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RTDEur. Revue trimestrielle de droit européen 9 782995 716029 ref : 571602 RTDEur. - avril-juin 2016 - pages 211 à 484 C ÉDITO 213 Crise des valeurs dans l’Union européenne Jean Paul Jacqué ARTICLES 219 La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et les ordres juridiques nationaux, de la mise en œuvre à la mise en balance Marek Safjan, Dominik Düsterhaus et Antoine Guérin 249 Protection des données personnelles : les difficultés de la mise en œuvre du droit européen au déréférencement Olivia Tambou 275 Les recours administratifs contre les actes des agences européennes Jules David 293 Parlement européen et relations extérieures : une révolution démocratique en marche ? Hugo Flavier

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RTDEur.Revue trimestrielle de droit européen

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C ÉDITO

213 Crise des valeurs dans l’Union européenne

Jean Paul Jacqué

ARTICLES

219 La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et les ordres juridiques nationaux, de la mise en œuvre à la mise en balance

Marek Safjan, Dominik Düsterhaus

et Antoine Guérin

249 Protection des données personnelles : les diffi cultés de la mise en œuvre du droit européen au déréférencement

Olivia Tambou

275 Les recours administratifs contre les actes des agences européennes

Jules David

293 Parlement européen et relations extérieures : une révolution démocratique en marche ?

Hugo Flavier

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1. Réforme législative adoptée pour le

règlement RPL et réforme jurisprudentielle

à venir pour le règlement IPE ?

Publié le jour du réveillon de Noël, le

règlement (UE) 2015/2421 1 1 réformant

les règlements RPL et IPE s’appliquera

à compter du 14 juillet 2017 2 2 . Avec ce

règlement (qu’il faut compléter par les

actions de promotion de la Commission

européenne), le législateur européen

semble vouloir sincèrement remédier aux

difficultés rencontrées par le règlement

RPL. Trois raisons principales peuvent

être données. La première vise à solder

le passé, c’est-à-dire la crise financière

et économique occidentale de 2007-2008,

dont l’intensité justifie pour la Com-

mission que la justice passe désormais

(« est devenue ») au service de l’éco-

nomie : « Alors que l’Union européenne

est confrontée à la plus grande crise

économique qu’elle ait jamais connue,

l’amélioration de l’efficacité de la justice

en son sein est devenue un important

facteur de soutien à l’activité écono-

mique. L’une des mesures permettant

de promouvoir l’efficacité de la justice

dans l’UE est la révision du règlement

instituant une procédure européenne de

règlement des petits litiges » 3 3 . La deu-

xième raison concerne le présent : à

l’heure où l’Union européenne traverse

une crise plutôt sérieuse de légitimité, il

faut convaincre les citoyens européens,

en particulier ceux de certains pays, de

l’utilité de la construction européenne.

Aussi, la Commission inscrit-elle la révi-

sion du règlement RPL dans le cadre

de douze « grandes actions nouvelles

( 1 ) Règl. (UE) 2015/2421 du Parlement européen et du Conseil du 16 déc. 2015 modifiant le Règl. (CE) n o 861/2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges [ci-après règlement RPL] et le Règl. (CE) n o 1896/2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer [ci-après règlement IPE] (JOUE n o L 341 du 24 déc., p. 1-13 ; relaté sur https://justicecivileeuropeenne.wordpress.com/2015/12/29/nouveaux-reglements-rpl-et-ipe/). Sur le nouveau règlement, v. Á. Espiniella Menéndez, La reforma de los procesos europeos monitorio y de escasa cuantía, La Ley Unión Europea nº 33, janv. 2016, p. 52 ; C. Nourissat, Modification du règlement « RPL » et du règlement « IPE », Procédures n o 2, févr. 2016. Comm. 56.

( 2 ) À l’exception de l’art. 25 RPL, disposition relative aux informations à fournir par les États membres, qui s’appli-quera à partir du 14 janv. 2017 (art. 3 du Règl. 2015/2421).

( 3 ) Pt 1.2 de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement RPL et le règlement IPE [COM(2013) 794 final, 19 nov. 2013].

CHRONIQUES

15 octobre 2015 - 15 avril 2016

Vincent ÉgeaÉgeaProfesseur, Université d’Aix-Marseille, LDPSC (EA n° 4690)

Emmanuel GuinchardGuinchardSenior LecturerNorthumbria Law School

Espace judiciaire européen en matière civile

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Espace judiciaire européen en matière civileCHRONIQUES

avril-juin 2016 RTDEur.- C -

pour améliorer la vie des citoyens de

l’Union » 4 4 . La troisième raison est tour-

née vers le futur, et on remarque que le

législateur européen soigne particulière-

ment, avec le règlement (UE) 2015/2421,

le règlement RPL, en comparaison avec

le règlement IPE 5 5 , comme s’il souhaitait

parfaire ce qui constitue une procédure

ordinaire simplifiée avant de se lancer

dans la construction d’une procédure

civile ordinaire tout court. En effet, le

législateur européen envisage la créa-

tion d’une procédure civile européenne

à part entière 6 6 , comme en témoigne

encore le document de travail rendu

public le 21 décembre 2015 (pour la ver-

sion anglaise) par le Comité des affaires

juridiques du Parlement européen et

portant sur la base juridique de possibles

normes minimales de procédure civile à

travers toute l’Union européenne 7 7 .

Quelles que soient ses raisons, cette

volonté de remédier aux difficultés du

règlement RPL part d’un constat : ce

règlement s’avère méconnu et sous-uti-

lisé 8 8 , ce qui avait été anticipé par la doc-

trine. S’il paraît évident que le règlement

RPL constitue une avancée théorique

certaine, le droit de l’Union européenne

abordant pour la première avec lui les

procédures contradictoires, on avait pu

estimer qu’il s’agissait là de son apport

essentiel, voire unique, et pronostiquer

un impact pratique limité, pour ne pas

dire dérisoire, devant les juridictions

nationales, au moins allemandes, en rai-

son notamment de son champ d’appli-

cation limité (le règlement RPL ne pré-

sente guère d’intérêt s’il est limité non

seulement aux affaires transfrontières,

mais aussi aux affaires transfrontières

de moins de 2 000 euros qui ne repré-

sentent que 0,25 % du contentieux de

première instance en Allemagne) et de

son incapacité à résoudre le problème

des langues 9 9 . Les chiffres allemands

disponibles confirment ce pronostic. Il y a

eu 438 procédures RPL au sens du règle-

ment européen ( Klagen im europäischen

Verfahren für geringfügige Forderungen

- small claims - [§ 1097 bis 1104 ZPO] ) en

Allemagne en 2014 10 10 , dont 112 en Bavière

(p. 19), cet État fédéré apparaissant dès

lors comme le plus actif en la matière.

