s p c i a l vite, un cou vre-feu sur...ressentiment, parfois la haine, et cette qu te am re...

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LA BANLIEUE N’EST PAS UN MONDE A PART Je vis et milite depuis cinquante-trois ans à Aubervilliers, dans le 93, au milieu d’une population de travailleurs très divers. J’habite en HLM où, depuis tant d’années, j’entends monter une colère qui était prophétique. Je suis aussi membre du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées. Témoin actif et combatif, j’estime nécessaire de dire ceci : « Une idée neuve commence à faire son che- min : la banlieue n’est pas un monde à part. C’est pourtant une image qui lui colle à la peau : banlieue béton, banlieue ghetto, quar- tier d’exil, enfants des rues et de toutes les s o u ffrances, lieu de tous les dangers. « La banlieue, ainsi, est souvent mise en avant comme l’image même de la pauvreté des autres, de l’exclusion que chacun redoute pour soi. On est toujours la banlieue de quel- qu’un. Ce regard divise. Il est porteur de tou- tes les exclusions : exclusion de l’école des élèves “à problèmes”, exclusion de la cité des familles “à problèmes”, stigmatisation dans la ville des quartiers “à problèmes”, comme si la crise de l’école, les difficultés de vie dans une cité, le développement de la toxicoma- nie ou la délinquance pouvaient se résoudre par la désignation de quelques coupables, voire de quelques boucs émissaires. Ce regard porte la peur, plus encore que la pitié. Du côté de ceux qu’il décrit, il alimente le ressentiment, parfois la haine, et cette quête amère d’exister contre l’autre, quête où la violence aveugle est plus souvent au rendez- vous que la libération humaine. C’est pour- quoi nous devons le dire avec force : non, la banlieue n’est pas une maladie sociale, non, ceux qui souffrent et qui galèrent, qui y vivent plus démunis que d’autres, ne sont pas pour autant des gens à part. C’est la société tout entière qui est malade. » LES MOTS AVENTURIERS DU CAPITAL Ce raisonnement appartient aux 700 partici- pants des Rencontres pour la banlieue, qui se sont tenues en 1992 à Aubervilliers. Vous le constatez, nous parlions de ce qui se passe aujourd’hui. Mais personne ne nous a enten- dus ! Face à cette réalité qui étouffe la vie, où la pauvreté est considérée par ceux qui ne la vivent pas comme un « bacille », je n’entends venant de l’État et du pouvoir économique et financier que des « mots aventuriers ». Les v ô t res sont connus, monsieur le ministre, et ils ont fait le mal que chacun a pu constater. Mais ceux du capital le sont moins, ils sont comme cachés. Écoutez la dirigeante du MEDEF, Mme Parisot : « La vie, la santé, l’a- mour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? » Écoutez le prési- dent des chambres de commerce et d’indus- trie : « La culture banlieue est relativement antinomique avec la culture de l’entreprise. » Il s’agit là, de la part « d’ensorcelés de la faveur », comme dirait La Bruyère, d’une a g ression d’une violence inouïe. Dans le pre- mier cas, c’est un détournement hypocrite de la langue et un déni mensonger et fatalisant de la réalité. Oui, la vie est vulnérable ! Dès que l’on naît, on est dépendant et attaché aux autres. Mais la précarité n’est pas la vulnérabilité. C’est un construit social et politique. Là est le fond de la pensée de la pre m i è re dame du MEDEF : elle tente de « naturaliser » le statut de précaire. Il n’est que d’évoquer son rôle dans la création du contrat « nouvelles embauches » ! C’est transformer les hommes, les femmes, en êtres subsidiaires, en invités de raccroc, et mettre ainsi le monde à l’en- vers. Dans le second cas, c’est une violence c o n t re les banlieues, les humains et leurs idées. Le président des chambres de com- m e rce et d’industrie veut un « prêt-à-penser » dévoué aux entreprises. C’est une ébauche d’une sécurité culturelle. UNE VOLONTE DE BROUILLER L’ENTENDEMENT C’est cela, le mal vécu de millions de banlieu- s a rds que le patronat traite comme des « hommes à part », des « hommes dépréciés », des « habitants intermédiaires », des « citoyens de l’entre-deux ». De ces deux déclarations p a t ronales, qui veulent troubler la vue, brouiller l’entendement, paralyser la réflexion, je constate la gravité et l’ampleur provocatrice. Elles traitent les hommes comme des choses, les humilient, imprè- gnent leur vie comme « l’humidité imprègne le corps quand on n’a pas de feu », comme disait Simone Weil dans La Condition ouvriè- re. Je constate également l’étourdissant silen- ce des médias sur ces déclarations. Le capital ne ferait-il pas partie du réel, alors même qu’il prétend être un acteur politique ? Plus qu’un cache, il y a là un refoulement orga- nisé. Je constate