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  • Responbles de la rédaction :Dr Mamadou Diallo, WWF WAMERDr Arona Soumaré, WWF WAMER

    © WWF-Sénégal, juin 2007

    WWF WARMER9639, Sacré Coeur IIIBP : 22928 Dakar, SénégalTél. : + 221 869 37 00Fax : + 221 869 37 02Email : [email protected]

    Crédit photos : WWF-SénégalEn page de couverture : l’illustration en bichromie est la Gravure de Brehmdatant du début du siècle dernier, sur la chasse des tortues marines en Afriquenoire occidentale.

  • ConnaissancesEthnozoologiques

    Relatives aux Tortues Marines dans l’Ecorégion Marine de l’Afrique de l’Ouest

    PROGRAMMME RÉGIONAL DE CONSERVATIONDE LA ZONE COTIERE ET MARINE

    EN AFRIQUE DE L’OUESTfor a living planet®

  • SommaireIntroduction 7Rappel historique 9

    Un animal porteur de sens dans l'ensemble de l'Ecorégion 13A l'origine… 13

    Une espèce totémique pour la lignée des Fuuma de Diakhanor 15

    Un signe de malheur… 17Vision de nombreuses tortues marines 17Risque pour les femmes enceintes 17Risque pour les pêcheurs 19Porte malheur 19

    Une promesse de bonheur 21Vision de nombreuses tortues marines 21Vision des œufs 21

    Un animal utile pour l'homme et le milieu 23Tortue sauveuse 23Tortue bénéfique pour le milieu 23Usage des parties de l'animal 23

    Chair 23Carapace 24Graisse 25Sexe 26Tête 26Griffes 27Cœur 27Foie 27Dernière vertèbre 28Sang 28

    Conclusion 29

    Bibliographie consultée 31

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    Introduction

    La présente étude aborde l’Ethnozoologie relative aux tortues marines etelle fait l’inventaire des différentes utilisations des tortues marines et produits adjacents en Afrique de l’Ouest (Gambie, Guinée, Guinée Bissau,alimentation, médecine, religion, etc.), énumère et analyse la réputationque les populations locales font à certaines espèces.

    L’ethnozoologie est une science jeune dont le développement récent faitsuite à la prise de conscience que le considérable savoir contenu dans lescultures tant indigènes que populaires est rapidement aliéné, voire perdu,lorsque les écosystèmes naturels et les cultures sont détruits suite à desmodifications liées au développement non durable.

    Ce travail s’inscrit dans le cadre de la mise en oeuvre du Programmed’Action Régional pour la conservation des tortues marines initié par lePRCM.

    Cette note n’est pas exhaustive ; elle pourra être complétée ultérieure-ment par des contributions venant des divers acteurs de la sous-région.

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    Rappel historique

    Au milieu du XVème siècle, l’Afrique Occidentale est encore presqueinconnue. Par contre, les îles du Cap Vert, proches du Sénégal, ont déjàreçu des visiteurs européens. Eustache de la Fosse décrit ainsi les pratiquesde pêches à la Tortue : « Et est la coutume que, quand la mer est retirée,il croît sur le gravier de l’herbe, et des grandes tortues y vont paître (!).Et puis les Gens de l’île les vont tourner en sens dessus-dessous et toutautant qu’ils en peuvent trouver. Et puis après les avoir tuées, avec lesang de celles-ci ils baignent les infections et malades de la lèpre avec cesang. Et quand ils sont secs ils se trouvent deux ou trois jours si raidesqu’ils ne peuvent se baigner. Et puis après ils se trouvent très bien. Ils sepurgent à manger du poisson et de la grosse tortue, de façon en continuant au bout de deux années à être bien guéris ».

    Le Vénitien Cadamosto, chroniqueur du Prince Henry le Navigateur noteen 1456 que de grandes quantités de tortues de mer servent de nourriture et sont embarquées sur les navires « parce qu’elles constituentde bonnes provisions pour le voyage ». En 1683, Dampier visite les îlesdu Cap Vert, et informe que les Noirs qui vivent sur les plages font ungrand commerce des tortues locales. Un peu plus tard, en 1690, FrançoisLeguat observe que « ces stupides et lentes créatures peuvent peserjusqu’à 250 kg une ». Durant la meilleure saison « Toute la plage est couverte par ces animaux, qui sont préférés par les habitants comme provisions, aux chèvres».

