; la chair parelle-même reste soumise à la contagion du péchéjusqu'à ce qu'elle soit entièrement renouvelée parla régénération dernière, c'est-à-dire par larésurrection future ; car alors, non-seulementnous ne commettrons plus de péché, mais nousn'éprouverons même plus ces désirs vicieux, quideviennent péchés quand ils sont accompagnésdu consentement. Ce sera le comble de laperfection, à laquelle nous dispose le bain sacréde la grâce, tel que nous le recevons en cette vie.En vertu de cette régénération spirituelle tous nos

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péchés passés nous sont remis, et nous avonsdroit à cette génération de la chair pour lu vieéternelle, de laquelle notre corps sortiraincorruptible et parfaitement guéri de ce foyer deconcupiscence qui l'entraînait au péché.Toutefois, ce n'est encore là pour nous qu'uneespérance, et non pas une réalité ; nous n'enjouissons pas, encore, mais nous l'attendons parla patience.

Il suit de là que par le baptême non-seulement nous recevons la rémission de tous lespéchés dont nous nous sommes rendus coupablesen consentant à nos désirs vicieux et criminels ;mais nous sommes encore purifiés de tous cesdésirs vicieux contre lesquels nous devons luttersi nous ne voulons pas nous rendre coupables, etqui ne disparaîtront entièrement que dans la viefuture.

45. Quant à la souillure originelle dont nousparlons, elle frappe les enfants des chrétiensrégénérés, jusqu'à ce que ces enfants aient étépurifiés eux-mêmes dans le bain de larégénération. Le chrétien régénéré ne régénèredonc pas les enfants de la chair, il ne peut queleur donner naissance ; dès lors il leur transmet,non pas la justice de la régénération, mais lasouillure de la génération. A ce point de vuedonc, qu'il s'agisse d'un infidèle coupable ou d'unfidèle justifié, les enfants issus de l'un et de l'autrenaissent toujours coupables et non pas absous ;

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c'est ainsi que du rejeton de l'olivier franc commedu rejeton de l'olivier sauvage sortira, non pas unolivier franc, mais un olivier sauvage. De là jeconclus que la première naissance soumetl'homme à la condamnation, dont il ne peut êtredélivré que par la régénération. L'enfant naîtesclave du démon, c'est Jésus-Christ qui lui rendla liberté ; il naît victime du séducteur d'Ève, leFils de Marie le délivre ; il naît soumis à celui quipar la femme a séduit l'homme, il est racheté parCelui qui est né de la femme qui n'a pas connud'homme ; il naît enfant de celui qui a allumé laconcupiscence dans le cœur de la femme, il estsauvé par celui qui a été conçu dans le sein de lafemme sans aucune action de la concupiscence.Par le moyen d'un seul homme le démon a purégner sur tous les hommes, et son empire nesaurait être détruit que par Celui qui seul ne lui apas été soumis, [633] Prenons ensuite lessacrements de l'Église tels qu'ils nous ont étéprésentés par la tradition la plus ancienne et laplus imposante. Nos adversaires diront bien qu'ilsétaient des symboles plutôt que des réalités ;cependant, même à ce titre, ils n'osent pas lescouvrir de leur dédain sacrilège. Eh bien ! cessacrements de la sainte Église nous enseignentclairement que les enfants, immédiatement aprèsleur naissance, sont délivrés de l'esclavage dudémon par la grâce de Jésus-Christ. En effet, sansparler directement de la rémission même du

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péché, telle qu'elle s'opère mystérieusement etréellement par le sacrement de baptême, est-ceque ce sacrement n'est pas précédé desexorcismes et de ce souffle mystérieux destiné àchasser la puissance de l'ennemi ? est-ce que dansdes paroles solennelles les parrains et lesmarraines ne renoncent pas à Satan et à sesœuvres ? Tous ces symboles sacrés n'annoncent-ils pas que l'enfant s'arrache à l'empire du démonpour passer sous l'heureuse domination duRédempteur, de ce Rédempteur qui a revêtu notrefaiblesse et enchaîné le fort armé, afin de lui ravirses dépouilles152 ? Saint Paul l'a dit : Ce qui paraîten Dieu une faiblesse est plus fort, non-seulementque tous les hommes, mais encore que tous lesanges153. Quand donc Dieu délivre à la fois lespetits et les grands, il prouve à nos yeux que c'estla vérité même qui a parlé par la bouche del'Apôtre. Ce ne sont donc pas seulement lesadultes, mais encore les petits enfants, qu'il aarrachés à la puissance des ténèbres, afin de lestransporter dans le royaume de son Fils bien-aimé154.