enfin le black out du Gouvernement sur ces pro- pos. Devant le capital, le Premier ministre a p e rdu toute faculté d’irrespect, de critique. Tout en y pensant toujours, il l’oublie dans son analyse, tentant de l’innocenter dans le drame actuel qui vient de loin, et d’abord du règne sans rivage de l’argent. Ce règne va jusque dans l’intimité. Il s’agit d’un véritable rouleau compresseur, dont les contenus et les formes nous ont valu un bon point du FMI. Ainsi, c’est la privatisation d’Aéroport de Paris, des autoroutes, et bientôt d’EDF. Et les cheminots s’interrogent aussi légitimement ! Ce sont également les propos du MEDEF pour l’UNEDIC : dégressivité des allocations, raccourcissement du temps de leur percep- tion. C’est aussi le CV anonyme, avec le voi- lement des visages des migrants. Ce sont les nouvelles zones franches, où les patrons ont tous les droits et aucun devoir. C’est la discri- mination à l’emploi dans presque toutes les e n t reprises. C’est le tribunal de Marseille déclarant illégale la grève des traminots, car leur préavis évoquait le risque de privatisa- tion de la compagnie. C’est Hewlett-Packard condescendant à renoncer à 250 licencie- ments - il en reste 990 ! - par un chantage aux 35 heures. C’est le MEDEF retardant les négociations pour les intermittents du spec- tacle et faisant tout pour désarticuler le code du travail. Tout cela s’ajoute aux licencie- ments violents dans des entreprises aux noms désormais bien connus : Celatex, Moulinex, Danone, Daewoo, Flodor, Thomson Multimédia, Metaleurop, etc. LE GOUVERNEMENT SE MOQUE DES BANLIEUES P o u rquoi ne pas déclarer le couvre-feu sur ces licenciements ? C’est une proposition capitale : n’oubliez pas que perte d’emploi égale perte de soi. Il y a quelque chose d’ef- farant dans l’histoire récente en France : tous les scrutins depuis 2002 disent que cela ne va plus, que c’est intolérable, mais vous restez sourds à leur sens comme aux manifestations popu- l a i res, telle celle des syndicats unanimes le 4 octobre. Non seulement vous ne changez rien, mais vous en rajoutez à ce c o n t re quoi le peuple a voté et les tra- vailleurs agi. Et, comme si cela ne suff i s a i t pas, il y a ce lepénisme sans Le Pen - voyez l’école obligatoire ramenée de seize à qua- torze ans pour les jeunes des banlieues ! , vous re c o u rez à l’état d’exception, vous décidez de prolonger de trois mois la peur de type colonial sans qu’aucun des signes demandés n’ait reçu la moindre réponse. La politique nationale devrait être exception- nelle non pour frapper, réprimer, attiser la peur, mais pour construire une solidarité fondée sur une nouvelle logique sociale Face à la République de l’ordre qui s’attaque à tous ceux contestant le système libéral, un seul devoir : l’insoumission ! Voici le texte intégral de l’intervention prononcée à la tribune du Sénat le 16 novembre 2005 par un « enragé » , Jack Ralite, à l’occasion de l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence. M onsieur le président, monsieur le ministred’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devions débattre des profonds problèmes de ban- lieue. Après le conseil des ministres excep- tionnel de lundi, ce débat a été remplacé par l’examen d’une loi d’exception ultra-sécuri- t a i re qui vise à enchaîner toute espèce de liberté en exagérant toute espèce de danger. Ce n’est pas l’ordre dans la République, c’est la République de l’ord re ! Car, monsieur le ministre d’État, votre loi, issue de la guerre d’Algérie, appliquée alors pour briser les résistances à l’ordre colonial, vise aujourd’hui à tout faire pour briser les résistances à l’ord- re libéral. Cette loi n’autorise pas seulement le couvre-feu, mais aussi la définition de zones sécuritaires, les perquisitions de jour et de nuit, les assignations à résidence, les sanc- tions pénales expéditives. Alors qu’il y a urgence sociale et humaine, vous répondez urgence sécuritaire et inhumaine. Et ne nous parlez pas de discernement puisque, avant même le vote, vous avez rétabli la double peine, décidé l’expulsion administrative des étrangers et envisagé des restrictions aux re g roupements familiaux. Vous « racisez » la question sociale. Nous sommes contre votre loi : vous déclarez la guerre non à la pauvre- té, mais aux pauvres. La banlieue mérite tout autre chose ! Mon intervention vise à sortir au visible les faits, méfaits et forfaits qui agres- sent les habitants de banlieue. Par JACK RALITE Sénateur de Seine-Saint-Denis, animateur des États généraux de la culture. VITE, UN COUVRE-FEU SU Nous sommes contre votre loi : vous déclarez la guerre non à la pauvreté, mais aux pauvres. La banlieue mérite tout autre chose. SPÉCIAL ÉTAT D’URGENCE Janvier 2005 6 Initiatives N° 40

