révision pour échec d’une prothèse totale de coude

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LES PROTHÈSES TOTALES DE COUDE 2S87 Révision pour échec d’une prothèse totale de coude 1 B.-F. MORREY * Il existe un large spectre d’évènements cliniques patholo- giques rencontrés lors de l’échec d’une prothèse totale de coude [Morrey et Bryan (1)]. Plusieurs caractéristiques spé- cifiques de la présentation clinique sont considérées, puis la stratégie est définie : — association à une fracture péri-prothétique ; — extension de l’ostéolyse ou de l’ostéoporose ; — raideur, sclérose cicatricielle ; — évidence d’un sepsis et état du nerf ulnaire. ÉVALUATION Avant tout geste de révision chirurgicale, il est indispen- sable d’éliminer une infection, notamment devant un échec « précoce » inexpliqué. En cas de suspicion d’infection, la vitesse de sédimentation et la protéine C-réactive sont habi- tuellement demandées associées à la ponction de l’articula- tion. La qualité osseuse est évaluée sur le bilan radiographique standard, et la stratégie chirurgicale est pla- nifiée. L’intervention chirurgicale n’est pas proposée devant des liserés radiovisibles asymptomatiques, et seule une sur- veillance régulière est préconisée. RÉVISION DE L’IMPLANT Les options de reprises chirurgicales vont dépendre de la qualité osseuse et de la présence d’une fracture péri-prothè- tique [O’Driscoll et Morrey (2)] : métaphysaire (type I), autour de la tige (type II), proximale ou distale par rapport à la tige (type III) (fig. 1). Options de réimplantation Une réimplantation est possible dans 6 circonstances : — réinsertion dans un manteau intact de ciment ; — dans l’os natif du patient ; réimplantation dans l’os du patient augmenté de gref- fons spongieux impactés ; — dans l’os du patient armé par des greffons corticaux en étai ; — dans une allogreffe « composite » ; — en utilisant un implant sur-mesure. PLANIFICATION PRÉOPÉRATOIRE, TECHNIQUE CHIRURGICALE, ET SÉLECTION DE L’IMPLANT La considération la plus importante est de savoir si l’on va pouvoir obtenir une fixation adéquate avec un autre implant à tige en fonction de la qualité du manteau de ciment. Pour les révisions humérales, nous utilisons l’implant Coonrad-Morrey avec une tige de 15 ou 20 cm de long. Pour l’ulna, des implants à tige allongée sont éga- lement disponibles. Les implants huméraux et ulnaires sont de plus interchangeables. Des implants sur mesure sont rarement nécessaires. Les étapes techniques lors d’une révision doivent prendre en charge le triceps, identi- fier et protéger les nerfs, et respecter l’intégrité du capital osseux. En proximal, le nerf radial est systématiquement identifié au moins à la palpation. Le nerf ulnaire est exposé de manière extensive, en sous-cutané, aussi distal que nécessaire pour obtenir une exposition adéquate et pour éviter de léser la corticale ulnaire. La fermeture est soi- gneusement effectuée, avec un soin particulier pour la réinsertion du triceps sur l’olécrane. Le coude est main- tenu en extension à l’aide d’une attelle plâtrée antérieure pour éviter toute tension ou compression sur l’incision chi- rurgicale. Résultats prévisibles Notre expérience initiale, portant sur 42 patients ayant bénéficié d’une révision chirurgicale, a démontré que 38 (90 %) patients présentaient un résultat satisfaisant avec un recul moyen de 5 ans (extrêmes : 2 et 11 ans) [King et al. (3)]. * Department of Orthopedics, Mayo Clinic, 200 First St., S.W., Rochester MN 55905, États-Unis. 1 Traduit en français par Pierre Mansat. FIG. 1. – Classification des fractures du coude péri-prothétiques selon la Mayo Clinic. Type I : métaphysaire. Type II : autour de la tige. Type III : au-delà de la tige (avec la permission de la Fondation Mayo).

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Page 1: Révision pour échec d’une prothèse totale de coude

LES PROTHÈSES TOTALES DE COUDE 2S87

Révision pour échec d’une prothèse totale de coude1

B.-F. MORREY *

Il existe un large spectre d’évènements cliniques patholo-giques rencontrés lors de l’échec d’une prothèse totale decoude [Morrey et Bryan (1)]. Plusieurs caractéristiques spé-cifiques de la présentation clinique sont considérées, puis lastratégie est définie :

— association à une fracture péri-prothétique ;— extension de l’ostéolyse ou de l’ostéoporose ;— raideur, sclérose cicatricielle ;— évidence d’un sepsis et état du nerf ulnaire.

