repenser l'école une anthologie des débats sur l'éducation au québec

674

Upload: emelylefrancois

Post on 28-Jan-2016

67 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

Repenser l'école Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

TRANSCRIPT

Page 1: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec
Page 2: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Repenser l'école

Page 3: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

DU MÊME AUTEUR

Mon appartenance. Essais sur la condition québécoise, Montréal, VLBÉditeur, «Études québécoises», 1992,. Prix Richard-Ares.

Matériaux fragmentaires pour une histoire de l'UQAM, Montréal,Éditions Logiques, «Théories et pratiques dans l'enseignement»,1994.

Lettre fraternelle, raisonnée et urgente à mes concitoyens immigrants,Outremont, Lanctôt Éditeur, 1996.

A la recherche d'un système de déontologie policière juste, efficient etfrugal (avec la collaboration de Michel Patenaude), Québec, gou-vernement du Québec, 1998.

Vers un système intégré de formation policière (avec la collaborationde Robert Laplante et Michel Patenaude), Québec, gouvernementdu Québec, 1998.

La mémoire du cours classique. Les années aigres-douces des récitsautobiographiques, Montréal, Éditions Logiques, «Théories etpratiques dans l'enseignement», 2.000.

EN COLLABORATION

Avec Claude BÉLAND, Inquiétude et espoir. Valeurs et pièges du nou-veau pouvoir économique, Extraits de conférences choisis et or-donnés par Claude Corbo, Montréal, Québec-Amérique, 1998.

Avec Yvan LAMONDE, Le rouge et le bleu. Anthologie de la penséepolitique au Québec de la Conquête à la Révolution tranquille,Montréal, Presses de l'Université de Montréal, « PUM-Corpus »,1999.

Page 4: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Repenser l'écoleUne anthologie des débats sur l'éducation au Québecde 1945 au rapport Parent

Choix de textes et présentationpar Claude Corboavec la collaborationde Jean-Pierre Couture

LES P R E S S E S DE L ' U N I V E R S I T É DE M O N T R É A L

Page 5: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Données de catalogage avant publication (Canada)

Vedette principale au titre:Repenser l'école: une anthologie de textessur l'éducation au Québec de 1945 à 1965(Collection Pum corpus)

ISBN z-76o6-i77i-8

1. Éducation - Québec (Province) - Histoire - zoe siècle.2. Enseignement - Réforme - Québec (Province) - Histoire - 2oe siècle.3. Enseignement classique - Histoire - 2oe siècle.

I. Corbo, Claude, 1945- . II. Collection.

LA4i8.q8R46 2000 37o'.97i4'o9045 coo-94i648-x

Dépôt légal: 3e trimestre 2000Bibliothèque nationale du Québec© Les Presses de l'Université de Montréal, 2000

Les Presses de l'Université de Montréal remercient le ministère duPatrimoine canadien du soutien qui leur est accordé dans le cadre duProgramme d'aide au développement de l'industrie de l'édition. LesPressses de l'Université de Montréal remercient également le Conseildes Arts du Canada et la Société de développement des entreprisesculturelles du Québec (SODEC).

I M P R I M É A U C A N A D A

Page 6: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Introduction

Une brève décennie aura suffi à la société québécoise pour trans-former en profondeur, métamorphoser à tous égards et restructu-rer, de la maternelle à l'université, son système d'éducation.L'entreprise réformatrice s'amorce officiellement à l'automne 1959,durant les « cent jours » du premier ministre Paul Sauvé, avec sondésormais célèbre «Désormais...». Le gouvernement libéral deJean Lesage (1960-1966) poursuit à fond de train et amplifieimmensément les réformes, en mettant à l'œuvre une commissionroyale d'enquête sur l'éducation et en créant un ministère confié àPaul Gérin-Lajoie. Les derniers gouvernements de l'Union natio-nale, dirigés par Daniel Johnson (1966-1968) et par Jean-JacquesBertrand (1968-1970), hommes politiques qui, pendant leur séjourdans l'opposition, n'avaient pas ménagé leurs critiques des chan-gements introduits par le gouvernement Lesage, contribuent à leurtour à cette vaste réforme en instituant successivement les cégeps(1967) et le réseau de l'Université du Québec (1968).

Un système en mal de réforme

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, le système d'éducationdu Québec appelait à l'évidence une réforme en profondeur. Unebrève description de l'état de l'éducation québécoise pendant lapériode couverte par cette anthologie permettra de mieux situer etcomprendre le vaste débat sur l'école qui caractérise cette époque.

Le système d'éducation québécois avait pris forme un siècle plustôt, durant l'Union (1840-1867) et les premières années de laConfédération. Au cours des années 1840-1850, l'Assemblée légis-lative du Canada-Uni adopte plusieurs lois concernant l'éducation.En 1845 sont créées les commissions scolaires (après une premièreloi datant de 1841). Des commissaires élus par les propriétaires

Page 7: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

8 • Repenser l'école

ont le mandat d'organiser et de gérer localement les écoles primai-res publiques, en se finançant par l'impôt foncier. Le droit à ladissidence est reconnu aux minorités religieuses. Un « surintendantde l'instruction publique» est nommé à compter de 1842, pourencadrer de façon générale l'action des commissions scolaires. L'en-seignement secondaire, pour l'essentiel, reste privé et pris en chargepar des établissements (collèges ou séminaires) relevant des com-munautés religieuses ou des évêques. L'université Bishop's et l'uni-versité Laval, créées respectivement en 1851 et 1852, s'ajoutent àune autre université privée, McGill, qui fonctionne déjà depuisquelques années. En 1857 sont mises en place des Écoles normalesà Montréal et à Québec pour préparer les futurs enseignants. Audébut du xxe siècle, le gouvernement du Québec ouvre des écolestechniques et professionnelles (à Montréal et à Québec en 1907,dans d'autres villes par la suite); en 1922, une École des beaux-arts est fondée à Montréal et une autre à Québec, en 192,9. Tousces établissements subsistent à peu près inchangés au début de laRévolution tranquille.

Tous ces développements institutionnels se sont déployés d'unefaçon empirique, en réponse à des besoins nouveaux, sans plani-fication d'ensemble. Les structures d'encadrement et de gestion dusystème d'éducation sont mises en place entre 1850 et 1875. En1856, le Parlement crée un Conseil de l'instruction publique, dotéde pouvoirs réglementaires sur les écoles. Il faut attendre 1868pour que la province de Québec, établie comme entité politiqueautonome avec compétence exclusive en éducation par l'Acte del'Amérique du Nord britannique de 1867, se dote d'un ministèrede l'Instruction publique. Ce ministère sera éphémère : il est abolien 1875. À compter de cette date, l'essentiel des pouvoirs politi-ques d'encadrement et de gestion de l'éducation primaire et secon-daire publique appartiendra au Conseil de l'instruction publiqueet, en pratique, à ses comités confessionnels catholique et protes-tant. Ainsi, le comité catholique, composé de tous les évêques dela province et de laïcs, est-il le maître d'œuvre de l'éducation pri-maire et secondaire publique, l'État québécois s'étant délesté deses pouvoirs dans le domaine. En outre, l'Église contrôle les collègeset séminaires, assumant une part importante de l'enseignementsecondaire, de même que la direction des universités francophones(Laval et l'Université de Montréal devenue autonome en 192,0).Une tentative de rétablir le ministère de l'Instruction publique

Page 8: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Introduction • 9

échoue en 1897 face au veto de l'Église et de l'opposition conser-vatrice au Conseil législatif (Chambre haute de l'Assemblée légis-lative du Québec, qui sera abolie en 1968). Ainsi, de 1875 à 1964,il n'y a pas de ministère de l'Éducation au Québec ; certains minis-tères interviennent dans le domaine, comme le ministère de laJeunesse et du Bien-être social, créé en 1946, qui est responsabledes écoles techniques, mais le gouvernement se borne à aider fi-nancièrement, de façon discrétionnaire et fluctuante, les commis-sions scolaires, collèges et universités. Pour l'essentiel, l'éducationest dirigée par le comité catholique du Conseil de l'instructionpublique, par l'Église et les communautés religieuses. Les anglo-protestants ont leurs propres instances et institutions.

Pendant la décennie qui précède la Révolution tranquille, lesystème d'éducation québécois vit une situation de crise que l'onpeut caractériser comme suit:

Absence d'une autorité unifiée, capable de coordonner l'ensembledu système. L'État ne dirige et contrôle vraiment que les écolestechniques et professionnelles qu'il a créées depuis le début dusiècle. L'enseignement primaire et secondaire public relève descomités confessionnels du Conseil de l'instruction publique (qui nes'est pas réuni comme tel entre 1908 et 1960!); l'enseignementsecondaire est massivement privé sous la gestion partagée desautorités religieuses et des facultés des arts des universités; lesuniversités sont privées et autonomes. Le système évolue en piècesdétachées.

Dualité profonde du système d'éducation. Il y a un système d'édu-cation pour les catholiques (surtout francophones) et un systèmed'éducation pour les anglophones (protestants surtout, mais quesuivent les anglo-catholiques); chez les franco-catholiques, il y adualité selon les sexes au primaire et au secondaire; enfin, il y adualité d'un système public, incomplet au secondaire, et d'un sys-tème privé.

Pluralité des programmes du secondaire. Le secondaire, en parti-culier, apparaît comme un fouillis d'établissements, de filières deformation, de structures et de programmes disparates, non coor-donnés, étanches les uns aux autres. Ainsi, le secondaire publicfrancophone, institué progressivement par les commissions scolai-

Page 9: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

io • Repenser l'école

res, est incomplet, ne conduit pas à l'ensemble des facultés univer-sitaires et n'est pas articulé au cours classique, dispensé dans lesétablissements privés, qui, lui, ouvre les portes de toutes les facul-tés. En fait, il y a une variété injustifiée de programmes secondai-res : le cours classique de huit années ; les « sections classiques » descommissions scolaires (qui donnent les quatre premières années ducours classique traditionnel, ce qui force certaines facultés univer-sitaires à offrir des programmes préparatoires pour les diplômésde ces sections classiques) ; des écoles techniques, professionnelles,commerciales ( « business collèges » privés et peu ou pas réglemen-tés), agricoles; pour les jeunes filles, s'il y a possibilité de suivre lecours classique complet, il y a aussi tout un réseau parallèled'«écoles ménagères» et d'«instituts familiaux» voulant donnerune «formation et une culture féminines». Cette multitude defilières de formation se paye lourdement en problèmes d'orienta-tion et de rattrapage pour une proportion significative de jeunes.L'accès à l'ensemble des facultés universitaires est limité aux seulsdiplômés du cours classique.

Sous-financement structurel du système d'éducation. Les commis-sions scolaires dépendent d'abord de l'impôt foncier, qui varieconsidérablement selon la richesse des régions et des quartiers;régulièrement, le gouvernement doit combler les carences de leursrevenus autonomes. On observe des disparités de revenus entrecommissions scolaires et donc des disparités entre les servicesqu'elles offrent à leurs élèves. Il n'y a normalisation ni de l'impôtfoncier ni des dépenses des commissions scolaires. Par ailleurs, lescollèges privés et les universités se plaignent constamment demanquer de ressources ; le gouvernement préfère la distribution desubventions discrétionnaires à un système de financement statu-taire.

Sous-scolarisation marquée chez les francophones. Ainsi, en 1958,pour 100 élèves admis au primaire, seulement 30 atteignent la9e année et 13, la ne (contre 36 chez les anglo-protestants). Lascolarisation universitaire des francophones laisse aussi à désirer:en 1960, 2,2, ooo étudiants fréquentent les universités québécoises,soit 4,3 % de la cohorte des 20-24 ans; mais le taux de fréquen-tation universitaire est très inégal entre anglophones ( 11 % ) etfrancophones (3 %).

Page 10: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Introduction • 11

Ainsi, le système d'éducation québécois — du moins celui quefréquentent les francophones — apparaît-il comme archaïque, malet peu coordonné, sous-finance, sous-fréquente, fragmenté, dispa-rate, peu adapté aux exigences d'une société industrialisée etmajoritairement urbanisée. Le système d'éducation retarde nette-ment par rapport à l'évolution de la société québécoise que lecinéma, la radio et la télévision bouleversent et modernisent à unrythme accéléré. Et ce système d'éducation est fort peu démocra-tique ; la richesse des parents conditionne lourdement la possibilitépour les enfants d'acquérir une formation secondaire complète etune formation universitaire.

Un changement institutionnel et culturel massif était inévitable.

Les réformes de la Révolution tranquille

Ce changement ou, pour mieux dire en reprenant un mot en vogueà l'époque, cet aggiornamento, ce fut l'œuvre de la « Révolutiontranquille ». Les années de la Révolution tranquille balaient sansménagement ce système centenaire et instaurent une nouvelle édu-cation québécoise qui dure maintenant depuis une génération. Etles récents États généraux sur l'éducation (1995-1996), s'ils ontproposé des perspectives nouvelles et s'ils pressent la société qué-bécoise d'ajuster le tir en matière d'enseignement, n'ont certes pasenclenché une entreprise réformatrice d'une envergure un tant soitpeu comparable à celle des années 1960. Les grands acquis de cesannées — le ministère et le Conseil supérieur de l'Éducation, lesécoles polyvalentes, les commissions scolaires régionales, les cégepset leur double formation pré-universitaire et technique, etc. —demeurent solidement en place. Le récent débat sur la confession-nalité des structures et la place de la religion à l'école nous aramenés à des débats déjà bien engagés au moment de la granderéforme de l'éducation; et les opinions qui se sont affrontées surce thème ont offert de saisissantes ressemblances avec celles desannées 1950-1960.

Évoquer ces années qui paraissent maintenant lointaines, c'estd'abord faire surgir de la mémoire quelques faits historiques mas-sifs et dominants. Ce fut un temps d'intenses débats sur l'éduca-tion, débats mobilisant tous les secteurs de la société et culminantdans la publication de deux grands rapports : les cinq volumes durapport Parent, du nom du président de la Commission royale

Page 11: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

12 • Repenser l'école

d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec (1961-1966) et les deux tomes de celui de la Commission d'enquête surl'enseignement des arts (1966-1968), présidée par le sociologueMarcel Rioux. Ce fut un temps d'âpres affrontements autour de laquestion du rôle de l'État en éducation et de la création d'unministère de l'Éducation, rendue finalement possible par un com-promis historique entre le pouvoir politique et l'Assemblée desévêques. Ce fut aussi le temps d'une véritable révolution culturelle,marquée par un slogan célèbre de l'époque: «Feu l'unanimité! »,et aussi par toutes espèces de transformations dans les attitudes,les croyances, les valeurs de la population. Ce fut encore le tempsd'une énorme et dévorante activité politique, législative et admi-nistrative des gouvernements successifs du Québec.

Mais, la fébrilité et l'éclat des années 1960 occultent quelquepeu un autre fait historique considérable, que rappelle judicieuse-ment un artisan central de la réforme de l'éducation, notammentà titre de sous-ministre, Arthur Tremblay : « En matière d'éduca-tion, à tout le moins, les "bouleversements" des années 60 sepréparaient déjà depuis de nombreuses années1. » Ainsi, au milieude la décennie précédente, une autre commission royale d'enquête,présidée par le juge Thomas Tremblay et consacrée à l'étude desproblèmes constitutionnels du Québec (en partie en raison de l'ac-tivisme centralisateur du gouvernement fédéral à compter de 1945),avait déjà été l'occasion d'ouvrir un large débat sur l'état et ledevenir de l'éducation québécoise. Comme le signale encore ArthurTremblay, environ 140 des quelque 2.40 mémoires soumis à lacommission Tremblay traitent de façon importante de l'éduca-tion2 . En fait, dès que la fin de la Deuxième Guerre mondiale en1945 permet à la société et aux gouvernements de porter attentionaux enjeux du développement économique, social et culturel, laquestion du devenir du système d'éducation québécois prend uneplace croissante dans les préoccupations de la société en général etde ceux qui s'emploient à réfléchir aux priorités collectives. Lapublication en 1951 du rapport de la Commission royale (et fédé-rale) d'enquête sur l'avancement des arts, des lettres et des sciences

i. Arthur TREMBLAY, Le ministère de l'Éducation et le Conseil supérieur. An-técédents et création, 1867-1964, Québec, Presses universitaires de Laval, 1989,p. 114.

2,. Ibid., p. 59.

Page 12: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Introduction • 13

(dite Commission Massey-Lévesque), sa suggestion chaudementendossée par le gouvernement fédéral à l'effet que celui-ci accordeune aide financière aux universités (relevant en principe, selon laconstitution, de la compétence des provinces) relancent aussi lesdébats sur l'éducation. Un certain nombre de problèmes étreignentde plus en plus cruellement le système d'éducation du Québec:problèmes financiers des commissions scolaires, des collèges et desuniversités, certes, mais aussi sous-scolarisation des francophones,anarchie et manque de coordination de l'enseignement secondaire,vétusté de la pédagogie et des programmes, médiocrité des condi-tions de travail et de la formation du personnel enseignant, inéga-lité d'accès aux études supérieures, etc.

Pendant les années 1960, face au gouvernement vieillissant deMaurice Duplessis qui aime bien construire de nouvelles écoles etdonner, à sa discrétion, des subventions parfois généreuses auxcommunautés religieuses engagées en éducation, mais qui aban-donne aux évêques du comité catholique du Conseil de l'instruc-tion publique le soin d'orienter le système, face à ce gouvernementfoncièrement conservateur, des voix de plus en plus nombreuses(d'individus et de groupes) réclament des changements, une mo-dernisation, une transformation du système d'éducation. Les idéesles plus variées envahissent la place publique. Il ne faut pas croireque tout le monde réclame une métamorphose complète ; bien aucontraire, il se trouve des défenseurs du statu quo, beaucoup degens qui proposent quelques ajustements plus ou moins impor-tants, et aussi des promoteurs d'un renouvellement en profondeurde l'école québécoise.

Ce renouvellement sera articulé par le rapport Parent et pro-gressivement mis en œuvre. En fait, dès l'automne 1959, certaineslégislations adoptées sous l'inspiration de Paul Sauvé entrepren-nent la reconstruction du système d'éducation (par exemple, endonnant un caractère statutaire et non plus discrétionnaire auxsubventions aux commissions scolaires, collèges et universités). Legouvernement Lesage multiplie aussi les changements législatifs(par exemple la « Grande Charte de l'éducation », c'est-à-dire lesmultiples lois adoptées en 1960 et 1961). Cependant, c'est le rap-port Parent qui identifie et sanctionne les transformations néces-saires à la modernisation de l'éducation québécoise: outre lesstructures d'encadrement (ministère et Conseil supérieur), le rap-port s'intéresse à l'architecture du système (primaire de 6 ans,

Page 13: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

14 • Repenser l'école

secondaire polyvalent de 5 ans, pré-universitaire de 2. ans, etc.), àl'esprit des programmes et à la pédagogie, aux services éducatifs,en un mot: à tous les aspects de l'éducation. Les quelque 600recommandations du rapport Parent fournissent d'abondantes idéespour mettre en place une nouvelle éducation au Québec. Pour fairebonne mesure, le rapport de la commission Rioux sur l'enseigne-ment des arts ajoutera environ 400 recommandations à celles durapport Parent.

Ce n'est pas diminuer l'œuvre considérable de Mgr Parent et deMarcel Rioux et de leurs collègues commissaires de dire qu'ils nesont pas les auteurs uniques de ce millier de recommandations quieurent une si considérable influence sur la métamorphose du sys-tème d'éducation québécois. Chaque commission d'enquête a reçuplusieurs centaines de mémoires comportant souvent un grandnombre de suggestions novatrices. Et ces mémoires, émanant desgroupes les plus divers de la société québécoise, incorporent eux-mêmes des idées brassées tout au long des années 1950 et 1960dans d'innombrables discussions, articles de journaux ou de pério-diques et débats de toute espèce. Un intense bouillonnement desidées sur l'éducation occupe les marmites intellectuelles et concep-tuelles de la société québécoise depuis plus d'une décennie quandles grandes commissions se mettent à l'œuvre, parallèlement àl'équipe des technocrates réformateurs du ministre Gérin-Lajoie.La grandeur de l'œuvre de la commission Parent et de la commis-sion Rioux fut d'approfondir, d'ordonner, de systématiser et desynthétiser un puissant courant réformateur et de fournir auxgestionnaires et aux responsables politiques un plan d'action réflé-chi et cohérent pour la reconstruction de l'éducation québécoise.Mais l'une et l'autre commissions furent abondamment nourriespar des réflexions émanant de tous les coins de la société québé-coise.

Présentation de l'anthologie

C' t précisément l'objectif (ou, pour mieux dire, l'ambition) de laprésente anthologie de rassembler et de rendre accessible, sous uneforme commode, un ensemble de textes permettant de connaîtreles origines et de mieux comprendre les caractéristiques les plusimportantes d'une transformation sociale, politique et culturellemajeure dans l'histoire du Québec. Cette anthologie regroupe des

Page 14: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Introduction • 15

textes inspirateurs et fondateurs de l'éducation québécoise con-temporaine, tout comme elle fait place à l'expression fréquente deprudences, de réticences, de résistances au changement qui fontcontrepoids à la volonté réformatrice.

Cette anthologie vise donc à regrouper un ensemble de textesqui reflètent le grand débat scolaire québécois de 1945 aux années1960, permettant d'apprécier à la fois les résistances au change-ment et les projets novateurs, et aidant à mieux situer la contribu-tion des rapports Parent et Rioux dans les origines de l'éducationquébécoise actuelle.

Toute anthologie étant la résultante de choix multiples et addi-tionnés, il convient maintenant d'expliciter les choix qui ont pré-sidé à la préparation de la présente anthologie. En premier lieu,l'anthologie privilégie certains thèmes relatifs aux questions d'édu-cation. Ce privilège n'est pas absolu, mais il a inspiré la rechercheet la sélection des textes. L'anthologie s'intéresse particulièrementà quatre thèmes principaux.

Le premier thème est plutôt philosophique : il s'agit de circons-crire la conception d'ensemble qu'on se fait de l'éducation, de sanature, de sa finalité, en regard de la personne et de la société. End'autres termes, en quoi consiste une bonne éducation dans lasociété urbanisée et industrialisée qu'est devenu le Québec au milieudu xxe siècle ?

Le deuxième thème est de nature politique : il s'agit de détermi-ner le rôle de l'État en matière d'éducation et le statut et la mesured'autonomie qu'il convient d'accorder aux organismes d'éduca-tion, comme les commissions scolaires, et aux établissements d'en-seignement, comme les collèges classiques et les universités privésqui occupent encore une place très considérable dans le systèmed'éducation d'avant la Révolution tranquille.

Le troisième thème est en bonne partie pédagogique : il s'agit dediscerner comment doit être organisée l'éducation en regard desgrands ordres primaire, secondaire et supérieur, de la maternelle àl'université, donc d'établir une architecture d'ensemble du systèmed'éducation. Il s'agit aussi de mettre en lumière quels doivent êtreles contenus de l'éducation et les méthodes pédagogiques nécessai-res au succès de l'entreprise éducative.

Le quatrième thème concerne la question de la confessionnalité :la place de la religion dans l'éducation, le rôle de l'Église, lesresponsabilités de l'État à cet égard.

Page 15: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

i6 • Repenser l'école

Le choix de ces quatre thèmes a été suggéré par les grandsrapports des années 1960, notamment celui de la Commissionroyale d'enquête sur l'enseignement. En effet, la table des matièresdu rapport Parent met en lumière les grands terrains de réflexionde cette commission. Le tome I, publié en avril 1963, traite des« structures supérieures du système scolaire » dont, évidemment, lerôle de l'État, revu et repensé par la création d'un ministère del'Éducation. Le tome II, publié en novembre 1964, se consacre aux«structures pédagogiques du système scolaire», niveaux d'ensei-gnement, programmes d'études, services éducatifs, donc les carac-téristiques et les contenus de l'éducation. Le tome III, publié enmars 1966, traite entre autres de la question de la confessionnalité.

Tels sont les grands thèmes qui ont inspiré la sélection des textesque rassemble l'anthologie. Évidemment, cette courte liste, mêmesi elle s'autorise d'une référence au rapport Parent, demeure essen-tiellement un choix. Une sélection fondée sur d'autres thèmes auraitété possible : par exemple, le financement de l'éducation, la forma-tion du personnel enseignant, les rivalités entre le gouvernementfédéral et celui du Québec, etc., tous thèmes qui sont d'ailleurstouchés incidemment. Les thèmes retenus paraissent donc fonda-mentaux et structurants; de plus, ils traitent de questions quisollicitent encore les débats actuels en éducation.

Le choix des thèmes qui structurent l'anthologie a mené à undeuxième choix déterminant : comment regrouper les textes ? Fal-lait-il imposer un regroupement des textes par thème et les présen-ter selon l'ordre chronologique thème par thème ? Ou devait-ons'en tenir au seul ordre chronologique ? Après réflexion, c'est l'or-dre chronologique général qui a prévalu pour la présentation destextes. Ce choix se justifie par un certain nombre de considéra-tions. D'une part, dans les textes, très fréquemment deux ou plu-sieurs des thèmes sont traités, souvent de façon inextricable.L'imposition d'un regroupement des textes par thème préalable-ment à l'ordre chronologique aurait obligé à un découpage dou-loureux de nombreux textes. On comprendra que les auteursindividuels ou collectifs des textes livrés aux débats sur l'éducationavaient d'autres préoccupations que de faciliter la tâche aux fai-seurs d'anthologie venant relire leurs écrits à un demi-siècle dedistance ! D'autre part, l'ordre chronologique a au moins la vertude respecter (autant que faire se peut) la dynamique du dévelop-pement historique des débats sur l'éducation. Chaque texte s'in-

Page 16: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Introduction • 17

sère à un moment donné dans un débat déjà engagé; il se nourritde références antérieures; il prépare, avec plus ou moins d'in-fluence, la suite des débats. Pour ces raisons, l'ordre chronologi-que est apparu le moins risqué et le plus attentif au déploiementd'un grand débat de société, avec les tâtonnements, les dérives, lesnostalgies et les percées novatrices qui s'y expriment.

Le recours à l'ordre chronologique pose évidemment la ques-tion du cadre temporel de l'anthologie. Pour point de départ, ona choisi l'année 1945. Ce choix repose sur l'idée que la fin de laDeuxième Guerre mondiale constitue le début d'un nouveau cha-pitre dans l'histoire de la société québécoise. La fin de la guerrefait passer au premier plan d'autres enjeux et d'autres débats queceux des années précédentes. Pour terme, l'anthologie choisit lapériode des audiences de la commission Parent et celle de la pro-duction des quelque 300 mémoires remis à cet organisme, c'est-à-dire pour l'essentiel les années 1961 à 1963. Ici intervient un choixmajeur de l'anthologie. En effet, la commission Parent publie lepremier tome de son rapport en avril 1963. À compter de cemoment, le débat scolaire québécois prend une nouvelle forme,une nouvelle tournure: désormais — et cela se vérifiera avec lestomes ultérieurs du rapport Parent et, encore davantage, avec lesdécisions que prendra le gouvernement dans le sillage des recom-mandations de ce rapport —, les intervenants dans le débat scolaireformuleront leurs positions, leurs avis et leurs recommandationsen référence à ce rapport. Un nouveau débat prend forme qui n'estplus exactement la suite du débat engagé depuis 1945, parce quela synthèse et les orientations proposées par le rapport Parentviennent changer en profondeur les termes de référence et reformulerles enjeux. Le débat autour des recommandations du rapport Parentest passionné et passionnant ; cependant, ce n'est plus exactementle débat de la période 1945-1963. En conséquence, la présenteanthologie se clôt avec les audiences de la commission Parent. Onpourra contester un tel choix. Cependant, il faut aussi prendre encompte une autre donnée, bien pratique mais non moins influente :la générosité et l'hospitalité de l'éditeur comportent des borneslégitimes et il serait bien inélégant d'en abuser.

À l'intérieur de la période 1945-1963, une périodisation a étéétablie qui comporte quatre temps. Le premier temps s'ouvre avecl'année 1945 et se poursuit jusqu'à un événement important, c'est-à-dire la publication à la fin de 1953 du Rapport du sous-comité

Page 17: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

i8 • Repenser l'école

de coordination de l'enseignement à ses divers degrés. Le sous-comité en question avait reçu mandat du comité catholique duConseil de l'instruction publique de réfléchir méthodiquement à lacoordination d'un système d'éducation devenu fort disparate etéclaté. Les propositions de ce sous-comité, préfigurant souventcelles que fera une décennie plus tard la commission Parent, mar-quent un point tournant dans les débats sur l'éducation et devien-nent une référence importante pour la suite de ces débats.

Une deuxième période historique se définit en référence auxtravaux de la Commission royale d'enquête sur les problèmesconstitutionnels, la commission Tremblay, de 1953 à 1956. Commeon l'a signalé, plus de la moitié des mémoires soumis à cette com-mission traitent d'éducation, et certains, de façon particulièrementélaborée. Cela justifie de retenir le moment de la commissionTremblay et d'y reconnaître un grand brassage d'idées dont beau-coup reviendront jusque dans les mémoires à la commission Parent.Plusieurs organismes influents citent, dans leur mémoire à cettedernière, des passages du mémoire qu'ils avaient sou is à la pré-cédente commission.

Mais le premier ministre Duplessis ne manifeste guère d'em-pressement à donner des suites concrètes au rapport de la Com-mission sur les problèmes constitutionnels qu'il avait pourtantlui-même créée pour riposter au centralisme croissant du gouver-nement fédéral. Aussi, des lendemains de la commission Tremblayau début des réformes du gouvernement Lesage, soit de 1956 audébut des années 1960, une nouvelle période se déploie, celle del'attente impatiente de ces réformes. À travers les colloques, lesarticles, les éditoriaux, les mémoires aux organismes et responsa-bles gouvernementaux, des réformes sont exigées d'une voix deplus en plus impérieuse.

La dernière période couverte par cette anthologie, c'est celle dela préparation du rapport de la commission Parent et des nom-breux mémoires qui lui furent présentés.

Telle est la périodisation adoptée pour la présentation chrono-logique des textes. Entre certaines des périodes, il y a des chevau-chements: l'histoire ne se laisse pas toujours découper avec lanetteté d'un coup de bistouri. Mais, au delà de ces chevauche-ments, il apparaît légitime de reconnaître des temps successifs bienmarqués et différents dans le grand débat scolaire du Québec.

Il convient maintenant de mettre en lumière les critères qui ont

Page 18: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Introduction • 19

présidé au choix des textes eux-mêmes. D'abord, le caractère publicdes textes : cette anthologie ne contient que des textes qui ont déjàété publiés sous forme d'articles de journaux ou de revues, delivres, de mémoires communiqués à des commissions d'enquête ouà des organismes ou responsables gouvernementaux. Cette antho-logie ne livre donc aucun inédit ; de tels textes n'auraient pu nour-rir un débat de société. Ensuite, ces textes sont très divers par leursauteurs (individus, groupes ou institutions) ou par leur forme (édi-toriaux, articles de revue, extraits de livre ou de documents offi-ciels, transcriptions de débats, etc.). Surtout, les textes ont étéchoisis avec l'ambition de refléter aussi complètement que possibleles divers aspects du débat sur l'éducation et, évidemment, lesdivers points de vue. Dans ce contexte, on s'est efforcé de choisirdes textes qui permettent d'apprécier toute la largeur du spectredes idées et des positions. Ce qui appelle deux commentaires.D'une part, lorsqu'il fallait choisir entre deux ou plusieurs textesexprimant des positions comparables ou des idées apparentées, ona donné la préférence à celui des textes qui exprimait de la façonla plus claire, la plus ferme, la plus tranchée, les conceptions depersonnes ou de groupes appartenant à une même région du spec-tre des idées. Ainsi a-t-on choisi les textes retenus parmi ceuxexprimant les positions du milieu syndical ou encore celles desdéfenseurs du cours classique. D'autre part, cette règle a été suivieavec un constant souci de représentativité des divers courants d'opi-nion sans pour autant chercher à faire nécessairement place àtoutes les nuances de l'opinion; il s'ensuit que des opinions quiparaissent aujourd'hui particulièrement marginales dans la sociétéquébécoise de l'époque ne se retrouvent pas forcément dans l'an-thologie ; il s'ensuit aussi que l'anthologie accorde à des individusou à des groupes qui exerceront une influence importante dans lesdébats et dans la société québécoise l'attention qu'on estimait devoirleur porter.

Une anthologie, fondée ultimement sur un jugement et un choix,demeure toujours imparfaite; aussi, celle-ci aura droit à son lotde critiques; cela est inévitable, et bien recevable. La présenteanthologie s'efforce néanmoins de rassembler des textes parmi lesplus significatifs et les plus représentatifs du grand débat scolairequébécois de 1945 aux débuts de la Révolution tranquille. Pourpallier les imperfections du choix des textes, on s'est par ailleursefforcé de présenter et de bien situer chaque texte retenu et de

Page 19: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

2O • Repenser l'école

compléter la sélection par des références permettant au lecteurd'aller lui-même à la rencontre d'autres textes.

La lecture de l'anthologie pourra suggérer des conclusions va-riées quant au cheminement du débat sur l'éducation québécoiseau milieu du xxe siècle. Pour ma part, l'examen de ce corpusconsidérable, aussi bien des textes qui figurent dans l'anthologieque de ceux qui n'ont finalement pas été retenus, me conduit à unedouble constatation. D'une part, les grands rapports des années1960, les rapports Parent et Rioux, de même que les décisionsgouvernementales qui ont transformé l'école québécoise, furentvraiment, comme l'a dit Arthur Tremblay, le fruit d'une longuepréparation. La commission Parent n'a pas tout inventé, non plusque les gouvernants et les hauts fonctionnaires de la Révolutiontranquille. Et ils bénéficièrent d'un long et patient travail de ré-flexion. D'autre part, ce qui vient d'être dit n'amoindrit pas lemérite de ceux et celles qui s'employèrent à réformer l'éducationquébécoise : car ils surent agir dans un contexte où nombre d'hé-sitations, de réserves et de résistances se dressaient devant eux,comme l'illustre cette anthologie où s'expriment souvent la réti-cence devant le changement et une faible capacité à imaginer denouvelles façons de faire.

Je veux remercier les personnes sans le concours et la collabora-tion desquelles la préparation et la publication de cette anthologien'auraient pas été possibles. Monsieur Antoine Del Busso, direc-teur des Éditions Fides et des Presses de l'Université de Montréal,a accueilli avec beaucoup d'enthousiasme mon projet et m'a faitpleinement confiance. Monsieur Robert Laliberté, éditeur aux PUM,m'a accordé un soutien professionnel et technique à la fois cons-tant, expert et généreux, ainsi que les membres de son équipe. Lespersonnels des services des archives de l'Université du Québec àMontréal, dont Mesdames Christiane Huot et Sylvie Ménard, etde l'Université de Montréal et ceux de la bibliothèque de l'UQAMm'ont grandement facilité le repérage des documents pertinents.Le Père Louis-Joseph Goulet, jésuite, m'a procuré des notes bio-graphiques de membres de sa communauté. Madame Marie Léveilléet Monsieur François Gravel, du Centre de recherche Lionel-Groulx,

Page 20: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Introduction • 21

m'ont donné accès aux spicilèges d'André Laurendeau et de Gé-rard Filion. Madame Marguerite Ducharme, secrétaire au dépar-tement de science politique de l'UQAM, a mis à mon service samaîtrise du traitement de texte; elle a surtout accueilli avec pa-tience et disponibilité les versions successivement corrigées desnotes d'introduction aux différents textes sélectionnés. Enfin,Monsieur Jean-Pierre Couture, étudiant à la maîtrise en sciencepolitique de l'UQAM, m'a accompagné tout au long de la prépa-ration de l'anthologie: il a assumé les tâches ingrates, inhérentesà un tel travail, de repérage et de photocopies de textes, et derecherche, souvent fastidieuse, des mille et une informations néces-saires; sa collaboration a été exemplaire. Je remercie donc vive-ment toutes ces personnes. Comme le veut la formule consacrée,elles ont contribué aux qualités de cet ouvrage ; je suis seul respon-sable de ses défauts.

Claude CorboProfesseurDépartement de science politique, UQAMJuin 20oo

Page 21: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

22 • Repenser l'école

Note de l'Éditeur

À propos du cours classique: comme il en est question dans plu-sieurs textes, et pour limiter au minimum l'annotation, il convientsans doute d'expliquer au lecteur non averti le vocabulaire parti-culier associé à ce cursus aujourd'hui disparu. Le cours classiqueavait une durée de huit ans, après les sept années du primaire. Ilcommençait par la classe d'« éléments latins » (ou « éléments » toutcourt), dont les élèves étaient parfois appelés les « élémentaires » ;la deuxième année (la 9e) s'appelait « syntaxe » ; la troisième (ioe),«méthode»; la quatrième (ne), «versification», à la fin de la-quelle, l'élève obtenait son «immatriculation». Après ces quatreannées de secondaire venait le cours collégial, avec la classe de«belles-lettres» (i2.e), celle de «rhétorique» (i3e)et les deux an-nées de philosophie (dites «philo I» et «philo II»). À la fin ducours classique, l'élève obtenait le baccalauréat es arts (ou « B.A. »),décerné par la faculté des arts de l'université à laquelle était affiliéson collège. Un « bachelier » était donc un diplômé du cours clas-sique, et non pas, comme aujourd'hui, le détenteur d'un diplômeuniversitaire de premier cycle (qu'on appelait plutôt une « licence »).

Par ailleurs, on s'est borné, dans l'édition de cette anthologie, à corrigerles fautes et les coquilles évidentes, à compléter la plupart des abrévia-tions et à uniformiser la composition des chiffres, montants et ordinaux,selon l'usage actuel. On a respecté la ponctuation des textes d'origine demême que l'usage assez variable qu'on y fait des majuscules. On a com-posé la plupart des sigles sans points abréviatifs. Les passages soulignés,uniformément rendus par des italiques, le sont dans le texte. Les quelquesinterventions de l'éditeur, principalement dans les intertitres, sont placéesentre crochets.

Page 22: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Première partie

Perspectives d'après-guerre1945-1954

Page 23: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

This page intentionally left blank

Page 24: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

i RelationsPlaidoyer pour la formation classiqueJanvier 1945

La revue Relations est, à compter de 1941, l'organe de l'École sociale populairede la Compagnie de Jésus et commente chaque mois l'actualité et les grandsenjeux sociaux et politiques. Très attachée au caractère spécifique, notammencatholique, du Canada français et aux traditions pédagogiques des Jésuites,Relations s'inquiète des débats entourant l'enseignement secondaire québé-cois et de la séduction qu'exercent auprès de certains d'autres modèles deformation secondaire (américain, notamment). Dans un éditorial de janvier 1945Relations formule un plaidoyer résolu à l'appui de la formation classique commeclé de la sauvegarde de l'identité nationale et religieuse du Canada français etcomme condition de la préparation d'une élite nationale. Abandonner cetteformation classique c'est, comme le proclame le titre de l'éditorial, consentir au«suicide d'une culture».

Un peu partout, chez nous, on s'élève contre la culture classique,ou du moins contre son monopole dans l'enseignement secondaire.L'inquiétude monte, et des éducateurs même, en mal d'adaptation,inclinent à donner à notre enseignement secondaire la structure envogue, avant cette guerre, aux États-Unis et dans les autres provin-ces canadiennes. Cette pression est un symptôme, et les maîtres del'enseignement classique doivent diagnostiquer les causes de pa-reille désaffection. Mais à tous ceux qui discutent ces problèmesgraves, à ceux-là surtout qui ont la responsabilité des décisions,nous voudrions signaler une conséquence de cet abandon, consé-quence que l'on perd de vue au milieu de considérations tropexclusivement utilitaires.

L'instruction doit fournir à l'individu les moyens de gagner savie. Mais l'éducation doit intégrer cet individu dans une culture.Une culture, c'est une façon commune de comprendre la vie et dela vivre, qui fait l'esprit même d'une société. Nous appartenons,

Page 25: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

26 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

nous du Canada français, au monde occidental; et à la cultureoccidentale nous avons donné une forme particularisée, qui s'ex-prime en nos institutions, nos œuvres, nos mœurs.

L'individu qui ne comprend pas, qui au moins ne sent pas sonappartenance à cette culture, est une menace pour sa patrie. Sesfins restent individuelles, et son égoïsme ravagera l'unité du corpssocial : comme un tissu cancéreux dans le corps humain. C'est unerésultante ordinaire, quand on ne pense qu'aux moyens de gagnersa vie. Un métier à exercer pour soi ! Au lieu d'un métier au servicede la patrie.

Cette intégration à une culture, cette, « acculturation », on ne latient pas de l'hérédité. C'est l'éducation qui l'opère. Et c'est le rôlepropre de l'enseignement secondaire d'en donner la possessionconsciente. Au niveau de l'enseignement élémentaire, « l'accultura-tion » est simple adaptation spontanée au milieu immédiat. L'ado-lescence est passage à une vie plus réfléchie et plus proprementhumaine. C'est l'âge où l'on demande à comprendre, à voir touteschoses en leurs rapports. C'est l'âge où l'éducation secondair doitamener à vivre consciemment sa culture.

Cette prise de possession peut se faire de diverses façons: ellesera plus ou moins profonde, selon la manière. L'action propre dela conception classique est de rendre pleinement présent à la cul-ture qui nous habite, en faisant retrouver, à travers la France etl'Europe médiévale, dans la Rome païenne et chrétienne et dansl'esprit d'Athènes, les racines mêmes qui nourrissent aujourd'huiencore notre culture. Pour un chef, pour tous ceux qui ont laresponsabilité de conduire notre peuple, niera-t-on qu'il soit indis-pensable de voir nettement les lignes de force de cette culture, d'encomprendre les exigences, de se soumettre à la loi de notre devenirnational ?

On ne s'étonnera plus que nous redoutions comme unecatastrophe nationale l'abandon des études classiques. Que nosdirigeants, que nos intellectuels, que nos professionnels ne com-prennent plus bientôt la tradition d'où nous sommes sortis, qu'ilsn'aiment plus un passé qui vit encore en nous, c'en sera fait, etrapidement, de notre culture. La seule histoire du Canada nepeut suffire à nous expliquer à nous-mêmes, et sans l'intelligencede toute la culture occidentale, au moins chez nos chefs, nous nesaurons plus d'où nous venons, ni, par conséquent, où nous devonsaller.

Page 26: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Relations • 27

Les États-Unis ont fait la terrible expérience de ce déracinementculturel. Il a fallu cette guerre pour déceler l'effrayante ignorancede tout un peuple sur les sources mêmes de sa vie nationale, et sonindifférence à tout ce qui n'était pas intérêt immédiat. Il ne sepasse pas une semaine qui ne nous apporte quelque déclarationd'éducateurs en vue, insistant sur la nécessité d'un retour auxhumanités pour sauver la culture américaine, thé American way oflife. Leurs universités, au fond, sont devenues de vastes écolestechniques. Combien de leurs bacheliers, de leurs docteurs même,n'y ont jamais appris qu'un métier ! Ils possèdent une technique,mais qui n'est pas au service d'une culture : puisque, de cette cul-ture, ils ignorent tout.

Pourquoi nous lancer, à notre tour, dans des aventures que re-grettent nos voisins ? Pourquoi, quand nous désirons tant être « pra-tiques », ne pas tirer parti de leur expérience ? Ces remarques invitentà la réflexion. Nous voulons, comme tous les éducateurs, que nosjeunes soient praticiens experts dans une profession ou un métierconformes à leurs aptitudes et à leurs goûts. Mais nous voulonsaussi, et surtout, qu'ils vivent d'une culture, qu'ils aiment unepatrie, le Canada, et que nos chefs au moins aient pris, dansl'expérience de notre passé culturel, une conscience plénière de cequi nous a faits.

Source: «Suicide d'une culture», Relations, vol. V, n° 49, janvier 1945, p. 1-2,.

Page 27: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

2 RelationsLe contrôle de l'enseignement techniqueet le Conseil de l'instruction publiqueFévrier 1946

Depuis l'abolition du ministère de l'Instruction publique en 1875 par le gou-vernement de Boucher de Boucherville, c'est le Conseil de l'instruction publi-que et, surtout, ses comités confessionnels (catholique — où siègent tous lesévêques — et protestant) qui régissent l'enseignement primaire et secondairepublic. Or, depuis les débuts du xxe siècle, le gouvernement a créé des écolestechniques et professionnelles non confessionnelles qui relèvent de l'un oul'autre ministère. La revue Relations dénonce cet état de choses à la fois parcequ'il propage la non-confessionnalité dans le système d'éducation et parce qu'ilcomplique la coordination du système d'enseignement. Contre ceux qui vou-draient établir un ministère régissant tout l'enseignement, Relations proposeau contraire de transférer au Conseil de l'instruction publique et à ses comitésconfessionnels toutes les écoles techniques et professionnelles établies par lesdivers ministères.

ni. Réintégration

L'absence de services et la lenteur d'exécution signalée ont généra-lement servi de prétextes pour organiser en dehors du départementde l'Instruction publique l'enseignement dit pratique: l'enseigne-ment technique et spécialisé, artisanal, agricole moyen, arts etmétiers.

Le développement de ce réseau d'enseignement d'État non con-fessionnel, en marge du Conseil et du département de l'Instructionpublique, a passé pour être avant tout le résultat de l'action poli-tique en quête d'influence et de patronage. Il n'est pas de dépensesque l'on n'ait consenties dans ces secteurs en personnel, construc-tion, équipement, etc.

[...]

Page 28: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Relations • 29

À étudier la nature, l'origine et l'évolution de ces législationsd'exception, il faut reconnaître que ces diverses lois constituentchez nous les étapes d'un acheminement classique vers la non-confessionnalité de l'enseignement.

Au fait, indépendamment et bien au-dessus de ces leçons histo-riques, la thèse doctrinale de la confessionnalité exige à elle seulela réintégration avec l'enseignement confessionnel.

La doctrine catholique énoncée dans de nombreux et impor-tants documents des Souverains Pontifes défend sous peine d'er-reur doctrinale, et donc de faute grave, de reconnaître la légitimitéd'écoles a priori non confessionnelles, pour des catholiques. Laconscience défend a fortiori à des hommes d'État catholiques, à ungouvernement catholique, de fonder un système d'écoles a priorinon confessionnelles, ou même de le maintenir surtout quand defait aucun obstacle sérieux n'existe à la réintégration. Par ailleurs,il y va de l'intérêt des protestants comme des catholiques.

Il serait illusoire de croire rendre la situation normale en se con-tentant d'introduire dans nos législations d'exception la clause:«pourvu que le programme soit soumis au Conseil de l'Instructionpublique ». De nombreuses expériences passées et les méthodes récen-tes d'application de la Loi de l'aide à l'apprentissage le démontrent.

La tâche de la réintégration qui s'impose n'est-elle pas tracéepour les successeurs de Boucher de Boucherville, qui tira notresystème scolaire des inconvénients d'un ministère de l'Instructionpublique afin d'en assurer par le système actuel le progrès selon laligne catholique et française ? Les solutions qu'il eut le couraged'appliquer par des actes de grande politique au service de notrejeunesse lui méritèrent le titre de second fondateur de nos écolescanadiennes-françaises, de véritable émancipateur de notre sys-tème scolaire.