En termes de pourcentage par rapport

au nombre d’affaires civiles, ce chiffre

est évidemment négligeable et, au niveau

national, se traduit par un 0 % (p. 22),

la procédure RPL traitant au maximum

0,1 % du contentieux civil dans quelques

États fédérés. Il faut dire que les injonc-

tions de payer tant nationale (l’injonction

de payer allemande est utilisable dans un

contexte transfrontière) qu’européenne

s’avèrent bien plus intéressantes pour

le créancier et, de fait, elles rencontrent

un succès incomparable, surtout la pre-

mière. Il reste à espérer que le futur

règlement RPL connaisse un plus grand

succès, grâce notamment au relèvement

du plafond à 5 000 euros.

( 4 ) C’est l’action n o 8 du Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions. Rapport 2013 sur la citoyenneté de l’Union. Citoyens de l’Union : vos droits, votre avenir, 8 mai 2013, COM(2013) 269 final, p. 16-18.

( 5 ) V. infra. ( 6 ) Ce que nous nous sommes permis d’appeler l’« Objectif Lune » en hommage à une autre grande figure de

Bruxelles, v. E. Guinchard, Propos conclusifs : d’un règlement rénové à un règlement dépassé ?, in Le nouveau règlement Bruxelles I bis , Bruylant, 2014, p. 493. Sur le fait que la disparition de l’ exequatur n’avait jamais eu comme objectif principal une amélioration de l’effectivité des jugements mais s’inscrivait dans une démarche visant à faire accepter par les États comme inéluctable et surtout dans leur intérêt l’harmonisation de la procé-dure civile dans l’Union européenne, v. RTD eur. 2010. 929, la confirmation en étant à notre sens donnée par le document de travail cité au texte.

( 7 ) Pour un entretien avec le rapporteur (le député européen Emil Radev), v. https://europeanciviljustice.wordpress.com/2016/02/26/interview-with-mep-emil-radev-on-civil-procedure-in-the-eu/.

( 8 ) Pt 1.2 préc. ; adde pt 2 du rapport de la Commission européenne du même jour au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen sur l’application du Règl. (CE) n o 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juill. 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges [COM(2013) 0795 final].

( 9 ) A. Brokamp, Das Europäische Verfahren für geringfügige Forderugen, Mohr Siebeck, 2008, p. 149. ( 10 ) V. « Zivilgerichte - Fachserie 10 Reihe 2.1 – 2014 », p. 18, https://www.destatis.de/DE/Publikationen/Thematisch/

Rechtspflege/GerichtePersonal/Zivilgerichte2100210147004.pdf?__blob=publicationFile.

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Espace judiciaire européen en matière civile CHRONIQUES

Il s’agit en effet de la première modi-

fication d’importance introduite par le

règlement (UE) 2015/2421, qui modifie en

ce sens l’article 2.1 du règlement RPL.

Plusieurs arguments militaient en faveur

d’une telle démarche : le fait que la pro-

cédure ne vise finalement que les cas

transfrontières, que la consultation d’un

professionnel du droit s’avère souvent

nécessaire en pratique, que le plafond de

2 000 euros paraisse peu élevé au regard

du prix de nombreux biens et services,

que l’existence d’un appel (actuellement

possible en vertu de l’art. 17 si l’État

membre du for le souhaite) paraisse dis-

proportionné eu égard au faible montant

en jeu et, enfin, last but not least , qu’il en

aille de l’existence même du règlement

compte tenu donc du faible nombre de

litiges transfrontières dont le montant est

inférieur à 2 000 euros. Une telle augmen-

tation du plafond s’imposait d’autant plus

que l’on souhaitait préserver son avantage

comparatif par rapport aux procédures

nationales qui, si elles ont été intentées

après le 10 janvier 2015, bénéficient de

la disparition généralisée de l’ exequatur

dans le cadre du règlement Bruxelles

I bis , faisant perdre ainsi à la procédure

RPL l’un de ses principaux attraits, alors

que leur propre plafond est parfois plus

élevé et a même pu, dans certains États,

être augmenté, comme au Royaume-Uni

où la procédure small claims anglaise est

en principe applicable depuis 2013 à un

litige dont la valeur s’avère inférieure à

10 000 livres sterlings (environ 13 000 €).

Cette augmentation ne s’avère toutefois

pas être qu’une affaire de chiffres, car

elle pourrait transformer la nature de

la procédure RPL, originellement conçue

pour les consommateurs. En effet, l’aug-

mentation du plafond de la procédure RPL

permet d’en faire bénéficier les petites et

moyennes entreprises, les seules à être

expressément visées par le considérant

4 du règlement (UE) 2015/2421 sur le

relèvement du plafond 11 11 . La procédure

RPL n’étant pas légalement réservée aux

consommateurs, on ne peut que s’en féli-

citer, surtout compte tenu de la focalisa-

tion des travaux antérieurs sur les seules

difficultés rencontrées par les consom-

mateurs. Il faudra cependant veiller à ce

que la procédure RPL ne se retourne pas

contre eux, car la plupart des difficultés

pratiques disparaissent lorsque le créan-

cier est un professionnel du recouvre-

ment ou/et du droit – notamment parce

qu’il connaît la procédure RPL, parce qu’il

maîtrise les règles de compétence inter-

nationale et parce qu’il parle souvent une

langue étrangère –, de sorte que l’on peut

craindre que, si l’on ne remédie pas cor-

rectement à ces difficultés, la procédure

RPL pourrait être utilisée plus contre les

consommateurs que par les consomma-

teurs. La procédure RPL rejoindrait ainsi

la procédure anglaise dont elle est inspi-

rée et dont certains ont souligné qu’elle

avait été détournée de son objectif pre-

mier (la mise en œuvre effective des droits

des consommateurs) 12 12 .

D’autres modifications méritent d’être

signalées. Certaines peuvent apparaître

secondaires, bien qu’en réalité décisives

en pratique. Ainsi, si aujourd’hui, le por-

tail e-justice contient des informations

sur les frais de justice, communiquées

selon toute probabilité par les États eux-

mêmes, celles-ci ne permettent pas tou-

( 11 ) V. égal. la proposition de règlement susmentionnée, pt 3.1.1, où la Commission déclare que les PME seront les principales bénéficiaires de sa proposition d’aller jusqu’à 10 000 euros.

( 12 ) Afin de protéger la partie faible dans l’hypothèse où le règlement RPL verrait, suite à la proposition de la Commission de 2013, son champ d’application passer à 10 000 euros, une somme importante pour le consom-mateur type, qui sera engagé dans une procédure où la présence de l’avocat n’est pas obligatoire mais dont la décision bénéficie de la disparition de l’ exequatur , il avait été suggéré de prévoir deux plafonds, l’un pour les consommateurs et l’autre pour les professionnels : F. Cornette, Analyse critique de la proposition de la Com-mission européenne en date du 19 nov. 2013 modifiant le règlement Petits Litiges, LPA 17 nov. 2014, p. 13. Le plafond finalement retenu de 5 000 euros milite contre une telle distinction, mais s’il devait par la suite être encore relevé, elle devrait être reconsidérée. Rappr., dans le cadre de cet autre règlement de recouvrement des créances qu’est le règlement IPE, la proposition de distinction entre parties faibles et professionnels quant au modèle de l’injonction de payer et non, il est vrai, quant à son champ d’application/plafond : v. E. Guinchard, Quelques leçons de droit comparé pour l’injonction de payer en Europe ?, Ius & Actores 2014, p. 229, n os 8 s.