ÉVALUATION

Avant tout geste de révision chirurgicale, il est indispen-sable d’éliminer une infection, notamment devant un échec« précoce » inexpliqué. En cas de suspicion d’infection, lavitesse de sédimentation et la protéine C-réactive sont habi-tuellement demandées associées à la ponction de l’articula-tion. La qualité osseuse est évaluée sur le bilanradiographique standard, et la stratégie chirurgicale est pla-nifiée. L’intervention chirurgicale n’est pas proposée devantdes liserés radiovisibles asymptomatiques, et seule une sur-veillance régulière est préconisée.

RÉVISION DE L’IMPLANT

Les options de reprises chirurgicales vont dépendre de laqualité osseuse et de la présence d’une fracture péri-prothè-tique [O’Driscoll et Morrey (2)] : métaphysaire (type I),autour de la tige (type II), proximale ou distale par rapport àla tige (type III) (fig. 1).

Options de réimplantation

Une réimplantation est possible dans 6 circonstances :— réinsertion dans un manteau intact de ciment ;— dans l’os natif du patient ;— réimplantation dans l’os du patient augmenté de gref-

fons spongieux impactés ;— dans l’os du patient armé par des greffons corticaux

en étai ;— dans une allogreffe « composite » ;— en utilisant un implant sur-mesure.

PLANIFICATION PRÉOPÉRATOIRE, TECHNIQUE CHIRURGICALE, ET SÉLECTION DE L’IMPLANT

La considération la plus importante est de savoir si l’onva pouvoir obtenir une fixation adéquate avec un autre

implant à tige en fonction de la qualité du manteau deciment. Pour les révisions humérales, nous utilisonsl’implant Coonrad-Morrey avec une tige de 15 ou 20 cmde long. Pour l’ulna, des implants à tige allongée sont éga-lement disponibles. Les implants huméraux et ulnairessont de plus interchangeables. Des implants sur mesuresont rarement nécessaires. Les étapes techniques lorsd’une révision doivent prendre en charge le triceps, identi-fier et protéger les nerfs, et respecter l’intégrité du capitalosseux. En proximal, le nerf radial est systématiquementidentifié au moins à la palpation. Le nerf ulnaire est exposéde manière extensive, en sous-cutané, aussi distal quenécessaire pour obtenir une exposition adéquate et pouréviter de léser la corticale ulnaire. La fermeture est soi-gneusement effectuée, avec un soin particulier pour laréinsertion du triceps sur l’olécrane. Le coude est main-tenu en extension à l’aide d’une attelle plâtrée antérieurepour éviter toute tension ou compression sur l’incision chi-rurgicale.

Résultats prévisibles

Notre expérience initiale, portant sur 42 patients ayantbénéficié d’une révision chirurgicale, a démontré que 38(90 %) patients présentaient un résultat satisfaisant avecun recul moyen de 5 ans (extrêmes : 2 et 11 ans) [Kinget al. (3)].

* Department of Orthopedics, Mayo Clinic, 200 First St., S.W., RochesterMN 55905, États-Unis.

1Traduit en français par Pierre Mansat.

FIG. 1. – Classification des fractures du coude péri-prothétiquesselon la Mayo Clinic. Type I : métaphysaire. Type II : autourde la tige. Type III : au-delà de la tige (avec la permission dela Fondation Mayo).

Page 2: Révision pour échec d’une prothèse totale de coude

2S88 SYMPOSIUM – SO.F.C.O.T. 2004

OPTIONS SPÉCIFIQUES DE RÉVISION

Insertion dans le manteau de ciment préservé

Dans la mesure où l’interface ciment-os est intacte, leciment peut être préservé et un nouvel implant peut êtrecimenté dans le ciment (PMMA) existant. Ce cas de figureest celui le plus souvent rencontré en cas de fracture del’implant (fig. 2). Une fraise avec une tête de 2 mm et unetige allongée permet d’enlever le ciment autour del’implant. Une fraise plus large, avec une tête de 3 à 4 mmpermet ensuite d’élargir le manteau de ciment. Les défectscorticaux sont greffés avec des autogreffes ou des allogref-fes osseuses pour éviter une extrusion de ciment, et pourdiminuer les risques de fractures de stress.

Options utilisant une augmentation osseuse

Si l’échec de la prothèse s’associe à une résorptionosseuse, une ostéolyse, ou une fracture péri-prothétique,l’utilisation de greffons spongieux impactés ou de greffonscorticaux en étai est indiquée.

Greffons spongieux impactés

Indication : corticale osseuse amincie inadéquate pourobtenir une interface os-ciment homogène et résistante.Nous essayons cependant d’obtenir une fixation de 2 à 3 cm

de la tige prothétique dans l’os sain, en plus de la greffeosseuse.