Même le prétexte de conditions existantes pour l'obtention desubsides fédéraux mis de l'avant avec quelque fondement, cesdernières années, vient de disparaître, grâce à l'introduction dansles ententes fédérales-provinciales de toutes les conditions néces-saires au respect de notre confessionnalité et à l'intégration commeà la coordination qui s'imposent. La route est donc libre pour laréalisation d'une œuvre qui, plus que toute autre, vaudra à sesartisans le souvenir et la reconnaissance des générations à venir.

[...]

[...]

Page 29: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

30 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

IV. Coordination et développement

La fragmentation de nos systèmes d'écoles publiques empêche lacoordination, sans laquelle on ne peut assurer l'avancement de lamasse de la population scolaire vers une éducation plus poussée.L'intérêt de nos enfants réclame donc l'intégration au départementde l'Instruction publique, cette fois comme une condition de lacoordination si nécessaire entre nos divers systèmes d'enseigne-ment public. Que ne gagnerait l'enseignement spécialisé à recevoirdu primaire des élèves formés à l'initiation manuelle ! Que d'élèvesseraient spécialisés, n'eût été la séparation administrative et péda-gogique des systèmes ! Au lieu de se nuire, comme le constatent leshommes du métier, ces deux systèmes collaboreraient enfin et undéveloppement mutuel rapide en résulterait.

La coordination des branches de l'enseignement public et desdivers paliers du primaire s'impose. L'évidence de la situation nousdispense d'insister. L'étude de l'évolution de notre système et deson rendement de 1907 à 1945 nous révèle déjà que des centainesde mille enfants paieront toute leur vie la rançon des tergiversationsde diverses autorités responsables.

Le but est d'assurer un développement rapide de notre systèmescolaire. Une fois les enseignements publics intégrés au systèmegénéral, le Conseil de l'Instruction publique, secondé par un dé-partement désormais en mesure d'exécuter, n'aurait besoin que deplus d'argent pour doubler et tripler le rendement d'un systèmebien coordonné. Nous devons donc féliciter le gouvernement de ladécision qu'il vient de prendre, au cours de l'année, de fournirtoute la finance nécessaire.

Des observateurs avertis se demandent cependant avec inquié-tude si, au moment même où vont survenir les millions, le jeu dela coulisse ne réussira pas, comme dans le passé, à consolider etperpétuer la non-confessionnalité de bientôt la moitié de notreenseignement primaire, même au prix de la désintégration denotre système scolaire, en groupant en marge de notre départementde l'Instruction publique et de son Conseil, tout l'enseignementpratique, déjà non confessionnel.

Source : « Pour une grande politique au service de la jeunesse », Relations, vol. VI,n° 62, février 1946, p. 33-36.

[...]

[...]

Page 30: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

3 « Robespierre »Une critique du cours classique1947

Le traditionnel cours classique n'a pas que des admirateurs et des défenseurs.Sous le pseudonyme sulfureux de « Robespierre » s'exprime une critique vigoureuse de cette formation. Il faut, dit l'auteur, exiger que les enseignants soientmieux formés avant d'être lancés dans les classes, car la qualité de membre duclergé ne confère pas la science ni l'art de la pédagogie. Il faut dépoussiérer etmoderniser le contenu des programmes. Il faut transformer les méthodes pédagogiques. Autant de thèmes qui seront longuement débattus jusque et y com-pris dans le rapport Parent près de deux décennies plus tard.

Devant la rapidité des transformations modernes, le succès plus oumoins latent des nôtres dans l'économique et l'apparente stagna-tion du système éducatif, une hésitation grandissante se fait jour.Cette inquiétude semble s'étendre aux sphères professorales, puis-que Collège et Famille sollicite l'opinion des anciens élèves.

Je désire profiter de cette invitation pour aligner quelques re-marques, suggérer des modifications, prôner des améliorations. Àla manière ancienne, divisons cette esquisse en trois parties.

Nos professeurs ont-ils la préparation pédagogique requise ?Le programme lui-même s'est-il modifié suffisamment pour ré-

pondre aux exigences de notre époque ?Craignons-nous moins, en 1947, de brimer l'initiative par une

discipline rigide et souvent arbitraire ?

I. Improvisation des professeurs

On a compris, depuis longtemps, au degré primaire, la nécessitédes écoles normales et des instituteurs de carrière. Mais le clergé,séculier ou religieux, qui dispense l'enseignement secondaire, atoujours refusé de reconnaître ce besoin.

Page 31: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

32 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

Science et art à la fois, la pédagogie s'améliore, elle ne s'impro-vise pas. Ce n'est pas suffisant de posséder une matière, encorefaut-il savoir l'extérioriser et la rendre palpable. Qu'arrive-t-il enpratique ? Même avec des professeurs érudits, mais sans prépara-tion à l'enseignement, les élèves ne peuvent saisir les explicationsou s'attachent seulement au mot à mot. Résultat ? Voici une tren-taine d'étudiants pour qui la géométrie demeure un rébus, quiprennent en horreur, à cause de sa sécheresse, l'étude de l'algèbreou de la physique et à qui l'analyse des auteurs français paraît unetâche fastidieuse.

Il y a un autre grief, plus grave encore dans ses répercussions.C'est le choix de titulaires inaptes à l'enseignement. Un tel est tiréd'une lointaine « desserte » pour enseigner les humanités, et cetéloquent prédicateur de retraites devient professeur de mathéma-tiques ! Au petit séminaire — cette pépinière de prêtres où l'am-biance est si favorable aux vocations religieuses — la même scènese répète. Ce jeune abbé, dès sa théologie terminée, y deviendraprofesseur de rhétorique et les vicaires en surnombre y trouverontun intérim tout désigné.

Depuis quelques années, les élèves des collèges classiques fémi-nins obtiennent les premières places du baccalauréat. Bien des rai-sons furent avancées pour expliquer ce résultat. Quelques-uns y ontvu un plus grand sérieux chez les jeunes filles ; d'autres ont hausséles épaules et y ont soupçonné le seul effet de la mémoire ; et, enfin,un autre groupe a condamné ex cathedra l'intelligence de la femmetoujours moindre, d'après eux, que celle de l'homme... Ne pourrait-on pas expliquer ce fait d'une autre façon ? Ces religieuses, prépo-sées exclusivement à l'enseignement après une solide formationpédagogique, n'ont-elles pas les qualités qui manquent précisémentà nos prêtres, devenus professeurs par accident ? Je le crois.

Du préfet au surveillant d'études, tous les membres d'un collègesont désignés par une autorité supérieure. Cette autorité — jel'avance avec crainte et tremblement, mais avec respect — est-elletoujours heureuse dans son choix, est-elle toujours compétente ?

IL Nécessité d'une modification de programme

Scruter les beautés du latin et du grec doit être une préparationmerveilleuse à la culture ; traduire ces langues avec effort et à l'aidecontinue du dictionnaire devient un exercice fastidieux où l'esprit

Page 32: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

« Robespierre » • 33

cède le pas à l'imagination ou à la devination [sic]. Apprendre lachimie dans un résumé de dix pages peut être le rêve du collégien ;ce n'est pas le meilleur moyen d'en avoir des notions élémentaires.Gratifier les élèves d'un gros bouquin de physique, en faire ap-prendre les titres de chapitre, mais rater toutes les expériences,c'est la méthode voulue pour justifier l'adage qu'«au collège onapprend à apprendre ». Faire des vers latins, à l'aide d'un lexiquecommode, décharge le professeur de la corvée de l'étude du fran-çais et de la littérature. Analyser, en huit ans de cours, une partiedes Plaideurs et un « morceau choisi » de Molière dispense d'étu-dier nos grands auteurs, mais ne procure qu'un léger bagage.Enseigner l'anglais à l'aide de Shakespeare explique pourquoi nosfinissants parlent si bien cette langue. Donner quelques bribes dedroit constitutionnel, discuter de notre État fédéral et le comparerà celui de nos voisins du Sud, dispenser des éléments substantielsd'économie politique seraient des hors-d'œuvre en contradictionavec les « études de base ». Si, dans certains collèges, on a vouluménager la chèvre et le chou, — la tradition et les exigencesmodernes, — une recherche superficielle découvre vite, sous desnoms pompeux, quelques définitions hâtives et une connaissanceà peine ébauchée de ces sujets.

Fantaisiste dans sa présentation, cette énumération décrit, d'assezprès, le programme d'hier, d'aujourd'hui et probablement celui dedemain. Hélas !

Il est temps d'élaguer le vieil arbre, de retrancher les fruitsinsipides, ou hors de saison, d'opérer des greffes importantes.Que faut-il enlever ? Que faut-il ajouter ? D'abord, supprimonsles matières inutiles, et il y en a ! Au premier rang vient cettepauvre prosodie latine. Nos professeurs ne la possédaient guèremieux que nous et l'as des versificateurs était l'élève le plus fé-cond en un temps record. Le rythme de nos vers devait êtreaffreux, mais personne ne pouvait les juger; seule la quantitécomptait.

En second lieu, les « séances de classe », en latin ou en grec,prennent un temps infini, sans autre résultat tangible que de pro-voquer les applaudissements enthousiastes des parents. Les bonnesmamans sont orgueilleuses de leurs enfants, et — même si elles n'ycomprennent goutte — elles manifestent bruyamment...

Cette volumineuse « histoire ancienne » pourrait, sans dommage,se rétrécir et être émondée de dates indigestes. Savoir l'année exacte

Page 33: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

34 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

du choix, par Charlemagne, d'Aix-la-Chapelle comme capitale n'estpas d'une nécessité absolue. Un aperçu simple et clair des grandesphases du monde aurait l'avantage d'être mieux retenu et, parconséquent, de mieux profiter.

Une synthèse de l'enseignement religieux permettrait une écono-mie considérable de temps. N'allons pas jeter les hauts cris. Je nesuis pas en faveur de restreindre l'enseignement de la religion, jeme contente d'en chercher une meilleure manière. Réapprendre« par cœur », pendant deux ou trois ans, le Petit Catéchisme, dontl'élève, pendant six ans auparavant, à l'école primaire, a retenu lemot à mot, n'augmente pas la foi ni la dévotion. Même chez lesplus pieux, on y voit un labeur ennuyeux. Et, règle générale, l'effetde ce « perroquettage » est tout opposé à celui que le professeurespérait. Puis, pendant deux autres années, ce sera l'étude du ca-téchisme liturgique où les moindres ornements sont longuementcommentés : autre effort de mémoire ! Voici les années de philoso-phie et son complément, l'apologétique. Théologie en abrégé, cettescience peut contribuer à former le chrétien capable de discuter safoi. En pratique, — du moins de notre temps, — nous avions despages et des pages de dissertation à apprendre, mais on y recher-chait en vain l'argument serré, victorieux. Qu'on se reporte àl'excommunication de Galilée, qu'on relise les arguments du ma-nuel d'alors et on sera édifié sur l'art d'aligner des phrases sansrien dire ou sans attaquer la question.

Condensons en un volume de format abordable le catéchismeliturgique. Éliminons toute cette science du détail qui bloquerait leplus zélé pasteur, créons un manuel où les grandes cérémonies del'Église et leur signification se détacheront en relief, et nous attein-drons ainsi un résultat supérieur dans un délai limité. Une apolo-gétique qui s'attachera aux principales objections contre notredogme, qui apportera une réponse au point, mais sans glose inu-tile, deviendra la meilleure arme entre les mains des professionnelsde demain. Nous pourrons alors former une élite, non seulementreligieuse... ou superstitieuse, mais une élite qui croit profondé-ment et qui raisonne la cause de sa croyance. Avec un tel manuel,on allégera le cours, on économisera un temps précieux.

Nous sommes formés, nous dit-on, par l'étude du latin et dugrec. Passe pour le latin, mais le grec ? Exception faite pour deuxou trois phrases retenues pour leur consonance curieuse ou pourl'image grivoise qu'elles nous offraient, qui de nous se souvient du

Page 34: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

« Robespierre » • 35

chef-d'œuvre du grand Homère ? Qui, surtout, pourrait lire cou-ramment le texte d'un auteur ancien, qui — même parmi nosprofesseurs — n'aurait pas besoin du secours d'une bonne traduc-tion ? Tout cela ne prouve rien, me dira-t-on, car les difficultés deconstruction, d'accentuation ou de déclinaison qu'offre le grecsont un stimulant merveilleux pour l'intelligence de l'étudiant. Àce compte, chaque langue étrangère offre ses difficultés avec l'avan-tage d'une utilité plus immédiate.

Substituons à l'étude de la langue la connaissance des racinesgrecques. Immédiatement, nos collégiens comprendront mieux laformation d'un grand nombre de mots français, surtout techni-ques, et gagneront de ce fait près de trois ans qu'ils pourrontemployer à « bûcher » la grammaire française, à s'exercer au style,à s'initier à la littérature.

Au moyen âge, le latin était encore la langue d'expression desérudits. Voilà quelques siècles de cela. Pourtant, de nos jours en-core, on étudie la philosophie, on en discute, on en passe l'examenen latin... Anachronisme? Oui, mais anachronisme qui n'a pasmême l'excuse d'habituer les élèves à penser dans cette langue. Lepauvre latin que nos finissants débitent ressemble autant au verbede Cicéron que le bas roman aux Catilinaires ! Effet plus grave, ilretarde les explications, il empêche les élèves, quand il ne les re-bute pas, de saisir aussi vite les distinctions entre l'essence et lasubstance et les oblige à prendre double temps pour composer. Ici,il est facile d'emmagasiner des heures et des heures: remplaçonscette langue ancienne — maltraitée à en être méconnaissable —par l'idiome moderne. Chacun y trouvera un autre avantage : l'oc-casion d'assouplir son français.

Un bon jardinier sait émonder. Il doit aussi connaître le secretde l'ente. Nombreuses sont les greffes nécessaires. Mentionnonsune attention plus particulière pour les mathématiques, l'anglais,la littérature, le droit constitutionnel, l'économie politique, le des-sin, la peinture, les arts en général.

Jusqu'ici ces matières ont été omises ou traitées en parentespauvres. On remet à l'élève heureux un parchemin où on lui dé-cerne le titre de « bachelier es arts ». Douce ironie des mots : c'estjustement dans l'art qu'il affiche une ignorance totale. Brillam-ment admis à l'examen, peut-être même détenteur du prix duprince de Galles, ce premier de classe ne distingue pas une aqua-relle d'une gouache. Le « beau », pour lui, se limite à une définition

Page 35: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

36 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

de Calvet1 ou autre auteur à l'avenant, mais il ne peut le saisir, lecomprendre, le comparer. Fier comme un roitelet, il s'en va par lesrues avec son diplôme, ses prix, sa couronne, mais il ignore toutde la constitution de son pays et les grands voisins du Sud lui sontaussi inconnus qu'à l'homme de la rue. Il se destine peut-être àPolytechnique : son algèbre, il en connaît à peine les éléments et lagéométrie lui paraît toujours comme un casse-tête chinois. Mais ildoit exceller dans la culture générale ? N'affirmons pas trop vite.Bourget, Saint-Exupéry, Claudel, Chateaubriand, Hugo, Voltairelui sont totalement inconnus. En élève sage, il a écouté tous lesimpedimenta de l'abbé Bethléem2 et du préfet et s'est gardé de cesécrivains «rationalistes». Une fois, en cachette, il a lu Pêcheurd'Islande de Loti, mais il a failli se faire expulser : cette expériencedangereuse lui a servi d'avertissement salutaire et il n'a pas réci-divé.

En somme, ce bon élève n'a guère appris. A-t-il, au moins,« appris à apprendre » ? Gardons-nous de le suivre à l'universitéou, plus tard, dans la vie: nous nous exposerions à une cruelledésillusion. Il va devenir un avocat moyen, un médecin moyen, unarchitecte moyen. Toute sa curiosité se portera sur l'issue de lalutte entre le Canadien et le Toronto...

Pour pallier ce résultat, le collège doit songer à dispenser unenseignement plus substantiel. La lecture doit être favorisée partous les moyens, dont le principal est la création d'une bibliothè-que. L'enseignement de la littérature ne doit pas être une sèchenomenclature de notices biographiques ni se confiner à quelqueslignes ou à quelques mots d'un auteur. Un peu moins du « bon LaFontaine», un peu plus des meilleurs écrivains contemporains.Nous avons, sur notre pays, un livre merveilleux: Le Canada,puissance internationale, de Siegfried. Le lit-on, le fait-on lire, lecommente-t-on dans nos collèges ? Je ne le crois pas. Bruchési,Chapais, Garneau ont écrit, de façons diverses, d'excellentes his-

i. Calvet: J. Calvet, auteur d'un Manuel illustré d'histoire de la littératurefrançaise, utilisé dans les collèges du Québec, qui présentait cette histoire du pointde vue catholique. (N.d.E.)

2.. Abbé Bethléem: Louis Bethléem (1869-1940), auteur français d'un grosouvrage de référence intitulé Romans à lire et romans à proscrire. Essai de clari-fication au point de vue moral des principaux romans et romanciers (depuis 1500)avec notes et indications pratiques. (N.d.É.)

Page 36: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

« Robespierre » • 37

toires du Canada. Est-ce que nos bibliothèques collégiales possè-dent ces livres en exemplaires suffisants ?

La loi organique de 1867 devrait être étudiée, commentée, com-parée avec la constitution des États-Unis. Un parallèle avec ce paysindiquerait les différences de base entre les deux États. Brossée, àgrands traits s'il le faut, l'histoire des huit autres provinces sœursoffrirait à l'élève des horizons nouveaux. S'il est bon de rappelerles difficultés scolaires et religieuses qu'ont éprouvées les nôtres,de l'Ontario à la Colombie canadienne, il serait aussi avantageuxpour l'élève d'apprendre qu'au Manitoba le français a été langueofficielle jusqu'en 1890. Minorité dans le Dominion, les Cana-diens français ont-ils des droits reconnus et sur quoi ces droitssont-ils basés?

Science plus que jamais nécessaire pour nous, l'économie poli-tique devrait être enseignée dès la classe de Belles-Lettres. Nosjeunes s'habitueraient ainsi à démêler la politique commerciale desdivers pays et du leur, à comprendre la théorie du change, à saisirle mouvement des capitaux, à faire la distinction entre la balancedu commerce et la balance des comptes, à se rendre compte durôle des banques. Cette étude provoquerait des compétences; etdes emplois, aujourd'hui inaccessibles aux nôtres, pourraient ainsiles accueillir.

La nécessité des mathématiques — algèbre, géométrie, physique— n'est plus à démontrer. Durant la guerre qui vient de se termi-ner, une partie des nôtres n'ont pu être promus pilotes à caused'une connaissance trop rudimentaire de ces sciences.

III. La méthode dans l'enseignement

Pour dispenser une « formation » véritable en même temps qu'unminimum de connaissances culturelles et pratiques, l'enseignementsecondaire doit être équilibré. Il faut, de plus, des professeurscompétents et préparés à ce rôle. On doit y ajouter une autrecondition: une atmosphère où le cerveau de l'élève ne soit pascomprimé par une discipline inflexible. En d'autres termes, il nefaut pas, sous prétexte d'autorité, étouffer l'initiative. Si, pourmaintenir un silence rigoureux, on distribue, à la brassée, pensumset retenues, si, à une incartade plus prononcée, on ajoute le sup-plice du martinet, on obtiendra, par la force et par la peur, tout cequ'on désire, mais on fabriquera ainsi des automates.

Page 37: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

38 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

Je ne repousse pas, de parti pris, toute retenue ou tout pensum.Quelquefois, mais très rarement, j'admettrais même l'efficacité dela férule. Il y a cependant la mesure, la pondération, le discerne-ment. Ces récréations employées, pendant des jours, à copier desmille lignes ou à en apprendre des centaines en latin ou en grec,les retenues systématiques où se passent les jours de congé m'ap-paraissent comme de l'anti-pédagogie. Que dire de ces volées decoups où le flagellant s'essouffle à porter les atteintes les plusrudes ? J'y vois de la brutalité pure et simple. La punition corpo-relle, pour les moins de quatorze ans, — indépendamment du sexe,— peut être le recours efficace pour effacer une paresse réputéeinvincible ou dompter des récidives, à deux conditions: elle doitêtre employée dans les cas extrêmes, lorsque tous les autres re-cours ont échoué; elle doit toujours être modérée.

Laissons pénétrer dans notre cours classique un peu de liberté ;gardons-y l'autorité, mais changeons-lui la figure et montrons-lasouriante. Que les professeurs suscitent chez leurs élèves l'esprit desociété et d'entente, que la direction ne s'immisce plus dans leursjeux, leurs organisations. De cette façon nos jeunes acquerront uneinitiative qui a manqué à leurs pères et leur individualisme seradilué dans une disposition au groupement.

Je termine abruptement cette trop longue dissertation. Si je mesuis trompé, je serai prompt à le reconnaître. Si dans ce travailquelques idées sont bonnes et que nos dirigeants en profitent, jeserai amplement récompensé.

Quant aux lacunes de style ou d'orthographe qu'on pourra yrelever, je connais trop l'esprit des directeurs de la revue pourm'effrayer. Ils les corrigeront de peur que les lecteurs ne pensent :« Quels piètres professeurs a-t-il donc eus !...»

Source : « Le cours classique dans Québec », Collège et Famille, vol. IV, n° i, 1947,p. 41-47.

Page 38: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

4 Association canadienne-françaisepour l'avancement des sciencesUn débat sur l'enseignement des sciences1947

La mise en cause du programme du cours classique provient aussi du milieuscientifique québécois. Lors de son congrès de 1947, l'Association canadiennefrançaise pour l'avancement des sciences (ACFAS) organise un débat sur lenécessaire enseignement des sciences au secondaire. Le débat met en pré-sence des universitaires (Léon Lortie, Adrien Pouliot) de facultés des sciences,des professeurs de sciences venant de collèges et le jésuite Armand Tanguay,alors préfet (directeur) des études au collège Jean-de-Brébeuf. Ce débat enclenche aussi une discussion sur la place du grec ancien dans les études secondai-res. Et, derrière le débat, se profilent les questions de la multiplication desvoies d'accès à l'université et aussi de la formation des enseignants.

M. L. LORTIE. — Je dois dire d'abord combien je suis heureux deconstater les progrès accomplis au cours des dernières années dansl'enseignement des sciences au cours classique. J'ai eu récemmentl'occasion de faire savoir à nos collègues des universités anglo-canadiennes que notre baccalauréat Section B est, dans l'ensemble,comparable, sinon supérieur, à n'importe quel baccalauréat nonspécialisé. Un examen plus attentif révèle toutefois que les pro-grammes de chaque science laissent quand même à désirer. À côtéde notions vraiment scientifiques, il y a encore trop de chosesélémentaires et du niveau des leçons de choses. Cela tient sansdoute à ce que les programmes sont construits de façon à plaire àtout le monde. C'est un excès de démocratie ; on inclut ceci et celasans discuter toujours si l'ensemble ne paraîtra pas hétérogène.Une remarque plus générale s'impose : l'enseignement des sciencesest encore trop ramassé dans les deux dernières années du cours.C'est une prime à la mémoire au lieu d'être une incitation à com-prendre. L'important c'est de réussir à l'examen.

Page 39: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

4O • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

On n'a pas encore compris, chez les maîtres de l'enseignementsecondaire, que la culture littéraire et la formation scientifique etphilosophique ne sont pas antipathiques au point de ne pouvoirêtre acquises en même temps. Ne pourrait-on pas, dans la mêmejournée, étudier Cicéron et Newton ? Le cerveau d'un jeune hommen'a pas de compartiments étanches et il peut aussi bien absorberun enseignement scientifique en même temps qu'une instructionlittéraire et philosophique. Mais l'introduction d'un enseignementdes sciences, parallèle à celui des lettres pose la question de savoirsi les programmes ne deviendront pas trop chargés, surtout si onconsidère l'ampleur et l'importance des sciences dans le mondemoderne. Faudra-t-il sacrifier quelque chose ? S'il le faut, le grecest la matière que l'on devra sacrifier.

Selon M. Maurice Lebel, qui est lui-même un helléniste distin-gué, le grec est une trop belle langue pour qu'on l'enseigne à toutle monde. On pourrait le réserver pour ceux qui en ressentent labeauté. Il y a d'ailleurs d'autres raisons pour agir de la sorte. Lessciences ont, de nos jours, une telle importance, qu'il importe deles enseigner à tous et je demande aux religieux et aux prêtres iciprésents de faire mieux comprendre à leurs supérieurs que, s'il fautchoisir entre le grec et les sciences, on devra choisir les sciencescomme moyen de formation car elles sont beaucoup plus impor-tantes que le grec pour la défense et le maintien de la foi catho-lique à notre époque.

M. A. POULIOT. — J'ai parlé exactement dans le même sens queM. Lortie, il y a trois jours à Ottawa. Il s'impose de changer laformule du baccalauréat, d'introduire plus de sciences, de multi-plier les sections et de supprimer au besoin l'enseignement du grecdu moins pour la section scientifique.

R.P. A. TANGUAY, s.j. — Dans cette question de la réforme desprogrammes du baccalauréat, il ne faut pas oublier l'expériencequi a été faite ailleurs et l'effort immense que font actuellement lesanglo-saxons pour revenir aux humanités gréco-latines. Ce n'estpas tant une question de grec et de latin, qu'un moyen de cultureet une méthode de formation. Pour qu'il n'y ait pas de conflit, ilfaut d'abord être convaincu de l'importance de la formation gêné-

[...]

Page 40: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

ACFAS • 41

raie et du rôle des humanités gréco-latines dans l'acquisition decette formation. La spécialisation hâtive est un danger.

M. A. POULIOT. — II va falloir envisager cette question froide-ment. La province de Québec est actuellement le seul coin aumonde où il n'y a qu'une seule formule d'enseignement pour at-teindre le baccalauréat. Il s'impose de changer de formule et demultiplier les sections. Il n'est pas nécessaire que tout le mondefasse du grec.

R.P. A. TANGUAY, s.j. —Je consens à une telle formule à conditionque ce ne soit que ceux qui ne réussissent pas en grec, qui soientmis dans ces sections sans grec.

M. A. POULIOT. — Je connais d'éminents hommes de science quin'ont jamais fait de grec et qui cependant excellent dans leurdomaine. Le grec n'est pas indispensable pour remplir avec succèsune carrière scientifique. Il ne serait pas sage de détourner dessciences, pour la seule raison du grec, des sujets par ailleurs biendoués. [...]

M. G. PRÉVOST. — Qu'est-ce que nos universités font pour laformation des professeurs de collège ? Ces professeurs viennentchercher à l'université le bagage de connaissance dont ils ont be-soin pour le redonner ensuite à leurs élèves. Est-ce à l'université àprendre sur elle le soin de donner aux professeurs de collège unenseignement spécial et approprié ?

R.P. TANGUAY, s.j. — L'enseignement universitaire actuel présentel'inconvénient de former des professeurs trop étroitement spécia-lisés. De retour dans les collèges, ces professeurs, à leur tour, onttendance à donner prématurément à leurs élèves une formationspécialisée. D'où danger pour la culture générale.

M. G. PRÉFONTAINE. — II ne faut pas oublier que l'Université n'estpas une École Normale. Les professeurs de Sciences Naturelles àl'Université de Montréal ont fait autant pour la formation desprofesseurs d'enseignement secondaire que ceux des sciences ma-thématiques et physico-chimique. Le méconnaître serait oublierl'œuvre du Frère Marie-Victorin, les conférences pédagogiques de

Page 41: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

42 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

M. Henri Prat, le mouvement des Cercles des Jeunes Naturalistesauxquels ils ont tous activement participé, les nombreux articlesde pédagogie des sciences naturelles, publiés depuis vingt-cinq anspar ces professeurs. Cet effort pédagogique se compare avantageu-sement à celui que les disciplines mathématiques et physico-chimi-ques ont fourni. La lente progression de notre enseignementsecondaire des sciences naturelles tient à d'autres causes, et enparticulier à la fausse conception qui a longtemps prévalu au sujetde ces sciences, et à cette tenace discrimination entre les petitessciences et les autres. Les Sciences Naturelles étant tenues pournégligeables, point n'était besoin d'en confier l'enseignement à desprofesseurs spécialisés. De là le petit nombre de ces professeurs quisont venus à l'Université chercher leur formation, comparé aunombre d ceux qui sont venus y chercher une formation mathé-matique ou physico-chimique. De même, on a établi et outillé leslaboratoires de physique et de chimie dans les collèges bien long-temps avant d'avoir traité de la même façon les sciences naturelles.

Source : L'enseignement des sciences au Canada français, Symposium tenu à l'Uni-versité de Montréal, le 12. octobre 1947, lors du XVe Congrès de l'ACFAS, Qué-bec, École de pédagogie et d'orientation de l'université Laval, Document n° 3 depédagogie et d'orientation, 1948, p. 49-53.

Page 42: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

5 Lionel GroulxDes humanités et un humanisme élargis1948

Historien réputé et maître à penser de plusieurs générations, le chanoine LionelGroulx (1878-1967) aborde, lors d'une conférence, en 1948, la question de lavaleur des humanités traditionnelles dans une civilisation que le progrès dessciences et des techniques transforme sans ménagements. Attentif à ces chan-gements irrésistibles et aux critiques qu'on adresse à l'éducation classiquetraditionnelle, Lionel Groulx insiste sur la nécessité d'une éducation empreinted'humanisme. Mais il préconise un élargissement des humanités et proposedes voies d'adaptation de l'enseignement secondaire au monde contemporain,en toute prudence.

Les humanités classiques nous auraient-elles bercés d'espéran-ces trompeuses ? Nous auraient-elles caché nos besoins profonds,notre temps, les lois de la vie moderne ? Seraient-elles responsablesde nos piétinements, de nos reculs, sinon de nos faillites, dans lechamp intellectuel, dans la concurrence économique et politique,en un mot dans la rivalité des races ?

Faut-il nous cramponner au Passé ?

Ainsi, pour tous, du plus petit au plus grand, cette évidence crèveles yeux: un monde nouveau est en gestation; une civilisations'élabore, des transvaluations s'opèrent où le grand homme nesera plus ni le philosophe, ni le penseur, ni le grand artiste, maisle grand savant, l'ingénieur, le technicien.

Et l'on conclut: à une époque où l'homme moderne se sentobligé et capable d'étreindre l'univers, et que tous les océans bat-tent maintenant les rives de sa terre, va-t-on asphyxier plus long-

[...]

[...]

Page 43: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

44 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

temps la jeunesse dans les petits horizons de la vieille Méditerra-née ? Va-t-on l'enfermer dans les nécropoles et les musées ?

Et les alarmistes continuent: devant cette cité de demain quiappelle une nouvelle structure et qui, quoi qu'il arrive, sera forcéede se la donner, refuserons-nous naïvement de repenser et de ra-jeunir notre pédagogie et nos systèmes d'enseignement ? Ceux-ci serefuseront-ils à des réformes de structure ? Et, pour comble, irions-nous demander à Platon, à Aristote, à Cicéron, à Sénèque, à Lu-crèce, à des rêveurs comme Homère, Horace, Virgile, des directivesvingtième siècle, les lois et les consignes de l'avenir? Après tout,nous vivons en Amérique du Nord, en plein monde anglo-saxon.À quoi bon nous cramponner à un mode d'enseignement périmé,qui délivre des diplômes mal adaptés aux diplômes des universitésdu continent, diplômes tenus, du reste, pour des parchemins dequalité inférieure ?

Certes, en cet adieu aux maîtres antiques, les réformateurs ac-ceptent qu'on mette des formes ; on pourra les traiter, si l'on veut,comme les poètes de la république platonicienne; mais, de grâce,qu'on se hâte de les couvrir de fleurs, et qu'on les mette doucementà la porte.

Et le problème

Je ne crois pas avoir trahi la pensée des prophètes de la nouvellehégire, prophètes qui sont légion. Mais, en même temps, commentne pas songer que l'enseignement, l'éducation sont tout de mêmede ces notions qui tiennent aux problèmes les plus complexes, lesplus mystérieux de la psychologie? Et, par exemple, commentdévelopper les facultés d'un enfant ? Par quelles méthodes, queldosage, quelle combinaison de matières et d'enseignements, déve-lopper ces facultés, dans leur hiérarchie essentielle, et les achemi-ner à une synthèse de forces ordonnées ? Problèmes qui impliquenttout d'abord une notion de l'homme, de l'homme abstrait et aussiet, plus encore, une connaissance pénétrante de l'homme indivi-duel, puisque en définitive, il n'y a d'éducation véritable qu'indi-viduelle. Problèmes parmi les plus graves qu'ait à débattre chaquegénération. Et voilà pourquoi, sans doute, en ce problème redou-table, la merveille est que chacun se trouve compétent.

[...]

Page 44: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Lionel Groulx • 45

La fin et le moyen

En tout premier lieu, ne confondons pas deux choses trop souventconfondues: humanisme et humanités classiques. Quelle fin seproposent l'enseignement et ^éducation, puisque chez nous lesdeux choses se distinguent ? La fin pourrait se définir comme suit :développer, dans l'enfant et le jeune homme, un humanisme, c'est-à-dire un développement intégral, normal de l'homme, une crois-sance, en même temps qu'un affinement harmonieux de toutes lesfacultés.

Et voici le moyen, où intervient le rôle des humanités : dévelop-per l'homme, en le mettant à l'école des classiques, c'est-à-dire desplus grands maîtres de tous les temps: ceux par qui quelquespeuples privilégiés ont touché les sommets de la civilisation. Dis-cipliner, élargir, enrichir l'esprit de l'enfant par le contact immédiatet prolongé avec la pensée la plus vi ureuse, la plus élevée, la plusfine, la plus saine des siècles passés. Ainsi se définit la prétentionde la culture dite classique.

Humanisme intégral

Cette prétention s'est-elle toujours avérée légitime ? Disons notrepensée librement. Le grave tort peut-être des partisans des huma-nités classiques aura été de n'entendre, par cette appellation, queles humanités gréco-latines, comme si tout l'humanisme s'y trou-vait enfermé, et comme si, avant la Renaissance, d'autres humani-tés ou d'autres méthodes de former des hommes et d'admirablestypes d'hommes n'avaient pas existé.

Restreindre les humanités aux humanités gréco-latines, end'autres termes, à l'hellénisme et à la latinité, c'est, dirait Maritain,« prendre une certaine humanité pour l'humanité ». Un humanismegénéreux ou simplement intégral ne saurait se refuser, par exem-ple, ni à l'apport hébraïque, ni à l'apport oriental, ni non plus, àl'apport du Moyen âge, apport d'un monde juvénile, en pleinesève, où l'on vivait d'un fonds assez riche pour créer la Sommethéologique, la Chanson de geste et la Cathédrale au puissantsymbolisme. Et c'est encore pourquoi, à la question : « Commentconcevoir, en dehors des définitions toutes faites, l'idéal huma-niste ? » Maritain a pu répondre : « Demandez la réponse à la cathé-drale de Chartres. »

Page 45: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

46 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

Un humanisme complet ne saurait surtout ignorer l'apport duchristianisme qui ne vient pas seulement compléter l'humanismeprofane, mais qui, en l'imprégnant de surnaturel, c'est-à-dire, en lemettant dans la ligne de l'Incarnation, l'intègre, le redresse et letransfigure. Humanisme Chrétien, méthode d'éducation, si j'osedire, qui produit l'homme plein de la vie de Dieu, l'homme re-tourné à sa rectitude morale, type d'un superbe équilibre, gou-verné, dans ses facultés, par la loi éternelle, et type d'homme — cequi n'est pas la moindre merveille — réalisable, et avec une égaleperfection, dans toutes les classes sociales, à tous les degrés del'échelle humaine.

Enseignement faux et étriqué

Un tort non moindre des maîtres des humanités classiques aura étéde trop borner parfois la valeur éducative de ces humanités, d'enavoir trop fait une étude de vocabulaire ou de grammaire. Ensei-gnement étriqué qui a surtout enseigné le dégoût du grec et dulatin, alors que les plus jeunes écoliers eux-mêmes auraient dûconcevoir l'étude du vocabulaire et de la grammaire, non commeune fin en soi, mais plutôt comme une clé, indispensable, la cléd'or destinée à ouvrir le temple du «gentil et du haut sçavoir».

Enseignement faux, puisque, après tout, l'humanisme n'est paslà ni même, dirons-nous, dans une formule ou méthode dont l'ona trop abusé et qu'on a décorée du nom de « gymnastique intellec-tuelle». Gymnastique bien superficielle, bien énervée. Encore sil'on s'était servi du grec et du latin pour nous enseigner le français,pour nous initier, par exemple, à l'art subtil de faire passer delangues synthétiques à une langue analytique telle que le languefrançaise, la pensée des vieux auteurs, sans l'altérer en rien, nidans sa précision, ni dans sa finesse, ni dans sa beauté formelle.Voilà qui, pour nos jeunes esprits, eût constitué une véritable etprofitable gymnastique. Enseignement faux, incomplet, vais-je re-prendre, puisque le tout n'est pas de former des forts en thème, nimême d'apprendre à tourner une élégante version, mais que letout, c'est de livrer à l'esprit de l'étudiant, le contenu du texte, lamoelle d'une pensée, d'une littérature, et plus encore, diverses formesd'art, en un mot, l'essence d'une philosophie, d'une sociologie,quelques maîtresses attitudes de l'homme éternel aux points fortsde son existence.

Page 46: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Lionel Groulx • 47

Initiation

Nous parlions tout à l'heure d'humanisme intégral. Est-ce à direque, dans les classes de littérature, il conviendrait d'entreprendre,par un choix de textes, l'étude de toutes les formes d'humanisme ?À notre avis, ce serait alourdir outre mesure les programmes. Etc'est là plutôt affaire des Universités.

Mais, dès le collège, et pour l'humanisme oriental, par exemple,ne pourrait-on s'en rapporter à l'enseignement de l'histoire ? Ceuxqui ont lu, en ces derniers temps, le Bilan de l'Histoire de RenéGrousset, ouvrage où des critiques ont voulu voir une explicationde l'histoire proche du génie, conviendront qu'une initiation som-maire reste possible et facile même à l'humanisme hindou et chi-nois.

Ces critiques faites des vieilles humanités ou plutôt des vieillesméthodes, quelles réformes ou même quelle révolution consentiraux novateurs, aux coryphées des humanités modernes et del'homme nouveau?

Nous soumettre à l'avenir

Admettons, de bon gré, le bien-fondé de larges parties de leurthèse. Sans nous croire « des héros de Jules Verne ou de Wellsdébarquant dans la lune ou dans Mars», nous voici bien, inutilede le nier, à l'heure dramatique d'une métamorphose du monde.Bien imprudent et bien aveugle qui refuserait d'évoluer avec sontemps et voudrait jouer au Mahatma Gandhi. Les consignesgandhiennes, pour admirables qu'elles soient, — on l'a écrit en-core récemment — contiennent plus de parties caduques que depratiques.

Moins que les autres échapperont à l'évolution les pays qui, àl'exemple de notre province, ont été dotés, par la Providence, desressources naturelles les plus riches et les plus prisées par les roisde l'Économique : forêts, mines, eau motrice, et, demain peut-être,pétrole. Qui voudrait nier que chez nous, l'évolution — il faudraitdire la révolution — ne soit en marche et déjà très avancée? [...]

Page 47: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

48 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

Perspectives

À moins de nous laisser emporter par la rafale, avec ce qui nousreste de traditions vivantes, il nous faudra compter davantage avecla géographie économique de notre terre, et par conséquent avecle savant, l'ingénieur, le technicien. Quoi qu'on fasse ces hommescompteront plus que jamais parmi les chefs de la nation. Il nousfaudra veiller à notre développement industriel, pour garder ceque nous pourrons de notre indépendance économique et ne pastout perdre de notre indépendance politique. Ce développementindustriel se fera-t-il par nous et avec nous ou sans nous et contrenous ? Nous avons à choisir.

On parle depuis longtemps d'humanisme scientifique. La Francevient d'instituer le baccalauréat technique. Faudra-t-il fonder desinstitutions d'enseignement d'un type nouveau pour répondre àces besoins nouveaux? Ou sera-ce la besogne des collèges classi-ques de s'emparer de ces enseignements pour les animer le pluspossible du souffle de l'humanisme, pour apprendre, aux prochai-nes générations, comment user de la technique sans être usés parelle, comment garder, devant les forces brutales de la nature, lesens de la dignité humaine, la foi en la nature, en la primauté del'esprit? C'est aux collèges de répondre.

Ne pas renoncer à la sagesse

Ils y répondront avec la sagesse qui les a toujours guidés. Ils sesouviendront qu'il faut se soumettre à son époque, sans renoncerpour autant, devant la fascinante formule, au droit de critique.

Se soumettre à son temps, ce n'est pas en accepter aveuglémenttoutes les servitudes, tous les travers, tous les impératifs malsains,tous les péchés contre la civilisation. Se soumettre à son temps,c'est se plier aux évolution légitimes, à l'ascension normale duprogrès; mais c'est souvent aussi emprunter les forces, les instru-ments, les armes de son temps, pour empêcher les déviationsmortelles, les clivages trop rapides, barrer le passage vers les gouf-fres. Si, à toutes les époques de crises, des hommes n'avaient réagiavec force contre les coups de tête des révolutionnaires et contreleurs idéologies meurtrières, chacun le sait, il y a longtemps qu'iln'y aurait plus de race humaine ou que la civilisation aurait rétro-gradé vers la sauvagerie.

[...]

Page 48: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Lionel Groulx • 49

Demeurer en latinité

Allons-nous accrocher notre char à des étoiles étincelantes, maistrop apparemment filantes et périssables ? Au lendemain de 1760,les ancêtres, vous rappelais-je tout à l'heure, ont décidé de resteren latinité. Et nous y sommes restés surtout par les humanitésclassiques, élément original, distinctif de notre système d'enseigne-ment. Aujourd'hui que nous pouvons en juger avec plus d'expé-rience et plus de maturité d'esprit, allons-nous abandonner laforteresse latine ? Avons-nous des raisons décisives d'en sortir ? Laquitter, cela signifierait, ne l'oublions pas, une différence, une dis-tinction de moins entre notre entourage et nous — et pourquoinous le cacher ? — un large trou dans notre cuirasse d'irrédentistesfrançais. Donc problème de survie. Et le moins que nous puissionsdemander aux réformateurs, ne serait-ce point de ne pas traiter cesquestions à la légère ? Toute réforme d'enseignement veut dire uneréforme d'esprit. On parle de simple bifurcation de programme.Ne pourrait-on tout aussi bien parler d'une bifurcation de notreavenir ?

Pas de moules uniformes

Les collèges réformeront en se persuadant, qu'en notre mondeagité et fiévreux, une place fort honnête restera aux vieilles huma-nités et non pas une place amoindrie, mais renforcée. Sans doute,importera-t-il de ne pas diriger vers elles plus de jeunes gens qu'ilne faut. On se gardera surtout, comme ce fut trop souvent l'erreurdans le passé, d'y engager les impréparés et les inaptes. Mais s'iln'y faut pouss r tout le monde, pas davantage ne faudra-t-il pous-ser en bloc aux études scientifiques et techniques. Le moule uni-forme sera aussi dangereux dans un cas que dans l'autre.

Le moule scientifique va-t-il d'ailleurs sans inconvénients ? Plusle monde de l'avenir se tournera vers l'exploitation de la matière,plus il aura besoin de se réhumaniser. Culture scientifique et cul-ture humaniste à l'ancienne mode s'opposent, en effet, par cettedifférence fondamentale que la première tourne principalementl'esprit vers la nature matérielle, tandis que la seconde le tourneplutôt vers l'homme.

Les vieilles humanités auront encore un rôle à jouer dans unmonde qui, selon toute apparence, ne pourra se passer des carriè-

[...]

Page 49: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

5O • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

res libérales, c'est-à-dire de médecins, de notaires, et qui devramême réserver un petit coin aux avocats. Mais il nous faudra aussides philosophes, des théologiens, des historiens, des penseurs, pournous rappeler l'indispensable expérience du passé, les lois suprê-mes de la vie, les vraies destinées de notre espèce. Il nous faudramême des poètes pour bercer encore et toujours les nostalgiesincurables de l'homme, plus que jamais désireux d'évasion hors deson bagne terrestre.

Il nous f udra même les vieilles humanités pour la formationdes ingénieurs et des techniciens. Toute spécialisation hâtive tendà une diminution ou à un rétrécissement de l'esprit, pour cetteraison très simple qu'elle tourne l'esprit vers un champ limité deconnaissances, et qu'elle se borne, par conséquent, au développe-ment ou à l'exercice d'un nombre restreint de facultés. La supério-rité de la culture générale — le mot le dit assez — vient de sonaptitude à développer l'esprit, non sur un ou quelques points, maisen toute sa superficie et profondeur, par un exercice ordonné detoutes les facultés de l'homme. Nécessité de la culture généralepour le grand ingénieur et pour le grand technicien, vérité dont sepersuadent chaque jour nos voisins si pratiques, les Américains.

Source: Pour bâtir, Montréal, L'Action nationale, 1953, p. 2.8-37, 39-41.

[...]

Page 50: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

6 Philippe GibeauPlaidoyer pour l'enseignement techniqueAvril 1949

S'il y a des débats sur le contenu de l'enseignement secondaire classique, il ya aussi des questions sur l'orientation des étudiants. Trop peu d'entre eux,selon Philippe Gibeau (né en 1906), professeur et directeur des élèves pendantun quart de siècle à l'École technique de Montréal, s'engagent dans l'enseigne-ment technique. Pourtant, cet enseignement est de bonne qualité et accessible,il prépare à des carrières intéressantes et rémunératrices, et le Québec a besoinde spécialistes dans ces domaines alors qu'il produit trop de bacheliers sanscompétences professionnelles précises. Ces propos préfigurent ceux qu'onentendra une génération plus tard lorsqu'on s'inquiétera du faible attrait exercépar les programmes professionnels des cégeps.

L'industrie de notre province n'est pas encore à nous. En généralles gros salaires et les belles positions vont plutôt à des étrangers.Nous sommes un peu les serviteurs...

Pourquoi ? Une des raisons, c'est que notre classe bourgeoisen'affectionne pas l'industrie. Nos voisins, eux, prennent ces carriè-res tout naturellement: ils n'y voient pas une déchéance. Le pèrey gagnait son pain, le fils s'y fera un bel avenir. En Amérique lesboutiquiers sont rois, et il y a de la place pour nous.

Et puis, nous nous méfions trop ; à la campagne nos pères ban-nissaient les manufactures, qui auraient gâté leurs filles et leursfils. Avec ce calcul, ils ont dû abandonner la terre qui ne faisaitplus vivre la jeunesse débordante. S'ils avaient accepté de petitesusines chrétiennes pour faire le pont durant les temps morts, çaaurait pu arrondir le village et prolonger les racines. Nos fillesauraient pu gagner sans quitter la maison pour la «chambre etpension » ; nos fils aussi.