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Espace judiciaire européen en matière civileCHRONIQUES

avril-juin 2016 RTDEur.- C -

jours au plaideur de connaître exactement

les frais auxquels il s’expose et renvoient

en outre, sur de nombreux points-clés, à

la législation ou aux sites du pays consi-

déré, disponibles seulement dans sa

langue officielle. On est donc encore loin

d’une information complète et aisément

accessible à tous en matière de frais de

justice, permettant un choix éclairé de

la procédure, nationale ou européenne,

la plus adaptée au litige. Est-ce voulu,

ou s’agit-il d’un pur hasard ? Il est vrai

qu’aux termes de l’article 25 RPL, les

États membres n’avaient pas à fournir ces

informations, malgré leur importance. Le

législateur européen a par conséquent

modifié cet article pour que les États

communiquent à la Commission les frais

de justice pour la procédure européenne

de règlement des petits litiges, leur mode

de calcul et les modes de paiement accep-

tés. Espérons que l’information donnée

sera aussi exhaustive, claire et acces-

sible que possible, mais également, tout

simplement, qu’elle sera donnée dans

les temps, puisque les États membres

ne se sont pas toujours montrés dili-

gents pour l’actuel article 25, alors que

sa liste d’informations à fournir s’avérait

bien moins complète. Cet article 25 doit

en toute hypothèse être lu en conjonc-

tion avec le nouvel article 15 bis sur les

modes de paiement des frais de justice.

En effet, la rubrique 6.1 du formulaire A

d’introduction de la procédure RPL sur

le mode de paiement des droits de greffe

offre aujourd’hui plusieurs possibilités

au demandeur pour les payer : paiement

par carte de crédit, virement bancaire,

prélèvement direct sur le compte ban-

caire du demandeur ou autre, à indiquer.

Mais le formulaire lui-même précise que

« tous les modes de paiement figurant

dans cette rubrique ne sont pas néces-

sairement disponibles dans la juridiction à

laquelle vous transmettez votre demande.

Il y a lieu de vérifier quels modes de

paiement sont acceptés par la juridiction

concernée, en prenant contact avec elle

ou en consultant le site internet du réseau

judiciaire européen en matière civile et

commerciale ». Ce dernier ne contenant

pas toujours l’information souhaitée et

n’ayant souvent pas été mis à jour depuis

plusieurs années, seule la première

option paraît envisageable. Or, le consom-

mateur francophone non polyglotte risque

d’avoir des difficultés de communication

sérieuses avec une juridiction grecque ou

polonaise, par exemple, et inversement

pour les citoyens de ces pays 13 13 . Aussi le

règlement (UE) 2015/2421 introduit-il un

nouvel article 15 bis , dont le paragraphe 2

impose aux États membres d’offrir un

mode de paiement à distance des frais de

justice parmi les trois suivants : « a) vire-

ment bancaire ; b) paiement par carte de

crédit ou de débit ; ou c) prélèvement sur

le compte bancaire du demandeur ». Ceci

constitue une nouveauté pour la Grèce

ou le Royaume-Uni (où la procédure RPL

connaît, par comparaison, un certain suc-

cès), qui n’acceptent, pour la première,

que les espèces et, pour la seconde, que

les espèces et chèques 14 14 .

D’autres modifications paraissent d’em-

blée importantes, à l’instar d’abord de

celles figurant au futur article 18. D’une

part, celui-ci fixe désormais un délai de

trente jours 15 15 pour demander le réexa-

men à compter du jour où le défen-

( 13 ) Le Centre européen de la consommation (« Procédure de Règlement des petits litiges et injonction de payer européenne. Des procédures simplifiées pas si simples dans la pratique », juill. 2011, p. 6, www.euroinfo-kehl.eu/fr/evenements-et-publications/publications/) donne l’exemple analogue, puisque reposant sur le clone de la rubrique 6.1 du formulaire A RPL, à savoir la rubrique 5 du formulaire A IPE et les instructions y relatives figu-rant à la fin de ce formulaire, des consommateurs français engageant une procédure IPE devant le Tribunal de Berlin Wedding, incapables de correspondre avec cette juridiction lorsqu’ils ne maîtrisent pas l’allemand. Il est piquant de constater que le Règl. (UE) 2015/2421 réforme le règlement RPL sur ce point, mais non justement le règlement IPE, illustrant parfaitement la volonté de la Commission européenne ne pas réformer ce dernier : v. infra. Espérons qu’il en ira différemment à l’avenir.

( 14 ) D’après l’étude de Deloitte pour la DG Justice, Assessment of the socio-economic impacts of the policy options for the future of the European Small Claims Regulation. Final report, 19 juill. 2013, Part I, p. xiii et p. 92. Ce rapport ajoute que la possibilité de payer par chèque est parfois plus théorique que réelle compte tenu du fait que de nombreux consommateurs et PME ne payent jamais par chèque (moins d’un chèque par habitant par an dans treize États) ou quasiment jamais (dans six États), et ne disposent donc probablement pas tous d’un chéquier (Partie I, p. 92).

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RTDEur. avril-juin 2016- C -

Espace judiciaire européen en matière civile CHRONIQUES

deur a eu effectivement connaissance du

contenu de la décision et où il a été en

mesure d’agir, au plus tard à compter

du jour de la première mesure d’exécu-

tion ayant pour effet de rendre ses biens

indisponibles en tout ou partie. D’autre

part, ses deux paragraphes actuels ont

été modifiés, et l’on note l’obligation pour

le défendeur de n’avoir pas comparu, la

non-référence à l’article 14, l’abandon

de la condition de l’absence de faute du

défendeur pour la première hypothèse

ouvrant droit au réexamen, et l’abandon

de l’obligation d’agir promptement en tant

que telle. Ensuite, la faveur dont bénéfi-

cient actuellement les modes alternatifs

de règlement des litiges s’avère visible

dans le règlement (UE) 2015/2421, qui

renforce la possibilité d’un accord entre

les parties en en facilitant l’exécution,

puisqu’une « transaction judiciaire qui

a été approuvée par une juridiction ou

conclue devant une juridiction au cours de

la procédure [RPL] et qui est exécutoire

dans l’État membre dans lequel ladite

procédure a été menée est reconnue et

exécutée dans un autre État membre

dans les mêmes conditions qu’une déci-

sion rendue dans le cadre de la procé-

dure [RPL] » (nouv. art. 23 bis ). Enfin, le

caractère écrit de la procédure RPL est

renforcé à travers la restriction de l’au-

dience, puisque la juridiction, aux termes

du nouvel article 5.1 bis , « tient une

audience uniquement si elle estime qu’il

n’est pas possible de rendre une déci-

sion sur la base des preuves écrites ou

si l’une des parties en fait la demande »

(nous soulignons) 16 16 , ce qui constitue une

formulation plus restrictive que l’actuelle,

affectant la culture orale de certains pays.

