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25 Santé conjuguée - avril 2000 - n° 12 CAHIER Pour une formation spécifique des soignants de première ligne TOUT DANS LA TETE ?

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25Santé conjuguée - avril 2000 - n ° 12

TOUT DANS LA TETE

CAHIER

Pour une formation spécifique

des soignants de première ligne

TOUT DANS LA TETE ?

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C A H I E R

Il existe une hiérarchie dans les professions de soins: plus la tête est (censée être) remplie, mieux on est classé. Lesmédecins viennent au sommet, s’échelonnant selon ce critère en élites académiques, spécialistes, généralistes. Suiventles manuels (jadis on y rangeait les chirurgiens, les temps changent), infirmières, kinésithérapeutes, paramédicaux.On remarquera en passant que plus on descend dans ce classement, plus les rôles sont perçus comme féminins(heureusement, là aussi les temps changent) !

Cette notion d’excellence basée sur un savoir de type scientifique (et un pouvoir considéré comme attribut masculin)aimante la formation des soignants au détriment de la finalité naturelle des professions de santé incarnée par le sujetusager de soins. « Tout dans la tête » ne suffit pas. Si la nécessité d’un savoir scientifique optimal ne fait auun doute etdoit demeurer une priorité, d’autres potentialités doivent aussi être valorisées et développées pour permettre la rencontreentre science et sujet. La première ligne de soins est le lieu de cette rencontre.

Depuis la conférence d’Alma Ata, les soins de santé primaires ont été identifiés comme étant la stratégie de choix pouratteindre l’objectif de santé pour tous. Pourtant, le modèle hospitalier construit sur un savoir pointu, technique etretranché des milieux normaux de vie reste prédominant dans de nombreux pays, tant au niveau de l’organisation dusystème de soins que de la formation des soignants. En Belgique, la culture « soins de santé primaires » existe maisdoit encore s’imposer. Pour ce faire, il importe qu’elle s’ancre dans la formation des soignants. Les études de médecinesont exemplaires de la difficulté à y parvenir : elles demeurent axées en priorité sur la préparation à la spécialisationet l’approche des maladies et, en dépit des progrès réels réalisés depuis quelques années, ne favorisent que de manièretrop accessoire les modes de penser et d’être nécessaires à un exercice optimal de la médecine de famille et audéveloppement d’objectifs de santé. Une réflexion de Michel Roland et Marc Jamoulle, médecins de famille impliquésdans l’enseignement spécifique en la matière, l’illustre clairement. Laissons-leur la parole.

Réflexions sur l’enseignement spécifique de base des médecins généralistes

Il est très généralement admis que l’enseignement spécifique de base, qui est une formation spécifique, doit être dispensépar des enseignants spécifiques, en l’occurrence ici... des généralistes. La médecine générale/médecine de famille esten effet une discipline à part entière, avec sa réalité propre, sa clinique, ses méthodes de diagnostic et de traitement, etc.Les spécialistes et l’hôpital n’ont rien à faire dans notre enseignement dans la mesure où ils ont suffisamment (trop)marqué l’enseignement médical de base. Faire progressivement passer cette idée en faculté, et ré annexer tout doucementnos matières demandera évidemment beaucoup de travail supplémentaire, mais l’enjeu en vaut la peine.

L’enseignement spécifique de base doit assurer de manière fondamentale trois types d’habilités : le savoir, le savoir-faire et le savoir être. « De manière fondamentale » est effectivement le terme qui convient dans la mesure où c’est cetenseignement qui marquera la nature de la pratique des futurs médecins généralistes, au niveau du savoir, du faire et del’être. Il existe d’ailleurs des critères de qualité qui ne s’appliquent qu’à la médecine de famille, de façon structurelle etnon conjoncturelle : la globalité, la continuité et l’intégration.

Le savoir du médecin de famille

Le savoir du médecin de famille comprend des matières communes avec les spécialistes (mais que l’orientation médecinegénérale rend particulières) et des matières spécifiques.

La connaissance du médecin de famille est plus globale (le nombre de matières communes est plus élevé, auxquelless’ajoutent les matières spécifiques) mais moins pointue. Cette dernière caractéristique n’est pas un manque de qualité,il s’agit simplement d’une autre façon de penser, de voir, de comprendre et d’agir. Les procédures d’intervention(écoute, anamnèse, diagnostic, référence, traitement, suivi, ...) du médecin généraliste ne sont pas les mêmes que cellesdu spécialiste, ne fut-ce que pour une raison de prévalence différente des problèmes de santé et de maladie qu’ils sontamenés à aborder. Seraient-elles les mêmes qu’il s’agirait de mauvaise médecine générale ou de mauvaise médecinespécialisée.Les matières enseignées doivent être choisies en fonction de leur taux de prévalence dans la population générale (quiest celle des généralistes), et être vues à la fois sous un angle global (les multidéterminants), intégré (curatif, préventifet promotion de la santé) et continu (dans le temps, intra- et inter-épisodes).

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Le savoir-faire

Le « savoir-faire » constitue la connaissance et la maîtrise de ce que l’on appelle les outils. Ici aussi la bonne pratiquede la médecine générale implique une série d’outils communs avec les spécialistes et une série d’outils spécifiques. Ilfaut relever que l’enseignement des outils (du savoir-faire), et d’ailleurs du savoir être, est beaucoup plus délicat quecelui du savoir tout court dans la mesure où il touche à la pratique concrète du médecin de famille dans son quotidien,avec tout ce que cela implique d’éléments personnels, individuels ou même politiques.

On peut ranger dans le savoir-faire l’organisation du cabinet et de la pratique, la structuration de la continuité, la tenuedu dossier et de la liste des patients actifs, les classifications et les systèmes d’information, l’informatique, la lecturecritique et les diverses méthodes de formation permanente, la maîtrise des statistiques, la pratique de l’anglais, la santécommunautaire et le travail en réseau du médecin de famille, la micro-épidémiologie, la théorie systémique avec lapratique de famille et l’utilisation du génogramme, des notions de recherche en médecine de famille, etc.

Le savoir être

Le savoir être est la matière la plus délicate à aborder parce qu’elle touche à la personnalité individuelle du médecin,particulièrement dans son aspect relationnel avec ses collègues de travail et avec ses patients.

Son enseignement doit s’appuyer beaucoup plus largement sur les sciences dites humaines (encore que la distinctionsciences exactes/sciences humaines semble un paradigme obsolète, notamment pour la science médicale). Cette réformeindispensable est actuellement en cours d’élaboration. L’apprentissage du savoir être fait appel à des techniques jusqu’icipeu utilisées dans notre enseignement spécifique de base, qui risquent d’être coûteuses et nécessitent probablementdans un premier temps de faire appel à des spécialistes de la communication, de l’évaluation et de la pédagogie :examens critiques de vignettes cliniques, enregistrements audio et vidéo de rencontres avec des patients, analyses decontenu, groupes de type Balint (qui existent déjà), jeux de rôle, etc.

Traduites dans la réalité immédiatement, ces propositions constitueraient un tel changement conceptuel qu’elles enseraient définitivement discréditées et vouées à l’échec. Il est néanmoins important que nous puissions, à partir d’elles,définir des lignes guides pour les directions futures que nous voulons imprimer à notre enseignement.

La première ligne de soins : plus qu’une juxtaposition de compétences

Les questions que soulève la formation des infirmiers et des kinésithérapeutes, bien que différentes, sont tout aussiaiguës. Dans ces disciplines, l’apparition de « spécialités » est plus récente mais n’en remet pas moins en cause larépartition des rôles et se répercute sur l’identité et la formation d’une première ligne. Quant aux travailleurs sociauxet aux accueillants impliqués dans les structures de soins ou confrontés aux questions de santé dans leur pratique, ilsne sont pas épargnés par le besoin de formations adaptées à la problématique de la santé, dans laquelle ils jouent unrôle méconnu mais essentiel.

Ce sont ces questions que nous avons demandé de développer à différents responsables de formation. Dans le cadre dece bref cahier, nous effleurerons des sujets qui mériteront une réflexion ultérieure plus approfondie.

C’est ainsi que les interrogations liées à la formation continue ne sont pas individualisées ici. A titre d’exemple, laformation continue des médecins nous aurait entraînés dans la discussion de la recertification (faut-il modifier leremboursement des prestations si certaines conditions de formation du prestataire ne sont pas formellement remplies),du financement de cette formation (autofinancement, subsidiation, neutralité du sponsoring par des agents économiques,...), de la finalité de cette formation (améliorer la qualité des soins et/ou freiner l’expansion des budgets de santé), dela mainmise sur cette formation (autogestion par la profession, directives politiques, rôle des facultés), des choix desociété qui y sont liés... Nous avons également éludé la question du numerus clausus qui connaît actuellement unregain de tension.

D’autre part, nous réserverons pour un prochain cahier une question fondamentale : celle du travail inter- ou trans-disciplinaire. Les soins de santé constituent en effet un bastion de l’individualisme. La formation des soignants en estle reflet. La conception de la santé comme un état ou une dynamique de bien-être à la fois physique, psychique et

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C A H I E R

L’art infirmier, de l’hôpital à la communauté

Infirmière, entre technique et relationnel page 31Christine Bouhon, infirmière à la maison médicale de Tilleur, Ingrid Dubois, infirmière à lamaison médicale Bautista Van Schowen, Natacha Hugues, infirmière à la maison médicaleAgora, Rose-Marie Laurent, infirmière à la maison médicale la Passerelle, Françoise Voisin,infirmière à la maison médicale le Cadran et Christine Small, professeur à l’écoled’infirmière Sainte Julienne à LiègeUne conversation entre infirmières liégeoises au sujet de leur formation.

Infirmière en santé communautaire : une révolution culturelle page 33Andrée Poquet, professeur en soins infirmiers, section santé communautaire, écoled’infirmières de l’université libre de Bruxelles, Haute École Ilya PrigogineComment l’instauration d’une formation en santé communautaire a été accueillie par lesétudiants, les formateurs et les utilisateurs de terrain.

Former des infirmières en santé communautaire ! Quel défi !Quelle aventure ! page 36

Jacqueline Van Vlaenderen-Capart, infirmière-professeur, section santé communautaire,Haute École GaliléeLa mutation des infirmières sociales en infirmières en santé communautaire a bouleversé laformation : comment passer d’une idée théorique à l’élaboration d’un programme concret.

Leur formation vue par des infirmières en santé communautaire page 39Christine Gilles, infirmière à la maison médicale du Miroir, Céline Houtain, infirmière à lamaison médicale Nord, Isabelle Groessens, infirmière à la maison médicale Esseghem,Bérangère Lens, infirmière à la maison médicale d’Anderlecht, Sandrine Mouthuy, infirmièreà la maison médicale de Forest, Christelle Roelandts, stagiaire infirmière à la maison médicaleEsseghemSanté conjuguée a interrogé des infirmières bruxelloises sur l’apport de la formation ensanté communautaire.

Kinésithérapie : un avenir mouvant

Kiné-questionsPoint de vue de quelques kinésithérapeutes sur la formation de base page 41

Bénédicte Dubois, kinésithérapeute à la maison médicale Aster, maître de stage,et Michel Dechamps, professeurDes lacunes de la formation et du commentaire d’un enseignant.

social, aspects en constante interaction, rend compte de la limitation stérile d’une pratique quis’isolerait dans sa compétence stricte, particulièrement au niveau des soins de santé primaires.Les pratiques de groupe, comme celle des maisons médicales, montrent à l’envi combien lacollaboration améliore la pertinence et l’efficience des soins, ouvre aux champs de la santécommunautaire et conduit à modifier l’exercice de chaque discipline. Le travail en groupe et enréseau, le transfert de compétences et la mise en question des savoirs par l’ouverture de leurschamps clos deviennent des constantes dans l’exercice des professions de santé et méritentd’imprégner la formation de base des soignants. Nous y reviendrons.

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TOUT DANS LA TETE

Besoins de société et adéquation des formations page 42Josette Craps, conseillère pédagogique à l’institut d’enseignement supérieur Parnasse–Deux Alice,membre associé de la Haute Ecole Léonard de Vinci.Intégrer la reconnaissance de nouveaux besoins dans la formation des kinésithérapeutes,infirmiers et paramédicaux, c’est aussi anticiper les prescriptions légales en la matière.

Médecine générale : où la quête de l’identité et la formationfiniront un jour par converger...

La formation en soins de santé primaires :une perspective internationale page 45

Jean Rodrigue, médecin, titulaire d’une maîtrise en santé communautaire, Fédérationdes médecins omnipraticiens du QuébecUne réflexion sur le médecin généraliste, envisagée dans une perspective de soins de santéprimaires et à l’intérieur d’un système de santé en transformation permet de définir unprogramme de formation spécifique en médecine générale.

Comment les médecins diplômés jugent-ils leur formationune fois engagés dans la pratique ? page 55

Véronique Rombouts-Godin, unité de pédagogie médicale à l’université catholique de Louvainet Léon Cassiers, ancien doyen de la faculté de médecine de l’université catholique de LouvainUne enquête menée en 1992 et 1993 auprès des diplômés de l’école de médecine de l’universitécatholique de Louvain conduit à une série de propositions destinées à améliorer la formationdes médecins.

La formation des médecins, vue intérieure page 63Extraits du discours de la promotion 1999 des médecins de l’université catholique de LouvainAu-delà d’une très médiatisée volée de critiques sur l’organisation des études de médecine,on entendra aussi dans ce discours la reconnaissance d’initiatives bienvenues et des pistespour une formation plus humaine.

Les enjeux de la formation médicale de base page 67Dominique Pestiaux, médecin généraliste à la maison médicale de Ransart et responsable ducentre universitaire de médecine générale de l’université catholique de Louvain, MyriamProvost, médecin généraliste à la maison médicale du Nord et médecin des étudiants del’université catholique de Louvain et Isabelle Schaube, étudiante en médecine et présidentedu cercle médical Saint-Luc des étudiants de l’université catholique de LouvainL’intégration de la médecine générale à l’université est en marche, grâce au travail des centresuniversitaires de médecine générale. Mais de nombreux défis sont encore à relever...

Du vécu particulier du généraliste à la nécessité d’une formationspécifique structurée en médecine générale page 71

Gérard Stibbe, médecin généraliste au centre université de médecine générale de l’universitélibre de BruxellesAprès des dizaines d’années de réflexion, le fonctionnement de la médecine générale estmieux connu et ses spécificités sont conceptualisées...

Former, pas formater page 74Bénédicte Roegiers, médecin généraliste à la maison médicale du Maelbeek et son équipeLa formation des futurs soignants vue au travers de l’expérience des maîtres de stage de lamaison médicale du Maelbeek.

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C A H I E R

Balint, un apprentissage concret de la relation soignant-soigné page 75Roger Van Laethem, médecin de familleInterview d’un médecin de famille à la base de la fondation des groupes Balint en Belgique.Mais au fond, qu’apportent ces groupes ?

Une réforme fondamentale du curriculum médical :l’expérience à l’université de Gand page 78

Jan De Maeseneer, médecin généraliste au centre de santé intégrée du Botermarkt à Ledeberg,président du département de médecine générale et des soins de santé primaires à l’universitéde GandLe parcours des études médicales entièrement remodelé à Gand. Une expérience à suivre.

A la faculté de Paris au temps de Molière page 81Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman BethuneCoup de rétro sur la formation des médecins, histoire de mesurer le chemin parcouru...et à parcourir.

L’accueil : une fonction essentielle et encore à définir

La formation à l’accueil : une recherche spécifique page 84Béatrice De Coen, coordinatrice de la formation à l’accueilL’accueil est une fonction récente à davantage crédibiliser et reconnaître.

L’assistant social : un partenaire santé à part entière

Assistant social aujourd’hui page 87Interview de Catherine Bosquet et de Sylvie Colin, avec la collaboration de Martine Hanocq,professeurs de méthodologie dans un institut d’enseignement supérieur social, contactéespar Santé conjuguée en tant qu’experts pour parler de la formation des assistants sociauxDu contenu de la formation au rôle social, la profession d’assistant social est au premier rangdes bouleversements profonds qui affectent notre société...

La formation « psy » des soignants : besoin de vitamines !

Si des sujets se formaient à soigner des sujets page 92Henri De Caevel, médecin et psychanalyste à la maison médicale de TournaiLes manquements dans la formation des soignants de première ligne s’offrent à l’analyseet appellent leurs remèdes.

Conclusion

L’écart entre le modèle médical enseigné et la pratique de premierrecours est-il soluble dans la formation ? page 97

Marie-Claude Hofner, médecin de santé publique, titulaire d’une maîtrise en pédagogiemédicale, unité de prévention du département universitaire de médecine et santécommunautaire de Lausanne, Suisse.La formation ne peut se réduire à une intériorisation de dogmes, mais doit lancer une véritabledynamique de savoirs.

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TOUT DANS LA TETE

Infirmière, entre technique et relationnel

Santé conjuguée a rencontré quelquesinfirmières exerçant à Liège pour discuterde leur formation.

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ChristineBouhon,

infirmière à lamaison médicalede Tilleur, Ingrid

Dubois,infirmière à la

maison médicaleBautista Van

Schowen,Natacha Hugues,

infirmière à lamaison médicale

Agora, Rose-Marie Laurent,

infirmière à lamaison médicale

la Passerelle,Françoise Voisin,

infirmière à lamaison médicale

le Cadran etChristine Small,

professeur àl’école

d’infirmièreSainte Julienne à

Liège.

La préséance du modèle curatifhospitalier dans la formation debase

● Santé conjuguée : On décrit souventl’infirmière comme quelqu’un qui est forméessentiellement à l’acte curatif. Quel est votresentiment à cet égard ?

❍ Ingrid Dubois : Le curatif occupe beaucoupde place dans la formation. On connaît mal le« terrain ».

❍ Natacha Hugues : En travaillant à domicile,on apprend beaucoup, on dépasse le contenude la formation.

❍ Christine Small : De plus en plus, ce sontdes techniciennes hospitalières que l’on forme.Auparavant, il y avait trois semaines de stages« au domicile », maintenant il n’y a plus quequatre jours, et huit heures de cours pour lessoins à domicile. Cela pourrait encore diminuerparce que les infirmières ne sont pas assezprêtes pour l’hôpital. Pourtant les étudiantssont ravis des stages à domicile parce qu’enfinils voient les patients chez eux, leur parlent. Enmaison médicale, le stage est particulier car ilest réservé aux étudiants qui veulent faire lasanté communautaire, ils y trouvent ce qu’ilsveulent faire.

❍ Ingrid Dubois : Quand on voit une personnechez elle, le rapport de force est différent. Lestage à domicile est le plus gai, les patients nesont plus un numéro, on les voit dans leurglobalité. Les trois ans de formationd’infirmière hospitalière nous centrent sur laclinique. La quatrième année, formation ensanté communautaire, donne du recul. Onréalise qu’être infirmière ce n’est pas qu’obéir

aux ordres du médecin et réaliser des actestechniques.

❍ Rose-Marie Laurent : Comme lestechniques deviennent sophistiquées, on n’aplus le temps pour autre chose ?

❍ Christine Bouhon : Il manque lerelationnel : on devrait se former à mieuxcomprendre l’autre, communiquer, décoder lesmessages.

❍ Natacha Hugues : De telles approchesseraient intéressantes aussi en milieuhospitalier.

❍ Françoise Voisin : Effectivement, à l’hôpitalon voit parfois des catastrophes au niveaurelationnel.

❍ Christine Small : La philosophie du tout àla technique est qu’on ne peut pas nuire aumalade, on doit pouvoir travailler correcte-ment, sans faire d’erreur.

● N’est-ce pas effrayant de devoir faire unchoix entre la technique et le relationnel ?Faudrait-il que le curriculum deshospitalières soit différent de celui desinfirmières ambulatoires ?

❍ Natacha Hugues : La formation estidentique alors qu’elles évoluent dans desmondes différents. Parfois, une infirmière del’hôpital est déléguée à domicile et nousapprend une technique précise. Lacollaboration entre les deux milieux peut sedévelopper.

● En ambulatoire, les actes techniques sontplus réduits ?

❍ Françoise Voisin : Attention, cela va sedévelopper avec les hospitalisations à domicile.

Une fonction autonome

❍ Rose-Marie Laurent : Il faudrait développerle côté autonome de la fonction d’infirmièrependant les études. Mais je crains qu’on ne soiten recul en ce domaine.

❍ Christine Small : Les professeurs gardentl’ancienne image de l’infirmière : pourdévelopper la fonction autonome, il faudraitchanger tout le staff...

L’interview a étéréalisée par

Jacques Morel etCorinne Nicaise.

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Infirmière, entre technique et relationnel

● Que recouvre cette idée de fonctionautonome ?

❍ Rose-Marie Laurent : C’est une façond’envisager les soins propres à l’infirmière avecses outils, sa façon de penser. Il s’agit decollaborer au diagnostic, au traitement etd’assurer une prise en charge globale de lapersonne.

❍ Ingrid Dubois : Dans la pratique, la partieautonome est un peu mise de côté parce que leshôpitaux ne développent pas cette fonction.

❍ Christine Small : Je voudrais nuancer. Laréglementation impose un dossier infirmierautonome pour chaque patient. Et la fonctionautonome est fort développée à l’école. C’estentre autre le diagnostic infirmier.Malheureusement, dans les hôpitaux, la chargede travail est telle qu’il n’y a pas de place pourpenser... et on n’en a pas l’habitude.

❍ Christine Bouhon : Les services où sedéveloppe la fonction autonome sont ceux oùla charge de travail est moins lourde,notamment dans les unités de soins palliatifs eten psychiatrie.

Pluridisciplinarité

● Est-on plus autonome en équipepluridisciplinaire, en maison médicale ?

❍ Natacha Hugues : A l’hôpital, les médecinssont « grand manitou », il y a peu de travail enéquipe vraiment pluridisciplinaire. Enambulatoire, le contact est différent, c’est unecollaboration. Ainsi en maison médicale, nousgérons notre secteur de façon autonome. Nousapprenons beaucoup de choses au patient, nouseffectuons une prise en charge personnelle.

❍ Françoise Voisin : En équipepluridisciplinaire, nous faisons le suivi deschroniques, alors que cela ne fait pas partie dutravail des indépendantes. La prise en chargeest différente.

❍ Christine Small : Travail indépendant ettravail en maison médicale sont deuxprofessions différentes. Les indépendantestravaillent à l’acte sur prescription et il n’y a

pas de nomenclature pour tout ce qui estautonomisation, surveillance de chronique. Enmaison médicale, il y a une collaboration et dutemps pour autre chose que des actesnomenclaturés et le champ d’action y est pluslarge que pour les indépendantes.

❍ Christine Bouhon : Aller chez des gens quin’ont pas de traitement mais qu’on visiterégulièrement pour voir si « dans la globalitéça va » permet de détecter des problèmes et deles traiter en collaboration. L’infirmière vientavec un regard de complémentarité par rapportau médecin et aux autres intervenants en vued’une action transdisciplinaire.

● A vous entendre, vous êtes débordées parle curatif. Et la prévention ?

❍ Ingrid Dubois : Je vois deux sortes deprévention, la quotidienne au cours dutraitement et celle des projets qui demandentune campagne, une élaboration. La campagneprend du temps. Il y en a en maison médicale,surtout pour les vaccinations, mais laprévention touche beaucoup d’autresdomaines...

Ecoute

● Santé conjuguée : S’il fallait identifier unmanque dans la formation ?

❍ Toutes : La formation à l’écoute.

❍ Natacha Hugues : Il faudrait créer desmodules de sensibilisation, de réflexionpersonnelle, mettre sur pied des intervisions.

❍ Rose-Marie Laurent : Si on veut percevoirla globalité de la relation, il vaut penser à uneformation philosophique, sur les religions,l’interculturel, etc.

❍ Ingrid Dubois : Il y avait un cours decommunication dans mes études de base (3h),suite aux difficultés que l’on rencontrait enstage par rapport à la mort. Je trouvais celaintéressant. ●

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Infirmières en santé communautaire :une révolution culturelle

Andrée Poquet,professeur en

soins infirmiers,section santé

communautaire,école d’infirmière

de l’universitélibre de

Bruxelles, HauteEcole IlyaPrigogine.

Si la conférence d’Alma-Ata de1978 adonné sens au concept de soins de premièreligne en mettant la lumière surl’accessibilité des soins, sur le droit àbénéficier de soins psycho-médico-sociauxde qualité, continus, intégrant l’approchecurative, préventive et de revalidation,force a été de constater que faire prévaloirce type d’approche nécessitait unerévolution des mentalités dans les milieuxde la santé.

Jusqu’en 1994, la formation infirmières’appuyait sur des arrêtés royaux de 1958.Essentiellement hospitalo-centriste, ellemettait l’accent sur une approche curative,dictée par un savoir médical. En 1994 eutlieu une réforme importante de laformation infirmière, dans l’objectif derépondre aux nouveaux besoins spécifiquesde la communauté, de juguler ledéveloppement exponentiel des coûts ducuratif, et de faire face concrètement auvieillissement de la population.

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Se situer comme agent de santé

Comment aider la future infirmière, forméejusqu’à présent à prodiguer des soins dans uneinstitution hospitalière, à se situer comme agentde santé dans une équipe multidisciplinaire ? Ase positionner dans un réseau d’aide allant dela première ligne aux structures universitairesspécialisées ? A se centrer sur les besoinsspécifiques du bénéficiaire de soins, de safamille, de sa communauté quand, jusqu’àprésent, toute l’énergie se centrait sur lesymptôme ?

Véritable révolution culturelle ! L’étudianteinfirmière, imprégnée de feuilletons tels queUrgences, allait devoir participer à une réflexionsocio-politique sur son rôle d’agent de santé ausein de notre société. Plus personne ne contestel’approche multifactorielle de la santé, ni le lienentre crise économique et problèmes de santé,mais comment former une infirmière à cetteréalité sans qu’elle ne se sente rapidementdépassée ?

La laïcisation de l’aide a probablement permisà l’infirmière de s’engager plus réellement dansla cité en offrant son propre cadre éthique.Venue d’un passé fait de dévouement dansl’ombre, l’infirmière s’est dotéeprogressivement d’un statut, d’un spectred’activités qui lui est propre. Face à une réalitésociale de plus en plus complexe, elle s’estconfrontée à ses propres limites et à l’envie dese spécialiser pour appréhender, de manièreprofessionnelle, la réalité de la première ligne.

Voici donc trois ans que la nouvelle infirmière,non plus infirmière graduée hospitalière maisinfirmière en soins généraux, peut se spécialiserpour devenir infirmière en santécommunautaire. Antérieurement, après deuxd’années d’études d’infirmière hospitalière, uneformation de deux ans conduisait au titred’infirmière sociale. Ce titre la positionnaitcomme travailleur social et cultivait unecertaine ambiguïté avec les assistants sociaux.

Actuellement, la formation vise à formerréellement une infirmière de première ligne, au

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Infirmières en santé communautaire : une révolution culturelle

clair avec la philosophie des soins de santéprimaires. Elle devra, en fin de formation,pouvoir se situer dans le cadre d’une démarcheen santé communautaire globale. Elleparticipera à l’élaboration du diagnostic de lacommunauté, mettra en évidence les prioritésde santé. Celles-ci seront identifiées avec lapopulation elle-même, dans une logique departicipation, en synergie avec le réseau d’aidede la première ligne mais aussi des institutionsde soins.

Dans le cadre de l’année de formation,l’infirmière participera à des stratégies d’actionqui viseront à la promotion de la santé de lacommunauté, sans méconnaître la place del’évaluation de la démarche mise en place.

Trop souvent encore, elle doit clarifier ses lieuxd’action. Elle est parfois perçue par sescollègues hospitalières comme une« traîtresse » qui a fui les contraintes del’institution pour se réfugier dans une fonctionplus administrative.

Les jeunes diplômées soulignent l’écart entrela philosophie du communautaire qui privilégiela promotion de la santé et l’accessibilité dessoins de première ligne, et les politiques desanté qui chapeautent et financent les actions.Financement très timide car on perçoit bien, entant qu’agent de première ligne, quepolitiquement le long terme ne paie pas. Maisdans le court terme, le travail s’évaluedifficilement, les effets concrets d’une actionne sont que rarement objectivés.

Travailler en partenariat, passer d’un transfertde savoirs à un réel échange de savoirs, et celaen s’inscrivant dans un contexteenvironnemental naturel et complexe, reste laplus grande gageure en un an de formation.

Que disent les travailleurs quiaccueillent nos stagiaires ?... que ce soit à l’Office national de l’enfance,dans les centres de santé scolaire, en santémentale, dans les structures de revalidationou autres ?

Intégrer une stagiaire, infirmière déjà diplômée,peut être dans une certaine mesure plus aisé.L’identité « infirmière » semble plus clairequ’antérieurement : la stagiaire se situerapidement dans son rôle d’agent de santé. Ellemet rapidement l’accent sur l’importance de lacollaboration au sein du réseau d’aide ainsi quesur la nécessité de la prévention.