    On a vu qu’on utilisait de la chair de tortues contre la lèpre. Mais cetteutilisation médicinale n’est pas exclusive, puisque Peter Simmonds, auseizième siècle, toujours à propos des tortues du Cap Vert, dit que « lessyphilitiques sont souvent envoyés du Portugal pour suivre une cure à labase de chair de tortue de mer ».

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    Sur le banc d’Arguin en Mauritanie, Valentin Fernandez constate en 1505que les Maures consomment les tortues marines. « Les pêcheursAzenégues de très basse condition, nommés shirmeyros sont si pauvres etsi misérables qu’ils n’ont ni pain, ni huile, ni bois à brûler, ni sel, nioignons, ni rien d’autre de ce que l’homme emploie pour son usage ».

    Pour préparer leur nourriture ils ramènent du varech et y mettent le feu.C’est de cette manière qu’ils mangent des tortues. Dans les parages et surles côtes de Guinée, les tortues sont ordinairement de la taille d’un bât,mais il y en a d’autres si grandes que leur carapace peut atteindre la hauteur d’un homme. Il y en a de terrestres et de marines. Ces dernièressont des plus savoureuses. Car elles contiennent autant de chair qu’ungrand porc. Les palerons ressemblent exactement à du mouton. Le foieatteint celui du bœuf. Il est tellement savoureux qu’on ne parvient pas às’en fatiguer. Les poumons ressemblent à de la gelée que forment dansl’eau les œufs de grenouilles. Les pieds et les mains sont ceux des oies maissans ongles.

    Elles ont la bouche si dure que si il arrive qu’elles saisissent la main d’unhomme, elles la coupent.(…) Ces Maures sont tolérés par les chrétiensparce qu’ils leurs abandonnent le quint de tout ce qu’ils prennent, et aussides tortues qu’ils attrapent en grand nombre».

    Un peu plus tard, J. Maigret décrit les pratiques des pêcheurs Imraguensdu banc d’Arguin : « La tortue verte est pêchée depuis toujours par cesgens. Engins utilisés : le filet droit, mené par deux embarcations et le harpon. Cette pêche est assez irrégulière et se pratique surtout quand lepoisson fait défaut. La chair est très appréciée par les pêcheurs locaux etles Maures de passage, mais l’animal subit une longue agonie avant saconsommation. Considéré comme un poisson, il n’est pas souvent égorgéavant son dépeçage, comme c’est la règle en pays islamiques pour lesoiseaux et les mammifères. Retournées sur la plage, elles peuvent attendre une semaine avant leur mise à mort, étouffant sous leur proprepoids, supportant le soleil ou les jeux des enfants avant d’être découpéesvivantes. Les carapaces sont parfois utilisées pour amasser le sel qui sert àla consommation des poissons ou pour édifier les enclos pour leschèvres ».

    On apprend dans ce dernier texte pourquoi les tortues n’étaient paségorgées par les Maures. On les assimilait à des poissons (animaux

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    marins) et de ce fait elles n’avaient pas droit au traitement « de faveur »des animaux « nobles ». Cette désagréable erreur biologique allait causerbien des tourments à ces reptiles marins. Mais il n’est pas certain que lespréceptes du Coran aient été plus tendres pour les reptiles que pour lespoissons.

    Carapaces de tortues marines dans une pêcherie à Requins à Joal en 1930 (Sénégal)

    En Afrique de l’Ouest, pour laquelle l’ouvrage de André Villiers (IFAN1958) est précieux, on connaît bien les coutumes des pêcheurs locaux, descoutumes encore en vigueur dans les années 50-70 et qui ne com-menceront à disparaître qu’après l’application des lois de protection.

  • « Les pêcheurs Lébou, Wolof et Sérère, consomment indifféremmenttoutes les espèces marines et même à l’occasion la tortue Luth. On saitque parmi ces espèces c’est la tortue verte qui est surtout comestible, lesautres espèces pouvant dans certains cas présenter une chair vénéneuse àla suite de l’ingestion par l’animal de certaines proies toxiques commetelles que les méduses. Les tortues marines peuvent être pêchées de multiples façons : au harpon, à la ligne, mais elles sont surtout prisesdans les filets. Leurs captures étaient extrêmement fréquentes au Sénégalen 1945 et 1950, lorsque existaient d’importantes entreprises de pêcheaux requins. Les tortues sont aussi capturées avec facilité lorsqu’ellesviennent sur les plages pour y pondre, souvent en grand nombre. Il suffit alors de les saisir et de les retourner sur le dos pour les mettre dansl’impossibilité de fuir. Lorsqu’elles sont très grandes il faut naturellementque plusieurs hommes se réunissent, et parfois même, utilisent des levierspour les renverser ».