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  • LA BANLIEUE N’EST PAS UN MONDE A PA RTJe vis et milite depuis cinquante-trois ans àAubervilliers, dans le 93, au milieu d’unepopulation de travailleurs très divers. J’habiteen HLM où, depuis tant d’années, j’entendsmonter une colère qui était prophétique. Jesuis aussi membre du Haut comité pour lelogement des personnes défavorisées.Témoin actif et combatif, j’estime nécessairede dire ceci :« Une idée neuve commence à faire son che-min : la banlieue n’est pas un monde à part.C’est pourtant une image qui lui colle à lapeau : banlieue béton, banlieue ghetto, quar-tier d’exil, enfants des rues et de toutes less o u ffrances, lieu de tous les dangers.« La banlieue, ainsi, est souvent mise en avantcomme l’image même de la pauvreté desa u t res, de l’exclusion que chacun re d o u t epour soi. On est toujours la banlieue de quel-qu’un. Ce re g a rd divise. Il est porteur de tou-tes les exclusions : exclusion de l’école desélèves “à problèmes”, exclusion de la cité desfamilles “à problèmes”, stigmatisation dans laville des quartiers “à problèmes”, comme sila crise de l’école, les difficultés de vie dansune cité, le développement de la toxicoma-nie ou la délinquance pouvaient se résoudrepar la désignation de quelques coupables,v o i re de quelques boucs émissaires. Cere g a rd porte la peur, plus encore que la pitié.Du côté de ceux qu’il décrit, il alimente leressentiment, parfois la haine, et cette quêtea m è re d’exister contre l’autre, quête où laviolence aveugle est plus souvent au re n d e z -vous que la libération humaine. C’est pour-quoi nous devons le dire avec force : non, labanlieue n’est pas une maladie sociale, non,ceux qui souff rent et qui galèrent, qui yvivent plus démunis que d’autres, ne sontpas pour autant des gens à part. C’est lasociété tout entière qui est malade. »