Rendus en ville, on garde cette méfiance, et ce sont trop souventnos moins instruits qui de force entrent aux usines. À Montréal,la très grande majorité laissent l'école avant la 9e année; en 1947,

Page 51: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

52 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

il y avait 5514 enfants en 4e et seulement 1652 en 9e. Ne croyonspas que tous les autres vont aux collèges classiques! De 1652, en9e année, le nombre tombe à 792 en ioe. Départ: 860. Disons que300 élèves entrent aux écoles techniques et autres écoles spéciali-sées; il reste quelque 500 adolescents de 14 ou 15 ans qui com-mencent à travailler. Or, les jeunes de 15 ans qui travaillent ne sontcertes pas de la catégorie des spécialistes. À peine quelques-unssuivront-ils des cours du soir.

[...] Joli avenir! Il semble donc évident que nos adolescentsdevraient prolonger leurs études, pour leur plus grand bien.

Voilà pour les jeunes qui laissent l'école trop tôt. Où vont ceuxdes études supérieures? Que leurs parents soient plombiers, me-nuisiers, cordonniers, épiciers, policiers, vous les voyez aspirer auxcarrières d'avocat, médecin, commis de bureau. Pourquoi ne res-tent-ils donc pas dans la profession de leur père, en l'améliorant ?Même en devenant employeurs ? Vous y avez eu trop de difficultés,dites-vous. Mais aussi y étiez-vous tout nouveaux, vous commen-ciez sans expérience, à zéro. Votre fils, lui, apporterait vos vingt-cinq ou trente ans d'expérience, ce qui est énorme. Nous constatonspar exemple que les deux meilleurs auteurs qui aient écrit sur laconstruction appartiennent à des familles vieilles de cinq et septgénérations dans le métier. Et vous, vous voulez lancer votre filsdans l'inconnu!

Allez-vous dire qu'un employé de bureau jouit d'un meilleuravenir qu'un ouvrier spécialisé ? Comparez les salaires ; voyez lasatisfaction de chacun. Classifier des lettres n'est pas un avenirpour un homme d'initiative et d'esprit indépendant: la routine lefait mourir.

Il y a soixante ans, Mercier criait l'Emparons-nous du sol.Aujourd'hui, nous avons le sol, et nous le fuyons. La province estdevenue industrielle, la province la plus industrialisée du pays. Lemot d'ordre ne devrait-il pas être Emparons-nous de l'industrie ?

Les diplômés de cours supérieurs pourraient à bon droit rêverd'une carrière de technicien. On demande partout des spécialistesd'envergure et d'initiative [...].

L'École Technique a reçu des élèves de l'enseignement supérieur,du Mont-Saint-Louis et des cours classiques : nos meilleurs élèves,qui ont le plus d'avenir. Mais pas assez nombreux, pas assez con-vaincus, plutôt découragés par les parents : « Mon fils n'a pas prisson B.A. pour travailler dans une usine...

Page 52: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Philippe Gibeau • 53

— Pourquoi pas ? Il n'y serait pas balayeur ni chauffeur defournaises !

— Je veux en faire un collet blanc ; d'ailleurs, il n'est pas pré-paré pour ça.

— Excusez, monsieur, c'est justement des ambitieux, des prépa-rés comme votre fils qu'il faut dans l'industrie. Il se créerait unetrès belle situation. Des manœuvres sans idéal, nous en avons bientrop ! »

II n'est pas préparé pour ça ? Les cours classiques ou scientifi-ques ne préparent à rien en particulier ; ils préparent à apprendre.Après trois années de spécialisation, le jeune aurait un bel aveniret s'emparerait d'un poste qui autrement ferait le bonheur d'unétranger.

Pour ceux qui désirent devenir techniciens, le gouvernementmaintient de bonnes écoles avec un excellent cours technique.

Ce cours ouvre les portes aux carrières industrielles. [...]Le cours technique possède trois grands moyens de perfection-

nement: culture générale, sciences et spécialités. Heureux dosage.Une première année, période d'orientation ; puis trois ans de spé-cialisation avec sciences et proportion raisonnable de culture géné-rale. En effet, ce qu'on veut du chef, ce n'est pas qu'il sachemultiplier dix colonnes de dix chiffres à la fois : des machines leferont mieux et plus vite. Ce qu'on lui demande, c'est de compren-dre un problème et de l'adapter à telle situation, jamais semblableà a précédente ou à la prochaine.

La province compte six écoles techniques: Hull, Montréal,Québec, Rimouski, Shawinigan et Trois-Rivières, qui offriront cetteannée des diplômes à près de 300 élèves de 4e année. Seize écolesd'Arts et Métiers donnent les premières années du cours techni-que. Leurs élèves peuvent aller finir dans la grande école la plusrapprochée. Le total des élèves-techniciens monte à près de 3000.Nous ne parlons pas ici évidemment des quatorze autres écolesd'Arts et Métiers et des nombreuses écoles spécialisées comme lesécoles des Arts Graphiques, du Meuble, de Papeterie, des Textiles,etc.

Conclusion. — Les écoles techniques sont là pour tous les jeunesqui ont l'ambition de réussir en travaillant de la tête plus que desmains. Porte ouverte à tout étudiant possédant le strict minimum,

[...]

Page 53: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

54 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

la 9e année. Mais il semble q 'aujourd'hui, avec un outillage desplus modernes et une expérie e de trente-huit années, l'enseigne-ment technique pourrait ouvrir les bras davantage, sans négligerbien entendu les diplômés de 9e.

En effet, ne devrait-on pas dire au diplômé de l'école supérieure,du collège : « Monsieur, vous pourriez peut-être jeter un coup d'œilde ce côté-ci! Vous n'avez pas seulement deux voies à suivre:entrer dans les professions dites libérales, assez encombrées, ouvégéter à petit revenu, sans métier. Si le travail des doigts ne vousfait pas peur, si vous réussissez à convaincre vos parents, vouspourriez y trouver une ouverture inespérée, une carrière qui n'a delimite que votre ambition. »

De cette façon nous aurions de bons chefs ouvriers, en plusgrand nombre, des industries tout à nous, et une classe bourgeoisefière de construire un bel avenir pour ses fils, plutôt que de servirles autres. Avant des années, nous reprendrions notre place ausoleil.

Source: « Pour qui les écoles techniques ? », Relations, vol. IX, n° 100, avril 1949,p. 94-95.

Page 54: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

7 Paul-Emile GingrasPour une enquête officielle sur l'éducation1950

En instituant, en 1961, une commission royale d'enquête sur l'éducation, legouvernement libéral de Jean Lesage donne suite à une demande souvent ex-primée au cours des années 1950. Ainsi, en 1950, Paul-Emile Gingras (1917-1997), enseignant, secrétaire général du collège Jean-de-Brébeuf (1954-1961),directeur des études du même établissement (1961-1964), et dernier recteur ducollège Sainte-Marie (1968-1969), puis chercheur en éducation, fait suite à di-verses suggestions qui s'expriment dans le milieu et, dans un article publié parL'Action nationale, établit le programme d'une enquête complète sur l'éduca-tion au Québec; ce faisant, il dresse le catalogue des grands problèmes affli-geant cette éducation, notamment au secondaire.

I. OPPORTUNITÉ DE L'ENQUÊTE

Une rapide enquête nous révèle que la situation a peu changédepuis novembre 1949. [...]

En somme, point de changement notable et l'enquête officiellenous paraît encore d'une nécessité irrécusable. Pour définir la natureet les objectifs des études secondaires. Pour rapprendre aux maîtresà manier les vieilles techniques dont la routine nous a fait perdre lesecret comme pour nous initier aux nouvelles. Pour enrayer lesdésastreuses expériences partielles que nos élèves subissent. Pouraider nos institutions à vivre et à progresser en ligne droite.

En vain la société portera-t-elle ses efforts à prêcher aux adul-tes, si l'édifice de l'éducation secondaire s'écroule. Nous sommesconvaincus de la vérité du principe. Les quatre fissures que nousdécrivons ci-après aideront peut-être les architectes responsables àprovoquer l'enquête officielle, à ne pas la retarder d'une autreannée...

[...]

Page 55: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

56 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

1. Sélection des élèves

Dans le Document n° 7, publié par l'École de Pédagogie et d'Orien-tation de l'Université Laval, M. l'abbé Marcel Lauzon, préfet desétudes au Séminaire de Valleyfield étudie scientifiquement la per-sévérance au cours classique. Cette enquête révèle les faits sui-vants :

i. À peine 30 % des élémentaires terminent avec succès leursétudes classiques.

z. Plus de 40 % des départs ont lieu en Éléments latins...3. Il n'y a que le quart des enfants supérieurs à fréquenter les

institutions classiques...

Dans la très grande majorité des collèges, la sélection scientifi-que des élèves est inexistante ou sujette à de multiples et désastreu-ses exceptions.

N'y aurait-il pas lieu, pour des enquêteurs officiels, de chercherles moyens de mieux choisir les élèves ?

2. Sélection des maîtres

Qui niera que beaucoup des maîtres de l'enseignement secondairesoient inaptes à leurs fonctions ? La profession suppose, comme entoute carrière, la préparation scientifique et la vocation naturelle.

Ne trouvons-nous pas chez les maîtres de nos collèges beaucoupde vocations d'occasion, sinon de vocations forcées par une nomi-nation, et surtout de maîtres qui n'ont de préparation scientifiqueet pédagogique que leurs études de théologie ? Admettons que lesuns suppléent à leur incompétence par le dévouement, que d'autres,non pédagogues, offrent des cours savants. Il est évident que labonne volonté et la personnalité d'un homme consacré à Dieu ouversé dans les études depuis son enfance exerceront sur la jeunesseune heureuse influence, car éducation dit plus qu'instruction. Nouspréférons même cette influence à celle d'autres maîtres plus sa-vants ou mieux organisés, mais de moins bonne volonté ou per-sonnalité.

Sans doute. Mais il s'agit d'avancer. L'enquête officielle ne pour-rait-elle pas chercher les moyens de mieux choisir les maîtres, deles mieux préparer, d'exiger qu'ils allient à la vocation naturelle,la compétence professionnelle ?

Page 56: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Paul-Emile Gingras • 57

3. Techniques de formation.

« Nos techniques de l'enseignement classique ont donné leurs preu-ves. Elles ont trois cents ans d'histoire», la réponse est «classi-que », mais l'argument d'expérience et de tradition est vulnérable.Nous n'employons pas, en pratique, les mêmes techniques qu'auxorigines, et même qu'il y a cinquante et vingt ans. Un coup d'œilaux programmes le prouve. La « prélection1 » des premiers maîtresd'humanités n'est pas l'exercice du même nom que l'on pratiqueaujourd'hui et qu'un certain nombre seulement de nos collègesclassiques a conservé. Les matières sont trois fois plus nombreusesà nos programmes qu'à ceux d'autrefois.

Plus grave surtout, l'empirisme des maîtres actuels dans lemaniement des techniques. On ne compterait pas sur les doigtsd'une main les hommes de collège capables d'exposer scientifique-ment le contenu de notre enseignement secondaire et le secret deses disciplines. Les plus forts, on l'a vu dans la défense du grec, nes'entendent pas entre eux ! Et n'allons pas croire que les pragma-tistes, ennemis de ce même grec, s'y entendent mieux! Le secretdes techniques échappe à ceux qui bouleversent les programmes,les vident ou les surchargent comme à ceux qui se refusent à yrayer un iota ou qui vous chargent d'enseigner sans vous remettrede programmes !

Nous ne nions pas évidemment que les techniques de langues oude sciences puissent former l'adolescent, nous nions que les pro-moteurs de l'une ou l'autre de ces méthodes aient appris aux maîtresde l'enseignement secondaire comment jouent ces techniques deformation, comment ils doivent les manier. Nous constatons quela majorité des maîtres procèdent empiriquement dans l'utilisationde techniques traditionnelles, que la routine et les changementsont vidées de leur force.

Il y a place encore ici pour l'enquête officielle.

4. Finance des institutions

Nos institutions sont admirables. Elles sont nées et vivent de dé-vouements. Depuis un siècle, le clergé les a soutenues sur tous lesplans, du spirituel au financier. Qu'il s'agisse d'une faculté univer-

[. Prélection: du latin prœlectio. Explication préalable d'un maître. (N.d.É.)

Page 57: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

58 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

sitaire, d'une maison d'enseignement secondaire, d'un mouvementd'éducation, d'une revue pédagogique : nous retrouvons ce mêmedévouement des religieux et des prêtres. La Province de Québec nesaurait l'oublier, et toute réforme, en particulier, y trouvera unenorme historique dont elle devra tenir compte.

La situation actuelle de nos institutions est telle pourtant quecelles-ci ne peuvent espérer de progrès méthodique: la questionfinancière les gèle.

Incapables de financer des contrats réguliers et surtout d'enga-ger l'avenir, presque toutes les institutions refusent l'engagementd'un corps normal de professeurs laïques et offrent à ceux qu'ilsengagent des salaires de parias. Ceux-ci, devant une carrière fer-mée, s'exilent à l'étranger ou renoncent à la carrière, pendant queles collèges se privent de ces précieux collaborateurs et surchargentleur personnel.

Faute de pouvoir rémunérer leurs collaborateurs ou de placerles fonds nécessaires dans l'administration, les revues pédagogi-ques végètent. Les bibliothèques reçoivent des budgets de fortune.Le matériel scolaire, hors les laboratoires de science, se résume leplus souvent au tableau noir. Toute amélioration à la vie du col-lège, auditorium, journal d'élèves, organisation sportive, reposesur un appel à la charité publique.

Dans ces conditions, l'institution utilise d'abord ses énergies àsurvivre financièrement. Pour économiser, le supérieur se fera maîtresuppléant; le même homme cumulera les fonctions de préfet dediscipline et de préfet d'études ; le professeur de chimie enseignerala religion dans les classes de grammaire; le procureur2 se ferahistorien d'occasion.

Demandez ensuite à ce personnel des collèges de penser auproblème culturel de l'institution, de tenir des réunions pédagogi-ques, de pousser des études personnelles, des travaux de recher-ches, de réfléchir sur les programmes, de publier un volume, decollaborer aux revues, de rencontrer les parents : vous ne deman-dez pas de l'héroïsme, mais simplement l'impossible.

Le problème financier gèle nos institutions, l'enquête officielleen pourrait chercher la solution.

>.. Procureur: religieux chargé des intérêts temporels d'un établissement. (N.d.É.)

Page 58: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Paul-Emile Gingras • 59

Conclusion

Si nous sommes loyaux, nous admettrons l'opportunité de cetteenquête. L'idée n'est plus d'instituer un éternel procès au coursclassique — la médisance, la calomnie, la critique périodiques etfragmentaires ont assez duré. — L'idée n'est pas non plus de noussatisfaire d'un statu quo ou d'expériences dont souffrent les jeu-nes, en cobayes !

IL L'ORGANISATION DE L'ENQUÊTE

1. Collaboration des responsables

[...] Notre échec, à date, vient d'un manque de coordinationdes efforts, des recherches, des réformes. Nous avons procédé auhasard, tâtonné, au lieu de nous attabler ensemble, d'étudierméthodiquement.

Une revue pédagogique naît pendant que nous en abandonnonsune autre, digne encore d'intérêt. Telles facultés universitaires at-tirent l'enseignement secondaire à la préparation de leurs seulscandidats. Tel collège inscrit à son programme de l'économiepolitique, un autre de la théologie, un troisième fonde un Foyerdes Arts. Telle maison développe chez ses élèves un nationalismeintransigeant, telle autre prêche la tolérance. Et, ce qui est plusgrave, cette absence de coordination se manifeste dans le passaged'un degré de l'enseignement à l'autre.

Le premier pas semble donc d'amener les responsables de l'éduca-tion à collaborer, de créer un organisme d'enquête qui recruterases membres au sein des divers groupes responsables de l'éduca-tion secondaire : Église, Institutions d'Enseignement, Parents, État.

2. Gare à l'ingérence politique

Le fait et l'idée « éducation » gagnent l'opinion publique et lapolitique. Depuis quelques années, l'éducation devient un argu-ment électoral. Pas au même titre encore que la voirie, mais nonplus négligeable. Cette situation nous a valu des octrois universi-taires, des bourses d'études, des écoles spécialisées, l'Aide à laJeunesse, des hausses de traitement. À l'inverse, un gouvernementperd des points à bouder une alliance de professeurs.

Page 59: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

6o • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

L'intérêt de la politique en éducation dépasse l'horizon provin-cial. Les activités de Radio-Canada, de l'Office National du Film,de la Commission royale des Lettres, des Arts et des Sciencessignifient bien l'attitude d'un gouvernement fédéral centralisateur.

Mieux vaut discuter maintenant l'attitude et le rôle de l'Étatque de nous déprendre demain d'un paternalisme encombrant. Sinous ne prévoyons pas, notre évolution dans le domaine de l'édu-cation sera bientôt liée à l'opportunisme politique des uns et auxambitions centralisatrices des autres. Or l'histoire de nos institu-tions, notre esprit et nos traditions de culture, l'inspiration philo-sophique et religieuse de notre éducation: tout nous défend denous abandonner à pareil hasard.

L'intervention de l'État — et chez nous, il faut comprendre:État provincial, lorsqu'il s'agit d'éducation — doit être mesuréepar le bien commun ; elle consiste essentiellement à promouvoir etfavoriser de ses ressources les progrès, à faciliter à chacun la par-ticipation aux bienfaits de l'éducation, à rendre équitables lesconditions de travail, à stimuler et encourager les initiatives pri-vées. L'objet naturel de son intervention demeure d'aider et nond'absorber, de «diriger, de surveiller, de stimuler, selon que lecomportent les circonstances ou l'exige la nécessité » (Rerumnovarum3).

À un pareil tournant de l'histoire de notre éducation, il importeaux intéressés de suivre ces directives de l'Église. Ce sont des normespositives, extrêmement pratiques.

3. A qui appartient l'initiative de cet organisme?

Cet organisme d'enquête et de recherches, composé de représen-tants des groupes responsables de l'éducation des enfants, quiprendra l'initiative de le constituer? Qui lui donnera l'autorité?Qui lui permettra de vivre ? Se ralliera-t-il au Conseil de l'Instruc-tion publique ? Les Facultés des Arts et leurs maisons affiliées enlanceront-elles l'idée ? L'État provincial sanctionnera-t-il ses réso-lutions pour qu'elles deviennent efficaces ?

La réponse reste aux responsables. La sélection des élèves, lesbourses d'études, la préparation des hommes de collège, le centre

3. Rerum novarum: encyclique de Léon XIII (1891), fondement de ce qu'ona appelé la «doctrine sociale de l'Église». (N.d.É.)

Page 60: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Paul-Emile Gingras • 61

de documentation, la bibliothèque provinciale d'éducation, lesmanuels, les programmes, les Certificats d'études, le financementdes institutions, etc...: la responsabilité est lourde! [...]

Source: «Réclamons une enquête officielle», L'Action nationale, vol. 37, 1950,p. ZII-Z2.2..

Page 61: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

8 Pierre Angers, s.j.Défis nouveaux pour le cours classiqueJuin 1951

Le jésuite Pierre Angers (né en 1912), auteur d'une thèse remarquée sur le poètPaul Claudel, professeur de littérature, s'est signalé aussi par une vaste réflexionsur l'éducation et les exigences de la civilisation contemporaine scientifique ettechnique (voir texte 45). Dans ce texte de 1951, il esquisse certains thèmesqu'il développera ultérieurement. Profondément attaché à la tradition des hu-manités, il préconise une adaptation lucide de cette tradition pédagogique à lasituation nouvelle du Canada français. L'amélioration de la préparation desenseignants constitue, à ses yeux, un élément essentiel de cette adaptation.

Critique du cours classique

Personne n'oserait nier, croyons-nous, que le cours classique a étéjusqu'à ce jour l'image fidèle de notre culture. Il en a été commele type et le modèle, représentant dans ses objectifs, ses méthodeset son esprit à la fois nos aspirations les plus élevées et les limitesassez étroites de nos horizons culturels. La substance de nos vertushumaines, le meilleur de nos expériences intellectuelles, nous lesavions déposés dans les cadres de l'enseignement secondaire etuniversitaire.

Mais si l'enseignement classique a reflété fidèlement jusqu'à cesdernières années les tendances de notre génie collectif, il noussemble que cette époque est révolue. Peut-être, aujourd'hui encore,rêvons-nous aux vertus du cours classique avec une certaine fierté.Nous y pensons, mais avec un grain de scepticisme, sinon avecregret. En effet, le goût des humanités n'est-il pas démenti par desfaits brutaux ? Est-il possible d'atteindre à un idéal humaniste, est-

[...]

Page 62: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Pierre Angers • 63

il heureux de le poursuivre au sein d'une société de plus en plusdétachée des buts désintéressés et absorbée par la recherche desintérêts immédiats? Et parmi le nombre pourtant imposant desanciens élèves des institutions secondaires, combien reviennent à lalecture des grandes œuvres littéraires ? Combien relisent les grandstextes de la philosophie médiévale ?

Nous parlons des bacheliers. Qu'en est-il des éducateurs, char-gés de dispenser cette culture ? Celle-ci repose entièrement entreleurs mains. La qualité de l'enseignement et de l'éducation auniveau secondaire dépend tout à fait de l'intelligence, du tact, dela finesse, de la culture du maître. Plus que les autres degrés del'enseignement, le cours classique fait fond sur le maître. Or com-bien d'éducateurs possèdent les humanités comme une vie ? Nesont-elles pas souvent maniées comme un ensemble d'idées toutesfaites, qui demeurent à la surface de leur pensée et qui se dessè-chent en eux, faute d'entretien, de lecture, d'intérêt passionné ? Lesseules connaissances qui nous appartiennent en propre pénètrentdans les régions profondes de notre âme. Pour combien de maîtresen est-il ainsi aujourd'hui ?

Ces réflexions, ces questions, elles se présentent à nous devantcertains échecs du cours classique. Elles nous conduisent à poserle problème central, à savoir, celui de l'intégration de notre coursclassique dans notre milieu canadien-français de 1951. Car leshumanités, dans notre société, se dépaysent peu à peu. Une évo-lution nous entraîne qui les laisse en arrière. Quels sont les fac-teurs de ce dépassement?

Transformation du Canada français

Depuis vingt-cinq ans, le petit univers canadien-français — hierjardin clos et jaloux ermitage de nos ancêtres — a vu céder sonenceinte sous la pression de réalités et de forces venues des paysvoisins. Le Canada vit un moment d'éveil et de transformationfiévreuse. Le pays passe par une mue prestigieuse: il est emportédans le large courant du monde.

Ces changements en profondeur modifient rapidement les mœurs,les idées, les perspectives du groupe social. La conscience cana-dienne s'élève à la perception de dimensions nouvelles, et la décou-verte de ces valeurs sollicite les esprits, les séduit, les grise, parfoisles égare et les trouble.

Page 63: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

64 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

II faut en outre, au Canadien, répondre promptement à d'impé-rieux besoins, à des tâches urgentes, qu'aucune tradition ne peutl'aider à évaluer: force lui est d'inventer sur place, de créer dansl'inconnu, d'aménager une vaste contrée, d'exploiter d'immensesressources naturelles, d'équiper des usines, de faire face à un pro-blème ouvrier, de mettre sur pied un commerce international et desservices diplomatiques. Hier l'avocat, le médecin, le notaire étaientrois dans notre société, à maints égards très étroite; aujourd'hui ilssont supplantés par le magnat de la finance internationale ou parle directeur d'une compagnie minière. Hier, Québec était à quel-ques jours de navigation de New York et à trois semaines deLondres. Aujourd'hui, Montréal est situé à seize heures de Paris,c'est-à-dire dans la grande banlieue. Malgré une longue traditionqui le marque, le Canadien ne peut plus vivre comme un isolé, àune époque où se sont abattues les frontières fictives qui le sépa-raient naguère de ses voisins.

Cette entrée dans le rythme de la civilisation mondiale, le Ca-nadien français en subit le choc à une heure où une évolution degrande envergure s'empare de l'humanité entière. Un type d'hommenouveau se constitue sous l'influence de causes multiples. Il seraittrop long d'en analyser le caractère. Qu'il nous suffise de le signa-ler au passage et de constater que ces transformations universellesréagissent sur les valeurs culturelles de tous les pays. Elles ont uneimmense répercussion sur le nôtre.

Or, comment le cours classique, dont l'objet consiste à saisir cesvaleurs culturelles et à les employer pour l'épanouissement desjeunes esprits, n'en subirait-il pas le contrecoup ? S'il prend appuisur des formes délaissées de la culture, il s'expose à l'échec; s'ils'approprie les ambitions de l'âge nouveau, il court le risque des'égarer et de proposer de fausses valeurs. De toutes façons, dansnotre société en proie à une évolution accélérée, comment nousétonner des rudes secousses que subit le cours classique et dudérèglement de plusieurs de ses mécanismes ?

La mentalité du collégien moderne

Au cours de ces changements profonds, le comportement des in-dividus a évolué; en particulier le tempérament des élèves. Lejeune collégien d'aujourd'hui a gagné sur ses aînés en vivacité, ensouplesse d'esprit, en finesse ; il est informé sur quantité de domai-

Page 64: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Pierre Angers • 65

nés hier à peu près fermés. Mais il est sujet à l'inconstance et à unemobilité d'esprit voisine de l'instabilité. Le cinéma et ses images,la radio, le goût de voyager, mille agréments sollicitent l'attentiondes jeunes esprits jusqu'à la disperser et la rendre incapable d'unrecueillement soutenu. Bien plus, le rythme de la vie modernes'inscrit dans le psychisme. Le vertige de la vitesse, les déplace-ments précipités, l'activité tapageuse excitent l'avidité de savoir,tout en dissolvant les puissances de réflexion.

Ces conditions de vie créent une atmosphère défavorable ausuccès des disciplines classiques. L'étude des langues mortes, lesexercices de thème et de version n'inspirent qu'un intérêt médio-cre. L'effort d'abstraction est coûteux, voire répugnant. Chez lecollégien moderne, le travail intellectuel continu impose un renon-cement pénible, et il semble qu'une résistance nerveuse à la baissene lui permette plus de s'y consacrer pour des périodes prolongées.

Fidélité à l'esprit des humanités

Face à un échec partiel et parfois complet des disciplines classiqueset aux transformations de notre milieu national, ne pourrait-onpas formuler le problème dans une alternative ?À quel niveau gîtla cause de la non-réussite ? Les méthodes et les disciplines tradi-tionnelles seraient-elles devenues inefficaces ? Ou bien les humani-tés elles-mêmes, dans leur moelle la plus riche seraient-ellesdévalorisées dans le climat nouveau du monde moderne ?

Dans les heures de crise, une société doit opérer un repli sur lesvaleurs essentielles, quitte à se délester des formes caduques oùelles se cristallisent. Seules importent les données permanentes.

Le cours classique a pour objet de former de jeunes esprits entransmettant la culture occidentale que nous prétendons maintenirau Canada. Cet héritage culturel est formé de la réunion de troiscourants spirituels: un goût de l'expression rationnelle et de larecherche scientifique qui est un don de la Grèce ; un esprit d'ordreet un sens juridique provenant de la civilisation romaine; et uneconception de Dieu, de l'homme et de l'univers léguée par la tra-dition judéo-chrétienne. La culture occidentale est issue d'une fu-sion de ces trois dynamismes spirituels qui ont donné naissance,avec des variantes diverses selon les nations de l'Europe, à desœuvres d'art, aux grandes philosophies, aux institutions dont nousvivons aujourd'hui.

Page 65: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

66 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

Telles sont les valeurs humaines qu'il nous importe de maintenirsi nous soutenons la prétention de rester fidèles à nos ascendancesspirituelles. Ces éléments sont fondamentaux. Une position quitendrait à les altérer ou à les affaiblir équivaudrait à tourner le dosaux origines de notre culture.

La compétence des maîtres

L'application judicieuse de ces méthodes réclame des capacités.Aussi convient-il de se redire, à temps et à contretemps, lorsqu'ona la responsabilité de l'enseignement secondaire : la vertu du coursclassique ne repose pas en premier lieu sur l'ampleur des program-mes, ni sur le choix des auteurs ; elle émane de la personnalité dumaître et de sa compétence.

La qualification des professeurs — et au besoin par des gradesuniversitaires — est le grand facteur de succès. Et qu'on ne s'ima-gine pas qu'une vague somme de connaissances indistinctes etd'idées générales suffirait. De notions confuses ou d'une méthodeinconsistante, il n'est jamais sorti une sérieuse formation de l'es-prit; le demi-savoir n'engendre que la médiocrité intellectuelle, etc'est le pire ennemi de la culture classique, qui est clarté, honnêtetérigoureuse, science exacte, ampleur des vues.

Il n'est pas facile d'enseigner une langue vivante ; moins encoreune langue de culture comme le latin. Et c'est probablement l'ap-prentissage de la langue maternelle qui demande la plus longuepréparation. En ces matières, comme en toutes les autres, ce seraitnaïveté que de s'improviser professeur. Ne se figure-t-on pas,aujourd'hui encore, qu'avec une préparation au pied levé et unbon manuel, un honnête candidat est apte à tous les enseigne-ments ?

Le dévouement, la bonne volonté, le zèle le plus ardent — fus-sent-ils inspirés par des vues surnaturelles — ne suppléent pas à lacompétence. La vertu consiste ici dans la probité du savoir, qui estsûreté et droiture de l'esprit, modestie, soumission au réel. L'ab-sence de cette probité, à laquelle prédispose le demi-savoir, loind'affiner le sens moral, le met en péril. L'emploi d'expédients pourmasquer une ignorance inavouée, les tactiques artificieuses donton use pour camoufler l'incompétence, les fraudes et les calculs

[...]

[...]

Page 66: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Pierre Angers • 67

avec le vrai acheminent à la suffisance, au culte de soi-même, ilshabituent la conscience à tricher. Ces vices sont odieux chez unmaître. Celui-ci, par sa charge, a consacré sa vie au règne de lavérité. Elle est la souveraine de son intelligence. C'est surtout parl'exemple de sa vie que le maître enseignera aux jeunes collégiensle respect d'une vertu qui est fondamentale chez un homme: lasoumission au réel, qui est en définitive la soumission à Dieu,l'auteur de toute réalité.

Conclusion

Deux mots en guise de conclusion. Le cours classique a joué dansl'éducation de nos classes dirigeantes un rôle de premier plan. Ilserait heureux qu'il continuât à le remplir, car il pourrait demeurerl'un des grands foyers de culture dans notre pays.

Pour qu'il accomplisse cette fonction, des échanges constantsdoivent exister, au sein du secondaire, entre les humanités et la vie,entre la sagesse du passé et les vertus actives du présent. C'est unéquilibre à maintenir, et deux écarts le menacent: le mépris del'héritage spirituel acquis et transmis par les siècles, le refus de lavie moderne sous prétexte qu'elle ne ressemble plus au jour d'hier.La fidélité aux trésors de sagesse amassés dans le passé est unfacteur essentiel du cours classique; mais aussi essentielles sont lafoi au monde actuel et la confiance dans les jeunes générations.

Source: «Notre cours classique en 1951 », Relations, vol. XI, n° 12.6, juin 1951,p. 150-153.

Page 67: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

9 Robert Picard, s.j.Le financement de l'éducationet le rôle de l'État1952

Historiquement au Québec, le coût de l'éducation a été assumé principalementpar les parents (taxes foncières perçues par les commissions scolaires, droitsde scolarité), par les communautés religieuses et l'Église catholique, respon-sables des collèges classiques et des universités, et par des dons philanthro-piques, l'État jouant un rôle de suppléance par des subventions discrétionnaireaux établissements privés ou aux commissions scolaires confrontées à des difficultés financières récurrentes. Les besoins croissants de l'éducation tendent conférer un rôle financier plus important à l'État. Pour le jésuite Robert Picard(1905-1987), psychologue de formation, professeur de psychologie et de pédagogie, notamment à l'École normale supérieure (1943-1949) et à l'Université dMontréal (1948-1959), puis directeur des études dans divers établissements dela Compagnie de Jésus, l'État ne doit pas prendre prétexte de l'accroissementde son engagement financier pour s'approprier le contrôle de l'éducation ; ceserait aller contre l'ordre naturel des choses, qui confère aux parents et à l'Églisele droit essentiel de régir l'éducation.

Le Conseil de l'Instruction publique a nommé l'an dernier unecommission pour étudier la coordination de notre enseignementdu second degré. Le travail progresse dans le silence, et nous avonsl'espoir d'une solution qui mette à la portée de tous nos adoles-cents aussi bien les cours préparatoires à l'université que les autresformes de cet enseignement.

Mais si l'enseignement du second degré devient public, il estinévitable que se pose la question des subsides. Les controversestoujours renaissantes dans la plupart des pays modernes et lesrevendications des catholiques en particulier — en France, enAngleterre, aux États-Unis — montrent bien que la solution ne vapas de soi. Car enfin, depuis le xixe siècle, alors que les pouvoirs

Page 68: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Robert Picard • 69

publics pour la première fois se sont occupés des écoles, on auraiteu tout le temps de s'entendre, si quelque préjugé quelque partn'empêchait l'unanimité de se faire. Il vaut la peine de nous remet-tre en esprit les principes en jeu dans ce problème. Peut-être pour-rons-nous prévenir par là des émotions qui feraient obstacle à leurapplication lucide.

Le droit premier en éducation appartient aux parents. La raison enest évidente : qui donne la vie a le devoir de la mener jusqu'à soncomplet épanouissement. Engendrer une vie humaine, ce n'est passeulement mettre au monde un corps d'enfant; c'est mettre unepersonne en possession de tous ses moyens d'action humaine.Moyens physiques : robustesse, vigueur, santé ; moyens psychiquesaussi: habitudes, connaissances, équilibre; tout ce que requiertl'existence sur terre. D'où le droit inaliénable des parents de déter-miner eux-mêmes la forme et l'orientation de cette éducation, à laseule condition de respecter le droit de l'enfant à la meilleureéducation possible.

Le pouvoir civil n'a pas le droit de se substituer en cela auxparents : il ne communique d'aucune façon la vie, et n'a par con-séquent aucune juridiction sur Véducation comme telle. Sa finalitépropre est de procurer le bien commun des citoyens qui lui vien-nent des familles, et c'est là ce qui mesure ses droits et ses devoirs.Cela peut l'autoriser à fixer aux éducateurs naturels un certainminimum de culture, indispensable à tout citoyen d'un État mo-derne. Mais pour tout ce qui regarde l'œuvre même d'éducation,il ne devra s'immiscer que dans les cas où l'incompétence, la né-gligence ou l'insuffisance de la famille compromettraient les droitsde l'enfant. Fonction de suppléance, droit dérivé, et non pas droitdirect.

À part celui des parents, il est en éducation un autre droitdirect. Car le Christ, lui aussi, donne la Vie, vie divine dans l'âme,vie surnaturelle qu'il transmet par l'Église son Épouse. Les parentseux-mêmes, confirmés par l'Esprit Saint membres actifs de l'Église,ont la mission et le devoir de faire l'éducation de cette vie surna-turelle, sous la direction de la hiérarchie, à qui le Christ a confiésa doctrine et son sacerdoce. Droit inaliénable des représentants

Page 69: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

70 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

sur terre du Fils de Dieu, le Souverain Pontife et les évêques,d'assurer l'éducation religieuse et morale, de surveiller l'espritchrétien dans les écoles, de promouvoir eux-mêmes un enseigne-ment chrétien quand ils le jugent opportun.

Éclairons à la lumière de ces principes le problème du financementde l'école. Il est évident que la famille individuelle ne peut plussuffire à tous les frais de l'éducation telle qu'on la conçoitaujourd'hui. Les normes actuelles de l'hygiène, de l'éducationphysique, des méthodes pédagogiques, des ateliers, des laboratoi-res, des bibliothèques scolaires, de la compétence professionnelledes maîtres supposent des budgets que ne peut réaliser l'initiativeprivée. Le droit de suppléance de l'État trouve ici à s'appliquer, etc'est légitimement qu'il perçoit un impôt spécial pour l'éducation.Impôt tout à fait conforme d'ailleurs au bien commun, et que, paréquité, on distribuera sur une base générale, et non pas locale,puisque toute la communauté profite d'un niveau éducationnelplus élevé.

Mais l'État n'a aucun droit de déterminer la distribution de cesrevenus. Ce n'est pas pour ses fins propres, mais pour celles desfamilles, qu'il en fait, à titre de suppléance, la perception. On voitle caractère bien spécial des fonds attribués à l'éducation. Souspeine de confusions néfastes, il faut les distinguer nettement desfonds publics, dont l'attribution appartient en titre propre à l'auto-rité civile.

En ce qui regarde les cotisations prélevées pour l'éducation,l'État se trouve donc l'administrateur de sommes qui n'appartien-nent pas à la société civile comme telle, mais à la communauté desfamilles. Et c'est aux familles à déterminer l'usage qu'elles veulenten faire. La législation doit donc définir avec précision les domai-nes de cette double juridiction; et le régime des subsides, pouréviter qu'une administration plus entreprenante n'empiète sur ledroit premier des parents, doit être statutaire.

Comment se présenterait, dans le concret, un régime de subsidesscolaires entièrement fidèle à ces principes?

En principe général, il subventionne l'éducation de tous lesenfants indistinctement, quelle que soit l'école qu'ils fréquentent.

Page 70: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Robert Picard • 71

Car la forme de l'enseignement est du ressort propre de la famille.Les parents ont donc toute liberté de choisir pour leurs enfantsl'école, les méthodes, les cours, les maîtres qu'ils préfèrent. Et lerôle de l'administration civile est seulement d'appliquer les fondsperçus pour les familles à ces fins désignées par les familles. Cequi, naturellement, suppose un organisme officiel capable de pré-senter à l'État les intentions des familles.

On peut cependant, dans ce régime d'octrois, justifier certainesdispositions spéciales pour les motifs suivants.

1. Les stipulations légitimes de la loi. — Celle-ci peut très biens'étendre au seul enseignement élémentaire, ou, également, à celuidu second degré. Beaucoup de pays n'aident pas les étudiants del'enseignement supérieur, en meilleure posture, croit-on, de pour-voir à leurs propres études. La plupart étendent leurs largesses àl'enseignement du second degré, déjà très répandu dans notre ci-vilisation occidentale, et dont le bien commun demande la géné-ralisation. Mais, dans les limites de ces stipulations, il seraitillégitime, parce qu'attentatoire aux droits des parents, de faireexception pour un groupe déterminé d'enfants.

2. La justice distributive. — On comprend que le législateur doive,pour assurer la fréquentation ou le rendement scolaires, prévoirune aide spéciale aux miséreux, aux enfants sous-doués, maladifs,domiciliés trop loin d'une école, à d'autres encore. Par contre, desfrais supplémentaires, ceux du pensionnat par exemple, que neréclament pas pour tous les fins poursuivies par la loi, peuvent trèsbien être laissés aux parents.

3. Le contrôle des sommes affectées. — Une administration fidu-ciaire a le devoir de s'assurer que les fonds scolaires servent effec-tivement à un enseignement conforme aux normes prévues. Ce quise fait ordinairement par l'inspection. Mais ces normes elles-mê-mes ne dépendent pas d'abord de l'autorité civile. Ici encore, c'estaux parents à déterminer quelle éducation ils veulent faire donnerà leurs enfants. Toutefois l'État peut, lui aussi, fixer certaines normessupplémentaires dans le domaine de sa compétence propre, le biencommun. Par exemple : des mesures sanitaires, un code des cons-tructions scolaires, en accord avec les exigences de la santé et dela sécurité publiques, un enseignement qui ne soit pas contraire au

Page 71: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

72 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

bien commun; des traitements, pour le personnel enseignant, quirépondent à l'importance et à la responsabilité de leur fonction.

De tout ce qui précède ressort l'illégitimité d'un monopole d'Étaten éducation. La fonction propre de l'État est d'organiser la vie ducorps social d'après les normes du bien commun. Ce n'est, enaucun cas, d'enseigner : car l'État comme tel n'est pas docteur ; etsi un parti politique peut se proposer d'appliquer une doctrineéconomique ou sociale, il ne lui est pas loisible de l'imposer auxesprits qu'il gouverne. Partout où le pouvoir civil organise unsystème scolaire, il le fait donc à titre de suppléance, pour répon-dre aux besoins de la communauté, là où les moyens ordinairess'avèrent insuffisants. Ces moyens ordinaires sont les écoles éta-blies par les familles, ou par les professionnels de l'éducation queles familles agréent. L'État, lui, n'ayant pas pour profession d'en-seigner, s'il garde pour ses écoles, dites publiques, toutes les som-mes perçues au nom des éducateurs naturels, s'arroge un monopoleillégitime.

On dira que l'État percevrait légitimement l'impôt scolaire pourles seules écoles publiques à la condition qu'il n'impose pas auxparents d'y envoyer leurs enfants: le droit premier des famillesserait par là suffisamment respecté. C'est oublier que le droit desparents s'étend à la disposition de leur argent aussi bien qu'auchoix de l'enseignement. Or l'impôt est perçu dans toutes les fa-milles: on les oblige en somme à payer pour un enseignementqu'elles ne veulent pas faire donner à leurs enfants.

D'autres, comme dans plusieurs de nos provinces canadiennes,croiront rester dans les bornes de la légitimité en attribuant l'im-pôt scolaire versé par les familles aux écoles de leur choix, touten réservant pour l'école publique les prélèvements sur les corpo-rations. On oublie encore que toutes les sommes perçues pourl'enseignement appartiennent aux parents et ne peuvent être as-similées aux fonds publics. Si l'administration en est confiée àl'État, à titre de suppléance, la disposition en revient aux familles.Refuser à telle catégorie de familles la cotisation des corporations,c'est équivalemment leur imposer une charge dont on soulage lesautres familles.

Page 72: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Robert Picard • 73

On serait bien en peine d'établir à quel titre peut se légitimerpareille partialité de l'autorité civile. N'ayant aucun titre propre àl'éducation de la jeunesse, l'État ne peut percevoir d'impôts scolai-res pour son usage exclusif. C'est à titre dérivé de suppléant desfamilles qu'il perçoit légitimement ces impôts, et les fonds qu'iladministre, il doit en laisser la disposition à qui elle revient à titredirect. Comment faudrait-il juger une société de fiducie qui vou-drait disposer des biens qu'elle administre ?

Nous pouvons comprendre maintenant le mal qui rend troubles,en tant de pays, les problèmes scolaires. Les États totalitaires veu-lent endoctriner leurs jeunesses : URSS, Allemagne nazie. D'autress'arrogent un monopole de l'enseignement: France, États-Unis,Colombie canadienne. D'autres, enfin, mettent à part certainesfamilles et lèsent leur droit de choisir librement l'éducation deleurs enfants: Angleterre, Ontario et plusieurs autres provincescanadiennes. À des degrés divers, ce sont toujours des ingérencesde l'État dans la société familiale. Tentation facile aujourd'huipour un État qui se veut tout-puissant et se prétend volontiers lasource de tout droit. Notre monde aspire à l'unité. La réalisera-t-il jamais si les pouvoirs supérieurs tentent de se substituer auxinférieurs, et si ces derniers cèdent aux pressions qui les frustrentde leurs droits naturels ? Le vivant n'est pas une masse homogène,il est hiérarchie d'organes.

La législation scolaire de notre province est plus que d'autresconforme aux principes que nous venons de rappeler. Le Conseilde l'Instruction publique, en dehors de toute intervention politi-que, incarne les droits premiers de la famille et de l'Église. L'États'en tient à son rôle d'administrateur des fonds scolaires. Mais lesindices ne manquent pas d'un fléchissement des structures. L'arbi-traire des influences politiques se laisse soupçonner plus fréquem-ment. Et les réformes de plus en plus évidemment nécessairesprennent beaucoup de temps à se réaliser. Si les familles paraissent

Page 73: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

74 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

réagir peu ou mal, ne serait-ce pas que, chez elles aussi, s'atténuela conscience de leurs droits et de leurs devoirs ? Elles exercentpourtant une fonction de base dans le corps social : mieux que decapital-industrie, c'est de capital-personnes qu'elles sont la source.Si elles perdent le sens de leurs responsabilités, que deviendrademain notre communauté populaire ? Un État se détériore par lededans, qui méconnaît la juridiction propre de la société familiale.

Source: «Finances scolaires», Collège et Famille, vol. IX, n° 3, I95Z, p. 8z-86.

Page 74: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

io André LaurendeauL'État doit accroître son effort financier15 février 1952

De son retour d'Europe en 1936 à son décès, André Laurendeau (1912-1968) futl'un des intellectuels majeurs du Québec. Appartenant à la mouvance nationa-liste, impliqué dans le mouvement des Jeunes-Canada, il dirige L'Action natio-nale (1937-1943,1949-1953) ; il est chef provincial du parti du Bloc populaire etdéputé à l'Assemblée législative du Québec (1944-1948), avant d'entrer au Devoiren 1947 où, après avoir été éditorialiste, il agit comme rédacteur en chef àcompter de 1957. En 1963, à la demande du premier ministre du Canada, ildevient co-président de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et lbiculturalisme; son décès prématuré l'empêchera de conduire à leur terme lestravaux de cette commission. Romancier et dramaturge, animateur de télévi-sion, c'est à titre d'éditorialiste du Devoir qu'il commente quotidiennement l'ac-tualité et exerce son influence sur la société. Adversaire résolu et critiqueimplacable du gouvernement Duplessis dont il dénonce inlassablement les in-conséquences, les carences et les vices, il s'intéresse de près à l'éducation etil multipliera les textes appelant à une réforme en profondeur de tout le systèmed'enseignement. Dans ce texte de 1952, il met en lumière les effets dramatiquesdu sous-financement de l'éducation et somme l'État d'assumer pleinement sesresponsabilités.

Comment les collèges classiques, pièce maîtresse de notre systèmed'enseignement, purent-ils être fondés et maintenus ? Grâce audévouement tenace du clergé.

Comment parviennent-ils à durer et même à se multiplier ? Parla vitesse acquise, et par la persistance du même dévouement.

On peut résumer en ces termes la dernière partie de l'exposé faitpar le R. P. Louis-Joseph Lefebvre, c.s.v., supérieur de l'Externatclassique de Saint-Viateur d'Outremont, au déjeuner hebdoma-daire de la Chambre de Commerce, mardi.

Qui oserait contredire le P. Lefebvre ? Une grande partie des col-lèges classiques actuels sont dirigés par des religieux, qui reçoiventcomme seul salaire leurs repas quotidiens, leurs vêtements et une

Page 75: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

/6 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

petite chambre. Les autres, dirigés par des séculiers, distribuentdes salaires annuels qui vont de 2,50 $ à 400 $. Si l'enseignementsecondaire reste relativement peu coûteux dans le Québec, c'estgrâce au clergé.

Même administrés avec une parcimonieuse économie, les collè-ges sont-ils riches? Sauf deux ou trois, ils arrivent tout juste àjoindre les deux bouts. Ils reçoivent de l'État provincial un subsidede 15 ooo $, qui est tout entier mangé par le maintien des futursprofesseurs dans des Universités d'Europe ou d'Amérique.

