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S-F. Cïmaiglon

MagnusMens

Ce livre a été publié sur www.bookelis.com

ISBN : 979-10-227-2896-6

© S-F. Cïmaiglon

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,

intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

L’auteur est seul propriétaire des droits et responsable du contenu de ce livre.

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CHAPITRE 1 L’introduction

Dans un instant ils vont apparaître. Nous saurons enfin à

quoi ressemblent les cinq plus puissants personnages de

l’Alliance, ceux qui nous ont choisis parmi la foultitude des

candidats pour sauver notre monde.

Autour de moi, la rage de se battre monte aux lèvres, les

yeux pétillent de courage, les muscles se bandent et les

thorax se gonflent de se savoir l’élite guerrière. Comme eux,

je devrais être fière d’être ici, mais il n’en est rien…

Partout ce ne sont que des corps impressionnants qui

respirent la force et la vaillance. Ma stature frêle dénote, et

je commence à douter…

C’est que je sais que je ne mérite pas ma place ici.

Comme eux, j’ai entendu l’appel des « cinq ». Comme

eux, je me suis portée volontaire. Mais cela n’a rien à voir

avec leur dévouement et leur bravoure : je n’avais pas le

choix. Et ce ne sont pas mes qualités guerrières qui m’ont

values d’être choisie.

C’est Trévor qui a joué d’influence pour que j’intègre

cette mission ici à bord du « Deus ex Machina ». Sa

motivation devait être grande pour trouver les arguments,

user de tous ses pouvoirs de persuasion pour m’envoyer ici.

Mais était-ce pour me sauver comme je l’ai cru d’abord ou

pour m’éliminer légalement et prendre ma place ?

Lui qui a reçu la formation que je n’ai pas eue pour

gouverner…

Lui qui a reçu l’affection que mon père ne me donnait

pas…

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Mon père… c’est à cause de lui que j’en suis arrivée là…

L’espace délimité par les cloisons de fer glacées de ce

vaisseau se rempli progressivement de ce mélange

d’exaltation, de détermination, d’orgueil et de sudation si

caractéristique de ceux qui partent volontaires au combat.

L’attente de l’arrivée des « cinq » parait interminable. La

tension monte de seconde en seconde.

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CHAPITRE 2 Aurore

Je suis née dans un cocon doré, et pourtant j’ai toujours

vécu dans la révolte.

Je suis originaire d’Aurore, une planète insignifiante,

reculée au fin fond de la zone de l’Alliance, une planète

pauvre aux maigres ressources. Eloignés de tous, négligés

par le pouvoir central du « Grand Conseil » de l’Alliance,

nous survivions dans des conditions dures et la famine avait

fait souvent partie de notre histoire, jusqu’à l’arrivée sur le

trône du roi Charles. Grace à son dévouement à sa patrie et

sa détermination sans limite, ces calamités n’existaient plus.

Il avait su défendre nos intérêts et donner de l’importance au

peuple d’Aurore. Il était rapidement devenu le plus aimé et

le plus écouté des rois.

C’était une force de la nature ; un colosse infatigable et

intransigeant à qui il était de toute façon impossible de dire

« non ». Ses colères monumentales faisaient trembler les

murs du palais et son esprit et ses yeux s’enflammaient.

Cela avait fait fuir plus d’un de ses conseillers. Il laissait

partir les faibles et s’arrangeait toujours pour récupérer les

meilleurs.

Aimé pour son dévouement, respecté pour sa droiture, et

craint pour ses colères, il était également un homme

extrêmement distant. Il ne s’approchait et ne touchait

personne et personne ne s’approchait de lui.

Il régnait depuis déjà quarante-sept ans, avec l’énergie

d’un jeune homme, lorsqu’enfin il céda à la pression du

peuple et de ses conseillers et se maria. Nul ne sait pourquoi

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il avait attendu si longtemps pour cela ni pourquoi son choix

s’était porté sur une jeune femme sans condition, issue

d’une planète éloignée aussi pauvre que la nôtre. Ses raisons

ne semblaient ni politiques ni sentimentales, bien qu’à la

veille de leurs noces, sa fiancée était, parait-il, une des plus

belles femmes qu’Aurore aie jamais vues.

Charles voulait un fils, un héritier. Elle tomba enceinte

rapidement. Et c’est ainsi que je suis née.

D’elle, j’ai le souvenir d’une ombre grise déambulant

dans les couloirs du palais, effacée, silencieuse, la démarche

claudicante et le visage à moitié déchiré de griffures – un

horrible accident juste après le mariage de mes parents, et

dont personne n’osait parler en notre présence. Je me

souviens également d’une odeur douce et de bras frêles. Puis

elle est partie ; j’avais cinq ans. C’était ma faute.

Se retrouvant seul à m’éduquer, mon père s’évertua à

faire de moi une poupée de porcelaine, de celles qu’on

expose seulement à travers une vitrine, et qui ont appris à

dodeliner de la tête à tout propos pour simuler leur

approbation. Bref mon père s’attendait à ce que je sois

comme ma mère, soumise, dévouée et fragile. Mais j’avais

hérité de son caractère à lui, indépendante et têtue. Sa

poigne à laquelle je ne pouvais me soustraire, m’étouffait,

me révoltait.

Puis Trévor débarqua dans notre vie et tout devint encore

plus difficile. Je sortais tout juste de ma crise d’adolescence,

quand ce jeune homme austère, arrivé tout droit de nulle

part, proposa à mon père de mettre ses mains fortes et son

esprit brillant entièrement à son service. Loyal,

incorruptible, dévoué à mon père et au royaume, ambitieux

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aussi, Gilles Trévor restait avant tout à mes yeux un homme

froid et sans passion. Son attitude avec moi était distante et

réservée, mais jamais dédaigneuse. Il devint rapidement le

bras droit puis le fils qui manquait tant à mon père. Et celui-

ci se mit à faire des projets pour nous deux, nous voyant

mariés, et Trévor roi après lui. Mon père, alors, redoubla

d’intensité ses efforts à vouloir contrôler ma vie.

Les robes qu’il choisissait pour moi, les professeurs de

chant et poésie qu’il m’attribuait me donnaient la nausée.

Dans le palais, j’étais entièrement sous son contrôle. Tout ce

que je faisais, disais, mangeait même, lui était rapporté et

tout écart à son modèle sévèrement réprimandé. Mais à

l’extérieur, je faisais les quatre cent coups avec une bande

de petits voyous. Et le peuple commençait à me connaitre

pour nos frasques et nos menus larcins. Jusqu’à ce fameux

soir où une bagarre avec une bande rivale a grandement

dégénéré. Il y a eu un mort dans le camp adverse. Puis la

police nous est tombée dessus. C’est le responsable de la

police qui m’a ramenée à mon père, les habits sales et

déchirés, la lèvre en sang, un œil au beurre noir, éméchée.

La nouvelle a rapidement fait le tour de la planète et mon

père n’a rien fait pour l’en empêcher. J’ai bien cru à un

moment qu’il allait me faire passer devant le tribunal et

juger pour crime en bande organisée. Finalement c’est dans

un camp de redressement militaire qu’il m’envoyait, sur une

base aérienne. Ce fut le premier tournant dans ma vie, dur

mais bénéfique.

Apprenti mécanicienne d’abord ; je franchissais

rapidement toutes les étapes jusqu’à devenir une pilote de

chasse émérite. J’avais trouvé ma voix.

Piloter me procurait tout ce qui me manquait sur terre.

J’étais aux commandes, ma vie entre mes seules mains, avec

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autour de moi du bleu à perte de vue. J’aimais à pousser les

moteurs à fond au décollage et sentir la pression de

l’accélération me plaquer contre mon siège, les oreilles

remplies de vrombissements, les vibrations du roulage dans

les jambes et les mains. Et puis il y avait l’instant magique

où les roues ne touchent plus le sol, où la vibration s’arrête

tout à coup, où l’air porte et élève. Et plus rien autour de

solide, plus aucun référentiel terrestre. Seulement le ciel et

moi ! Le palais de mon père devenait alors tout petit, vu

d’en haut, bien inoffensif, et les tracas de ma vie

quotidienne disparaissaient plus je montais. C’est ainsi que

j’ai voulu aller toujours plus haut, dans la stratosphère, là où

la rotondité de ma planète commence à être visible. Et j’ai

commencé à me griser de vitesse et d’adrénaline. Je

compensais le manque de tendresse par une overdose de

sensations fortes. Ainsi je pouvais me sentir vivante !

Alors je me suis mise à piloter des engins de plus en plus

puissants : le décollage ressemblait presque à un lancement

de fusée. Oh, quelle puissance dans cette course folle aux

accélérations presque douloureuses.

Mon père avait voulu m’envoyer dans l’armée pour me

dresser et me ramener dans ce qu’il considérait comme le

droit chemin, en jeune fille sage et soumise. Lorsqu’il

découvrit que je participais à la démonstration en vol des

chasseurs, le jour de notre fête nationale, quelle rage, quel

affrontement ce fut! Mais plus rien ni personne ne pouvait

m’empêcher de voler, pas même lui. Cette fois, ma tare me

servit à trouver les arguments pour le convaincre de me

laisser continuer. Enfin ma vie trouvait un équilibre et un

but.

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Puis tout bascula de nouveau : après soixante-sept ans de

règne et de dévouement à son peuple, le roi Charles mourut.

Ce jour-là le conseil au complet vint m’annoncer la

nouvelle dans ma chambre et me chercher pour me

soumettre à la loi de la succession. Dehors le tocsin sonnait

et la foule s’amassait sur la Grand place, découvrant la

nouvelle.

J’étais son héritière, mais pour pouvoir régner de fait, je

devais réunir une voix sur les trois possibles : celle de mon

père dans un testament, celle du peuple par une acclamation

lors de la cérémonie du Défilé blanc ou celle du Conseil du

roi. Le juriste fit son entrée et déclara que le Grand Roi

Charles n’avait fait aucun testament pour désigner son

successeur. Puis tout s’enchaina très vite, et ce n’est qu’en

fin de journée que je réalisais combien le geste de mon père,

cette absence de consigne, me mettait en péril - sans doute

une dernière vengeance à mes provocations.

On me conduisit à l’écurie pour me préparer à la

cérémonie du Défilé blanc.

Juchée sur une charrette, tirée par un maigre cheval,

couverte d’une simple tunique blanche, je traversais la

Grand Place, noire de monde. A mon passage, la foule

s’écartait. Les regards que je croisais étaient fermés,

hostiles. Et tout le temps que dura la traversée de cette

place, pas une seule voix ne s’éleva en ma faveur, pas un

bruit ne se fit entendre. Le peuple n’avait retenu de moi que

ces démêlés avec notre bande de voyous et cette bagarre

mortelle. Je payais le prix de mes frasques. Ebranlée, je

rentrais au palais pour affronter encore le Conseil.

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Ils se mirent tous en cercle autour de moi et, chacun à

leur tour, ils donnèrent leur avis. Un simple mot sortait de

leur bouche à chaque fois, intransigeant :

- non.

Tous ces vieux décatis conservateurs qui constituaient le

conseil de mon père, me considéraient comme une gamine

incontrôlable. Je le lisais clairement dans leurs esprits :

« vingt et un ans, et elle en parait seize. Une écervelée

kamikaze. Aucune formation politique. Irresponsable,

irrévérencieuse et inutile. Son père aurait dû l’envoyer

devant un tribunal et l’enfermer comme nous le lui avions

recommandé, plutôt que de l’envoyer dans l’armée. C’est

Gilles Trévor qui doit régner. Il a l’étoffe d’un grand roi. Il

l’a déjà prouvé.»

Puis Trévor pris la parole en dernier, et je compris enfin

quels dangers me guettaient :

- Gabrielle, que je me prononce ou pas ne changera

rien au résultat du vote. Tu as été écarté du trône par

trois fois. Es-tu consciente de ce que cela signifie ?

J’attendais la suite, inquiète.

- Tu vas être conduite au domaine où ta mère s’était

enfermée, et tu y resteras recluse jusqu’à la fin de tes

jours. Le Conseil pourvoira à tous tes besoins et tu ne manqueras de rien. En contrepartie, tu ne sortiras

plus de cette demeure, n’auras plus aucun droit

citoyen et t’engages à ne fomenter aucune révolte

sous peine de mort.

Tout d’abord, je le regardais sans comprendre,

impassible. Puis un mot fit écho et me percuta tout à coup :

recluse !

- NON ! Vous n’avez pas le droit de m’emprisonner !

Je me suis mal conduite par le passé, mais je n’ai tué

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personne. Vous n’avez pas le droit de me

condamner, vous n’avez pas le pouvoir d’un

tribunal !

Le plus âgé des conseillers se campa devant moi, fier et

arrogant :

- Fille de Charles, je te déclare déchue de la couronne.

Tu seras gardée prisonnière jusqu’à la fin de tes

jours. C’est la loi de succession d’Aurore. Elle nous

protège de toute instabilité politique. Et en tant que

Conseillers nous nous devons de faire respecter la

loi. Gardes, emmenez-la. - Attendez !

Sous le choc, je dévisageais Trévor, espérant que son

intervention pourrait encore me sauver. Je cherchais un

indice sur son visage et dans son esprit, qui explique ses

intentions profondes. Mais avec lui, cela ne marchais

jamais ; il était bien trop secret.

- Messieurs, la loi stipule que tous les conseillers

donnent d’abord leur avis. Or, je n’ai pas encore

donné le mien. Oui, elle a un passé scabreux ; et

aucune expérience politique comme Charles au

début de son règne. Elle n’a jamais géré de situations

difficiles, jamais eu à faire preuve de courage et de

sang-froid lors d’un « conseil ». Parce qu’elle n’a

participé à aucun. Mettons-la à l’épreuve. Elle est

pilote de chasse après tout. Qu’on l’envoie en

mission ; qu’elle nous montre ce qu’elle vaut.

Ensuite, je prendrais ma décision et donnerais mon

avis. Vous pourrez alors vous prononcer de nouveau

et changer, ou pas, votre vote. Etes-vous d’accord ?

Ils étaient indécis. Avant qu’aucun d’eux n’ouvre la

bouche, je pris vite la parole :

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- Je suis d’accord ! Tout plutôt que rester enfermée à

tout jamais dans la maison maudite de ma mère.

Trevor me dévisageait intensément et je ne déchiffrais

toujours rien de ses intentions :

- Même si tu risques la mort ?

- Même la mort.

Alors quelques conseillers commencèrent à hocher

doucement de la tête en signe d’approbation.

- Mais quelle mission allons-nous lui confier ?

La réponse arriva peu de jours après : l’Alliance venait

d’entrer en guerre.

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CHAPITRE 3 Center et Cristal

Toute l’Alliance venait d’entrer en guerre! Pour la

première fois depuis sa création il y a bien longtemps, notre

unité était menacée. Les Mercenaires s’apprêtaient à

attaquer la plus stratégique des planètes qui composent notre

système politique : la planète noire, notre unique source de

carburant !

Ils étaient en route. Les espions de l’Alliance l’avaient

découvert. A moins que ce ne soit les Mercenaires eux-

mêmes, si sûrs d’eux, qui avaient laissé filtrer cette

information…

La nouvelle était arrivée deux jours après la mort de mon

père. Le Grand Conseil de l’Alliance avait convoqué tous

les chefs d’état de chaque planète pour s’accorder sur les

décisions à prendre face à l’envahisseur.

Trévor avait été nommé Premier conseiller d’Aurore afin

de pouvoir nous représenter. Comme la plupart des chefs

d’état présents, il avait voté l’engagement de toutes les

armées de l’Alliance. Le Grand Conseil proposait également

d’attribuer les pleins pouvoirs à nos cinq Vénérables Sages,

et de les nommer généraux de cette guerre. Trévor n’avait

jamais rencontré les Sages. Tout ce qu’il savait d’eux de

réputation concernait leurs immenses connaissances et leur

aura quasi divine. Comme tous les participants, il valida la

proposition.

Des jours sombres commençaient pour Aurore avec le

deuil de son roi, l’incertitude sur sa succession et cette

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guerre pour laquelle il fallait quitter ses champs, se

mobiliser, partir loin de sa terre natale.

L’Appel des Sages passa inaperçu auprès de tout le

peuple, mais pas de Trevor.

Contre les Mercenaires, il fallait une élite guerrière, des

volontaires prêts à tout pour chasser l’ennemi. Sexe, couleur

de peau, casier judiciaire, tout cela importait peu. Les Sages

recrutaient des cœurs vaillants prêts à résister « autrement »,

et à qui ils promettaient en retour (si retour il y avait) de

gagner une dignité de héros de légende. Toutes les fautes

passées seraient effacées…C’est ainsi que je fus enrôlée

dans l’aventure.

Après avoir frôlé l’emprisonnement à vie, après ces

jours d’incertitudes, enfin j’entrevoyais un chemin à

prendre. Je n’avais jamais fait la guerre et j’y risquerai ma

vie mais je tenais mon sort entre mes mains, ce serait le prix

à payer pour mes frasques passées. Le cœur plus léger, je

rassemblais mes maigres effets dans mon sac à dos et

m’envolais vers les Sages. Pour la première fois, je quittais

cette planète qui m’avait vu naitre. J’étais libre.

La planète du centre était le point de ralliement que

m’avaient attribué les Sages. Je devais y rejoindre un camp

militaire top secret, et de là embarquer avec d’autres « élus »

dans un convoi de transporteurs pour rallier le vaisseau mère

surnommé « Le Deus ex Machina ».

Cette planète a la particularité de marquer

approximativement le centre géographique de la zone de

l’Alliance. C’est aussi la planète de nos origines, à nous tous

les Humains de ce système. Elle est célèbre pour ses

habitants cultivés et extrêmement charmeurs : les

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« Center ». Elle est également célèbre pour ses robots

intelligents apparus il y a quelques dizaines d’années et

appelés les Vaucans, du nom de leur inventeur.

J’avais glané ces informations au cours des visites

d’émissaires étrangers que nous recevions. On m’avait vanté

les mérites de cette société modèle réputée comme la plus

évoluée de l’Alliance.

En débarquant dans sa capitale Xaris, ma curiosité était

déjà bien aiguisée. Le temps y était radieux ; en l’air, des

avions aspirateurs de nuages cherchaient la perfection d’un

ciel d’ozone. La ville était immense, luxueuse et il y régnait

l’ordre. Le long des rues tracées au cordeau, s’élevaient des

bâtiments imposants, aux façades agrémentées de motifs

savamment étudiés donnant l’illusion de proportions encore

plus gigantesques. Des places au carré parfait, défilaient les

ribambelles de monomobiles, au rythme régulier et alterné

des feux tricolores. Dans un ballet parfaitement synchronisé,

les piétons traversaient en suivant le rythme inverse. La

population était dense. Et tout ce fourmillement semblait

réglé comme du papier à musique, comme si tout était écrit

d’avance. Je ne saurais dire pourquoi j’en éprouvais un

certain malaise.

Au gris clair des façades, s’accordaient les tons pastel des

passants. Devant moi, une jeune femme, les voiles légers de

sa robe longue flottant à la brise, un petit enfant paisible

contre ses jambes, flânait devant les vitrines bien ordonnées.

Partout sur les visages et dans les attitudes se lisaient la

grâce et la beauté. Malgré moi, les hommes attiraient mon

regard avec leur physique de statue grecque. Un groupe de

jeunes gens charmants me croisa. L’un d’eux en me frôlant,

me regarda avec insistance. Je profitais de ce bref contact

visuel pour sonder plus facilement son esprit : d’abord ce

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qui me choqua le plus fut le mépris qu’il manifestait pour

moi. D’où lui venait cette arrogance à se considérer d’office

comme supérieur à une inconnue croisée dans la rue ? Je

trouvais pourtant en lui beaucoup d’intelligence et de

culture. C’est alors que je touchais enfin à ce qui m’avait

mise mal à l’aise en traversant cette ville : un manque

profond d’humanité. Je venais de le ressentir dans l’esprit de

ce jeune Center, dans la beauté physique et l’élégance des

habitants, mais aussi dans l’ordre de toute cette ville : la

perfection poussée à son paroxysme.

L’autre surprise concernait les Vaucans. Leur technologie

me fascinait : certes leur corps était constitué de métal, mais

tout dans leurs gestes imitait l’allure et la grâce des Center,

comme s’ils voulaient mettre une volonté étrange et

malsaine à ressembler à leurs maîtres. Et ils étaient

extrêmement nombreux. En parcourant la ville, je crois bien

en avoir vu en plus grande quantité que les Humains!

Partout, c’étaient les seuls à s’affairer.

Là un épicier vendait ses fruits et légumes sur le marché,

ici un agent de la circulation réglait le trafic et faisait

traverser des petits écoliers Center ; le livreur, l’éboueur, le

chauffeur de taxi, la nounou, tous des robots. Ce qui était le

plus remarquable, c’était que dans la rue, seuls les robots

s’activaient à leurs besognes, contrôlant la vie de toute la

planète. Que faisaient donc les Humains ici à part flâner ?

Moi qui vient d’une planète pauvre, peuplée

essentiellement d’agriculteurs, à la vie dure et au sens

pratique, j’étais choquée de constater combien la vie des

Centers était douce et facile, axée uniquement sur des

activités intellectuelles et les plaisirs. Je comprenais mieux

maintenant pourquoi on comptait parmi eux les plus grands

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chercheurs, architectes, médecins…de toute l’Alliance. Et

j’en éprouvais une certaine jalousie.

C’est donc avec un certain soulagement que je

franchissais le mur d’enceinte du camp militaire, lieu de

rendez-vous. Une sentinelle m’ouvrit la seule petite porte

creusée dans ce mur, et je me retrouvais comme sur une

autre planète, au milieu d’un flot bigarré stupéfiant : des

guerriers Zouloudou aux pagnes en bambou tressé et aux

coiffes immenses croisaient des géants des grottes de

« Trevas » en combinaisons intégrales ; les voix haut

perchées des femmes oiseaux se mêlaient aux vibrations

graves des marins de « Trisquelle » ; les prêtres et prêtresses

de la planète « Petite nuit » perdus dans les sobres drapés de

leurs toges anthracite contrastant au milieu d’un groupe

d’ « Aron » couverts de bijoux ; la petite taille des gens de

« Béliste » ; l’allure d’athlète de ceux de « Cristal », les

éclats de rires expressifs de ceux de « Mistral » et le

recueillement de ceux de « Grande nuit ». Toutes les races

humaines étaient là. Tous ces visages, fins pâles, ou roses et

ronds, noirs, aux pommettes saillantes ; toutes ces figures

aux expressions si variées, ces sourires, ou ces mines graves,

ces airs de guerriers farouches, tous ces yeux aux couleurs si

différentes, tous avaient pourtant un point en commun : la

même fierté et la même excitation de se savoir « élu ».

Je reconnaissais ces peuples par les descriptions qu’on

m’en avait faites, mais je n’avais croisé que très peu d’entre

eux, depuis ma planète reculée. Des Vaucans embarquèrent

avec nous. Et beaucoup de « Center » également. Je suppose

que ces derniers ne pouvaient pas se passer de leurs « robots

à tout faire »…

On nous avait regroupés par douze et entassés dans des

transporteurs, ces appareils militaires légers, rapides, et très

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inconfortables, afin d’atteindre le vaisseau des Sages en

attente dans une zone de l’espace tenue secrète. D’autres

transporteurs avaient décollé d’autres points de ralliement

sur d’autres planètes, mais nous n’en savions rien. Les

transporteurs décollaient un par un, le plus discrètement

possible pour éviter d’ébruiter l’opération.

Puis ce fut l’espace. La traversée jusqu’au vaisseau du

Deus ex Machina dura quarante minutes. L’appareil vibrait

fortement. Les corps ballottaient, les sourires s’étaient

effacés. Les visages palissaient à vue d’œil, malmenés par

les soubresauts du transporteur. Ceux qui n’étaient pas

malades scrutaient l’espace à la recherche de leur planète

d’origine. Comme eux, je mesurais la distance qui me

séparait de chez moi, l’esprit rêveur.

Puis un objet sombre apparut. Derrière, l’espace

disparaissait progressivement, planète après planète, étoile

après étoile, comme si tout était gobé. Le corps noir

occupait maintenant tout notre champ de vision. On ne

distinguait presque rien de ses formes furtives, hormis un

point blanc qui grossissait rapidement : le pavillon de

l’Alliance. Nous étions en approche du « Deus ex

Machina ». Le transporteur ralenti, semblant contourner le

vaisseau, puis s’immobilisa. Alors, d’un coup, deux yeux

blancs puissants s’allumèrent comme des phares et il nous

apparut : une gueule immense de bête d’Apocalypse sortit

de l’obscurité, la bouche tordue de rage, des motifs tribaux

sur les bas-joues. La figure de proue au regard féroce et

plein de défi, semblait nous dire : « Que ceux qui veulent

me servir y songent à deux fois avant d’entrer ! Et que ceux

qui veulent m’attaquer s’enfuient immédiatement ! ». Dans

le transporteur, tous les visages étaient maintenant pâles, les

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dos courbés, muets de stupéfaction. Alors le mécanisme

d’ouverture se mis en marche. La bouche de la bête se fendit

en deux, et les dents s’écartèrent pour laisser apparaître une

langue rouge : la piste d’atterrissage. Elle nous engloutit…

Dès l’arrivée, un gros balaise posté à une intersection de

corridor nous orientait dans le vaisseau. J’observais son

manège : les musclés aptes au combat à droite, les autres à

gauche vers l’intendance. C’est à peine s’il écoutait lorsque

chacun déclinait son identité. Je n’aurais finalement peut-

être pas à me battre. Trevor se serait-il entendu avec les

Sages pour m’éviter de grands dangers ?

Je souriais en pensant à la tête horrible que feraient au

repas tous ces « élus » si j’étais affectée aux cuisines. Arrivé

à mon tour, le gros balaise avait commencé à lever le bras à

gauche, mais son geste s’était figé en entendant mon nom,

ses yeux avaient cherché dans une liste, puis il m’avait

montré le couloir de droite.

Au début, il me sembla qu’on nous guidait vers la proue,

en file indienne, longeant les bords courbes du vaisseau dont

on voyait l’ossature métallique. La coursive était faite de

grillages aux mailles larges, au travers desquelles un vide

profond en disait long sur la taille du vaisseau.

Puis il y eu de nombreux changement de direction ; les

bruits internes s’amplifiaient, les passages se rétrécissaient

et s’encombraient de tuyaux qui s’entrecroisaient prés de

nos têtes, de nos jambes, rendant la progression difficile. Il

faisait de plus en plus sombre. Même l’air semblait plus

lourd. Bien vite, je perdis le sens de l’orientation dans ce

dédale de boyaux métalliques. La seule impression qui me

restait était celle d’arpenter l’intérieur du ventre de la bête

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de fer, obscur, avec son lot de gargouillements sourds et de

vibrations sous nos pieds. Enfin, il fallut grimper aux

barreaux d’une succession de tubes verticaux pour rejoindre

ce que je devinais être le pont supérieur. Là les couloirs

étaient larges, les murs et le sol en tôles boulonnées. Des

flèches lumineuses indiquaient le chemin jusqu’à ce que

nous arrivions à cette salle.

Elle était grande, baignée dans une lumière forte et vide

de tout objet, lieu irréel au sein de la bête de fer. Au fur et à

mesure qu’elle se remplissait, j’observais les nouveaux

venus. Après le vol qui en avait rendu plus d’un malade,

après ce périple à l’intérieur de la bête qui avait de quoi

nous surprendre, les visages reprenaient maintenant leurs

couleurs, les dos s’étaient redressés, et certains osaient

échanger quelques phrases avec ses voisins, dans notre

langue commune, l’Alienca. Maintenant qu’on nous avait

séparés de ceux de l’intendance, la population était

beaucoup plus homogène et beaucoup plus impressionnante.

Tous des guerriers jeunes, fiers, rompus à la discipline, le

regard haut rempli de courage et d’orgueil. Mais ce qui

frappait le plus, c’était la stature de ceux qui m’entouraient.

Partout autour de moi, je devais lever la tête pour observer

leurs épaules : des charpentes lourdes et puissantes. Et

comme si ce n’étais pas suffisant, chacun avait voulu en

imposer encore par des tenues de combattant aguerri :

armures étincelantes, peintures de guerre dissuasives,

pantalons cloutés, cuirasses lustrées, tenues d’apparat

militaires. Si les armes personnelles avaient été autorisées,

je crois bien qu’il y en aurait eu à profusion.

Instinctivement, je jetais un œil à ma tunique et mon

pantalon unis, à mes mains nues si fines. J’imaginais les

entrainements martiaux intenses qu’il avait fallu pour

modeler tous ces corps bodybuildés. J’avais suivi des

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entrainements militaires. Pourtant, en regardant mes bras

frêles, vraiment rien ne permettait de l’imaginer.

Non vraiment, Trevor n’avait pas voulu me sauver.

A côté de moi, un grand balaise me fixait avec ironie.

Mentalement, il se targuait d’être le plus musclé de cette

salle et se moquait intérieurement de mon jeune âge et mon

aspect qu’il qualifiait de « petite peste ». Mon sang ne fit

qu’un tour. Ignorant qu’il était entouré de quatre autres

camarades bâtis comme lui, je lui sautais au cou et enfonçais

mes ongles dans sa carotide. A la seconde, il me plaqua au

sol et me menaça de son poing. Mais une autre main s’était

mise en travers de la trajectoire et arrêta net son

mouvement :

- Stop ! On n’est pas là pour s’entre-tuer. Elle a été

élue, elle aussi. Qu’est-ce que tu lui as fait pour

qu’elle se jette sur toi ?

Et pendant qu’elle lui parlait, elle me tendit la main pour

me relever.

- Je m’appelle Clar, et le gros ballot qui t’a sauté

dessus, c’est mon frère Rog.

Tout en disant cela, elle lui sourit et, comme sous l’effet

d’une douche glacée, le cerveau du fameux Rog s’apaisa

d’un coup. Quand il s’adressa à moi, ce fut avec un grand

calme :

- Qu’est-ce qui t’a pris de m’attaquer ?

- Je n’aime pas qu’on se moque de moi. - Tu es sensible ! On ne peut pas dire que tu sois d’un

gabarit…disons, standard dans cette assemblée.

C’est quoi ta spécialité ?

Il se frottait le cou à l’endroit où je l’avais profondément

griffé mais cette fois, son ton était plus amical qu’ironique.

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- Ca va s’arrêter de saigner si tu continues à appuyer

dessus. Je suis pilote de chasse.

- Et tu attaques toujours avec tes griffes ?

- Si la cible est un boxeur puissant qui a le réflexe de

se protéger le visage, alors oui, c’est la meilleure

attaque possible. Enfin, quand je n’ai pas de chasseur

sous la main bien sûr.

- Comment tu as su que j’étais un…

- La position de tes pieds, les poings que tu remontes, paumes vers le haut, la forme de ta musculature.

Et contre toute attente, il me tendit une poignée de main :

- Tu es une drôle de maline toi. Tu t’appelles

comment ?

- Gabrielle.

Clar continua les présentations :

- Voici Freyj, Tom et Jarl, nos amis. Nous avons

répondu à l’appel des Sages tous ensembles et nous

avons tous été recrutés ! Nous sommes les

inséparables de Cristal !

De cette planète et de ses habitants, je connaissais peu de

choses : des êtres à la réputation chaleureuse perdus dans un

milieu hostile en permanence glacé. Je remarquais

maintenant que tous les cinq étaient à très faibles distances

les uns des autres, se touchant souvent le bras ou l’épaule, et

se parlant de très près. Leur peau pâle qui n’avait pas

beaucoup vu le soleil était parsemée de taches de rousseur.

Les mains de Clar et tout son corps accompagnaient ses

paroles dans des gestes vifs, débordant d’entrain et

d’assurance. Elle dégageait une impression de solidité

physique et mentale enviables, avec la même stature de

géante et les mêmes pommettes roses de poupée que son

frère. Et la même couleur d’âme aussi : du blanc, lumineux.

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Dans ses souvenirs, elle était dans un paysage lunaire,

luttant contre un blizzard de neige, son nez rouge pointant à

peine de sa capuche en fourrure, son frère et ses amis autour

d’elle. Les pieds bien ancrés au sol, les pensées aussi solides

que leurs jambes, ils étaient campés devant un petit groupe

compact de personnes qui criaient et semblaient les défier.

Et on aurait dit qu’ils jouaient à celui qui tiendrait le plus

longtemps debout face au vent. C’était à ce moment-là

qu’ils avaient reçu la réponse des Sages et que leur vie avait

radicalement changée, leur permettant de sortir de ce que

dans son esprit elle nomma « le Koulak ».

- Vous avez l’air de vous connaître depuis longtemps!

- Nous sommes tous les cinq originaires du même

village. Nous avons grandis ensemble.

- C’est amusant, vous avez tous des prénoms très

courts, comme s’ils étaient coupés ! Est-ce le cas

pour tous les habitants de votre planète ?

Elle rit :

- C’est effectivement une tradition qui perdure ! Chez

nous la nature est hostile. Le givre et la glace

recouvrent toujours le sol. Les températures ne

montent jamais au-dessus de zéro degré et le vent

souffle très souvent. On raconte que les mamans des

temps reculés avaient donné des noms plus longs à

leurs enfants. Régulièrement des enfants se perdaient

dans le brouillard givrant. Et leurs parents les

cherchaient longtemps en criant leur prénom. La

légende veut que seuls les enfants qui avaient un

prénom court étaient retrouvés, car le vent sifflant ne

laissait passer qu’une syllabe ou deux. Les autres

prénoms se perdaient dans les bourrasques et les

enfants avec. Ce ne sont que des légendes bien sûr,

et à vrai dire, seuls survivent les plus forts chez nous.

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Mais cela fait partie de notre culture. Et toi d’où

viens-tu ?

- Je viens de la planète Aurore. Pour ceux qui ne

connaissent pas, c’est une planète chaude semi-

désertique, perdue au fin fond de l’Alliance, à l’aube

de l’humanité en quelque sorte…et bien que le vent

puisse y être très bruyant, nos enfants portent des

prénoms de toutes les longueurs possibles. J’en

connais même un qui s’appelle Maximoritolizec…

- Tu devrais lui conseiller de ne jamais venir sur notre

planète un jour de blizzard !

- Je transmettrai !

- Aurore…j’ai entendu dire que vous veniez de perdre

votre roi et qu’en guise de successeur, il n’a laissé

que sa fille, une gamine écervelée et vindicative…En

plein début de guerre. Les temps doivent être durs

sur ta planète !