Technique : un tube rigide est placé au niveau de la zoned’os cortical déficient. Les greffons osseux spongieux sontensuite impactés tout autour du tube, puis le ciment estinjecté dans le canal part l’intermédiaire d’une seringuedont le tube d’injection est inséré dans le tube rigide. Les2 tubes sont ensuite retirés simultanément au fur et àmesure que le ciment est injecté dans la région greffée.L’implant est ensuite inséré. Cette technique peut être utili-sée à la fois pour l’humérus et pour l’ulna.

Résultats : douze patients opérés suivant cette techniqueentre 1993 et 1997 ont été revus et les résultats ont été éva-lués [Loebenberg et al. (4)]. Tous les patients ont été suivisavec un recul moyen de 72 mois (extrêmes : 25 et113 mois). Lors de la première revue, 8 des coudes étaientintacts après l’intervention d’impaction de greffons spon-gieux (fig. 3). Deux coudes ont été repris pour descelle-ment, un troisième pour fracture du composant ulnaire, etun quatrième pour infection pour lequel une résection-arthroplastie a été effectuée. Au dernier recul, 9 des12 coudes (72 %) étaient jugés satisfaisants.

Greffons corticaux en étai

Cette technique est particulièrement indiquée pour lesfractures péri-prothétiques de type II et III ainsi que pourles pertes de capital osseux au niveau de l’humérus distalou de l’ulna proximal. L’indication la plus efficace auniveau de l’humérus est lorsque le greffon situé en avantponte la zone d’ostéolyse, et se stabilise en arrière del’aileron antérieur de la prothèse humérale. Un greffonpostérieur est utilisé pour améliorer la stabilité et pour pré-venir une fracture osseuse par le cerclage métallique appli-qué directement sur l’os fragilisé du patient (fig. 4). Ledessin de la prothèse Coonrad-Morrey permet la restaura-tion de l’axe de rotation malgré l’absence de l’humérusdistal. L’utilisation d’un implant possédant un aileron anté-rieur allongé, d’un greffon cortical en étai positionné enavant, et en acceptant un raccourcissement de l’humérus de2 cm, permet de traiter par cette technique des défects del’humérus distal jusqu’à 8 cm.

Résultats

Reconstruction humérale : entre 1991 et 1999,11 fractures humérales péri-prothétiques ont été traitéessuivant cette technique [Sanchez-Sotelo et al. (5)]. Sixfractures étaient survenues après une première prothèsede coude et 5 après une révision prothétique. Le nombremoyen d’intervention avant la survenue de la fractureétait de 2,4 (de 1 à 5). Avec un recul moyen de 2,7 ansaprès la chirurgie de reconstruction par greffons corti-caux en étai, une consolidation clinique et radiographi-que a été obtenue chez 10 patients (fig. 5). Un patient anécessité une reprise chirurgicale pour descellementaseptique de l’implant huméral 7 ans après la consolida-

FIG. 2. – Une fracture de l’implant ulnaire se voit typiquementdans les cas où l’interface os/ciment est intacte (a). Cecipermet une réinsertion d’un nouvel implant dans le mêmemanteau de ciment (b).

ab

Page 3: Révision pour échec d’une prothèse totale de coude

LES PROTHÈSES TOTALES DE COUDE 2S89

FIG. 3. – Ostéolyse étendue (a) traitée de manière efficace parune impaction de greffons spongieux avec un résultat à 6 ansde recul (b).

ab

ab

FIG. 4. – Greffons corticaux antérieur et postérieur en étaipermettant de traiter les descellements avec perte du capitalosseux ou les fractures péri-prothétiques.

FIG. 5. – Patient présentant une fracture sur une prothèse Coonrad-Morrey avec un défect osseux important au niveau de l’humérus (a).A 2 ans, les greffons corticaux sont incorporés avec un résultatclinique et radiographique satisfaisant (b).

Page 4: Révision pour échec d’une prothèse totale de coude

2S90 SYMPOSIUM – SO.F.C.O.T. 2004

tion de la fracture. Il n’y a pas eu d’autre échec au niveaudes implants.

Reconstruction de l’ulna : vingt et un patient avec undéfect osseux sur l’ulna ont également été traités parcette technique [Kamineni et Morrey (6)]. Une moyennede 2,5 interventions (de 1 à 4) par patient avait été effec-tuée avant la dernière révision. Avec un recul moyen de4 ans (de 2 à 11 ans), le score moyen de la Mayo Clinicpour le coude passait de 34 à 79 points. Une complica-tion est survenue dans 8 cas, dont 4 problèmes intéres-sant les parties molles, et 4 intéressant la structureosseuse. Une consolidation du greffon était visible21 fois sur 22. Vingt des 22 patients (91 %) présentaientun résultat satisfaisant.

