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1 Mélanie Année 2005-2006 ARNAUD 2 ème année de Master Métiers des Arts et de la Culture Résidences : comment les artistes de spectacle vivant habitent un lieu Mémoire Sous la direction de Denis Cerclet Université Lumière-Lyon 2 Campus Porte des Alpes Avenue Pierre Mendès-France Faculté d’Anthropologie et de Sociologie 69676 BRON Cedex

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Mélanie Année 2005-2006 ARNAUD 2ème année de Master

Métiers des Arts et de la Culture

Résidences : comment les artistes de spectacle

vivant habitent un lieu

Mémoire

Sous la direction de Denis Cerclet Université Lumière-Lyon 2 Campus Porte des Alpes

Avenue Pierre Mendès-France Faculté d’Anthropologie et de Sociologie 69676 BRON Cedex

Page 2: Résidences : comment les artistes de spectacle vivant habitent un … · 2013-01-11 · 1 Mélanie Année 2005-2006 ARNAUD 2 ème année de Master Métiers des Arts et de la Culture

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Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier Guilhaine Albert-Tisserant, Marie Barbazin, Marion

Blangenois, Stéfan Bonnard, Annabelle Bonnéry, Estelle Bonnier, Christian Bourigault,

Jean-Paul Bouvet, Eloïse Brunet, Annick Charlot, Mary Chebah, François Deneulin, Elise

Garraud, Jean-Marc Lamena, Gwenaëlle Magnet, Marc Masson, Gilles Pastor, Aurélie

Pitrat, Pierre Pontvianne, Claude Tabouret, Thierry Thîeu Niang, Emilie Tournaire et

Pierre Treille, qui ont bien voulu se confier à moi et m’accorder de leur temps.

Je remercie tout le personnel du Toboggan et tout particulièrement les personnes du

service administration-finances pour leur accueil chaleureux.

Je remercie Jeanne Navarro pour ses conseils avisés et sa patience, Gina Compitello pour

ses talents en traduction, Thibault Deloche pour son soutien, Dominique Delattre pour

ses relectures et Bruno Arnaud pour ses compétences graphiques, ainsi que tous ceux qui

m’ont aidée dans mes recherches documentaires, notamment Claire Rengade et Ludovic

Janssens.

Ce présent travail n’aurait pu voir le jour sans l’aide précieuse de Denis Cerclet et William

Saadé.

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Sommaire

Introduction……………………………………………………………………………………………………………………………4

I/ Notion de résidence…………………………………………………………………………………………………………14

1) La diversité des résidences…………………………………………………………………………………………………….15

- Lieu de travail…………………………………………………………………………………………………………………………..15

- Notion de temps………………………………………………………………………………………………………………………..17

- Moyens (financiers, techniques, logistiques et humains)………………………………………………………..19

- Contrepartie……………………………………………………………………………………………………………………………..21

2) Les différentes fonctions des résidences……………………………………………………………………………….27

- La collecte………………………………………………………………………………………………………………………………..27

- La recherche……………………………………………………………………………………………………………………………..28

- La fabrication/création…………………………………………………………………………………………………………….29

- La diffusion……………………………………………………………………………………………………………………………….30

- La sensibilisation, la formation……………………………………………………………………………………………….30

3) Les résidences selon le Ministère de la Culture et de la Communication…………………………….32

- La résidence de création ou d’expérimentation…………………………………………………………………….35

- La résidence de diffusion territoriale…………………………………………………………………………………….36

- La résidence-association………………………………………………………………………………………………………….36

4) Etude étymologique du terme « résidence »…………………………………………………………………………37

II/ Habiter…………………………………………………………………………………………………………………………….41

1) Se sentir chez soi…………………………………………………………………………………………………………………….43

- Vivre dans le lieu : logement et restauration sur place……………………………………………………….…43

- Les convenances…………………………………………………………………………………………………………………………44

- Faire partie du lieu, de l’équipe……………………………………………………………………………………………..47

2) Le concept de l’« habiter » selon Heidegger………………………………………………………………………….50

3) Laisser des traces, se sentir libre et protégé…………………………………………………………………………55

- Les traces…………………………………………………………………………………………………………………………………..55

- La liberté……………………………………………………………………………………………………………………………………61

- La protection……………………………………………………………………………………………………………………………..64

4) Habiter : être, croître, évoluer………………………………………………………………………………………………67

- Rencontres, échanges………………………………………………………………………………………………………………..67

- Evolution des artistes…………………………………………………………………………………………………………….…72

- Transformation des autres………………………………………………………………………………………………………..74

- Influence sur la création…………………………………………………………………………………………………………..79

Conclusion…………………………………………………………………………………………………………………………….83

Bibliographie………………………………………………………………………………………………………………………..89

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Introduction

La résidence d’artistes dans le secteur du spectacle vivant n’est pas un phénomène

nouveau, mais il se développe de manière considérable depuis plusieurs années.

Nombreuses sont les compagnies à avoir besoin de lieux pour créer, répéter, monter leurs

spectacles. Comme l’explique Cyrille Planson dans son article « Résidences : laisser le

temps au temps »1, « le territoire français manque cruellement de lieux de travail et de

recherche pour les artistes » ; il ajoute qu’« avec un soutien affirmé depuis une dizaine

d’années des collectivités locales et une politique souvent incitative de l’Etat, le nombre

de résidences s’est multiplié, palliant pour partie cette carence »2. Cette formule permet

à des artistes, qui manquent de lieux de répétition, de travailler dans de bonnes

conditions, et leur évite l’acquisition ou la location d’espaces de travail pour leurs

créations. Les résidences d’artistes offrent également la possibilité à un théâtre de

s’inscrire dans un territoire grâce aux actions menées par les artistes en résidence dans la

ville : les établissements scolaires, les associations, les centres sociaux… ; elles permettent

en outre de tisser un lien entre théâtre et habitants, de fidéliser le public, etc. Cet aspect

des résidences dans l’optique des relations publiques d’une structure d’accueil ayant déjà

été traité3, j’ai préféré partir du point de vue des artistes pour aborder cette question

[dans la lignée de mon travail de recherche de première année de master, pendant

laquelle j’ai travaillé sur l’adaptation des politiques culturelles au travail artistique dans le

spectacle vivant en étudiant les formes ou dispositifs dans lesquels les artistes étaient

employés]. Ce qui m’intéresse est donc de comprendre comment les artistes vivent les

résidences et, malgré la diversité de pratiques que recouvre ce terme, les points communs

qui existent entre toutes ces situations.

Les résidences d’artistes existent dans d’autres domaines artistiques, comme les

arts plastiques et la littérature, mais j’ai choisi de centrer mon sujet sur le secteur du

spectacle vivant, et plus précisément encore sur les secteurs de la danse et du théâtre (en

laissant de côté la musique), du fait des divergences entre ces différents domaines en

terme de pratiques des résidences, de production de l’œuvre, d’économie etc. De plus,

1 C. PLANSON, « Résidences : donner le temps au temps », La Scène, n° 31, décembre 2003, p. 78. 2 Ibid. 3 K. MALTE, Les résidences artistiques, une réponse adaptée aux enjeux des jeunes compagnies et des théâtres de banlieues, mémoire de Master 2 Métiers des arts et de la culture, Université Lumière-Lyon 2, 2005

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l’idée que les artistes « habitent » le lieu de résidence me paraissait un point de départ

très intéressant. La lecture de Martin Heidegger m’a fait découvrir un concept de

l’« habiter » bien plus large que sa définition dans le langage courant et qui s’adaptait tout

à fait à mon étude.

Pour aborder mon travail de recherche, j’ai pris appui sur mon stage pratique

auprès de l’administrateur du Toboggan, Stéphan Tréguier. Le Toboggan (Décines, 69) est

une conventionnée par la DRAC4 Rhône-Alpes comme « Plateau pour la danse » et par la

région Rhône-Alpes comme « Scène Rhône-Alpes ». L’activité d’accueil de spectacles

pluridisciplinaires est intégrée à l’activité générale du Centre Culturel, qui compte

également une médiathèque, un cinéma et un espace d’exposition. Cette structure

d’accueil de type moyen, sans équipe artistique de création, propose donc des résidences

aux artistes de spectacle vivant. J’ai ainsi pu observer la pratique des résidences dans ce

lieu, en plus de mes missions administratives.

Cependant, pour mener mon travail de recherche je me suis surtout basée sur dix

entretiens avec des artistes et compagnies des secteurs de la danse et du théâtre. J’ai

délibérément choisi de réaliser des entretiens assez libres autour du sujet de la résidence.

Je leur demandais de me parler de leur expérience de la résidence en général - ou une en

particulier dont j’avais la connaissance et qui m’intéressait – et les personnes se révélaient

intarissables ; il est arrivé aussi qu’elles trouvent le sujet trop large et ne sachent par où

commencer, alors je les guidais en leur posant des questions liées à leur(s) résidence(s).

Nous allons récapituler les entretiens réalisés dans un descriptif assez bref5. Du fait de la

diversité des pratiques de résidences – que nous analyserons plus tard-, il est difficile, pour

chaque compagnie rencontrée, de renseigner le même type d’éléments. Pour décrire ces

rencontres, nous utiliserons le pronom « je » qui correspond à la personne physique, alors

que par ailleurs, nous utiliserons le pronom « nous » en tant qu’auteur.

Dans un premier temps, pour enrichir mon expérience, j’ai rencontré des artistes et

compagnies étant ou ayant été en résidence au Toboggan :

- Annick Charlot, chorégraphe de la compagnie Acte, Lyon (69). Entre juillet et

novembre 2006, la compagnie, en « résidence de création », a pu bénéficier du

plateau du Toboggan deux fois dix jours (dont la moitié avec le personnel

technique. J’ai eu la possibilité pendant mon stage, d’avoir un aperçu de cette

résidence, qui s’accompagne d’une coproduction. Lors de notre entretien, Annick

Charlot a pu comparer cette résidence avec d’autres expériences.

4 Direction Régionale des Affaires Culturelles 5 Pour de plus amples renseignements sur les artistes et les compagnies rencontrés, se reporter aux annexes

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- Claude Tabouret, administratrice de la compagnie Premier Acte, Villeurbanne (69).

Cette équipe artistique a été en « résidence d’implantation » au Toboggan de 1999

à 2005. Ce partenariat a permis à la compagnie de créer ses spectacles dans le

lieu : le plateau du Toboggan était à sa disposition quelques semaines l’été et,

avant la première, entre dix et quinze jours, avec le personnel technique (les

créations s’accompagnaient la plupart du temps d’un apport en coproduction). En

contrepartie, la compagnie animait des ateliers de théâtre avec les structures

partenaires (établissements scolaires, centres sociaux, médiathèque… de Décines),

diffusait ses pièces en appartement, etc.

- Annabelle Bonnéry et François Deneulin, directeurs de la compagnie Lanabel,

Barraux (38). Cette compagnie de danse a été en résidence au Toboggan pendant

trois ans, de 2001 à 2004. Elle a pu comparer cette expérience avec d’autres

résidences, notamment au Pot-au-Noir à Rivoiranches (38) et à O Espaço do Tempo

(L’Espace du Temps) à Montemor-o-Novo, à une centaine de kilomètres à l’est de

Lisbonne. Mais la compagnie Lanabel m’a intéressée également parce que j’avais

entendu parler de son expérience avec le groupe SEB. En effet, la compagnie, qui

souhaitait travailler à partir d’images des ateliers de production, a été mise en

contact avec la direction des ressources humaines du groupe SEB. Les artistes ont

visité les ateliers, enregistré des matériaux visuels et sonores, appris les gestes,

interrogé les opérateurs… Annabelle Bonnéry et François Deneulin ont longuement

hésité pour savoir s’il s’agissait là d’une résidence. Ils ont fini par en conclure que

cette aventure pouvait être qualifiée de résidence parce que, même si à aucun

moment l’équipe artistique n’a répété dans les bâtiments des entreprises, les

artistes s’y sont rendus très régulièrement pendant environ un an ; ils ont récolté

une matière précieuse pour le spectacle et ils ont développé un partenariat très

riche avec le groupe, qui a même abouti à une coproduction.

Ensuite, j’ai choisi de réaliser des entretiens avec des compagnies en résidence

dans des lieux dédiés à cette pratique :

- Thierry Thîeu Niang, chorégraphe de la compagnie Thierry Niang, Marseille (13).

Résidence à Ramdam, Ste Foy-les-Lyon (69) en 2005-2006. En tant que chorégraphe

renommé (il a notamment créé son dernier spectacle au Théâtre du Châtelet, à

Paris), Thierry Thîeu Niang n’a pas besoin de solliciter les lieux d’accueil pour ses

créations. En revanche, il a souhaité prendre du temps pour expérimenter,

chercher de nouvelles choses, travailler avec des personnes nouvelles, artistes et

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non artistes ; pour ce faire, il a choisi de demander quatre fois une semaine de

résidence à Ramdam, au calme.

- Estelle Bonnier, Pierre Pontvianne, Emilie Tournaire et Pierre Treille, danseurs

de la compagnie P.A.R.C., Saint-Étienne (42). Résidence à Ramdam, Ste Foy-les-

Lyon (69) en 2006. Cette jeune compagnie, qui avait déjà travaillé dans cet espace

l’année précédente, a trouvé en Ramdam un lieu pour prendre le temps (un mois et

demi) de créer son prochain spectacle, tant au niveau des répétitions que des

décors et de la scénographie. Les personnes rencontrées ont pu comparer ces

résidences avec d’autres expériences de résidences.

- Gilles Pastor, metteur en scène de la compagnie Kastôragile, Lyon (69). Résidence

aux Subsistances à Lyon (69) depuis l’automne 2004. Cette compagnie bénéficie

d’un bureau au sein du lieu d’accueil ainsi que de temps de travail assez longs :

trois semaines avant la première dans le lieu des représentations ainsi que plusieurs

mois dans des espaces de répétition des Subsistances, en plusieurs étapes.

Enfin, je me suis entretenue avec des compagnies dont la résidence fait partie

intégrante de leur projet :

- Aurélie Pitrat et Marie Barbazin, comédiennes du Théâtre Craie, Lyon (69).

Résidences autour de l’étang de Lindre (57) – commande du Parc Naturel Régional

de Lorraine - et plus particulièrement sur les communes d’Assenoncourt,

Guermange, Tarquimpol et Lindre-Basse en 2003 et 2004. La démarche du Théâtre

Craie est singulière : Claire Rengade, metteur en scène de la compagnie, propose

de créer un spectacle d’après les témoignages des habitants de la ville (ou du

village) de résidence. En amont, elle prend contact avec des personnes clés

(comme le maire, par exemple), s’investit dans la vie locale (elle assiste

notamment à des réunions de conseil municipal). Lors de la première phase du

travail, elle se rend sur place, organise des entretiens avec les personnes relais, qui

la renvoient vers d’autres et ainsi de suite. Lors de ces entretiens, qui ne sont pas

enregistrés, Claire Rengade, souvent accompagnée d’un(e) comédien(e), écoute ces

personnes se raconter, les observe, et prend des notes (les comédiennes que j’ai

rencontrées n’ont jamais participé à cette étape du travail). La deuxième phase

consiste à (ré)écrire le texte du futur spectacle. Lors de la troisième phase, elle se

rend sur place avec les comédiens du spectacle - tous logent chez l’habitant –

pendant quinze jours, afin de créer et finaliser le spectacle, qui est joué sur le lieu

de résidence, souvent en plein air. Les deux comédiennes interviewées m’ont

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raconté ces expériences, et surtout la relation particulière nouée avec les habitants

des villages de résidence.

- Eloïse Brunet, chef de troupe de la compagnie C’est pas si grave, Crépy-en-Valois

(60). Plusieurs résidences et notamment à la MJC de Crépy-en-Valois (60), au

Théâtre le Palace de Montataire (60) et aux Trois Pilats à Avignon (84). Cette jeune

compagnie de théâtre ne travaille qu’en résidence, même lors de la diffusion de ses

spectacles. Lors de la première création de la compagnie, les comédiens et

musiciens ont aussi créé un cabaret de textes et chansons pouvant être joué dans

d’autres lieux que les théâtres (bars, centres sociaux, médiathèques…), en amont

des représentations de la création théâtrale. La compagnie se déplace donc, à

chaque fois, pour plusieurs jours, voire plusieurs semaines. De la même manière,

pour sa deuxième création d’un texte théâtral, elle envisage de créer plusieurs

« petites formes » exportables hors théâtres afin de les diffuser autour des

représentations de la pièce centrale. Cette compagnie a également expérimenté,

lors d’une de ces résidences, le logement chez l’habitant.

- Stéfan Bonnard, directeur artistique de la compagnie KompleXKapharnaüM,

Villeurbanne (69). Les artistes de cette compagnie d’arts de la rue ne travaillent

qu’en résidence. Tout d’abord, ils conçoivent un canevas de spectacle. Puis, dans

un deuxième temps, ils se rendent dans la ville de la résidence afin d’effectuer des

repérages : une équipe élabore la déambulation et une autre équipe s’occupe de

rencontrer des habitants, des associations… et de filmer ces entretiens. Enfin, lors

de la troisième étape, les artistes retournent dans la ville pour quinze jours afin de

monter et de jouer le spectacle, racontant une histoire de la ville.

- Christian Bourigault, chorégraphe de la compagnie de l’Alambic, Pantin (93).

Résidences à Aulnay-sous-Bois (93) pour 2005 et 2006 et à l’Université Paris X-

Nanterre (92) pour 2006 et 2007 et artiste associé à Espaces Pluriels, scène

conventionnée de Pau (64). Christian Bourigault, qui dirige cette compagnie

francilienne, apprécie beaucoup les longues résidences ; il les pratique depuis

longtemps, et même, les cumule ! Il est actuellement en résidence pour deux ans à

l’Espace Jacques Prévert, théâtre d’Aulnay-sous-Bois, et sa résidence de deux ans à

Paris X-Nanterre (en cours depuis début 2006) est renouvelable deux fois deux ans.

Quant à son association avec Espaces Pluriels, elle dure depuis plusieurs années

déjà.

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Afin d’étayer mes réflexions, j’ai également rencontré des personnes de différentes

structures d’accueil :

- Jean-Paul Bouvet, directeur du Toboggan, Décines (69). En plus de mes

observations sur le terrain et des entretiens réalisés avec des artistes en résidence

au Toboggan, j’ai rencontré le directeur afin de compléter les différents points de

vue à ma disposition. Si chaque résidence a ses particularités, on peut toutefois

distinguer deux types majeurs de pratiques au Toboggan : les « résidences de

création », souvent accompagnées d’un apport en coproduction, pour lesquelles le

plateau du Toboggan est mis à la disposition de la compagnie pendant environ trois

semaines (dont la moitié avec du personnel technique) ; et les « résidences

d’implantation » qui durent plusieurs années (au moins deux) pendant lesquelles la

compagnie peut créer ses spectacles (dans les mêmes conditions que pour les

résidences de création) et mène des actions de sensibilisation et de formation

auprès des publics décinois.

- Elise Garraud et Jean-Marc Lamena, membres du collectif de Ramdam, Ste Foy-

les-Lyon (69). Cette ancienne menuiserie n’est pas une structure de diffusion mais

un lieu de travail pour artistes. Lors de sa création, les bénévoles de l’association

qui gère ce lieu ont proposé de louer les deux salles du lieu aux compagnies en

manque d’espaces de répétition. Leur constat a été le suivant : les compagnies

préfèrent éviter de louer des lieux de répétition (elles se débrouillent toujours pour

s’en faire prêter) et elles restent peu de temps au même endroit, dans une sorte de

pratique consommatrice. Les bénévoles ont décidé de demander des aides pour

monter un projet d’accueil de compagnies en résidence. Les artistes accueillis ont à

leur disposition un espace de travail, une loge, une cuisine et des caravanes ; ils

choisissent leur temps de présence, entre une semaine et deux mois et demi, qu’ils

peuvent fractionner.

- Guilhaine Albert-Tisserant, chargée de production et Marion Blangenois,

assistante aux relations publiques aux Subsistances, Lyon (69). Cet ancien site

militaire, racheté par la ville de Lyon en 1995, a subi une première phase de

travaux permettant d’utiliser une partie des bâtiments pour l’accueil d’artistes en

résidence (une deuxième phase de travaux est en cours : ainsi, l’autre partie des

bâtiments sera consacré à l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon). Pour l’instant, on y

trouve trois salles de spectacle, une salle d’exposition, quatre ateliers de travail,

un accès à la cuisine ainsi que quatorze chambres et trois studios permettant de

loger les équipes artistiques. Elles bénéficient de quinze jours à onze semaines

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(fractionnées) de plateau avec du personnel technique, ainsi que des moyens

financiers. En contrepartie, elles doivent participer à des rencontres avec le public

(sous diverses formes) et parfois des actions de formation auprès de différents

publics.

- Gwenaëlle Magnet, et Mary Chebah chargées de la communication et des relations

avec le public pour la compagnie Maguy Marin / Centre Chorégraphique National de

Rilleux-la-Pape (69). Lors de notre rencontre, les nouveaux locaux du CCN n’étaient

pas terminés. La compagnie ne bénéficiait alors que d’un studio et de bureaux. Elle

ne pouvait donc pas accueillir de compagnies en résidence et prêtait son lieu de

travail lors de ses tournées. En revanche, le nouveau lieu compte deux studios de

travail et une salle permettant d’accueillir du public, ce qui permet à la fois à la

compagnie de créer et d’accueillir des équipes artistiques en résidence. Elle leur

offre la possibilité de travailler jusqu’à trois mois (fractionnés) dans le lieu et de

finaliser leur spectacle avec des techniciens dans la salle de spectacles. Elle

apporte également des moyens financiers. En contrepartie, elle demande aux

équipes accueillies un temps d’ouverture au public (répétitions publiques tout

public et scolaires) et/ou des actions de sensibilisation auprès de la population.

- Marc Masson, directeur du Centre Culturel Charlie Chaplin, Vaulx-en-Velin (69). Le

Centre Culturel Charlie Chaplin, conventionné « Scène Rhône-Alpes », est une

structure de diffusion qui donne une grande importance aux résidences.

L’implantation des artistes dure au minimum six ans et peut aller jusqu’à dix ans.

Marc Masson a choisi de programmer moins de spectacles afin de donner le temps

aux artistes en résidence de finaliser leurs créations. Ainsi, pour chaque nouveau

spectacle, ils peuvent profiter du plateau un mois avant la première avec du

personnel technique. Ils jouissent également d’un soutien financier et logistique

(bureaux, studios…). Cette longue implantation leur permet de faire des projets sur

plusieurs années et de ne pas être dans l’urgence de trouver des espaces de travail

et des moyens. Par ailleurs, la compagnie en résidence mène des projets d’action

culturelle auprès de la population de Vaulx-en-Velin.

Pour commencer cette étude, nous ferons un rapide historique des résidences, qui

se sont développées très tôt dans le domaine de la peinture, puis dans celui de l’écriture

et plus tardivement dans le milieu du spectacle vivant.

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Mais, comme nous avons pu le remarquer dans le descriptif des entretiens réalisés,

cette pratique correspond à de nombreuses réalités. Nous commencerons donc par

analyser la notion de résidence. Pour étudier la diversité de ses formes, nous verrons que

la résidence se traduit par une aide à des compagnies ou à des artistes en les accueillant

dans un lieu : structure culturelle, structure de formation, structure autre (entreprise…),

territoire. Comme nous l’avons noté dans le descriptif ci-dessus, cet accueil peut aller de

quelques jours à plusieurs années. Il peut s’accompagner d’un logement pour les artistes,

de moyens financiers, de moyens techniques, de moyens humains. En échange de cette

aide, il est parfois demandé aux artistes une contrepartie qui peut prendre de nombreuses

formes : représentations, répétitions publiques, actions de sensibilisations auprès des

publics…

Cette pratique correspond à différentes fonctions du processus de création. Les

artistes utilisent parfois cette fonction lorsqu’ils veulent récolter de la matière qui servira

à « l’écriture » du spectacle. La résidence s’avère donc être une sorte de laboratoire, où

l’on expérimente de nouvelles choses, sans avoir pour objectif la production d’un

spectacle. Mais, le plus souvent, elle sert à créer, à finaliser un spectacle. Il existe

également une forme que l’on pourrait nommer « la résidence de diffusion », qui

s’applique surtout aux compagnies ayant créé des spectacles de différentes formes,

diffusables dans des lieux hors théâtres. Enfin, la résidence peut être utilisée dans un but

de formation et de sensibilisation des publics.

La résidence, dans le milieu du spectacle vivant, s’est beaucoup développée depuis

le début des années 80, répondant à plusieurs objectifs : d’une part, les artistes ont des

espaces de travail à leur disposition, d’autre part, les lieux d’accueil profitent de la

présence des artistes pour organiser des actions de sensibilisation auprès des publics.

Cependant, l’usage de la résidence s’étant développé sans cadre juridique précis, le terme

de « résidence » a été utilisé pour toutes sortes de pratiques. Le Ministère de la Culture et

de la Communication a rédigé une circulaire6 précisant les caractéristiques des résidences

en les divisant en trois types distincts : la « résidence de création », pour laquelle les

artistes doivent pouvoir disposer des conditions techniques et financières pour concevoir et

produire une œuvre nouvelle et qui doit permettre des actions de rencontre avec les

publics, mais devant rester secondaires ; lors d’une « résidence de diffusion territoriale »,

il s’agit de diffuser largement la production des artistes, leurs multiples formes et dans des

lieux très diversifiés, le but étant de repérer de nouveaux publics et de sensibiliser la

population ; enfin, la « résidence-association » sous-entend une longue durée d’installation

6 Voir en annexe.

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des artistes (plusieurs années), qui doivent « investir un espace », avec pour mission de

créer, diffuser, sensibiliser…

Pour terminer cette première partie, nous nous attacherons à l’étude étymologique

du terme « résidence ». Ce mot contient, dans sa définition première, l’idée d’habiter, ce

qui nous conduira à la deuxième partie, où nous analyserons plus précisément la résidence

sous l’angle de « l’habiter ».

Si l’on considère « habiter » au sens premier du terme, on pense « être chez soi »

et cette sensation se traduit chez les personnes rencontrées de plusieurs manières,

d’abord objectivement, puis de manière plus subjective. Certaines habitent par exemple

le lieu de résidence parce qu’elles y vivent en logeant et en se restaurant sur place. Par

ailleurs, les compagnies logeant chez l’habitant ont eu affaire à un élément de

« l’habiter » de Pierre Mayol, les convenances. Les comédiens qui l’ont vécu disent avoir

eu l’impression « de rentrer chez soi sans que cela soit vraiment sa maison ». Plus

subjectivement encore, les artistes disent l’impression de faire partie du lieu, de faire

partie de la même équipe que celle du lieu d’accueil : ils s’installent.

Mais « habiter » est une notion bien plus large et plus complexe que ces

expériences assez concrètes du fait d’habiter. En effet, Martin Heidegger en a créé un

concept, que nous allons tenter d’expliquer avant de l’appliquer aux pratiques évoquées

lors des entretiens. Ce concept peut s’appliquer aux résidences d’artistes par bien des

aspects.

