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Moi, Yaël, 35 ans… Daniel Travers

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Moi

, Yaë

l, 35

ans

Moi, Yaël, 35 ans…

Daniel Travers

14.6 579199

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 178 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 14.46 ----------------------------------------------------------------------------

Moi, Yaël, 35 ans…

Daniel Travers

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Roman historique

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Merci à Madame LAETITIA RAMBAUD, professeur de lettres au collége GEORGES BRASSENS de PODENSAC 33, pour la photo de couverture.

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Chapitre I

Je m’appelle Yaël Klein, célibataire, j’ai trente-cinq ans et je porte l’étoile jaune. J’habite un petit appartement au-dessus de l’imprimerie dans laquelle je travaille comme typographe, rue des Filles-du-Calvaire à Paris. Il y a quelques jours, la police en uniforme, accompagnée de deux officiers de la Gestapo, est venue me chercher sur mon lieu de travail. J’ai eu un peu de temps pour remplir ma vieille valise de quelques affaires et ils m’ont emmené, mon patron a levé le poing en insultant les flics. L’un des Allemands, vêtu de son imper en cuir noir et d’un chapeau en feutre, lui a donné une paire de claques. « Verboten, interdit, ou sinon Kaput ! » Le pauvre Monsieur Maurice s’est retrouvé par terre au milieu des tables et des établis.

Sans ménagement, les policiers m’ont jeté dans un camion rempli d’hommes comme moi, des jeunes, des vieux, ainsi que des femmes et des enfants : tous avec l’étoile jaune. Deux gardiens en uniforme, avec

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leur fusil, gardaient ce petit monde. Je me suis retrouvé au vélodrome d’hiver avec des milliers de gens. Le « vel-d’hiv », plus connu pour ses courses de vélo et l’accueil de ses vainqueurs couverts de fleurs.

Qu’est-ce que je fais ici ? Ne rien faire de la journée dans une chaleur suffocante, se battre pour un bout de pain ou pour un peu d’eau. Un commandant des pompiers est passé malgré l’interdiction des policiers et nous a aspergés d’eau avec les lances incendie. Il y a un médecin pour tous, il est débordé et examine en priorité les femmes enceintes et les cas graves. Souvent le brancard, recouvert d’une couverture, emmène un corps sans vie. La Croix-Rouge fait son possible pour « nourrir » les gens. Nourrir les gens, nous sommes plus de dix mille, ils nous lancent du pain comme on lance des cacahuètes aux singes du zoo de Vincennes.

Les gamins jouent sur la piste de vélo sans se soucier de tous ces problèmes, ils ont de la chance… Je joue avec eux au ballon ou bien je fais la marionnette avec une poupée et un lapin en chiffon, j’invente des histoires de voleurs et de gendarmes : le voleur gagne toujours à la fin… Ils éclatent de rire, ça met un peu joie dans cette ambiance lugubre. Ils savent venir me chercher : « Yaël, raconte-nous le gendarme bossu qui ne peut pas attraper le voleur ! » Je me prends au jeu et j’en rajoute toujours un peu : Il existait, il y a longtemps, un gendarme avec une grosse moustache qui courrait derrière un voleur de

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poule, mais ? La poule était un coq, un coq qui cherchait ses poussins… Et le gendarme, bossu et sans lunettes, ne voyait rien… Les gosses rigolent, je détourne leur attention quand sort un brancard… Et le gendarme, eh bien… Le gendarme, il s’emmêle les jambes dans un piège à renard, un renard qui était amoureux d’une poule et qui…

Les pompiers, accompagnés de policiers armés, sont passés nous donner de l’eau. Un pompier pleurait : un gamin de vingt ans. Il a pris une petite fille dans ses bras et lui a mis son casque sur la tête, la gosse ne voyait plus rien. « Dépêche-toi, on ne traîne pas ici… ». J’ai honte, honte pour la race humaine… Je récupère la gamine dans mes bras.