Prothèse manchonnée dans une allogreffe

Les problèmes liés à la consolidation des allogreffes avecl’os hôte ont limité leur utilisation. Cependant, des résultatssatisfaisants peuvent être obtenus notamment lorsque laperte osseuse est telle, que l’allogreffe puisse être inséréedans la fine corticale de l’os hôte.

Résultats

Seize patients ayant bénéficié de 9 allogreffes huméraleset 7 allogreffes ulnaires ont été évalués [Mansat et al. (7)].Dans 2 cas, une révision a été nécessaire, mais seuls 58 %

des patients ont obtenu un résultat satisfaisant à 6 ans derecul moyen.

Références

1. MORREY BF, BRYAN RS : Revision total elbow arthroplasty.J Bone Joint Surg (Am), 1987, 69, 523-532.

2. O’DRISCOLL SW, MORREY BF : Periprosthetic fracturesabout the elbow. Orthop Clinics North Am, 1999, 30,319-325.

3. KING GJ, ADAMS RA, MORREY BF : Total elbow arthro-plasty: revision with use a non-custom semiconstrainedprosthesis. J Bone Joint Surg (Am), 1997, 79, 394-400.

4. LOEBENBERG MI, ADAMS R, O’DRISCOLL SW, MORREY BF :Impaction grafting in revision total elbow arthroplasty.J Bone Joint Surg (Am), 2005, 87, 99-106.

5. SANCHEZ-SOTELO J, O’DRISCOLL SW, MORREY BF :Periprosthetic humeral fracture after total elbow arthroplastytreatment with implant revision and strut allograft augmen-tation. J Bone Joint Surg (Am), 2002, 84, 1642-1650.

6. KAMINENI S, MORREY BF : Proximal ulnar reconstructionwith strut allograft in revision total elbow arthroplasty.J Bone Joint Surg (Am), 2004, 86, 1223-1229.

7. MANSAT P, ADAMS RA, MORREY BF : Allograft-prosthesiscomposite for revision of catastrophic failure of total elbowarthroplasty. J Bone Joint Surg (Am), 2004, 86, 724-735.

Stratégie dans la polyarthrite rhumatoïde

B. AUGEREAU *

L’atteinte du coude dans la polyarthrite rhumatoïde estfréquente : 21 à 60 % et rarement isolée [Hamalainen etLehtinen (1), Gill et al. (2)]. En conséquence, une véritablestratégie de traitement s’impose dans ces polyarthrites qua-lifiées par Duparc de « chantier ». Lorsque l’atteinte estpluri-articulaire, c’est l’articulation la plus douloureuse quidoit être traitée en premier. Lorsque l’atteinte est pluri-arti-culaire et que la douleur est grossièrement identique auniveau de ces articulations, un plan de traitement s’impose :après avoir systématiquement dépisté une atteinte de lacharnière occipito-cervicale et/ou du rachis cervical infé-rieur, devant éventuellement induire un traitement propre,en tout cas une intubation sous fibroscopie, il est logique decommencer par les membres inférieurs à cause du béquillagepostopératoire souvent nécessaire, la prothèse du coude sielle était réalisée avant, devant supporter au cours de cebéquillage deux à trois fois le poids du corps [Augereau etBellemère (3), Hagena et Kuntz (4)].

Au membre inférieur : il est logique de commencer, dufait du risque infectieux « d’amont », par l’avant pied. Cetteintervention souvent valorisante du fait de l’absence debéquillage postopératoire, peut être couplée à une interven-tion sur le poignet et/ou la main. Ensuite, doivent être traitéspour des raisons de centrage et d’axe mécanique successi-vement, la hanche et le genou.

Au membre supérieur : il est logique de commencer parle poignet pour améliorer la pronosupination et la mainqui fait partie de la même unité fonctionnelle. Ensuite lecoude, ce d’autant plus qu’il est laxe. En effet, si unearthroplastie totale d’épaule doit être réalisée, le réglagede la rétroversion de la pièce humérale en sera facilité. Ilest, en revanche, recommandé de commencer par l’épaulelorsqu’il existe une limitation de sa rotation externe pou-vant être source de sollicitation excessive en valgus d’uneprothèse de coude sous-jacente précédemment implantée.Enfin, l’épaule. Coude et épaule peuvent également béné-ficier au cours de la même intervention et dans cet ordrepréférentiellement, d’une arthroplastie en sachant commel’ont montré Gill et al. (2) que le tout en un temps

* Service de Chirurgie Orthopédique, Hôpital Européen Georges Pompidou,20, rue Leblanc, 75015 Paris.