    LES MOTS AVENTURIERS DU CAPITA LCe raisonnement appartient aux 700 partici-pants des Rencontres pour la banlieue, qui sesont tenues en 1992 à Aubervilliers. Vous leconstatez, nous parlions de ce qui se passea u j o u rd’hui. Mais personne ne nous a enten-dus ! Face à cette réalité qui étouffe la vie, oùla pauvreté est considérée par ceux qui ne lavivent pas comme un « bacille », je n’entendsvenant de l’État et du pouvoir économique etfinancier que des « mots aventuriers ». Lesv ô t res sont connus, monsieur le ministre, etils ont fait le mal que chacun a pu constater.Mais ceux du capital le sont moins, ils sontcomme cachés. Écoutez la dirigeante duM E D E F, Mme Parisot : « La vie, la santé, l’a-mour sont précaires, pourquoi le travailéchapperait-il à cette loi ? » Écoutez le prési-dent des chambres de commerce et d’indus-trie : « La culture banlieue est re l a t i v e m e n tantinomique avec la culture de l’entreprise. »Il s’agit là, de la part « d’ensorcelés de lafaveur », comme dirait La Bruyère, d’unea g ression d’une violence inouïe. Dans le pre-mier cas, c’est un détournement hypocrite dela langue et un déni mensonger et fatalisantde la réalité. Oui, la vie est vulnérable ! Dèsque l’on naît, on est dépendant et attachéaux autre s .Mais la précarité n’est pas la vulnérabilité.C’est un construit social et politique. Là est le

    fond de la pensée de la pre m i è re dame duMEDEF : elle tente de « naturaliser » le statutde précaire. Il n’est que d’évoquer son rôledans la création du contrat « nouvellesembauches » ! C’est transformer les hommes,les femmes, en êtres subsidiaires, en invitésde raccroc, et mettre ainsi le monde à l’en-vers. Dans le second cas, c’est une violencec o n t re les banlieues, les humains et leursidées. Le président des chambres de com-m e rce et d’industrie veut un « prêt-à-penser »dévoué aux entreprises. C’est une ébauched’une sécurité culture l l e .

    UNE VOLONTE DE BROUILLER L ’ E N T E N D E M E N TC’est cela, le mal vécu de millions de banlieu-s a rds que le patronat traite comme des « hommes à part », des « hommes dépréciés »,des « habitants interm é d i a i res », des « citoyensde l’entre-deux ». De ces deux déclarationsp a t ronales, qui veulent troubler la vue,brouiller l’entendement, paralyser laréflexion, je constate la gravité et l’ampleurprovocatrice. Elles traitent les hommescomme des choses, les humilient, imprè-gnent leur vie comme « l’humidité imprègnele corps quand on n’a pas de feu », commedisait Simone Weil dans La Condition ouvriè-re. Je constate également l’étourdissant silen-ce des médias sur cesdéclarations. Le capitalne ferait-il pas partiedu réel, alors mêmequ’il prétend être unacteur politique ? Plusqu’un cache, il y a làun refoulement org a-nisé. Je constate enfinle black out du Gouvernement sur ces pro-pos. Devant le capital, le Premier ministre ap e rdu toute faculté d’irrespect, de critique.Tout en y pensant toujours, il l’oublie dansson analyse, tentant de l’innocenter dans ledrame actuel qui vient de loin, et d’abord durègne sans rivage de l’argent. Ce règne vajusque dans l’intimité. Il s’agit d’un véritablerouleau compre s s e u r, dont les contenus etles formes nous ont valu un bon point duFMI. Ainsi, c’est la privatisation d’Aéroport deParis, des autoroutes, et bientôt d’EDF. Et lescheminots s’interrogent aussi légitimement !Ce sont également les propos du MEDEF

    pour l’UNEDIC : dégressivité des allocations,r a c c o u rcissement du temps de leur perc e p-tion. C’est aussi le CV anonyme, avec le voi-lement des visages des migrants. Ce sont lesnouvelles zones franches, où les patrons onttous les droits et aucun devoir. C’est la discri-mination à l’emploi dans presque toutes lese n t reprises. C’est le tribunal de Marseilledéclarant illégale la grève des traminots, carleur préavis évoquait le risque de privatisa-tion de la compagnie. C’est Hewlett-Packardcondescendant à renoncer à 250 licencie-ments - il en reste 990 ! - par un chantage aux35 heures. C’est le MEDEF re t a rdant lesnégociations pour les intermittents du spec-tacle et faisant tout pour désarticuler le codedu travail. Tout cela s’ajoute aux licencie-ments violents dans des entreprises auxnoms désormais bien connus : Celatex,Moulinex, Danone, Daewoo, Flodor,Thomson Multimédia, Metaleurop, etc.