Nous verrons que l’une des facettes de l’« habiter » correspond à « laisser des

traces ». Plusieurs personnes rencontrées utilisent, pour parler de leur présence et de leur

action dans un lieu ou sur un territoire de résidence, de ce qu’ils laissent après leur

passage, les champs lexicaux de la culture (agricole) et de la construction. Et, si tous

n’utilisent pas ces isotopies, tous les artistes rencontrés insistent sur l’importance de

mener des projets, d’être présents par leurs actions, afin qu’il « se passe quelque chose ».

Ensuite, la notion de liberté est présente également, tout comme dans la

philosophie de Martin Heidegger. Les artistes souhaitent être libres dans leur création bien

sûr, mais également dans le choix de mener des actions et dans la manière de les mener.

Un autre aspect de l’ « habiter » se rapporte à la sensation de protection. Les

artistes, souvent en création lorsqu’ils sont en résidence, se disent fragilisés. De ce fait, ils

insistent sur l’importance pour eux d’être suivis, soutenus par l’équipe du lieu qui les

accueille.

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Enfin, selon la pensée de Martin Heidegger, les hommes « habitent » dans leur

« présence-au-monde-et-à-autrui ». De même, les artistes « habitent » en « étant », et ils

existent par leur relation aux autres : les échanges, le partage ont une grande importance

à leurs yeux, ainsi que les rencontres avec la population, le public, l’équipe du lieu, les

personnes des structures relais (écoles, centres sociaux…). Ils sont prêts à découvrir, à se

transformer, à évoluer. Ils souhaitent faire évoluer les mentalités, les a priori sur l’art,

leur métier… Ils acceptent, avec plaisir même, que cette « vie » nourrisse et influence la

création, fasse évoluer le projet… Ils apprécient également, si cela est fait avec

délicatesse, un regard extérieur sur l’aspect artistique de la part des professionnels.

Réciproquement, ils font également preuve de délicatesse, respectent les lieux, la parole

et la vie privée des gens, ils en prennent soin, de la même manière que l’on prend soin

d’eux. Finalement, la notion de résidence, malgré ses nombreuses réalités, se précise : il

n’y a de résidence que s’il y a un véritable échange.

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I/ La notion de résidence

Nous allons aborder la notion de résidence par un bref historique de cette pratique.

Elle existe depuis l’antiquité – époque à laquelle elle correspondait à une commande

précise, royale ou princière, d’un temple, d’un monument ou d’une sculpture. Et, comme

l’indique Yann Dissez, en ce temps-là, « l’artiste […] était conduit à se déplacer [du fait

de] la nature de l’ouvrage à réaliser, des moyens à mettre en œuvre [qui] rendaient

impossible une réalisation à distance, compte tenu des moyens de transport et de

communication. La « résidence » n’était donc pas une fin en soi mais une façon de réaliser

une œuvre »7. Cette pratique des résidences d’artistes était toujours liée au mécénat.

Au Moyen Age, l’artisan, pour parfaire sa formation, voyageait auprès de maîtres

reconnus dans toute l’Europe. A cette période, l’artiste ne se distinguait pas encore de

l’artisan et la différence entre création d’œuvres originales et reproduction de savoir-faire

ne s’est faite que plusieurs siècles après. Comme l’explique Philippe Chaudoir, « l’accueil

de ceux que nous reconnaissons comme artistes aujourd’hui par des mécènes […]

s’apparentait souvent à un quasi servage »8.

Cependant, l’institutionnalisation de cette pratique de résidence ne remonte qu’au

XVIIème siècle, et ne se met véritablement en place qu’à partir du XIXème siècle, où les

résidences organisées sont installées à la Villa Médicis, soumises à un concours et

fortement encadrées. L’auteur des Résidences d’artistes en question ajoute qu’à ce

moment-là « le fait résidentiel est alors envisagé comme une sorte de privilège

démocratique favorable à la création »9. Le terme de « résidence » voit son utilisation

devenir de plus en plus rare, alors même que la pratique qui lui correspond reste très

présente dans la première moitié du XXème siècle.

Cette notion réapparaît au grand jour en France au moment de la mise en place de

la décentralisation culturelle, dans les années 80. L’Etat, qui souhaite accentuer la

promotion de la création contemporaine, développe alors les résidences d’artistes. D’après

Philippe Chaudoir, « cette institutionnalisation va s’accompagner d’une prise en compte

des territoires où s’inscrivent les résidences dans un contexte où le constat est posé de

7 DISSEZ Y., « Habiter en poète ». La résidence d’auteur., mémoire de DESS Développement culturel et direction de projet, ARSEC-Lyon 2 in CHAUDOIR P., Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 8. 8 CHAUDOIR P., Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 9. 9 Idem, p. 10.

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leur déficit d’animation »10 ce qui donne à l’Etat et aux collectivités territoriales une

raison de plus de développer cette pratique.

1) La diversité des résidences

Comme nous l’avons déjà évoqué : la résidence s’est beaucoup développée

dernièrement, elle a pris de nombreuses et diverses formes, ce qui la rend d’autant plus

difficile à définir. Il n’existe d’ailleurs pas de contrat spécifique à cette pratique, et « elle

ne répond à aucune qualification juridique précise »11. La seule base commune de la

résidence est l’accueil d’artistes ou de compagnies. Nous allons voir en quoi peut consister

cet accueil et de quel type d’aide il peut s’accompagner.

- Lieux de travail

Il est nécessaire de commencer par rappeler le présupposé évoqué dans notre

introduction, les compagnies ont besoin de lieux de travail pour créer. Les témoignages

recueillis le confirment : « Nous, on passe notre temps à courir pour trouver des studios, c’est

lourd. »

Annick Charlot « On en a besoin de ces espaces [de travail] ! »

« […] c’est grand, c’est spacieux, c’est un bel espace pour travailler, et ça

c’est important. »

« Par exemple, sur le prochain projet, comme on n’a pas de lieu de

travail…, de toutes façons, à chaque fois, on cherche des lieux pour aller

travailler. »

Annabelle Bonnéry

La résidence permet de répondre à ce besoin… : « Les Subsistances, c’est un formidable outil de création. »

Gilles Pastor « A Aulnay, j’ai un studio pratiquement… A l’école de musique et de

danse, il y a deux studios, il y en a toujours un qui est libre, je peux les

10 CHAUDOIR P., Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 11. 11 Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 27.

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avoir pratiquement tous les matins voir certains jusqu’à 16h30, c’est-à-

dire jusqu’au moment où les cours du soir commencent ; ça, c’est

vachement important. »

Christian Bourigault

…la plupart du temps : « Dans le cahier des charges [de la résidence], il est écrit que le théâtre

doit fournir à la compagnie en résidence un théâtre et des studios de

répétition et je crois que Nanterre, c’est la seule université francilienne à

avoir un théâtre […]. Sauf que ce théâtre, il est pris par d’autres

spectacles parce qu’il y a un chœur de profs et d’étudiants, ils font quatre

ou cinq diffusions par an, et quand ils répètent, ils prennent le plateau

[…]. Après, il y a des enseignements de théâtre qui ont lieu sur le plateau,

il y a des manifestations ; ce qui fait qu’à part en juillet, août et

septembre, le théâtre est quand même très occupé, moi, je ne peux pas y

travailler. Là, si je calcule, cette année […], j’ai eu le théâtre peut-être

dix, douze jours. Et les studios, c’est encore plus compliqué parce qu’ils

sont tout le temps utilisés par les cours. On peut y aller le samedi matin,

éventuellement certains soirs, donc c’est pas du tout des conditions de

création. »

Christian Bourigault

Comme ces extraits d’entretiens en rendent compte, la résidence est, en premier

lieu, la mise à disposition d’un lieu de travail. Et il apparaît que cet élément, l’espace de

répétition, est très difficile à trouver par les compagnies. Comme l’écrit Philippe Verrièle,

« pour la compagnie de danse, [la résidence], c’est l’occasion […] de disposer de

conditions de travail plus favorables pour une création »12. Albane Ahrens et Laure

Guazzoni confirment que « du point de vue de la compagnie […], le premier bénéfice est

de trouver un lieu de travail dans un contexte où c’est de plus en plus difficile »13. Les

représentants des structures d’accueil rencontrées ont également insisté sur le fait que la

résidence est avant tout une mise à disposition du lieu, du plateau.

12 In BARCELO V., BOURIGAULT C., GINOT I., LOUPPE L., VERRIELE P., Christian Bourigault, Feillens, Editions W – Addim 89, 1998, p. 20. 13 Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 8.

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- La notion de temps, de durée

A propos de la résidence, la notion de temps est centrale puisqu’un lieu d’accueil

peut, pour une résidence, accorder à un ou plusieurs artistes un temps compris entre

quelques jours et plusieurs années. C’est même parfois cet élément qui sert à distinguer

un accueil en programmation d’une résidence. Les auteurs de Pratiques et usages des

contrats dans le spectacle vivant précisent que les lieux d’accueil « donnent avant tout à

la compagnie un lieu et du temps »14. Toutes les personnes que rencontrées ont évoqué la

durée de la résidence, qui peut être très variable – moins d’une semaine à une pluri-

annualité longue (voir en introduction). De plus, la durée de la résidence est difficilement

quantifiable : c’est l’exemple du Théâtre Craie qui effectue un travail sur une durée assez

longue (depuis la prise de contact avec les personnes clés jusqu’à la représentation, il se

passe environ deux ans) alors que la durée de résidence de création avec les comédiens

s’effectue sur deux semaines. L’expérience de Thierry Thîeu Niang est aussi représentative

à ce sujet ; il a choisi de travailler quatre fois une semaine espacées sur la saison, doit-on

considérer qu’il est en résidence pendant une saison, ou pendant quatre semaines ? Lui-

même a évoqué quatre semaines, c’est pourquoi nous garderons cette durée et nous

prendrons en compte la durée évoquée par les artistes. De la même manière, Christian

Bourigault sera en résidence à Limoges l’année prochaine trois fois une semaine sur un an.

Nous pouvons remarquer que, dans les lieux dédiés aux résidences (Ramdam et les

Subsistances), les temps de présence sont choisis par les compagnies, la seule contrainte

étant de s’arranger avec la structure d’accueil pour les plannings. Dans ces deux lieux, la

moyenne se situe autour de quatre semaines.

Du point de vue des artistes rencontrés, il semble que ce soit l’idée de « prendre du

temps », « prendre son temps » qui soit importante : « Là [à Nanterre], c’est deux ans, moi, ça m’a intéressé parce que c’est

pas seulement deux ans et après ça s’arrête, l’idée, c’est que ça puisse

être renouvelé deux ans et encore deux ans […]. Avec la réserve que ça

puisse s’arrêter au bout de deux ans, j’aimerais bien travailler au moins

quatre ans. »

« Je suis persuadé qu’il faut du temps et que la résidence inscrit du temps,

de la durée […]. J’aime bien cette idée du temps, même si dans ce temps-

là, je suis speed, mais c’est pas le même temps. »

Christian Bourigault

14 Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 30.

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« C’est vrai qu’ici, c’est possible que le temps de fabrication soit très

posé. »

Gilles Pastor

Ce temps, tant apprécié par les artistes est considéré comme une richesse, une chance ; il

devient même l’un des matériaux de la création, ce dont Annick Charlot et les danseurs de

la compagnie P.A.R.C. témoignent : « Dépenser du temps pour rien, les trois quarts du temps, c’est pour rien.

On gaspille du temps. Si nous [les artistes], on se donne pas ce temps-là,

qui se donne ce temps-là dans notre société ? »

Annick Charlot

« Nous, on a de la chance parce qu’on reste un mois quelque part, donc on

a le temps de s’installer dans notre travail. »

« Dans les « Plateaux pour la danse », on retrouve bien le problème des

courtes périodes, dans la journée, vu que le temps est condensé parce que

les studios sont à partager avec d’autres, chacun sait qu’il a cinq six

heures dans la journée […] Ici, on peut juste prendre plus le temps, en

fait… »

Compagnie P.A.R.C.

Parfois, le temps prend une dimension particulière dans le cadre de la résidence, c’est

notamment le cas pour Thierry Thîeu Niang et Annabelle Bonnéry : « Ça permet de mieux prendre du temps d’écoute avec chacun. »

« Je suis quelqu’un de très lent, ce qui fait que j’ai besoin de travailler

dans la durée, sur le temps. »

Thierry Thîeu Niang « Le lieu [de résidence au Portugal] s’appelle O Espaço do Tempo,

« l’espace du temps » ça dit bien ce que ça veut dire ! Là-bas, on a eu

trois semaines en moyenne, on pourrait demander plus, on pourrait

demander moins. Moi, c’est le temps que je trouve bien. »

Annabelle Bonnéry

Interviewé pour l’article « Résidences : laisser le temps au temps », Jean-Claude

Collet, directeur de la Scène Nationale d’Alençon Flers (61), semble partager cette idée de

temps puisqu’il insiste particulièrement sur ce point en déclarant : « n’oublions pas que

nous devons, avec ces résidences, offrir des moyens mais aussi du temps aux

compagnies »15.

15 C. PLANSON, « Résidences : donner le temps au temps », La Scène n° 31, décembre 2003, p. 79.

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- Moyens (financiers, techniques, logistiques et humains)

La résidence artistique s’accompagne, en général, d’un soutien à la compagnie.

Celui-ci peut prendre différentes formes ; il peut s’agir de moyens financiers (parfois sous

forme de coproduction), techniques, logistiques ou humains. En effet, la plupart des lieux

d’accueil visités (les Subsistances, le Toboggan et le Centre Culturel Charlie Chaplin)

participent financièrement à la création des artistes accueillis. En revanche, Ramdam n’a

pas les moyens d’apporter un financement aux compagnies en résidence et le collectif qui

gère l’association s’interroge sur la pertinence de chercher des subventions pour proposer

une aide financière aux compagnies. A ce sujet, la question de la justesse du partage de

ces fonds se pose aussi. Les membres du collectif envisagent donc une autre forme d’aide,

à savoir l’embauche d’un(e) cuisinier(ère) pour préparer à manger aux artistes en

résidence, qui ont déjà accès à la cuisine du lieu.

A ce sujet, Christian Bourigault, par rapport à la suspension de sa résidence à

Aulnay-sous-Bois, explique qu’une résidence en moins, « c’est des moyens en moins pour

une compagnie parce que l’autre intérêt de la résidence pour moi, c’est de faire vivre une

compagnie, il y a un intérêt économique aussi. C’est-à-dire qu’au-delà de la vente des

spectacles c’est aussi une arrivée d’argent pour la compagnie, qui permet d’avoir une

activité, de faire travailler des danseurs ». En ce qui concerne les aides financières

apportées par les lieux aux artistes et compagnies, Philippe Verrièle tempère en écrivant

que la résidence, « pour la compagnie, c’est l’occasion de renflouer les caisses

(théoriquement, très théoriquement) »16.

Les lieux proposant un soutien technique par la mise à disposition de matériel et de

personnel sont les Subsistances, le Toboggan et le Centre Culturel Charlie Chaplin. Pour

Nicolas Meurin, c’est lors de cette phase de création que la résidence est essentielle, il

considère en effet que « la résidence est nécessaire dès qu’on aborde la technique »17.

L’aspect technique est une phase importante de la création pour Annabelle Bonnéry qui

affirme que « ce qui est génial à O Espaço do Tempo, c’est de pouvoir faire une création

lumière, d’avoir un lieu équipé, avec quelqu’un qui puisse travailler ». Elle ajoute : « c’est

super difficile parce qu’en général, il faut que ce soit un théâtre, et un théâtre où il n’y a

pas de spectacles, c’est rare, ça veut dire pendant les vacances… ».

Outre les moyens financiers ou techniques existent aussi des soutiens logistiques. Et

nous avons pu remarquer au cours de nos visites des lieux d’accueil que l’apport logistique

est important : Ramdam offre aux compagnies un accès à la cuisine, des caravanes, des

16 BARCELO V., BOURIGAULT C., GINOT I., LOUPPE L., VERRIELE P., Christian Bourigault, Feillens, Editions W – Addim 89, 1998, p. 20. 17 MEURIN N., « L’artiste est dans la place », La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin 1999, p. 60.

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loges et un bureau ; quant aux Subsistances, elles proposent des chambres, un accès à la

cuisine et un bureau ; le Toboggan met à la disposition des artistes un accès à la cuisine ;

enfin, le Centre Culturel Charlie Chaplin propose un bureau. Ces diverses aides sont

particulièrement appréciées des compagnies. Pour preuve, ces quelques témoignages : « Ce qui est bien aussi, c’est l’apport logistique, c’est-à-dire qu’on nous

prête des ordinateurs, c’est un gros soutien […]. On peut aussi venir voir

l’administratrice, lui poser des questions. »

« Il y a aussi cette question des caravanes, un logement sur place qui

facilite plein de choses. »

Compagnie P.A.R.C. « Depuis 2004, je leur disais [aux directeurs des Subsistances] que la chose

dont j’avais besoin, c’était un bureau, c’était une nécessité parce qu’un

bureau, ça coûte et je trouvais ça bien que les Subsistances puissent offrir

cette possibilité-là aux compagnies. »

« Dans la mesure où il y a une cuisine, on peut organiser un catering avec

un cuisinier ou, en tout cas, les résidents peuvent se faire à manger. Et, si

jamais il y a des gens extérieurs de la région, ils peuvent dormir ici. »

« Il y a plein de choses qui sont possibles. Moi, les deux spectacles que j’ai

faits ici, j’ai demandé en plus un atelier pour que ma costumière s’installe

pour qu’elle en fasse son atelier de costumes. »

Gilles Pastor « A O Espaço do Tempo, ils peuvent participer en coproduction mais ils

peuvent aussi juste accueillir et simplement après, on est logés, et les

repas sont pris en charge […]. Pour les transports, ils peuvent prendre en

charge mais de la France, ils ont un peu de mal. »

Annabelle Bonnéry et François Deneulin

Les artistes rencontrés soulignent par ailleurs le fait que les différentes aides en

nature peuvent être valorisées financièrement du fait qu’elles permettent à la compagnie

d’effectuer moins de dépenses. Par exemple, la compagnie C’est pas si grave bénéficie de

l’accès au restaurant municipal de Montataire, ce qui lui permet de faire des économies,

étant donné que l’équipe compte dix-sept personnes. D’autres artistes ont fait remarquer

cet aspect économique : « Une résidence sans argent, c’est déjà énorme pour une création. »

Compagnie P.A.R.C. « Quand j’avais repris un spectacle que j’avais joué ici, il allait partir en

tournée. Trois semaines avant, le décor a été construit, peint ici. Tout a

été fait sur place alors que ça, normalement, c’est très compliqué, c’est-

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à-dire qu’il faut trouver un lieu pour les constructeurs, le plus souvent en

location. »

Gilles Pastor « Il y a forcément financement dans le sens où on nous prête un lieu

gratuitement. Juste le chauffage d’un lieu comme le Pot au Noir, ça coûte

très cher, un mois de chauffage. Déjà, être accueilli sans avoir de frais,

c’est énorme. »

Annabelle Bonnéry et François Deneulin

- Contrepartie

En échange de ce lieu, de ce temps, de cet argent, de cette logistique, une

contrepartie est parfois demandée aux compagnies, surtout dans le cas de longues

résidences (plusieurs années) et, selon les structures, elle peut être plus ou moins

imposée.

A Ramdam, par exemple, rien n’est imposé aux artistes mais le collectif d’accueil

(appelé « les soucieux » de Ramdam) incite à la présentation du travail, même s’il n’est

pas terminé. Ils tentent également d’organiser des rencontres, notamment entre les

artistes de la compagnie P.A.RC. et des élèves d’une école de Ste Foy-les-Lyon. Là encore,

aucune obligation, cette intervention en milieu scolaire a été proposée à la compagnie, qui

a accepté. Mais ce type de rencontres est difficile à organiser car les compagnies en

résidence à Ramdam sont en création, donc peu disponibles et présentes pour un temps

limité. La compagnie P.A.RC. précise d’ailleurs qu’il « faudrait être là sur le long terme

parce qu’[ils font] déjà ça, à Saint-Étienne ».

Au CCN de Rilleux-la-Pape, il est demandé aux compagnies un temps d’ouverture au

public, c’est-à-dire des répétitions publiques auprès du tout public et du public scolaire. Si

le rendu public n’est pas possible, il leur est demandé une action en lien avec le territoire,

comme des ateliers de danse.

Dans la même perspective, les personnes en résidence d’implantation au Toboggan

animent des ateliers de pratique artistique en milieu scolaire et en partenariat avec des

structures relais de la ville de Décines (centres sociaux, médiathèque, etc.). Ils peuvent

proposer tout type d’actions qui permet d’apporter le spectacle vivant « au plus près des

gens, pour leur donner le goût de revenir vers le lieu de représentation »18. Claude

Tabouret raconte que « la compagnie Premier Acte [en résidence au Toboggan pendant six

ans] proposait des actions en milieu scolaire, du théâtre en appartement, des lectures à la

18 Jean-Paul Bouvet, directeur du Toboggan

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médiathèque… ». Elle précise également que la compagnie organisait - et organise toujours

- un événement au mois de mai, le RESO, dont l’intérêt est de réunir tous ces ateliers, qui

ont un thème de base au départ, et de monter un spectacle : « en gros c’est monté en kit

toute l’année et le spectacle est monté au Toboggan ; donc, il y a des enfants d’écoles

primaires, des enfants d’IME (institut médico-éducatif), des élèves de LEP (lycée

d’enseignement professionnel), des lycéens du Lycée Charlie Chaplin qui ont une option

légère théâtre, donc, c’est vraiment des publics complètement différents ». De plus, la

compagnie Premier Acte a développé ce qu’elle appelle « l’école Premier Acte », où les

comédiens de la compagnie, qui sont amenés à animer des ateliers théâtre, se forment à la

pédagogie. Mais il est important pour le metteur en scène de la compagnie que cette

activité de transmission reste liée à la création et que les comédiens la pratiquant

continuent à créer. Quant aux compagnies en résidence à Vaulx-en-Velin, elles mènent,

parallèlement à leur travail de création, des actions avec les habitants : des ateliers

théâtre, écriture, danse…

En revanche, la plupart du temps, Christian Bourigault, lorsqu’il est en résidence,

est libre dans le choix des actions qu’il va mener pour répondre à la « mission » de

sensibiliser les différents publics à la danse contemporaine confiée par la personne qui

organise la résidence. Il explique sa démarche : « Je fais d’abord une réunion avec le […] pilote de la résidence et je

demande à rencontrer tous les partenaires qui peuvent être intéressés par

la résidence, donc ça va de l’équipe chargée de l’action culturelle du

théâtre - dont c’est un peu la fonction principale - jusqu’à la prof de danse

de la petite MJC de quartier qui a entendu parler de la venue d’un

chorégraphe […] jusqu’à la prof d’EPS qui fait de la danse dans son lycée…

Donc, je réunis tous ces gens-là autour d’une table […] et je leur pose la

question « qu’est-ce que vous attendez de la part d’un chorégraphe

contemporain en résidence ? » […]. Ensuite, je vois ce qu’on peut faire

ensemble. Ce qui m’intéresse, quand je suis en résidence, c’est inventer

des modes de transmission, ça ne m’intéresse pas de donner le même

cours de danse, le même atelier pendant dix ans ; ça m’amuse d’inventer

quand je me retrouve dans un lycée agricole […] avec les mecs et les nanas

de dix-sept ans qui arrivent avec leurs gros souliers, qui enlèvent pas leurs

chaussures dans le studio de danse, qui enlèvent pas leur blouson,

comment est-ce qu’on va faire ? Pour moi, c’est un pari génial […], c’est

un challenge ! »

La démarche de Regards et Mouvements à Pontempeyrat est plus originale ; elle

nous est relatée dans Ilots artistiques urbains : « les comédiens échangent un toit contre

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un coup de main à l’entretien et aux travaux ; ce n’est pas toujours facile mais le troc est

l’une des richesses du lieu »19. Ce genre de situation est rare mais peut convenir aux deux

parties.

En termes de contrepartie, la compagnie Lanabel a vécu de nombreuses

expériences de résidences qui comportent toutes leurs particularités. Celle demandée par

le groupe SEB est assez singulière : en effet, les artistes sont intervenus plusieurs fois dans

des commissions de travail par rapport à leur vision du corps, du mouvement, du geste, en

tant que danseurs. Cette demande de la part du groupe SEB n’a pas du tout été perçue

comme une obligation. Par ailleurs, en résidence à O Espaço do Tempo, les artistes ont une

possibilité de visibilité publique, qui peut être dans le cas d’une programmation, ou

décidée au dernier moment, mais il n’y a aucune obligation. Annabelle Bonnéry, lors de sa

résidence, a, entre autres, encadré un stage à l’Ecole Supérieure de Danse de Lisbonne ce

qui était une demande de la structure d’accueil, qui est en lien avec l’école de danse ; en

effet, la directrice de l’école de danse essaie d’organiser la venue de danseurs et de

chorégraphes mais comme elle a peu de moyens, elle profite des artistes en résidence à O

Espaço do Tempo. A ce moment-là, Annabelle Bonnéry était sur place sans but de création

imminente donc disponible ; elle a accepté et même apprécié cette rencontre. La

contrepartie est, dans un tel cas, également profitable à l’artiste.

Dans le cas des Subsistances, il est précisé dans la convention de résidence que,

dans le but de mettre en relation le travail des artistes en résidence avec le plus grand

public possible, « pendant toute la durée de sa résidence, la compagnie s’engage à

participer à des rencontres publiques qui lui seront définies par avenant ». En effet, il est

proposé aux compagnies des rencontres avec le public tout au long de leur résidence (plus

la résidence est longue et plus il y en a). D’abord, il y a « l’art au comptoir », qui se passe

au tout début de la résidence, dans un bar, en dehors du lieu de résidence, où la directrice

du lieu fait un portrait de l’artiste ou de la compagnie. Le ou les artiste(s) présente(nt)

alors les prémices de la création à travers des lectures, des images, des photos, des objets

qui racontent quelque chose de la création avant un débat avec le public. Un deuxième

type de rencontre, intitulée « la soupe à la répèt’ », consiste à présenter au public une

répétition publique, en lui expliquant qu’il va voir une étape de travail, un chantier, suivie

d’un repas et d’une discussion partagés avec les artistes. Après la dernière représentation,

la fête « de dernière » est intitulée « afterwork » et est ouverte au public : ce sont les

artistes en résidence qui ont choisi le DJ invité. Par ailleurs, en plus des rencontres avec le

public, il est proposé aux compagnies en résidence aux Subsistances des actions de

formation et de sensibilisation des publics. Gilles Pastor s’occupe par exemple d’un atelier

19 Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 59.

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tout public qui se passe sous forme de week-ends, environ une fois par mois, depuis le

mois de novembre et jusqu’au mois de juin, avec une présentation à la fin de la saison. De

plus, il anime des ateliers de théâtre en prison qui ont été inscrits dans le cahier des

charges de sa résidence : « on m’a proposé de [le] faire, et puis ça m’intéressait de le

faire par rapport à ma création, mais c’était pas du tout une obligation ». Comme pour la

compagnie Lanabel, une telle contrepartie est enrichissante aussi pour l’artiste.