Oui, Clar, les temps sont durs…Heureusement, elle

enchaine sans que j’ai besoin de répondre.

- Sais-tu que ce sont nos Vénérables Sages qui vont

nous guider tout au long de ce voyage et même lors

de l’affrontement ! Leur présence transforme ce

vaisseau en véritable sanctuaire. Ce sont les apôtres

de la Déesse. Peu de monde a comme nous la chance

de les rencontrer, et encore moins d’être instruit par

eux. Attention, je crois qu’ils arrivent…

La salle s’obscurcit lentement et les discutions stoppent.

Dans un bruit de fer, les portes se ferment sur les derniers

guerriers arrivés, sur cette salle d’un blanc immaculé,

comme un sas entre deux mondes ou deux espaces temps.

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Quand tout à coup les esprits autour de moi s’animent :

« Les voilà » !

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CHAPITRE 4 L’arrivée des Sages

Le seul espace qui jusqu’ici était resté dans l’ombre,

s’éclaire maintenant d’une lumière crue, en même temps

que le reste de la salle baigne brusquement dans l’obscurité.

Dans la lumière, une estrade et cinq chaises : cinq carrés

blancs parfaitement espacés posés sur un rectangle blanc.

Leur pureté de ligne, leur austérité marque nos rétines

dans cette saturation de lumière. Puis, le rythme lent d’une

cloche de fer fait cesser les chuchotements. Un personnage

en aube et en cagoule carillonne d’un tintement monocorde,

marquant le pas lent des cinq ombres qui le suivent. Encore

quelques pas puis leurs frêles silhouettes entrent dans le halo

de lumière.

Les Vénérables Sages s’avancent : cinq vieillards au

visage fripé, sans âge et sans race distincte, enveloppés dans

leur robe de bure de pénitents.

Voilà à quoi ressemblent ceux dont le nom évoque

partout dans l’Alliance la puissance et la connaissance

absolue ; ceux que toutes les nations Humaines regroupées

dans l’Alliance redoutent et écoutent! Nos maîtres à tous!

Ceux qui nous ont choisis pour intégrer « le Deus ex

Machina »…

La salle est maintenant dans le noir total, hormis

l’estrade. On ne voit plus qu’eux dans cette lumière

éblouissante. Ils sont venus se placer devant leur chaise dans

un mouvement d’une précision militaire et se sont

immobilisés en même temps, leurs corps décharnés dans la

même position.

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Dans le silence de la salle, le personnage en aube et

cagoule s’est posté devant nous pour ordonner :

- Un genou en terre devant nos Vénérables Sages !

Aussitôt tous s’exécutent dans un brouhaha de bottes, de

rangers qui raclent le sol, d’articulations et de tissu froissé.

Quand nous sommes tous à genoux et que le silence revient,

l’homme à l’aube et cagoule reprend :

- Debout !

Alors, nous croisons enfin leur regard : cinq paires

d’yeux sournois et rusés. Leurs pupilles perçantes semblent

scanner toutes les âmes qui rentrent dans leur champ de

vision au fur et à mesure qu’elles balayent l’assistance.

Malgré leur grand âge, il se dégage d’eux une aura

extraordinaire. Et aussi un malaise : cinq répliques

identiques de vrais quintuplés, aux gestes toujours en phase.

Dans un ballet parfaitement orchestré, leurs bras se sont

levés en croix. Puis ils prennent la parole tous ensemble. Et

c’est comme si une seule voix sortait de leurs cinq bouches.

Lente. Puissante :

- Oh, les cœurs courageux ! Soyez fiers car vous êtes

les « Elus », les guerriers de l’Alliance ! Au milieu

des tourmentés, des faibles, des lâches, des

indifférents, vous avez entendu notre appel ! Le désir

a mûri en vous, malgré les craintes, malgré les

souffrances à venir. Et vous avez répondu à notre

appel, vous avez parcouru un long chemin pour

arriver jusqu’à nous et faire front contre

l’envahisseur qui menace notre Alliance. « Elus »,

vos noms vont rentrer dans l’histoire ! Vos cœurs

purs et vos âmes généreuses gagneront le paradis !

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Pourtant, je le sais, c’est d’abord à l’enfer qu’il faut se

préparer.

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CHAPITRE 5 Les Mercenaires

Qui dans toute l’Alliance n’a jamais entendu parler des

Mercenaires ? Même au fin fond du plus éloigné de nos

systèmes planétaires, tout le monde connait cette bande

d’assoiffés de sang et de pouvoirs, cette horde hétéroclite de

forçats évadés, d’anciens soldats rebelles, d’hommes avides

de pouvoir et de richesses, et de diables errants à qui il ne

reste que la violence pour survivre !

Mon père m’avait élevée loin des préoccupations de

notre planète et de la scène politique. Et pourtant, je connais

leur histoire. Je l’avais entendue au cours d’une de ces

visites d’émissaires étrangers à laquelle je devais, selon les

ordres de mon père, jouer le rôle de la présence féminine

agréable à regarder et à entendre du moment que je ne me

mêlais pas des affaires en cours…

Leur faction était apparue il y a cinq ans lors de la

« Horde sanglante ». Ils n’étaient alors qu’une poignée de

voyous qui avaient projeté d’enlever le président du conseil

de l’Alliance pour obtenir une rançon. Ça se passait sur la

planète Béliste et ses habitants s’en souviendront encore

longtemps. Le Président enlevé, l’Alliance avait envoyé un

commando plutôt que la rançon, ne prenant pas au sérieux la

menace. Pendant tout un mois, les Mercenaires avaient mis

le pays à feu et à sang, se protégeant des armées derrière

leur prestigieux otage. Certains villages et même une petite

ville avaient été rayés de la carte. Les viols, meurtres et

habitations dévastées furent incessants pendant toute cette

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période. On raconte que leur chef, un certain Arius, un

homme à l’esprit follement sanguinaire, aimait garder un

souvenir de chaque meurtre : un bijou, une dent, un

ongle !... Lorsqu’enfin l’Alliance les pris au sérieux après

l’échec du commando et qu’ils reçurent leur rançon, le

Président fut rendu au Conseil…en morceaux !

Aujourd’hui, ils sont de retour, infiniment plus riches,

plus armés et plus nombreux. Et leur objectif est bien plus

ambitieux : prendre le contrôle de la planète noire, notre

base pétrolière qui alimente toute l’Alliance, notre unique

source d’or noir ; et tenir tout notre système sous leur

coupe ! Evidemment, ce point névralgique est protégé : si

cette planète n’est pas à proprement parler habitée, elle

dispose en revanche de nombreuses bases militaires qui

entourent tous les puits. Mais la rançon d’il y a cinq ans

représente une colossale somme d’argent.

Depuis la nouvelle de leur arrivée, l’Alliance tremble en

imaginant ce que cette horde assoiffée de sang, de violence

et de pouvoir pourrait faire, maintenant qu’elle est riche et

puissante !

Cette fois, notre liberté à tous est menacée.

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CHAPITRE 6 L’intronisation

Un silence de cathédrale règne maintenant malgré le

nombre, comme si la salle était remplie de coton. Mais pour

moi, elle est remplie de petits bruits de pensées qui

jaillissent de toute part, s’entremêlant en arabesques tordues

au-dessus des têtes. Un concert, non, une cacophonie de

pensées : « J’affronterai les ténèbres pour que triomphe la

lumière », « …libérer les tensions du corps, happer l’énergie

cosmique, transformer mon âme en pure émotion, atteindre

le satori…et tuer ! », « Mon nom va entrer dans la

légende », « Pas de survivant. Ils ne le méritent pas, ces

parias… », « Que mon bras porte le Verbe », « bientôt je

retournerai chez moi couvert de gloire et je me vengerai de

vous… », « Qu’est-ce qu’on ressent quand on tue pour la

première fois ? », « Que tous ces morts lavent mes péchés».

Sang, vengeance, peur, destruction, bravoure, prière, toutes

ces pensées se mélangent dans un tourbillon de fumeroles

folles à donner la nausée.

Brusquement, les cinq Sages brisent le silence de leur

voix unique et pénétrante. La mer de fumeroles se fige

instantanément :

- Notre Alliance, le symbole de notre entente entre

Humains, est menacée ! Tous les efforts passés pour

s’unir, tout ce que nous avons construit, planète

après planète, depuis tant d’années pourrait être

anéanti dans cette guerre et perdu à tout jamais !

Arius et ses Mercenaires veulent notre plus grande

richesse : la planète noire.

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Au fur et à mesure qu’ils prononcent leur discours, des

images défilent derrière eux sur le mur. Une carte de

l’espace avec les positions de chacun : l’ennemi est à dix-

sept jours de l’objectif. Des photos de la planète noire : cette

planète sans soleil, plongée en permanence dans le noir

complet, ses bases d’extraction de pétrole recouvrant

pratiquement toute sa surface, et ses camps de surveillance

armés. Mais ces défenses apparaissent dérisoires en

comparaison des forces déployées par l’ennemi.

Des informations sur la légion des Mercenaires

s’affichent en surimpression : cent mille hommes, une

armada de vaisseaux spatiaux de toutes tailles, des

transporteurs, et des chasseurs ! Et à sa tête, son fleuron en

matière d’armement : le nouveau vaisseau « Drakkar Noir »,

sa base de commandement.

- Qu’adviendrait-il de nous si ces hordes de sauvages

s’emparaient de notre unique source de pétrole ?

Plus aucun vaisseau de l’Alliance ne pourrait les

combattre faute de carburant ! Et toute l’Alliance

serait à genoux devant ces immondes hors la loi !

Voulez-vous qu’Arius s’empare de la planète noire

et devienne l’homme le plus puissant de toute la race

Humaine ?

- NON !

- Voulez-vous que les Mercenaires envahissent

impunément vos planètes et vos foyers ?

- NON !

- Voulez-vous que vos amis, vos proches deviennent

les esclaves de cette horde sanguinaire ?

- NON !

- Alors, nous allons nous battre ! Pour la planète

Noire, pour la liberté, pour l’Alliance !

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- Pour la planète noire, pour la liberté, pour

l’Alliance !

Les esprits s’échauffent. Des poings impatients se lèvent

et des cris fusent. Il faut un moment pour que l’assistance se

calme et que les Sages puissent reprendre leur discours :

- Selon les traités intergalactiques, nous ne pouvons

attaquer l’ennemi que lorsqu’il aura pénétré dans la

zone de l’Alliance. Toute infraction à cette règle

serait considérée par nos voisins comme une

déclaration de guerre et nous n’avons pas besoin

d’ennemis supplémentaires. Selon nos calculs les

Mercenaires devraient l’atteindre dans dix-sept jours.

C’est le temps que nous avons pour nous préparer.

Toute l’Alliance s’est mobilisée ! Partout, de chaque

planète, des troupes de soldats sont en route. Ils

viendront se poster entre la planète noire et l’ennemi.

Leurs mouvements de troupe massifs ne passeront

pas inaperçu. Ils impressionneront par leur nombre

mais leur position en dira déjà long à l’adversaire sur

notre stratégie d’attaque. Un seul élément leur sera

totalement inconnu : le « Deus ex Machina ». Jamais

les Mercenaires ne devront en connaitre l’existence.

Aucun radar visuel, infrarouge, sonore ne devra

pouvoir le détecter. Pour cela, les consignes à bord

sont très strictes : aucune communication avec le

monde extérieur pendant toute la durée de la

mission. Quand à vous, vous ne devrez jamais

exister aux yeux de l’ennemi, jusqu’à ce que vous

ayez frappé, et détruit ! Vous êtes les « Elus »,

l’arme secrète de l’Alliance. Vous interviendrez en

plein cœur de l’ennemi ; rapides, précis, et furtifs ;

pendant que le gros de la troupe frappera de front. La

plupart d’entre vous ont des amis, des frères ou des

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sœurs, un père ou une mère parmi eux. Souvenez-

vous bien de ceci : sans eux, vous ne pourrez pas

agir ; sans vous, ils ne pourront pas vaincre. Ce

vaisseau spatial est la base de commandement de

notre armée, et c’est aussi votre camp

d’entrainement. Nous avons dix-sept jours pour faire

de vous une équipe soudée et en parfaite

coordination. De vous dépend l’avenir de tout notre

système.

Et la salle enthousiaste répond : « A mort les

Mercenaires ! On va leur faire manger leurs vaisseaux ! »

Puis la voix des Sages change brusquement, et prend un

ton d’église :

- Elus, toute l’œuvre à accomplir ici est en vous,

entretenue, chérie pour certains, ou bien couvée,

cachée, pour d’autres ; mais encore à l’état de larve,

sans raison profonde, sans guide. Elus, entrez dans

ce vaisseau comme on entre dans les ordres : le cœur

pur, l’âme pleine d’ardeur, le bien de l’Humanité

comme étendard. Faites un pas dans la lumière ;

déposez tous vos fardeaux, tous vos doutes, tous vos

freins et prononcez votre prénom. Confessez nous

vos âmes faibles, faites acte d’allégeance, remettez-

vous en à nous, vos Vénérables Sages, en toutes

choses. Ici plus de nom de famille ; votre famille est

ici. Regardez votre voisin : c’est votre frère d’armes.

Plus de grade ni de hiérarchie ; vous êtes tous les

bras d’un même corps ; nous sommes la tête.

Oubliez ce que vous avez été, ce que vous avez

appris et ouvrez vos yeux et vos oreilles sur ce

monde nouveau que nous allons vous

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enseigner. Ainsi seulement vous pourrez suivre le

chemin que nous vous tracerons pour vous révéler.

Ainsi seulement vous pourrez arracher les Hommes

à leurs ténèbres. Ainsi vous pourrez racheter vos

âmes impures.

Dans le silence, leurs voix vibrent encore au fond de nos

cerveaux. Je les entends résonner en écho dans chacun des

esprits autour de moi, comme les notes puissantes d’un

orgue d’église envahissant la nef puis chaque transept,

vibrant encore longtemps après avoir joué sur le clavier.

L’air semble en suspens. Plus personne ne bouge.

Puis cinq bras se tendent vers un des « Elus », l’invitant à

avancer :

- Présentez-vous à vos frères. Donnez votre prénom et

votre planète d’origine. Pas de nom de famille, il

doit rester secret. Plus encore, vous devez l’oublier !

Inclinez-vous devant vos Sages et prononcez votre

engagement plein et définitif.

Alors commence le rituel d’intronisation qu’ils ont

ordonné. L’homme sort de l’ombre de la salle et s’avance

lentement dans le halo de lumière qui entoure l’estrade.

C’est une sorte de colosse dont je peux distinguer le dos

noué de muscles et les épaules puissantes qui dépassent de

la foule. Conformément aux instructions des Sages, il se

tourne vers nous, ses « frères d’armes » pour se présenter.

- Je suis Adam de la planète « Petite nuit ».

Puis, avec déférence, il s’agenouille devant les Sages, et

prête serment d’obéissance, répétant les paroles qu’ils lui

dictent :

- Je jure de défendre l’Alliance et m’en remets aux

Vénérables Sages en toutes choses.

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Son corps massif s’est plié au pied de l’estrade. A ras de

terre, il reste plus corpulent que les cinq maigres aïeuls qui

lui font face. Pourtant c’est bien des cinq vieillards que

semble émaner toute la force qui électrise cette salle. Il

règne un silence de recueillement ; même les esprits se sont

tus. Les Sages reprennent avec cette fois une voix suave :

- Préparez votre âme ; videz-la de tous vos péchés…

Alors l’esprit de l’ « Elu» s’anime. Ses souvenirs aigres

remontent à la surface par flashs violents : des coups de

poings contre un ami ; des insultes à sa mère ; une sœur

mourante qu’il a tuée. Il se répète en boucle : « elle était un

fardeau pour notre pauvre famille. On serait tous morts de

faim à vouloir la sauver. » Il est chassé à coups de pierres.

« On serait tous mort », « on serait tous morts », « fardeau ».

Puis les mots s’estompent avec les regrets et disparaissent

comme si tous ses crimes pouvaient s’effacer en un clin

d’œil. Sous le choc, je regarde les Sages : yeux fermés,

mains tendues vers l’homme, ils sourient !

Quand l’« Elu » se relève, son visage parait transformé,

éclairé et grave, son esprit exalté au service des cinq.

Longtemps le rituel se répète : les Sages pointent du

doigt dans la foule ; l’Elu entre dans la lumière ; se présente

à nous ; puis jure obéissance aux cinq Vénérables, avec

respect et ferveur. Et dans ce simulacre d’absolution, son

âme se vide de toutes ses exactions, son cœur se relève en

paix.

Et à chaque fois, je découvre avec horreurs ces âmes

cassées, hors standard, rejetées des autres par leurs crimes

ou leurs différences, qui se libèrent si facilement de leurs

troubles par le pouvoir éphémère de la confession. Au bord

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 40

de la nausée, j’ai cessé rapidement de sonder leurs âmes et

ne suis plus la cérémonie.

C’est mon tour !

Des Sages, cinq bras se sont tendus vers moi, cinq paires

d’yeux me scrutent. L’assistance s’est distendue, m’ouvrant

le passage jusqu’à eux.

Encore quelques pas et l’engagement sera définitif. Mon

cœur bat d’excitation, mes pieds hésitent. Dans ma tête

défilent à toute vitesse les petits bouts de ma vie qui ont fait

que je suis ici aujourd’hui. Le halo lumineux est juste

devant moi. Plus qu’un pas pour le franchir.

J’entre.

Tout devient blanc. D’abord je ne vois plus rien. Puis

mes yeux s’accommodent. Je me tourne vers la salle

plongée dans la pénombre ; je ne distingue plus personne. Et

je dis mon nom :

- Je suis Gabrielle de la planète Aurore.

Pas de réaction dans les esprits alentour. Personne ne m’a

reconnue. Il vaut mieux. Je me tourne vers les cinq

Vénérables, et m’agenouille pour prêter serment :

- Je jure de défendre l’Alliance et m’en remets aux

Vénérables Sages en toutes choses.

Les Sages murmurent à nouveau leur phrase rituelle :

- Préparez votre âme ; videz-la de tous vos pêchés…

Je n’ai aucune intention de ressasser mes souvenirs. Je ne

cherche qu’à les oublier. Je penche la tête en avant, simulant

une introspection rapide et me mets à sonder leurs esprits.

Du noir ! Rien que du noir, intense comme un puits sans

fond, non comme cinq puits sans fond. J’ai le vertige et tout

à coup, une voix intérieure sort du noir :

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« Confie-toi à nous, Gabrielle MagnusMens ».

Les Sages connaissent ma tare ! Les Sages lisent eux

aussi dans les pensées ! Et ils s’adressent à moi tous les cinq

de façon totalement synchrone. En proie à la panique, je clos

violement mon esprit comme on claquerait une porte. Je me

redresse brusquement ; la colère fait battre le sang dans mes

tempes et m’enhardie jusqu’à m’adresser à eux de la même

façon : d’esprit à esprit !

« - NON ! Je n’ai pas l’intention de vous laisser vous

délecter de mes fautes et jouer à m’absoudre. Si vous voulez

les connaitre, il va falloir venir les chercher par vous-même

au fond de mon cerveau ! »

« - Ce n’est pas ainsi que cela doit se faire. Veux-tu

garder au fond de toi tout ce qui te ronge et t’entraves ou

faire la paix avec toi-même, libérer ton esprit de ses chaînes

et te révéler ? N’oublie pas que seuls les plus forts pourront

accomplir leur mission…et que tu es venue à nous de ton

plein gré ! »

« - Je ne suis pas venue de mon plein gré. Je n’ai pas eu

le choix. Et vous, pourquoi m’avez-vous acceptée ? A cause

de ma tare ?»

« - Jeune Gabrielle, ôte tes doutes de ton esprit ; crois en

toi. Car nous t’avons choisie en toute connaissance de

cause. »

« - Vous ne me connaissez pas ! Comment avez-vous su

que je lisais dans les pensées ? Qui vous a renseigné sur

moi ?»

« - Toutes les questions finissent par rencontrer leur

réponse. Ouvre ton esprit. Aie foi en nous et nous te

montreront comment avoir foi en toi. C’est tout ce que tu

dois savoir pour le moment. Retourne dans les rangs. »

« - Je… »

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Je n’ai pas le temps de terminer ma pensée. Je suis

coupée net par leur voix intérieure cinglante et violente :

« -Tu as prêté serment !»

Sans savoir trop comment, je me retrouve quelques pas

en arrière, dans la pénombre, au milieu des autres ; sonnée.

Puis j’ai peur : ils sont entrés et ont lu dans mon esprit ;

moi qui me croyais unique et impénétrable. Et ils sont entrés

avec force. Alors l’écœurement m’envahi ; comme l’effet

d’un étranger qui aurait en cachette visité une chambre,

touché aux draps. Mes os se glacent, mon esprit s’est clos

comme une huitre.

Le défilé des Elus continu. Chacun égrène ses fautes en

pensées sans aucune pudeur, et exhibe ses méfaits se croyant

seul, ne sachant pas que ce sont les Sages qui les y incitent

et accèdent à leurs moindres secrets. Tout cet étalage

malsain me donne la nausée. Pourtant, après chaque serment

prononcé avec conviction, après chaque flot de souvenirs

plus ou moins lugubres, les esprits libérés de leurs poids

repartent tous plus sereins, regonflés et endoctrinés ; tous

sauf moi.

C’est alors qu’une seconde vague de peur m’assaille :

quelqu’un d’autre que Trevor est intervenu auprès des

Sages, quelqu’un d’Aurore qui connait mon secret et le leur

a révélé – un secret que j’avais pris soin de ne jamais

montrer à personne. Mais qui ?

J’ai toujours eu cette faculté de lire dans les esprits.

Je ne saurais dire exactement à quel âge j’ai compris que

j’étais différente. Ma mère, bien entendu, fut la première à

s’en rendre compte…

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 43

Petite, je voyais bien qu’il arrivait que j’entende les voix

des personnes sans que leur bouche ne s’ouvre. Et je voulais

faire comme elles : communiquer sans ouvrir la bouche.

Mais lorsque j’utilisais cette façon de faire, ou bien lorsque

je pleurais par la pensée, sans verser de larmes, ou lorsque je

criais sans un bruit, personne ne réagissait. Dans ma famille

on m’a considérée longtemps comme une enfant au

développement intellectuel « tardif ». Il faut dire qu’en plus

de mon comportement étrange, j’ai toujours eu une

apparence plus jeune que je n’étais réellement. J’ai fini par

me résoudre à communiquer en faisant du bruit avec ma

bouche, comme eux. Et quand j’ai commencé à dialoguer

avec les autres, puisant dans ce que j’« entendais » de leurs

pensées, leur gêne envers moi se mis à grandir et à se

transformer au fur et à mesure en rejet.

A l’adolescence j’étais une jeune fille renfermée. Mon

physique me donnait des airs de gamine qui me

complexaient ; ma tare était lourde à porter. J’avais en

permanence les bruits de ces cerveaux qui résonnaient dans

ma tête. C’étaient des pensées sans aucun intérêt la plupart

du temps ; mesquines ou nombrilistes souvent ; parfois

malsaines ou carrément infâmes ; rarement des bontés et de

l’amour.

Il m’a fallu du temps avant de mieux me maîtriser et

avant de comprendre que ce fléau pouvait m’être utile.

Ensuite tout est devenu plus simple. Avec la pratique,

j’arrivais à ne lire dans les esprits que lorsque je le

souhaitais ; si j’en voyais l’intérêt ou si la curiosité me

démangeait !

Alors, j’ai pris soin de cacher cette capacité, sans jamais

en parler à quiconque. Et je me suis efforcée de paraître la

plus normale possible.

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CHAPITRE 7 L’Immortel

La cérémonie des présentations semble terminée ; la salle

s’agite à nouveau, quand les Sages tendent leur cinq bras,

pointant vers le recoin le plus obscur de la salle. Paraissant

sortie de nulle part, une cape noire se matérialise soudain au

bord du halo de lumière. La silhouette glisse sans bruit

jusque devant les Vénérables pour se présenter à nous. Un

froid s’installe dans la salle et me fait sortir de ma torpeur.

Pas de main, pas de visage, pas même de regard qui ne

dépasse de ce spectre qui nous fait face. Juste une masse de

tissu noir qui parait encore plus sombre dans cette lumière

crue. Une sorte d’onde de peur, dont le centre est cette

chose, commence à s’étendre dans la salle. Je la sens

envahir petit à petit les esprits autour de moi. Une voix

grave et sourde, presque inaudible sort du trou noir du

capuchon :

- Je suis Faustus de la planète Valdenfer. Nos

Vénérables Sages ont bien voulu accepter ma

présence parmi vous…

A ces mots, toute l’assistance se crispe et retient son

souffle. Des murmures courent dans la foule des Elus : « la

planète Valdenfer, la planète des Immortels… » ! Au

premier rang, tous se sont reculés instinctivement. Comme

les autres guerriers avant elle, la silhouette noire se retourne

vers les cinq vieillards et s’incline, toujours sans un bruit,

comme si le tissu s’était mu seul sans personne dessous. Sur

son dos, tranchant sur le noir de sa cape, le fameux « I »

rouge, que doivent porter tous les Immortels lorsqu’ils sont

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en présence d’Humains. A nouveau, la voix d’outre-tombe

vibre :

- …je jure de défendre l’Alliance et m’en remets aux

Vénérables Sages en toutes choses.

La tension dans l’air est palpable, un flot de pensées

effrayantes court et envahi la salle. Je n’ai presque pas

besoin de mes capacités pour lire l’agitation et l’indignation

dans les esprits : « Comment nos Vénérables peuvent-ils

permettre la présence d’un de ces violents anthropophages

parmi nous ! ».

Voilà donc l’un de ces terribles Immortels dont certains

ambassadeurs me racontaient parfois l’histoire chez moi,

comme on raconte des légendes aux enfants. C’étaient

parait-il, des surhommes, capables d’une immense force et

d’une immense rapidité contre lesquelles aucun humain ne

pouvait se mesurer. Si les témoignages concordaient en ce

qui concerne leur capacités physiques, en revanche les

descriptions qu’on m’en avait faites me paraissaient pour le

moins saugrenues : loup-garou, mélange d’ours et d’homme

ou spectres informes…Bref, je n’avais aucune idée de ce à

quoi ils pouvaient bien ressembler. Dommage que la cape

intégrale de celui-ci ne puisse révéler d’indice.

A la surprise générale, les Sages font preuve d’une

grande sérénité et même de déférence envers lui :

- Faustus, sois le bienvenu parmi nous. Nous

connaissons ton abnégation. Comme tous ceux de ta

famille, tu as signé le pacte de paix avec les

Humains. Comme ton père avant toi, tu viens à nous

mettre ta force à notre service et défendre notre juste

cause. Sois digne de lui ! Que chacun ici t’accueille

avec honneur !

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Cette fois, les Sages n’ont pas demandé de confession,

pas d’incitation à libérer son âme, ni à leur confier ses

péchés. Pas de souvenir à faire remonter à la surface. Aucun

indice sur le mode de vie et l’apparence de cet énergumène.

J’en viendrais presque à regretter l’absence de ce rituel qui

m’écœurait tant quelques instants auparavant. Pourquoi un

tel traitement de faveur ?

Quand l’Immortel retourne dans le fond de la salle, la

foule s’écarte puis se referme sur son passage, comme

l’effet d’aimants en répulsion. Et je sens déjà dans les

esprits échauffés gonfler des vagues de haines et de révoltes

comme seule la peur panique peut en générer. Mais

l’autorité des Sages les muselle provisoirement :

- Elus défenseurs de l’Alliance, vous venez d’intégrer

la communauté la plus fermée de toute notre

organisation. Tout ici doit rester secret. Vous ne

devrez jamais donner votre identité, vous devez

même l’effacer de votre mémoire ! Votre sécurité en

dépend. Vous vous entrainerez selon nos ordres.

Mais la nature de votre mission ne vous sera révélée

qu’au tout dernier moment, pour éviter toute fuite

d’information. Ainsi seulement nous pourrons

prendre l’ennemi par surprise. Nous vous

enseignerons comment lutter contre les Mercenaires

mais nous ne vous communiquerons rien de nos

connaissances sur eux. Vous devrez être aveugle sur

tous nos plans et garder une confiance absolue en

nous. La réussite de cette mission en dépend. Le

devenir de l’Alliance toute entière en dépend ! Elus

défenseurs de l’Alliance, nous avons reçus vos

serments avec beaucoup de considération. Nous vous

guiderons vers la lumière, nous ferons de vous les

membres d’une même communauté soudée dans les

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tempêtes. Ensemble, vous révèlerez et ferez croître

vos forces. Ce vaisseau est désormais votre temple,

votre foyer et votre camp d’entraînement.

En se rasseyant, les Sages tendent le bras vers un groupe

d’hommes et de femmes montés près d’eux sur l’estrade ;

une sorte d’armoire à glaces pleine de muscles à leur tête. Il

a une figure de boxeur avec une arcade sourcilière défoncée,

le crâne un peu aplati sur le dessus. Il fait largement plus de

deux mètres de haut et ses mâchoires en avant lui donnent

un air de « Cro-Magnon » ! Tout dans son allure empeste la

suffisance : son marcel moulant compressant les muscles de

son torse, les bras repliés aux veines saillantes et les jambes

écartés, pieds encrés dans le sol pour nous en imposer :

- Je m’appelle Ruddy. Je suis votre chef instructeur

dans le Deus ex Machina : vous devrez vous

présenter devant moi au garde à vous et m’appeler

« chef Ruddy ».

Il scrute la salle avec un air narquois, le regard plein de

défi :

- Garde à vous !

Tout le monde s’exécute.

- Repos. Comment nos Vénérables Sages vous

appellent-ils ? Elus guerriers ? Défenseurs de

l’Alliance ? Et vous êtes fiers comme des papes avec

ça !...J’ai beau chercher, je ne vois aucun guerrier

parmi vous ! Une bande de vieilles femmes aux

jambes flasques tout au plus ! Répétez après moi :

« je suis une vieille femme flasque »…

Dans la foule, certains ont suivi les ordres avec mollesse

et des échos de cette phrase sont repris sans ardeur :

- Je suis une vieille femme flasque…

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- Mais ce ne sont pas que les jambes que vous avez

d’une vieille femme ! Ce sont aussi les cordes

vocales ! Plus fort : « je suis une vieille

femme flasque» !

Cette fois plus de voix s’élèvent et retentissent :

- Je suis une vieille femme flasque.

- Regardez-vous bandes d’ignares ! Remplis

d’orgueil ! Vous pensez que vous allez pouvoir partir

en commando dans le camp ennemi ! Vous êtes

vraiment des bleus comparés à eux ! Vous ne seriez

même pas capable de faire du mal à leur chien ! Ma

parole, vous êtes tous venus vous suicider ici !

Il parcourt encore la foule du regard, enfonçant ses

pupilles dans chaque paire d’yeux qu’il croise.

Lorsqu’il arrive sur moi, il s’arrête quelques instants,

surpris. « Gamine » et « petits bras » lui traversent l’esprit,

comme si souvent lorsque je croise une personne inconnue.

Ses yeux se sont accrochés sur moi comme un vautour sur

sa proie, puis un autre mot se forme : « marionnette ». Je

soutiens son regard, impassible, le dos droit, le visage sans

expression. Mais, contre mes jambes, mes poings serrés

tremblent d’impatience. Puis ses pupilles s’élargissent et un

sourire monte tout doucement et fend son visage sadique :

- Vous voulez sortir vivant de cet enfer ?

Son regard s’est détaché de moi pour nous englober tous.

Il semble attendre une réponse qui ne vient pas. Alors il la

formule lui-même :

- « Oui, chef »

Les élus ont compris et répètent :

- Oui, chef.

Je reste muette. Il semble satisfait de la puissance de la

réponse du groupe et continue :

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- Alors vous avez vraiment besoin de nous. Mon

équipe et moi, on est là pour vous entraîner. Et faire

de vous des vrais guerriers ; des vrais « Elus » ; des

vrais « défenseurs de l’Alliance » ! Vous voulez

vraiment être des défenseurs de l’Alliance ?

- Oui chef !

- Alors vous allez trimez ! On va vous faire suer du

sang et pousser des muscles ! Et en premier on va

évaluer vos aptitudes au combat et votre pourcentage

de chance de rester en vie. Chacun d’entre vous va y

passer ! Moins de dix pourcents de chance de survie

et vous serez écartés d’office des combats : on n’est

pas là pour envoyer de la chair à canon nourrir les

Mercenaires !

Et il émet une sorte de rire gras qui lui tord la bouche.

- Mais, entre nous, si j’avais un bon conseil à vous

donner, en dessous de vingt pour cent, je prendrais

mes jambes à mon coup et je partirais d’ici fissa !

Plus de sourire. Le silence est maintenant pesant. Il

continue :

- Pour ceux qui auront la CHANCE de rester, on vous

regroupera en fonction de vos prédispositions.

Rendez-vous demain matin six heures. Vos noms

seront affichés ici pour savoir où vous rendre.

Repos !

Ruddy et son équipe s’en vont. Les Vénérables se lèvent

à nouveau pour prendre la parole :

- Elus, défenseurs de l’Alliance, vous êtes tous

uniques, tous doués, tous motivés à vous battre. Mais

vos forces sont endormies et l’ennemi est puissant.

Pour gagner cette guerre, vous allez vous entraîner

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durement et booster vos capacités. Pour gagner cette

guerre, chaque don sera nécessaire. Chacun sera un

maillon fort de la chaîne qui étranglera l’ennemi.

Nous vous confierons des missions en fonction de

ces dons. Mais la somme de vos dons pris un par un

ne suffirait pas. Pour gagner cette guerre, vous

devrez donner encore plus. Vous devrez former une

équipe soudée aux capacités qui se multiplient en se

regroupant. Nous voulons une symbiose parfaite ! Ce

n’est qu’en franchissant ce stade que nous vaincrons.

Des regards s’échangent dans la salle. Chacun observe

ses voisins avec plus d’attention maintenant.

- Pour cela, nous allons vous regrouper en binômes.

Les Sages laissent cette phrase pénétrer nos cerveaux et

lui donner du poids.

- Vous apprendrez à vous connaître et à vous faire

confiance. Vous vous entraînerez ensemble ; vous

deviendrez complémentaires et inséparables.

Ensemble, tout deviendra clair ; vous marcherez

d’un même pas, vous vous sentirez forts, vous ne

douterez plus jamais. Alors seulement, vous serez

prêts à réaliser la mission que nous vous confierons.