Si l’idée est qu’une audience pose pro-

blème en raison des obstacles logistiques

et linguistiques, les conséquences sur la

procédure civile européenne en cours de

construction ne pourront être qu’impor-

tantes dans le court terme, le recours aux

nouvelles technologies – accentué avec le

règlement (UE) 2015/2421 précisément

en ce qui concerne l’audience (modifica-

tion de l’art. 8) – et la généralisation de

l’anglais 17 17 devant diminuer ces barrières

dans le long terme.

Toutes les difficultés auxquelles la pro-

cédure RPL a été confrontée n’ont pas

pour autant été réglées. En particulier,

l’assistance aux parties, si elle se veut

renforcée à l’article 11 (gratuité et dédou-

blement de cette assistance, qui com-

prend à la fois une aide pratique pour

remplir les formulaires et la fourniture

d’informations générales, ce à quoi il faut

ajouter le fait que les informations sur

les autorités ou organismes compétents

pour fournir cette aide doivent être mises

à disposition auprès de toutes les juri-

dictions compétentes 18 18 et sur les sites

internet nationaux pertinents), risque de

demeurer problématique en l’absence de

( 15 ) La computation des délais deviendra centrale, ce d’autant que le délai de l’art. 18 ne peut être prorogé, or elle n’est pas entièrement claire, même si elle a pu être clarifiée dans certains pays comme l’Espagne : v. notre comm. ss. l’art. 14 RPL, in Jurisprudence du Code judiciaire commentée. Droit judiciaire européen (dir. G. de Leval, coord. J.-F. Van Drooghenbroeck), La Charte, 2012 (2 e éd., 2016, à paraître).

( 16 ) L’art. 5.1 bis poursuit : « La juridiction peut rejeter cette demande si elle estime que, compte tenu des circons-tances de l’espèce, une audience n’est pas nécessaire pour garantir le déroulement équitable de la procédure », ce qui facilite le rejet puisqu’aujourd’hui, il peut avoir lieu seulement si « une audience est manifestement inutile pour garantir le déroulement équitable de la procédure » (nous soulignons).

( 17 ) À cet égard, un ajout fondamental au règlement RPL a été vidé de sa substance : alors que la Commission européenne a vraisemblablement cherché à imposer l’anglais dans le cadre de sa proposition de 2013 (v. notre comm., RTD eur. 2014. 479), le Règl. (UE) 2015/2421 instaure une simple faculté aux États d’accepter une langue étrangère (v. le futur art. 21 bis , § 1). Ce n’est probablement, pour la Commission, que partie remise, et son soutien très actif à l’anglicisation de l’espace judiciaire civil européen (formations linguistiques des professionnels de la justice quasiment exclusivement en faveur de l’anglais, sélection par l’anglais de plus en plus forte des experts et des références utilisés dans les documents de travail débouchant sur des propositions de règlements, informations diffusées uniquement dans cette langue, etc.) demeure.

( 18 ) Ce qui suppose que ces juridictions aient connaissance de la procédure RPL, ce qui n’a pas toujours été le cas : v., sur les difficultés rencontrées par certains justiciables, notre comm. Ss. l’art. 4.5 RPL, in Jurisprudence du Code judiciaire commentée, op. cit. Notons que cet article a été modifié pour imposer aux États de mettre le formulaire de demande à la disposition des justiciables non seulement auprès des juridictions compétentes mais également sur les sites nationaux pertinents, ce qui devrait aider à contourner le problème d’une juridiction ignorante (v. égal. l’art. 11 lui-même sur ces sites).

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Espace judiciaire européen en matière civileCHRONIQUES

avril-juin 2016 RTDEur.- C -

moyens supplémentaires. Or, l’expérience

a montré qu’il s’agit là d’un point crucial

en pratique 19 19 . Il reste que le règlement

(UE) 2015/2421 est bienvenu… pour ce

qui est du règlement RPL. Il n’a en effet

quasiment pas réformé le règlement IPE.

La seule modification véritable de ce

dernier a trait à la procédure RPL,

puisqu’il s’agit de favoriser le passage

vers celle-ci 20 20 , de sorte que la réforme

du règlement IPE constitue une annexe

de la réforme de la procédure RPL, et

n’aurait peut-être même pas eu lieu en

son absence. La cause de cette absence

de volonté de réformer le règlement IPE

est inconnue. S’agirait-il de protéger

à tout prix le modèle non documen-

taire de l’injonction de payer, claire-

ment inspirée, depuis la proposition de

la Commission européenne du modèle

germanique et fonctionnant bien dans

ces pays 21 21 ? En ce sens, on peut relever

l’affirmation de la Commission selon

laquelle « les caractéristiques de la pro-

cédure européenne d’injonction de payer

assurent pleinement le respect de la

jurisprudence de la Cour de justice »

concernant les clauses abusives dans

les contrats et les procédures d’injonc-

tion de payer 22 22 . Le point nous semble

beaucoup moins tranché que la Com-

mission ne l’affirme (« pleinement »),

et un membre de la Cour de justice n’a

d’ailleurs pas hésité à déclarer l’in-

verse de la Commission un mois plus

tard : « J’observe, de lege ferenda , qu’il

serait souhaitable de modifier le règle-

ment n o 1896/2006, qui couvre poten-

tiellement les créances découlant des

contrats avec des consommateurs, afin

de prévoir explicitement le contrôle d’of-

fice des clauses abusives au stade de

l’adoption de l’injonction de payer euro-

péenne » 23 23 . Il s’avère en effet difficile de

croire que les arguments avancés par

la Commission européenne au soutien

de son affirmation soient véritablement

convaincants, puisqu’elle invoque en

premier lieu le devoir qu’a la juridiction

d’examiner si la demande semble fon-

dée (et le pouvoir de n’octroyer qu’une

IPE partielle en cas de doute). Toutefois,

comme la Commission le précise elle-

même sans s’étendre dessus, ce pouvoir

s’exerce sur la base des informations

dont la juridiction dispose, autrement

dit pas grand-chose puisque le créancier

prétendu n’est pas obligé de produire

d’éléments de preuve… Le second argu-

ment, qui a trait à la possibilité d’« une

évaluation complète du fond de la

demande […] une fois qu’une opposition

à l’injonction de payer européenne a été

formée », ne nous semble pas répondre

à la critique, ce d’autant que la Cour de

justice a rejoint son avocat général dans

l’affaire C-49/14 24 24 . Il aurait été plus per-

tinent de relever que la jurisprudence de

la Cour de justice vise la compatibilité

( 19 ) V. nos comm. des art. 10 et 11, in Jurisprudence du Code judiciaire commentée, op. cit. On a pu estimer que le règlement RPL ne sera utile en droit et en fait aux consommateurs que si ces derniers reçoivent à la fois les informations nécessaires et une assistance gratuite : N. Marchal Escalona, ¿ Hacia un nuevo derecho procesal europeo de protección del consumidor ? : la nueva iniciativa europea sobre la resolución de litigios de pequeña cuantía , Revista Électrónica de Estudios Internacionales, n o 28, déc. 2014, p. 39-40.