De la même manière, à la Maison de la Culture de Chambéry, « en contrepartie [de

l’accueil en résidence], l’artiste s’engage à faire partager au maximum la création en

cours »20. Et le directeur de cette Scène Nationale d’ajouter qu’« à chaque fois, il faut

trouver le bon axe pour toucher le public ». En effet, nous avons pu le constater à travers

les expériences des artistes rencontrés, si la contrepartie demandée est adaptée à l’artiste

et à sa manière de travailler, et si elle est imaginée en collaboration avec lui, elle semble

très bien vécue, même si elle est imposée par contrat.

Et parfois, ce sont les artistes eux-mêmes qui proposent, de leur plein gré, des

actions en direction des publics. Par exemple, Annick Charlot, lors de sa résidence de

création au Toboggan (qui ne comportait aucune obligation de contrepartie), souhaitait

mener une action en lien avec la structure d’accueil et a proposé une répétition publique

et un atelier de danse au personnel du lieu. Nicolas Meurin, dans son article « Théâtre de

Sartrouville, la maison de Joël et Angélique », dans lequel il analyse l’opération « artistes

associés » de la Scène Nationale, confirme ce type de démarche. En effet, Claude

Sévenier, alors directeur du Théâtre de Sartrouville, déclarait : « nous avons décidé de

servir leurs projets sans contrepartie […] et lorsque les deux artistes [Joël Jouanneau et

Angélique Ionatos] ont participé à des démarches d’action culturelle (notamment des

ateliers écriture ou musique dans les établissements scolaires de Sartrouville), c’était

uniquement quand ils souhaitaient le faire »21. Nicolas Meurin, dans son article « L’artiste

est dans la place », précise que « tous les directeurs de Scènes Nationales s’accordent en

tout cas pour ne pas avoir de méthode figée : chaque projet doit s’adapter à l’artiste, que

ce soit en termes de moyens ou d’action culturelle »22.

Comme nous avons pu le remarquer, la résidence d’artiste est une entité difficile à

cerner tant elle recouvre de formes diverses. Dans son article « Résidences : laisser le

temps au temps »23, Cyrille Planson note que « le nombre de résidences s’est multiplié, au

risque de voir le terme galvaudé et la résidence vidée de son sens premier ». Il ose alors

20 Dominique Jambon, directeur de la Maison de la Culture de Chambéry, Scène Nationale, in MEURIN N., « L’artiste est dans la place », La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin 1999, p. 61. 21 MEURIN N., « Théâtre de Sartrouville, la maison de Joël et Angélique », La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin 1999, p. 58. 22 MEURIN N., « L’artiste est dans la place », La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin 1999, p. 60. 23 PLANSON C., « Résidences : laisser le temps au temps », La Scène, n° 31, décembre 2003, p. 78.

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une définition de ce concept : « permettre à des artistes de créer et à un public de se

confronter à l’acte artistique ». A contrario, pour Nicolas Meurin24, la confrontation de

l’acte artistique avec le public ne fait pas partie de la base de la résidence puisqu’il

déclare que « la création d’un spectacle est a priori la notion centrale d’une résidence ».

Certains des artistes rencontrés ont, comme Cyrille Planson, déploré un usage parfois

abusif de ce terme. C’est le cas d’Annick Charlot qui estime que « résidence, c’est un mot

qui a été beaucoup utilisé, on sait plus trop ce qu’il veut dire » ou Annabelle Bonnéry pour

qui « le terme de résidence a été utilisé pour des choses très diverses ». Les comédiennes

du Théâtre Craie dénoncent plus particulièrement l’effet de mode de cette pratique :

« C’est un travail que [beaucoup de compagnies] essaient de faire, c’est un travail qui se

répand. Tu vas dans n’importe quel lieu maintenant, ils mettent en place des résidences,

pas forcément en l’ayant conceptualisé. […] Elle, Claire [Rengade], elle a vraiment envie

de faire ça. Elle l’a mis en place avant le nom « résidence » qui fait bien ».

Certains artistes pensent qu’il y a résidence dès lors qu’il y a un apport financier.

Par exemple, l’une des danseuses de la compagnie P.A.R.C. hésitait : « Résidence, je

crois, je suis pas sûre, mais c’est quand il y a une question d’argent ». De même,

Annabelle Bonnéry et François Deneulin se demandaient : « Peut-être que pour les gens,

« résidence », c’est aussi forcément quand il y a un soutien financier, ça dépend, en

fait… ». Annick Charlot, dans la première définition qu’elle donne de la résidence,

considère que le soutien financier fait partie de la base de la résidence : « Pour moi, peu importe quelle est sa définition officielle, « résidence »,

c’est à partir du moment où un théâtre offre des moyens financiers, un

lieu de travail, et puis la possibilité de développer un projet un peu plus

large sur un territoire, sur une ville. »

Mais, lorsqu’elle développe ce qu’évoque pour elle la résidence, on se rend compte que

les moyens financiers ne sont pas primordiaux : « Pour moi, une résidence, c’est d’abord savoir qu’il y a quelqu’un dans le

monde qui s’intéresse à nous, et c’est déjà très important, et que cette

personne-là, dans sa structure, débloque du temps, des moyens, de

l’intelligence, de la réflexion commune, de l’intelligence commune […],

c’est-à-dire intelligence au sens « puisqu’on est là, puisqu’on a envie

d’être là, faisons des choses ensemble, qu’il y ait de l’argent ou qu’il n’y

en ait pas… ». »

Comme nous l’avons vu, la notion de temps est importante lorsque l’on aborde la

résidence, et, pour certains, cet élément peut être un facteur de délimitation de la

24 MEURIN N., « L’artiste est dans la place », La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin 1999, p. 60.

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résidence. Christian Bourigault s’interroge : « A partir de quand on parle de résidence ?

Pour certains, si vous avez une date de diffusion plus un stage dans les trois jours qui

précèdent la représentation, c’est une mini-résidence de cinq jours ! ». Dans Les

résidences d’artistes en question25, il est précisé qu’ « aux deux marges temporelles [de la

résidence] (quelques jours ou pluri annualité longue), il est sans doute nécessaire de

s’interroger sur la pertinence de qualifier encore ces formes en terme de résidence » et il

est ajouté : « sans doute, dans le cas d’une implantation de longue durée, serait-il plus

utile de parler d’artiste « associé » tant on sait que cette implantation suppose presque

toujours une implication dans le fonctionnement même de la structure accueillante ».

De plus, nombreuses sont les personnes rencontrées qui hésitent lorsqu’il s’agit de

qualifier une expérience par le terme « résidence », comme l’attestent ces extraits

d’entretiens : « J’ai même une troisième résidence, on pourrait dire, parallèlement à

ces deux-là [Université Paris X-Nanterre et Aulnay-sous-Bois], qui n’est pas

du tout en Ile-de-France, qui est à Pau, à Espaces Pluriels. Pau, c’est

différent, je suis artiste associé à la Scène Conventionnée. »

Christian Bourigault « On n’est pas en résidence à la Maison de la Danse mais il se passe

régulièrement des choses avec eux, ils nous abritent régulièrement, ils

sont coproducteurs, donc il y a un engagement financier, il y a un

engagement de temps, de disponibilité. »

Annick Charlot « [La résidence], c’est un peu le projet qu’on choisit d’avoir dans le lieu et

puis le partenariat que l’on a avec Guy Walter et Cathy Bouvard

[directeurs des Subsistances], en fait, c’est ça qui détermine la résidence

[…]. C’est un peu une résidence particulière, plutôt un compagnonnage. »

Gilles Pastor « Du coup, je sais pas si [l’expérience avec] le groupe SEB on peut

l’appeler « résidence » ou pas, puisque ça a été plus un partenariat avec

eux qu’une résidence parce qu’on n’est pas allés résider sur place même si

on y a passé du temps […]. Je dirais que c’est une résidence spéciale parce

qu’on n’a pas travaillé dans leur lieu en temps de création chorégraphique

mais on y a travaillé quand même en amont. »

« Au Toboggan, je sais pas si on peut appeler ça une résidence…, mais en

même temps, c’était une coproduction et ça faisait deux trois ans qu’on

travaillait avec lui, il y a d’abord eu une première diffusion puis une

25 CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 44.

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deuxième et après une coproduction. Il y a quand même eu un suivi

pendant trois ans, des ateliers assez importants pendant trois ans. Ça n’a

jamais été mis en place comme une résidence mais ça l’était plus ou

moins. »

Annabelle Bonnéry et François Deneulin

Nous venons de le voir, la notion de résidence correspond à une diversité de

situations, de réalités, de pratiques… C’est la raison pour laquelle il est très difficile de

donner une définition un tant soit peu précise de ce terme. Il reste toutefois des éléments

de base : un lieu, du temps et un soutien qui se traduisent de différentes manières.

Pour aller plus avant dans nos réflexions, étudions à présent les différentes

fonctions, au sein du processus de création, pour lesquelles la résidence peut être utilisée.

2) Les différentes fonctions des résidences

- La collecte

Certaines compagnies travaillent, pour élaborer un spectacle, à partir des éléments

d’un territoire ou d’un lieu donné. Pour recueillir ces éléments, le Théâtre Craie et

KompleXKapharnaüM choisissent, par exemple, de s’appuyer sur des témoignages des

habitants de ce territoire. Ce sont ces témoignages qui serviront de base à l’écriture du

spectacle. Dans ce but, ils sont amenés à se rendre sur place pendant un certain temps au

cours duquel nous pouvons alors dire qu’ils sont en résidence. Ces deux compagnies

expliquent leur démarche, pour cette phase de la création : « Il y a une semaine de repérage qui est la semaine où on écrit la

déambulation en amont, et en fait, c’est une écriture croisée, il y a deux

équipes qui fonctionnent en simultané : il y a une équipe qui travaille sur

la déambulation en elle-même, et une équipe qui travaille plus sur la

rencontre [et la prise d’images et de son] de tous types de personnes,

associations etc. C’est cet espèce d’habile mélange qui se fait à un

moment parce qu’il y a l’équipe qui déambule qui dit : « ça serait

vachement intéressant d’arriver dans la petite rue là en bas, puis en fait,

là, il y a un truc qui s’appelle la traboule, c’est vraiment un truc hyper

touristique et ça débouche sur une super place, on va faire passer [la

déambulation] par là » et l’autre équipe qui dit : « on a rencontré des

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gens, c’est une chorale, les canuts… ». Je raconte n’importe quoi, c’est

comme ça que les choses se font, c’est vraiment la rencontre des deux. »

Stéfan Bonnard « Il y a la cueillette […] où elle enregistre jamais, elle prend que des notes

[…]. Et après, jamais, elle ne prendra l’histoire de quelqu’un de A à Z, elle

reconstruit complètement et rythmiquement ; elle en fait des textes de

théâtre. Beaucoup de gens lui disent « vous allez complètement redire ce

que j’ai dit ? » […]. Par exemple, pour un spectacle, elle nous interviewait,

nous, […] et du coup, elle m’avait fait une petite interview sur le poisson,

c’est devenu une scène d’amour, elle décale quand même pas mal les

choses même si « les poissons, ils ont deux secondes de mémoire », je sais

que je l’ai dit texto, et je le retrouve texto, simplement, elle nous l’a fait

travailler dans un autre contexte et elle « re-rythme » complètement les

choses.

Marie Barbazin et Aurélie Pitrat

La compagnie Lanabel, quant à elle, a puisé la matière de son spectacle dans les ateliers

de production des entreprises du groupe SEB. C’est ce qu’Annabelle Bonnéry nous

raconte : « Notre besoin, c’était de pouvoir visiter les ateliers, de prendre du son,

des matériaux son, des matériaux gestuels, de faire de la vidéo,

d’apprendre des gestes, de pouvoir interroger les gens […]. On allait

régulièrement dans les ateliers, avec les musiciens, avec les danseurs, tous

les deux aussi beaucoup. On prenait des rendez-vous pour aller deux trois

jours d’affilée sur chaque site, et puis à chaque fois, on a pris des photos,

on a fait de la récolte de matériaux. On a rencontré aussi différentes

personnes à l’intérieur de l’entreprise, de l’opérateur au médecin, aux

ergonomes, tout ce qui pouvait être indirectement lié au mouvement, ou

en tout cas, aux conditions de travail. »

- La recherche

La résidence peut être, comme le dit Jacques Bonniel, « un endroit où on peut

assumer des risques, un temps de laboratoire et un temps d’expérimentation »26. En effet,

dans certains cas, c’est la possibilité pour les artistes de faire des recherches, tenter de

nouvelles expériences de travail, travailler avec de nouvelles personnes etc. sans aucun

26 In CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 23.

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but de création de spectacle. C’est le cas de Thierry Thîeu Niang, en résidence à Ramdam.

Il explique : « C’est pour moi ce temps-là possible où je n’étais pas en création. Je ne

suis pas là pour tester quelque chose […] Je me nourris d’une chose

commune [avec les danseurs] pendant une semaine […]. Il y a ce temps de

recherche, d’expérimentation, on regarde des images, des films […] et puis

c’est la possibilité de mettre ensemble des gens différents, comme Oscar

qui a dix ans, son père qui est psychomotricien, une jeune femme de dix-

huit ans qui n’a jamais dansé, des comédiens, un jardinier, un philosophe…

des enfants, des adultes, des personnes âgées, des sourds, des autistes ; on

travaille sur la relation : qu’est-ce qu’être ensemble ? »

D’après Annabelle Bonnéry, ce temps d’expérimentation est également possible à O Espaço

do Tempo, où le but du directeur du lieu, « c’est d’accueillir les artistes, sans forcément

qu’il y ait de production derrière, il n’y a pas d’obligation, on peut y aller pendant quinze

jours et être dans la réflexion, initier un projet… ». Il est important que les artistes

puissent bénéficier d’un lieu de travail pour un certain temps simplement pour chercher,

expérimenter, se ressourcer aussi.

- La fabrication/création

Cette fonction de la résidence est la plus courante et représente la phase centrale

de la création. Elle est d’ailleurs souvent qualifiée de « résidence de création ». Il s’agit

de créer, fabriquer un spectacle. Cette phase intervient après l’écriture et nécessite la

présence des interprètes. C’est donc le temps des répétitions du spectacle, de la création

lumière avant la première représentation. La plupart des artistes rencontrés ont évoqué ce

type de résidence. Pour la compagnie P.A.R.C., c’est l’occasion de « fabriquer les décors

sur place, installer la scénographie ». Gilles Pastor évoque ainsi sa résidence aux

Subsistances : « Cette résidence m’a permis de développer une écriture de spectacle qui

était latente chez moi et que je n’avais pas encore expérimentée, c’est-à-

dire de construire l’écriture de spectacle sur le plateau, et qui n’était pas

simplement de l’écriture textuelle mais qui était aussi une écriture avec

de la vidéo, avec un danseur, avec de la matière intime,

autobiographique… […]. Pour le spectacle qui s’est créé en novembre, j’ai

pu avoir le lieu dans lequel on a joué trois semaines avant, et j’ai répété

depuis le 1er septembre dans un atelier où j’avais un vidéoprojecteur et

un écran […]. J’aime beaucoup le temps de fabrication, j’adore ça. »

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Cette idée de « fabrication » est souvent présente lorsque l’on aborde ce type de

résidence, notamment au CCN de Rilleux-la-Pape, que les personnes rencontrées ont

qualifié de « lieu de fabrique ». Les artistes rencontrés ont peu développé leur expérience

de ce type de résidence, sans doute parce qu’il est le plus fréquent et donc le plus évident

pour eux.

- La diffusion

La fonction de diffusion que peut comporter la résidence fonctionne rarement

seule, et notamment chez les personnes rencontrées ; elle accompagne plutôt un autre

type de résidence. Certaines compagnies, lorsqu’elles sont en résidence, en profitent pour

diffuser leurs spectacles. C’est souvent le cas de compagnies proposant des spectacles de

différentes formes et qui sont diffusables dans divers lieux, pas forcément dédiés au

spectacle vivant. Lors de sa résidence au Toboggan, la compagnie Premier Acte proposait

souvent, en parallèle d’une création sur le plateau du Toboggan, du théâtre en

appartement, par exemple. La démarche de la compagnie C’est pas si grave est originale :

quand l’une de ses créations théâtrales est programmée dans un lieu de spectacle, elle

s’accompagne toujours soit d’un cabaret de textes et chansons, soit de spectacles de

petite forme qui sont joués dans les bars, les centres sociaux, les médiathèques…

- La sensibilisation, la formation

La résidence peut être l’occasion pour les artistes, comme pour le lieu d’accueil,

de confronter l’acte artistique au public. C’est ce qu’explique Philippe Verrièle : « pour le

lieu, une résidence est un facteur d’animation, la possibilité de disposer sur place de

passionnés capables d’animer différemment la sensibilisation du public »27. Pour Marc

Masson, en effet, l’enjeu est de « réduire l’écart entre la parole artistique et la réalité

sociale » grâce au travail des artistes en résidence avec la population de Vaulx-en-Velin.

Cette fonction de la résidence est particulièrement appréciée par les lieux d’accueil mais

est également souvent une préoccupation des artistes. Par exemple, Emmanuel Serafini,

administrateur de la compagnie Fattoumi-Lamoureux précise que « cette période [de

résidence] a pour objectif de désacraliser l’acte de création, de le rendre plus familier,

27 In BARCELO V., BOURIGAULT C., GINOT I., LOUPPE L., VERRIELE P., Christian Bourigault, Feillens, Editions W – Addim 89, 1998, p. 20.

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plus accessible au public, initié ou non »28. De son côté, Michel Jacques, président d’ARTY-

FARTY, conçoit la résidence « comme un outil permettant de temporiser l’échec relatif de

la démocratisation culturelle : l’idée étant de faire une action culturelle un peu

différente, de sortir les créateurs, de les mettre en contact avec des publics et de

montrer, non pas uniquement l’œuvre finie mais aussi la manière dont elle se fait »29.

Cette notion d’« œuvre en train de se faire » est très présente aux Subsistances, où de

nombreuses rencontres entre le public et l’œuvre en chantier sont organisées. De même, à

Ramdam, les présentations de fin de résidence montrent, le plus souvent, une étape d’un

travail en cours. Les auteurs d’Ilots artistiques urbains disaient de Ramdam que « la

philosophie défendue permet de rendre visible le processus de création […] et de changer

ainsi la relation avec le public » et qu’« ainsi, la fabrication peut rester un brouillon

auquel sont associés le public et la critique »30.

Par ailleurs, les Subsistances, dans un but de sensibilisation des publics, ont

développé une école du spectateur avec les ateliers de pratique pour les amateurs : « la

pratique personnelle permet au spectateur d’aller plus loin lorsqu’il regarde un spectacle,

plus loin que la consommation ». De plus, tous les ateliers de pratique pour les amateurs

sont organisés en lien avec la programmation puisque les inscrits bénéficient d’une

invitation pour les spectacles de la discipline qu’ils pratiquent. Si nous nous penchons plus

précisément sur la démarche de la compagnie C’est pas si grave, nous nous rendons

compte qu’elle n’a pas qu’une fonction de diffusion de ses œuvres mais a aussi pour but la

sensibilisation des publics. En effet, si elle joue des spectacles hors théâtre, c’est aussi, a

expliqué Eloïse Brunet pour « amener les gens à découvrir les grands textes de théâtre ».

Elle raconte qu’« il y a des gens qui avaient vu le cabaret dans les bars qui n’étaient

jamais entrés dans un théâtre, et qui sont venus voir La nuit juste avant les forêts qu’[ils]

jouai[ent] au théâtre ».

Christian Bourigault, quant à lui, donne une grande importance à cette fonction de

la résidence puisque l’un de ses enjeux est : « comment faire accéder à cette culture

chorégraphique contemporaine, considérée par certains comme élitiste, un public qui a

priori est loin de ça naturellement ? ». Il nous expose sa conception des choses : « Mes enjeux, c’est comment trouver une forme dans les questions que je

me pose, comment trouver la forme pour faire partager aux gens avec

l’exigence qui est la mienne une sorte d’accessibilité. Ce que je veux dire

par là, c’est que ma compagnie, elle est à la fois une compagnie de

création, c’est son objet principal, mais après autour de la création

28 Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 29. 29 CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 35. 30 Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 67.

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artistique, c’est comment créer les conditions d’accessibilité à cette

création artistique. Et la résidence est un moyen que j’aime bien parce

que ça me permet d’être en prise directe avec les gens ».

Il relate également une action de sensibilisation qu’il a réalisée pour Espaces Pluriels, à

Pau : « Un jour, le directeur d’Espaces Pluriels m’appelle pour me dire :

« j’aimerais que vous fassiez quelque chose autour de l’art et du sport »

[…]. Pau est une ville où il y a deux grandes équipes de rugby et de basket.

De fil en aiguille, on est arrivés à ce que je fasse une création sur le

plateau du théâtre de Pau de vingt minutes avec trois rugbymen et trois

rugbywomen […] On a fait ce spectacle et pour la plupart d’entre eux, ils

se sont retrouvés pour la première fois dans un théâtre, et le soir du

spectacle, dans le théâtre, il y avait tous leurs copains et leurs copines qui

mettaient pour la première fois les pieds dans le théâtre pour voir de la

danse contemporaine faite par leurs copains rugbymen. Pour moi, c’est

une pièce qui a des faiblesses, enfin, non, elle est… je veux dire la forme,

je m’en fous, c’est le processus de travail qui compte […]. Le résultat final

n’est jamais à la hauteur de l’intensité du processus, c’est toujours

frustrant. […] Et eux ont découvert des choses et après, ils sont venus voir

mes spectacles. Maintenant, je sais pas, il faudrait voir deux ans après si

ces gens reviennent au théâtre. »

Toutes ces fonctions, tous ces types de résidences ne sont pas toujours définis aussi

clairement et parfois se mélangent. Comme nous l’avions déjà remarqué, la résidence

n’est pas une entité figée mais une pratique qui s’adapte aux acteurs, tant du côté du lieu

d’accueil que de la compagnie. Mais, nous l’avons vu aussi, « résidence » est un terme qui

a été beaucoup utilisé, parfois pour des situations qui n’y correspondaient pas ; certains

trouvent même ce mot galvaudé. C’est la raison pour laquelle les pouvoirs publics ont

souhaité préciser les contours de la résidence.

3) Les résidences selon le Ministère de la Culture et de la Communication

Plusieurs des artistes rencontrés ont évoqué l’expression « résidence officielle »

sans pour autant savoir expliquer précisément ce qu’elle signifiait. Annabelle Bonnéry, par

exemple, évoquait la résidence de la compagnie Lanabel au Toboggan en disant : « ça a

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jamais été formulé, formalisé comme une résidence mais à peu de choses près, ça

correspond aux résidences-mission ou un truc comme ça ». Annick Charlot, au sujet de sa

résidence au Théâtre de Givors, hésitait : « c’était pas une résidence de création parce

qu’officiellement, à la DRAC, il y a des termes : « résidence de création », « résidence de…

d’action culturelle », non ? Bref, il y a en une qui a spécifiquement cette mission, en fait,

c’est juste le théâtre qui reçoit des subventions pour faire travailler la compagnie ». Cet

aspect financier à propos de l’accueil d’artistes en résidence a été abordé par la

compagnie P.A.R.C., lors de l’entretien. En effet, en comparant leurs différentes

expériences de résidences, ils sentaient que certains lieux accueillaient des compagnies en

résidence dans le but de recevoir des subventions supplémentaires - ce qui est confirmé

par Isabelle Charbonnier (responsable du bureau de la culture au Conseil Régional Rhône-

Alpes) dans Les résidences d’artistes en question31. Elle précise que « la mise en place de

résidences est même l’une des conditions pour l’obtention du label Scène Rhône-Alpes

pour certains théâtres de ville ». Dans le même ouvrage, Jacques Bonniel exposait ses

craintes quant à la publication d’un texte officiel régissant les résidences : « Compte tenu

de l’extrême diversité des situations, de la polyphonie représentée par la résidence, une

charte sur les résidences ne peut être qu’une charte de principes, de postures, sûrement

pas une base de modélisation. La charte doit être construite comme une énonciation de

positions, de valeurs, de finalités que l’on veut poursuivre et de modalités d’intervention

et d’évaluation »32.

Début 2006, le Ministère de la Culture et de la Communication a publié une

circulaire33, à l’attention des Directeurs Régionaux des Affaires Culturelles et des Préfets

de Région34, précisant les limites des résidences et surtout les conditions requises pour

être financé, en tant que structure d’accueil ou en tant que compagnie ou artiste, par

cette institution au titre d’une résidence. La rédaction d’un texte de ce type, définissant

une notion aux contours aussi vagues, était nécessaire, pour contrer l’usage abusif de ce

terme ; mais néanmoins difficile car risquant de mettre de côté la richesse de la diversité

des pratiques.

Cette circulaire, destinée aux directeurs des échelons déconcentrés du Ministère de

la Culture et de la Communication, leur « précise le cadre » que le Ministre les « invite à

retenir » lorsqu’ils désirent soutenir des artistes ou des compagnies en résidences dans des

« structures de création, de diffusion ou de formation, des institutions ou d’autres

31 In CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 53. 32 Idem, p. 24. 33 Circulaire n°2006/001 du 13 janvier 2006 relative au soutien à des artistes et des équipes artistiques dans le cadre de résidences, Bulletin Officiel n°153, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, pp 5-9. 34 L’intégralité de cette circulaire se trouve en annexe.

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établissements sur le territoire qui relève de [leur] compétence »35. La définition de la

résidence retenue est la suivante : « actions qui conduisent un ou plusieurs artistes d’une

part, et une ou plusieurs structures, institutions ou établissements culturels d’autre part, à

croiser pour un temps donné, leurs projets respectifs, dans l’objectif partagé d’une

rencontre avec le public »36. Cette définition reste très large et laisse la possibilité à de

nombreux projets d’être qualifiés de résidence ; mais elle impose tout de même une

rencontre entre artistes et public. L’objectif à atteindre, pour le Ministère, est de « mieux

ancrer le travail artistique dans une réalité territoriale ». Le Ministre préconise

l’élaboration d’une convention entre les parties fixant « l’objet, la durée, les moyens

nécessaires à sa réalisation et les conditions de partage de ces moyens entre les

partenaires ». Ce texte précise également que « le terme de l’opération doit prévoir un

bilan chiffré, qualitatif et financier dont l’élaboration est indispensable au renouvellement

éventuel de l’opération ou à la poursuite, sous une autre forme, de la démarche

engagée »37.

En terme de définition du champ d’application, selon ce document, la résidence

concerne « tous les artistes du spectacle vivant, plasticiens ou écrivains » - ces derniers

pouvant être issus d’une autre région que la région de résidence. Si elles sont compatibles,

deux résidences simultanées dans deux régions différentes peuvent être envisageables. Le

texte précise que « la priorité doit être donnée à des artistes ou à des équipes artistiques

qui ne disposent pas déjà habituellement d’un lieu de travail comparable à celui dont ils

auraient l’usage dans le cadre de la résidence »38.