    LE GOUVERNEMENT SE MOQUE DES BANLIEUESP o u rquoi ne pas déclarer le couvre-feu surces licenciements ? C’est une pro p o s i t i o ncapitale : n’oubliez pas que perte d’emploiégale perte de soi. Il y a quelque chose d’ef-farant dans l’histoire récente en France : tousles scrutins depuis 2002 disent que cela ne

    va plus, que c’estintolérable, maisvous restez sourds àleur sens comme auxmanifestations popu-l a i res, telle celle dessyndicats unanimesle 4 octobre. Nonseulement vous ne

    changez rien, mais vous en rajoutez à cec o n t re quoi le peuple a voté et les tra-vailleurs agi. Et, comme si cela ne suff i s a i tpas, il y a ce lepénisme sans Le Pen - voyezl’école obligatoire ramenée de seize à qua-torze ans pour les jeunes des banlieues ! ,vous re c o u rez à l’état d’exception, vousdécidez de prolonger de trois mois la peurde type colonial sans qu’aucun des signesdemandés n’ait reçu la moindre réponse. Lapolitique nationale devrait être exception-nelle non pour frapper, réprimer, attiser lap e u r, mais pour construire une solidaritéfondée sur une nouvelle logique sociale

    Face à la République de l’ord re qui s’attaqueà tous ceux contestantle système libéral, un seul devoir : l ’ i n s o u m i s s i o n ! Voici le texte intégral de l’intervention pro n o n c é eà la tribune du Sénat le 16 novembre 2005par un « e n r a g é » ,Jack Ralite, à l’occasionde l’examen du pro j e tde loi pro rogeant l’étatd ’ u rg e n c e .

    Monsieur le président, monsieur lem i n i s t re d’État, monsieur le ministre ,mes chers collègues, nous devions

    d é b a t t re des profonds problèmes de ban-lieue. Après le conseil des ministres excep-tionnel de lundi, ce débat a été remplacé parl’examen d’une loi d’exception ultra-sécuri-t a i re qui vise à enchaîner toute espèce deliberté en exagérant toute espèce de danger.Ce n’est pas l’ord re dans la République, c’estla République de l’ord re ! Car, monsieur lem i n i s t re d’État, votre loi, issue de la guerred’Algérie, appliquée alors pour briser lesrésistances à l’ord re colonial, vise aujourd ’ h u ià tout faire pour briser les résistances à l’ord-re libéral. Cette loi n’autorise pas seulementle couvre-feu, mais aussi la définition dezones sécuritaires, les perquisitions de jour etde nuit, les assignations à résidence, les sanc-tions pénales expéditives. Alors qu’il y au rgence sociale et humaine, vous répondezu rgence sécuritaire et inhumaine. Et ne nousparlez pas de discernement puisque, avantmême le vote, vous avez rétabli la doublepeine, décidé l’expulsion administrative desétrangers et envisagé des restrictions auxre g roupements familiaux. Vous « racisez » laquestion sociale. Nous sommes contre votreloi : vous déclarez la guerre non à la pauvre-té, mais aux pauvres. La banlieue mérite touta u t re chose ! Mon intervention vise à sortir auvisible les faits, méfaits et forfaits qui agre s-sent les habitants de banlieue.

    Par JACK RALITESénateur de Seine-Saint-Denis, animateur des États généraux de la culture.

    VITE, UN COUVRE-FEU SUR

    Nous sommes contre votre loi : vous déclarez la guerre

    non à la pauvreté, mais aux pauvres. La banlieue

    mérite tout autre chose.