    Villiers détaille les méthodes de cuisson : « Les indigènes du Sénégalutilisent la chair de tortues de la même manière que la viande de bœuf,c’est-à-dire en la traitant le plus souvent en bouillie pour accompagner leriz et le couscous. Les Maures les mangent simplement grillées. Chez lesTouaregs, les tortues sont également consommées, mais surtout par lesenfants et les adultes de caste inférieure. Ils la préparent de la façon suivante : après les avoir égorgées, ils creusent un trou assez grand danslequel ils placent du bois, qu’ils enflamment, puis des pierres. Lorsquecelles-ci sont assez chaudes ils les introduisent entre la carapace et le corpsde la tortue, puis, retirant les cendres du trou, ils y mettent l’animal qu’ilsrecouvrent alors de sable chaud puis de braises ». Cette pratique a étérapportée par Henri Lhote et date de 1951. On suppose qu’il s’agit detortues de mer, capturées par les Touaregs leurs déplacements près descôtes, ou achetées à des marchands locaux.

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    Un animal porteur de sens dans l’ensemble de l’Ecorégion

    À l’origine…

    Pierre Campredon nous rapporte en 2000 dans son excellent ouvrage surle parc du banc d’Arguin en Mauritanie que : « Les Imraguen disent queles tortues viennent pondre à la saison des orages (juillet à septembreépoque de la mousson) et qu’à leur naissance une partie des jeunes sedirige vers le continent et deviennent alors des tortues terrestres tandisque les autres deviennent des tortues marines. Etrange croyance quandon sait que depuis fort longtemps les tortues terrestres n’existent plusdans la région. En réalité, le principal lieu de reproduction de ces tortuesvertes semble se situer dans les Bijagos, soit près d’un millier de kilo-mètres plus au sud ».

    Au Sénégal, Sabinot C. nous cite un mythe semblable chez les Sérères dePalmarin : « À l’origine du monde, des œufs de tortues déposés dans untrou sur une plage arrivèrent à maturité. Les bébés brisèrent délicatementleur coquille et commencèrent leur ascension vers la lumière du jour.Lorsqu’ils pointèrent la tête hors du sable, certains se dirigèrent vers laterre ferme, tandis que d’autres choisirent le chemin de l’océan. Ainsinaquirent les tortues de terre et les tortues de mer… ».

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    Une espèce totémique pour la lignée des Fuuma de Diakhanor

    Pour la lignée maternelle des Fuuma, une des espèces de tortue marineest érigée en totem. En effet, cette lignée se réfère à quatre espècestotémiques qui sont d’ailleurs toutes des reptiles : la tortue verte ndumar,le python fel, le varan cas et la couleuvre culul. Ces espèces se présententà la vue d’une seule femme de la lignée Fuuma de Palmarin Nguethie(Sénégal) sous la forme de vision. Elle en connaît le sens et est capabled’agir conséquence. C’est donc de sa voix que l’on a pu apprendre ce quisuit : chez les Fuuma, les animaux totémiques sont plutôt considéréscomme une aide ou un avertissement. La tortue par exemple, va faire sonapparition depuis le bois sacré. Tout d’abord, un personnage blanc appa-raît à la femme sous forme de songe : « j’ai l’impression que quelqu’unme tapote l’épaule ». Lorsqu’elle se réveille la personne disparaît. Elle serend compte que la tortue quitte le bois sacré pour réapparaître près dela plage, et dans l’océan au niveau d’une statue de la vierge au nord dePalmarin Ngallou. Elle y réclame son alimentation.

    Peut-être peut-on alors considérer ces espèces comme des pangool(esprits, ancêtres sacralisés). La femme Fuuma responsable du culte de salignée est ici la seule habilitée à communiquer avec ce monde de l’invisible. Ce rôle de la femme d’avertir, de protéger le village avecl’aide des pangool qu’elle nourrit (Troy, 1998) a déjà été relevé. Ainsi,la vision de la tortue verte précédemment décrite signifie que des gensde l’est des îles du Saloum (Sénégal) viendront consulter la femme. S’il s’agit de l’apparition du python lui demandant lui aussi son alimenta-tion, cela annonce la venue prochaine d’un personnage officiel. Quantau varan ou la couleuvre, leur présence (décelable uniquement par lafemme) lui impose de faire aussitôt des libations pour protéger safamille.

