routines verbales pour les français langue étrangère : des
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LidilRevue de linguistique et de didactique des langues
58 | 2018
L’enseignement et l’apprentissage de l’écritacadémique à l’aide de corpus numériques
Routines verbales pour les français langueétrangère : des corpus d’experts aux corpusd’apprenantsVerb Routines in L2 French: From Expert to Learner Corpora
Rui Yan, Agnès Tutin et Thi Thu Hoai Tran
Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/lidil/5411DOI : 10.4000/lidil.5411ISSN : 1960-6052
ÉditeurUGA Éditions/Université Grenoble Alpes
Édition impriméeISBN : 978-2-37747-064-8ISSN : 1146-6480
Référence électroniqueRui Yan, Agnès Tutin et Thi Thu Hoai Tran, « Routines verbales pour les français langue étrangère : descorpus d’experts aux corpus d’apprenants », Lidil [En ligne], 58 | 2018, mis en ligne le 02 novembre2018, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/lidil/5411 ; DOI : 10.4000/lidil.5411
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Routines verbales pour les françaislangue étrangère : des corpusd’experts aux corpus d’apprenantsVerb Routines in L2 French: From Expert to Learner Corpora
Rui Yan, Agnès Tutin et Thi Thu Hoai Tran
1. Introduction
1 Dans cet article, nous nous intéressons aux routines sémantico-rhétoriques, des
phénomènes phraséologiques au croisement de plusieurs domaines : l’analyse du
discours, la phraséologie et la syntaxe. Ces phénomènes relèvent de la « phraséologie
étendue » (Legallois & Tutin, 2013) et renvoient souvent dans l’écrit scientifique et
académique au métadiscours et au métatexte (Tutin & Grossmann, 2014). Ces routines
sont définies comme « des énoncés récurrents construits autour d’un verbe et
d’arguments remplissant différents rôles sémantiques dont une partie est actualisée dans
le discours. Chaque routine peut être associée à une fonction discursive/ rhétorique
spécifique » (Tutin & Kraif, 2016, p. 121).
2 Les fonctions que les routines remplissent sont au cœur de l’énonciation et de
l’argumentation dans l’écrit académique : formuler une hypothèse (on peut supposer que),
établir une relation entre une cause et un effet (cette différence s’explique par), exprimer
une prise de position (on s’accorde à/sur), appuyer un argument par une référence à autrui
(comme le souligne X), ou justifier le bienfondé de son interprétation (ce résultat permet
d’affirmer que). La maitrise de ces routines, dont les réalisations lexicales sont assez
diversifiées, permet de faciliter l’intégration des scripteurs dans la « communauté de
discours » des chercheurs (Tutin, 2014). L’étude de ces phénomènes linguistiques est
intéressante à plusieurs titres. Elle permet, d’une part, de mettre en évidence les
stratégies rhétoriques mises en œuvre par les auteurs et de mieux comprendre les
démarches scientifiques élaborées (éléments d’argumentation, critères de scientificité).
D’autre part, elle apparait tout à fait pertinente dans une démarche d’enseignement de
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l’écrit académique en langue maternelle ou en langue étrangère, ces éléments
phraséologiques et leur fonction étant souvent mal maitrisés par les apprentis scripteurs
(González-Rey, 2007).
3 Les apprenants du français langue étrangère (ci-après FLE) utilisent-ils à bon escient les
routines dans leurs écrits ? Quelles sont les difficultés rencontrées avec ce phénomène ?
Ces préoccupations nous ont conduites à nous intéresser à ces questions et à proposer un
diagnostic de la maitrise de ces expressions par les apprenants allophones, dans la
perspective d’élaborer des matériaux didactiques adaptés à leurs besoins.
4 Nous décrirons en premier lieu l’objet de l’étude, les routines dans l’écrit académique, à
travers un ensemble de routines extraites d’un corpus d’écrits scientifiques et modélisées
dans le cadre de la thèse de Yan (2017). En second lieu, nous établirons un diagnostic des
difficultés en deux temps : d’une part, à travers l’analyse des erreurs d’emploi liées aux
routines verbales dans un corpus d’apprenants chinois (corpus Sup-Chinois) ; d’autre
part, à travers la comparaison entre le corpus Sup-Chinois, un corpus de novices français
(corpus Sup-Natifs) et le corpus d’experts francophones Transdisciplinaire-TermITH, de
façon à mettre en évidence les cas de sous-emploi des routines verbales chez les étudiants
chinois par rapport aux natifs. Enfin, dans la perspective de remédier aux difficultés
observées, nous proposons deux types de ressources pédagogiques destinées à la
rédaction académique pour étudiants allophones, une ressource lexicale intégrant des
informations sur les routines et des activités d’entrainement.
2. Une ressource de routines verbales pour l’écritacadémique
5 Dans le cadre de sa thèse, Yan (2017) a constitué une ressource lexicale intégrant les
patrons verbaux et les routines verbales, permettant la réalisation d’activités
d’apprentissage dans la perspective de l’aide à la rédaction scientifique. À partir du
corpus Transdisciplinaire-TermITH (5 millions de mots), environ 50 verbes du lexique
scientifique transdisciplinaire (LST) fréquents ont été traités (montrer, analyser, considérer,
expliquer, proposer, supposer, etc.). Plus de 100 patrons verbaux et routines verbales,
spécifiques à l’écrit scientifique, y ont été codés.