En un an, par contre, il parait difficile derépondre aux exigences du terrain. Lacomplexité psychosociale des situationscliniques rencontrées demande de la maturité,du temps. La jeune diplômée en cours despécialisation ne peut répondre au niveaud’expertise psychosociale demandée.

En outre, la démarche en santé communautaireenseignée dans les écoles ne se retrouve

Quelles difficultés rencontrentles étudiants ou les jeunesdiplômés ?

L’infirmière en santé communautaire estméconnue dans son statut et sa fonction propre.

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TOUT DANS LA TETE

habituellement pas sur le terrain et lesprofessionnels référents ont des difficultés àdonner sens aux objectifs demandés parl’enseignement clinique, à établir despasserelles entre les concepts théoriques et laréalité du terrain.

Et que pensent les formateursresponsables de cetteformation ?

Ils corroborent nombre des réflexions desétudiants et des professionnels mais commentrelever le défi, à savoir former de réellesinfirmières de première ligne adaptables à notreréalité pratique ?

La gageure est réelle. Les infirmièresenseignantes responsables des formations ensanté communautaire appuyaient leur expertisesur leur propre formation d’infirmière sociale.Il ne s’agissait pas de faire une formation« readers digest » en un an. Il fallait trouver desobjectifs spécifiques aux nouvelles attentes despolitiques de santé et y adapter un programmeet des contenus d’enseignement propres.

Les pays anglo-saxons, le Québec en particulier,nous offrirent les références dont nousmanquions. Les infirmières canadiennespeuvent faire un master en santécommunautaire. Depuis leur réforme du réseaude santé et du réseau social en 1960, l’accentétait mis sur les centres locaux de santécommunautaire et la philosophie des soins desanté primaires prenait donc sens. Lesenseignants en santé communautaire canadiensnous aidèrent à penser nos enseignements. Lesréférences bibliographiques d’Outre-Atlantiques’adaptant peu à nos réalités, il nous resta untravail d’adaptation à conduire. Si nos propresécoles de santé publique collaborèrent àconceptualiser le programme et à constituerl’équipe pédagogique et multidisciplinaire,c’est sur le terrain que le travail de formationdoit se conduire.

En Région bruxelloise, la Commissioncommunautaire française (COCOF) marque unréel choix politique pour développer toutedémarche de santé communautaire. Les

maisons médicales, les projets communautairesintégrés dans des quartiers fragilisés comme àCureghem nous offrent des lieuxd’expérimentation et nous commençons à yrencontrer des infirmières communautaires.Mais dans les départements préventifsclassiques, le fossé reste important : non-gestiondes données épidémiologiques, équipes trèsmédicalisées sous la direction de médecins(comme à l’hôpital) ou essentiellement sociales(comme dans les CPAS) sans que nouspuissions parler de réelle mise en place d’uneéquipe multidisciplinaire.

En conclusion, cette formation ne prendra sensque si on lui donne le temps de s’adapter à laréalité du terrain et des résistances rencontrées.Tout changement de culture politique etinstitutionnelle doit s’offrir le temps. Laformation de l’infirmière s’est toujours appuyéesur les structures hospitalières, en mettantl’accent sur le traitement des maladies et lasuppression des symptômes. Porter uneréflexion profonde sur les actions à conduireen amont, analyser les facteurs causaux desproblématiques de santé identifiées, sera lastratégie à conduire afin de pouvoir offrir lasanté pour tous à l’aube de ce nouveausiècle… ●

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Former des infirmières en santécommunautaire␣!Quel défi␣! Quelle aventure␣!

Jacqueline VanVlaenderen-Capart,infirmière-professeur,section santécommunautaire,Haute ÉcoleGalilée.

« Finie la formation des infirmièressociales ! Vous formerez dorénavant desinfirmières en santé communautaire et celaen la moitié du temps ! ». Tel fut l’ordre« venu d’en haut » il y a déjà trois ans decela !

Titulaire de la formation des infirmièressociales1, je fus donc contrainte, commemes collègues d’autres écoles, à enseignerdeux années de spécialisation en une. Cene fut pas le changement de nom qui merassura : « infirmière sociale » futremplacé par « infirmière spécialisée ensanté communautaire ». Le socialdisparaissait, la santé restait et s’ajoutaitun terme étrange « communautaire ». Descontacts avec le Canada ou à travers lalittérature nous avaient habituées à ceconcept dans le domaine de la santé,mais…

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Des questions surgirent :

• Comment former des spécialistescompétentes en un an, alors que deux annéesintensives nous semblaient nécessaires ?

• Comment « le produit fini » sera-t-il perçu,reçu, utilisé sur le terrain ?

• Pouvons-nous engager des jeunes à sespécialiser sans bien savoir ce que sera leuravenir professionnel dans ce domaine ? Jetentais de me rassurer en sachant qu’ellesavaient toujours la possibilité de se« rabattre » sur le secteur hospitalier !

De plus en plus d’articles et livres issus deFrance d’abord et de Belgique ensuite vinrent

alimenter notre réflexion. Petit à petit, notreperception du concept santé communautaires’affina. Un profil de formation fut établi enaccord avec l’ensemble des écoles d’infirmièresfrancophones ayant cette spécialité en leurinstitution.

De l’hygiène à la santécommunautaire

Avant de livrer ici les données qui nouspermirent de concrétiser la formation au seinde notre école, je voudrais présenter le cheminà faire entre le modèle ancien de l’infirmièrehygiéniste, en poursuivant par celui del’infirmière sociale pour arriver à celui del’infirmière en santé communautaire. Mieuxqu’un long texte, un dessin extrait d’un despériodiques Contact édité par le Conseilœcuménique des églises à Genève, mepermettra d’illustrer ce chemin. C’est unchangement de mentalité qui est demandé auxprofessionnels de la santé ; une révolution dansleur approche de « l’autre » qu’il soit un client,une famille ou un groupe.

Lors de la mise en place de la spécialisation, ladifficulté était de passer du modèle infirmier« prendre soin de l’autre » au modèle où« l’autre » déciderait de ses priorités.

Déjà le modèle conceptuel de VirginiaAnderson2 et la démarche de soins infirmiersde Carpenito Lynda3 nous avaient familiariséesavec l’éventail des quatorze besoins dont noustenions compte lors d’une prise en charge d’unpatient dans le milieu hospitalier. Ce modèlede soin définit comme objectif prioritaire lepassage de la dépendance à celui del’indépendance. Ce passage se fait essentielle-ment par l’information et/ou la suppléanceauprès de celui qui s’appelle encore tropsouvent « patient ».

Il me semble que le modèle de soin utilisé parles infirmières hospitalières et enseigné dans

(1) Le fémininsera utilisésystématiquementsans aucuneintention sexistemais par soucid’alléger le texte.

(2) Duquesne F.et Leng MC.,Bilansd’indépendance ;rôle propreinfirmier, ed.Pradel, Paris1989.

(3) Carpenito J.,DiagnosticsInfirmiers, ed. duRenouveauPédagogique,Québec, 1995.

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notre école correspond à l’étape intermédiaire :« Aider les autres à apprendre à s’occuperd’eux-mêmes ». Mais c’est le professionnel quipossède « la bonne parole » et si ses valeurs necorrespondent pas à celles de ses patients, l’abusde pouvoir et/ou les conflits ne sont pas loin !

Mon expérience de supervision de stages surles terrains de nos infirmières se spécialisanten santé communautaire montre que c’estsouvent ce deuxième modèle qui est de rigueurlors de la pratique professionnelle. Desexceptions existent mais trop rares encore.

La difficulté de passer au troisième modèle, etdonc de pratiquer de la santé communautaire,est réelle. Cette difficulté de mettre la théorie« idéale » en pratique frustre plus d’une de nosétudiantes. Cela ne m’empêche pas de faireconfiance à l’avenir et de m’engager commeformatrice à développer chez nos étudiantes descapacités leur permettant de rencontrer lesbesoins et demandes de « l’autre », d’amenercet « autre » à participer à son autonomie dansles domaines médico-psycho-sociaux.

Alors quel profil développons-nous chez nosétudiants, aujourd’hui ?

Une formation spécialisée depremière ligne

● L’infirmière de santé communautaire estl’infirmière spécialisée de première ligne

Elle travaille principalement en dehors desinstitutions hospitalières mais peut être

rattachée à un hôpital ou à un centre. Sapratique, selon la politique de santé pour tousde l’Organisation mondiale pour la santés’appuie essentiellement sur les principesinhérents à l’approche des soins de santéprimaires. Elle aide le client (individu, groupeou communauté) à maintenir et/ou à retrouverun niveau d’indépendance dans tous les aspectsde la santé : physique, psychique, social etspirituel. Elle se centre sur la promotion et lemaintien de la santé, la prévention, laréadaptation dans la communauté (malades,handicapés, ...).

● De ce profil découlent des objectifsgénéraux

Au terme de sa formation l’étudiante seracapable :

• d’identifier, avec la participation desindividus, des familles et des groupes, leursbesoins et leurs ressources communautaires ;les causes de perturbations potentielles et/ouréelles ;

• d’identifier les problèmes potentiels et/ouréels ;

• de prévoir, d’entreprendre et/ou d’accom-pagner dans leurs milieux respectifs desactions de soins préventifs, curatifs, éducatifset de réadaptation ;

• de mener une réflexion sur sa fonctionprofessionnelle au sein d’une communauté.

Ces objectifs généraux peuvent se concrétiseren objectifs spécifiques resitués en concordanceavec les intitulés de cours correspondants.

Les cours ne consisteront pas en un savoir

Dessin extrait d’un des périodiques « Contact » édité par le Conseil œcuménique des églises à Genève

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Former des infirmières en santé communautaire␣!Quel défi␣! Quelle aventure␣!

Perspectives

Dans son développement actuel, leSAMU social s’intéresserait auxinfirmières en santé communautaire pourleur formation polyvalente et leurapproche médico-sociale. Les centres desanté mentale aussi engageraient despersonnes formées évidemment enpsychiatrie mais ayant en plus uneformation en santé communautaire.Depuis peu dans le cadre du projeteuropéen PHARE* qui vise à augmenterla qualité des formations en Europe, laBulgarie a envoyé des professeurs enformation pour les aider à enseigner lasanté communautaire dans leursstructures ainsi que dans les soinsd’urgence. Mentionnons aussi lesréunions annuelles de tous lesprofesseurs en santé communautaire dela Communauté française pouraméliorer le programme de formation.

* PHARE : Poland and Hungary action for therestructuring of the economy.Le programme PHARE est actuellement le principalcanal de la coopération financière et techniquede l’Union européenne avec les pays de l’Europecentrale et orientale. Lancé en 1989 pour soutenirla transition politique et économique, PHARE aété étendu pour couvrir, en 1996, 13 payspartenaires de la région.

(mouvant et vite dépassé) à déverser mais enun « apprendre à apprendre » :

1. Apprendre à mener une action en santécommunautaire :

• apprendre à aborder l’étude d’unepopulation : méthodologie de recherche ensanté communautaire, géographie humaine,sociologie, statistiques appliquées, analyse etgestion des structures de santé communau-taire, santé publique ;

• apprendre à mettre en évidence les besoinsde santé d’une population : santé et patholo-gie sociale des groupes, épidémiologie,déterminants de santé, psychologie sociale ;

• apprendre à déterminer les problèmesprioritaires avec, pour et dans unepopulation : psychologie des groupes,épidémiologie ;

• apprendre à mettre en évidence les problèmesprioritaires : méthodologie de recherche ensanté communautaire, santé publique ;

• apprendre à planifier et à évaluer des actionspertinentes : méthodologie de recherche.

2. Apprendre à rencontrer, écouter, clarifierdes demandes et/ou problèmes émanantsd’individus, de groupes ou de communautés :psychologie des groupes, séminaires.

3. Apprendre à fonctionner profession-nellement dans un groupe, à gérer un groupede travail : psychologie des groupes,organisation administrative et gestion du travail.

4. Apprendre à utiliser les droits et les devoirsdes citoyens pour donner ou redonner à chacunune égalité de s’épanouir dans la collectivité àlaquelle il appartient : législation sociale.

5. Apprendre à se situer professionnellementdans une communauté : déontologie et éthique.

A évaluer

Après la sortie de trois promotions d’infirmièresspécialisées en santé communautaire, me vient

une citation célèbre que je paraphrase : « Quesont mes étudiantes devenues ? ». Et si je tentaisune mini-enquête concernant ce « devenuprofessionnel », par rapport à leur formation etce qu’elles ont pu ou non en faire ? ●

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Leur formation vue par des infirmièresen santé communautaire

Pendant les trois années qui conduisent augrade d’infirmière hospitalière, lesétudiants suivent des cours générauxtraitant de santé communautaire. Lavéritable formation en santécommunautaire est une spécialisation quis’acquiert au cours d’une quatrième année.Santé conjuguée a invité quelquesinfirmières travaillant en maison médicaleà Bruxelles pour discuter de l’apport decette formation.

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Christine Gilles,infirmière à la

maison médicaledu Miroir,

IsabelleGroessens,

infirmière à lamaison médicale

Esseghem, CélineHoutain,

infirmière à lamaison médicaleNord, Bérangère

Lens, infirmière àla maisonmédicale

d’Anderlecht,SandrineMouthuy,

infirmière à lamaison médicale

de Forest,Christelle

Roelandts,stagiaire

infirmière à lamaison médicale

Esseghem.

● Le travail en maison médicale favorise-t-il une approche communautaire ?

❍ Céline Houtain : La philosophie « soins desanté primaires » des maisons médicales nousen offre la possibilité.

❍ Sandrine Mouthuy : On a du temps « enplus » des actes techniques. Dans unenvironnement classique, les collègues sont peusensibilisés à l’approche communautaire.

❍ Isabelle Groessens : En maison médicale,on se sent soutenue par une structure quiéprouve un souci identique. On peut aussi avoirdes idées de santé communautaire dans lesstructures de soins à domicile mais il fautbeaucoup d’énergie pour convaincre l’équipe.Au départ, nous avons été engagées pour fairedes soins, mais l’aspect santé communautaireétait le bienvenu. En fait, nous avons étéchoisies davantage pour la « fibre sociale » quepour la formation. La formation m’a aidé àtravailler avec les autres, la famille,l’entourage. En maison médicale, les réunionsde cas m’aident beaucoup, ne fut-ce que pourclarifier la demande de la personne. C’estagréable de pouvoir interpeller l’équipe et c’esttrès différent de la façon de travailler dans unestructure de soins à domicile.

● Dans votre pratique, que vous a apportéla formation en santé communautaire ?

❍ Isabelle Groessens : Contrairement auxformations plus spécialisées comme la pédiatrieou d’autres, la formation en santécommunautaire est plus « de base » et peuts’étendre à toute la communauté.

❍ Céline Houtain : Le mot spécialisations’applique mal à la formation en santécommunautaire, car elle est un élargissementvers une démarche holistique, à l’opposé d’unrétrécissement du type d’action ou vers unpublic spécifique.

❍ Isabelle Groessens : Davantage qu’uncontenu, cette formation apprend à chercher, àse débrouiller, à dénicher les informations, àavoir un regard critique sur ses sources. Elledéveloppe la sensibilité à la représentation dela maladie et de la santé chez le patient, à ladistance et à l’écoute, à la logique des soins.

❍ Bérengère Lens : Par rapport auxinfirmières sorties auparavant, celles qui ont

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Leur formation vue par des infirmière en santé communautaire

bénéficié de la formation en santécommunautaire ont plus d’outils deméthodologie, de réflexion, d’analyse, et plusde facilité à construire leur projet. Mais parfois,l’équipe ne suit pas pour des raisons financièresou de temps consacré.

❍ Céline Houtain : Pourtant, certaines sedébrouillent bien en maison médicale sans avoirfait cette quatrième année.

❍ Isabelle Groessens : Question de « fibre ».La quatrième année aide à structurer sonapproche et à l’appliquer sur le terrain. Maisce n’est pas un passage obligé pour bientravailler.

❍ Sandrine Mouthuy : Dans les études debase, on approche la relation soignant-patientdans l’optique du colloque singulier, entroisième année, nous élargissons le champavec l’approche systémique et les aspects decommunauté et d’environnement. Au sortir dela quatrième, on est plus sensibilisées auxsciences sociales, à la politique de santépublique.

❍ Isabelle Groessens : Après la troisièmeannée, je n’aurais pas eu le regard critique quej’ai maintenant face à une construction deprojet : priorités, objectifs… La quatrièmeannée apporte une méthodologie. Quand jeregarde le carnet de bord*, je ne suis pas perduecar je vois la globalité, le départ, les étapes...Je sais ce que je fais, pour quoi, pour qui, jegère mieux le temps. J’approche les gensdifféremment. Dans ma démarche de soins,j’évite de professionnaliser le lien social,j’essaye de réfléchir à ce qui existe déjà,d’employer des outils, de planifier unedémarche.

❍ Bérengère Lens : La formation nous asensibilisées à utiliser le réseau y comprisstructurel.

❍ Céline Houtain : Utiliser le réseau existantest un apport des études. Par contre, chez lapersonne, quand on se pose des questions surce « quoi faire » ou pas, sur ce que mon acteengendre, il n’est pas certain que cela viennedes études, cela se développe plutôt sur leterrain. En maison médicale, on se posebeaucoup de questions, il y a des discussionsde cas parfois supervisées.

❍ Bérengère Lens : Ces études nous poussentà nous arrêter à un moment, à réfléchir, à nepas fonctionner comme un robot.

● L’hôpital est demandeur de techni-ciennes, alors que les maisons médicalesmettent l’accent sur l’intervention enpremière ligne. N’y aurait pas lieu de créerdeux filières : l’une orientée vers l’hospita-lier, l’autre plus générale ?

❍ Bérengère Lens : Il faudrait plutôt intégrercertains cours « communautaires » dans laformation de base.

❍ Christine Gilles : Il n’est pas sûr que cesnotions seraient entendues ! En première année,les cours d’éducation pour la santé sont trèspeu suivis ! En effet, pour les élèves, ces courssemblent moins importants à côté de matièrestelles que l’hygiène. Quand je discute avec desétudiants de première année, ils s’intéressentpeu aux cours de science politique et assimilés.Il faut davantage de maturité pour lesappréhender.

❍ Céline Houtain : Mais ces cours, commel’éducation pour la santé et l’économie pourla santé ont été simplement parachutés lors dela réforme dans un programme principalementtourné vers l’hospitalier !

❍ Isabelle Groessens : Cet accueil mitigé estaussi lié à l’image de la profession : l’infirmièrec’est l’hôpital ! En première année, tout lemonde veut aller aux soins intensifs, auxurgences...

❍ Bérengère Lens : Pourtant le patientperçoit l’infirmier comme une écoute, unepersonne qui répond à ses besoins... Il y a unécart important entre la demande du patient etles attentes des professionnels.

❍ Céline Houtain : Il y a une tendanceactuelle à garder davantage les gens à domicile,le besoin vers le non hospitalier s’accroît. Leproblème se situe peut être dans l’attente desinfirmières : c’est gratifiant d’être spécialisées,de se sentir expertes. Mais ce n’est peut êtrepas la demande du terrain.

*outil deconception, desuivi etd’évaluation desprojets deprévention (voirSanté conjuguéen°10 p 56).

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TOUT DANS LA TETE

Kiné-questionsLe point de vue de quelques kinésithérapeutes sur la formation de base

BénédicteDubois,

kinésithérapeuteà la maison

médicale l’Aster,maître de stage,

avec l’accord deskinésithérapeutes

des maisonsmédicales, et

MichelDechamps,professeur.

Voici quelques réflexions surgies lors del’accompagnement d’étudiants stagiairessuivant un graduat en kinésithérapie. Une sériede lacunes dans leur formation ont été relevée.Il s’agit de difficultés concernant le transfertentre la théorie et la pratique ou du constat desituations confrontant les étudiants à desquestions qu’ils n’ont jamais approfondies oumême abordées.

Sur un plan général, plusieurs points concernentl’approche du métier. On note un manque deconnaissance ou de réflexion à propos :

• de la dimension socio-économique et dufonctionnement de la sécurité sociale enparticulier ;

• des problèmes éthiques et déontologiques ;• de l’aspect relationnel et psychologique ;• d’une approche globale des patients dans les

dimensions biologiques, psychosociales etculturelles.

D’un point de vue plus disciplinaire, desmanques sont également relevés :

• l’absence de travail au niveau de l’anatomie

palpatoire ;• une connaissance exhaustive des pathologies

mais sans lien avec les traitements adéquats ;• une méconnaissance de certaines approches

spécialisées.

Ces constats nous amènent à formuler quelquessuggestions concernant la formation :

• créer davantage de séminaires basés sur desformations à la dimension éthique etdéontologique ;

• donner des informations plus approfondiesconcernant le fonctionnement de la sécuritésociale ;

• créer des ponts entre les différentesdisciplines médicales et paramédicales parl’intermédiaire de groupe Balint, parexemple ;

• engager davantage de professeurs praticiens ;• favoriser les stages en maisons médicales ou

chez des kinésithérapeutes libéraux ;• alléger certains aspects de la formation

(notamment au niveau stages) pour permettreplus de temps de réflexion.

Les éléments cités ci-dessus sont probablementfort justes. Certaines améliorations proposéesdevraient effectivement être mises en place dansl’ensemble des écoles supérieures. Je pensenotamment à l’engagement de professeursayant une expérience de terrain.

Cependant, plusieurs points soulevés nerelèvent pas de la formation de base.

Il faut tout d’abord bien avoir en tête que lesquelques années d’enseignement supérieur(universitaire ou non) ne donnent aux étudiantsqu’une part minime de la formationindispensable à leur pratique. Si certainspeuvent s’en contenter, c’est bien dommage etl’école aura raté une de ces missions qui estd’inciter à poursuivre sa formation tout au longde sa carrière.

La dimension éthique du métier, la dimensionpsychologique du traitement, par exemple,peuvent faire l’objet d’un début de réflexiondurant la formation de base. Mais, il ne fautpas oublier que les étudiants sont jeunes et quec’est souvent la maturité et l’expérience quinourrissent ces réflexions.Peu de lecteurs de cet article se sont posé cesquestions d’emblée dès la sortie des études, nonpas parce qu’ils manquaient de formation maisparce qu’ils n’étaient probablement pas prêts àle faire. Il en est de même pour les dimensionspolitiques ou économiques d’un métier.

La formation de base doit être un lieu d’éveil,d’initiation ; il serait prétentieux d’espérerdonner une formation complète de qualité à ceniveau.

Brève réponse d’un professeur de l’enseignement supérieuraux lacunes relevées

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Besoins de sociétéet adéquation des formations

Josette Craps,conseillèrepédagogique,institutd’enseignementsupérieurParnasse-DeuxAlice, membreassocié de laHaute EcoleLéonard de Vinci.

Les demandes et besoins de la populationen soins de santé sont-ils rencontrés parles formations ? Qui peut répondre en toutecertitude à cette question ? Notre proposn’est pas d’être exhaustif mais d’apporterun éclairage suffisant sur les orientationsactuelles des formations paramédicales quiveulent être adéquates aux besoins réels etactuels de notre société. L’expérience quenous vous livrons est celle de plus desoixante ans de passion, de recherche etd’enseignement d’équipes qui remettent enquestion leurs pratiques.

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Connaître les besoins en soinsde santé

Connaître les besoins en soins de santé, c’estl’obligation première qui nous est faite. Lessources à consulter sont multiples, diverses etparfois tendancieuses. Celles que nous retenonsle plus volontiers sont :

• les directives de l’Organisation mondiale dela santé-Europe, les rapports et recomman-dations de la commission européenne quinous inspirent ;

• les grandes options prises et communiquéespar les associations professionnellesnationales et internationales qui nousguident ;

• les directives, lois et décrets fédéraux etcommunautaires qui nous indiquent lescadres politiques et administratifs pourlesquels préparer les professionnels dedemain.

Sans trop nous étendre, nous schématiserons lecontexte général et les besoins en soins de santéde la population belge d’aujourd’hui.

• Tout d’abord, il faut relever le vieillissementde la population. La Belgique ne fait pasexception au phénomène mondial du« geronto-boom » encore appelé par certains« papy boom ».Notons le caractère de féminisation de plusen plus grande du groupe de personnes âgéesainsi que sa très grande hétérogénéité du pointde vue économique et social, des conditionsde vie, de loisirs ou d’activités physiques.Enfin, caractéristique importante, la perted’autonomie progressive d’un grand nombrede personnes âgées ne pouvant plus comptersur la présence de famille à proximité etsusceptible de fournir aide ou relais en casde nécessité.

• Il faut noter ensuite les progrès scientifiqueset technologiques appliqués à la médecine,du diagnostic au traitement, qui permettentdes soins médicaux et paramédicaux trèsspécialisés. Ces soins sont dispensés dans desstructures hospitalières hyperéquipées etdemandeuses de personnels paramédicauxperformants dans toutes les spécialités.

• Enfin les directives de l’Organisationmondiale de la santé proposant « La Santépour tous en l’an 2000 » nous précisent lerapport insuffisant existant en Belgiquecomme dans la plupart des pays européens,entre les coûts investis et la qualité desrésultats obtenus pour la santé.

Adapter les formations auxbesoins

L’analyse des besoins et le contexte de soinsnous obligent à une réorientation des mesuressanitaires. Nos formations paramédicales entiennent compte et dès lors approfondissent :

- les soins de santé primaires ;- la prévention de la maladie et du handicap ;- la promotion de la santé ;- l’approche positive qui fait les liens entre

santé et environnement.

Elles investissent dans les soins de proximité,les approches extra-hospitalières et le travail eninterdisciplinarité.

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TOUT DANS LA TETE

Le nouveau Parnasse-Deux Alice

Notre institut d’enseignement supérieur a pour « filrouge » : « le corps, la communication, le mouvement

et les soins au bénéfice de la santé ». La spécificitéqui nous caractérise est ancrée dans

l’interdisciplinarité. En effet, nous formons desinfirmiers, des licenciés en kinésithérapie, des

ergothérapeutes et depuis peu des podothérapeutes.Ces formations paramédicales sont enrichies par la

concomitance des formations d’éducateurs gradués,de régents en éducation physique et de

psychomotriciens. Ces formations diverses sontporteuses d’éléments qui interagissent sur la santé

et la société.

Besoins et contexte permettent par ailleursd’élaborer les profils de formations visant auplus pointu l’acquisition des compétencesprofessionnelles attendues.

Ces compétences et le cadre conceptuel danslequel elles s’inscrivent ont été revues et misesà jour dans notre institut en 1996.C’est ainsi que nous pouvons dégager des lignesde forces communes à toutes nos formationsparamédicales.

• Tout d’abord, un même cadre conceptuel :- qui privilégie une approche globale despersonnes, des familles ou des groupesdans le respect de leurs dimensionspersonnelle, culturelle et de leurenvironnement ;

- qui inclut dans l’étendue des champsprofessionnels, prévention d’incapacité ethandicap, promotion de la santé, soins detraitement et réadaptation ;

- qui identifie et reconnaît la contributionprofessionnelle des différents partenairesde la santé et utilise ces connaissances etcompétences de manière complémentairepour résoudre activement et eninterdisciplinarité les problèmes de santéposés à l’individu, la famille ou les groupes.

• Ensuite, un axe comparable sans êtreidentique en sciences humaines et sociales :

- celles qui visent, d’une part, lescompétences relationnelles pour exercerune profession « d’aide » à toute personnequi en a besoin ;

- celles qui, d’autre part, préparent etguident les professionnels dans leurengagement moral, éthique et socio-politique.

• Les sciences fondamentales, biomédicalesindispensables sont bien évidemmentenseignées dans toutes nos formations. Ellesapportent l’acquisition des savoirsscientifiques nécessaires à la connaissance duproblème santé de la personne à aider, lacompréhension des phénomènes et donc unecollaboration plus efficace aux décisionsthérapeutiques et à leur exécution.

• Les sciences professionnelles quant à ellesconstituent l’axe spécifique de chaqueformation paramédicale.Elles sont intégrées, théorie et pratique, dansun même processus de résolution scientifique

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Besoins de société et adéquation des formations

« des problèmes de soins » où collecte desdonnées, bilans cliniques, jugement cliniqueet diagnostics professionnels permettent deproposer et planifier avec la personne lesinterventions nécessaires pour maintenir,améliorer ou restaurer sa santé.

Enfin, l’exécution des actions prévues etl’évaluation critique des résultats obtenus parles stagiaires et les soignants permettent, sinécessaire, l’ajustement de cette démarche desoins.

Soulignons encore que ces sciencesprofessionnelles préparent chacun desparamédicaux à remplir des fonctions utilisantles technologies les plus pointues dans lesstructures hospitalières générales ouspécialisées ou à exercer leur art dans desmaisons de repos et de soins ou des services desoins à domicile tant sous statut de salarié quesous celui d’indépendant.