Institutions privées, servent-ils exclusivement les fils d'une classeprivilégiée? Non: une enquête menée en 1941 montrait que 65pour cent des élèves sont fils d'ouvriers, de cultivateurs, de petitscommerçants et d'employés; 17 pour cent ont des parents possé-dant la culture classique et 18 pour cent, des parents dont l'édu-cation dépasse la moyenne. — Ajoutons cependant que cesproportions ne répondent pas à l'objection courante: on savaitque les collèges sont fréquentés surtout par des fils de familles àrevenus moyens (tout ancien n'a, sur ce point, qu'à consulter sessouvenirs, même s'il a fréquenté un collège urbain). Il n'en restepas moins que beaucoup de fils d'ouvriers, d'employés et même decultivateurs sont écartés de l'enseignement secondaire par l'impi-toyable loi de l'Argent. Mais ce n'est pas la faute de ceux quidirigent les collèges classiques.

Plusieurs de ces jeunes s'orientent vers l'École Primaire Supé-rieure1, dont on sait l'énorme développement depuis quinze ans.Mais cette solution n'en est une qu'à moitié, car l'École PrimaireSupérieure ne conduit nulle part — du moins elle n'ouvre pas laplupart des facultés universitaires, et elle ne saurait y mener sanssubir des transformations profondes.

Que résulte-t-il des constatations formulées par le P. Lefebvre ?Au moins deux conséquences désastreuses.La première, c'est que le personnel doit demeurer à peu près

exclusivement clérical. Or s'il est non seulement normal mais sou-haitable et nécessaire que les clercs continuent de participer à

i. École Primaire Supérieure: bel exemple du flou de la terminologie de l'épo-que ; il s'agit en fait du cours secondaire donné dans les écoles publiques. (N.d.É.)

Page 76: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

André Laurendeau • 77

l'enseignement secondaire, il est inacceptable que les laïcs en soientpratiquement exclus.

C'est inacceptable sur le plan individuel: de jeunes hommespeuvent avoir la vocation d'enseigner sans avoir celle d'entrer enreligion; aujourd'hui, pour vivre, nos licenciés en lettres et enphilosophie, quand ils sont laïques, doivent s'exiler de leur pays oude leur profession ; combien d'étudiants se dirigent d'un autre côté,parce qu'ils ne veulent pas s'engager dans une voie sans issue.

C'est inacceptable sur le plan social : nous ne vivons plus dansun monde où telle ou telle catégorie sociale peut exercer un mo-nopole. Il en résulte de l'aigreur, de l'amertume ; et un jour l'Égliserisque d'être la première à souffrir d'une situation dont elle ne veutplus mais que les circonstances lui imposent.

C'est inacceptable sur le plan de la culture : la constitution d'éli-tes intellectuelles, laïques aussi bien que cléricales, exige que deshommes de plus en plus nombreux se livrent aux carrières del'enseignement secondaire. C'est dans cet enseignement que serecrutent à peu près partout (je veux dire ailleurs qu'au Canadafrançais) les professeurs d'université, dans les facultés à caractèredésintéressé: il en résulte une saine concurrence qui stimule larecherche et renouvelle à la longue les milieux universitaires.

La seconde conséquence est plus frappante, et atteint beaucoup demonde.

Si le collège classique exige des frais de scolarité — et commentpourrait-il vivre autrement, puisque l'État l'abandonne à ses pro-pres ressources ? — il écarte de lui nombre de jeunes gens. Nousavons vu qu'une partie de ces jeunes se dirigent vers l'École Pri-maire Supérieure. Une fois ces études terminées, ils sont condam-nés, ou bien à gagner leur vie tout de suite, ou bien à chercher undébouché dans les institutions anglo-protestantes de Montréal, quiles accueillent mieux que nos propres institutions.

On nous affirme que 2,000 étudiants canadiens-français fréquen-tent aujourd'hui McGill et Sir George Williams Collège2. Parmi

2. Sir George Williams Collège: établissement d'enseignement anglophone,fondé en 19x6, qui décernait des diplômes universitaires depuis 1937, devenu en1974 l'Université Concordia. (N.d.É)

Page 77: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

78 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

ceux-ci, à Sir George Williams en particulier, on compterait ungrand nombre de diplômés du Primaire Supérieur.

D'autres parents prévoient d'ailleurs l'impasse. Puisque mongarçon, se disent-ils, aboutira à des universités anglaises, autant lefaire pénétrer tout de suite dans le système anglais : 40 pour centdes élèves du Montréal Catholic High, 2.5 pour cent du NewmanHigh School et 2,0 pour cent du D'Arcy McGee seraient desCanadiens français.

Ces statistiques n'ont rien d'officiel. Elles ont été compulséespar des éducateurs ; des jeunes gens de classe moyenne qui colla-borent à l'Action catholique et qui ont récemment étudié leurmilieu m'affirment qu'elles sont pour le moins plausibles.

Il faudrait aller plus loin. Car des parents canadiens-français semontrent encore plus « prévoyants ». Ils inscrivent leurs enfants àl'école primaire anglaise de quartier.

Ici nous rencontrons un autre problème. Les familles qui dirigentleur progéniture vers les institutions anglaises d'enseignement lefont pour plusieurs raisons. On les a convaincues, notamment, quela connaissance de la langue anglaise prime tout. Même en résol-vant le problème que nous étudions en ce moment, on ne récupé-rerait pas tous les transfuges, tant s'en faut.

Mais ce qui est invraisemblable dans la situation actuelle, c'estque notre régime pousse vers l'institution anglaise (et souventprotestante) des gens qui n'auraient jamais pensé y recourir.

Cela constitue un jugement terrible porté par les faits contrel'incoordination de notre système d'enseignement.

Les collèges classiques sont impuissants à résoudre le problème.On sait qu'un comité poursuit là-dessus une enquête — trop dis-crète à notre gré.

Mais à quelque solution que l'on parvienne, on aboutira néces-sairement à des demandes d'octrois gouvernementaux.

Page 78: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

André Laurendeau • 79

« Les collèges classiques, a dit le P. Lefebvre, sont de premièreimportance : ils font face présentement à des problèmes qui parais-sent insolubles et qui se réduisent presque tous à des problèmesfinanciers. »

II avait déclaré auparavant : « Si ceux qui critiquent se mettaientde la partie pour réclamer de qui de droit les subsides nécessai-res... »

Qui de droit, en éducation, cela ne saurait être que l'État pro-vincial.

Ainsi se trouve posée une fois de plus, et avec éclat, la questionde l'aide provinciale à l'enseignement secondaire.

Apprendrons-nous d'ici l'élection quelle attitude les chefs departi entretiennent là-dessus ?

Source: «Comment sortir de l'impasse?», Le Devoir, 15 février 1952..

Page 79: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

il Richard JolyRéformer le baccalauréat en le diversifiant1952

Depuis plusieurs années, un débat est engagé sur la structure et le contenu duprogramme d'enseignement secondaire classique conduisant au baccalauréates arts qui donne accès à l'ensemble des facultés universitaires. Certains, desscientifiques surtout (voir texte 4), réclament que l'étude des sciences rem-place celle du grec ancien. Au moment où les universités, dont les facultés desarts régissant le cours classique, entreprennent de reconnaître un baccalauréatlatin-sciences, Richard Joly (1921-1996), spécialiste en orientation profession-nelle, professeur aux universités Laval et de Sherbrooke, auteur et éditeur, seprononce résolument, en 1952, pour la diversification du programme secon-daire conduisant au baccalauréat. Pour lui, une combinaison latin-sciences peuttout aussi bien que le traditionnel couple latin-grec, fournir une formation se-condaire d'une grande richesse culturelle.

Notre expérience et celle d'autres pays révèlent en effet à l'évi-dence que le baccalauréat présente sur ce plan académique undouble potentiel d'une richesse inouïe : on peut le faire servir trèsefficacement soit à donner une « culture générale », soit à préparerl'accès aux institutions universitaires, soit aux deux fins simulta-nément. Et voilà le problème posé : selon que l'on inclura dans laformule plus d'ingrédient « culture » ou plus d'ingrédient « prépa-ration professionnelle », on aura deux baccalauréats différents, oumieux, un même baccalauréat où s'affronteront deux esprits dif-férents. Comme je la comprends, c'est cette dernière situation quiest la nôtre.

Peut-on concevoir un baccalauréat qui ne comporte pas cesdeux ingrédients ? Je ne le pense pas : je crois même que dans lesdeux camps du débat latin-sciences, on en repousserait vigoureu-sement l'idée. Mettre au rancart l'élément culture, ce serait, de

[...]

Page 80: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Richard Joly • 8

l'avis de tous, amoindrir fatalement les effectifs étudiants qui par-viendraient au niveau universitaire, et réduire l'université elle-mêmeà la triste condition d'un sanctuaire érigé au culte de la déesseTechnique. D'autre part, placer le baccalauréat sous la dictatured'une conception exclusivement spirituelle et abstraite de la cultureserait aller contre les données de l'évidence, ignorer impardonna-blement les conditions concrètes de l'action future du bachelier,aussi bien sur le plan culturel, social et religieux que sur le planéconomique et professionnel.

Ce serait une erreur de sacrifier un enseignement de culture à unenseignement professionnel au niveau du secondaire. Sans repren-dre la réfutation des implications inacceptables qui prétendraientjustifier ce sacrifice, il faut penser (en nous appuyant sur des ana-lyses philosophiques et historiques) qu'une telle modification setraduirait par un abaissement ultime du niveau des études univer-sitaires, par un appauvrissement de l'activité globale du milieusocial, et par une ultime décadence de ces aspirations qui, supé-rieures aux techniques particulières (littéraire, scientifique, politi-que, etc.) donnent à l'action humaine à la fois sa direction et sanoblesse véritable.

Du reste, nous nous sommes déjà avancés assez loin sur la routequi mène à la technocratie pour voir nettement quels précipices yattendent le voyageur...

Un enseignement de culture ne peut se concevoir uniquementen fonction de valeurs de permanence. Il n'est pas d'éducateur, iln'est pas de penseur qui veuille voir dans cette nature humaineque le secondaire doit affirmer un simple assemblage d'énergiesen évolution sans aucun élément de permanence. Par contre, iln'est pas plus juste de se représenter l'adolescent à éduquer commela simple somme de ces éléments. L'adolescent deviendra un adultedont l'action entière se situera dans le temps et dans un milieuaux caractéristiques nettement marquées, si marquées qu'ellesimposeront à cette action des modalités individuées. Tous lesproblèmes se présentent différemment selon les époques et selonles milieux; ils ne peuvent se résoudre sans un ensemble d'atti-tudes et de connaissances harmonisées à des conditions particu-lières. À mesure que l'humanité pousse sa course, elle accumuleune expérience plus riche, des valeurs de signification nouvelle,des instruments au rendement plus sûr: éléments qui présentent

[...]

Page 81: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

82 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

un authentique contenu culturel, et qu'on ne peut refuser d'uti-liser sans s'amoindrir.

Une tradition vaut dans la mesure où elle est source de progrès.L'opposition de certains milieux aux projets de diversification del'enseignement secondaire se rattache plus ou moins consciemmentà ce respect d'une tradition qui, chez nous, a toujours conçu l'en-seignement de culture comme un ensemble unique d'esprit et deméthodes. Ce n'est ici ni le lieu ni le moment de bâtir une philo-sophie de la tradition, mais je trouve fort juste le mot de Thibon :« Notre pouvoir de conservation est rigoureusement proportionnéà notre pouvoir de renouvellement et de création. » Si les adversai-res de nos traditions pédagogiques ont le tort de n'en faire ressor-tir que des insuffisances assez évidentes, nous n'avons pas plusraison de les exprimer en termes de pur statisme, et de considérercomme attentats à la nature humaine même des mesures qui sem-blent promettre des gains immédiats, certes, mais surtout des en-richissements profonds et permanents.

Conclure que nos modes traditionnels d'agir (en pédagogiecomme ailleurs) ne peuvent s'accommoder de ce que présente d'hu-mainement sain notre civilisation contemporaine, c'est insinuerque nous avons probablement permis à de simples routines de secamoufler sous ce noble terme de « traditions ».

Faut-il diversifier notre baccalauréat?

Une fois établies ces positions que je considère essentielles à toutdébat sur les problèmes de l'éducation au niveau secondaire, nouspouvons aborder l'examen d'une situation concrète dont l'initia-tive de la Chambre de Commerce de Québec vient de poser ànouveau les termes devant l'opinion publique : le baccalauréat latin-sciences.

Une dernière mise au point s'impose: en étudiant ce projet,nous devrons faire abstraction de tous les intérêts particuliers quipeuvent venir obscurcir la discussion. Une question de cette naturene peut s'aborder si l'on met au premier plan (consciemment ounon) des considérations personnelles à tel individu ou à telle ins-titution : il répugne de faire servir à une cause particulière un débatassez grave pour mettre en jeu l'avenir d'une nation.

Disons de plus, pour présenter immédiatement une observation

[...]

Page 82: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Richard Joly • 83

que je crois assez importante pour y revenir longuement au cha-pitre suivant, que la solution latin-sciences ne peut constituer qu'unesolution fragmentaire, et qu'elle ne prend sa pleine significationque dans le cadre d'une diversification intégrale de notre enseigne-ment secondaire, en particulier à son second degré.

Tel qu'on l'a présenté au public, le baccalauréat latin-sciences sedistingue par une position nette sur une question longuementcontroversée : dans le nouveau programme (et de toute évidence aubaccalauréat qui viendrait le sanctionner), le grec deviendrait matièrefacultative ou, en d'autres termes, on pourrait devenir bacheliersans avoir étudié le grec et, à ce titre, avoir accès à toutes lesfacultés universitaires.

Cette situation entraînerait évidemment d'autres modifications.Les quelque mille heures que consacre en moyenne le collège clas-sique à l'étude du grec seraient appliquées soit à l'étude de nou-velles matières, soit à l'approfondissement de celles qu'on trouvedéjà inscrites aux programmes. Le cours secondaire serait de mêmedurée que maintenant (huit ans), serait sanctionné par un bacca-lauréat universitaire auquel conduiraient des manuels, un ensei-gnement et des examens périodiques adaptés. Le nouveaubaccalauréat chercherait évidemment à recruter une populationétudiante de qualité au moins égale à celle du cours classiqueactuel, un effort particulièrement intense d'orientation permettantde diriger les candidats vers le secteur le mieux indiqué en regardde leurs perspectives de succès et de leur activité professionnelleultérieure.

Le baccalauréat latin-sciences peut conduire aussi bien que toutautre à la culture humaine de l'adolescent. Si nous tenons à notreposition que le problème fondamental de l'enseignement secondaireest celui de l'acquisition de cette « perspective » dont nous parlionsplus haut, il semble impossible de refuser d'en donner crédit aubaccalauréat latin-sciences. Repassons les conditions favorables àl'épanouissement de cette culture: personnel enseignant, locaux,instruments de travail (laboratoires, bibliothèques, ateliers de travauxmanuels, etc.), programmes, examens: nous n'en trouvons aucun

[...]

Page 83: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

84 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

d'accessible au gréco-latin qui ne le soit pas au latin-sciences. Toutau contraire, on pourrait soutenir que pour un nombre indéter-miné de cas, une motivation plus intense dans les études et unecompréhension plus active de leur signification vitale, accentueraitsingulièrement l'efficacité de toutes ces conditions.

Le mot-clef du paragraphe qui précède est évidemment le motde « programmes » : est-il exact de soutenir que les programmes aulatin-sciences pourraient être aussi authentiquement culturels queceux de nos humanités actuelles? Je le crois, et pour plusieursraisons.

La principale est qu'un programme d'études ne prend pas savaleur culturelle première des matières que l'on y fait tenir mais del'esprit dont le professeur l'enseigne et dont l'élève le reçoit. Cer-taines restrictions s'appliquent évidemment à cette affirmation. Eneffet, il est vraisemblable de penser que si nous voulons développerla sensibilité d'un adolescent, nous réussirons mieux en le mettanten contact avec la littérature plutôt qu'avec la géométrie analyti-que. De même, nous avons plus de chances de faire sentir la gran-deur de l'évolution de l'humanité au cours de leçons d'histoirequ'à l'aide de considérations linguistiques. Il serait encore éton-nant que la poésie soit le terrain par excellence pour s'entraîner àla déduction logique, ou que l'on utilise la méditation spirituellepour exercer l'aptitude au travail d'équipe. Une fois acquises cescorrespondances, j'estime que le complexe latin-sciences commenous pouvons le modeler pourrait tout aussi bien que le complexelatin-grec affirmer chez l'adolescent ses pouvoirs proprement hu-mains, et lui présenter avec authenticité, chacun des moments dela conquête qu'a faite l'homme de lui-même et de la nature.

De la richesse d'un bon nombre de disciplines rien ne seraittouché: enseignement religieux, histoire et géographie, philoso-phie, Beaux-Arts, langue maternelle, anglais, sciences et mathéma-tiques, les nouveaux programmes devraient accepter tout ce tronccommun, pourraient même l'amplifier. En élargissant l'étude deplusieurs de ces matières, en libérant du temps pour des travauxpersonnels et pour des synthèses d'interprétation, mais surtout enréaffirmant une intention culturelle, la nouvelle formule pourraitconstituer un progrès sensible sur le contenu actuel de nos pro-grammes traditionnels.

Les langues anciennes seraient évidemment réduites, mais dansquelle mesure la perte serait-elle vraiment sérieuse? L'étude du

Page 84: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Richard joly • 85

latin, — autour de laquelle on pourrait grouper tant de défenseursqu'il ne resterait plus d'assaillants ! — peut non seulement replacerle bachelier aux sources de sa propre civilisation (et de tant d'autres),mais assurer cette « gymnastique » mentale dont on fait un avan-tage important, du contact avec une langue synthétique. L'étudedes racines grecques fournirait les données étymologiques néces-saires à étoffer l'intelligence et l'usage du français, tandis que destraductions commentées ouvriraient le répertoire des grandesœuvres. Il n'y aurait rien d'utopique à attendre de leçons d'insti-tutions comparées au moins l'équivalent de ce que retirent actuel-lement nos bacheliers en matière de compréhension de la civilisationhellénique de leurs tâtonnantes études; de morphologie et de cesversions dont la sèche difficulté grammaticale constitue souvent laseule norme d'appréciation.

Approfondir le contenu des programmes actuels serait déjà unavantage appréciable: l'enrichir dans le contexte des mêmes pré-occupations humanistes peut-il nous laisser indifférent ? Qu'on penseseulement aux progrès que pourraient (que devraient] faire nosbacheliers en histoire de l'Église, en apologétique, en sociologie, enpsychologie appliquée, en appréciation esthétique, et en combiend'autres domaines encore! C'est bien peu que mille heures dansune vie humaine, mais entre les mains d'un éducateur qui sait oùil va et comment s'y rendre, quelle bonne fortune que de pouvoircompter sur l'équivalent de tous les cours d'une année scolairecomplète !

Le second argument capital en faveur d'une diversification ausecond degré du baccalauréat me paraît résider dans l'observationsuivante : une diversification vers la fin de l'adolescence s'accordepsychologiquement avec la maturation progressive de la personna-lité. Si cette « fin de l'adolescence » que j'introduis ici prend unesignification différente selon les pays et selon les individus, cesdécalages chronologiques ne doivent pas nous faire oublier lescaractéristiques que voici.

À ce stade de son développement, l'enfant a déjà trouvé en lui-même et dans son milieu des conditions qui ont graduellement fixéles lignes dominantes de son affectivité en tant qu'elle se porte surles secteurs de l'agir humain. L'indifférenciation du comportementenfantin est résolue depuis longtemps, et l'adolescent sait désor-mais avec de plus en plus de netteté que certaines activités luiplaisent tandis que d'autres lui déplaisent. Dans l'occupation de

Page 85: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

86 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

ses loisirs, dans le choix de ses compagnons dans les lectures quil'absorbent et dans les matières scolaires où il s'applique apparais-sent des préférences caractérisées qui influencent les manifesta-tions des ressources mentales de base. Cette affirmation n'est pasassez nette pour déterminer une orientation professionnelle in-flexible, mais l'est sûrement assez pour indiquer le sens général desaptitudes et de la motivation.

Ce serait fausser le sens de ces constatations que d'y voir unecapitulation devant des attitudes que l'on saurait dommageables,une reprise pédagogique d'un « suivez donc la nature » résigné. Cen'est pas capituler devant la nature que de donner au bambin dontla dentition s'achève une alimentation différente de celle du bébéau berceau ; ce n'est pas du laisser-faire que de prévoir des métho-des et des disciplines différentes pour l'enfant et pour l'adolescent.Parlons plutôt de réalisme dans cette docilité à l'évidence: l'ado-lescent manifeste des préférences diversifiées, des affinités que nousappelons tantôt « goûts » et tantôt « aptitudes ».

Ce ne serait plus du réalisme, par contre, que d'affirmer com-ment « Jacques aime tant la botanique qu'il en oublierait qu'il esthomme, et, à ce titre, participant à la magnifique aventure del'humanité en route vers son destin ». Si Jacques affiche une telleconviction dans son comportement scolaire, deux réactions s'im-posent : en premier lieu, analyser rigoureusement les antécédentsd'une telle déformation; ensuite, amorcer un sérieux travail deredressement qui redonne à l'adolescent une notion juste des pers-pectives. Dans un cas comme dans l'autre, il n'est pas question, onle voit, de nier que Jacques aime la botanique, ni que ce phéno-mène puisse revêtir une signification de culture humaine d'abord,et ensuite de préparation professionnelle.

Les termes « d'abord » et « ensuite » introduisent une ambiguïté :impossible de diviser sèchement un cours secondaire en deux épo-ques, l'une de formation humaine et l'autre de préparation à l'ac-quisition d'une formation professionnelle. Il faut de toute nécessitéconcevoir programmes et méthodes selon une gradation nuancéeoù la progression descendante des matières à buts uniquementculturels rencontrerait — peut-être vers le milieu du second cycledu secondaire : affirmation que je sens fort arbitraire ! — la pro-gression ascendante des matières conformes aux aspirations pro-fondes de l'adolescent et dont le contenu professionnel serait demieux en mieux accusé.

Page 86: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Richard Joly • 87

On sera probablement surpris de voir reparaître, comme notretroisième argument, cet impératif économique apparemment assezmalmené plus haut. Et pourtant, on ne peut pas ne pas l'envisagercomme l'une des données de base de notre problème. Pourvu qu'onle situe dans la bonne lumière, il présente une forte valeur deconviction en faveur d'une diversification du baccalauréat. Sa valeurd'argument tient au fait qu'il vient appuyer les deux autres, ets'appuie sur eux : à lui seul, — sans une préoccupation de culturehumaine et de conformité aux lois du développement de l'adoles-cent, — il prend plutôt figure d'une débandade devant des forcesirrésistibles, d'une servilité inadmissible.

Il serait en effet étrangement brutal que nous refusions de con-sidérer l'évolution de notre pays, son incroyable développementindustriel et les promesses que les conditions présentes de notre vieéconomique formulent à la jeunesse. Devant les générations futu-res, pourrions-nous attendre un jugement favorable sur notre at-titude si nous devions présenter notre cause ainsi : « Au nom desmérites de l'uniformisation, nous avons négligé les mérites égauxde la diversification, et par le fait même, entravé et retardé l'accèsde générations à une supériorité professionnelle qui ne se fût pasproduite au détriment de la supériorité humaine » ?

L'infériorité numérique de notre élément ethnique dans les car-rières scientifiques est un fait solidement établi; la faiblesse denotre influence dans la vie industrielle et commerciale du Canadan'est plus un sujet de recherches, mais d'affirmations. Nous avonstoute raison de croire qu'une formule comme celle d'un baccalau-réat latin-sciences pourrait remédier à ces lacunes dont les réper-cussions débordent évidemment du domaine de l'économique danscelui du social, de l'humain : faut-il donc encore hésiter à agir ?

« Corruptio optimi pessima1 »

Ce n'est pas à des éducateurs, initiés comme ils le sont à tous lessecrets de la nature humaine, qu'il faut rappeler l'écart souventahurissant qui sépare la théorie de la pratique dans l'agir humain.Si séduisante que soit la formule latin-sciences, elle n'est pas sans

i. Corruptio optimi pessima : La corruption des meilleurs est la pire. (N.d.É.)

[...]

Page 87: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

88 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

dangers; ou, plus exactement, elle se présente à nous dans descirconstances et avec des modalités qui nous exposent sans cesseà la faire dévier de son orientation première. Des déviations commecelles que je voudrais signaler ici n'aboutiraient à rien de moinsqu'à stériliser irrémédiablement ses promesses de fécondité.

Une première erreur serait de croire que la formule latin-sciencesrègle définitivement le problème de la diversification du baccalau-réat. Tout au contraire, il faudrait plutôt la concevoir comme lapremière d'une série d'étapes d'inspiration identique et conduisantfinalement, soit à des baccalauréats de désignations différentes,soit à un système d'options à l'intérieur d'un même baccalauréat.Ainsi, — et je reconnais que toutes ces considérations ont pourl'instant une justification insuffisante parce qu'uniquement théori-que, — j'imagine fort bien qu'on pourra un jour trouver, parallèlesà la formule latin-sciences, d'autres formules: latin-arts (l'équiva-lent de notre gréco-latin contemporain), latin-sociologie et peut-être latin-médecine.

Une seconde erreur aux méfaits incalculables serait de venir àconcevoir les dernières années du baccalauréat diversifié commeune séquence d'années pré-universitaires plus ou moins camou-flées, dont la préoccupation dominante serait de transporter ausecondaire des enseignements dont se trouveraient allégés (au profitde nouvelles additions) les programmes universitaires eux-mêmes.

Les considérations faites aux chapitres précédents me dispen-sent de souligner à nouveau la perversion que constituerait unetelle déviation. Sans mentionner le danger de provoquer des re-tards, des reculs et ultimement des gaspillages de capital humain,une pareille usurpation saboterait l'atmosphère de culture qui donneson sens premier aux études secondaires, en ferait tout au mieuxle parvis du temple de l'idole Technique. Il sera déjà très difficilede redresser chez l'étudiant la tendance à juger que le baccalauréatdiversifié constitue effectivement l'entrée à l'Université, et en quel-que sorte le premier versement d'une transaction à tempéramentdont le gagne-pain est l'objet: pour aucune considération faudrait-il que l'éducateur lui-même en vienne à vouloir encourager cette

[...]

Page 88: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Richard joly • 89

course à la décadence, à vouloir accélérer l'acquisition d'une spé-cialisation prématurée.

Je l'ai signalé trop rapidement plus haut, nous avons tous la ten-dance à considérer qu'un système d'éducation se réforme quand ilmodifie ses programmes: la structure administrative de matièresscolaires comporterait de soi, dirait-on, une valeur pédagogique,authentique, et il suffirait de mettre l'élève en contact avec desdisciplines à potentiel culturel pour assurer en lui l'élaboration decette culture.

Ce qui fait la valeur d'une formule pédagogique, ce sont certesles conditions de vie de l'étudiant (règlements, distribution du tra-vail, emploi des loisirs, etc.) et les programmes, mais surtout l'es-prit que le maître insuffle dans ceux-ci. D'où l'urgence d'assurer àce dernier une solide culture personnelle, de même qu'une forma-tion professionnelle aussi rigoureusement équilibrée que celle decollègues d'autres professions.

Cette formation professionnelle devra comporter un doubleaspect : le maître doit connaître le contenu de l'enseignement qu'ilsera appelé à communiquer, mais aussi le «comment» de cettecommunication. Il ne suffit pas de connaître très bien sa gram-maire grecque pour devenir professeur de grec, ni très bien lachimie analytique pour enseigner aux périodes de laboratoire dansune institution secondaire. Tout au contraire, une compétence tech-nique trop poussée en quelque matière que ce soit peut facilementexpliquer des échecs retentissants dans un milieu à préoccupationsculturelles.

La formation des maîtres d'un enseignement secondaire diver-sifié doit donc apporter une insistance particulièrement vigoureuseà la préparation pédagogique de ce magistère. Concrètement, leprincipe implique qu'il ne suffit pas de séjourner un certain tempsdans une faculté universitaire si ce séjour ne comporte pas à titreobligatoire une solide initiation à la pédagogie du secondaire, ini-tiation sanctionnée au même titre que l'acquisition des connaissan-ces techniques. Qu'il soit désirable, pour devenir professeur deLettres, d'avoir réussi de difficiles versions ou de solides disserta-tions, personne ne le voudrait nier: versions et dissertations ne

Page 89: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

tives d'après-guerre (1945-1954)

seront pourtant fructueuses que si elles ont été situées dans unesprit qui en facilite l'utilisation au service du public étudiant dubaccalauréat. Qu'il soit avantageux d'avoir reçu une formationd'ingénieur pour enseigner sciences et mathématiques au secon-daire, l'affirmation décrit de réels avantages : par contre, n'oublionspas que le maître ne sera pas ingénieur dans ses fonctions maiséducateur, et qu'en négligeant de considérer cette formalité en lui,nous négligeons l'essentiel.

Je veux souligner en terminant que le succès d'un baccalauréatdiversifié, comme de tout baccalauréat, ne dépend pas uniquementdes éducateurs du secondaire, mais aussi bien de ceux des niveauxprimaire et universitaire. Étape de transition, les études du bacca-lauréat font appel à des connaissances et à des attitudes que leprimaire doit avoir fournies, et conduisent à l'aboutissement de laculture universitaire. Aucun isolement possible, qui fasse abstrac-tion des antécédents et du terme.

Conclusion

II ne faut pas nous cacher que la formule d'un baccalauréat latin-sciences, — disons plutôt d'un baccalauréat diversifié, puisque lelatin-sciences se présente comme une seule étape du processuscomplet, — il ne faut pas nous cacher que la diversification dubaccalauréat comporterait dans nos milieux des difficultés sérieu-ses, dont les moindres ne sont pas celles du plan administratif.Sans nous attacher aux résistances affectives que le projet pourraitrencontrer, sans détailler l'imprécision de laquelle s'informera cettenouvelle conception du secondaire, nous avons raison de penserqu'une longue période sera nécessaire à la maturation du projet età l'invention des moyens de sa mise à exécution.

Comme toutes les innovations, celle du baccalauréat diversifiésouffrira un certain temps — qu'on me pardonne cette lapalissadeapparente — d'une inexpérience dont on pourrait tenter de lediscréditer. Incertitude des méthodes, déficiences des instruments,lenteur dans la formation de certains maîtres, voilà qui représen-

90.

[...]

Page 90: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Richard Joly - 91

tera sûrement quelques-unes de nos difficultés de croissance. Con-sulter l'expérience d'autrui permettra de remédier partiellement àcette condition, mais nous ne pourrons sûrement pas trouver ailleursdes solutions qui nous permettent d'accéder d'emblée à l'idéal quenous nous serons proposé.

Cette préoccupation d'affermir nos méthodes doit se traduirepar la création de services de recherches pédagogiques. Il est faciled'énumérer immédiatement, — même avant l'inventaire systématiquede nos besoins, — plusieurs directions où devront s'appliquer cesefforts: évaluation des manuels, élaboration des programmes deformation des professeurs, constitution de bibliothèques et delaboratoires, mise au point d'instruments psychométriques, diffu-sion des connaissances déjà acquises en matière de psychologie del'adolescent, d'hygiène du travail scolaire, de sélection académi-que, de documentation professionnelle, etc.

La signification économique de ces constatations n'échappe àpersonne. Une entreprise de diversification comporte des fraissouvent considérables et fait appel à des ressources qu'il nousfaudra trouver. Seule une analyse détaillée permettra de suggérerdes mesures concrètes, mais on peut se demander si nous ne pour-rions trouver une solution partielle dans une centralisation quigrouperait dans certaines institutions ces élèves qui se destinent àun même groupe d'activités professionnelles. Une telle décisionserait probablement au détriment du service local ou régionalqu'assurent présentement les collèges classiques — ici encore ce-pendant nous sommes en face d'un problème de choix, où laquestion centrale est de comparer des mérites respectifs. Or, lesmérites d'une pareille procédure sont incontestables: économiesconsidérables d'énergies et de ressources financières, meilleuresgaranties d'approfondissement des programmes, création d'un espritcaractérisé, etc. En outre, il se pourrait que nous fassions dansl'administration pédagogique des découvertes comparables à celleque l'administration industrielle ou financière a faites depuis long-temps: en regroupant certaines forces, en utilisant de manièredifférente un personnel ou un outillage, en affectant plus logique-ment certains locaux à certains besoins, en insufflant de nouveauxéléments dans l'esprit d'une institution, il se pourrait que nousconstations un accroissement de rendement de la part de ressour-ces qui, en elles-mêmes, ne seraient pas augmentées.

Disons enfin, — et je m'excuse du vague de la suggestion, —

Page 91: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

92 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

que nous devrons pouvoir compter sur la contribution de Mercureet de Vulcain à l'édification de l'éducation secondaire diversifiée.En tant que bénéficiaires immédiats de cette réforme, l'industrie etle commerce se doivent de mettre des ressources adéquates à ladisposition des institutions enseignantes qui leur fourniront leurélite de demain. Comment s'établira cette contribution ? Je ne saisvraiment pas, mais j'estime qu'il serait odieux d'ajouter encoreaux sacrifices que nos collèges classiques acceptent depuis un siè-cle, et de les surcharger de nouvelles obligations qui, dans l'hypo-thèse d'un refus de participation, ne viendraient plus servir unenoble cause mais asservir des institutions héroïques à des égoïsmesindéfendables.

Entreprise immense que celle où nous devons nous engager,entreprise qui met en question plus que l'avenir immédiat d'unesociété, l'avenir des valeurs mêmes sur lesquelles se fonde notresociété. Au nom de ces valeurs, je ne crois pas que l'on puisseretarder la réalisation d'un projet dont la fécondité ne peut man-quer de faire de nos milieux un monde où il soit meilleur de vivreparce qu'il s'édifiera sur des citoyens dont la formation aura étéplus riche.

Source: Vers une réforme du baccalauréat, Presses universitaires de Laval, Qué-bec, 1952, p. 6-32, (extraits).

Page 92: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

12 Marcel RiouxL'enseignement secondaire classique:stagnation intellectuelle et culturelleNovembre 1953

Anthropologue et sociologue, Marcel Rioux (1919-1992) a été formé en Francenotamment et a longuement travaillé sur le terrain à titre de chercheur au Muséede l'Homme à Ottawa (1947-1959) avant de devenir professeur de sociologie àl'Université de Montréal en 1961. Il a présidé, de 1966 à 1968, la Commissionroyale d'enquête sur l'enseignement des arts au Québec et dirigé la rédactiond'un rapport sur ce thème. Analyste critique de la société québécoise et de lacivilisation industrielle, nationaliste progressiste, il a laissé une œuvre scienti-fique et polémique importante. Dans ce texte de 1953, il porte un regard trèsévère sur l'enseignement secondaire classique du Québec, facteur importantde stagnation intellectuelle et culturelle.

Nos jeunes adolescents ont entre treize et quinze ans quand ilssont dirigés vers les collèges classiques ; comme nous le soulignionsplus haut, déjà, à cet âge-là, ils ont acquis dans leur milieu familialet dans leur communauté une certaine attitude envers la vie. Bienqu'il y ait entre eux bien des différences physiques et intellectuel-les, la culture canadienne-française les a déjà façonnés en profon-deur; ils communient dans le même idéal de sécurité. Ayant étéélevés dans une culture relativement très homogène, ils ont acquisà peu près toutes les mêmes valeurs fondamentales, la même atti-tude devant la vie. Que vont-ils rencontrer dans ces collèges oùleurs parents les dirigent ? Ce qu'ils y rencontreront, ce sont avanttout des produits du même milieu, d'autres Canadiens françaisqui, il y a quelques années encore, entraient eux-mêmes à titred'étudiants dans ces mêmes collèges, qui ont depuis englouti cecours classique et fait peut-être des études spécialisées, qui sont

[...]

Page 93: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

94 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

demeurés Canadiens français, produits de la culture canadienne-française. Ils ne se sont pas rebellés contre leur culture, ils l'ont,non pas assumée au sens sartrien, mais s'en sont accommodéscomme ils l'avaient déjà fait dans leur milieu scolaire et paroissial,avant d'entrer eux-mêmes au collège. Ceux qui se sont rebelléscontre leur milieu, qui ne l'ont pas accepté, qui n'en ont pas prisleur parti, ne sont pas là comme professeurs. Ils ont vitement étééliminés ; quelques-uns sont aux États-Unis, au Canada anglais, enFrance — de cœur et d'esprit, sinon physiquement. Le plus grandnombre a dit « Neveurmagne1 », comme le Survenant, et a croupisur place. Qu'ont-ils à leur offrir à ces adolescents, ces éducateursde bonne volonté, ces éducateur héroïques, ces éducateurs quidepuis deux siècles assurent la relève de l'instruction au Canadafrançais ? Un bien curieux système dont il faudrait brosser l'his-toire et relever les contradictions, au risque même de le caricaturer.Avant d'en voir le détail, on peut résumer ainsi ces contradictions :l'éducateur, mû lui-même par des valeurs et des idéaux propres auCanada français contemporain (idéal catholique d'avant la Re-naissance, mâtiné d'intégrisme moderne), essaie de faire pénétrerdans de jeunes cerveaux déjà marqués de la culture globale cana-dienne-française (valeurs d'autorité, de sécurité, de traditionalisme,de confort matériel) un système qui lui-même est hétérogène etnon unifié, fait à l'image de la culture occidentale.

Notre système est à base d'humanités gréco-latines; on l'a dit,on l'a répété avec fierté; c'est le système qui devait sauver lacivilisation française et catholique en Amérique. Du côté des clas-ses de lettres, on y trouve les auteurs grecs et latins que de géné-ration en génération on a traduits et retraduits sans cesse ; du côtédes classes de philosophie, on trouve Aristote, revu par saintThomas, augmenté des commentateurs et mis en petits pots par lesfaiseurs de manuels. D'où vient donc ce système d'éducation ? Dela Renaissance. C'est d'ailleurs son introduction qui marque la findu moyen âge et le début de la Renaissance. Tout Canadien fran-çais sait pourtant que le moyen âge n'est pas l'âge des ténèbrescontre lequel les libertins du xviie siècle ont médit; non, ce fut

i. Neveurmagne: déformation de l'anglais Never mina, «ça ne fait rien, ons'en fout», juron du héros du roman Le Survenant de Germaine Guèvremont(1945), adapté en feuilleton par l'auteur, pour la radio de 1951 à 1955, puis pourla télévision de 1954 à 1957. (N.d.É.)

Page 94: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Marcel Rioux • 95

l'âge d'or du catholicisme, l'âge des cathédrales, l'âge de la foiardente. Alors pourquoi adopter un système qui justement veutsaper les fondements d'une époque si admirable ? Au début l'Églises'enthousiasma pour ce retour vers l'Antiquité ; elle ne sembla pasvoir que bientôt un nouvel humanisme sortirait de ces traductions,de ces études; se présentant d'abord comme une élucidation dessources de la civilisation européenne, comme un enracinement decette culture, il devint vite un idéal devant la vie, une vision totaledu monde où il n'y eut bientôt plus de place pour la religion; onreconnut l'homme, non pas la religion, non pas Dieu comme va-leur suprême de la vie ; il devint proprement anthropocentrique. Iln'est pas sûr que ce ne soit pas Luther qui ait d'abord percé le jeudes humanistes en voyant que Dieu et la religion n'auraient bientôtplus la première place dans ce système. Quand l'Église voulutréagir, il était déjà trop tard; l'humanisme avait gagné la partie;il avait conquis une importante portion de l'élite européenne. Il nerestait à l'Église que d'essayer de l'intégrer, de l'assimiler et de lechristianiser. Bien vite, toutefois, un autre enfant de la Renais-sance, la science, allait croître et menacer les positions mêmes del'humanisme libéral. Depuis le xixe siècle, l'humanisme scientifi-que a marqué des points sur ses adversaires ; nous vivons mainte-nant sous son empire. L'Église fit pour la science ce qu'elle avaitfait pour l'humanisme gréco-latin ; elle essaya, elle essaie encore del'intégrer, après l'avoir quelque peu boudée. On peut dire qu'enOccident ce fut là l'évolution des idées à partir du moyen âge.

Qu'advenait-il du Canada français pendant ces siècles ? Coupédes sources de sa culture dès le xvif siècle, il s'adaptait à sonnouveau milieu et aux autres cultures environnantes. Quoiquel'éthos de cette culture ne semble pas avoir beaucoup varié, il n'estpas sûr que pendant le xvne et le xvme siècles et même une partiedu xixe siècle, la culture canadienne-française n'ait pas été pluslibre, moins autoritaire, moins orientée vers les valeurs de sécurité.Vus à distance, les disputes, les mouvements tangentiels, les diver-gences d'idées, peuvent peut-être nous sembler plus importants etplus nombreux qu'ils n'ont vraiment été, mais il semble que l'auto-ritarisme était moins fort et que les courants libres d'idées s'yfaisaient jour et perçaient en surface. Si cette supposition est vraie,il me semble y avoir une raison principale à cette différence declimat intellectuel: la fuite vers d'autres cultures, d'autres idéolo-gies, n'était pas possible alors ou, à tout le moins, peu praticable

Page 95: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

96 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

dans ces périodes d'isolement quasi total. Il fallait que les abcèsd'indépendance, de révolte et de rébellion aboutissent sur place. Le« neveurmagne » était moins possible ; l'appartenance à sa nationétait plus sentie ; il fallait se sauver ou se perdre avec sa nation ; ilfallait communier à l'idéal de sa nation ou le combattre.

Les communications rapides entre nations, les disciplines artis-tiques et scientifiques qui se sont développées sur des plans inter-nationaux ont vite abaissé les barrières entre les nations ; le nationaln'a plus besoin de se sentir appuyé par son groupe. Le Canadienfrançais cultivé qui rejette les valeurs de sa nation ira chercher àNew York ou à Paris l'appui qu'il lui faut. Les abcès n'éclaterontplus. Le « neveurmagne » deviendra le mot de passe de ceux quin'ont plus le goût, ni les moyens de s'élever contre leur propreculture. Celui qui se rebiffera contre l'autoritarisme et l'irréalismede sa culture, celui-là à qui l'on prêchera la résignation et à quil'on promettra « des whiskys éternels2 » pour l'empêcher de boiretrop ici-bas, celui-là qui découvrira qu'il n'y a pas place pour luidans sa culture dite « neveurmagne », cherchera et trouvera ailleursde quoi se nourrir et se préoccupera plus des valeurs de la culturecanadienne-française; la plupart garderont la religion catholiquecomme système de sécurité et vivront à l'américaine, confortable-ment et sans trop d'angoisse. Actuellement, notre culture présentedonc une très grande homogénéité de surface; ceux qui s'en sontretranchés ne se donnent pas la peine de la combattre. En auraient-ils d'ailleurs les moyens ? Ceux qui y sont encore accordés viventune vie feutrée, en marge de tout ce qui pourrait les distraire dumonde moderne. Cet anachronisme est même devenu panache,motto, gloriole; c'est le pays où rien ne change, où l'on se sou-vient. On ignore les contradictions et les changements ; on les nieet ils n'existent plus.

Bornons-nous à regarder notre cours secondaire. Cours classi-que ou cours scientifique ? Humanités ou science, disons-nous ?Est-ce bien ce qu'il y a d'abord à réconcilier dans notre courssecondaire ? Regardons bien encore une fois l'étudiant et l'éduca-teur qui se rencontrent au collège. Ils sont tous deux des produitsdu même milieu, ils se ressemblent étrangement au niveau profondde la structure de leur personnalité, de leurs attitudes devant la vieet de leur échelle des valeurs. L'éducateur, en général un religieux,

2. Prône d'un curé d'Ottawa, le ier janvier 1953. (N.d.A.)

Page 96: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Marcel Rioux • 97

a évidemment certains avantages sur l'étudiant : religion plus étof-fée, plus nourrie, connaissances beaucoup plus vastes, personnalitéplus équilibrée. Le système d'éducation qu'il a à offrir à l'étudiantreprésente un amalgame d'attitudes et de valeurs qui diffère dessiennes et de celles de l'étudiant. Pour l'étudiant et l'éducateur,c'est la religion catholique, telle qu'elle est inconsciemment réa-daptée par le Canada français, qui répond ultimement à toutesleurs questions et fournit une solution à tous leurs problèmes. Leshumanités gréco-latines ne sont plus pour l'éducateur un huma-nisme, une attitude devant la vie ; elles sont devenues une gymnas-tique intellectuelle ou, au mieux, un enracinement dans la civilisationoccidentale. L'éducateur ne se fera pas faute de corriger les païensgréco-latins ; d'ailleurs, pour éviter les rectifications nécessaires, onsoumettra le plus souvent à l'élève des textes qui ne présententaucun danger pour ses convictions religieuses et morales. Au lieude montrer à l'élève comment la nature, la vie, l'homme, apparais-sent à ces auteurs et de le faire communier à cet idéal, on luimontrera là où ils ont erré et comment le catholicisme les a cor-rigés. Traduisant, commentant et expliquant des auteurs qu'il saitne pas être porteurs de la vérité, l'étudiant — si tant est que sonéducation pré-collégiale lui ait laissé quelque désir de chercher lavérité — se désintéressera assez vite de ces auteurs; ils ne serontpas pour lui source d'enrichissement et de vie parce que sa quêten'aura pas été totale ; il n'aura pas suivi l'avertissement que donneValéry à ceux qui franchissent le Musée de l'Homme de Paris : « IIdépend de toi que je sois tombe ou trésor. Que je parle ou me taise,ceci ne tient qu'à toi. Ami n'entre pas sans désir. » Où donc notreadolescent aurait-il puisé ce désir de vérité et de beauté ? S'éton-nera-t-il du monde, de la nature, de l'homme avec les poètes?S'émerveillera-t-il avec eux ? Non, son monde est tissé de toutes lescertitudes ; il est immunisé contre toutes les surprises. L'éducateurcherche-t-il, s'interroge-t-il, s'étonne-t-il ? Non, il croirait déchoiret perdre son prestige. Sa mission est d'enseigner la vérité du Canadafrançais.

L'éducateur canadien-français se croit tout de même humaniste ;en réaction contre la science et la civilisation technique environ-nante, il vantera la sagesse des auteurs gréco-latins, pour mieux lesassassiner ensuite. Il défendra la dignité humaine bafouée et s'éva-dera du monde contemporain. Qu'offrira-t-il à l'étudiant commesagesse, comme réponse ultime ? Une religion qui trop souvent est

Page 97: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

98 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

restée le système de sécurité qu'étudiants et éducateurs ont ab-sorbé dans leur jeunesse. S'il y a présentement dans le mondeoccidental trois façons d'être homme, trois attitudes principalesdevant la vie, trois principes intégrateurs de la personnalité et dela culture, humanisme, science ou religion, ce ne sera aucune deces possibilités que l'étudiant aura actualisée en lui à la fin de soncours secondaire. On parlera bien de fusion de ces idéals, de syn-thèse enrichissante et d'intégration de toutes les valeurs de la cul-ture occidentale. Cette synthèse existe-t-elle vraiment? Ensembleéducateurs et étudiants ont brassé bien des idées, bien des auteurs.Ils ont essayé de s'enthousiasmer pour Virgile, pour Aristote, pourVeuillot, pour Poincaré et pour Claudel. Ils n'y sont point arrivés ;la plupart du temps, c'est la substance des livres de Veuillot qu'ilsauront sentie la plus proche d'eux-mêmes. La culture globale deleur milieu pèse trop lourdement sur eux pour qu'ils s'en échap-pent avec des douches dirigées d'humanisme, d'art ou de science.