Dans trois jours nous serons aux abords de la planète

noire. Nous allons mettre à profit le temps de ce

voyage pour vous observer. Dans trois jours, nous

nommerons ces binômes. A partir de ce moment,

vous ne vous séparerez plus jusqu’à la fin de cette

guerre : vous direz « mon double » en parlant de

votre coéquipier et il dira de même de vous. Vous

serez les armes de l’Alliance ! Soyez prêts à donner

toute votre motivation, vos forces, votre courage et

votre vie. Et en premier lieu, soyez prêts à suivre nos

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 51

ordres à la lettre. La parfaite coordination des actions

de chaque binôme, la discipline au sein de tout le

groupe, seront le gage de notre réussite. Toutes nos

planètes en dépendent. Pour la planète noire, pour la

liberté, pour l’Alliance !

- Pour la planète noire, pour la liberté, pour

l’Alliance !

L’exaltation est à son comble. Chacun jure de tuer le

maximum de Mercenaires et certains parient déjà sur leurs

exploits futurs.

Les cinq robes de bure se lèvent alors et quittent la salle.

Déjà les portes de la salle se sont ouvertes. La foule des Elus

se disperse peu à peu. L’excitation retombe. Rog à côté de

moi est dubitatif :

- « Mon double » ? Qu’est-ce qu’ils veulent dire

exactement ?

Une très belle femme s’est retournée pour lui répondre,

faisant virevolter ses boucles brunes et je ressens comme un

apaisement son âme douce et rose :

- C’est une vieille tradition guerrière. Nos Vénérables

Sages ont été eux-mêmes entrainés de cette façon. Ils

regroupent les gens par deux selon le caractère et les

aptitudes. Tu connais l’adage « à deux on est plus

fort ». Ils cherchent l’entente parfaite.

- Je veux être avec toi, Chérie !

- Non, tu n’as pas compris, ces binômes n’ont rien à

voir. En général ils évitent même qu’ils soient

mixtes. C’est une entente spirituelle : on est sur la

même longueur d’onde, soudés. Un peu comme de

vrais jumeaux. L’efficacité au combat est bien plus

grande. L’attaque est synchrone et chacun protège

l’autre.

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- J’en connais un qui ne risque pas d’avoir « son

double » !

Et il fait signe en direction de l’Immortel. Tous restent

silencieux.

- Franchement, ce s… me fout les jetons !

- Rog, surveille ton langage…les Sages…

- Clar, je suis peut-être familier, mais lui, il est

particulièrement dangereux. Tu sais ce qu’ils font

aux Humains, les Immortels ?

Il s’est tourné vers moi comme pour me prendre à

témoin :

- J’ai entendu plusieurs légendes à leur sujet, mais

c’est le premier que je rencontre, et c’est vrai qu’il

est…impressionnant.

- Je vais te dire ce qu’ils font aux Humains : ces

espèces d’e… les bouffent !

- Rog…

- Oh ça va Clar. Ouais, bon, ils les mangent. En fait,

les Immortels sont des êtres supérieurs. Du moins

c’est ainsi qu’ils se définissent. Ils sont

immensément plus forts et rapides que nous. C’est

même tous leurs sens qui sont extrêmement plus

développés que les nôtres. Je vous conseille de

n’engager aucune rixe contre lui, même à dix contre

un. Moi-même je ne m’approcherais pas à moins de

dix mètres de lui. Mais s’il voulait vraiment ma

peau, je ne pourrais pas faire grand-chose. Ils

détestent les Humains. Ils n’ont pas de raison

particulière de nous détester, hormis qu’ils se sentent

infiniment supérieurs à nous. Non, ce n’est pas un

sentiment, c’est bien plus fort que cela, c’est un

instinct animal. Ils nous détestent au point d’avoir

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instinctivement envie de nous tuer. Une sorte

d’atavisme.

La jolie brune qui l’écoutait tranquillement, réagit

soudain :

- Il n’y a que les fanfarons comme toi pour parler

aussi haut et fort de choses qu’ils ne connaissent pas.

Rog s’est figé, bouche ouverte, apparemment très touché

par son opinion sur lui. La brune a tourné le dos et disparu.

Je tente une pensée positive pour faire diversion :

- S’il est si fort, il pourra nous défendre contre

l’ennemi…

- S’il ne t’a pas dévorée avant ! Tu n’as pas compris

Gabrielle. Sa seule présence ici nous met tous en

danger. Méfie-toi de leur calme apparent. Ils sont en

fait animés de rages d’une folle violence. Un

Immortel au milieu d’Humains, c’est comme un lion

affamé au milieu d’un troupeau de moutons. Non,

c’est pire qu’un fauve…un monstre incontrôlable…

- Mais alors pourquoi les Sages l’ont-ils accepté ?

Au lieu de répondre à ma question, Rog se lance dans des

récits bizarres et plutôt farfelus, mêlant dangers et

interdictions de les côtoyer.

Je ne l’écoute plus. La silhouette noire est à quelques pas

de nous, isolée, ombre dans l’obscurité. Que pense un

Immortel…Serait-ce dangereux voire même interdit de

tenter de le savoir ? Je me concentre, sonde son

esprit…et…rien. Un tel monstre n’aurait-il pas de pensées,

ou du moins pas structurées de la même façon que nous ?

C’est l’expérience scientifique de ma vie ! Il faut que je

sonde d’une autre façon ce cerveau si particulier…peut-être

une question de vitesse, s’ils sont si rapides, leurs pensées se

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déroulent sûrement plus vite. Je fais des efforts pour capter

plus vite…rien. Je suis intriguée malgré le danger. C’est

alors que lentement, le capuchon noir se tourne vers moi.

Une seconde je sens comme un regard s’accrocher au mien

dans l’ombre de son visage et mon sang se fige…

- Eh, Gabrielle, tu viens avec nous ? On nous emmène

dans nos quartiers, histoire qu’on trouve nos

marques et qu’on se repose avant les évaluations de

demain. Cherche ton nom dans la liste…

- Heu, ok Rog. Et lui, il ne bouge pas ?

- Un Immortel ça ne dort pas…

Nous descendons de nouveau ces longs tuyaux verticaux

pour retrouver nos chambres. Aux échelles se succèdent des

couloirs encombrés de machinerie et de tuyaux entremêlés,

une passerelle, un sas, puis de nouveau une échelle verticale,

un boyau, un sas ; toujours plus bas, toujours plus étroits.

Certains passages recouverts d’écailles de tôles brutes

donnent l’impression de descendre dans les entrailles d’un

monstre sous-marin, un monstre dont le sang-froid a l’odeur

aldéhydée du fer. Nos bruits de pas martèlent, nos voix

résonnent, et au fur et à mesure de la descente, des

vibrations régulières se font de plus en plus présentes

comme les palpitations d’un cœur lointain.

Les chambres sont pour la plupart regroupées à proximité

des vestiaires et des salles d’eau communes. Il y a du monde

qui grouille et cherche ; on ne se croise pas dans cet espace

confiné, on se bouscule. Ca chahute et parle fort. Ceux qui

ont trouvé rangent leurs affaires dans leurs vestiaires. Au fur

et à mesure que nous avançons, mes nouveaux camarades

atteignent leurs chambres et me laissent continuer seule ma

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progression. Ma destination est inscrite sur une petite fiche

suspendue à ma clé : P0C27p2. Je dois encore descendre.

J’emprunte un dédale de passerelles en treillis de métal,

mon sac sur le dos, guidée uniquement par de petites

plaques indiquant les numéros des ponts et des conduits. Et

je m’enfonce un peu plus jusqu’au pont zéro. Maintenant,

les bruits de voix se sont estompés jusqu’à disparaitre; ici il

n’y a plus personne. Les boyaux se rétrécissent et

descendent. L’air est chaud. Seul le battement sourd des

machineries palpite et résonne dans ma poitrine.

Enfin, au détour d’un virage, en bas d’une volée de

marches d’acier, j’atteins mon but : couloir vingt-sept -

porte deux. Il n’y a que deux portes dans ce cul-de-sac, la

mienne est juste en bas de l’escalier. J’ouvre. Ma chambre

ressemble plus à une cabine tant l’espace y est petit. Mais

j’y suis seule, ce qui représente un luxe pour un camp

d’entraînement militaire. Le lit très spartiate occupe presque

la moitié de l’espace, et au fond, on a réussi à caser une

petite table et deux chaises. Du côté du lit, le plancher se

relève dans une courbe identique à celle de la coque du

vaisseau : je suis à fond de cale. Je pose ma main sur la

tôle : de l’autre côté de cette paroi c’est le vide spatial.

Tout est calme alentour, hormis le sourd martellement

des machines. Aucun signe de vie du côté de la chambre

voisine. D’ici les pensées de tous les habitants de ce

vaisseau ne sont plus qu’un vague murmure.

Allongée sur ce lit étroit, je scrute le plafond à la

recherche de réponses…Qu’est-ce que je fais ici, au milieu

de ces athlètes de combat, moi qui ne me suis jamais

vraiment battu ? Oui, bien sûr, j’ai participé à des rixes, j’en

ai provoqué pas mal lorsque je trainais dans les rues sur ma

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planète à la recherche de mauvais coups à faire, des rixes de

gangs… Mais de là à faire la guerre. Et contre les

Mercenaires !

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CHAPITRE 8 Les entraineurs

Ce matin, en arpentant ces boyaux étroits et

interminables vers les ponts supérieurs, je croise de

nombreux panneaux d’affichage. Et partout le même

message en lettres jaunes sur fond noir : « Aujourd’hui,

évaluations avec vos entraîneurs. J-16 avant

l’affrontement ».

Le parcours du combattant : ce sera mon premier test à

bord du Deus ex Machina. Le lieu est des plus insolites.

Comme beaucoup d’ « élus » ici, j’ai souvent pratiqué ce

genre d’exercice. Et ce que je découvre devant mes yeux ne

ressemble en rien à ce que je connaissais : on se croirait

dans une sorte de parc d’attraction ou un jardin d’enfants !

D’un coté de cet immense gymnase, est balisé une sorte de

chemin en matière synthétique avec des murs, des fosses,

des haies, des cordes, dans des matériaux colorés, mais aussi

des structures gonflables, des piscines à balles, et même un

tas de sables et de galets ! L’autre partie du gymnase est

fermée par un mur noir qui le coupe en deux, et sur ce mur,

est écrit : « labyrinthe » ! Tout cet attirail nous donne envie

de sourire et dans mon petit groupe, certains rient de se voir

traités comme des enfants. Tom et Jarl, qui sont à mes côtés

lorsque je découvre ces installations, s’amusent :

- Regarde, Jarl, ça ressemble au « parcours santé » de

notre village, avec la neige en moins bien sûr ! On va

bien se défouler…

En une fraction de seconde, Tom s’est projeté dans ses

souvenirs d’enfance, des images sépia et blanches. Il court à

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 58

l’instant dans une forêt enneigée, ses parents à ses côtés. Je

peux sentir leur admiration pour leur petit garçon. Cette

reconnaissance envahit les pensées de Tom d’une vague de

bonheur familial qui blesse mon cœur…

Mon père. Je cours jusqu’à lui…je suis toute petite. Il

s’est fortement penché, ses bras en avant prêts à m’attraper

et m’enlacer…ses yeux animés de petites flammes

cherchent dans les miens. Brusquement le feu s’éteint, son

regard s’endurci ; son esprit s’assombri en pensant « Une si

frêle enfant ! Décidément, elle me ressemble si peu! ». Et il

s’écarte…

Il n’a jamais plus eu d’élan vers moi. Et pendant

longtemps, je n’ai plus lu dans ses pensées.

Une voix derrière moi me tire de mes songes :

- Approchez mes enfants ! Vous allez être au paradis

ici ! Je m’appelle Edith et je vous ai concocté

quelques jeux dont vous me direz des nouvelles !

Ces paroles ironiques susurrées sur un ton mielleux

sortent de la bouche d’une sorte de géante qui se tenait à

côté de la porte et admirait l’effet de ses « jouets » sur notre

groupe. Elle se frotte les mains et en guise de sourire,

montre des dents qui partent en avant, à la mode Cro-

Magnon ; une version de Ruddy au féminin en quelque

sorte ! Cela a pour effet de faire tomber net la bonne humeur

ambiante ! Edith jubile. Elle sait qu’elle a semé le doute

dans tous les esprits. Ses pensées forment des spirales

violettes empoisonnées et son sourire devient sadique

lorsqu’elle nous invective :

- Allez les petits ! Chacun un sac à dos, rose pour les

filles, bleu pour les garçons. Servez-vous ici. Vous

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les remplissez de cailloux, et quand vous n’arrivez

plus à en ajouter, vous complétez les interstices avec

du sable. Allez, on se dépêche, hop, hop,

hop…Ensuite vous courrez le plus vite possible, et

votre temps de parcours va s’afficher à la sortie.

Sans faire de bruit, les Sages sont apparus au fond de la

salle et la tension est montée.

Même avec un sac à dos rose, qui a, en fait, une

contenance plus faible que les bleus, j’ai bien du mal à

avancer. Le ton ironiquement maternel d’Edith a le don de

nous porter sur les nerfs. Le parcours se révèle extrêmement

épuisant. Très peu s’en sortent. Beaucoup comme moi

n’arrivent qu’à marcher. A ma grande surprise, je ne suis

pas la dernière sur la ligne de course. Puis j’arrive à la fosse.

En sautant au fond, je me rends compte qu’elle est remplie

de boue. J’en ai jusqu’aux cuisses, et arrive à peine à la

traverser. Mais remonter le mur lisse, la boue collée sur moi,

s’avère totalement impossible avec mon sac à dos. Je

l’enlève et tente de l’envoyer en haut du mur, comme j’ai vu

faire mes prédécesseurs. Mais je n’ai pas appris à lancer un

sac plein de cailloux à cette hauteur ! Manque de forces :

c’était la conclusion de tous mes rapports d’évaluation sur

Aurore. Auquel était juxtaposé : querelleuse et têtue. Rien

qui ne puisse me servir à sortir de ce trou.

Je suis encore en train de lancer ce sac avec rage

lorsqu’Edith s’allonge devant la fosse pour venir me

récupérer :

- Nos Vénérables Sages t’auraient-ils recrutée

uniquement sur tes beaux yeux?

Et elle me tend une main, que j’agrippe. Cela lui suffit

pour me faire remonter tout le mur de fosse que je finis par

enjamber. Je veux lâcher sa main ; elle resserre et écrase

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mes doigts à me faire mal. Lorsque je croise son regard, un

mot se forme dans son esprit : « marionnette ». Et elle me

tire le bras pour m’entrainer devant mes camarades, un

sourire immense aux lèvres :

- Regardez tous. Voici la perdante du jour !

Soudain, les volutes de ses pensées se mettent à

tourbillonner violement ; des arabesques violettes dans une

fumée noire qui s’emmêlent à toute vitesse, puis forment

petit à petit une image : mon visage, crispé de douleur,

hurlant d’effroi ! Elle croise le regard des Sages et se fige,

comme prise en flagrant délit d’envies coupables.

Alors, lentement, les Sages font oui de la tête ; son

sourire remonte sur ses lèvres, sa main broie la mienne à

m’arracher des larmes, et elle me tire violement jusqu’à une

paroi noire et immense qui coupe cette salle.

De très près, on peut distinguer une petite porte à battant

à ras du sol, pas plus haute qu’une chatière. Edith est au

sommet de sa jubilation, ma main tremblante toujours serrée

dans la sienne.

- Laissez-moi vous présenter mon labyrinthe. Ce n’est

pas à proprement parler une épreuve d’entrainement.

Ce serait plutôt une sorte de « cachot moderne »

pour têtes brulées…Regarde bien Gabrielle. Pour

ceux qui ont l’habitude d’aller « au trou », sachez

qu’ici, ce qui est plus amusant, c’est que la durée de

« détention » dépend de vous, et que si on y a

beaucoup moins de place que dans un cachot, en

revanche on peut se déplacer plus…Le labyrinthe,

c’est mon joujou préféré, alors j’espère que vous

viendrez le tester…cela me ferait très plaisir !

Edith s’arrête, me regarde, regarde les autres. Silence

complet et stupeur.

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- Ruddy vous attend pour le test suivant, même pont,

couloir quatre, porte cinq. Rompez !

Il est campé au milieu de la salle, prêt à se battre. Il me

fait signe d’approcher. Pas besoin de lire dans son esprit !

Son corps parle de lui-même et dégage une espèce de

brutalité primaire qui déclenche chez moi le degré de rage

maximum. Je le déteste d’instinct. Il lit mon nom sur une

grande liste :

- Gabrielle d’Aurore ; pilote de chasse…c’est exact ?

- Oui.

- « Oui, chef Ruddy».

- …

- Tu dois dire « oui, chef Ruddy».

Rien ne sort de ma bouche. Pas possible. Pas tant que je

n’ai pas canalisé ma rage. Ses yeux s’allument. Il y règne

une étrange confusion qui me glace.

- Une forte tête…Ça ne m’étonne pas d’une pilote.

Vous vous croyez toujours au-dessus du lot !

Il tourne maintenant autour de moi, le sourire aux lèvres,

me regarde de haut en bas, comme s’il allait prendre mes

mesures pour un costume. Je ralenti ma respiration pour me

calmer et reste stoïque, prête à encaisser des paroles et des

coups.

- Tu me parais bien fluette, même pour une pilote…tu

as des tout petits bras sans muscle.

En disant cela, il me pince les coudes. Puis, il se met à

sourire à l’évocation d’un de ses souvenirs qui s’allume

dans son esprit : des images sporadiques de champ de

bataille…de bagarres sanglantes en noir et blanc…Une

horde sauvage a pris en chasse un groupe d’hommes ivres

de peur, qui s’enfuient vers un village. Un visage fou, crispé

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 62

par la haine, poing levé, le chef de la horde, hurle de charger

et saccager…j’ai l’impression de connaître ce visage,

pourtant je n’arrive pas à y mettre un nom…Ruddy obéi à la

voix de violence et lâche ses impulsions sanglantes sur les

villageois…Une fille soudain fait irruption dans son champ

de vision, le teint blême, les yeux pleins d’effroi, le corps

frêle. Elle sait qu’elle est à sa merci…Une onde de joie

sauvage parcours son cerveau. Puis une voix derrière

Ruddy : « C’est moi qui décide. Celle-là, tu ne l’auras pas ».

Une lame traverse son champ de vision, tranche le cou de la

fille. Une gerbe de sang noir. Plus rien que du noir.

Le Ruddy qui est devant moi aujourd’hui rumine encore

sa frustration et me regarde comme s’il venait tout à coup de

trouver une compensation à la perte de son précédent

« jouet ». Il sourit comme lorsqu’il avait attrapé cette fille et

je suis soulagée qu’il y ait du monde dans cette salle :

- P’tits bras…Est-ce qu’on t’a dit « P’tits bras » qu’il

fallait beaucoup de résistance physique pour piloter

et tenir au combat. Tu connais le chiffre fétiche des

pilotes : cinquante pour cent de chance de survie en

mission. Mais dans ton cas…

Son sourire est resté figé.

- Tu es déjà partie en mission, P’tits bras ?

- Non.

- Non, chef ! Ha, ha, c’est évident que non ! Tu ne

serais pas là pour en parler. Tu feras moins la fière

dans quelques jours. Aujourd’hui, on va faire un

petit jeu : je vais évaluer tes chances de survie. Ça te

dit de savoir à l’avance… Et si ton score est faible, je pourrais peut-être faire quelque chose pour t’aider à

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 63

le remonter. Qu’est-ce que tu en dis ? Allez, montre

tes muscles, vas-y. Les biceps.

Sa tentative d’intimidation ne risque pas de marcher avec

moi ! D’accord, il n’y a rien d’impressionnant entre mon

coude et mon épaule. Mais il n’y a pas que les muscles…Il

aime se défouler sur les autres…Je crois que je vais me faire

plaisir et énerver un peu Monsieur Gonflette. Alors, je ne

bouge pas d’un millimètre, muette.

- Ok, tu veux jouer les imbéciles avec moi. Défends-

toi.

Et il fonce immédiatement sur moi. Il est tellement

prévisible ! Et je suis extrêmement rapide. Son esprit me

livre ses attaques, que j’esquive facilement avant qu’il les

exécute. J’ose même amorcer un demi-sourire ; juste un

petit pli au coin des lèvres. « Gonflette » me rate encore et

s’excite. Plus il insiste, plus mon sourire s’affirme. Ses

attaques se font plus lourdes et mes esquives de plus en plus

souples. Il est sur le point d’exploser : lui le colosse n’arrive

pas à écraser le microbe que je suis. Les autres élus, son

équipe, tous ont les yeux sur nous : il se sent humilié. Ca y

est, il perd tous ses moyens et se met à hurler, poings en

l’air :

- Incapable de toucher l’adversaire : est-ce que tu crois

que tu peux tuer du regard ? Qu’est-ce qui leur a pris

aux Vénérables de te choisir ? Tu n’es bonne à rien,

ici ! Tu vas voir comment on les mate les filles de

ton genre…Une bonne dose d’entrainement…

Sa haine est tellement montée. Il jette violement son bras

sur le bureau et du plat de la main assène une énorme claque

sur la liste de nos noms. Le bruit a fait sursauter les

camarades qui sont derrière moi. Le bureau a craqué, sauté,

et finalement est retombé sur ses pieds, miraculeusement

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 64

entier. Gonflette n’a pas l’habitude qu’on lui résiste ; moi

non plus. Il s’est retourné vers ses acolytes et les regarde

tout en m’adressant la parole, le doigt tendu vers un petit

trapu qui écrit sur une liste :

- Prescription pour P’tits bras : le matin, parcours du

combattant chez Edith. Puis boxe, je m’occuperais

personnellement de toi ! Nous devrions rapidement

nous entendre…Je saurais comment m’y prendre

avec toi…Cet après-midi tu iras te pointer au hangar

des chasseurs pour faire un essai. Autant te prévenir

tout de suite, si tu n’es pas géniale en pilotage, je te

colle un zéro pour cent de chance de survies et tu

rentres immédiatement chez toi. Je m’en chargerais !

Entre nous, il vaudrait peut-être mieux pour

toi…Parce que si tu restes, je ferais en sorte que tu

n’aies pas la vie facile…

Je souris toujours, impassible. Il a appuyé ses deux mains

à plat sur le petit bureau, les yeux fermés. Une tempête noire

a envahie son esprit et il a des envies meurtrières

incontrôlables. Pour ne pas exploser, il ne cesse de se

répéter en lui-même « Je ne peux pas jouer avec elle ici, pas

maintenant. Patience.»

Dans ses souvenirs, il se revoit à genoux devant Les

Sages, Edith et tous ceux de son équipe autour de lui, dans

la même posture. Les cinq Sages les invectivent :

- Vous avez trop longtemps fait fausse route. Vous

avez commencé à payer pour tous vos crimes.

Maintenant que vous avez conscience de vos fautes,

vous allez vous racheter et nous prouver votre

dévouement : vous entrainerez ceux qui vont se

battre contre votre ancien « Maitre » !

Ils répondent tous :

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 65

- Je jure de défendre l’Alliance et m’en remets aux

Vénérables Sages en toutes choses…

Ruddy a toujours les yeux fermés et se répète : « Les

Sages non plus ne me le permettraient pas. Changer de camp

ne change pas grand-chose. Je trouverais comment. Ils ne

sont pas plus malins qu’Arius ».

Puis il se retourne une dernière fois vers moi, le regard

vicieux, la voix soudainement posée :

- Ah, j’oubliais P’tits bras, demain tu iras faire un tour

dans le labyrinthe d’Edith…tu verras, ça calme…

Une seconde j’ai cru voir une drôle d’ombre danser dans

ses pupilles, comme si elles étaient habitées…

Les Sages ont recrutés nos entraineurs parmi les proches

d’Arius ! L’ennemi est à bord et nos vies sont entre leurs

mains ! Hors de moi, la peur et la rage au ventre, je fonce

droit devant, à la recherche des Sages.

Mais je me perds vite dans le dédale de ce vaisseau.

J’ouvre des portes à toute volée et ne tombe que sur des

salles de musculation ou d’entrainement à la boxe. Il y en a

même une grande qui comporte un ring. Et partout, dans les

couloirs, comme s’il fallait tout le temps nous rappeler le

danger, des écrans suspendus au-dessus de nos têtes

affichent la position de l’ennemi dans l’espace : flèches

rouges pointant sur nous dans le fond noir étoilé du ciel.

Mensonge : les Mercenaires sont ici !

Dans mon énervement, j’ai dû tourner en rond, car je me

retrouve à nouveau près du gymnase. Inhibée par ma colère,

j’interpelle rudement Edith, qui me sourit, impassible :

- Où sont les Sages ?

- Dans leurs quartiers, même pont, couloir cinquante-

cinq, après l’auditorium, la grande salle d’hier, …

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 66

Je fonce à nouveau.

Ils sont tous les cinq assis autour d’une table ronde,

paraissant m’attendre :

- Approche Gabrielle d’Aurore. Il semble que tu

n’apprécies pas notre équipe d’entraîneurs…

- Vous appelez ça nos entraineurs ! Ruddy est…

- Un genou en terre d’abord !

Leur voix a grondée et j’ai sursauté. J’esquive une rapide

génuflexion, et me redresse vivement, la rage au ventre :

- Comment pouvons-nous gagner cette guerre quand

l’ennemi nous commande ! Je refuse de me laisser

guider par ce malade et toute sa clique ! Vous savez

lire dans les esprits. Vous avez vu que son sermon ne

vaut rien!

- Nul n’est mieux placé que lui pour vous préparer à

combattre Arius. Ruddy vous enseignera ses

méthodes, ses stratégies ; et vous imprégnera de son

état d’esprit.

- S’il ne nous vend pas à l’ennemi… Vous cultivez le

culte du secret au point de ne pas nous dire ce que

vous attendez de nous et vous embauchez

directement parmi les Mercenaires ! Et pour corser le

tout vous introduisez parmi nous un Immortel

maléfique et dangereux. Vous voulez notre peau !

- Tel est notre choix. C’est tout ce que tu as à savoir !

- Je me suis portée volontaire pour cette mission ;

j’irai jusqu’au bout. Mais ne me demandez pas de

respecter et de saluer Ruddy et sa clique! Jamais je

ne pourrai! Tout le sang qu’il a sur les mains fait de

lui un paria pour plusieurs générations ! Telles sont

nos coutumes. Il ne devrait plus côtoyer aucun

Humain !

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 67

Un des Sages s’est levé brusquement, l’indignation lui

crispe le visage. Et il me crache ses paroles au visage :

- Et toi, Gabrielle as-tu les mains aussi propres pour

juger les autres ? Qui es-tu pour oser défier notre

autorité ? Tu t’es déjà mis à dos tes entraineurs.

Veux-tu continuer avec nous…Tes provocations

pourraient bien t’être fatales ici…

Un de ses frères lui agrippe le bras pour l’assoir et prend

la parole :

- Tu pourras intégrer provisoirement le groupe

d’entraînement de …

Le Sage le plus énervé s’est relevé de nouveau pour le

couper, le visage rouge de colère :

- Non, on ne change rien, débrouille-toi ! Obéis à nos

ordres et à ceux de tes instructeurs. Autant te

prévenir, nous leur avons donné quartier libre pour

vous entrainer. Nous n’interviendrons pas dans leurs

façons de faire ; c’est le marché que nous avons

conclu avec eux. A toi de t’arranger pour ne pas

attiser leurs foudres si tu veux rester en vie. Ni les

nôtres !

Son regard plonge dans mes pupilles et me glace. Je me

sens hypnotisée. J’y lis le serment que j’ai prêté, et sa

détermination à me le faire respecter : forte. Violente. Si je

ne cède pas, il va me sauter au visage. Son jumeau se met

alors debout entre lui et moi en pointant la porte du doigt :

- Que ta bouche reste celée sur tout ceci ! Patience,

nous te donnerons prochainement un autre

entraîneur…

J’ai tourné les talons pour sortir quand j’« entends » le

murmure de leurs esprits échauffés :

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 68

- Elle a osé nous défier ! De ma vie cela n’était jamais

arrivé ! Et tu voulais céder à ses demandes !

- Elle est en danger avec Ruddy ; tu sais bien ce qu’il

en fera.

- Qu’elle se débrouille ! Et nous verrons bien si elle

est ce que tu crois.

- En tout cas, j’avais vu juste : grand potentiel mais

tête dure…Elle aura vraiment beaucoup de points en

commun avec « son double »!...Tout se déroulera

comme prévu…

- Non, nous faisons fausse route...Elle ne fera que

semer le trouble ici. Il faut la renvoyer chez elle et

qu’ils l’enferment.

- Calme-toi…cette fois, ça devrait marcher…Pour

cette mission, et après…

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 69

Défouloir de pensées – Cabine personnelle de Melchior

Je confesse mes péchés à cette machine, afin qu’elle

absorbe tel un trou noir ce qu’il y a de plus sombre en moi,

qu’elle le broie et le fasse disparaitre à jamais. Que personne

n’accède à ces pensées, pas même la Déesse, qui est bonté.

Qu’elle me purifie et que le bien seul reste en moi. Ainsi

soit-il.

Ah, mon frère, parfois, je te déteste. De plus en plus

souvent. Tes airs condescendants de miel et de poison

mêlés. Ta façon de pointer du doigt mes erreurs sans les

nommer : « cette fois » ! Que de non-dits dans « cette fois ».

Quelle manière de rappeler qu’il y a eu un avant, que j’en

étais l’instigateur, que mes plans se sont effondrés, que par

ma faute, nous sommes en guerre ! Juste deux mots pour

faire encore peser sur moi toute la faute, et te positionner en

sauveur avec ta candidate. « Cette fois » !

Et les autres t’ont approuvé en silence, les fourbes. Vous

étiez pourtant tous avec moi auparavant, emballés par ma

proposition. Il était tout ce que nous recherchions : l’esprit

brillant d’intelligence, la force physique, et même un peu de

notre don de lumière ! Mais la Déesse l’a rejeté! C’est d’elle

que viennent tous nos ennuis, pas de moi !

Que d’investissements dans ton plan, mon frère, que de

manipulations tu nous as fait faire. C’en est écœurant. Tu les

as mariés comme on choisit un couple de chevaux pour

engendrer une bête de course. Sans parler des risques. Et

pour quel résultat ? Tu imaginais un enfant vif, à l’écoute de

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 70

nos préceptes; devenant plus tard un homme à poigne, bon

et juste. Et la voilà, aussi frêle que sa mère, têtue comme un

âne bâté, et revendicative avec ça.

Ah, mon frère, nous ne risquons pas une guerre avec ta

candidate, au pire une révolte, au mieux sa fin tragique lors

de l’assaut final. Je vous le prouverai. Je te ferai avaler ton

« cette fois » !

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 71

CHAPITRE 9 Premier vol

En rage, je déambule de nouveau dans ce labyrinthe de

couloirs en bousculant tout le monde. La colère coule le

long de mes veines comme du feu. Descendre vers les ponts

« chambrées » pour trouver une salle d’eau. Plonger ma tête

sous le robinet pour me calmer…

Au centre, deux rangées de lavabos se font face, des

miroirs suspendus entre eux ; contre les murs, les douches.

La pièce exigüe est saturée de filles agitées, en pleine

toilette, de cris qui résonnent, d’odeur de savonnette, de

chaleur humide. Je fonce vers un robinet d’eau froide et

plonge mon visage. Le froid mordille ma peau. Mais sous

les tempes, le sang bout toujours. Je me redresse. Mon reflet

dans le miroir fait la moue, deux yeux bleus pleins de défi

me fixent avec intensité. L’eau dégouline de mon visage

mince. Mes cheveux bruns, en bataille comme toujours, sont

un peu mouillés sur les bords et frisottent. Les visages qui

impressionnent ne frisottent pas sur les côtés ! Pas étonnant

que les Sages me traitent de façon puérile : ils ont déjà

choisi mon coéquipier et me laissent attendre trois jours. Ils

ont des plans pour moi maintenant et après. Quel après ?

Pour eux aussi je ne suis qu’une marionnette entre leurs

mains. Et je dois leur obéir ou me retrouver enfermée à vie!

Je replonge la tête sous l’eau froide. Longtemps.

La petite bande de la planète Cristal est déjà au mess, en

pleine discussion, quand j’en franchis le seuil. Cette fois,

j’ai moins tourné en rond pour trouver mon chemin. Le plan

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 72

de ce vaisseau commence à se préciser dans mon esprit. J’ai

repéré que le pont numéro trois est celui des salles

d’entrainement. Juste en dessous, se trouve le mess avec une

partie des chambrées. Je commence à comprendre

maintenant pourquoi il est si difficile de se repérer dans ce

vaisseau : chaque pont s’étend en réalité sur plusieurs

niveaux différents souvent séparés de quelques marches. De

plus le pont trois a la particularité d’avoir des couloirs

zigzagant entre les chambres, rarement linéaires sur plus de

quelques mètres de long. Cependant, la largeur des couloirs

donne une indication sur le numéro du pont : les couloirs

très larges correspondent au pont quatre, celui des salles

d’entrainement et des quartiers des Sages. Le pont trois a

des couloirs où l’on peut être trois de front. En revanche au

pont deux et un, on se croise avec difficulté. Et puis il y a le

fond de cale, où le mot couloir n’a plus vraiment de sens,

tant le parcours est semé d’embuches. Enfin, en ce qui

concerne le mess, un indice supplémentaire m’a guidée :

l’odeur de la nourriture.

J’entre et me dirige vers mes camarades. Instinctivement,

je balaye les tables du regard, de longues rangées entourées

de bancs, animées par les conversations et les bruits de

vaisselle. Il y règne une ambiance de camp militaire avec

son lot de gros bras en treillis et de voix fortes. Mon binôme

est peut-être là…une tête dure comme moi… enfin si

j’arrive à rester ici… Clar m’interpelle :

- Hé Gabrielle, tu étais dans quel groupe de test ce

matin ?

- Celui d’Edith et de Ruddy.

- Viens t’asseoir avec nous et raconte !

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 73

J’enjambe le banc pour m’installer avec eux. Mais avant

que j’aie pu ouvrir la bouche, Rog fait éclater sa colère. Il a

la mâchoire abimée et le poignet bandé.

- Nous aussi on vient de passer avec lui ! Quelle

espèce de tortionnaire ont-ils engagé ? Non mais

c’est un vrai malade ce type ! Il a décidé de casser

des os ! Comme si on avait besoin de blessures avant

nos missions ! On est là pour tuer du Mercenaire, pas

pour se faire massacrer par nos entraîneurs ! Tu as

vu ce qu’il m’a fait.