Devancer les impératifs légaux

Il y aurait beaucoup plus à écrire sur lesapprentissages théoriques et pratiquesspécifiques à chaque formation. Est-ce biennécessaire ?L’obligation contractuelle de base de toutenseignement est de faire correspondre lechamp professionnel enseigné avec le champlégal reconnu à chaque profession.Mais cela ne suffit pas… C’est la raison pourlaquelle, Marie Bécu, directrice de l’institut, amis en place un environnement permettant deformer de manière pertinente les professionnelsqui prendront en compte la santé des hommesde demain : unité psycho-socio-médicale, unitéde propédeutique, unité de recherche appliquée,unité de collaborations internationales, unité deformation continue, centre de documentation…La vraie formation est à ce prix… et là leslégislations et les subventions ont quelqueslongueurs de retard.

Qu’il nous soit permis d’ajouter que cesréflexions n’engagent que notre institut. Nouspensons que notre pluridisciplinarité a fait

évoluer rapidement les contenus des diversesformations. Les directives européennes, lesorientations de l’Organisation mondiale de lasanté ont visé tout d’abord l’exercice des soinsinfirmiers. Elles ont pu être approfondies etintégrées très rapidement dans toutes nosformations grâce au contexte qui nouscaractérise.

Nous n’avions pas pour projet d’être completet d’épuiser le sujet. Nous espérons toutefoisavoir mis en lumière la volonté sans cesserenouvelée de notre institut d’imprimer dans lesformations les priorités de santé et d’anticiperles impératifs légaux. ●

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TOUT DANS LA TETE

La formation en soins de santé primaires :une perspective internationale

Jean Rodrigue,médecin, titulaire

d’une maîtriseen santé

communautaire,Fédération des

médecinsomnipraticiens

du Québec.

La formation en soins de santé primairesest un sujet vaste et fascinant. Vaste, parcequ’il englobe la formation de nombreuxintervenants de la santé, des médecins, desinfirmières, d’autres professionnels, maisaussi l’éducation de la population qui estresponsable de la dispensation denombreux soins de première ligne.Fascinant, parce que la plupart dessystèmes de santé redécouvrentl’importance de ce secteur. Nous vousproposons de limiter la réflexionaujourd’hui à la formation des médecinsgénéralistes qui sont les médecinsresponsables des soins de santé primairesà la population.

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

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L’intérêt pour l’enseignement de la médecinegénérale est récent dans la plupart des paysindustrialisés : la formation obligatoire danscette discipline date de 1981 en Angleterre, de1988 au Québec et des programmes facultatifsexistent dans plusieurs autres pays, dontl’Espagne depuis 1978. Ce sont les médecinsgénéralistes eux-mêmes qui ont milité pour lareconnaissance de la médecine générale commediscipline médicale et pour l’instauration deprogrammes de formation adaptés à la réalitéde leur pratique. Rien n’est acquis pour autant.De nombreux défis académiques etprofessionnels persistent et nous enexaminerons quelques-uns.

D’abord, situons les principaux acteurs : lemédecin généraliste est un extrant du systèmeuniversitaire et un intrant du système de santé,à l’intérieur duquel il contribue à améliorer lasanté de la population.

Le médecin généraliste dansune perspective de soins desanté primaires à l’intérieurd’un système de santé entransformation

● Le médecin généraliste

Pour le Collège des médecins de famille duCanada1, 2, quatre principes de base caractérisentla médecine familiale ou médecine générale :la relation médecin-patient fondée sur uneapproche globale des personnes et sur unecontinuité de soins dans le temps ; lacompétence clinique pour aborder une variétéde problèmes cliniques ; l’assisecommunautaire en offrant des services dans lacommunauté et en collaboration avec les autresressources du milieu ; enfin, le médecingénéraliste doit être une ressource pour lapopulation de son territoire, en surveillant leurétat de santé, en appliquant judicieusement lesnouvelles technologies et les nouvellesthérapies en médecine et en utilisantefficacement les ressources spécialisées.

La compétence clinique mérite une attentionparticulière parce qu’elle est une source deconfusion entre généralistes et spécialistes aumoment de la répartition des taches cliniques,entre généralistes et universitaires au momentde l’élaboration des programmes de formation.

Qu’est-ce qu’un clinicien compétent enmédecine générale ?

Les domaines d’expertise du médecingénéraliste sont le diagnostic et le traitementdes problèmes de santé courants, des urgencesusuelles et de la plupart des maladieschroniques, la prévention de la maladie et lapromotion de la santé3, 4, 5. Il est donc essentielde posséder un minimum de connaissances etd’habiletés dans la plupart des spécialitésmédicales pour intervenir efficacement. Maisce n’est pas suffisant : un clinicien compétenten médecine générale est un médecin quiraisonne en généraliste.

Le processus décisionnel du médecin

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C A H I E R

La formation en soins de santé primaires : une perspective internationale

généraliste est complexe6 à 11:

• son centre d’intérêt est plutôt la personne dansson ensemble qu’une entité pathologique ouun regroupement d’états pathologiques ;

• le problème formulé par le patient est souventimprécis, peut concerner des systèmesphysiologiques différents ou posséder descomposantes psychologiques ou sociales ;plusieurs problèmes peuvent égalementcoexister ;

• le médecin généraliste doit formuler, àl’intérieur d’une entrevue, plusieurshypothèses diagnostiques qu’il vérifiera àl’aide de son questionnaire et de son examenclinique ;

• la conduite thérapeutique est décidée enfonction de l’hypothèse diagnostique la plusprobable, des autres problèmes de santé, despréférences du patient lui-même et de soncontexte socio-économique ;

• le suivi permet de valider le diagnostic et laconduite thérapeutique.

Le raisonnement clinique du médecingénéraliste n’est pas linéaire : il comprend demultiples boucles de rétroaction, pendantl’entrevue et au cours des rencontressubséquentes. Le médecin évalue constammentsa démarche à la lumière des résultats déjàobtenus et de nouveaux éléments d’informationpour la réorienter au besoin.

Le processus décisionnel auquel le médecingénéraliste a recours doit prendre enconsidération la réalité de son patient : celui-cin’est pas uniquement un objet d’étude, mais unpartenaire dans l’identification des problèmes,dans la recherche et l’application des solutions.Voilà pourquoi les habiletés dans la relationmédecin-patient sont essentielles au médecingénéraliste.

Finalement, les décisions prises doivent tenircompte de leur efficacité prévue, d’uneutilisation judicieuse des ressources de premièreligne et de la pertinence d’un recours à desressources spécialisées : le clinicien compétentest aussi un clinicien efficace.

● Dans une perspective de soins de santéprimaires

Pour s’adapter à ces transformations, lemédecin généraliste doit apprendre à intervenirdans une perspective de soins de santéprimaires3, 12 à 18 : porte d’entrée du système desanté, il assure l’accessibilité et la continuitédes soins et dispense des soins préventifs etcuratifs ; il participe à la coordination desservices des divers intervenants auprès despersonnes dont il a la charge ; il intègre lesservices de première ligne à ceux des différentsniveaux de soins ; il partage avec ses patientset la communauté qu’il dessert la responsabilitédes soins et des services de santé.

Les « family physicians » au Canada1 et auxÉtats-Unis12, 19, les « omnipraticiens » auQuébec20, les « general practitioners » enAngleterre21, les « medicos familiar ycomunitaria » en Espagne5, 15 partagent cettevision de la médecine générale. Le défi est defaire reconnaître par nos partenaires que cetensemble de connaissances et d’attitudesconstitue une discipline médicale spécifique.

● Dans une perspective de soins de santéprimaires à l’intérieur d’un système desanté en transformation

Même en cabinet privé, le médecin généralisteagit en complémentarité avec les autres servicesde santé.

Les mutations profondes qui affectent lesystème de santé de la plupart des pays nepeuvent nous laisser indifférents. Parmi ceschangements, notons13, 14, 22, 23:

• la révision des objectifs de santé mettantl’accent sur la prévention ;

• la réorganisation des services favorisant lahiérarchisation des soins et les soins de santéprimaires ;

• la décentralisation vers les régions desprocessus décisionnels et administratifs ;

• la mise en place d’actions intersectoriellespour agir sur les déterminants de la santé ;

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TOUT DANS LA TETE

• les nouvelles technologies diagnostiques etthérapeutiques, accessibles sur une baseambulatoire, qui réduisent le recours àl’hospitalisation ou sa durée dans denombreuses situations cliniques ;

• l’évolution des diverses disciplines de la santédont les rôles respectifs se précisent ou sedéveloppent, particulièrement au niveau dessoins primaires : les infirmières cliniciennes,les coordonnateurs de soins, lespharmaciens ;

• la recherche d’efficience pour assurer dessoins de qualité, efficaces et au meilleur coût.

O’Neil, à l’instar de la commission Pew sur lesprofessions de la santé, aux États-Unis,considère que ces changements affectent lanature des soins, leur lieu de distribution, lesmodalités de leur dispensation, leur gestion etleur évaluation24. Ces changements favorisentl’émergence d’un nouveau paradigme dans lesystème de santé et provoquent des tensionsimportantes. Cet auteur utilise un tableau quenous reproduisons pour illustrer les tensionsdynamiques à l’intérieur du système de santé(voir tableau).

Le médecin généraliste doit s’adapter à cestransformations. Elles élargissent ou à l’inverse,rétrécissent le champ de ses interventionsprofessionnelles auprès de clientèles autrefoistraitées en institution. En consacrant son rôlecomme porte d’entrée du système de santé, ellesl’obligent à développer des habiletés degestionnaire de soins et de coordonnateur d’uneéquipe de professionnels.

Un programme de formationspécifique en médecinegénérale reconnu par le milieuacadémique en lien avec lesystème de santé

La connaissance du rôle et des fonctions dufutur médecin généraliste est essentielle àl’élaboration d’un programme de formation,

Paradigme dominant Paradigme émergent

soins spécialisés soins primairessoins aigus soins chroniques

soins individuels soins communautairessoins curatifs soins préventifs

soins en institution soins ambulatoirestechnicité humanisme

obligation de moyens obligation de résultatsapproche unidisciplinaire approche multidisciplinaire

gestion médicale gestion administrativeconcurrence collaboration

Les tensions dynamiques dans le système de santé. Modifié d’après O’Neil19.

mais cela n’est pas suffisant : les objectifsd’apprentissage doivent être précisés etréalistes ; l’intérêt pour cette discipline doit êtrepartagé par le milieu universitaire ; les milieuxde formation doivent être adéquats et lesenseignants compétents.

● Un programme de formation spécifique

Malgré des variations d’un pays à l’autre dansle rôle du médecin généraliste, dans l’incidenceet la prévalence des maladies et dans lesstructures de soins de première ligne, il estpossible de dégager les objectifs pédagogiquescommuns pour la formation des médecinsgénéralistes1 à 5, 14, 25 à 29.

1. Pour être un clinicien compétent, lemédecin généraliste devra, au terme de saformation :

• évaluer et traiter les problèmes de santé dansun contexte de soins de première ligne,notamment les affections courantes, lesproblèmes liés au vieillissement, les maladiesmentales et les maladies terminales ;

• prendre en compte les facteurs bio-psycho-sociaux qui influent sur la santé et sur lamaladie, les reconnaître et les évaluer avecses patients. Les étudiants devront êtresensibilisés à des phénomènes comme laviolence familiale, la pauvreté, l’alcoolisme,les toxicomanies et l’isolement social ;

• développer des habiletés de communicationnécessaires à l’établissement et au maintien

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La formation en soins de santé primaires : une perspective internationale

de relations interpersonnelles harmonieuses ;

• favoriser l’adoption d’attitudes préventiveschez ses patients ;

• supporter l’observance au plan thérapeutiquenégocié ;

• connaître les ressources des autres structuresde soins, notamment le milieu hospitalier, etsavoir les utiliser. Dans certains pays, laparticipation des médecins généralistes auxactivités hospitalières est importante etnécessitera une formation particulière.

2. Pour intervenir dans une perspective desoins de santé primaires, le futur médecingénéraliste devra :

• offrir à la population qu’il dessert des servicesaccessibles, continus et coordonnés avec lesautres ressources disponibles dans le systèmede santé. Ces responsabilités supposentbeaucoup de disponibilité de la part de chaquemédecin généraliste qui devra apprendre à lesassumer et à partager certaines tâches avecles collègues de son territoire ;

• susciter la participation de ses patients et dela communauté aux soins et aux servicesdispensés. Les étudiants devront égalementapprendre à vivre avec les contraintes de cetteparticipation, notamment la liberté de refuserun traitement pour un patient et celle de fixerdes priorités différentes en matière de servicesde santé ;

• fonctionner efficacement au sein d’uneéquipe multidisciplinaire ;

• s’engager à évaluer la qualité des servicesdispensés ;

• gérer efficacement les services qu’il offre etles ressources qu’il utilise. La rationalisationdes services de santé, la diminution desbudgets alloués à la santé et le soucid’efficacité rendront cette dimension de lapratique plus présente pour tous les médecins.

3. Pour demeurer une ressource pour sacommunauté, le futur médecin généralistedevra :

• développer des habiletés à maintenir à joursa formation professionnelle, en médecinegénérale bien sûr, mais aussi dans lesdomaines qui influent sur les soins de santéprimaires, notamment en médecine spécia-lisée, en psychologie et en sciences sociales ;

• tenir compte des dimensions éthiques de sesinterventions. Nous sommes constammentconfrontés à la souffrance, à l’angoisse et àla mort chez nos patients. Nous vivons dansdes sociétés où les valeurs morales sontremises en question. Nous devons souventassumer seuls une part de doute lorsque lediagnostic est incertain, le pronostic inconnuou l’efficacité du traitement relative. Laréflexion éthique nous servira à rechercherle bien du patient et à respecter ses choix nonseulement en présence de cas difficiles maisaussi dans la pratique de tous les jours ;

• comprendre les aspects législatifs etjuridiques reliés à la pratique médicale,notamment dans les matières suivantes :l’organisation des services de santé, les droitsdes patients et la responsabilité médicale ;

• respecter le code de déontologie médicale.Le serment d’Hippocrate et les conduitesqu’il propose ont survécu à l’épreuve dutemps et doivent nous guider dans nosrelations avec nos collègues et avec nospatients.

● Une reconnaissance par le milieuacadémique

Au cours des dernières décennies, lesuniversités ont organisé l’enseignement de lamédecine autour des différentes spécialitésmédicales et la formation clinique à l’intérieurdes hôpitaux. Il est illusoire de croire que laformation en médecine générale s’imposerad’elle-même. La volonté et le support du milieuacadémique et la persévérance des médecinsgénéralistes sont essentiels31, 32, 33. Au Québec,les omnipraticiens ont recherché et obtenu lesupport d’alliés extérieurs, notamment leursyndicat professionnel, le Collège des médecinset le Gouvernement.

Les facultés de médecine doivent réviser lesobjectifs de formation à la lumière destransformations du système de santé etconfirmer leur mission de former des médecinspour dispenser des soins de santé primaires quirépondent aux besoins de la communauté4, 34.Elles doivent reconnaître la discipline demédecine générale en mettant en place undépartement universitaire de médecine généraleet en accueillant des médecins généralistesqualifiés au sein de son corps professoral21,34.

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TOUT DANS LA TETE

Elles doivent également faire preuve detolérance durant la phase d’implantation dudépartement : ce dernier devra développer desmilieux de formation à l’extérieur du milieuuniversitaire et recruter des enseignants qui nerépondent peut-être pas à tous les standardsuniversitaires.

Au niveau pré-doctoral, plusieurs actionsdoivent être prises. Les politiques d’admissionaux études médicales doivent favoriser lasélection d’un certain nombre de candidatsintéressés aux soins de santé primaires ; cetintérêt se retrouve chez les femmes, lescandidats plus âgés et ceux en provenance d’unmilieu rural. Le curriculum pré-doctoral doitcomprendre un enseignement orienté versl’évaluation et la solution de problèmes. Il estimportant que les médecins généralistesparticipent de façon significative à la formationpré-doctorale pour permettre aux étudiants des’identifier à eux et pas seulement à desmédecins spécialistes. Finalement, on doit offrirdes stages cliniques en médecine générale pourfavoriser l’exposition aux problèmes de santécourants, une sensibilisation et une adaptationà l’organisation des soins de santé primaires etpour vérifier l’intérêt que suscite cette pratiquemédicale4, 34 à 36.

Au niveau des programmes spécifiques deformation en spécialité, les universités doivents’assurer que les futurs spécialistesdévelopperont des habiletés à collaborer avecles médecins généralistes et les autresintervenants du secteur des soins de santéprimaires. A cette fin, on doit penser à un réseauintégré de centres d’enseignement et de soinsde niveau primaire, secondaire et tertiaire avecdes équipes multidisciplinaires33.

● En lien avec le système de santé

Dans la plupart des pays, la formation enmédecine générale a été élaborée selon lemodèle de la formation en spécialité : le résidentréalise des stages hospitaliers, puis pratiquedans un contexte de soins primaires sous lasupervision de généralistes. Est-ce suffisant ?Une revue de la littérature suggère qu’un telenseignement est variable, imprévisible,ponctuel et discontinu29. Quelles sont lesconditions essentielles pour atteindre lesobjectifs pédagogiques ?

1. Une exposition clinique suffisante etcontinue aux problèmes rencontrés en soinsprimaires2, 5, 29.

Les résidents en médecine générale deviendrontdes cliniciens compétents en soins primairesdans la mesure où ils auront appris à évaluer,diagnostiquer et traiter les problèmes courants,sous la supervision de généralistes enseignants.Les enseignants devront s’assurer que lesrésidents maîtrisent l’utilisation duquestionnaire médical et l’examen clinique,développent des habiletés à communiquer,gèrent efficacement l’entrevue clinique etutilisent adéquatement les autres professionnelsde la santé.

La durée des stages en soins de première lignedoit être suffisamment longue pour permettreau résident d’être confronté à de nombreusessituations cliniques. L’expérience acquise luipermettra de raffiner son raisonnement cliniqueet d’élargir l’éventail de ses hypothèsesdiagnostiques pour un problème donné.

Les stages en soins primaires auront égalementavantage à se tenir dans un même lieugéographique pour un résident donné. Des

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La formation en soins de santé primaires : une perspective internationale

auteurs recommandent également de prévoirdes stages longitudinaux tout au long de laformation en médecine générale. Au Canada,par exemple, les résidents en médecinefamiliale, après leur stage dans l’unité demédecine familiale, y retournent chaquesemaine pour une demi-journée de clinique.Ceci permet au résident de suivre ses patientset d’apprécier de façon continue les effets deses interventions. Selon certaines études, cettecontinuité des soins permet également aurésident d’identifier davantage les différentsproblèmes de santé d’une même personne, dedévelopper un sentiment d’appartenance à saclientèle et de se constituer un réseau derelations soutenues avec un groupe défini decliniciens enseignants.

2. Une supervision adéquate par des médecinsgénéralistes4, 5, 7, 13, 29, 37.

Les médecins généralistes enseignants doiventservir de modèles aux résidents : ce sontd’abord des cliniciens compétents et ils exercentdans une perspective de soins de santéprimaires.

A titre d’enseignants, ils sont habiles à évaluerles lacunes de leurs étudiants et à cibler leursinterventions pédagogiques, en matière deconnaissances médicales, de raisonnementclinique ou de comportement. Ils incitent lesétudiants à réfléchir sur leur pratique, às’adapter aux différentes situations cliniques età développer des habitudes d’auto-formation.Ils se rendent disponibles pour assurer unesupervision adéquate et organisent leur horairede travail en conséquence. Finalement, ilsévaluent périodiquement la qualité de leurenseignement, recherchent le feedback desrésidents en la matière et prennent les mesuresappropriées.

Les médecins enseignants sont également desprécepteurs et, à ce titre, ils doivent savoirguider et conseiller les résidents en vue de leurfuture carrière professionnelle mais aussi,parfois, lorsqu’ils vivent des situationsdifficiles.

Le soutien de la faculté de médecine estessentiel au développement du corpsprofessoral de médecins généralistes. Des

activités de formation académique doivent leurêtre offertes pour répondre à leurs besoinsd’enseignants en tenant compte des contraintesspécifiques à la pratique de première ligne.L’octroi de postes universitaires à des médecinsgénéralistes est susceptible de favoriser leurparticipation active à la vie universitaire, àdéfendre les intérêts de leur département et àpromouvoir leur discipline.

3. Des centres de soins de santé primairesavec une mission d’enseignement4, 13, 14.

Les centres de soins de santé primaires offrentaux résidents une situation optimaled’apprentissage. Les centres retenus à des finsd’enseignement doivent être orientés vers lesbesoins de la communauté, offrir des servicesaccessibles et continus, favoriser une approcheglobale des problèmes de santé par le biaisd’une équipe multidisciplinaire, rechercherl’intégration des services avec les autresétablissements de soins et se préoccuper del’évaluation de la qualité et de l’efficacité deleurs interventions. Parallèlement, lesprofessionnels qui y œuvrent doivent démontrerun intérêt certain pour l’enseignement et offriraux étudiants une exposition à une gammevariée de problèmes courants de santé et unenseignement adéquat.

4. Un équilibre dans la répartition des stageshospitaliers et extrahospitaliers2, 5, 38.

Les stages en milieu hospitalier permettront auxrésidents de découvrir et de traiter les étatspathologiques plus sévères ou moins fréquents.Ils apprendront à utiliser les ressourceshospitalières. Le contact avec les médecinsspécialistes leur permettra de développer desattitudes de collaboration avec ces derniers.Dans certains pays, comme le Canada, plusieursmédecins généralistes ont des activités enmilieu hospitalier et une formation adaptée auxréalités de milieu est donc essentielle.

Il faut doser judicieusement la répartition desstages hospitaliers et des stages en premièreligne. Il faudra toutefois accorder plus de tempsaux stages en première ligne afin d’atteindreles objectifs pédagogiques, mais aussi pourfavoriser chez les résidents l’identification aumodèle du médecin généraliste.

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TOUT DANS LA TETE

Plusieurs dangers nous guettent dansl’implantation des programmes de médecinegénérale si nos objectifs sont trop ambitieux.Le premier consiste à proposer aux résidentsun modèle irréaliste du médecin généralisteaccessible vingt-quatre heures par jour,compétent dans toutes les disciplines médicales,intéressé à toutes les clientèles. Les résidentsne sont pas dupes et se désintéresseront dumodèle proposé. La notion d’une responsabilitédu médecin envers toute une population risqued’effrayer plus d’un résident. Il faut doncdévelopper chez eux des attitudes decollaboration et de concertation avec leurscollègues généralistes permettant d’atteindre cetobjectif de responsabilisation.

Le déséquilibre entre la dimension biologiqueet la dimension psychosociale de la formationreprésente un autre danger : nous ne devons pasformer des psychologues ou des travailleurssociaux, ni des médecins internistes ; notremission est de former des médecins généralisteshabiles à reconnaître l’importance desdimensions bio-psychosociales des problèmesde santé et de leur apprendre à intervenirefficacement sur le plan médical.

Finalement, le milieu de formation doit tendreà reproduire la réalité des centres de soins depremière ligne afin d’éviter aux résidents desdésillusions trop grandes au moment où ilsdébuteront véritablement leur vie profes-sionnelle5, 39.

L’évaluation

L’évaluation est au centre de toute activitéd’enseignement et ne doit pas uniquementsurvenir à son terme2, 29, 40, 41.

● Evaluation des stagiaires en médecinegénérale2, 40

Nous pouvons distinguer trois typesd’évaluation des étudiants. L’évaluationformative permet à l’enseignant d’apprécier lesacquis et les lacunes d’un étudiant au fil desactivités quotidiennes, de lui offrir un« feedback » immédiat, de déterminer avec luides objectifs pédagogiques spécifiques et des

moyens pour les atteindre. L’évaluation desynthèse mesure périodiquement la perfor-mance de chaque étudiant dans l’atteinte desobjectifs du programme, en bref ses forces etses faiblesses ; les recommandations qui endécoulent doivent être discutées avec l’étudiant.L’évaluation sanctionnelle assure que le résidenta atteint les objectifs pédagogiques et qu’ilpossède les connaissances, les habiletés et lesattitudes nécessaires en vue d’exercer lamédecine générale. Au Canada, l’examensanctionnel comprend un examen à choixmultiple ; l’observation directe du résident avecdes patients simulés ; un examen cliniqueobjectif structuré (ECOS) au cours duquel lerésident est exposé à différentes situationscliniques. Des médecins généralistes enexercice participent à la préparation et à laréalisation de cet examen sanctionnel,permettant à l’outil d’évaluation de demeurerpertinent aux réalités de la pratique.

La participation de l’étudiant au processusd’évaluation lui permet d’assumer pleinementla responsabilité de sa formation et dedévelopper des attitudes d’auto-évaluation quilui seront utiles dans sa pratique.

● Evaluation des enseignants

Le département de médecine générale et lesenseignants de cette discipline doivent se doterdes méthodes et des outils nécessaires pourévaluer la compétence pédagogique desenseignants et identifier les correctifs à apporter.L’évaluation par les résidents est unecomposante nécessaire de cette démarche.

● Evaluation du programme et des centresd’enseignement40, 41

Le département de médecine générale doit sedoter de mécanismes internes permettant qu’ilne soit pas lui-même soustrait à une évaluation.Celle-ci portera sur la gestion départementale,le curriculum, les activités d’apprentissage,académiques et autres, l’équipe d’enseignants,les caractéristiques des milieux d’enseignement,la performance des étudiants et leur degré desatisfaction. Cette préoccupation de la qualitéde l’enseignement doit être constante et fairel’objet d’un consensus de la part de la faculté,des centres d’enseignement, des enseignants et

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La formation en soins de santé primaires : une perspective internationale

des étudiants.

Une évaluation externe permettra de comparerla qualité de l’enseignement du programmed’une université à une autre. Au Québec,l’agrément des programmes est faitconjointement par le Collège des médecins defamille du Canada et le Collège des médecinsdu Québec, une fois tous les cinq ans. Il s’agit

● Evaluation du produit : le médecingénéraliste

Quel est le comportement professionnel desmédecins généralistes que nous avons formés ?Dans leur pratique, respectent-ils les principesde la médecine générale que nous leur avonsenseignés ? Comment s’intègrent-ils dans leréseau des soins de santé primaires et dans lesystème de santé ? Quels problèmesd’adaptation vivent-ils en début de pratique ?

L’évaluation des résidents permet de nousassurer de la qualité du résident en fonction desobjectifs pédagogiques. L’évaluation desenseignants, du programme et des centresd’enseignement nous renseigne sur lesstructures et le processus d’enseignement. Uneévaluation complète doit vérifier si le produitrépond aux attentes du système de santé et dela population. A notre connaissance, hormis lesétudes sur les besoins de formation continuedes médecins4, il y a peu de travaux dans cedomaine.

● La recherche13, 29

La recherche est essentielle à la reconnaissancede la médecine générale comme disciplinemédicale. Elle contribue à délimiter le champet les caractéristiques de cette pratique. Ellepermet également de réfléchir sur la médecinegénérale et participe ainsi à son développementet à son excellence. Le départementuniversitaire de médecine générale et sesenseignants ont un rôle majeur à assumer dansce domaine.

Sur le plan clinique, les médecins généralistesdoivent étudier leur clientèle, les conditionspathologiques qu’ils observent, les outilsdiagnostiques et thérapeutiques qu’ils utilisent,les structures de soins dans lesquels ils exercent,les liens de collaboration à tous les niveaux desoins avec les autres professionnels de la santé,incluant les médecins spécialistes ; ils doivents’interroger sur leurs modes de pratique et leursmodes d’organisation.

L’enseignement de la médecine générale doitfaire l’objet de recherches sur différents sujets,notamment les modes d’apprentissage,l’évaluation des méthodes et des outils

d’une évaluation formative et sanctionnelle : lerapport fourni par les évaluateurs indique lespoints forts et les points faibles du programmeet de chacun des centres d’enseignement, demême que les correctifs à apporter ; le rapportrecommande, selon le cas, un agrémentcomplet, provisoire, probatoire ou le retrait del’agrément du programme dans une universitéou dans un centre donné.

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TOUT DANS LA TETE

pédagogiques utilisés, la pertinence descontenus du programme de formation, l’étudedes milieux de stage.

La formation continue

Les transformations des systèmes de santé etles innovations technologiques etthérapeutiques obligent les médecinsgénéralistes à assumer davantage deresponsabilités et à élargir la gamme de leursactivités cliniques.Qu’il nous suffise de réaffirmer ici l’importanced’une formation continue par et pour desmédecins généralistes et la nécessité de fixerdes normes rigoureuses de qualité.

Conclusion

Le médecin généraliste a souvent travaillé dansl’ombre des spécialistes durant le vingtièmesiècle. L’importance accordée aux soins desanté primaires le projette actuellement enpleine lumière : il devient le pivot autour duquels’articulent les autres ressources de santé, legestionnaire des soins, la porte d’entrée dusystème de santé.

