roudnieff vladimir michaïlovitch - la vérité sur la famille impériale russe et les influences...

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Ce document dont il est inutile de souligner l'intérêt a paru pour la première fois dans "Les Archives de la Grande Guerre" qui publient les documents secrets relatifs à la guerre de 1914-1918.Avec un Avant-Propos et une Introduction de M. D. Netchvolodoff Général-Major ancien Commandant du 1er régiment spécial de l’armée Impériale russe sur le front français.V. M. Roudnieff Substitut au Procureur du Tribunal d’Arrondissement d’Ekaterinoslaff,détaché par ordre du Ministre de la Justice Kerensky à la Commission d’instruction extraordinaire pour enquêter sur les abus commis par les ex-ministres, les Chefs supérieurs et les autres hauts fonctionnaires.Avant-proposLe 15 mars 1917, dans toute la Russie et dans l’univers se répandait la nouvelle de l’abdication du Tzar et, quelques jours après, l’on apprenait que le prince Lvoff venait de former un gouvernement provisoire.Il y a déjà de cela près de deux ans et demi.Le 16 juillet 1918, c’était tout un drame de sang et de carnage qui avait lieu dans la cave d’une maison d’Ekaterinbourg.Le matin de ce jour-là, sans jugement aucun, après une délibération qui prit la plus grande partie de la nuit, le Soviet local ordonnait l’assassinat de la famille impériale. Il y a déjà un peu plus d’un an que cette scène d’horreur se passait.Longtemps avant ces événements, et depuis, et aujourd’hui même pouvons-nous dire, les pires calomnies, calomnies odieuses, calomnies sans nombre, couraient dans le public sur la famille impériale. La presse, faisant sa partie dans ce concert, les colportait partout. Il eut été inutile de chercher, dans tous ces écrits, la moindre preuve pouvant établir la réalité de ces accusations. Ceux qui les répandaient n’étaient pas embarrassés de pareils scrupules et d’en fournir le plus petit témoignage, aucun n’avait cure. Tout au plus se contentait-on d’assurer, en toute circonstance, qu’il était impossible de dévoiler les noms des personnes compétentes dont on tenait ces renseignements. Et pourtant, que pouvaient-elles craindre, celles-là, à l’heure présente ? Le règne de l’absolutisme n’était-il pas fini ? L’ère de la liberté, assurant l’impunité à tout délateur du régime déchu, ne venait-elle pas de s’ouvrir ?Quant à nous n’étions-nous pas certains qu’un jour viendrait où la justice aurait, elle aussi, son tour ?Aussi, jusqu’ici nous sommes-nous tus, ne voulant pas, comme l’ont fait tous les calomniateurs de la famille impériale, citer le moindre fait, apporter la plus petite affirmation sans en administrer immédiatement les preuves.En 1793, la France vécut de pareilles horreurs.Louis XVI et Marie‑Antoinette avaient porté leurs têtes sur l’échafaud et le même cortège de calomnies avait précédé le supplice de la reine. Ce n’est guère que de notre temps, après plus d’un siècle écoulé, que la vérité commence à se faire jour sur le tissu de mensonges dont la vie de l’infortunée reine avait été enveloppée.

TRANSCRIPT

  • V. M. Roudnieff13i42

    Th e S avo i s i e n

    La Vrit sur

    la Famille Impriale Russe et les Influences occultes

    Ce document dont il est inutile de souligner l'intrt a paru pour la premire fois dans ''Les Archives de la Grande Guerre'' qui publient les documents secrets relatifs la guerre de 1914-1918.

  • La Vrit

    sur la Famille Impriale Russe

    et les influences occultes

  • V. M. ROUDNIEFFSubstitut au Procureur du Tribunal dArrondissement dEkaterinoslaff,

    dtach par ordre du Ministre de la Justice Kerensky la Commission dinstruction extraordinaire pour enquter sur les abus commis

    par les ex-ministres, les Chefs suprieurs et les autres hauts fonctionnaires.

    LA VRITsur

    la Famille Impriale Russeet les Influences occultes

    avec un Avant-Propos et une Introduction de

    M. D. NETCHVOLODOFFGnral-Major ancien Commandant du Ier rgiment spcial

    de larme Impriale russe sur le front franais.

    E D I T I O N S E T L I B R A I R I EE. CHIRON. Editeur

    PA R I S 4 0 , Ru e d e S e i n e , 4 0 PA R I S

    1920

  • Prince Georgy Lvov Evguenievitch,Homme politique russe et prsident du gouvernement provisoire du 23 mars au 7 Juillet 1917.

  • 7avant-propos

    Le 15 mars 1917, dans toute la Russie et dans lunivers se rpandait la nouvelle de labdication du Tzar et, quelques jours aprs, lon apprenait que le prince Lvoff venait de former un gouvernement provisoire. Il y a dj de cela prs de deux ans et demi.

    Le 16 juillet 1918, ctait tout un drame de sang et de carnage qui avait lieu dans la cave dune maison dEkaterinbourg. Le matin de ce jour-l, sans jugement aucun, aprs une dlibration qui prit la plus grande partie de la nuit, le Soviet local ordonnait lassassinat de la famille impriale. Il y a dj un peu plus dun an que cette scne dhorreur se passait.

    Longtemps avant ces vnements, et depuis, et aujourdhui mme pouvons-nous dire, les pires calomnies, calomnies odieuses, calomnies sans nombre, couraient dans le public sur la famille impriale. La presse, faisant sa partie dans ce concert, les colportait partout. Il eut t inutile de chercher, dans tous ces crits, la moindre preuve pouvant tablir la ra-lit de ces accusations. Ceux qui les rpandaient ntaient pas embarrasss de pareils scrupules et den fournir le plus petit tmoignage, aucun navait cure. Tout au plus se contentait-on dassurer, en toute circonstance, quil tait impossible de dvoiler les noms des personnes comptentes dont on tenait ces renseignements. Et pourtant, que pouvaient-elles craindre, celles-l, lheure prsente ? Le rgne de labsolutisme ntait-il pas fini ? Lre de la libert, assurant limpunit tout dlateur du rgime dchu, ne venait-elle pas de souvrir ?

    Quant nous ntions-nous pas certains quun jour viendrait o la justice aurait, elle aussi, son tour ?

    Aussi, jusquici nous sommes-nous tus, ne voulant pas, comme lont fait tous les calomniateurs de la famille impriale, citer le moindre fait, apporter la plus petite affirmation sans en administrer immdiatement les preuves.

  • 8En 1793, la France vcut de pareilles horreurs.Louis XVI et Marie-Antoinette avaient port leurs ttes sur lcha-

    faud et le mme cortge de calomnies avait prcd le supplice de la reine. Ce nest gure que de notre temps, aprs plus dun sicle coul, que la vrit commence se faire jour sur le tissu de mensonges dont la vie de linfortune reine avait t enveloppe.

    A notre poque, les vnements vont vite, et il nest plus ncessaire de laisser lhistoire poursuivre la marche lente et majestueuse qui lui est habituelle.

    Il ne nous est pas possible, dailleurs, dattendre de si longues annes pour faire clater la justice. Aussi croyons-nous de notre devoir, sans plus attendre, de livrer au grand jour les documents qui tombent entre nos mains et qui peuvent aider manifester la vrit. Percer jour l calomnie et montrer tels quils furent toujours notre auguste matre et son illustre compagne, tel est le seul but que nous poursuivions.

    En prenant le pouvoir, le premier soin du gouvernement provisoire du prince Lvoff avait t de nommer une commission denqute qui serait charge dtudier les faits et gestes de la famille impriale, des person-nages de la Cour et de la politique, en un mot de mettre en lumire toutes les influences, plus ou moins occultes, qui avaient pu sexercer autour de lEmpereur et diriger sa politique. On esprait bien, par ce moyen, arri-ver dcouvrir les preuves, qui jusquici manquaient, de la vracit des accusations portes par la Rvolution contre Nicolas II et lImpratrice.