En ce qui concerne la durée dans laquelle s’inscrit la résidence, elle peut recouvrir

« une période de temps continue ou au contraire, si le projet le justifie, faire l’objet de

fractionnements dûment déterminés dans le calendrier de l’action ». Cette circulaire

mentionne le fait que les artistes et compagnies en résidence doivent disposer de « lieux

de travail adaptés à [leur] activité et dont les périodes d’utilisation sont clairement

définies ». Ce texte évoque également la question de l’hébergement mais ne donne pas

d’autre directive que : « les conditions d’accueil qui touchent à l’hébergement des artistes

doivent être spécifiquement étudiées »39.

Après avoir mentionné deux des éléments que nous avons analysés dans notre étude

de la diversité des résidences (la durée et les lieux de travail), le texte aborde un

troisième élément, à savoir les actions de rencontre avec le public que nous avons

considéré comme une contrepartie. Il est stipulé que l’« esprit de partenariat » est

35 Circulaire n°2006/001 du 13 janvier 2006 relative au soutien à des artistes et des équipes artistiques dans le cadre de résidences, Bulletin Officiel n°153, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, p. 5. 36 Ibid. 37 Idem, p. 6. 38 Idem, p. 8. 39 Ibid.

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important pour l’élaboration des actions de rencontre avec les publics « qui sont l’œuvre

commune des artistes et de la structure d’accueil ». Plus particulièrement, la structure

amène « sa connaissance des publics » et « met en relation les artistes et les relais locaux

qu’elle suscite ». Les artistes et les professionnels, quant à eux, proposent « des formes de

rencontre en adéquation avec leur démarche artistique spécifique ». Mais le ministre

précise que les actions en direction du public proposées dans le cadre d’une résidence « ne

sauraient toutefois se substituer au travail de base d’éducation artistique, ni au travail de

fond de la constitution d’un public qui relèvent des missions de la structure d’accueil »40.

Ce dernier élément suppose que les rencontres avec le public sont obligatoires, or, dans la

pratique, elles sont plus facultatives. Cependant, le texte reste assez vague sur

l’organisation de ces rencontres qui peuvent se réduire à une simple présentation de

travaux, comme à Ramdam.

Pour traduire la multiplicité de situations que recouvre la résidence, la circulaire en

distingue trois types différents :

- La résidence de création ou d’expérimentation

Lors de ce type de résidence, les équipes artistiques accueillies en résidence

doivent pouvoir disposer des conditions techniques et financières pour « concevoir, écrire,

achever, produire une œuvre nouvelle » ou pour « préparer et conduire un travail original,

et y associer le public dans le cadre d’une présentation ». Ce type de résidence suppose le

développement d’actions de rencontre avec les publics, « de nature à présenter les

éléments du processus de création tout au long de l’élaboration de l’œuvre ». Comme dans

certains cas étudiés précédemment, l’objectif de ces rencontres est de sensibiliser les

publics en leur montrant l’œuvre en train de se faire. Cependant, à propos de ces actions,

il est ajouté que « pour un bon équilibre artistique de l’opération, [elles] doivent toutefois

demeurer secondaires par rapport au temps global de la présence des artistes ». Enfin, la

durée de ce type de résidence est spécifié : au total, il peut varier entre « quelques

semaines et plusieurs mois » et peut être reconduit « plusieurs années de suite sur le

même site »41.

40 Circulaire n°2006/001 du 13 janvier 2006 relative au soutien à des artistes et des équipes artistiques dans le cadre de résidences, Bulletin Officiel n°153, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, p. 8. 41 Ibid.

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- La résidence de diffusion territoriale

Contrairement à la résidence de création ou d’expérimentation, ce type de

résidence « vise à mettre en perspective une politique engagée à plus long terme, dans le

cadre de l’aménagement culturel du territoire ». La résidence de diffusion territoriale se

construit autour de « la diffusion large et diversifiée de la production des artistes invités,

dans le double objectif de donner à voir la multiplicité des formes et des styles et de

porter la création artistique dans les lieux les plus diversifiés possibles »42. Elle suppose

également des actions de sensibilisation, dont l’objectif est de « contribuer au repérage de

nouveaux publics et de réaliser des initiatives visant à la formation et à la pratique des

amateurs ». En matière de durée, il est noté que, pour ces résidences, elle est « variable

selon l’importance de la mission : de quelques mois à une ou plusieurs années, avec des

temps forts, clairement lisibles autour de la diffusion des productions proposées ». Ce

texte laisse la possibilité pour une équipe artistique de cumuler résidence de création ou

d’expérimentation et résidence de diffusion territoriale dans un même lieu, « à condition

toutefois que les conventions qui définissent le cadre de ces actions déterminent

clairement les conditions respectives de leur mise en œuvre »43. Ce deuxième type répond

à la fois à la fonction de diffusion et à celle de sensibilisation/formation que nous avons

vues précédemment.

- La résidence-association

Cette résidence permet à un artiste ou une compagnie de s’installer dans un lieu ou

sur un territoire et à une structure d’accueil de bénéficier d’une présence artistique sur le

long terme. Ce type de résidence est plus contraignant puisque la circulaire stipule que la

résidence-association fait l’objet d’un « contrat sur deux ou trois années, associant les

artistes, le lieu d’accueil, l’Etat et des partenaires locaux ou nationaux »44. De plus, dans

ce cas, les artistes deviennent des « acteurs essentiels de la politique culturelle locale,

associés aussi bien aux choix de programmation artistique qu’à la recherche, à la

formation et au développement des publics ». Dans ce cadre, ils ont en effet « une triple

mission de création, de diffusion et de sensibilisation » et ont « vocation à investir un

espace qui peut être le lieu de leur création et un plateau privilégié de leur diffusion »45.

Enfin, une résidence de ce type peut être reconduite.

42 Circulaire n°2006/001 du 13 janvier 2006 relative au soutien à des artistes et des équipes artistiques dans le cadre de résidences, Bulletin Officiel n°153, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, p. 7. 43 Ibid. 44 Ibid. 45 Ibid.

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Finalement, ce document reprend une grande partie des éléments correspondant à

l’étude des résidences que nous avons réalisée et les classe de manière à définir trois

types de résidences. Comme ce texte est assez récent – et encore plus lors des entretiens,

qui se sont déroulés entre le 18 février 2006 et le 21 avril 2006 – nous ne pouvons pas

évaluer ses effets sur les pratiques des résidences. L’usage du terme « résidence » est-il

appelé à se restreindre ? Les résidences verront-elles leur nombre diminuer, du fait du

cadre existant maintenant pour les définir ? Ou sont-ce les acteurs de ces pratiques

(équipes artistiques et lieux d’accueil) qui s’efforceront de modifier leurs pratiques pour

rentrer dans ce cadre et bénéficier des subventions qui sont allouées pour les résidences ?

4) Etude étymologique du mot « résidence »

Le terme de « résidence » appartient au lexique de l’habitat, comme le rappellent

avec humour certains des auteurs ayant écrit sur les résidences artistiques : par exemple,

Philippe Verrièle46 définit la résidence ainsi : « Derrière le mot qui fleure l’immobilier et la

solidité de la fonction (résidence secondaire ou principale, résidence du chef de l’Etat) se

cachent les modalités d’installations passagères d’un créateur et de son équipe ». Bob

Revel, directeur de l’Ecole Nationale de Musique de Chambéry, l’évoque de la manière

suivante : « Le terme de résidence se vide souvent de ses connotations du langage

courant : calme, luxe et volupté durables suggérées à l’acheteur immobilier doivent

s’entendre dans la résidence artistique de façon très variable dans les moyens ou les

durées octroyées »47. Philippe Chaudoir, quant à lui, propose pour distinguer, dans les

termes, une résidence artistique de quelques jours et l’association d’une compagnie à une

structure, de prendre la métaphore de l’habitat, et explique qu’« on a affaire soit à de la

résidence « secondaire » soit à une quasi forme d’« accession à la propriété » »48.

Plus sérieusement, ce terme, en latin médiéval, a signifié successivement « séjour,

logis », « domicile », « fait d’être domicilié ». Même s’il a d’abord eu le sens administratif

de « séjour actuel et obligé (d’un fonctionnaire, d’un évêque) dans un lieu » - d’où

l’expression à résidence, reprise en droit pénal pour assigner, assignation à résidence -, le

sens courant, « fait de séjourner effectivement dans un lieu déterminé » s’est répandu dès

l’ancien français. Comme le précise Alain Rey dans son dictionnaire historique49, « les

46 In BARCELO V., BOURIGAULT C., GINOT I., LOUPPE L., VERRIELE P., Christian Bourigault, Feillens, Editions W – Addim 89, 1998, p. 20. 47 In CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 66. 48 CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 46. 49 REY A., Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, Manchecourt, Maury-Eurolivres, 2004, p. 3202.

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spécialisations postérieures développent la valeur de « lieu » désignant celui où réside un

personnage revêtu de fonctions officielles, notamment un chef d’Etat ». Le terme de

« résidence » a ensuite reçu la définition juridique de « lieu où un personnage habite ou

exerce une activité professionnelle » ce qui le distingue de la notion de domicile, tandis

que l’usage courant en a fait une désignation du domicile entouré de connotations

mélioratives au milieu du XIXème siècle, comme dans l’expression résidence secondaire,

souvent équivalent prétentieux de maison de campagne, ou comme dans son emploi pour

un groupe d’habitations assez luxueux, ou encore dans l’expression résidence-hôtel

« immeuble disposant de services hôteliers tels que bar, restauration, boutiques »50. Le

verbe « résider », dont il est issu, signifiait déjà en latin « avoir sa résidence dans un lieu,

y séjourner habituellement »51. Nous pouvons constater par l’évolution sémantique du mot

que la résidence en général est attachée à un lieu, tout comme la résidence artistique, et

qu’elle fait partie du champ lexical de l’habitat.

Intéressons-nous à présent plus particulièrement à l’expérience originale de

Ramdam, qui a une pratique singulière des résidences d’artistes et les nomme « demeures

d’artistes ». Pour cela, nous allons devoir nous attacher brièvement à l’histoire de ce lieu.

Lors de la création de Ramdam, les membres du collectif – les soucieux – souhaitaient en

faire un lieu de travail pour les artistes, pour combler le manque d’espaces de répétition.

Les soucieux étant bénévoles, les seuls frais étaient ceux de la structure et notamment les

frais de chauffage. Souhaitant faire fonctionner le lieu sans aide extérieure, avec son

économie propre, ils ont décidé de le louer avec pour objectif que les recettes de location

couvrent les frais engagés par le fonctionnement du lieu. Les tarifs étaient très bas et

calculés en fonction des ressources des compagnies. Mais le calcul du tarif pour chacun

étant compliqué, des tarifs uniques ont été décidés (un tarif pour la grande salle et un

autre pour le petit studio). Cependant, le lieu était très peu occupé – les compagnies se

débrouillent souvent pour ne pas avoir à louer de lieux de travail -, et les durées

d’occupation étaient très courtes, ce qui ne permettait pas forcément les échanges entre

les artistes et les membres de la structure et le public. Les soucieux ont donc développé

un projet de mise à disposition du lieu à des équipes artistiques, en demandant des aides

publiques. Ce projet d’accueil d’artistes en résidence a été particulièrement réfléchi au

sein du collectif, qui souhaitait – et souhaite toujours - instaurer une notion de durée dans

la venue des artistes, et éviter la pratique parfois consommatrice de ses derniers. Les

compagnies peuvent demander de venir à Ramdam aussi longtemps qu’elles le veulent

(l’expérience a montré que cela peut aller jusqu’à deux mois) ; mais surtout elles peuvent

y revenir plusieurs fois pour un même projet ou un projet différent, de manière à ce que

50 REY A., Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, Manchecourt, Maury-Eurolivres, 2004, p. 3202. 51 Ibid.

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les soucieux et le public puissent suivre leur travail. Le fait de réfléchir à cette pratique

les a amenés à instaurer ce qu’ils appellent les « demeures ». Cette réflexion, qui a

entraîné un changement de terme ne s’est pas accompagnée de règles strictes mais a

clarifié la « politique » de la structure. Depuis lors, ils essaient de faire comprendre aux

compagnies accueillies que leur volonté est d’avoir un lieu non pas occupé mais habité par

des artistes. Toujours avec le vocabulaire de l’habiter, ils disent leur « donner les clés du

lieu », au sens propre. D’ailleurs, Liliane Dos Santos, dans Ilots artistiques urbains52, parle

de Ramdam en ces termes : « Aujourd’hui, Ramdam se destine à être habité par la

recherche artistique et se consacre à la fabrication d’œuvres ; lors des « Demeures

d’artistes », un concept encore à développer, il est proposé aux créateurs de vivre à

Ramdam en les invitant à rêver, réfléchir, créer et prendre le temps de la fabrication ». Ce

que les soucieux attendent des artistes, c’est un échange avec les membres du collectif de

Ramdam, avec les structures sociales, éducatives et culturelles de la ville d’implantation

du lieu, Ste Foy-les-Lyon, ce qui n’est possible que si les artistes restent un certain temps,

ou s’ils reviennent régulièrement. Ainsi, le choix du terme « demeure » n’est pas anodin.

En effet, si l’on se penche sur la définition de « demeure », l’on se rend compte

qu’en plus de la signification « domicile, lieu où l’on vit » qui ressemble fortement à celle

de « résidence », ce terme a également le sens de « rester un certain moment à l’endroit

où l’on est »53, surtout dans la forme verbale « demeurer ». Ce mot compte d’autres

définitions mais seulement dans le cadre de certaines expressions comme « il y a péril en

la demeure », que l’on peut traduire en français contemporain par « il y a danger à rester

dans la même situation », ou comme « mettre en demeure », qui correspond à « se mettre

dans une situation où l’on est responsable de son retard » ou encore le substantif

« demeuré » qui est « celui qui « déménage », qui a perdu sa raison ou sa maison… qui ne

sait plus où il se trouve, qui est désorienté »54. Jusqu’au XVIème siècle, « demeurer » avait

aussi le sens de « tarder » qu’il a perdu au profit de « rester un certain temps là où on se

trouve », spécialement « résider dans un lieu »55. Le mot « demeure » renferme donc dans

sa définition la même signification que « résidence », à savoir « domicile », « séjour dans

un lieu déterminé », et contient un sens en plus : celui de « rester », qui sous-entend la

notion de durée, que les soucieux de Ramdam souhaitaient faire passer aux compagnies

qu’ils accueillent.

Comme nous le remarquions au début de cette étude étymologique, « résidence » -

et « demeure » par la même occasion - font partie du champ lexical de l’habitat, et donc

de l’habiter, terme auquel nous allons nous intéresser maintenant. En effet, nous avons

52 Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 67. 53 Petit Larousse Illustré, Paris, Larousse/Vuef, 2001, p. 314. 54 PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 111. 55 REY A., Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, Manchecourt, Maury-Eurolivres, 2004, p. 1030.

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analysé les pratiques des résidences artistiques dans le spectacle vivant afin de bien les

comprendre, aussi reste-t-il à nous attacher à les envisager depuis l’angle de l’« habiter ».

Pour cela, nous allons être amenés plus particulièrement à nous demander comment les

artistes habitent le lieu de résidence.

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II/ Habiter

Pour étudier les résidences sous l’angle de l’« habiter », demandons-nous d’abord

ce que signifie ce terme. D’après le Petit Larousse, « habiter » veut dire « avoir sa

demeure, sa résidence en tel lieu »56. Avec sa définition courte et synthétique, le

dictionnaire nous renvoie directement à notre sujet et nous confirme ce que nous venons

de voir : « résidence » et « demeure » sont deux mots du champ lexical de l’habiter.

Le terme « habiter » est emprunté au latin habitare qui veut dire « avoir souvent »,

« demeurer » ; ce qui a donné « habitude ». Il a d’abord signifié « rester quelque part,

vivre dans un lieu » puis s’est spécialisé dans le sens d’« occuper une demeure »57. Si nous

nous attardons sur les mots de la même famille qu’« habiter », nous pouvons noter que le

mot « habitat » appartient d’abord aux vocabulaires de la botanique et de la zoologie et

qu’il indique « le site occupé par une plante à l’état naturel », puis « le milieu

géographique adapté à la vie d’une espèce animale ou végétale » ; c’est ce que nous

appelons aujourd’hui une « niche écologique ». Ensuite, le terme « habitat » désigne les

« conditions de logement ». L’adjectif « habitable », quant à lui, est issu du latin

habitabilis, qui signifie en toute logique « où l’on peut habiter ». Le terme « habitation »

vient du latin habitatio et exprime le « fait d’habiter », la « demeure », la « maison ». Le

terme « habituer » signifiait « habiller », puisqu’« habituari veut dire « avoir telle manière

d’être » et celle-ci dépend pour beaucoup des vêtements que l’on porte… »58 Du reste, en

français, le mot « habit » du latin habitus signifie « maintien » ou « tenue », au sens de

tenir sa place, son rang. Les expressions « l’habit ne fait pas le moine » et « prendre

l’habit » appartiennent au même registre, celui dans lequel le mot « habit » est non

seulement un vêtement religieux, mais une attitude, tant physique que morale (pour

mieux comprendre l’étymologie de tous ces termes, dérivés du verbe habere, voir le

schéma page suivante59).

56 Petit Larousse Illustré, Paris, Larousse/Vuef, 2001, p. 498. 57 REY A., Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, Manchecourt, Maury-Eurolivres, 2004, p. 1672. 58 PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 112. 59 ERNOUT A., MEILLET A., Dictionnaire étymologique de la langue latine, histoire des mots, Paris, Editions Klincksieck, 1979, p. 288.

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HABERE et ses dérivés

latin

HABITUS latin

"maintien" habitudo

"tenue"

"manière d'être"

latin

habilitas

latin HABERE latin "aptitude"

"se tenir, tenir" HABILIS

"occuper, posséder" "qui tient bien"

"avoir" "bien approprié" latin

habilitare

"rendre apte"

latin habitatio

"logement" "domicile"

latin HABITARE "avoir souvent" "occuper"

latin habitaculum

"demeure (du

corps, de l'âme)"

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A présent, éloignons-nous de l’étymologie du terme « habiter » et voyons ce qu’il

évoque. Au premier abord, « habiter », « vivre quelque part » nous fait penser à l’idée

d’« être chez soi » - ce que Michel Haar, philosophe, exprime dans Demeure terrestre :

enquête vagabonde sur l’habiter : « habiter signifie d’ordinaire se trouver chez soi quelque

part » 60. Mais il se demande immédiatement ce qu’est le « chez-soi ». Puis, il décrit la

demeure, le « chez-soi », comme « abri, foyer, aise »61. Monique Eleb-Vidal, psychologue,

adopte une autre perspective pour sa définition du « chez-soi ». Elle explique qu’il

« conforte la personnalité en cours de constitution » et qu’« il vient assurer et rassurer »62.

Aussi nous proposons d’étudier comment cette sensation de « chez-soi » se traduit chez les

personnes rencontrées, d’abord de manière assez objective et ensuite plus

subjectivement.

1) Se sentir chez soi

- Vivre dans le lieu : logement et restauration sur place

Nous considérerons comme relativement objectifs ces éléments du « chez-soi » :

vivre dans le lieu, c’est-à-dire loger et manger sur place. Cela est possible dans plusieurs

lieux, notamment les lieux dédiés à l’accueil d’artistes en résidences comme Ramdam, où

les artistes en « demeures » « n’ont pas à « rendre les clés » le soir, ils sont chez eux, ils

habitent le lieu »63. Thierry Thîeu Niang en témoigne : « toute l’équipe est hors de son

milieu, de son quotidien […] : les temps de travail, les temps de vie en commun sont

beaucoup plus riches […]. Nous, on est là tout le temps, on mange ici et on dort ici, dans

les caravanes ». Les membres de la compagnie P.A.R.C., eux aussi en « demeure » à

Ramdam, expliquent qu’« il y a plein de critères de la vie du quotidien dans Ramdam, ce

qui fait que c’est un endroit vivant : tout bêtement, il y a une cuisine et un endroit où

dormir, ce qui fait qu’on vit dans le lieu et avec le lieu ». Ils ajoutent que « comme tout

est sur place, même s’[ils] ne mang[ent] pas aux mêmes heures [que les autres personnes

présentes dans le lieu], [ils les] croise[ent], c’est inévitable ! ». Ils concluent en précisant

que ces éléments « permet[tent] aussi de ne pas isoler entièrement le temps de création

du quotidien ». Autre expérience à Ramdam : la compagnie Lanabel. A la fin de

60 PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 146. 61 Ibid. 62 In PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 145. 63 Elise Garraud et Jean-Marc Lamena, soucieux de Ramdam.

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l’entretien, François Deneulin et Annabelle Bonnéry, directeurs de la compagnie Lanabel,

ont évoqué des « demeures » qu’ils avaient vécues à Ramdam (dont ils n’avaient pas parlé

pendant l’entretien). Et en ce qui concerne le logement dans les caravanes, ils étaient en

désaccord : Annabelle Bonnéry appréciait beaucoup d’être hébergée sur place, elle

trouvait cela très pratique ; François Deneulin, quant à lui, appréciait moins parce qu’il

avait l’impression de « ne jamais sortir du travail ».

Cet aspect des résidences – le logement et la restauration dans le lieu de résidence

– est également présent aux Subsistances, puisque les compagnies ont des chambres à leur

disposition sur le site même, ainsi qu’une cuisine avec lave-linge et sèche-linge.

Cependant, Gilles Pastor, en résidence aux Subsistances n’a pas évoqué cette notion de vie

sur place parce que, étant lyonnais, il n’a pas fait lui-même l’expérience du logement et

de la restauration sur place ; il a simplement dit qu’« il y a[vait] une cuisine [et que] les

résidents [pouvaient] se faire à manger ». Etant donné que Gilles Pastor a été le seul

résident des Subsistances rencontré, nous n’aurons pas de récit plus détaillé de la vie aux

Subsistances lorsqu’on y est hébergé.

- Les convenances

Etre en résidence, habiter un lieu, un territoire, c’est cohabiter avec d’autres qui

deviennent des voisins. En ce sens, André Sauvage, sociologue, « dote l’habitant […] d’une

qualité sociale, celle d’habiter son chez-soi, son quartier, sa ville »64. Les compagnies

rencontrées, surtout celles qui ont logé chez l’habitant lors de leur résidence ont eu à

gérer ce type de relation. Ces expériences se rapprochent d’un élément de l’« Habiter »

que Pierre Mayol nomme les convenances. Il définit le quartier comme « le lieu où

manifester un « engagement » social, autrement dit : un art de coexister avec des

partenaires (voisins, commerçants) qui vous sont liés par le fait concret, mais essentiel, de

la proximité et de la répétition »65.

Pour la compagnie C’est pas si grave, le logement chez l’habitant est une solution

d’économie. En effet, pour cette jeune compagnie, loger entre quinze et dix-sept

personnes est très coûteux. Elle se débrouille donc, par le biais d’amis et de

connaissances, pour que l’équipe soit hébergée par des habitants de la ville de résidence.

Eloïse Brunet, chef de troupe de la compagnie, confiait à propos de leur résidence à Crépy-

en-Valois : « En résidence tu vis chez les gens, avec les gens, il se lie des choses, quand on

va faire nos courses ou… Il y a des choses qui se lient avec les gens ». En marchant dans la

64 PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 148. 65 MAYOL P., « Habiter » in CERTEAU M., GIARD L., MAYOL P., L’invention du quotidien 2 : Habiter, Cuisiner, Paris, Union Générale d’Editions, 1980, p. 17.

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rue, les comédiens de la compagnie rencontrent, en l’espace de quelques minutes, trois ou

quatre personnes qu’ils connaissent, les commerçants les reconnaissent, comme dans leur

propre quartier. D’après eux, « quand on est en résidence et qu’on loge chez des gens, on

apprend vite à se sentir chez soi un peu partout… ».

Les comédiennes du Théâtre Craie, comme les membres de la compagnie C’est pas

si grave, disent l’impression qu’elles ont, en résidence, de « rentre[r] chez [elles] le soir

mais [d’] arrive[r] dans des maisons avec des gens qu’[elles] ne connai[ssent] pas

beaucoup ». Cependant, la démarche du Théâtre Craie est différente : le logement chez

l’habitant fait partie du projet, l’objectif est d’immerger les membres de l’équipe pendant

quinze jours dans une ville qu’ils ne connaissent pas. Les deux comédiennes rencontrées

relatent cette expérience : « On vit chez les gens, on discute avec eux, on apprend toutes les blagues

du village, toutes les anecdotes entre voisins… On vit vraiment avec les

gens du village […]. En même temps, ils racontent nos vies aussi, c’est-à-

dire que les choses qu’on a pu échanger autour d’un repas avec eux, après

elles sont racontées dans le village. Tu rentres dans l’intimité des gens

mais eux, ils rentrent un peu dans le tienne aussi. » « Sur cette résidence-là, le point de départ c’était l’étang, l’étang qu’on

vide. C’est devenu un lieu protégé, là-bas, les gens y ont toujours été. Si

on n’est pas né là-bas, on n’est pas de là-bas. Quand ils étaient gamins, ils

allaient pêcher dans l’étang, ils faisaient tout leur bazar, ils coupaient les

roseaux pour aller directement à l’étang, pour avoir de la vue. L’étang, il

a toute son importance ; les gens, c’est leur balade d’après manger, c’est

leur lieu d’amourette, c’est des souvenirs, les mariages, ça se fait là-bas,

quand ils étaient petits, c’est là-bas qu’ils allaient jouer, ils allaient faire

du patin à glace… Maintenant, il est protégé, donc, ce n’est plus leur

étang. C’est parce qu’on s’est intéressés à leur étang qu’on est de là-bas.

Ils ont accepté que ce soit le nôtre parce qu’on l’a aimé, on l’a respecté,

leur étang. »

Les personnes rencontrées comparent cette expérience aux voyages scolaires, où,

pour la durée du séjour, les élèves sont hébergés dans des familles d’accueil. De la même

manière, lors des résidences du Théâtre Craie, on attribue aux comédiens des « familles ».

Le vocabulaire de la famille a d’ailleurs été très développé dans l’entretien, comme le

prouve cet extrait : « Le village, c’est le tien : tu arrives, tu connais rien et quand tu vas partir

de la résidence, c’est ton village, c’est ta famille, c’est tes amis. Et je suis

sûre que si on y retournait maintenant, on se baladerait dans le village

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comme si on y avait grandi quand on était petit. Et ça, ça crée une

familiarité avec les maisons, les gens […]. Mme Brocard, la vieille dame,

c’est notre grand-mère, quand on y va, elle nous attend avec les biscuits.