( 20 ) V. nouv. art. 17. ( 21 ) Allemagne et Autriche en premier lieu. Sur la distorsion dans l’utilisation de l’IPE en Europe, v. infra. ( 22 ) Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen sur

l’application du Règl. (CE) n o 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil instituant une procédure euro-péenne d’injonction de payer, 13 oct. 2015, COM(2015) 0495 final, pt 3.10.

( 23 ) M. Szpunar, concl. présentées le 11 nov. 2015 dans l’aff. C-49/14, Finanmadrid EFC SA c/ Jesús Vicente Albán Zambrano et alii , note 20, qui étend sa pensée sur une injonction de payer nationale, objet de l’affaire soumise, à l’IPE. Il recommande à la Cour de décider que « la directive 93/13 […] concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, ainsi que le principe d’effectivité s’opposent à une réglementation nationale relative à la procédure d’injonction de payer qui, tout en ne prévoyant pas l’obligation de soulever d’office l’inefficacité d’une éventuelle clause abusive au stade de l’examen de la demande d’injonction de payer, qui se déroule devant le greffier d’une juridiction, ne permet pas non plus au juge chargé de l’exécution d’une injonction de soulever d’office cette inefficacité ».

( 24 ) Arrêt du 18 févr. 2016 : « La directive 93/13 […] s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas au juge saisi de l’exécution d’une injonction de payer d’apprécier d’office le carac-tère abusif d’une clause contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, lorsque l’au-torité saisie de la demande d’injonction de payer n’est pas compétente pour procéder à une telle appréciation ».

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RTDEur. avril-juin 2016- C -

Espace judiciaire européen en matière civile CHRONIQUES

avec la directive 93/13 des législations

nationales, et que la conciliation entre

deux textes européens de même niveau

hiérarchique pourrait appeler d’autres

solutions. Peut-être l’absence de véri-

table réforme du règlement IPE s’ex-

plique-t-elle en outre par la volonté

de protéger des modes de notification

déficients, craignant de devoir revenir

sur plusieurs autres règlements. À cet

égard, une solution conciliant coût et

sécurité juridique pourrait, à terme, être

l’e-signification. Il reste que la Com-

mission recommande pour l’immédiat

la « signification ou notification par voie

postale avec accusé de réception » et

semble s’orienter vers l’e-notification, et

non l’e-signification, puisqu’elle consi-

dère comme un obstacle le fait que

« la signification ou notification élec-

tronique directe d’un acte par une juri-

diction à une partie dans un autre État

membre [ne soit] pas possible, même

en théorie » d’après le règlement (CE)

n o 1393/2007 25 25 . Concernant l’absence de

réforme du règlement IPE, on ne peut

enfin entièrement exclure un effet du

monolinguisme (en faveur de l’anglais)

de plus en plus fort qui caractérise les

institutions de l’Union européenne, cer-

tains déduisant peut-être de l’absence

(ou quasi-absence) de publications

anglophones en la matière l’absence

de problèmes. Par contraste, la procé-

dure RPL, inspirée du droit anglais et

recueillant plus l’attention de la doctrine

anglophone, a été modifiée.

Si la cause est inconnue, la volonté de

non-réforme est patente, au-delà du

contenu du règlement (UE) 2015/2421.

Deux exemples suffiront. D’abord,

conformément à un procédé désormais

courant dans l’Union européenne, le

règlement IPE a fait l’objet d’un rapport

évaluant son fonctionnement. Toutefois,

alors que la Commission européenne

était légalement tenue de présenter ce

rapport au plus tard le 12 décembre

2013 26 26 , il n’a été publié que près de deux

ans après, le 13 octobre 2015. Qui plus

est, il a suivi, et non précédé contre toute

attente et bonne pratique, la proposition

de 2013 de la Commission réformant la

procédure IPE (et la procédure RPL), et

même l’adoption de cette proposition

par le Parlement européen le 7 octobre

2015 27 27 . Autrement dit, le rapport a été

publié lorsque tout a été dit et fait.

Ensuite, la Commission y confirme que

l’IPE semble surtout fonctionner dans

les pays (germaniques) qui l’ont inspi-

rée 28 28 , puisqu’ils sont à la fois l’expres-

sion type du modèle non documentaire

consacré par l’IPE et les pionniers dans

l’informatisation totale que ce modèle

permet (pt 2.1). Malheureusement, la

Commission ne s’étend pas sur cette

importante distorsion dans l’utilisation

de l’IPE. En particulier, elle n’essaye

pas de comprendre pourquoi l’IPE n’est

pas aussi utilisée qu’elle pourrait l’être

dans les pays adoptant en droit national

le modèle documentaire, principalement

ceux de l’Europe du Sud 29 29 , à tel point

que, selon les statistiques figurant en

annexe, le nombre de demandes d’IPE

en France correspond à seulement 7,7 %

de ce nombre en Autriche pour la même

année 2012 30 30 , alors que la taille écono-

mique respective de ces pays devrait, a

priori , mener à un résultat inverse. Au

contraire, la Commission affirme : « Il

semble que la mise en œuvre du règle-

( 25 ) Rapport sur l’application du règlement IPE, préc., pt 3.5. ( 26 ) Art. 32 du règlement IPE in limine. ( 27 ) Cette attitude contraste avec la publication par la Commission européenne dans les temps, i. e. avant la date

butoir du 1 er janv. 2014, du rapport sur le règlement RPL et de la proposition de règlement y relative : v. supra. ( 28 ) V. cette chronique, RTD eur. 2013. 335, spéc. p. 337. ( 29 ) Ceci s’explique probablement par le refus de ne point remettre en cause le modèle suivi par le règlement IPE

ou certaines de ses règles fondamentales, par exemple celles relatives à la notification de la demande d’IPE, malgré leur effet dissuasif sur l’utilisation de la procédure IPE dans les pays d’Europe du Sud en raison de la faible protection des droits de la défense qu’elles tolèrent parfois.

( 30 ) Le rapport ne donne pas le chiffre 2013 pour la France mais, à le supposer constant, il correspondrait à 15,8 % du chiffre autrichien de cette année. V. égal. la distorsion entre le Portugal (qui, par exception dans l’Europe du Sud, adopte le modèle non documentaire) et la France.

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Espace judiciaire européen en matière civileCHRONIQUES

avril-juin 2016 RTDEur.- C -

ment soit, dans l’ensemble, satisfai-

sante. L’application du règlement a glo-

balement amélioré, simplifié et accéléré

le traitement des créances pécuniaires

incontestées dans les litiges transfron-

taliers. À la lumière de ce qui précède

[c’est-à-dire sans analyse approfondie

des statistiques], il n’est donc pas consi-

déré comme opportun à ce stade de

modifier les paramètres fondamentaux

de la procédure européenne » (pt 4). La

Cour de justice pourrait bien la forcer à

revoir sa position si elle devait étendre

sa jurisprudence sur les injonctions de

payer nationales à l’IPE, renforçant par

là-même l’intérêt d’une distinction entre

parties faibles et professionnels quant

au modèle de l’injonction de paye 31 31.