Il ne doit pas oublier qu’il est le conseillermédical de premier recours, celui auquel onconfie ses inquiétudes et ses souffrances, celuiqui distingue la maladie de la santé, celui quiaccompagne tout au long de la vie. A ce titre, ilest au service de ses patients et de sacommunauté. C’est ce médecin généraliste quenous devons former, de concert avecl’université et le système de santé. ●

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54 Santé conjuguée - avril 2000 - n ° 12

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La formation en soins de santé primaires : une perspective internationale

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TOUT DANS LA TETE

Comment les médecins diplômés jugent-ils leurformation une fois engagés dans la pratique ?Résultats de l’enquête menée auprès des diplômés des promotions1985 et 1989, dans le cadre de l’audit de l’école de médecine

Méthodologie

● Objectifs du travail

L’objectif de l’enquête était de recueillir l’avisde médecins praticiens sur l’adéquation de laformation reçue par rapport à leur pratique.

Nous souhaitons essentiellement appréhenderquelles étaient les difficultés rencontrées et lesaspects de formation jugés insuffisants.

● Collecte des données

Les promotions 1985 et 1989 ont été choisiescomme sources d’informations. Le choix de cesdeux promotions est basé sur les raisonssuivantes : la nécessité d’obtenir un nombresuffisant de réponses et la nécessité, pour lesrépondants, d’avoir une pratiqueprofessionnelle leur permettant de juger leursétudes, sans en être trop éloignés.

VéroniqueRombouts-

Godin, unité depédagogiemédicale,université

catholique deLouvain et LéonCassiers, ancien

doyen de lafaculté de

médecine del’université

catholique deLouvain.

Tableau I : Nombre et ventilation des réponses obtenues

1985 1989 Total

Nombre de promus 357 195 552

Adresses disponibles 311 193 504

Retours adresse erronée 6 11 17

Répondants au prétest 12 8 20

Nombre effectif dequestionnaires envoyés 293 174 467

Nombre de réponses 138 91 229(47%) (52,3%) (49%)

Médecins généralistes : 73 31 104(52,9%) (34%) (45,4%)

Médecins spécialistes : 31 53 114(44,2%) (58,2%) (49,8%)

Autres : 4 7 11(2,9%) (7,7%) (4,8%)

Les années 1992 et 1993 ont vu se déroulerl’audit de notre faculté et, plusspécifiquement, de son programme deformation des médecins.

Cet audit s’est déroulé selon le modèle del’accréditation des facultés de médecinenord-américaines ; se sont ainsi succédées,une phase d’« auto-analyse, institu-tionnelle », à laquelle ont participé laplupart des enseignants du programme, etune phase d’audit extérieur.La procédure d’accréditation des facultésnord-américaines prévoit la participationdes étudiants du programme et ce, d’unemanière rigoureusement indépendante dutravail d’auto-analyse mené au sein del’institution. Elle ne prévoit pasl’intervention de médecins diplômés de lafaculté évaluée. Et pourtant, ceux-ci ont puconfronter la formation reçue à la pratiqueprofessionnelle.

Considérant dès lors qu’ils étaient desinterlocuteurs privilégiés, nous avons,parallèlement au travail d’évaluationsuivant la procédure nord-américaine,réalisé une enquête par questionnaireauprès de médecins diplômés de notrefaculté.

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

Un questionnaire a été construit. Vingtmédecins des promotions retenues ont testé lequestionnaire, ainsi que l’équipe du Centreuniversitaire de médecine générale (CUMG).

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Un questionnaire définitif a ensuite été élaboré.Les promotions 1985 et 1989 totalisaient 552diplômés. Nous avons pu retrouver l’adressede 504 d’entre eux. La soustraction des « retourspour adresse erronée » ainsi que des répondantsau test préliminaire porte à 467 le nombre dequestionnaires qui ont effectivement étéenvoyés (cfr tableau I). Un premier envoi a étésuivi de 151 réponses.

Un envoi de rappel a permis d’obtenir 78réponses supplémentaires. Le nombre total deréponses obtenues est donc de 229, soit uneparticipation de 49 % (229/467).

● Analyse des données

L’analyse des réponses se heurtait d’emblée àla diversité des formations complémentaires etdes pratiques professionnelles.Nous avons choisi de regrouper lesquestionnaires selon la (les) formation(s)suivie(s) après l’obtention du diplôme. Troiscatégories ont été ainsi définies :

1. la catégorie «médecins généralistes »regroupe les personnes ayant suivi laformation spécifique en médecine généraleet éventuellement une licence complé-mentaire (médecine scolaire, médecine dutravail, ...). Cette catégorie regroupe, surles deux promotions interrogées, 104médecins (45,4 %) ;

2. la catégorie «médecins spécialistes » regroupe les personnes ayant au moins uneformation de licence spéciale menant à laspécialisation, ou étant en cours d’une telleformation (promotion 1989). Cettecatégorie regroupe 114 médecins (49,8 %) ;

3. la catégorie «autre » regroupe lespersonnes n’ayant suivi aucune des deuxformations précédentes, même si elles ontsuivi une licence complémentaire. Cegroupe réunit 11 médecins. Il n’a pas ététenu compte de réponses fournies par cettecatégorie vu son faible effectif.

Remarquons que, dans notre échantillon, et, àune exception près, cette répartition en fonctionde la formation correspond également à larépartition en fonction du type de pratique : eneffet, tous les médecins ayant une formation enmédecine générale ont gardé une pratique demédecine générale ; la même chose se vérifiepour les spécialistes.

L’activité professionnelle de lapopulation interrogée

A titre d’introduction, nous avons tout d’abordtenté de dégager le « profil professionnel » dela population interrogée.

Pour ce faire, le questionnaire leur présentaitune liste de neuf fonctions, en leur demandantde les hiérarchiser selon la place qu’ellesoccupent dans leur pratique quotidienne.

Nous avons appelé « principales » fonctions,celles habituellement citées en position 1, 2 ou3. Dans cette optique, il apparaît que la pratiquedes médecins de notre échantillon se composeessentiellement des quatre fonctions suivantes :

1. prestation de soins curatifs ;2. accompagnement psychologique ;3. prestation de soins préventifs ;4. amélioration continue de ses

compétences.

Comme il fallait s’y attendre, la prestation desoins curatifs constitue l’essentiel de l’activitédes médecins interrogés, qu’ils soientgénéralistes ou spécialistes.

Fonction MG MS χ2

Prestation de soinscuratifs 91% 92,70% NS

Accompagnementpsychologique 83,2% 50,90% p < 0.005

Prestation de soinspréventifs 68,3% 32,4% p < 0.001

Amélioration continue 23,8% 55,85% p < 0.005des compétences

Fréquence cumulée (en %) des citations en 1ère, 2ème ou 3ème place, dansl’ensemble de la population, chez les médecins généralistes (MG), etchez les spécialistes (MS).(Le pourcentage a été calculé sur base du nombre de répondants à laquestion : il faut donc dire que la prestation de soins curatifs occupe lapremière, deuxième ou troisième place de la pratique chez 191 des 211répondants).

Comment les médecins diplômés jugent-ils leur formationune fois engagés dans la pratique ?

Tableau II

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TOUT DANS LA TETE

Dans notre échantillon, l’accompagnementpsychologique et la prestation de soinspréventifs occupent une place plus importantedans la pratique des médecins généralistes quedans celle des médecins spécialistes (p < 0,005 ;p < 0,001).Par contre, l’amélioration continue de sescompétences (lecture, formation continuée, ...)se voit accorder une place plus importante parles spécialistes et les assistants spécialistes encours de formation.

Résultats : évaluation, par lapopulation interrogée, de laformation reçue

● Méthode

Le questionnaire proposait une évaluation dela formation reçue selon plusieurs démarches :

• une appréciation quantifiée de l’adéquationde la formation aux différentes fonctionsprofessionnelles exercées ;

• une appréciation plus qualitative de cetteadéquation, proposée en partie selon desquestions ouvertes à réponses libres ;

• et enfin, au terme du questionnaire, uneappréciation globale de la formation reçue,selon l’une des quatre catégories « très bon,bon, faible, très faible ».

Comme il fallait s’y attendre, certainesdivergences sont apparues entre ces troisdémarches d’évaluation. Pour plus de clarté,nous les présenterons ici dans un ordre différentde leur apparition dans le questionnaire, enanalysant d’abord l’appréciation globale de laformation reçue.

● L’appréciation globale de l’adéquation dela formation a la pratique

A l’examen du tableau III, nous pouvonsremarquer que :

1. 90 % des réponses se situent dans lescatégories « bon » et « faible », les catégoriesextrêmes étant délaissées. Les médecins ontdonc voulu répondre avec nuances !Cette situation était prévisible : en effet, la

question relative à l’appréciation globale de laformation était présentée en fin dequestionnaire, donc, après que les répondantsaient eu l’occasion de formuler leurs critiquesou insatisfactions vis-à-vis de la formationreçue. Cette question leur a dès lors permis soitde confirmer l’impact des critiques émises surl’adéquation de la formation, soit, aucontraire,... d’en atténuer l’importance.

2. La grande majorité (76,6 %) des répondantsa une opinion positive de la formation reçue,même s’ils la considèrent comme réellementperfectible. Cette première conclusion semaintient d’autant plus que 23,2 % desrépondants marquent un avis plutôt négatif surla formation reçue.Les questions plus détaillées permettent decerner les domaines pour lesquels ils jugent quela formation doit être améliorée, ce que nousenvisageons ci-dessous.

● Les difficultés rencontrées dans lapratique

1. Approche quantitative

Le tableau IV présente le pourcentage derépondants déclarant éprouver des difficultésdans l’exercice des principales fonctions de lapratique définies plus haut.

L’importance du « score » réalisé par laprestation de soins curatifs mérite que l’on s’yattarde : en effet, 68,5 % des médecins quirapportent cette fonction comme une desactivités importantes de leur pratique (rang 1 à3 ; cfr tableau II) signalent rencontrer desdifficultés dans son exercice. Ce sont surtoutles médecins généralistes qui s’en plaignent.

Cinquante-sept et demi pour-cent (57,5 %) desrépondants affirment rencontrer des difficultés

Médecins Médecins Populationgénéralistes spécialistes totale

(n = 96) (n = 114) (n = 210)

Très Bon 3 10,5% 7,1%

Bon 64,6% 73,7% 69,5%

Faible 27,1% 14,9% 20,4%

Très faible 5,2% 0,9% 2,8%

Tableau III

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dans l’accompagnement psychologique despatients. La différence observée entregénéralistes et spécialistes doit cependant êtrenuancée du fait de la moindre importanceaccordée à l’exercice de cette fonction dans lapratique spécialisée.

A un degré moindre, mais très importantcependant, on voit que les médecins estimentavoir été insuffisamment formés à la préventionet à la formation continue.

Pour mieux comprendre la signification de ceschiffres, il nous faut nous pencher sur lesréponses qualitatives.

2. Approche qualitative

Ce paragraphe explicite les principalesdifficultés évoquées par les répondants. Ilintègre les remarques et réponses obtenues àdivers endroits du questionnaire. Certainesémanent de questions à réponse ouverte : lenombre de répondants ayant spontanémentformulé la remarque est repris entreparenthèses. D’autres ont été recueillies dansle cadre des questions « fermées » : le nombrede répondants ayant marqué leur accord avecl’affirmation proposée est exprimé en % dunombre total de répondants à la question.

◆ Les difficultés rencontrées dans laprestation de soins curatifsQue faire, concrètement au chevet du malade ?Ce problème est spontanément évoqué par 83personnes, qui disent rencontrer des difficultéstantôt dans la démarche diagnostique tantôtdans l’attitude thérapeutique :

• Bon nombre de médecins déplorent avoir reçuune formation trop axée sur les pathologiesrares, les « éléphants blancs » (sic), au détriment

des pathologies les plus fréquentes. Ils disentéprouver des difficultés lorsqu’il s’agitd’évoquer, au lit du malade, sur base des seulsanamnèse et examen clinique, le (les)diagnostic(s) prioritaire(s) qui s’imposent et quiconditionneront leur première approchethérapeutique.C’est bel et bien l’évocation des diagnostics àposer en priorité qui pose problème, l’immensemajorité des répondants se sentant capables defaire un « bon » examen clinique.A plusieurs reprises, ils rappellent que lalimitation des moyens de diagnostic techniqueinhérente à une pratique non-hospitalièreimpose une bonne connaissance des diagnosticsà évoquer en première intention ;

• Nonobstant le fait que 75 % (148/200) desrépondants s’estiment capables de « choisirjudicieusement la thérapeutique à proposer »,il faut quand même reprendre ici la difficultéde la prescription thérapeutique au quotidien,spontanément évoquée par 27 médecins :« quelle spécialité pharmaceutique choisir ? »,« quelle dose prescrire, à quel rythme et pendantcombien de temps ? » sont des questionsrégulièrement soulevées ;

• Des difficultés dans la prestation d’actestechniques, qu’ils soient à visée de diagnostic,de traitement ou de prévention sont évoquéespar près de 50 % des répondants.

◆ L’accompagnement psychologique despatientsLe problème est évoqué par 32 % desrépondants.Établir une « bonne » relation avec le patient,adopter une attitude adéquate dans diversescirconstances, sont deux difficultés régulière-ment exprimées par les médecins, à nouveauplus souvent généralistes.

Fonction Total MG MG χ2

◆ Prestation de soins curatifs 68,5% 82,6% 55% p < 0.025

◆ Accompagnement psychologique 57,5% 64,6% 46,3% p < 0.10

◆ Prestation de soins préventifs 49,4% 52,6% 43,3% NS

◆ Amélioration continue des compétences 42,8% 41,6% 43,5% NS

Tableau IV : Approche quantitative des difficultés rencontrées dans l’exercice des principales fonctions de la pratique.Pourcentage de répondants déclarant éprouver des difficultés.

Comment les médecins diplômés jugent-ils leur formationune fois engagés dans la pratique ?

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TOUT DANS LA TETE

◆ La prestation de « soins » préventifsLe thème est peu évoqué (rappelons, que pour50,6 % des répondants, cette activité ne semblepas poser de problèmes).Sont surtout soulignées des difficultés dans laprestation d’actes techniques à visée préventive(frottis de dépistage du cancer du col).

◆ L’amélioration continue de sescompétencesRappelons que, ici aussi, « seulement » 42,8 %des individus se jugent mal outillés pour laformation continue ; relevons des difficultésdans l’approche critique de la littérature, ycompris dans la compréhension des donnéesstatistiques.

◆ D’une manière générale, l’appréhensiondu contexte médico-légal et du contexteéconomique de la pratique médicale est àl’origine de beaucoup d’interrogations.

La méconnaissance du mode de fonctionnementde la sécurité sociale et de la législation enmatière d’accident du travail et de réparationdu dommage corporel est spontanémentévoquée par 57 personnes.

La nécessité d’une meilleure connaissance ducoût des soins pour son intégration dans leschoix thérapeutiques est massivement soulignée(69,2 % des répondants).

● Les enseignements jugés insuffisants

Ce sont surtout les stages de troisième etquatrième doctorat qui ont été évoqués : unemeilleure définition du rôle et de la place dustagiaire, une introduction plus précoce dansla formation ainsi qu’une diversification plusgrande vers les « petites » spécialités sont lesprincipales revendications à leur égard.

Discussion

La démarche d’évaluation des programmes deformation médicale est loin d’être nouvelle :ainsi, depuis près de quarante ans, les États-Unis et le Canada ont mis sur pied un processusd’évaluation régulière des programmes

conduisant au doctorat en médecine :l’accréditation ou l’agrément des facultés.

La philosophie de ce processus est de garantirla qualité des programmes agréés ; ainsi, leprocessus d’agrément est conçu « de façon àdéterminer le rendement et à garantir lemaintien de normes minimales de formationdans une région déterminée, servant ainsidirectement les intérêts du public en général etdes étudiants inscrits à ces programmes »1.

L’agrément concerne donc le programme deformation : ses objectifs, son contenu, sesméthodes pédagogiques et ses ressources, tanthumaines que matérielles, sont analysés etjugés.

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Les taches d’analyse et de jugement sont dansun premier temps confiées aux enseignants etresponsables du programme ainsi, qu’auxétudiants (phase d’auto-analyse).Ultérieurement, un comité d’experts habilitésà cette tache sera chargé de vérifier laconformité du programme aux normesminimales établies1, 2.

Le processus d’agrément n’évalue donc pas laqualité du produit issu du programme deformation ; de même, il n’utilise pas lesdiplômés du programme comme sourcesd’information pour l’évaluation.

Nous jugions cependant que ces derniers étaientdes interlocuteurs intéressants, notammentlorsqu’il s’agissait d’appréhender la pertinencedu programme à la lumière des réalitésprofessionnelles.

D’autres que nous ont eu recours à cettedémarche3, 4.

Le King’s College School of medicine anddentistry de Londres a d’emblée utilisé lesinformations venant de ses diplômés pour unerévision en profondeur de son curriculum3.

L’analyse des réponses de nos diplômés nouspousse aux réflexions suivantes : il nous sembleque bon nombre des difficultés évoquéestrouvent leur origine dans certainescaractéristiques de notre curriculum, et dans lemodèle médical de la santé qui y est sous-jacent : la maladie y est conçue principalementcomme un problème organique affectant unindividu, qui doit être diagnostiqué et traité, pardes médecins, dans un système de santé centréautour d’une organisation dirigée par desmédecins, l’hôpital, et dans lequel tous lesefforts doivent être orientés vers les aspectscuratifs7. Un tel modèle a permis l’explosiondes connaissances et clés technologiesbiomédicales observées ces trente dernièresannées ; il a inspiré un système de formationfondé sur les sciences biologiques, faisant appelen priorité à des enseignants à compétencescientifique pointue et excelle(a)nt dans laformation de spécialistes hautement qualifiéssur le plan technologique7. Notre curriculumn’est bien évidemment pas le seul à s’inspirerd’un tel modèle et nous avons là probablement

un des éléments pouvant expliquer la troublantesimilitude des lacunes évoquées par lesmédecins qu’ils soient diplômés de l’universitécatholique de Louvain ou diplômés du King’sCollege de Londres.

Que pouvons-nous constater en nous penchantsur notre curriculum ?

Si, en accord avec Rougemont9, nous décrivonsla formation et la pratique médicale commeprocédant de trois grandes dimensions, lessciences fondamentales, les sciences cliniqueset les sciences relatives aux aspectspsychosociaux, préventifs et communautaires,il apparaît d’emblée que notre formationprivilégie nettement les deux premiers aspects.

S’il faut reconnaître qu’il est beaucoup plusdifficile de faire acquérir des capacités auxrelations humaines que d’envisager des sciencesobjectives, il est vrai également que les plaintesqui s’expriment quant au manque depsychologie des médecins évoluentparallèlement à l’accroissement de leurcompétence scientifique. La logiquescientifique objective se heurte de plein fouet àla logique subjective de tout être humain,plongeant le praticien au cœur de lacontradiction8. Un fameux défi pour lapédagogie médicale.

Tout au long de ses études, le candidat médecinest en contact quasi exclusivement avec lamédecine hospitalo-universitaire et le patienthospitalisé et ce, sous la tutelle de praticienshyperspécialisés. S’en trouvent ainsiconditionnés le type de problèmes rencontrés(il rencontre des pathologies plutôt que desproblèmes), l’accessibilité à la technologiediagnostique, la nature de la relation quis’établit, la prise en charge thérapeutique.

En outre, la médecine universitaire se révèlesouvent être le dernier recours du médecin, faceà l’échec diagnostique ou thérapeutique ; ceci,grâce au fait qu’elle envisage successivementles différentes hypothèses de diagnostic, quelleles documente grâce à la technologie qui y estdisponible pour finalement arriver, dans lagrande majorité des cas à l’affirmation dudiagnostic. Ainsi, tant la médecine universitaireque la formation des médecins qui s’en inspire,

Comment les médecins diplômés jugent-ils leur formationune fois engagés dans la pratique ?

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TOUT DANS LA TETE

laissent peu de place à la problématique del’incertitude et de sa gestion. C’est pourtant biencela que révèle le discours des médecinsinterrogés : le généraliste se sent visiblementmal à l’aise au moment de prendre une décisionqu’il s’agisse de l’affirmation d’une hypothèsediagnostique ou d’un choix thérapeutique, dansun contexte de probabilité plutôt que decertitude.

Si la démarche de la médecine universitaire a,pour le futur médecin, une valeur exemplativequ’il n’est pas question de mettre en doute, onpeut cependant s’interroger sur la relation ausavoir que véhicule la formation des médecins,non seulement de par son contenu, mais surtoutde par les méthodes pédagogiques qu’elleprivilégie : si le cours magistral permetaisément la transmission des « acquis » de lascience, il permet plus difficilement de fairepercevoir à l’étudiant la dynamique d’évolutiondes connaissances, avec ce qu’elle implique deremise en question et d’incertitude.Cette situation d’enseignement, essentiellementcentré sur l’hôpital, ne favorise pas non plus laprise en considération des aspects contextuelsde la médecine (c’est-à-dire psychosociaux,économiques voire éthiques) qui serontcependant le lot du praticien privé del’environnement sécurisant de l’hôpital9. Onpeut trouver là des justifications à la nécessitéde diversifier les situations et les lieuxd’apprentissage, nécessité qui a déjà étésoulignée par d’autres5,6. En particulier, il estrecommandé de développer, dans la formationmédicale, un enseignement centré sur lacommunauté5,10 : l’approche du patient, dansson environnement familial et social permet àl’étudiant d’accéder à une meilleurecompréhension des répercussions de la maladiesur tous les aspects de la vie quotidienne ; ellelui permet également d’appréhender les aspectscontextuels de la médecine dont il a été questionplus haut11.

Synthèse et conclusions

L’objectif de la démarche d’audit n’était pasde constater mais de contribuer à l’améliorationde la formation des médecins formés parl’université catholique de Louvain. Il nous faut

cependant d’abord redire que la majorité de nosdiplômés s’avèrent satisfaits de la formationreçue (cfr page 57) même s’ils la considèrentcomme perfectible.

Plusieurs arguments nous autorisent à penserque bon nombre de critiques qui nous sontadressées ne sont pas spécifiques à notrefaculté ; simplement, celle-ci, en entamant unedémarche d’audit, leur a permis d’apparaître augrand jour.

La préoccupation de toujours améliorer laqualité de la formation proposée par la facultéde médecine doit rester présente. C’estpourquoi, la réforme qui suivra cette évaluationse doit d’être attentive aux difficultés soulevéespar nos diplômés.

Il faudra renforcer la présentation despathologies fréquentes et l’exercice dediagnostic intégrant les probabilitésd’apparition des maladies. Il serait cependantfaux de croire que ceci suffirait à remédier auxdifficultés rencontrées dans la prestation desoins curatifs par les généralistes :l’apprentissage de la gestion de l’incertitude estun problème beaucoup plus complexe. A cetégard, le développement de situationsd’apprentissage actif, confrontant l’étudiantavec la dynamique de construction du savoir,représenterait un progrès incontestable.

La formation pratique du futur médecin doit êtrerevue. C’est au cours des stages que l’étudiantperçoit la dimension pratique des connaissancesacquises. Ces stages devraient être l’occasion,pour l’étudiant, grâce au « compagnonnage »avec le maître de stages et par identification àcelui-ci, de s’initier et s’exercer à la relationmédecin-malade. A ce sujet, il est impératifégalement que les études de médecine laissentà l’étudiant du temps pour s’éprouver dans larelation humaine avant d’aborder la relation aumalade.

Il faut développer un apprentissage structuré desactes techniques. Il ressort ainsi qu’il estnécessaire de diversifier les situations et lesmodalités d’apprentissage de la pratique, detelle sorte qu’elles soient performantes parrapport à l’objectif poursuivi, acceptables pourle patient, l’étudiant et le maître de stages.

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C A H I E R

L’introduction dans la formation d’uneapproche du patient dans son environnementfamilial et social est également indispensablepour une bonne compréhension desrépercussions de la maladie sur tous les aspectsde la vie quotidienne. L’efficacité del’intervention médicale en dépend.

Comment les médecins diplômés jugent-ils leur formationune fois engagés dans la pratique ?

Bibliographie

1. Liaison Committee On Medical Education,Comité d’agrément des facultés de médecine duCanada, Fonctions et structures d’une faculté demédecine : normes d’agrément des programmesd’éducation médicale conduisant au doctorat enmédecine.

2. Mathieu J., L’évaluation des facultés de médecine,communication dans le cadre des IXème journéesfrancophones de pédagogie médicale, UCL, 31 mai1991.

3. Clack G.B., Evaluation, a tool to stimulatechange, communication au congrès de l’AMEE,Athènes, 4 au 7 septembre 1994.

4. Aitkaci M., D’Ivernois J.F., Brun D., Étude dudevenir de trois promotions d’étudiants en médecinede l’UFR de Bobigny ; leurs opinions sur laformation reçue, Bobigny, département de pédagogiedes sciences de la santé, 1992.

5. Association of American Medical College,Physicians for the Twenty-First Century, The GPEPreport (Report on the Panel on the GeneralProfessional Education of the Physician and CollegePreparation for Medecine).

6. Martin J., Pour la santé publique, éd. Réalitéssociales, Lausanne, 1987.

7. Bury. J., Éducation pour la santé : concepts,enjeux, planifications, édit. De Boeck, collectionSavoir Santé, 1988.

8. Cassiers L., « La Faculte de médecine évalue sonenseignement » in Louvain, septembre 1994 n°51,p. 45-48.

9. Rougemont A., Allaz A.F., « La dimensioncontextuelle dans la formation des médecins :éléments pour un programme », Med Hyg n°52 : p.271-277, 1994.

10. General Medical Council, Undergraduatemedical éducation. The need for change, London,GMC, 1991.

11. Lowry S., « Medical éducation », BMJPublishing Group, 1993.

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TOUT DANS LA TETE

La formation des médecins, vue intérieure

Extraits dudiscours de lapromotion des

médecins del’université

catholique deLouvain

prononcé lesamedi 26 juin

1999 par lesdocteurs

SebastianSpencer, David

Derouck etElisabeth Pête au

nom desmédecins de leur

promotion.

Le choix desextraits et les

intertitres sont dela rédaction de

Santé conjuguée.

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

* cfr. l’article deVéronique

Rombouts et LéonCassiers ci-avant.

Audit et réforme

Il y a six ans, le doyen avait commandé un auditde la faculté de médecine. (...) Le rapport decet audit fut accablant à bien des points de vue*.(...)Quelles étaient, en substance, les conclusionsdes auditeurs : « Diminuer la charge horaire,tout en faisant la part la plus belle aux scienceshumaines, inciter à l’auto-apprentissage enoffrant un enseignement flexible et assurer unemeilleure intégration de l’enseignementpratique dans l’enseignement théorique ».

La réforme a permis de réorganiserl’enseignement en, de mieux articuler lesdifférentes matières. Elle a aussi augmentéconsidérablement la durée des stages en premieret second doctorat. Et c’est un point très positif.

Mais a-t-elle réussi à diminuer le nombred’heures de cours ex cathedra, a-t-ellevéritablement favorisé l’auto-apprentissage, a-t-elle soutenu l’essor des sciences humaines ?Je ne le pense pas. Il y a bien eu la créationd’après-midi libres en premier et seconddoctorat. Mais à quel prix ! Notre premierquadrimestre de stage a été remplacé par de lathéorie, et nous ne l’avons que partiellementrécupéré. Aux dernières nouvelles, cequadrimestre de cours va encore s’alourdir. Uneexplication possible est que les instances decette faculté sont majoritairement aux mains despécialistes et de chercheurs, chacun estimantessentiel qu’on lui laisse ses « quelquesmalheureuses heures ». (...)

La révélation de l’humain

... permettez-moi de rapporter ce que nousécrivait une étudiante dans le cadre de lapréparation de ce discours : « Aujourd’hui, nousavons parfois le sentiment que plus latechnologie médicale se fait précise et efficace,plus la médecine perd de sa dimension humaine.Au nom de la science, la médecine tend àexclure la subjectivité. L’enseignement a peufait référence à cette dimension de la médecine.Et lors de nos stages, nous avons pu constaterque nos aînés ne sont pas tous des exemples àcet égard ». Ces quelques lignes reflètent biennotre sentiment à tous. Ce ne sont pas lescliniques intégrées, séances où sont présents lepatient, son médecin traitant, le médecinspécialiste et éventuellement un psychiatre ouun psychologue, qui à elles seules pallieront cemanque. C’est au travers de tous les cours quedevrait percer cette évidence d’une dimensionhumaine.

En milieu hospitalier, la révélation de cettedimension dans la relation médecin-maladen’est pas du tout spontanée. Le patient est là,devant nous, en pyjama, être anonyme dans unechambre comme toutes les autres, sapersonnalité s’effaçant derrière sa maladie etsous le poids de cet univers aseptisé. Deux choixse présentent alors au médecin : soit profiter decette soumission pour se faciliter la tâche, soitfaire le pas de créer un dialogue avec le patient,sans se contenter de poser un diagnostic et de

Le discours de promotion 1999 desmédecins de l’université catholique deLouvain n’est pas passé inaperçu. Au-delàdu ton acerbe, leur critique des annéespassées à la faculté est plus qu’unrèglement de compte. Elle manifeste uneconscience aiguë des travers del’enseignement qu’ils viennent de recevoiret des difficultés auxquelles ces carencesles exposeront lors de leur pratique. Santéconjuguée vous invite à prendreconnaissance des passages les plussignificatifs de ce discours. Bien que nousne soyons pas toujours en accord avec cequi y est énoncé, nous éviterons de lecommenter : il s’agit d’un témoignage« interne » à porter au dossier en tant quetel.