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    Comme toute espèce totémique, la tortue marine inspire des sentiments.Levi-Strauss écrit à ce sujet « qu’entre l’homme et la nature, l’animaloccupe une place intermédiaire ».

    L’animal, bien que faisant tout de même partie de la nature (commel’homme), occupe donc une place intermédiaire dans la lignée desFuuma. Une place lui a été accordée. Les tortues marines sont porteusesde sens, et sont fortement ancrées dans les croyances et cultes réalisés parles populations des zones côtières en Afrique de l’Ouest. Sans entraînerune protection effective puisque ce totémisme ne s’accompagne pas d’interdit alimentaire, une réelle valeur emblématique leur est attribuée.D’autres croyances et diverses pratiques existent également. Certainessont relatées dans l’inventaire qui suit sans nécessairement les accompag-ner d’une interprétation.

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    Un signe de malheur…

    Les tortues marines, très respectées, peuvent présager des malheurs. Ellessont aussi parfois sources de danger par elles-mêmes pour qui lesingèrent, les capturent, ou simplement les voient.

    La tortue luth, est symboliquement la plus néfaste (Sérère du Sénégal etBijagos de Guinée Bissau).

    Vision de nombreuses tortues marines

    Par exemple, lorsque l’on voit de nombreuses tortues marines à la surfacede l’océan, cela peut présager une mer houleuse et un hivernage pluvieux.

    Risque pour les femmes enceintes

    Une femme en début de grossesse peut être menacée non seulement parl’ingestion de tout ou partie d’une tortue marine, mais par la simplevision. On dit que seules les femmes gloutonnes en mangent. Si cettefuture mère est sensible, elle aura des sensations de coups de gifles dansle ventre pendant la grossesse et elle risque d’avorter ou de subir unaccouchement difficile. De plus, l’enfant qu’elle mettra au monde aural’aspect physique de l’animal. La peau de ses membres (bras et jambes)sera plissée comme celle du reptile. Il aura un petit cou, une tête touteronde et les doigts de pied bien écartés. L’enfant peut même naître avecune peau « écaillée ». Il aura également un comportement proche de cellede la tortue. Il aura tendance à se recroqueviller comme s’il tentait derenter sa tête à l’intérieur de sa carapace et aura des gestes similaires àceux de la tortue (mouvements de brassage désordonnés) et montrera uncomportement plutôt agressif. Si l’enfant se trouve sur le ventre en l’air ilaura de grandes difficultés à se retourner sur le dos tant qu’il n’aura pasdes bras solides. De plus, il sera incapable de se déplacer convenablement« à 4 pattes », car son ventre traînera toujours par terre.

  • Certains individus craignent la mort de l’enfant. Mais le plus souvent, cesaffections sont considérées comme un malheur passager, qui n’affecte quele caractère physique. Cependant, cela peut également entraîner defâcheuses tendances à l’individu lorsqu’il deviendra adulte. Si c’est ungarçon il deviendra un homme coureur de jupons. Si c’est une fille, elleaura un penchant similaire pour les hommes et sera souvent considéréecomme une prostituée qui « collectionnera les hommes ».

    Une autre version plus spécifique est quelquefois racontée. Si une femmeenceinte ingère le sexe d’une tortue mâle par inadvertance (il est impos-sible que cela soit volontaire tellement le danger est grand) alors l’adulteque le bébé deviendra se comportera sexuellement aussi comme la tortuemâle. On ne pourra « le faire tenir tranquille ».

    Heureusement, trois, voire quatre remèdes existent pour la mère commepour l’enfant. Les personnes concernées utilisent un ou plusieurs remèdespour le même cas, suivant leurs connaissances :

    — la première chose à faire pour la femme qui par inadvertance voit une tortue marine, est de ne surtout pas fuir. Elle doit fixerlonguement l’animal pour limiter les risques encourus par son futur enfant ;

    — sinon, il faut rechercher un homme parmi les anciens du village afinqu’il fasse des incantations pour conjurer le mauvais sort

    — le remède est alors un traitement buvable. La femme pendant lagrossesse et l’enfant dès la naissance devront boire de l’eau danslaquelle on aura laissé reposer un os de tortue marine. Cette eaudevra être bue chaque jour par la femme jusqu’à l’accouchement(certains affirment que le simple fait d’en humecter les lèvres suffit) etsurtout chaque jour par le nourrisson jusqu’à ce que les signesphysiques et comportementaux disparaissent. Certaines personnesutilisent cette eau pour laver le bébé dès le jour de sa naissance.