E. G.

2. Règlement Bruxelles II bis : extension du

domaine de la responsabilité parentale

(CJUE, 3 e ch., 6 octobre 2015, aff. C-404/14, Marie Matouskova , D. 2016. 1045, obs.

H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; Europe 2015. Comm. 534, obs. L. Idot ; Pro-

cédures 2015. Comm. 359, obs. C. Nourissat)

L’œuvre de précision du champ matériel

du règlement Bruxelles II bis se pour-

suit 32 32 . Régulièrement, en effet, la Cour

de justice, en interprétant les disposi-

tions du texte, dessine avec davantage

de clarté les notions de responsabilité

parentale, de déplacement illicite ou

encore de résidence habituelle. Ceci

n’a évidemment rien de surprenant et

correspond à la fonction même de la

question préjudicielle. Pour autant, une

tendance interprétative commence à

apparaître au fil des arrêts, qui consiste

à donner une signification assez large et

attractive à la notion de responsabilité

parentale, laquelle englobe des actions

en justice qui concourent indirectement

à l’exercice des prérogatives du repré-

sentant de l’enfant. Récemment, la Cour

de justice jugea que l’action, par laquelle

l’un des parents demande au juge de

pallier le défaut de consentement de

l’autre parent à la délivrance d’un pas-

seport au nom de l’enfant, relevait bien

du champ du règlement 33 33 .

Dans la présente affaire, se posait la

question de savoir si l’approbation d’un

accord de partage successoral conclu

par un tuteur pour le compte d’enfants

mineurs constituait une mesure rela-

tive à l’exercice de l’autorité paren-

tale, relevant ainsi du champ matériel

du règlement Bruxelles II bis. De la

réponse à cette interrogation dépendait

directement la compétence juridiction-

nelle, puisqu’en l’espèce une mère de

famille, ressortissante tchèque résidant

habituellement en République tchèque,

décède et laisse pour lui succéder son

mari et leurs enfants mineurs, résidant

aux Pays-Bas. La succession s’ouvre en

République tchèque et un notaire est

désigné comme commissaire judiciaire

chargé de la réalisation des actes dans

la procédure successorale. Afin de pré-

venir un conflit d’intérêts entre héritiers,

un tuteur ad hoc est désigné pour repré-

senter les intérêts des enfants mineurs.

Après des péripéties procédurales, il

apparaîtra que la défunte résidait égale-

( 31 ) V. E. Guinchard, Quelques leçons de droit comparé pour l’injonction de payer en Europe ?, Ius & Actores 2014, p. 229, nos 8 s. (où la nécessité de garantir une réelle notification des actes est également soulignée, quel que soit le modèle retenu). Pour d’autres propositions de réforme de l’IPE, v. G. Payan, La procédure d’injonction de payer européenne : entre efficacité et insécurité, Ius & Actores 2014, p. 241.

( 32 ) Règl. (CE) n o 2201/2003 du Conseil du 27 nov. 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, abrogeant le Règl. (CE) n o 1347/2000.

( 33 ) CJUE 21 oct. 2015, aff. C-215/15, Gogova (Mme) c/ Iliev , RTD eur. 2015. 803.

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RTDEur. avril-juin 2016- C -

Espace judiciaire européen en matière civile CHRONIQUES

ment aux Pays-Bas avant son décès. Le

notaire chargé de la succession chercha

à déterminer le juge des tutelles territo-

rialement compétent pour approuver 34 34

un accord de partage successoral conclu

entre les héritiers en 2011, dès lors que

plusieurs d’entre eux étaient mineurs.

Dans une telle situation, les juridictions

tchèques peuvent fonder leur compé-

tence sur la prorogation prévue à l’ar-

ticle 12, paragraphe 3, du règlement

(CE) n o 2201/2003 35 35 , à condition que la

question litigieuse relève bien du champ

matériel du texte. La Cour suprême

de la République tchèque saisit préci-

sément la Cour de justice en ce sens

pour savoir si l’approbation par un tribu-

nal d’un accord de partage successoral

conclu par un tuteur pour le compte

d’enfants mineurs constitue une mesure

relative à la responsabilité parentale,

relevant dès lors du champ matériel du

règlement 36 36 ; ou bien s’il s’agit d’une

question successorale, pour laquelle le

règlement ne s’applique pas 37 37 .

La Cour de justice considère qu’une telle

approbation relève de la responsabilité

parentale et donc que le règlement s’ap-

plique. Pour ce faire, elle livre une inter-

prétation relative à la capacité juridique

qui rayonne bien au-delà des questions

de responsabilité parentale et de suc-

cessions. Après avoir jugé, ce qui ne

surprend guère, que l’approbation judi-

ciaire vise à protéger l’intérêt supérieur

de l’enfant et se rapporte directement à

sa capacité juridique 38 38 , elle relève que

cette dernière et les questions de repré-

sentation y afférentes doivent être appré-

ciées au regard de critères qui leur sont

propres et non pas traitées comme des

questions préalables dépendant des actes

juridiques y afférents 39 39 . Partant, le lien

qui pouvait a priori rattacher cette ques-

tion à la matière successorale se trouve

rompu. Le fait que l’approbation judi-

ciaire fut demandée dans le cadre d’une

procédure successorale ne saurait être

considéré comme déterminant pour que

cette mesure relève du droit des succes-

sions 40 40 . Obtenir une approbation demeure

une conséquence directe de l’état et de la

capacité des enfants mineurs et constitue

une mesure de protection liée à l’ad-

ministration des biens dans le cadre de

l’exercice de l’autorité parentale, au sens

de l’article 1 er , paragraphe 1, du règle-

ment (CE) n o 2201/2003.

La notion de responsabilité parentale

sort donc davantage hypertrophiée de cet

arrêt, en n’englobant pas uniquement les

questions somme toute assez classiques

d’attribution de l’autorité parentale et

de droit de garde de l’enfant, mais, de

par son caractère attractif, elle concerne

l’ensemble des modalités et procédures

concourant, même de manière indirecte,

à l’exercice de la responsabilité paren-

tale, dans une finalité éminemment pro-

tectrice de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Tel est le cas de l’action visant à solliciter

du juge qu’il pallie le défaut de consen-

tement d’un parent à la délivrance d’un

( 34 ) Dans une terminologie française, on parlerait d’homologation du partage amiable. ( 35 ) Consacrant un for alternatif à la compétence figurant à l’art. 8 du règlement Bruxelles II bis , fondée sur la rési-

dence habituelle de l’enfant, l’art. 12, § 3, donne compétence aux juridictions d’un État membre, en dehors des procédures de désunion, lorsque deux conditions sont réunies. L’enfant doit tout d’abord avoir un lien étroit avec cet État membre du fait, en particulier, que l’un des titulaires de la responsabilité parentale y a sa résidence habituelle ou que l’enfant est ressortissant de cet État membre. Ensuite, la compétence de ces juridictions doit être acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure à la date à laquelle la juridiction est saisie et que la compétence reste commandé par l’intérêt supérieur de l’enfant. La possibilité de donner ainsi compétence à un juge autre que celui de la désunion ou de la résidence habituelle de l’enfant se trouve généralement justifiée par le principe de proximité. Elle commence à donner lieu à de la jurisprudence. Cf. CJUE 12 nov. 2014, aff. C-215/15, M me Gogova , préc. ; CJUE 12 nov. 2014, aff. C-656/13, L. c/ M. , D. 2015. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2015. 49, obs. E. Viganotti ; RTD eur. 2015. 383, obs. V. Égéa ; Procédures 2015. Comm. 13, obs. C. Nourissat ; Europe 2015. Comm. 44, obs. L. Idot.