C’est une dame, elle a 82 ans, toute sa famille est partie. Elle est tout le

temps devant sa maison, toute seule, du coup, on était un peu sa joie de

la journée et au bout d’un moment, c’était notre grand-mère. »

Mais, ces familles ne sont pas réellement les leurs, comme l’explique Marie Barbazin : « Ils ont beau être nos grands-parents, nos tontons, nos tatas, à un

moment donné, ça va s’arrêter et ce sera pas notre famille pour de vrai

parce qu’on va leur écrire une carte postale, moi je sais que j’envoie des

cartes postales à mes familles de temps en temps mais je sais que c’est

quelque chose qui va s’éteindre petit à petit, si je n’ai plus d’histoires

avec eux, ça ne va pas perdurer. »

Les comédiennes rencontrées disent l’ambiguïté de ce type de situation : à la fois,

elles restent elles-mêmes, à la fois elles doivent se contenir, se maîtriser et tout le temps

« être aimables ». L’une d’elles raconte qu’elles ont comme un rôle à jouer : « Tout le

temps, t’es le comédien en résidence et si tu veux t’octroyer des moments d’être Aurélie,

d’être Marie, c’est pas simple, il faut se cacher un peu, se mettre à l’écart ». L’autre fait

une comparaison, en utilisant encore le lexique de la famille : « J’ai l’impression qu’on

reste qui on est mais comme dans ta belle famille, tu sais ; tu as une espèce de masque

quoi qu’il arrive ».

Et, comme avec des voisins ou des membres de la famille, il faut faire attention aux

susceptibilités de chacun, essayer de ne pas vexer les gens, ce dont nous font part Aurélie

Pitrat et Marie Barbazin : « Quand on est retournés en Moselle la deuxième fois, on n’était plus dans

le même village, mais le village où on était la première année, ils savaient

qu’on revenait, on a été obligés d’aller les voir. On a été obligés de

prendre une demi-journée sur notre temps de travail pour aller les voir et

ça, c’est capital […]. Quand les gens nous invitent qu’est-ce qu’on fait ? On

leur dit non, on leur dit oui ? Si on leur dit non, ça les offense, il faut dire

oui mais il faut trouver le temps… Il faut être très vigilant, très attentif à

ça. »

Ces expériences nous montrent bien que les artistes en résidence doivent cohabiter

plus ou moins - et le récit des résidences du Théâtre Craie en Moselle par deux

comédiennes de la compagnie en est un exemple un peu extrême – avec les personnes du

quartier, de la ville de résidence, et que ces gens deviennent un peu leurs voisins, voire

leurs familles, pour un temps.

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- Faire partie du lieu, de l’équipe

Plus subjectivement encore, les artistes habitent dans le lieu d’accueil en disant

l’impression de faire partie du lieu, de la même équipe - ce qu’Annick Charlot a souligné

lors de l’entretien. Ils indiquent aussi la possibilité de s’installer, comme Joël Jouanneau

et Angélique Ionatos qui se sont installés au Théâtre de Sartrouville « pour une durée

illimitée »66. De même, Gilles Pastor, qui se considère comme une « excroissance » des

Subsistances, confie : « c’est bien de pouvoir s’installer » et il ajoute « si jamais j’ai le

blues, je vais dans les bureaux, il y a une espèce de proximité ; on est très proches même

si on fait pas partie du lieu… enfin, on en fait un peu partie quand même. »

La notion de lieu de vie est également très présente – Gilles Pastor trouve

intéressant de participer à une « espèce de vie » - comme au Brise-Glace, à Grenoble, dont

les membres du collectif disent : « le Brise-Glace est aujourd’hui un gigantesque atelier de

fabrication mais aussi un lieu de vie. Le fait de vivre ensemble est une expérience humaine

et artistique essentielle. Habiter ensemble, c’est se connaître, faire circuler des idées,

découvrir les pratiques des uns et des autres, construire des projets »67. Les danseurs de la

compagnie P.A.R.C. corroborent cette impression : « si on vient à Ramdam, c’est aussi

pour faire vivre le lieu : quand on est en « demeure » dans le lieu, on file des coups de

main, on aide un peu à l’organisation, on fait partie du lieu ; à ce moment-là, c’est comme

si on faisait partie de l’équipe de Ramdam ; on sent bien que le lieu n’est pas à nous mais

qu’on peut l’investir ».

Gilles Pastor m’a accordé une visite guidée des Subsistances (voir plan page

suivante). Avant tout, précisons qu’une partie des bâtiments des Subsistances – et

notamment toute la partie ouest - sera dédiée à l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon (sauf la

Verrière qui pourra encore être utilisée occasionnellement pour accueillir des spectacles),

après une phase de travaux.

66 MEURIN N., « Théâtre de Sartrouville, la maison de Joël et Angélique », La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin 1999, p. 58. 67 LEXTRAIT F., Friches, laboratoires, fabriques, squats, projets pluridisciplinaires… : une nouvelle époque de l’action culturelle. Rapport à Michel Dufour, secrétaire d’Etat au Patrimoine et à la Décentralisation culturelle, Paris, La Documentation Française, 2001, p. 14.

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Les Subsistances (plan)

1 accueil / billetterie

2 administration (anciens bureaux) /

poste de garde

3 Verrière : espace de spectacle

4 Boulangerie : salle de spectacle

5 Hangar Saône : salle de spectacle

6 Hangar jardin : salle de spectacle

7 Réfectoire des nonnes : salle

d’exposition

8 cuisine et chambres à l’étage

9 Atelier 7 : atelier de répétition

10 Salle de musique : atelier de

répétition

11 atelier de répétition

12 Atelier Nord : atelier de répétition

13 administration locaux actuels

14 bureau de Gilles Pastor

15 restaurant

Nord

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Nous ressortons par la porte est du bâtiment, nous continuons en passant devant

l’ancien emplacement de l’administration puis devant le bâtiment où se trouve l’accueil.

Ensuite, nous longeons la salle appelée Boulangerie pour arriver à l’Atelier Nord, lieu à

propos duquel Gilles Pastor devient presque intarissable :

l’Ecole des Beaux-Arts, je trouve qu’il y a vraiment une notion d’atelier,

c’est vraiment des endroits magnifiques, je trouve que c’est très bien pour

les étudiants des Beaux-Arts, mais c’est un peu regrettable… On a

Nous avons donc commencé la visite par la

Verrière, qu’il commente ainsi :

« Mon regret, c’est de ne pas avoir fait

un spectacle dans cette cour, un peu à

l’arrachée, avec cette architecture

militaire […]. C’est vrai que ce lieu, c’est

pas une architecture de théâtre mais en

même temps, je trouve que ça invente

beaucoup, ce type de lieu, ça peut

permettre la singularité d’un projet

artistique. »

La Verrière

« Ça, c’est un endroit que

j’aime bien un peu pour

une histoire affective

parce que c’est le premier

atelier que j’ai utilisé

pour répéter ici, à

l’époque où le projet des

Nouvelles Subsistances

[actuelle équipe des

Subsistances] n’était pas

encore là, c’est-à-dire que

c’était encore une espèce

de lieu en friche. Là, c’est

un ancien atelier, tout ça

va être récupéré par L’Atelier Nord

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vraiment l’impression de fabriquer ici… Cette architecture un peu XVème, je

trouve ça… Alors, c’est un peu l’endroit que je préfère, un peu à part. »

Gilles Pastor m’a raconté une autre anecdote à propos d’un spectacle répété dans

l’un des ateliers du même bâtiment alors que nous retournions à son bureau, près des

actuels locaux de l’administration. Ce qui était étonnant, dans cette visite, c’est qu’elle

était vraiment affective. En effet, Gilles Pastor ne s’est attaché à me montrer que les

endroits qui lui tenaient à cœur, et qui vont être transformés avant d’être dévolus à

l’Ecole des Beaux-Arts. Nous n’avons visité aucun des autres bâtiments, que ce soit celui

de l’accueil, de l’ancienne administration, de la salle d’exposition, celui des chambres et

de la cuisine, qu’il utilise apparemment peu. En définitive, il semblerait que Gilles Pastor

n’habite que cette partie des bâtiments des Subsistances.

Nous avons abordé la notion d’« habiter » par une définition étymologique de ce

terme et nous avons vu comment, à plusieurs niveaux de subjectivité, les artistes se

sentent chez eux dans les lieux de résidence. Il reste que l’« habiter » est une notion bien

plus large et plus complexe que ces expériences assez concrètes du fait d’habiter. Martin

Heidegger en a même fait un concept, que nous allons tenter d’appliquer aux pratiques

évoquées lors des entretiens.

2) Le concept de l’« habiter » selon Heidegger

Le concept d’« habiter » chez Heidegger est assez complexe, c’est la raison pour

laquelle nous solliciterons l’aide de Thierry Paquot pour tenter de synthétiser cette notion.

Pour développer son concept d’« habiter » dans la partie intitulée « Bâtir habiter

penser »68 de ses Essais et conférences, Martin Heidegger se base sur la langue, et plus

précisément sur la langue allemande, sa langue maternelle. A ce sujet, Thierry Paquot dit

de lui qu’il « n’hésite pas à [la] manipuler – ô combien -, à créer des néologismes, à

réintroduire le sens oublié d’un mot, bref à changer son fusil d’épaule… ou à l’armer

différemment »69. Mais si Heidegger fonde sa réflexion sur la langue, c’est parce que,

comme il l’écrit dans sa Lettre sur l’humanisme en 1946, « le langage est la maison de

l’être. Dans son abri habite l’homme » 70. Il veut dire que « c’est par le langage que l’être

68 HEIDEGGER M., « Bâtir, habiter, penser » in Essais et Conférences, Paris, Gallimard, 1958 69 PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 134. 70 In PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 138.

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et l’homme coïncideront à leur essence »71. Pour lui, le langage dit le monde à partir

duquel les humains, les événements et les choses ont un sens. Thierry Paquot précise que

« le langage possède les mots pour dire l’événement », qu’il définit comme « le lieu de

tous les lieux et de tous les espaces de temps »72. Selon lui, ce n’est pas un hasard si

Bachelard, Heidegger et Lefebvre ont tous trois travaillé sur l’« habiter » car « ils sont

persuadés que la langue n’est pas étrangère à l’« être », « l’être-là » »73.

Revenons au point de départ de Martin Heidegger, c’est-à-dire la langue, qu’il

utilise comme un outil de démonstration mathématique, pour expliquer sa notion de

l’« habiter » : il part du mot « bâtir », en allemand bauen, qui ne veut pas seulement dire

« bâtir » mais aussi « cultiver »74. Ce terme est issu du vieux-haut-allemand buan, qui

signifie « habiter » et donc, comme nous l’avons vu en préambule à ce chapitre, on peut

également le définir par « demeurer, séjourner »75. Comme bhû (« être », « devenir » en

sanscrit) et beo (« suis », « sois » en vieil anglais), il est issu de la racine indo-européenne

bhû ou bheu, « être », « croître », qui a également donné bin en allemand dans les

tournures ich bin (« je suis »), du bist (« tu es »). Ainsi, d’après leurs origines linguistiques,

bauen et bin ont la même signification, que Martin Heidegger résume de la façon

suivante : « être homme veut dire : être sur terre comme mortel, c’est-à-dire habiter »76.

De cette manière, si nous reprenons les deux sens de bauen, « cultiver, donner ses soins à

la croissance » - en latin colere, cultura – et « bâtir, édifier des bâtiments » - aedificare en

latin -, nous nous rendons compte, d’après les déductions d’Heidegger, qu’ils sont tous

deux compris dans le bauen proprement dit, c’est-à-dire l’habitation. Et le philosophe

nous rappelle qu’« habiter », c’est « être sur terre »77 ; il considère même que

« l’habitation est […] le trait fondamental de la condition humaine »78.

L’auteur d’Essais et conférences se base ensuite sur une autre origine de la langue

allemande, le vieux-saxon et le gothique, et se concentre sur les termes wuon et wunian

faisant partie respectivement de ces deux langues anciennes et qui signifient, comme

l’ancien sens de bauen, « demeurer, séjourner ». Mais wunian est plus précis que bauen

puisqu’il exprime plus particulièrement « être content, mis en paix, demeurer en paix ».

De là, Heidegger se réfère au mot « paix », en allemand Friede, qui désigne « ce qui est

libre » (das Freie, das Frye). Or, ce qui est « libre » est « préservé des dommages et des

menaces », c’est-à-dire « épargné », « ménagé » (freien). Donc, contrairement à ce que

l’on pourrait penser - à savoir que le ménagement, la protection, empêchent la liberté – le

71 PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 138. 72 Ibid. 73 Ibid. 74 HEIDEGGER M., « Bâtir, habiter, penser » in Essais et Conférences, Paris, Gallimard, 1958, p. 170. 75 Idem, p. 172. 76 Idem, p. 173. 77 Ibid. 78 Idem, p. 174.

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ménagement, la protection, permettent la liberté. Et Martin Heidegger termine ce

raisonnement en concluant que « le trait fondamental de l’habitation est ce

ménagement »79. Pour synthétiser, de l’habiter découle la paix et de la paix, la liberté, et

de la liberté, la protection ; et c’est ainsi que Martin Heidegger en arrive à l’hypothèse

selon laquelle l’habitation correspond à un ménagement, une protection.

Quand le philosophe reformule ces premières conclusions : « la condition humaine

réside dans l’habitation, au sens de « séjour sur terre des mortels » »80, il en déduit que

« sur terre » signifie « sous le ciel ». L’un et l’autre (« sur terre » et « sous le ciel »)

veulent dire « demeurer devant les divins ». Il définit ainsi les quatre éléments (la terre, le

ciel, les divins et les mortels) formant un « tout à partir d’une unité originelle » qu’il

appelle le « Quadriparti »81. Il explique encore que « l’habitation comme ménagement

préserve le Quadriparti dans ce auprès de quoi les mortels séjournent » - à savoir dans les

choses - et que « le séjour parmi les choses est la seule manière dont le quadruple séjour

dans le Quadriparti s’accomplit chaque fois en mode d’unité »82. Ce concept du

Quadriparti lui permet de montrer, comme nous allons le voir, que l’habitation peut se

traduire par une harmonie des quatre éléments qui constituent cette unité. Pour illustrer

cela, il prend l’exemple d’un pont, qui rassemble deux rives d’un cours d’eau,

physiquement, mais également de manière symbolique. Le pont rassemble auprès de lui la

terre et le ciel, les divins et les mortels. Ici encore, pour expliquer la « chose », il se

rapporte à la langue, germanique cette fois-ci, dans laquelle « rassemblement » se dit

thing. Il a évolué pour former ding, qui signifie « chose ». Heidegger en conclut donc que

« le pont – entendu comme rassemblement du Quadriparti […] – est une chose »83.

Pour mieux nous faire comprendre la notion de « chose », Heidegger prend

l’exemple de la situation où nous faisons retour sur nous-mêmes, et il explique que,

contrairement à ce que l’on pourrait penser, « nous revenons vers nous à partir des choses,

sans jamais abandonner notre séjour parmi elles ». Si nous perdons contact avec les

choses, c’est que nous sommes alors dans un état de dépression et cette perte de contact

avec les choses « ne serait aucunement possible si un état de ce genre ne demeurait pas,

lui aussi, ce qu’il est en tant qu’être humain, à savoir un séjour auprès des choses ».

Heidegger nous dit enfin que « c’est seulement lorsque ce séjour caractérise déjà la

condition humaine que les choses auprès desquelles nous sommes peuvent cependant ne

rien nous dire, ne plus nous toucher »84.

79 HEIDEGGER M., « Bâtir, habiter, penser » in Essais et Conférences, Paris, Gallimard, 1958, p. 175. 80 Idem, p. 176. 81 Idem, p. 177. 82 Idem, p. 179. 83 Idem, p. 181. 84 Idem, p. 188.

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Dans la philosophie de Heidegger, le pont est une chose particulière : il est un lieu

parce qu’il rassemble le Quadriparti en lui accordant une place. Le traducteur stipule ici

qu’en allemand les mots qui évoquent la « place », Stätte, et verstatten (dont il est issu et

qui signifie littéralement « munir d’une place » donc « faire de la place », d’où le sens

dérivé de « laisser une chose se faire », « permettre », « accorder », son sens actuel) sont

fréquemment associés et que les sens propre et figuré sont, dans cet ouvrage, souvent

inséparables85.

Heidegger considère par ailleurs que « les choses qui, en tant que lieux,

« ménagent » une place, [sont appelées] des bâtiments »86 - ce qui nous renvoie

directement à l’habitation par le terme bauen, « habiter », mais également « bâtir ». Par

exemple le pont est un lieu, et en que tel, il « met en place un espace dans lequel sont

admis la terre et le ciel, les divins et les mortels », plus précisément, le lieu donne une

place au Quadriparti en un double sens : « il l’admet et il l’installe ». Heidegger ajoute

que « la mise en place comme admission et la mise en place comme installation sont

solidaires l’une de l’autre »87. Il écrit que « les bâtiments […] ménagent (épargnent,

traitent avec égards) le Quadriparti : [ils] sauvent la terre, accueillent le ciel, attendent

les divins [et] conduisent les mortels ». Il conclut que « ce quadruple ménagement est

l’être simple de l’habitation »88. En résumé, un lieu, qui est pour Heidegger une chose

particulière, accorde une place – dans le sens où il « fait de la place » et où il accepte sa

présence – au Quadriparti, c’est-à-dire à l’harmonie des éléments du monde.

Afin d’enrichir notre réflexion sur l’« habiter », nous allons nous pencher sur les

autres sources de Thierry Paquot, car, dans son « enquête vagabonde sur l’habiter », il

prend certes Heidegger comme point de départ mais développe son étude également à

partir d’autres travaux de personnes différentes – architectes, psychologues, philosophes,

etc. – ce qui lui permet de bénéficier d’une diversité de points de vue. Par là même, on

peut se rendre compte qu’Eric Dardel, qui est historien et géographe, rejoint en quelque

sorte la pensée de Martin Heidegger dans L’Homme et la terre, où il écrit : « habiter une

terre, c’est d’abord se confier par le sommeil à ce qui est, pour ainsi dire, au-dessous de

nous : base où se replie notre subjectivité. Exister, à partir de là, de ce qui est plus

profond que notre conscience, de ce « fondamental », pour détacher dans le monde

environnant les « objets » auxquels se porteront nos soins et nos projets »89.

On peut désormais comprendre en quoi, pour Heidegger, « habiter » correspond à

une présence-au-monde-et-à-autrui. Paquot explore cette notion et crée des néologismes

85 HEIDEGGER M., « Bâtir, habiter, penser » in Essais et Conférences, Paris, Gallimard, 1958, p. 182. 86 Idem, p. 184. 87 Idem, p. 184. 88 Idem, p. 189. 89 PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 115.

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de la même forme que ceux d’Heidegger. D’après lui, la présence-au-monde « n’est pas un

acte de solitude mais de sollicitation, de bienveillance envers autrui », ni « une proximité

décidée (bien que nous existions dans la proximité des « choses »), mais une spatialisation

des distances accordée à la diversité des projets ». Et il définit le projet comme un

« après-le-là, un avoir-à-être ». Il explicite ensuite l’« être-avec » : il ne le considère pas

comme un « être-ensemble », mais sous-entend que le « avec » est avant tout un « partage

du monde ». Il conclut finalement qu’« « habiter », c’est effectivement « être » parmi les

« choses », donner au « monde » son « sens » et en partager la teneur avec « autrui » ». Il

considère donc « l’être-ensemble » à la fois comme un « être-avec » et un « être-

parmi »90.

Il est bien clair pour les penseurs de l’« habiter », que cette notion ne se restreint

pas à l’idée d’être logé91 - ce qu’Heidegger tente d’expliquer en 1951, lors d’un colloque à

Darmstadt lorsqu’il déclare : « La véritable crise de l’habitation ne consiste pas dans le

manque de logements mais en ceci que les mortels en sont toujours à chercher l’être de

l’habitation »92, alors que le pays est en ruine et que les appartements sont réquisitionnés

et partagés. Dans le même ordre d’idées, il indique que « c’est seulement quand nous

pouvons habiter que nous pouvons construire »93. Pour nous faire comprendre cette idée,

Thierry Paquot l’illustre avec son expérience en Inde, auprès d’un centre social. En

discutant avec les travailleurs sociaux, il se rend compte qu’il n’y a pas d’équivalent du

verbe « habiter » en langue marathi (comme pour la plupart des concepts occidentaux). En

revanche, il s’aperçoit qu’il existe quelque chose qui se situe « entre l’habitat,

l’habitation et l’être-au-monde », quelque chose « qui n’est pas donné, qui n’est pas

acquis, qui ne s’apprend pas, qui ne résulte pas d’une quelconque action et que nous, nous

nommons l’« habiter » »94. Ainsi apparaît-il évident que l’habiter ne se limite pas au fait

d’être logé mais se comprend comme un concept lié à l’être, à l’existence.

A cette étape de notre réflexion, nous retiendrons que l’« habitation » ne se réduit

pas à un logement, qu’« habiter » ne se traduit pas uniquement par la construction

d’édifices et la culture dans le sens de « donner des soins dans le but de produire ». Mais

l’« habiter », comme l’explique Thierry Paquot, ne peut pas être décrit comme « un

« comportement » humain façonné par une « culture » particulière mais relève de

l’ontologie ». Pour résumer cette idée, il cite Heidegger : « habiter est le trait

90 PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 139. 91 Idem, p. 121. 92 In PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 116. 93 HEIDEGGER M., « Bâtir, habiter, penser » in Essais et Conférences, Paris, Gallimard, 1958, p. 192. 94 PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 137.

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fondamental de l’être »95. Il précise également qu’il n’y a pas de méthode spécifique pour

« habiter », pas de forme particulière ou d’organisation sociale précise mais que c’est

« une présence au monde, aux choses, aux lieux, aux autres, qu’il convient d’inventer et

de réactiver à chaque instant »96. Par ailleurs, Thierry Paquot explique que l’habiter est

comme une harmonie « au sens d’harmonia, le « jointage », le jointement qui assemble

des êtres disparates » entre « l’« être » de l’humain et l’« être » des choses » et non pas,

comme nous l’avons bien compris « une quelconque pratique de l’habitat, une quelconque

appropriation de l’espace »97.

L’« habiter » semble donc correspondre à une manière d’être, un état d’esprit, une

sorte d’harmonie avec les choses, les lieux et les autres êtres humains, et ce au moyen

d’une certaine bienveillance, une protection et dans l’idée du partage du monde. A

présent, nous allons voir dans quelle mesure il est possible d’adapter cette idée, ce

concept, aux artistes en résidence.

3) Laisser des traces, se sentir libre et protégé

- Les traces

Comme nous avons pu le voir, Heidegger, au début de son explication de

l’« habiter », nous dit que les notions d’habiter, de bâtir et de cultiver se rejoignent. Or,

bâtir et cultiver reviennent à produire (des bâtiments, des plantes, des fruits, des

légumes) et donc à laisser des traces. De manière très concise, Julius Posene résume cette

idée en affirmant simplement qu’« habiter signifie laisser des traces »98. Ainsi, nous en

déduisons que les artistes en résidence habitent le lieu où ils résident en y laissant des

traces. Hubert Tonka, repris lui aussi par Thierry Paquot, évoque de manière plus abstraite

cette trace, qu’il appelle « œuvre » (terme qu’il n’entend pas strictement dans son sens

artistique) : « Je me manifeste dans des situations complexes où à tout moment, je crée

ma propre œuvre (fausse ou vraie), ma vie parmi d’autres vies. C’est en ce sens que

l’œuvre prend pour moi tout son sens et c’est là que ma participation est pleine et entière

à l’œuvre collective »99.

Curieusement, pour parler de leur présence et de leur action dans un lieu ou sur un

territoire de résidence, les artistes rencontrés utilisent les champs lexicaux de

95 PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 130. 96 Idem, p. 151. 97 Idem, p. 160. 98 In PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 148. 99 Idem, p. 123.

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l’agriculture et de la construction, ce qui nous renvoie directement à la théorie de Martin

Heidegger. Par exemple, Eloïse Brunet raconte que la DRAC de Picardie aimerait que sa

compagnie s’implante à Crépy-en-Valois et Gilles Pastor considère sa compagnie comme

implantée à Lyon. Il dit sentir qu’aux Subsistances, « on est à l’intérieur de quelque chose

qui est en train d’éclore ». La manière dont est tournée sa phrase pourrait nous faire

penser qu’il est passif dans cette situation mais l’activité des Subsistances dépend

beaucoup des artistes qui y sont en résidence et la compagnie Kastôragile en fait partie.

Stéfan Bonnard situerait l’aspect « agricole » de la compagnie KompleXKapharnaüM plus en

amont, lors de l’irrigation, quand il raconte qu’ils sont « hypersensibles aux lieux qui [les]

reçoivent, [ils viennent] pas avec un spectacle clé en main, à chaque fois, c’est de la

création, même s’[ils ont] un canevas de base, à chaque fois, [ils sont] poreux,

perméables, sensibles à tout ce qui se passe autour d’[eux] ». Cette phase de la culture

qu’est l’irrigation est très présente dans le discours du chorégraphe Christian Bourigault : « C’est la notion de terrain… C’est pas anodin, terrain, c’est aussi la terre,

le territoire, c’est quelque chose de l’ordre de la ruralité, de la terre,

c’est un peu mes racines aussi ; je suis issu de la terre, d’un milieu paysan,

mon père était planteur de tabac, bouilleur de cru, tonnelier […]. Ça, c’est

mon histoire, moi, je n’étais pas proche du tout de ça et je suis quand

même arrivé là-dedans donc, je pense qu’il y a quelque chose,

inconsciemment…, irriguer le territoire d’une pensée chorégraphique,

cette pensée-là en particulier, la pensée chorégraphique contemporaine et

dans celle-ci, la mienne […]. La résidence […], c’est faire en sorte

qu’autour de la venue de mes spectacles, d’irriguer le territoire… »

« Ce qui m’intéresse dans la résidence, c’est de rencontrer des gens et

d’inventer avec eux des formes d’irrigation - de contamination, comme dit

la revue Mouvement - d’une pensée chorégraphique qui s’inscrit dans le

temps. »

« C’est vrai que pour des gens de province, l’offre chorégraphique locale

est pas toujours… Il y a beaucoup d’endroits en France, des territoires

assez grands où il n’y a pas de compagnies […] et faire venir des artistes en

résidences, ça veut dire des moyens […] mais si on n’a pas ces résidences-

là, ça veut dire qu’on est uniquement dans un rapport de consommation de

spectacle, c’est-à-dire « voilà, on vous propose un spectacle dans le

théâtre du coin » mais il n’a pas les moyens pour faire venir cinq

spectacles de danse par an, il en fait venir un ou deux par an et puis voilà.