    — si on ne peut trouver un os de tortue marine, le même traitement paringestion existe. L’eau de boisson devra alors être versée dans unecarapace avant d’être bue.

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  • Risque pour les pêcheurs

    Pour certains, un pêcheur qui mange de cet animal sera victime d’une« mauvaise marée », sa pêche sera peu fructueuse.

    Un équipage qui capture une tortue marine lors d’une partie de pêche aufilet tournant, doit la débarquer au plus vite à terre pour ne pas risquerune mauvaise pêche. Comme ce type de pêche se pratique avec deuxpirogues, celle qui ne contient pas de filet est chargée de regagner la côtepour y laisser l’animal avant de rejoindre le reste de l’équipage.

    La capture d’une seule tortue peu être dangereuse mais elle ne l’est pasautant que la capture de plusieurs individus. Si telle prise est réalisée,plusieurs journées de pêches sont condamnées, à moins d’aller consulter« un vieux qui a de la connaissance ». Il préparera alors une décoction àbase d’eau et de feuilles en faisant des libations. Cette décoction serviraà laver le capitaine de l’équipage, ainsi que la pirogue et ses filets.

    Porte malheur

    Il ne faut jamais capturer deux tortues marines encours d’accouplementou le « malheur risque de s’abattre sur toi ». Il ne faut en capturer qu’uneseule !!!

    Certaines personnes peuvent aussi tout simplement être prédestinées aumalheur lorsqu’elles voient ou mangent une tortue marine.

    La tortue luth est généralement associée au malheur. En raison d’un pou-voir maléfique qu’elle semble détenir, certains anciens disent qu’il ne fautjamais la tuer. Quelques pêcheurs respectent cet avertissement. Certainspêcheurs reconnus étaient capables de la chasser. D’autres en revanche nela tuent jamais car ils craignent l’apparition de maux de tête. De plus, sielle se sent agressée, à la surface de la terre ou en mer, la tortue peutcracher une substance dangereuse pour l’homme qui la menace. Cettematière est décrite comme un jet de nombreux cailloux minuscules. C’estdu « vent qui entre dans le corps comme un courant d’air ». J. Fretey(1991) l’a décrit comme une eau luminescente. Cette giclée provoque desplaies et des boutons, et peut aussi rendre la victime aveugle. La seulesolution pour apaiser ces douleurs cutanées est de rendre visite une nouvelle fois à un guérisseur qui préparera les décoctions adéquates.

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    Une promesse de bonheur

    Bien que des signes de malheur soient nombreux, les tortues marinespeuvent être signes de faits heureux, à savoir :

    Vision de nombreuses tortues marines

    A l’approche de l’hivernage, lorsque l’on voit de nombreuses tortuesmarines à la surface de l’océan, cela présage un hivernage très pluvieux,et promet ainsi de bonnes récoltes.

    Vision des œufs

    De même, voir des œufs de tortues marines au printemps présage d’unhivernage très pluvieux et promet donc aussi de bonnes récoltes

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  • Connaissances Ethnozoologiques Relatives auxTortues Marines dans l’Ecorégion Marine de l’Afrique de l’Ouest 23

    Un animal utile pour l’homme et le milieu

    Tortue sauveuse

    D’une part, si un pêcheur tombe dans l’océan, la tortue marine se chargede le ramener sain et sauf jusqu’au rivage, et le sauve ainsi de la noyade.D’autre part, si un homme se noie au large, les tortues marines protégeront son cadavre des éventuelles agressions des autres habitantsde l’océan. Elles surveillent particulièrement les poissons qui viennentpour manger le corps.

    Tortue bénéfique pour le milieu

    Les tortues marines se nourrissent des longes herbes de l’océan. Cettecoupe est efficace car elle prépare le terrain pour les poissons qui peuventvenir déposer leurs œufs dans ce milieu propice. Les pêcheurs ontd’ailleurs remarqué que les zones peuplées de tortues marines sont deszones particulièrement poissonneuses.