6 Inscrite dans la linguistique de corpus, l’approche adoptée est fondée sur le modèle Corpus
Pattern Analysis (CPA, analyse des patrons basée sur les corpus) (Hanks, 2013). Ce modèle
visant à analyser les usages réguliers des verbes en contexte, permet d’accéder aux sens
du verbe à travers l’analyse des constructions syntaxiques et des co-occurrences qui lui
sont associées. Cependant, ce modèle est initialement destiné à la description des verbes
anglais de la langue générale. L’étude de Yan se distingue par un objectif plus spécifique,
soit l’analyse des emplois usuels du verbe dans le domaine de l’écrit scientifique avec une
visée didactique. La méthode d’analyse a combiné des techniques de traitement
automatique du langage (TAL) et l’analyse linguistique manuelle. Elle a été appliquée au
corpus Transdisciplinaire-TermITH qui se compose de 500 articles représentant
10 disciplines des sciences humaines et sociales (Hatier et coll., 2016). L’extraction et la
modélisation des routines verbales ont été appliquées à une liste des verbes établie par
Hatier (2016) dans le cadre du projet TermITH1, selon les étapes suivantes :
1. Extraction des cadres de sous-catégorisation : pour chaque occurrence verbale, les cadres de
sous-catégorisation2 sont extraits automatiquement par Hatier à l’aide du corpus analysé en
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dépendances syntaxiques et regroupées de façon à faire émerger les constructions
syntaxiques les plus fréquentes.
2. Repérage des acceptions : à partir des cadres extraits, Yan repère les acceptions des verbes
du LST qui apparaissent dans le corpus Transdisciplinaire-TermITH en se basant autant que
possible sur la ressource lexicographique Les verbes du français (ci‑après LVF) (Dubois &
Dubois-Charlier, 1997).
3. Classification des verbes et traitement des routines : après avoir relié cadres de sous-
catégorisation et acception, Yan propose une classification des verbes du LST en fonction de
leurs propriétés sémantiques et syntaxiques et procède à la modélisation des routines
verbales par classe de verbes.
7 Considérons les exemples (1, 2, 3) du verbe étudier dans les phrases suivantes :
(1)En revanche avec les bébés âgés de 4 mois, il nous parait intéressant d’étudier nonseulement le délai court de 30 s mais également la mémoire à long terme après2 min de délai. (psychologie)(2)Pour obtenir un transfert de compétence en sa faveur, la Commission s’empare deces analyses. L’exemple de la politique vitivinicole permet ainsi d’étudier le rôle
des chercheurs dans la légitimation des réformes européennes. (sciences politiques)(3)Mais la connaissance des élites politiques à l’aide d’une approche relationnelle est
peu étudiée malgré une littérature de qualité sur le thème plus général des élitespolitiques africaines que l’on peut regrouper en deux modèles explicatifs.(sociologie)
8 Le corpus analysé en dépendances syntaxiques nous permet d’obtenir les cadres de sous-
catégorisation suivants :
a. (~ADJMOD)3(~de VINF)étudier_VERB(OBJ -hum) (10 occurrences)
b. (~VerbSup)étudier_VERB(OBJ -hum) (66 occurrences)
c. (OBJ -hum)(PASSIF)étudier_VERB (146 occurrences)
9 Dans le premier cadre, le verbe étudier prend pour objet un nom inanimé et est précédé
d’un adjectif et de la préposition de qui introduit le verbe à l’infinitif. Dans le deuxième
cadre, le code « VerbSup » représente les verbes supports. Ici, le verbe est précédé d’un
verbe modal (permettre, devoir, pouvoir, etc.), comme le montre l’exemple (2). Quant au
troisième cadre, le verbe est utilisé au passif, construction assez fréquente dans le corpus.
À l’issue de l’extraction des cadres, les constructions syntaxiques fréquentes associées à
chaque verbe du LST ont été identifiées.
10 Ensuite, le repérage des « acceptions » constitue l’étape de base de notre modélisation des
routines, les verbes transdisciplinaires étant assez polysémiques. Nous mettons ainsi en
correspondance un cadre et une acception présente dans notre corpus. Pour qu’une
acception soit retenue et considérée comme transdisciplinaire dans le corpus d’analyse,
elle doit apparaitre au moins 20 fois dans au moins 3 des 10 disciplines. Ce travail est
fondé sur la ressource lexicographique LVF4 (Dubois & Dubois-Charlier, 1997) — une
référence linguistique pour l’étude des verbes français — qui se caractérise par sa large
couverture, non seulement en ce qui concerne le nombre de verbes français répertoriés,
mais aussi pour l’exhaustivité des propriétés sémantiques et syntaxiques consignées.
Par exemple, dans les trois cadres de sous-catégorisation présentés plus haut, ils ont un
même sens. Ce sens mobilisé correspond à l’entrée 5 du verbe étudier dans le LVF, dont la
définition est « analyser, évaluer » (par exemple, on étudie un projet).
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11 À l’issue du repérage manuel des acceptions des verbes du LST, nous proposons une
classification sémantique des verbes. Constituée à la manière de Dubois et Dubois-
Charlier (1997), cette classification repose sur une typologie à deux niveaux en classes et
en sous-classes, qui regroupent des verbes ayant des propriétés syntaxiques et
sémantiques similaires. Le verbe étudier, par exemple, appartient à la sous-classe
« #examen » qui signifie « étudier en détail, faire l’analyse de quelque chose pour en avoir
une connaissance approfondie » et apparait soit dans une construction avec un sujet
humain et un objet inanimé, soit dans une construction au passif. Cette sous-classe
« #examen » comporte aussi les verbes examiner, analyser et explorer.
12 Une fois les classes des verbes établies, nous observons les cooccurrences lexicales les
plus significatives de chaque verbe à l’aide de l’outil Lexicoscope5 (Kraif & Diwersy, 2012)
en utilisant un seuil de 5 occurrences. Ces cooccurrences sont ensuite reliées aux cadres
de sous-catégorisations extraits, ce qui permet de faire émerger des routines verbales.
Pour la sous-classe « #examen », on relève ainsi une série de routines intéressantes (cf.
tableau 1), assez spécifiques au genre de l’écrit scientifique. L’observation du corpus
permet de révéler leurs fonctions rhétoriques liées aux contextes caractéristiques
d’argumentation ou d’énonciation dans le discours scientifique.
Tableau 1. – Exemples des routines verbales – verbes d’examen repérées dans les écritsscientifiques d’experts (corpus Transdisciplinaire-TermITH).
Routine verbale et nombre d’occurrences dans
le corpus Transdisciplinaire-TermITH
Fonctions
1.