La résidence permet de…, je redis ce que j’ai dit, d’irriguer, je pense que

tout le monde y a intérêt. »

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On retrouve dans ces témoignages le vocabulaire de la culture, de même que dans

l’entretien d’Annick Charlot, qui évoque cette question et utilise pour cela la métaphore

filée de la culture et de ce qu’elle produit. Voici un extrait de cet entretien : « C’est le temps qui manque dans ce genre de projets, c’est-à-dire qu’il y

a des théâtres qui débloquent des moyens, et puis en même temps, ils sont

jamais là quand on est là et le temps, c’est ce qui fait la valeur humaine

en fait, de pouvoir, à un moment donné, être là avec ceux qui sont là et

voilà, pour moi, c’est ça le plus important hormis le travail de fond qu’on

fait sur le territoire […]. Parce que être dans un lieu et ne pas avoir

égrainé des petites choses autour de moi, c’est terrible, j’ai l’impression

de ne pas y avoir été. Donc, c’est pas forcément en terme d’efficacité et

de rentabilité pour le théâtre pour remplir la salle mais c’est vraiment en

terme de démarche artistique, on est là pour ça, on est là pour égrainer

des petites graines, faire germer des choses… »

Par ailleurs, les artistes utilisent également le vocabulaire plus concret de la

construction pour évoquer les traces qu’ils laissent, les actions qu’ils mènent dans le lieu

ou sur le territoire de leur résidence. Les membres de la compagnie Lanabel, pour parler

de leur partenariat avec la MC2 à Grenoble disent qu’« il se construit des choses avec

[eux], même s’[ils n’y sont pas] en résidence ». Gilles Pastor, quant à lui, aime beaucoup

l’idée de fabrication, de construction, il parle de « projets à bâtir », de « construire une

espèce de singularité ». Il ajoute qu’aux Subsistances, « il y a une vraie possibilité de

fabrique », il sous-entend qu’il est possible d’y construire les décors et d’y fabriquer les

costumes. Lors de la visite, à l’arrivée devant l’Atelier Nord, il évoque la « notion

d’atelier » en tant qu’atelier d’artisans, d’ouvriers, ou même d’artistes, de ceux qui

« produisent » des œuvres concrètes comme les peintres ou les sculpteurs. Il trouve que

dans ce type de lieux, « on a vraiment l’impression de fabriquer » ; il dit sa fascination

pour « le théâtre en tant que fabrique », ce qui peut faire penser au milieu industriel dont

l’activité est proprement la production.

Cet attachement singulier de Gilles Pastor pour l’atelier, la fabrication, nous

rappelle que le spectacle vivant est un art éphémère. Bien entendu, lorsque les artistes

proposent une représentation, on peut dire qu’ils laissent une trace mais celle-ci est

virtuelle et en ce qui concerne les documents de communication qui ont été édités pour

promouvoir ce spectacle, il s’agit bien d’une trace mais elle ne correspond pas au

spectacle lui-même. Et même si l’on prend en compte les photos, les enregistrements

sonores ou les captations vidéo qui cherchent à retransmettre exactement le spectacle,

ces éléments ne sont pas le spectacle, la trace en elle-même.

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Mais il existe d’autres traces laissées par les artistes que les représentations de leur

spectacle, tout aussi éphémères. Il s’agit, par exemple, de ce que Ramdam nomme les

« visibilités de demeures », qui sont des présentations de travaux, à des étapes différentes

de la création ; ce sont des traces. A ce sujet, Philippe Chaudoir100 reprend les propos de

Christian Massault - bibliothécaire à Grigny - qui nous met en garde : « on confond parfois

[…] l’œuvre et la trace. Une trace, quelle qu’elle soit d’un travail en résidence, ne donne

pas toujours une œuvre. Mais, en revanche, la question de la trace est pertinente et elle

fait souvent partie de la commande. Plus on est dans une résidence de familiarisation, de

transversalité, et plus la question de la trace se pose car elle est à la fois la trace du

résultat de la présence de l’artiste et celle que cela provoque auprès des publics qui

participent ». En effet, la trace peut aussi prendre la forme d’actions en direction des

publics - souvent éphémères elles aussi - comme par exemple les ateliers de pratique

artistique, les master-class, les répétitions publiques, les rencontres organisées aux

différentes phases de la création comme aux subsistances, etc. L’auteur des Résidences

d’artistes en question considère la résidence comme une commande de processus et non

pas comme une commande d’œuvre (ce qui était le cas à l’origine des résidences

d’artistes, qui n’avaient lieu que dans le secteur des arts plastiques). De ce fait, il souligne

alors que la contractualisation de cette pratique est délicate101. D’après lui, « le contrat

de résidence doit donc tout à la fois garantir les conditions de l’exercice du travail

artistique, l’imbrication dans une logique d’action ou de développement culturel, trouver

les moyens […] de rendre compte du processus mais également pallier l’absence de

lisibilité ». Il considère justement que « la trace permet de répondre à toutes ces

étapes »102, c’est-à-dire de rendre compte de ce qui s’est passé et de légitimer l’action des

artistes en résidences, même s’ils n’ont pas produit d’œuvre.

Même si tous les artistes rencontrés n’utilisent pas les champs lexicaux de la

culture et de la construction, ils insistent sur l’importance de mener des projets, d’être

présents par leurs actions, qu’il « se passe quelque chose », selon les termes d’Annick

Charlot et de Stéfan Bonnard. En outre, certains d’entre eux, en plus de ces traces que

nous avons évoquées, et qui sont pour la plupart éphémères, laissent d’autres types de

traces, plus concrètes celles-ci. Par exemple, la compagnie KompleXKapharnaüM tourne un

documentaire sur la ville de résidence, qui fait partie intégrante du spectacle, puisqu’il est

projeté sur les murs de la ville lors des représentations. Ce documentaire peut tout à fait

être considéré comme une trace de la résidence, puisqu’il peut également être

100 CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 38. 101 Ibid., p. 38. 102 Idem, p. 41.

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appréhendé comme une entité. Stéfan Bonnard décrit la démarche suivie pour la nouvelle

création, « PlayRec », qui ressemble beaucoup à celle du précédent spectacle, « Square » : « C’est un documentaire qui dure une vingtaine de minutes, on filme six ou

sept personnes dans ce documentaire et après, il y a un travail de

retraitement de ce film, de récriture de ce film et on fait un vrai boulot

avec une personne de ce film, refilmée plusieurs fois. »

Le Théâtre Craie, lors de ses résidences en Moselle, a réalisé ce qu’ils ont appelé

des photos de famille où l’on voit le comédien avec sa « famille d’accueil » devant la

maison où il a logé. Ces images sont des souvenirs tangibles pour les habitants qui ont

hébergé des comédiens. De plus, cette compagnie de théâtre, à la suite de ces résidences,

a réalisé un film-fiction, qui est une œuvre à part entière, et non pas la captation d’une

représentation, comme c’est souvent le cas des vidéos. Par ailleurs, la metteur en scène,

Claire Rengade, est l’auteur du spectacle créé et l’équipe artistique a, lors du travail de

répétition, mis le texte en ordre ; il a donc été possible de laisser une autre trace de ces

résidences par l’édition du texte de ce spectacle.

« Photo de famille » d’un des comédiens du Théâtre Craie

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Lors de son partenariat avec le groupe SEB, la compagnie Lanabel a permis au

groupe de suivre son travail à travers des documents qu’elle leur envoyait, c’est ce

qu’Annabelle Bonnéry et François Deneulin nous relatent : « On les [le groupe SEB] a toujours tenus au courant surtout au travers des

photos, entre photos d’usine et photos de création, de danse, et aussi un

petit film qui a été fait avec des images des usines et des images de

répétition, de création, mais c’était tout ce qu’on pouvait leur donner.

Etant donné qu’un processus de création, si on n’est pas dedans, c’est

quand même très délicat à montrer, on était simplement en relation avec

eux pour leur dire que le projet avançait. »

Ces images sont donc elles aussi une trace du travail en cours de la compagnie, que

le groupe SEB a pu garder. Elles permettent aux personnes du groupe, qui ne peuvent pas

assister aux répétitions, de réaliser que la création avance et de mettre en relation le

travail dans l’entreprise et le travail artistique, résultat du passage de la compagnie dans

leurs locaux. Ces traces, que laissent les artistes lors de leur passage pour une résidence,

sont d’une grande importance à la fois pour eux-mêmes mais également pour les

destinataires de ces traces – habitants, spectateurs, élèves, etc. – ainsi que pour les

personnes qui les accueillent.

Montage photo d’une image du spectacle « Que Calor » et d’une photo prise au sein d’une entreprise du

groupe SEB (photo : Michel Cavalca /graphisme : François Deneulin)

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- La liberté

Si nous adhérons à la théorie de Martin Heidegger, nous considérerons que

« habiter » c’est « demeurer en paix », la « paix » étant définie comme « ce qui est

libre », à savoir « préservé des dommages et des menaces », c’est-à-dire « épargné »,

« ménagé », protégé, en quelque sorte. Nous allons analyser à présent les résidences sous

cet angle et pour cela, nous étudierons en premier lieu le sentiment de liberté des

compagnies ; nous verrons ensuite que les artistes, souvent en création lorsqu’ils sont en

résidence, se disent fragilisés et insistent sur l’importance pour eux d’être suivis, soutenus

par l’équipe du lieu d’accueil lorsqu’ils sont en résidence.

Commençons par cette sensation de liberté qu’éprouvent les artistes en résidence.

Tout d’abord, la plupart d’entre eux ont tenu à signaler le fait que les rencontres avec le

public, les ateliers de pratique, les stages n’étaient pas imposés, et que ces actions

n’avaient aucun caractère obligatoire. Pour ne prendre qu’un seul exemple, voici un

extrait des propos de Gilles Pastor, à ce sujet : « Dans le cahier des charges, il y a des rencontres avec le public, des

ateliers dans les prisons, on m’a proposé de les faire et puis, moi, en fait,

ça m’intéressait de les faire par rapport à ma création, mais c’était pas du

tout une obligation et, en même temps, dans la mesure où j’étais en

résidence ici, je trouvais ça intéressant de le faire en lien avec les

Subsistances et, avec la volonté des Subsistances d’aller dans les prisons

donc j’ai fait un atelier avec des détenus, du coup j’ai fait des interviews

de détenus, et il y a eu le résultat de ces interviews qui était présenté

pendant les représentations en novembre dernier dans un lieu, avec une

installation sonore. »

Le sentiment de liberté se traduit de différentes manières. Par exemple, la compagnie

P.A.R.C. apprécie tout particulièrement la possibilité d’utiliser le lieu, Ramdam, à sa

guise, comme l’attestent ces deux extraits d’entretiens : « Le fait de pouvoir fabriquer sur place, laisser, changer, bidouiller, quoi,

comme il y a un aspect visuel qui est aussi en réflexion dans la création,

c’est important. Il y a des choses qu’on ne peut pas faire en studio plus

conventionnel, qu’on peut faire ici […]. Ici, il y a des parties qui sont en

béton, on peut faire des saletés, scier du bois par exemple, on peut

peindre. On peut mettre en place les éléments, on a une échelle sur

laquelle on peut monter. On peut utiliser le lieu pleinement, on a cette

liberté-là. »

« Ici, on n’a pas de limites dans le temps, on peut venir quand on veut,

partir quand on veut, on a les clés. Mais on doit se donner des limites. La

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première semaine, il faut s’adapter, apprendre à se gérer, à gérer ses

limites sinon on se perd complètement : on boit des cafés toute la

journée, on fait des repas… ! La liberté sans contraintes, ça n’existe pas,

c’est ça l’adaptation. »

Annick Charlot, chorégraphe de la compagnie Acte, quant à elle, considère la

liberté qu’elle a lors de ses résidences de manière plus abstraite, et dans les limites du

raisonnable. Elle aborde cette notion de liberté lorsqu’elle évoque son partenariat avec la

Maison de la Danse : « Le mot résidence n’est pas juste mais, comme trois années de suite, la

Maison de la Danse a été partenaire de mes projets, dès qu’ils le peuvent,

ils mettent à disposition le studio de la Maison de la Danse. Pour moi, ce

qui est important, c’est à un moment donné, la liberté qu’on peut se

donner avec une équipe qui nous accueille, il ne s’agit pas d’être là puis

de faire tout ce qu’on veut quand on veut et exiger la lune mais je sais que

la Maison de la Danse, je peux les appeler n’importe quand et leur dire

« voilà, j’ai vraiment besoin d’un studio ». S’ils ne peuvent pas, ils me le

diront et s’ils peuvent, ils feront tout pour que ce soit possible, et c’est ça

qui est important pour moi. »

Le rapport à la liberté de la compagnie KompleXKapharnaüM est assez particulier

puisque cette compagnie s’adapte à l’identité de chaque ville où elle va en résidence et

l’écriture du spectacle se fait en fonction de la ville en question. Selon les lieux d’accueil,

les artistes sont parfois orientés vers certains quartiers – et cela de manière plus ou moins

franche – ou sont complètement libres. Stéfan Bonnard raconte par exemple qu’à Avignon,

ils ont « fait ce qu’[ils ont] voulu, où [ils] voulai[ent], carte blanche, [ils n’ont] pas eu de

mots d’ordre ou quoi que ce soit ». Pour qualifier son partenariat avec les Subsistances,

Gilles Pastor parle « d’une espèce d’union libre ». Les personnes les plus attachées à l’idée

de liberté, ou du moins ceux qui en ont le plus parlé, sont Annabelle Bonnéry et François

Deneulin ; ce que nous allons montrer avec quelques extraits de leur entretien. Lorsqu’ils

expliquent le fonctionnement du lieu O Espaço do Tempo, ils décrivent les nombreuses

possibilités d’utilisation de ce lieu : « Il [le directeur, Rui Horta] accueille les compagnies, il leur propose une

possibilité de visibilité publique qui peut être dans le cadre d’une

programmation ou qui peut être décidée au dernier moment et après eux,

ils en font la communication mais ça peut être aussi dans une

programmation parce qu’il programme dans le théâtre qui est en bas, dans

la ville et il a maintenant un nouveau lieu où il peut programmer, qui est

aussi dans la ville, qu’il appelle la « black box », qui est un espace, un

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cube où on peut mettre à peu près quatre-vingt-dix personnes. L’autre,

c’est un théâtre ancien, avec beaucoup beaucoup de place donc c’est

utilisable… Le plateau étant très grand, on peut aussi mettre tout le

monde sur le plateau : il y a plein de choses qui peuvent être possibles. Et

puis, il y a plein d’autres lieux qui peuvent être utilisés. Lui, son but, c’est

d’accueillir les gens, sans forcément qu’il y ait une production derrière, il

n’y a pas d’obligation. »

Par ailleurs, ils racontent leur expérience avec le groupe SEB, et particulièrement quand

ce dernier est devenu coproducteur du projet : « Jusque là, c’était assez officieux, ce qu’il se passait, et puis finalement,

c’est devenu un peu plus officiel quand ils ont commencé à nous aider en

coproduction. Donc après, je vais pas dire que ça a tout changé, pour

nous, ça a changé beaucoup de choses parce que ça nous a permis de faire

le festival d’Avignon, ça nous a permis d’aboutir la création, mais la

démarche était toujours la même, il y avait une envie réciproque que des

choses se passent après… On n’avait pas plus de comptes à rendre après

qu’avant, c’était la suite de l’échange. »

Enfin, leur récit des moments où ils ont négocié la possibilité d’aller dans les ateliers des

usines montre l’importance qu’a eu le fait d’avoir été relativement libres de leurs

mouvements : « On pouvait aller dans presque tous les lieux possibles, dans les ateliers,

sans gêner le travail bien sûr. Donc, ça, on nous a dit oui assez

facilement ; il y a juste quelques endroits très spécifiques, au niveau de la

recherche, ça, c’est normal, c’est des trucs un peu secrets où on n’est pas

allés, où, en tout cas, même si on y était allés, on devait pas filmer, c’est

tout. Donc, il n’y a pas eu trop de difficultés, ils nous ont laissés assez

libres dans les ateliers, donc on y est allés régulièrement. »

Finalement, les artistes insistent sur l’importance que revêt la liberté dont ils bénéficient

en résidence, ainsi que sur la multitude de possibilités et de choix que les lieux d’accueil

leur offrent, même si cela nécessite parfois une certaine adaptation.

Les membres de la compagnie P.A.R.C., lorsqu’ils évoquent cette liberté ajoutent

qu’elle « amène une confiance, qui amène un respect dans le fonctionnement du lieu sans

qu’il y ait de loi établie ». Les artistes attachent en effet une grande importance au

soutien, à la confiance et au suivi que leur témoignent les équipes des lieux d’accueil,

surtout parce qu’ils sont en général fragiles lorsqu’ils sont en création.

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- La protection

Cette fragilité est soulignée par les danseurs de la compagnie P.A.R.C. qui

déclarent que « quand ils sont en création, les artistes ont quand même une certaine

réticence à montrer leur travail, soit par fragilité, soit parce que c’est pas le moment, soit

parce qu’ils ont pas envie, tout simplement ».Ces propos sont confirmés par ceux d’Eloïse

Brunet qui affirme : « quand on répète, on est fragile, parfois un peu trop ». Annabelle

Bonnéry explique ce type de réaction comme « une manière de se protéger » et elle

ajoute : « quand on est artiste, on se dit que c’est pas le moment de montrer notre travail

à l’équipe du lieu, mais en fin de compte, c’est toujours le moment ». En revanche, face

aux non professionnels que sont les personnes du groupe SEB, elle ne se sentait pas prête à

montrer le travail avant la fin des répétitions. Elle explique : « Je préférais que les choses soient bien avancées parce qu’en face, c’est

des gens qui ne connaissent pas beaucoup, moi, je ne les connais pas

beaucoup non plus sur leur manière de voir les choses et je trouvais que

c’était un peu risqué de présenter quelque chose. »

Dans cette situation de fragilité, les artistes ont donc besoin d’un soutien fort de la

part des lieux. Pour cela, Jean-Paul Bouvet, le directeur du Toboggan, propose

d’accompagner la création, et peut être présent pour regarder et faire des retours sur le

travail artistique de la compagnie en résidence, si elle le souhaite. La compagnie P.A.R.C.

apprécie cette présence, et c’est pourquoi les danseurs disent qu’à Ramdam, « il y a des

facilités, il y a de la disponibilité, il y a des soutiens ». Les directeurs de la compagnie

Lanabel estiment aussi très précieuse la notion de ménagement, qu’ils expriment ainsi :

« L’envie que t’as quand t’es artiste, c’est d’être dans un lieu et d’être entouré ». Ils

apprécient également le fait que la MC2 leur mette un studio à disposition, leur permette

de proposer « des présentations publiques que la MC2 soutient ». Annick Charlot, dont les

propos sont repris dans Les résidences d’artistes en question, use de métaphores et de

comparaisons pour illustrer cette notion de soutien, et l’importance de l’équipe du lieu : « Alors, les résidences sont aux chorégraphes et leurs compagnies ce que

les radeaux sont à la survie et les oasis aux déserts […]. Pouvoir ne pas

compter uniquement sur ses propres moyens, toujours et encore,

irrémédiablement seuls ! Car c’est bien le plus important, le radeau vient

avec un équipage et l’oasis avec ses habitants, leurs outils et leur volonté

[…]. Une résidence n’est jamais une demeure vide, un loyer gratuit. Elle

dépend de ceux qui la portent au second sens du terme ; un fondement,

une place. »103

103 In CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 77.

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Il reste que, parfois, ce soutien est absent. Cette situation devient alors très difficile,

comme en témoigne Claude Tabouret, administratrice de la compagnie Premier Acte : « On a fait un projet un peu similaire sur Rilleux-la-Pape mais qui a été

très difficile, parce qu’on a été seuls seuls seuls pour le faire, c’était

terrible. S’il n’y a pas de soutien, si les gens, les structures, les gens qui

connaissent les habitants ne sont pas convaincus, n’ont pas envie de

bosser, c’est pas la peine. »

Les danseurs de la compagnie P.A.R.C. expriment cette impression d’être soutenus

en qualifiant Ramdam de « lieu d’accueil » : « le mot « accueil » convient très bien. C’est

pas pour faire joli, vraiment ». Cependant, ils n’expliquent pas réellement pourquoi ils ont

opté pour ce mot, mais nous pouvons trouver des éclaircissements dans l’ouvrage de

Thierry Paquot, quand il écrit qu’« accueillir veut aussi bien dire « recueillir » que

« recevoir » ; là encore, les mots affirment et confirment leur sens : accueillir, c’est

manifester de l’hospitalité, c’est héberger »104. Nous en revenons donc à l’habiter.

Si les artistes sont particulièrement fragiles lors des créations, ils gardent une part

de fragilité en permanence, due principalement au fait qu’ils ont besoin d’espaces de

travail, de moyens financiers pour monter leurs créations, de théâtres pour les

programmer, etc. C’est la raison pour laquelle ils apprécient quand un lieu leur témoigne

de la confiance, suit leur travail, programme leurs créations plusieurs fois de suite, leur

sont fidèles. Philippe Verrièle, dans le livre sur Christian Bourigault, qualifie le Cratère,

Scène Nationale d’Alès, de « havre de confiance [pour le] chorégraphe »105. Claude

Sévenier, alors directeur du Théâtre de Sartrouville, proposait à des artistes de s’associer

au lieu et expliquait que « la règle du jeu [était] basée sur la confiance »106. Cette

confiance se retrouve dans les personnes rencontrées, chez la compagnie P.A.R.C., qui

considère avoir « une relation de confiance » avec Ramdam et les soucieux.

Mais surtout, les compagnies soulignent l’importance d’un suivi de leur travail,

d’une certaine fidélité, comme l’attestent ces extraits d’entretiens : « Avec la personne qui s’occupe des « Plateaux danse » à l’esplanade, à St

Etienne, on a réussi à garder contact, ça fait deux ans qu’il y a un suivi. »

« [A Ramdam], entre l’année dernière et cette année, il y a une relation

qui se continue, donc ça fait un peu plus d’un an qu’elle s’installe, qu’elle

évolue. C’est pas « on vous prête seulement un lieu », c’est « on a des

104 PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 30. 105 BARCELO V., BOURIGAULT C., GINOT I., LOUPPE L., VERRIELE P., Christian Bourigault, Feillens, Editions W – Addim 89, 1998, p. 22. 106 MEURIN N., « Théâtre de Sartrouville, la maison de Joël et Angélique », La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin 1999, p. 58.

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liens avec vous », on se suit. C’est assez enrichissant et au niveau de la

création, ça donne une petite base sécurisante. »

Compagnie P.A.R.C. « Ce qui est rigolo, c’est les résidences qui sont proches les unes des

autres parce que dans ces cas-là, on a une fidélité qui s’installe. »

Théâtre Craie « Le Théâtre de Givors a été un chouette partenaire, c’était vraiment

quelqu’un avec qui on réfléchissait, et puis c’est quelqu’un qui a mis de

l’argent dans deux créations de suite. Il y a eu aussi […] le Sémaphore

d’Irigny qui a été coproducteur aussi deux années de suite. »

Annick Charlot « C’est une résidence un peu particulière, un compagnonnage avec Guy

Walter et Cathy Bouvard voilà, ou une fidélité… »

« Pour le bureau, on sait pas vraiment jusqu’à quand on reste, et puis, je

pense qu’à mon avis, il va peut-être y avoir un autre lien pour une

prochaine création, mais ça, c’est pas très clair… En tout cas, il y a un vrai

suivi de mon travail, un accompagnement. »

Gilles Pastor « On est allés en résidence au Portugal parce que moi, je bosse en tant

qu’interprète avec [Rui Horta] depuis 2000 et comme assistante… Voilà, il

a eu envie de suivre ce que je faisais et c’est pas forcément parce qu’on a

été interprète qu’il suit les travaux mais c’est comme ça que ça s’est fait

[…]. Après la première résidence, ça s’est poursuivi parce qu’il a eu envie

de suivre le travail. »

« Cette année, la proposition que Rui Horta nous fait […], c’est de

vraiment de pouvoir suivre le projet, même quand on est en France, c’est-

à-dire de pouvoir envoyer des fragments vidéo, des documents… […] C’est

sa volonté, sa manière à lui de fonctionner et il a envie de l’impulser pour

des gens qu’il soutient. C’est vrai que nous, il nous soutient depuis trois

ans, il a envie de voir ce que ça donne, comment ça évolue. »

« Au Toboggan, il y a d’abord eu une première diffusion puis une

deuxième diffusion et après une coproduction, donc quand même il y a eu

un suivi pendant trois ans, des ateliers pendant trois ans aussi. »

Compagnie Lanabel

Pour exprimer cette idée de confiance, de fidélité, de suivi, de soutien en général,

la compagnie Lanabel explique en une expression concise la mission du lieu d’accueil :

« une équipe qui est dans le lieu, qui prend soin de son lieu ». Dans sa conclusion des

Résidences d’artistes en question, Annick Charlot écrit que la résidence « prend son sens

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parce qu’elle se déploie autour de volontés professionnelles et de raisons humaines qui

sont au-delà des moyens techniques ou des logiques financières ». Elle ajoute que la

résidence « n’a de sens pour les artistes que si elle en a pour les équipes qui les

accueillent, non parce qu’elles le peuvent mais parce qu’elles le veulent. Et ce « vouloir »-

là change tout »107. Il est en effet nécessaire, pour que la résidence se passe bien, que le

lieu s’implique dans l’accueil des artistes.

4) Habiter : être, croître, évoluer

D’après la lecture que nous avons faite de Martin Heidegger, « habiter », c’est,

entre autres, « être », « croître » et cela correspond à une « présence-au-monde-et-à-

autrui »108. De ce point de vue, les artistes en résidence habitent dans leur relation aux

autres : par les rencontres qu’ils peuvent faire, les liens qu’ils peuvent tisser, les échanges

qu’ils peuvent avoir avec les autres. Ces rencontres peuvent avoir pour conséquence de les

faire évoluer, de transformer aussi les autres personnes ou d’influencer la création.

- Rencontres, échanges

Pour reprendre la phrase de Thierry Paquot, rappelons qu’« habiter, c’est

effectivement « être » parmi les « choses », donner au « monde » son « sens » et en

partager la teneur avec « autrui », constituant ainsi l’être-ensemble, qui est

conjointement un « être-avec » et un « être-parmi » »109. Ainsi, l’autre occupe une grande

place dans l’habiter, ce que confirment les artistes rencontrés. Liliane Dos Santos et

Françoise Kayser expriment cette idée d’une manière différente dans l’ouvrage Ilots

artistiques urbains puisqu’elles écrivent qu’« habiter artistiquement un « îlot », investir

une friche, mener à bien un projet collectif, c’est tout sauf s’isoler du reste de la ville ».

Elles ajoutent que « l’artiste n’est pas un être en dehors de la société » et

qu’« aujourd’hui plus que jamais, ces artistes cherchent les moyens de pérenniser ou de

renouer les liens avec la réalité sociale et urbaine qui les entoure »110. De toutes façons, la

relation à autrui, les rencontres avec d’autres êtres humains, sont indispensables à

l’existence, et à l’art, comme le sous-entend Heidegger dans son interprétation de

107 In CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 77. 108 PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 20. 109 Idem, p. 139. 110 Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 15.