Il me tend son poignet bandé, et en écho à son

mouvement, Clar se frotte le sien. Derrière lui un dos a

frissonné, des oreilles se sont tendues. Des oreilles entourées

de jolies boucles brunes.

- J’ai dû aller visiter l’infirmerie pour ça. Enfin, ça ce

n’était pas le plus désagréable : l’infirmière est un

ange…

- Rog…

- Et Clar ! Il l’a aplatie par terre, cet espèce de taré!

Il lui prend tendrement la main :

- Pendant une minute, elle ne respirait plus ; j’ai dû lui

faire du bouche à bouche ! Tu te rends compte ! Et

s’il n’y avait que lui ! Comment ont-ils pu

embaucher ici cette espèce de malade d’Edith ! Nos

Vénérables Sages sont censés être les plus…les plus

sages de nous tous. Et ce sont nos chefs. Mais tout

de même ! Je me demande s’ils ne sont pas en train

de devenir séniles…

- Rog, tu blasphèmes !

Amusée par l’intervention de Clar, j’enchaîne avec

malice :

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 74

- Moi non plus, Rog, je n’ai pas trop apprécié le

parcours du combattant à la façon « Edith ». Quant à

Ruddy, lorsqu’il m’a testé à la boxe, je l’ai

effectivement trouvé un peu à cran…

Il glisse sur le banc pour se rapprocher de moi :

- Toi ? La boxe avec Ruddy ...Et tu es encore entière

devant nous ? Avec tes petits bras et ton allure toute

frêle ? Comment se fait-il que tu n’aies que ce gros

bleu au poignet !

L’ironie dans sa voix m’amuse et me fait jubiler. Je lui

décoche un sourire provocateur :

- Oh, le bleu au poignet, c’est Edith. Elle m’adore et

ne voulait plus me lâcher. Et oui, j’ai combattu avec

Ruddy. Et si j’avais su qu’il vous avait maltraités, je

lui aurais fait mal !

- Allez, arrête tes blagues, super woman ! Où est-ce

qu’il t’a blessée ?

- Bon, j’avoue, je n’ai jamais tenté de le cogner, il

n’aurait rien senti. Mais je peux t’assurer que je ne

l’ai pas laissé me toucher !

Rog s’est figé, la mâchoire pendante, le regard admiratif

et un peu incrédule. Clar me sourit. Jarl et Tom restent

muets.

- Faudra me montrer ça…

- Quand tu veux, Rog. Ou quand ton poignet sera

rétabli…

- Oh, le poignet, ça ne m’empêchera pas de me

battre…

- Hum, et vous allez vous entraîner dans quel groupe ?

- Parcours du combattant pour tout le monde. Puis

Tom et Jarl vont boxer avec Luis, Freyj et Clar avec

Ruddy. Et moi je serai avec Rocky. Il parait que

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 75

c’est un stakhanoviste de la boxe ! Et l’après-midi on

s’entrainera tous au tir avec Max. Et toi ?

- Ruddy, Edith, puis l’entrainement en vol l’après-

midi.

- Woua ! C’est beaucoup plus que les autres pilotes. Il

ne t’a pas fait de cadeau, Ruddy !

- Je crois que j’ai un peu énervé « Gonflette »…mais

si vous aviez vu la tête qu’il faisait quand il me

courait après sans jamais pouvoir me toucher ! Ça en

valait la peine !

Rog est emballé par ce sobriquet :

- Au nom de la Déesse Mère, tu t’appelleras

« gonflette » ! Regardez, je marche comme lui !

Et il se met à déambuler jambes et bras écartés, le torse

bombé, la tête rentrée dans les épaules, la lèvre inférieure

pendante. J’avoue que la ressemblance est plutôt bonne et le

fou rire nous prend. Il imite sa voix :

- Vous devez m’appeler « chef Gonflette ». Allez

Gabrielle !

- D’abord il ne m’appellerait pas par mon prénom : il

m’a surnommée P’tits bras. Ensuite, je ne saluerai

jamais ce porc.

- Pourquoi?

- J’ai mes raisons…C’est un malade, un fou, une

espèce de… Je n’ai aucun respect pour les personnes

de son genre. Et s’il croit me mater ou me faire peur,

il tombe mal ! Il n’a pas aimé, ce matin, quand je lui

ai résisté. Je suis de corvée labyrinthe demain…

Rog me regarde ahuri :

- Le labyrinthe ! Alors, c’est toi qui vas y passer la

première ! Clar, tu entends ça !

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- Ma parole, tu as décidé de provoquer tout le monde

ici, Gabrielle ! Ça ne fait pas vingt-quatre heures

qu’on est arrivés et tu es déjà envoyée « au trou » !

- Peut-être, mais ça en valait le coup ! Si vous aviez

vu la tête qu’il faisait…

- Si tu es aussi buttée que lui, ça promet ! On a deux

têtes dures dans ce vaisseau!

Je reçois la phrase de Clar comme un soufflet. Pas

Ruddy, pas lui comme coéquipier ; ce serait l’enfer ! J’ai dû

pâlir. Clar s’est penchée vers moi, croyant comprendre mes

inquiétudes :

- Les Vénérables ne t’ont pas choisie pour rien.

Si elle les avait entendus comme moi dire « nous faisons

fausse route »…

- Je crois en l’immense sagesse de nos Vénérables. Ils

sont mes guides, je ne crains rien. Et puis, tu es

certainement un très bon pilote.

- A quoi vois-tu cela ?

- Pour arriver à éviter les coups de Ruddy, tu dois

avoir de très bons réflexes…

L’assurance de Clar me fait du bien. A lire dans son

esprit, tout est simple, et sûr. Je la vois partir en rêve au

cœur de son enfance. Des petits flashs, des réminiscences :

le frère et la sœur sur les genoux de leur mère, sautant au

rythme d’une comptine, devant son père après sa première

victoire en course à pied, avec son frère dans des luttes

« pour rire » ou en ballade main dans la main…Et à chaque

fois la même fierté brille dans les yeux de ses parents pour

leurs « forces de la nature » ! Je ferme mon esprit, étourdie

par ces images.

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 77

Soudain, toutes les conversations s’arrêtent dans la salle,

et tous les regards convergent vers un seul point : dans

l’encadrement de la porte d’entrée se découpe la silhouette

noire de l’Immortel. Il marque un temps d’arrêt puis

s’avance vers un coin en retrait, son « I » rouge placardé sur

son dos. Aussitôt les tables alentour se dépeuplent. La

crainte se lit sur tous les visages. Comme lors de la

présentation aux Sages, une vague de peur progresse et

s’empare de tous les esprits qui entourent l’Immortel. Ils se

sont figés, pétrifiés. Puis chez certains apparaît la révolte.

Alors ces sentiments laissent la place à une nouvelle vague

aux couleurs de haine et de rejet total. Elle enfle jusqu’à

éclater. Un des hommes se lève tout à coup et l’invective de

loin :

- Que fais-tu là, monstre ! Ici on ne sert pas de

l’homme à manger ! Et nous n’avons pas l’intention

de te servir de repas ! Alors tu vas te tirer d’ici vite

fait avant qu’on te tombe tous dessus !

Comparée à l’Immortel, sa stature est ridiculement petite.

Il est resté bien en retrait, derrière des tables. Ce que je lis

dans ses yeux d’eau transparente est d’une violence qui me

glace encore plus que l’Immortel lui-même. Sa harangue a

fait se dresser d’autres personnes un peu partout dans la

salle, poings serrés levés contre l’Immortel.

Alors une voix caverneuse, semblant sortie du fin fond de

la terre se met à gronder :

- N’attise pas ma colère, Homme, ou tu pourrais le

payer cher !

Instinctivement, tous ceux qui le défiaient ont reculé d’un

pas. L’homme aux yeux d’eau glacée s’est mis à bouger ses

bras pour faire se lever tout le monde, le regard plein de défi

et de haine :

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- Regarde bien autour de toi. Nous sommes toute une

armée ici ! Si tu nous touches, tu es mort !

Et pour appuyer son discours, la foule amassée derrière

lui reprend en leitmotiv :

- A mort ! A mort ! A mort !

A ces mots, le spectre noir de l’Immortel se redresse d’un

bloc ; des envies de meurtre emplissent la salle.

Brusquement, il s’empare de la table devant lui, pousse un

cri de terreur, et la jette avec véhémence sur le groupe

debout. La table s’écrase avec fracas juste devant eux

semant la panique. Beaucoup se précipitent sur le groupe

pour vérifier que personne n’est blessé et venir en aide. Je

regarde dans le coin de la salle, là où se trouvait l’Immortel

une seconde auparavant : il a disparu.

- C’est quoi ce cirque ici ? Garde à vous !

A cette injonction, tout le monde se met au garde à vous

et répond :

- Oui, chef Ruddy!

- Repos !

Ruddy s’avance, royal, roulant des mécaniques, avec son

équipe derrière lui, jusqu’au centre de la pièce. Je me suis

cachée derrière Rog, muette. Ruddy a croisé les bras

balayant l’assemblée du regard, et je sais qu’il me cherche.

Puis il finit par s’assoir et fait signe aux autres de rompre.

Rog se penche vers moi pour me chuchoter :

- Dis, Gabrielle, comment s’est passé ton

recrutement ?

- Eh bien, c’est un proche qui a envoyé une lettre de

candidature pour moi. Et aussi étrange que cela

puisse te paraître, je ne sais même pas quel était le

contenu exact de cette lettre.

- Et tu n’as pas cherché à savoir ?

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- Pas au début, non. Je n’y croyais pas.

- Et après la lettre, tu as passé des tests ? As-tu

rencontré des personnes qui ont pu évaluer tes

aptitudes ?

- Non…

Il reste un moment silencieux, puis se lance :

- Comme moi. Pour Clar et Freyj tout est clair. Elles

participent très souvent à des concours sur notre

planète. Freyj est célèbre chez nous. Mais Tom, Jarl

et moi, on se pose beaucoup de questions. Nos

dossiers à l’armée ne se distinguaient en rien des

autres. Pourquoi nous ?

Il hésite à continuer et je reste silencieuse, sachant déjà

ce qu’il a en tête. Alors il continue :

- Pourquoi toi ? Franchement, il suffit de te voir en

photo pour deviner que tu n’es pas une « tueuse ». - Ils savent beaucoup de choses sur nous, plus même

que nos proches.

- Tu crois qu’ils ont un réseau de renseignements ? A

l’échelle de toute l’Alliance ? C’est difficilement

imaginable !

- Je ne vois pas d’autre explication.

- Tu sais quoi ? Je crois que je vais mener ma petite

enquête sur eux, discrètement…

- Oublie !

- Quoi ?

- « discrètement » !... Tu peux oublier. Rien ne peut

leur échapper. Ils doivent savoir déjà…

Puisqu’ils lisent dans les esprits, ils nous ont

probablement déjà « entendus », voire même ils nous

« écoutent »…

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 80

L’après-midi je suis excitée à l’idée de rejoindre le

hangar de pont avec ses chasseurs et ses bombardiers !

Enfin, je vais retrouver mon domaine de prédilection.

Ma fiche d’instruction m’indique de me rendre pont

numéro un, couloir numéro un. Après mes longues marches

dans les entrailles de la bête, je crois pouvoir me repérer

facilement. Mais le monstre s’avère difficile à apprivoiser

car il me faut beaucoup de temps avant d’y arriver.

Ce n’est pas à proprement parler un hangar, puisque nous

sommes dans un vaisseau spatial, disons qu’il s’agit d’un

immense cube, aussi haut que long, équipé pour parquer,

préparer, maintenir et réparer tous les engins de combats du

« Deus ex Machina ». C’est une ruche au travail, qui

grouille de monde, d’odeurs de graisse et de métal neuf, de

vrombissements de moteurs et de voix qui s’interpellent. Un

fourmillement désordonné des hommes dans cet alignement

d’établis : à droite la zone de révision et réparation des

moteurs avec ses machines à fraiser et ses palans en rang

d’oignons. Derrière, la zone de réglages avec ses bancs de

contrôle en carré. A gauche, le parc des chasseurs, flambant

neufs, prêts à décoller, tous disposés en épis le long du

« taxi way » central.

Je suis juste en dessous du nez du premier chasseur de la

rangée. Impressionnée tel un vermisseau, je contemple

l’énorme oiseau au corps effilé et aux ailes de rapace

monumentales. Je me suis penchée en arrière pour

l’embrasser du regard. Bientôt, je serai dans son ventre…

- Géniaux ces engins, tu ne trouves pas !

Je sors de mes rêves. A côté de moi, un blond fixe

l’appareil devant nous, les yeux pétillants d’excitation,

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comme Ali baba découvrant la caverne des voleurs. Son

enthousiasme déborde :

- De vraies bombes ! Quelle capacité ! Je crois que je

vais adorer mon nouveau jouet !

Par réflexe, comme à chaque fois que je croise une

personne qui m’est inconnue, je sonde son esprit : des

images en gros plan de morceaux de chasseur défilent à

toute vitesse. Un radôme, une prise d’air, un volet, un

aileron … comme s’il passait au scanner de ses yeux

l’appareil qui est devant nous.

- Je ne reconnais pas cette catégorie d’engins.

- Ce sont des Migaster revus et rééquipés par les

ingénieurs de la planète Center spécialement pour les

missions du Deus ex Machina. On reconnaît leur

queue en V bien que le reste de la carlingue ait été

affiné. Ils doivent avoir une aérodynamique

époustouflante ; à vue d’œil, je dirais que leur Cx est

de 0.01, et leur finesse de cinquante. Mais je ne

pourrai te donner la puissance de leurs moteurs que

lorsque j’en aurais essayé un.

- Sur ma planète, j’ai appris à piloter avec de vieux

coucous. Rien à voir avec ceux-là ! Autant comparer

un fer à repasser avec une hirondelle !

Il se retourne vers moi, le visage illuminé :

- Alors tu vas devoir oublier tout ce que tu as appris!

On essaye ?

La salle d’opérations se trouve juste à l’entrée du hangar.

En parcourant le tableau d’ordre, je découvre que Luc (c’est

le nom du blond) et moi sommes dans le premier escadron

qui sortira dans l’espace aujourd’hui. Tout excités par cette

nouvelle, nous nous précipitons vers la salle de briefing.

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Elle est déjà pleine à notre arrivée : douze sièges dans

lesquels les pilotes de cet escadron ont déjà pris place,

hormis les deux nôtres que nous rejoignons rapidement. Un

homme est sur l’estrade, grand, les tempes grises, la mine

sévère, les doigts tapant impatiemment sur le pupitre devant

lui, en attendant que nous soyons assis.

- Je suis le Commandant Délanaux, votre instructeur.

Vous êtes l’escadron numéro un. Vous avez

dorénavant rendez-vous ici tous les jours à treize

heures très précisément pour recevoir votre plan de

vol, la météo spatiale, l’état des machines et les

prouesses que j’attends de vous ! Aujourd’hui le

briefing pré-vol sera relativement long car, en tant

que « bleus » sur ce vaisseau, vous allez devoir

emmagasiner une somme importante d’informations.

Pendant un moment, il pose son regard sur chacun de

nous, l’un après l’autre, lentement. Un regard dur et

sceptique.

- Vous vous êtes tous portés volontaires pour intégrer

cette mission. Bienvenu en enfer ! Je ne vais pas

vous faire un beau discours sur la force de

l’ennemi et sur le secret de toutes nos stratégies ; je

crois qu’on vous a déjà expliqué tout ça.

Une pause. Encore un regard circulaire. Et dans son

esprit, il met en place une barrière, comme une protection

entre lui et nous pour ne pas nous connaitre intimement,

rester détaché, seulement professionnel. Et il se répète le

chiffre des pilotes : cinquante pour cent.

- Je serais bref. L’ennemi du pilote : le chasseur

Mercenaire. La technologie de ces chasseurs : total

inconnu. Alors pour sauver votre peau, vous n’aurez

pas le choix : il va falloir faire preuve de ruse… et de

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génie…J’espère que nos Vénérables ont recrutés les

meilleurs des meilleurs pilotes…

Puis il baisse les yeux sur le bouton de son pupitre et

l’actionne. Derrière lui, de grands écrans s’allument.

Délanaux se lance dans des explications détaillées sur le

fonctionnement du hangar, la présentation du personnel de

pont et des mécaniciens, puis plus longuement sur les

spécificités des chasseurs que nous allons piloter.

- Ces chasseurs sont les plus puissants que l’homme a

jamais conçus. Un summum de technologie :

rapides, d’une grande finesse, extrêmement sensibles

à la manœuvre, et donc aussi extrêmement difficiles

à piloter. Rien de ce que vous avez pu piloter

jusqu’ici ne peut ressembler à ces Migaster !

L’objectif aujourd’hui sera très limité : vous

familiariser avec vos nouveaux appareils avec un

décollage, un vol en formation autour du vaisseau et

un atterrissage ! Ceux qui n’ont jamais fait de

décollage par catapultage ou d’appontage sur piste

réduite lèvent la main…

Dans la salle, aucune main ne se lève.

- Bien. Pas d’erreur de casting jusqu’ici... Je vais vous

faire circuler un registre sur lequel vous allez me

noter vos heures de vol sur chaque type d’engin, et le

nombre de décollages et atterrissages que vous avez

effectués dans les conditions d’aujourd’hui. Je

désignerais le leader pour ce vol. C’est lui qui

définira le rôle de chacun dans le plan de vol et qui

vous remettra vos notes au débriefing. Vous serez

notés à chaque sortie. Aujourd’hui, vous serez à

deux par chasseur, et ce jusqu’à ce que vous obteniez

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un minimum de onze sur vingt. Météorologue, c’est

à vous.

- Voici la carte météo pour la mission d’aujourd’hui.

Vents électromagnétiques : nuls. Vents solaires :

nuls. Présences de météorites ou corps étrangers

alentour : nul. Pour votre premier vol, vous avez de

la chance !

Le registre a circulé dans les rangs et il est maintenant

dans les mains de Délanaux, qui le scrute à la loupe :

- Hum…Merci Météorologue. Bien, il semble que le

plus expérimenté de votre groupe soit Luc de la

planète Aron. Luc, vous serez le leader d’escadron

aujourd’hui. Venez avec moi pour analyser le plan

de vol.

Au bout d’un moment, Luc passe à l’estrade répartir les

tâches et organiser le vol en détail. Nous allons réaliser une

formation en V dans laquelle Luc fera la pointe, je serais sa

coéquipière. Le commandant reprend alors la parole :

- Messieurs, bon vol ! Les vestiaires se trouvent juste

à votre droite en sortant. Vos combinaisons anti-G et

vos casques vous y attendent…

Le premier décollage sur un nouveau système de

catapultage est toujours un événement à haut risque. Dans le

cockpit, je me suis placée devant, Luc est dans mon dos.

Nous venons de positionner notre appareil sur la plateforme

de lancement automatique. La procédure de décollage

s’égrène et les messages s’allument sur le tableau de bord au

fur et à mesure que la tension augmente : « descente launch

bar », « fixation hold back ». Ca y est, l’avion est

maintenant accroché à la catapulte qui va nous propulser

hors du vaisseau et tout en étant maintenu provisoirement en

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place par l’arrière. Puis le message « catapulte armée ;

freins lâchés » apparait, indiquant que les pistons du

système de lancement sont sous pression et le décollage

imminent.

C’est alors que toute la plateforme bascule violement à la

verticale. Mon corps soudain est propulsé vers l’avant ; seul

le harnais me retient de tomber sur la verrière maintenant

sous moi. Et à travers la verrière, apparait une sorte de puits

sans fond éclairé seulement par une ligne discontinue de

lumière montrant la direction de la sortie. De surprise, Luc a

lâché un :

- Mais qu’est-ce que c’est que cette procédure ! Ils ont

suspendu notre avion comme un saucisson à son

crochet !

Un feu rouge vient de passer au vert.

- J’ai plutôt l’impression d’être une torpille dans un

sous-marin !

C’est alors que la radio grésille :

- Tour de contrôle Deus ex Machina à chasseur « L et

G » : tube de lancement numéro cinq prêt pour

décollage. Levez les bras et tapez votre casque pour

le lancement.

- Chasseur « L et G » à tour de contrôle : prêt pour le

lancement.

Machinalement, je tape de ma main droite sur mon

casque pour signaler que je suis prête, puis tend mes bras

devant moi pour ne pas toucher au manche pendant la

manœuvre, comme on me l’a appris. Le feu vert s’éteint et

soudain c’est l’explosion. La catapulte nous pousse dans le

vide et nous tombons à une vitesse vertigineuse pendant ce

qui me semble un temps infini. L’accélération nous écrase

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 86

contre nos sièges et déforme nos visages. Puis tout à coup,

c’est l’espace. Je suis sonnée.

- Tour de contrôle Deus ex Machina à chasseur « L et

G » : mettez en marche vos propulseurs ! Je répète :

mettez en marche vos propulseurs ! « L et G » :

qu’est-ce vous attendez ?

J’ai sursauté et Luc a répondu :

- Propulseurs en marche. Prêt pour manœuvre. A tous

les chasseurs, je suis votre leader. Suivez mes

instructions pour exécution des figures.

Il me laisse les commandes et tout se complique. Les

trajectoires définies dans le plan de vol sont simples et

pourtant je n’arrive pas à les exécuter correctement ; la

sensibilité de l’appareil dépassant de loin tout ce que j’ai pu

piloter jusqu’ici. A de nombreuses reprises, Luc doit

reprendre la main pour éviter des collisions. Quand vient la

phase la plus délicate et dangereuse, l’appontage, je n’arrive

toujours pas à stabiliser l’appareil. La piste est trop courte.

Le chasseur est trop puissant. Et sans les réflexes de Luc,

nous aurions terminés notre course sur le mur du fond.

De retour au vaisseau, nous déchargeons nos

enregistreurs de vol pour analyser nos performances. Le débriefing du commandant est rude : « affligeant ! Une

équipe de bras cassé à qui on ne confierait pas une

bicyclette ». Nos notes sont sans équivoque : deux sur vingt

pour à peu près tout le monde, hormis Luc qui s’en tire à dix

sur vingt. Piloter est censé être ce que je sais faire de mieux.

Je suis effondrée.

En sortant du débriefing, nous croisons le groupe de

pilotes suivants. Ils parlent fort, excités à l’idée de débuter

leur entrainement. D’une voix joviale, ils nous interpellent :

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 87

- Alors les gars, ne faites pas cette tête !

- On dirait que vous sortez de chez Méphisto !

Et ils se mettent à rire niaisement. Un autre, intrigué, se

penche vers son copain pour lui glisser à l’oreille :

- C’est peut-être plus dur qu’on ne l’imagine de piloter

ces Migaster…

- T’inquiète ! Ceux-là, ce sont sûrement des bleus en

pilotage. Nos instructeurs doivent vouloir garder les

meilleurs pour après !

L’un des nôtres s’est arrêté pour les regarder entrer dans

la salle de briefing, songeur, le sourire en coin :

- Tas de trous du … On verra bien la tête que vous

ferez en sortant…

Puis il se tourne vers nous, le ton badin :

- Bon les gars, je sais pas vous, mais moi j’adore nos

nouveaux engins : maniables,

ergonomiques…dommage qu’ils n’aient pas inclus

la notice dans la boite à gants…

Son coéquipier lui donne une grande claque dans le dos,

en riant nerveusement :

- Ah houai, Stephen. Pour la notice, il faudrait

vraiment que tu la lises ! Tu as broyé le train

d’atterrissage et tu t’es écrasé comme une crêpe !

J’ai cru que tu allais nous tuer !

- Et toi, le blond à côté de la fille. Comment fais-tu

pour arriver à piloter ces appareils. C’est pas

possible tu es venu t’entraîner avant ! Vous l’avez vu

en vol ? Un colibri !

- Non, je m’appelle Luc. Salut. Et toi ?

- Yourri.

- Ce sont les performances exceptionnelles de nos

nouveaux chasseurs qui sont troublantes…Difficile

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d’affiner sa trajectoire quand on est propulsé à une

vitesse de Mach douze. Sans parler des tirs qu’on n’a

pas encore essayés…et, non, je ne suis pas venu

avant…

- Tu comprends mieux les Migaster que l’humour toi.

Bon sang, sur quel chasseur as-tu appris, Colibri,

pour être aussi doué ?

Luc sourit, flatté par son nouveau nom de code. Il

s’embarque dans une description détaillée des chasseurs de

ses classes, à grand renfort de termes techniques. Je les

observe tous un par un. J’écoute aussi leurs pensées : des

chics types, des passionnés d’aviation, avec leur courage et

leurs doutes.

- Sur quoi peuvent bien voler les Mercenaires ?

- Pour sûr, ils ne peuvent pas avoir de chasseurs aussi

puissants que les nôtres. On va les rétamer !

- Houai, à condition qu’on arrive à piloter ces engins

du diable…

Quand les autres s’écartent, Luc me prend à part :

- Gabrielle, si on doit voler encore ensemble, il va

falloir que tu progresses rapidement parce que je

tiens à ma vie !

J’ai dû franchement pâlir, car il reprend sur un ton plus

doux :

- il faut absolument que je te montre quelques trucs

pour que tu sentes comment tu dois t’y prendre. Il

faut faire corps avec ta machine. Elle est rapide,

alors tu dois être rapide. Elle est précise, alors tu dois la piloter avec finesse. Le secret c’est de faire le

moins de mouvements possibles avec ton manche, et

les plus petits possibles. Tes « fers à repasser »

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devaient avoir un temps de réponse extrêmement

long. C’est ce qui te perturbe.

Je l’écoute me donner ses conseils avec passion, et

espoir. N’importe qui saurait piloter rapidement avec lui, du

moins je voudrais le croire.

- Si tu veux vraiment piloter, il faut que tu te projettes

dans l’espace, comme si tu volais toi-même. Tout est

dans la concentration. Viens avec moi, je vais te

montrer.

Nous nous isolons dans une petite salle de sport.

- Assis-toi par terre. Je vais être ton chasseur.

Et il se calle derrière moi, attrape ma taille pour faire

coller mon dos à son torse, puis se penche et forme le

manche de pilotage avec ses deux poings serrés et relevés.

- Tu ne dois pas seulement tenir le manche avec tes mains ; tu dois sentir tes bras se prolonger dans les

ailes, tout ton corps faire partie de la carlingue. Tu es

le chasseur ; l’énergie des moteurs c’est la tienne.

Montres-moi ce que tu sais faire. On va décoller.

Amusée, j’attrape le manche formé par ses mains et me

connecte à son esprit. Dans une lumière jaune, je le vois

mettre ses mains sur les poignées de commande comme

moi. Il aime la sensation du plastique noir qui épouse la

forme des doigts et le caresse du pouce. Sans que j’y fasse

attention, mes pouces se sont mis à caresser les siens. Je

sursaute : ouf, il n’a rien remarqué. Puis c’est le décollage :

nos dos s’écrasent à l’unisson au fond d’un dossier

imaginaire. Une fois dans l’espace, je suis totalement

connectée à son esprit ; et je suis un chasseur. Il a mis un

obstacle sur ma route. Pour virer, je tire le manche. Mes

ailes se penchent. La météorite est évitée. D’autres

obstacles, des chasseurs viennent à ma rencontre. Ce n’est

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 90

même plus moi qui pilote, c’est son esprit qui m’impose les

gestes. Non, je suis lui ! Mais cette connexion m’épuise.

L’atterrissage se termine dans un crash contre le mur du

hangar. Dans le choc, nous sommes tombés tous les deux à

la renverse, et tout est noir. J’ouvre les yeux : il est allongé

sous moi, immobile.

- ça va ?

- je crois que tu as brisé ton Migaster !

Puis un sourire monte à ses lèvres et son esprit s’illumine

de ce jaune rayonnant qui le caractérise.

- Qu’en pense mon professeur ?

- On arrête. Assez de matériel cassé pour aujourd’hui !

Tu as de bons réflexes mais tu fatigues vite. Un bon

pilote est un pilote endurant.

Un flash de souvenir traverse son esprit : il est campé

devant son instructeur, passionné, admiratif devant la seule

personne qui ne le prenne pas pour un débile. Et il est enfin

heureux.

Le soir au mess, les discussions vont bon train sur les

performances de chacun et les pourcentages de survie.

Comme toujours, la bande de ceux de Cristal s’est resserrée

pour discuter. Rog m’attrape par le bras pour m’inclure dans

leur groupe :

- Gabrielle, regarde bien devant toi : tu as le groupe qui a probablement les chances de survie les plus

élevées avec ma sœur et Frej ! Elles se sont battues

comme des lionnes ! Et toi, championne de Sumo, à

combien évalues-tu tes chances de survie, après tes

exploits auprès de Ruddy ?

- Hum, énervé comme il était, je ne suis pas certaine

qu’il me notera de façon favorable.

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Clar me dévisage, l’œil sévère :

- Ce n’est vraiment pas malin : dès le premier jour tu

te mets à dos un de nos entraineurs. Soit il fera tout

pour te virer, soit il va te mener la vie dure jusqu’au

bout. Je ne sais pas ce qu’il faut te souhaiter le

plus… Enfin, j’espère pour toi que les Sages

pourront calmer le jeu. En voilà que tu ne pourras

pas provoquer.

- Hum…

- Non ! Les Sages aussi !

Clar a pali et son inquiétude pour moi me touche. Rog est

tout sourire :

- Toi alors, tu as un sacré toupet !

- Et tes performances en pilotage ? s’inquiète encore

Clar.

- Pas d’exploit à l’horizon…

S’en suit un silence pesant que Rog s’empresse de

rompre :

- Ce ne sont pas quelques chiffres jetés au hasard qui

me feront changer d’avis ! Je suis venu pour casser

du Mercenaire. J’irais jusqu’au bout !

Je lui souris :

- Je n’ai jamais fait marche arrière.

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CHAPITRE 10 Onze pour cent

« Aujourd’hui premier jour d’entraînement pour tous les

Elus. Jour J-15 avant l’affrontement ».

Ce message laconique inscrit sur tous les panneaux

lumineux du Deus ex Machina est repris en leitmotiv par

tous les esprits que je croise. Le décompte à rebours a

commencé. Quinze jours pour faire de nous des tueurs de

Mercenaires, quinze jours pour s’infiltrer dans leurs

vaisseaux et les détruire. Enfin, si je reste…Et le sort de

l’Alliance est entre nos mains. Instinctivement j’ai regardé

les miennes : fines et petites…

Il y a un attroupement devant un des panneaux :

l’affichage des pourcentages de survie. J’approche

lentement. J’ai du mal à voir par-dessus les épaules hautes

qui m’entourent. Puis je me faufile et cherche mon nom. La

liste est longue. Les premiers noms sont ceux qui ont le plus

de chance de rester en vie jusqu’au bout. Au début, je lis

consciencieusement chaque nom et chaque performance.

Freyj est classée parmi les premiers avec quatre-vingt-neuf

pour cent de chances de survie. Clar et Rog sont à soixante

et dix-sept pour cent, Tom et Jarl à soixante-cinq pour cent.

Toujours pas mon nom. Tiens, voilà Luc à quarante-neuf

pour cent. Puis suivent la plupart des pilotes…métier à

risque…Toujours rien pour moi…Encore beaucoup de noms

qui ne me disent rien. Tous ceux qui se sont trouvés dans la

liste se sont écartés. Nous sommes peu nombreux

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maintenant devant cette liste. Luc s’est rendu compte que je

cherchais toujours, et il s’est joint à moi :

- Voilà ton nom, Gabrielle. Ici…

Sa voix s’est enrouée. Il me donne une tape amicale dans

le dos et s’éloigne, ne sachant quoi dire.

Je lis : onze pour cent.

La dernière de la liste.

Je sens une présence dans mon dos ; je me retourne.

Ruddy est à quelques pas, accoudé contre le mur, en train de

m’observer. Il arbore un franc sourire, le sourire de la

victoire, et prend son ton le plus mielleux :

- Tu n’es pas éliminée d’office. Mais, vu ton score, je

te conseillerais de…

- Même pas en rêve !

- J’espérais bien que tu dirais ça. Tu me plais, P’tits

bras …de plus en plus. Je t’en prie, avant toi…

Et il me fait entrer avant lui dans la salle de sport dans

laquelle nous allons nous entrainer. Pour nous débiter son

discours, Il monte sur le ring, bien au-dessus de nous, et me

regarde de biais :

- Je vois qu’on m’a confié les cas les plus désespérés.

Bon, il va falloir employer les grands moyens avec

vous. Il faut d’abord que vous sachiez à quoi vous

attendre sur le combat auquel vous vous préparez : il

sera rude, violent, impitoyable, parce que l’ennemi

est monstrueusement fort. J’ai étudié de près les

techniques des Mercenaires. Ce que je vais vous

montrer sera primordial pour que vous puissiez vous

en sortir !

Comment ose-t-il nous dire cela avec un tel sang froid ?

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- Il y a quelques basiques que vous devez absolument

savoir sur eux. Ils feront tout pour vous terroriser –

par leur aspect, leurs cris, leur comportement, leur

violence gratuite… Ils aiment la violence au point

d’y vouer un culte. C’est leur signature. C’est ce qui

fait que vous partirez au combat en ayant déjà peur

d’eux.

Il fait une pause et nous observe. Puis tout à coup sa voix

gronde :

- Vous ne devrez jamais entrer dans leur jeu. Parce

que vous allez apprendre à vous battre d’égal à égal,

avec les mêmes « armes » qu’eux. Et parce que je

vais vous indiquer leurs points faibles. Arius recrute

les siens sur des critères de forces physiques

uniquement. Vous aurez donc en face de vous des

brutes épaisses, peu douées pour la réflexion et trop

lourds pour la course. A vous de faire travailler vos

méninges pour les dominer. A vous de devenir des

coursiers souples et rapides pour les vaincre. Mais

d’abord, il vous faudra autant d’endurance et de

force qu’eux. C’est tout cela que nous allons

travailler pendant ces quinze jours.

- A quoi bon la boxe ? Vous croyez vraiment qu’on va

les affronter à mains nues ?

- Cette guerre ne se gagnera pas dans l’espace. Les

troupes régulières seules n’y suffiraient pas. Alors

les Sages ont décidé de former des « élus » - vous –

pour les prendre par surprise. Tout ce que je peux

vous dire pour l’instant, c’est que vous devrez vous

préparer à toute éventualité…

- Et pour cela nous devons être plus intelligents, plus

rapides, plus endurants et plus forts qu’eux…En

quinze jours…

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Ruddy sourit cyniquement. Seuls ses yeux bougent de

l’un à l’autre.

- Vous pensiez que vous étiez venus pour faire quoi ?

Du tricot ?