<nous étudions/examinons/analysons
{d’abord/ensuite/enfin}> (21 occurrences)
annoncer le plan d’organisation
2.
<si l’on examine/analyse> (19 occurrences)
impliquer le lecteur dans l’activité d’examen
pour en faire un témoin
3.
<consiste à étudier/examiner/analyser>
(12 occurrences)
introduire l’objectif de l’étude
4.
<il est {intéressant/important} d’étudier/
examiner/analyser> (10 occurrences)
attirer l’attention du lecteur et mettre en
évidence un fait saillant
5.
<il {convient/importe} d’étudier>
(18 occurrences)
attirer l’attention du lecteur et exprimer la
nécessité de l’étude
6.
<il s’agit d’étudier/examiner/analyser>
(22 occurrences)introduire et mettre en avant l’objet d’étude
7.
<{analyse/modèle/exemple} permet
d’étudier/examiner/analyser>
(35 occurrences)
établir une relation causale en mettant en
évidence le bienfondé de l’étude
13 Comme on peut le constater, dans la première routine, les verbes d’examen prennent
comme sujet le pronom nous qui peut renvoyer à l’auteur (singulier ou collectif). Ici, les
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routines se rapportent souvent au processus d’écriture, comme l’illustre l’exemple
suivant (4) :
(4)Nous examinerons ensuite comment l’identité métisse est une identitéconflictuelle résultant de ces processus contradictoires d’affiliation qui placent lesindividus à la frontière des groupes ethniques. (anthropologie_15216)
14 La deuxième routine (exemple 5) intègre le lecteur par le biais du pronom inclusif on et
est utilisée pour l’inviter comme témoin dans l’activité d’examen, de façon à rendre le
discours plus convaincant.
(5)Pourtant, si l’on examine attentivement cette table de scolarité située dansl’annexe de l’ouvrage « Population » et l’enseignement […] et partiellementreproduite ci-dessous (cf. le tableau 1), on note le résultat contraire.(scienceseducation_3044)
15 Quant à la troisième routine (exemple 6), comportant des verbes d’examen à l’infinitif
introduits par le verbe consister et la préposition à, elle apparait souvent dans
l’introduction de l’article, pour introduire l’objectif de l’étude.
(6)Au-delà de la simple description, notre travail consiste, dans le cadre d’uneapproche ethnographique, à analyser les stratégies par lesquelles un enseignantexpérimenté instaure les règles de la vie scolaire et les effets de son action au plandidactique. (scienceseducation _9557)
16 Les trois routines (routines 4-6) comportant le pronom impersonnel il servent à exprimer
l’intérêt ou la nécessité de l’étude. La quatrième routine est introduite par un adjectif de
« saillance » (important, intéressant, utile, etc.), comme dans l’exemple (7) suivant :
(7)Pour avoir une chance de démêler les implications religieuses dans les diversesagressions intervenues entre les orthodoxes et les uniates, il est important
d’étudier le langage de la violence manifestée lors de ces épisodes. (histoire_18593)
17 Enfin, la routine causative (exemple 8) est fréquemment introduite par le verbe modal
permettre.
(8)Ces données permettront d’examiner la propension des systèmes éducatifseuropéens à regrouper dans les mêmes écoles des élèves faibles ou défavorisés.(scienceseducation_57)
18 L’extraction automatique des cadres de sous-catégorisation, associée à l’observation des
contextes textuels et à l’analyse linguistique, permet ainsi de modéliser les routines
verbales et de mettre en évidence les fonctions rhétoriques spécifiques au genre. Dans
une perspective didactique, nous examinerons dans la partie suivante l’emploi des
routines verbales dans les écrits des étudiants allophones.
3. Les routines verbales dans les écrits des étudiantsallophones : vers un diagnostic des difficultés
19 Dans le domaine de l’écrit académique, de nombreuses études ont montré que les
apprenants d’une langue étrangère peinent à manier les éléments phraséologiques d’une
manière fluide et experte (Granger & Paquot, 2009). Différents types d’éléments
phraséologiques ont fait l’objet de ces études, en particulier les collocations (Nesselhauf,
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2005 ; Cavalla, 2015) et les séquences récurrentes (Lake, 2004 ; Paquot, 2010). L’apparition
des corpus d’apprenants (Granger et coll., 2015), en particulier pour l’anglais, a facilité les
recherches sur l’écrit académique en permettant, d’une part de relever les erreurs dans
les productions des apprenants, et d’autre part de « cibler des éléments de langue sous-
ou surexploités (comparés aux productions de natifs ou d’autres apprenants) » (Boulton
et coll., 2013, p. 24). Néanmoins, faute de réels corpus d’apprenants en FLE, les études sur
l’utilisation des phénomènes phraséologiques des apprenants du français sont beaucoup
moins nombreuses, hormis quelques études récentes effectuées autour du projet
Scientext : erreurs liées à l’utilisation des collocations verbales (ex. : mettre comme
hypothèse) (Cavalla, 2015), sous-utilisation des marqueurs discursifs (ex. : en d’autres termes
) (Tran, 2014) et des constructions verbales (ex. : ceci s’explique par) (Hatier & Yan, 2017).
À notre connaissance, l’analyse des difficultés des étudiants allophones en matière de
routines verbales n’est pas encore abordée.
20 Dans la suite de cet article, nous présenterons les corpus utilisés dans le diagnostic puis le
diagnostic des difficultés en deux volets : le repérage des erreurs et les comparaisons
quantitative et qualitative entre les productions des locuteurs natifs et non natifs.
3.1. Les corpus utilisés
21 Pour établir un diagnostic lié à l’utilisation des routines verbales chez les apprenants
chinois par rapport aux scripteurs natifs (novices français et experts), trois corpus sont
utilisés, comme indiqué dans le tableau 2 :
Tableau 2. – Les trois corpus utilisés dans la comparaison.