46. Que personne ne s'étonne et ne dise« Pourquoi donc la bonté de Dieu crée-t-elle cequi va tomber en la puissance de la méchancetédu démon ? » Admirons plutôt la bonté avec

152 Matt. XII, 29.153 I Cor. I, 25.154 Coloss. I, 13.

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laquelle il accorde la fécondité à toutes sescréatures, et fait lever son soleil sur les bons et surles méchants, et pleuvoir sur les justes et sur lespécheurs155. C'est par cette bonté qu'il a béni etfondé dans les créatures le pouvoir de sereproduire ; et cette bénédiction accordée à unenature bonne, la faute la plus criminelle ne sauraitla détruire. Cette faute a bien pu faire que par lejuste châtiment de Dieu les hommes prissentnaissance avec la souillure du péché originel ;mais elle n'a pu empêcher les hommes de naître.Dans les adultes, les péchés les plus graves nesauraient détruire l'humanité ; l'œuvre de Dieureste toujours bonne, quels que soient les crimesqui tendent à la déshonorer. Sans doute, en tantqu'il suit ses passions, l'homme, naturellement sinoble, a pu être comparé et trouvé semblable auxanimaux156, mais sans devenir par cela même unanimal. Ce que l'on compare en lui, ce n'est pas sanature, mais le vice auquel il s'abandonne ; et ce àquoi on le compare, ce n'est pas le vice, mais lanature même de l'animal. En effet, comparé àl'animal, l'homme reste encore en possessiond'une telle grandeur que le vice en lui devient lanature même de l'animal ; ce qui ne prouveaucunement que la nature de l'homme devient lanature de l'animal. Quand donc Dieu condamnel'homme, il le condamne à cause du vice qui

155 Matt. V, 45.156 Ps. XLVIII, 13.

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déshonore sa nature, et non à cause de sa nature,laquelle n'est pas détruite par le vice. Loin denous, sans doute, la pensée de croire les animauxsoumis à la peine de la damnation ; puisqu'ilsn'ont aucun droit à la béatitude, serait-il juste deles soumettre au châtiment ? Mais quelle injusticepeut-il y avoir à soutenir que l'homme est soumisà l'esprit immonde, non pas à raison de sa proprenature, mais à cause de la souillure qu'il apporteen naissant et qui est l'œuvre, non pas de Dieului-même, mais de la volonté humaine ? Cet espritimmonde, en tant qu'esprit, n'est-il pas bon ? ets'il est mauvais, n'est-ce pas uniquement en tantqu'il est impur ? En tant qu'esprit, il est l'œuvre deDieu ; mais s'il est impur, il ne le doit qu'à savolonté propre. Voilà pourquoi la nature plusforte, c'est-à-dire la nature angélique, s'appuyantsur la communauté du péché, tient sous sadomination la nature inférieure, c'est-à-dire lanature humaine. Voilà pourquoi aussi leMédiateur, plus fort que les anges, s'est rendufaible pour les hommes ; de cette manière,l'orgueil du tyran est écrasé par l'humilité duRédempteur ; et celui qui se faisait de sa forceangélique un motif pour couvrir de ses dédainsles enfants des hommes, se voit honteusementvaincu par l'humaine faiblesse que le Fils de Dieua daigné revêtir pour nous racheter.