    Usage des parties de l’animal

    L’espèce la plus appréciée aux yeux des habitants de l’Ecoregion, commedans de nombreuses autres contrées est la tortue verte (Villiers, 1958).Outre son usage pour l’alimentation des familles, les différentes partiesde la tortue ont des vertus bénéfiques pour les cultures, pour les animauxd’élevage et pour les hommes, particulièrement dans le domaine de lamédecine. Quelques unes sont décrites ci-dessous, car la plupart sontaujourd’hui caduques.

    Chair

    Manger de la tortue est toujours associée à la fête, au partage, à la joie.Il faut noter que cette coutume de nos jours a régressé, mais demeure dans

  • certaines populations comme les Bijagos (Guinée Bissau), les Imraguen(Mauritanie), les Lébous et Sérères (Sénégal). De nos jours avec l’économie de marché dans le secteur de la pêche la chair de tortue sevend frauduleusement entre 150 et 500 francs CFA/kg, ce qui constitueune sérieuse menace pour la survie de l’espèce.

    Carapace

    Seule la carapace des tortues olivâtre, verte, caouanne, et imbriquée estutilisée. La tortue luth possède une carapace non rigide qui a l’aspect decuir qui se décompose rapidement après le décès de l’animal d’autantplus que l’animal est le plus souvent associé au malheur. La carapace dela tortue sert souvent de contenant, pour y mettre par exemple le linge,des coquillages frais (Senilia senilis) de retour de pêche. Accrochée dansla maison, elle est signe de bravoure. Tout ou partie de la carapace peutêtre aussi fixé au dessus de la porte d’entrée pour assurer le bonheur dela maisonnée. Ou tout simplement, elle peut avoir pour fonction d’embellir le domicile.

    Une autre pratique appelée Khoss, est pratiquée en terroir Sérère auSénégal : « Avant de semer le mil, les cultivateurs versent les semencesdans une carapace ou introduisent directement des morceaux de carapace dans le sac de semences. Cela promet une bonne récolte. (Onpeut faire la même chose avec la tortue de marigot Pelusios spp., ou avecles écailles du poisson Tarpon atlanticus) ».

    Les éleveurs quant à eux conservent la carapace des tortues pour en faireun abreuvoir pour leur troupeau. Cela est bénéfique pour la santé del’ensemble du troupeau, et particulièrement pour les mâles, qui ainsi, nerisquent pas d’être impuissants.

    Enfin, à l’approche de l’hivernage lorsqu’un pêcheur capture une tortuemarine lors d’une sortie en mer, il ne doit surtout pas jeter la carapacemais la conserver dans la maison pour ne pas être menacé par le malheur.Quelques-uns conseillent aussi de verser de l’eau à l’intérieur afin que lesenfants, les femmes et les hommes de la famille se douchent avec cetteeau, leur bonheur est ainsi assuré.

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  • Connaissances Ethnozoologiques Relatives auxTortues Marines dans l’Ecorégion Marine de l’Afrique de l’Ouest 25

    Graisse

    L’usage premier de la graisse est tout simplement de s’en servir dans l’alimentation. C’est presque la partie de la tortue la plus exquise. Elle estpréparée avec le reste de la viande de tortue dans tout plat à base de rizou de couscous de mil. Elle est parfois transformée en huile de cuisine, demême usage que l’huile d’arachide ou de coton. Pour l’obtenir, il suffit dela faire bouillir. Quelques usages spécifiques de graisse de tortue luth existent.

    Tortue luth capturée à la baie de Hann près de Dakar en 1930 (Sénégal)

    Elle est utilisée comme huile de massage bénéfique pour la peau commepour les os, particulièrement pour résorber une fracture. Cette vertu estdue, d’après les utilisateurs, à la forte résistance reconnue de ce robusteanimal.

  • En République de Guinée, des usages pour le traitement de la peau desnouveaux-nés, entorses, arthroses, rhumatisme existent. Elle est égale-ment utilisée dans l’éclairage comme combustible pour les lampes tempêtes (M’mah Soumah, CNSHB, comm.pers.).

    La graisse sert aussi au cultivateur de riz à fabriquer le suh, un instrumentaratoire. Il faut enduire le bois de cette substance et puis le passer au feu.Ainsi, en s’aidant de deux morceaux de tissus, on peut donner au mancheen bois la forme légèrement curviligne de l’outil.