    S P É C I A LÉ T A T D ’ U R G E N C E

    J a n v i e r 2 0 0 5 6I n i t i a t i v e s N ° 4 0

    Initia40 23/12/05 14:18 Page 6

  • p romouvant de nouveaux droits. LePrésident de la République déclarait lasemaine passée : « Il faut rétablir l’ord re etrespecter les banlieues ». Or non seulementvous ajoutez au désord re, mais vous vousmoquez des banlieues en proposant dediminuer de 240 millions d’euros les créditspour 2006 de la mission Ville et logement eten gelant les crédits de 2005 : 72 millionspour le logement, 46 millions pour la ville,48 millions pour la jeunesse et les sports, 79millions pour la santé et la cohésion sociale,9 millions pour les transports collectifs et,surtout, 1,3 milliard pour l’emploi et le tra-vail. Pour les transports, vous bafouez, pourla Seine-Saint-Denis, le contrat de plan État-région, en oubliant une très grande partie devos engagements financiers. En 1992, nousnous demandions, à Aubervilliers : « Queveulent les banlieues ? ». Nous répondions : « Tout ! ». Aujourd’hui, votre autisme traduitv o t re réponse : « Rien ! » Les citoyens sedemandent « comment faire ». Dans les ban-lieues, cette interrogation est d’autant plusforte que la violence de l’agression subieconduit à des souffrances insupportables,pour les sans-travail comme pour ceux quien ont encore un, ou encore à « l’absurd i t édu devenir pour une jeunesse jaillissante »,ainsi que l’écrit le psychanalyste FethiB e n s l a m a .

    B A B E U F, JAURES ET LES RAPPEURSNous sommes à un moment « brèche », et laseule sortie, c’est l’insoumission. Notre his-t o i re nationale, de ce point de vue, nous faitr é f l é c h i r, comme cette lettre de 1789 deBabeuf : « Les maîtres, au lieu de nous poli-c e r, nous ont rendus barbares parce qu’ils lesont eux-mêmes. Ils récoltent et récoltero n tce qu’ils ont semé. » Et j’en appelle au com-m e n t a i re de Jaurès : « Ô dirigeants d’aujour-d’hui, méditez ces paroles et mettez dèsmaintenant dans les moeurs et dans les loisplus d’humanité qu’il se peut pour la re t ro-uver aux jours inévitables des révolutions. Etvous, pro l é t a i res, souvenez-vous que lacruauté est un reste de servitude car elleatteste que la barbarie en régime oppre s s e u rest encore présente en vous ». C’est ce qui sepasse ! Les rappeurs l’avaient chanté : « Nous, qu’est-ce qu’on attend pour ne plusrespecter les règles du jeu », les règles du jeuo rganisées par le capital avec le soutien gou-v e rnemental, et singulièrement le vôtre ,monsieur le ministre, qui fantasmez cons-tamment sur l’étranger bouc émissaire !Vous pouvez rêver, tempêter, être pére m p-t o i re, insulter, être arrogant, menacer. C’estp e u t - ê t re l’angle de vue de Neuilly, maisvous devriez re l i re « A qui la faute », poèmede Victor Hugo paru dans l’Année terrible :

    - Tu viens d’incendier la bibliothèque ? - Oui. J’ai mis le feu là. - Mais c’est un crime inouï ! Crime commis par toi contre toi- même, infâme ! [...]Le livre est ta richesse à toi ! C’est le savoir, Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,Le progrès, la raison dissipant tout délire .Et tu détruis cela, toi ! - Je ne sais pas lire .