Corpus Taille Annotation Genre Public Discipline
Transdisciplinaire-
TermITH
5 000 000
mots
annotation
morphosyntaxique,
annotation
syntaxique en
dépendances
500 articles
de
recherche
en sciences
humaines
experts
francophones
10 disciplines
sciences
humaines et
sociales
Sup-Chinois
600 000
mots
annotation
morphosyntaxique
29 mémoires
de
recherche
en
formation
en M1
apprenants
chinois
FLE
Sup-Natifs
460 000
mots
annotation
morphosyntaxique
41 mémoires
de
recherche
en
formation
en M1 et M2
étudiants
français
didactique
du FLE
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22 Dans le cadre de cette étude, nous avons exploité un corpus d’apprenants, appelé Sup-
Chinois, qui se compose de 28 mémoires de masterisants chinois en spécialité de français
(environ 600 000 mots), dont le sujet d’étude porte sur la traduction (9), la littérature (12),
la linguistique (1) ou des thématiques socioculturelles (6). Nous appuyant sur ce corpus,
nous souhaitons relever dans un premier temps les difficultés liées à l’emploi des routines
verbales. Le corpus d’experts, corpus Transdisciplinaire-TermITH (Hatier et coll., 2016),
d’une taille plus conséquente, permet de relever les routines verbales les plus
significatives, comme vu dans la section précédente. Ce corpus constitue en quelque sorte
un modèle d’experts que les scripteurs novices souhaitent atteindre. Ensuite, à l’instar de
Gilquin et Paquot (2008), nous pensons que, par rapport aux corpus d’experts, les écrits
des étudiants natifs fournissent des données mieux adaptées pour cibler les difficultés des
apprenants non natifs dans la mesure où ils permettent d’effectuer une comparaison
d’apprenants de niveau d’étude équivalent. Nous avons donc aussi utilisé un corpus
d’étudiants natifs, le corpus Sup-Natifs6, composé de 41 mémoires d’étudiants de master
(1 et 2) en spécialité didactique du français. Étant plus proche du corpus Sup-Chinois,
notamment aux niveaux de la taille, du genre et du type de texte, il servira donc de
référence pour la comparaison.
23 À l’aide de ces corpus, nous avons repéré les routines récurrentes chez les experts, et
observé par la suite leur fréquence et leur diversité chez les apprenants chinois et les
novices français. Nous passons maintenant au repérage des erreurs dans le corpus Sup-
Chinois.
3.2. Repérage des erreurs liées aux routines verbales
24 Le repérage des erreurs s’est fait manuellement par Yan (2017). Ce travail a été réalisé sur
10 verbes du LST (choisir, considérer, comparer, décrire, étudier, expliquer, montrer, noter,
proposer, supposer) qui représentent au total 1 593 occurrences dans le corpus Sup-Chinois.
Les verbes retenus sont fréquents et présentent des constructions/fonctions importantes
et variées dans l’écrit scientifique. Dans sa thèse, Yan a relevé 221 erreurs sur 1 593
occurrences dans l’emploi de ces 10 verbes (les erreurs au niveau morphologique, au
niveau sémantique et des cooccurrences lexicales, au niveau de la syntaxe, au niveau du
registre). Parmi les erreurs relevées, nous nous concentrons ici sur les erreurs liées aux
routines verbales que l’on peut regrouper en deux grands types : les erreurs au niveau de
la syntaxe et du lexique, les erreurs au niveau du registre.
3.2.1. Les erreurs au niveau de la syntaxe et du lexique
25 Parmi les 221 cas d’erreurs recensés par Yan (2017), 75 erreurs relèvent des structures
syntaxiques erronées, soit 34 % des cas. Il s’agit de l’omission d’un élément dans la phrase
(les exemples 9 et 10), de structures déformées ou inexistantes, ou encore de formulations
maladroites.
(9)Comme explique l’auteur : « l’élément psychologique, comme l’élément pictural,se libère insensiblement de l’objet avec lequel il faisait corps… » (littérature_5)(Correction proposée : comme l’explique l’auteur)(10)Le traducteur transmet l’intention de l’auteur original (Il est à noter ici, il ne
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7
comprend que l’intention reçue par le traducteur après la communication avecl’auteur original…) (traduction_8) (structure erronée : il est à noter qu’ici)
26 Les cas d’omission peuvent être attribuables soit à la négligence des apprenants soit à une
maitrise insuffisante des structures syntaxiques. Dans l’exemple 9, il manque le pronom le
devant le verbe expliquer, qui renvoie à la citation entre guillemets. Dans l’exemple 10,
l’apprenant aurait dû ajouter la conjonction de subordination que pour introduire la
proposition complétive.
27 Dans l’exemple 11, le sujet est absent. La construction pousser à étudier et analyser est
rarement utilisée dans l’écrit scientifique pour établir une relation de causalité. Il
apparait qu’ici l’apprenant manque de moyens linguistiques pour justifier le choix de son
sujet portant sur l’étude du passé simple et de l’imparfait.
(11)Après avoir lit la lecture de quelques livres linguistiques de Gosselin, Touratier,Bres, etc., nous pousse à étudier et analyser le passé simple et l’imparfait.(linguistique_1) (Correction proposée : La lecture des ouvrages de […] nous amène ànous intéresser à l’étude et à l’analyse du passé simple et de l’imparfait.)
28 Par ailleurs, au-delà des problèmes d’ordre syntaxique, la maitrise insuffisante des
routines verbales dans l’écrit scientifique conduit souvent l’apprenant à construire des
formulations maladroites, comme le montrent les exemples 12 et 13 :
(12)Se pose alors la question de savoir, comme le considère Gosselin, si le caractèreessentiel de l’imparfait est bien d’être un temps grammatical du passé ou aucontraire… (linguistique_1) (structure erronée : comme s’interroge Gosselin)(13)Il est hors de doute que Meschonnic considère la poétique comme une théorieplus profonde et plus complète que la linguistique. (Correction proposée :Meschonnic considère…) (traduction_1)
29 Ces derniers exemples peuvent être considérés comme des maladresses puisqu’ils ne sont
pas strictement erronés du point de vue linguistique. Ils montrent que les apprenants ne
disposent pas de moyens linguistiques suffisants pour exprimer adéquatement certaines
fonctions rhétoriques, qu’il s’agisse de faire référence à un chercheur (exemple 12) ou
d’introduire un point de vue personnel moins tranché dans un discours à visée
objectivante (Boch, 2013) (exemple 13). Nous croyons que ces erreurs ou plutôt
maladresses sont attribuables au fait que les apprenants sont peu familiarisés avec le
genre de l’écrit académique, en particulier aux routines spécifiques ou fréquentes dans ce
genre d’écriture.