Regardons notre bachelier à la fin de son cours secondaire. Quiest-il ? Un homme qui possède la faculté d'étonnement et d'émer-veillement ? Un artiste, un poète ? Il est bien rare que ceux qui lesont chez nous viennent du secondaire. Est-ce un homme douéd'esprit critique, qui a le sens du dépassement? A-t-il le sens duproblème ? Veut-il connaître la vérité ? Peut-il seulement s'expri-mer en français ? Est-ce un homme de Dieu ? Sera-t-il le sel de laterre ? Sa religion lui servira-t-elle de levier pour secouer le monde ?Regardez-le devenu avocat, curé, médecin ou ingénieur. Recon-naissez-vous en lui tout ce que le cours secondaire devait lui ap-porter? Qu'est-il devenu? Avons-nous bien le droit de parler ducours secondaire comme s'il existait en dehors d'un milieu donné ?Avons-nous le droit de nous désintéresser de la culture globale duCanada français sous prétexte qu'on repêchera une élite au courssecondaire et qu'on en fera des hommes. Les problèmes d'éduca-tion formelle sont en étroite relation avec le milieu total ; que noussert d'élaborer et d'emprunter les plus beaux programmes, si nousles recréons à notre image aussitôt que nous les mettons à l'essai.

Source: «Remarques sur l'éducation et la culture canadienne-française», Citélibre, vol. III, n° 8, novembre 1953, p. 37-42..

Page 98: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

13 Sous-comité de coordinationde renseignement à ses divers degrésRestructurerle système d'éducation1953

En l'absence d'une autorité unique, le système d'éducation québécois apparaîde plus en plus éclaté et fragmenté en de multiples filières de formation qui nesont pas coordonnées entre elles et qui sont souvent étanches les unes auxautres, pénalisant lourdement les élèves qui vivent des problèmes d'orientationet instituant une hiérarchie de valeur présumée entre divers cheminementsscolaires, particulièrement au secondaire. Cet ordre d'enseignement apparaît àplusieurs comme un véritable fouillis de structures, d'établissements et de pro-grammes disparates et n'obéissant à aucune vision d'ensemble. Le comité ca-tholique du Conseil de l'instruction publique, qui dirige l'enseignement primaireet secondaire public en l'absence d'un ministère responsable, ne peut manquerd'observer l'état de désarticulation de l'enseignement francophone québécoiet il exprime à plusieurs reprises sa préoccupation de mieux coordonner l'en-semble des ordres et des programmes d'études. À sa réunion du 9 mai 1951, àl'instigation en particulier de l'archevêque de Québec, Mgr Maurice Roy, et decelui de Montréal, le cardinal Paul-Emile Léger, le Comité catholique crée un«sous-comité de coordination de l'enseignement à ses divers degrés». Présidépar le surintendant de l'Instruction publique, Omer-Jules Désaulniers, le sous-comité se compose d'une douzaine de personnes réparties en deux sections,l'une à Montréal et l'autre à Québec. Parmi elles se trouve, à titre de « membradjoint», un professeur de l'université Laval, Arthur Tremblay, qui s'illustrerapar la suite comme premier sous-ministre de l'Éducation.

Le sous-comité appelle le milieu à contribuer à ses travaux. Il reçoit ainsi uncinquantaine de mémoires. Il tient des audiences où il entend les auteurs desmémoires et aussi d'autres intervenants. Travaillant pour l'essentiel à huis clos,le sous-comité élabore progressivement son rapport qu'il dépose finalement ennovembre 1953.

Ce rapport d'à peine une soixantaine de pages est pourtant substantiel. Ony trouve des principes généraux de coordination des cadres de l'enseignement(tant sur les plans vertical qu'horizontal); des «lois de coordination relativesaux objectifs de l'enseignement» attentives aux besoins de l'individu et de la

Page 99: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

ioo • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

société; des propositions pour uniformiser la terminologie décrivant les pro-grammes et les établissements; des règles pour assurer la coordination, l'arti-culation et la continuité des divers programmes d'études; un effort particulierpour mettre de l'ordre dans les études secondaires et les bien ajuster aux or-dres supérieurs. Une trentaine de recommandations complètent les analyses durapport et interpellent les divers ordres d'enseignement. Plusieurs des plusimportantes de ces recommandations, notamment celles concernant les struc-tures générales du système d'éducation, réapparaîtront sous une forme plusdétaillée et plus perfectionnée dans le rapport Parent, dix ans plus tard. Avecdes moyens limités et dans un contexte politique dominé par un gouvernementconservateur et peu intéressé à contester à l'Église son contrôle de l'éducation,le sous-comité ouvre un chantier que la Commission royale d'enquête sur l'en-seignement (1961-1966) reprendra de fond en comble non sans utiliser certainsmatériaux déjà installés par le sous-comité de coordination.

NATURE ET EXIGENCES DE LACOORDINATION DE L'ENSEIGNEMENT

i. Nature

Coordonner, c'est « combiner dans l'ordre assigné par la forme oula nature des éléments». C'est encore «arranger certaines chosesentre elles suivant les rapports qu'elles doivent ou peuvent avoir ».

Une coordination suppose donc:1. une multiplicité d'éléments : on ne peut coordonner une chose

avec elle-même, mais seulement avec d'autres;2. des rapports nécessaires ou possibles entre les éléments à

coordonner ; on n'agence pas ensemble des choses qui n'ontou ne peuvent avoir aucun lien;

3. une communauté de fins, au moins partielle, entre les élé-ments à coordonner; c'est la raison d'être de la coordina-tion;

4. un ordre établi entre les éléments afin que chacun puissecontribuer le mieux possible à la fin commune.

Partant de ces notions, la coordination de l'enseignement pour-rait être définie : l'agencement harmonieux des multiples organis-mes scolaires de façon à permettre aux élèves d'atteindre, sansobstacles insurmontables et par des voies adaptées, au plein épa-nouissement de leur personnalité, pour le plus grand bien de l'in-dividu et celui de la société.

[...]

Page 100: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Sous-comité de coordination • 101

II existe, dans notre province, une grande variété d'écoles detout genre: culture générale et formation professionnelle, et detous niveaux: primaire, secondaire, universitaire. Elles sont néesde besoins particuliers ou généraux, de l'initiative privée ou publi-que, et se sont développées sous la forte impulsion de leurs fonda-teurs, d'une façon parfois individualiste et sans toujours tenircompte de ce qui existait à côté, en bas ou au-dessus. Ce sont làles éléments multiples à coordonner.

Ces écoles ont nécessairement des rapports entre elles, puis-qu'elles se font suite ou cheminent côte à côte et s'adressent sou-vent aux mêmes élèves qui doivent passer de l'une à l'autre.

Elles ont aussi, en plus de leurs fins particulières, plus d'une fincommune à toutes: l'épanouissement de la personnalité de l'en-fant, le bien commun, etc.

Pour que toutes les écoles contribuent le mieux possible au bienparticulier des élèves qui leur sont confiés et au bien commun dela société, il faut qu'il existe entre chacune d'elles des rapportsbien ordonnés, un agencement harmonieux, en un mot, qu'ellessoient bien coordonnées.

2. Exigences

Un système d'enseignement bien coordonné doit répondre à certai-nes exigences fondamentales dont la connaissance est indispensa-ble à quiconque veut juger un système en particulier ou appliquerdes procédés concrets de coordination. C'est pourquoi nous croyonsnécessaire d'exposer, au début de ce rapport, ce que nous considé-rons comme des lois universelles, des principes premiers auxquelstout système d'enseignement doit se soumettre.

Ces lois peuvent se ramener à deux groupes principaux: cellesqui« se rapportent à la matière même à coordonner, c'est-à-dire lescadres, les institutions, la structure, l'organisation même de l'ensei-gnement ; celles qui se rapportent à la fin même de la coordination,c'est-à-dire aux fins générales et particulières de l'enseignement. Ilfaut sans doute que toutes les institutions aient une place bien dé-finie, un rôle propre et qu'elles se complètent les unes les autres demanière à constituer une organisation complète et bien balancée,mais il faut aussi que l'organisme dans son ensemble et chaqueélément en particulier répondent adéquatement à leurs fins particu-lières ou générales qui sont leurs seules raisons d'exister et de vivre.

Page 101: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

102 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

Nous aurons donc deux groupes de lois : celles concernant les cadresde l'enseignement et celles concernant les fins de l'enseignement.

LOIS DE COORDINATION RELATIVESAUX CADRES DE L'ENSEIGNEMENT

Un système d'enseignement est constitué d'organismes de diffé-rents niveaux et de différents types.

On distingue généralement trois niveaux d'enseignement, mêmesi les limites qui séparent ces niveaux ne sont pas toujours biendéfinies et si les termes qui les désignent ne sont pas toujoursabsolument précis. Ces niveaux sont : l'enseignement primaire, l'en-seignement secondaire ou du second degré et l'enseignement uni-versitaire ou supérieur.

Quant aux types d'organismes, ils peuvent se ramener à deux,même si, dans la réalité, ils ne se rencontrent pas toujours à l'étatpur. Ce sont : les organismes de formation générale et les organis-mes de formation technique et professionnelle.

C'est l'agencement de tous ces organismes qui constitue la coor-dination des cadres de l'enseignement. Cette coordination ne peutse réaliser que si certaines lois fondamentales, que nous ramène-rons à deux, sont observées.

A. Loi de la coordination sur le plan vertical

Le passage d'un niveau donné d'enseignement à un niveau supé-rieur, soit de formation générale, soit de formation technique etprofessionnelle, doit pouvoir s'effectuer normalement.

Concrètement, cette loi exige:a. qu'il n'y ait pas de vide, de fossé, entre deux cours dont l'un

doit faire suite à l'autre;b. qu'il n'y ait pas, dans un cours donné, des répétitions inu-

tiles des matières enseignées au niveau inférieur;c. qu'un cours donné ne soit pas, de sa nature, un chemin sans

issues régulières et normales, soit sur la vie soit sur descours supérieurs.

Page 102: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Sous-comité de coordination • 103

B. Loi de la coordination sur le plan horizontal

Le passage d'un type d'institution ou de cours à un autre de mêmeniveau doit pouvoir s'effectuer avec un minimum de perte de tempset de difficultés d'adaptation.

Cette loi exige:a. que la spécialisation, dans chacun des cours et à chacun des

niveaux, soit retardée le plus possible ; car plus tôt un coursest spécialisé, plus il est difficile d'y entrer venant d'ailleurs,ou d'en sortir pour aller ailleurs;

b. que les différences entre les types de cours d'un même ni-veau, en ce qui concerne les matières au programme, soientlimitées à l'essentiel de ce qui constitue la nature même ducours ;

c. que les matières communes à différents cours de même ni-veau soient aussi semblables que possible quant à leur éten-due et à leur contenu.

LOIS DE COORDINATION RELATIVESAUX OBJECTIFS DE L'ENSEIGNEMENT

II est facile de concevoir et relativement facile de réaliser un sys-tème d'enseignement qui soit parfaitement coordonné d'un pointde vue matériel. C'est une simple question de cadres à ajuster. Ilen va tout autrement si l'on envisage un autre aspect qui est celuide la coordination des cadres relativement aux objectifs ou auxfins de l'enseignement.

Pourtant, il n'y aura coordination véritable que si les organis-mes et le système d'enseignement permettent d'atteindre les fins del'enseignement. Sinon, en dépit d'une structure parfaite du sys-tème, il n'y a pas de coordination complète.

Or, comme les fins de l'enseignement sont doubles, à savoir:personnelles et sociales, nous pouvons ramener à deux les lois dela coordination des cadres aux fins de l'enseignement.

A. La loi de l'adaptation personnelle

Les fins personnelles de l'enseignement consistent dans le dévelop-pement le plus parfait possible de la personnalité totale de l'enfant.

Un système d'enseignement bien coordonné doit permettre auxenfants :

Page 103: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

104 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

a. de recevoir, à chaque niveau de leur développement, l'ensei-gnement qui convient à leurs aptitudes particulières et àleurs besoins propres;

b. d'atteindre au plus haut niveau de formation générale et pro-fessionnelle auquel leurs aptitudes leur permettent d'aspirer.

Dans la mesure où des enfants reçoivent un enseignement quin'est pas adapté à leur niveau de développement, à leurs aptitudeset à leurs besoins ; dans la mesure où des enfants sont arrêtés dansleur ascension par des conditions de l'organisation scolaire, dansces mêmes mesures, il y a défaut de coordination entre le systèmed'enseignement et les fins personnelles qu'il doit atteindre.

B. La loi de l'adaptation sociale

La fin sociale de l'enseignement étant le bien commun, un systèmed'enseignement bien coordonné doit pouvoir fournir à la commu-nauté, en nombre et en qualité suffisants, et en temps opportun,tous les membres dont elle a besoin aux différents niveaux et dansles différentes sphères de l'activité humaine.

S'il y a pénurie à un niveau ou dans un domaine donné, il estpossible qu'il existe un manque de coordination entre le systèmeet la fin sociale de l'enseignement. La même conclusion s'imposesi la masse de la population n'atteint pas le niveau d'instructionreconnu comme un minimum essentiel.

[...]

LES CADRES GÉNÉRAUXDE NOTRE SYSTÈME D'ENSEIGNEMENT

Notre système d'enseignement comporte une grande variété d'ins-titutions de plusieurs niveaux et de plusieurs types différents.

La plupart de ces institutions n'ont pas été organisées d'aprèsun plan d'ensemble mais sont nées au fur et à mesure de besoinsparticuliers et sous l'impulsion de l'initiative tant privée que publi-que. Il est donc normal que l'on n'ait pas toujours songé ou réussià intégrer parfaitement chaque nouvelle fondation à l'ensembledes organismes déjà existants.

Aujourd'hui cependant, avec la multiplicité sans cesse crois-sante des institutions de tous genres et l'augmentation sensible dunombre des étudiants de toutes catégories, ce manque d'ensembleest préjudiciable à plusieurs.

Page 104: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Sous-comité de coordination • 105

À titre d'exemples, nous signalons quelques fissures dans lescadres généraux de notre enseignement ainsi que les principauxinconvénients qui en résultent.

Absence d'une terminologie précise

II existe un peu de confusion dans la terminologie employée pourdésigner soit certaines institutions, soit certains types ou niveauxd'enseignement.

Ainsi, le terme « jardin d'enfants » désigne chez nous des écolesélémentaires, alors que partout ailleurs cette expression est réser-vée aux institutions qui reçoivent des enfants d'âge pré-scolaire. Ilen est de même de l'expression « école maternelle ».

Les termes « collège » et « institut » recouvrent des réalités detypes et de niveaux bien différents; l'expression «enseignementsecondaire » devrait, selon quelques-uns, être étendue à un plusgrand nombre d'institutions, alors que, selon d'autres, l'expression«primaire supérieur» contiendrait deux termes contradictoires.

Il résulte de tout ceci que les profanes et même les initiés nepeuvent généralement connaître, par le nom d'une institution, legenre et le niveau des études qui y sont faites ; que les étrangers s'ycomprennent difficilement, et que les compilateurs ont grand-peineà classifier, selon les niveaux et les genres d'enseignements, lesécoles, le personnel enseignant et les élèves.

Manque d'uniformité

Un système d'enseignement ne peut pas être bien coordonné s'iln'existe pas une certaine uniformité dans les conditions d'admis-sion des écoles ou facultés situées au même niveau.

Or, tous savent que les conditions d'admission aux écoles etfacultés universitaires varient considérablement: ainsi, certainesécoles ou facultés exigent le B.A. ; d'autres acceptent égalementles diplômés de l'enseignement secondaire moderne; d'autres, lesdiplômés des high schools, de i2,e année ou de 13e année, etc.

Deux conséquences sérieuses nous paraissent découler de cemanque d'uniformité:

i. les étudiants ne sachant plus par quelle voie se préparer àl'université prennent souvent une voie trop longue ou unevoie qui ne leur ouvre qu'un nombre limité de débouchés ;

Page 105: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

io6 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

2,. les élèves de ire année de certaines écoles ayant une prépa-ration très différente, il est impossible de leur donner unenseignement adapté à tous; les uns perdent leur temps àrevoir du déjà vu, les autres n'arrivent pas à suivre. C'estparticulièrement le cas dans les institutions qui reçoiventdans un même cours les bacheliers es arts et les diplômés dei2,e année.

[...]

Ignorance des étapes établies

Malgré l'institution des certificats officiels de 7e, 9e et ize années,qui devraient désigner autant d'étapes ou paliers marquant desniveaux d'études bien définis, et d'où les élèves pourraient se dirigervers d'autres études, il faut bien reconnaître que de telles étapessont ignorées par plusieurs écoles.

En effet, de la 5e année primaire jusqu'à la i2,e année, il est nonseulement possible mais parfois nécessaire de changer d'orienta-tion, parce que des écoles recrutent leurs élèves en 6e, 8e, ioe et ne

années, c'est-à-dire avant la fin d'un cours d'études. Nos enfantsne peuvent donc pas poursuivre en toute quiétude et tranquillitéd'esprit deux années d'études consécutives, sans que se pose poureux, leurs parents, leurs maîtres et l'administration, le problèmedifficile de l'orientation.

RECOMMANDATIONS DU SOUS-COMITEDE COORDINATION DE L'ENSEIGNEMENT

LES CADRES GÉNÉRAUX DE NOTRE SYSTÈME D'ENSEIGNEMENT

i. Que l'on définisse des cadres généraux précis, des étapesclairement délimitées et que l'on adopte une terminologieuniforme.

LES PROGRAMMES

2,. Que les auteurs et les responsables des programmes d'étu-des des diverses institutions élaborent ou révisent leurs pro-grammes respectifs en tenant compte davantage de ceux quiexistent aux autres niveaux et dans les autres institutions dumême type.

[...]

Page 106: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Sous-comité de coordination • 107

3. Que les auteurs et les responsables des programmes tiennentcompte davantage, d'une manière concrète, des données dela psychologie sur la diversité des puissances d'assimilationdes élèves.

L'ÉCOLE MATERNELLE

4. Que l'autorité compétente établisse des normes pour lesécoles maternelles et exerce le minimum de contrôle quipermettrait aux parents d'identifier celles qui méritent leurconfiance.

L'ÉCOLE PRIMAIRE5. Que les enfants bien doués, en bonne santé physique et

mentale soient admis à l'école primaire dès l'âge de cinqans.

6. Que l'on organise, là où ce sera possible, et après en avoirobtenu l'autorisation de l'autorité compétente, des classesspéciales où les enfants bien doués pourront se mieux pré-parer et plus rapidement à des études supérieures.

7. Que dans les classes à divisions multiples, l'on permette auxenfants bien doués, par le moyen de l'accélération continueet des promotions plus fréquentes qu'elle rend possible,d'arriver un an ou deux plus tôt au terme de leurs étudesprimaires élémentaires.

LES ÉCOLES COMPLÉMENTAIRES

8. Que les différences entre les programmes des écoles com-plémentaires et ceux des écoles secondaires soient réduitesau minimum essentiel surtout au niveau des deux premièresannées de ces cours.

LES ÉCOLES PROFESSIONNELLES ÉLÉMENTAIRES ET MOYENNES

9. Que les études professionnelles ou de spécialisation com-mencent le plus tard possible et qu'elles soient proportion-nées à la culture générale de l'élève.

10. Que les exigences des écoles professionnelles, quant à l'ad-mission et au niveau des études, ne soient pas plus élevéesque nécessaires.

11. Que les écoles professionnelles respectent davantage l'auto-nomie des écoles de formation générale.

Page 107: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

io8 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

L'ÉCOLE SECONDAIRE12,. Que les sections du cours secondaire classique soient iden-

tiques au moins durant la première année, et peut-être ladeuxième, pour se différencier ensuite progressivement detelle manière qu'au niveau de l'Immatriculation le passagede l'une à l'autre puisse encore s'effectuer.

13. Que dans la mesure du possible et sans trahir les caracté-ristiques essentielles, le cours secondaire tienne compte desautres cours du même niveau, particulièrement dans l'or-donnance des matières communes, surtout dans les premiè-res années.

14. Qu'à la place du cours Lettres-Sciences ou universitaireactuel, il y ait deux cours distincts : l'un, destiné aux jeunesfilles qui désirent s'orienter vers le collège et l'université,devrait se rapprocher davantage du cours secondaire mas-culin; l'autre, destiné aux jeunes filles qui désirent simple-ment ajouter à leurs études élémentaires un complément deculture générale, devrait adopter plus nettement des carac-téristiques d'un cours moyen de fin d'études de culturegénérale féminine.

15. Que les différences entre les programmes de ces deux cours,surtout dans les deux premières années, se limitent à l'essen-tiel exigé par l'objectif propre à chacun.

16. Que le nouveau programme de la section scientifique ac-tuelle comporte du latin.

17. Que le nouveau programme de cette section se rapprochesuffisamment de celui de la section latin-sciences du courssecondaire pour que le cours de cette nouvelle section scien-tifique soit sanctionné, au niveau de la ne année, par lediplôme d'immatriculation universitaire.

LE COLLÈGE

18. Que les caractéristiques essentielles du cours classique gréco-latin soient conservées et que si des modifications s'avèrentsouhaitables, elles demeurent dans la ligne de ce qui carac-térise ce cours comme modalité d'accès à une formationhumaniste.

19. Que l'on introduise dans toutes les sections, au niveau desclasses de lettres, un cours d'initiation aux sciences expéri-mentales.

Page 108: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Sous-comité de coordination • 109

2.0. Que le cours classique conduisant au B.A. offre, au niveaudes deux années de philosophie, les trois options suivantes :Philosophie-lettres-sociologie ; Philosophie-physique-mathé-matiques ; Philosophie-chimie-biologie.

2.1. Que les baccalauréats spécialisés sanctionnent les seulesétudes du niveau du collège qui comportent à la fois:i. une culture générale suffisante, à base de lettres, de scien-

ces et de philosophie;IL une préparation immédiate à l'exercice d'une profes-

sion;ni. une préparation normale à des études supérieures de

même nature;iv. une durée de quatre ans au minimum et de cinq ans au

maximum.2.2.. Que la spécialisation en vue d'un baccalauréat spécialisé ne

commence qu'après la 13e ou rhétorique, c'est-à-dire auniveau de la 14e année ou philosophie première année.

LES UNIVERSITÉS

2,3. Que les universités distinguent nettement les cours de niveauuniversitaire proprement dits des cours du niveau du «col-lège » qui se donnent dans les cadres mêmes de l'université.

24. Que tout l'enseignement préparatoire aux études universi-taires proprement dites (cours pré-universitaires ou prépa-ratoires: collèges universitaires, classiques, professionnels;de commerce, de pédagogie, etc.) dispensé à l'université oudans les collèges, soit donné en collaboration étroite avec lafaculté des arts, dont les cadres devraient être élargis,

2.5. Que tous les cours préparatoires aux études universitairesproprement dites soient sanctionnés par un baccalauréat esarts ou un baccalauréat spécialisé, selon qu'ils comportentou non une spécialisation.

2.6. Que le baccalauréat es arts ou le baccalauréat spécialisé,obtenu à la faculté des arts ou dans une école ou facultéuniversitaire en collaboration étroite avec la faculté des arts,soit la condition normale d'admission aux cours de niveauuniversitaire tel que défini plus haut.

27. Que dans chaque discipline les mêmes grades universitairessanctionnent des études équivalentes par leur niveau, leurdurée et leur contenu.

Page 109: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

no • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

28. Que les universités adoptent, pour désigner les grades etdiplômes universitaires, une terminologie et une hiérarchieaussi uniformes que possible.

COROLLAIRE

2,9. Que toute école soit soumise à un minimum de surveillanced'une autorité compétente.

Source : Rapport du sous-comité de coordination de l'enseignement à ses diversdegrés, 1953, p. 7-9, 13-14, 60-62.

Page 110: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

14 Louis-D. GabouryOù mène le cours primaireAvril 1954

Comme 'il était nécessaire d'illustrer le fouillis des structures et des program-mes affligeant l'éducation québécoise dans les années 1950 — fouillis que s'ef-force de corriger le sous-comité de coordination de l'enseignement —, La Revuescolaire, organe de la Fédération des commissions scolaires catholiques duQuébec, publie en 1954, sous la signature d'un certain Louis-D. Gadoury, untexte présentant les innombrables «débouchés» du cours primaire selon quel'on est garçon ou fille, ou que l'on quitte l'école après la 7", la 9e ou la 12e

année...

[...] bien que l'on ait soutenu le contraire, en ces derniers tempset en haut lieu, le cours primaire de l'école canadienne-françaiseaboutit quelque part, conduit à des voies nombreuses. Or, voici oùmène le cours primaire.

I. Après la je année

a. fillettes:i° Cours complémentaire, 8e et 9e années.2° Cours universitaire ou cours de lettres-sciences : Saint-Jean,

Iberville, Varennes, Saint-Lambert, Longueuil, Saint-Rémi.3° Institut familial moyen: Sorel, Verchères, Varennes, Saint-

Charles-sur-Richelieu, Napierville, Saint-Georges d'Henry-ville.

4° École des Métiers féminins, rue Létourneux, Montréal.

b. Garçonnets:i° Cours complémentaire, 8e et 9e années.2° Cours classique régulier : Saint-Jean, Chambly-Bassin, Laprai-

rie, Longueuil.

Page 111: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

112 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

3° Cours secondaire moderne: Mont-Saint-Louis 6 ou 7 ans,après la 7e année.

4° École moyenne d'agriculture: Saint-Rémi, Sainte-Martine(Châteauguay).

5° Cours de métiers, aux écoles du Ministère du Bien-ÊtreSocial et de la Jeunesse : Saint-Jean, Saint-Hyacinthe, Granby,Valleyfield.

6° Préparation à l'enseignement primaire, dans un juvénat defrères éducateurs; Vocation: piété, intelligence, santé, ap-probation des supérieurs.

IL Après la 9e année

a. Adolescentes:i° Cours primaire supérieur, section commerciale.2° Cours primaire supérieur, section générale.3° Cours primaire supérieur, section spéciale.4° Institut familial supérieur, 4 ans après la 9e : Saint-Lambert,

Saint-Aimé, Sainte-Martine, Saint-Césaire.5° École centrale des Métiers commerciaux, rue Saint-Denis à

Montréal: modes, couture, fourrure, soins de beauté.6° Collège commercial (Business Collège), préparant pour les

bureaux aux emplois secondaires, avec la seule instructionde la 9e année.

b. Adolescents:i° Cours primaire supérieur, section commerciale.2° Cours primaire supérieur, section scientifique.3° Cours primaire supérieur, section scientifique spéciale.4° École Technique, rue Sherbrooke, Montréal.5° École centrale des Métiers commerciaux.6° École de l'Automobile.7° École du Meuble, section de l'Apprentissage.8° Centre d'Apprentissage des Métiers du Bâtiment.9° Centre d'Apprentissage de la Chaussure.10° Mécanique des Textiles, Saint-Hyacinthe.11° Cours de garde-forestier, garde-chasse et garde-pêche,

Duchesnay (Portneuf).12,° Cours de mesurage et de classification du bois, Duchesnay

(Portneuf).

Page 112: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Louis-D. Gaboury • 113

III. Après la 12e année

N.B. — Remarques sur la section commerciale, pour jeunes filles et pourjeunes gens.

a. Jeunes filles:i° Institut familial universitaire : École de Pédagogie familiale,

École des Sciences ménagères, École des Sciences domesti-ques de Saint-Pascal.

2° École Normale : après la ne, brevet B — 3 ans ; brevet A —4 ans; Saint-Jean, Saint-Lambert.

3° École des Beaux-Arts.4° Cours de décoratrice d'intérieurs.5° Conservatoire de Musique et d'Art dramatique de la pro-

vince.6° Faculté de Musique.7° École des Hautes Études commerciales.8° Cours d'infirmière ou de garde-malade.9° Institut de Diététique.10° Faculté des Sciences.11° Cours du collège classique: Saint-Hyacinthe, Sherbrooke,

Outremont, Westmount.12° Notre Dame Secretarial School.

b. jeunes gens:

N.B. — Comme pour les jeunes filles, cours, collèges ou facultés d'un accèsdirect, v.g. pharmacie.

i° Cours du diplôme anglais officiel.2° Cours du diplôme scientifique supérieur.3° Cours du baccalauréat es Arts, 4 ans.4° École des Arts graphiques.5° École du Meuble, section de l'Artisanat.6° École d'Apprentissage horticole.7° Institut Teccart de Radio et de Télévision.8° Cours de chimie et de teinture des textiles.9° Cours de technicien en papeterie.10° École de Marine, à Rimouski.11° École Polytechnique.12,° Faculté des Sciences.13° Institut agricole d'Oka.

Page 113: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

ii4 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

14° École de Médecine vétérinaire.15° Faculté d'Arpentage et de Génie forestier, Laval.i6° École supérieure des Pêcheries.17° École des Hautes Études commerciales.18° École Normale Jacques-Cartier, après la ne certificat B —

3 ans ; brevet A — 4 ans.19° École des Beaux-Arts, professeur du dessin, 5 ans.2,0° Conservatoire de Musique et d'Art dramatique.21° Faculté de Musique.2z° École d'Optométrie, 5 ans dont 2 premières années à la

Faculté des Sciences.2,3° Cours de technologie médicale, 3 ans, dont ire année à la

Faculté des Sciences.24° Le Collège Militaire Royal de Saint-Jean.

Source : « Où mène le cours primaire », La Revue scolaire, avril-juin 1954, p. 19-2.0.

[...]

Page 114: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

15 Arthur TremblayDémocratiser la formation secondairepar les écoles publiques1954

Le rapport du sous-comité de coordination de l'enseignement à ses divers de-grés ne réussit pas à enclencher de réforme de l'éducation québécoise. Pour-tant, les besoins de scolarisation sont importants et les établissements en placeresponsables de la formation secondaire — les collèges classiques privés — nepeuvent accueillir tous les candidats ayant les capacités suffisantes pour aspi-rer aux études universitaires et y réussir. Membre «adjoint» du sous-comité decoordination, Arthur Tremblay (1917-1996), professeur à l'université Laval avand'être sous-ministre du ministère de la Jeunesse puis de l'Éducation (1964-1969) et de poursuivre une carrière de haut-fonctionnaire, intervient dans ledébat en publiant en 1954 Les collèges et les écoles publiques: conflit ou coordi-nation. Il y fait la démonstration, d'abord, que le programme secondaire « latinsciences» peut avoir des vertus formatrices aussi complètes que le traditionnelprogramme «latin-grec» et qu'il doit être reconnu comme une voie normaled'accès aux études universitaires. Dans un second temps, Arthur Tremblay plaidepour que les écoles publiques puissent offrir l'enseignement secondaire latin-sciences ou latin-grec (jusqu'alors monopole des collèges classiques privés),élargissant ainsi l'accès, sinon directement aux études universitaires, à tout lemoins aux quatre années menant à ('«immatriculation », quitte pour les élèvesdu secondaire public à poursuivre ensuite jusqu'au baccalauréat dans lescollèges. Ce sont là des positions qui remettent profondément en cause l'éco-nomie générale de l'éducation québécoise. Le thème d'une nécessaire démocratisation de l'éducation prend plus de poids dans le débat scolaire.

LE RÔLE DES ÉCOLES PUBLIQUESDANS L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

Au terme de notre premier chapitre, nous en sommes venu à laconclusion que le cours secondaire, latin-sciences ou latin-grec,devrait devenir la seule voie d'accès aux études universitaires. Le

[...]

Page 115: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

n6 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

cours primaire supérieur actuel étant ainsi supprimé comme modede préparation aux études universitaires, découle-t-il de là que lesécoles publiques renonceront désormais au rôle qu'elles ont peu àpeu assumé depuis quinze ou vingt ans et ne prépareront plus decandidats à l'université ? La réponse à cette question est assezgrave pour que nous en discutions toutes les implications.

À notre avis, les conséquences du retrait des écoles publiques del'enseignement secondaire seraient désastreuses pour la multitudedes jeunes à qui l'on fermerait ainsi les portes de l'université etpour l'ensemble du peuple canadien-français dont le progrès cul-turel, social et économique dépend de l'accroissement numériquede nos élites professionnelles.

[...] une multitude d'indices révèlent une carence considérablede spécialistes de tous genres. On se plaint même d'un manque demédecins et c'est vers la médecine pourtant que depuis nombred'années se dirigent de préférence les finissants de nos collèges qui«vont dans le monde» [...].

L'objection qu'il faut éviter d'encombrer les professions supérieu-res n'est sûrement pas soutenable à ce moment de notre histoire.

Non pas qu'il faille orienter sans discernement vers les carrièresuniversitaires tous les jeunes qui, sous l'influence d'une publicitétapageuse, pourraient avoir le désir inconsidéré, disproportionné àleurs aptitudes, d'y avoir accès. Ce problème se poserait peut-êtresi, par le jeu d'un système scolaire parfaitement adapté, de laprospérité générale de la province et de l'attitude de nos gens àl'égard de l'instruction secondaire et universitaire, tous les jeunesgens doués, à quelques exceptions près, atteignaient aujourd'hui leniveau de formation correspondant au niveau de leurs aptitudes.

Mais nous sommes loin de cet état de choses idéal. Selon unrelevé statistique opéré par monsieur l'abbé Lauzon et nous-même,à peine 4% de nos jeunes parviennent à l'université alors qu'onpeut évaluer à 12,% au minimum la proportion théorique de ceuxqui seraient aptes à des études universitaires.

La marge est si forte entre les deux pourcentages que nouspouvons sans crainte intensifier le recrutement d'un plus grandnombre de candidats aux études secondaires et universitaires. Sanspour cela négliger l'emploi des moyens de sélection que la psycho-logie et la pédagogie modernes mettent à notre disposition et quiéviteront la plupart des erreurs toujours possibles en matière d'orien-tation scolaire.

Page 116: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Arthur Tremblay • 117

Toutefois, de l'importance et de l'urgence d'augmenter les effec-tifs de l'enseignement secondaire et universitaire, il ne découle pasnécessairement que le cours secondaire latin-sciences ou latin-grecdoive être institué dans les écoles publiques. Théoriquement l'onpourrait atteindre le même résultat si les collèges classiques et lesécoles indépendantes en général se chargeaient de l'enseignementsecondaire, les écoles publiques assumant la responsabilité de l'en-seignement primaire ou complémentaire. Cette politique serait,prétend-on en certains milieux, beaucoup plus conforme à nostraditions ; elle maintiendrait l'école publique dans son rôle tradi-tionnel et l'empêcherait, en se substituant à eux, d'amener la dis-parition à plus ou moins brève échéance de nos collèges.

Voyons ce qu'impliquerait cette solution.

a) Incidence sociale. Nous avons vu, au chapitre précédent, qu'entermes des «classes sociales», où elles s'alimentent, les écolespubliques se distinguent nettement des collèges, au moins dans uneville comme Québec. Il est vrai que tous les milieux sociaux setrouvent représentés dans les collèges, surtout dans les collègesdiocésains. Mais c'est dans les écoles publiques que se trouve laproportion la plus élevée de fils de « techniciens ». Si donc, tout enmaintenant dans leur état présent des facteurs comme la gratuité« relative » et la grande proximité géographique et psychologiquede l'école publique, l'on remettait au collège le « privilège » d'êtrela seule institution d'enseignement secondaire, une telle politiqueaurait une portée sociale incontestablement discriminatoire. Elleaffecterait très peu les milieux « professionnels » puisque ceux-cidirigent déjà, dans les circonstances actuelles, leurs fils vers lescollèges et même, de préférence, les collèges non diocésains. Parcontre, elle atteindrait directement les milieux «techniques». [...]

Pendant longtemps, nos « classes » supérieures se sont alimen-tées principalement dans la classe agricole. Parce qu'ils représen-taient une forte majorité de toute la population de la provincejusque vers 1900 et que, dans une société rurale, les professionssupérieures se limitent à peu près à ce qu'on appelle les professionslibérales, les milieux ruraux constituaient un réservoir amplementsuffisant pour alimenter les élites professionnelles de l'époque. Enregard de ce fait, la distribution géographique de nos collègesdiocésains apparaît comme un phénomène profondément accordéà son contexte social. Dans les cadres de la société québécoise pré-

Page 117: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

n8 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

industrielle, les collèges diocésains remplissaient un rôle éminem-ment « démocratique » et un système d'écoles secondaires publi-ques n'aurait guère rendu plus de services qu'eux à tous les milieuxsociaux.

Avec le développement industriel de la province, les «techni-ciens », tels que nous les avons définis, ouvriers d'usine ou spécia-listes d'un métier industriel quelconque, ont pris une place de plusen plus grande dans la nation et ils sont aujourd'hui devenus cequ'étaient autrefois les agriculteurs, le principal réservoir humain oùla nation doit puiser à chaque génération ses élites professionnelles.

Dans une société comme la nôtre où c'est principalement la« fonction » sociale, le niveau professionnel qui détermine de façonstable la position ou la « classe » sociale d'un individu, et non pasd'abord la richesse qu'il possède, le problème de l'alimentation desprofessions supérieures nous apparaît comme l'élément détermi-nant de l'« équilibre » des classes. Précisément parce que ce critèredes niveaux sociaux suppose dans les individus une donnée denature, à savoir les aptitudes, une société dont la hiérarchie socialeest d'abord professionnelle, doit pouvoir compter sur toutes lesclasses qui la composent pour recruter ses dirigeants. Car si les loispeuvent, à la rigueur et pour un temps, garantir à ceux qui pos-sèdent la richesse, la conservation de leurs biens et du « statut »social qui s'y attache, elles ne peuvent rien à la distribution destalents. Malgré l'influence réelle de l'éducation familiale, il y auratoujours plus de talents, en chiffres absolus, dans le groupe le plusnombreux que dans une élite forcément minoritaire. Dans l'ordredes aptitudes, une classe dirigeante est appelée à dégénérer ou àdisparaître si elle est condamnée à l'auto-reproduction. Pour serenouveler, elle a besoin de puiser à chaque génération dans lesmasses moins évoluées par la «culture», mais riches des talentsque la nature y dépose constamment. Dans la Province de Qué-bec, il y a cinquante ans, ces masses étaient agricoles et rurales:elles sont devenues industrielles et urbaines. Si le peuple canadien-français ne veut pas devenir une société de « classes » arbitraires etappauvries, il doit assurer le renouvellement de ses élites par lerecrutement de ses dirigeants sur le plan professionnel là où ils setrouvent maintenant, c'est-à-dire dans les milieux «techniques»autant sinon plus que dans les autres.

Or ce recrutement ne saurait être efficace et suffisant s'il s'opèreuniquement par l'intermédiaire d'institutions privées d'enseigne-

Page 118: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Arthur Tremblay • 119

ment secondaire. Nous l'avons constaté, les milieux « techniques »semblent se diriger vers les écoles publiques, plutôt que vers lescollèges, lorsqu'ils peuvent choisir, comme à Québec, entre l'un etl'autre type d'institution.

Diverses raisons peuvent expliquer ce comportement. Raisonséconomiques, d'abord, puisque le coût de l'instruction est évidem-ment moins élevé à l'école publique qu'au collège. Mais aussi,nous semble-t-il, raisons psychologiques: l'école publique estpsychologiquement et sociologiquement plus proche des milieuxpopulaires que le collège; elle s'intègre plus immédiatement à lacommunauté locale, au quartier, à la paroisse. Le Canadien fran-çais, surtout l'ouvrier, ne sort pas facilement de son milieu am-biant. C'est pourquoi, même à égalité de déboursés, le collège auramoins de possibilités de recrutement en milieux « techniques »qu'une école publique.

[...] Or, nous l'avons dit tantôt, le régime actuel ne réussit àconduire à l'université qu'un tiers au plus des élèves qui pourraienty venir.

Si donc les institutions privées étaient les seules responsables del'enseignement secondaire, elles devraient, d'ici quelques années,s'agrandir dans des proportions démesurées et la plupart d'entreelles atteindraient de telles dimensions matérielles que, selon touteprobabilité, elles perdraient leur caractère actuel et leur rendementpédagogique en serait certainement compromis. Déjà certains col-lèges reçoivent un millier d'élèves, d'autres sept ou huit cents, trèspeu moins de trois cents. Et les collèges les moins nombreux, àl'heure actuelle, sont situés dans des endroits où l'augmentation dela population secondaire se fera le moins sentir. Ce sont les « gros »collèges qui auraient à grossir encore puisqu'ils se trouvent déjàdans les zones les plus denses de population, celles précisément quisont à l'origine du problème et qui le rendront de plus en plusaigu.

Il est vrai qu'au lieu de s'agrandir indéfiniment et de loger tousleurs élèves dans le même immeuble, les institutions déjà existantespourraient en quelque sorte essaimer et créer aux endroits appro-priés des « succursales » qui demeureraient sous le contrôle de la« maison-mère ». Cette politique éviterait peut-être les dangerspédagogiques propres à toute centralisation exagérée des popula-tions scolaires, mais elle aggraverait les difficultés financières quesoulèvera l'expansion requise des institutions privées, même si cette

Page 119: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

120 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

expansion prend la forme plus économique d'un agrandissementdes maisons actuelles.

Il n'est pas impensable que les autorités religieuses, clergé diocé-sain, communautés de religieux-prêtres ou de religieux-frères, soienten mesure de financer l'agrandissement des maisons qu'elles possè-dent présentement. Elles peuvent, en effet, recourir soit à des octroisgouvernementaux, soit à des souscriptions publiques qui leur per-mettront de défrayer le coût de la construction. Mais l'expériencea montré que la limite est vite atteinte dans le rendement de cessources de revenus. Il nous semble même que certaines institutionsont déjà atteint cette limite: plusieurs collèges ont dû agrandircette année même ou les années dernières et ils ont, à cette fin, soitobtenu des octrois, soit demandé l'aide de leurs anciens ou dupublic en général; nous ne voyons pas comment ils pourraient àsi peu d'années d'intervalle renouveler un geste aussi coûteux.D'ailleurs, réussiraient-ils à défrayer le coût de nouvelles construc-tions, que le problème financier du fonctionnement de l'entreprisedemeurerait tout entier à résoudre. À l'heure actuelle et sans douteencore pour une longue période, les institutions privées d'enseigne-ment secondaire devront exiger de leurs élèves des frais d'inscrip-tion très peu élevés en soi, mais trop élevés pour la plupart desfamilles ouvrières où se recrutera dans l'avenir une proportionconsidérable des étudiants. Parce qu'on parviendra peut-être à loger,dans un immeuble plus vaste ou dans des « succursales » locales,tous les enfants doués qui demanderont leur admission au courssecondaire, on aura l'impression d'avoir recruté de fait tous lesenfants aptes aux études supérieures. Mais ce sera pure illusion : ungrand nombre n'auront même pas soumis leur candidature à causede leur situation financière, qui auraient continué leurs études s'ilsavaient pu le faire à moins de frais dans une école publique.

Une seule conclusion s'impose devant ces données : les institu-tions privées, collèges et autres, ne peuvent plus suffire à la tâchedevenue trop lourde pour elles de dispenser l'enseignement secon-daire à tous les jeunes qui veulent actuellement poursuivre desétudes secondaires et universitaires, encore moins à ceux qui pour-raient et devraient en entreprendre.

Que ce soit maintenant ou plus tard, la participation des écolespubliques à l'enseignement secondaire nous apparaît comme unefatalité inéluctable inscrite dans l'évolution démographique et so-ciale de notre milieu. [...]

Page 120: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Arthur Tremblay • 121

En somme, dans l'hypothèse où, pour une raison quelconque lesécoles publiques seraient dans l'impossibilité d'organiser à la foisles deux variantes du cours secondaire et devraient choisir l'une oul'autre, nous ne voyons pas pourquoi elles ne choisiraient pasindifféremment le latin-grec ou le latin-sciences, si l'on ne consi-dère que leur difficulté relative d'organisation. De même ce nepourrait être parce que l'un des deux cours donnerait accès à plusde Facultés universitaires qu'elles le choisiraient de préférence àl'autre, car l'un et l'autre mènent au baccalauréat es arts et celui-ci permet d'être admis à toutes les Facultés. Il n'y aurait de justi-fication possible de leur choix, au nom d'études universitaireséventuelles, que les avantages particuliers d'un baccalauréat ou del'autre en fonction de certaines carrières. En d'autres termes, ilfaudrait que les écoles publiques décident qu'elles veulent systéma-tiquement orienter leurs élèves vers telles Facultés universitaires etles détourner des autres. Que ce soit en faveur des Facultés scien-tifiques ou d'autres Facultés, une décision de ce genre serait toutà fait arbitraire et ne pourrait être que préjudiciable aux étudiantsen les forçant, comme à l'heure actuelle, à une option catégoriquetrès aléatoire et en obligeant ceux qui ne voudraient pas du courssecondaire choisi par les écoles publiques à se diriger vers uncollège et, partant, à se soumettre à un régime économiquementmoins avantageux.

Toujours dans l'hypothèse de la nécessité de choisir, quel quesoit l'angle sous lequel on l'envisage, le choix par les écoles publi-ques du cours latin-sciences de préférence au cours latin-grec ou decelui-ci de préférence à celui-là, nous apparaît injustifiable pourdes raisons «pratiques». Il faudrait donc qu'il se justifie par unjugement de valeur sur les mérites « culturels » des deux cours, queles écoles publiques prennent parti dans la « querelle des humani-tés ».

La création d'un baccalauréat latin-sciences devrait, sur le plandes structures, avoir terminé cette querelle dans notre milieu. Endiversifiant le cours secondaire, les autorités universitaires ontreconnu qu'on peut atteindre, par des voies différentes, à un huma-nisme authentique. Mais c'est en termes des individus, de leurscaractéristiques psychologiques, que cette différenciation prend toutson sens. Elle ne signifie pas que les institutions peuvent ou doi-vent opter pour l'une ou l'autre des voies reconnues. Au contraire,fondée sur le fait de la diversité des aptitudes et des intérêts indi-

Page 121: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

122 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

viduels, elle vise à permettre aux étudiants de s'assimiler la forma-tion secondaire de la façon qui convient le mieux à leur typepsychologique. Par conséquent, l'option entre diverses modalitésd'enseignement secondaire est d'abord et exclusivement une op-tion individuelle et non pas institutionnelle. Et pour qu'elle soitréellement possible au niveau des individus, il est même absolu-ment indispensable qu'elle ne se soit pas faite au niveau de l'ins-titution. Aussi, puisqu'elles doivent participer à l'enseignementsecondaire, les écoles publiques devraient y participer intégrale-ment et organiser les deux modalités de cet enseignement recon-nues par nos universités, le cours latin-grec aussi bien que le courslatin-sciences, si leurs effectifs étudiants leur permettent d'instituerles deux sections classiques ; si, par manque d'élèves, elles doiventse contenter d'une seule section, elles choisiront, selon les circons-tances, celle qui convient le mieux à leur situation particulière.