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C A H I E R

La formation des médecins, vue intérieure

traiter une maladie, mais en s’engageant auxcôtés du patient sur le chemin de lacompréhension de la maladie, où chaque actediagnostique ou thérapeutique sera l’objet d’unéchange, d’une négociation bienveillante,rendant par la même occasion sa dignité aupatient.Trop de médecins choisissent encore la facilité.A leur décharge, ce triste choix est souventimposé par des contraintes de temps. Il estévident que nos études ne rencontrent pas cettenécessité de nous préparer à une profession oùla qualité de la relation humaine conditionne laqualité des soins que nous prodiguerons. Durantnotre périple, nous avons aussi rencontré, mêmesi ce fut trop rare, des guides qui nous ontaccompagnés sur la voie de la rencontre del’autre et de l’empathie.

L’apprentissage

Un des objectifs premiers de l’université estcertainement de stimuler cette obligation detoujours maintenir nos connaissances à jourdurant notre carrière. L’auto-apprentissage estla capacité à assimiler la matière par soi-mêmeet à trouver les références adéquates, voire à sedifférencier par un intérêt spécifique pourcertaines matières et un approfondissement de

celles-ci, éventuellement par des cours à option.A ce titre, la libération de plages horaires estindispensable, mais votre travail, en tant queprofesseurs, est de nous encourager à le faire.Vous pouvez là aussi nous servir de guides, noustransmettre la motivation qui vous a faitprogresser, la passion qui a animé vos travauxde recherche ou nous montrer via votreexpérience combien cette démarche estfondamentale dans la prise en charge despatients. (...)

Si nous avons des critiques à émettre, nousavons aussi noté certaines initiatives qui nouspermettent de croire que la pédagogie n’est passi figée que cela. Le statut d’étudiant-chercheuroffre la possibilité à tous les étudiants qui lesouhaitent de rentrer au cœur d’uneproblématique en recherche fondamentale ouclinique. Ce statut a été valorisé ces dernièresannées, il représente une modalité d’enseigne-ment dynamique où le travail de l’étudiants’associe à celui d’une équipe de chercheurs.La diminution de la charge des heuresthéoriques ne peut qu’encourager les étudiantsà profiter de cette opportunité où la créativitéet l’esprit d’initiative peuvent s’exprimer.

Le tutorat a également retenu notre attention.(...) Il s’agit d’une séance hebdomadaire entreun médecin et deux étudiants, pendant unquadrimestre. L’objectif est de faire découvrirà un binôme d’étudiants, de manièrepersonnalisée, la réalité quotidienne d’unepratique hospitalière. Une large majorité d’entrenous a été positivement impressionnée parl’investissement de leur tuteur. L’insatisfactionavait pour principale origine uneincompréhension de la part de certains tuteursdes objectifs de cette approche, soit qu’ilsconfiaient à leurs pupilles des travaux enbibliothèque sans prendre le temps de discuterdes résultats, soit qu’ils les mettaient ensituation d’observateurs lors d’activitésnormales du service ou encore que certains

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TOUT DANS LA TETE

tuteurs mettaient en commun leurs pupilles etoù on perdait donc l’avantage d’un échangepersonnalisé. Moyennant ces quelquesproblèmes, l’impression générale était trèsbonne. (...)

La compétition, cher confrère !

Peut-être que nous sommes trop nombreux ! Leproblème du nombre d’étudiants au moins a-t-il une solution : le numerus clausus. (...) Il afallu dépenser énormément d’énergie pour tenirun pari impossible : « Sélectionner en troiscandidatures ceux qui deviendront les meilleursmédecins ». Le concept nous donne froid dansle dos. On pourrait imaginer un discours enpremier doctorat comme à l’École royalemilitaire : « Vous êtes les meilleurs, l’élite del’élite, …». Ce n’est pas très enthousiasmant,du moins à l’université catholique de Louvaina-t-on fait l’effort que cette sélection soit justeet cohérente, même si l’objectif est absurde. Ilsemble que la réduction du nombre de médecinsautorisés à pratiquer en Belgique sous couvertde l’INAMI va entraîner des difficultésmajeures dans le fonctionnement des hôpitaux,sans compter que certaines spécialités ont déjàdes problèmes de recrutement. N’oublions pasque notre population vieillit et que cela aurades conséquences en termes de santé publique.(...) Les effets néfastes du numerus clausus seferont sentir dès 2004 et atteindront leur apogéeen 2010. J’ose espérer que les universités et lesunions professionnelles sauront faire entendreraison au nouveau gouvernement pour que cenumerus clausus disparaisse comme il estapparu. Enfin, il suffit d’aller discuter avec lesétudiants de deuxième candidature, le frontd’onde, pour se rendre compte que ce n’est pasen candidature qu’ils apprendront laconfraternité, chacun se battant,individuellement, pour être dans les quatre-vingts premiers et ainsi avoir accès auxdoctorats.

Par expérience, nous pouvons dire que ce n’estpas en stage, en milieu universitaire, qu’ilsvivront l’expérience de la confraternité. Certes,il y a bien quelques exceptions mais elles nefont que confirmer la règle. Lorsque noussommes en stage chez vous, notre attention ne

porte pas uniquement sur les aspects strictementmédicaux, mais nous sommes aussi sensibles àvotre comportement à l’égard de vos confrères.L’ensemble de l’équipe soignante, mais surtoutles patients, ont tous à gagner d’uneconfraternité exemplaire. Dans un monde où lamédecine se spécialise de plus en plus, il estimpératif que la communication entre lesmédecins soit fluide.

L’expérience de l’ailleurs

La faculté de médecine se doit de combler leretard qu’elle a pris dans la participation auxprogrammes d’échanges d’étudiants entreuniversités. Je pense notamment au programmeSocrate* qui ne nous a pas été accessible aucours de notre formation théorique. Il le seraitdevenu depuis et c’est une très bonne chose.C’est une grande richesse pour un auditoired’avoir en son sein des étudiants qui ont vécuune approche différente de l’enseignement dela médecine, au-delà du fait que c’est uneexpérience superbe pour l’individu lui-même.

Je me permets de saluer ceux qui permettentchaque année à une trentaine d’étudiants departir pendant quatre mois dans un pays endéveloppement. (...) Je ne doute pas que celaaura des conséquences sur leur carrière ou surleur manière d’aborder la médecine, même dansune pratique en Belgique. Je ne peux toutefoispas m’empêcher de regretter que ces stages nesoient pas accessibles à tous ceux qui lesouhaitent. (...)

D’autres part, la possibilité d’effectuer desstages à l’étranger dans des pays industrialisésexiste, mais reste également réservée à uneminorité et toujours sur base des résultatsacadémiques. La raison essentielle est de garderen Belgique un nombre suffisant des stagiairespour faire tourner les services. (...) Il seraitsouhaitable que ces portes vers l’extérieur del’université : programme Socrate, stages dansles pays en développement et stages dansd’autres pays industrialisés, soient rendues plusaccessibles à l’ensemble des étudiants.Considérant que ces opportunités ne portent enaucun cas préjudice à la qualité de la formation,bien au contraire.

*programmeSocrate :

échange pourquatre mois

d’étudiants enmédecine del’université

catholique deLouvain avec

d’autresétudiants

d’universitésprécises qui sont

entrées dans ceprogramme.

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C A H I E R

La formation des médecins, vue intérieure

Escla-stage

(...) Malgré l’apprentissage dont nous avonsbénéficié durant nos dix-huit mois de stages,nous sommes obligés de constater que nousavons eu très peu de reconnaissance pour notretravail. Il consiste à examiner les patients,remplir et mettre en ordre les dossiers, collecterles résultats des examens ou encore à assisterl’équipe chirurgicale en salle d’opération.Gardes comprises, cela nous amène à quelquessoixante heures par semaine... travailglobalement rentable pour les hôpitaux. (...) Lefait que nous bénéficiions d’un apprentissagene dispense en rien les autorités de nousaccorder de la reconnaissance. Je pourraispresque parler de respect. (...)

Pour conclure ce chapitre sur les stages, jevoudrais chaleureusement remercier la grandemajorité des maîtres de stage, leurscollaborateurs et leurs assistants de nous avoiraccompagnés lors de nos premiers pas sur lechemin de l’art de guérir. Qu’ils sachent que laplupart d’entre eux resteront gravés dans nosmémoires.

Un bilan positif pour le CUMG,le centre universitaire demédecine générale

Alors que les nombreux postulants spécialisteserraient deci delà mine blafarde et l’âme aigriedans les couloirs de « Saint-Luc », il leurarrivait de croiser le vendredi des confrèresétudiants, bon pied bon œil, souriants, la mineépanouie. Que pouvaient-ils bien faire pour êtredans cet état, quel traitement miracle leur avaitété prescrit ? « CUMG une fois par jour, enforme toujours ! ».Nous devons mettre un point d’honneur, au nomdes stagiaires en médecine générale, à saluerl’effort et l’investissement sans réserve desenseignants responsables de cette formation,qui, par leur expérience et leur souci didactique,ont su communiquer avec équilibre ce mariageentre une écoute attentive et une rigueurmédicale.

Il est malheureux de constater que c’est leregard des spécialistes qui domine notre

formation en doctorat, alors qu’une majoritéd’entre nous se destine à la médecinegénérale.

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TOUT DANS LA TETE

Les enjeux de la formation médicale de base

DominiquePestiaux,médecin

généraliste à lamaison médicale

de Ransart etresponsable du

centreuniversitaire de

médecinegénérale del’université

catholique deLouvain, MyriamProvost, médecin

généraliste à lamaison médicale

du Nord, médecindes étudiants de

l’universitécatholique de

Louvain, etIsabelle

Schaube,étudiante enmédecine et

présidente ducercle médicalSaint-Luc des

étudiants del’université

catholique deLouvain.

La formation en médecine générale estaujourd’hui basée sur une théorie et un savoirspécifique de qualité sous-tendu par unerecherche élaborée dans certains pays maisencore insuffisante en Belgique francophone.De nombreux défis sont encore à relever dansce contexte et, sans être exhaustif, on peut endégager quelques-uns qui semblent d’actualitépour la formation médicale de base desmédecins généralistes.

Le centre universitaire de médecinegénérale de l’université catholique deLouvain (CUMG-UCL) existe depuis plusde vingt ans et est intégré dans la facultéde médecine. Cette présence répond auxexigences européennes qui, dans unrapport sur l’application des articles 31 et32 de la directive 93/16/CEE, rappellentla nécessité de « développer desdépartements universitaires de médecinegénérale dans lesquels la participationpermanente de médecins généralistes –universitaires et praticiens - interviennentpour l’organisation, la gestion etl’évaluation des programmes de formationen médecine générale »1.

Les pionniers de cette intégration de lamédecine générale à l’université ont réaliséun travail important avec d’une part uneformation intra-curriculum et d’autre partune formation complémentaire spécifiquede deux ans, l’ensemble répondant auxarrêtés de loi belges et aux directiveseuropéennes. Il faut saluer le travailremarquable de ceux-ci dans un contexteparfois peu favorable et quelque foisconflictuel. Ils ont investi de manièreimportante dans les aspects pédagogiquesde cette formation en élaborant desenseignements de qualité spécifiques etpertinents.

○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○ ○

○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○○

Un cadre légal cohérent pour laformation des généralistes

En effet, celui-ci a fort évolué depuis unedizaine d’années pour donner lieu à uneformation qui est progressivement en accordavec les contraintes imposées par différentsniveaux de pouvoir. Le paysage institutionnelbelge ne simplifie pas la compréhension ducadre légal et l’harmonisation avec lesexigences des directives européennes est parfoisdifficile. L’exemple actuel d’une formationmédicale organisée différemment enCommunauté française et flamande illustre cepropos dans un pays de seulement dix millionsd’habitants. La mise en place d’un diplômed’études spéciales (DES) dans les différentesuniversités est un pas dans la bonne direction.Un cadre légal clair et bien structuré supposedes moyens suffisants pour la mise en placed’un programme de formation de qualité basésur des objectifs de formation préalablementdéfinis.

Une présence accrue de lamédecine générale dans laformation médicale de base etun choix positif de celle-ci

En mars 94, les étudiants du cercle de médecine,de l’assemblée générale des étudiants deLouvain et de la Fédération des étudiantsfrancophones ont organisé deux journées deréflexion sur la formation médicale.

Ce colloque « médecine en huit questions »,outre des étudiants, a rassemblé environ deuxcents personnes dont professeurs, philosophes,gens de terrain. En prolongement de cesjournées, les étudiants ont compilé « 42 pistespour une autre formation à l’universitécatholique de Louvain »2. Celles-ci concernentla méthodologie, la participation étudiante ausein de la formation, l’introduction de cours desciences humaines pendant le curriculumacadémique, la gestion de l’échec…Neuf pistes abordent la médecine générale aveccomme objectif d’introduire cette dimension dela pratique médicale tôt dans la formation pourpermettre à l’étudiant de poser le choix de la

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C A H I E R

Les enjeux de la formation médicale de base

médecine générale en connaissance de cause.Certaines ont trouvé à ce jour un écho favorablede la faculté et, par ailleurs, l’université s’estengagée dans une réflexion en profondeur surla pédagogie.

● La piste 32

« Commencer les cours théoriques de médecinegénérale dès le premier doctorat ». Ceci seraconcrétisé dès la rentrée académique 2000-2001par un cours d’introduction à la médecinegénérale donné en premier doctorat et prolongél’année suivante en deuxième doctorat. Il existeégalement un projet de stages de sensibilisationà la première ligne d’une durée d’un mois quipourrait avoir lieu en deuxième doctorat.

Les soins de santé primaires sont égalementprésents au cours du premier cycle en deuxièmecandidature où un cours « santé et société » aété créé et coordonné par l’Ecole de santépublique. Les objectifs pédagogiques, laméthodologie et l’évaluation de ce coursconstituent un modèle de collaboration avec lecentre universitaire de médecine générale. Cetenseignement est centré sur l’étudiant qui doitréaliser deux observations sur le terrain dessoins de santé primaires, discuter dans unséminaire les éléments qui ont modifié saperception de la demande de soins et de laréponse offerte par la structure rencontrée,rédiger enfin un document de synthèse.

A noter également qu’une initiative del’Association des médecins anciens del’université catholique de Louvain (AMA-UCL) offre aux étudiants en début de doctoratla possibilité d’un parrainage chez ungénéraliste ou un spécialiste et donc, grâce à cecontact précoce de quelques demi-journées avecle terrain, une perception de la réalité et unepossibilité supplémentaire de faire un choixéclairé.

● La piste 35

« Revoir les cours cliniques comme lieu dedisputation entre spécialistes et généralistes,espace de confrontation de leurs savoirs (savoir,mais aussi savoir-faire et savoir être) et de leursexpériences ». Cette recommandation a trouvéun répondant auprès de la médecine interne

générale (Prof. M. Lambert) et des cliniquesintégrées sont organisées. Les problèmesabordés dans ces cliniques sont traités avec lepoint de vue de différents spécialistes et d’ungénéraliste. Il s’agit sans doute de lieuxessentiels pour l’étudiant qui peut ainsi mesurerd’une part, la spécificité de l’approche dugénéraliste et d’autre part, les controversesexistant pour une série de problèmes abordés.Il est, par exemple, bien évident que la mise aupoint d’un problème de fatigue sera trèsdifférente selon que le patient est vu en soinsde santé primaires ou en milieu hospitalo-universitaire, ne serait-ce que dans l’importanceaccordée à la réalisation d’examenscomplémentaires.

● La piste 36

« Dans la foulée, permettre une co-animationdes séminaires de psychologie médicale dedoctorat. En effet, il serait intéressant deconfronter l’approche du spécialiste psychiatreà celle des médecins généralistes ou depsychologues ». Cette proposition estconcrétisée par la participation effective desgénéralistes au cours de psychologie médicaleen médecine générale (Prof. Van Meerbeeck).

Tout est-il parfait pour autant ? D’aucuns, parmilesquels des étudiants engagés et représentatifs,laissent volontiers entendre que si les différentespistes proposées ont permis un premier pas,elles n’ont pas opéré pour autant un changementen profondeur de l’enseignement. Ils soulignentégalement à quel point certains enseignants,enfermés dans une pratique universitaire,méconnaissent ou parfois même méprisent lapratique de la médecine générale. C’est sansdoute la tâche des généralistes de fairereconnaître leurs particularités en terme desavoir, de contenu ou de spécificité.De plus, le malaise parfois ressenti par lesétudiants pendant leur formation théorique nes’atténue pas toujours pendant les stagesréalisés dans les grandes institutions.

La difficulté rencontrée par des généralistesenseignants est de répondre aux critèresuniversitaires de recherche, d’enseignement etde soins aux patients. En effet, ceux-cinécessitent une disponibilité et une continuitéparfois difficiles à assurer dans le contexte de

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TOUT DANS LA TETE

technologie hyper sophistiquée dont est friandenotre fin de siècle rassure, il lui manquel’indispensable vision globale, la synthèsecohérente d’une histoire toujours individuelle,intégrée et complexe. L’investissement desecteurs importants de la pratique justifie uneformation adéquate des généralistes afin deréaliser cette prise en charge avec les garantiessuffisantes en terme de qualité des soins.

pratique individuelle que nous connaissons dansnotre pays. On peut espérer que la pratiqueisolée va diminuer au profit de la constitutionde réseaux d’intervenants de première ligne quiauront dès lors la possibilité de libérer le tempsnécessaire à la formation des étudiants. Unarticle du New England Journal of Medicinereprend par ailleurs ce problème en insistantsur l’importance d’intégrer dans les facultés demédecine des « cliniciens-enseignants » dont leprofil de chercheur est moins important.L’auteur s’interroge par ailleurs sur lapertinence du critère qui évalue la qualité d’unenseignant au nombre et à l’importance de sespublications3.

Une définition plus précise desobjectifs de la formationspécifique en tenant comptedes fonctions du médecingénéraliste/de famille et desbesoins de la population

La définition de la fonction du médecingénéraliste/médecin de famille estindispensable pour construire les objectifs dela formation. Si les documents ne manquent pasdans d’autres communautés, ce travail n’ajamais été fait de manière structurée enCommunauté française et devrait être envisagéessentiellement avec la collaboration de laprofession. La description des situationsrencontrées au quotidien permettra sans douted’illustrer les différences importantes existantentre les médecins. Ceux-ci ont cependant uncommun dénominateur qui est la base de travailà laquelle tout étudiant se destinant à lamédecine générale devrait être exposé.

Une difficulté de la fonction du médecingénéraliste est liée au fait que des domainesimportants de la pratique sont assurésactuellement par les spécialistes, en partie enraison de la pléthore médicale mais aussi enraison de l’importance prise par certainestechniques comme, par exemple, l’échographieen gynécologie. Il devient dès lors difficiled’assurer un suivi qualitatif adéquat d’autantplus que les patients sont rassurés par l’arsenaltechnologique qui leur est proposé. Si la

Un accroissement de laresponsabilité pédagogique desmaîtres de stage, véritablesformateurs en médecine générale

Le rôle des maîtres de stage est essentiel et ceux-ci deviennent au fil du temps de véritablesenseignants dont les compétences sontessentielles pour la formation des étudiants. Acôté d’un savoir suffisant, le maître de stagedoit aussi avoir les capacités de communicateurqui lui sont d’ailleurs indispensables dans sescontacts avec ses patients. Il doit sans aucundoute être « facilitateur » d’apprentissage pourle stagiaire qui, à son contact, va découvrir lesdifférentes facettes de son futur métier. Que cesoit par exemple les soins globaux des patients,la gestion de la connaissance et donc la maîtrised’un savoir horizontal forcément toujoursincomplet ou l’apprentissage de l’incertitude etde l’utilisation du temps, l’expérience encabinet de médecine générale est irremplaçable.

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C A H I E R

Il est souhaitable que dans l’avenir, l’étudiantdevienne un véritable acteur de sa propreformation en l’impliquant dans la prise encharge des patients. Les stages d’observationont été la règle pendant des années mais il estclair que, déjà pendant la formation médicalede base, ceux-ci devraient évoluer vers desstages pratiques supervisés en utilisant lespossibilités de la technologie moderne (vidéo,enregistrement de consultations, …).

Il faut enfin que le maître de stage accepte desuivre les formations pédagogiques qui, à la foisaméliorent la qualité de son enseignement, maisaussi le confirment dans son rôle d’enseignant.

Une recherche spécifique àdévelopper

Last but not least, la recherche en médecinegénérale est souvent considérée comme leparent pauvre dans nos milieux, surtoutfrancophones. Elle nécessite d’abord un savoir-faire qui se développe progressivement par lesdifférentes recherches entreprises et par laformation adéquate des acteurs de celle-ci. Ellenécessite aussi des moyens suffisants pours’insérer dans des programmes de recherche auniveau national ou européen. Elle fait encorepartie intégrante de la formation des étudiantsne serait-ce que pour la recherchebibliographique, étape essentielle dans toutprojet. Elle sera enfin un moyen importantd’alimenter le contenu de l’enseignementspécifique.

S’il faut conclure

Il semble exister un consensus sur la nécessitéde développements pédagogiques nouveaux :on peut citer par exemple et sans prétendre àl’exhaustivité un enseignement centré surl’apprenant, une pédagogie favorisant le contactdirect entre l’étudiant et le patient, des lieux de

stage adaptés, la formation de médecinspolyvalents capables de répondre à la demandemais aussi d’intégrer la dimension commu-nautaire de leur activité, une sensibilisation nonseulement à la dimension relationnelle maisaussi à la dimension socio-économique etpolitique. On peut penser encore à la capacitéde gérer l’information pléthorique disponibleou à l’impact de nouveaux moyenspédagogiques utilisant les nombreusespossibilités offertes par le multimédia.

L’enjeu est de taille pour qui veut y consacrerl’énergie nécessaire et la maturité acquise parla profession de médecin généraliste/de familledevrait permettre de relever de tels défis. Eneffet, ce qui est en jeu ici, c’est « lareconnaissance de la médecine générale commeune spécialité à part entière, disciplineacadémique, partenaire essentiel dans les soinsde santé. Cela suppose qu’à l’intérieur desdépartements de médecine générale, desgénéralistes praticiens disposent de ressourcessuffisantes et développent des liens étroits avecles autres disciplines »4.

Bibliographie

1. Comité consultatif pour la formation desmédecins, Rapport et recommandations sur larévision de la formation spécifique en médecinegénérale, Commission européenne, DirectionGénérale XV, 20 mai 1996.

2. FEF, AGL, Mémé en collaboration avec leministère de l’Enseignement supérieur, 42 pistespour une autre formation médicale à l’UCL.Médecine Huit Questions : premiers prolongements,9-10 mars 1994.

3. Levinson W., Rubenstein A., « Mission critical ;integrating clinician-educators into academicmedical centers », New England Journal ofMedicine, sept. 9, 1999, vol 341, n° 11.

4. World Health Organization, Regional Office forEurope, Framework for professional andadministrative development of general practice/family medicine in Europe, EUR/HFA target 28,1998. Accessible au site : http://www.who.dk.

Les enjeux de la formation médicale de base

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TOUT DANS LA TETE

Du vécu particulier du généraliste à lanécessité d’une formation spécifiquestructurée en médecine générale

Gérard Stibbe,médecin

généraliste aucentre

universitaire demédecine

générale del’université libre

de Bruxelles.

Le rôle particulier du généraliste dans ladispensation des soins de santé est le fruitd’un long travail mené sur le planinternational par la profession assistée dechercheurs. Nous vous en livrons l’essentielsur le mode d’une réflexion informelle duvécu qui débouche sur le concept plusstructuré d’un enseignement adapté.

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Le vécu particulier dugénéraliste...

Pour la majorité des malades, le médecingénéraliste s’identifie au praticien de premierrecours. Dès que le patient s’inquiète d’uneanomalie, il s’adresse de préférence à sonmédecin de famille pour être renseigné et/ousoulagé. Il profite généralement de l’entretienpour présenter dans le désordre des demandesà caractère administratif ou préventif et seplaindre d’une série de symptômes sans liensévidents. Force est de constater que dans lapratique courante, la plupart des épisodespathologiques régressent rapidement grâce à untraitement de courte durée. Par ailleurs, denombreux symptômes sont aux frontières dunormal et du pathologique, de l’organique etdu fonctionnel. Plus rarement, l’anamnèse etl’examen clinique imposent un traitementd’urgence, une hospitalisation ou le recours àun spécialiste. De ce fait, la disponibilité dumédecin est essentielle dans la bonne pratiquede la médecine générale et la continuité dessoins doit être assurée de façon maximale.

De toutes les disciplines médicales, la médecinegénérale est la seule qui prodigue des soinsincluant tous les facteurs de morbidité et toutesles manifestations pathologiques et ceci grâceau vécu personnel du médecin, del’environnement du patient. Au fil du temps,sans avoir besoin de les rechercher, legénéraliste prend conscience de l’histoirepersonnelle du patient, de sa famille et de soncadre de vie. En ce sens, la visite à domicile estune prestation très importante, spécifique à ladiscipline.

Sans cesse harcelé par des demandes decertificats et de rapports en tous genres,l’omnipraticien est amené à conseiller le patientpour le défendre dans le cadre d’une législationtrès complexe en matière d’expertise et pourlimiter ses prétentions en ce qui concernel’obtention d’avantages secondaires liés à lamaladie, l’handicap ou l’accident.

La médecine générale offre aux patientsl’opportunité d’une prise en charge régulièredu suivi médical de la naissance à la mort. Laplupart des patients consultent le mêmemédecin de famille pendant une périodesignificative de leur vie. Il s’établitprogressivement une relation affective entre legénéraliste et son patient qui n’hésite pas à luifaire des confidences dont le contenu estsouvent éloigné de la pathologie pour laquelleil consulte. La gestion de cette relation, malgréune longue expérience, est parfois semée dedifficultés imprévisibles fort traumatisantespour le médecin.

Au centre des diverses interventions dans ledomaine spécialisé, le généraliste est amené àjouer un rôle de coordination entre les différentsacteurs des soins de santé. Le dossier médical,mémoire écrite du médecin, doit l’aider àsimplifier les démarches imposées au patientet à rendre optimal le traitement.

L’apport des grandes études épidémiologiquesde la fin du siècle passé renforce considéra-blement la position du généraliste dans le

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C A H I E R

Du vécu particulier du généralisteà la nécessité d’une formation spécifique structurée en médecine générale

domaine de la santé publique. Il a été clairementétabli que les campagnes de préventionaugmentent de façon significative leur impactsur la population grâce à l’intervention desmédecins de famille.

Enfin, pour terminer cette réflexion, il estévident que les patients qui souffrentd’affections bénignes et réversibles font un gainsubstantiel en temps et en argent en consultantun généraliste, sans parler de l’inconfort et ducaractère anxiogène des examens spécialisés.La collectivité y gagne également en matièrede coût des soins de santé.

des généralistes qui ont une pratique effectivede leur profession. Il est évident qu’uneapproche de la médecine pour ainsi direuniquement axée sur la pratique hospitalièreinduit chez l’étudiant des comportementsautomatiques qui, s’ils ne sont pas tempérés pardes attitudes différentes à l’égard du patient etde la gestion de ses plaintes, devront êtredéconditionnés par la suite, ce qui pour lesenseignants généralistes crée des problèmes derejet de leurs discours. Tous les étudiantsdoivent être sensibilisés au mode defonctionnement de la médecine généralejusqu’en sixième année. En effet, outre la

... sa formation spécifique debase...

La formation en médecine générale doit bienévidemment préparer le futur généraliste àaborder les particularités décritesprécédemment et ce, de façon positive etperformante. Le système d’enseignement avécu de profondes mutations et pris un essorconsidérable. Les concepts qui sont développésdans cet article rendent compte, dans une trèslarge mesure, de l’expérience menée dans denombreuses universités de divers pays ainsi quedes législations en vigueur.

Il est fondamental d’insérer dans le curriculumuniversitaire et le plus tôt possible, à tout lemoins, à partir du deuxième doctorat, unenseignement théorique et pratique donné par

doit, idéalement, en partie précéder la formationpratique et se terminer avant le début de laformation au post-graduat. Elle estindispensable, car le modèle théorique de lamédecine générale est fondamentalementdifférent de celui de la médecine spécialiséemême s’il repose sur des connaissancesbiomédicales communes.

