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Mai 2014
Novembre-décembre 2013
Jeudi 5 décembre 2013
Dimanche 17 novembre 2013
Dimanche 17 Novembre 2013 TTE 13
Bayousanglant
En 1923, les frères Aldridge ont pour mis-sion de couper tous les cyprès chauves de laforêt de Nimbus. Une immense parcelle seu-lement reliée au reste de la Louisiane par uncanal et une voie ferrée, qui plus est infestéede moustiques, de serpents, d’alligators, etmenacée par la montée des eaux du bayou.Mais les pires dangers ne viennent pas de lanature, ils sont causés par les hommes. Surl’exploitation forestière s’est développé,comme un chancre, un établissement, mi-ca-sino mi-bordel, tenu par des malfrats siciliens.Byron et Randolph Aldridge voient d’un mau-vais œil leurs employés s’y précipiter chaqueweek-end. Car l’alcool coule à flots en dépitde la loi – c’est l’époque de la Prohibition.Byron, le constable (gardien de la paix) deNimbus, sait qu’il aura du mal à maintenirl’ordre. Et Randolph, le patron, redoute queses scieurs, bûcherons et mécaniciens soienthors d’état de travailler le lundi matin. Ilsessaient d’obtenir que ce saloon ferme ledimanche, mais Buzetti, le tenancier, ne s’enlaisse pas conter. C’est le germe de l’âpreconflit qui est au cœur du Dernier arbre, deTim Gautreaux. Personne ne se fait de cadeaudans ce western louisianais aux multiplesrebondissements. On tue les femmes, on s’enprend aux enfants. La sauvagerie est toujoursen passe de l’emporter, malgré les efforts deLilian, l’épouse de Randolph, pour introduireun peu de civilisation à Nimbus.
Et cependant, les personnages imaginés parGautreaux conservent leur humanité, mêmeles salauds. Car sur plusieurs d’entre eux pèsele traumatisme de la Première Guerre mon-diale, qu’ils ont faite en France.
Richard SOURGNES
Le dernier arbre,de Tim Gautreaux (Seuil).
Littératureétrangère
Tim Gautreaux.Photo Winborne GAUTREAUX
Il nous tombe deux Jim Thompson,coup sur coup ! Dans une nouvelletraduction intégrale, et c’est du bienbel ouvrage. Le premier aurait pu,aussi, s’intituler Rien de plus qu’assas-
siner (titre anglais : Nothing more than
murder). La différence n’est pas biengrande, certes, mais dans la nuance,j’aurais perso une préférence… Il avaitété traduit et publié une première foisen France dans la Série Noire, sous letitre Cent mètres de silence, ce quin’était pas mal non plus, bien que sansaucun rapport avec l’original. Je l’avaislu aux horizons de mes 15 ans et leretrouve avec délectation, tout nou-veau tout beau, dans une fraîcheur queje ne lui savais pas, ne me rappelaisplus.
Voici Joe Wilmot, gérant d’uncinéma d’une bourgade minable,grande gueule de roquet, tricheur,menteur et sans scrupule, ne croyanten rien ni personne hormis en lui-même, lancé dans une escroqueried’envergure, de laquelle il confie lesrênes, l’imbécile heureux, à deux fem-mes qui se détestent. Joe ne sait pour-tant pas tout, on ne sait jamais tout, etnotamment que les grains de sablefatidiques qui s’insinuent, c’est bienconnu, dans les plus sophistiquées,voire parfaites, des machinations sontde l’ordre des facteurs humains.
Arnaqueur arnaqué, c’est la plongéedans le gouffre du piège inexorable quifait cruellement le pendant aux som-bres méandres jamais tout à faitenfouis d’une enfance pourrie.
« Certains mariages ne peuvent se
terminer qu’en meurtre, dit l’éditeuraméricain de ce roman. Et certains
meurtres ne font que renforcer les liens
de l’amour et de la haine. » Quant à
l’avis de Joe Wilmot, le voici : « Si vous
êtes comme moi, vous avez probable-
ment croisé dans votre vie des centai-
nes de couples dont vous vous êtes
demandé pourquoi et comment diable
ils s’étaient mis ensemble. Et si vous
êtes comme je l’ai été, vous avez proba-
blement attribué ça à la boisson ou aux
armes à feu. Non que je sois capable de
vous dire pourquoi j’ai épousé Eliza-
beth ou pourquoi elle m’a épousé. Pas
vraiment. Mais je peux vous dire une
chose. On savait tous les deux exacte-
ment ce qui nous attendait… »Et tout est dit, en résumé. Lancé pour
la descente en flammes.