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l’habitation. Ce point de vue est partagé par Jean-Paul Dollé dans son article « Habiter le

rien », qui se situe dans un tout autre contexte, celui des émeutes survenues dans les

banlieues en novembre 2005. Il se demande alors « comment vivre – survivre – quand on

habite dans le rien et, peut-être même le rien ? », il questionne le lecteur en lui

demandant « de quelle nature sont des sociétés – nos sociétés démocratiques – qui

sécrètent, ou laissent se former, des territoires où n’existe aucune des conditions

minimales nécessaires à la constitution d’un monde figuré spatialement par des lieux de

contact, de croisements, de rencontres – rues, places, etc. ? » Enfin, il s’interroge et nous

interroge par cette question : « que peuvent faire des êtres humains qui existent dans un

non-monde, qui peut aussi s’écrire im-monde ? »111 Il considère donc que les rencontres,

les échanges avec autrui sont, entre autres, les « conditions minimales » de la vie.

Ces rencontres et ces échanges font donc, en toute logique, partie d’une résidence

« habitée », qu’ils soient avec le public, les habitants, la population, avec d’autres artistes

ou avec les personnes du lieu d’accueil. Les artistes et les lieux rencontrés sont nombreux

à évoquer ces liens, ces échanges, ces partages… Par exemple, le Centre Culturel Charlie

Chaplin met en place de longues résidences (minimum six ans) pour permettre aux

compagnies de se projeter dans le temps et d’envisager de « vraies rencontres ». Lors de

sa participation à l’enquête sur les Ilots artistiques urbains, Liliane Dos Santos a raconté

son expérience à la Fabrique à Andrézieux-Bouthéon : « Lorsque l’on arrive tôt à la

Fabrique, on entre par la cuisine. Immédiatement, on se retrouve un café en main, dans

une convivialité réconfortante, où le dialogue se noue simplement avec les gens présents,

souvent des artistes en résidence »112. Elle a vécu cette rencontre des artistes avec autrui

d’un point de vue différent de celui que nous avons, nous, de la part des artistes en

résidence. La « préoccupation première » de Christian Bourigault, « c’est de faire partager

aux gens avec qui [il] vi[t] des questions sur le monde d’aujourd’hui ». La compagnie

Lanabel, quant à elle, évoque les nombreuses rencontres possibles lors de l’expérience

avec le groupe SEB et précise que, dans le travail, elle ne fonctionne qu’à partir de

rencontres, ou presque. A ce sujet, les comédiennes du Théâtre Craie se sont souvenues

d’une anecdote saugrenue, à propos d’une résidence de la compagnie qu’elles n’ont pas

vécue, mais dont elles ont entendu le récit : « Sur un autre projet, ils étaient dans la Drôme, ils ont joué dans une

église, et il faisait très, très froid, ils en pouvaient plus. Les mamies du

village, je sais pas qui du village, leur ont tricoté des chaussettes ; ils

étaient là quinze jours et ils ont eu leurs chaussettes ! Parce qu’ils avaient

froid dans l’église… »

111 DOLLE J.-P., « Habiter le rien », Le Monde, 14 décembre 2005, p. 23. 112 Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 53.

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Cette histoire leur permet de constater (à propos des liens qui se tissent entre l’équipe

artistique et les habitants du lieu de résidence) : « il y a un truc qui prend, c’est

incroyable ».

Pour aller plus loin dans les rencontres, plusieurs personnes interviewées ont fait

allusion au fait que, dans leur travail de création et lors des représentations, elles

considèrent le public en tant qu’individus et non pas en tant qu’entité « public », masse.

Les comédiennes du Théâtre Craie expliquent cette manière de travailler : « Le travail de Claire, c’est considérer les personnes à qui tu parles, c’est-

à-dire que c’est pas une masse informe, un public, c’est une multitude

d’individus […]. Par exemple, si Jeannette vient te dire « vas-y Aurélie »,

Jeannette, t’es obligée de la considérer en tant que Jeannette. Et quand

tu parles au maire avec qui t’as fait un barbecue la veille, ben tu parles au

maire avec qui t’as fait un barbecue la veille. Dans mon texte, j’avais une

phrase qui était d’un maire et j’imagine que si dans un théâtre, il avait

fallu que je dise ça, je ne l’aurais sûrement pas dit pareil que là, en plein

air, avec cinq maires dans le public, je ne savais pas lequel choisir parce

que je connaissais les cinq […]. Du coup, ça amène une dimension

différente, j’ai senti que j’avais des individus en face de moi, et que

j’avais pas un public. »

Eloïse Brunet, chef de troupe de la compagnie C’est pas si grave, a une manière de

travailler similaire : elle appelle cette façon de considérer le public en tant qu’individus et

non en tant que masse « tamiser », « travailler au microscope ». Elle attache beaucoup

d’importance au fait d’avoir un suivi avec la population avec laquelle elle travaille et

considère qu’« il ne faut jamais fermer la porte », c’est-à-dire mener une action avec une

population et ne jamais y retourner. Cependant, elle précise avec quelque regret que « si

on veut tamiser, il faut se concentrer sur une population ». Pour cela, elle ajoute qu’il est

important pour elle de « ramener la parole » et de « discuter avec les gens » (après le

spectacle notamment).

Les rencontres évoquées par les personnes interrogées peuvent aussi être

constituées de croisements avec d’autres artistes. Jean-Paul Bouvet, le directeur du

Toboggan, propose par exemple aux artistes en résidence de les mettre en contact avec

d’autres artistes, car il trouve important d’associer d’autres artistes à la création. Ainsi,

Annabelle Bonnéry raconte qu’elle a « retravaillé au Toboggan après [sa] résidence, en

temps qu’interprète avec un compositeur avec qui Jean-Paul Bouvet [l’]avait mise en

contact ». Les danseurs de la compagnie P.A.R.C., dans ces extraits d’entretien, évoquent

ces rencontres artistiques :

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« Les rencontres avec les autres compagnies en résidence se font plus par

le biais des individus et aussi avec le temps […]. Par exemple, l’année

dernière, il y avait une seule personne qui était en résidence en même

temps que nous, qui restait aussi un mois. Cet échange a pu commencer à

se faire à partir d’un certain temps : il avait un regard sur notre travail, on

partageait son travail. Parce que cette personne restait sur la longueur. »

« Ramdam, ils ont aussi énormément d’événements, les « Quoi de 9 ? », les

« De quoi s’agitent-ils ? », les « 31 quoi », les journées « interrupteurs »…

et ces événements permettent la rencontre, c’est un partage avec l’équipe

[…]. C’est le seul moment où, dans le contexte d’une demeure, on se voit

hors contexte de notre propre travail. Les gens du lieu, les gens en

demeure, même ceux qui présentent un travail. On est détendus, parce

que finalement c’est pas à propos de nous. Ça permet de créer des liens. »

De la même manière, Annabelle Bonnéry et François Deneulin ont parlé de

croisements qui ont pu exister dans divers lieux de résidence. Pour eux, par exemple, « la

MC2, comme c’est une grande maison, on croise toujours d’autres artistes qui viennent

montrer leur travail, il y a des croisements tout le temps ». Ils ont décrit aussi le

fonctionnement du lieu nommé O Espaço do Tempo, au Portugal : « comme il y a plusieurs

espaces, il peut y avoir plusieurs compagnies en même temps, plusieurs projets en même

temps, de toutes les disciplines (danse, théâtre, musique, vidéo, multimédia…), donc il y a

des croisements très faciles à faire. En plus, il y a des événements qu’ils organisent en

même temps que toi, t’es en résidence, qui font que ça crée énormément de

croisements ». La compagnie P.A.R.C. semble avoir vécu une expérience similaire à

Ramdam. Les membres de l’équipe artistique expliquent que, « comme Ramdam, c’est un

lieu d’accueil artistique, c’est pas que de la danse, ça permet de créer des liens avec

d’autres arts, d’autres personnes qui sont là » et ils trouvent que « c’est enrichissant de ne

pas se retrouver juste une compagnie dans un coin, coupée du reste, de pouvoir créer ce

lien ». Christian Bourigault, lui, affirme que « ce qui est intéressant, c’est la rencontre

avec un autre artiste d’un autre domaine que son propre domaine de recherche et voir les

ponts qui peuvent se faire ».

Par ailleurs, ces échanges s’effectuent également avec le lieu de résidence et les

personnes qui y travaillent. Par exemple, les soucieux de Ramdam attachent beaucoup

d’importance à trouver ce qui pourrait se passer entre l’équipe artistique en résidence et

l’équipe de Ramdam en se demandant ce que cela peut apporter à chaque groupe. Ils

souhaitent établir un réel échange entre les deux groupes. C’est ce que peut attester ce

passage de l’entretien avec la compagnie P.A.R.C., en résidence à Ramdam :

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« Il y a une notion d’échange qui est là, qui est bien, très bien. Ça nous

fait réaliser que ça se passe pas comme ça ailleurs. Dans les autres lieux,

on prend jamais le temps d’avoir un échange avec les gens qui travaillent

dans le lieu. Ça permet de laisser des portes ouvertes, d’avoir des regards

extérieurs. Ils peuvent voir la création pendant toute la longueur du

travail ; arriver à ce que ça nous contraigne pas dans notre travail, que ça

ne les contraigne pas non plus dans le leur mais qu’on arrive à trouver des

temps de partage, que ce soit autour d’une table en train de manger, ou

autour d’un café mais aussi dans un studio et arriver à échanger autour de

la création […]. C’est difficile de créer un lien, c’est maladroit. »

Annick Charlot, qui considère la résidence comme « un engagement réciproque » de

la part de la compagnie et de la part du lieu d’accueil, a parlé de son partenariat avec la

Maison de la Danse, où « ils ont l’habitude de travailler avec des artistes, et pour eux, le

plus important, c’est qu’à un moment donné, un artiste qui est là, enfin, une équipe, si

elle est là, ça veut dire qu’ils s’engagent à ce qu’il y ait un vrai échange avec elle, et du

coup, si on a besoin de quelque chose, ils sont à l’écoute ». Elle conclut en affirmant que

pour elle, « c’est important de pouvoir échanger ». Le directeur artistique de

KompleXKapharnaüM a aussi exposé cet aspect-là des choses : « Finalement, le lieu qui

nous invite est utilisé vraiment en termes de dynamique : les gens sont réactifs, avec qui

on peut discuter un moment, qui sont curieux de ce qu’on fait, avec qui on peut échanger

de là où on en est… ». La compagnie Lanabel, quant à elle, raconte que le travail avec le

groupe SEB, qui était une expérience singulière, les a amenés à rencontrer d’autres

partenaires comme le CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) à Paris et, entre

autres, des sociologues, des psychodynamiciens du travail etc. avec qui ils ont

constamment échangé. De plus, ils sont intervenus dans un laboratoire pour parler de leur

travail et ont aussi eu des retours de leur part. En ce qui concerne les liens avec d’autres

personnes, la compagnie Premier Acte ne s’en tient pas aux échanges verbaux et décrit le

principe du théâtre en appartement : « C’est gratuit pour les gens, on leur demande en

contrepartie d’inviter au minimum une douzaine de personnes, et qu’il y ait un petit

buffet à l’issue pour pouvoir discuter ». Pour conclure sur ces échanges entre compagnie et

lieu d’accueil, les membres de la compagnie Lanabel, à propos des différentes résidences

qu’ils ont vécues, disent que « l’échange peut être de différentes formes, il peut être de

boire le café, échanger artistiquement, il est de l’échange humain » mais ils précisent que

lors de cet échange, « il faut qu’il y ait un intérêt des deux côtés ». La réciprocité a toute

son importance dans ce type de relations puisqu’elle est l’un des moteurs de la rencontre :

il faut en effet que chacun y trouve son compte pour que le lien puisse être entretenu.

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Cette dimension-là des échanges est largement développée par les personnes

interviewées, ainsi qu’en rendent compte ces extraits d’entretiens : « On peut très vite tomber dans le prendre, prendre, prendre en fait. C’est

pour ça qu’il faut vite être sensible au fait que ça va que dans un sens très

vite […]. En tant que compagnie, on essaie de veiller à ce que les relations

s’entretiennent, réciproques, qu’on puisse rendre la pareille. »

Compagnie P.A.R.C. « … T’aurais que ça à faire : passer des nuits blanches à écouter Corinne,

ça peut aller, en même temps, je vois pas où je trouverais mon intérêt

personnel. A un moment donné, c’est pas vraiment un échange. »

« On a été obligés de prendre une demi-journée dans notre boulot pour

retourner dans le village de l’année d’avant pour aller les voir et tout ça,

c’est capital, parce que si on n’y va pas, ils ont l’impression qu’on leur a

tout pris, qu’on s’est servi d’eux. »

« Je crois que la greffe, elle prend dans les deux sens, sinon, ça marche

pas […]. Si tu donnes pas de temps, ils ne t’aimeront pas »

Théâtre Craie « Il y avait des espaces dans les usines où on a rêvé de faire des trucs, de

jouer, de faire des performances, mais il aurait fallu arrêter la production,

et c’est pas possible. Je pense que ça n’aurait pas intéressé l’entreprise,

trop compliqué… Dans ce cas-là, l’échange n’est pas des deux côtés. »

Compagnie Lanabel

Toutes ces rencontres, tous ces liens créés, tous ces croisements, tous ces échanges

que les artistes nouent avec le public, les habitants, avec les personnes qui les accueillent

ou avec d’autres artistes revêtent une grande importance. Et cela est notamment dû au

fait que les échanges aient lieu dans les deux sens, et non pas parce qu’ils auraient

l’impression de se faire avoir et de ne faire que donner sans recevoir mais plutôt dans le

souci que leurs hôtes reçoivent autant qu’eux au sein de leur relation. Nous allons

maintenant pouvoir comprendre en quoi ces rencontres sont capitales et quelles peuvent

en être les conséquences.

- Evolution des artistes

Les nouvelles relations que les artistes tissent lors de résidences, les rencontres

qu’ils font et les échanges qu’ils créent, peuvent les transformer en tant qu’artistes mais

également en tant que personnes. Thierry Paquot nous indique que « s’approprier un

espace » - ce qui est le cas des artistes en résidence - « pour la philosophie, contrairement

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à la sociologie, ne signifie pas en prendre possession, mais devenir autre à son contact »113.

C’est donc ce qui semble se passer lors des résidences, comme en témoignent quelques

exemples récoltés lors des rencontres avec les artistes. Christian Bourigault raconte, à

propos des rugbymen avec qui il a travaillé, qu’« ils [lui] ont fait découvrir des choses

même dans [son] propre corps, ils [lui] ont fait retrouver une sorte de puissance

d’enracinement, des appuis au sol », que le « travail avec eux [l]’a remis face à

l’interrogation dans des trucs très physiques de [sa] propre danse, dans la physicalité de

[sa] danse, dans ses rapports aux appuis, dans ses rapports au sol ». En ce sens, l’un des

danseurs de la compagnie P.A.R.C. déclare : « Plus il y a d’échanges dans une résidence,

plus elle est bénéfique ». Mais les personnes qui ont le plus souligné cet aspect des

résidences, ce qu’elles ont découvert, ce qui les a fait changer, ce sont Marie Barbazin et

Aurélie Pitrat, lorsqu’elles décrivent les expériences de résidences vécues avec le Théâtre

Craie : « C’est des gens que j’aime vraiment bien […], c’est des gens qui me

touchent vraiment, que je trouve hyper intéressants, j’aurais jamais pu les

rencontrer autrement et là-dessus, c’est assez fort quand même, parce

que l’échange se fait. »

Marie Barbazin « On découvre un autre monde, moi, je sais que j’ai passé des heures dans

la porcherie, c’est hallucinant, et jamais de ma vie, j’aurai une raison

d’aller dans une porcherie. J’ai appris plein de choses […]. A Guermange,

la première année, quand on était chez Jeannette et Simon, quand j’avais

commencé la fée, Jeannette avait poussé tout le monde, elle était devant,

et elle me disait : « vas-y, vas-y, vas-y ! ». Personnellement, je trouve que

ça remet le théâtre à sa place. Moi, ça me fait un truc personnel, où

même si t’as envie d’être la star, si t’aimerais être Nicole Kidman, ben là,

t’as les pieds dans la boue et on t’attend avec une eau pétillante sous un

néon. Je trouve que ça remet vraiment les choses à leur place. »

Aurélie Pitrat « Pour moi, ce qui fait que ça marche et que j’aie envie d’y retourner,

c’est que c’est différent. On a des vies qui n’ont rien à voir, c’est des gens

que je n’ai aucune raison de rencontrer, si ce n’est là. »

Marie Barbazin « Ça resitue de faire son métier autrement, moi, je sais que j’en ai besoin

une fois par an et je sais que je m’en sers quand je suis sur un plateau de

théâtre parce que tu peux pas faire semblant […]. Ça évite de s’envoler,

113 PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 162.

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de prendre la grosse tête. Tu es là, avec des gens qui font du pâté dans

leur vie. Bah, merci de faire du pâté, parce qu’il est super bon leur pâté.

« Ben, nous, on va vous faire un peu de théâtre », c’est pas mieux que de

faire du pâté […]. Ça a la même valeur, c’est aussi fort leur pâté que notre

théâtre […]. Du coup, ça me donne envie de faire du Shakespeare au TNP

parce que j’ai ma mémoire d’avoir fait une fée dans le lisier. »

Aurélie Pitrat

Comme nous venons de le remarquer, des divers échanges entre les artistes et

autrui découle un enrichissement de l’artiste, en tant qu’être humain et en tant

qu’artiste, et nous allons voir que réciproquement, ces rencontres peuvent faire changer

les personnes avec qui les artistes sont en contact.

- Transformation des autres

Les liens entre les artistes et les publics, rendus possibles grâce aux résidences

permettent également aux personnes rencontrées de se transformer et d’évoluer. C’est ce

que Philippe Saunier-Borell, directeur des Pronomades en Haute-Garonne explique lors de

la journée de réflexion sur les contrats : « C’est en effet autour des résidences de création

qu’on peut engager un véritable acte de rencontre. Une vraie présence dans la ville qui

permet de modifier le regard de ses habitants »114 et Philippe Saunier-Borell d’ajouter : « A

mon sens, une résidence est ratée lorsqu’il n’y a pas eu de plaisir, pas de moment partagé,

pas de véritables échanges, lorsque l’équipe du lieu d’accueil n’a pas « profité » de cette

rencontre pour « nourrir » sa propre histoire (et inversement bien sûr !) »115.

Ces changements, ces transformations sont tout d’abord d’ordre général. Philippe

Saunier-Borell, donne l’exemple d’une résidence qu’il a accueillie : « Le Groupe Zur, qui

organise des projections vidéo sur des écrans d’eau, a fait participer à la manifestation les

jardiniers d’un institut privé qui se trouvait sur l’espace de représentation. De même, la

compagnie a pu travailler sur des systèmes d’irrigation avec les élèves d’un lycée agricole

[…]. On les associe sur un vrai projet qui les concerne eux. Et de leur savoir-faire, on passe

au savoir poétique et artistique du Groupe Zur. De cette matière commune, on fait naître

des rapports de complicité qui s’étendent à la population par l’intermédiaire des amis, des

voisins, des services techniques de la ville… ». En ce sens, la résidence revient à « rendre

le temps qui est nécessaire à la compagnie, nécessaire pour d’autres » »116. De la même

114 In Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 30. 115 Ibid. 116 Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 34.

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manière le Théâtre Craie, lors d’une de ses résidences en Moselle, sollicite les habitants du

village dans la recherche de matériau pour la scénographie du spectacle. Les deux

comédiennes rencontrées racontent cette anecdote : « Il y a un texte de Claire sur la guerre qui parle des frontières et du coup,

on avait demandé un bout de ficelle à tous les habitants du village, parce

qu’on arrive sans rien, on n’a pas de costumes, on a juste deux trois

bricoles mais on s’en sert pas forcément. On avait besoin d’une bassine

aussi, on n’en avait pas donc on va sonner chez les gens : « est-ce que vous

auriez une bassine à nous prêter ? ». Bref, là, on avait besoin d’un fil qui

fasse toute la longueur de la rue parce qu’on a divisé le village en deux

pour faire la frontière. Et c’était bizarre parce que les gens nous disaient :

« Mais pourquoi vous nous séparez en deux ? ». Je suis sûre que ça a bougé

des choses aussi chez les gens. »

Les échanges avec les artistes peuvent également transformer le lieu d’accueil et

faire évoluer les personnes qui y travaillent. Cela est développé dans Pratiques et usages

des contrats dans le spectacle vivant : « Du point de vue du lieu […], la résidence est une

source, un levier de prise de risques possibles pour le lieu : on peut y aborder d’autres

esthétiques, tenter des expériences, aborder des relations au public différemment ». Il est

aussi précisé que la « prise de risques » peut se traduire par « ouvrir ses portes, introduire

des artistes qui vont venir bousculer les habitudes ». L’auteur remarque en outre que « la

présence des artistes stimule les équipes ». Enfin, il ajoute que « cette relation

particulière avec un artiste replace un lieu au cœur d’un projet artistique ». Aussi, « dans

un espace-temps différent de celui de la saison programmée d’avance, la résidence

permet une vraie rencontre entre un lieu et une équipe »117.

Des liens peuvent également se tisser entre les artistes et les responsables des

structures relais avec qui ils mettent en place des actions en direction de différents

publics. Christian Bourigault souligne les changements qui sont possibles lors de rencontres

de ce type. Il considère, dans ce cas-là, « le chorégraphe en résidence [comme] une sorte

de personne fédératrice » puisque lors des réunions qu’il organise avec les partenaires

concernés par la danse sur un territoire, il entend souvent des phrases du type : « c’est la

première fois qu’on se réunit tous », « c’est la première fois qu’on se parle ensemble ».

C’est donc « très important pour [lui] de fédérer des énergies sur un territoire. Des fois, la

résidence permet de faire péter des conflits sous-jacents où les gens se parlent pas et

après, tu te rends compte qu’avec le temps, ils se parlent ». Il est également satisfait

lorsqu’il peut faire évoluer des stagiaires avec qui il travaille, et notamment des artistes

117In Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 7.

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plasticiens de l’Ecole des Beaux-Arts puisqu’il déclare : « ma nécessité de pédagogue,

c’est de leur proposer des choses qui les fassent avancer, comprendre des choses, avancer

dans leur propre processus de création parce qu’a priori, ce sont de futurs artistes

plasticiens ». Le but ici recherché est donc de faire changer les personnes avec qui il

travaille, de les rendre meilleurs.

Comme Christian Bourigault, certains artistes ont pour objectif, entre autres, de

faire évoluer les comportements, changer les mentalités, et plus particulièrement

d’apporter un point de vue artistique sur la vision du monde aux gens. Ils considèrent cela

un peu comme une mission de service public. C’est le cas par exemple de la compagnie

C’est pas si grave qui souhaite « amener les gens à découvrir les grands textes ». Marc

Masson, directeur du Centre Culturel Charlie Chaplin développe cette idée. Il affirme la

« nécessité d’une parole artistique envisagée comme une parole publique », et précise

qu’elle est nécessaire « dans la mesure où elle contribue à créer les conditions d’une

certaine citoyenneté ». Il explique : « Les artistes, à partir de leur pratique artistique,

portent un regard sur le monde, les hommes, leurs contradictions ». Pour lui cette parole

artistique, « différente de celle d’un homme politique ou d’un journaliste, peut éclairer

ceux qui la rencontrent ».

Plus souvent, les artistes utilisent la résidence comme un outil pour faire changer

d’avis les personnes qu’ils rencontrent à propos de leur métier artistique ou en tout cas

pour informer le public des étapes de la création et du déroulement du travail artistique.

C’est même la démarche des Subsistances qui, comme nous l’avons vu, organisent un

parcours suivi, qui consiste en des rencontres avec le public tout au long de la résidence.

Ainsi, le public peut mieux se rendre compte du travail que la création d’un spectacle

représente, les orientations qui changent dans le travail de création. Par ailleurs, certains

artistes ont réalisé que les gens ont parfois des a priori très fort sur les métiers

artistiques ; ils souhaitent donc leur montrer ou leur expliquer en quoi ils consistent.

Prenons pour exemple ces extraits d’entretiens : « Ma famille, ils m’avaient dit : « on a failli pas vous accueillir parce qu’on

pensait que vous étiez droguée et que vous aviez des piercings » et quand

ils m’ont vue arriver, ils ont dit à Claire qu’ils voulaient bien accueillir

quelqu’un mais pas les quinze jours, une semaine seulement et en fait,

c’est parce qu’ils avaient peur. Ils avaient préféré dire une semaine et en

fait, j’y suis restée les quinze jours […]. Ils avaient des a priori comme ça

et puis après ils sont venus voir le spectacle, ils sont même venus à toutes

les représentations et il y avait un encouragement « elle dort chez nous,

c’est la nôtre, c’est notre comédienne ! », ils sont hyper fiers. »

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« En plein après-midi, on était sous les arbres et on apprenait nos textes,

et ça, c’était assez invivable pour les gens qui travaillent la terre, qui

étaient là toute la journée sur leur tracteur qu’il vente ou qu’il pleuve, et

nous, on était allongés sous les arbres en train de bouquiner, et on a été

très vite très mal vus. On était des glandeurs pour eux. Ils sont allés se

plaindre à la mairie comme quoi, l’argent municipal n’avait pas à aller aux

saltimbanques qui ne font rien. Par contre, après le spectacle, ceux qui

étaient sur leur tracteur, ils sont venus nous embrasser et puis ils nous ont

dit que c’était magnifique, et ça, c’est quand même une toute petite

victoire. »

Théâtre Craie « C’est long le temps de l’apprivoisement, le temps de la découverte, le

temps que les esprits s’ouvrent, que les esprits enlèvent un peu leurs

murs, leur perception toute faite de cet art-là, que finalement, la danse

contemporaine, c’est pas si chiant que ça. Disons des présupposés qui sont

très forts, parfois à juste titre […]. L’expérience avec les rugbymen à Pau,

ça a pu se faire avec le temps, ça s’est pas fait comme ça en trois jours,

ça a été sur plusieurs mois : je suis venu, on a fait des séances de travail,

ils sont repartis dans leur univers, moi, dans le mien, ça s’est fait avec le

temps, le temps que les représentations tombent. »

Christian Bourigault « On a des rapports humains avec les gens, ce qui permet de leur faire

comprendre que c’est un vrai métier […]. Les gens s’investissent, ils

prennent conscience de la précarité de notre métier […]. Par exemple,

moi, je dis un texte de Dario Fo, La femme seule, et certains pensaient

que c’était ma vie, maintenant ils ont compris. »

Eloïse Brunet

Cependant, parfois, en fonction de la manière dont la relation se construit, les personnes

modifient leur opinion au sujet des artistes mais, comme le lien est affectif, le

changement d’avis n’est pas valable de manière générale. C’est ce qu’a remarqué la

compagnie Premier Acte et le Théâtre Craie, qui évoquent ce point : « Le gens du public qu’on rencontre dans le théâtre en appartement,

quand ils poussent la porte d’un théâtre, ils sont anonymes, ils n’ont

jamais l’occasion de discuter avec les comédiens ou alors il faut qu’ils

attendent et c’est très dur pour arriver à les aborder parce qu’il y a

toujours des gens […]. Et puis, pour eux, les comédiens sont des gens

intouchables, donc, on veut leur montrer que ce sont des êtres humains

aussi et qu’ils sont comme eux […]. Du coup, il y a un vrai lien qui se crée

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quand on est en appartement, quand on est allés chez eux, et quand ils

viennent au théâtre, ils ne sont plus anonymes, ils ne sont plus des

inconnus, ils savent, ils connaissent la personne qui est sur le plateau et

comme ils les ont rencontrés, ils ont envie de les voir jouer sur un plateau

après les avoir vus en appartement […]. Il y a vraiment un lien entre les

ateliers, le théâtre en appartement, le spectacle au théâtre, pas à cent

pour cent, c’est pas tout le monde qui viendra mais quand même… »

Compagnie Premier Acte « Les familles, une fois qu’on est partis, on peut correspondre avec eux, on

peut leur téléphoner parce qu’il y a un lien et ils nous racontent qu’ils y

sont allés, du coup, au théâtre mais à la ville à vingt kilomètres, et ils sont

super déçus parce qu’en fait, les gens, ils ne les connaissent pas donc ils

sont exclus […]. Ils sont habitués à ce qu’on leur parle, là, on ne leur parle

pas, ils sont anonymes. C’est bizarre parce qu’après, ils ont une entrée,

une relation particulière avec le théâtre. »

« Ça fait peut-être venir des gens au théâtre mais de manière affective,

c’est-à-dire qu’ils viennent parce qu’ils te connaissent, parce qu’ils t’ont

accueilli, sinon ils iraient peut-être pas. Corinne, chez qui j’étais, elle

avait jamais été au théâtre, elle m’a demandé un soir ce que c’était

comédien, elle m’a demandé ce que c’était mon métier, alors je lui ai dit

ce que c’était, comme j’ai pu. Elle me demandait : « mais qu’est-ce que

vous faites la journée ? », elle ne comprenait pas comment étaient

occupées nos journées. »

Théâtre Craie

Malgré ce petit bémol, la plupart du temps, les résidences permettent à la fois aux artistes

et aux personnes avec qui ils créent des liens de découvrir, de se transformer - ce

qu’Arnaud Monnier (codirecteur de l’Espace Michel Berger à Sannois et président du

Réseau Ile-de-France) résume dans sa définition d’une résidence réussie : « c’est quand un

artiste et un lieu vont réussir à s’enrichir et à faire partager cet apport à un public, à un

environnement »118. Ainsi, la résidence est réellement bénéfique quand elle permet à tous

les acteurs de sortir grandis, de changer et de faire évoluer leur vision du monde et du

monde artistique. Elle peut également avoir un impact sur la création proprement dite.