    DE NOUVELLES MARQUES HUMAINESCe n’est pas la façon d’Aubervilliers, où sedéplisse la revendication des jeunes d’êtrecitoyens à part entière dans leur diversité etnon d’appartenir à tel ou tel groupe commu-n a u t a i re, ethnique ou religieux. La réponse àla racisation et à l’injustice de la questionsociale est là, et elle a déjà mis de nouvellesm a rques humaines sur nos paysages, qui sesont agrandis.C’est considérable quand lebougé exigé vient d’hommes et de femmes « effacés », « engloutis», à qui a été enjointde se faire oublier,qui en sont venus à seconsidérer en tropdans la société, àavoir honte de soi, àn’avoir bientôt pourêtre indemnisés deleur malheur que leurvengeance imaginaire. La violence est aubout de cette souffrance, violence contre soiet contre autrui. Comment ne pas être violentquand on est relégué hors de l’humain ? C’estf a i re disparaître sans tuer !Tout cela aboutit à la mise en cause de lalégitimité du capitalisme. D’ailleurs, plusieursp a t rons, dont certains très importants, com-mencent à se poser des questions sur cecapitalisme de l’instant, qui, en voulant touttout de suite, compromet l’avenir, son avenir,à moyen et long terme.Au travail, le patro n a trêve de travailleurs qui ne pensent pas. Lemoi qui en résulte est « un moi congelé aub o rd du rien, un quasi-rien ». La vie devientinvivable parce que mise entre pare n t h è s e s .L’homme, la femme sont inaccomplis. Or,comme disait René Char, « L’inaccomplib o u rdonne d’essentiel », c’est-à-dire de quêteé p e rdue d’avenir. C’est un travail gigan-tesque quand le Gouvernement et beaucoupde politiques se limitent à discuter du miniminimum d’aménagements, quand la vienous enferme dans les petites histoires detous les jours. Mais c’est un travail incontour-nable et urgent de trajets à tracer, d’actionsexploratrices dans ce monde de dédales nonrepérés qui connaît chaos, complexité,instantanéité, impuissance. À chaque détourde la ville où j’habite, j’écoute l’ord re et led é s o rd re, l’encontre et la re n c o n t re, ce qui

    rassemble et ce qui s’écarte, ce qui se pénèt-re et ce qui se croise, ce qui fait contact et cequi fait contrat, ce qui efface des certitudes etemporte vers l’ailleurs. J’ai rencontré degrands déracinements, des lieux de re f u g et e m p o r a i res, le grand écart entre emploisnouveaux, populations anciennes et popu-lations nouvelles souvent paupérisées. Entant que maire, j’ai été comme une cousettequi chaque jour faisait du tricot social sou-vent cisaillé dans l’instant suivant. J’ai essayé

    tous les micro p ro j e t sen triant dans lagalaxie de trucs pré-tendument miracu-leux. J’ai refusé desubstituer l’utopietechnicienne à l’utopiesociale. Je me suislibéré de la manie del’expertise émiettant

    tout et censurant le sens. J’ai vu le recul de lapréoccupation de santé, notamment chezles jeunes. J’ai compris qu’il n’y avait pas depetite digue, qu’il fallait résister et que, dansce mot, se trouvait l’une des sources duc o n s t r u i re à ne jamais re m e t t re au lende-main. Voyez la Plaine Saint-Denis :Aubervilliers et Saint-Denis l’ont pensée etinitiée malgré un État frileux au début et tou-jours distant. Nous avons beaucoup avancé,mais il reste une hantise : cette coupure, par-fois cette défiance, qui peut aller jusqu’à unehaine silencieuse entre ceux que cette PlaineSaint-Denis a fait aller de l’avant et ceuxqu’elle a laissés de côté. Cela met à l’heureexacte de la conscience, mais impose sur-tout de rassembler audacieusement et cou-rageusement. Il ne s’agit pas de se clore dansun assemblement, mais de vivre ensembleconflictuellement avec des contradictionsévolutives pour fabriquer des processus quim è n e ront pro g ressivement, en arrachant lechiendent de l’ignorance de l’autre, vers desb o rnes que l’on voudrait infranchissablespour protéger « l’irréductible humain ». Lesindicateurs de pauvreté sont au rouge, les u rendettement en hausse de 22 %, lesdispositifs d’accueil saturés, des familles fra-gilisées, les étrangers en situation toujoursplus précaire et la précarisation des couchesp o p u l a i res et interm é d i a i res s’accro î t .