La seconde parution signée JimThompson est une nouvelle traductiondu roman précédemment paru en SérieNoire sous le titre très sérienoirien deDes cliques et des cloaques – il leur estarrivé de faire mieux !
Jim Thompson retraduitMagnifique et terrible récit parfaite-
ment désespéré. Magnifique film aussi,car adaptation il y eut, et réalisation parAlain Corneau, avec un éblouissantPatrick Dewaere pathétique écorché :Série Noire. Grand film s’il en est,comme ils manquent étrangement, ouse font rares au fil des saisons quis’éteignent dans les fracas périphéri-ques, glissant dans les chaos des étésen pentes brutes.
Le roman en est la graine. D’aussibelle qualité, dans le carnaval des motsqui font de ces images qui s’incrustentet ne vous lâchent pas avant long-temps. Voire jamais. La vie qui largueses bateliers shootés aux espoirs inat-teignables, hors de leurs maigres por-tées tellement avides, la vie n’estqu’une sombre garce que des lueursmaigrelettes écloses sur son parcourscomme par inadvertance ne suffisentévidemment pas à éclairer du peu qu’ilfaudrait pour réussir à avancer sanstrébuchements. On ne quitte pas FrankDillon pourtant, on ne le quitte pascomme ça, après l’avoir rencontré dèsles premières pages, les premières phra-ses. Même retourné aux ombres épais-ses après avoir cru pouvoir saisir lalumière, on ne le quitte pas. Son imagedemeure, malheureux coureur de por-te-à-porte dont l’existence au quoti-dien pluvieux s’étire implacablemententre deux bouts qu’il a compris neplus jamais parvenir à joindre. Alors, iltrafique, il falsifie ses bons de com-mande, pauvres manigances de brascassé. Et puis voilà qu’un jour, onpourrait croire un jour de chance enfin,une vieille peau de cliente, une vieillesalope, lui propose rien moins que sanièce en manière de paiement : Mona,comme un soleil. Mona qui tombe
dans le cœur de Frank et y fait fondretoutes les lugubres glaces amasséesdepuis belle lurette. D’un seul coup.C’est une claque. C’est une valse. Troispetits tours et puis s’en vont en chutelibre, sans plus attendre, vers undétournement autrement plus impor-tant, vers la plongée dans les abysses…
Et ce roman demeure à jamaisouvert, jusqu’à la dernière ligne. Celuiqui vous dira, bon apôtre, que tempsqui passe arrange tout et referme lesplaies, sachez-le, raconte des conne-ries. Il faut juste apprendre et savoirvivre avec.
Pierre PELOT
Un meurtre et rien d’autreet Une femme d’enfer,deux romans de Jim Thompson(Rivages Noir).
Polar
CoumbiteLa poussière recouvre tout au
village de Fonds-Rouge, commeune cendre tiède, quandManuel annonce son retour.Quinze ans durant il est allécouper la canne à Cuba. Ilretrouve les siens asséchés,l’eau ne coule plus dans lesplantations. Et la querelle s’estinsidieusement glissée entre lesfamilles. Manuel revient, il vatomber amoureux d’Annaïse,prêcher l’effor t pour querevienne l’espoir. Mais la tragé-die menace.
Publié en 1944, après la mortde son auteur, Gouverneurs dela rosée est à coup sûr l’un desromans majeurs de la littératurecaraîbe. Peut-être même de lalittérature tout court. Ethnogra-phe, journaliste, fondateur duParti communiste haïtien, Jac-ques Roumain raconte la pay-sannerie de son île commejamais on ne l’a fait. Le coum-bite – cette pratique d’entraidecollective –, le rapport à la foischarnel et spirituel à la terre,l’omniprésence des esprits vau-dous. Manuel, pétri d’expé-rience collectiviste, se frotte iciau fonds traditionnel, à l’âmeprofonde de son peuple. C’estévidemment du destin d’Haïtiqu’il est question ici, dans unrécit d’une force dramatiqueexceptionnelle. Gouverneurs dela rosée était devenu difficile àtrouver, sa réédition constituedonc une excellente nouvelle.Le glossaire d’expressions créo-les qui l’accompagne ajouteune saveur indéfinissable aupropos.
Michel GENSON
Gouverneurs de la rosée,par Jacques Roumain(Zulma).
Coupdecœur
21 décembre 2013