3.2.2. Les erreurs au niveau du registre
30 Les erreurs au niveau du registre représentent 3,6 % des cas recensés dans Yan (2017)
(8 erreurs sur 221 erreurs recensées). Ces erreurs se rapportent au cas où l’apprenant
emploie une expression ou une structure appartenant à un registre inapproprié, en
mélangeant notamment des usages oraux et écrits. Il est important de souligner que ces
erreurs sont parmi les moins fréquentes, mais nous pensons qu’elles sont plus
problématiques, car elles ne respectent ni la norme linguistique, ni les codes linguistiques
reconnus par la communauté de discours, comme l’illustrent les deux exemples suivants
(14, 15) :
(14)Quand Simon parle du sentiment de la création de La Route des Flandres, il
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explique comme ça : toutes les choses surgissent ensemble dans mon esprit…(littérature_12) (Correction proposée : il donne les explications suivantes)(15)Ce qu’on doit étudier, c’est que dans un modèle ou une circonstance sicentralisée, comment on a un pluralisme d’enseignement, le système des différentsniveaux du grade. (socioculturel_2) (Correction proposée : Dans un modèle […,] ilnous semble important d’étudier comment on peut avoir un enseignementpluraliste)
31 Ces énoncés ne respectent pas la norme linguistique de la communauté de discours.
L’expression comme ça et la structure ce que… c’est que, très orales, ne sont pas acceptables
dans un écrit académique. Ce type d’erreurs peut être attribuable au fait que l’apprenant
n’est pas suffisamment conscient de la différence entre les usages oraux et écrits de la
langue. Nous pensons que le fait de sensibiliser l’apprenant aux constructions et aux
routines verbales fréquentes et à la notion d’usage dans l’écrit scientifique permet de
réduire ce type d’erreur.
32 D’une manière générale, on voit bien que les erreurs liées à l’utilisation des routines
verbales sont bien présentes pour ce public. Les sources possibles des erreurs relevées
sont assez diverses : l’influence de la langue maternelle, le manque de savoir sur les
propriétés sémantique et syntaxique des verbes français, le manque de connaissances sur
les codes linguistiques dans l’écrit scientifique. Parmi ces causes, nous pensons que les
deux dernières paraissent primordiales. En effet, à notre connaissance, le genre de l’écrit
scientifique ne fait pas l’objet d’un enseignement spécifique pour ce public. Les
apprenants semblent peu familiarisés avec le genre de l’écrit académique, ce qui nous
amène à supposer que les lacunes liées à cette dimension empêchent l’apprenant
d’employer les routines appropriées au genre. C’est pourquoi nous souhaitons aborder
dans la partie suivante l’analyse des cas de sous-emploi afin de mettre en évidence ces
lacunes.
3.3. Analyse des cas de sous-emploi
33 En dehors des erreurs, la langue de l’apprenant se distingue de celle des natifs par des cas
de sous-emploi de mots, d’expressions et de structures syntaxiques (autrement dit « des
spécificités »), lesquels « associés aux erreurs pures et simples, trahissent l’origine
allophone des apprenants » (Granger, 2007, p. 132). En effet, en construisant leur
interlangue, les apprenants peuvent commettre des erreurs grammaticales, élaborer des
traductions spécifiques et sous-employer des mots ou des expressions. Ces cas se
cumulent et se rencontrent fréquemment dans un même paragraphe. Dans le domaine de
l’English for Academic Purposes, ces spécificités sont étudiées de manière assez
systématique, notamment avec la méthode d’analyse Contrastive Interlanguage Analysis
(Granger, 1996) qui consiste à effectuer des comparaisons quantitative et qualitative entre
les productions des locuteurs natifs et non natifs ou celles entre les différents groupes de
locuteurs non natifs. Notre analyse comparative porte sur les trois corpus présentés plus
haut et se rapporte aux routines présentées dans le tableau 1, illustrées dans le corpus
d’experts Transdisciplinaire-TermITH. À titre d’exemple, nous avons calculé la fréquence
relative de ces routines et observé dans un deuxième temps la fréquence et la diversité de
ces routines dans les corpus Sup-Natifs et Sup-Chinois. Les résultats de comparaison
apparaissent dans la figure 1.
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9
Figure 1. – La proportion des routines sous-employées ou absentes chez les apprenants chinois(en % sur le nombre total de verbes d’examen).
34 De manière générale, l’emploi des routines chez les experts se distingue par une plus
grande diversité. Dans la figure 1, on voit bien que plusieurs routines sont absentes chez
les apprenants chinois : il s’agit de V, consister à V, il convient/importe de V, si l’on V, il est
intéressant/important de V. Notons par ailleurs que les trois dernières routines sont
également absentes chez les novices français. Ces omissions peuvent être liées à des
différences au niveau du genre et de la discipline, mais semblent surtout révéler que les
étudiants français comme les apprenants chinois ont une connaissance limitée de
l’emploi de ces routines verbales. On peut avancer que ces deux publics sont confrontés à
fois à la diversité et à la complexité de ces routines verbales en tant que novices dans ce
genre discursif. Autrement dit, ils n’ont pas à leur disposition les moyens linguistiques
permettant de souligner l’intérêt ou la nécessité de l’étude, mettre en évidence un fait
saillant, etc.