Impossible de sortir, les sorties sont gardées par des policiers et ils tirent à vue, ils en ont tiré quelques-uns comme des ballons de foire. Je ne comprends pas, je ne comprends plus…

Je reste seul et essaye de ne pas me faire d’amis, à part les enfants qui me le rendent bien avec leurs sourires et leurs yeux pétillants quand je raconte des histoires de gendarmes et de voleurs. Je suis dans un état lamentable, ma chemise me colle à la peau, mon pantalon tient debout tout seul. Pour les toilettes, c’est un calvaire : j’urine dans un coin de mur et, pour le reste, les excréments s’accumulent dans un ancien bureau à ciel ouvert. Le ronronnement continuel est insupportable. La nuit, je ne dors pas plus de deux heures d’affilée, entouré de cris d’enfants et des

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cauchemars de certains. Je raconte encore des histoires de gendarmes et de voleurs en berçant les gamins. Les policiers sont impitoyables, dire qu’ils sont Français… Ils n’hésitent pas à régler les petits problèmes à coup de matraque pour séparer les plus forts des plus faibles, je ne rentre pas dans ce jeu, je laisse faire. Les travées du « vel-d’hiv » sont faites pour accueillir des spectateurs, pas des centaines de gens pour dormir ou pour tout simplement survivre, je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas de rébellion. Vu le nombre que nous sommes, les policiers n’auraient aucune chance. Personnellement, j’en prendrai un et je lui ferai appeler sa mère… Un grand avec une tête d’abruti !

Les rabbins font leur possible pour réconforter les gens, ils ne savent que réciter des prières et encore des prières. Ils récitent des passages de la Torah en balançant la tête, il ne manquerait plus qu’ils fassent une circoncision…

Le moindre bout de chocolat ou de sucre s’achète à prix d’or : les bandes de salauds, certains profitent de tout. Cinquante francs un morceau de sucre, j’ai cru que j’allais le frapper. Avec mon mètre quatre-vingt et la largeur de ma main, je l’assommais sans un souci. Pauvre idiot, fasse que la foudre te transperce et que ton corps pourrisse au soleil. Je sais, je deviens méchant… Je pense à ma vie et à la suite, j’ai un mauvais pressentiment… Un sale pressentiment, qu’est-ce que je vais devenir, et les gamins ? Je pense

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aux gamins et aux bébés, aux pauvres gosses insouciants. Je fabrique des poupées de chiffons, des lapins avec des morceaux de couvertures, je dessine les yeux avec mon crayon d’imprimerie : il me rattache avec la vraie vie, avec l’extérieur. Je passe mes doigts dans les oreilles et je raconte une histoire, une histoire de lapin, une histoire qui finit toujours bien, où le lapin échappe aux chasseurs.

Je parcours les allées du vel-d’hiv à la recherche d’un copain ou de quelqu’un de connu, mais je ne croise personne : pas un ami, pas un collègue, que des femmes et des enfants, réclamant à manger ou à boire. Une gosse avait perdu sa poupée, on l’a retrouvée coincée sous un siège. Il faut lui donner un nom ? « Elle s’appelle Catherine, comme la Catherine des contes de fées ». Dans les contes de fées, toutes les fées s’appellent Catherine…

Les lapins échappent toujours aux policiers, mais pas nous. Les bus parisiens nous emmènent à travers la capitale. Enfin, respirer autre chose que l’air pourri. J’ai glissé ma valise entre mes jambes. « Vous partez pour des camps de travail, nous avons besoin de vous pour continuer la lutte contre les communistes ». Je ne vois pas le rapport : des femmes et des enfants luttant contre le communisme ? Le policier a l’air d’un idiot alcoolique, son bâton blanc pendant le long de sa jambe, il nous regarde en tenant le dos d’un siège. Il y a une file de bus interminable. Je suis resté cinq jours dans le « vel-d’hiv », sans rien manger et sans rien