    Sexe

    Le sexe du mâle est utilisé pour développer les capacités reproductivesd’un taureau peu efficace. Il faut d’abord le faire sécher, puis le tremperdans l’eau de boisson de l’animal ou l’entourer de morceau de tissu(rouge en général) pour le fixer à la queue du taureau. Ce dernier retrou-vera ainsi toute sa « force ». Le pouvoir accordé à cet organe prend sonorigine dans la très longue durée que le couple passe à s’accoupler,plusieurs heures !!!Le sexe en infusion dans l’eau de boisson est aussi utilisé par l’hommepour les mêmes raisons. Cela lui donne la force, l’énergie. Certains le fixent à une corde dont ils se parent les reins pour obtenir les mêmeseffets. Chez quelques familles, les anciens interdisent ces pratiques auxjeunes hommes, ce que certains respectent. La connaissance des anciensest encore de nos jours très considérée.

    Tête

    La tête d’une tortue marine ne doit pas être ni fendue à la machette etsurtout pas brisée. Il faut la conserver intacte pour ne pas attirer le malheur sur la famille. Les grands pêcheurs les fixent sur la palissade ousur un bâton au milieu de la cour. Les têtes sont essentiellement exhibéescomme trophée, pour monter la valeur de l’homme en question.Quelques-uns ajoutent parfois que cela porte bonheur, ou que celapromet une bonne récolte.

    De façon saisonnière, les chasseurs au harpon montent leur camp sur certaines plages de ponte. Chaque fois qu’ils capturent une tortue marine,ils en conservent le crâne et le fixent sur un piquet à côté des huttes. Onreconnaît donc qu’il s’agit d’un campement de chasseurs de tortues à laprésence de ces nombreux piquets.

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  • Griffes

    La tortue luth n’a pas de griffes, donc, les divers usages exposés ci-dessoussont donc réalisés à partir des griffes des autres espèces de tortue de mer. Comme la carapace, certains cultivateurs glissent les griffes soigneusementprélevées de tortue marines dans le sac de semences pour garantir unebonne récolte.Elles sont parfois portées comme amulette par les lutteurs, ceci sous leconseil du sage qu’ils ont consulté. Chaque lutteur se voit attribuer desobjets ou des substances spécifiques par son marabout personnel (cornede zébu, queue de bœuf, cories, griffe de tortue de mer, etc.).

    Par ailleurs, si un enfant en âge de marcher refuse de faire ses premierspas, on perce une griffe que l’on fixe à un cordon pour lui accrocher à lacheville ou au poignet. Ce bracelet l’aidera à marcher plus rapidement.Cette croyance semble venir du fait que les nouveaux-nés de cette espècen’ont pas besoin de leur mère pour faire leurs premiers pas et gagnerl’océan.Si aussi un enfant souffre de maux de dents, on peut lui accrocher unegriffe de tortue en pendentif autour du coup. Et on fait de même avecune personne, quel que soit son âge, qui souffre de varicelle. De manièregénérale, porter une griffe de tortue marine autour du cou préserve desmaladies.

    Cœur

    Cet organe traite tout problème de cœur :

    — le cœur de l’animal est bouilli ou grillé afin que le malade l’ingère.L’organe peut être séché au soleil avant d’être réduit à l’état depoudre. Le malade boit alors un verre d’eau dans lequel quelquespincées de cette substance ont été versées ;

    — un fragment de cœur de tortue séché est enveloppé dans un morceaud’étoffe ou de cuir. Au cas ou le possesseur de cette amulette souffredu cœur, il trempe tout simplement l’objet dans son eau de boisson(Villiers A., 1958).

    Foie

    Le foie est lui aussi utilisé pour soigner les maux du cœur. Le guérisseurcoupe l’organe en son milieu et le fait sécher au soleil. On le laisse ensuitemacérer dans un bol d’eau. Si le patient boit cette eau, il guérira. Notons

    Connaissances Ethnozoologiques Relatives auxTortues Marines dans l’Ecorégion Marine de l’Afrique de l’Ouest 27

  • qu’un même foie peut servir plusieurs fois. Il suffit de le faire sécher ausoleil entre chaque utilisation.

    Dernière vertèbre

    Si un individu souffre de maux de hanches, la dernière vertèbre d’unetortue marine peut être fixée à la ficelle dont on entoure la taille de lapersonne.

    Sang

    Répandre du sang de tortue marine sur le fond de sa pirogue promet unepêche fructueuse.Par ailleurs, si une personne souffre de l’asthme, il est possible de la soigner avec du sang frais de tortue marine. Il faut trancher d’un coup secle cou de l’animal vivant, récolter le sang dans un bol est le donner àboire aussitôt à la personne asthmatique.