Le contenu des cours théoriques doit répondrede façon minimale aux exigences suivantes :

• La description de l’aspect relationnel quiimplique une approche centrée sur le malade,la nécessité du dialogue, de l’écoute attentiveet de la négociation face à tout traitement, auconseil en envisageant les solutionsalternatives, ce qui implique une connais-sance très vaste et approfondie dans ledomaine de la thérapeutique, souventdélaissée par les étudiants ;

nécessité d’opter pour lafonction de médecin defamille en connaissancede cause, il est importantque les futurs spécialistessachent comment leursconfrères omnipraticiensfonctionnent pour éviterdes incompréhensions. Apartir du quatrièmedoctorat, une formation àoption, plus poussée estactuellement organiséedans toutes les universi-tés du pays, comprenantstages et cours théori-ques.

La formation théorique

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TOUT DANS LA TETE

• La démarche diagnostique orientée par lafaible prévalence des maladies graves et ladéfinition des arbres décisionnels propres àla médecine de premier recours ;

• L’intervention au stade précoce des maladiesqui laisse planer le doute sur le diagnostic ;et la définition des solutions d’attente, dudiagnostic thérapeutique ;

• La reconnaissance de l’urgence médicale enl’absence des supports de l’imagerie et de labiologie médicale ;

• Une bonne connaissance des manifestationspathologiques aux différents âges et de laproblématique de la fin de vie ;

• L’application raisonnée et raisonnable desconnaissances en matière d’épidémiologie envue de la prévention qui s’adresse àl’ensemble de la population ;

• La connaissance des lois et des règlementsordinaux qui président à la rédaction descertificats et rapports à visée d’expertise, dansle cadre du respect du secret professionnel etleurs incidences financières.

La formation en pratique qui comprend desstages au cabinet du généraliste et desséminaires doit débuter à l’université. Outre lamise en pratique du contenu de la formationthéorique, les candidats seront sensibilisés parles maîtres de stage aux aspects suivants de leurprofession :

• démêler les plaintes multiples quiaugmentent en fréquence avec l’âge, leshiérarchiser, simplifier les traitements et lesharmoniser face aux propositions de méde-cins spécialistes de différentes disciplines, surbase de l’étude du dossier médical ;

• coordonner les soins en programmant lesrecours aux spécialistes, paramédicaux etaides sociaux ;

• apprendre à mesurer l’importance del’influence de l’environnement du malade sursa pathologie.

... et le post-graduat

La formation au post-graduat ne peut débuter,en Belgique, qu’après avoir réussi avec fruit

une épreuve portant sur les connaissancesthéoriques.

Deux systèmes coexistent à l’heure actuelle :le parrainage et le compagnonnage (communé-ment appelé système 1/15 et système 1/1). Lesystème de parrainage, modèle pédagogiquedéfendable il y a vingt ans, devient de moinsen moins performant, vu les faibles patientèlesdes jeunes médecins, conséquence directe dela pléthore. Il est amené, de ce fait, à disparaître.

La participation régulière à des séminairesdirigés par un maître de stage restefondamentale et d’ailleurs obligatoire.

Les stages hospitaliers revêtiront, trèsprobablement, dans le cadre de la spécialisationen médecine générale, un caractère obligatoireau post-graduat. Pour être utiles, ils doivent êtresélectionnés en vue de répondre en partie auxprincipes définis plus haut. A titre d’exemple,un service d’urgence à l’hôpital reçoitactuellement des patients atteints de pathologiesbénignes mais ressenties comme dangereuses.Ceci permet au stagiaire de reconnaîtrel’urgence réelle par rapport à la plainte sansgravité.

Le succès du système de l’accréditation quienglobe la formation continue et le système desgroupes locaux d’évaluation médicale en a faitun modèle encourageant qui permet augénéraliste d’organiser de façon structuréel’actualisation de ses connaissances.

En conclusion, les savoirs de la médecinegénérale qui ont longtemps reposé sur des basesempiriques en faisaient un ensemble informelet subjectif. Actuellement, après des dizainesd’années de réflexion, le fonctionnement de lamédecine générale est mieux connu et saspécificité reconnue par des conceptsthéoriques.

Bibliographie

Pouchain D., Attali C. et al., Médecinegénérale :concepts et pratiques, Masson, Paris 1996.

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Former, pas formater

BénédicteRoegiers,médecingénéraliste à lamaison médicaledu Maelbeek etson équipe.

La formation des futurs soignants vue parles maîtres de stage de la maison médicaledu Maelbeek. L’équipe accueille desstagiaires de quatrième doctorat enmédecine, des stagiaires infirmièr(e)s, desstagiaires kinésithérapeutes et, depuis peu,des stagiaires de la Coordinationbruxelloise pour l’emploi et la formationdes femmes peu qualifiées (COBEFF) dansle cadre de son service de garde d’enfantsmalades à domicile.

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En tant que maîtres de stage au niveau de lapremière ligne, nous n’avons pas tant àenseigner qu’à partager une expérience. Aprèsdes études qui auront apporté un bagagesuffisant pour permettre une compétencethéorique, le stage permet d’être confronté àune réalité qui montre la nécessité d’acquérirune compétence spécifique.

Peu d’étudiants resteront indifférents à cepassage par la première ligne, si important pourtous :

• ceux qui finiront par travailler en milieuhospitalier auront l’occasion unique d’être encontact avec les réalités et contraintes dessoins de santé primaires : le patient maîtrechez lui et beaucoup moins dépendant, lesconditions d’hygiène différentes, lesdifficultés de contact avec certainsspécialistes... ;

• ceux qui ne savent rien de la pratique dugénéraliste pourront confronter leurimaginaire, leurs désirs, leurs appréhensionsà une expérience concrète ;

• pour ceux qui savent ou pensent savoir enquoi cela consiste, ce stage constitueratoujours une expérience de plus, susceptiblede confirmer ou d’affiner, voire de modifierun choix et - espérons-le - d’augmenter la

dose de confiance en soi et de confiance danssa capacité d’exercer, si importante aumoment de se lancer.

Notre rôle s’apparente plus à celui du maître-compagnon qu’à celui du maître-professeur. Ilne s’agit pas de former en formatant mais plutôtde partager l’expérience de notre pratique sansla déformer avec nos joies, nos satisfactions,nos réussites, mais aussi nos difficultés, noshésitations, nos erreurs, nos frustrations. Sinotre rôle n’est pas d’abord celui d’uneacquisition théorique, il faudra insister surl’importance d’un acquis théorique solide pourpouvoir d’autant mieux l’adapter aux prioritéset contraintes du terrain et montrer qu’il n’estjamais qu’au service du contact avec « cepatient-ci, ici, maintenant ». Apprendre à fairele mieux avec le moins, à aller à l’essentiel dansdes situations financières, sociales etpsychologiques souvent complexes, fairedécouvrir le caractère essentiellement nonreproductible d’un contact, faire sentir combienla qualité de la relation est essentielle pour laconfiance, la compliance et donc l’efficacité denotre travail.

Avant d’être soignants et « maîtres de stage »,nous sommes d’abord des personnes, et le futursoignant aussi. Il faudra aborder la question del’équilibre de vie à préserver, des limitespropres de chacun à respecter. Rechercher lameilleure façon de garder une disponibilitéoptimale et un réel désir d’un plus pour la santéet l’autonomie de la personne que l’on a en facede soi.

Vivre son stage au sein d’une maison médicaleapporte en plus la dimension de travail d’équipeavec ses avantages et ses difficultés, ses joieset ses contraintes. Que le futur soignantenvisage une pratique isolée ou en association,il faudra insister sur l’importance descollaborations, du travail en réseau, de laconnaissance et de la reconnaissance descompétences spécifiques des soignants desautres lignes et sur l’importance d’avoir aveceux des contacts adéquats et positifs. Onabordera inévitablement la place de la santédans la société, en amont et en aval de lapremière ligne. ●

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TOUT DANS LA TETE

Balint, un apprentissage concret de larelation soignant-soigné

Interview dudocteur RogerVan Laethem,

médecin defamille.

Le docteur RogerVan Laethem est

interviewé parCorinne Nicaiseet Axel Hoffman.

La formation de base des soignants dansle domaine psychologique se résume le plussouvent à des considérations théoriques.La formation Balint peut-elle suppléer àcette lacune ? Santé conjuguée a rencontréle docteur Van Laethem pour en discuter.

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Balint, l’écoute, la relation

● Santé conjuguée : En quoi consiste laméthode Balint ?

❍ Roger Van Laethem : D’après une étudeaméricaine, le médecin n’écoute que quarantesecondes. La méthode Balint soutient unemédecine centrée sur le patient et développel’écoute chez le médecin. La méthode Balint,c’est surtout apprendre à écouter : le problèmen’est ni le médecin, ni le malade, ni l’un etl’autre, mais la relation entre médecin etpatient. Cet apprentissage se fait dans desgroupes où la parole circule, librement : lemédecin peut aller « jusqu’au bout de sabêtise » sans risquer d’être jugé, ce qui permetà chacun d’exprimer sa peur, ses angoisses, lessentiments qu’il n’a pas l’occasion de partagerhabituellement. Je voudrais insister sur unpoint : contrairement à ce qu’on colporteparfois, ce n’est en rien une médecine parallèle.

● Pratiquement comment se passe uneréunion Balint ?

❍ Le soignant qui désire parler d’une relationavec un de ses patients se propose de présenterle cas. Une séance dure deux heures et demi àtrois heures, on y présente deux cashabituellement par soirée. Deux animateurs

veillent à créer une dynamique, à créer le« setting » (atmosphère de confiance) pour quechacun puisse parler sans être jugé. Au départ,les groupes étaient animés par un analyste etun généraliste, mais on ne trouve plussuffisamment d’analystes intéressés par lamédecine générale. Maintenant ce sont deuxgénéralistes formés à la méthode Balint quianiment les réunions. Il faut au moins troispersonnes extérieures en plus des deuxformateurs, et jamais plus de quinze personnesau total, pour que le groupe puisse fonctionner.

● Ces groupes ne sont pas réservés auxmédecins ?

❍ Non, ils sont ouverts à tous ceux qui veulentpartager une expérience médicale, en l’absencede toute hiérarchie. On peut y côtoyer deskinésithérapeutes, des infirmiers, despsychologues, des psychiatres...

Pas de psychothérapie sansformation

● On rencontre souvent chez les médecins,à un moment de leur pratique, l’envied’entamer une psychothérapie pour devenirsoi-même psychothérapeute. Est-cenécessaire pour être centré sur le patient etpour avoir une qualité d’écoute ?

❍ La thérapie se s’improvise pas. Il fautsavoir comment les paroles du patientrésonnent en vous. Pour faire de la thérapie, ilfaut apprendre à avoir la bonne distance parrapport au patient, sinon il y a deux risques,celui de l’identification et celui du sauveur.

● Le soignant qui ne veut pas entamer depsychothérapie devrait-il avoir un remordsau niveau de sa qualité d’écoute ?

❍ Non. Beaucoup de médecins généralistesont une bonne écoute et font un travailintéressant, mais il faut faire attention aux deuxdangers dont je parlais. Une consultation n’estutile que pendant quarante cinq minutes et pasplus (aspect identification). Quant au problèmedu sauveur, Balint parle de « la fonctionapostolique » : le besoin qu’a le médecin de

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Balint : un apprentissage concret de la relation soignant-soigné

prescrire deux boites des suppositoires quiétaient les seuls à soulager ses douleurs. On acommencé à parler. « En mariage blanc »depuis dix-huit ans, il avait séduit une fermière,mère de famille et lui avait fait un autre enfant.Cette femme avait abandonné ses quatre enfantset l’avait suivi à Bruxelles. Il ne voulait pasguérir, mais en parlant, on est arrivé à cerésultat qu’il n’a plus jamais fait deradiographies ou d’analyses.La plupart des médecins croient que le patientvient pour être guéri, mais il vient pour pleind’autres choses.

La formation « psy » des jeunessoignants

● Beaucoup d’étudiants sortent del’université avec une vision scientifique etobjectivante des soins de santé. Il leur estdifficile de faire la jonction entre laconnaissance médicale, orientée sur lamaladie et la médecine réelle, qui s’adresseà des personnes. Pensez-vous que, dans laformation de base, il faudrait introduiredavantage le patient et la personne dupatient, l’approche psychologique, l’écoute ?

❍ Cela s’est fait dans les années 70. Ledocteur Mertens, professeur de psychologiemédicale, avait été contacté par le docteurMoreau qui a introduit la méthode Balint enBelgique. Ensemble, nous avons formé lesétudiants à cette dimension médecin-malade.J’apportais un cas et je faisais réfléchir lesétudiants en quatre groupes se mettant dans lapeau des différents acteurs de la relation :médecin, patient, observateur et accompagnant.Le patient expliquait comment il avait ressentile médecin puis le médecin expliquait ce qu’ilavait compris et fait. L’observateur faisait sesremarques. Le but était de montrer combien lesvécus étaient différents en partant d’une mêmesituation.

● Pourquoi cette expérience s’est-elleinterrompue ?

❍ Pour des raisons pratiques et non pour unenotion d’utilité. Actuellement, le professeur VanMeerbeek fait un travail intéressant àl’université catholique de Louvain...

Le docteur Roger Van Laethem est médecin de famille àBruxelles. Une appellation qu’il revendique.

« J’ai changé ma plaque de médecin généraliste en médecinde famille parce que ce terme rappelle le médecin de jadis,la relation avec l’inconscient archaïque de tous. Et aussi parceque, ainsi que le montre la méthode de formationpsychologique « systémique », nous fonctionnons tous dansdifférents systèmes, le premier étant la famille, le second lesystème du travail et le troisième le cercle des amis etconnaissances. C’est à ce niveau, celui de la famillequ’intervient celui qu’on appelle encore trop souvent dans lespays francophones le médecin « généraliste » ». De plus dansles pays anglophones, on ne forme plus que des « familyphysicians ».

L’intérêt du docteur Van Laethem pour l’aspect psychologiquede la relation de soins remonte aux débuts de sa pratique.Médecin depuis 1956, il a vu défiler les diverses vaguesd’immigration et a été frappé par un phénomène remarquable :la fréquence des plaintes liées aux maux d’estomac étaitimportante au début de la vague, et s’estompait ensuite au furet à mesure de « l’installation », pour remonter ensuite chezles nouveaux immigrants.

Travaillant à l’école du mariage, devenue centre de préparationau mariage, il a aussi perfectionné ses connaissances ensexologie et en psychologie.

Il s’est intéressé puis formé à la méthode Balint et a organiséle deuxième congrès Balint international à Bruxelles en 1974.Ensuite la même année a été fondée chez lui la société Balint,puis l’année suivante la Fédération internationale Balint, dontil a repris le secrétariat. Il est aussi co-fondateur du centreuniversitaire de médecine générale de l’université catholiquede Louvain et ancien secrétaire de la Société scientifique demédecine générale.

vouloir guérir son patient à tout prix. Là aussi,on risque de passer à côté du bien du patientcar le patient ne vient pas nécessairement chezle médecin pour être guéri !

Prenons un exemple : monsieur X s’est présentéchez moi avec un gros paquet de radiographieset d’analyses, m’annonçant que j’étais le vingt-neuvième médecin qu’il consultait. Il ne voulaitpas de médicaments antidépresseurs ouanxiolytiques, il voulait simplement que jevienne toutes les semaines chez lui pour

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TOUT DANS LA TETE

● La formation des médecins au point devue psychologique pourrait-elle êtreaméliorée par des formations de type Balintdonnées pendant le cursus de base ?

❍ Je pense que oui, et j’ai bon espoir que celapuisse changer au niveau des centresuniversitaires de médecine générale. Auxcentres universitaires de médecine générale del’université catholique de Louvain et del’université libre de Bruxelles, il y a desbalintiens actifs. A l’université de Liège se sontcréés des groupes comprenant des étudiants etdes médecins.

● Il y a une douzaine de groupes enBelgique francophone. Avec l’importancecroissante attribuée à une médecine centréesur le patient, ne pourrait-on s’attendre àune demande plus importante de la part dessoignants ?

❍ Si la médecine Balint reste confidentielle,c’est dû à la peur de se remettre en question.Celui qui choisit d’être généraliste tient à unecertaine indépendance et répugne à s’inscriredans un contexte où il pourrait être confrontéà des supérieurs, poussé à se remettre trop enquestion. A Jérusalem, quelqu’un me disait que

les groupes étaient dangereux car tous ceux quiont travaillé avec Balint ont divorcé... !En ce qui concerne les spécialistes, ils sont prisdans un système hospitalo-centré, où latechnique est omniprésente, et qui leur demandede ne pas trop s’intéresser à la personne dupatient, pour ne pas perdre le sens clinique. Cesont les infirmières qui assurent le contactavec les patients : les médecins ne font quepasser. ●

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Les objectifs

A l’université de Gand, un groupe de travail aréfléchi sur les objectifs finaux du curriculum.On a d’abord défini le profil du médecin du21ème siècle qu’on voulait former. S’inspirantdu document de l’Organisation mondiale de lasanté The five star doctor, on a décrit le profild’un médecin qui à chaque moment doit avoirla possibilité d’optimaliser la qualité des soinsde santé, qui intègre de façon scientifique lesnouvelles technologies dans son approche dupatient et de la population, qui s’engage dansla promotion de la santé et réconcilie lesdemandes des individus avec celles de lasociété. Finalement, il était évident que lesmédecins du 21ème siècle travailleraient enéquipe multidisciplinaire.

Dans une deuxième étape, on a défini lesconnaissances, les aptitudes et les attitudes quenécessite la réalisation de ce profil. Pour chaquediscipline, un travail détaillé a abouti à undocument de plus de cent pages, décrivant lesobjectifs finaux de la formation. Une fois cedocument approuvé par le conseil de la faculté,la réflexion s’est orientée vers la recherche desstratégies pédagogiques les plus adaptées pourréaliser ces objectifs. Différentes visites àl’étranger (au Canada, Genève, Leicester, ...)ont inspiré le processus de réflexion. La formulepédagogique gantoise est un mélange dedifférentes approches.

Les unités

Tout d’abord il y a les « unités ». Pendant unepériode de quatre à six semaines, l’étudiant estconfronté à un projet cohérent d’apprentissage.

Par exemple, dans la première année, oncommence à étudier la cellule. La premièreunité apporte les bases physiques et chimiquesde la cellule ; la deuxième unité « De lamolécule à la cellule » décrit les différentsconstituants de la cellule ; la troisième unité surla cellule décrit le processus d’interaction descellules (physiologie cellulaire, biologie

Une réforme fondamentale du curriculummédical␣: l’expérience à l’université de Gand

Jan DeMaeseneer,médecingénéraliste aucentre de santéintégrée duBotermarkt àLedeberg,président dudépartement demédecinegénérale et dessoins de santéprimaires àl’université deGand.

« Une réforme du curriculum médical estnécessaire » : beaucoup de professeursdans les différentes facultés de médecineen Belgique ont prononcé cette phrase.Néanmoins, peu de choses ont bougé.Certainement, les responsables de laformation en médecine générale (post-graduat) ont fait un effort pour préparerles jeunes médecins à fonctionner aupremier échelon. Ils ont très vite constatéun manque de connaissances pertinentesau niveau de l’épidémiologie, des aptitudescliniques et communicatives nécessairespour la prise en charge du patient auxproblèmes complexes et de la possibilité demettre en pratique les principes de« evidence based medicine ». En Flandre,le centre inter-universitaire de formationdes médecins généralistes n’a pas manquéde donner du « feedback » auxresponsables de la formation de base enmédecine. Ce n’est qu’après l’analyse parune commission internationale en 1997 queles différentes facultés en Flandre ontcommencé à changer leur curriculum. Ace moment, on était bien conscient du faitqu’il ne suffirait pas de quelques réformes« cosmétiques », comme raccourcir dequelques heures les cours des sciences debase, organiser un petit exercice decommunication, ... mais qu’il faudrait uneréflexion fondamentale.

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TOUT DANS LA TETE

moléculaire, …). La première année se terminepar une unité « Infection et défense », oùl’étudiant fait la connaissance des mécanismesde base de l’infection et de l’immunologie. Lacinquième unité dans la première années’appelle « La santé et la société », et confrontel’étudiant avec les principes de base de lapsychologie, la sociologie, l’anthropologie,l’écologie.

Dans le cadre des unités, les présidents de lacommission de l’unité, souvent des cliniciens,ont la responsabilité de l’intégration desdifférentes disciplines mises en œuvre. Sebasant sur la littérature pédagogique,l’évaluation forme un guide important pour leprocessus d’apprentissage de l’étudiant. C’estpourquoi chaque unité ne comprend qu’un seulexamen, qui évalue les connaissances desdifférentes disciplines et surtout l’intégrationdes concepts de base.

« Continua, studium generale ettutora »

Chaque semaine, une journée entière estréservée aux continua. Ce sont des fils rouges,qui traversent les six années.

Le premier continuum s’oriente vers ledéveloppement progressif des aptitudescliniques et communicatives. Dans la premièreannée, les étudiants apprennent la technique dela réanimation ainsi que les principes de lacommunication médecin-malade. Il ne s’agitpas d’un apprentissage théorique, mais d’unexercice en pratique utilisant la vidéo, le jeu derôle, ...

Le deuxième continuum est intitulé« Résolution des problèmes et gestion del’information ». Dans la première année, lesétudiants explorent les possibilités desressources modernes d’information commel’internet.

Le troisième continuum est orienté vers ledéveloppement du travail autonome del’étudiant. Dans la première année, chaque

étudiant écrit un texte de cinq pages basé surcinq articles scientifiques où il développe undes thèmes reliés au sujet traité dans le cadrede l’unité « La santé et la société ».

Le quatrième continuum s’appelle« Exploration dans le système de santé ». Dansla première année, les étudiants visitentdifférentes structures dans le système de santé(préventif, curatif, éducation à la santé, ...) etprésentent ces structures via un poster. Dans cemême continuum, dans la première année lesétudiants sont confrontés à des discussionsd’éthique médicale suite à la présentation decas.

Comme nous sommes très conscients du faitqu’on ne peut pas isoler la formation d’un futurmédecin des développements dans la société,les étudiants sont obligés de participer à un« studium generale » et sont confrontés à desexposés concernant l’histoire, la culture, laphilosophie, ...

Dans le cadre des unités, on a limité le nombrede cours magistraux et introduit un nombre de« tutoriaux ». Dans un tutorial, un groupe dedix étudiants avec un animateur explore unproblème médical présenté afin d’arriver à lacompréhension des mécanismes de base sous-jacents à ce problème. Dans une premièresession, ils explorent et formulent des objectifsd’apprentissage. Ensuite ils consultent desressources d’information (livres, articles,internet, ...). Dans une deuxième session, ilsessayent d’arriver à un schéma de synthèse.

Evaluation

L’introduction du nouveau curriculum estévaluée de façon permanente par la cellule dequalité de l’éducation médicale. Chaque mois,un échantillon aléatoire de douze étudiants estinvité à un focus-groupe pour donner leurappréciation du curriculum. Ceci donne lapossibilité de résoudre les problèmes quisurgissent lors de l’introduction du nouveausystème. Il est évident, que ces changementsfondamentaux exigent pas mal d’investissement

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et d’énergie du corps professoral et desétudiants.

Jusqu’à présent, les réactions des étudiantspeuvent être qualifiées de positives. Ilsapprécient l’effort qui est fait pour augmenterla pertinence de la formation pour un futurmédecin et les approches didactiques variées.La stimulation de l’auto-responsabilité del’étudiant ne se réalise pas sans problèmes,parce que pas mal d’entre eux ont été formésdans un système d’éducation plutôt passive.

Actuellement, la préparation de la deuxièmeannée « style nouveau » se déroule de façonintensive. Dans la deuxième année, les unitéssont organisées autour des systèmescardiovasculaires, reins et poumons, systèmelocomoteur, système nerveux...

Un des grands soucis des professeurs de sciencede base est que le nouveau curriculum nesignifie pas un nivellement par le bas du niveauscientifique. Cette réflexion a provoqué unediscussion fondamentale. La conclusion étaitqu’un curriculum scientifique n’est pasnécessairement un curriculum comprenantbeaucoup d’heures de cours magistraux desciences de base, mais un curriculum quiapprend aux étudiants à apprendre et leur donnela possibilité de s’intégrer dans un projetscientifique. C’est pourquoi dans la troisième,quatrième et cinquième année, les étudiantsvont s’engager dans un projet scientifique (delaboratoire, en clinique, en première ligne, enépidémiologie, en éducation de la santé, ...) quiva aboutir à une thèse.

Le processus de changement qui s’est déroulédurant les trois dernières années à la faculté demédecine de l’université de Gand a démontréque le changement d’un curriculum est unprocessus fondamental qui touche toute laculture d’une faculté. Il s’agissait de créer desnouvelles structures, de nouveaux fora deconcertation, d’interaction entre sciences debase biologiques et humaines et sciencescliniques, de redéfinir le rôle et la fonction d’unprofesseur et d’un étudiant, ...

Jusqu’à présent la majorité de la faculté croitque nous avons fait le bon choix et continue às’engager dans le processus des réformes.

Une réforme fondamentale du curriculum médical␣:l’expérience à l’université de Gand

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TOUT DANS LA TETE

C’est vers vingt ans, au terme d’un cycle descolarité aboutissant à la connaissance du latinet au titre de maître ès arts, que le philiatre (dugrec philein : aimer, et iatros : médecin) pourras’inscrire à la très salubre faculté de Paris(Saluberrima Facultas), à la condition deproduire un certificat de bonne vie et moeurssigné par trois docteurs. De gros droits seront àacquitter pour cette « immatriculation » demême que pour passer les examens... à moinsque l’on ne soit fils de médecin. Si nécessaire,le philiatre réunira les fonds en travaillantcomme valet de collège ou copiste. Pour avoirquelque chance de décrocher le diplôme debachelier (l’équivalent de nos candidatures), ildevra encore confesser la foi catholique etassister à tous les offices religieux de la faculté.

● Etudiant, la belle vie...

On loge sous les combles d’une maisonmalpropre, on partage son lit avec uncompagnon. Si la fortune le permet, pourenviron 1.200 livres par an, on peut prendrepension chez un bourgeois qui exigera que l’onn’introduise pas de femme dans sa demeure.Il existe aussi des tables d’hôte, à 10 sols auHeaume, rue du foin, à 15 sols à La Ville deStockholm, rue de Buci, à 20 sols au Coq Hardi,

A la faculté de Paris au temps de Molière

Axel Hoffman,médecin

généraliste à lamaison médicale

Norman Bethune.

Clysterium donarePostea seignareEnsuitta purgare.Serait-il (im)pertinent de suggérer que laformation de nos futurs médecins présenteencore quelques analogies avec celle qui,au temps de Molière, permettait d’accéderau droit « d’administrer le clystère, aprèssaigner, ensuite purger » ? A vous de juger.

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rue Saint-André des Arts, ou à 30 sols aux TroisChandelles, rue de la Huchette.

Mais souvent, on préfère se passer de mangeret multiplier les beuveries dans les nombreusestavernes de la ville, aux Gobelins où on boit dela bière, ou dans les guinguettes des faubourgset villages comme à Auteuil ou Gentilly, où l’onpeut aussi herboriser sous la conduite desmaîtres. Le jeu et la turbulence vous envoientparfois au cachot dont le doyen, en vertu desprivilèges de la faculté, peut vous faire sortir.

● Les cours

Les cours se donnent de mi-septembre jusquefin juin et les jours fériés chômés sontnombreux.

Dès six heures du matin, en habit noir et hautsde chausses rattaché au pourpoint par desaiguillettes, on assiste aux « lectures »,répétition des cours de la veille données par lesbacheliers. Suivent les cours donnés par lesprofesseurs vêtus de longues robes, le bonnetcarré sur la tête et l’épitoge écarlate sur l’épaule.A son entrée comme à sa sortie, on l’applaudit.Debout ou assis sur un banc inconfortable, lephiliatre copie d’une plume diligente trempéedans un encrier portatif en corne la dictée dumaître qui souvent se contente de paraphraserun manuel. L’étudiant n’a pas de manuel à sadisposition et la bibliothèque est maigrementpourvue.

Durant les deux premières années, l’étudiantsuit des cours sur les choses naturelles(anatomie, physiologie), les choses nonnaturelles (hygiène, diététique) et les chosescontre nature (pathologie et thérapeutique).Il passe ensuite les épreuves du baccalauréatqui comportent obligatoirement l’explicationd’un aphorisme d’Hippocrate (460-377 avantJC). L’autorité du maître de Cos resteindiscutable, même si sur les septante deuxécrits qui portent son nom, seuls cinq à dix sontauthentiques. Son génie pourtant est mal servi :oubliant sa recommandation de préférerl’expérience raisonnée contre le raisonnementprobable (« le raisonnement est louable s’ilprend son point de départ dans l’occurence ets’il conduit la déduction d’après lesphénomènes »), on se contente de la foi aveugle

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de répliques des champenois et desbourguignons. « L’usage des eaux minéralesest-il à recommander pour combattrel’échauffement intestinal » gêna l’autorité carBouvard soignait l’entérite de Louis XIII avecles eaux des Forges. D’autres sujets étaientmoins périlleux : les Parisiens sont-ils sujets àla toux quand souffle le vent du nord ? Lelibertinage est-il cause de calvitie ? La femmeest-elle plus lascive que l’homme ? Les buveursd’eau sont-ils moroses, les buveurs de vinaimables ? Est-ce l’impulsion du sang qui faitbattre le coeur ?Il y avait aussi les thèses cardinales, ainsinommées en l’honneur du cardinald’Estouteville qui en 1452 avait libéré lesmédecins de l’obligation de célibat. Ellesportaient sur des questions d’hygiène et lasoutenance en durait sept heures d’affilée.

dans l’opinion des anciens que l’on commenteinlassablement selon les règles de la logiquescolastique. Le siècle, qui est pourtant celui dePascal et Descartes, n’a pas encore intégré laméthode expérimentale et l’analyse critique.