Cela signifierait non seulement que les écoles publiques modi-fieraient profondément le contenu de l'enseignement secondairequ'elles ont dispensé jusqu'à maintenant, mais aussi qu'elles leprolongeraient de 3 années. Le cours primaire supérieur ne com-porte qu'une seule section et cinq années d'étude ; le cours secon-daire comporte deux sections et huit années d'étude. Bien que,dans la région de Québec, le programme de la section latin-sciencessoit identique à celui de la section latin-grec dans les classes d'Élé-ments latins et de Syntaxe, l'établissement au complet du courssecondaire dans les écoles publiques ajouterait à celles-ci neuf clas-ses de plus qu'il n'en faut pour le cours primaire supérieur. Lesécoles publiques seront-elles capables d'entreprendre une tâche aussiconsidérable ? Nous en doutons.

En effet, elles auraient, pour ne mentionner que cet aspect de laquestion, à trouver au moins deux fois plus de professeurs quali-fiés qu'elles n'en ont présentement, même dans l'hypothèse oùtous les professeurs du cours primaire supérieur actuel permute-raient au cours secondaire. Ce qui ne sera probablement pas le cas,car certains d'entre eux continueraient à enseigner dans les coursparallèles au cours secondaire.

Aussi, nous semble-t-il, pour plusieurs années encore, les écolespubliques devraient limiter leurs «ambitions secondaires» et secontenter d'instituer une partie seulement du cours secondaire. Or,celui-ci comporte trois cycles bien distincts : « le premier va de lasixième à la troisième inclusivement (de la classe d'Éléments latins

Page 122: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Arthur Tremblay • 123

à celle de Versification), le deuxième comprend la seconde et lapremière (classes de Belles-Lettres et de Rhétorique), le troisième,nos deux années de philosophie1 ».

Ces trois cycles se caractérisent et se distinguent entre eux dediverses façons. La plus importante à notre point de vue en cemoment est la suivante. Les quatre premières années du courssecondaire, celles qu'on appelle ordinairement les classes de gram-maire,, ont pour objet principal d'enseigner à l'étudiant la maîtrisedes instruments de culture dont il se servira par la suite pouracquérir, au cours du deuxième et du troisième cycles, la culturesecondaire proprement dite. Les maîtres de l'enseignement secon-daire s'accordent en général sur ce point: ce n'est pas avant laclasse de Belles-Lettres que les étudiants sont en mesure de s'assi-miler réellement la formation qu'on vise à leur donner au courssecondaire. Jusque là, la manipulation purement technique pourainsi dire des langues nouvelles qu'ils apprennent, l'analyse desmécanismes plus subtils de leur propre langue, les absorbent entiè-rement. D'ailleurs, ils en sont, dans l'ordre de leur développementpsychologique général, à un stade d'expérimentation, d'exercice etd'affinement des instruments de connaissance supérieure; ils ensont au stade de la pensée réfléchie, de l'expérience logique inté-grale.

C'est en nous appuyant sur ces observations pédagogiques etpsychologiques que nous en venons à la conclusion suivante ausujet du degré de participation des écoles publiques à l'enseigne-ment secondaire. Celles-ci devraient autant que possible mener lesétudiants jusqu'au terme du premier cycle. Il ne nous apparaît passouhaitable qu'elles les abandonnent plus tôt, après la Syntaxe parexemple, précisément parce que la phase instrumentale qui couvretout le premier cycle n'étant pas terminée, il serait probablementtrès désavantageux pour les élèves de la compléter dans une autreinstitution, c'est-à-dire dans un climat et par des procédés pédago-giques nécessairement différents.

i. De la sixième à la troisième : l'auteur reprend ici une formulation de GérardPLANTE, s.j. («La coordination de nos enseignements», Relations, avril 1952.,p. 90-92,), où l'on compte les années du secondaire à rebours comme en France— la sixième correspondant à la première année du secondaire, la cinquième, àla deuxième, etc. (N.d.É.)

Page 123: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

124 • Perspectives d'après-guerre (1945-1954)

Par contre, pour un temps tout au moins, il nous sembleraitplus prudent que les écoles publiques n'aillent pas au-delà dupremier cycle. Nous y avons fait allusion précédemment, l'expé-rience qu'elles peuvent avoir acquise de l'enseignement secondaireet partant leur degré de maturité institutionnelle en matière deformation classique, sont loin de répondre pour le moment auxexigences légitimes qu'on devrait avoir à l'endroit des institutionsresponsables de la formation de l'élite de notre jeunesse. À cetégard les collèges classiques, dont la plupart ont plus d'un demi-siècle d'existence, sont beaucoup plus avancés que les écoles publi-ques. Et à moins de supposer que celles-ci «matureront» à unrythme exceptionnellement rapide, il faut convenir que nos collè-ges classiques constitueront pendant de nombreuses années encoredes milieux de culture plus riches que les écoles publiques. C'estpourquoi si, d'une part, pour toutes les raisons que nous croyonsavoir établies, la participation des écoles publiques à l'enseigne-ment secondaire est devenue une nécessité démographique et so-ciale, d'autre part, nous ne pouvons pas être aveugles et nousrefuser à reconnaître que dans notre milieu, les collèges ont été etdemeureront pendant longtemps notre principal actif culturel. Aussi,voudrions-nous exploiter cet actif en dirigeant vers les collèges, auniveau des cycles proprement culturels du cours secondaire latin-grec ou latin-sciences, les élèves qui auront parcouru dans les éco-les publiques le cycle de l'instrumentation culturelle, le cycle desgrammaires.

Source: Les collèges et les écoles publiques: conflit ou coordination, Québec,Presses universitaires de Laval, 1954, p. 69-77, 81-85.

[...]

Page 124: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Deuxième partie

Autour de la commission Tremblay1953-1956

Page 125: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

This page intentionally left blank

Page 126: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

16 Maurice LamontagneL'éducation dans le fédéralisme canadien1954

Dans le sillage du rapport Massey-Lévesque sur les arts, les lettres et les scien-ces au Canada, le gouvernement fédéral entreprend en 1951 d'offrir une aidefinancière aux universités. Cette incursion de l'État fédéral dans un domaine dejuridiction provinciale provoque un durable conflit avec le gouvernement duQuébec. La société québécoise elle-même est divisée quant à l'opportunité d'ac-cepter l'aide financière fédérale aux universités qui, par ailleurs, dénoncent leurmanque chronique de ressources. Maurice Lamontagne (1917-1983), économisteformé à Laval et à Harvard, professeur à Laval (1943-1954) avant d'être hautfonctionnaire, député et ministre fédéral, puis sénateur (1967), publie en 1954Le fédéralisme canadien, qui l'oppose aux nationalistes québécois et au pre-mier ministre Duplessis (ce qui l'obligera à quitter l'université Laval et à s'exilerà Ottawa). Lamontagne y décrit l'évolution du fédéralisme canadien et l'émer-gence, irréversible, d'un « nouveau fédéralisme » où le gouvernement fédéraldoit jouer un rôle majeur pour assurer la stabilité économique et le bien-êtresocial. Dénonçant l'autonomisme provincial, il préconise, pour le Québec, une« intégration lucide » au nouveau fédéralisme canadien. Pour Lamontagne, il estdonc justifié que le gouvernement fédéral contribue à l'essor et au développe-ment de l'éducation.

Il n'est pas possible ni désirable que le financement de l'ensei-gnement primaire provienne uniquement des taxes que peuventimposer les commissions scolaires. Par ailleurs, la politique d'aidefinancière du gouvernement provincial n'a jamais été clairementdéfinie. Elle manque d'objectifs précis, elle est sporadique et dé-pend trop souvent du bon plaisir de l'autorité, de sorte que ladistribution des octrois peut faire naître de graves injustices. Enl'absence d'une politique reposant sur un plan d'ensemble ration-nel et d'un système adéquat d'octrois statutaires, les commissionsscolaires sont souvent incapables d'établir leur budget à l'avance

[...]

Page 127: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

128 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

et sont portées à mettre de côté des améliorations désirables plutôtque de les financer elles-mêmes ou entreprendre des démarcheslongues et pénibles auprès du gouvernement provincial afin d'ob-tenir une aide qui peut toujours être refusée.

Dans la province de Québec, l'enseignement secondaire dépendd'institutions privées. Celles-ci, malgré de lourds sacrifices, ontgrandement besoin de secours financiers. Les souscriptions privéesne sont pas toujours possibles; elles sont irrégulières et insuffisan-tes. Les collèges classiques reçoivent du gouvernement provincialun subside annuel de 15 ooo dollars, et certains d'entre eux ontréussi à obtenir des octrois spéciaux quand ils ont subi des désas-tres ou célébré des anniversaires. On peut trouver des imperfec-tions au niveau de l'enseignement secondaire. Les collèges classiquessont peut-être les premiers à les reconnaître. Certaines des criti-ques et des suggestions qui peuvent leur être faites demeureront engrande partie inutiles tant que les octrois statutaires provenant del'État n'auront pas été considérablement augmentés pour leurpermettre de financer les améliorations qu'ils considèrent eux-mêmescomme urgentes.

L'enseignement universitaire est également assuré par des insti-tutions privées qui sont aux prises avec de graves difficultés finan-cières. Les besoins sont urgents et croissants. L'aide provenant dugouvernement provincial est sporadique et insuffisante. Le systèmeactuel d'octrois exige des démarches longues et pénibles et nes'accommode pas toujours avec la liberté académique pourtant siimportante. On s'entend généralement aujourd'hui sur la nécessitéde le rendre plus adéquat, plus régulier et moins capricieux. Leprogramme de bourses est lui aussi insuffisant.

Le gouvernement fédéral s'est également intéressé au problèmeuniversitaire. Il distribue, par l'intermédiaire des universités, desoctrois de recherches aux professeurs dans plusieurs domaines telsque la médecine, les sciences naturelles, le folklore, le service so-cial, les relations du travail et l'urbanisme. Il organise, conjointe-ment avec les universités, des cours destinés aux membres desservices armés. En collaboration avec le gouvernement provincial,il finance en partie les programmes conjoints d'aide à la jeunesseet de santé qui prévoient des bourses aux étudiants et des octroisde recherches. Le Collège militaire de Saint-Jean, tout en formantdes officiers pour les services armés, prépare aussi de futurs pro-fessionnels qui pourront recevoir leurs titres après un séjour d'une

Page 128: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Maurice Lamontagne • 129

année dans une université. Toutefois, quand le gouvernement fédé-ral a voulu s'entendre avec le gouvernement provincial québécoispour distribuer aux universités des octrois calculés sur l'ensemblede la population et sur le nombre d'étudiants, le gouvernement duQuébec a refusé définitivement, après avoir accepté une fois, alorsque toutes les autres provinces du Canada ont consenti. C'est ainsique les universités du Québec peuvent accepter des octrois s'éche-lonnant sur une assez longue période et provenant des grandesentreprises canadiennes ou américaines, demander l'aide des auto-rités municipales ou provinciales, accepter les octrois condition-nels de recherches provenant du gouvernement fédéral mais qu'illeur est impossible de recevoir de celui-ci des octrois statutairesdépendant uniquement de l'effectif de la population.

L'enseignement dans les domaines technique et artistique estfinancé directement par l'État même si, dans certains cas, il estconfié à des institutions privées. L'orientation de l'enseignement etla composition des programmes relèvent du gouvernement provin-cial, mais, dans plusieurs domaines, le financement des dépensescourantes et capitales est partagé avec le gouvernement central.

En ce qui concerne l'enseignement qui n'est pas institutionna-lisé, comme l'éducation populaire, et les instruments de cultureautres que les maisons d'enseignement, le partage des responsabi-lités de l'État entre les différents gouvernements est complexe etvarié. Les organismes privés qui s'occupent de culture populairepeuvent en fait recevoir de l'aide du gouvernement central et dugouvernement provincial. Les cours d'initiation aux immigrantsrelèvent de l'autorité fédérale qui s'occupe aussi de certains aspectsde la « citoyenneté ». Les bibliothèques, les musées et la produc-tion de films font l'objet d'une responsabilité partagée, mais lasurveillance des livres est faite par le gouvernement fédéral auxfrontières et celle des films relève des gouvernements provinciaux.La T.S.F. est devenue un instrument puissant d'éducation et deculture. La radio d'État, en particulier, permet à un grand nombred'artistes d'exercer leurs talents et leur fournit un apport financierindispensable. Et que dire de la télévision, surtout lorsqu'elle auraréussi à mieux définir sa fonction ? Ces deux puissants moyensdépendent de la juridiction exclusive du gouvernement fédéral.

L'ensemble de cette situation révèle que la politique de l'Étatdans le domaine de l'éducation et de la culture est insuffisantemais surtout qu'elle n'est pas systématisée ni coordonnée. Elle est

Page 129: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

130 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

souvent confuse, illogique et même arbitraire. Comment espérerqu'elle soit efficace et qu'elle réponde vraiment à nos besoins ? Ilne s'agit plus uniquement de proposer des programmes d'ensemblevisant à remédier à la situation et à rappeler à l'État l'importancede son rôle culturel. D'excellentes suggestions ont déjà été faites etnous connaissons suffisamment ce que devrait être le contenu d'unepolitique d'éducation et de culture vraiment adaptée à nos besoins.C'est sur le plan de la méthode que les décisions doivent d'abordêtre prises. Plus précisément, le manque d'initiative de l'État sem-ble provenir principalement du fait que le présent système de partagedes responsabilités entre les gouvernements ne correspond plus àla réalité et que les relations entre les différentes autorités publi-ques n'ont jamais été systématisées.

Les gouvernements qui possèdent les responsabilités sont tropsouvent apathiques et recourent à divers prétextes, dont l'incapa-cité financière, pour justifier leur inaction. Ceux qui ont la capa-cité financière ou bien ne peuvent intervenir soit parce qu'ils n'enont pas le droit, soit parce que leur collaboration est refusée, oubien se contentent d'une intervention sporadique et capricieuse quiperd ainsi beaucoup de son efficacité.

Sur un autre plan, on peut se demander jusqu'à quand il serapossible de nier au gouvernement fédéral le droit de remplir unrôle dans le domaine de l'éducation et de la culture, alors qu'enfait il ne peut s'empêcher d'y intervenir. Quand un gouvernementa une juridiction exclusive sur la radio et la télévision et qu'il doitexercer ses responsabilités dans le domaine du film, comment peut-on lui refuser de se soucier de l'éducation et de la culture ? S'il nele faisait pas, on l'en blâmerait. Est-il désirable de lui interdire deconsulter les savants canadiens qui enseignent dans les universitéset de leur verser des octrois de recherches qui exerceront sûrementune influence sur l'enseignement puisque le professeur désirerabien naturellement faire profiter ses étudiants du résultat de sesrecherches? Le plan Bilodeau-Rogers inauguré en 1937 et qui aservi à établir définitivement l'enseignement spécialisé dans laprovince de Québec n'est-il pas bienfaisant même s'il est financépartiellement par le gouvernement fédéral? Il faudra bien un jourse plier aux exigences de la réalité et de la logique.

On entend dire souvent que la culture, tant française qu'an-glaise, au Canada, est menacée de l'extérieur. C'est vrai. Mais c'estsurtout sa faiblesse interne qui rend la menace extérieure dange-

Page 130: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Maurice Lamontagne • 131

reuse. Il ne faut jamais oublier que la culture est avant tout unphénomène personnel et que si la vie culturelle d'un peuple estaffaiblie au point d'être menacée, il faut en rechercher la causedans la médiocrité individuelle.

Par ailleurs, la culture pour s'épanouir dans les individus exigeun milieu et des instruments. C'est sur ce plan que se situent lesresponsabilités de l'État et si celui-ci avait affecté une part conve-nable du revenu national au développement de la vie culturelle,elle se serait sûrement épanouie davantage. Le Canada a dépensédes sommes inouïes pour aménager et développer ses ressourcesnaturelles, pour construire un immense réseau de chemin de fer etdes boulevards modernes. Il est devenu une grande puissanceéconomique et commerciale qui fait l'admiration du monde. Cegigantisme industriel fait apparaître avec d'autant plus d'évidenceson infantilisme culturel. On ne peut s'empêcher de songer ici à cepassage des Deux sources de la morale et de la religion où Berg-son, réfléchissant sur l'organisation du monde moderne, constatel'inquiétant déséquilibre qui existe entre la culture et les tech-niques d'une humanité « dont le corps démesurément agrandiappelle un supplément d'âme». Pourrons-nous éliminer cette dis-proportion avant qu'il ne soit trop tard? Il n'est pas exagéré dedire que la réponse à cette question dépend en partie du degré deréalisme avec lequel nous aborderons la solution des problèmesque pose le fédéralisme dans notre pays.

Au Canada, tout le monde s'accorde à reconnaître que l'enseigne-ment organisé qui mène à l'obtention de diplômes relève de lacompétence provinciale. Il s'agit là d'une responsabilité législativeet administrative qui peut et doit demeurer décentralisée. Est-ce àdire que l'aide financière du gouvernement fédéral soit absolumentinadmissible, même si elle va d'abord à l'autorité provinciale quila distribue ensuite ? Si cette participation financière indirecte estinacceptable, elle l'est dans tous les secteurs de l'enseignementorganisé, et alors, il faut la faire cesser là où elle existe déjà. Si elleest utile dans les domaines où elle est présentement acceptable,comme l'enseignement spécialisé, pourquoi ne le serait-elle pasdans d'autres, comme l'enseignement universitaire ?

Il ne faut pas trop se hâter d'affirmer que l'éducation — l'en-seignement organisé mis à part — est du ressort exclusif des pro-vinces. La Constitution canadienne l'affirme sans doute, mais les

[...]

Page 131: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

132 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

Pères de la Confédération n'ont pu anticiper les découvertes quiont révolutionné le système de communications. La T.S.R et latélévision sont devenues de puissants instruments d'éducation etde culture. Ils relèvent pourtant de la compétence fédérale et lapopulation canadienne n'a pas encore exprimé le désir de modifiercette situation. Il y a là deux droits concurrents qui ne peuvents'exercer qu'en étant reconnus de part et d'autre.

Ainsi, dans presque tous les domaines, y compris celui de laculture, il est extrêmement difficile d'en arriver à séparer les fonc-tions de l'État moderne de façon telle qu'en régime fédératif cha-que gouvernement possède une sphère de juridiction exclusive. Lesresponsabilités gouvernementales, en augmentant, et les instrumentsde la politique, en se perfectionnant, se rejoignent, se compénètrentet se complètent, au point qu'il devient impossible de les diviser.

Source: Le fédéralisme canadien, Québec, Presses universitaires de Laval, 1954,p. 2,36-2.40, 274-275.

Page 132: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

i/ Michel BrunetLa responsabilité du Québec en éducation1954

À l'opposé de Maurice Lamontagne, l'historien Michel Brunet (1917-1985), pro-fesseur à l'Université de Montréal et, avec ses collègues Guy Frégault et Mau-rice Séguin, animateur de l'«École de Montréal», d'inspiration nationaliste etpessimiste, développe une argumentation profondément différente. Selon Mi-chel Brunet, l'aide financière du gouvernement fédéral aux universités s'inscritdans une tendance historique lourde de centralisation croissante du pouvoiraux mains de l'État fédéral. Face à cette tendance, si les Canadiens françaistiennent à leur identité et à leur culture propres, ils n'ont d'autre choix que deconsentir les sacrifices financiers nécessaires à cette fin et d'amener leur gou-vernement provincial à assumer pleinement ses responsabilités en matière d'édu-cation. Pour Brunet, l'«autonomisme » purement verbal et défensif de Duplessisdoit céder la place à un État provincial énergique, interventionniste et assumantpleinement ses responsabilités.

L'aide fédérale aux universités n'était, comme nous l'avons vu,qu'une étape de cette évolution historique. Plus, peut-être, que lesautres mesures centralisatrices du gouvernement fédéral, elle a forcél'opinion canadienne-française à prendre position. Cette législa-tion du Parlement d'Ottawa envahissait un domaine que la mino-rité a toujours défendu contre les pressions extérieures: celui del'éducation.

L'opinion canadienne-française n'est pas unanime, toutefois. LesCanadiens français qui sont partisans d'une politique centralisa-trice approuvent naturellement l'aide fédérale aux universités. Ilsréagissent exactement comme la majorité anglo-canadienne. Ilssoutiennent que nous nous acheminons vers la création d'unepuissante nation biethnique où s'épanouiront parallèlement en

[...]

Page 133: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

134 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

s'enrichissant mutuellement deux cultures distinctes. Cet idéal nemanque pas de grandeur, ni de générosité. Sa seule faiblesse estd'être une utopie.

Les défenseurs de l'autonomie culturelle du Canada français ontvu tous les dangers que présentait l'aide fédérale aux universitéscanadiennes-françaises du Québec. Le gouvernement provincial,après avoir accepté les octrois fédéraux en 1952,, a décidé de lesrefuser l'année suivante. Lorsque le gouvernement d'Ottawa sedonne la mission de protéger et d'aider la culture canadienne-française, il envahit un domaine que la constitution de 18 67 ne luiaccorde pas. L'histoire nous enseigne que la politique de la majo-rité ne sert pas toujours les intérêts véritables de la minorité. Celle-ci engagerait sur une pente dangereuse en laissant au gouvernementnational du Canada anglais la liberté d'influencer son enseigne-ment supérieur et d'orienter sa vie culturelle, même sous prétextede venir à son aide.

Les Canadiens français prendront les moyens et s'imposerontles sacrifices nécessaires pour défendre et enrichir leur culture oubien celle-ci disparaîtra. Une culture soutenue par ceux qui n'yappartiennent pas devient un article de musée. En sommes-nousrendus là ? Le gouvernement de notre province et les universitéscanadiennes-françaises du Québec ont seuls la responsabilité deconserver la culture canadienne-française et d'assurer son épa-nouissement. Le gouvernement québécois, comme gardien légitimedu bien commun de la nationalité canadienne-française, a le droitexclusif et le devoir impérieux de voir lui-même au financementdes institutions canadiennes-françaises d'enseignement à tous lesdegrés. Si celles-ci n'ont pas les revenus dont elles ont besoin, ellesdoivent s'adresser à la société canadienne-française pour les obtenir.

Une culture qui veut se perpétuer conserve jalousement sonautonomie. C'est à cette condition qu'elle peut s'affirmer et appor-ter sa contribution à la communauté humaine. Le Canada anglaisa compris qu'il devait prendre tous les moyens à sa dispositionpour protéger sa culture contre l'influence américaine. L'enquêtefédérale sur les arts, les lettres et les sciences avait principalementpour but d'alerter l'opinion publique anglo-canadienne devant cedanger. Le résultat fut l'élaboration d'une politique de défenseculturelle qui sera mise en vigueur par le gouvernement nationaldu Canada anglais. Les Canadiens anglais n'acceptent pas de fairefinancer leur enseignement par les autres. Ils font preuve de pru-

Page 134: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Michet Brunet • 135

dence et donnent à la minorité canadienne-française une magis-trale leçon de sagesse politique. Pourquoi les Canadiens françaisne s'inquiéteraient-ils pas de l'influence grandissante du Canadaanglais sur leur propre vie nationale ? Les Canadiens anglais n'ontpas seuls le droit et le devoir de défendre leur culture contre l'in-vasion d'une culture étrangère. Même lorsque celle-ci est celle d'unenation amie et alliée. S'ils sont sincères, ils reconnaîtront auxCanadiens français le même droit et le même devoir. Seules, lespeuplades primitives ou les nations vaincues, soumises à la domi-nation d'un conquérant, permettent à celui-ci de financer leurculture. Un peuple qui se respecte n'accepte pas une telle humilia-tion.

Si le Canada français veut avoir un enseignement supérieur quisoit entièrement à son service, il doit se le donner lui-même. Cettesolution est celle de tous les peuples adultes. L'opinion canadienne-française devrait être unanime sur ce point afin d'encourager et deforcer les dirigeants de la société québécoise à s'acquitter intégra-lement de toutes leurs responsabilités. La question argent n'est pasici un obstacle. L'enseignement supérieur n'exige qu'un budget trèslimité comparé à l'ensemble des revenus du gouvernement provin-cial. Celui-ci a été incapable d'organiser lui-même, au bénéfice dela population du Québec, un système complet de sécurité sociale,même si ce domaine relevait de sa juridiction. Le coût prohibitifdes services sociaux a forcé tous les gouvernements provinciauxdu pays à donner leur approbation à la législation sociale du pouvoircentral. Rappelons, par exemple, que le gouvernement fédéral verseen allocations familiales, dans la province de Québec seulement,une somme annuelle qui équivaut environ à 30 % du budget de laprovince. Une contribution même doublée à l'enseignement supé-rieur ne représenterait pas 3 % du budget provincial. Le gouverne-ment fédéral a pris tous les moyens pour conserver la majeurepartie des ressources fiscales du pays. Il a privé les provinces dusurplus économique nécessaire pour défrayer seules les frais quedemande une législation sociale répondant aux besoins d'une so-ciété industrielle. Les gouvernements provinciaux ont protesté, maisils ont dû se soumettre et collaborer avec le pouvoir central. Lasituation n'est pas la même dans le domaine de l'éducation. Legouvernement du Québec et la société canadienne-française ont lesmoyens de financer eux-mêmes leurs écoles, leurs collèges et leursuniversités. Négliger de le faire serait une démission totale.

Page 135: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

136 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

Quant à la jeunesse étudiante canadienne-française, appelée àlivrer concurrence à une jeunesse qui bénéficie d'un enseignementbeaucoup plus prospère et beaucoup mieux organisé, qu'elle n'hésitepas à faire connaître publiquement ses problèmes et ses besoins.Mais qu'elle le fasse dans les cadres de la société canadienne-française. Ces cadres sont bien fragiles. Ils sont incomplets. Par-fois, ils semblent archaïques. Mais ce n'est pas en les abandonnantet en les reniant que nous les renforcerons et que nous les moder-niserons. Si la maison paternelle manque de confort, la solution laplus courageuse n'est pas de se réfugier dans celle du voisin.

Pourquoi les nouvelles générations, prenant la résolution deremettre les destinées du Canada français entre les mains desCanadiens français, n'auraient-elles pas l'audace d'entreprendre ceque les générations précédentes n'ont pas pu ou n'ont pas su ac-complir ? Si elle veut survivre, la société canadienne-française doits'organiser elle-même et ne plus compter uniquement sur la tolé-rance, la charité et la bienveillance de la majorité pour réaliser cetidéal. La vie se moque des faibles et l'avenir n'appartient qu'auxforts. Il serait peut-être temps de nous en rendre compte.

Source: «L'aide fédérale aux universités», Canadians et Canadiens, Montréal,Fides, 1954, p. 64-67.

Page 136: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

i8 Chambre de commercedu district de MontréalStructures et financement de l'éducation1955

Dans son mémoire à la commission Tremblay, la Chambre de commerce dudistrict de Montréal s'intéresse particulièrement aux aspects administratifs etfinanciers de l'éducation. Elle propose d'assurer un système d'enseignementpublic et gratuit jusqu'à la fin du secondaire, comme cela existe déjà pour lesprotestants; cela requiert la création de commissions scolaires régionales (oul'octroi par la commission scolaire locale d'une subvention aux institutionsprivées offrant cet engagement secondaire). La Chambre réclame que l'Étatattribue des subventions plus importantes, et statutaires, aux collèges et auxuniversités.

Quant à l'enseignement primai secondaire, sa responsabilitédevrait être confiée à une corporation scolaire régionale, qui joue-rait pour les corporations scolaires, le rôle que la Chambre decommerce désire voir jouer par les conseils de comté remaniéspour l'administration régionale.

La rémunération de ce service pourrait être faite par des subsi-des payés par les corporations scolaires locales, selon le nombred'élèves qu'elles fournissent à la corporation scolaire régionale oucentrale.

Dans le cas où les parents désirent confier leurs enfants à uneautre forme d'institution, la corporation scolaire locale devraitêtre obligée de verser à cette institution les subsides qu'elle verse-rait à l'école régionale primaire secondaire et ce pour les annéesd'études correspondant à celles de l'école régionale.

Le système d'éducation jusqu'ici prévu et organisé s'arrêterait auniveau de l'immatriculation ou son équivalent en années d'étude,

[...]

Page 137: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

138 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

c'est-à-dire après le « high school » protestant ou catholique, etc. Ilaurait l'avantage indéniable de traiter uniformément catholiques ouprotestants, d'assurer par toute la province de Québec l'éducationprimaire, technique, scientifique et/ou secondaire jusqu'au stademinimum souhaitable, tout en laissant les parents libres de choisirun système ou un autre, sans pour cela se priver d'un régime defaveur.

La Chambre de commerce du district de Montréal souhaite qu'àcôté de ces réformes fiscales et de ces réformes de structure, onsonge à d'autres mesures tendant à rendre plus efficace notre sys-tème d'éducation. Ces mesures seraient purement administratives.

Il faudrait songer, par exemple, à réorganiser les limites territo-riales des diverses corporations scolaires pour les faire coïnciderautant que possible avec les limites municipales, à ne permettre lacréation d'une nouvelle corporation scolaire que selon des barè-mes précis qui tiendraient compte des besoins et des techniquesnouvelles, à créer un fonds provincial qui permettrait aux corpo-rations scolaires d'emprunter à bon compte et d'éviter tous lesfrais occasionnés par des émissions d'obligations séparées (si onaide par un tel fonds l'électrification rurale, la construction d'ha-bitations, le crédit agricole, pourquoi n'aiderait-on pas le créditscolaire ?), à organiser un système de transport des élèves dans lesrégions rurales de la Province, à établir un système d'achat encommun, à réduire le plus possible le coût de la constructionscolaire, à établir des échelles de traitement adéquat pour le per-sonnel enseignant, etc.

L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Une fois le niveau décrit plus haut atteint, l'enseignement devient,selon la Chambre de commerce du district de Montréal, à la chargedirecte des parents, ce qui ne veut pas dire que l'État provincial,comme c'est son devoir, ne devra pas y aller de ses subventionsdestinées à encourager la poursuite d'études supérieures et la for-mation des spécialistes t des techniciens qui sont nécessaires ànotre avenir, et à réduire à un minimum les charges des parents.

Il sera d'ailleurs, malgré tout, nécessaire de subventionner surune base provinciale dispensée par la corporation scolaire localeou régionale, l'éducation primaire.

Sur ce chapitre des subventions, la Chambre de commerce dudistrict de Montréal recommande qu'elles ne soient distribuées que

Page 138: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Chambre de commerce de Montréal • 139

selon des barèmes bien établis, sans discrimination pour une classeou une autre de contribuables, pour une religion ou une autre,pour une localité ou une autre.

Bien qu'en principe, elle recommande la distribution d'octroisstatutaires, la Chambre de commerce du district de Montréal ne vapas jusqu'à éliminer toute nécessité d'octrois spéciaux occasion-nels pourvu qu'ils tiennent compte du bien commun. Ces octroisspéciaux sont particulièrement nécessaires dans le cas de construc-tions nouvelles ou d'agrandissements ou de reconstructions.

Jusqu'à maintenant, cependant, dans le domaine de l'enseigne-ment supérieur, on ne peut s'empêcher de constater que l'aideprovinciale a été distribuée avec plus ou moins de largesse, selonles cas.

Alors que l'enseignement primaire, par exemple, puise à fonddans les coffres de l'État, l'enseignement secondaire ne reçoit qu'unefaible subvention. Alors qu'on pourvoit généreusement à la forma-tion des professeurs de l'enseignement primaire, on ne donne rienà ce titre à l'enseignement secondaire. Alors que les écoles d'agri-culture, d'arts et métiers, de commerce, de technique, de beaux-arts et de génie sont relativement bien traitées, certaines autresécoles, certaines autres facultés et certaines autres institutions nereçoivent rien. Alors que le « high school » protestant est adéqua-tement subventionné, on doit se débrouiller tout seul pour lespremières années du cours classique.

Les recommandations faites un peu plus haut en parlant descorporations scolaires locales et régionales rétablissent l'équilibrejusqu'à un même niveau pour tout le monde et font disparaîtrecertaines anomalies; restent, cependant, à équilibrer dans la me-sure du souhaitable et du possible les étages supérieurs de notresystème d'éducation.

La Chambre de commerce du district de Montréal en suggérantcertaines modifications aux lois fédérales et provinciales de l'im-pôt sur le revenu a apporté certains éléments de solution à ceproblème en recommandant des exemptions statutaires plus éle-vées pour tout dépendant encore aux études et l'admission commedépenses déductibles du coût de l'éducation.

Il semble, cependant, que l'effet combiné de ces recommanda-tions ne réglera pas le problème ; de toutes façons, elles ne rétabli-ront pas l'équité dans le système des subventions actuellementdistribuées.

Page 139: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

140 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

Si la Chambre de commerce du district de Montréal doit félici-ter le gouvernement provincial de l'aide qu'il accorde à l'enseigne-ment primaire en général et aux institutions d'enseignementspécialisées dans le domaine de l'agriculture, du commerce, de latechnique et du génie (aide qu'elle a d'ailleurs elle-même réclaméeen face des besoins de la Province dans ces domaines), elle doitégalement aujourd'hui réclamer pour les collèges et les universités,qui ont fait devant votre commission, l'étalage de le rs besoins,une aide proportionnelle.

En plus de cette aide financière, accordée directement aux ins-titutions d'enseignement qui ne sont pas actuellement pourvues deressources financières suffisantes ou qui ne reçoivent pas actuelle-ment des octrois proportionnels à ceux qui sont versés dans d'autresdomaines, la Chambre de commerce du district de Montréal croitnécessaire l'établissement d'un système de bourses mesurées selondes barèmes aussi justes, aussi précis et aussi généreux que possi-ble à tous les étudiants, ayant fait preuve de leurs capacités, quidésirent pousser leurs études au-dessus du stade primaire supé-rieur, c'est-à-dire dans des institutions qui dépassent le niveau del'immatriculation, du «high school» ou de l'équivalent.

La Chambre de commerce du district de Montréal, en concluantces remarques relatives à ce vaste domaine de l'enseignement pri-maire, supérieur, secondaire et universitaire, tient à répéter que sielle tient pour indiscutables les droits et les responsabilités de lafamille en matière d'éducation, elle n'en croit pas moins que legouvernement de la province ne peut se désintéresser de l'éduca-tion et que sa part contributive doit être destinée à procurer ce quiest nécessaire et suffisant pour aider et perfectionner l'action de lafamille en vue du bien commun.

Source: Mémoire à la Commission royale d'enquête sur les problèmes constitu-tionnels, vol. III, p. 59-65.

Page 140: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

19 Confédération des travailleurscatholiques du CanadaPour améliorer l'accessibilité aux études1954

La Confédération des travailleurs catholiques du Canada (la future CSN) rejointà certains égards les préoccupations de la Chambre de commerce en plaçantson mémoire sous le thème de l'accessibilité aux études. Non seulement faut-il prolonger de 14 à 16 ans l'obligation de fréquenter l'école, mais encore, selola CTCC, il faut intégrer «à notre système public d'enseignement [les] quatrepremières années du cours classique » et constituer « un secteur public capabld'absorber le surplus actuel des collèges». En fait, la CTCC réclame la gratuitéscolaire jusqu'à la fin du secondaire. Elle demande en plus un financementaccru et statutaire de tout le système d'éducation, y compris les universités.

Accessibilité

II est évident par ailleurs que l'accessibilité de l'éducation est lepremier problème qui se pose aux yeux d'une organisation syndi-cale comme la CTCC.

Qu'est-ce, en effet, qui nous frappe en premier lieu quand nousétudions les statistiques scolaires de notre province ? La courtedurée de la fréquentation scolaire en milieu ouvrier.

Il n'entre pas dans nos intentions de reprendre ici une étudestatistique que des spécialistes de la question ont développée déjà,très clairement, sous vos yeux. Il nous suffira de répéter que lafréquentation scolaire par la masse de nos enfants est interrompuebeaucoup trop tôt pour que puisse s'établir, dans notre popula-tion, le niveau d'instruction et d'éducation souhaitable; de noterque la proportion des jeunes sortis de familles ouvrières qui accè-dent au diplôme d'enseignement secondaire et supérieur est loin de

[...]

Page 141: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

142 • Autour de la commission Tremblay (1953 956)

correspondre à la proportion qui existe entre la population ouvrièreet la population totale.

Les statistiques établissent clairement qu'en général les niveauxcomplémentaire, secondaire et supérieur de l'enseignement restenttrop largement le fief des classes moyennes et bourgeoises.

Ce que la CTCC veut exposer dans les pages qui vont suivre,ce sont les moyens qu'elle voit pour remédier à cette situation.

L'école primaire

C'est à l'école primaire que le problème se pose d'abord. Et c'estlà, le plus souvent, qu'on en reste puisque l'immense majorité desjeunes ouvriers et des jeunes ouvrières ne dépassent pas le stage dela septième année du cours primaire.

À ce sujet, une grave anomalie apparaît à première vue, à quiobserve notre régime scolaire en milieu ouvrier : c'est la contradic-tion qui existe entre la loi de fréquentation scolaire obligatoire etla loi interdisant le travail des enfants.

On sait que depuis 1943, la loi oblige les parents à maintenirleurs enfants dans les écoles jusqu'à l'âge de 14 ans. On sait d'autrepart que cette loi n'est pas appliquée rigoureusement et que pourla grande majorité des enfants de la Province la fréquentationscolaire est abandonnée dès que l'obligation légale prend fin quandce n'est pas plus tôt encore.

Par ailleurs, les parents cessent de toucher les allocations fami-liales si l'enfant quitte l'école avant seize ans et la loi (provinciale)sur le travail des enfants interdit aux employeurs d'embaucherdans « des usines dangereuses, insalubres ou incommodes » toutepersonne qui n'a pas seize ans révolus.

Cette loi, le mouvement ouvrier l'a réclamée des gouvernementset, depuis qu'elle est en vigueur, il a demandé à plusieurs reprisesqu'elle soit appliquée avec plus de sérieux. Très souvent, les orga-nisations ouvrières ont déploré le fait que des permis de travailsoient accordés par milliers à des garçons et à des filles de moinsde seize ans, permis qui leur donnent souvent accès aux usines lesplus malsaines pour eux, comme par exemple les usines de textiles,avant que le chômage n'affectât cette industrie.

N'est-il pas évident qu'il sera toujours très difficile d'appliquerla loi sur le travail des jeunes, aussi longtemps que la loi de fré-quentation scolaire n'interdira pas aux enfants de s'offrir sur lemarché du travail avant l'âge de seize ans ?

Page 142: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

CTCC • 143

Le décalage qui existe entre la limite de fréquentation obliga-toire et l'âge d'admission au travail crée une période d'au moinsdeux années vides au cours desquelles il sera toujours extrême-ment difficile, pour ne pas dire impossible, de faire observer la loi.Si les jeunes peuvent également quitter l'école, comment peut-on,en effet, les retenir de travailler?

Il semble donc, devant cette situation, qu'une prolongation dela scolarité obligatoire s'impose comme une mesure de prudence,de progrès et de simple logique. C'est pourquoi nous voulons faireune suggestion précise à votre Commission : que la loi sur la fré-quentation scolaire obligatoire, dont la limite est fixée à quatorzeans, soit le plus tôt possible prolongée jusqu'à seize ans; que laprohibition de tout travail, pendant les périodes scolaires de l'an-née, soit prolongée jusqu'à seize ans et jusqu'à dix-huit ans letravail dans les établissements « dangereux, insalubres ou incom-modes ».

Au second degré

Car si à la rigueur, en 1941, on aurait pu se demander quel profittireraient les jeunes de deux années additionnelles de fréquentationscolaire, c'est à peine si l'on peut aujourd'hui poser sérieusementla même question. En effet, grâce aux initiatives de tous genres enmatière d'éducation professionnelle élémentaire et moyenne, lesdébouchés s'offrent aujourd'hui, beaucoup plus nombreux, auxjeunes de quatorze ans qui voudraient employer avec plus de profitdeux années supplémentaires de fréquentation scolaire. Il est évi-dent que ces deux années pourraient très bien être consacrées à unapprentissage ou à l'acquisition d'une formation professionnellequelconque dans une école d'arts et métiers. Il est évident aussique le développement de l'enseignement professionnel féminin s'im-pose et constituerait déjà un élément important pour la solutiondu problème.

Est-ce à dire toutefois que l'enseignement professionnel soitsuffisant et que tous les jeunes de milieu ouvrier doivent être orien-tés vers les métiers ? Sûrement pas. Comme nous allons l'expliquer,il est essentiel que notre système soit transformé afin que le secteursecondaire devienne aussi accessible au jeune ouvrier bien douéqu'au jeune fils de professionnel.

[...]

Page 143: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

144 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

L'âge des candidats

La suite des considérations que nous allons présenter s'inspiredirectement du « Rapport du sous-comité de coordination de l'en-seignement à ses divers degrés au Comité catholique du Conseil del'Instruction publique1 ». Nous tenons à souligner que la plupartdes suggestions de ce rapport, dont le Comité catholique a de-mandé la réalisation la plus rapide possible, nous paraissent nonseulement opportunes mais même essentielles dans la perspectived'un système d'éducation plus accessible aux jeunes du milieuouvrier.

Il appert, en effet, d'après les statistiques contenues dans cerapport, qu'une importante proportion des enfants parmi les mieuxdoués, pourraient aborder les études primaires une année plus tôtqu'ils ne le font présentement. Cela aurait pour effet de fixer àl'âge de treize ans environ la fin des études primaires, soit de laseptième année. Dans l'hypothèse d'une scolarité obligatoire pro-longée jusqu'à seize ans, il resterait donc trois années entièresd'études à la disposition des enfants.

À quoi les employer ?Il existe, nous l'avons déjà dit, les écoles professionnelles. Il

existe aussi l'enseignement dit « primaire supérieur » dont les in-convénients ont été à plusieurs reprises soulignés devant vous.Non seulement le programme de ce cours est en lui-même douteuxdu point de vue pédagogique, mais il impose des inconvénientspratiques considérables. S'il doit se contenter du diplôme obtenuà l'école, l'élève du primaire supérieur ne peut accéder de plainpied qu'à un petit nombre d'écoles universitaires. S'il désire sonB.A., il est obligé de se livrer à tout un travail supplémentaire, longet compliqué, pour obtenir les équivalences et se présenter auxexamens. Dans tous les cas, il est nettement désavantagé, comparéà son camarade protestant ou catholique de langue anglaise, quifacilement, accède à toutes les facultés universitaires sans excep-tion de même qu'à toutes les écoles professionnelles de l'enseigne-ment supérieur après seulement quatre ans de « high school » etdeux ans de collège.

Chez nous, au contraire, le garçon de douze ou treize ans quiveut obtenir le diplôme d'immatriculation correspondant à celui

i. Voir texte 13. (N.d.É.)

Page 144: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

CTCC • 145

du high school doit: (i) quitter le secteur public d'enseignementpour fréquenter des institutions privées beaucoup plus dispen-dieuses; (2) s'engager non seulement pour ces quatre ans maispour huit années entières de cours classiques et de frais scolairesbeaucoup plus élevés. (3) II se trouve donc nettement désavantagé,ce qui explique en grande partie la fréquentation inférieure desétudes secondaires chez les Canadiens de langue française.

Le classique à l'école

Le collège gratuit

Ce qu'il faut donc de toute urgence organiser, c'est l'intégration ànotre système public d'enseignement des quatre premières annéesdu cours classique, conduisant au diplôme d'immatriculation.

Déjà nos collèges sont pleins à craquer et, dans la région deMontréal par exemple, plusieurs refusent des élèves, faute d'es-pace. Et pourtant, ils ne répondent ces années-ci qu'aux 79 ooonaissances de 1939, aux 83 ooo de 1940, aux 89 ooo de 1941.Mais que feront-ils quand ils auront à répondre aux 12,0 ooonaissances de 1950, aux 125 ooo de 1952,?

Il est bien évident que le secteur privé des collèges est nettementdébordé et le sera de plus en plus dans l'avenir. Les responsableseux-mêmes de ce secteur répètent à qui veut les entendre qu'ils nepeuvent plus suffire aux besoins.

Une conclusion s'impose : l'édification, à côté du secteur privéd'enseignement secondaire, d'un secteur public capable d'absorberle surplus actuel des collèges, capable surtout d'accueillir cettepartie de la population scolaire, généralement d'origine ouvrière,qui n'a jamais pu, jusqu'ici, accéder aux études secondaires.

Est-ce à dire que nous prêchons l'organisation d'un systèmepublic et gratuit pour ceux qui n'ont pas d'argent et la concentra-tion de toute la jeunesse « à l'aise » dans les collèges privés ? Non.Une telle séparation basée sur le revenu et sur la classe sociale nousparaîtrait mauvaise.

C'est pourquoi nous demandons que l'enseignement du degrésecondaire, pour les quatre premières années, soit désormais gra-tuit, dans le secteur privé aussi bien que dans le secteur public. Età cette fin, nous proposons que le gouvernement verse, par l'in-termédiaire d'un organisme indépendant et représentatif, pour

[...]

Page 145: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

146 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

chaque élève inscrit dans une institution secondaire, publique ouprivée, une somme statutaire équivalente aux frais encourus parl'institution pour cet élève. Il faut aussi que les obstacles d'ordrefinancier soient supprimés pour rendre accessibles les quatre der-nières années de l'enseignement secondaire.

Un tel octroi permettrait, à notre avis, que se développent côteà côte, sans qu'ils ne se nuisent, les deux secteurs public et privéd'enseignement secondaire, de façon à répondre aux besoins de lapopulation. On pourrait donc éventuellement développer, dans lesystème public, sous la juridiction administrative des commissionsscolaires et sous l'autorité académique des universités, des collègescomplets depuis les Éléments jusqu'à la Philosophie inclusivement.

La concurrence n'existerait pas entre les deux systèmes, puis-qu'ils présenteraient tous deux les mêmes avantages. Et d'ailleurs,longtemps la concurrence restera impensable puisque les institu-tions répondront à peine à la demande.

Les universités

Est-il besoin de dire qu'au plan universitaire, les mêmes mesuress'imposent ?

Au cours des dernières années, les frais de scolarité n'ont cesséd'augmenter. Tout en reconnaissant volontiers que ces frais nereprésentent qu'une fraction de ce que coûte à l'Université chacundes étudiants inscrits, nous devons souligner que pour l'étudiantmodeste, ces quelques centaines de dollars à verser annuellementconstituent un obstacle de plus à la poursuite de ses études.