( 36 ) Règl. (CE) n o 2201/2003, art. 1 er , § 1. ( 37 ) Règl. (CE) n o 2201/2003, art. 1 er , § 3. ( 38 ) § 28. ( 39 ) § 30. ( 40 ) § 31.

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Espace judiciaire européen en matière civileCHRONIQUES

avril-juin 2016 RTDEur.- C -

passeport pour l’enfant 41 41 . Il en va de

même en l’espèce pour l’approbation

judiciaire d’un acte fait par le représen-

tant de l’enfant au nom de ce dernier

qui, parce qu’il concerne la capacité du

mineur et la nécessité de protéger son

intérêt, relève du champ du règlement.

Formulons pour terminer deux préci-

sions, et non des moindres. La première

concerne la prise en compte explicite du

règlement (UE) n o 650/2012, dit règlement

« successions » 42 42 , qui, certes n’était pas

applicable ratione temporis 43 43 , mais que la

Cour prend soin de citer, en rappelant que

ce texte exclut de son champ d’application

la capacité des personnes physiques. La

recherche d’une combinaison des diffé-

rents règlements, qui se constate régu-

lièrement, se trouve explicitement reven-

diquée, la Cour souhaitant éviter tout

chevauchement entre les règles que ces

textes énoncent et tout vide juridique. La

seconde précision concerne la référence

assez originale à laquelle procède la Cour

afin de légitimer l’interprétation qu’elle

délivre, en précisant que ladite interpré-

tation est corroborée par le rapport de

M. Lagarde sur la convention de La Haye

de 1996 concernant la compétence, la loi

applicable, la reconnaissance, l’exécution

et la coopération en matière de responsa-

bilité parentale et de mesures de protec-

tion des enfants.

V. É.

3. Restriction des motifs d’ordre public permettant

de s’opposer à la reconnaissance des décisions

rendues en matière de responsabilité parentale

(CJUE 19 novembre 2015, aff. C-455/15, P. c/ B. , D. 2015. 2450 ; ibid . 2016. 1045,

obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2016. 48, obs. E. Viganotti ; JDI

avr. 2016. Comm. 9 ; Procédures 2016. Comm. 16, obs. C. Nourissat ; Europe 2016.

Comm. 35, obs. L. Idot)

À l’occasion d’une rupture familiale d’une

triste banalité, l’arrêt P. c/ B. permet à

la Cour de justice de consacrer dans le

champ du règlement (CE) n o 2201/2003,

dit « Bruxelles II bis » 44 44 , la solution

récemment dégagée dans l’arrêt Diageo

Brands 45 45 , au sujet du règlement (CE)

n o 44/2001. L’analogie se trouve d’ail-

leurs explicitement faite par l’arrêt sous

commentaire. Se pose la question des

motifs justifiant un recours à la clause

d’ordre public permettant de s’opposer

à la reconnaissance par un État membre

d’une décision rendue par les juridictions

d’un autre État membre. La Cour juge en

effet que le recours à la clause d’ordre

public, figurant à l’article 23, sous a), du

règlement, ne devrait être concevable

que dans l’hypothèse, où, eu égard aux

intérêts supérieurs de l’enfant, la recon-

naissance de la décision rendue dans un

autre État membre heurterait de manière

inacceptable l’ordre juridique de l’État

requis, en tant qu’elle porterait atteinte

à un principe fondamental. L’affirmation

n’a évidemment rien de novateur et l’in-

( 41 ) Cf. supra . ( 42 ) Règl. (UE) n o 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juill. 2012 relatif à la compétence, la loi

applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.

( 43 ) Le règlement est entré en application le 17 août 2015. ( 44 ) Règl. (CE) n o 2201/2003 du Conseil du 27 nov. 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des

décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, abrogeant le Règl. (CE) n o 1347/2000. ( 45 ) CJUE 16 juill. 2015, aff. C-681/13, Diageo Brands BV c/ Simiramida-04 EOOD , RTD eur. 2015. 872, obs. E. Treppoz ; JDI

2016. 157, note J. Heymann ; Europe 2015. Comm. 398, obs. L. Idot ; Procédures 2015. Comm. 297, obs. C. Nourissat.

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Espace judiciaire européen en matière civile CHRONIQUES

térêt de l’arrêt se trouve dans la détermi-

nation d’un critère de l’atteinte, puisque

dans le but revendiqué de respecter la

prohibition de la révision au fond de

la décision rendue dans un autre État

membre, l’atteinte devrait constituer une

violation manifeste, eu égard aux intérêts

supérieurs de l’enfant, d’une règle de

droit considérée comme essentielle dans

l’ordre juridique de l’État requis ou d’un

droit reconnu comme fondamental dans

cet ordre juridique.

La solution dégagée dans l’arrêt Diageo

Brands se retrouve reprise quasiment à

l’identique, ce qui marque bien la volonté

de retenir une même conception restric-

tive des motifs permettant de s’opposer

à la reconnaissance. Un ajout se constate

cependant, de manière si logique, s’agis-

sant du règlement Bruxelles II bis 46 46 , que

l’on se contentera de le signaler : l’arrêt

P. c/ B. mentionne également les intérêts

supérieurs de l’enfant, comme motifs

permettant de s’opposer à la reconnais-

sance d’une décision rendue dans un

autre État membre.

Il découle d’emblée de l’arrêt une diffusion

de la solution retenue dans l’arrêt Diageo

Brands hors les murs du seul règlement

(CE) n o 44/2001. Le constat se révèle plu-

tôt opportun, bien que les interrogations

nées à l’occasion de cet arrêt ne s’avèrent

pas pour autant résolues, loin s’en faut.

L’arrêt P. c/ B. illustre en effet de manière

remarquable, et non sans susciter un

certain embarras, les incidences d’une

malheureuse combinaison entre, tout

d’abord, la négligence procédurale d’une

partie, ensuite, le peu de considération

des juridictions d’un État membre pour le

principe de confiance mutuelle et, enfin,

la solution restrictive dégagée dans l’arrêt

Diageo Brands. En définitive, la cohérence

de l’espace judiciaire civil européen se

trouve donc placée dans une situation

paradoxale, tiraillée entre une solution

logique et opportune dans son principe,

mais quelque peu gênante dans ses inci-

dences pratiques. Un bref exposé des

faits de l’espèce s’impose afin de saisir

les effets de la solution. Un conflit familial

éclate au sein d’un couple marié parent de

deux enfants, qui résidait habituellement

en Lituanie. L’arrêt révèle que le second

enfant du couple naît en Suède après le

prononcé du divorce par une juridiction

lituanienne, car la famille s’était installée

en Suède. Les enfants sont scolarisés

dans cet État, dont ils parlent la langue.