    Kerensky, ministre de la justice et qui devait, trois mois plus tard, prendre en main le pouvoir, nomma donc une commission extraordinaire denqute, sous la prsidence de lavocat Mouravieff et lui adjoignit, pour enquter spcialement sur les forces occultes , le substitut au Procureur darrondissement dEkaterinoslaff, Vladimir Roudnieff.

    Le fait quil fut choisi par Kerensky marque assez quon le jugeait, pour le moins, tre un libral, un homme ayant le mme tat desprit que ceux qui avaient fait la Rvolution, quil tait, en un mot, de ceux sur les-quels on croyait pouvoir compter.

  • 9En fait, on tait tomb sur un honnte homme. Son enqute, Vladimir Roudnieff devait la diriger avec soin, la mener avec une attention scru-puleuse. Il lut tout, il interrogea tous les tmoins utiles, il nhsita pas procdez lui-mme toutes les perquisitions ncessaires, il ne ngligea aucun dtail.

    Cet homme tait fortement prvenu, il nous le dit lui-mme, contre ceux quil devait enquter. Il eut cependant le mrite dtre avant tout un homme dhonneur : il ne ferma pas les yeux la lumire. Aussi, lorsque Mouravieff, prsident de la Commission, voulut lobliger agir contre sa conscience, il sy refusa et ne crut pas devoir dguiser la vrit.

    Le document que nous prsentons aujourdhui au public est un m-moire crit tout entier de la main de Vladimir Roudnieff. Cest un cri qui schappe du cur dun honnte homme qui, se voyant entran dans une affair malpropre, na pas cru pouvoir se taire plus longtemps. Et cela dautant plus que sur laffaire on cherchait faire le silence. Il y a consi-gn en dtail tous les rsultats acquis et les constatations auxquelles len-qute avait abouti. Et ce nest pas sans stupeur, en lisant ce travail, que lon constate que cette longue instruction, qui devait, dans lesprit de ceux qui lordonnaient, noyer la famille impriale dans un ocan de boue et dabjections, arrive, en fait, justifier celle-ci et de toutes les accusations lances contre elle ne laisse rien subsister.

    Cette enqute, jusquici, na jamais t publie. Cest la premire fois que le rsultat en est livr au public.

    Avant de parler au peuple russe, nous avons tenu nous adresser au public franais qui, en toutes circonstances, a donn tant de tmoignages de sympathie Leurs Majests lEmpereur et lImpratrice de Russie et dont on a cherch parfois tromper la bonne foi. Nous tenions mon-trer la France que nos augustes souverains navaient jamais cess dtre fidles lalliance et lassurer de notre propre fidlit.

    M. Netchvolodoff.Paris, dcembre 1919.

  • Aleksandre Fiodorovitch KerenskiIl occupa diffrents postes ministriels dans les deux premiers gouvernements du prince Gueorgui Lvov aprs la Rvolution de Fvrier et fut le prsident du deuxime jusqu' la prise du pouvoir par les bolcheviks lors de la Rvolution d'Octobre.

  • 11

    introduction

    En prsentant au public franais le mmoire de V. M. Roudnieff, La Vrit sur la Famille impriale russe et les influences occultes , nous croyons utile de rappeler au lecteur la srie de calomnies rpandues par les rvo-lutionnaires et propages dans le monde entier sur la famille impriale et sur les autres personnages dont il est question dans ce mmoire.

    Le temps efface les dtails des faits lus et entendus ; limpression g-nrale seule subsiste ; aussi recommandons-nous instamment au lecteur, avant de consulter le mmoire de V. M. Roudnieff, de prendre connais-sance de notre introduction, que nous nous sommes efforcs de rendre succincte.

    En tudiant ensuite le mmoire, le lecteur pourra comparer impar-tialement les faits rels et les dires mensongers. Dabord, les calomnies. Voici en traits sommaires les calomnies rpandues depuis le dbut de la guerre, tant en Russie qu ltranger

    On a prtendu que lImpratrice Alexandra Feodorovna, nayant jamais oubli son origine allemande et naimant gure sa nouvelle patrie, tait durant la guerre de tout cur avec lennemi. Lorsque la dfaite fi-nale de lAllemagne devint vidente, elle aurait us de toute son influence sur lEmpereur, afin de le contraindre A signer la paix avec lAllemagne. Raspoutine et Mme Viroubova auraient second ses efforts et les ministres Protopopoff et Sturmer auraient t ses collaborateurs zls.

    Dans la politique intrieure, dit-on, lImpratrice servait de rempart la raction ; cest elle qui sopposait la nomination dun ministre res-ponsable.

    Extrmement ambitieuse, elle rvait de devenir une nouvelle Catherine II. Dans ce but elle ourdit un complot, afin denlever le pouvoir au Tzar et de prendre en main la rgence de lEmpire.

  • 12

    La calomnie ne sen tint pas l ; elle tenta de jeter une ombre malpropre sur les rapports entre limpratrice et Raspoutine.

    On a dit que Grgoire Raspoutine gagna la confiance de la famille impriale, notamment de lImpratrice, en exploitant sa prtendue sain-tet et en usant de sa force hypnotique indniable.

    Il fut, dit-on, un ennemi de la Douma de lEmpire, un ractionnaire extrme et un agent secret de lAllemagne. De connivence avec lImpra-trice, il employait son pouvoir sur lEmpereur, afin dacclrer la signature dune paix spare.

    Dans ce but, toujours de connivence avec lImpratrice, Raspoutine proposait lEmpereur, pour les postes les plus levs, des germanophiles avrs.

    Raspoutine menait une vie de dbauches, et avait des liaisons avec maintes dames de la haute socit.

    On a dit quAnna Alexandrowna Viroubova tait la favorite et lamie intime de lImpratrice. Au dbut, les calomniateurs tentrent dex-pliquer salement leurs rapports mutuels ; ensuite, ils trouvrent plus din-trt faire de Viroubova la matresse de Raspoutine. Lagent secret de lAllemagne utilisait cette liaison amoureuse pour grandir son influence sur le couple imprial et atteindre ainsi son but criminel (paix spare).

    On a dit que le docteur en mdecine thibtaine Badmaeff, ami de Raspoutine, empoisonnait systmatiquement avec diverses dro-gues lEmpereur et lui enlevait ainsi la volont. Par lusage des drogues, Badmaeff entretenait le mal du souffreteux Tzarevitch, ouvrant par l le champ daction Raspoutine, qui exerait une influence bienfaisante sur la sant du Tzarevitch. Badmaeff favorisait ainsi lintrigue gnrale.

    Enfin, les personnages les plus en vue ont eu galement leur part de ca-lomnies. Le Ministre des Affaires intrieures Protopopoff, protg de Raspoutine, tait germanophile et ractionnaire convaincu. Daccord avec Sturmer, il employait toute son influence sur lEmpereur pour lame-ner signer nue paix spare immdiate et Protopopoff orientait dans ce sens toute la politique intrieure du pays.

  • 13

    Partisan de lImpratrice, il complotait avec elle, afin denlever le pou-voir au Tzar.

    Le Prsident du Conseil et Ministre des Affaires Etrangres Sturmer, ami et protg de Raspoutine, tait lui aussi ralli au germa-nisme. Le but de sa politique tait la paix avec lAllemagne nimporte quel prix.

    Le Commandant du palais gnral Voeikoff avait des opinions extrmement ractionnaires sur la politique intrieure et une influence semblable sur lEmpereur.

    Enfin au fonctionnaire du Saint-Synode Prince Andronikoff, lopinion publique attribuait une influence prpondrante sur les affaires de la politique intrieure et le considrait comme un des familiers de la Cour Impriale.

    Et maintenant que nous avons expos les calomnies, passons la lec-ture du mmoire de M. Roudnieff.

    M. Netchvolodoff.

  • Grgoire Raspoutine, Major-Gnral Putyatin et Colonel Lotman Photographie Karl Bulla (1904)

  • 15

    La Vrit sur la Famille Impriale Russe

    e t le s In flu ence s o cc u lte s

    Me trouvant adjoint au procureur du Tribunal darrondissement dEkaterinoslaff, je fus appel, la date du 11 mars, par ordre du ministre de la Justice Kerensky, Ptrograd, la Commission denqute extraordi-naire, charge de rechercher les abus commis par les anciens ministres, les chefs suprieurs et les hauts fonctionnaires de ladministration.