Ceci explique que les travaux pratiques, hormisceux touchant à la botanique, sont quasimentinexistants. Manier le scalpel est une tâcheméprisée, abandonnée au modeste barbier-chirurgien : durant les rares leçons d’anatomie,c’est lui qui dissèque en silence les cadavresde condamnés, pendant que le maître disserte,à distance des souillures et des odeursmalsaines.

Les leçons de botanique sont bien mieuxconsidérées : la pharmacopée est essentielle-ment végétale et il importe de distinguer lesplantes dont on compose les médicaments.Comme les livres des anciens sont fort confussur le sujet et qu’il est fastidieux de battre lacampagne, plus de deux mille espèces deplantes seront rassemblées à l’intention desétudiants dans un Jardin royal créé en 1638 parLouis XIII sur l’instigation de la Brosse.

● Le baccalauréat

A vingt-cinq ans révolus, le philiatre est admisaux épreuves du baccalauréat, qui commencenten mars à grand renfort de cérémonial :présentation des candidats, interrogation sur leprogramme des deux années écoulées,commentaire d’un aphorisme d’Hippocrate,prestation d’un serment de fidélité à la faculté.Au printemps suivant, le bachelier est invité àfaire montre de ses connaissances en botanique,et l’hiver revenu, il devra soutenir la thèsequodlibétaire, c’est-à-dire une proposition qu’ilpourra au choix (quod libet: ce que l’on veut)résoudre par l’affirmative ou la négative.

La thèse, rédigée en latin, devra être construitesous la forme d’un syllogisme, avec majeure,mineure et conclusion. Formalisme,dogmatisme et éloquence sont de mise.L’exposé est suivi de questions posées parl’assistance : la qualité de la discussion, lafidélité aux traditions et la logique abstraiteconstituent l’essentiel de l’épreuve. Les sujetssont variés. « Le bourgogne est-il meilleur pourla santé que le champagne » déclencha assaut

A la faculté de Paris au temps de Molière

● La licence

Le baccalauréat était suivi de la licence quiconférait le droit d’exercer. Il fallait comparaîtredevant messieurs les docteurs et répondre auxquestions posées sur ses moeurs et surl’honorabilité de sa famille. Tous ceux quetentait la pratique d’un métier manuel, comme

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TOUT DANS LA TETE

la chirurgie, étaient écartés. Ensuite le candidatse rendait seul au cabinet de chacun desdocteurs pour répondre à des questionspratiques en présence d’un malade. Lescandidats acceptés par le faculté à l’issue d’unscrutin secret étaient alors « licenciables ».

Ils se présentaient en procession, doyen en tête,devant le chanoine de Notre-Dame pour ensolliciter la bénédiction, puis chez les membresdu Parlement, les ambassadeurs, ministres,échevins, prévôts pour les inviter à lacérémonie. La solennité de l’événementévoquait un véritable mariage avec la faculté.Agenouillés, têtes nues, ils recevaient labénédiction apostolique du chanoine et unparchemin qui contenait la licence de pratiquer« à Paris et sur toute la terre » et celled’enseigner. Une dernière cérémonie religieuseà Notre-Dame était suivie de grandes festivitéset banquets.

● Docteur

Restait, pour qui souhaitait tenir une place depremier rang au sein de la faculté, à briguer legrade de docteur en présentant une thèse finale,dénommée Vespérie parce qu’elle soutenuel’après-midi. Il recevait alors le bonnet carré,insigne de sa haute dignité médicale. Unedernière thèse quodlibétaire lui valait le titrede docteur-régent qui le faisait rentrer dans lacatégorie des professeurs en titre, réussitemarquée par l’acte pastillaire, cérémonie aucours de laquelle le nouveau docteur-régentdistribuait des pastilles à l’effigie d’Hippocrateou du doyen. Chacune des étapes de ce parcoursétait l’occasion d’interminables discussions.

● Si loin de nous ?

Nous aurions beau jeu d’aujourd’hui nousgausser des connaissances de l’époque, duformalisme abstrait des épreuves et de la pompedes cérémonies. Mais à prendre du recul, nepercevons-nous pas un petit air d’encore vudans la sélection des candidats, dans l’initiationmenant à la formation d’une corporation pastrop ouverte, dans le goût du jargon et de ladiscussion, dans la grande attention apportéeau savoir sur la maladie (fut-il expérimental etscientifique) au détriment de celui sur lemalade ?

Et puis, serait-il anachronique d’ouvriraujourd’hui un banquet en l’honneur desnouveaux diplômés par la même apostrophe quejadis : Salus, honor et argentum. Atque bonumappetitum. ●

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La formation à l’accueil : une recherchespécifique

Béatrice DeCoene,coordinatrice dela formation àl’accueil.

La Fédération des maisons médicales acréé la formation à l’accueil car aucuneformation existante ne rencontrait lesspécificités de l’accueil. Théoriquement,cette fonction est définie comme le premiercontact qui reçoit la plainte brute dupatient, la traite, l’oriente, la réfère.L’accueil est considéré comme le plusproche de la population car le moinstechniquement spécialisé et le pluspolyvalent. Cette fonction est en contactavec l’ensemble de la population et aucentre de la communication entre l’équipeet la population tant aux niveau des soinsque de l’administratif.Après la réalisation de cinq formationsentre 1992 et 1999, voici un premier bilan.Il est basé sur la mise en parallèle entre ladéfinition théorique de la fonction et lapratique vécue par les participantes.

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Le principe des formations à l’accueil est basésur l’échange des savoir-faire des participantesafin de conceptualiser cette pratique issue demaisons médicales aux histoires et horizonsdifférents. Chaque accueillante partage sonvécu dont nous relevons les points communs etles spécificités. Ce qui constitue la base de notreapproche de définition de la fonction.

A la première rencontre l’incontournablequestion qui traversera toute la session estposée : qu’est ce que l’accueil ? Une réponserevient à chaque fois : « la plaque tournante ».Ce leitmotiv est donc partagé par beaucoupd’équipe ! Que renferme cette idée de plaquetournante ?

Imaginons que ce soit un carrousel dontl’accueillante est le centre. Cette image va nouspermettre de mettre en scène les différentsaspects de la fonction sur base de situationsconcrètes. Au premier tour, elle donne unrendez-vous par téléphone, remet uneprescription à un patient. Il s’agit du premierniveau d’intervention accueil/patients. Audeuxième tour, elle sort un dossier, passel’information d’une visite annulée à un membrede l’équipe. C’est le deuxième niveau d’actionaccueil/équipe. Au troisième tour, elle encodeles prestations de l’équipe, donne lescoordonnées de la maison de quartier à un jeune

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TOUT DANS LA TETE

patient. Troisième niveau de travail accueil/équipe/patients.

Mais le carrousel peut s’emballer etl’accueillante ne plus maîtriser la plaquetournante qui tourne de plus en plus vite.Voyons cette mise en situation ou les troisniveaux ne s’articulent plus harmonieusement.Alors le téléphone n’arrête plus de sonner etles patients s’énervent devant son bureau. Latasse de café que le patient a déjà demandé deuxfois se fracasse sur l’ordinateur où elle tape lerapport super urgent qui devrait déjà êtreenvoyé. Pendant qu’elle tente de rassurer unepatiente en pleurs au téléphone, un membre del’équipe réclame à grands cris un dossier qu’ellen’a pas encore pu sortir. Puis un collègue luireproche d’avoir donné un rendez-vous à cepatient qui de toute façon n’y viendra pas. Ellea juste le temps d’accrocher le regard victorieuxet plein de reproches de ce patient à qui ellevient d’expliquer la nouvelle consigne, décidéeen équipe : « ne plus intercaler », juste avantque le thérapeute fasse entrer le patient dansson bureau.

Cette dernière mise en situation est une imagecondensée, présentée en accéléré. Certainesaccueillantes y reconnaîtrons des situationsvécues, d’autres seulement quelques aspects deleur quotidien. Analysons ce qui peut poserproblème dans ces différents aspects décrits.D’abord, la multitude des tâches différentesparfois confiées à l’accueil, l’écoute despatients, la participation à divers projets parexemple en prévention, la comptabilité,l’encodage ou du travail social. Lesaccueillantes vivent parfois leur fonctiond’accueil comme fourre-tout.

Cette polyvalence demande beaucoup d’énergieet des compétences trop différentes. D’où cessentiments de stress et de débordement souventévoqués et regrettés, car pénibles à vivre. Pourcertaines le plus difficile est de concilier lesfonctions de secrétariat et l’accueil. Maintenirun même niveau de qualité égale pour chaquetâche n’est pas toujours réalisable. Elles en sontconscientes et en souffrent. Comment cadrerchaque activité ? Comment l’accueil peut-ilmettre ses limites et en mettre à l’équipe ?

Un autre aspect est l’interface de la fonctionentre le(s) patient(s) et l’équipe (et chaquemembre de l’équipe). Mais aussi les interactionsconflictuelles que cela engendre parfois et quisont parfois difficiles à gérer et à vivre.L’accueil est tour à tour avocat du patient etgarant pour l’équipe des règles defonctionnement de la structure. Parfois celacoince, il n’est pas aisé d’être à l’intersectionet de choisir une priorité. Comment ne pass’interposer dans la relation patient/thérapeuteet trouver sa place d’accueillante ? Commentexpliquer les règles de fonctionnement del’équipe aux patients sans être perçue commerigide ? Quelle image l’équipe donne-t-elle dela fonction d’accueil aux patients ?

L’on pourrait qualifier cette fonction depolitique dans le sens de mener les relationsavec les autres, de les organiser par rapport auxrègles définies par le groupe. Cette place permetainsi de relever les adéquations du groupe etses dysfonctionnements. Mais reçoit-elle l’avalde l’équipe pour le faire ? Souhaite-t-elleremplir ce rôle délicat ? Jusqu’où peut-ellealler ? Quels pouvoirs d’action lui laissentl’équipe et lesquels va-t-elle oser prendre ?Quelle place professionnelle l’accueillanteprend-t-elle dans ces rencontres à trois acteurs(accueillante-patient–équipe) ?

Et puis, l’accueil est de fait, plongé dansl’interdisciplinaire, voir dans une approchetransdisciplinaire.Mais cette approche est fort dépendante desautres disciplines. Son action étant basée sur larelation, la communication, la transmission,l’interpellation entre elle, le patient et l’équipe.Quelle est sa marche de manœuvre spécifique ?Est-elle un intervenant de santé à part entière ?Les règles communes, définies en équipe, sontappliquées par les individus et donc vécues etinterprétées différemment. Comment alorséquilibrer les demandes individuelles etcollectives des patients par rapport aux réponsesdes autres intervenants, réponses elles aussiindividuelles et collectives ?

L’accueil doit encore approfondir sa définitionet d’avantage que les autres fonctions depremière ligne. Mais cette fonction à moins de

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C A H I E R

points de repères pour le faire. Pas de formationcommune que l’on peut critiquer et améliorer,comme les autres fonctions des soins de santéprimaires. Une expérience, bien jeune, plus oumoins vingt ans et peu de mise en commun.Comment garantir la crédibilité de la fonctionpar rapport à l’accueillante elle-même, l’équipeet le patient ? Comment répondre au grandbesoin de reconnaissance des accueillantes ?Voilà de quoi ouvrir le débat.

La fonction d’accueil n’est ici qu’approchée,car spécifique à chaque maison médicale. Lorsdes sessions une attente est partagée par toutesles participantes : mieux définir leur fonction.De même à la fin de chaque formation uneconclusion s’impose : la définition de l’accueildoit se faire au sein de son équipe, avec laparticipation de chacun. L’histoire, la culture,la spécificité de chaque équipe sont lesmatériaux de base pour définir les besoins etles spécificités de la fonction d’accueil qui leurssont propres. Les éléments recueillis lors desformations peuvent aider à la construction decette définition.

Je voudrais témoigner de la qualité dequestionnement des accueillantes sur leurmétier et ainsi que de leurs soucis deprofessionnalisme. Et aussi rendre compte del’enthousiasme, l’intérêt et le plaisir que lesparticipantes expriment à propos de l’exercicede leur métier.

J’invite chaque accueillante à prendre la plumepour témoigner, questionner sur cette fonctiond’accueil. Est-ce la première ligne de lapremière ligne comme le suggérait uneaccueillante ?

La formation à l’accueil : une recherche spécifique

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TOUT DANS LA TETE

Assistant social aujourd’hui

Interview deCatherine

Bosquet et deSylvie Colin,

avec lacollaboration de

Martine Hanocq,professeurs dans

un institutd’enseignement

supérieur social,contactées par

Santé conjuguéeen tant qu’expertspour parler de la

formation desassistants

sociaux.

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Hautes Ecoles, autres écoles ?

● Santé conjuguée : Qu’appelle-t-onaujourd’hui Haute École dans le domainesocial ?

❍ Sylvie Colin : C’est un rassemblementd’instituts supérieurs initié par les ministresLebrun puis Graffé dans le cadre d’unerationalisation de l’enseignement supérieur nonuniversitaire en Communauté française. Unnombre minimum de mille huit cents étudiantssont regroupés dans une institution académiqueoù se mêlent des études de type court et de typelong. En l’occurrence, nous venons dudépartement social de la Haute École Paul-Henri Spaak.

L’impact majeur des facteurs sociaux etéconomiques sur l’état de santé rendnécessaire une étroite collaboration dessoignants et des travailleurs sociaux. C’estainsi que même dans de petites structuresde première ligne telles que les maisonsmédicales, l’équipe de base comprendrégulièrement un(e) assistant(e) social(e).Santé conjuguée a rencontré Sylvie Colin,maître de formation pratique, et CatherineBosquet, maître assistant en méthodologieet déontologie, afin d’éclairer laproblématique de la formation desassistants sociaux.

❏ Catherine Bosquet : L’idée était deregrouper des écoles par réseau (il y amaintenant deux Hautes Écoles organisées parla Communauté française à Bruxelles, qui vontpeut-être fusionner), pour des questionsbudgétaires avant tout.

● Dans un objectif de qualité ?

❍ Sylvie Colin : Il est sans doute trop tôt pourapprécier les changements en terme de qualité.Les structures « Hautes Écoles » ont été penséesjuridiquement et administrativement mais surle terrain beaucoup de choses restent encore àconstruire, ce qui pèse sur nos conditions detravail. Actuellement, la transformation del’organigramme et la proximité de nosinterlocuteurs-décideurs sont les modificationsles plus manifestes.

❏ Catherine Bosquet : Il y a une pseudoautonomie de gestion et une intention dedémocratisation : on a créé des organes deconcertation, de participation et de décisiondans lesquels siègent des représentants desétudiants et aussi des représentants de tous lescorps professionnels de l’institution. Dans lapratique, on sent peu d’amélioration réelle.

● La population étudiante a-t-elle changé ?

❏ Catherine Bosquet : Elle a augmenté etchangé : dans notre département social, il y aun plus grand nombre d’étudiants venant del’enseignement technique et professionnel ainsique des étudiants français qui n’ont accès auxécoles de service social que sur concours avecun numerus clausus. Certains empruntent aussinotre filière pour court-circuiter descandidatures universitaires avec l’idée de faireune licence (par exemple la criminologie). Ilest difficile de former des gens de terrain censéstravailler avec un bagage théorique et pratiqueimportant quand nombre d’entre eux ne sontpas motivés pour devenir assistant social.

❍ Sylvie Colin : Les étudiants sont de plusen plus nombreux. Depuis quatre ans, on croitchaque année avoir atteint un pic, mais on semaintient à un palier de deux cent vingtétudiants en première année. C’est unphénomène commun à toutes les écolesd’assistants sociaux. Il y a un engouement pources études, que je ne m’explique que par un

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C A H I E R

Assistant social aujourd’hui

choix médiatique : les valeurs sociales,humaines reviennent à la mode après les années80 qui étaient en crise économique et sociale.Catherine Bosquet Et on garde 60 % deseffectifs à l’issue de la première année !

● Combien d’élèves sortent chaqueannée ?

❍ Sylvie Colin : Une centaine, plus ou moins45 % des étudiants entrés. Mais noscaractéristiques ne sont pas transposables dansles autres écoles sociales parce que, ayant unpouvoir organisateur « Communautéfrançaise », nous sommes obligés de prendretout le monde, y compris les étudiants qui n’ontpas pu s’inscrire ailleurs. C’est une de nosdifficultés car le nombre de professeurs nechange pas. A cela s’ajoute que nos conditionsfinancières d’inscription sont moins coûteusesqu’ailleurs.Autre spécificité, il y a chez nous des maîtresassistants qui donnent des cours théoriques etde méthodologie et des maîtres de formationpratique qui ne doivent pas nécessairementavoir un diplôme universitaire mais qui ont uneexpérience d’assistants sociaux de terrain etdont la fonction consiste exclusivement àencadrer les stages et les travaux de fin d’étudeset à assurer les supervisions. Dans les autresécoles, les fonctions sont mixtes, l’encadrementde pratique professionnelle se fait par desprofesseurs de méthodologie.

L’assistant social, une plaquetournante

● Le travail de l’assistant social et lesstratégies de travail social ont beaucoupévolué. Y a-t-il encore moyen d’être assistantsocial généraliste ?

❏ Catherine Bosquet : L’assistant social està la fois un agent d’aide personnelle, voletindividuel de l’aide sociale qui vise l’autonomiedes personnes, et un agent social collectif quivise un progrès humain au sens large du terme.Ces deux aspects sont restés, mais lesapprentissages que cela suppose ont changédans le contexte social, économique, politiqueet en terme d’intervention et de méthodologie.Ceci dit, c’est une formation qui doit rester

polyvalente, généraliste, globale, car il y a desconstantes quel que soit le domaine dans lequelon travaille.

❍ Sylvie Colin : Les problématiques ontévolué : elles sont de plus en plus« multifacettes » et ce n’est pas parce que l’onse spécialise dans un domaine qu’on n’aura pasbesoin de s’occuper d’un autre domaine. Onévite le plus possible de saucissonner laformation. Dans le contact avec des personnesprécarisées, il faut se placer dans uneperspective globale et être « touche-à-tout » :la complémentarité de divers niveauxd’intervention doit être maintenue.

❏ Catherine Bosquet : On ne peut, comme onle faisait anciennement, se contenter d’aiderles personnes individuellement en fonctiond’une situation spécifique. La dimensioncollective du travail a pris un sens important,l’intervention se fait de façon intégrée à tousles niveaux.

❍ Sylvie Colin : Simultanément, les pratiquesde réseau, de partenariat se développent de plusen plus.

❏ Catherine Bosquet : La société a subi troisbouleversements majeurs dans les dernièresdécennies : la crise économique, la crise socialeet un changement dans l’action publique, dansl’intervention de l’État.La crise économique a créé un systèmed’exclusion multiforme qui a conduit un nombreimportant de personnes dans une situation denon-travail ou faiblement rémunérée. Or, lesprotections sociales se sont construites sur lesalariat dans le cadre du plein emploi. Lesdifficultés économiques ont réduit les recettesde la sécurité sociale et augmenté le nombred’exclus de cette protection et celui desbénéficiaires de l’aide sociale. Il y a un reculdes dépenses sociales affectées à la politiquefamiliale, à la politique de santé, …Cela transforme le travail de l’assistant social.Un exemple : dans les hôpitaux, on a instauréun résumé social minimum afin de rationaliserles dépenses. Ce système normatif vise àquantifier le travail social dont la spécificitéest justement d’être qualitatif. Cela le détournedes dimensions humaines. Pourtant, sil’assistant social, confronté à la pauvreté et au

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TOUT DANS LA TETE

surendettement, doit faire face à des urgences,il doit aussi étendre son champ d’action pourcontribuer dans la mesure de ses possibilités àune insertion au niveau socioprofessionnel, àl’amélioration de l’accès aux soins de santé,des conditions de vie, de logement, de travailet d’environnement. Toutes choses qui ont uneincidence en terme de santé et de santé mentale.La crise sociale est le deuxième bouleverse-ment, dont la violence dans les quartiers est unsignal : on parle des valeurs perdues, de lamontée des individualismes, de problèmesculturels, etc. Il y a aussi un profondbouleversement familial : familles monoparen-tales ou recomposées, changement dans lessolidarités familiales, vieillissement de lapopulation, …Donc l’assistant social doit renouveler sapratique au départ basée sur l’interventionindividuelle : on fait de plus en plus appel auxtravailleurs sociaux pour reconstruire les lienssociaux et contribuer à la cohésion sociale.

❍ Sylvie Colin : Les changements dedénomination sont parlants : on qualifiel’assistant social d’agent de médiation,d’insertion, … ou encore d’assistant de justicepour tout ce qui concerne le travail sous mandatavec les justiciables. Il doit rentrer de plus enplus dans des moules différents, presquehermétiques les uns par rapport aux autres.

❏ Catherine Bosquet : Pour ces interventionssur le lien social, on va faire appel à lui pourdes projets en santé communautaire surcertains quartiers. De nouveaux décrets(relatifs aux centres d’action sociale globaleou aux services d’aide en milieu ouvert)imposent de faire du communautaire, ducollectif et de l’individuel.

Parallèlement, il y a apparition d’une nouvellepolitique sociale. Avant les mesures se prenaientpar secteur d’activité, protection de l’enfancepar exemple, ou par catégories : personnesâgées, handicapés. Aujourd’hui, il y a unevolonté du politique de partir du territoire, dulocal, ce qui suppose que le territoire est lemeilleur lieu pour répondre avec plusd’efficacité et de spécificité aux problèmeslocaux : contrat de sécurité ou de prévention,zones d’éducation prioritaire, politique de laville, …

Cela suppose pour l’assistant social denouveaux outils, de nouvelles méthodesd’intervention. Il continue à traiter dessituations individuelles et le modèle psycho-relationnel d’intervention garde toute sonimportance. Il aide les personnes, les famillesà restaurer leur identité, leur autonomie, leurcitoyenneté. On a souvent tendance à reléguerl’assistant social dans un rôle administratif sansse rendre compte de tout ce que cela veut direen terme d’identité et de restauration des droitscitoyens : cela ne se limite pas en remettre unemutuelle en ordre !

Mais ce modèle psychosocial ne suffit plus. Cene sont plus seulement la personne et son vécuqui sont en jeu, c’est l’offre d’insertion auniveau de la société en général. Ce qui impliqued’intervenir sur le milieu social avec d’autresprofessionnels, en partenariat, pour viserl’amélioration du cadre de vie, du niveau desanté, des équipements divers, des conditionsde vie sanitaire de base. L’assistant social estamené à mettre tout cela en œuvre de façondynamique, en élaborant des projets précis, enplanifiant l’action, en évaluant les résultats. Lepartenariat se complexifie considérablementpar la multiplication des acteurs et desstructures en place. L’assistant social doit seconfronter à ces nouvelles structures, lesconnaître, négocier avec d’autres partenairessans renier ses valeurs et sa propre formation,qui est spécifique même si elle est généralisteet globalisante. Il devra communiquer et serendre intelligible pour les autres. Finalement,l’assistant social est la plaque tournante et lecoordinateur de ces différentes disciplines carétant donné sa formation il est au centre de cesystème, il peut coordonner les actionspluridisciplinaires et être à l’écoute de laplainte individuelle ou collective, à l’écoute dece qu’il y a derrière et devant, à coté…

Du temps

❍ Sylvie Colin : Il faut acquérir uneconnaissance volumineuse et des compétencesmultiples dans toutes sortes de dispositifs :juridique, médical, politique, psychosocial,économique, … mais la formation ne dure quetrois ans. Ce n’est pas suffisamment long.

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C A H I E R

❏ Catherine Bosquet : On parle de façonrécurrente d’allonger les études d’un an. Il y abeaucoup d’aspects différents à aborder :économie, cadre juridique, psychologie,législation, santé, santé mentale, sans oublierla philosophie morale, la politique,l’anthropologie, choses qu’on a tendance àréduire pour des questions de restrictionbudgétaire…

Devoir se battre, que ce soit sur le planindividuel ou collectif, pour que les citoyenspuissent revendiquer leurs droits les plusélémentaires devient un aspect important dutravail. Le chef du service social d’un CPASqui a des problèmes par rapport au secretprofessionnel dans son service m’a contactéepour discuter d’une formation pour lesassistants sociaux alors qu’ils sortent de leursétudes avec un bagage en la matière. Sur leterrain, les conditions de travail sont difficiles,on doit faire plus de choses qu’avant dans lemême temps avec en plus une rationalisationbudgétaire qui nous fait craindre de voir seréduire les choses essentielles à une peau dechagrin.

Du fossé entre la théorie et lapratique

● Vous décrivez le besoin d’une perceptionpolitique des choses : comment la fairerentrer dans un programme de formation ?

❏ Catherine Bosquet : Il est exagéré deprétendre que les jeunes ne s’impliquent paspolitiquement. Ils se désintéressent de lapolitique partisane mais la dimension citoyenneexiste toujours. Elle ne s’exprime pas telle quenous nous l’exprimions avant maisl’engagement est réel et à la limite leurs idéauxsont peut être moins utopiques.

● Comment concilier une perceptionpolitique avec la dure réalité des gens quiexige un travail d’accompagnementconsidérable ? Comment éviter la« rustinothérapie », la sensation qu’il n’y apas grand chose d’autre à faire ? On entendbeaucoup le mot « frustration » du côté desassistants sociaux.

❏ Catherine Bosquet : On a l’impression queles assistants sociaux travaillent de plus en plusdans l’urgence et ont du mal à s’octroyer dutemps pour la réflexion et la coordination dutravail.

❍ Sylvie Colin : Il faudrait du temps pourfaire le lien entre l’école et les situations deterrain. Ce serait important que les professeursdescendent sur le terrain et que les gens qui

Assistant social aujourd’hui

La formation déontologique et éthique nousparait fondamentale, notamment pour résisterà la volonté du politique de faire contribuerl’assistant social au contrôle social. Lespolitiques sécuritaires offrent des financementslà où d’autres pratiques de travail social ne sontpas reconnues. Cette formation doit s’articuleravec la mise en situation que prévoient lesstages et permettre de prendre du recul parrapport à cette mise en situation au travers dessupervisions individuelles et collectives. Larefonte de nos grilles horaires menace deréduire cet aspect, qui est d’autant plusimportant que le public auquel on est confrontéest plus précarisé qu’avant, moins bien outilléau niveau de la maîtrise de la langue, de lacapacité de construire un raisonnement logiqueet une argumentation. On risque de glisser versl’assistant social « technicien des papiers »…

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TOUT DANS LA TETE

reçoivent des étudiants en stage prennent lapeine de faire un retour. Mais les gens de terrainsont débordés et prendre des stagiairesreprésente pour eux un poids supplémentaire.Quand on est responsable de stage sur leterrain, ce n’est pas évident de déléguer unetâche à un jeune qui a l’air démuni, tellementfragile. Dans ce contexte, les étudiants sontmoins encadrés qu’avant. Il n’y a pas beaucoupde choix possibles. Pour en sortir, il faudraitmultiplier les mises en situations sur le terrain,renforcer l’encadrement de la formationpratique afin de soutenir davantage l’étudiantqui doit très souvent prendre un reculémotionnel et affectif pour accéder à un travailplus rationnel. Il faut renforcer les liens entrethéorie et pratique.

❏ Catherine Bosquet : En fait les cours deméthodologie sont un peu une articulation entreles deux.

Du contenu de la formation aurôle social

● Y a-t-il des nouvelles orientations dansle contenu de la formation ?

❍ Sylvie Colin : Avant, la grille horaire offraitune série de cours à option qui permettaient dese spécialiser dans des problématiques socialesdélimitées. Depuis une dizaine d’années, tousles étudiants passent par le même tronccommun, en tout cas par rapport à laméthodologie, et il n’y a plus que quelquesheures de cours à option.

❏ Catherine Bosquet : Par exemple, ledéveloppement communautaire était uneoption, c’est devenu un cours obligatoire.

❍ Sylvie Colin : Nous aimerions développerdans une nouvelle grille horaire l’aspect despratiques locales de développementcommunautaire.

● Quand vous dites « augmenter le travailde proximité, local, communautaire », c’estparce que vous avez l’impression que ce sontdes stratégies pertinentes aujourd’hui parrapport aux problèmes qui se posent ?