Tous les pays du monde reconnaissent aujourd'hui que lesUniversités doivent être soutenues par l'État; celui-ci doit contri-buer à couvrir les frais énormes d'un établissement universitairemoderne. Il n'est légitime toutefois de dépenser les deniers publicsà leur profit que si les Universités elles-mêmes accueillent en fait,non seulement les étudiants et les étudiantes de milieux fortunés,mais les jeunes de toutes les origines sociales, proportionnellementà l'importance numérique de chaque groupe dans la nation.

17 faut donc que les obstacles d'ordre financier soient suppri-més. Il faut encore que des bourses en nombre important permet-tent aux étudiants doués mais peu fortunés de poursuivre les étudessupérieures tout comme leurs camarades de familles à l'aise.

Page 146: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

CTCC • 147

Financement

En formulant ces propositions, nous nous rendons parfaitementcompte: (a) que les Commissions scolaires, souffrant déjà de dé-ficits chroniques, ne sauraient entrer dans ces projets sans êtreauparavant assurées de nouvelles sources de revenus; (b) que lesuniversités, déficitaires elles aussi, ne sauraient abaisser leurs fraisde scolarité ni multiplier les bourses sans être assurées d'octroisplus importants et plus stables.

C'est pourquoi nous voulons, pour terminer, préciser les modesde financement qui, selon nous, sont susceptibles, de résoudre untel problème.

1. — II nous serait d'abord nécessaire de dénoncer ici un type desolution qui nous paraît complètement faux : la mise en tutelle desCommissions scolaires telle que pratiquée à Québec et à Montréalet l'absorption périodique des dettes des commissions, absorptionqui est laissée à la fantaisie du gouvernement. Dans le premier cas,nous trouvons injustifiable de priver les parents de leur droit deregard sur l'éducation, droit prioritaire sacré; dans le second, ils'agit d'un expédient, abandonné à la fantaisie politique du gou-vernement au pouvoir.

Or il semble essentiel de donner aux solutions appliquées, dansun domaine comme l'éducation, un caractère de permanence aussimarqué que possible.

2. — Quant aux commissions de ville, il importe de restituer auplus tôt aux parents leur droit de regard en appliquant une for-mule de suffrage vraiment populaire et qui ne se limite pas auxseuls propriétaires fonciers.

3.— Outre les octrois per capita déjà prévus, le gouvernementdevrait verser aux Commissions de même qu'aux Universités dessecours financiers sous forme d'octrois statutaires.

4. — Nous croyons qu'un organisme représentatif devrait être missur pied qui assurerait la distribution de ces octrois et se chargeraitde recueillir, de cette source et des autres sources possibles, toutedonation à l'éducation.

5. — Nous croyons que tous les impôts perçus en vertu de la « Loipour assurer les progrès de l'éducation» devraient être utilisés à

Page 147: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

148 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

des fins éducatives et non pas retomber dans les fonds générauxcomme il arrive couramment.

6. — Nous suggérons que le gouvernement, pour financer les ré-formes suggérées, augmente la part de ses revenus qui provient del'exploitation des richesses naturelles.

Source: Mémoire à la commission Tremblay, p. 2.6-31.

Page 148: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

2O Association canadienne-françaispour l'avancement des sciencesRevaloriser la formation scientifique1954

Le mémoire de l'Association canadienne-française pour l'avancement des scien-ces (ACFAS) porte principalement sur la place des sciences dans la société.D'une part, l'ACFAS propose une revalorisation de la formation scientifique dèsle secondaire, par un personnel enseignant mieux préparé. D'autre part, elleréclame un meilleur financement des universités par des mécanismes — « fondsuniversitaire provincial» et «conseil des universités» — qui permettraient derégler le problème des subventions fédérales, notamment, ce que suggérerontaussi d'autres mémoires.

A. ACCÈS AUX CARRIÈRES SCIENTIFIQUES

Nous avons vu que les Canadiens de langue française ne s'enga-gent pas en assez grand nombre dans les carrières scientifiques.Cette déficience du recrutement nous semble imputable d'une partà l'organisation de l'enseignement pré-universitaire et d'autre partà l'absence de tradition scientifique dans notre société.

L'enseignement pré-universitaire

Jusqu'à ces derniers temps, une voie unique menait à l'Universitéet il en est encore ainsi pour les professions dites traditionnelles.Une bonne partie des enfants doués était écartée de cette voie parle manque de fortune, de bourses et pour diverses autres raisons.Nous croyons que ce gaspillage de talents sera fortement atténuési l'on applique les réformes proposées récemment en vue de la

[...]

Page 149: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

150 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

coordination des enseignements primaire et secondaire. À l'occa-sion de cette réforme de structure, il conviendrait d'instituer dansles écoles un enseignement des sciences, supérieur en qualité, sinonen quantité, à ce qu'il a été jusqu'ici dans la moyenne des cas.

Il va sans dire qu'on ne peut atteindre ce but que par la forma-tion du personnel enseignant. Tant que cette condition essentiellen'est pas réalisée, le problème du dosage des sciences dans lesprogrammes reste oiseux. La meilleure méthode de recrutement estcelle qui consiste à attribuer les postes de l'enseignement par lelibre jeu d'une concurrence où l'emportent normalement ceux quipossèdent les plus hauts diplômes universitaires, donc, sauf excep-tion, les mieux préparés. La préparation hâtive et ad hoc de sujetschoisis dans un milieu restreint par des supérieurs qui sont desprofanes en la matière n'est pas un procédé rationnel d'exploita-tion de nos ressources intellectuelles. Là où les cadres actuels s'ac-commodent mal d'une telle exigence, il faudrait essayer de lesassouplir et de faire en sorte que certaines relations de cause à effetsoient aussi bien vues et acceptées que le sont les relations desubordination de personnes. Il est normal que l'enseignement dessciences au niveau secondaire ou primaire supérieur, tant pour lesfilles que pour les garçons, soit dispensé par des personnes ayantatteint le même degré de formation qu'on exige pour l'exercice desprofessions scientifiques. On hâterait la réalisation de cet état dechoses en instituant des normes plus élevées et en aidant nos maisonsd'enseignement à s'y conformer. Dans bien des cas, ces maisonsauraient besoin de l'aide de l'État pour fins de formation et d'en-tretien de maîtres compétents. Pour atténuer les charges qui enrésulteraient, les écoles d'une même ville, voisines et pas troppeuplées au niveau le plus élevé auraient avantage à se partager lesservices de quelques maîtres bien qualifiés, même s'ils ne relèventpas des mêmes supérieurs.

À ce niveau pré-universitaire, l'État provincial, par l'intermé-diaire des organismes qui exercent ses droits en matière d'éduca-tion, peut donc aider à l'avancement des sciences par une tripleaction de coordination, de persuasion et de soutien.

Page 150: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

ACFAS • 151

Le climat scientifique

En améliorant ainsi le climat scientifique des écoles, on familiari-serait davantage la majorité des citoyens de demain avec le mondedans lequel ils sont appelés à vivre, en même temps qu'on condui-rait vers l'enseignement supérieur des sciences des élèves plusnombreux, mieux préparés et mieux choisis. Il deviendrait plusfacile de faire une bonne sélection au niveau universitaire tout enfournissant à la province un plus grand nombre de diplômés.

Ces mesures nous paraissent d'autant plus nécessaires qu'il fautsuppléer par l'école à l'absence de tradition scientifique dans laplupart de nos milieux. L'existence des carrières scientifiques n'estrévélée à l'enfant ni par les conversations familiales, ni par la vuede grandes personnes se livrant à des occupations que la sociétéentoure de prestige, comme elle le fait pour les professions tradi-tionnelles. Les modèles de savants étant rares dans nos villes etvillages, ils ont peu de chance d'y éveiller l'instinct d'imitation puisle sentiment d'admiration qui sont parfois le prélude d'une voca-tion. La plupart des écoles ne font, et pour cause, que refléter surce point l'atmosphère familiale et sociale. Il est rare que le lyrisme,qui n'y manque pourtant pas, y prenne pour objet les merveillesde l'univers ou les récentes conquêtes de l'esprit humain. Il y auraitbeaucoup à dire sur les embarras d'un peuple voué à la vie cham-pêtre dans un pays de forêts et de mines. Mais ceci n'entre pasdans le cadre de ce mémoire.

La participation de la femme à la vie scientifique

II conviendrait d'apporter une attention particulière à la part del'enseignement des sciences dans l'éducation des jeunes filles. Nonseulement certaines occupations féminines comme celles de diété-ticienne et de garde-malade exigent aujourd'hui une préparationscientifique sérieuse, mais il est reconnu que les femmes excellentdans plusieurs carrières scientifiques et qu'elles n'ont pas leurségaux pour l'exécution de certains travaux de laboratoire particu-lièrement délicats. Dans notre province, la coordination des ensei-gnants et la tradition ne leur permettent pas encore de contribueren nombre appréciable à la vie scientifique et il faudrait leur enfaciliter l'accès. La présence de femmes de science dans une sociétéa en outre l'avantage d'enrichir l'atmosphère familiale et d'y réduireà leur juste proportion des aspirations sociales qui concordent

Page 151: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

152 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

rarement avec les goûts et les revenus de ceux qui se consacrentaux travaux de l'esprit.

B. AIDE AUX UNIVERSITÉ

La crise financière des universités est ce qui menace le plus immé-diatement l'avancement des sciences dans notre province. Aussiest-il urgent d'y apporter une solution rapide, si indirecte et pro-visoire soit-elle, et de hâter en même temps l'avènement d'unepolitique d'envergure qui embrasse l'ensemble du problème. Pourêtre féconde, cette politique devra s'inspirer tout d'abord d'unevision optimiste de l'avenir de notre peuple et, au légitime soucides garanties juridiques, joindre les conceptions positives qui en-gendrent les réalisations.

Une solution partielle: les octrois fédéraux

L'acceptation des octrois fédéraux ou leur remplacement par dessommes équivalentes serait une solution partielle mais immédiatequi permettrait aux universités de combler ou d'alléger leurs défi-cits. Celles qui n'ont pas de déficit s'en serviraient pour réaliser lesprojets auxquels elles ont renoncé pour boucler leurs budgets.Comme les ressources des contribuables ne sont pas illimitées etqu'ils payent déjà leur part des octrois fédéraux distribués dans lesautres provinces, il importe de trouver un moyen de rendre accep-table à toutes les parties intéressées cette fraction substantielle del'aide dont nos universités ont un si pressant besoin.

Au problème de la légitimité constitutionnelle des octrois fédé-raux, on pourrait chercher des solutions formalistes basées sur desdistinctions de raison comme celle que l'on peut faire entre l'en-seignement et la recherche. Les octrois fédéraux pourraient êtreconsidérés comme des octrois pour « frais généraux de recherche »échappant ainsi aux restrictions constitutionnelles. Mais une solu-tion de ce genre nous paraît inacceptable, d'abord parce qu'elles'appuierait sur une fiction qui ne ferait qu'embrouiller davantagela question en méconnaissant la véritable nature de l'enseignementsupérieur, et ensuite parce qu'elle donnerait aux octrois ce carac-tère conditionnel que l'on cherche justement à éviter.

Il est désirable que le mécanisme adopté réduise au minimumles risques si lointains soient-ils d'ingérence future du gouverne-

Page 152: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

ACFAS • 153

ment fédéral dans les affaires universitaires. Il suffirait, pour écar-ter ce danger, que les universités prennent l'initiative en détermi-nant et en révisant d'avance et aussi fréquemment que nécessaireles conditions auxquelles elles peuvent accepter sans préjudice desoctrois de telle ou telle provenance. On pourrait même enlever auxoctrois fédéraux tout reste d'individualité en les «noyant» dansun fonds alimenté à des sources diverses, parmi lesquelles figure-rait l'État provincial. Des octrois ainsi donnés sans condition etreçus sous condition présenteraient une garantie telle qu'aucuneappréhension ne pourrait en motiver le refus.

Mode de contribution du gouvernement de la Province

Mais les octrois fédéraux eux-mêmes ne nous semblent pas offrirune solution suffisante à longue échéance; à leur échelle actuelle,ils aideraient à équilibrer les finances universitaires sans contribueraux développements nécessaires. Il faudra trouver d'autres sourcesde revenus, surtout pour les universités les moins richement dotéeset qui, loin de pouvoir se hausser d'emblée au niveau des exigencesprésentes, s'efforcent encore de devenir ce qu'elles auraient dûêtre. C'est pourquoi il faut chercher un moyen d'accroître consi-dérablement les ressources de ces institutions tout en respectant etleur liberté essentielle et les attributions de la Province en matièred'éducation et de contrôle des deniers publics.

Même en diversifiant autant que possible les sources de revenusdes universités, nous croyons que la principale de ces sources sera,dans l'avenir prévisible, le gouvernement de la Province. À l'excep-tion de la question constitutionnelle, cette aide prépondérante poserades problèmes analogues à ceux que suscitent les octrois fédéraux,mais il nous semble que des mesures comme celles qui ont étésuggérées plus haut offriraient des garanties suffisantes. Un toutautre problème est celui d'intégrer cette aide dans une politiqued'ensemble qui tienne compte des besoins collectifs et individuelsdes universités en regard des besoins et des possibilités financièresde la province. Tandis que le gouvernement fédéral et les souscrip-teurs privés peuvent et doivent se contenter de verser des secours,le gouvernement de la Province a reçu de la constitution la chargede subvenir aux nécessités de l'éducation. Ceci exige une vue glo-bale du problème dans le présent et dans l'avenir prévisible, ainsiqu'une connaissance assez détaillée des besoins de chaque institu-

Page 153: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

154 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

tion et de la population qu'elle dessert. La coordination et la con-tinuité nécessaires pourraient être assurées par un organisme dontle rôle serait d'étudier les besoins des universités et de les présenterau gouvernement. Ce dernier serait ainsi en mesure de saisir à lafois les aspects collectifs et individuels de ce problème multiformeet d'y adapter sa politique.

Il va sans dire que les mesures d'ensemble appliquées en vued'exercer une action équilibrée laisseraient subsister les octrois oudons spéciaux existants et en permettraient d'autres dans l'avenir.

Fonds universitaire provincial

Ces considérations nous ont amenés à suggérer la création d'unfonds universitaire provincial auquel contribueraient les particu-liers, l'industrie et les gouvernements de la Province et du Canada.Les octrois fédéraux seraient recueillis dans ce fonds au même titreque les autres contributions. Ce fonds serait administré par unConseil formé de représentants des intéressés, à l'exception si l'onveut du Gouvernement fédéral. Les sommes disponibles seraientversées pour fins générales et s'ajouteraient aux dons spéciaux etaux octrois que les institutions ou leurs professeurs reçoivent dediverses sources pour des fins spécifiques. En plus d'administrer lefonds, ce Conseil pourrait aussi aider le Gouvernement de la Pro-vince à instituer une politique générale de l'aide aux universités, lerenseigner sur les besoins de ces dernières et exercer une vigilanceà la fois sur les droits des universités et sur ceux de la Province enexaminant les conditions auxquelles peuvent être acceptés les oc-trois provenant de sources diverses, y compris le Gouvernementdu Canada.

Source: Mémoire, p. I9-Z4-

Page 154: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

21 Société Saint-Jean-Baptiste de MontréalPour un plus grand engagementde l'État dans l'éducation1954

Le mouvement nationaliste canadien-français partage les préoccupations desmilieux socio-économiques quant à la nécessité d'accroître la scolarisation desfrancophones par une plus grande accessibilité et d'impliquer plus activementl'État québécois dans la gestion et le financement de l'éducation (notammentpour éviter l'immixtion du fédéral). Ainsi, la Ligue d'action nationale va jusqu'àproposer la «création d'un véritable ministère de l'éducation nationale» (Mé-moire, p. 15). Pour sa part, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal réclameune vigoureuse intervention de l'État provincial en éducation. Sans parler expli-citement d'un ministère, elle propose la mise sur place d'un «Département del'Éducation nationale», assurant une meilleure intégration du système d'éduca-tion. La SSJB-M plaide aussi fortement en faveur d'une aide financière accrueaux universités. La commission Tremblay reprendra dans son rapport les ex-traits du mémoire de la SSJB-M sur le « Département de l'Éducation nationale ».

Seule, une politique culturelle, généreusement soutenue par legouvernement canadien-français du Québec, permettra de corrigerune situation gravement compromise. La société canadienne-fran-çaise doit utiliser une plus grande partie de son surplus économi-que pour financer toutes ses institutions d'enseignement. Celles-ciont besoin d'une aide financière considérable et immédiate pourrattraper le retard dont les générations précédentes ont été victi-mes et pour répondre aux besoins actuels.

Une action énergique s'impose. La jeunesse canadienne-fran-çaise doit recevoir une éducation qui lui permettra de soutenir laconcurrence qu'elle rencontre sur le marché du travail. Ce pro-gramme à long terme cherchera aussi à enrichir la culture cana-dienne-française en créant les cadres nécessaires pour utiliser tousles talents qui sont prêts à la défendre et à l'illustrer. Les Canadiens

Page 155: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

156 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

français tiendront à conserver jalousement leur autonomie politi-que lorsqu'ils auront pleinement conscience de participer à uneculture qui les enrichit humainement et leur donne de légitimesmotifs de fierté. Si les Canadiens français n'ont pas la convictionque leur culture constitue pour eux un facteur d'épanouissement,ils l'abandonneront pour la culture anglo-saxonne dont ils subis-sent quotidiennement la pression. Si la culture canadienne-fran-çaise n'affirme pas son originalité et demeure figée dans des formesarchaïques elle disparaîtra. C'est le sort de toute culture qui serévèle incapable de se renouveler lorsqu'elle suppose une cultureen apparence plus dynamique.

Intervention nécessaire de l'État provincial

II appartient au gouvernement de l'État provincial d'élaborer et demettre en vigueur une politique de défense culturelle. Les institu-tions privées canadiennes-françaises ne suffisent plus à la tâche.Elles ont besoin de l'aide financière de l'État provincial. Celui-ci,pleinement conscient de ses lourdes responsabilités, doit intervenirau plus tôt.

Les nouvelles conditions économico-sociales exigent une jeu-nesse mieux préparée à la lutte pour la vie. Les Canadiens françaissont appelés à livrer concurrence à une jeunesse anglo-canadiennequi bénéficie d'un enseignement beaucoup plus prospère et beau-coup mieux organisé.

Il est anormal et dangereux que les chercheurs, les savants, lesprofesseurs, les écrivains, les artistes et les musiciens du Canadafrançais attendent, surtout du gouvernement fédéral protection,honneurs, encouragements, bourses de recherches et revenus.

Le Canada français doit chercher à fournir lui-même à son éliteintellectuelle les cadres qui lui donneront la liberté de travaillerencore plus directement à l'enrichissement et à l'épanouissementde la culture canadienne-française. En ce domaine, comme enbeaucoup d'autres, on est toujours mieux servi par soi-même.

[...]

[...]

Page 156: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal • 157

Éducation nationale

L'instruction publique et l'ensei ement spécialisé progressent ra-pidement depuis une génération. Les besoins augmentent sans cesseet les parents tiennent de plus en plus à donner à leurs enfants uneéducation et une instruction plus complètes qu'auparavant. Lajeunesse elle-même se montre plus ambitieuse et plus studieuse.Une société industrielle, où existe la division des tâches, a desexigences que n'avait pas une société rurale. Le nombre des élèveset des étudiants, dans toutes les institutions d'enseignement, s'ac-croît chaque année. L'enquête récente sur la coordination de l'en-seignement1 a démontré la nécessité de nombreuses réformes.

Le Conseil de l'Instruction publique et le Département de l'Ins-truction publique, tels qu'organisés actuellement, sont-ils en me-sure d'assumer efficacement la vaste tâche qui leur est confiée ? Laquestion se pose, depuis longtemps, dans tous les milieux où l'ons'intéresse aux progrès de notre enseignement.

Nous nous permettons de suggérer la création de conseils qui serépartiraient les diverses sections de l'enseignement. Nous laissonsaux autorités compétentes la responsabilité d'en déterminer laformation et le fonctionnement.

Enseignement supérieur canadien-français

Les universités canadiennes-françaises n'ont jamais eu, depuis leurfondation, les ressources financières nécessaires pour donner à lasociété canadienne-française un véritable enseignement supérieur.Elles ne bénéficient d'aucun fonds de dotation. Leurs bibliothè-ques et leurs laboratoires ne répondent pas aux exigences d'unenseignement universitaire moderne. Les professeurs de carrièrecanadiens-français sont trop peu nombreux. La recherche désinté-ressée dans les différents domaines du savoir humain n'a pas pu sedévelopper normalement. Cette situation malheureuse s'expliquequand on se rappelle que la nation canadienne-française n'a jamaispossédé, depuis la Conquête, le surplus économique nécessairedont tout peuple a besoin pour organiser de grandes et prospèresinstitutions d'enseignement supérieur.

i. Voir texte 13. (N.d.É.)

[...]

Page 157: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

158 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

Importance des universités

Toute nation qui n'a pas renoncé à l'avenir a absolument besoind'un enseignement supérieur bien organisé. Les universités consti-tuent les laboratoires de pensée où s'élaborent les programmesd'action qui orientent toute la vie d'une nation et d'un État. Ellesinfluencent directement l'enseignement dispensé dans les collègeset dans les écoles. Elles fournissent à la nation ses penseurs poli-tiques, ses hauts-fonctionnaires, ses savants, ses juges, ses hommesde science, ses législateurs, ses chefs d'entreprises, ses hommesd'État. Comme le déclarait récemment le premier ministre de laprovince, elles forment l'état-major de toute société bien organisée.

Les universités n'existent pas en dehors ou au-dessus des socié-tés auxquelles elles appartiennent. Elles font immédiatement partiedu milieu social où elles poursuivent une œuvre essentielle auprogrès de celui-ci. L'histoire de toutes les nations modernes dé-montre que celles-ci ont eu recours à leurs universités pour s'édi-fier et prospérer. Personne ne mettra en doute la contributionprimordiale des universités anglo-canadiennes à la grandeur et à lapuissance du Canada anglais. Il serait inexact et injuste, au nomd'un universalisme et d'un internationalisme mal conçus, de sou-tenir que les universités canadiennes-françaises n'ont pas d'abordl'obligation de servir le Canada français. Pourquoi demanderons-nous alors à la nationalité canadienne-française de soutenir géné-reusement ses universités ? Si la science n'a pas de patrie, les hommesde science en ont une. Leur enseignement, leurs travaux, leursrecherches et leurs découvertes contribuent à augmenter la sommedes connaissances humaines mais enrichissent en même temps lasociété dont ils sont les membres les plus éminents.

Un programme politique et économique destiné à doCanadiens français la place qui leur revient dans leur province etdans l'union canadienne ne peut pas se réaliser sans la collabora-tion de nos universités. Celles-ci ont la tâche de poursuivre, ensociologie, en histoire, en droit, en philosophie, en statistiques, ensciences économiques et politiques, des recherches qui apporterontdes données nouvelles sur les problèmes contemporains de la so-ciété canadienne-française, de la province de Québec et du Canadatout entier. Leurs chercheurs en sciences de la nature et leursingénieurs enseigneront comment mieux utiliser les ressources

[...]

Page 158: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal • 159

naturelles de la province, comment mieux cultiver le sol, commentexploiter les sous-produits encore inutilisés. Elles seront à l'avant-garde d'une politique de défense culturelle qui donnera au Canadafrançais les professeurs, les savants, les artistes, les penseurs et lesécrivains dont il a besoin. Elles formeront des jeunes Canadiensfrançais, fiers de leurs origines, qui auront la légitime ambition,peu importe le domaine auquel ils se consacreront, de mettre leurscience et leur talent au service de leur nationalité. Cette volontéde servir leur sera inculquée par une éducation réaliste qui tiendracompte du fait qu'ils sont membres d'une nationalité qui a sonhistoire, ses réalisations, ses problèmes et ses aspirations.

Tel est le rôle des universités dans toute société normale. C'estcelui que nos universités rempliront intégralement pour le plusgrand bien de la société canadienne-française, si celle-ci leur enfournit les moyens.

Responsabilités de l'État provincial

Les universités canadiennes-françaises du Québec comptent surl'aide financière de l'État provincial pour obtenir les ressourcesdont elles ont absolument besoin pour jouer pleinement leur rôle.

Le gouvernement québécois a toujours aidé les universités. Celles-ci n'auraient pas pu poursuivre leur œuvre si elles n'avaient pasreçu ses subventions annuelles et ses dons spéciaux. Cependant, ilest urgent de leur assurer des revenus encore plus considérables. Ilexiste un problème universitaire canadien-français dont le règle-ment s'impose. Si le Canada français veut avoir un enseignementuniversitaire qui soit entièrement à son service, il doit se le donnerlui-même. Comme gardien légitime du bien commun de la natio-nalité canadienne-française, l'État du Québec doit prendre toutesses responsabilités.

Conseil de l'enseignement universitaire

Nous suggérons la formation d'un Conseil de l'enseignement uni-versitaire canadien-français. Ce Conseil, qui ferait partie du Dépar-tement de l'éducation nationale, aurait la tâche de régler le problèmeuniversitaire canadien-français et d'assurer au Canada français l'en-seignement supérieur dont celui-ci a besoin.

Le Conseil de l'enseignement universitaire canadien-françaisagirait comme agent de liaison entre les autorités provinciales et

Page 159: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

i6o • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

les universités canadiennes-françaises. Le gouvernement serait misau courant des besoins particuliers des universités canadiennes-françaises. Quant aux universités, elles seraient en mesure d'établirà l'avance leurs programmes d'équipement et d'expansion.

Il faudra veiller en établissant ce Conseil à ne pas limiter laliberté académique de leurs professeurs et à ne pas modifier leurrégie interne comme institutions pontificales.

Source: Mémoire, p. 60-61, 63-64, 67-71.

Page 160: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

22 Fédération des mouvementsde jeunesse du QuébecMettre de Tordre, démocratiseret améliorer le financement de l'éducation

1954

Trois thèmes majeurs ressortent du mémoire de la Fédération des mouvementsde jeunesse du Québec (FMJQ) à la commission Tremblay et en inspirent lesrecommandations. Le fouillis des programmes et des structures de formationconduit trop de jeunes à des «culs-de-sac académiques»; il faut donc mettrerapidement en application le rapport du sous-comité de coordination de l'ensei-gnement. L'accessibilité aux études est réduite par le manque de ressourcesdes jeunes et de leurs familles; il faut donc accroître considérablement lesbourses d'études disponibles. Les établissements d'enseignement de tousniveaux sont pauvres ; il faut donc accroître le financement gouvernemental del'éducation et rendre les subventions statutaires.

A. PROBLÈMES SOUMIS À L'ATTENTIONDE LA COMMISSION

[...] nous sommes présentement dans une situation de transitiondifficile où la condition des institutions se répercute profondémentsur la condition même des étudiants. C'est pourquoi nous avonsle devoir de communiquer aux Commissaires les inquiétudes et lessentiments des mouvements de jeunesse relativement aux étudiantset relativement aux institutions:

Relativement aux étudiants et aux candidats aux études :

i. — Chaque année, dans notre province, des milliers de jeunes nepouvant continuer leurs études, sont pris dans des culs-de-sacacadémiques ou ne peuvent changer de genre de cours sans perdreplusieurs années. Un grand nombre de ces jeunes qui ont dû aussilaisser prématurément les études viennent se joindre aux mouve-

Page 161: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

i62 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

ments de jeunesse dans l'espoir d'y parfaire leur culture. Signalons,en particulier, les élèves du cours primaire supérieur, les étudiantsde collèges classiques qui doivent abandonner en cours de route etsurtout les milliers de jeunes qui sont projetés sur le marché dutravail après la 6e et 7e ou 8e années du cours primaire. Cettesituation est due, en grande partie, au manque de coordination etd'intégration entre les divers degrés de l'enseignement, aux condi-tions financières, et à un défaut d'orientation professionnelle.

2. — Un grand nombre d'étudiants capables sont empêchés, pardes raisons financières, de continuer les études auxquelles ils aspi-rent. Des centaines d'autres, surtout à l'université, doivent, tout enfaisant leurs études, s'astreindre à un régime de travail exténuantafin de gagner les sommes nécessaires à leur subsistance. Souli-gnons deux aspects particulièrement aigus de ce problème:

a. l'absence complète de bourses gouvernementales à l'échelondes collèges secondaires : des centaines de jeunes sont, pourcette raison, éliminés chaque année de l'accès éventuel à desétudes universitaires.

b. la situation précaire d'un grand nombre d'étudiants d'uni-versité: environ 2,4 % de tous les étudiants, révèle une en-quête récente, doivent travailler durant l'année scolaire. (Cf.Le Quartier Latin, mars 1953.)

3. — Dans l'ensemble, le gouvernement du Québec, a dépensé, en1951-52,, un total de i 052, 804,37 $ en bourses d'études de tousgenres. Cette somme est nettement inadéquate par rapport auxbesoins objectifs tels que nous les révèlent nos contacts avec descentaines de jeunes. De plus, on constate la tendance à fractionnerles bourses pour en faire bénéficier plus de jeunes mais par contrecette méthode ne peut que bénéficier à ceux qui de toute façonpeuvent se payer des études supérieures.

4. De nombreux jeunes, ayant laissé tôt les études, s'inscriventplus tard à des écoles privées (Business Collège, etc.) pour y par-faire leur formation. Parce que ces écoles ne sont ni réglementéesni standardisées dans leurs normes d'enseignement, plusieurs jeu-nes travailleurs qui les ont fréquentées dans l'espoir d'améliorerleur situation rencontrent ensuite de sérieux handicaps, [en ce qui

Page 162: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des mouvements de jeunesse • 163

concerne les] équivalences académiques, quand ils se présententpour obtenir certains emplois.

5. — Les étudiants ne sont pas suffisamment informés r toutesles bourses disponibles et on se plaint souvent, dans les lieux djeunesse, du manque de coordination entre les divers ministères etdépartements provinciaux qui mettent des bourses à la dispositiondes jeunes.

Relativement aux institutions :

1. — Manquant de sources propres et adéquates de revenus, lescorporations scolaires sont de plus en plus obligées de recourir àl'aide financière directe du gouvernement provincial. L'expériencea démontré qu'un régime d'assistance ne reposant pas sur descritères objectifs constitue à la longue une sérieuse menace d'intru-sion de la politique partisane dans les questions d'éducation.

2. — De tous les secteurs, l'un des moins favorisés est celui del'enseignement secondaire. Malgré une augmentation appréciablede l'assistance reçue du gouvernement ces dernières années, cesecteur a reçu en tout, pour les années 1949-50 et 1951-52, envi-ron i 250 ooo $ par année, soit à peine 3 % des sommes totalesdépensées pour l'enseignement par le gouvernement.

3. — Les mouvements de jeunesse, dont plusieurs membres etdirigeants fréquentent nos institutions universitaires ou y ont faitleurs études, sont frappés et alarmés des difficultés que rencon-trent nos universités dans leurs efforts pour organiser leurs servi-ces et leur enseignement d'une manière à la fois adaptée aux besoinsactuels et indépendante de l'ingérence politique.

4. — La situation présente des institutions à tous les niveaux denotre système d'enseignement ne favorise pas l'accès des jeunes àla profession enseignante. Nous arrivons par ailleurs dans la pro-vince de Québec à un niveau de développement économique etsocial où il est devenu impérieux pour l'épanouissement de notreculture, de relever les standards intellectuels et sociaux de la pro-fession enseignante, en particulier d'en faciliter l'accès aux laïcs àtous les degrés.

Page 163: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

164 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

jB. RECOMMANDATIONS ET OPINIONS DE LA FMJQ

1. — La FMJQ souhaite l'application prochaine des mesures sug-gérées par le «Sous-Comité de coordination de l'enseignement»au Comité Catholique de l'Instruction Publique, afin de réaliserune intégration plus harmonieuse des divers degrés de notre sys-tème d'enseignement.

2. — La FMJQ croit qu'une assistance accrue de l'autorité provin-ciale est devenue nécessaire pour l'enseignement primaire, l'ensei-gnement secondaire et l'enseignement universitaire. Elle prie laCommission Tremblay de formuler à ce sujet des recommanda-tions qui préservent les institutions d'enseignement contre l'ingé-rence de la politique et établiront le plus clairement possible descritères objectifs et impartiaux d'assistance. La FMJQ favorise enparticulier, conformément au vœu exprimé par la grande majoritédes institutions concernées, l'orientation de cette politique versune politique d'assistance statutaire.

3. — La FMJQ estime que, pour répondre aux besoins réels desétudiants, le gouvernement provincial devrait augmenter fortementles sommes présentement dépensées sous forme de bourses. Il fau-drait établir un système organique de bourses commençant auniveau SECONDAIRE. Il faudrait aussi une meilleure coordina-tion des services de bourses présentement offerts par divers Minis-tères et départements. Il y aurait lieu de mettre l'accent sur l'octroide bourses plus substantielles destinées à des jeunes qui seraientincapables, sans cette aide, de poursuivre leurs études.

4. — La FMJQ demande une révision et un élargissement descours du soir présentement organisés ou encouragés par certainsMinistères, en particulier le Secrétariat de la Province. Elle de-mande aussi une intégration de ces cours dans l'économie généraledu système d'enseignement.

5. — La FMJQ demande qu'on étudie, au Comité de l'InstructionPublique, l'opportunité d'instituer des examens d'équivalence cor-respondant aux certificats de ye et <?e années et au certificat d'im-matriculation primaire, pour tous ceux qui, sans avoir suivi lescours réguliers ou obtenu des diplômes démontreraient qu'ils pos-sèdent des connaissances équivalentes.

Source: Mémoire, p. iz-i6.

Page 164: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

23 Fédération des commissions scolairescatholiques du QuébecLe cours classique publicet le financement des études

1954

La commission Tremblay reçoit des mémoires de plusieurs commissions scolai-res du Québec qui ne manquent pas, à travers l'exposé de leurs problèmesparticuliers, de mettre en lumière des problèmes généraux de l'enseignements ondaire public. Ainsi, la Commission des écoles catholiques de Montréaldéplore que, à la différence des anglo-protestants, les franco-catholiques nepuissent accéder à l'enseignement universitaire par la seule formation secon-daire publique et gratuite. La Fédération des commissions scolaires catholiquesdu Québec présente, pour sa part, un mémoire considérable à la commissionTremblay. Ce mémoire s'intéresse particulièrement au développement, à l'orga-nisatio et au financement de l'enseignement secondaire public. Tout en recon-naissant le rôle éminent joué par les collèges classiques, la Fédération les estimeinca bles de suffire à la tâche; aussi, l'école publique doit-elle concourir à ladispensation de la formation secondaire classique. À cette fin, sur la base d'unereconnaissance entière de l'enseignement secondaire public (latin-grec ou la-tin-scie es), il faut regrouper les commissions scolaires locales en organisa-tions régionales ou commissions scolaires centrales sous l'autorité du comitécatholique du Conseil de l'instruction publique; il faut aussi verser aux élèvesdes «allocations d'études post-élémentaires» en guise de gratuité scolaire; ilfaut enfin assurer aux commissions scolaires à base régionale des subventionsstatutaires. Ces idées de secondaire public gratuit organisé par des commis-sions scolaires régionales seront mises en œuvre par les réformes des années1960.

Page 165: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

i66 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

Les corporations scolaireset les institutions privées d'enseignement

Dans la perspective du très petit nombre de nos enfants quipoursuivent des études se ondaires et parviennent finalement àl'Université (4% environ, alors que selon la distribution des apti-tudes, 12.% au minimum seraient aptes à ce genre d'études), laparticipation des institutions privées, en particulier des collègesclassiques, à l'enseignement secondaire apparaît comme une néces-sité de bien commun.

À l'heure actuelle, pour entreprendre la tâche immense qui doitêtre entreprise, dans ce secteur de l'enseignement, si nous voulonsqu'une proportion raisonnable et satisfaisante des enfants douéspour les études secondaires et universitaires parviennent au niveaude formation qui correspond à leurs aptitudes, le bilan des ressour-ces dont nous disposons s'établit à peu près comme suit: ni lescollèges, ni d'une façon générale les institutions privées, ni lesécoles publiques ne peuvent isolément assumer cette tâche. Seuleune participation des uns et des autres permettra de l'entreprendreavec des chances de succès.

En d'autres termes, il est a i important pour le bien communque l'on facilite l'orientation des enfants doués vers les collègesque de leur rendre plus facile l'accès à l'enseignement secondaireen organisant des sections classiques dans les écoles publiques. Lesdeux mesures doivent être appliquées concurremment et conjoin-tement. Voilà pourquoi, par le moyen d'allocations d'études post-élémentaires dont nous proposons par la suite l'institution, nousavons recommandé que l'on rende équivalente au point de vuefinancier la fréquentation du collège et celle de l'école publique.

LES PERSPECTIVES D'AVENIR

i. Le rôle futur des commissions scolaires

En regard du rôle qu'elles ont joué dans le passé quelle sera latâche des commissions scolaires au cours des prochaines an es ?

Dans le rapport qu'il soumettait récemment au Comité c tho-lique de l'Instruction publique, le Sous-comité de coordination del'enseignement à ses divers degrés formule plusieurs recommanda-

[...]

[...]

Page 166: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 7

tions qui auront pour effet de transformer profondément certainsaspects de notre système scolaire.

L'une de ces recommandations a trait à la « conversion » de lasection scientifique actuelle du cours primaire supérieur en courssecondaire. À cette fin le Sous-comité propose «que le nouveauprogramme de cette section (classique) se rapproche suffisammentde la section latin-sciences du cours secondaire pour que le coursde cette nouvelle section scientifique soit sanctionné, au niveau dela ne année, par le diplôme d'immatriculation universitaire».

Il nous semble primordial que les élèves des sections classiques,latin-grec ou latin-sciences, ne soient pas considérés comme dessous-produits inférieurs de l'enseignement classique. Ils devraientdonc recevoir le diplôme d'Immatriculation universitaire de la mêmefaçon que les élèves des collèges et parvenir ainsi en Belles-Lettresavec la même formation, selon le même esprit.

RECOMMANDATIONS D'ORDRE INSTITUTIONNEL

i. Limites des responsabilitésde la corporation scolaire locale

Comme l'a montré l'analyse de la situation financière actuelle etdes perspectives d'avenir qui attendent les commissions scolairespour qu'elles remplissent intégralement leur mission, celles-ci de-vraient assumer une tâche qui, selon toute apparence, dépassenettement leurs moyens financiers.

D'autre part, l'expérience l'a montré et la loi elle-même sembleavoir prévu cette éventualité, l'autonomie administrative des com-missions scolaires serait un principe vide de sens si elle ne s'accom-pagnait d'une autre réalité, leur autonomie financière.

Aussi, nous a-t-il semblé qu'au tout début de notre recherched'une solution, il y avait lieu de préciser la limite des responsabi-lités propres aux corporations scolaires locales. À ce sujet, nousavons formulé en principe très général que toute commission sco-laire devrait dispenser l'enseignement primaire élémentaire à tousles enfants de son territoire. Par contre, la responsabilité stricte dela commission scolaire locale, celle à laquelle elle n'a pas le droitde se soustraire, pourrait se limiter à l'enseignement primaire élé-mentaire.

[...]

[...]

Page 167: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

i68 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

Le corollaire évident de ce principe, c'est que tout l'enseigne-ment qui dépasse le niveau élémentaire appartient non pas à l'or-dre des responsabilités rigoureuses des commissions scolaires locales,mais à un ordre plus vaste qui, en certains cas coïncide avec lesdimensions d'une commission scolaire donnée, si cette commissionscolaire est considérable, mais qui, dans la plupart des cas, ap-proximativement 90% des commissions scolaires, coïncide avecdes zones territoriales plus vastes que la commission scolaire lo-cale et atteint aux dimensions d'une collectivité de commissionsscolaires, d'un groupe de commissions scolaires.

2. L'enseignement post-élémentaire, responsabilitéd'un groupe de commissions scolaires

Lorsqu'on pose ainsi en principe que l'enseignement d'un niveausecondaire ou complémentaire n'appartient pas nécessairement àl'ordre des responsabilités de la commission scolaire locale, doit-on fatalement songer à une responsabilité gouvernementale, c'est-à-dire à une responsabilité collective dans le sens le plus général duterme ?

Parce qu'il n'existe pas, à l'heure actuelle, dans les milieux fran-çais et catholiques, d'organisme intermédiaire entre la commissionscolaire locale et le gouvernement central de la province, sansdoute sera-t-on enclin, à première vue, à répondre par l'affirmativeà cette question.

Nous croyons néanmoins qu'objectivem t l'on peut très bienconcevoir un genre de responsabilités collectives qui ne seraientpas nécessairement des responsabilités du gouvernement central,mais des responsabilités de groupes de commissions scolaires.

Mais que faut-il entendre par ce groupe de commissions scolai-res ainsi responsable de l'enseignement post-élémentaire dans l'or-dre de la formation générale.

Il n'y a qu'une façon objective, à notre avis, de le définir con-crètement, un seul facteur qui permette de le circonscrire avecprécision, le facteur démographique.

Nous dirions donc que telles commissions scolaires auraientcol ctivement la responsabilité de l'enseignement post-élémentairequi se trouveraient comprises dans le territoire groupant une po-pulation suffisante pour «produire» des effectifs d'enfants aptesaux études complémentaires ou seconda es assez nombreux pour

Page 168: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 169

alimenter une école complémentaire ou secondaire de telle façonque celle-ci soit administrativement viable.

À l'aide des données de la démographie et de la psychologie surla répartition des enfants d'âge post-élémentaire et, parmi ceux-ci,des enfants aptes aux études de ce niveau, dans une populationquelconque, nous avons calculé qu'une population de 5000 habi-tants pourrait « produire » une vingtaine d'étudiants au niveau dela ne année, soit 10 au complémentaire et 10 au secondaire, dansl'hypothèse où l'on recruterait tous les enfants aptes.

De ces chiffres l'on peut donc déduire que, pour les fins del'enseignement post-élémentaire, l'unité démographique de base nedevrait pas être inférieure à 5000 habitants.

Il sera déjà coûteux financièrement de dispenser à une dizained'élèves le cours complémentaire et secondaire. Aussi ne voit-onpas comment l'on pourrait décemment imposer aux contribuablesde financer cet enseignement pour des effectifs moindres. D'unpoint de vue rigoureusement administratif, c'est même à des grou-pements de 10 ooo habitants qu'il faudrait idéalement viser.

Mais cette solution du groupement des commissions scolairessoulève à son tour des problèmes de réalisation. Aussi avons-nouscherché dans quel sens les principales d'entre elles pourraient êtrerésolues.

3. Modalités de groupement des commissions scolaires

Étant donné le morcellement considérable des territoires actuelsdes corporations scolaires, deux modalités de groupement noussembleraient souhaitables : la première concernerait le territoire dela commission scolaire locale elle-même, la seconde consisterait àrassembler dans une nouvelle formule de commission scolaire cen-trale plusieurs commissions scolaires locales, sans que celles-ciperdent leur identité propre.

a. La commission scolaire locale

La révision des cadres géographiques d'un bon nombre de com-missions scolaires locales s'impose à notre avis. L'on aboutiraitainsi à un partage plus adapté à la réalité sociologique des terri-toires administrés par les corporations scolaires.

Page 169: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

170 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

b. — Les commissions scolaires centrales

Cette deuxième modalité de groupement aurait pour caractéristiquequ'elle serait précisément un groupement de plusieurs commissionsscolaires locales. En ce sens, elle constituerait une nouveauté dansles milieux catholiques et français, mais elle existe déjà dans lesmilieux anglo-protestants de la province, depuis 1944.

Nous inspirant de « la loi autorisant la constitution de commis-sions scolaires centrales protestantes», nous avons formulé lesdirectives suivantes au sujet de la constitution des commissionsscolaires centrales catholiques.

i. Tout en participant à la commission scolaire centrale, cha-que commission scolaire locale devrait conserver son iden-tité propre.

2.. À l'instar du comité protestant, le Comité catholique duConseil de l'Instruction publique devrait être investi dupouvoir d'adopter « par résolution (les) dispositions (requi-ses) en vue de la constitution en corporations de commis-sions scolaires centrales catholiques ».

3. De façon à garantir une sorte de participation institution-nelle des commissions scolaires locales à la commissioncentrale, il y aurait lieu, nous semble-t-il, de statuer que lesmembres de la commission scolaire centrale devraient êtredes délégués des commissions scolaires locales.

Le rôle et le financementde la commission scolaire centrale

La commission scolaire centrale remplirait un double rôle.

j. — Au nom des commissions scolaires qu'elle grouperait, sou-mettre aux autorités supérieures les besoins de celles-ci en matièrede construction et d'investissement général, et, selon le préambulede la loi créant les commissions scolaires centrales protestantes,assurer une « distribution plus équitable des octrois gouvernemen-taux ».

2. — Organiser et dispenser l'enseignement post-élémentaire deformation générale dans le secteur démographique de base (5000habitants, au minimum, 10 ooo, de préférence).

[...]

Page 170: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 171

Quelles seraient donc les sources de revenus qui permettraientà la commission scolaire centrale d'assumer la tâche que nous luiavons confiée et de subvenir aux dépenses qu'entraînera l'organi-sation de l'enseignement post-élémentaire ?

Il est bien évident que si la corporation scolaire centrale devpuiser exactement aux mêmes sources de revenus que les corpo-rations locales, sa création n'aurait rien résolu du problème dufinancement de l'instruction publique.

Dans la plupart des cas, la taxe foncière et la taxe de venteayant été exploitées au maximum pour l'enseignement élémen-taire, l'enseignement post-élémentaire, et, partant la commissionscolaire centrale qui en aurait le plus souvent la responsabilité,devraient donc se financer à même la rétribution et lessubventions gouvernementales.

a. La rétribution mensuelle et les allocationsd'études post-élémentaires

Notre analyse du rendement actuel des écoles publiques, la com-paraison que nous avons faite entre le nombre d'élèves qui pour-raient s'inscrire aux cours complémentaire et primaire supérieur etceux qui s'y inscrivent de fait, ont démontré que nous sommesprésentement loin de l'idéal au point de vue de la diffusion del'enseignement post-élémentaire. r il est bien évident que si, àtous les obstacles qui peuvent dét urner les jeunes de parfaire leurformation, l'on ajoutait encore l'obstacle de la rétribution men-suelle, une telle politique irait manifestement à {'encontre de cellequi s'impose dans les circonstances.

jusqu'à ce que nous ayons obtenu le résultat que la majorité denos jeunes gens supérieurement doués (qui représentent au moins12.% de chaque génération), parviennent au niveau de formationqui correspond au niveau de leurs aptitudes, nous avons ex él'avis que:

i. des allocations d'études post-élémentaires, accessibles auxétudiants de tous les genres d'institutions, soient accordéesà tous les élèves qui s'inscrivent dans un cours d'études deformation générale postérieur à la 7e année et antérieur aucours universitaire proprement dit;

z. ces allocations devraient être en principe assez élevées pourcompenser les frais d'inscription que les institutions d'ensei-

Page 171: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

i/2 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

gnement post-élémentaire, en particulier les commissionsscolaires centrales, pourraient exiger de leurs élèves jusqu'àconcurrence d'un montant égal à 50% environ du coût decet enseignement.

b. Les subventions gouvernementales

Anotre avis, les subventions gouvernementales devraient être dis-tr buées aux co missions scolaires concernées d'après la mêmeformul que no s avons proposée pour les allocations d'étudescomplémentaires.