    A Ptrograd, travaillant dans cette commission, je fus spcialement charg de rechercher les sources des influences irresponsables prs de la Cour Impriale. Cette section de la commission tait nomme : Enqute sur le groupe de faits dits : Influences occultes .

    Les travaux de la commission se prolongrent jusqu fin daot 1917. A ce moment, jadressai un rapport en fin duquel je donnais ma dmission ; le motif en tait les tentatives du prsident de la commission, lavocat Mouravieff, pour me faire agir dune faon criminelle.

    Ma qualit de dlgu, muni des pouvoirs de commissaire denqute, me donnait le droit de faire toute descente sur les lieux, dinterroger tous les coupables, etc.

    Dans le but de faire une lumire complte et impartiale sur les agis-sements de toutes les personnes dsignes, soit par la presse, soit par la rumeur publique, comme ayant eu une influence dterminante sur la di-rection de ,la politique tant intrieure quextrieure ; je compulsai toutes les archives du Palais dHiver, des palais de Tsarsko-Selo et de Peterhof, ainsi que la correspondance personnelle du Tzar, de lImpratrice, des Grands-Ducs et les papiers trouvs lors des perquisitions faites chez

  • 16

    lvque Barnab, la comtesse C. C. Ignatieff, le docteur Badmaeff, B. R. Voeikoff et autres dignitaires de la Cour.

    Au cours de lenqute, une attention toute spciale fut apporte aux personnalits et agissements de G. E. Raspoutine et Mme A. A. Viroubova, ainsi que sur les rapports existant entre la famille impriale et la Cour de Berlin.

    Considrant que le rsultat de mon enqute avait une importance considrable, puisquelle apportait la lumire sur les vnements davant et pendant la Rvolution, jai pris la copie de tous les procs-verbaux, comptes rendus denqutes ayant pass par mes mains, de tous les docu-ments, ainsi que de tous les tmoignages.

    En quittant Ptrograd, jemportai toutes ces copies Ekaterinoslaff o elles furent conserves dans mon appartement. Depuis, elles ont d tre voles lors du pillage de ma maison par les Bolcheviks. Si, contrairement toute attente, ces documents nont pas t dtruits (et, si je vis jusquau moment o il rentreront en ma possession), je me propose de les publier intgralement sans le moindre commentaire.

    Toutefois, je considre comme indispensable de prsenter, ds pr-sent, une esquisse rapide du caractre des principaux personnages de ce rgne que lopinion publique et la presse ont surnomm : le rgne des influences occultes .

    Cette esquisse tant faite de mmoire, nombre de traits intressants mchapperont peut-tre.

    Arriv Ptrograd la Commission denqute, je commenai ma tche avec un sentiment de prvention irrflchie relativement aux causes de linfluence de Raspoutine, et ceci, en raison de brochures, darticles de journaux lus par moi ainsi que des bruits circulant dans le public.

    Une enqute minutieuse et impartiale mobligea reconnatre com-bien ces bruits et les informations des journaux taient loin de la vrit.

    La figure la plus intressante laquelle on attribuait une influence dcisive sur la politique intrieure tait Grgoire Raspoutine. Ce person-nage fut naturellement le centre de mes recherches au cours de laccom-plissement des fonctions qui mincombaient.

  • 17

    Lun des documents les plus importants qui mit en lumire la per-sonnalit de Raspoutine me fut fourni par le journal de la surveillance exerce par la police secrte, surveillance qui se maintint jusqu la mort de ce dernier. Cette surveillance tait dun double caractre : extrieure et intrieure. A lextrieur, par une filature minutieuse lors de ses sorties, son domicile par les agents spciaux qui remplissaient, auprs de lui, les fonctions de gardes et de laquais.

    Le journal de cette surveillance fut tenu avec une exactitude merveil-leuse, mentionnant jour par jour ses dmarches au dehors, mme trs courtes, lheure des sorties et des rentres, ainsi que toutes ses rencontres en cours de route. Quant la surveillance tablie son domicile, les noms des personnes visitant Raspoutine taient mentionns et inscrits rguli-rement dans ce journal. Lorsque le nom de certains visiteurs tait incon-nu des agents, leur signalement tait minutieusement dcrit.

    Aprs avoir pris connaissance de ces documents et entendu les t-moins dont les noms figuraient sur ces listes et en comparant toutes ces donnes, jarrivai la conclusion que la personnalit de Raspoutine, du point de vue psychologique, ne fut pas aussi simple quon lavait prtendu et crit.

    Etudiant le caractre moral de Raspoutine, je portai mon attention sur la succession historique des vnements qui lui ouvrirent enfin les portes de la Cour et je constatai que la premire tape de sa fortune fut ses relations avec les archevques Thophane et Hermogne, bien connus pour leurs sentiments profondment religieux et leur haute intelligence.

    Je fus convaincu la suite de la lecture de ces mmes documents, que Raspoutine joua un rle fatal dans la vie de ces piliers de lEglise ortho-doxe. Il fut la cause de linternement de Hermogne dans lun des mo-nastres du diocse de Saratoff et aussi de la disgrce de Thophane, r-trograd au rang dvque provincial. Ces vques vraiment pieux avaient discern les bas instincts de Raspoutine et taient entrs en lutte ouverte avec lui.

    Jarrivai ainsi cette conclusion que certainement il y avait eu, dans la vie de Raspoutine, simple paysan de la province de Tobolsk, quelque

  • 18

    preuve, grande et profonde, transformant compltement son me et lamenant se tourner vers le Christ. Cest seulement en vertu de cette sincre recherche de Dieu chez Raspoutine, cette poque, que peut-tre explique son entre en relation avec ces pasteurs minents.

    Cette hypothse base sur la convergence des faits, se trouve confir-me par les rcits de ses plerinages, crits par lui dans une langue incor-recte, et qui respirent une simplicit nave et une sincrit attendrie.

    Fort de lautorit des deux archevques dj nomms, appuy par eux, Raspoutine fut reu la Cour des grandes-duchesses Anastasie et Militza (1). Chez elles, il fit la connaissance de Mlle Taneeva, plus tard Mme Viroubova, alors demoiselle dhonneur de lImpratrice. Il fit sur cette personne profondment religieuse une trs vive impression. Il fut enfin reu la Cour et cest alors que se rveillrent, chez lui, les bas ins-tincts, assoupis pour un temps. Il devint un exploiteur rus de Leurs Majests, confiantes en sa saintet.

    Il faut remarquer quil joua son rle avec une persvrance minutieu-sement calcule. Ainsi que la dmontr toute la correspondance ce sujet et comme lont, dans la suite, affirm les tmoins, Raspoutine refusa cat-goriquement tous subsides en argent, rcompenses et honneurs, nonobs-tant toutes les propositions faites par Leurs Majests voulant dmontrer par l son dsintressement et son profond dvouement au Trne. Il d-clarait en mme temps la famille impriale qu'il tait son unique in-tercesseur auprs de Dieu, que tous jalousaient sa situation, intriguaient contre lui, le calomniaient et que, pour toutes ces raisons il fallait rejeter toute dnonciation. La seule chose quautorise Raspoutine cest que lon paie son logement sur les fonds de la chancellerie prive de lEmpereur et quon lui donne en cadeau des ouvrages faits par les personnes apparte-nant la famille impriale, comme chemises, ceintures, etc.

    1 Les Grandes-Duchesses Anastasie Nicolavna et Militza Nicolaevna, surs, sont filles du roi Nicolas de Montngro. La premire avait pous le Grand-Duc Nicolas Nicolalevitch, gnralissime, la seconde est femme du Grand-Duc Pierre Nicolaievitch, frre du prcdent.

  • 19

    Raspoutine nentrait dans les appartements impriaux quavec une prire sur les lvres, il tutoyait le Tzar et lImpratrice et les embrassait trois fois, suivant la coutume sibrienne. Il est, en outre, tabli qu'il di-sait au Tzar : Ma mort sera la tienne et qu la Cour il jouissait de la rputation dun homme ayant le don de prdire les vnements sous des formules mystrieuses, linstar de la pythonisse antique.