Tous les regards se sont tournés vers le sol en silence.

- Bon, je crois que je vais avoir du boulot avec vous.

On va donc commencer par vous muscler un peu,

bande d’avortons. P’tits bras : lever de poids. Tu

t’installes sur la machine et tu nous montres.

En disant cela, il me pointe du doigt. Je ne bouge pas.

- Penses-tu ne pas avoir besoin de te muscler un peu

avant l’attaque ?

Et il tend sa main vers la banquette, comme une invite,

tout en me souriant.

Pendant que je m’allonge, il met en place les poids sur la

barre. Puis, avant que j’ai pu réagir il m’enjambe et se

penche au-dessus de moi, tout sourire. Il prend mes mains

dans les siennes, les enserre sur la barre et la soulève dans

un râle d’effort, les muscles bandés, son visage crispé. Puis

lentement il se penche tout près de moi, le regard lubrique et

descend la barre au-dessus de mon cou. Angoissée par son

contact, j’essaie de me libérer de ses mains et de son corps

au-dessus de moi. Je ne vois personne d’autre que lui, mais

dans son dos, je sens le silence gêné de mes camarades.

- Tu veux que je lâche tes mains, P’tits bras ? Regarde les poids : il y a cent kilos. Sauras-tu toute seule

empêcher cette barre de t’écraser la gorge ou bien

as-tu besoin de moi pour la tenir ?

Derrière lui, un gaillard a toussé avant de prendre la

parole :

- Je connais ces machines. Je peux commencer ?

Les yeux toujours dans les miens, Ruddy a souri :

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- Ah, un volontaire ! Lève-toi P’tits bras !

Alors, ses mains emprisonnant toujours les miennes, il

soulève la barre et la remet sur le reposoir. Puis il me tire

violement contre lui pour me relever.

- L’objectif aujourd’hui est que vous souleviez un

total de cinquante kilos. Au boulot.

Il change mes poids puis il part installer mes camarades

sur les autres machines disponibles. Il passe ensuite auprès

de chacun pour vérifier ses performances, en terminant par

moi. Je n’ai pas bougé, ne voulant pas me retrouver coincée

sous cette barre trop lourde pour moi.

- Alors P’tits bras, tu refuses de suivre mes ordres ?

Evidemment, il sait parfaitement que je suis incapable de

soulever un tel poids.

- Tu fais ta tête dure. Cinquante pompes !

Et il me pousse face contre terre. Au moment où je

m’apprête à commencer, il me stoppe :

- Attends, c’est trop facile comme ça. Tends les bras.

Ne bouge plus.

Alors il s’agenouille près de moi, sort de sa poche un

couteau au manche carré et le pose en équilibre, pointe en

l’air juste au niveau de mon cou. - Bien, maintenant, tu fais tes cinquante pompes. Et

pas de relâchement ; je ne voudrais pas voir ton petit

cou s’abimer sur mon couteau, n’est-ce pas !

Et il reste accroupi à côté de moi tout le temps que dure

cette épreuve. Quand j’ai fini, il se relève satisfait :

- Bien maintenant, nous allons passer à soixante kilos.

Et vous avez intérêt à réussir !

Mes bras tremblent. A bout de force, je m’assoie sur la

banquette. Il ne se passe pas cinq minutes avant que Ruddy

revienne vers moi, le sourire aux lèvres :

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- Alors P’tits bras, ces soixante kilos, ça vient ?

Comme je ne bouge pas, il se met à crier :

- Par terre. Cinquante pompes.

Et il me jette son couteau pour que je l’installe comme

tout à l’heure. Mes premières pompes sont lentes et

laborieuses. Alors il m’invective :

- Tu es nulle ! Tu vas voir comment on traite les

faignantes comme toi.

Et il écrase mon dos avec son pied. Je roule sur le côté

pour éviter la lame du couteau et me redresse d’un bond

devant lui, révoltée :

- Je suis pilote ! Je n’ai pas besoin de m’entrainer à

faire des pompes. Cela ne sert à rien, un manche

dans les mains !

- A bon ? Et tu es un bon pilote ? Dis-nous un peu, quel est ton pourcentage de survie ?

- Ces chiffres ne sont là que pour nous faire peur.

- Hum, je ne crois pas que Freyj dirait cela, n’est-ce

pas Freyj ?

La pauvre Freyj se demande ce qu’elle doit répondre

pour ne pas se mettre Ruddy à dos ni me vexer. Mais au

fond de son esprit, je sens bien à quel point elle croit en ces

chiffres et elle me regarde avec pitié. Ruddy s’est tourné

vers moi, prêt à me torturer de nouveau quand un de ses

acolytes passe la tête par la porte :

- Les Sages ont demandés que tu leur fasses faire le

tour du vaisseau maintenant.

Frustré, Ruddy nous apostrophe avec colère :

- Vous êtes tous des larves. Incapables d’endurance.

Je me demande ce que je fais avec vous ! Allez, ça

suffit pour aujourd’hui. Footing.

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Et il part à fond de train, six paires de jambes trainant

tant bien que mal à sa suite. Le pont quatre se prête

relativement bien à la course, à cause de la largeur des

couloirs. Et ceux que nous croisons se poussent sans

problème à notre passage. Nos pas résonnent sur le sol de

tôles et notre groupe fait beaucoup de bruit. Les salles

d’entrainement défilent de part et d’autres de ces couloirs :

salles de musculation, de boxe, de tir…Je n’ai jamais vu

d’équipements aussi nombreux dans un vaisseau de guerre.

Quand nous descendons vers le pont numéro trois, la course

devient plus difficile avec les couloirs plus resserrés. Au

détour d’un virage, nous tombons nez à nez avec trois

Vaucan en file indienne qui ont du mal à se serrer contre la

paroi de tôle pour nous laisser passer.

L’un d’entre nous proteste :

- Que diable font ces machines dans le « Deus ex

Machina » ?

Ruddy l’a entendu, et prend son ton cynique habituel :

- Ce sont nos gentils gardiens. Ils font des rondes pour

veiller à la sécurité à bord.

- La police ? Ces robots font la police à bord ? On

aura tout vu !

Ruddy ne répond pas. Vers les chambrées, il y a plus de

monde ; le rythme de la course devient chaotique, les

couloirs sont en zigzag et les changements de direction

nombreux. Il faut savoir gérer son souffle. Au détour d’un

croisement, je crois distinguer le bout du pont : un long

couloir rectiligne qui aboutit à un mur dans lequel se dessine

une sorte de porte ronde à volant façon coffre-fort. Nous

passons vite. J’ai juste le temps de voir deux robots postés

devant le « coffre-fort ». Intriguée, je provoque Ruddy : - Pourquoi est-ce qu’on ne continue pas par-là?

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- Tu veux visiter la chambrée des « Vaucans » ? Tu

aimes les tas de ferrailles ? Ils ne feraient qu’une

bouchée de toi, tu sais. Si tu veux des sensations

fortes, c’est dans ma chambre qu’il faut que tu

viennes…

- Qu’est-ce qu’il y a derrière cette porte ?

- L’autre moitié du vaisseau : la zone d’intendance.

Aucun intérêt.

- Alors pourquoi est-elle gardée ?

Pas de réponse.

- Et nous avons le droit de franchir cette porte ?

- Je te l’ai dit : aucun intérêt.

Pas de doute, ce coffre-fort est bien gardé…

Après ce footing dans les coursives, nous enchaînons

avec le parcours d’Edith. Bien plus que la veille, cette

épreuve nous casse le corps et nous sape le moral. Nous en

sortons lessivés de fatigue. Je me dirige vers le couloir avec

les autres, pressée de passer à la douche et de prendre un

peu de repos, quand la voix d’Edith retentie derrière moi :

- Tu as oublié fillette ! Ruddy t’a donné une nouvelle

épreuve aujourd’hui. Et il m’a demandé de prendre

tout particulièrement soin de toi. Approchez-

vous tous! Voici la première tête brulée à tester mon

tout nouveau jouet !

Non, non…je n’avais pas oublié, mais je n’allais pas

réclamer tout de même !

- Tu dois parcourir ce labyrinthe et ressortir par la

trappe qui est au-dessus. Attention, je chronomètre

tes performances devant tes petits camarades ! Je

crois qu’il devrait te plaire, j’y ai mis tout mon cœur.

Il y a beaucoup de surprises à l’intérieur, préparées

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spécialement pour toi…Certaines font peur…Alors

si jamais ces épreuves devenaient intolérables pour

toi, tu n’aurais qu’à appuyer sur le petit bouton de ce

bracelet et tu te retrouveras immédiatement dehors.

Je fixe son bracelet ridicule. Sa propension à tourner

toute épreuve en enfantillage m’irrite ! Il y a longtemps que

je ne porte plus ce genre de bracelets…

- Allez, ne fais pas ta fière, vas, mets-le, tu verras

bien…Je lance le chrono : nous avons hâte de savoir

combien de temps tu résisteras avant d’appuyer sur

ce bouton…Prête ?

Je hoche la tête, et tente de rester de marbre.

- Stop ! Encore un détail…Il faut tenir un laps de

temps minimum sinon l’épreuve n’est pas validée et

il faudra recommencer…Aujourd’hui Ruddy a été

généreux avec toi : tu dois tenir dix minutes

minimum. A moins que tu sois suffisamment forte

pour parcourir tout le labyrinthe, et en sortir

indemne…On a parié avec Ruddy…Alors ! Tu y

vas ?

Ils ont parié. Lequel des deux pense que je ne vais pas y

arriver ! Je m’allonge par terre pour rentrer dans le trou. J’ai

l’impression d’être Alice au pays des merveilles devant la

porte en bas du puits, mais pas de liqueur qui permette de

rapetisser ici !

Si la chatière est à ma taille, en revanche, le conduit qui

se trouve juste derrière se rétrécit immédiatement. L’air est

rare et chaud, et je progresse à plat ventre dans le noir

complet. Tout se fait au toucher. Les virages sont difficiles à

négocier, mais il n’y a jusqu’ici, rien qui puisse vraiment

m’inquiéter. J’essaye d’aller le plus vite possible, me

doutant que le moins de temps je passerai ici, le mieux ce

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sera. Dix minutes au trou…c’est étrangement faible…Tout à

coup le sol se dérobe sous moi, me coupe le souffle, et je

tombe dans une sorte de glue qui remue sous mon corps. Ca

court le long de mes jambes, puis monte sous mes vêtements

et envahit rapidement mon torse, mes bras, ma tête…et ça

mord ! Ne pas chercher à comprendre…vite, trouver la

sortie… Edith est une cinglée ! Quel était son rôle au sein de

la horde d’Arius : tortionnaire ? Je nage dans cet

agglutinement d’insectes, les paupières verrouillées sur mes

yeux, la bouche scellée, les mains en avant, le front moite,

cherchant les parois à tâtons. Ne pas abandonner, pas

maintenant. Résister. Hai ! Ces « choses » piquent et

paralysent mes mains quand j’en écrase

malencontreusement sur le mur… Je m’affole…le bouton

du bracelet…non, ça y est, il y a du vide devant moi… je

m’engouffre dans un trou ... Ce nouveau conduit est rond et

si petit qu’il me débarrasse de tout ce qui recouvrait mon

corps, mais il est lisse et en pente, et la montée s’avère

difficile avec le manque d’air. J’élimine fébrilement les

dernières « choses » qui sont sur mon visage avec des gestes

de panique, et progresse en soufflant. Ces ténèbres me

coupent les jambes. Ne pas céder devant Edith ;

résister…Puis mes mains détectent trois conduits identiques

qui se présentent devant moi. J’en profite pour souffler un

peu. Au diable le chrono ! Je suis certaine d’être là depuis

au moins vingt minutes, mais je finirai ce parcours ! Je

m’engouffre ensuite dans le premier tuyau. Au bout de

quelques minutes, je tombe sur un cul de sac ! Voilà le

labyrinthe ! Satanée Edith ! J’ai de plus en plus hâte de

sortir. Dans ma fébrilité, j’ai bien des difficultés à négocier

la marche arrière et je rejoins le précédent carrefour à bout

de souffle, tremblante. Je n’ai jamais été claustrophobe,

mais ici l’angoisse serre ma gorge sèche. Je ne saurais dire

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 102

depuis combien de temps j’ère maintenant dans ce trou

quand, du fond des tuyaux, me parvient un grondement

sourd, lointain. Tout à coup, le bruit progresse à toute

vitesse…il va arriver sur moi…un des conduits se met à

vibrer, comme si de l’eau se déversait dedans !...Je

m’engouffre le plus vite possible dans le conduit restant : un

cul de sac ! L’eau qui déboule à toute vitesse, glaciale,

enserre mes jambes, mon torse, ma bouche…je vais me

noyer ! Dans un réflexe de panique, j’ai poussé fort au-

dessus de ma tête…et la paroi a cédée : une trappe. Au

moment où ma main en attrape le bord, un hachoir s’abat sur

mes doigts et les tranche dans un bruit d’horreur. J’hurle

d’effroi et appui sur le bouton du bracelet…Je suis

violement éjectée et m’effondre avec un bruit mou sur le sol

du gymnase, les yeux éblouis par la soudaine luminosité

ambiante.

Je suis par terre, à moitié inconsciente, terrorisée, et

lorsqu’enfin ma vue arrive à distinguer le décor, c’est le

visage d’Edith penchée au-dessus de moi que je découvre.

- Alors, ça t’a plu P’tits bras ?

Affolée, je regarde mes doigts, prête à compter ceux qui

manquent. Pas une égratignure. Pas de morsures d’insectes.

Je ne suis même pas mouillée ! Elle a suivi mon regard,

savourant ma réaction. Et son rire fuse à nouveau. Je me

sens vidée et la peur doit se lire sur mon visage car tous mes

camarades m’observent avec angoisse.

- Assez mauvais comme score : tu as tout juste tenu

les dix minutes! Et il semble que tu sois la

spécialiste des parcours non terminés !

Je cours dans les couloirs, poings serrés, tête baissée,

cognant ceux qui se trouvent sur mon passage, laissant

derrière moi des cris et des invectives que j’entends à peine.

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Nos entraineurs sont des tortionnaires ennemis, nos Sages

ont perdu la tête et nous sommes surveillés et gardés

enfermés par des robots. Et moi, je dois réussir cette mission

ou me retrouver emprisonnée à vie. Est-ce ainsi que nous

avons été choisis : non pas sur nos compétences mais sur

nos motivations ? Comme on choisit des kamikazes.

Clar est déjà à table lorsque je la rejoins au mess, ainsi

que la petite bande de Cristal. Tous mangent dans un silence

presque religieux. Rog a le nez dans son assiette, bougon. Sa

première séance avec Rocky n’a pas dû lui plaire…Tom et

Jarl sont généralement très peu enclins au bavardage. Et

Clar est épuisée. Il n’y a que Freyj qui semble encore tenir

le coup et qui garde le sourire. Comme je la regarde avec

beaucoup de surprise, Clar intervient :

- Freyj est la plus physique de nous tous ! Increvable.

Et douée dans tous les sports ! Tu la verrais au

concours annuel de triathlon chez nous ! Elle les

remporte tous ! Ah, si j’avais sa forme…

Freyj sourit du compliment, et semble même sur le point

de rougir, ce qui est très amusant, vu son immense stature

d’athlète. Rog lève le nez de son assiette :

- Mais dans quelle galère veulent-ils nous embarquer

pour nous entrainer de cette façon ? Ma parole, on ne

va tout de même pas se battre à mains nues à dix

contre un avec ces Mercenaires ! S’ils sont tous aussi

forts que nos entraineurs, je me demande ce que je

fous là ! Et les parcours d’Edith ! C’est pour nous

préparer à quoi ? Gabrielle, j’espère au moins que toi

ils t’enverront en mission sur un chasseur, parce que

si je n’arrive pas à me battre alors j’imagine mal ce

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 104

que ça pourrait être pour toi, surtout vu ton

pourcentage de survie…

- Merci pour l’encouragement…

Clar que j’ai vue jusqu’ici toujours positive, a l’esprit

plus sombre et s’interroge aussi :

- On s’est tous engagés à bord du Deus ex Machina

pour sauver notre monde et parce que nous avons foi

en cette mission quelques soient les risques. Mais

nous savons si peu de choses sur ce que nous allons

devoir faire. Qu’est-ce que nos Vénérables Sages

voulaient dire par « vous allez frapper l’ennemi en

plein cœur » ? A quoi devons-nous nous entrainer ?

Je sais qu’ils ont des plans pour nous. J’ai une totale

confiance en eux, mais l’objectif est trop flou et

j’avoue que je suis un peu perdue…

Rog a senti le trouble de sa sœur, et comme elle, soudain

son esprit s’assombrit. Il a failli lui répliquer : « non, ce

n’est pas pour sauver notre monde » et une étrange

culpabilité l’a envahi. Il a échangé un regard furtif avec

Clar, puis il change de sujet :

- Et cette histoire de binômes…ça ressemble à quoi ?

Ça va encore pour moi qui interviens plutôt au sol.

Mais pour quelqu’un comme toi Gabrielle, qui vole,

ça ne rime à rien ! tu t’imagines avec des doubles

commandes dans ton chasseur ? Enfin, moi, s’ils me

mettent avec la grande brune de l’autre jour, je ne dis

pas non…

Clar est rouge de jalousie :

- Rog !

- Bon, bon, Clar, je veux bien rester avec ma gentille

sœur pour la protéger ! Et toi Gabrielle, un ou une

partenaire en vue ?

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 105

- Hum…un des pilotes de mon équipe est vraiment

très bon. J’aimerais bien être associée à lui.

- Ah, nous avons un joli début d’histoire de ce côté-

ci : est-ce que vous dessinez des cœurs dans l’espace

en volant ?

- Rog !

- Eh, Clar, arrête de toujours vouloir protéger tout le

monde. Si ton amie a quelque chose à dire pour sa

défense, laisse-la parler !

Le frère et la sœur me distraient avec leurs réactions de

vieux couple :

- Oui, Rog, j’ai des choses à dire pour ma défense :

C’est le pilote que j’admire en lui. Mais je ne pense

pas qu’il soit complètement Humain…il ne pense

que « chasseur » et ne vit que pour voler.

- Un peu comme Freyj avec ses triathlons.

Il a regardé Freyj et de nouveau l’ombre s’immisce dans

le cerveau de Rog. Cette fois, c’est Tom qui intervient pour

détourner la conversation :

- En parlant de rencontre, j’ai fait la connaissance de

Center charmants ! Il faudrait que je vous les

présente.

Clar fait la moue :

- Je les trouve un peu hautains. J’espère que je

n’aurais pas à faire équipe avec l’un d’eux…Je les

imagine mal dans la boue des parcours d’Edith, eux

qui sont toujours tirés à quatre épingles…Il y en a

encore parmi eux qui n’ont pas opté pour le treillis

kaki. Ils se baladent en survêtement blanc !

Pendant que Clar est distraite, Rog se penche vers moi :

- Eh, Gabrielle, j’ai commencé ma petite enquête. Tu

sais la grande brune mignonne qui avait l’air d’en

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 106

savoir un peu sur nos Vénérables Sages…je lui ai

parlé.

Et contre toute attente, le cerveau de Rog se rempli …de

rose tendre !

- Ah, c’est ça ton enquête…

- Gabrielle ! Tu te rappelles, elle nous avait expliqué

que les Vénérables avaient suivi de vieilles traditions

guerrières et s’étaient inspirés de leur expérience

pour nous regrouper par deux.

- Oui. Mais dans leur cas, il y a de fortes chances

qu’ils se soient regroupés par cinq !

- Est-ce que tu crois que c’est ce qu’ils attendent de

nous ? Je veux dire, que lorsqu’on sera par deux, on

se mette à parler et à bouger exactement de la même

façon que notre « double » !

- Non, je ne crois pas. Eux ce sont manifestement des

vrais quintuplés. Je suppose que c’est ce qui

explique leur osmose complète. As-tu appris quelque

chose de plus sur eux ?

- Non, hormis que le père de la brune les avait croisés

il y a fort longtemps lors d’un rassemblement du

conseil de l’Alliance et qu’ils étaient à cette époque

déjà des vieillards !

- Quel âge peuvent-ils bien avoir ? C’est vrai que j’ai

déjà connu cinq élections de Conseil pour présider

l’Alliance mais d’aussi loin que je me souvienne j’ai

toujours entendu parler des Sages. D’ailleurs je ne

suis pas certaine qu’ils n’aient jamais été élus. Ils

n’ont même pas de rôle officiel. Il semble qu’ils se

soient imposés petit à petit uniquement grâce à leur

sagesse. Ils sont aujourd’hui tout puissants ! Notre

Président Amidalou leur a donné tous les pouvoirs

pour mener à bien cette guerre au nom de toutes les

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 107

planètes de l’Alliance : nos super généraux ont plein

pouvoir pour commander notre groupe

d’intervention ainsi que l’armée que nous

rejoindrons sur la zone d’attaque ! Toutes les

puissances de l’Alliance sont dans leurs mains !

- Sais-tu que « le Deus ex Machina » est actuellement

totalement isolé ? Nos cinq Vénérables ont coupé

toutes les communications et notre position n’est

connue de personne jusqu’à notre approche de la

planète noire ! Pour raison de sécurité, disent-ils !

Tout est secret : qui nous sommes, la trajectoire de

notre vaisseau et même ce qu’on attend de nous. Et

nous ne savons même pas comment ils nous ont

choisis.

- Des kamikazes.

- Quoi ?

- Ils nous ont choisis comme on choisit des

kamikazes : uniquement sur nos motivations.

Il s’est tendu comme un animal sauvage qui se sent

menacé. De nouveau, il détourne la conversation :

- Pourquoi ont-ils engagés cet Immortel ? Et cette

bande de Vaucans pour faire la police à bord ?

Sans réfléchir, j’enchaine :

- Sans parler de cet accord passé avec nos

entraineurs…

- Que veux-tu dire ?

- Hum…Rien. As-tu vu cette sorte de porte blindée au

pont trois, au bout des chambrées des Vaucans ?

Ruddy dit qu’elle mène vers la zone d’intendance.

- Toi aussi tu as remarqué. Je suis allé courir par là-

bas, l’air de rien, pour voir si on pouvait passer. Les

Vaucans m’en ont dissuadé…

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- Comment ?

- Je n’avais même pas franchi la moitié du couloir

qu’ils étaient tous autour de moi à faire barrage. Je

leur ai dit : « Eh, les gars, laissez-moi passer, je ne

suis pas un Mercenaire ; juste un type qui s’échauffe

à la course ». Ils m’ont bousculé jusqu’à la sortie du

couloir. Ils n’ont aucun humour !

- Pourquoi la zone d’intendance est-elle fermée ?

- A moins que ce soit nous qui sommes enfermés…

Semblant sortir d’un rêve, Freyj se met à penser tout

haut :

- Tiens, il n’est pas venu l’Immortel aujourd’hui ! Il

doit se cacher dans un coin sombre du Deus ex

Machina ! Il a peut-être eu peur hier finalement…

J’échange un regard avec Rog : pas l’ombre d’un doute

dans l’esprit de Freyj, aucune interrogation sur son devenir.

Elle est dans sa bulle, détachée, sereine : un fleuve au long

court dont l’eau coule avec force et calme, imperturbable,

jusqu’à sa destination finale. Elle ne risque pas d’être mon

binôme !

Elle est la seule à remarquer l’absence prolongée de

l’Immortel…ce dont peu de monde en ce moment se soucie.

- Au fait, vous avez signé la pétition ?

- De quoi parles-tu Freyj ?

- La pétition sur l’Immortel. Anton, le gars de la

planète Trisquelle, celui qui a réussi à le faire sortir

du mess hier, c’est lui qui la fait circuler.

- Et qu’est-ce qu’il demande ?

- Que les Vénérables enferment cette bête sauvage au

fin fond du vaisseau jusqu’à ce qu’il puisse faire tout

seul sa mission !

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- Et tu l’as signée ?

- Ben oui. Et il a commencé à recueillir une grande

quantité de signatures. Ils sont maintenant un petit

groupe à circuler dans tout le vaisseau avec Anton

pour faire signer cette pétition. Il faut qu’on se

protège, tu sais, il n’est pas comme nous. Il est

vraiment très dangereux !

Et dans son esprit, je les vois défiler, poings levés, Anton

à leur tête, hurlant leur haine et invectivant tous ceux qui

croisent leur chemin :

- Signe ! C’est pour ton bien, frère.

Et ils crachent à la figure de tous ceux qui refusent :

- Espèce de lâche. Tu as peur de signer c’est ça ? A

moins que tu le défendes ? On te le fera payer,

raclure, tu verras…

Clar coupe court à ses songes, un peu agacée :

- L’Immortel est pour l’instant le cadet de mes soucis.

Si seulement je savais vraiment ce que veulent nos

Sages de nous ! Comment fais-tu pour ne pas t’en

préoccuper ?

- Rog, dis-moi, que sais-tu sur les Immortels ?

J’ai chuchoté à son oreille, consciente que ma curiosité

est déjà presque un tabou à elle seule.

- Ce sont les êtres les plus dangereux qui puissent

exister. Ils ont déjà voulu s’emparer du pouvoir et de

toutes nos richesses lors de la guerre des Monstres, il

y a fort longtemps ! Ils n’étaient qu’une poignée à

l’époque pourtant ils avaient fait des ravages auprès

des Humains. Heureusement, nous avons pu les

circonscrire. Et depuis, ils n’ont plus le droit de

sortir de leur planète sauf exception.

- A quand remonte cette guerre ?

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- A vrai dire, je n’en sais rien. Mais si tu veux en

savoir plus, je peux peut-être demander à

Emmanuelle. Son père qui était au conseil a pu en

rencontrer.

- Emmanuelle ?

- Oui, la brune qui m’a donné les informations sur les

Vénérables Sages. Pourquoi veux-tu te renseigner

sur les Immortels ? Tu as peur de lui, c’est ça ?

- Je me demande de quoi il faut avoir le plus peur : de

lui ou des haines qu’il suscite ?

Soudain, Ruddy débarque au mess avec fracas, sa

troupe accrochée à ses rangers. La mine grave, il se

campe dans l’entrée, jambes écartées, bras croisés :

- J’ai une information à vous transmettre. Nous avons

retrouvé un de vos camarades mort dans une salle

d’entrainement. Il s’agit de Ben de la planète Petite

Nuit.

- Je le connaissais un peu. Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Pendu à la corde d’un punchingball. Suicide. Je

suppose qu’il n’a pas supporté sa note : vingt pour

cent.

Il me regarde un long moment, la bouche tordue et

cynique ; puis il sort avec toute sa troupe.

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CHAPITRE 11 Les Immortels

- Alors P’tits bras, ça t’a plus le labyrinthe ? Tu ne

perds pas de temps et nous ne sommes qu’à J-14 !

Ca fait encore de nombreuses occasions d’y

retourner, n’est-ce pas ?

Ce matin, au petit déjeuner, Ruddy est tombé sur moi. Il

sortait du mess avec toute sa bande d’entraineurs. Ma table

était sur leur chemin. J’étais seule. En arrivant à ma hauteur,

Ruddy s’est arrêté, fier et arrogant pour me provoquer. Je

serre les dents pour me retenir de lui cracher au visage. Il

s’approche tout près de ma chaise derrière moi et pose une

main sur la table à coté de mon bol, son corps courbé au-

dessus du mien :

- Un trou à rat pour une souris comme toi, ha, ha, ha !

Et maintenant la petite souris va me répondre avec

respect. Tu sais : le salut, le « oui chef »…On

recommence. Ça t’a plu le labyrinthe ?

Il s’est penché sur le côté, son visage tout près du mien,

un sourire de conquérant aux lèvres, le regard provocateur.

Son haleine lourde souffle sur mon nez des relents de café.

Et il me sniffe. Ce serait suicidaire de le gifler. J’ai tendu

tous mes muscles pour m’empêcher de bouger et fixé mes

yeux sur mon bol.

- Elle a peur de moi !

- Va au diable, Ruddy !

Et brusquement, son poing s’abat sur la table. En une

fraction de seconde, deux de ses acolytes sont sur lui, mains

apaisantes sur ses épaules. Il les regarde, se retient, récupère

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son sang-froid, puis se tourne à nouveau vers moi, le sourire

narquois :

- Bien. Je constate à ton attitude que cela t’a beaucoup

plu ! Je vais avertir Edith qu’elle te prépare de

nouvelles surprises dans son labyrinthe ce

matin…quinze minutes…c’est peu…tu y arriveras,

tu crois ? Miss onze pour cent…

Et il part en riant. J’aurais juré qu’un fantôme dans ses

yeux s’était mis à rire lui aussi…

Edith doit avoir un faible pour moi, pour me laisser

courir sans mon sac à dos rempli de cailloux ! De sa part,

cela ne présage rien de bon. De toute façon, il ne me servait

à rien puisque je n’arrivais pas à terminer ce parcours.

Evidemment, dès que je franchis la ligne d’arrivée, elle

m’interpelle comme hier :

- Gabrielle et Stephen, au labyrinthe ! Alors P’tits

bras, tu as envie d’améliorer tes performances d’hier,

je suppose. J’ai dû me surpasser pour que tu ne

t’ennuies pas. Et puis Ruddy m’a demandé de te

faire un traitement de faveur. Tu es une habituée

maintenant. Tu n’as qu’à passer la première…

Le Stephen qu’elle a appelé est figé derrière moi, le

sourire aux lèvres. Mais dans son esprit, je sais qu’il n’en

mène pas large…

Ce parcours-là n’est pas réel. J’ai beau me le répéter sans

cesse, j’ai le cœur serré lorsque je m’allonge par terre pour

passer la « chatière ». Comment Edith fait-elle pour

provoquer toutes ces peurs et ces sensations ? Puisqu’il

semble que je sois condamnée à emprunter ce labyrinthe

aussi souvent que je rencontrerai Ruddy, autant trouver

rapidement la sortie ! Mais quelle est l’astuce à découvrir. Je

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m’enfonce, plus attentive que jamais, à la recherche

d’indices, et plus motivée que jamais d’en finir !

Pour cette seconde tentative, je n’ai pas pris le chemin de

l’eau. Je suis restée plus longtemps dans le « bain

d’insectes » pour trouver un autre passage. Et cette fois j’ai

choisi le plus éloigné ! J’ai vaincu les « voix de charme » et

« les voix de peur », mais je n’ai pas réussi à passer le puits

sans fin. J’ai essayé de l’enjamber, puis j’ai rebroussé

chemin jusqu’au « bain d’insectes » dans l’espoir d’un autre

passage inexploré. En vain ! Je n’ai trouvé que des culs-de-

sac. Alors je suis retournée au puits. Après de longues

tentatives, j’ai fini par appuyer sur le bouton libérateur du

bracelet, en rage et épuisée.

Quand je me retrouve au sol sous la lumière vive du

gymnase, Edith, penchée sur moi, a encore ce sourire

sadique !

- Allez dégage ; au tour de Ruddy de s’occuper de toi.

Cette fois, il a changé de stratégie : durant tout

l’entrainement, il ne m’adresse plus la parole, ne me

demande plus de faire les démonstrations d’exercices, ne me

prend plus comme contre-exemple. Non, il ne me dit plus

rien. Mais il garde en permanence les yeux sur moi. Et au

fur et à mesure qu’il voit ma fatigue grossir, son sourire

grandit de plus en plus. Dès l’entrainement fini, je fonce la

première vers la salle de repos, vers le monde.

Au fond de la salle, Stephen s’est affalé sur une chaise, le

regard perdu. Je m’approche.

- Ça va ?

- Oui, oui…Dis-moi, qu’est-ce que tu as vu dans ce

labyrinthe ? C’était quoi ce truc de fou ! Tu as senti

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les morsures toi aussi ? Tu as entendu ces voix

horribles qui glacent le sang et rendent fou? Et

l’inondation ? Et le hachoir !

- Oui, moi aussi, j’ai senti cela…Pourtant en sortant,

pas de doigt coupé, pas de marque de morsure, ni de

vêtement mouillé ! Tout ceci n’a rien de réel. Il faut

croire que derrière ce cerveau de Cro-Magnon se

cache une imagination débordante ! Je ne sais pas

comment elle fait, mais je te jure que je trouverais !

- Moi, je préfère ne pas retenter !

Ce qu’il ne me dit pas et que je lis dans son esprit, c’est

qu’il a paniqué plusieurs fois, plusieurs fois appuyé sur le

bracelet avant les quinze minutes réglementaires, et

plusieurs fois recommencé ! Il est claustrophobe !

- Ce labyrinthe, c’est le circuit de l’enfer !

Autour de nous, l’ambiance n’est pas au beau fixe.

Beaucoup sont muets. Il n’y a que quelques personnes qui

discutent sans entrain. Mais tous s’interrogent mentalement

sur les Sages, le choix de leurs entraîneurs, et ce que nous

faisons vraiment ici.

Grâce aux entrainements virtuels avec Luc à chaque fin

de journée, je commence à maitriser mon zinc et je suis

finalement « lâchée », ce qui signifie que je peux piloter

seule mon appareil. Nous allons pouvoir voler en formation

avec Luc et quelques autres as de la voltige, dont Stephen

fait partie. Luc, rebaptisé « colibri » a fait des émules et les

candidats se pressent pour suivre ses scénarios de vols sortis

tout droit de son cerveau créatif.

On frappe à la porte de ma chambre :

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- Rog ! Eh, qu’est-ce que vous faites tous là ! Et cette

bouteille, c’est quoi ?

- C’est pour fêter ta performance aéronautique !

Combien as-tu dis que vous étiez à être « lâchés » ?

- Cinq sur quarante.

Derrière Rog, se sont agglutinés Clar, Freyj, Tom et Jarl.

Je ris, heureuse de leur reconnaissance et de leur fierté. Pour

moi, c’est un sentiment plutôt nouveau que je savoure avec

délice…Je me souviens de la réaction de mon père lorsque

j’avais été lâchée sur un supersonique : cela n’avait rien à

voir avec de la fierté…

- Entrez ! Ça va être difficile de vous caser tous les

cinq dans ma chambrette !

- T’inquiète, on a tous la même…On va s’asseoir par

terre !

Le niveau sonore augmente brusquement avec leur

joyeuse intrusion. Tom fait signe à Rog d’ouvrir la bouteille

et continue la conversation :

- Dis-donc, tu es logée au fin fond du vaisseau, et pas

beaucoup de voisins avec ça ! C’est qui la porte d’à

côté ?

- Je n’en sais rien. Je n’ai jamais vu personne entrer

ou sortir et je n’entends jamais aucun bruit !