118 In Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 29.

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- Influence sur la création

Certaines rencontres permettent aux artistes de faire évoluer leur création, c’est

surtout le cas des personnes extérieures, professionnelles ou pas, qui donnent leur avis sur

une étape de la création et qui peuvent y apporter des modifications. Les auteurs d’Ilots

artistiques urbains expliquent que c’est le principe des demeures et visibilités de

demeures (présentation des travaux en fin de résidence) à Ramdam : « Ces implantations

volontaires invitent certes les artistes à se mettre en situation de réflexion partagée, de

prise de risque dans la proximité avec le public, mais cela suppose une maturité et une

réflexion que n’ont pas toujours les jeunes compagnies. Cependant, le public sort ainsi du

mode de consommation habituel et, en participant en direct à la création, nourrit en

retour le processus créatif »119. En outre, les danseurs de la compagnie P.A.R.C.

considèrent ces « temps de présentation » comme des « moments de partage » et

précisent que « c’est plus à ce moment-là qu’[ils] voi[ent] le travail de la personne » et

expliquent que c’est « parce que le reste du temps, c’est vrai qu’il y a une concentration

qui fait qu’[ils] ne [vont] pas aller voir d’[eux]-mêmes ». C’est ce qui leur fait réaliser que

jusque là, ils ne se sont pas dit : « On va prendre une journée pour regarder le travail

d’une autre compagnie en résidence ». Gilles Pastor, quant à lui, souligne le « lien

intellectuel », le « vrai rapport » qui existe entre les directeurs des Subsistances et lui,

dans le sens où « quand ils aiment pas, ils le [lui] disent, [ils] en parl[ent] ». Pour la

compagnie Lanabel, la démarche proposée par le directeur d’O Espaço do Tempo, Rui

Horta, est intéressante car elle va encore plus loin. En effet, comme il est en lien avec

différents théâtres au Portugal, il fait venir les directeurs pour voir des répétitions. Il a

constitué ce qu’il appelle un « comité de regards » qui réunit des diffuseurs, des artistes

de différentes disciplines, et pas uniquement de la danse. Cet élargissement de points de

vue est abordé également par Philippe Saunier-Borell qui prend l’exemple d’une

compagnie « qui aurait besoin, pour fabriquer son matériel de travailler pendant quinze

jours avec le serrurier de la ville ». D’après lui, c’est l’occasion pour elle de « parler avec

des gens qui, spontanément, n’iraient pas dans le théâtre voir sa proposition artistique »

et de « créer des rapports avec la ville, d’offrir à une partie de la population qui n’entre

pas toujours dans les lieux de diffusion […] la possibilité de développer des « droits de

regard » sur des temps et actes de création, d’inventer des rapports complices et

complexes avec les écritures d’aujourd’hui du spectacle vivant »120. Ici, ce sont les

habitants qui influent sur la création par la discussion et un point de vue différent de celui

des professionnels du spectacle vivant. Mais l’action de certains peut être d’une plus

119 Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 67. 120 In Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 30.

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grande importance et avoir un impact de plus grande envergure sur la création. De fait,

certaines équipes artistiques n’hésitent pas à solliciter toutes sortes de personnes pour la

construction de leur spectacle. Le Théâtre Craie, par exemple, a demandé une faveur aux

musiciens présents qui jouaient avant la représentation qu’ils devaient donner. Marie

Barbazin et Aurélie Pitrat nous relatent ce moment : « C’était LA fête de l’étang puisqu’il était vide, les cultures étaient faites

dans l’étang. Donc, c’était une énorme fête avec plein de gens de plein de

villages, il y avait une fanfare et comme nous, on jouait un peu plus loin, il

fallait marcher cinq minutes, on a demandé à la fanfare qui était là si elle

était d’accord de nous accompagner pour que les gens fassent le trajet en

musique et c’était génial, la fanfare qui jouait du New Orleans avec nous

et une centaine de gens qui suivaient le long de l’étang en culture. »

La compagnie Lanabel, pour sa dernière création, avait besoin de plusieurs figurants. Au

lieu de les amener (pour éviter certains frais), elle les a choisis sur le territoire du lieu de

diffusion. Voilà comment s’est déroulé le choix pour les premières représentations, au

Portugal : « Sur « Que Calor ! », il y a des figurants ; moi, je demande pas des gens

qui ont une pratique de la danse, enfin, s’il y a des danseurs qui veulent

venir, ils peuvent mais il n’y a pas de nécessité. Et à O Espaço do Tempo,

ils ont sollicité des gens qu’ils connaissaient, qui venaient régulièrement

voir des choses et finalement le copain, la copine d’untel etc. On s’est

retrouvés avec douze personnes […]. On a expérimenté avec eux, ils ont

participé à la création, ils ont fait des après-midi complets, ils étaient

ravis, ils nous donnaient leurs impressions. C’est vrai que c’était une

aventure assez intéressante et on s’est rendus compte au niveau du

spectacle après, qu’en termes de public, il y a eu beaucoup plus de monde

[…]. Et les figurants, ça va de dix-huit à soixante-cinq ans, donc ça amène

aussi un autre point de vue, on va dire. »

Et c’est dans la démarche même de KompleXKapharnaüM que s’inscrit l’influence de la

population du lieu de résidence. Elle est exposée dans Ilots artistiques urbains, où est

retranscrite une interview de Stéfan Bonnard : « Les projets que l’on développe partent toujours d’une friction entre un

territoire et une équipe artistique […]. Ce qu’on va chercher auprès des

populations, c’est la base d’un langage que l’on utilise après, constitué de

mots, de sourires, de gestes. On est toujours dans cette tension d’affirmer

une parole artistique portée par le collectif, et ce travail est fait avec la

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population, ce qui fait qu’on dépend du contexte, c’est-à-dire du quartier

et de ce qu’il nous donne. »121

« Dans « Square », on essaie de maintenir l’échange. Il y a toujours un

rapport direct avec la population, même si le tournage des images active

la rumeur liée à notre présence. Les gens ne savent pas trop pourquoi on

est là. A ce stade, on filme une parole, une image, un acte ou un geste qui

seront restitués lors de la déambulation […]. Il ne s’agit ni de réaliser un

documentaire sur un quartier, ni de mener un travail social. Il s’agit d’une

création – à chaque fois différente – qui s’attache, dans son processus

créatif, à l’identité d’une ville (histoire, mémoire, architecture, gestes,

gens, etc.) avec la possibilité pour les habitants de transformer leur lieu de

vie. »122

L’influence des rencontres sur la création a même mené Christian Bourigault à créer un

spectacle à partir d’un travail avec des amateurs. Il raconte comment lui est venue l’idée

du spectacle « Vis à Vis » : « Il y a même une expérience avec des amateurs qui est à l’origine d’une

pièce. On m’a demandé de participer à un stage avec six metteurs en

scène avec une réalisation à la fin. C’était un stage de quinze jours

pendant les vacances, on travaillait les samedis et dimanches et tous les

soirs. Le thème du stage cette année-là, c’était les sept pêchés capitaux

donc on s’est répartis les sept – un chacun - et après les élèves

s’inscrivaient sur le pêché sur lequel ils voulaient travailler […]. Je me suis

retrouvé avec la luxure. A la fin, chaque intervenant avait un espace pour

montrer le résultat de son travail […]. Et plutôt que d’aller vers une

proposition d’un spectacle frontal avec des textes, j’ai rattaché la luxure à

la notion d’intimité. Donc, on a fait la proposition d’un stagiaire comédien

avec les spectateurs. Cette expérience m’avait plu et j’ai eu envie d’en

faire un spectacle ; « Vis à Vis » est né de ça en fait […]. Cette

proposition-là est issue directement d’un travail avec des amateurs. »

Ces nombreux exemples montrent combien les rencontres et les échanges sont

bénéfiques pour chacun et à quel point ils ont un impact fort sur la création. En somme,

les artistes en résidence qui n’auraient aucun lien, aucune relation avec les personnes du

lieu, avec les habitants, avec le public ou avec les personnes de structures relais

n’habiteraient pas réellement leur lieu de résidence. Philippe Saunier-Borell explique que

« le moment de résidence est raté s’il s’est limité à un accueil ». Selon lui, « un lieu de

121 Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 79. 122 Idem, p. 80.

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résidence n’est pas un garage où l’on vient simplement caler son histoire »123. Annabelle

Bonnéry et François Deneulin, à la fin de l’entretien, reviennent sur la définition qu’ils

choisissent de donner à la résidence : « - Au Pacifique, c’était un prêt de studio, on n’appelle pas ça une

résidence parce qu’il n’y a pas eu vraiment d’échange […]. Après, moi, je

placerais la différence dans la façon dont l’accueil se fait, s’il y a un

intérêt de la part de la personne qui accueille. Il y a des endroits où on va

nous accueillir en s’intéressant vraiment à ce qu’on fait […] et d’autres

endroits, on a l’impression qu’on nous passe les clés et qu’on va pouvoir

travailler et c’est super, mais l’échange avec l’équipe présente n’existe

pas et moi, j’ai du mal à dire résidence dans ces cas-là.

- Pour moi, la résidence, c’est quand tu établis à long terme, une relation

d’échange avec le lieu, le plus important c’est qu’il s’établisse quelque

chose, un échange artistique. »

Il est donc nécessaire de comprendre que les artistes habitent le lieu de résidence

parce qu’ils s’y sentent comme chez eux. Après avoir creusé les sens contenus dans le

concept de l’« habiter », nous avons pu étudier les résidences de ce point de vue-là pour

constater que les artistes, par les actions qu’ils mènent dans leurs lieux de résidences,

l’« habitent » puisqu’ils y laissent des traces. Ils l’« habitent » également en s’y sentant

protégé par le soutien, le suivi et la fidélité que leur réservent les lieux d’accueil. Nous

avons finalement pu remarquer que les artistes « habitent » les lieux de résidence par

leurs relations à autrui ; les rencontres, les échanges avec de nombreuses personnes leur

permettant de changer, de transformer le point de vue de certains et aussi d’influencer

leurs propres spectacles. Et c’est en cela que réside la résidence.

123 In Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 30.

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Conclusion

Ainsi, l’étude du système de résidence nous a semblé intéressante tout d’abord

parce qu’elle nous apparaissait comme une étape obligée du processus de création d’un

spectacle pour une compagnie ne possédant pas de lieu propre. Or, il en coûte

relativement peu à un lieu d’accueillir une équipe artistique en résidence pour la création

d’une pièce. Nous avons donc souhaité approfondir la réflexion déjà existante sur cette

pratique qui est effective depuis l’antiquité dans le domaine de la peinture et de la

sculpture, et s’est par la suite beaucoup développé dans la littérature. Pour cette raison,

nous avons choisi de réduire notre champ d’investigation au domaine du spectacle vivant,

et plus particulièrement aux secteurs du théâtre et de la danse. En effet, les pratiques et

l’économie du secteur de la musique – qui fait partie du spectacle vivant – sont totalement

différents et donc difficilement comparables. Par ailleurs, nous avons préféré aborder ce

sujet sous un angle particulier jusqu’alors inexploré : celui de l’« habiter ». Autrement dit,

il s’agissait pour nous d’essayer de savoir de quelle manière les artistes en résidence

habitent le lieu – théâtre, quartier, village, ville – où ils sont accueillis. Le parti pris initial

a consisté à considérer le point de vue des artistes eux-mêmes. Il nous importait de nous

fier à leurs sensations, à leur vécu, à leurs propos, et par là même à leur subjectivité. Cela

nous a offert de mieux comprendre la manière dont ils vivaient et ressentaient les

moments où ils étaient en résidences, et de saisir la manière dont le concept de résidence

est perçu de l’intérieur.

Cette hypothèse initiale de travail nous a donné accès à un point de vue original sur

les résidences d’artistes qui n’avaient encore jamais été traitées par ce biais-là, à savoir

du point de vue des artistes eux-mêmes et surtout depuis cet angle-là qui est celui de

l’« habiter ». En revanche, les résidences ont déjà fait l’objet d’analyses sous d’autres

perspectives, en particulier sous celle du lieu d’accueil, et notamment en se plaçant du

point de vue du service de la communication et des relations publiques d’un lieu de

diffusion124 ; les résidences permettent au lieu d’accueil de s’inscrire dans un territoire par

124 MALTE K., Les résidences artistiques, une réponse adaptée aux enjeux des jeunes compagnies et des théâtres de banlieues, mémoire de Master 2 Métiers des arts et de la culture, Université Lumière-Lyon 2, 2005 et La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin 1999

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le bénéfice des actions menées par les artistes en résidence dans la ville mais également

d’élargir et de fidéliser son public. D’autres études ont analysé les enjeux (les intérêts et

les contraintes) et les objectifs de tous les acteurs d’une résidence – compagnies, lieu

d’accueil, pouvoirs publics – en pointant les pièges à éviter et en posant la question de la

contractualisation de cette pratique125. Cependant, ces ouvrages ne s’attachant pas

précisément à l’un des acteurs de la résidence, ils n’ont pu approfondir l’analyse du point

de vue de l’un d’eux. De plus, ces ouvrages se focalisent sur la synthèse de journées de

réflexion entre professionnels sur le sujet, ce qui donne à la démarche un caractère

radicalement différent de celle que nous avons choisi d’entamer.

Souhaitant aborder ce sujet du point de vue subjectif des artistes, la démarche

retenue a été la suivante : dix entretiens d’artistes travaillant dans le secteur du théâtre

ou de la danse (comédiens, metteurs en scène, danseurs et chorégraphes) ont été réalisés.

Cette démarche semblait la plus simple et la plus pertinente pour élaborer un travail de

recherche basé sur le vécu, l’avis des artistes, en privilégiant l’aspect subjectif dans le

récit de ces personnes. En outre, pour aborder cette pratique de la résidence à partir du

concept de l’« habiter », cet aspect subjectif des paroles des artistes semblait plus

approprié qu’une analyse fondée sur des études statistiques ou des questionnaires. En ce

qui concerne le choix de ces artistes ou compagnies, il s’est effectué au fil des rencontres

(voire des lectures) et grâce à des connaissances. L’un des éléments de la sélection était

l’expérience des résidences qu’avaient vécues ces artistes. Aucun choix régional n’a été

effectué étant donné que l’analyse ne portait aucunement sur ce point précis. Néanmoins,

à ces interviews d’artistes se sont ajoutés des entretiens avec des responsables de lieux

d’accueil d’artistes en résidences, dont c’est la fonction première ou non. Ce deuxième

type d’entretiens a été utile pour enrichir ou valider les premiers et ils ont conservé cette

fonction - les rencontres avec les artistes eux-mêmes restant le noyau dur de notre

réflexion. Lors des interviews, certains artistes, dont les propos avaient été repris dans des

ouvrages, et qui attiraient le lecteur pour leur pertinence, se sont avérés très concis et

peu bavards. En revanche, d’autres ont été plus loquaces et ont fait le récit de leurs

résidences en détail. Leurs propos ont été parfois étonnants dans la mesure où certains

attachaient plus d’importance à l’aspect artistique pendant que d’autres se focalisaient

d’avantage sur les éléments concrets de la résidence. Par ailleurs, la démarche de suivre

l’artiste faisant une visite guidée de son lieu de résidence nous a permis de comprendre sa

vision personnelle de cet espace et de ressentir toute la dimension affective que prennent

125 CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005 et Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003

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ces lieux ; malheureusement, cela n’a été possible qu’avec une seule des personnes

rencontrées.

Afin de mieux saisir le fonctionnement des résidences, nous avons procédé à une

étude détaillée des expériences de résidences relatées par les équipes artistiques

rencontrées. Cela a mis en évidence la diversité des pratiques que la notion de résidence

recouvre, à savoir la mise à disposition d’un lieu pour un temps continu ou fractionné qui

va de quelques jours à plusieurs années. Cette aide peut s’accompagner, comme nous

avons pu le noter, de moyens financiers, techniques, logistiques et humains. En échange,

les équipes artistiques doivent parfois apporter une contrepartie, sous forme de

représentations, de répétitions, d’actions de sensibilisation ou de formation des publics.

A l’occasion d’une analyse des différentes fonctions de cette pratique, nous avons

pu nous rendre compte que la résidence est un outil extrêmement précieux dans la

démarche artistique : elle est un biais à la fois pour expérimenter de nouvelles manières

de travailler, avec de nouvelles personnes, pour collecter la matière d’un futur spectacle,

pour le créer et le finaliser, ou encore pour diffuser le répertoire de la compagnie ou pour

mener des actions de formation et de sensibilisation auprès des publics. Chacun de ces

types de résidences peut être cumulé avec un ou plusieurs autres, étant donné la liberté

offerte par l’absence de cadre juridique précis quant à ce procédé.

Ce flou concernant la contractualisation des résidences vient d’être précisé par une

circulaire du Ministère de la Culture et de la Communication. Elle prend en compte la

diversité des pratiques en instaurant trois types de résidence et donne des détails sur les

conditions requises pour obtenir des financements au titre d’une résidence. Ce document

ayant été édité depuis très peu de temps lors des entretiens, il n’a été évoqué ni du côté

des compagnies, ni du côté des lieux, tous deux concernés par ce texte. Par conséquent,

nous n’avons pas pu tirer de conclusions sur l’impact de cette circulaire sur les pratiques

elles-mêmes.

L’étude étymologique du terme « résidence » nous a conduit à rapporter ce mot à

la dimension prosaïque de l’« habiter ». En conséquence, le choix terminologique même de

la « résidence » sous-entend déjà le fait que les artistes vivant cette expérience sont

amenés à habiter l’endroit où ils sont accueillis. Du reste, l’un des lieux rencontrés,

Ramdam, a décidé, de manière très significative suite à une réflexion des membres du

collectif sur les résidences, de nommer ce procédé d’un terme de la même famille de mots

que « résidence », à savoir « demeure » ; cette démarche lexicale a été entreprise dans le

but que les compagnies invitées saisissent la notion de durée que les membres de Ramdam

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les incitent à prendre en considération. Cette approche de la résidence par les mots nous a

amenés, logiquement, à nous intéresser à l’« habitation » des artistes en résidence.

Dans un second temps de notre réflexion, nous nous sommes attachés à l’origine

étymologique de l’« habiter » afin d’en saisir les subtilités, avant de montrer pourquoi les

artistes se sentent comme chez eux lorsqu’ils sont en résidence ; le logement et la

restauration sur place, les convenances dues à la cohabitation avec des voisins et enfin,

l’impression d’intégration à l’équipe du lieu prennent alors toute leur importance.

Avec l’ambition de l’appliquer aux artistes en résidence, nous nous sommes

attardés sur le concept de l’« habiter » élaboré par la pensée de Martin Heidegger, pour

qui « habiter » signifie bien plus que « se sentir chez soi ». En effet, le philosophe

considérant l’habitation comme « le trait fondamental de la condition humaine », habiter,

c’est exister, par la relation au monde (et donc aux autres) que nous construisons. Nous

avons vu que, d’après lui, « habiter » peut se traduire par « édifier des bâtiments » et

« cultiver » ; autrement dit nous « habitons » en laissant des traces, qui correspondent aux

actions menées par les artistes lorsqu’ils sont en résidence. Par ailleurs, « habiter »

correspond aussi à « être libre » - ce que les artistes ressentent lors d’une résidence – et à

« être ménagé, protégé ». Cette sensation se traduit chez les personnes rencontrées par

un sentiment de soutien, de suivi, de fidélité de la part des équipes des lieux d’accueil.

Les pensées de Martin Heidegger nous ont donc offert une base conceptuelle idéale sur

laquelle greffer les impressions recueillies lors de ces interviews.

En définitive, l’essentiel de l’idée d’« habiter » repose sur le contact avec l’autre.

Lors des entretiens, nombreux ont été les récits de rencontres, de partage et de

croisements, que ce soit avec la population, les habitants, le public, a fortiori avec leurs

hôtes dans les lieux d’accueil, ou encore avec d’autres artistes. Et ces échanges

permettent l’enrichissement réciproque des parties ainsi que l’évolution de la création

artistique. Nous en avons conclu que la résidence, a priori si difficile à définir, trouvait

peut-être son essence dans ces échanges. La principale manière d’habiter un lieu est, pour

les artistes, de pratiquer ces rencontres et ces échanges qui profitent à tous les acteurs de

l’aventure.

D’un point de vue professionnel, ce travail de recherche nous a permis de mieux

comprendre ce que les artistes attendent d’un lieu qui les accueille en résidence ainsi que

le soutien et l’intérêt qu’ils sont susceptibles d’apprécier dans ces moments-là. On

pourrait imaginer au contraire que l’artiste en création est, et veut rester, dans sa bulle,

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hors du monde et ne surtout pas être dérangé par une personne extérieure, mais les

artistes rencontrés ont montré qu’ils étaient plutôt ouverts à la discussion dans ces

moments-là, à condition d’un respect mutuel. Ainsi, lors d’une activité professionnelle

dans un lieu d’accueil des artistes, nous pourrons agir en adéquation avec eux et

« habiter » le lieu ensemble, afin que l’enrichissement soit mutuel : nous avons voulu

mettre en relief, suite à ces rencontres, le fait qu’il faut oser aller vers l’artiste en

création de manière délicate et en ayant conscience de sa fragilité. Osons également poser

notre regard sur la création en train de se faire, et, si un artiste nous le demande, donner

notre avis sur l’aspect artistique. Essayons d’être un maximum à l’écoute de leurs besoins

et d’y répondre au mieux, dans le but d’un échange équilibré.

D’un point de vue plus personnel, cette étude nous a apporté une plus grande

connaissance des artistes, de leurs pratiques et de leur façon d’envisager le monde. La

démarche qui consistait à faire parler les acteurs de résidences nous a fait percevoir une

autre manière de penser le monde artistique et le monde en général. De plus, les

résidences relatées par les équipes artistiques rencontrées montrent que, dans la pratique,

les frontières entre l’artistique, l’action culturelle et le social ne sont pas aussi nettement

délimitées qu’on pourrait le croire ; et pour preuve, nous avons vu que certaines actions

en direction des publics (que l’on pourrait qualifier d’actions culturelles) s’intègrent

totalement à la création, voire l’influencent. Jacques Bonniel, dans la conclusion du livre

Ilots artistiques urbains, nous fait observer que ce « mouvement fondateur déplaçant les

frontières bien établies de l’artistique, du culturel, de l’urbain et du social »126 concerne

un grand nombre d’actions (et non pas seulement les résidences artistiques) menées par

des artistes, des acteurs culturels et des travailleurs sociaux – qui sont en réalité souvent

tout cela à la fois. Dans le rapport Lextrait, ce phénomène est nommé

« décloisonnement »127. Jacques Bonniel, lui, assure que cette manière singulière « de

combiner, de métisser les problématisations urbaines, sociales et artistiques » pourrait

permettre de « sortir de l’aporie « instrumentalisation de l’art à des fins sociales /

exigence et primat de l’œuvre autonome » »128. Ainsi, cette enquête régionale sur les

nouveaux territoires de l’art, Ilots artistiques urbains, de même que le rapport Lextrait, se

basent sur une étude de lieux qui hébergent une activité artistique, et il semble que le lieu

soit le point de départ de l’« habiter », à condition de s’y inscrire dans une certaine durée,

afin que les échanges qui permettent les transformations mutuelles puissent se produire.

126 Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 87. 127 LEXTRAIT F., Friches, laboratoires, fabriques, squats, projets pluridisciplinaires… : une nouvelle époque de l’action culturelle. Rapport à Michel Dufour, secrétaire d’Etat au Patrimoine et à la Décentralisation culturelle, Paris, La Documentation Française, 2001, p. 61. 128 Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 87.

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De ce fait, tout lieu de spectacle vivant, quelle que soit sa fonction principale

(programmation, création, résidence) peut être « habité » par ses occupants.

Les résidences d’artistes ont beaucoup évolué depuis qu’elles existent : en effet,

elles ont été créées pour les peintres et les sculpteurs, se sont élargies au domaine de la

littérature et puis à celui du spectacle vivant. Bien entendu, elles sont amenées à se

transformer encore à l’avenir. Laissons-nous aller à imaginer un métissage plus général

encore entre les fonctions du social, de l’artistique et du culturel où chacun conserverait

sa spécificité mais où tout le monde participerait à chaque fonction : le public deviendrait

artiste à son tour en participant plus activement à la création, l’artiste prendrait part au

culturel – ce qui est déjà souvent le cas par ses actions en direction des publics -, et

l’acteur culturel s’impliquerait plus encore dans l’action sociale. Ainsi, chacun apporterait

à chaque fonction son propre point de vue, qui permettrait d’envisager le monde

différemment et de s’en trouver enrichi.

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