    La source des revenus de Raspoutine rsidait dans les ptitions rdi-ges par diverses gens sollicitant un changement, une nomination, une grce, adresses lEmpereur et quil lui remettait de ses mains. Pour donner plus dautorit sa recommandation, en appuyant de telles de-mandes, dans ses entretiens avec Leurs Majests, Raspoutine les envelop-pait de corollaires prophtiques, affirmant que leur donner satisfaction ctait attirer du bonheur sur la famille impriale et sur le pays.

    Ajoutons que Raspoutine possdait, sans nul doute, un pouvoir trs puissant et inexplicable, en ce sens quil exerait sur lesprit dautrui comme une sorte dhypnotisme.

    Jai pu, entre autres, me rendre compte, par moi-mme, dun cas de gurison de la danse de Saint-Guy chez le fils dun ami de Raspoutine, Simonovitch, tudiant de lInstitut commercial. Les symptmes de cette maladie disparurent pour toujours aprs deux sances o Raspoutine en-dormit le malade.

    Une autre manifestation de cette puissance psychique arriva au cours de lhiver 1914-1915. Il fut appel dans la gurite dune garde-bar-rire. Anna Alexandrowna Viroubova tait tendue sans connaissance, les jambes fractures, la tte fendue. A ct delle se trouvaient lEmpe-reur et lImpratrice. Raspoutine levant les mains vers le ciel sadressa Viroubova en ces termes : Annouchka, ouvre les yeux ! De suite, elle ouvrit les yeux et jeta un regard circulaire autour de la chambre o elle reposait. Cela produisit naturellement une grande impression sur les as-sistants et particulirement sur Leurs Majests, fortifiant ainsi lautorit de Raspoutine.

    En rsum, on peut dire que Raspoutine, malgr son peu dinstruc-tion, ne fut pas un homme ordinaire. Il se distinguait par une intelligence

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    trs vive, une grande prsence desprit, une facult dobservation et une justesse dexpression extraordinaires, surtout lorsquil avait caractriser quelquun.

    Sa grossiret apparente et sa faon familire de sadresser aux autres, rappelant parfois certains innocents , taient sans aucun doute calcu-les en vue de souligner son origine plbienne et son ignorance.

    Etant donn que la presse priodique stait beaucoup occupe du temprament sexuel de Raspoutine, dont le nom tait devenu synonyme de dbauch, les enquteurs apportrent la plus grande attention sur ce point. Nous trouvmes une mine des plus riches pour clairer sa per-sonnalit de ce ct, dans les indications de ces agents secrets que la po-lice avait placs autour de lui. Il en ressort que les aventures amoureuses de Raspoutine ne dpassrent pas le cadre dorgies nocturnes avec des femmes lgres et des chanteuses et, parfois, avec telle ou telle de ses qu-manderesses.

    De ses rapports intimes avec les dames de la haute socit, il ny a au-cun fait positif, aucune remarque, aucune trace la suite de notre enqute ou antrieurement. Par contre, il y a des preuves que, tant ivre, il seffor-ait de donner illusion sur son intimit avec les personnes de la haute socit, surtout devant ceux avec qui il se trouvait en relations intimes et auxquels il tait redevable de son lvation.

    Ainsi, par exemple, lors des perquisitions faites chez lvque Barnab, on trouva un tlgramme de Raspoutine ainsi conu : Mon cher, je ne peux pas venir, mes folles pleurent et ne me laissent pas partir.

    Quant au fait que Raspoutine, en Sibrie, se lavait aux bains en compagnie des femmes, on en conclut quil appartenait la secte des Flagellants .

    Afin de rsoudre cette question, la Haute Commission denqute convoqua le professeur la chaire des Sectes religieuses de lAcadmie thologique de Moscou, Gromoglassoff. Celui-ci, connaissance prise des pices de lenqute, dclara que les bains en commun des hommes et des femmes paraissait tre, en certains endroits de la Sibrie, une cou-tume admise ; mais il ne trouva pas la moindre preuve que Raspoutine

  • 21

    appartint la secte des Flagellants . Ayant mme pris connaissance de ses crits religeux, Gromoglassoff ny releva aucun indice de la secte des Flagellants .

    En somme, Raspoutine apparat de son naturel un homme aux gestes larges. Les portes de sa maison taient toujours ouvertes, il sy trouvait sans cesse une foule de gens de toutes sortes, mangeant ses dpens. En vue de se crer une aurole de bienfaiteur, suivant la parole de lEvangile la main de celui qui donne ne sappauvrit pas , Raspoutine, qui recevait constamment de largent de solliciteurs pour appuyer leurs demandes, le distribuait largement aux indigents et, en gnral, aux gens des classes pauvres qui recouraient lui pour des besoins nayant pas toujours un caractre matriel.

    Il se cra ainsi un renom de bienfaiteur et dhomme dsintress. En outre, Raspoutine dpensa follement de grosses sommes dans les res-taurants et les jardins-concerts, de sorte quaprs sa mort, sa famille, en Sibrie, ne reut rien.

    Des matriaux importants furent rassembls au sujet des demandes que Raspoutine prsentait la Cour. Toutes ces demandes, ainsi quil a t dit plus haut, avaient trait des changements, des nominations, des grces, des concessions de chemins de fer et autres affaires, mais rien ne fut trouv relativement limmixtion de Raspoutine clans la politique, bien que son influence h la Cour ait t norme.

    Les exemples de cette influence sont nombreux. Cest ainsi quau cours des perquisitions faites la chancellerie du commandant du Palais, le gnral Voeikoff,on trouva quelques lettres adresses celui-ci ainsi conues : Au gnral Faveik : cher ami, procure-lui une place . Sur des lettres semblables se trouvrent des annotations, crites de la main de Voeikoff, qui se bornaient indiquer les noms des qumandeurs, leur lieu de rsidence, ce que contenait leur demande, des annotations don-nant satisfaction avec avertissement aux qumandeurs.

    Quelques lettres analogues ont t trouves chez lex-ministre Sturmer, ainsi que chez dautres personnages haut placs. Mais toutes ces lettres navaient trait qua des demandes de protection prive, pour

  • 22

    des cas dtermins, et concernant les personnes auxquelles sintressait Raspoutine.

    Raspoutine donnait des sobriquets tous ceux avec qui il tait en contact plus ou moins troit. Quelques-uns de ceux-ci reurent droit de cit la Cour. Ainsi il appelait Sturmer le vieux , larchevque Barnab le papillon , lEmpereur Papa , lImpratrice Maman . Le sobri-quet de Barnab, papillon , fut trouv dans une lettre de lImpratrice Mme Viroubova.

    Reconnaissons-le, daprs tous les documents examins, il est certain quil exera une trs grande influence sur la famille impriale et que la cause premire de linfluence de Raspoutine la Cour fut le profond sen-timent religieux de Leurs Majests et leur sincre conviction de la sain-tet de Raspoutine, lunique avocat du Tzar, de sa famille et de la Russie devant Dieu.

    La dmonstration de cette saintet ressortit pour la famille imp-riale, de certains faits particuliers o savra linfluence extraordinaire de Raspoutine sur lesprit de quelques personnes de la Cour. Par exemple, lorsque Mme Viroubova svanouit ainsi que nous lavons mentionn plus haut, et quil la tira de cet vanouissement. De mme son influence sa-lutaire sur la sant de lhritier du trne et une srie de prdictions heu-reuses.

    Son influence psychique sexplique par la prsence chez Raspoutine dune force magntique extraordinaire et la vracit de ses prdictions par sa connaissance approfondie de la vie de la. Cour et son grand sens pratique.

    De cette influence sur la famille impriale, des gens habiles sefforc-rent de se servir, en aidant par l mme au dveloppement des bas ins-tincts qui se trouvaient en lui. Cette tactique se manifesta surtout dans les agissements de lancien ministre de lIntrieur, Kvostoff, et du direc-teur du dpartement de police, Biletzky. Pour consolider leur situation la Cour, ils entrrent en accord avec Raspoutine et lui offrirent les avan-tages suivants : ils lui donneraient, tous les mois, prleve sur les fonds secrets du dpartement de police, une somme de trois mille roubles, et

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    en cas de ncessit, des subsides supplmentaires, de quotit variable ; en change, Raspoutine placerait la Cour les candidats indiqus par eux, des postes dsigns par eux.