- Au moins, tu es au calme pour dormir. Moi j’ai une

chambre tout près des vestiaires des filles. Qu’est-ce

que ça caquette dans les salles de bains.

- Tu ne te plaignais pas d’être à côté de la salle de bain

des filles quand je t’ai vu les mater, espèce de

dégoutant !

Tom rougit et tout le monde éclate de rire. Le bruit du

bouchon a attiré tous les regards :

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- Qu’est-ce que vous avez apporté ? Où avez-vous

bien pu dégotter ça ?

- C’est du vin, Mademoiselle notre pilote préférée ! A

toi l’honneur ! Quant à te dire où je l’ai trouvé, eh

bien, c’est un secret ! Saches seulement qu’on

m’appelle « Rog la débrouille » ou « Rog les bons

tuyaux »…

Et il me sert à boire :

- Alors je lève mon verre à Rog et ses bons tuyaux !

- Et nous on lève notre verre à tes exploits présents et

surtout futurs ! On compte sur toi !

- Merci pour la pression!

C’est à ce moment qu’on frappe à ma porte : Luc

accompagné des trois autres pilotes qui ont été lâchés

comme moi aujourd’hui !

- Laissez-moi deviner : on va fêter ensemble notre

promotion !

- Il y a du monde ici! Ne serions-nous pas les seuls à

avoir eu cette idée…Bonsoir à tous. Je vous présente

mes amis pilotes : Maruko, Stephen et Youri et moi-

même Luc ou « Colibri », mon nom de code de

pilote.

- Je déclare la chambre de Gabrielle QG de notre

équipe ! Je bois à notre nouveau QG !

L’enthousiasme de Rog est communicatif. Les

présentations terminées, les paroles et les rires fusent. Les

derniers venus débordent dans le couloir où ils s’assoient

par terre. La bouteille de vin circule rapidement, et s’avère

être bien trop petite pour tout ce monde. Freyj est intriguée :

- Dis, Luc, c’est quoi cette histoire de nom de code ?

- Oh, traditionnellement on baptise un pilote avec un

surnom qui correspond à son caractère.

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- Et celui de Luc lui va comme gant. Si vous voyiez sa

finesse de pilotage ! C’est le seul pour l’instant à

avoir été rebaptisé !

Freyj est soudain passionnée :

- Oh, oui, cherchons ensemble vos surnoms! Et

puisque nous avons déjà un colibri, nous devrions

chercher des noms d’oiseaux pour votre escadron !

Qu’est-ce qui est spécifique de ta façon de voler,

Stephen ?

Je ne lui laisse pas le temps de prendre la parole :

- Stephen est un très bon pilote en l’air, mais dès qu’il

touche le sol, c’est le spécialiste des atterrissages en

vrac !

- Un canard boiteux ! lance Rog.

Maruko se prend au jeu lui aussi :

- Il est également très bavard. Je propose : perroquet !

Mais l’intéressé proteste :

- Ça n’a rien à voir avec ma façon de piloter !

- Oui, je sais : un albatros !

- Bravo Freyj ! Oh, Stephen, il faut que je propose ça

aux autres ! Ils vont adorer…

- Ouai Gabrielle. A une condition : on va s’occuper de

toi maintenant !

Freyj m’interroge :

- Alors Gabrielle ! Quelle est ta spécialité ?

- Provocatrice et irrévérencieuse! lance Stephen.

- Mais ça, ce n’est vraiment pas spécifique à sa façon

de voler rajoute Clar, toute sérieuse.

Et ils rient tous.

Bien que ma chambrette soit devenue officiellement

notre QG, la chaleur et le bruit augmentant, nous décidons

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 118

de nous rabattre vers une des salles de sport que nous

transformons en salle de détente.

C’est au premier qui trouvera une table, des chaises pour

nous installer confortablement. Luc revient après un petit

moment brandissant un jeu de cartes, l’air victorieux :

- Qui veut faire une partie de "nébuleuse" avec moi!

Je vous préviens, je suis champion!

Notre installation a fait des émules et bientôt la salle se

remplie de tables et de jeux apportés par d’autres groupes.

Au milieu de cette bande, je découvre les joies simples

d’une franche camaraderie, et le plaisir de l’anonymat qui

permet tant de choses…

Emmanuelle, la brune qui plait tant à Rog, s’est assise

tout près de notre groupe, se mêlant petit à petit à notre

conversation. Une sorte de ballet s’est mis en place entre ces

deux-là; des mouvements anodins qui semblent sans but et

qui les rapprochent tout doucement, des échanges de

regards, l’air de rien. Stephen qui a retrouvé son sourire et

sa verve commente maintenant nos exploits chez Edith :

- Savez-vous que Gabrielle et moi sommes « frères de

labyrinthe » ! Un truc de fou cet endroit ! Il faut

avoir les nerfs sacrément accrochés pour s’y risquer.

Heureusement que Gabrielle et moi, on les a

solides !

Clar qui était de mauvaise humeur depuis l’approche

d’Emmanuelle, prend prétexte de mes exploits pour

s’indigner :

- Tu y es encore allé Gabrielle ! C’est pas possible !

Ne me dis pas que tu as encore refusé de saluer

Ruddy ?

Et Rog, amusé, me donne une tape dans le dos :

- Oh, la vilaine fille !

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- Ça va Rog ! Je vous ai déjà dit que c’est un vicieux,

et qu’il est hors de question que je montre du respect

à un malade de son espèce ! Il suffit que je ne le

rencontre pas…mais pour l’instant je n’ai pas eu

beaucoup de chance…

Alors, Stephen se lance dans la description de son

parcours, ajoutant des détails à son avantage, omettant sa

claustrophobie ; son auditoire suspendu à ses lèvres.

Lorsqu’Emmanuelle sort, je la rejoins dans le couloir :

- Dis-moi, je crois que ton père a siégé au Conseil,

m’a dit Rog…

- Il y a même rencontré le représentant de ta planète.

Un certain Gilles Trévor, un parvenu dont le roi

s’était entiché.

- Notre souverain évitait toujours les grandes

assemblées.

- On dit que le roi avait ce Trévor en grande estime et

qu’il le considérait comme son fils. Pourtant, ce n’est

finalement pas lui qui a accédé au trône.

- Oui, il parait…

- Comment s’appelle ta nouvelle reine ? Elle est si peu

connue que même son peuple a du mal à retenir son

nom ! Il parait que le roi Charles la considérait

comme incapable de régner et l’avait écartée de toute

instruction politique. On dit qu’elle se rebellait et lui

en faisait baver ! Des bruits ont même couru un

temps sur le fait qu’il voulait la tenir recluse. Est-ce

que c’est vrai ?

- Euh…en fait je voulais savoir…je me

demandais…Que sais-tu des Immortels ?

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 120

- Tiens, tu n’es pas la seule à te poser des questions à

son sujet. Il faut dire que ce sont des êtres que l’on

redoute et à juste titre !

- Sont-ils Humains ou animaux ?

- Ha ! Tu ne dois pas connaître leur histoire ! Ils n’ont

rien d’animal, du moins pas plus que nous ! Ils sont

issus d’une manipulation génétique. Leur histoire a

commencé il y a plusieurs centaines d’années. Un

savant brillant et fou, un de ces « Center » arrogants

qui croient pouvoir être les égaux de la Déesse elle-

même! Il a voulu créer une nouvelle race humaine

plus résistante et plus intelligente! Depuis, les

savants de Center n’ont plus le droit de faire aucune

manipulation génétique mais le mal était fait…

- Que veux-tu dire ?

- Il s’appelait Mhadès ; il était généticien. Il a conçu

deux bébés éprouvette aux capacités physiques

extraordinaires. Son expérience s’est avérée

parfaitement réussie sur ce point, et il a élevé ces

enfants comme les siens, les arborant dans des

séminaires spécialisés en montrant leur force

physique et leur grande résistance. Mais en

grandissant ils ont développé une étrange maladie :

ils étaient sujets à des crises d’une extrême violence

et totalement incontrôlables. Lorsqu’ils atteignirent

l’adolescence, âge des excès, Mhadès a dû se rendre

à l’évidence que ses « créatures », comme il les

appelait dans ses mémoires, représentaient un grave

danger pour les autres êtres humains et que son

expérience « d’Homme supérieur » avait échouée.

Un incident est venu bouleverser tous ses plans. Lors

d’un de ses colloques scientifiques, ses « enfants »

devaient montrer leur force en s’attaquant à un lion.

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 121

La bête s’est vite retrouvée à terre, bloquée par les

jumeaux juchés sur son dos. Mais l’un d’eux s’est

lancé dans une de ses crises de violences, frappant

l’animal, lui arrachant les membres, puis lui tordant

le cou. Lorsque le lion ne l’a plus intéressé, il a

commencé à s’en prendre aux scientifiques qui se

trouvaient dans la salle. Ce fut la débandade ; il y a

eu trois morts et dix blessés. Le frère et la sœur ont

été pris en chasse pendant plusieurs jours ; mais ils

ont réussi à s’enfuir. Mhadès a terminé sa vie en

prison pour avoir engendré des meurtriers. Ce n’est

que trois générations plus tard qu’on a retrouvé leur

trace : les deux adolescents s’étaient réfugiés sur la

planète Arodnap, où ils s’étaient multipliés.

- Arodnap, la planète aurifère ? Pourquoi sont-ils sur

Valdenfer maintenant ?

- Quand ils s’y sont installés, la planète était inhabitée.

Ce sont eux qui ont découvert l’or. Et lorsque le

bruit est venu jusqu’aux oreilles des Humains, il y a

eu la ruée vers Arodnap. Mais les nouveaux venus

ont été accueillis avec toute la violence à laquelle on

peut s’attendre d’un Immortel. Alors une guerre a

éclaté ; on l’a appelée la guerre des Monstres. C’est

à ce moment-là que la propagande contre eux a

commencé : c’était des êtres aux excès de violence

intenses, ponctuels et incontrôlés ; ils souffraient en

réalité d’une bien terrible maladie. On en a fait des

monstres hideux, volontairement sanguinaires,

avides de pouvoirs et de richesses et complotant

contre l’Humanité. C’est à ce moment-là aussi qu’on

leur a donné ce nom d’Immortels. De l’or était en

jeu…

- Et malgré leurs puissances ils ont perdu la guerre ?

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 122

- Ils avaient la force, mais ils étaient encore peu

nombreux. Après avoir fait beaucoup de carnages, ils

ont fini par se rendre. L’humiliation a été à la mesure

de leur violence : ils ont été privés de presque tous

leurs droits sociaux, politiques et militaires. Plus de

liberté de mouvement. Ils étaient isolés loin des

Humains sur Valdenfer sans possibilité de sortie,

hormis avec un sauf conduit signé de la main du

Président de l’Alliance en personne ! Et encore,

devaient-ils porter leur cape avec le « I » rouge sur le

dos pour signaler leur présence aux Humains ! Ils

n’avaient pas le droit de s’enrichir ni commercer

avec l’extérieur et leurs revenus étaient sous le

contrôle du Conseil. Enfin, bien entendu, ils ne

devaient toucher un Humain sous aucun prétexte !

- Et aujourd’hui ? L’immortel qui est ici a-t-il dû

obtenir un sauf conduit de notre Président ?

- Oui, ces lois ont perdurées jusqu’à ce jour. Les

Immortels souffrent toujours de cette maladie qui les

rend involontairement violents et dangereusement

incontrôlables. Cela ne fait pas obligatoirement

d’eux des assassins. Pourtant, ils sont considérés

comme des parias, comme n’importe quel assassin

chez nous : exclus à vie de nos planètes, ainsi que

tous leurs descendants directs. Alors pour se venger

des humiliations subies, ils ont décrété que

Valdenfer était interdite aux Humains ; ils se sont

mis à dévorer tout Homme qui mettait le pied sur

leur planète, comme un rite. Et leur haine des

Humains a été cultivée de génération en génération

au point qu’elle est devenue presque un instinct

primaire.

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- Et cette cape intégrale qui camouffle l’Immortel du

Deus ex Machina ? Est-ce la loi qui lui dicte de la

porter ?

- Non. Je ne sais pas pourquoi celui-ci se cache. Sans

doute une infirmité…

- Comment sais-tu toutes ces choses ?

- Mon père m’a beaucoup appris…

- Il siégeait au Conseil, tu disais. Quel rôle avait-il ?

- Méfie-toi de cet Immortel, Gabrielle. Je ne sais pas

ce que les Sages ont en tête pour nous l’imposer,

mais il est clair qu’il représente un grand danger. Je

n’arrive pas à croire que les Sages pourraient le

laisser se mêler à nous. Il faut que j’aille me coucher

maintenant, il est tard et je t’en ai assez dit…

Quand je me retrouve seule dans ma chambre, je plonge

sur mon lit et m’endors immédiatement. Dans mes rêves, je

traverse le couloir des chambrées des Vaucans. Ils sont tous

alignés contre le mur, formant une haie d’honneur sinistre.

A mon passage ils se regroupent derrière moi, me poussant

vers la porte blindé. Je suis maintenant collée le dos à cette

porte. Les Vaucans avancent toujours ; je vais bientôt être

écrasée. Soudain la porte dans mon dos s’ouvre et je tombe

contre une cape noire immense. Des doigts griffus se jettent

sur moi…

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Loin de là…

7ème

calende du mois de mars Trisquelien – 1310ème

année de la Déesse

Alléluia ! La Déesse mère est avec moi et me bénit ! J’ai

réussi ! Tant d’effort…mais le résultat est si beau ! Ta

vision est mienne mon fils, mon guide inconscient !

Maintenant, je vais être derrière chacun de tes gestes ! Tu vas rester très proche de moi…comme avant…

Ce jour restera gravé dans les mémoires comme les

premiers pas vers mon règne ! Je veux coucher ces

événements sur le papier afin qu’ils rentrent dans l’histoire.

Les petits écoliers les apprendront en classe. Tous

connaitront alors mes pouvoirs et s’inclineront devant moi.

Comme c’est merveilleux, mon fils ! Tu te déplaces dans ce

vaisseau, et c’est comme si tu étais moi ! Tu as écouté tes

« Vénérables Sages » faire leur discours. J’ai entendu ! Tu

as pris la parole ; j’ai vu la masse étalée devant toi, écoutant

tes harangues. Tu es toujours aussi doué pour invectiver les

foules !

Comme ils sont mignons tous ces éphèbes avec leurs

muscles de salle de danse et leurs jeunes sourires innocents !

A croquer ! Ce sera un plaisir…

Je suis fou de joie, mais tu oses gâcher mon bonheur !

Quel choc ça a été pour moi de découvrir ce que tu es

devenu, et tous les autres avec toi ! Tout ce que je t’ai

donné, tout ce que je t’ai appris…envolé ! Tu t’es perverti,

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 125

avili et tu as trahi ton Père. Oh ingrat, comme tu me fais

souffrir ! Vous me faites tous souffrir…

Tu connais les règles, n’est-ce pas…tu sais ce que tu

mérites pour tes péchés…Je saurais m’occuper de toi en

temps voulu. De vous tous…mes chers petits.

Non, non, ce n’est pas ta faute… Ils t’ont attrapé dans

leurs filets empoisonnés, les cinq maléfiques ! Ce sont les

rois de la manipulation. Je suis bien placé pour le dire. Et

toi, Ruddy, tu es tombé dans leur piège. Mais tu vas bien me servir, n’est-ce pas. Ils n’en sauront rien…et toi non plus !

Ce sera ma première vengeance…

La Déesse mère m’a inspiré ; c’est le plus beau des

présages ! Comme j’ai bien fait de penser si fort à toi !

Toutes ces choses auxquelles j’accède…

Tu m’as montré les cinq Sages ; ces vieux miteux

arrogants se donnent en spectacle et se croient les maîtres

avec leur prêchi-prêcha. Ils veulent les avoir tous sous leur

joug. Ils tremblent devant l’ennemi qui risque de les

« anéantir » (Ah quel bonheur !) et ils pensent encore à

respecter les traités intergalactiques. Je les entends ces vieux

gâteux : « nous ne pouvons pas attaquer tant que l’ennemi

n’est pas dans la zone de l’Alliance » !

Pauvre Alliance qui a des généraux si faibles et mous.

Comme c’est triste et dévalorisant pour moi.

Ah, mon fils, à quoi j’ai accès grâce à toi ! Tous ces

petits jeunes seraient donc des guerriers venus dans le Deus

ex Machina pour former des commandos d’infiltration de

l’ennemi ! Je rêve ! C’est le monde à l’envers ! Je les ai tous

vus se présenter un par un. J’ai tous leurs noms. Ce serait à

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mourir de rire si ce n’était pas vous, mes enfants, qui allez

les entraîner ! Mettre vos talents à leur service : quel

avilissement ! Ah, mon fils, tu es pourtant conscient de ce

qu’ils valent. Tu le leur as bien dit avec tes tirades de

théâtre : « Vous êtes des vieilles femmes flasques ! Vous ne

seriez même pas capable de faire du mal à leurs chiens !» Ce

n’est pas un simple regroupement par binômes qui changera

les choses…Oui, tu as raison mon fils, ils sont venus se

suicider. D’ailleurs les Sages se soucient peu de les envoyer à la mort.

Tu m’as aussi montré l’Immortel. C’est bien. C’est

dangereux pour tout le monde. Très. Enfin un morceau de

choix pimenté, à me réserver. Quel plaisir intense ils vont

me faire. Il faut que je me prépare!

Mon fils, mon messager ambigu, je prie pour que tu me

donnes souvent des nouvelles de l’Immortel. Je veux

connaitre sa force…et ses faiblesses.

Car je suis le seul à avoir le génie nécessaire pour

m’attaquer à ce Mal !

Je vaincrai ! Et ma gloire n’en sera que plus grande.

La Déesse mère est toujours avec moi. J’en ai la preuve

maintenant. Disséquer des araignées vivantes n’est pas un

péché à ses yeux. Ils m’ont menti et se sont débarrassés de

moi avec une pirouette.

8ème

calende du mois de mars Trisquelien – 1310ème

année de la Déesse

Sacré fiston, tu es toujours le même : voilà une petite

jeune qui se présente, maigrelette et sans défense, et déjà tu

es attiré. Ah, je le sais, vas, je te connais bien pour ça aussi.

Et elle t’a provoqué en plus ! Tu vas aimer ça ! Comment

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s’appelle-t-elle déjà ? A oui, Gabrielle. Jeune fille, crains

pour toi, car mon fils n’a jamais été tendre avec celles qui

lui plaisent. Et je crois que tu lui plais déjà beaucoup…

Il n’a rien fait pour que tu retournes chez toi, non, il a

hâte de se charger « personnellement » de toi !

Je veux voir ça…

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CHAPITRE 12 Les « doubles »

Jour J-13 avant l’affrontement

Tôt le matin, on nous a tous convoqués dans

l’auditorium. Comme la première fois, les Sages sont

installés sur leur estrade. A leur signal, le silence se fait

soudain :

- Réjouissez-vous car le jour du regroupement est

arrivé. Vous allez connaître votre double ; vous ne

serez plus seul, vous n’aurez plus de doute.

Malgré ces paroles, chacun semble rester sur sa

défensive. Les Sages reprennent :

- Nous vous avons tous observés avec attention. Nous

avons décidés de ces binômes en fonction de vos

aptitudes complémentaires et en fonction de la

mission que nous allons confier à chaque équipe.

Rog s’est penché vers moi pour me glisser à l’oreille :

- Quand sont-ils venus observer mes aptitudes ? Je ne

les ai pas vus depuis l’intronisation ! Tu les as vus,

toi ?

- Chut…

Les Sages continuent :

- Vous en saurez peu aujourd’hui sur les raisons qui

nous ont poussés à ces choix. Il faut seulement que

vous suiviez nos ordres avec la plus grande rigueur.

Tout ce que vous apprendrez ensemble, tout ce que

nous avons décidé pour vous va vous servir lors de

votre intervention finale. Le secret sera gardé

jusqu’au bout. Il en va de la sécurité de cette

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 129

mission. Remettez-vous en à nous, et rappelez-vous

votre serment !

Le ton des Sages est tranchant et sans appel ; leur regard

scrute la salle et la tension dans l’air est palpable. Que se

passerait-il s’ils sentaient ou lisaient dans l’esprit de certains

l’envie de se rebeller ? Mais, à mon grand étonnement, il

n’y a aucune pensée de rébellion dans l’air, seulement

beaucoup d’inquiétude sur l’ennemi et de doutes sur les

forces à fournir. Rog chuchote entre ses dents :

- Suivre les ordres…suivre les ordres ! Alors qu’on

ne sait même pas ce qu’on doit faire ! Comment

veulent-ils qu’on s’entraine si on ne sait pas

pourquoi !

- Rog, arrête. Tu m’agaces…

Les Sages expliquent maintenant le rituel qu’ils ont prévu

pour appeler chaque binôme. Cette fois, l’attention de tous

est si concentrée que tous les esprits s’en trouvent calmés !

Quand les Sages annoncent qu’Emmanuelle de la planète

Beliste a pour coéquipière une de ses compatriotes, Rog

marmonne son mécontentement. Finalement il est avec sa

sœur, et Tom et Jarl sont ensemble, ce qui me semble un

choix facile. Puis les Sages tendent le bras vers Luc et mon

attention grandit encore :

- Luc de la planète « Aron » et Freyj de la planète

« Cristal ». Nous, vos Vénérables Sages avons

reconnus en vous un binôme parfait. Vos dons se

complètent à merveille et vos esprits sont à

l’unisson.

Je suis un peu déçue et je ne vois vraiment pas avec qui

d’autre je pourrais être associée. Petit à petit, les noms

tombent ; chacun découvre son coéquipier. A quelques

exceptions près, la surprise d’être ensemble domine.

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L’entente annoncée n’est pas au rendez-vous. Les noms

s’égrènent et l’inquiétude monte sans que je sache vraiment

pourquoi. Il reste très peu de personnes qui n’ont pas été

appelées, quand ils prononcent mon nom :

- Gabrielle de la planète « Aurore » et Faustus de la

planète « Valdenfer ». Nous, vos Vénérables Sages

avons reconnus en vous un binôme parfait. Vos dons

se complètent à merveille et vos esprits sont à

l’unisson.

Une chape de plomb s’abat sur la salle. Le pire des

tabous vient d’être prononcé. Je m’attends à une révolte

immédiate. Je l’espère même. Rien ! Je suis pétrifiée.

Comment les Sages peuvent-ils faire une telle erreur ?

Avant que j’aie pu me remettre de mes émotions,

l’Immortel glisse vers la lumière devant les Sages comme

pour prendre la parole. Mais un des Sages bondit de son

siège, main levée, et cette unique intervention parmi les

quintuplés n’en est que plus impressionnante :

- Vous êtes venus à nous pour servir contre le mal.

Nous savons ce qui convient. Qu’aucun de vous ne

se permette de discuter nos ordres !

Alors le Sage debout sur son estrade foudroie du regard

l’Immortel. Ils sont figés tous les deux et semblent se défier.

Pourtant, il ne se passe rien, hormis des picotements que je

ressens dans mes oreilles comme si l’air s’électrisait autour

d’eux…puis c’est fini. L’Immortel a reculé dans la

pénombre, tête baissée. Le Sage s’est rassit, satisfait. Le

silence autour est total. Personne n’ose prendre la parole

mais les esprits s’échauffent, indignés et haineux.

Puis les cinq Sages nous invectivent avec ardeur, dans

une même voix :

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- Vous avez tous juré de servir l’Alliance et de nous

obéir. Si d’aventure certains d’entre vous

contestaient nos ordres, qu’ils quittent

immédiatement le Deus ex Machina, ou qu’ils se

taisent à jamais…

Silence de plomb. Les Sages reprennent :

- Nos plans sont fixés. Chaque binôme va apprendre et

progresser à l’unisson. Réjouissez-vous car

ensemble, vous serez puissants. Ensemble vous avez

un rôle important à tenir au sein de ces commandos.

Ensemble vous accomplirez de grands exploits.

Ensemble vous aurez la force nécessaire pour

vaincre !

Le rituel terminé, tout le monde se disperse. Faustus sort

le dernier de cette salle. A la fois terrifiée et à la fois

curieuse de voir sa réaction, c’est à peine si j’ose me

retourner. Son imposante silhouette noire fonce droit sur

moi et vient se camper devant moi. La voix caverneuse sort

du capuchon et me fait sursauter :

- Moi Faustus, j’en sais plus que tous vos maitres. Je

ne crains aucun de vos guerriers. Je peux prendre

possession de vos esprits et dévorer vos corps.

Pourtant, j’ai renoncé à vous dominer. J’ai renoncé à

tout bien, à toute richesse, j’ai fui la compagnie des

miens pour me libérer de mes instincts destructeurs.

Et je viens vers vous, faibles Humains, malgré vos

sarcasmes, pour défendre vos misérables âmes.

Crains-moi et fuis-moi !

Et son ombre disparaît, comme une flèche.

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Pétrifiée, je reste un moment au milieu du couloir. Puis la

révolte m’envahie. Je ne veux plus voir personne et fonce

vers ma chambre en ruminant.

« Vous ne serez plus seul ; vous n’aurez plus de doute »

Quel leurre ! Non, je n’ai plus de doute ; c’est ma mort que

veulent les Sages!

On frappe. De mon lit, j’invite à entrer. La silhouette

sombre apparaît soudain dans l’encadrement de la porte. Je

me suis levée d’un bond. Nous restons à bonne distance.

Puis lentement, il s’avance. Je recule, jusqu’à ma petite table

au fond de ma chambre. Il fait signe de la tête vers la chaise.

Nous nous asseyons, face à face, sur nos gardes. Il a la tête

baissée et je ne peux même pas distinguer ses yeux sous sa

capuche. Il incline la tête avec dédain. Son ton est dur et

froid :

- Les Sages m’ordonnent d’obéir. Je suis devant toi à

leur demande. Tu peux me poser les questions que tu

veux.

D’ordinaire j’aurais plutôt tendance à provoquer

quelqu’un qui s’adresserait à moi de façon aussi pédante. A

la place, je lui sors la première chose qu’il me vient à

l’esprit :

- Ton cerveau raisonne vite ?

J’ai pensé « trop vite pour que je puisse le lire ». Il a

bondit.

- Pourquoi ?

- Je ne sais pas… je suppose qu’il va vite parce que tu

es physiquement rapide…

- Pourquoi une telle question ?

La silhouette encapuchonnée s’est redressé ; je sens qu’il

me fixe. J’essaye de toutes mes forces de déchiffrer ses

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pensées, mais rien ! Ou plutôt une sorte de froid, comme si

je touchais de la glace. Le malaise que je ressens m’a rendue

complètement muette. Le capuchon s’est penché de

nouveau :

- Ecoute-moi bien ! Je ne comprends pas pourquoi les

Sages ont décidés de nous faire travailler ensemble.

Tu dois savoir que je suis extrêmement dangereux !

- Je le sais.

- Et tu dois certainement avoir peur de moi !

- Non.

Il a sursauté.

- Je vois. Tu es une sorte de tête brûlée qui se veut

plus forte que les autres, c’est ça ? Il faut absolument

que tu me craignes.

- Pourquoi ?

- Parce que je suis un monstre inhumain de violence.

Parce que je ne sais pas jusqu’à quand je me

maitriserai… Parce que je suis un solitaire qui fui les

Humains pour éviter de les tuer. Est-ce que cela te

suffit ?

Il s’est relevé lentement, tourne le dos et s’apprête à

partir. Sa masse noire s’étend dans le petit espace de ma

chambrette. Je tends tout mon corps pour ne pas trembler, et

fais mine de rester impassible, l’esprit clos.

- Si tu n’es pas un être humain, alors je suis

championne de sumo…

A ces mots il s’est retourné et je sens, à la tension dans

l’air, que, sous sa capuche, il me fixe intensément :

- As-tu l’esprit lent ?

- Pourquoi ?

- Les Humains sont lents à la course d’habitude… Tu

pensais que c’était lié tout à l’heure pour moi…

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Il hésite ; la capuche se penche sur le côté, puis :

- Sais-tu te battre ?

- Ce n’est pas ma spécialité.

- Ha, ça se voit ! Qu’as-tu fait aux Sages pour qu’ils te

punissent à ce point ?

La voix d’outre-tombe est cynique et hautaine :

- Je suis un Immortel, bien plus fort et endurant que

n’importe quel humain ici. La mission que

j’accomplirai sera à la hauteur de mes capacités. Il

me faut un pilote qui pourra tenir le choc, pas une

midinette ! Je veux un guerrier, endurant et rapide.

Regarde-toi ! Tu ne fais vraiment pas l’affaire !

- Si tu montais avec moi dans mon chasseur, tu

pourrais bien me trouver sacrément inhumaine et violente. Un « pied accroché au sol » comme toi, au

premier looping tu vomirais ton quatre heures ! C’est

toi qui ne feras jamais l’affaire !

C’est alors qu’une violence extrême s’abat sur moi : des

objets volent et sifflent dans l’air à toute vitesse, me prenant

pour cible. Il attrape tout ce qu’il trouve à sa portée de main,

chaussure, sac, chaise et je ne sais trop comment je réussi à

les éviter, tant ses gestes sont vifs et ses intentions

meurtrières. Au bout d’un moment, il se trouve à cours de

munitions et se fige. Je suis recroquevillée contre un angle

du mur, au milieu de ce désordre, tremblante et soufflante.

Puis, la voix vibrante, il murmure :

- Pas blessée.

Question, constat, regret ; je ne sais pas. Il va partir. Je

me relève crânement et lui lance en colère :

- Non, tu m’as ratée.

Son bras levé vers la poignée de ma porte s’est figé, en

l’air. J’ai arrêté de respirer, mon regard accroché à ce bras

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levé. Le capuchon se retourne très lentement. Je frissonne.

Sa voix d’outre-tombe est presque inaudible, caverneuse,

vibrante de rage de nouveau :

- Peut-être que de cette façon, je ne te raterais pas …

Et il se campe devant moi, jambes et bras écartés dans

une posture d’engagement de combat. Alors une main sort

de la cape et me fait signe d’avancer. Mes yeux restent

accrochés à cette main large, puissante, de celles qui ont

l’habitude de couper du bois ou frapper des poings sans

effort. Face à lui, mon passé d’entrainement militaire pèse

bien peu. Je gagnais mes bagarres parce que je savais lire

dans les pensées de l’adversaire, j’anticipais les coups et

j’étais la plus rapide. Mais l’Immortel est bien plus fort que

tout ce contre quoi j’ai pu me battre, il est rapide, et son

esprit est totalement imperméable. Cette fois, je suis piégée.

Puis tout va trop vite : je me sens soulevée, choquée,

projetée au sol. Et avant que j’aie pu réaliser ce qui se

passait, je me retrouve à terre. Le trou noir de son capuchon

est penché au-dessus de moi, menaçant, son poing crispé au-

dessus de ma figure, et sa voix explose :

- Tu voulais une leçon ! La voici : ne provoque pas

plus fort que toi, folle que tu es. Tu as le don de me

faire sortir de mes gonds et cela pourrait te coûter

cher…

Instinctivement j’ai fermé les yeux, attendant le coup.

Puis je les ouvre : il a disparu.

L’entrainement a déjà commencé lorsque j’arrive. Clar et

Freyj sont là, ainsi que Rog qui a rejoint notre groupe pour

être avec son équipière. Ruddy, un large sourire aux lèvres

en profite pour m’invectiver :

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- En retard P’tits bras ! Tu veux me donner des

prétextes pour t’envoyer encore au labyrinthe ? A

moins que tu préfères les pompes ? Entrainement de

boxe en binôme aujourd’hui. Je vais bien m’occuper

de toi, tu vas voir.

Et dans son esprit s’animent des intentions malsaines. Il

fait un pas vers moi. Rog s’interpose et s’approche de moi,

presque jusqu’au contact, comme il a l’habitude de le faire

avec ses amis.

- Je me porte volontaire pour faire équipe avec elle.

- Regardez tous. Voici un exemple parfait de ce qu’il

ne faut pas faire : choisir un partenaire d’entrainement très mauvais au risque de régresser.

Hé, P’tits bras, te rends-tu compte qu’il te reste un

ami, et tu vas être responsable de sa perte !

Ruddy s’est détourné et a repris ses démonstrations. Rog

s’est penché pour me murmurer :

- Tu as l’air toute pâle, Gabrielle. Un problème ?

- Non, non, je suis en pleine forme. Juste besoin d’un

bon entrainement…

Ce qui suit est sans parole. Je le regarde du coin de l’œil,

essayant tant bien que mal d’imiter ses mouvements, mon

attention à son maximum. Il est souple, puissant, et je ne le

bat que dans l’esquive. Rog et Clar me montrent leurs

« bottes secrètes » et je crois bien qu’ils seraient capables

d’abattre un ours de cette façon.

Puis le parcours du combattant nous sépare à nouveau.

Ce n’est qu’à la pause déjeuner que nous avons l’occasion

de vraiment discuter des événements de la matinée. Rog est

de mauvaise humeur :

- Décidément, je ne comprends rien aux choix des

Vénérables ; Ils ont mis Freyj avec ce petit

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blondinet, celui qui est venu faire la fête avec nous

hier soir…

- Luc ! Il est habité par les anges !

- Dis-donc Gabrielle, tu as l’air sacrément

enthousiaste !

- Quand tu le connaitras mieux tu penseras la même

chose que moi : il pilote comme s’il été né aux cieux

et aucun mal ne semble pouvoir l’atteindre.

Freyj intervient :

- Il est sympa mais ce n’est pas la question ; je ne me

sens aucun point commun avec lui. Difficile d’être

plus différents…

Soudain, l’Immortel apparait et le silence tombe net. Il

avance sa silhouette noire, totalement camouflée par cette

espèce de cape à capuchon. Il semble glisser sur le sol tel un

félin plutôt que marcher, ce qui lui donne une majesté

impressionnante. Mes camarades se taisent tout à coup et me

regardent. Ils n’osent pas me poser de question. Emmanuelle

s’est installée à la table juste derrière Rog. Un bref instant

leurs regards se sont croisés, comme un signal. Puis Rog se

penche vers moi en chuchotant, le ton inquiet :

- Il t’a parlé ?

- Oui, on s’est raconté quelques blagues et on a

beaucoup rit…

- C’est vrai… ?

- Idiot ! Bien sûr que non. Il est glacial et prétentieux.

Il ne veut de personne. Il m’a conseillée de le

craindre et de le fuir.

- Une vraie histoire d’amour. J’espère que tu ne lui

cherches pas des poux. Gare à toi si tu le provoquais,

il pourrait t’attaquer !