35 En outre, il est intéressant de constater que les deux routines permettre de V et nous V
d’abord/ensuite/enfin sont bien présentes chez les apprenants chinois. Certaines fonctions
rhétoriques comme « annoncer le plan d’organisation » et « établir une relation causale »
posent moins de problèmes pour les apprenants chinois. En revanche, la fonction de
topicalisation (il convient/importe de V, il est intéressant/important de V, etc.) visant à
expliciter ou à mettre en relief le topique ou le focus (Creissels, 2004) et la fonction de
dialogisme (Grossmann & Tutin, 2010) consistant à impliquer le lecteur (si l’on V) semblent
ignorées, non seulement par les apprenants chinois, mais aussi par les novices français.
Ces lacunes peuvent donc s’expliquer par le fait que ces publics n’ont pas encore construit
une représentation précise du fonctionnement du discours scientifique, étant peu
familiarisés avec certaines fonctions spécifiques au genre.
36 Si l’on observe la proportion des routines il s’agit de V, consister à V, on constate que
l’emploi des routines des novices français se rapproche davantage de celui des experts,
tant en termes de diversité que de fréquence. En fait, ce type de routines qui renvoie
davantage à des procédures est moins complexe du point de vue rhétorique. En outre, on
peut supposer qu’une meilleure maitrise de la langue facilite sans conteste la rédaction
scientifique des étudiants français. Ce n’est pas le cas des étudiants chinois qui, en outre,
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n’ont pas appris à argumenter dans le système éducatif chinois et sont moins sensibilisés
au genre textuel de l’écrit scientifique (Bi, 2016). L’exemple (16) suivant semble confirmer
notre hypothèse :
(16)Il nous vaut mieux de considérer le paysage de la littérature comme unecombinaison de la littérature et le paysage, au lieu de considérer la littératurecomme un miroir solitaire qui ne reflète ou déforme que le monde extérieur.(littérature_7) (Correction proposée : il nous semble préférable de considérer…)
37 Dans l’exemple (16), il semble que l’étudiant souhaite émettre un jugement. La
construction il nous vaux mieux de considérer est incorrect. Il est donc possible de penser
que l’étudiant ne dispose pas de moyens linguistiques pour exprimer ce sens.
3.4. Synthèse des difficultés
38 L’analyse des erreurs associée au repérage des cas de sous-emploi nous a permis
d’identifier les principales difficultés liées à l’utilisation des routines chez les étudiants
chinois. Ces difficultés peuvent relever de deux niveaux : structures syntaxiques et
fonctionnement discursif des routines. D’abord, les structures syntaxiques des routines
verbales restent une source d’erreurs principales (l’omission d’un élément, structures
inexistantes ou maladroites). Ensuite, il apparait que les étudiants français comme les
apprenants chinois ne maitrisent pas la diversité des routines rhétoriques récurrentes
chez les experts. En effet, les routines verbales sont des éléments phraséologiques
complexes du fait de leurs variations syntagmatiques et de la spécificité des associations
lexicales. L’absence ou le sous-emploi de certaines routines verbales/ fonctions
rhétoriques chez les apprenants chinois nous amène à penser que d’une part, ils ont une
connaissance limitée des routines pour exprimer leurs idées, par exemple, les routines
comportant le pronom impersonnel il (il convient/importe de V) semblent non maitrisées
par les apprenants chinois ; et d’autre part, qu’ils ne maitrisent pas l’emploi de certaines
fonctions rhétoriques complexes comme celles qui mettent en jeu le dialogisme
interlocutif et la topicalisation.
39 Si l’on compare les novices français aux apprenants chinois, on observe de réelles
différences. Comme Gilquin et Paquot (2008), nous pensons que les écrits académiques des
étudiants natifs occupent une place intermédiaire entre ceux des apprenants chinois et
ceux des experts. Le statut de novice en matière de rédaction scientifique confronte de
manière comparable les étudiants natifs et non natifs aux difficultés des routines
rhétoriques, en particulier celles qui sont spécifiques au discours scientifique. Les
étudiants natifs connaissent peut-être mieux la langue, mais ne maitrisent pas encore les
normes du genre. Les difficultés sont plus grandes pour les apprenants chinois, du fait de
leur statut d’apprenants du français, qu’il s’agisse des confusions de registre, des erreurs
syntaxiques ou des emplois maladroits.
40 Tenant compte des difficultés relevées, nous souhaitons proposer maintenant des pistes
didactiques pour enseigner les routines verbales et aider les étudiants allophones dans la
rédaction académique.
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4. Pistes didactiques
41 Les difficultés des apprenants chinois relèvent non seulement du lexique, mais aussi du
discours. À l’instar de Cavalla (2009), nous pensons que l’acquisition des routines verbales
ne saurait se réduire à l’acquisition d’un savoir sur les formes et leur sens, mais qu’il faut,
en outre, introduire une composante discursive. Par exemple, dans quelle partie du texte
peut-on utiliser les routines ? À quoi servent les routines ? Nos propositions didactiques
visent, d’une part, à aider les étudiants allophones à bien repérer l’emploi des routines
verbales récurrentes dans l’écrit scientifique et, d’autre part, à les faire réfléchir sur ces
éléments dans l’objectif de prendre en compte les spécificités liées au genre du discours.