    Raspoutine accepta cette proposition et les deux ou trois premiers mois, il excuta les engagements pris. Stant ensuite rendu compte quun accord semblable ntait pas avantageux pour lui, car il rtrcis-sait le cercle de sa clientle, sans prvenir Kvostoff ni Biletzky il com-mena agir, ses risques et prils, pour son propre compte. Kvostoff ayant dcouvert son manque de loyaut et craignant que, dans la suite, Raspoutine pt agir contre lui, rsolut de le combattre ouvertement. Il comptait dun ct, sur la bonne disposition en sa faveur de la famille impriale et, dun autre ct, sur lappui de, la Douma dont il tait lun des membres ; celle-ci avait pour Raspoutine une haine extrme. Biletzky qui, lui, ne croyait pas linfluence de Kvostoff la Cour, mais apprciait le pouvoir prpondrant de Raspoutine sur la famille impriale, se trouva dans une position difficile. Il rflchit, et rsolut de trahir son chef et pro-tecteur Kvostoff en se rangeant du ct de Raspoutine. En prenant cette position, selon lexpression de Raspoutine, il se donna comme tche de culbuter le ministre Kvostoff .

    Le rsultat final de la lutte de Raspoutine et Biletzky contre Kvostoff, fut le complot organis contre la vie du vieillard quont relat tous les journaux. La mise en scne en fut organis par Biletzky de la faon sui-vante :

    Il engagea pour cette affaire un dclass, lingnieur Heine, tenancier de maison de jeu Ptrograd, et lenvoya en secret Christiania chez un autre dclass, moine dfroqu, le clbre Iliodore Serge Troufanoff, ex-ami de Raspoutine. Le rsultat de ce voyage fut lexpdition, sous la signature dIliodore, dune srie de dpches de Christiania Heine, Ptrograd, dans lesquelles on parlait dune faon trs claire dun attentat qui se prparait contre la vie de Raspoutine.

    Dans lune de ces dpches dIliodore Heine fut mentionn presque littralement ce qui suit : Quarante hommes engags attendent, rcla-ment ; envoyez trente mille. Tous ces tlgrammes, comme venant dun

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    pays neutre, avant dtre remis au destinataire taient communiqus au dpartement de la police secrte et aprs, avec enqute, ainsi quil tait de coutume pendant la guerre, ils taient remis Heine.

    Un beau jour enfin, ayant en main ces tlgrammes, Heine se prsenta en coupable repentant chez Raspoutine, et, prsentant comme preuves les dpches apportes, avoua franchement au vieillard quil prenait part un complot contre sa vie. Il en rapporta tous les dtails et finit par dclarer qu la tte de ce complot tait le ministre de lIntrieur Kvostoff.

    Tout ceci fut communiqu la famille impriale par Raspoutine et la disgrce de Kvostoff sensuivit.

    Comme dtails de la mise en scne de ce complot, le fait suivant est trs suggestif : parmi les dpches que Heine recevait de Christiania, lune relatait une srie de noms de personnes se trouvant Tzaritzine et soi-di-sant en relation avec Iliodore et, mme, faisant le voyage de Christania en vue de la ralisation de ce complot. Lenqute immdiate ouverte ce sujet par la police non seulement ne put confirmer la vracit de ces indications, mais dmontra, sans contestation possible, que les personnes dsignes navaient jamais quitt Tzaritzine. De ce fait tmoignrent le livre de maison et dautres registres.

    Il faut mentionner que Kvostoff tait trs estim et trs apprci par lEmpereur et tout particulirement par l Impratrice qui, daprs les t-moignages des personnages approchant. la Cour, le tenaient pour trs religieux et dvou au plus haut degr la famille impriale, ainsi quau pays le fait suivant, cependant, montre combien Kvostoff prenait soin, avant tout, dclairer ses propres entreprises.

    Il invita un jour le commandant de la gendarmerie, le gnral Kommissaroff, et lui proposa de se mettre en civil et daller immdia-tement chez Raspoutine pour lamener chez le mtropolite Pitirime, ce que fit celui-ci. Excutant lordre de Kvostoff, Kommissaroff vint avec Raspoutine chez Pitirime o, dans lune des pices, il rencontra le valet de chambre qui, aprs les avoir reus, alla annoncer leur arrive sa Saintet. Bientt aprs arriva Pitirime et lorsque Raspoutine lui prsenta le g-nral Kommissaroff, ce dernier remarqua que la prsence dans ses ap-

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    partements dun gnral de gendarmerie fut ce moment dsagrable au mtropolite qui les invita nanmoins le suivre au salon o ils trouvrent Kvostoff assis sur un divan. A la vue de Raspoutine, Kvostoff se mit rire nerveusement et chuchoter avec Pitirime, aprs quoi tant rest trs peu de temps, il pria Kommissaroff de laccompagner jusque chez lui.

    Kommissaroff se trouvait dans une situation trs gnante et ne com-prenait rien ce qui se passait. Pendant le trajet en auto Kvostoff deman-da Kommissaroff : Comprenez-vous quelque chose, gnral ? Et, ayant reu une rponse ngative, il ajouta : Nous savons maintenant quels rap-ports existent entre Pitirime et Raspoutine, car lorsque vous tes arrivs dans les appartements du mtropolite et que le laquais lui annona votre visite, cet homme qui navait, selon lui, rien de commun avec Raspoutine, ma dit : Permettez-moi de mabsenter pour quelques instants car je viens de recevoir la visite dun notable Gorgien, et maintenant nous savons quel Gorgien vient chez sa Saintet.

    Cet pisode fut connu lors de linterrogatoire du gnral Kommissaroff. De tous les hommes politiques, Kvostoff fut celui qui approcha Raspoutine de plus prs.

    En ce qui concerne les relations de Raspoutine avec Sturmer, qui ont fait tant de bruit, elles se bornrent en ralit de simples changes de politesses. Tenant compte de linfluence de Raspoutine, Sturmer faisait droit ses demandes concernant les diffrentes personnes quil avait placer. Il lui envoyait quelquefois du vin, des fruits, etc... Mais il ne fut rvl par lenqute aucun fait prouvant une influence de Raspoutine sur la direction de la politique trangre de Sturmer.

    Les relations de Raspoutine et du ministre de lIntrieur Protopopoff, que Raspoutine appelait, on ne sait pourquoi, Kalinine ne furent pas beaucoup plus intimes. Il convient de dire que Raspoutine avait beau-coup de sympathie pour Protopopoff, le dfendait de son mieux et le louait devant lEmpereur chaque fois que la situation de Protopopoff tait chancelante. Raspoutine procdait toujours cette dfense lorsque lEmpereur tait absent de Tsarskoe-Selo, sous forme de prdictions

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    lImpratrice ; ces prdictions revtaient la forme des oracles de la pythie. Il y parlait dabord dautres gens pour ensuite vanter la personnalit de Protopopoff comme dun homme dvou et fidle la famille impriale. Cette conduite de Raspoutine lgard de Protopopoff valut celui-ci la bienveillance de lImpratrice. A lexamen des papiers de Protopopoff, on trouva quelques lettres typiques de Raspoutine qui commenaient par mon cher mais o il ntait question que des intrts de personnes prives recommandes par Raspoutine.

    Dans les papiers de Protopopoff ou de tous autres personnages im-portants, on ne trouva aucun document indiquant une influence de Raspoutine sur la politique intrieure ou extrieure.

    Protopopoff se distinguait par une faiblesse extraordinaire de carac-tre, bien que, pendant toute sa longue carrire jusquau poste de mi-nistre, il ait t choisi comme reprsentant de diffrents groupes jusqu tre vice-prsident de la Douma.

    La presse priodique attribua Protopopoff la cruelle tentative dtouffement de lagitation populaire dans les premiers jours de la Rvolution. Cette tentative se manifesta, soi-disant, par le placement sur les toits des maisons de mitrailleuses pour tirer sur la foule des manifes-tants dsarms.