    Connaissances Ethnozoologiques Relatives auxTortues Marines dans l’Ecorégion Marine de l’Afrique de l’Ouest28

  • Connaissances Ethnozoologiques Relatives auxTortues Marines dans l’Ecorégion Marine de l’Afrique de l’Ouest 29

    Conclusion

    L’analyse des connaissances empiriques et de certaines pratiques explicitent l’ampleur du savoir dont disposent les populations locales deszones côtières en Afrique occidentale.

    L’expérience se montre être une grande source de connaissance, particulièrement si l’objet du savoir a de l’importance pour les hommesconsidérés.

    Nous venons de voir que principalement deux espèces de tortues marinesChelonia mydas et Dermochelys coriacea sont réellement porteuses desens. L’étude de ces « connaissances traditionnelles en écologie » est relativement récente mais elle a aujourd’hui pris beaucoup d’importancesous le titre de « Traditional Ecological Knowledge », notamment avec laconférence de Rio. Ces différents savoirs empiriques prennent naissanceet s’épanouissent au sein d’une communauté, partageant une même conception du monde, un même mode de vie, un même système de contrôle du territoire et des ressources, une idéologie et une éthique commune (Berkes, 1999).

    Par ce nouveau concept, qui n’a pas une définition universelle, il estadmis que le savoir scientifique et technique ne doit surtout plus être considéré comme la mesure exclusive du vrai. D’autres connaissances existent, et il ne faut pas les reléguer au « simple rang de croyances inutilesaux yeux de la modernité ».

    Ce modeste travail avait pour objectif de faire connaître les rapportsentre les populations d’Afrique occidentale et leurs tortues marines. Il estincomplet et mérite d’être enrichi notamment par la mise en œuvre d’études plus approfondies.

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  • Connaissances Ethnozoologiques Relatives auxTortues Marines dans l’Ecorégion Marine de l’Afrique de l’Ouest 31

    Bibliographie consultée

    Campredon P., (2000) — Entre le Sahara et l’Atlantique - Parc Nationaldu Banc d’Arguin. FIBA, Tour du Valat, Arles, France, pp. 124

    Devaux B., (1998) — La Tortue Martyre. Livre blanc sur le martyrologuedes tortues et leur exploitation par l’homme, pp. 231

    Diagne T., (à paraître) — Les Tortues du Sénégal. Editions chelonii, pp. 200

    Diagne T., (1999) — Tortues marines de la Réserve de Biosphère duDelta du Saloum et sa périphérie. Statuts, tendances évolutives et problématiques de conservation. Rapport de consultation pour laformulation du plan de gestion de la Réserve de Biosphère duDelta du Saloum (RBDS) UICN/SENEGAL, pp. 40

    Fretey J., (2001) — Biogéographie et conservation des tortues marines dela côte atlantique africaine. CMS, Technical series, publication n° 6, UNEP/CMS Secretariat, Bonn, Germany, pp. 429

    Sabinot C., (2003) — Tortues marines sur le littoral Palmarinois(Sénégal). DEA « Environnement, Milieux et Sociétés » IRD/UR026pp. 110

    Villiers A., (1958) — Tortues et Crocodiles de l’Afrique noire Française.Ifan, Dakar.

  • Achevé d’imprimer sous les presses de la

    SÉNÉGALAISE DE L’IMPRIMERIEjuin 2007

  • Connaissances Ethnozoologiques relatives aux Tortues Marines dans

    l’Écorégion Marine de l’Afrique de l’Ouest

    Cette étude fait l'inventaire des différentes utilisations des tortuesmarines et produits adjacents en Afrique de l'Ouest (Gambie, Guinée,Guinée Bissau, alimentation, médecine, religion, etc.), énumère etanalyse la réputation que les populations locales font à certainesespèces.

    L'ethnozoologie est une science jeune dont le développement récentfait suite à la prise de conscience que le considérable, savoir conte-nu dans les cultures tant indigènes que populaires, est rapidementaliéné, voire perdu, lorsque les écosystèmes naturels et les culturessont détruits suite à des modifications liées au développement nondurable.

    Cette note n'est pas exhaustive ; elle pourra être complétée ultérieu-rement par des contributions venant des divers acteurs de la sous-région.