    LE MOT DESESPOIR N’EST PAS P O L I T I Q U EÀ Aubervilliers, qui compte 63 132 habitants,c’est encore plus préoccupant. Le re v e n umoyen des foyers non imposables est de 465e u ros, contre 529 euros en Île-de-France,12,4 % des ménages sont au RMI, contre 3,7% en Île-de-France, 18,3 % ont la CMU, cont-re 6,8 % en Île-de-France, et les aides de lacaisse d’allocations familiales ont triplé enq u a t re ans. Mais le mot désespoir n’est paspolitique, et le mot respect n’a pas à connaî-t re la pénurie. Il faut oser sortir dans la rue, larue d’Ici, la rue d’Europe, la rue du Monde, etc h a rger sur ses épaules les dissonances de laville. Il y a là une socialité nouvelle. Nouspouvons créer une société où le mot égaliténe serait plus un gros mot, une société où les« rejetés » et les « maintenus » se re t ro u v e r a i e n tcomme « individus de l’histoire du monde »,conscients d’une « communauté qui vient »,qui aurait une « citoyenneté sociale » perm e t-tant à chacune et à chacun de sortir de ladélégation passive, de voir le bout de sesactes, de ne plus se dévaloriser, de pre n d re lap a role, de promouvoir de nouveaux droits etune nouvelle logique sociale dans une nou-velle vie publique. Mon expérience est heu-reuse de ce point de vue : il y a huit jours,nous fêtions le quarantième anniversaire dut h é â t re de la commune d’Aubervilliers. Hiers o i r, le conseil général du Va l - d e - M a rne inau-gurait à Vi t r y - s u r-Seine un magnifique muséed’art contemporain, le premier de banlieue.Dans les deux cas, c’était la foule, heure u s e ,acquerrant de nouvelles libertés au momentoù vous prétendez lui en ôter. Dans les nou-velles libertés à venir, dans ces droits qui ded roit n’ont pas encore de droit, je vois mêlerla sécurité sociale professionnelle, une poli-tique mutualisée emploi-form a t i o n - p ro d u c-tion entre les entreprises d’une même bran-che, une régulation de l’actionnariat débridé,un rétablissement de tous les crédits gelés etsupprimés et - pourquoi pas ? - un fondsnational de réhumanisation de la banlieue etde tous les endroits de souffrance, la sup-p ression du droit d’acheter la non-construc-tion de logements sociaux et l’obligation deconstruction avec calendrier d’applicationdans les villes ségrégatives, l’abondementpar l’État des finances des contrats de planÉtat-régions pour qu’ils soient respectés inté-gralement, la suppression des nouveaux allé-gements fiscaux aux privilégiés, les moyenss u ffisants à tous les services publics concer-nant l’emploi, la formation, la prévention, lasanté, la culture, et bien sûr, ce que j’ai évo-qué plus avant, le couvre-feu sur les licencie-m e n t s .

    « J ’ E N R A G E » L’un de mes amis, me parlant des pro b l è m e sde banlieue, m’a dit : « L’humanité peut trèsbien avoir à faire face dans un avenir pro c h eau problème de sa réhumanisation. » Nous ysommes aujourd’hui ! Souvent notre langageest beau ; il est même salvateur. C’est déjàbeaucoup. Cependant, c’est d’actes que nousavons désormais besoin, parce que le langa-ge est arrivé à ses limites. Moi qui suis pas-sionné de théâtre, je pense à Molière et,comme plusieurs de ses personnagesimmortels, pour re t ro u v e r, ou plutôt pourt rouver le monde, je crie : « J’enrage ! »

    SUR LES LICENCIEMENTS !

    Nous pouvons créer une société où lemot égalité ne serait plus un gros

    mot, une société où les « rejetés » etles « maintenus » se retrouveraientcomme « individus de l’histoire du

    monde »

    S P É C I A LÉ T A T D ’ U R G E N C E

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