    Lors de lenqute pralable, lattention du prsident de la Commission, Mouravieff, fut tout particulirement attire sur ce fait, il en confia lexa-men un spcialiste, louvjik Kompanectz. Celui-ci tablit, aprs avoir interrog plusieurs centaines de personnes et aprs avoir vrifi la prove-nance des mitrailleuses trouves dans les rues de Ptrograd, que celles-ci appartenaient diverses units de larme et que pas une mitrailleuse de police ne se trouvait sur les toits des maisons, si ce nest un petit nombre places ds le dbut de la guerre sur des maisons trs hautes pour la d-fense contre avions.

    En rsum lon peut dire que, dans les jours critiques de fvrier 1917, Protopopoff montra un manque absolu dinitiative et une faiblesse que la loi dalors et traite de criminelle.

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    Dans la presse et dans le public, Ptrograd, lopinion crut naturelle-ment aux relations troites de Raspoutine avec les deux aventuriers po-litiques, le docteur Badmaeff et le prince Andronikoff qui, soi-disant, te-naient de lui leur influence en politique. Par lenqute la parfaite fausset de ces rumeurs apparut. On peut seulement dire que ces deux individus sefforcrent dtre de la suite de Raspoutine, en profitant des miettes qui tombaient de sa table et en essayant dexagrer, auprs de leurs clients, leur influence sur lui, influence quils navaient pas, afin de garder ainsi dans lopinion publique leur rputation usurpe dinfluence la Cour, par lintermdiaire de Raspoutine.

    De ces deux individus, le plus intressant, notre point de vue, fut le prince Andronikoff, parce que les relations, tant soit peu importantes, de Badmaeff avec les cercles dirigeants se rapportent au rgne de lempereur Alexandre III.

    Le caractre et la qualit des agissements du prince Andronikoff apparurent clairement lenqute, par la lecture de la grande quantit de documents recueillis par moi lors de la perquisition faite chez lui en mars 1917 ; cette perquisition moccupa deux jours entiers. Du logement dAn-dronikoff, jai amen dans le Palais dHiver, au bureau de la commission, sur deux autos, des archives considrables.

    Il faut rendre cette justice Andronikoff que ses papiers se trouvaient rangs dans un ordre impeccable. Toutes ses affaires taient classes dans des chemises par ministre et, par dpartement avec des en-ttes appro-pris, cousues, numrotes, et, tmoignaient de lintrt minutieux ap-port par lui leur bonne marche.

    En prenant connaissance de ces papiers, il fut prouv que le prince, pour un pot-de-vin assur, ne ddaignait de faire aucune dmarche. Cest ainsi que, simultanment, il sefforait de faire obtenir une pension une veuve de fonctionnaire ny ayant pas droit, et quil faisait passer par le ministre des Finances et celui de lAgriculture un projet, trs complexe, dune socit par actions dans laquelle, daprs le contrat, il jouait person-nellement un trs grand rle. Il sagissait, si je me rappelle bien, de travaux dirrigation des steppes de Mourgabe.

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    Le systme adopt par le prince Andronikoff, qui occupait un simple poste de fonctionnaire des missions spciales auprs du Saint-Synode, pour faire aboutir ses dmarches, tait des plus simple.

    Daprs son propre aveu, ayant eu connaissance de la nomination dune personne, qui lui tait dailleurs compltement inconnue, au poste de directeur du dpartement dans un ministre quelconque, il lui en-voyait une lettre de flicitations. Celle-ci commenait invariablement ainsi : Enfin le soleil brille sur la Russie et un poste lev et important est enfin confi Votre Excellence. Suivaient ensuite les pithtes les plus flatteuses qui dcoraient ce personnage de talents et de vertus, et mme parfois, le prince joignait une sainte image avec sa bndiction. La rcep-tion dune semblable missive obligeait naturellement le dit personnage, par dlicatesse et pour remercier, rpondre au prince et le rsultat tait la visite de ce dernier au dit fonctionnaire, dans son bureau, do premiers rapports tablis.

    Ces visites du prince, aux personnages administratifs, dun assez haut rang, persuadaient les employs qui servaient dans les bureaux des bonnes relations du prince avec leur chef. La consquence en tait que lon appor-tait une plus grande attention aux dossiers transmis par le prince dans ces dpartements.

    Le prince Andronikoff, dans son dsir de faire croire davantage son influence fictive la Cour, ne ddaignait aucun moyen et allait jusqu se familiariser avec les messagers de la Cour qui, en transmettant les pri-kazes du Tzar relatifs des grces, ne manquaient jamais de sarrter chez leur ami le prince. Celui-ci les gorgeait de vin et de mangeaille et, pen-dant ce temps, ouvrait les plis, et, ayant ainsi connu leur teneur relative quelque faveur inattendue, gardait le messager ivre dans sa salle manger, courait au tlphone fliciter le bnficiaire qui attendait ou nattendait pas cette haute distinction, lui faisait comprendre que la chose lui tait communique directement par la source suprme. Il crait ainsi chez le haut dignitaire, lorsquil apprenait plus tard sa nomination par le messa-ger, une conviction des liens troits qui existaient entre Andronikoff et la Cour.

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    Tout en flattant les hauts fonctionnaires de Ptrograd, le prince Andronikoff faisait ce quil pouvait pour contenter Raspoutine. Ainsi, il est tabli par les dires du domestique dAndronikoff, quil prtait son logement pour les rendez-vous secrets de Raspoutine avec Kvostoff et Biletzky, ainsi quavec lvque Barnab. En mme temps, dsirant se hausser au ton mystique de la Cour et faire natre une lgende favorable de ses sentiments religieux, il installa dans sa chambre coucher, derrire un paravent, un oratoire, y plaait un grand crucifix, un autel, une petite table avec un bnitier, un goupillon, une srie dimages saintes, des cand-labres, des ornements sacerdotaux, une couronne dpines quil enfermait dans le tiroir de la table-autel, etc...

    Il est remarquer, ainsi que je lai constat lors de la perquisition faite son domicile et comme cela a t confirm par les dpositions de ses domestiques, que dans cette mme chambre coucher, de lautre ct du paravent, sur son lit deux places le prince se livrait aux plus abjects.........avec des jeunes gens qui le gratifiaient de leurs faveurs dans lespoir de bnficier de sa protection.

    Ces derniers faits ont trouv leur confirmation dans une srie de lettres que jai saisies au cours de la perquisition. Ces lettres manaient de jeunes gens, sduits par le prince et qui se plaignaient de ce quil les avait tromps.

    Lors de linterrogatoire que je fis subir au prince Andronikoff, il sef-fora de garder le silence sur plusieurs choses, mais pris en flagrant dlit de mensonge, il me dit : Vous tes ma conscience ! Ayant fait serment de ne plus mentir par la suite, il fut bientt convaincu par moi de dnaturer nouveau la vrit. Il se tourna alors vers moi et me pria de lui dire mon prnom. Jagrai sa demande et il me dclara quil faisait cette ques-tion pour inscrire mon nom sur les tablettes de lEglise et prier pour moi comme pour un saint homme.

    Daprs linterrogatoire de personnes de la Cour, comme par exemple, la famille de Tanieff, Voeikoff, et dautres, ai su que le prince Andronikoff, non seulement ne jouissait daucun crdit auprs de la famille impriale, mais que celle-ci le traitait dune faon mprisante.

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    Le docteur en mdecine thibtaine Badmaeff tait en relations avec Raspoutine, mais ces relations se bornaient de menus services pour sa-tisfaire les rares demandes de Badmaeff qui, tant Bouriate, composait des brochures sur son pays et, pour cette raison, obtint de lempereur quelques audiences, mais sans aucun caractre intime. Bien que Badmaeff fut le mdecin du ministre Protopopoff, la famille impriale tait son gard assez sceptique. Raspoutine ntait pas un partisan des mthodes radicales thibtaines de Badmaeff et, daprs les interrogatoires des ser-viteurs de la famille impriale, il fut tabli que Badmaeff na jamais et t appel comme mdecin auprs des enfants de la famille impriale.