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S’il savait. Clar enchaîne, m’évitant une réponse

gênante :

- Moi je serais morte de peur à ta place !

L’Immortel s’est avancé jusqu’à la même place isolée

que le premier jour. Le silence se fait pesant. Les regards

sont braqués sur lui. Puis, de nouveau, les tables autour de

lui se vident. La bande d’Anton s’est regroupée, formant

une sorte de bulle de pensées violentes à son encontre. Ils

viennent de se lever pour l’invectiver, et avant qu’ils aient

pris la parole, je me lève brusquement pour leur faire face :

- Il est de notre côté. S’il avait voulu vous faire du

mal, il l’aurait déjà fait. Laissez-le…

La surprise est sur tous les visages. Alors, debout au

milieu de leurs regards désapprobateurs, je réalise combien

mon geste est lourd de tabous. Leurs yeux se sont

écarquillés, plein de dégout, leur tête pleine d’accusations.

Anton sort de leur groupe et vient se camper devant moi.

Ses yeux d’eau dure me fixent longuement. Sa main gauche

a glissé vers le couteau qu’il a à sa ceinture, lentement :

- C’est un paria Gabrielle. Tu connais la loi…Veux-tu

être une paria comme lui ?

Des relents d’embruns me parviennent, et des flashs de sa

vie sur Trisquelle : son bateau maison ; sa vie en solitaire

sur la mer infinie à pêcher et troquer avec les rares

navigateurs qu’il croise. Il n’aime pas le monde, les

étrangers ; il étouffe ici dans la promiscuité de ce vaisseau

clos, sec et sans vent. Il est sur les nerfs.

C’est Rog qui brise le silence et vient s’interposer entre

nous deux :

- Garde ton couteau pour les Mercenaires. Nous

sommes frères d’armes, Anton.

- Non pas avec celle-là ! Elle défend le monstre.

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- Tu as raison, moi aussi il me fout les jetons. Et je

vais te dire un truc : je vais tout faire pour l’éviter.

Tu vois, il est tout au fond dans un recoin de cette

salle. Et moi, je vais fissa m’installer à l’autre bout.

Il se tourne vers ses camarades de Cristal et moi :

- Vous venez vous autres ? Anton, si tu veux rester

seul près de lui, je te souhaite bon courage.

Puis il me prend par l’épaule pour nous éloigner. Il se

penche à mon oreille, tout en marchant :

- Si je compte bien, avec Ruddy et le Sage, Anton est

le troisième que tu te mets à dos en peu de jours.

- Quatre avec l’Immortel, et lui ne s’est pas gêné pour m’envoyer à terre…

- Tss,Tss… Je vois pourquoi tu as besoin d’un bon

entrainement !

Il a fait non de la tête en signe de désapprobation, mais la

malice brille dans son regard.

Un instant je me suis retournée vers l’immortel. Il baisse

puis relève la tête lentement dans ma direction, comme pour

me remercier.

Le silence est heureusement interrompu par Freyj qui

appelle un nouvel arrivé dans la pièce :

- Tiens, Luc, tu veux te joindre à nous ?

- Oui, volontiers. Il y a des têtes que je connais par ici.

Salut tout le monde. Hé, Gabrielle. J’ai appris pour

toi et l’Immortel…A-t-il été correct avec toi ?

- Disons que je suis toujours vivante…

Luc se tourne vers Freyj et je réalise pour la première fois

que les âmes ont un rythme, et que la leur bat à l’unisson. Ils

ne se connaissent pas et tout dans leur apparence semble les

éloigner : elle, géante toute en muscles, championne de

triathlon, et lui svelte et pas très grand. Pourtant, il y a cette

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pulsation si discrète mais bien présente ; et cette

insouciance, cette façon d’être un peu déconnectée de la

réalité, le regard qui rêve... D’instinct, Clar l’a ressenti elle

aussi, et elle s’est rendu compte du trouble que cela me

procure :

- Que vas-tu faire Gabrielle avec…comment dire…ce

monstre…

- Que veux-tu que je fasse : rien. Absolument rien !

- Bon, ok, maintenant chacun connait son « double ».

Mais ça ne nous dit pas ce qu’on va faire ensemble,

ni contre qui on va se battre. Une bataille de ce type

nécessite de nombreux renseignements sur l’ennemi

pour pouvoir aboutir. Il faut des stratèges, des

espions, des experts en vaisseau spatial…J’espère

qu’eux au moins savent.

- Détrompe-toi, Rog. Les chasseurs Mercenaire sont

totalement inconnus : forme, propulseurs, finesse,

puissance…rien. Nada. Nothing ! Les pilotes vont

partir au combat sans aucune information, dans

l’improvisation totale.

- Sans blagues ! ils sont fou ces…

Projetée dans mes souvenirs de mécanicienne, je revois

mes machines. Je les connaissais jusqu’au moindre boulon.

Je savais les capacités et les limites de chacune d’entre elles

sur le bout des doigts…mais tout à coup une présence

m’arrache à mes rêveries. Je sens un regard peser sur moi

depuis l’autre bout de la salle ou plutôt une ombre :

l’Immortel.

Il a disparu après le repas, et je continue ma journée sans

changer une seule virgule à mon emploi du temps, essuyant

les rabaissements de Ruddy et ses punitions. En soirée, nous

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sommes convoqués dans l’auditorium pour un nouveau

rituel orchestré par les Sages : la confirmation des binômes.

Près de moi, Tom a posé son coude sur l’épaule de son

ami Jarl. Clar et Rog ont une attitude en parfaite osmose.

Freyj, maternelle et protectrice, a sa main sur le bras de Luc.

Tous sont par deux à très faible distance l’un de l’autre, en

harmonie.

Le silence règne dans l’auditorium. Même les pensées

sont calmes et sereines. Les doutes des précédents jours sont

à cet instant complètement occultés par l’entente cordiale et

la plénitude qui s’installe en chaque doublon.

L’Immortel est à cinq mètres de moi au moins, dans le

coin le plus sombre de la pièce, les bras croisés comme une

barrière de plus entre nous. Sa capuche baissée ne regarde

personne et rien ne transparait de son esprit indéchiffrable.

Seule sa silhouette impressionnante semble vouloir ajouter

encore des distances. Je reste seule, les bras ballants, le

poids de mes doutes sur l’estomac.

Les Sages expliquent. Le rituel de consentement mutuel

consiste en deux phrases prononcées ensemble, main sur

l’épaule de son coéquipier. Dans la salle, une sorte de ballet

se met en place. Chacun se tourne vers son équipier, dans un

élan fraternel.

Il est resté dans l’ombre ; je n’ai pas bougé, le regard vers

le sol.

Alors, une invocation résonne en écho dans toute la salle

:

- Je reconnais en toi mon frère d’armes : je t’offre

mon bras et ma protection et suis honoré de recevoir

les tiens. Je suis ton double et tu es le mien.

Il a gardé le silence ; moi aussi.

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Les Sages ont balayé la salle du regard, hochant la tête en

guise d’approbation. Puis leurs yeux se posent sur moi, leur

tête se fige dans une expression de blâme. Et ils me

regardent sortir de la salle avec froideur.

J’ère ensuite dans les couloirs, les mains enfoncées dans

mes poches, les yeux sur mes chaussures, évitant tous ceux

qui marchent par deux.

Devant les écrans affichant la progression de l’ennemi,

les élus s’arrêtent maintenant par binômes. Le Drakkar Noir

et son équipage ne sont pas encore visibles dans l’espace

étoilé. Leur trajectoire est matérialisée par des points rouges

surplombés de flèches : une épaisse pour le vaisseau

principal, des dizaines pour le reste de l’armada ; des flèches

qui pointent vers nous depuis le haut du mur, comme des

épées de Damoclès au-dessus de nos têtes. Et tout autour,

des nuages de points symbolisent leurs chasseurs et leurs

transporteurs bourrés de Mercenaires. Une voix dans mon

dos se fait l’écho de mes interrogations :

- Moi, je crois que chaque binôme se verra affectée à

un vaisseau à infiltrer et saboter. Lequel choisirais-

tu, Jarl ?

Je me retourne ; Tom est près de moi, Jarl à ses côtés.

- Je ne suis pas pilote de chasse, je leur laisse les

chasseurs ennemis et les transporteurs. Il y a là de

nombreux vaisseaux de bases. Regarde, Jarl. Ça doit

être les grosses flèches qui entourent le Drakkar

Noir. Ils sont sûrement chargés jusqu’à la gueule

d’armes, de munitions et de vivre. Ça te dirait si on

s’en faisait un ?

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- Pas le genre de morceau facile. Cette horde de

sauvages ne nous laissera pas les saborder sans lever

le petit doigt. Il va y avoir du sang…Hum, ça me

plait.

- Et si c’était le Drakkar Noir qu’on attaquait ?

- Toi, tu as envie de rencontrer Arius…Vieux fou, va !

Non, ils n’enverront personne sur le Drakkar Noir.

Ce serait « mission impossible ».

Et il lui donne un grand coup de coude dans le ventre, ce

qui les fait rire tous les deux comme deux chiots.

- Et toi Gabrielle, fais ton choix !

- Seule, je n’arriverai à rien…

Alors ils haussent les épaules et s’en vont.

L’affichage n’a guère changé depuis le premier jour de

l’embarquement, la progression de l’ennemi n’étant pas

flagrante à cette distance. Et toujours pas la moindre image

ou information concernant les appareils ennemis. Ce qui a

changé, c’est le regard des autres sur cet écran, un regard à

deux, avec plus d’assurance et une envie plus structurée de

détruire l’ennemi. Oui, je me rends compte à quel point

l’idée des Sages était bonne de nous regrouper tous par

deux…tous sauf moi.

J’ai envie de fuir les autres, et m’engouffre dans les

coursives les moins fréquentées jusqu’à ma chambre. Peu à

peu les échos de voix s’estompent, mes pas sont maintenant

les seuls à résonner sur le métal du sol. Seul bat, plus

présent ici, le cœur de fer du vaisseau, dans un rythme

lancinant et sourd. J’ai totalement clos mon esprit, perdue

dans mes pensées. Je suis en bas des marches de mon

escalier lorsqu’une voix derrière moi me fait sursauter :

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- Tu suis toujours mes entraînements, P’tits bras! Ton

« double » ne t’apprend donc rien ? Ah, le duo que

vous faites ensemble ! Je crois que je sais maintenant

à quoi peut bien servir un petit agneau dans ton

genre : à servir de plat de résistance au monstre bien

sûr ! Tu dois être morte de peur ! Tu sais, ça me

ferait de la peine qu’il te fasse du mal. Si tu veux, je

pourrais te donner des cours particuliers de self

défense ? Allez, viens, je t’emmène essayer…

Ruddy est là, le sourire ironique, la démarche arrogante.

Dans son regard brille une étrange lueur, comme si plusieurs

paires d’yeux m’observaient. D’un bond il me barre la porte

de ma chambre :

- Non, je peux faire encore mieux que de te donner

des cours. Si tu restes avec moi, je peux te proposer

ma protection…Tu seras gentille…et en échange il

ne t’arrivera jamais rien de mal…Tu as ma parole !

Tout en parlant, il s’est approché de moi petit à petit. Il

commence à me caresser le bras. Apeurée, j’ai reculé dans

mon étroit couloir en cul-de-sac, consciente de l’inutilité de

ce geste. Je sonde son esprit pour y chercher une solution. Et

je découvre avec effroi ses intentions : soumission, violence,

et sexe se mêlent et lui procure une vive excitation. Mon

rythme cardiaque s’accélère et l’adrénaline file dans mes

veines. J’essaie d’identifier très vite mes échappatoires. Me

battre contre lui : même avec les enchainements appris à la

boxe, mes attaques manqueraient de puissance, je ne ferais

pas le poids ! Quand à imaginer le déstabiliser pour fuir,

autant essayer de déplacer un Migaster avec un doigt ! La

porte numéro un de mon voisin mystérieux est dans mon

dos. Je m’y précipite croyant y trouver refuge. Elle est

fermée à clé. Il s’est rapproché lentement, savourant déjà sa

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victoire. Dans ses yeux, une ombre passe. Ma peur monte

d’un cran. Excité par ma panique, il me plaque tout à coup

contre le mur et me gifle violement. Je me débats. Ses bras

enserrent ma taille, et il plante ses ongles dans ma chair…

Puis soudain, une voix caverneuse gronde derrière Ruddy et

nous fait sursauter :

- Ote tes mains de là et va-t’en !

Ruddy se retourne brusquement et se fige, interloqué, se

demandant s’il serait de taille à affronter l’Immortel. Dans

son esprit, il fait ses calculs et renonce. L’immortel s’écarte

pour lui laisser un chemin, et Ruddy ne demande pas son

reste. En partant il se retourne soudain et me lance avec un

air fourbe :

- Choisis bien ton protecteur, P’tits bras. Les

Immortels ne sont pas réputés pour leur douceur…Si

tu changeais d’avis, tu sais où me trouver…

Encore collée au mur et tremblante, je relève les yeux

vers l’Immortel, pas très rassurée :

- Merci…

- Ne me remercie pas. Après ton intervention au mess,

j’avais hâte de ne plus rien te devoir !

Et il s’éclipse aussi vite qu’il était apparu.

Jour J -12 avant l’affrontement.

Il fait nuit. On frappe à la porte de ma chambre. J’ai du

mal à m’extirper de mon lit, les paupières encore lourdes de

sommeil, les cheveux en bataille. J’ai mis une veste sur ma

chemise de nuit. J’entrouvre la porte. Une espèce de masse

noire encapuchonnée me pousse et entre : c’est l’Immortel.

Comment ose-t-il venir ici ? Et à cette heure ?

- Savais-tu que les Humains dorment la nuit ?

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 146

- J’ai parlé aux Sages. Mais ils ne veulent rien

entendre…

Il est furieux.

- Tu vas leur faire tes requêtes tous les jours ? Si tu

t’adresses à eux de la même façon qu’à moi, ce n’est

pas étonnant qu’ils ne veuillent pas t’écouter.

Il exulte :

- Cesse tes provocations ! Elles me donnent des envies

de meurtre ! Les Sages sont de vieux gâteux têtus !

Je suis allé leur demander de rompre notre binôme.

Et ils ont refusé ! Je suis venu apporter mon aide sur

ce vaisseau ; je n’ai pas l’âme d’un ange gardien. Tu

ne sais rien faire, je me suis renseignée sur toi. Onze

pour cent ! Il reste une solution : démissionne !

- Quoi ! C’est hors de question ! Mais comment oses-

tu venir me dire ça. Et sur ce ton ! Pas étonnant que

les Sages m’aient attribué un « onze pour cent » avec

un tel binôme ! Ne compte pas sur moi pour

abandonner !

- Au moins tu sauveras ta peau !

- S’il y a un mot qu’il ne faut pas prononcer devant

moi c’est bien « démission ». Tu n’es pas le premier

obstacle sur ma route, et je n’ai jamais renoncé à

aucun de mes plans. Trouve une autre solution ! Et

s’il te plait, joue ton personnage d’opéra à d’autres.

Ta voix d’outre-tombe et ton déguisement de

pénitent ne m’impressionnent pas !

Il siffle entre ses dents. Il n’a presque pas ouvert la

bouche pour me dire :

- Tu ne sais pas à qui tu t’adresses !

- Toi non plus !

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Il a reculé au fond de ma chambre ; glissé, je devrais dire

plutôt. Je m’attends à un déchainement de violence et

d’objets qui volent comme la dernière fois. Mais il se passe

un moment sans qu’un bruit ou un mouvement ne s’opère. Il

semble en proie à une lutte intérieure : l’air autour de lui est

comme électrisé par sa colère. Prise d’un frisson, je serre

plus fort les pans de ma veste contre moi et lui montre la

porte du doigt dans un geste déterminé, espérant qu’il saura

encore contenir sa furie. Mais il ne se passe rien.

Longtemps. Puis il semble s’être calmé et avoir pris une

décision :

- Les Sages ne nous ont pas laissé le choix. On va

devoir travailler ensemble. Tu ne sais pas te battre, et

il y a certaines choses que tu dois apprendre…

- Et c’est toi qui va m’entrainer ?

- Ce sont les ordres…Prépare-toi. Tout de suite.

Il sort. Je m’habille en vitesse, ma curiosité piquée au vif.

L’Immortel est très fort. Peut-être saura-t-il m’apprendre ce

que je n’arrive pas à faire avec Ruddy.

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CHAPITRE 13 L’ampoule

Je déchante vite…L’entraînement n’a rien qui m’aide à

devenir une guerrière. Il s’agit de manipulation de petits

objets nécessitant beaucoup d’habileté et de rapidité dans les

doigts. Ma déception n’a d’égal que ma stupéfaction face à

des gestes aussi inutiles en pleine guerre ! J’ai l’impression

d’être au cirque ! Pourtant, ces exercices semblent capitaux

pour lui. Il est exigeant avec moi, dans les moindres détails

et ne me laisse aucun répit. Il reste à une bonne distance de

moi, toujours encapuchonné, la voix froide et tranchante. Je

m’abstiens de toute provocation, espérant passer rapidement

à un entrainement plus classique. Mais ma patience

s’émiette :

- Ecoute, je ne comprends pas à quoi peuvent bien me

servir ces mouvements.

- Contente-toi de faire ce que je te montre, et dis-toi

que c’est vital pour toi.

J’essaye de toutes mes forces de garder mon calme

malgré la stupidité de la situation :

- Il faut que je sache où tu veux en venir pour que ce

soit efficace.

- Tais-toi ! Je te donne jusqu’à demain pour enchainer

ces mouvements parfaitement. Si tu n’y arrives pas,

je me débrouillerais pour que tu ne fasses plus partie

du Deus ex Machina…Je ne vais pas perdre mon

temps avec une incapable…

Mon exaspération est à son comble. J’exulte :

- Je risque ma peau dans ce combat et je n’ai pas de

temps à perdre à apprendre des tours de passe-passe.

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En quoi ces démonstrations d’illusionniste

pourraient-elles décider de mes aptitudes à rester à

bord du Deus ex Machina ? J’espère que tu as des

moyens de pression sur les Sages autrement plus

efficaces pour me faire renvoyer !

Cette fois, c’en est trop. Je m’apprête à partir quand sa

voix gronde derrière moi :

- Sur eux non, mais sur toi…

Monte alors de sa poitrine une sorte de râle animal à la

limite de l’audible, qui me donne des frissons. Puis un

énorme cri de fauve, qui me fait sauter d’un bond en arrière.

Il s’avance sur moi et sa masse sombre imposante me fait

reculer encore. Sa voix est maintenant caverneuse, presque

irréelle :

- N’oublie pas qui je suis, Gabrielle d’ « Aurore ». A

chaque instant, je lutte contre mes instincts violents

pour que tu restes vivante. Et je ne suis pas certain

de pouvoir résister encore longtemps…

Et j’accède enfin à son esprit. Des images

cauchemardesques se projettent : une forêt sombre. Une

chasse à l’Homme : je suis la proie. Je cours à perdre

haleine. Des images floues d’arbres noirs défilent à toute

allure, m’obligeant à changer constamment de direction.

Des racines noueuses qui me font obstacle. Des ombres

derrière moi…de plus en plus près. J’ai beau y mettre toutes

mes forces, mes jambes se dérobent. Comme dans un

cauchemar, mes pas ralentissent malgré moi. « Ça »

approche à toute vitesse. Soudain, une main accroche mon

épaule et me retourne violement ; Je crie. Des mâchoires se

jettent sur moi, crocs en avant ; je me débats, des mains

m’enserrent inexorablement. Les crocs s’abattent sur moi à

toute vitesse, déchirent ma chair. J’hurle d’effroi et de

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douleur. Les mouvements s’accélèrent. Tout devient flou.

Du sang partout…du rouge sombre, presque noir…puis plus

rien.

Instinctivement, j’ai mis mes mains sur mes yeux pour

éviter ces images d’horreur, sans pouvoir simplement arrêter

de lire dans son cerveau, comme si ces visions m’étaient

imposées. J’ai dû m’appuyer sur le mur sans m’en rendre

compte, je tiens à peine sur mes jambes; et mon cœur bat à

cent à l’heure.

- Si tu veux rester en vie, tu as deux possibilités : on

s’entraîne ensemble et tu es capable de faire ce que

je t’ai montré, ou bien tu démissionnes. Décide-toi !

J’ai enfin réussi à refermer mon esprit. Mes jambes

tremblent. J’attends que mon cœur se calme un peu pour

enlever mes mains de mes yeux. Les murs de tôle me

renvoient une lumière froide qui fait plisser mes yeux.

Quand je reprends mes esprits, il n’est plus dans la pièce.

Je viens juste de mettre un pied dans ma chambre quand

les lumières s’éteignent pour l’extinction des feux. Je réalise

alors que nous avons passé la journée entière à cet

entrainement. Je m’effondre de fatigue et m’endors aussitôt.

Mon sommeil se rempli instantanément de sombres

cauchemars noir et sang…La cape sombre et son « I »

grandit jusqu’à envahir mon champ de vision. Et tout à

coup, elle se retourne : de ses plis sinueux bondit un loup-

garou…

Jour J-11 avant l’affrontement.

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Je rejoins le mess tôt ce matin. Ma bande de camarades

est déjà là, toujours au même endroit ; même Emmanuelle

est à sa place habituelle, à la table d’à côté, dos à Rog. Mais

leurs visages sont tendu et leurs yeux cernés. Ont-ils du mal

à s’endormir eux aussi, en comptant leur chance de survie ?

- Qu’est-ce qui s’est passé ? On ne t’a pas vue de la

journée ! Tu n’es même pas allée voler !

- On a eu peur qu’il te soit arrivé quelque chose !

Je feins la désinvolture :

- Je m’entrainais.

- Avec lui !…

- Oui.

- …il ne t’a pas mangée…

- Pas encore. Tu sais, je ne suis pas très appétissante…

- Gabrielle, il ne faut pas plaisanter avec eux. Vous

vous entrainez à vous battre ? Est-ce qu’il…te fait

mal ?

- Non. Non…Tout va bien. Il ne me touche pas,

rassure-toi. Ce serait illégal !

- C’est déjà illégal que les Sages exigent de vous ce

rapprochement ! Mais, explique-moi un peu dans

quelle technique de combat on ne touche pas

l’adversaire ?

Comment se sortir de cette impasse ? Ce que j’ai fait hier

est impossible à raconter sans déclencher des fou-rires. Et

rien de ce qui s’est passé ne m’a donné envie de rire.

- Ben, je ne sais pas si sa technique a un nom. C’est un

peu spécial. Une sorte de technique de concentration,

…de yoga, je dirais…

- Ah oui ? Et c’est le yoga qui t’a épuisée à ce point ?

Tu as sacrément les traits tirés !

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- Ecoute ce n’est pas facile. Et je ne sais pas où tout ça

va m’amener…

- Ben voyons ! Tiens, ton « double » vient d’arriver. Il

ne se joint pas à nous ?

- Il se doute que cela ne ferait plaisir à aucun d’entre

vous. Est-ce que je vous demande pourquoi

Emmanuelle ne se joint pas à nous ?

Clar a blêmi, au bord de la crise de jalousie. Rog a serré

les poings, honteux et tiraillé, et juste derrière eux j’ai senti

Emmanuelle rougir, confuse et triste. Pourtant aucun d’entre

eux n’a répondu.

- Vous me fatiguez !

Sur ce, je me lève et m’installe seule un peu plus loin, le

nez plongé profondément dans mon assiette. Malgré moi, je

les entends :

- Il commence à avoir une influence sur elle !

- J’espère bien que non !

- Regarde la réalité en face : elle ne dit plus qu’elle ne

veut pas être son binôme ; elle a commencé à

prendre son parti ; et elle vient maintenant d’accepter

de s’entrainer avec lui !

- Tu crois qu’elle est en danger ?

- A ton avis ? Tu crois qu’on peut « s’entrainer » à se

battre avec un Immortel ? Je sens que cette affaire va

mal tourner…

- De toute façon, ils ne pourront jamais être vraiment

un binôme parfait. Tu te vois faire confiance à un tel

énergumène? Alors établir un lien fort, d’osmose, ça

ne risque pas ! S’ils devaient partir en mission

ensemble, ce serait une catastrophe !

- Je suis certaine qu’elle est en danger. C’est une

provocatrice née, incapable de se retenir. Et lui une

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 153

bombe à retardement. Un seul mot de travers et il

pourrait rentrer dans une de ces crises de violence

qui la tuerait !

Quelqu’un m’observe. Je relève les yeux. La tête

encapuchonnée est tournée vers moi. Il me fait signe de

le suivre. Lorsqu’il traverse la salle, sa silhouette noire

déplace comme un vent froid dans les esprits ; le « I »

rouge de sa cape s’est soulevé lorsqu’il a fait demi-tour.

Il est déjà dans la salle de sport lorsque j’arrive. Mais

cette fois, il a choisi une salle plus grande, avec du monde

autour de nous. Le message est clair, il ne veut pas me

mettre en danger mais je ne comprends pas pourquoi il

insiste tant à m’apprendre son drôle de jeu ! Il se tient

toujours loin de moi, sans rien me dire et nous

recommençons les mêmes gestes qu’hier. Inlassablement.

De plus en plus vite. Je suis rapide pour une Humaine. De

façon presque anormale. Pourtant cela ne semble pas lui

suffire. Par moment, il corrige mes mouvements, me fait

accélérer encore. Pour donner le change devant les autres,

nous effectuons aussi quelques mouvements de yoga, dans

lesquels les mains sont prépondérantes.

- Tu voulais que je démissionne hier, et aujourd’hui tu

veux qu’on s’entraine ensemble. Tu as l’habitude de

changer aussi souvent d’avis ?

- Je n’ai pas changé d’avis. Tu as décidé de me suivre.

Mais n’oublie pas ! Si tu n’arrives pas à ce que je

veux d’ici à ce soir, il faudra absolument que tu

partes. Je saurais t’en persuader…Maintenant, tais-

toi et bosse.

Et il s’écarte un peu plus de moi.

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 154

Lorsque la salle se vide pour la pause repas, il me fait

signe de partir rejoindre les autres. Puis tout recommence :

l’étrange ballet toujours plus rapide, sa froideur et sa

distance, les précautions qu’il prend pour que nous ne

soyons jamais seuls. Je m’applique, m’épuise. Jusque tard

dans la soirée. Petit à petit la salle commence tout de même

à se vider. Et lorsque la dernière personne s’en va. Il

s’arrête, face à moi. Je devine qu’il me regarde par-dessous

sa capuche.

Le défi qu’il m’a lancé prend fin maintenant. Est-il

satisfait ? Vais-je pouvoir lui résister s’il me menace ? Je

reste moi aussi campée sur mes jambes, prête à un éventuel

affrontement. Puis du capuchon sort un :

- Bonsoir.

Et il sort.

Je n’y comprends rien. Quelques instants plus tard, on

vient me chercher : les Sages m’attendent dans leur salle

d’audience.

- Gabrielle d’Aurore, votre double a voulu vous

enseigner un mouvement de défense très particulier.

Nous avons donné notre accord.

Ainsi les Sages savaient et approuvaient…Qu’est-ce que

L’Immortel a tramé derrière mon dos ?

- Il vient de nous informer que vous êtes prête. Nous

allons vous expliquer à quoi servent ces gestes.

Et ils me tendent un petit objet long en verre, une sorte

d’aiguille avec un renflement au centre contenant un liquide

transparent.

- Cette ampoule contient un puissant narcotique. Cette

dose est calibrée pour neutraliser un Immortel en cas

d’attaque. Bien entendu, il est impératif qu’elle ne

soit utilisée QUE pour un Immortel. Une telle dose

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 155

tuerait un Humain à coup sûr. Vos ordres sont de la

conserver toujours sur vous à portée de main. En cas

de danger, les gestes que vous avez pratiqués vous

permettront de planter rapidement cette ampoule

dans le corps de l’Immortel qui vous aura agressé.

Elle ne se cassera qu’avec les gestes qui vous ont été

montrés. L’habilité de vos gestes vous permettra de

surprendre votre adversaire et de faire mouche.

- Vais-je devoir me battre contre des Immortels ?

Un des Sages tente d’étouffer un rire cynique :

- Le seul Immortel que vous côtoierez est Faustus.

C’est lui qui a souhaité vous armer de cette ampoule

pour vous protéger de lui.

Je suis sous le choc de cette révélation.

- Je vous conseille néanmoins de faire en sorte de ne

jamais le provoquer. Rappelez-vous que votre

serment ne peut être rompu. Tels sont nos ordres. A

vous de faire le nécessaire pour vous entendre. Vous

n’avez pas le choix... Vous pouvez disposer.

Ce soir-là encore, je n’arrive pas à m’endormir. Bien des

« pourquoi » tournent en boucle dans mon esprit.

Un peu sonnée, un peu rêveuse, je pars errer à travers les

couloirs du vaisseau, à la recherche du sommeil que je

n’arrive pas à trouver. Sans m’en rendre compte, mes pas

m’emportent vers du bruit et de la musique. On s’amuse et

on danse par ici, sans doute pour chasser le stress de la

journée. Tout à coup, Je suis tirée par derrière. Ruddy

m’attrape violemment !

- Alors, P’tits bras, on se ballade sans son double ?

C’est dangereux pour une jeune fille sans défense

comme toi. Tu n’as pas peur de faire de mauvaises

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 156

rencontres ? A moins, que tu aies changé d’avis et

que tu quémandes mon aide ?

Dans ses yeux une ombre passe. Je commence

sérieusement à être intriguée par cette manifestation. Mais je

n’ai pas le temps de sonder son esprit que sa bande arrive

derrière lui. Je siffle entre mes dents :

- Ruddy, nous n’allons pas pouvoir rester seuls

longtemps. Regarde qui va là…Lâche mon bras

espèce de fumier !

Sa rage est montée d’un cran. Il est embarrassé devant les

siens. Mais au lieu de me laisser, il se met à parler fort en

me collant ma main sur le front :

- Tu vas me saluer, espèce de tête de mule ! Allez !

Et tout doucement pour que les autres n’entendent pas :

- Tu viendras à moi, P’tits bras. Tu ne pourras pas le

supporter longtemps. Alors tu auras besoin de ma

protection…

- Arrête de la secouer comme ça, Ruddy. Pas la peine

d’y passer tes nerfs. Tu n’as qu’à l’envoyer au

labyrinthe.

- Ca fait déjà deux fois qu’elle y va Rocky ! Et

regarde-moi cette entêtée !

- T’inquiète, elle finira par lâcher prise. Y en a jamais

aucune qui t’a résistée, n’est-ce

pas Gabrielle!…allez, laisse-là…

- P’tits bras : trente minutes demain…

J’ai envie de l’étrangler, mais je garde le sourire qui

l’agace tant et plonge mes yeux dans les siens :

- Tu n’as pas peur que je m’habitue, Ruddy ?

Son regard a tourné au vert. Qu’est-ce que c’est que cette

ombre ? Pas le temps d’en savoir plus ; ses acolytes

l’attrapent par le bras pour éviter qu’il me réduise en

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 157

bouillie et l’entrainent plus loin. Je crois que j’énerve bien

Gonflette : son esprit était en fusion ! Nous verrons bien qui

des deux lâche prise le premier…

Je viens juste de tourner dans le couloir, qu’une main à

nouveau agrippe mon bras. Je sursaute : Luc !

- Eh, Gabrielle ! Tu as une tête à avoir besoin de te

distraire. Un zombie a le teint plus frais. Allez !

Viens t’amuser avec nous. Tu nous raconteras ce que

tu as bien pu faire de plus important que

l’entrainement avec l’escadron ! Délanaux était en

rage après nos Vénérables Sages, tu sais !

- Les Sages ? Comment ça ?

- Oui, quand hier ils lui ont fait annoncer qu’ils te

retenaient pour un autre entrainement et que tu ne

pourrais pas te joindre à l’escadron ces deux jours; il

s’est mis à crier aux fous, en déclarant qu’il ne lui

était pas possible de mener à bien sa mission dans de

telles conditions et qu’on ne pouvait pas décider à la

dernière minute d’un tel changement dans

l’équipe…Bref il s’est défoulé. Et quand il a eu fini,

il a nommé Stephen pour voler à ta place !

L’escadron. J’ai oublié l’escadron et l’entrainement en

vol. Et tous les pilotes. Deux jours pratiquement en vase

clos avec l’Immortel m’ont fait oublier ce qui fait l’essentiel

de ma vie. Et les Sages ont couvert mes absences ! Tout à

coup je me vois dans les yeux de Luc : une folle

complètement déphasée. Il me tapote le dos gentiment :

- Allez, je t’emmène !

Je le suis sans rien dire, et m’enfonce un peu plus vers le

bruit.

- Regardez qui je vous amène…

Rog est enthousiaste :

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 158

- Une revenante ! Regarde, Gabrielle, ce qu’on a fait

de cette salle ! C’est fête ce soir. Des potes de

Zouloudou nous font un concert ! On a trouvé

quelques boissons pour improviser un bar. Et il y a

de belles filles partout. Reste plus que la déco qui

laisse à désirer…les murs en tôle, ce n’est pas

formidable pour la sono, et il manque quelques spots

pour l’ambiance. Mais on progresse, tu ne trouves

pas ?

La salle est bondée, la musique envahissante, et les

lumières font plisser mes yeux. Après deux jours de

concentration intense dans une salle presque vide et

silencieuse, je suis sonnée par toute cette agitation. Je force

un sourire pour être à la hauteur de son enthousiasme.

- Bravo.

Clar et Freyj sont déjà en pleine discussion avec Anton,

le gars de Trisquelle qui hait tant l’Immortel. Il me lance un

regard noir et se détourne de moi avec dégout.

Deux jeunes femmes et un homme que je ne connaissais

pas se sont joints à eux. Leur corps élancé et souple me fait

penser à des lianes, des lianes musclées tout de même. Je les

aurais bien vus dans un défilé de mode plutôt qu’ici.

Evidement les yeux des mâles environnants brillent pour les

deux demoiselles. Quant à l’homme qui les accompagne et

qui semble un peu plus âgé, j’avoue qu’il attire l’œil. L’une

des deux jeunes femmes m’observe avec curiosité :

- Ah, c’est toi le …la … disons l’équipière de

l’Immortel ?

Son ton est hautain, et dans son esprit je lis beaucoup

d’arrogance. J’ai l’impression de tremper dans un bain

d’acide. Mais je suis dans un tel état de fatigue que je ne

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 159

ressens aucune colère monter à ma gorge. Devant ma grise

mine, Rog intervient :

- Gabrielle, je te présente Lise et Eléanore. Un binôme

hors pair ! Elles viennent de la planète Center…

Il s’est tourné vers elles en disant cela, et ses yeux sont

restés accrochés sur l’une d’elles.