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boire : juste un point d’eau pour des milliers de personnes. Je me suis battu pour un quignon de pain avec un jeune juif ; après une paire de gifles, il est parti en pleurant, me maudissant moi et ma famille pour des siècles et des siècles. J’ai horriblement faim et soif, ce mois de juillet 1942 ressemble à un cauchemar. Les bus déambulent dans les rues parisiennes désertes, je reconnais les bâtisses sombres des quartiers populaires. Mes deux voisins de derrière discutent entre eux, visiblement l’un d’eux travaillait avec le médecin. Il y a eu beaucoup de morts, presque tous les nouveau-nés. Beaucoup de gens se sont suicidés, ceux qui ont tenté de s’enfuir ont été abattus par la police sans sommation. Des Français qui tirent sur des Français : je crois rêver. Des Français qui tirent sur des Juifs, car nous ne sommes pas Français, nous sommes Juifs. Je suis le Juif errant, l’homme éternel, lui seul restera et sauvera l’humanité…

Je serre ma valise entre mes jambes un peu plus fortement. Dans mes poches, j’ai encore un bout de pain et deux bonbons au caramel. J’hésite à sortir un bonbon, de peur de déclencher la fureur de mes voisins. Dix francs le bonbon, à prendre ou à laisser. J’ai quelques cigarettes : un luxe ! Je ne parle à personne et je n’ai croisé aucune connaissance. Je me sens sale, souillé… Il faut que je me reprenne… Il n’y a pas de soldats allemands dans le bus, ce ne sont que des policiers en uniforme, matraque à la main et l’air de faire un travail comme dans une usine.

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Enfin, nous sommes arrivés à la gare d’Austerlitz, il y a des Allemands tous les deux mètres, armés et avec les chiens. Ils séparent les familles sans ménagements : ce ne sont que cris, hurlements, pleurs. J’aide une vieille femme qui manque de tomber. Un soldat m’assène un coup de crosse de fusil dans le bras, je chancelle en tenant ma valise fortement, il me pousse vers les autres hommes. Certains pleurent en agitant les bras vers leurs parents, leurs femmes ou leurs enfants. Sans ménagement, les soldats nous poussent plus loin : les chiens aboient, un officier a dégainé son pistolet et tire un coup de feu en l’air. Un vieil homme court pour rejoindre sa femme, il l’abat d’une balle dans la tête. J’ai compris… Je dois courber le dos… Le pauvre homme reste là, couché dans une mare de sang. Le reste n’est que hurlements, ordres en allemand, coups de crosse de fusil…

Sans ménagement, ils nous poussent devant un wagon à bestiaux. Sur la porte, à la craie, est marqué « Pithiviers ». Je connais ce village dans le Loiret. Les plus jeunes aident les vieux à monter. Je pose ma valise et donne la main en jetant un coup d’œil circulaire, il en est de même partout, nous sommes des milliers… Il y a une bonne sœur dans sa robe bleu foncé et sa cornette, qui porte les enfants et les aide à monter dans un wagon. Une croix en bois pend le long de sa jambe, que fait-elle là ? Et toujours les ordres en allemand et l’aboiement des chiens. Je

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prends ma valise et monte le dernier. Il ne reste, sur le quai, que les soldats et le pauvre vieux mort. La porte se ferme dans un grincement sinistre et le bruit du battant de la serrure. Nous partons pour l’enfer… Nous partons pour ne pas revenir… Je vais me réveiller devant ma machine d’imprimerie ou dans le café de Jules qui sert une andouillette de Troyes, la meilleure de Paris. J’ai gagné à la manille, je ne payerai pas la prochaine tournée…

Non ! Tous frappent contre les portes des wagons pour sortir, c’est un bruit sourd, un bruit continuel !

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Chapitre II

J’ai perdu la partie… Le train roule, nous sommes au moins quatre-

vingt dans le wagon, debout et ballottés. Certains gémissent, d’autres pleurent. Je ne peux même pas m’asseoir sans gêner mes voisins, si l’un s’assoit, les autres restent debout en se serrant. Il s’installe entre nous un tour de rôle : l’un debout, l’autre assis. Deux seaux remplis d’eau ont été vidés en quelques minutes, la tasse en fer-blanc a circulé de main en main. « Pas plus de la moitié de la tasse ! » Un homme d’une quarantaine d’années s’est imposé comme un chef. Impassibles, nous l’écoutons. Pour ma part, il ne me donnera pas d’ordre… Il fait une chaleur suffocante, le soleil tape fort sur le toit en ferraille du wagon. Le train s’arrête de longues minutes, puis repart, je ne pense à rien. L’odeur est pestilentielle, certains se sont soulagés au fond du wagon, j’ai uriné dans mon pantalon.