    Le Commandant du palais Voeikoff fut interrog par moi diffrentes reprises, la forteresse de Petropawlowsk o il tait intern. Daprs la correspondance saisie chez lui, lors de la perquisition, et compose prin-cipalement de lettres de sa femme, fille du ministre de la Cour, comte Fredericks, dates de 1914, 1915 et 1916, il ne jouissait pas dune autorit et dune influence spciales la Cour. II tait estim comme un homme dvou, du moins la famille impriale le comptait pour tel, quoique, aprs de nombreux entretiens avec lui, je naie point conserv cette impression.

    Les rapports de Voeikoff avec Raspoutine, daprs ces lettres, furent ngatifs. Dans quelques-unes dentre elles, Voeikoff lappelle le mauvais gnie de la famille impriale et de la Russie, trouvant que cet homme, par ses affinits avec la Cour, jetait un discrdit sur le Trne et donnait une base apparente aux suppositions malveillantes des partis anti-imp-rialistes. En mme temps, tenant compte de linfluence indiscutable de Raspoutine sur la famille impriale, il navait pas assez de courage pour refuser satisfaction aux demandes que Raspoutine lui adressait de pro-motions, subsides, etc. Les nombreuses annotations de Voeikoff sur les demandes adresses par Raspoutine le prouvent.

    En somme, Voeikoff me fit limpression dun arriviste, tenant sa place, et incapable dapprcier lattention et linclination vritables quavaient pour lui le Tzar et lImpratrice.

    Dans les lettres que sa femme lui adressait en 1915, elle le suppliait de quitter le service et, vu lagitation rvolutionnaire, elle avertissait son

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    mari qu la chute de lempire un sort terrible lui tait rserv. Toutes ces lettres de madame Voeikoff sont empreinte dune haine maladive envers Raspoutine quelle considrait comme la cause de catastrophes immi-nentes.

    Tout en partageant lopinion de sa femme lgard de Raspoutine, Voeikoff restait son poste. Il ne fit rien pour dmasquer Raspoutine et le montrer sous son vritable jour la famille impriale.

    Ayant beaucoup entendu parler de linfluence particulire de Mme Viroubova la Cour, de ses relations avec Raspoutine, tant im-prgn des insinuations rpandues par la presse sur cette femme et des bruits publics, je me trouvais trs mal dispos son gard lorsque jallai interroger Mme Viroubova dans la forteresse de Pierre et Paul. Ce senti-ment dhostilit ne ma pas quitt, mme dans la chancellerie de la forte-resse, jusquau moment o Mme Viroubova mapparut escorte de deux soldats. Mais, quand elle entra, je fus frapp par lexpression toute parti-culire de ses yeux ; ils exprimaient une douceur cleste.

    Cette premire impression favorable ne fit que se confirmer dans mes entretiens avec elle. Ds le premier et court entretien que nous emes ensemble, je fus persuad quelle ne pouvait avoir, tant donn sa menta-lit, aucune influence non seulement sur la politique extrieure, mais aus-si sur la politique intrieure du gouvernement. Sa faon toute fminine denvisager les vnements politiques dont nous parlmes, sa volubilit et son incapacit de garder le moindre secret, mme des faits qui pouvaient premire vue jeter du discrdit sur elle-mme, la rendaient incapable de toute influence. Dans ces conversations, je me suis rendu compte que demander Mme Viroubova de garder un secret, ctait ncessairement sortir sur la place publique et proclamer ce secret. Elle divulguait en effet, ce qui lui paraissait important,non seulement ses proches, mais mme des inconnus.

    Aprs mtre rendu compte de cet tat desprit particulier de Mme Viroubova, jai port mon attention sur deux points principaux :

    1 Les causes de son rapprochement moral avec Raspoutine ;2 Les causes de son intimit avec la famille impriale.

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    En voulant rsoudre la premire question et en causant avec ses pa-rents (le secrtaire dEtat S. Tanieff, chef de la chancellerie de Sa Majest, mari la comtesse Tolsto), je me suis arrt un pisode survenu dans la vie de leur fille et qui, daprs moi, a jou un rle fatal quant la subor-dination de sa volont linfluence de Raspoutine.

    Mme Viroubova, tant encore une fillette de 16 ans, fut atteinte dune fivre typhode trs aigu. Cette maladie dgnra bientt en pritonite et les mdecins dclarrent son tat sans espoir. Les Tanieff, grands admirateurs de larchiprtre Jean de Cronstadt, dont la rputation tait considrable dans toute la Russie, lui demandrent de dire des prires au chevet, de leur fille malade. Aprs ces prires, la malade eut une crise heu-reuse et se rtablit. Ce fait impressionna fortement lesprit de cette jeune fille trs religieuse et, partir de ce moment, ses sentiments religieux de-vinrent prdominants dans la solution de tous les problmes de la vie.

    Mme Viroubova fit la connaissance de Raspoutine dans les salons de la grande-duchesse Militza Nikolaievna et elle neut pas un caractre im-prvu. La grande-duchesse prpara, en effet, cette entrevue par des cau-series sur des thmes religieux, lui prtant en mme temps des livres de la littrature occultiste franaise.

    La grande duchesse invita alors Mme Viroubova, en l'avertissant quelle rencontrerait un grand intercesseur du peuple russe, dou dun don de divination et de la facult de gurir.

    Cette premire rencontre de Mme Viroubova, cette poque encore Mlle Tanieff, produisit sur elle une grande impression, dautant plus forte quelle pensait alors pouser le lieutenant de vaisseau Virouboff.

    A cette premire rencontre, Raspoutine parla beaucoup sur des thmes religieux, et ensuite, la question de son interlocutrice : lui don-nera-t-il sa bndiction pour son mariage ? , Il lui rpondit allgorique-ment, en objectant que le chemin de la vie tait sem non de roses mais dpines, quil tait trs pnible, que lhomme se perfectionne dans les preuves et les revers de la fortune .

    Ce mariage ne tarda pas tre des plus malheureux. Daprs les dires de Mme Tanieva, le mari de sa fille tait compltement impuissant et

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    de plus un perverti sexuel. Cette perversion se manifestait sous diverses formes de sadisme, de sorte quil causa sa femme dindescriptibles tor-tures morales et quelle prouvait, son gard, un profond dgot. Mme Viroubova, cependant, se souvenant des paroles de lEvangile : Que lhomme donc ne spare pas ce que Dieu a uni , cacha longtemps ses souf-frances morales et ce ne fut seulement que lorsquelle manqua de mourir, la suite dun excs sadique de son mari, quelle se rsolut rvler sa mre ce terrible drame de famille. Do divorce lgal.

    Par la suite, les explications de Mme Tanieva, en ce qui concernait la maladie de sa fille, trouvrent une confirmation complte. En mai 1917, la Haute Cour denqute ordonna un examen mdical dont le rsultat fut la constatation irrfragable que Mme Viroubova tait reste vierge.

    La consquence de ce mariage mal assorti fut lexaltation du sentiment religieux chez Mme Viroubova et sa transformation en manie religieuse. Les prdictions de Raspoutine, au sujet des ronces de la vie, lui apparais-saient comme une prophtie. Aussi devint-elle la plus sincre adepte de Raspoutine qui, jusquau dernier jour de sa vie, se prsenta elle comme un saint homme dsintress et faiseur de miracles.

    En ce qui concerne la seconde question mentionne plus haut : ayant expliqu la personnalit morale de Viroubova, ayant pris connaissance, au cours de lenqute, des conditions de vie de la famille impriale et de la personnalit morale de lImpratrice, je me suis appuy sur ce fait, ad-mis en psychologie, que les extrmes se touchent et en se compltant lun lautre se font un quilibre mutuel.

    Lesprit peu profond de Mme Viroubova et la faon de penser pure-ment philosophique de lImpratrice, constituaient deux extrmes qui se compltaient lun lautre.

    La vie brise de Mme Viroubova la fora rechercher une satisfaction morale au sein de la famille impriale qui menait une vie si idalement unie et calme. La nature sociable et nave de Mme Viroubova apportait ce dvouement sincre et cette affabilit douce venue du dehors qui ne se manifestait que rarement au foyer imprial, assez ferm, de la part de lentourage.