- Emmanuelle n’est pas avec toi…

J’ai laissé ma phrase en suspens, et Rog m’a fusillé du

regard.

L’homme à côté de Lise et Eléanore intervient, voyant

qu’on l’oublie :

- Et moi, je suis Raphael, un Center également.

Sa silhouette de mannequin baraqué, ses beaux yeux bleu

lagon, son visage fin et épuré, sa cicatrice sur la tempe façon

« loubar chic », tout dans son aspect est parfait. Parfait et

lisse. On sent qu’il prend soin de son apparence, du choix de

ses vêtements, fluides et entièrement blancs, pour faire

ressortir son bronzage. Une couverture de magazine : très

belle image sans épaisseur. Il me sourit, et son sourire

l’humanise, lui donne un peu de relief.

Eléanore semble vouloir faire connaissance à sa façon :

- Sais-tu que notre planète est celle qui est la plus

représentée dans « le Deus ex Machina ». Il faut dire

que nous suivons tous une formation de haut niveau.

Et toi, de quelle planète viens-tu ?

- La planète Aurore.

- Hum, connais pas…

- C’est aux portes de l’Alliance. Bien loin de chez

vous.

- As-tu eu l’occasion de visiter la planète du

centre ?...Chez nous on la surnomme « Center ».

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 160

Luc enthousiaste se mêle à la conversation, indifférent au

ton hautain de cette donzelle :

- Je n’y ai mis les pieds qu’une fois, mais je rêve d’y

retourner. Gabrielle, si tu voyais les engins spatiaux

qu’ils ont là-bas ! Sûrement rien à voir avec les

« fers à repasser » sur lesquels tu as appris à

piloter…

Les deux filles en forme de lianes rient à gorge déployée.

Rog est subjugué. S’il le pouvait il gouterait à leur sourire

de midinettes. Agacée, je tente pourtant de donner le change

dans la conversation mais le cœur n’y est pas. Quand la

discussion revient sur l’Immortel, mon état d’esprit

s’assombri encore.

Cette fois, c’est Lise qui se lance sur le même ton :

- Pourquoi ton Immortel couvre-t-il toujours son

visage ? Ce monstre est-il si laid ? L’as-tu vu

Gabrielle ? Ciel, cela doit être horrible d’être

l’équipière d’un tel spécimen !

Décidément, ces airs hautains et ses préjugés

m’exaspèrent et je crois bien que mon sang a commencé à

s’échauffer :

- C’est le combattant le plus compétent à bord du

Deus ex Machina. Pourtant, je ne crois pas qu’il se

soit formé sur ta planète...bien qu’il en soit

originaire, en quelque sorte…

Soudain, les « Centers » se sont tous figé, un mélange

d’outrage et de culpabilité dans le regard. Une chape de

plomb pèse sur nous. L’histoire que m’a racontée

Emmanuelle sur l’origine des Immortels est donc vraie. Lise

est la première à reprendre ses esprits :

- Comment peux-tu dire une chose pareille. Bien sûr

qu’il n’est pas venu chez nous et il n’y mettra jamais

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 161

les pieds ! Je commence à comprendre pourquoi

vous formez une équipe : deux acariâtres

ensembles !

Anton, qui était en pleine discussion avec Freyj, s’est

arrêté net de parler. Son regard d’acier s’est fixé sur moi. Il

connait visiblement cette histoire. Il se tait mais je sens sa

haine pour moi. Un mot s’est formé dans son esprit :

corrompue.

Clar ne semble pas avoir compris mon allusion. Elle

s’interroge sur l’emprise que son entrainement exerce sur

moi.

Et Rog en rajoute:

- C’est vrai que tu deviens un vrai dragon. Toujours de

mauvaise humeur, prête à cracher le feu…C’est

malsain que tu t’entraines avec lui…la preuve, tu

n’oses même pas en parler…Allez, Lise, laissons-la

et viens danser avec moi, cette chanson, c’est ma

préférée…

A quelques pas de là une silhouette aux belles boucles

brunes s’est éclipsée, blême. Rog n’a rien vu. Luc tend sa

main à l’autre fille en guise d’invitation à danser :

- Eléanore…

Je les observe, aigrie. Quels peuvent bien être les talents

de ces deux filles, à part le charme incontestable qu’elles

semblent exercer auprès de la gente masculine ? Je me sens

comme une provinciale qui découvre le monde.

Sur la piste, Rog est penché vers Lise, bien plus petite, le

corps dangereusement en déséquilibre. Après ces deux jours

à huis clos, ces mondanités m’exaspèrent et me choquent.

Non, c’est un peu faux. Ce n’est pas lié à ces deux derniers

jours. C’est vrai que sur ma planète, les distractions ne sont

pas nombreuses et la population peu boute en train. Et puis,

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 162

j’ai toujours été une solitaire. Mon statut ne me permettait

pas de me détendre librement, ma tare m’a isolée un peu

plus.

Freyj, fidèle à ses habitudes, est déconnectée de ce qui se

passe alentour et a suivi le fil de ses pensées. Elle me prend

à partie :

- Je suis certaine que toi aussi tu suis les cours de

pilotage de Luc ! Anton, elle pourra te confirmer ce

que je viens de te raconter ! C’est prodigieux ce qu’il

fait : il imagine un vol et le raconte aux autres. Et

chaque pilote doit faire la manœuvre appropriée. S’il

n’y arrive pas, Luc s’en rend compte et le corrige. Il

est incroyable ! Dis-lui Gabrielle !

- C’est vrai Luc est le meilleur de nous tous.

Avec les autres partis sur la piste de danse, Anton a pris

de l’assurance :

- Je croyais que c’était ton Immortel le plus fort…

- Chacun de nous a ses propres talents, l’Immortel a sa

force, Luc son adresse au pilotage. L’essentiel est

que ces talents soient bien exploités pour nous

permettre de gagner cette guerre ! Et toi, Anton,

quelle est ta spécialité ?

- Gardien de la morale et de l’intégrité…

- A ne pas confondre avec admonestation et

intolérance…Et au combat ?...

- Connaissez-vous les lois qui permettent aux

Humains de se protéger des Immortels ? Tout

contact physique est interdit. Tout manquement à

cette règle est puni d’un an de prison. Et le plus

surprenant dans tout cela, Gabrielle « les P’tits

bras », c’est que la peine s’applique non seulement à

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 163

l’Immortel mais également à la personne touchée.

C’est d’autant plus injuste que chacun sait que le

temps pour ces monstres ne s’écoule pas de la même

façon ! Un an pour eux, ce n’est rien, tandis que pour

une humaine…enfin si tu restes en vie bien sûr.

- C’est comment, la prison, Anton. Raconte-moi ton

expérience…

Le bleu clair de ses yeux a encore pali. Il se tourne vers

Freyj pour éviter de me répondre. Mais l’éclair de souvenirs

dans son esprit m’a suffi…la prison…quatre ans pour

piratage informatique, détournement de fonds et vol de

données ultraconfidentielles… C’est donc à cela qu’il

occupait ses journées de solitaire sur son bateau maison!

- C’est dangereux : on est enfermé en permanence

avec des personnes qui ne vous veulent pas

forcément du bien. Et quand on n’est pas très

costaud, il vaut mieux s’allier à des protecteurs

puissants pour survivre, sinon on craque comme

Justine ou bien on est aidé à craquer...

Je le regarde de biais ; Il a repris sa conversation avec

Freyj et sa physionomie a totalement changée, il parle à

nouveau avec animosité :

- Je sais ce qu’il manque à ton coéquipier : un

lecteur/enregistreur de pensées ! J’ai déjà réalisé

quelque chose de similaire...Voyons voir…Il me

faudrait un électro-encéphalogramme miniaturisé

connecté avec un décodeur…il suffirait ensuite de le

brancher à un projecteur…ouais, écoute, j’ai une

idée géniale. Si ça marche, ton Luc va devenir un

super instructeur ! Il faut tout de suite que j’aille

bricoler ça…on se voit demain.

Il se tourne vers moi, les yeux pleins de haine :

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 164

- Bonsoir onze pour cent…

Et il part comme une flèche, retrouver sa chambre

remplie d’électronique.

Freyj se tourne vers moi :

- Au fait Gabrielle, tu connaissais Justine ? La planète

Bories, c’est tout près de chez toi, non ?

- Pourquoi ?

- Tu n’es pas au courant ? Elle s’est suicidée – au

stand de tir. Pas beau à voir parait-il…

- Et…quel était son pourcentage ?

- Vingt-huit. Apparemment ce sont les derniers de la

liste qui ne supportent pas la pression…

Freyj se fige en voyant Clar pâlir et réalise tout à coup

quel est mon score. Gênées les deux amies s’éloignent, me

laissant seule face à Raphael. Il pose un regard bienveillant

sur moi :

- Un problème, Gabrielle ?

- Non.

Apparemment, il ne sait rien. Son attitude, son sourire de

publicité pour dentifrice n’a pas le charme qu’il escompte

sur moi. Et sa sollicitude, son air de confessionnal m’irritent

au plus haut point. Je le fixe, par provocation. Quel âge

peut-il avoir ? Des mèches blanches s’éparpillent dans ses

cheveux bruns, mais aucune trace de ride au coin des yeux.

Son visage est harmonieux, comme tous les Center. Puis

j’ose le regarder dans les yeux : intelligents, des reflets vert-

d’eau à se noyer si on n’y prend garde. Alors je plonge dans

son âme : un lac de montagne aux eaux profondes et calmes

dans lesquelles se reflète un ciel immense sans nuage. Je lui

souris, sur la défensive :

- C’est juste que je n’ai pas l’habitude de m’amuser de

cette façon. Sur ma planète, on accorde peu de place

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aux activités ludiques et festives. On n’a pas à notre

disposition des robots pour faire notre boulot.

- Eh, bien, c’est l’occasion d’essayer. Je veux dire

pour t’amuser. Veux-tu danser avec moi ?

J’ai failli lui dire non. Il me regarde : le lac. Sa main est

tendue vers moi. Une balade en montagne me fera du bien

pour oublier. Je prends sa main.

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Loin de là…

11ème calende du mois de mars Trisquelien –

1310ème année de la Déesse

Encore des rituels ridicules ! Quelle idée saugrenue

que ces binômes « ensemble vous aurez la force pour

vaincre ». Comme si c’était suffisant ! La plupart ne se

connaissent même pas. Pauvres guerriers, ils vous envoient à l’abattoir. Si seulement ces vieillards avaient

autant de créativité pour les stratégies militaires…Et

quelle erreur d’intégrer cet Immortel au rituel des

binômes. Ils vont se mettre tout le Deus ex Machina à

dos. Même le monstre ne semble pas trouver cela à son

goût !

12ème calende du mois de mars Trisquelien –

1310ème année de la Déesse

Mon fils, tu n’es qu’un faible ! Combien de fois faut-

il te répéter que les jeunes filles sont fragiles et qu’il faut

être poli avec elles ! Ah, je ris, imbécile ! Toi et ta

passion pour les donzelles ! Au fond tu es comme moi et

ma passion pour les araignées : tu aimes détruire dès que

tu possèdes. Et tu cours encore après ces êtres

insignifiants ; jamais rassasié. Je t’ai pourtant laissé attraper toutes celles que tu voulais quand tu étais avec

moi ! Mais cela ne t’a pas suffi. Crois-tu que ceux qui

ont mis la main sur toi seront aussi indulgents que moi ?

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 167

Enfin, amuse-toi si cela te chante ! Mais fais bien

attention à ne pas trop la regarder dans les yeux. J’ai

senti ses doutes. Elle ne doit pas me découvrir …

De toute façon, tu continues à bien me servir puisque

l’objet de tes désirs est l’équipière de l’Immortel. Tu ne

pouvais pas mieux choisir pour mes plans ! La chance

me sourit…

Tu la suis partout dans tes temps libres mais il semble que tu aies tout de même du mal à lui mettre la main

dessus ! C’est étonnant de ta part. Oui, elle s’est trouvé

un protecteur redoutable, la maligne. Et elle te résiste

toujours, parbleu ! Elle se sent forte maintenant. Mais tu

es comme moi, tu aimes quand il y a plus de piment...

Continue à la suivre…et tu me mèneras à lui.

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CHAPITRE 14 1er entrainement

Jour J-10 avant l’affrontement.

Je suis à table pour le petit déjeuner, mes camarades

autour de moi. Toute la bande est là : Clar et Rog, Tom et

Jarl, Freyj et Luc, Lise et Eléanore, et Raphael. Mais je ne

les écoute pas, rêveuse. Déjà six jours se sont écoulés sans

que je sente le moindre progrès dans mes aptitudes au

combat. Je ne veux pas mourir. Je veux me préparer à cet

affrontement, de toutes mes forces. Il est déjà si tard.

Comment les Sages peuvent-ils me laisser perdre tout ce

temps ? Dans leurs plans, ont-ils prévu que je survive ?

Comment mes camarades peuvent-ils être aussi

désinvoltes ? Leur conversation est animée. Elle tourne

autour des robots intelligents créés par les habitants de la

planète du milieu. Lise vante bien entendu les qualités de

ces inventions comme si elle en avait elle-même conçu les

moindres boulons!

- Nos Vaucans sont issus d’une biotechnologie

extrêmement pointue. Savez-vous qu’ils sont dotés

de cerveaux humains ! Nos chercheurs ont réussi la

prouesse de cultiver des cellules de cerveau

d’hommes et de femmes et de les greffer sur des

circuits électroniques. Nous récupérons l’esprit des

morts à l’instant de leur dernier souffle et le

transférons dans le cerveau artificiel. Ainsi nos

robots pensent comme des Humains. C’est

l’imminent professeur Vaucan qui a le premier réussi

cet exploit …

Quelle suffisance. Je n’y résiste pas :

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- Oui, bien sûr, vous ne pouviez plus créer de

nouvelles races par des manipulations génétiques…

Elle est choqué mais tente de ne rien laisser paraitre :

- Bien que ce ne soit que des machines, leur

raisonnement intellectuel est le même que le nôtre !

Et ils peuvent même ressentir des émotions ! Leur

cerveau est connecté à une puce électronique qui a

été programmée avec des valeurs de respect et

d’équité, ainsi qu’un code de protection des

Humains.

- Je me demande comment ils peuvent accepter dans

ces conditions d’être vos esclaves.

Elle me fusille du regard. Elle est sur le point de perdre

ses moyens :

- Ils ont l’avantage d’être physiquement très résistants.

Par exemple, Gabrielle, je doute qu’un Immortel

puisse s’attaquer à l’un d’eux. Notre planète a fait

don de nombreux exemplaires à bord du Deus ex

Machina pour assurer notre sécurité. Ils pourront le

moment venu partir en mission comme nous tous. Ce

sont toutes ces innovations technologiques qui font

de notre planète une des plus riches.

Malheureusement, d’après ce que tu nous as dit sur

la tienne, il semble que la population attardée

d’Aurore ne puisse atteindre ce degré de

développement.

Je saute de mon siège pour l’empoigner. Rog m’attrape

par les épaules et me bascule sur la chaise ; ses bras me

maintiennent fermement assise. Puis il tape sur la table avec

une main en guise d’avertissement : quatre doigts allongés

et le pouce replié. Et dans son regard le message est clair :

déjà quatre ennemis à bord ; ça suffit. Lise est figée, poings

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 170

serrés, prête à bondir. Autour de la table, chacun retient son

souffle. Seul Raphael est serein. Je plonge dans ses yeux

pour me calmer.

En arrière-plan, juste derrière lui, une ombre a bougé : la

silhouette sombre de mon binôme s’est levée. Et comme le

jour précédent, la tête encapuchonnée se tourne vers moi et

s’incline lentement pour que je le suive. Je frissonne.

J’entre. Il est seul au milieu de cette petite salle de sport,

à quelques pas du punching-ball, imposante masse noire,

immobile tel un spectre. J’avance un peu vers lui et m’arrête

à bonne distance. Il se met à parler bas et sa voix caverneuse

semble sortir de bien plus loin que du fond de son capuchon.

- Les Sages ont des plans pour toi. La mission qu’ils

veulent te confier est de la plus haute importance et à

très haut risque. Elle nécessite une force et un

courage hors du commun. Et tu n’en es pas digne.

Mais les Sages sont formels : ils exigent que je te

prépare à cette épreuve.

Sa voix me glace mais après l’altercation du petit-

déjeuner, mon sang boue encore dans mes veines. Je

contracte tous mes muscles pour me contenir.

- J’ai donc prévu un programme en conséquence. Je

doute que tu tiennes le coup mais saches que je m’en

moque éperdument. Tu vas devoir te surpasser en

permanence ; tu seras épuisée en permanence. Et tu

m’obéiras au doigt et à l’œil, même si tu dois en

mourir de fatigue.

Moi la fille d’un roi, courber le dos devant ce pariât ?

J’enrage !

- Tu découvriras bien vite qu’obéir n’est pas mon fort.

Il va falloir que tu me montres le bien-fondé de tes

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« directives » ! Et pas la peine cette fois de me faire

le grand numéro de la bête féroce.

Il s’est penché vers moi, l’index en l’air ; je n’ai pas pu

m’empêcher de faire un pas en arrière. Sa voix glaciale

refroidi mes veines, comme s’il y faisait couler ses paroles :

- Que les choses soient claires : je ne partage pas

l’enthousiasme des Sages à ton sujet.

Personnellement, je pourrais passer mon temps à des

choses plus intéressantes. Alors, tu me suis ou tu

retournes avec Ruddy.

J’ai encore l’image des quatre doigts de Rog qui tapotent

sur la table, et celle des mains de Ruddy attrapant ma

taille…

L’Immortel a pris mon silence pour un acquiescement :

- On commencera tous les matins par des

échauffements. Puis on fera quelques exercices de

lutte, de boxe, …on verra plusieurs techniques de

combat. Il te faudra travailler aussi ton endurance

physique et mentale et ta rapidité. On fera des

courses à pieds, des…

- Mais ce que tu proposes n’a pas l’air très différent de

ce que je faisais avec Ruddy. Je ne vois pas

comment je pourrais progresser mieux avec toi

qu’avec lui.

- Mes connaissances sont grandes…et Ruddy n’est pas

assez dur avec toi. Assez discuté ! Début du

programme ce matin : boxe.

Il s’approche du punching-ball ; j’ai un peu reculé. Il sort

les bras de sa cape intégrale et sans toucher le sac de force,

il se met à enchaîner les mouvements, lentement, tout en les

expliquant à voix basse. De sa masse noire impressionnante

ne dépassent que ses mains. Ses gestes sont fluides et sans

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aucun bruit. Ses poings. Tout ce que je vois de lui se résume

à ça : deux larges mains serrées jusqu’à en faire saillir les

veines. Une seule suffirait probablement à m’étrangler si

l’envie lui en prenait. Et je ne serais certainement pas assez

rapide pour l’en empêcher.

Il a fini ; il recule. Il me fait signe de la tête. Je suis

surprise, et déçue. Rien ne semble différent des

entraînements de Ruddy. A mon tour, je refais les mêmes

gestes. Et puis, bien vite, je déchante encore : rien ne lui

convient.

Vingt fois je refais le même enchaînement tantôt pour un

pied mal placé, tantôt pour un coude pas assez haut. Les

détails qu’il relève sont insignifiants ; les précisions qu’il

demande sont au millimètre. Et quand, à bout de nerfs,

j’arrive enfin à ce qu’il veut, il exige plus de rapidité.

Encore. Encore. Inlassablement. Voilà au moins cinq cent

fois que je refais ces mêmes gestes. J’ai les muscles

douloureux, le souffle court et je commence à tituber de

fatigue :

- Pause. Il faut que je reprenne des forces.

- Déjà ? Tu n’as que ça en réserve ?

Le ton de sa voix est violent comme un coup de pic à

glace.

- Tu n’as aucune endurance. On n’arrivera à rien de

cette façon…

Il tourne en rond, tête baissée, au bord de l’énervement,

remplissant la pièce de sa masse noire et de sa tension :

- Bon. Il va falloir employer des méthodes plus

radicales…Continue l’enchaînement que je t’ai

montré, le plus vite possible… Ne t’arrête que

lorsque tu seras vraiment au bord de l’épuisement,

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seulement quand tu ne pourras plus tenir sur tes

jambes…

- Je ne suis pas une immortelle !

- Continue, c’est un ordre ! Ou je ne donne pas cher de

ta peau !

Il a craché ces mots tout près de mon visage, comme des

boulets. L’air autour de lui est sous haute tension. Outrée,

j’ai stoppé mon entraînement, et le défi du regard. Nous

sommes face à face, le capuchon noir me dépasse presque

d’une tête. Je me campe sur mes jambes, j’enfonce mes

mains dans mes poches…et rencontre l’ampoule. Il a suivi

mon geste ; il a compris :

- C’est grâce à moi que tu détiens ce calmant.

Réfléchis : si j’avais voulu avoir de l’emprise sur toi,

je ne t’aurais pas appris à t’en servir !

Ses mots tranchent l’air ; ses poings aux veines saillantes

sont serrés le long de sa cape ; sa voix gronde toute sa colère

de me voir le menacer, et sa difficulté à la contenir. Je lui

lance encore un regard noir pour la forme :

- Immortel ou pas, je ne permettrai à personne de

m’avilir ! Compris ?

Il ne bouge pas et ne dit rien. Alors je lâche l’ampoule et

me replace lentement devant le punching-ball. A bout de

forces mais la rage au cœur, je reprends l’enchaînement. Je

frappe, frappe sans fin. D’abord les muscles de mes bras et

mes mains sont en feu. Mais il est hors de question de le lui

montrer. Puis petit à petit je ne sens plus rien, et mon corps

se ramollit, mes jambes commencent à vaciller et je rate des

pas. Il m’a défié ; je n’arrêterai pas. Au bout d’un moment,

ma vue se trouble et mon esprit s’embrouille. C’est alors

qu’il intervient à nouveau, la voix plus calme :

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- Ok, stop. Tu vas te mettre face à moi. Je vais te

montrer une technique de récupération rapide. Tu

vas fermer les yeux et faire le vide, comme au yoga.

Tu vois ce que je veux dire ?

Il s’est approché de moi. Il me dépasse presque d’une

tête. L’ombre de sa capuche plonge sur mon visage, à

quelques centimètres. Je me retiens de reculer et tente de

rester tant bien que mal debout sur mes jambes :

- Oui…

- Bon. Détends-toi… Je vais toucher ta nuque. Ne

bouge pas, je ne te ferais aucun mal. Tu as confiance

en moi ?

Je cherche un regard dans ce trou noir qui me parle : rien,

je ne vois rien.

- Tu ne me fais pas peur!

Pour le lui prouver, j’ai fermé les yeux. A bout de forces,

je dois lutter pour ne pas perdre l’équilibre. Ma main est

collée contre mon pantalon. A travers l’étoffe, je sens le

renflement de l’ampoule.

- Tu peux mettre ta main dans ta poche si ça te

rassures …

A ses propos narquois, j’écarte ma main de l’étoffe, et

dans un dernier effort, je lève mes bras en croix par défi :

- Je suis prête…

Il a dû encore s’approcher : même les yeux clos, je

ressens comme un froid près de moi. Sa main écarte

lentement mes cheveux pour passer autour de ma nuque ; je

frissonne à son contact. Malgré l’extrême fatigue, je reste

aux aguets, la main prête à plonger dans ma

poche…Brusquement, deux doigts font pression sur mon

cou dans une décharge électrique. J’ai sursauté.

- Ça ne va pas faire mal.

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 175

Il me provoque. Je résiste. Ses doigts irradient une

énergie violente. Puis une vague immense cherche à se

répandre dans tout mon corps ; une déferlante. Tous mes

muscles se sont crispés, bloquant la vague ; ma main a déjà

agrippé l’ampoule.

- Ne lutte pas contre ce que tu ressens…

Pourquoi est-ce que je sais que je vais l’écouter ? A cause

de sa voix posée et pleine d’assurance ? Poussée par une

irrésistible curiosité ? Attirée par une expérience dangereuse

et excitante? Je respire à fond et ouvre le chemin à cette

onde qui m’envahie rapidement, comme un fluide qui

s’écoulerait dans toutes mes veines. Venin ou sève

nourricière ? L’onde enfle et devient tellement puissante

qu’elle en est effrayante.

Il retire sa main brusquement, incapable d’en contrôler la

force autrement. Mais même sans son contact, je sens

encore son énergie, comme une bulle qui se dégage de lui et

m’englobe. Rapidement pourtant, la bulle se rétrécie,

jusqu’à disparaître. J’ouvre les yeux et sursaute : le trou noir

du capuchon est penché tout près de moi et laisse échapper

d’une voix inquiète :

- Ça va ?

A mon sursaut, il a reculé.

- Pour aller plus vite, je t’ai transmis une partie de ma

force…Il faut que tu ailles toujours au-delà de tes

limites si tu veux vraiment progresser… surtout en si

peu de jours…

Puis il se tourne brusquement. Le « I » dans son dos a

virevolté. Sa voix a retrouvé un ton tranchant :

- Ne parle de ça à personne.

- C’est dangereux ?

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 176

- Pas si je maîtrise le niveau d’énergie que je te

transmets. Pire que dangereux, c’est hors la loi…

Alors les paroles d’Anton me reviennent à l’esprit : un

statut de paria dans ce vaisseau, un an de prison. Pour moi,

cela signifie que je n’aurai plus aucune chance de pouvoir

me racheter, et serait emprisonnée à vie.

- On reprend l’entraînement.

Son contact n’a duré que quelques secondes, pourtant ma

fatigue s’est évaporée. Complètement. Je me sens capable

d’abattre des montagnes.

Je continu sur ce rythme toute la matinée : effort intense

jusqu’à épuisement puis sa main dans mon cou qui me

redonne toute l’énergie nécessaire pour recommencer.

Inlassablement. A chaque cycle, il tente de repousser plus

loin mes limites. A chaque décharge électrique qu’il me

transmet, il maitrise un peu plus ses gestes. Et je prends un

peu plus conscience de la puissance phénoménale qu’il est

capable d’emmagasiner. Je devrais en avoir peur ; je suis

fascinée. Je commence à ressentir les bénéfices de cet

entraînement extrême : mon endurance grandit, mes muscles

brulants se tendent et sa force deviendrait vite une drogue

comme un puissant dopant pour un athlète. Mais la fatigue

s’installe finalement jusqu’à envahir tout mon corps

endolori ; mon cerveau lui-même n’en peut plus et mon

ardeur s’effondre.

C’est le moment qu’il choisit pour me rappeler qu’Edith

m’attend !

Le parcours du combattant est un échec complet. Je

rentre à bout de forces dans le labyrinthe. Et je ne tiens pas

deux minutes avant d’appuyer sur le bouton fatidique et

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libérateur. Edith se moque de moi et veut m’infliger une

seconde tentative. C’est alors que l’Immortel fait irruption

dans le gymnase, apportant avec lui un silence pesant. Sa

masse sombre s’est arrêtée au seuil de la porte d’entrée,

main en l’air comme pour dire « stop ». Tous les regards

sont braqués sur lui. Edith elle-même est figée. Puis, sans le

lâcher des yeux, elle me fait signe de m’en aller. Il

disparaît…

Il est si tard lorsque je rejoins le mess que mes camarades

sont déjà repartis et il ne me reste que peu de temps avant de

retrouver mon escadron.

Comme m’avait averti Luc, Délanaux est furax et sa rage

s’est reportée sur moi. Il fait d’abord mine de ne plus

vouloir de moi dans l’escadron et je le laisse épancher sa

colère. Quand elle commence à s’épuiser, il me fait juste

signe de reprendre ma place sur le siège de la salle de

briefing, à mon grand soulagement. Mais la fatigue me joue

encore des tours, et je n’arrive pas à mettre à profit toute

seule la technique de récupération que l’Immortel m’a

montrée. J’ai beau chercher dans mon cou des ressources en

énergies enfouies, je ne trouve qu’un grand vide. Je suis

lasse et démoralisée : l’entrainement avec l’Immortel me

casse tout le reste de ma journée et je ne vois pas le bénéfice

que je pourrais en tirer si je n’ai plus tous mes moyens pour

piloter. Je commence à penser qu’un entrainement plus

classique avec les autres me conviendrait mieux…quand en

sortant des vestiaires en fin d’après-midi, je me retrouve nez

à nez avec lui.

- C’est l’heure du jogging.

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- Stop. On en a fait beaucoup trop pour aujourd’hui.

Ca attendra demain…

- Tu te souviens…Tu renonces ou tu me suis…si tu

peux…

Il a filé en un éclair. Pourquoi est-ce que je l’ai suivi ? Je

le cherche un bon moment, trainant la jambe dans les

couloirs tout en le maudissant, avant de retrouver sa masse

sombre dans un renfoncement, en train de m’attendre :

- Alors, tu prends le thé en route…

- Nous ne sommes pas de la même race ; je n’ai pas

tes capacités…

- Ah, tout de même tu reconnais ma supériorité !

Pourtant, tu es rapide…pour une Humaine…

Malgré son ton moqueur, il a ralenti. Suivre un Immortel

est impossible. Il s’est mis à adapter son rythme au mien. De

nouveau, il m’inonde de consignes sur les mouvements de

mes jambes, mes bras, ma respiration. Au ton de sa voix, je

sens qu’il s’efforce d’être moins autoritaire. A bout de

forces, je suis ses directives sans rébellion, mes pieds dans

ses traces.

Cela fait un petit moment que l’on court sans se parler

lorsqu’il brise le silence. D’une voix neutre, il m’explique le

fonctionnement du vaisseau et me décrit ses différentes

zones. L’ampoule dans ma poche se ballotte à chacune de

mes foulées, comme un message qu’il me répéterait sans

cesse : « je te donne les moyens d’être à égalité avec moi ».

Soudain, il tourne en direction de la chambrée des

Vaucans. Au fond du long couloir, apparaissent la porte

façon coffre-fort et ses deux Vaucans qui en gardent l’accès.

L’Immortel n’a pas ralenti. Sur notre passage, des Vaucans

sortent de leur pièce pour nous faire barrage. Mais à la vue

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 179

de l’Immortel, ils reculent et nous laissent passer. Puis nous

atteignons les deux gardes du « coffre-fort »…et la porte

s’ouvre. Je me suis arrêtée. Il se retourne :

- Viens, on va faire un tour de l’autre côté.

- Mais la zone d’intendance est interdite.

- Tu n’es pas en prison, tu sais. Suis-moi.

Et je franchis la porte pour la première fois.

Rapidement, l’ambiance change. Tout d’abord la

population se densifie. Chacun marche vite, d’un pas rempli

d’intentions, d’une urgence à prendre en charge. Je constate

également que le mélange des races est bien plus accentué

ici, tout comme l’aspect physique, la carrure, la taille. Je

réalise à quel point la zone militaire est si homogène. Les

gens parlent plus fort, s’interpellent et s’invectivent. Un

groupe en bleu de travail, le pas rapide, fait irruption dans le

couloir, prenant toute la largeur. Deux des « blouses

bleues » pointent l’Immortel du doigt. Je lis dans leurs

pensées qu’ils raillent sa tenue noire en tentant d’imaginer à

quel corps de métier elle peut bien s’apparenter. C’est alors

que je constate que cette cape là ne comporte pas de « I »

rouge dans le dos !

Dans la cohue, les « blouses bleues » bousculent

intentionnellement l’Immortel qui se retrouve collé au mur,

dos à moi. Sa capuche est tombée et dans sa rage d’être

bousculé, il ne l’a pas remarqué. Sa colère électrise l’air.

Ceux qui l’ont heurté regardent maintenant son visage

découvert avec des airs apeurés. Je suis la seule à ne pas

voir ses traits. De dos, je ne vois que sa chevelure châtain

épaisse, sa nuque dégagée qui tranche sur le fond noir de la

cape. Et mes yeux ne peuvent plus le lâcher, rivés par la

curiosité.

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 180

Doucement, il se tourne vers moi, comme au ralenti.

Je retiens mon souffle, m’attendant à une apparition

difficile à soutenir du regard.

Les « blouses bleues » ont filé, disparaissant au détour

d’un couloir.

Nous sommes seuls.

C’est alors que pour la première fois, je croise son regard

et reste pétrifiée.

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 181

De la part de l’auteur :

«Ami lecteur,

Vous venez de lire les 14 premiers chapitres de

MagnusMens.

J’espère de tout cœur que ce roman vous plait.

Tout a commencé un matin de décembre il y a quelques

années. Je venais de me réveiller avec un beau rêve dans la

tête que j’avais envie de prolonger. C’est vraiment comme

cela que j’ai commencé à écrire cette histoire, juste pour

moi, juste pour pouvoir lire le livre dont j’avais envie.

Au début, c’était un simple défi à moi-même ; un

« même pas cap d’écrire un livre » ; une réminiscence du

monde de l’enfance. Je venais de terminer de lire le diable

au corps qui est très court ; mon défi se résumait donc à

écrire 70 pages. Je n’avais vraiment pas prévu la suite :

- J’ai aimé écrire

- Arrivé au bout des 70 pages, je me suis rendue

compte que j’étais loin d’avoir fini de raconter mon

histoire

- C’est une fois le mot « FIN » apposé que j’ai réalisé

que j’avais un vrai roman devant moi. Je n’en

croyais pas mes yeux !

Alors après tout ce temps passé à écrire en secret, j’ai enfin

osé montrer le résultat et le faire lire. Et magie : il a plu !

C’est une drôle de sensation : ce roman a maintenant sa

propre vie, hors de moi, et les personnages s’animent dans

l’imagination d’autres que moi. Le cordon ombilical a été

coupé entre mon roman et moi.

Il me reste à faire une chose pour lui : le soutenir. Je crois de

tout cœur qu’il le mérite.

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 182

Alors si vous avez aimé ces premiers chapitres, n’hésitez

pas : achetez-le, et parlez-en autour de vous.

Seul le bouche à oreille peut le faire connaitre. Ce grand

extrait que je vous ai confié est là pour vous inciter à le lire

en entier et lui donner une chance d’être aimé.

Merci de m’avoir lu jusqu’ici. Merci pour la confiance que

vous m’avez accordée.

A bientôt j’espère.

S-F. Cïmaiglon. »

Vous trouverez ce roman sur le site de Pas ce soir, je lis :

PasCeSoirJeLis.com en cadeau 183

Ce livre a été imprimé en France

Dépôt légal : Janvier 2016