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Cela fait des heures que nous roulons. D’après mes souvenirs, Pithiviers n’est pas très loin de Paris. Pendant les arrêts, nous entendons des ordres en allemand. La porte s’ouvre, nous sommes en pleine campagne. D’un geste agressif, les soldats nous font descendre, je respire à pleins poumons sous le soleil de juillet. Je m’assieds dans l’herbe, il y a des gardiens partout. Un soldat distribue de l’eau : c’est la curée ! J’attrape une tasse dans la bousculade, les hommes sont repoussés à coup de crosse. Un homme en profite pour s’enfuir à travers champs : les gardiens lâchent les chiens, c’est l’hallali, pire qu’une chasse à courre, il ne fait pas cent mètres. Les Allemands s’acharnent sur lui et le tuent à coups de crosse de fusil, un officier l’achève d’une balle, je tourne la tète en pleurant. Les ordres fusent, nous remontons dans les wagons sous les coups. Il faut que je reste moi, même si je courbe l’échine. Je jette un dernier coup d’œil sur le mort, son corps va pourrir là un moment…

Le voyage reprend : ballottés, bousculés… J’essaye de me hisser pour voir dehors par la petite lucarne du wagon. Je m’abîme la main avec les barbelés, je pisse le sang. « Garde la main dans ta poche, si un gardien te voit, tu risques la mort ». Merci, je m’en doute…

Il me faut sortir, il me faut sortir… Je ne peux plus respirer, ma poitrine se comprime, ma vue se trouble, mes jambes tremblent : je vais mourir, j’en

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suis sûr, je vais mourir dans ce wagon à bestiaux comme un chien malade…

Le train s’est arrêté, nous descendons. Enfin, je respire un air frais, une pluie fine tombe : un nuage de printemps de passage. Je garde ma main dans la poche, j’ai entouré la plaie avec mon mouchoir, de l’autre je tiens ma valise. La nuit commence à tomber et nous marchons, entourés de soldats, je baisse la tête, je regarde ma montre, elle est cassée : 8 heures 19, pourquoi 8 heures 19 ? Pourquoi pas 5 heures 47 ? Nous sommes des centaines à marcher dans la nuit noire : combien de temps ? Je sens la fatigue me prendre. Yaël, il faut que tu restes debout. C’est la pleine lune, on y voit comme en plein jour. Un homme tombe d’épuisement, un coup de fusil retentit, la nuit porte l’écho. Un chien aboie, un soldat hurle des ordres, un autre coup de feu claque…

Enfin le camp ! Des barbelés, des miradors, des gardiens armés et des chiens, encore des chiens. Je ne sais plus où je suis, j’avance comme un fantôme, ma main me fait mal. Ils nous trient comme des bêtes, j’atterris dans une baraque en bois. Des paillasses empilées les unes sur les autres, un vieux poêle au milieu de la pièce, une simple ampoule comme lumière. Le garde hurle les ordres, je ne comprends rien, je jette ma valise sur la première paillasse. La porte se referme. Sur une petite table trône une marmite, une louche et quelques écuelles, personne ne pense à manger. Je me risque… La marmite

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contient une espèce de soupe où flottent quelques légumes et du pain noir, je tombe de sommeil mais je me sers une louche. Infecte… Je suis rejoint par d’autres. « Un peu chacun, il ne va pas y en avoir pour tous ». Nous sommes une bonne quarantaine dans la baraque. Un tuyau sort du mur avec un robinet ou coule un filet d’eau. « Mangeons et dormons, demain nous apportera d’autres soucis ». Le « chef » a parlé, il ne me marchera pas sur les pieds, pas moi. Je m’appelle Yaël, je n’ai rien à faire ici. Maintenant je vais dormir… A, B, c, d, e, F. Un typographe écrit toujours à l’envers… Un renard amoureux d’une poule : eluop enu’d xueruoma draner nU… Je m’endors dans mes lettres…