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    Ces deux femmes, totalement diffrentes, avaient le mme amour de la musique. Limpratrice avait un soprano agrable, Mme Viroubova un bon contralto et, dans leurs loisirs, elles chantaient souvent des duos.

    Voici les faits qui devaient faire natre, chez ceux qui ignoraient le motif secret des relations amicales entre limpratrice et Mme Viroubova, les bruits de linfluence exclusive de cette dernire sur la famille imp-riale. En fait, ainsi que nous lavons dit prcdemment, Mme Viroubova ne jouissait daucune influence la Cour. Et cela, parce que lintelligence et la volont de lImpratrice taient trop suprieures la faiblesse de ca-ractre et la simplicit desprit de Mme Viroubova. Celle-ci ne fut jamais quune dvoue et sincre dame dhonneur, devenue enfin une intime de la famille impriale. On peut dfinir les sentiments de lImpratrice lgard de Mme Viroubova comme ceux dune mre pour sa fille. Un autre lien qui les unissait tait le sentiment, religieux, dvelopp lexcs chez lune et lautre, qui les amena lidoltrie tragique de Raspoutine.

    En ce qui concerne les qualits morales de Mme Viroubova, au cours des longues conversations que nous emes ensemble, soit dans la forte-resse de Ptrograd o elle tait aux arrts, soit au Palais dHiver o elle venait sur mon ordre, mes suppositions se confirmrent pleinement en voyant sa misricorde tout fait chrtienne vis--vis de ceux dont elle avait tant souffrir dans les murs de la forteresse.

    Les outrages auxquels elle tait en butte de la part de la garde de la forteresse mont t rvls non par elle, mais par Mme Tanieva. Ce ne fut quaprs, que Mme Viroubova me confirma ce quavait dit sa mre. Elle le fit avec calme et sans colre, en disant : Ils ne sont pas coupables, car ils ne savent pas ce quils font.

    Ses gardiens lui crachaient la figure, la dpouillaient de ses vte-ments, flagellaient le corps de cette femme malade marchant avec des bquilles et la menaaient de mort comme lex-matresse du Tzar et de Raspoutine. Tous ces svices dont elle tait lobjet obligrent la commis-sion denqute mettre Mme Viroubova aux arrts lancienne direction de la gendarmerie en vue de lui pargner, lavenir, ces tortures auxquelles elle tait expose la forteresse.

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    Mme Viroubova apparat nos yeux comme loppos du prince Andronikoff. Toutes ses explications, pendant lenqute, ont toujours t confirmes et reconnues vraies. Le seul dfaut de ses dclarations tait lexagration de ses paroles, sa volubilit, et aussi de sauter dun sujet lautre sans sen rendre compte. Ce qui prouve, encore une fois, quelle tait incapable dtre une figure politique.

    Mme Viroubova intervenait pour tout le monde auprs de la famille impriale ; aussi ses demandes taient-elles accueillies avec circonspec-tion, car on exploitait sa candeur.

    La figure morale de lImpratrice Alexandra Fodorovna map-parut clairement dans sa correspondance avec le Tzar et Mme Viroubova. Cette correspondance, en franais et en anglais, tait empreinte dun grand amour pour son mari et ses enfants.

    LImpratrice soccupait personnellement de lducation et de lins-truction de ses enfants, lexception des branches tout fait spciales. Dans cette correspondance, lImpratrice mentionne que lon ne doit pas gter les enfants par des cadeaux, ni exciter chez eux la passion du luxe.

    La correspondance est, en mme temps, imprgne dun grand senti-ment, religieux, Souvent, dans ses lettres son mari lImpratrice dcrit les impressions quelle ressent, au cours des services religieux auxquels elle assiste et parle frquemment de lentire satisfaction et du repos mo-ral quelle gote aprs une ardente prire.

    Il est remarquer dans toute cette volumineuse correspondance il ny a presque pas dallusion la politique. Cette correspondance avait un ca-ractre intime et familial.

    Les passages de ces lettres dans lesquels on parle de Raspoutine, quon appelle le vieillard, clairent suffisamment les rapports de lImpratrice avec cet homme. Elle le considre comme un prdicateur, apportant, la parole de Dieu, comme un prophte priait sincrement pour la famille impriale.

    Dans toute cette correspondance, qui stend sur un espace de prs de dix annes, je nai trouv aucune lettre crite en allemand. Je sus dautre

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    part, en interrogeant les personnes admises la Cour, que, longtemps dj avant cette guerre, la langue allemande ne semployait pas.

    Relativement aux bruits qui ont couru au sujet de la sympathie exclu-sive pour les Allemands et de la prsence dans les appartements imp-riaux de la tlgraphie sans fil avec Berlin, jai moi-mme perquisitionn trs minutieusement dans les appartements de la famille impriale, et ny ai rien trouv de semblable pas plus quaucune trace de rapports avec les Allemands.

    Quant aux bruits concernant sa bienveillance exclusive lgard des blesss allemands, jai constat que laccueil fait par lImpratrice aux blesss allemands prisonniers ntait pas plus bienveillant que celui fait aux blesss russes. Au chevet des uns et des autres elle se souvenait sim-plement de la parole du Sauveur que visiter un malade, ctait visi-ter Dieu lui-mme .

    En raison des circonstances et de la maladie de cur de lImpratrice, la famille du Tzar menait une vie trs retire. Ceci devait ncessairement dvelopper chez lImpratrice le sentiment religieux et la vie intrieure. Cela finit par devenir chez elle prdominant. Sur ce terrain, limpratrice Alexandra Feodorovna introduisait les rgles monacales dans le service des glises de la Cour. Cest avec dlices, en dpit de son tat maladif, quelle restait debout pendant les longues heures que durait ces offices solennels.

    Cette inclination, toute religieuse, de lImpratrice, fut la cause unique de sa vnration pour Raspoutine qui, sans conteste, ainsi que nous lavons dit prcdemment, tait dou dune force magntique qui influen-a, en certains cas, ltat de sant de lhritier du trne, gravement malade.

    Dans tout cela, tant donn son mysticisme, lImpratrice considrait que la source de cette influence heureuse de Raspoutine sur la sant de lhritier du trne provenait uniquement, non dune source purement ex-trieure (magntisme), mais dune source cleste. Raspoutine tenait ces pouvoirs de sa saintet.

    Un an et demi avant les troubles de 1917, lancien et fameux moine Iliodore Troufanoff envoya sa femme, de Christiania Ptrograd, avec

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    mission de proposer la famille impriale de lui vendre un manuscrit dit plus tard sous le titre : Le Diable Saint . Il y dcrit les rapports de Raspoutine, avec la famille impriale, sous des couleurs scabreuses.

    Le rapport intressa le dpartement de la police qui, spontanment, entra en relation avec la femme dIliodore en vue dacqurir le manuscrit, dont il demandait, je crois bien, 60.000 roubles.

    Cette affaire fut soumise, finalement, lImpratrice. Alexandra Fodorovna. Elle repoussa avec ddain lignoble proposition dIliodore en disant : Le blanc ne deviendra pas noir et lhomme honnte ne peut tre noirci.

    Je trouve ncessaire, en finissant cette tude, de noter que lintroduc-tion de Raspoutine la Cour eut lieu grce la chaleureuse intervention des personnes suivantes : les grandes-duchesses Anastasie et Militza Nikolaievna, le confesseur de Leurs Majests, lvque Thophane et lvque Hermogne. Ceci explique pourquoi laccueil de Raspoutine par lImpratrice fut dabord confiant et comment, avec le temps, cette bien-veillance de lImpratrice saccrut en raison des faits que nous venons de raconter.

    Vladimir Michalovitch Roudnieff.Substitut au Procureur du Tribunal dArrondissement dEkaterinoslaff,

    dtach pour lenqute sur les abus commis par les ex-ministres,les chefs suprieurs et autres fonctionnaires,

    avec droit dinstruction.

    Ekaterinodar, 28 mars 1919.

    orlans. imp. h. tessier

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