47. Avant de terminer cet ouvrage, je croisdevoir invoquer l'autorité de saint Ambroise.

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Parmi les écrivains ecclésiastiques de la [634]langue latine, ce saint évêque est celui dont Pélagecélèbre avec le plus de complaisance l'intégrité dela foi. Nous avons invoqué son autorité sur lagrâce ; nous allons aussi l'invoquer sur le péchéoriginel ; comme la rémission de ce péché estévidemment le plus grand triomphe de la grâce,nous y trouverons la réfutation la plus facile desnombreuses calomnies de nos adversaires. Dansson livre sur la Résurrection, saint Ambroises'exprime en ces termes : « Je suis tombé dansAdam, c'est dans Adam que j'ai été chassé duparadis, c'est dans Adam que je suis mort ; pourme rappeler à la vie, c'est donc aussi dans Adamque l'on doit me trouver, car si c'est en lui que j'aiété rendu coupable et condamné à la mort, c'esten Jésus-Christ que j'ai été justifié ». Le mêmedocteur écrit aux Novatiens : « Nous naissonstous esclaves du péché, notre origine est souilléepar le vice, selon ces paroles de David : J'ai étéconçu dans l'iniquité, et ma mère m'a enfantédans le péché157. Voilà pourquoi saint Paul regardesa chair comme étant un corps de mort : Qui medélivrera, dit-il, de ce corps de mort158 ?Or, lachair de Jésus-Christ a condamné le péché,puisqu'il est né sans péché et qu'en mourant il acrucifié le péché ; c'est ainsi que la justifications'est répandue par la grâce dans notre chair,

157 Ps. L, 7.158 Rom. VII, 21.

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quand auparavant cette chair n'était qu'un amasde fautes et d'iniquités159 ». Dans soncommentaire sur Isaïe, saint Ambroise, parlant deJésus-Christ, formule ainsi sa pensée : « Commehomme il a été éprouvé de toute manière et il asubi toutes les douleurs dans sa ressemblanceavec les hommes ; mais le péché ne vint jamaissouiller sa nature, parce qu'il était né de l'Esprit160.En effet, tout homme est menteur161, et personnen'est sans péché si ce n'est Dieu. Dès lors, ce n'estpas sans raison que l'on a dit que quiconque estné du commerce de l'homme et de la femme aconnu le péché dès sa naissance. Celui-ci seul estné sans péché qui est né en dehors de ce genre deconception162 ». Dans son commentaire surl'évangile de saint Luc, saint Ambroise ditégalement : « Quand il s'agit de la naissance duSauveur, éloignez toute idée purement humaine,toute profanation de la sainte virginité, c'estl'Esprit-Saint lui-même qui, dans un seininviolable, a déposé une semence immaculée. Seulentre tous ceux qui sont nés de la femme, Jésus-Christ n'a point goûté la corruption d'une originesouillée, seul il en a repoussé la honte par la

159 Liv. I de la Pénitence, ch. II ou III.160 Héb. IV, 15.161 Ps. CXV, 2.162 Cet ouvrage est perdu.

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nouveauté de son enfantement immaculé et par lamajesté de sa nature divine163 ».

48. À ces paroles du saint docteur, dontpourtant il fait le plus grand éloge, pourquoi doncPélage oppose-t-il la contradiction la plusmanifeste, quand il ose s'écrier : « Comme nousnaissons sans vertu, nous naissons a aussi sansvice ? » Pélage n'a donc plus qu'un seul parti àprendre, ou bien condamner son erreur, ou biense repentir d'avoir loué saint Ambroise. Mais cedernier, en sa qualité d'évêque catholique, n'a faitque formuler la doctrine et la foi véritables ; d'oùje conclus qu'en sortant du droit sentier de la foi,Pélage et Célestius son disciple doivent seregarder comme directement condamnés parl'Église catholique, à moins qu'ils ne se repentent,non pas d'avoir loué saint Ambroise, mais des'être mis en contradiction avec la doctrine desaint Ambroise. Je sais que vous lisez avecl'ardeur la plus vive tous les ouvrages qui peuventtourner à l'édification ou à la confirmation de lafoi ; c'est dans ce but que j'ai composé celui-ci, etmalgré votre ardeur sans limites, je dois enfin meborner et finir.

163 Liv. II, n. 56, ch. II.

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