42 Notre approche didactique s’inscrit dans les travaux en data-driven learning (DDL) initiés
par Johns (1991). Le DDL vise à donner aux apprenants « un accès direct aux données
linguistiques » et à les placer au cœur de l’apprentissage, ce qui leur permet d’endosser
un rôle de « détective » et de construire par conséquent leurs propres savoirs de façon
inductive (Johns, 1991, p. 30). Selon McEnery et Xiao (2010), le corpus donne accès à une
« approche opérationnelle des trois “i” », c’est-à-dire, « Illustration – Interaction –
Induction » :
Par illustration on entend le fait de présenter à la classe d’étudiants en languesétrangères des données réelles ; l’interaction concerne la deuxième phase du travaildes étudiants qui échangent leurs opinions et leurs observations ; enfin l’inductionpermet à l’étudiant de se créer sa propre « règle » (qui sera affinée au fur et àmesure que le corpus de données s’élargit) sur le phénomène étudié. (Di Vito, 2013,p. 160)
43 L’utilisation des corpus en classe de langue n’est pas nouvelle. De nombreuses études
empiriques soulignent que les corpus se révèlent efficaces par rapport à d’autres formes
de pratiques, et ceci, dans différents contextes d’enseignement (Cobb & Boulton, 2015),
dans la mesure où ils facilitent l’accès aux données et favorisent une activité
d’observation et des compétences d’induction. Notre objectif est donc d’enseigner les
routines verbales à l’aide de corpus en classe de FLE. Plus concrètement, nous avons
adopté deux modes d’enseignement à l’aide des corpus en classe proposés par
Fligelstone (1993), à savoir « exploiter les corpus pour enseigner » (exploiting to teach) ou
« apprendre à exploiter les corpus » (teaching to exploit). La première peut se rapporter
aux fins d’utilisation didactique, consistant donc à « exploiter les corpus et
l’interprétation des résultats pour enseigner une langue » (Cavalla & Loiseau, 2014, p. 165)
; la deuxième vise à former l’apprenant à travailler sur les données des corpus ou à
exploiter les corpus, par exemple, pour apprendre une langue étrangère dans le cas qui
nous intéresse ici.
44 En ce qui concerne l’approche « exploiter les corpus pour enseigner », nous avons montré
dans la section 2 comment l’exploitation du corpus Transdisciplinaire-TermITH
permettait de construire une ressource lexicale sur les routines verbales, qui servira de
matériau pédagogique pour aider les apprenants dans la rédaction scientifique. Cette
ressource regroupe les données d’environ 50 verbes et propose un accès onomasiologique
par fonction rhétorique (Yan, 2017). À l’instar de Pecman et Kübler (2011), nous
considérons que la proposition d’un accès onomasiologique par fonction discursive est
pertinente dans la conception d’un outil d’aide à la rédaction scientifique. La figure 2
illustre des exemples de routines classées par fonctions rhétoriques.
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Figure 2. – Exemples de routines verbales accompagnées des fonctions rhétoriques.
45 Quant à l’approche « apprendre à exploiter les corpus », il s’agit d’amener l’apprenant à
travailler sur des activités conçues à partir de concordances présélectionnées et de le
guider vers l’exploitation autonome des corpus. Dans cet article, nous souhaitons
proposer des activités à l’aide du corpus Transdisciplinaire-TermITH afin de montrer
comment on peut aborder la question de l’enseignement/apprentissage des routines. Ce
corpus spécialisé a déjà été utilisé pour mettre en place plusieurs types de séquences
didactiques autour des phénomènes phraséologiques (Cavalla, 2009 ; Tran, 2014 ; Yan,
2017). Ces travaux ont montré que l’utilisation du corpus spécialisé selon le DDL est
bénéfique à l’enseignement/apprentissage de l’écrit scientifique. Dans la même ligne que
ces travaux, nous proposons ici deux types d’activités d’enseignement au croisement de la
phraséologie (ici les routines verbales) et de l’écrit académique :
1. L’exploration des routines : de quel type d’expressions s’agit-il et à quoi servent-elles ? (Cf.
activité 1)
2. L’observation des fonctions associées aux routines : quelle place dans le texte pour quelle
fonction ? (Cf. activité 2)
46 Comme le soulignent Cavalla et Loiseau (2014), le travail sur les concordances permet aux
étudiants de mener une réflexion métalinguistique, mettant en jeu une activité
d’observation et des compétences d’induction. L’activité réflexive des apprenants est
essentielle pour les sensibiliser au lexique.
En se posant tout haut les questions qu’il se pose tout bas, c’est-à-dire en laissantapparaître des traces de ses activités de réflexion sur le nouveau système,l’apprenant se donne une chance d’aboutir à des réponses, c’est-à-dire dedévelopper plus efficacement son nouveau système linguistique. (Arditty &Vasseur, 1996, p. 76-77)
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47 L’activité 1 est entièrement métalinguistique. Nous proposons de faire observer aux
apprenants la routine <il est ADJ d’étudier/examiner/analyser> pour qu’ils comprennent
le fonctionnement de la structure syntaxique (cf. tableau 3).
Tableau 3. – Concordancier autour de la routine <il est ADJ d’étudier/examiner/analyser>.
Consigne. – En binôme, observez les phrases et répondez aux questions suivantes.
Contexte gauche Occurrences Contexte droit
Au-delà des questions de niveau
technologique et de savoir-faire
industriel que nous avons
analysées dans la section
précédente,
il est également
important
d’analyser
les secteurs qui sont porteurs d’enjeux
stratégiques, aussi bien en termes
politiques qu’économiques.
Dans cette perspective,
il est intéressant
d’examiner
le modèle de construction du sens
proposé par Weick pour un contexte
organisationnel, et d’observer si des
rapprochements sont possibles avec le
modèle de Dervin.
Le pays 1 est plus impatient que
l’autre, il consomme toute sa
richesse puis disparait tandis que
l’autre pays devient l’économie
mondiale.
il est nécessaire
d’étudier
la répartition du capital avant de
pouvoir poser une condition nécessaire
et suffisante sur les paramètres qui
assure que la richesse du pays 2 est
initialement positive.
– Quels adjectifs se trouvent avant le verbe ? Connaissez-vous d’autres adjectifs quipeuvent apparaitre dans ces phrases ? Lesquels ? – Est-il possible de remplacer le verbe par des synonymes ? Lesquels ?– Quel est le sens de l’expression il est nécessaire d’étudier ? Elle sert à exprimer unenécessité ou une évaluation ?
48 Les questions posées doivent guider l’apprenant à repérer la structure. Ensuite, il faut
faire découvrir que cette forme préfabriquée est liée à une liste limitée d’adjectifs et de
verbes. Après avoir repéré la forme, l’enseignant peut demander à l’apprenant de cerner
le sens ou la fonction liée à cette routine.