Plus tard, la mère emmène les enfants en

Lituanie, sans le consentement du père,

et demande à une juridiction lituanienne

de statuer sur les modalités de garde des

enfants. Rapidement, le père introduit

quant à lui une instance devant les juridic-

tions suédoises pour que lui soit accordée

la garde exclusive de ses deux enfants,

alors que le même jour, le tribunal litua-

nien fixe à titre provisoire la résidence de

l’un des enfants au domicile de sa mère

en Lituanie. Les juridictions lituaniennes

refuseront d’ordonner le retour immédiat

de l’enfant, en se fondant sur l’exception

de danger de l’article 13 de la Convention

de La Haye du 25 octobre 1980. Puis, une

autre juridiction suédoise va quant à elle

statuer au fond en fixant la résidence de

ce même enfant chez sa mère.

Dans ce contexte, l’absence de recon-

naissance de la décision lituanienne revêt

une importance pratique fondamentale,

en étant invoquée au soutien de la com-

pétence de la juridiction suédoise. Non

sans raison, cette dernière s’estimait en

effet compétente sur le fondement de

l’article 8 du règlement Bruxelles II bis.

Effectivement, avant le déplacement des

enfants et au moment de la saisine des

juridictions des deux États membres, les

enfants avaient bien leur résidence habi-

tuelle en Suède.

De manière assez habile, le père va

invoquer l’article 24 du règlement (CE)

n o 2201/2003, intitulé « Interdiction du

( 46 ) Sur l’intérêt supérieur de l’enfant, cf. par ex. CJUE, 3 e ch., 16 juill. 2015, aff. C-184/14, A. c/ B. , RTD eur. 2015. 801, obs. V. Égéa.

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contrôle de la compétence de la juridic-

tion d’origine », selon lequel il ne peut

être procédé au contrôle de la compé-

tence de la juridiction de l’État membre

d’origine et qui ajoute que le critère de

l’ordre public visé aux articles 22 et 23 ne

peut être appliqué aux règles de compé-

tence visées aux articles 3 à 14. Ainsi, l’ar-

ticle 15 du règlement (CE) n o 2201/2003,

qui consacre le célèbre mécanisme du

renvoi au juge mieux placé 47 47 , échapperait,

selon le père, au principe d’interdiction

du contrôle de la compétence de la juri-

diction d’origine. Le fait qu’une juridiction

suédoise se soit reconnue compétente en

méconnaissance de l’article 15 du règle-

ment (CE) n o 2201/2003 justifierait selon

lui un refus de reconnaissance de la déci-

sion ayant statué sur le droit de garde.

L’intérêt de l’arrêt réside en grande partie

dans la réponse apportée à cet argument

aussi original que pertinent. L’article 24

interdit tout contrôle de la compétence

de la juridiction de l’État membre d’ori-

gine et le fameux article 15 du règle-

ment (CE) n o 2201/2003 se trouve dans

un chapitre intitulé « Compétence » 48 48 .

Il s’ensuit que la violation alléguée de

l’article 15 par la juridiction d’un État

membre ne permet pas à la juridiction

d’un autre État membre de contrôler la

compétence de la première juridiction 49 49 .

La Cour ne manque pas ensuite de rap-

peler l’existence de dispositions spéci-

fiques dans le règlement Bruxelles II bis

visant à lutter contre le déplacement

illicite d’enfant et, en particulier, l’ar-

ticle 11. On songe bien sûr à la procédure

dite « de retour nonobstant », à laquelle

il est fait allusion, la Cour indiquant que

la juridiction de l’État membre de rési-

dence habituelle de l’enfant avant son

déplacement peut prendre une décision

ultérieure en vue d’assurer le retour de

l’enfant dans l’État membre où il avait

sa résidence habituelle immédiatement

avant son déplacement. Pour ce faire, la

juridiction compétente doit tenir compte

des motifs et des éléments de preuve

sur la base desquels a été rendue la

décision de non-retour. Autrement dit, si

le père avait saisi la juridiction suédoise

sur le fondement de retour nonobstant,

cette dernière aurait dû tenir compte

des motifs de non-retour retenus par la

juridiction lituanienne 50 50 .

Si l’extension de la solution de l’ar-

rêt Diageo Brands dans le champ du

règlement Bruxelles II bis peut a priori

paraître sévère en l’espèce, elle demeure

pourtant opportune dès lors que l’ar-

ticle 15 consacre effectivement une règle

de compétence. Elle démontre surtout

qu’il paraît sans cesse plus difficile de

s’opposer à la reconnaissance et que les

seules issues se trouvent soit du côté

des voies de recours prévues dans l’État

d’origine 51 51 , soit dans l’utilisation des

dispositions spécifiques du règlement

Bruxelles II bis , notamment en matière

de déplacement illicite d’enfant. Encore

faut-il les connaître et en maîtriser toute

la subtilité.

V. É.

( 47 ) Le renvoi au juge mieux placé constitue un mécanisme de coopération entre les juridictions des États membres, expression positive du principe de confiance mutuelle, qui permet à la juridiction d’un État membre, compétente pour connaître d’une affaire de responsabilité parentale, en vertu des règles ordinaires de compétence (art. 8 s. du Règl. n o 2201/2003) de procéder, à titre d’exception et dans l’intérêt de l’enfant, à un renvoi au juge d’un autre État membre mieux placé pour connaître de l’affaire. Le juge compétent peut de la sorte renvoyer soit à la demande d’une partie, soit d’office. Sur l’art. 15, cf. D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé , PUF, n o 798 ; V. Égéa, Une source d’inspiration pour l’espace judiciaire civil européen : le règlement Bruxelles II bis, in L’espace judiciaire civil européen en marche , dir. E. Guinchard et M. Douchy-Oudot, Dalloz, p. 36 ; E. Gallant, Rép. Dr. internat., v o Règlement Bruxelles II bis , spéc. n os 157 s. ; pour une mise en œuvre : cf. TGI Bernay, 26 janv. 2006, Procédures 2006. Comm. 275, obs. C. Nourissat ; Reims, 28 juill. 2009, JDI juill. 2012. 16.

( 48 ) § 42 à 44. ( 49 ) § 45. ( 50 ) CJUE 1 er juill. 2010, aff. C-211/10 PPU, Povse , RTD civ. 2010. 748, obs. P. Rémy-Corlay. ( 51 ) Comp. pour le refus d’exécution d’une décision de retour : CJUE 22 déc. 2010, aff. C-491/10 PPU, Rec. I-14247 ;

RTD eur. 2011. 482, obs. M. Douchy-Oudot ; Rev. crit. DIP 2012. 172, note H. Muir Watt ; D. 2011. 1372, obs. F. Jault-Seseke ; Procédures 2011. Comm. 59, note C. Nourissat ; Europe 2011. Comm. 118, note L. Idot.

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