❏ Catherine Bosquet : Bien sûr. Comme jel’ai dit tout à l’heure, la dimensioncommunautaire offre de plus grandes chancesen terme de changement social, de permettreau citoyen de participer plus activement àl’organisation de la cité, de reprendre le pouvoirde faire des choix responsables. Cela reste unevoie malheureusement trop peu explorée parnos étudiants ; ils ont parfois l’impressiond’être plongés dans la fosse aux lions…

❍ Sylvie Colin : Il y a une certaine violencequi s’exprime. Quand on voit un CPAS installerun système d’appel par bouton poussoir pourles assistants sociaux qui se sentent menacés...Il y a une rupture de dialogue et c’est dur detravailler comme cela.

❏ Catherine Bosquet : Parmi les étudiants,il y a des jeunes en situation de rupturefamiliale, de souffrance intériorisée, quipensent : « en m’occupant des autres, jem’occupe de moi aussi ».

● C’est aussi une profession où la lecturede son propre rôle social a une dimensionimportante. On ne véhicule pas les mêmesstratégies culturelles dans un CPAS dirigépar la politique de son pouvoir organisateurou ailleurs. Il y a une forme d’instrumen-talisation forte dans les nouvelles politiquesde type sécuritaire où non seulement il y a lecôté sécuritaire mais aussi toutes lespolitiques de l’intermédiaire, de lamédiation, destinées à éviter les conflits. Làaussi l’assistant social est tampon au sensclassique. La capacité à se lire dans cessituations me parait difficile.

❍ Sylvie Colin : C’est pour cela qu’on ne peutpas diminuer le temps de réflexion et de mise àdistance que sont les supervisions dans laformation et qu’on devrait s’adjoindre despartenaires du terrain c’est-à-dire les gens quiacceptent de jouer le rôle de référentprofessionnel. Être assistant social exige unecertaine « carrure » car c’est un métier difficilequi expose très tôt les jeunes à la misèrehumaine. Pour les former valablement à lapratique du métier, nous devons leur assurerune disponibilité suffisante et de qualité.●

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C A H I E R

Les manquements dans laformation des soignants

● Dans les formations de base

La sélection des étudiants en médecine se faitessentiellement sur les capacités intellectuellesdes candidats, sur leurs facultés à comprendre,et surtout à garder en mémoire, des sommesimpressionnantes de données scientifiques.Jamais - sauf incroyable exception - un étudiantn’est arrêté par de mauvaises côtes dans lesquelques petits cours de philosophie, depsychologie ou de déontologie.

Au-delà de ces études scientifiques se présentele temps des stages. Et là encore, les étudiantssont côtés sur leurs capacités intellectuelles àposer un diagnostic, à interpréter les examenstechniques, sur leur disponibilité servile à

répondre illico à toute demande des « patrons ».Les véritables qualités humaines des stagiairesne sont effectivement prédominantes que dansl’évaluation du stage… en médecine générale !

Dans certains pays - la Suisse si mes souvenirssont exacts - il fut imaginé de sélectionner lesétudiants en première année de médecine surleur capacité à réaliser et à supporter des stageshospitaliers… dans le rôle d’infirmier(e)s. Cetteposition demande en effet plus d’humilité, dedévouement, d’obéissance, de qualitéshumaines donc, que les stages de médecine. Laplupart des étudiants, qui avaient mordu sur leurchique pour passer cette épreuve initiatique,juraient que plus jamais ils ne se comporteraientainsi… Pour certains médecins belges,l’épreuve initiatique était - et est encore - lepassage obligé par la salle de dissection et sonodeur de formol. Belle préparation à lamédecine humaine et relationnelle !

Le volume des matières scientifiques - ycompris la psychiatrie - à ingurgiter en sept ansau minimum par les médecins, en trois ou quatreans par les paramédicaux, a augmentéconsidérablement au fil des ans. Parallèlementse réduit comme peau de chagrin le temps quireste à la disposition des étudiants et desétudiantes pour vivre dans la société, réfléchirà son évolution et aux choix qu’elle impose, seplonger dans sa culture sous toutes ses formes.C’est-à-dire connaître le terreau dans lequel lesfuturs soignants auront à pratiquer ce quicontinue à s’appeler légalement « l’art deguérir »...

De plus, en faculté de médecine surtout, lasélection soi-disant nécessaire des candidatsdont le « numerus » est « clausus » se fait parle classement aux examens. Les meilleurs serontdonc les plus grosses têtes, les plus bûcheurs,ce qui signifie souvent ceux qui « sortent » lemoins de l’étroitesse de la science et du mondemédical, qui entrent le moins dans undéveloppement personnel humaniste et social.L’accès aux spécialités médicales par la lectureadmirative des grades obtenus aux examens nefait qu’aggraver le problème du côté desspécialistes.

Les centres universitaires de formation enmédecine générale - les CUMG dit-on en

Henri De Caevel,médecin etpsychanalyste àla maisonmédicale deTournai.

Si des sujets se formaient à soigner des sujets

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La pauvreté de la formation psychologiqueet sociale des médecins et des autressoignants est criarde. Mais hélas si certainstentent, depuis des dizaines d’années, derépercuter ce criard manquement, leurhurlement ne cause aucun parasitageaudible aux brillants accents médiatiquesdes triomphes de la médecine scientifique.Ces manques se manifestent d’abord dansla formation de base des médecins et desparamédicaux, et restent encore majeursdans les recyclages et autres propositionsde formation continue, même dans lasphère des maisons médicales….C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’il me futdemandé de réfléchir à un article pournotre revue.

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TOUT DANS LA TETE

La médecine du nouveau millénaire se définit comme scientifique, veut travailler sur la réalité « objective » ducorps malade. Un axiome de la position scientifique est que le chercheur scientifique ne peut pas être en jeu,en tant que personne, dans l’expérience qu’il mène et observe. En science, pour objectiver les phénomènesainsi observés et les distinguer d’interprétations subjectives des chercheurs, il faut pouvoir confronter cesobservations avec celles des autres chercheurs.

« Objectiver » le phénomène morbide est, c’est le cas de le dire, l’objectif de la médecine scientifique. « Ledésir du médecin a la maladie pour objet », écrivit Jean Clavreul1.

Dans la perception qu’en a aujourd’hui la société, le médecin est un bon scientifique... altruiste. Il s’intéresse àl’autre, mais c’est en fait à l’objet-corps de l’autre qu’il s’intéresse, et ce dans le cas spécifique où cet autre estmalade ou blessé. C’est par extension donc qu’est supposé chez lui un intérêt pour l’autre en tant que semblable,supposition qui donne une base à sa fonction apostolique, à sa fonction de prêtre2.

Je soutiens aussi que, dans les ressorts inconscients de sa « vocation », caché dans sa volonté d’étudier le corpsdes autres, volonté elle-même masquée par le prétexte de pouvoir le guérir, le désir de tout médecin est deconnaître le fonctionnement de son propre corps, sexué et mortel. Ce n’est pas pour rien que la médecineutilise plus volontiers le mot autopsie - qui veut dire en grec « se voir soi-même » - plutôt que le mot nécropsie,« voir un mort ».

Les médecins comme les malades ont des corps, sont des corps. Mais des corps qui parlent et qui écoutent.Ces vivants sont ainsi des hommes, des sujets humains. Un mot banal peut-être que sujet, mais un mot dont jeme permets pourtant de préciser le sens, car il va nous réserver quelques surprises !

Dans le grand dictionnaire Larousse de 1923, à la définition de sujet, on lit : « en médecine : le cadavre quel’on dissèque »... Ce sens ancien - qui nous renvoie à cet étrange rite initiatique des médecins qu’est ladissection - nous semble bien étrange et restrictif ! Plus récemment, dans le même ordre de pensée sans doute,la chirurgie et la réanimation furent parfois appelées « médecines du sujet absent ». On peut, a fortiori, en direautant de l’anatomie pathologique ou de la biologie.

Pour affiner notre réflexion, je propose un détour par l’étymologie. « Ob-jectus » - littéralement « ce qui est jetédevant », ce qui saute aux yeux peut-on dire, s’oppose à « sub-jectus » - ce qui est jeté dessous, dessous labotte du maître. « Les sujets du roi, les assujettis... ». Un total renversement d’usage survint à la Renaissance,quand, merci Descartes et compagnie, le mot sujet changea de sens, radicalement. Le sujet devint alors « laconscience libre, donatrice de sens »3, devint le sujet de la phrase qui dit : « Je pense donc je suis ». On passade l’assujetti à l’acteur.

Certains penseurs de la médecine prônent une médecine du sujet (certains écrits de Balintiens, l’Ecole disperséede santé européenne4, etc.) qui se veut une alternative à la science médicale pure et objectivante qui est à soncomble dans la médecine du sujet absent. Cette idée est certes intéressante, mais reste insuffisamment étayéeau plan des principes philosophiques : ce dont se plaint le sujet malade doit logiquement et sans contestationpossible, être objectivé par la médecine.

1. Clavreul Jean, L’ordre médical, Ed. Seuil, 1978.2.« Entre la mort et l’homme, qu’y a-t-il ? Il y a le prêtre et le médecin. (Nous constatons l’indissociabilité des deux fonctions :

celle de prêtre et celle de médecin) ». J-P.GAILLARD, Le médecin, son cadre et sa pratique, Ed. ESF, Paris, 1994, cité parJ-G Romain dans La revue de la société balint belge, Sept. 95.

3. Une des définitions du Petit Larousse Illustré.4. Ecole dispersée de santé, Retrouver la médecine, Une rencontre sur l’île de COS, Ed. Les empêcheurs de penser en rond,

Paru en 1996.

Belgique - ont régulièrement des velléités àtravailler dans des séminaires spécifiques laformation psychologique des futurs médecins.

Mais quelques heures « spécifiques » font-ellesle poids en face des centaines d’heures deformation scientifique et technique ?

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C A H I E R

Dans le choix d’une profession de santé, le désirde trouver un métier bien rentable est présent.C’est normal. Mais quand cette motivationdevient principale, voisinant le désir d’êtreobjectivement scientifique, les malades risquentd’avoir de moins en moins de chances d’êtreaccueillis comme des êtres parlants, ensouffrance.

Mais qui, à l’heure actuelle, serait capable defaire entendre ces critiques et surtout deproposer des mesures alternatives ? En tout caspas les sociétés professionnelles qui sedéfinissent comme « scientifiques », nil’Académie de médecine, ni les organisationssyndicales ou ordinales... Les comités éthiquesdiscutent plus dans l’après-coup des dériveséthiques que de leur vraie prévention.Où faire entendre la petite voix de lacontestation humaniste en médecine ? Il fautque le mouvement de pensée qui a inventé lesmaisons médicales continue à entretenir cecreuset de pensée. Les amis de l’Ecole disperséeeuropéenne peuvent l’aider dans cette réflexion.

● Dans la formation personnelle spécifiqueaux soignants

Dans les sphères du travail social et éducatif,de nombreuses formations personnelles sontproposées aux intervenants de terrain. Pour lesbénéficiaires de ces formations, il ne s’agit doncpas d’y apprendre des éléments nouveaux detechnique professionnelle mais bien de remettreen question leur propre personne, leur manièred’être lorsqu’ils sont amenés à intervenir dansle tissu social et dans la vie de leurs semblables.

Ces formations personnelles peuvent êtrebasées sur des théories sociales, humanistes,psychologiques très différentes. Il existe dessortes de grandes surfaces de la formation quiproposent une variété extraordinaire deproduits ! Tout ce qui se vend et peut rapporterest proposé sur le même plan... Ces formationssont en fait des applications au développementpersonnel des professionnels de certains typesde thérapies. En laissant tomber le préfixe« psycho », en ne gardant que la racine grecquede la thérapeutique, ils laissent souventpercevoir le lien inconscient je l’espère - qu’ilsperçoivent entre l’action des dieux (théos) etleurs actes de « guérison ». De guérison, car ils

ne proposent pas de soins palliatifs, mais doncdes soins curatifs !

Certaines sont fondées sur l’hypothèsecomportementale pour laquelle les humainspeuvent être considérés comme des machinespilotées par un ordinateur qui n’a pas toujoursété bien programmé et qu’il serait bon de re-programmer. La programmation neurolinguis-tique (PNL) en est un exemple, les « thérapiescomportementales » en sont d’autres. J’oseécrire franchement que je n’aime pas cesméthodes, trop proches au plan théorique desfameux camps de redressement des régimestotalitaires pour qu’il n’y ait pas de craintes àavoir au cas où ces rééducations seraient auxmains de certains pervers.

Les gestaltthérapies, basées sur l’ici-maintenant, ne se soucient pas de l’analyse,dans la vie actuelle, de phénomènes qui seraientla répétition de situations historiques refouléesdans l’inconscient. L’inconscient n’est pasreconnu comme un lieu de travail psychothéra-peutique efficace. Ces bases m’apparaissentlégères au plan de la réflexion philosophiqueet réductrices dans leur conception de ladynamique psychique.

Certaines propositions de thérapiesm’apparaissent plus farfelues ou sans grandfondement théorique. Jusqu’à plus ampleinformé, je classe dans cette catégorie deschoses comme le chamanisme transféré dansnotre culture, les expériences à visée régressivecomme le Cri Primal et le Rebirth.

Les théories psychanalytiques - que j’ai étudiéesen profondeur depuis plus de trente ans - sont àmon avis beaucoup plus fondées, plushumaines, humanistes, plus fines et plus sûres,plus intelligentes que les autres théories quisous-tendent les formations dites personnelles.Lacan a précisé qu’analyser le psychisme d’unsujet c’est l’aider à découvrir les ressorts de sondésir inconscient, ce qui n’est pas en soithérapeutique. La guérison des symptômesgênants ne viendra que… par surcroît !

La psychanalyse individuelle « cure-type » estla voie la plus sûre dans laquelle peut s’engagercelle ou celui qui voudrait découvrir les ressortsprofonds de ses désirs et des comportements

Si des sujets se formaient à soigner des sujets

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TOUT DANS LA TETE

concrets par lesquels elle ou il tente de lesréaliser. L’analyse du désir de soigner, d’êtremédecin ou paramédical, de vouloir s’occuperdes autres en difficulté est particulièrementprofonde et efficace pour celles et ceux quiprennent le temps de s’investir dans un travailde ce type5.

Basées sur les mêmes repères théoriques - àpropos du refoulement, de l’inconscient, despulsions, du désir, de la jouissance, du sens dessymptômes - les psychothérapies analytiques,individuelles ou en groupes comme lepsychodrame psychanalytique, peuvent aussiamener des prises de conscience importanteschez les soignants.

Dans le même ordre d’idée, je dois signaler icil’étrange question du semi-échec des groupesBalint. Michaël Balint - psychiatre etpsychanalyste anglais d’origine hongroise -travailla durant de nombreuses années avec desmédecins généralistes en difficulté dans leurtravail. Il mit au point une méthode de réflexionen groupe, sorte d’analyse des pratiques, baséenon sur la validité scientifique des diagnosticset traitements mais sur les implicationsaffectives et personnelles du médecin dans sesrelations avec ses patients. Si le but, disait-il,n’est pas une thérapie du participant, le travaildans de tels groupes provoque « un changementimportant » dans la position subjective dumédecin.Pourquoi si peu de médecins et de para-médicaux - ces groupes étant aujourd’huiouverts à tous les soignants - se plient-ils à cettediscipline ? Par manque de temps, parce queles soignants n’éprouvent pas de difficultésaffectives personnelles dans l’exercice de leurmétier ? Sûrement pas. Je suspecte plutôt lemanque d’humilité des soignants, leur difficultéà reconnaître qu’ils sont faillibles, qu’ils ne sontpas (tout) puissants !

J’avais espéré, il y a vingt-cinq ans, avec ledébut de la féminisation de la médecine, quecette certitude dominante de puissance allaitévoluer. Hélas, il n’en est rien ou presque. Demême, l’ouverture de la profession d’infirmièreaux hommes n’a pas modifié notablement laposition inconsciente ambiguë de cespraticiens : ils restent, dans leur vocationcomme dans l’image que le public se fait d’eux,

des « seconds rôles » à la fois repérés commetendrement aimants pour les malades maisreprésentés par la seringue, par le geste agressifde la piqûre.

Bref, si le souhait est de ré-humaniser lamédecine, il serait bon qu’un plus grand nombrede ses acteurs, médecins et paramédicaux, osentremettre en question les ressorts inconscientsde leurs choix professionnels, et ce, par untravail personnel dont l’objectif serait d’éclairerla structure de leurs désirs.

● Dans la formation continue

Pour le maintien et l’amélioration de lacompétence psychologique et humaine dessoignants, quelle part est-elle prévue - si tantest qu’une part soit prévue - dans lesaccréditations et autres recyclages ?

En Belgique, quand il est dit qu’un travailpersonnel peut être reconnu dans certains caspar les commissions d’accréditation, il s’agitdu travail préparatoire à la rédaction d’unepublication scientifique médicale, et non de ceque les « psys » appellent un travail personnel,un travail sur sa propre personne…

Les accrédités doivent notamment collecterchaque année deux cents unités de formationcontinue dont trente en « éthique et économiede la santé ». Quelle étrange idée que celle dejoindre comme ça, directement, dans un mêmeintitulé, l’éthique et l’économique ! Il est patent,pour tout observateur extérieur, que cette penséene peut venir que d’économistes du secteur desassurances santé, qui espèrent qu’avec plusd’éthique, les médecins causeraient moins dedépenses aux organismes assureurs.

Ces points en éthique et économie doivent doncreprésenter un septième environ du temps deformation, mais sont, me dit-on, les plusdifficiles à récolter car les occasions sont rares,ce qui n’est sans doute pas sans lien avec le faitque les firmes pharmaceutiques ont peud’intérêt à intervenir dans l’organisation de cessessions. Dans leur logique, on les comprend.

Heureusement, même si cette réalité estétrangement peu connue des praticiens, laparticipation à un groupe Balint permet à un

5. Lire à cepropos l’exposéde l’auteur lors

d’une grandejournée de la

Sociétéscientifique de

médecine en 1996sous le titre : A

propos desrelations entre le

médecingénéraliste et lepsychanalyste.

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C A H I E R

médecin accrédité l’obtention d’unités deformation continue : une session de deux heurestrente est valorisée de vingt-cinq unités.

Quant à la vraie formation personnelle, à ce queje sache, elle n’est nullement valorisée par cesystème.

En guise de conclusion et d’envoi :Que pourraient proposer les groupesde soignants « alternatifs » ?

Dans l’état actuel de réflexion sur la médecine,l’intérêt philosophique des grandesorganisations sociales - syndicats généraux ouprofessionnels, sécurité sociale, ministères,fédérations de lieux de soins, etc. - est bien plusorientée vers le prix de revient ou la rentabilitéde la médecine que vers ses qualités humaines.C’est donc logiquement qu’elles se mobilisenttrès peu pour favoriser ou organiser lesformations individuelles, personnelles dessoignants. Au mieux, et quel progrès déjà sic’était vrai, pourraient-elles reconnaître lavalidité d’un tel travail en lui accordant un prixmesuré en unités de formation continue.

Une solution partielle a été trouvée par lamédecine hospitalière la plus technique qui, aulieu de s’humaniser, au lieu de promouvoir laformation de ses praticiens aux rencontreshumaines les plus vraies, celles que lessoignants peuvent vivre avec des hommes etdes femmes en fin de vie, se débarrasse aucontraire de ces malades. Celles et ceux querécupèrent les soignants en soins palliatifs sontenfin des malades à traiter comme des sujetshumains. Hélas, une telle organisation des soinslimite cet accueil subjectif idéal aux maladesavec lesquels aucun projet de vie ne peut plusêtre soutenu !

Ici enfin, celles et ceux qui se consacrent - lesens religieux du terme est le bienvenu - à cettemédecine « euthanasique » au sens plein duterme, ces bonnes volontés médicales et

paramédicales, demandent instamment desformations personnelles et des activités desoutien psychologique. Et la société civile,alertées ces derniers temps par le problème,commence à trouver des subventions pour cegenre de travail.

En pratique, les initiatives novatrices, efficaces,utiles, doivent donc être attendues du secteurassociatif privé.

Ainsi, dans le cadre spécifique du travail enmaison médicale, une formation pourrait,devrait être proposée. S’y réuniraient dessoignants, engagés dans une équipetransdisciplinaire et proche de la population,dans le but de travailler l’investissementpersonnel spécifique qu’impose ce mode defonctionnement. Un effet sur la vie des équipesest prévisible autant qu’un effet sur la relationde ces soignants avec leurs patients.

Pour être théoriquement soutenable et concrète-ment efficace, chacun de ces groupes devraitêtre constitué de huit à douze personnes, deformations différentes, et surtout travaillantdans des équipes différentes. Une telleconstitution du groupe lui permettrait de sedistinguer radicalement d’un travail d’analyseinstitutionnelle ou d’un audit.

Dès que huit personnes répondant aux critèresdéfinis s’y sont inscrites, un groupe pourraits’engager dans une série d’une dizaine deséances. Et ensuite, si comme je le souhaite etl’espère, de nouvelles demandes émergent,d’autres groupes se constitueraient. Ces groupestravailleraient chacun sous la direction d’unformateur rompu au travail psychologique etapte à soutenir la spécificité du travailtransdisciplinaire.

Ainsi verrait le jour un outil spécifique quiassurerait, au-delà des différences entre équipesà l’acte et équipes au forfait comme entre lesmédecins et les paramédicaux, la pérennité etle renouvellement permanent de la découverteque nous faisons depuis plus de vingt-cinqans.

Si des sujets se formaient à soigner des sujets

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TOUT DANS LA TETE

Quel plaisir de lire les articles réunis dans cescahiers. En effet, l’obligation si l’on veut fairede la bonne médecine, de prendre en compteles déterminants sociaux, économiques etculturels de la santé au même titre que lesdéterminants biomédicaux semblent largementpartagée1. Idem de la nécessité «de faire lasynthèse entre le vécu existentiel du patient etles savoirs médicaux»2 sans pour autant« former des psychologues ou des assistantssociaux....(mais) des généralistes habiles àreconnaître l’importance des dimensions bio-psycho-sociales des problèmes de santé»3. Cesnouveaux paradigmes (qui n’étaient jusqu’alorsdéfendus que par quelques activistes égarésdans le cénacle) ont désormais acquis leurslettres de noblesse au sein de la communautéscientifique4, 5.

Si cette vision semble avoir acquis une audiencesignificative parmi les professionnels, leschercheurs ou les planificateurs, les écoles demédecine quant à elles, paraissent bien enretrait. Comment donc expliquer ce retard ?

Peut-être parce que cette vision implique deremettre en question la croyance selon laquellela médecine est une science exacte. Cettecroyance a été largement entretenue par uneéquivoque épistémologique. En effet, il y a euconfusion entre la précision, la fiabilité,l’efficacité et la spécificité croissante del’arsenal diagnostique et thérapeutique et leurscaractères reproductibles et prévisibles. Il y aeu confusion entre ce qui est attendu pour unélément d’un système biologique isolé et laréaction du système dans son ensemble6. A cepropos la vague actuelle de l’« Evidence BasedMedicine » révèle en quelque sorte la nuditédu roi !

L’histoire institutionnelle peut aussi expliquercertaines choses. Les disciplines structurent nonseulement le savoir mais également le dispositifde recherche et de formation. Pour dépassercette organisation, il s’agit de mettre en jeu dessystèmes de pouvoir qui s’expriment enconnaissances, mais aussi en enveloppesbudgétaires, en locaux, en matériel, en lits, en

L’écart entre le modèle médical enseigné etla pratique de premier recours est-ilsoluble dans la formation␣?

Marie-ClaudeHofner, médecin

de santépublique, titulaired’une maîtrise en

pédagogiemédicale, unité

de prévention dudépartement

universitaire demédecine et santé

communautairede Lausanne,

Suisse.

nombre d’assistants, etc. C’est une des raisonspour lesquelles il est bien plus difficile dedégager des ressources pour les étudestransversales ou « contextuelles » que pour lesétudes nichées au sein d’une discipline propre.Ce cloisonnement disciplinaire et sesconséquences sur l’allocation des ressources estplus tangible, mais pas plus facile à vaincre, auniveau des politiques de santé. Par exemple, ila été démontré qu’une protection efficace desfemmes qui travaillent durant leur grossesseréduit massivement la prévalence desprématurés et des retards de croissance intra-utérine. Il est pourtant impensable à l’heureactuelle de dégager une partie des ressourcesallouées à la santé pour assurer la perte de gainliée à une diminution du temps de travail desfemmes enceintes.

Il y a aussi bien entendu des freins directementliés à l’économie de marché. Certains domainessont plus porteurs. En conséquence, cesspécialités reçoivent plus de moyens etoccupent une surface institutionnelle sanscommune mesure avec leur contribution réelleà l’état de santé.

Mais par-dessus tout, la résistance au change-ment se trouve confortée par un phénomèneinconscient redoutable : l’intériorisation parchacun de la valeur relative attribuée auxdisciplines. Certaines spécialités deviennentplus importantes puisqu’elles sont fortementsoutenues, tandis que d’autres, puisqu’elles sontmal soutenues, restent sous-développées et doncmoins prestigieuses. C’est une inversion de lalogique même de la recherche et dudéveloppement, mais qui conduit àl’intériorisation de cet étalon de mesure et àl’acceptation de ce système de valeur commevalidé et incontestable. « Traduites dans laréalité immédiatement, ces propositionsconstitueraient un tel changement conceptuelqu’elles en seraient définitivement discréditéeset vouées à l’échec » cette affirmation de MichelRoland et Marc Jamoulle dans l’introductionne pouvait pas mieux illustrer ce mécanisme.

Quant aux attentes vis-à-vis de la formation,

1. voir lescontributions deCharles Boelen,

Jacques Morel ouAndrée Poquet

dans ce numéroet dans le

précédent.

2. Monique VanDormael dansson article Le

médecingénéraliste du

futur.

3. voir l’articleLa formation en

soins de santéprimaire : une

perspectiveinternationale de

Jean Rodrigue.

4. voir l’ouvragedécisif Why are

some peoplehealthy andothers not ?

d’Evans R.G.,Barer M.L.,

Marmor Th.R.,Aldine de

Gruyter, Inc.,New York, 1994.

(suite au verso)

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C A H I E R

soulignons un curieux paradoxe. Nous sommestout à fait conscients des déterminants multipleset intriqués de la santé, mais pensons souventqu’une formation conforme aux besoins et auxconnaissances nouvelles conduirait automati-quement à une médecine rénovée. Ne faudrait-il pas également s’astreindre à appliquer unelecture contextuelle aux processus deformation ?

Par exemple, il est évident pour nous tous, quedes professionnels formés à l’application desmesures de protection des contaminations parvoie sanguine, ne pourront exercer « lege artis »que si le matériel technique approprié estdisponible. Si celui-ci fait défaut, leur formationà elle seule ne pourra d’aucune façon remédierau risque de transmission. Mais lorsqu’il s’agitde compétences plus complexes on négligesouvent l’examen de cette réalité. Or descompétences acquises n’ont de sens que si ellespeuvent s’opérationaliser. C’est-à-dire si lesconditions de l’exercice professionnel de cesnouvelles compétences sont réunies. Et ceci nedépend pas de la qualité ou de la quantité de« formation » dispensée, mais du contexteéconomique social et culturel dans lequel lesopérateurs agiront.

De même que l’intervention biomédicale nerésout pas tous les problèmes de santé, uneformation aussi parfaite soit elle ne comblerapas toutes les lacunes, ne résoudra pas tous lesproblèmes de l’activité médicale de premièreligne. Il existe bien entendu un rapportdialectique entre la capacité des professionnelsà penser, agir et nommer leurs interventions etle cadre dans lequel ils agissent.

Mais la formation ne peut à elle seule modifierle contexte d’intervention. Ce qu’elle peutapporter c’est une dynamique des savoirs enfinrestaurée, un débat d’idée pluraliste et nondogmatique, une ouverture à une plus grandemaîtrise des processus de connaissance. C’estdans cette perspective que les efforts pourmodifier la formation médicale sont unecontribution au combat central qu’il s’agit demener, afin que la profession médicale « ... envertu de la gravité du secteur dont elle relève,du principe de solidarité sous-tendant lefinancement de la sécurité sociale ainsi que les

exigences d’une juste démocratie, il convientde la faire échapper aux lois du marché »7.

5. A propos de« nouveauxparadigmes »,prenons tout demême un peu derecul etrappelons-nousque la fonctiond’agentcommunautairedu médecin étaittellement évidenteau début dusiècle quel’hygiène étaitl’une des quatrebranches del’examen finaldans la plupartdes écoles demédecined’Europe (avec lathérapeutique, lachirurgie et lamédecineinterne).

6. voir à ceproposl’inquiétude et lesdoutes desmédecinsinterrogés dansl’article deVéroniqueRombouts-Godinet Léon Cassiers.

7. Attendus duTribunal cités parJacques Morel,dans son articleLa santé àvendre, Santéconjuguée n°11,rubriqueactualité.

L’écart entre le modèle médical enseigné et la pratique de premier recoursest-il soluble dans la formation␣?

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TOUT DANS LA TETE

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