49 Une autre activité que nous souhaitons mettre en avant consiste à classer les routines
verbales selon leurs fonctions rhétoriques. Nous supposons que l’apprenant les a déjà
travaillées en amont. Cette activité permet à l’apprenant de mieux comprendre à quoi
servent les routines étudiées et de produire sa propre liste lexicale. Dans la figure 3, nous
proposons de classer les formules suivantes dans trois cases différentes selon leurs
fonctions rhétoriques. L’enseignant pourrait également guider les apprenants à chercher
d’autres routines ayant les mêmes fonctions à partir des classes de verbes.
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Figure 3. – Exercice de classement sémantique.
50 Nous avons montré que le corpus spécialisé Transdiscplinaire-TermITH permet de créer
du matériel pédagogique sur les routines verbales. Nous avons insisté tout
particulièrement sur le lien entre l’approche inductive et l’introduction du corpus en
classe de FLE en proposant notamment un apprentissage fondé sur l’observation des
phénomènes langagiers pour développer le métalangage des apprenants. Néanmoins,
l’utilisation du corpus selon le DDL en classe de langue représente un enjeu majeur. La
difficulté principale est liée à l’accessibilité cognitive des corpus (Ciekanski, 2014).
En effet, la complexité des outils à maitriser et la présentation de masses importantes de
données peuvent constituer une surcharge cognitive pour les apprenants. Du côté de
l’apprenant, la question du développement de l’autonomie se pose. À l’instar de
Ciekanske (2014), nous pensons que l’un des principaux freins à l’utilisation des corpus
provient de l’enseignant. Il est donc nécessaire de faire comprendre aux enseignants
l’utilité des corpus et de les former à la méthodologie de linguistique de corpus tant sur
les plans théorique, que méthodologique et technique (Kübler, 2014) afin de mieux guider
les apprenants dans leur apprentissage. Les propositions didactiques présentées ci-dessus
pourraient donner quelques pistes et pourront être intégrées dans une formation
d’initiation aux normes universitaires destinée aux étudiants allophones.
5. Conclusion
51 Dans cet article, nos objectifs étaient à la fois linguistiques et didactiques. Nous avons
présenté quelques routines verbales abordées dans la thèse de Yan (2017), mises en
évidence avec une méthode combinant les techniques de TAL et l’analyse linguistique
manuelle. Il a été montré que les routines se caractérisent non seulement par la diversité
des réalisations lexicales, mais aussi par des fonctions rhétoriques spécifiques du genre.
52 L’analyse des productions des apprenants chinois a révélé que les difficultés liées à
l’utilisation des routines verbales relèvent non seulement des structures syntaxiques,
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mais aussi des fonctions rhétoriques associées. Certaines routines et fonctions se
montrent plus complexes que d’autres à maitriser (le dialogisme et la topicalisation),
même pour les novices français, et doivent faire l’objet d’un enseignement spécifique de
l’écrit académique. À partir des difficultés relevées, nous avons proposé des pistes
didactiques pour : 1) favoriser une réflexion métalinguistique sur les routines ; 2) associer
les formes lexicales aux fonctions rhétoriques.
53 Sur le plan didactique, nous avons montré l’intérêt des corpus pour plusieurs tâches :
1) pour la construction des ressources lexicales à partir d’un corpus d’experts ; 2) pour le
repérage des difficultés chez les étudiants allophones dans le corpus d’apprenants ;
3) pour enseigner l’écrit académique — repérage du lexique, réflexion métalinguistique,
utilisation de concordances sélectionnées.
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NOTES
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CONTINT. ATILF, INIST, LIDILEM, LINA, INRIA NGE et Saclay : <www.atilf.fr/ressources/termith/>
(consulté le 20 décembre 2017).
2. Les cadres de sous-catégorisation sont un ensemble des relations de dépendances impliquant
le verbe étudié. Le travail de l’extraction des cadres a été effectué par Sylvain Hatier (2016).
3. ~ signifie que le pivot (soit le verbe étudier dans l’exemple) est en position de dépendant.
ADJMOD représente un modifieur adjectival.
4. Il existe en deux versions (papier et électronique) : <http://rali.iro.umontreal.ca/rali/?q=fr/
LVF> (consulté le 2 décembre 2017).
5. Lexicoscope permet d’extraire à la fois des concordances et des lexicogrammes, c’est-à-dire
des tables de cooccurrences ; la technique est basée sur la mesure d’association — le loglike. Il est
accessible en ligne sur <http://phraseotext.u-grenoble3.fr/lexicoscope/index.php>.
6. Il s’agit d’un sous-corpus du corpus Littéracie avancée (Jacques & Rinck, 2017), constitué pour
analyser les compétences rédactionnelles en français langue maternelle à un niveau avancé et
développer, par la suite, des ressources didactiques.
RÉSUMÉS
Dans cet article, qui porte sur l’utilisation des corpus à des fins didactiques, nous abordons les
routines langagières qui sont particulièrement présentes dans les corpus d’écrits scientifiques et
académiques en français et nous présentons les difficultés liées à l’utilisation de ce phénomène
chez les étudiants allophones. L’étude de diagnostic nous permet ensuite de proposer des
exemples d’activités développées à l’aide du corpus Transdisciplinaire-TermITH auprès
d’étudiants allophones.
In this article, which focuses on the use of corpora for didactic purposes, we will discuss the
linguistic routines that are particularly present in scientific and academic writings in French. We
will present the difficulties related to this lexicon amongst non-native speaking students. This
initial diagnostic work then allows us to propose examples of activities for foreign language
students developed with the Transdisciplinaire-TermITH corpus.
INDEX
Mots-clés : linguistique de corpus, routines, fonctions rhétoriques
Keywords : corpus linguistics, routines, rhetorical functions
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AUTEURS
RUI YAN
LIDILEM, Université Grenoble Alpes
AGNÈS TUTIN
LIDILEM, Université Grenoble Alpes
THI THU HOAI TRAN
GRAMMATICA, Université d’Artois / LIDILEM, Université Grenoble Alpes
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