Le rayon du soleil me réveille, je n’ai pas dormi comme ça depuis des jours. Un Allemand armé d’une mitraillette pousse la porte et hurle des ordres. Je ne comprends rien mais il faut sortir de la baraque. Il me bouscule fermement en passant. « Schnell ! Dehors ! Vite ! En rang ! » À coups de pied, il nous aligne. Un officier, dans un uniforme impeccable, casquette plate et bottes cirées, nous attend. « C’est votre premier jour, mais vous allez prendre l’habitude ». Mains dans le dos, il nous toise d’un air fier, Il parle un français sans accent. Nous sommes des centaines, alignés, chancelants, sales, en guenilles… « Je vais vous expliquer le règlement du camp ». Il marche de long en large, s’arrête, pointe son doigt vers un prisonnier. « Toi, viens par ici ». L’homme sort des rangs. Un

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petit vieux, les cheveux hirsutes, les lunettes sur le bord du nez, l’air hagard, effrayé… « Cours jusqu’à la maison là-bas ». Il pointe son doigt vers une bâtisse en brique aux tuiles en ardoise. « Vite, et reviens vite ! Schnell ! » Le petit homme se met à courir maladroitement, l’officier attend son retour. « Mets-toi à genoux, tu n’as pas été assez vite ». Il dégaine son arme et lui loge une balle dans la tête. « Voila le règlement du camp. Vous serez maintenant uniquement gardés par vos frères français, mais à la moindre rébellion, nous ne sommes pas loin. Regagnez vos baraquements. Schnell ! »

J’entre dans la baraque et je me passe un peu d’eau sur le visage, je vomis de la bile, j’ai un mal à l’estomac terrible. Je change mon pantalon et mon caleçon qui sentent l’urine. Beaucoup font comme moi, se mettre nu devant les autres ne me gène pas. Je revois le corps de ce pauvre homme allongé par terre : il va falloir que je tienne le choc… Je lave sommairement mes affaires, il fait déjà une chaleur étouffante. Nos lits sont des châlits à étages, recouverts d’une paille sale et d’un oreiller couvert de poux et de puces. Je regarde ma main blessée, elle ne saigne plus mais j’ai un peu de mal à remuer le pouce, je la rebande avec un mouchoir propre, enfin propre, un peu moins sale que l’autre. J’occupe le lit du bas : je comprendrai plus tard qu’il faut occuper le lit du haut et ainsi éviter les écoulements d’urine et d’excréments liquides pendant les nuits, rejetés par les prisonniers

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malades qui couchent au dessus. Un policier français entre : « Prenez vos papiers et rejoignez le bâtiment administratif au fond du camp, il faut vous recenser, dépêchez-vous, je n’ai pas que ça à faire ». Instinctivement je cache ma main blessée, je récupère mon portefeuille et bois plusieurs gorgées d’eau dans une tasse en fer-blanc sale. Pour aller aux toilettes, c’est un enfer : une planche avec un trou dans un coin de la baraque, le tout bourdonnant de grosses mouches vertes. J’ai l’impression d’être dans un cauchemar mais l’odeur de la baraque me ramène à la réalité. Je fouille dans la poche de mon veston, il me reste un paquet de cigarettes à moitié plein, ou à moitié vide : c’est selon. Mon voisin me tape sur l’épaule, nous nous partageons une cigarette tous les deux. « Je m’appelle Salomon, je ne dirais rien aux autres pour la cigarette, sinon ça va être la bagarre ». Yaël, je suis l’homme qui sauvera l’humanité, en attendant le miracle, fume !

Je partage mon dernier bonbon au caramel et casse mon dernier morceau de sucre en deux, dire que j’ai payé cela un prix fou, avec l’argent j’aurais mangé pendant trois jours chez l’épicier du coin de l’imprimerie.

Je mets mon chapeau, le soleil tape fort et il y a une file interminable devant la bâtisse. Le corps du vieux est resté allongé devant les baraquements. Je me rends compte qu’ils séparent les enfants de leurs mères, ce ne sont que cris et hurlements. La bonne