Elles auraient alors pour base le nombre d'élèves inscrits aucours complémentaire ou secondaire des écoles publiques. Tenantcompte du coût de l'enseignement de ce niveau dans une régiondonnée, les subventions gouvernementales distribuées directementaux corporations scolaires équivaudraient à la moitié des dépensesencourues pour l'enseignement post-élémentaire. Elles seraientdistribuées au prorata des étudiants inscrits à la fin de septembrede chaque année, sur la base d'environ 100$ par élève en moyenne.

Outre ces subventions basées sur le nombre d'étudiants, il semblebien que des subventions spéciales seraient également nécessairespour défrayer le coût de la construction des écoles post-élémentaires,car les revenus provenant de la rétribution mensuelle et des sub-ventions basées sur le nombre d'étudiants ne suffiraient à défrayerque les dépenses d'opérations.

1. — Nous avons d'abord pris pour acquis, à la suite des décla-rations récentes du Premier Ministre de la Province, qu'un résidud'environ 6 ooo ooo $, des argents provenant du nouvel impôt surle revenu sera versé au fonds d'éducation et affecté au budget desécoles publiques.

2. — Nous appuyant ensuite sur l'urgence des besoins d'éducationdans la Province et la valeur primordiale pour tous les citoyensd'un système scolaire adéquat, nous avons proposé une mesure quiexigera des citoyens de cette province de nouveaux sacrifices pourassurer à leurs enfants une meilleure formation. Nous avons sug-géré que la taxe de vente provinciale soit majorée de i %, et quele produit de cette augmentation soit entièrement versé au fondsd'éducation pour les fins de l'instruction publique.

[...]

Page 172: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 173

3. — Enfin, nous avons exprimé l'avis que des royautés1 sur cer-taines ressources naturelles pourraient augmenter considérablementles sommes disponibles pour fins d'éducation dans la Province.Nous avons suggéré en particulier que la contribution de la Com-mission hydroélectrique de Québec, au lieu d'être fixée au mêmemontant pour une longue période de temps, varie d'année en annéeau rythme de l'augmentation des autres revenus du fonds d'édu-cation. En outre, parmi les ressources naturelles les plus importan-tes qui nous ont paru susceptibles de fournir des revenus au fondsd'éducation, il y aurait les ressources minières, notamment le mineraide fer de l'Ungava dont la Province de Québec a concédé à trèsbon compte l'exploitation.

4. La participation des corporations scolairesà l'administration du fonds d'éducation

Tenant compte du fait que les corporations scolaires sont descorporations de bien public et qu'à ce titre elles constituent, auniveau local, de véritables gouvernements; tenant compte égale-ment du fait qu'elles sont, en principe, les représentants autorisésdes parents et qu'elles le seraient encore davantage si on modifiaitle code scolaire dans le sens d'une généralisation du droit de votepour l'élection des commissaires d'écoles ; tenant compte enfin decet autre fait que la majeure partie des subventions gouvernemen-tales leur sont destinées et qu'elles ont, par conséquent, un intérêtvital à participer le plus possible à l'élaboration de la politiquegouvernementale en matière de subventions pour l'instructionpublique, nous avons proposé que les corporations scolaires soientappelées à collaborer à l'administration du fonds provincial d'édu-cation dans les cadres d'un organisme provincial à caractère con-sultatif qui serait créé à cette fin et qui serait composé pour moitiéde représentants du gouvernement et pour moitié de représentantsdes corporations scolaires. Ceux-ci pourraient être choisis par l'in-termédiaire de diverses associations qui groupent actuellement uneproportion considérable des commissions scolaires locales.

Source: Les problèmes des commissions scolaires. Solutions proposées, Québec,Société des Éditions Champlain, 1954, p. 214-215, 2,18-219, 231-234, 241-245.

t. Royautés: de l'anglais royalties, redevances. (N.d.É.)

Page 173: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

24 Fédération des collèges classiquesDéfense du cours classiqueet du collège privé

1954

L'établissement de «sections classiques» secondaires par certaines commis-sions scolaires et la revendication, par de multiples groupes, d'un enseigne-ment secondaire public et gratuit (au moins pour les quatre premières années,jusqu'à l'«immatriculation», comme chez les protestants) interpellent sansménagement les collèges classiques privés qui conservent le monopole de laformation secondaire donnant accès à toutes les facultés universitaires. Le courclassique à base d'humanités gréco-latines est aussi remis en cause par ceuxqui proposent de diversifier et de moderniser la formation secondaire. Le milieudes collèges classiques privés ne peut donc demeurer silencieux. Ainsi, l'Asso-ciation professionnelle des professeurs de l'enseignement secondaire recom-mande-t-elle non seulement que soient maintenus les collèges privés, maisqu'ils bénéficient de subventions gouvernementales statutaires, cela dût-il sepayer d'une subordination au comité catholique du Conseil de l'instructionpublique. Divers collèges (par exemple, Jean-de-Brébeuf) soumettent un mé-moire à la commission Tremblay. Mais, par delà ces interventions particulières,c'est la nouvelle Fédération des collèges classiques qui mène résolument lacontre-offensive de défense du traditionnel cours classique et des établisse-ments privés qui le dispensent.

Dans un volumineux mémoire, publié en outre sous forme de livre, la Fédé-ration cherche à éclairer la commission Tremblay. Elle s'emploie évidemment àrappeler les vertus de la formation par les humanités classiques. Elle met enlumière le rôle social important joué par les collèges. Elle s'efforce de définirdes balises pour encadrer le développement de l'enseignement secondaire publicpour qu'il ne livre pas une concurrence par trop dangereuse aux collèges. Elledéfend l'importance d'un secteur d'enseignement privé; sur ce point, elledéveloppe un discours qui sera repris et amplifié jusqu'à l'époque actuelle.Finalement, la Fédération formule un ensemble de revendications pour conso-lider, grâce à une aide gouvernementale accrue, les collèges traditionnels. Enrétrospective et à la lumière des réformes des années 1960, le discours de laFédération des collèges classiques prend l'allure de chant du cygne d'une formed'éducation secondaire condamnée par l'évolution de la société.

Page 174: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des collèges classiques • 175

VALEUR PERMANENTE ET ACTUELLEDE L'ENSEIGNEMENT CLASSIQUE

L'enseignement classique traverse actuellement, au regard de l'opi-nion canadienne, une phase difficile. Un certain doute plane surson aptitude à répondre aux besoins les plus urgents du mondeactuel, sur sa capacité à fournir des hommes de pensée et d'action,en état de comprendre les problèmes de la société canadienned'aujourd'hui et résolus de s'y engager efficacement. [...]

I. SIGNIFICATION PERMANENTEDE L'ENSEIGNEMENT CLASSIQUE

Traditionnellement, l'enseignement classique offre à l'adolescentl'opportunité d'acquérir une culture générale. Entendons par làune compréhension fondamentale du monde où va entrer l'adoles-cent, avec un entraînement à y assumer ses responsabilités person-nelles. Car l'enfant n'a pas cette compréhension ni cet entraînementde façon innée, et l'adolescent devient tout juste susceptible de lesacquérir. C'est pourquoi l'enseignement secondaire a toujours étéconsidéré comme l'enseignement propre à l'adolescence. Son ob-jectif se définit donc nettement en fonction de deux pôles : l'huma-nité, où l'adolescent va découvrir son idéal de vie humaine; etl'adolescent lui-même, qui doit se mettre en mesure de vivre psonnellement cet idéal.

Présentation de l'humanité à l'adolescent

Du point de vue de la civilisation, la continuité dans le progrès estessentielle. On ne se substitue pas au passé; on s'y ajoute. De làdécoule la nécessité de mettre l'adolescent en contact approfondiavec les sources de la civilisation dans laquelle il vit.

Les humanités, chez nous, ont d'abord été gréco-latines. Notrecivilisation occidentale origine en effet avec la civilisation grecque,s'enrichit de l'immense apport de la civilisation romaine et ac-quiert, tout au long du moyen âge, son troisième élément capitalque sont la pensée et la vie chrétiennes.

Mais nos humanités doivent aussi tenir compte des formes depensée et de vie héritées des temps modernes, car notre civilisationa atteint sa taille actuelle à travers la renaissance et la période

Page 175: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

i/6 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

classique et elle est nécessairement marquée par le rationalisme etle réalisme scientifique contemporains.

Il s'agit donc là d'une formation humaine qui s'efforce de re-joindre à travers les textes, par les langues et les cadres de penséepropres à chaque époque, la signification des mouvements majeursde notre civilisation.

L'enseignement humaniste plonge donc l'adolescent dans lepassé de l'humanité. Non pas par parti pris d'irréalisme, mais aucontraire, par souci de plus grande objectivité. On ne forme pasun homme à juger son action en le plongeant immédiatementdans un présent où la force de l'impression remplace aisément lavaleur objective des choses. Il faut prendre du recul pour com-prendre la vie et accepter de faire siens les idéaux qui la rendenthumaine.

Pareille étude objective est indispensable au triage des valeursqui se bousculent dans le monde contemporain. Ce n'est pas, eneffet, par routine ou pour simplifier les problèmes que la forma-tion des collèges classiques rejette, en majeure partie, le système del'« option ». L'adolescent doit s'intégrer dans un univers déjà donné,dans un mouvement déterminé à la fois par ses rapports à l'Absoluet par des choix historiques, où il ne peut pas être question dedécouper arbitrairement, selon ses goûts. C'est dans la confronta-tion, à la lumière des grands textes de la Révélation, des penséeshumaines aux prises avec la vie, qu'il reconnaîtra les valeurs authen-tiques et celles qui ne le sont pas, qu'il se mettra en mesure dejuger son monde et de s'y diriger lui-même.

3. ACTUALITÉ ET URGENCE DE LA FORMATION CLASSIQUE

À la valeur permanente des humanités, les circonstances actuellesde notre évolution ajoutent une signification nouvelle. Le progrèsmatériel, l'expansion de l'activité industrielle et économique, l'in-fluence croissante de modes de vie étrangers, sont autant de fac-teurs qui influencent fortement notre civilisation. Sans qu'on yprenne suffisamment garde, une sorte de révolution est à s'opérerchez nous; elle suscite des problèmes sociaux, économiques, spi-rituels ; elle remet en question les bases mêmes sur lesquelles s'estédifiée la société canadienne. Il importe au plus haut point dedistinguer ce qui doit être intégré et ce qui doit être rejeté. Le choix

[...]

Page 176: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 177

se fera par ceux qui dirigent la nation, non seulement sur le planpolitique, mais dans toutes les sphères d'activités.

Or une véritable intégration implique une hiérarchisation desvaleurs. Autrement, il ne saurait y avoir que superposition d'élé-ments inassimilables, bientôt corrosifs pour une culture. Dégagerces valeurs et en faciliter la juste appréciation par l'adolescentconstituent précisément la fonction essentielle d'une éducationhumaniste.

Celle-ci a pour but de former des hommes capables de dirigerles enthousiasmes collectifs, fût-ce en les contredisant. Elle plongel'adolescent dans les origines mêmes de la civilisation à laquelle ilappartient et elle lui en révèle les lignes de force, pour lui per-mettre de se situer lui-même, de juger et de canaliser les empor-tements instinctifs populaires, de prévoir les aboutissements desagirs communs au delà des perspectives immédiates. On ne peutabandonner à l'instinct la mise en œuvre des conditions d'uneconduite démocratique féconde, pas plus d'ailleurs que le juge-ment d'un nouveau médium d'information ou l'adaptation hu-maine de l'urbanisme, de l'organisation sociale, des loisirs, de lacompétence professionnelle, etc.

Tous les éducateurs au contact de l'adolescent canadien ressen-tent cet aspect urgent du problème qu'est la résistance aux élansinstinctifs. On croirait que le déséquilibre nerveux est devenu unevertu. Tous les moyens d'expression au service de la récréationcommercialisée tendent à exalter la passion, la violence, les émo-tions de plus en plus fortes. Le premier traitement ne doit-il pas êtrele retour à une vue plus équilibrée de la conduite humaine? Ausurplus, non seulement la formation humaniste assure des principesde direction, mais elle fournit le climat convenable à la conservationdes attitudes vraiment humaines dans une phase critique.

Un troisième facteur de l'urgence des humanités est le besoind'unité culturelle dont nous traiterons plus en détail au prochainchapitre. Le morcellement des classes sociales, l'isolement inter-professionnel, la spécialisation facilement trop hâtive, sont autantd'obstacles à la communion des esprits. Or, une culture acquisepar une forme d'éducation commune — lorsque ce ne peut être àune institution commune — apparaît comme le meilleur facteurd'unification d'une nation.

La formation humaniste semble être la plus propre, enfin, àenrayer l'abaissement du sens religieux de notre peuple et le

Page 177: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

178 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

fléchissement des valeurs culturelles canadiennes-françaises. En re-plaçant la foi et la vie chrétienne dans une vision cohérente dumonde et en unifiant la vie humaine au delà des domaines stric-tement techniques, la formation classique favorise le plus possiblel'accord entre les divers domaines d'activité du chrétien cultivé.Par le rattachement de la culture canadienne-française à ses sour-ces gréco-romaines et catholiques, elle lui assure un renouvelle-ment sans lequel elle ne pourrait probablement plus fournir sonapport à la physionomi adienne complète.

4. HUMANITÉS ANCIENNES, HUMANITÉS MODERNES

S'il nous faut aujourd'hui, pour répondre aux besoins d'unepopulation scolaire adolescente plus nombreuse et plus diverse,multiplier les formes de notre enseignement humaniste, cette diver-sification ne doit pas se faire en substituant, sans plus, un ensem-ble de connaissances à un autre, comme si l'on manipulait despièces interchangeables. Dans n'importe quel genre de cours qui seveut humaniste, les études continueront de porter sur tous et cha-cun des aspects multiples de notre civilisation, littéraire et scienti-fique, économique et social, politique et religieux. Nos dirigeantsdans tous les domaines ont précisément besoin de comprendredans sa totalité le monde et la vie où ils exerceront leurs respon-sabilités.

La structure d'un cours n'exclut d'ailleurs pas qu'une certainedifférenciation s'établisse progressivement et qu'un élève laissepressentir déjà la détermination éventuelle de ses intérêts dans undomaine intellectuel plutôt que dans tel autre. Mais la spécialisa-tion des connaissances ne devrait faire son apparition dans noscollèges classiques que discrètement et vers la fin de l'adolescence,plutôt pour amorcer et définir une orientation que pour prépareraux études universitaires.

Ainsi différentes formes d'humanités peuvent-elles avoir uneaction véritablement culturell dans notre milieu: non pas enmasquant une spécialisation hâtive, ais en mettant à la portéed'un plus grand nombre d'adolescents une compréhension de lavie humaine dont les éducateurs sentent de plus en plus l'urgentenécessité. Nous n'entendons pas déloger par là les humanités gréco-latines traditionnelles, qui gardent un rôle de première importance.

[...]

Page 178: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 179

La survie et le progrès de notre culture exigent qu'une partie nonnégligeable de notre nation conserve le souci et le goût de retrou-ver, à la source même, dans son texte original, et mieux qu'elle n'yparvient maintenant, l'héritage humain que nous tenons de la Grèce,de Rome et du moyen âge chrétien, sans pour autant mépriserceux qui s'appliquent davantage à d'autres disciplines culturelles.

De cette façon, l'enseignement humaniste nous apparaît sus-ceptible d'adaptation aux besoins nouveaux, sans toutefois perdrede vue la primauté nécessaire, pendant l'adolescence, de la culturesur la spécialisation.

RÔLE SOCIOLOGIQUE DU COLLÈGE

L'histoire des collèges classiques de la province de Québec et lestendances de leur évolution contemporaine — qu'on les envisagedans une perspective académique ou sous un angle social — met-tent en évidence une considération de haute importance: dans lavie de notre société, cette institution du « collège classique » a jouéet joue encore un rôle sociologique qui ne peut se réduire à l'in-fluence des disciplines (humanités gréco-latines) qu'elle dispense.

Nos élites professionnelles portent en effet la marque de l'ins-titution qui les a formées autant que celle des programmes qu'ellesy ont étudiés. Si le fait d'avoir poursuivi des études gréco-latinesa laissé une empreinte profonde sur toutes nos classes profession-nelles, le fait d'avoir étudié dans un collège classique a nettementinfluencé l'évolution des niveaux supérieurs du milieu canadien-français.

Cette fonction sociologique n'est pas moins réelle que la fonc-tion académique, et l'on ne peut prétendre définir la place du« collège » dans la nation sans donner à cet aspect de son rayon-nement toute l'importance qui lui revient.

I. RÔLE DU COLLÈGE DANS LE PASSÉ

Éducation populaire

Dans sa constitution actuelle, le collège exerce une fonction d'édu-cation populaire dont chaque région ressent les bienfaits. Ses pro-fesseurs prennent une part considérable dans l'évolution culturellede leur milieu, sans mentionner le ministère sacerdotal auquel ils

[...]

Page 179: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

i8o • Autour de la commission tremblay

se consacrent périodiquement dans les cadres de l'organisationparoissiale.

Qu'ils s'occupent de direction de mouvements sociaux (campa-gnes civiques, bibliothèques municipales, organisations de loisirs,etc.) ou qu'ils assument la direction d'activités culturelles propre-ment dites (sociétés de conférences ou de concerts, mouvementsartistiques, littéraires, musicaux, etc.), ils apportent au milieu unecontribution à la mesure de leur compétence et de leur dévoue-ment. Le collège constitue un centre de résidence pour des tra-vailleurs intellectuels et sociaux de compétences variées, un réservoiroù puiser des collaborations aussi généreuses qu'éclairées, un pointde ralliement pour tous les efforts qui tendent à diffuser et àréaliser les idéals de toutes les entreprises d'éducation populaire.

Unification des élites

Outre cette contribution à l'éducation populaire, l'institution « col-lège » joue un autre rôle dont la signification profonde n'est pasmoins importante : la préparation des élites de notre société. Quelsque soient les programmes qu'on y enseigne, quelles que soient lesdonnées administratives de son action, le « collège » rapproched'une façon puissante et durable les éléments des classes dirigean-tes de nos milieux.

Dans une importante majorité de cas, les collèges sont érigés surdes bases diocésaines qui correspondent fréquemment à des sec-teurs régionaux d'économies bien distinctes. Entre leurs murs serassemblent, et pour un séjour de huit ans, des adolescents deprovenances sociales diverses. Le fils de l'artisan y côtoie le fils del'avocat, le petit paysan y vit coude à coude avec le petit citadin.Ces contacts se produisent à une période de la vie où, facilementinfluençable, l'adolescent est particulièrement sensible à l'ensei-gnement du milieu lui-même, à la leçon authentique que constitue,dans son entourage immédiat, la seule présence d'êtres humainsdifférents de lui. Constante et prolongée, cette intimité ne peutmanquer de se traduire par une meilleure connaissance mutuelle,par un enrichissement de la compréhension des différents modesde vie de notre province, par l'éveil de sympathies durables entreles différentes classes sociales qui fréquentent la même institution.

De façon analogue, il faut noter que les futurs chefs de la société

[...]

Page 180: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

civile, quelle que soit leur activité professionnelle à venir, sontégalement en contact régulier, pendant toute la durée de leursétudes secondaires, avec l'élément sacerdotal ou religieux de notresociété. Des admirations s'éveillent, des amitiés se créent, des col-laborations se nouent, qui donnent une habitude solide de la coo-pération entre clercs et laïcs. Aux conventums et aux rencontres declasses, on retrouve ses professeurs, on retrouve ses confrères de-venus prêtres. Dans l'atmosphère de prestige (et peut-être de nos-talgie...) qui entoure toujours le «collège», l'Église trouve desappuis précieux, et les professions, des directives familières.

2. L'HÉRITAGE CULTUREL DES COLLÈGES ET L'AVENIR

Depuis les débuts de leur histoire, les collèges ont donc joué unrôle de premier plan dans l'édification de notre culture populaireet, ce qui est peut-être plus encore, ont assuré à toute l'élite denotre société une profonde unité intérieure.

Or, depuis une dizaine d'années, d'autres institutions ont com-mencé d'assumer un rôle de plus en plus important dans la forma-tion d'un nombre croissant de candidats aux études universitaires.[...] Ces institutions nouvelles ne sont plus des pensionnats maisle plus souvent des externats, ce qui enlève à la profondeur de leuraction unificatrice; elles ne sont plus de signification diocésaine(donc régionale) mais surtout locale, ce qui limite les possibilitésd'échanges entre milieux ; leur personnel n'a pas la composition dupersonnel des « collèges », la représentation sacerdotale s'y trou-vant beaucoup moins prononcée; et surtout, elles ne comptentpas, elles ne peuvent compter sur la très riche tradition secondaireoù s'alimente constamment l'action pédagogique du «collège».

Dans cette situation nouvelle, quel sera le rôle futur du collègeclassique ?

Il poursuivra à l'égard d'un grand nombre de nos jeunes samission première qui consiste à dispenser une culture généraleapte à former les élites dont notre société démocratique ne peutse passer. Il continuera de fournir à l'Université une proportionimposante des effectifs qui la constituent et il alimentera dessecteurs professionnels d'autant plus divers que ses programmesincarneront l'idéal humaniste traditionnel dans des formules aca-démiques suffisamment souples. À ce titre, son rôle d'unification

[...]

Page 181: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

182 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

des élites demeurera aussi bienfaisant, aussi essentiel qu'il l'atoujours été.

Bien plus — et la responsabilité en est très lourde — il doitmettre l'immense richesse de son acquis culturel à la dispositiondes jeunes institutions qui se présentent comme collaboratrices àune œuvre commune. Il doit non seulement servir d'inspiration etde modèle, mais également continuer son rayonnement passé etl'étendre à la mesure de tous les besoins du Québec de demain.

[LE DÉVELOPPEMENT DE L'ENSEIGNEMENTSECONDAIRE ET LES COLLÈGES CLASSIQUES PRIVÉS]

Répercussions sur les collèges classiques

La transformation de la section scientifique du cours primairesupérieur en cours classique latin-sciences ne peut manquer d'avoircertaines répercussions sur les collèges classiques, qui ont été jus-qu'à maintenant les seules institutions à dispenser l'enseignementrégulier conduisant à l'immatriculation et au baccalauréat es arts.Nous en signalerons ici les principales.

Difficultés de recrutement des collèges. — Dans la situation ac-tuelle, où les frais de scolarité exigés des étudiants par les collègesreprésentent un déboursé appréciable pour les parents, on a raisonde croire que l'école publique, dont la fréquentation est pratique-ment gratuite, drainerait une proportion considérable des élèvesqui se seraient autrement inscrits à un collège. Ce résultat seraitparticulièrement marqué dans les quartiers dits ouvriers des gran-des villes, et dans tous les centres moyens ou petits, où l'action dedépeuplement serait fatalement concentrée sur l'unique collègeclassique de la localité ou de la région.

Il est vrai qu'on prévoit pour les prochaines dix ou quinzeannées un accroissement rapide du nombre des candidats au coursclassique, de sorte qu'il faudra, pour répondre à cette demande, unnombre considérable d'institutions nouvelles. Mais rien ne pour-rait empêcher la masse des candidats de se diriger vers les écolespubliques et d'exiger l'ouverture de telles écoles en nombre suffi-sant pour répondre à la demande de ce côté. Les commissionsscolaires pourraient difficilement refuser de donner pleinement suiteà cette demande et obliger ainsi une proportion quelconque des

[...]

Page 182: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 183

parents à diriger leurs enfants vers une institution qui exige lepaiement de frais appréciables.

D'autre part, on peut sans doute prévoir que le nombre desélèves dans les quatre classes supérieures du cours classique seraitappelé à s'accroître par l'apport des diplômés du cours latin-scien-ces des écoles publiques. Un tel accroissement compenserait dansune certaine mesure la régression prévue dans les quatre premièresannées. Mais cette expansion des classes supérieures comporteelle-même des inconvénients que nous signalerons plus loin. Ausurplus, on doit prévoir qu'après avoir institué les quatre premiè-res classes du cours classique, l'école publique ne tardera pas àobtenir l'autorisation de compléter le cours par l'addition des deuxclasses de belles-lettres et rhétorique, et même par celles de philo-sophie. La concurrence de l'école publique existerait alors à tousles degrés du cours classique, avec les conséquences signalées plushaut sur le recrutement des collèges.

Une telle situation proviendrait principalement — quoique pasexclusivement — de la disparité entre les conditions financièresd'accès à l'école publique et les conditions d'accès au collège. Sil'on établissait une certaine parité dans cet ordre, on pourraitprévoir, au contraire, une préférence de la population pour le collège,à cause de la tradition de culture et de discipline intellectuelle qu'ilincarne.

Rôle sociologique mis en danger. — Le drainage d'élèves que l'ouver-ture d'écoles secondaires publiques serait susceptible d'opérer dansles milieux de recrutement des collèges affecterait d'abord les grou-pes de population les moins à l'aise financièrement. Nos collègesrisqueraient alors de devenir progressivement des foyers d'éduca-tion de familles jouissant d'une certaine aisance, à l'exclusion plusou moins complète des autres. Nous n'avons pas à insister sur lesméfaits sociologiques d'une telle situation, après l'exposé que nousavons donné au chapitre iv, du rôle sociologique traditionnel ducollège dans la province de Québec. On peut même affirmer quenos collèges auraient alors grandement perdu leur raison d'êtreactuelle qui est de donner la formation classique à tous les jeunesqui en ont les aptitudes.

[...]

Page 183: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

184 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

Infériorité matérielle par rapport aux écoles publiques. — Parailleurs, les collèges classiques risqueraient de se trouver à trèsbrève échéance dans une situation d'infériorité matérielle par rap-port aux écoles publiques. Celles-ci sont financées en partie pardes impôts scolaires locaux et en partie par des fonds provinciauxqui leur sont octroyés par le gouvernement. Tout en reconnaissantque les commissions scolaires sont loin de jouir d'une situationfinancière idéale, on peut néanmoins affirmer que cette diversité defonds publics (nous n'en apprécions pas le mode de distribution,nous constatons simplement l'importance des fonds publics reçusd'une façon ou d'une autre) leur permet de dispenser l'enseigne-ment avec des moyens relativement adéquats, dans des écoles bienentretenues et suffisamment modernes ou modernisées, sans aug-menter périodiquement leurs frais de scolarité, quelque modiquesqu'ils soient. [...]

Expansion des classes supérieures. — Les observations des quel-ques pages qui précèdent visent spécialement les quatre classes dupremier degré du collège classique, puisque c'est à ce niveau quela concurrence des écoles publiques semble appelée à se produire— du moins au début. Par ailleurs, la création d'écoles secondairespubliques de quatre ans entraînerait une expansion des classessupérieures des collèges (de la belles-lettres à la deuxième année dephilosophie) à cause de l'apport des diplômés de ces écoles.

Cette expansion entraînerait une hausse du coût d'opérationdes collèges, puisque les classes supérieures sont celles qui coûtentle plus cher à divers points de vue: professeurs plus spécialisés,professeurs plus nombreux à cause du nombre plus restreint d'heu-res de cours que chacun peut donner; laboratoires suffisammentvastes et outillés pour permettre à chaque élève de faire ses propresexpériences ; bibliothèques mieux montées en qualité et en quan-tité. Il faut donc prévoir en conséquence une augmentation desdépenses courantes et capitales des collèges et le moyen de lesfinancer.

Orientation vers le «collège» de quatre ans. — L'expansion desquatre classes supérieures des collèges, en raison de l'apport desdiplômés des écoles publiques au niveau de la belles-lettres, don-nerait à ces classes une importance de plus en plus prédominantedans les collèges. Si, au surplus, les familles devaient continuer à

Page 184: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 185

supporter intégralement le paiement des frais de scolarité actuelsou des frais plus élevés dans toutes les classes du collège, alors quel'école publique offrirait à prix très modique un cours «équiva-lent » aux quatre premières années, les collèges auraient de plus enplus de difficultés à recruter des élèves pour ces années et ils s'orien-teraient progressivement vers le type de « collège » formé unique-ment des quatre classes supérieures.

Or, la valeur du collège classique, dans la province de Québec,lui provient en grande partie de ce qu'il représente un foyer cul-turel homogène pour toute la période de formation générale del'adolescent, depuis la fin de l'enseignement primaire jusqu'au seuilde l'enseignement universitaire. Le collège de sept ou huit ans estnon seulement une source d'unité de discipline intellectuelle, maisil constitue également une communauté vivante continue, dontl'action quotidienne contribue directement au développement pro-gressif du jeune homme. Dans un monde où les activités de toutessortes tendent à la dispersion de l'esprit et du cœur chez les jeunes,le collège dans sa forme traditionnelle est un instrument plus né-cessaire que jamais pour favoriser autant que possible une intégra-tion ou unification intérieure.

Le seul moyen de conserver cette forme d'institution et de pré-venir l'orientation vers le collège de quatre ans de la façon exposéeplus haut n'est-il pas, ici encore, d'aider les familles à payer lesfrais de scolarité du collège ?

3. L'AVENIR

L'ouverture d'écoles secondaires publiquespar les commissions scolaires

Les dangers d'un enseignement secondaire public, tels que nousvenons de les exposer, tiennent tous à ce qu'un état de concur-rence, plutôt qu'un état de coordination,, risquerait d'exister entrele nouvel enseignement public et l'enseignement privé actuel. C'estpourquoi la Fédération des Collèges Classiques estime que l'ensei-gnement secondaire public ne devrait être instauré, pour les gar-çons de langue française dans la province, qu'en assurant aupréalable une coordination efficace de cet enseignement avec leréseau actuel d'institutions d'enseignement classique.

[...]

Page 185: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

i86 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

Les conditions d'une telle coordination sont de deux ordres —financier et académique — et nous apparaissent en conséquencesous deux formes complémentaires l'une de l'autre: la «paritéfinancière » et la « parité académique ».

Parité financière. — [...] si l'on veut assurer la co-existence, àtravers la province entière, d'écoles secondaires publiques et decollèges classiques privés, et non pas simplement provoquer undéplacement de la masse étudiante des collèges vers les écolespubliques — avec les nombreuses conséquences que nous avonsexposées sous le titre de « répercussions sur les collèges classi-ques » — on doit d'abord assurer une certaine parité financièreentre les deux systèmes — parité (relative) des conditions financiè-res d'accès à l'un et à l'autre, et parité (également relative) desavantages financiers consentis par l'État aux institutions concer-nées. En d'autres termes, on doit prendre les moyens pour que lafréquentation d'un collège par un enfant ne coûte pas sensiblementplus cher aux parents que la fréquentation d'une école secondairepublique, et pour que les collèges classiques disposent, d'une façongénérale, de moyens financiers comparables à ceux des écolespubliques.

Ceci ne signifie pas que l'État doive pourvoir entièrement aufinancement de l'enseignement classique privé — ce qui seraitpratiquement une contradiction. Mais ceci signifie qu'une partconsidérable de ce que coûterait aux fonds publics (provinciauxou locaux) un étudiant inscrit à l'école secondaire publique puisseêtre canalisée vers le collège classique au cas où l'étudiant s'yinscrit de préférence à l'école publique. [...]

Parité académique. — [...] L'état précis des sections ou externatsclassiques en général dans la province peut ne pas toujours répon-dre complètement à l'idéal visé. Nous avons signalé, dans la pre-mière partie de ce chapitre, les difficultés éprouvées en plusieursendroits relativement au choix des locaux et au recrutement desprofesseurs. Mais, comme jugement d'ensemble, on doit reconnaî-tre que ces externats se sont intégrés progressivement dans le sys-tème d'enseignement classique dont les collèges et petits séminairesconstituent le noyau.

Certes, une telle intégration ou coordination n'est pas de néces-sité absolue. Dès que la parité financière existerait, on pourrait

Page 186: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 187

concevoir, à un même niveau, des institutions offrant des forma-tions et des cours différents. La parité financière assurerait alorsdans une mesure raisonnable la liberté des parents de choisir entreles institutions et, par conséquent, entre les cours d'études. Maissi l'on veut faire participer les écoles secondaires publiques d'aussiprès que possible à l'héritage culturel des collèges et si l'on veutassurer aux adolescents, que les circonstances conduisent à l'écolepublique, une éducation qui se rapproche autant que possible del'éducation propre aux collèges, on doit établir la parité d'ordreacadémique la plus complète possible entre les divers types d'ins-titutions. Cette parité est d'autant plus nécessaire qu'on vise àcoordonner les nouvelles écoles avec les collèges pour permettre lepassage des unes aux autres.

Or une telle parité ne peut être mieux assurée, semble-t-il, qu'enétablissant, entre l'école naissante, d'une part, et, d'autre part, uncollège ou la faculté des Arts d'une université (au choix de lacommission scolaire), une relation comme celle qui a uni les sec-tions classiques du diocèse de Chicoutimi au séminaire régional.En pratique, les modalités de cette relation pourraient être établiesau moyen d'une « entente ». Le contrôle que l'institution mèreserait ainsi appelée à exercer serait beaucoup plus immédiat (dumoins pour un certain nombre d'années) que le contrôle actuelle-ment exercé par les facultés des Arts sur les collèges classiques.L'expérience démontre toutefois que ce contrôle peut prendre laforme d'une collaboration véritable autant que d'un exercice d'auto-rité au sens strict.

Ainsi les écoles secondaires publiques, organisées par les com-missions scolaires locales et dépendant du Département de l'Ins-truction publique au point de vue administratif, seraient soumises,sur le plan académique, à la seule autorité des universités, soitdirectement, soit par l'intermédiaire d'un collège.

[NÉCESSITÉ ET VERTUS DES COLLÈGES CLASSIQUES]

L'aperçu historique que nous avons donné au chapitre premier apermis de mettre en lumière le caractère d'entreprise privée, paropposition à entreprise d'État, que l'enseignement classique a tou-jours conservé dans notre province. Depuis la fondation du pre-mier collège, en 1635, la responsabilité de fonder, d'organiser et

[...]

Page 187: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

i88 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

d'administrer des institutions d'enseignement classique n'a étéexercée que par des individus ou des groupes d'individus. L'État afourni, sur demande, les cadres juridiques et certains pouvoirsspéciaux, comme il le fait, à l'occasion, pour n'importe quel genred'entreprise privée. Il lui a également accordé, surtout depuis unetrentaine d'années, un certain appui financier sous forme de sub-ventions. Mais jamais il n'a participé plus activement ou plusdirectement à l'enseignement classique.

Cette situation s'est maintenue jusqu'à nos jours comme allantde soi, sans qu'on ait eu l'occasion, semble-t-il, de mettre en douteson fondement. Mais voilà que deux développements dans l'orga-nisation de l'enseignement classique posent aujourd'hui le pro-blème en termes concrets.

Tout d'abord, l'étendue de l'aide financiè que l'Etat sera ap-pelé à donner à l'enseignement classique, pour répondre aux be-soins que nous avons exposés, soulève la question du rôle de l'Étatdans cet enseignement. En deuxième lieu, l'instauration de l'ensei-gnement classique dans les écoles des commissions scolaires [...]peut paraître, au premier abord, comme le début d'une évolution,entièrement à l'avantage de notre jeunesse, vers un enseignementclassique public de plus en plus généralisé et un enseignement privéde plus en plus limité à des groupes particuliers de notre population.

Dans cette perspective, un examen de la véritable significationdu caractère privé des collèges classiques revêt une importanceparticulière comme fondement des types de solutions que nousserons appelés à proposer pour résoudre les problèmes financiersde l'enseignement classique.

Signification culturelle de l'enseignement classique privé

Nous avons déjà défini la culture ou formation générale, que l'en-seignement classique a pour but de faire acquérir, comme étant lacompréhension fondamentale du monde où va entrer l'adolescent,avec un entraînement à y assumer ses responsabilités personnelles.On peut dès lors saisir aisément le rôle de l'élément liberté dansl'enseignement classique.

Si l'on visait à former toutes nos élites de demain — auxquelless'adresse l'enseignement classique — à un même moule, selon unidéal de vie strictement uniforme, on n'aurait qu'à centraliser aussipleinement que possible le contrôle de l'enseignement et à restrein-

Page 188: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 189

dre dans la même mesure la liberté et l'initiative des maîtres. Ceux-ci n'auraient qu'à suivre, jour par jour, les détails d'un programme ;qu'à utiliser exclusivement les manuels et le matériel didactiqueimposés ; qu'à se conformer à des méthodes pédagogiques détermi-nées.

Si, au contraire, l'on vise à éveiller l'adolescent à une vie intel-lectuelle personnelle, tout autant qu'à l'intégrer dans la société etdans le monde, on favorisera, à l'intérieur de certains cadres et decertaines normes, la libre action des maîtres choisis par l'adoles-cent ou ses parents. Une action culturelle efficace exige en effet dela part des maîtres une adaptation constante de l'enseignement augroupe d'élèves dont ils ont la charge et au développement pro-gressif de ces élèves par l'insistance sur certaines parties du pro-gramme plutôt que sur d'autres, par la présentation de la matièresous un aspect personnel au maître, par l'utilisation de moyenspédagogiques ou didactiques nouveaux.

Elle exige également de la part des maîtres un désir d'améliora-tion de leur enseignement, qui doit pouvoir se manifester par desessais et des expérimentations. Un certain esprit d'initiative, voiremême d'aventure et d'audace, est éminemment compatible avec laresponsabilité d'éducateur, particulièrement dans notre province,où l'on a trop souvent tendance à demeurer sur des positionsacquises. Au surplus, un maître chrétien doit être libre de pénétrerson enseignement d'esprit théologique et de présenter à ses élèvesaussi complètement qu'il le peut sa conception de l'idéal de vie quela formation classique a pour objet de leur faire découvrir.

Or, dans l'ensemble, les institutions privées semblent plus aptesque les écoles d'État, ou que tout autre système d'écoles sous unedirection centralisée, à laisser aux professeurs la liberté d'actiondésirable à cette fin. Il est vrai que la liberté de nos collèges clas-siques sur le plan académique est limitée par les conditions de leuraffiliation aux universités. Mais en pratique, néanmoins, les pro-grammes d'études imposés aux collèges laissent une latitude con-sidérable d'application. D'ailleurs, les conditions actuelles del'affiliation ne sont pas immuables et pourraient être modifiées defaçon à laisser une plus grande liberté d'action aux collèges, si l'onescomptait d'un tel changement une plus grande émulation entreles collèges et une amélioration de l'enseignement.

Au surplus, les professeurs d'une institution privée sont asso-ciés, dans une même maison, plus librement que ne le sont les

Page 189: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

190 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

professeurs d'une école publique. L'institution privée est ainsi pluslibre de conserver une certaine unité de conception pédagogiqueau sein de son personnel et de développer un esprit d'équipe quifavorise les échanges d'expériences et le travail en commun. Sousla direction d'un préfet d'études pour la maison, les professeurspeuvent et ils sont même appelés à s'arrêter sur les problèmes etsur l'orientation de leur enseignement

Les écoles d'État

Les écoles d'État, par contre, ne peuvent en général jouir d'unetelle liberté de mouvement. Elles sont soumises à un certain diri-gisme de renseignement, quand ce n'est pas aux conceptions per-sonnelles des dirigeants.

On connaît, chez nous, certaines écoles d'État spécialisées, dontle directeur est l'âme véritable. L'organisation de l'enseignement, ycompris les programmes, les méthodes pédagogiques, les examens,le choix des professeurs, y relève du directeur, qui jouit à cette find'une liberté presque complète. Cette situation n'est toutefoispossible que dans les cas d'écoles qui sont seules en leur genre. Dèsque plusieurs écoles d'un même genre sont constituées, elles sontsoumises à une direction centralisée qui tombe rapidement dans ledirigisme. Au surplus, même dans le cas d'écoles spécialisées uni-ques, la liberté d'action du directeur est restreinte par l'approba-tion de l'autorité politique compétente — généralement celle d'unministre — à laquelle chaque initiative est soumise, particulière-ment si elle implique une dépense d'argent.

On doit souligner, par ailleurs, qu'un contrôle centralisé offrebeaucoup moins d'inconvénients sur le plan de l'enseignementspécialisé que sur le plan de l'enseignement classique, puisqu'il nes'agit pas pour l'adolescent de prendre possession de lui-même,comme homme, et de s'intégrer dans une conception générale dumonde, mais plus ou moins exclusivement d'acquérir des connais-sances d'ordre technique. Le rôle du professeur y consiste plus àcommuniquer des connaissances qu'à pénétrer la personnalité del'élève. L'enseignement ne demande pas une adaptation aussi cons-tante du professeur à l'élève.

Page 190: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 191

Écoles des commissions scolaires

Les écoles des commissions scolaires, dans la province de Québec,ne sont pas strictement des écoles d'État. Elles représentent plutôtun compromis entre le contrôle absolu de l'État et l'initiative pri-vée.

Les commi ions scolaires sont dépourvues, néanmoins, de touspouvoirs académiques. Ceux-ci sont complètement centralisés en-tre les mains des officiers et des organes du Département et duConseil de l'Instruction publique pour la province. Le détail desprogrammes, l'horaire des matières, la répartition du programmede chaque matière le long de l'année, l'approbation des manuelsscolaires, la direction des études, l'inspection et la visite des écoles,les examens annuels et même parfois des examens plus fréquentssont autant d'aspects de l'enseignement, dans les écoles des com-missions scolaires, qui relèvent d'un contrôle centralisé.

Ce système s'est avéré utile pour généraliser une instruction debase à travers la province. Mais lorsqu'on s'apprête à l'étendre àun enseignement culturel, on peut mettre en doute son aptitude àremplir cette nouvelle responsabilité aussi adéquatement que desinstitutions privées. Les professeurs, surtout s'ils sont choisis avecsoin, ne seront évidemment pas de purs automates, de sorte queleur enseignement ne sera pas dépourvu de toute action culturelle.Mais les conditions dans lesquelles ils sont appelés à enseignerconstituent des entraves sérieuses à leur liberté d'action et undésavantage considérable par rapport aux professeurs qui sontdans l'enseignement privé.

L'enseignement privé au service du bien commun

Si l'enseignement privé est ainsi plus apte que l'enseignement pu-blic à donner la formation culturelle qu'on attend de l'enseigne-ment classique, on ne peut douter qu'il serve le bien commun.Loin d'apparaître comme un enseignement préoccupé du bienparticulier d'individus qui vivraient en marge de la communauté,il prépare les hommes qui seront appelés à prendre la tête dans lesdiverses sphères de la société et à travailler ainsi directement aubien commun. Son caractère privé qualifie donc uniquement son

[...]

[...]

Page 191: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

192 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

mode d'organisation, sans modifier le caractère public, si l'on peutdire, de la fin qu'il poursuit.

Liberté des parents mieux assurée

L'enseignement classique privé sert d'autant plus le bien communqu'il favorise l'exercice du droit des parents de donner à leursenfants l'éducation de leur choix. L'école publique est générale-ment organisée sur le plan strictement local, de sorte que les pa-rents n'ont pas la faculté d'envoyer leurs enfants à une autre écoleque celle de leur localité. L'enseignement privé, au contraire, sedonne dans une multitude d'institutions aux caractéristiques va-riées, parmi lesquelles les parents peuvent choisir librement.

Rôle de l'Etat envers l'enseignement privé

L'État, qui a pour mission de promouvoir le bien commun, favo-risera donc l'enseignement classique privé qui est tout orienté versce but. Il le favorisera d'abord en créant des conditions favorablesnon seulement au développement mais également à la multiplica-tion des foyers d'enseignement selon les besoins de la population.

Il va de soi que des institutions d'enseignement basées sur l'ini-tiative privée doivent d'abord compter sur des sources de revenusprivées. [...] Mais l'État, qui contrôle à un haut degré la vie éco-nomique du pays et qui perçoit en impôts une proportion consi-dérable des revenus et des fortunes, doit créer des conditions quirendent possible et même qui favorisent un apport appréciable definance privée aux collèges.

Dans la mesure où l'apport de la finance privée ainsi encouragédemeure insuffisant, le bien commun exige que l'État y supplée lui-même par son propre appui financier. Mais il doit le faire sous lesformes et les modalités qui sont les plus aptes à sauvegarder laliberté par laquelle, précisément, les institutions privées serventspécialement le bien commun. Autrement, il poserait des entravesà la fin même que son appui financier a pour objet de favoriser.

Enfin, en plus de pourvoir ainsi au développement et à lamultiplication des foyers de formation humaniste à travers la pro-vince, l'État doit en faciliter l'accès à tous les jeunes qui en ont lesaptitudes, indépendamment des conditions de fortune de chacun.L'enseignement qui est de nature à servir le plus adéquatement le

Page 192: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 193

bien commun ne doit pas être l'apanage de groupes privilégiés,alors que les enseignements les plus divers sont mis à la portée detoute notre jeunesse. Mais, ici également, l'État doit-il remplircette responsabilité de façon à sauvegarder l'autonomie des insti-tutions.

Ce n'est qu'après avoir épuisé ces divers moyens de promouvoirl'enseignement classique sur une base privée que l'État organiseraet administrera lui-même un tel enseignement ou en favoriseral'organisation et l'administration par des corporations de droitpublic.

[REVENDICATIONSDES COLLÈGES CLASSIQUES PRIVÉS]

Pour jouer aussi pleinement que possible leur rôle de foyers cultu-rels, les collèges classiques doivent disposer de sources de revenussuffisamment diversifiées. Leur dépendance trop exclusive d'uneseule source est de nature à entraver sérieusement leur action.

La diversité des revenus est en effet la meilleure garantie destabilité financière. La situation d'un collège ne diffère pas, à cepoint de vue, de la situation de tout individu prudent qui répartitses placements dans des valeurs non seulement distinctes, maisaussi de nature diverse, afin que ces revenus ne soient pas à lamerci d'une fluctuation économique localisée à tel où tel type devaleurs.

Dans le cas des collèges, leur dépendance trop exclusive desfrais de scolarité et de pension, par exemple, rend leur budget tropsensible aux fluctuations du nombre d'étudiants. [...]

NOUS PROPOSONS EN CONSÉQUENCE:

Qu'une allocation d'études post-élémentaires soit accordée par legouvernement de la province aux parents de tout étudiantqui poursuit des études de formation générale au delà de laseptième année après en avoir subi avec succès les examensd'aptitude;

Que, dans les circonstances actuelles, cette allocation soit de l'or-dre de 100$ par année, et qu'elle soit révisée périodiquement.

[...]

Page 193: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

194 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

Que l'accès du collège-pensionnat soit facilité par l'instaurationd'allocations spéciales du gouvernement de la province, sup-plémentaires aux allocations d'études post-élémentaires pro-posées plus haut, à tous les étudiants pensionnaires;

Que, dans les circonstances actuelles, ces allocations supplémen-taires soient de l'ordre de $100 par année par étudiant.

Que le gouvernement de la province contribue un montant fixe autraitement annuel de chaque professeur laïque enseignant oc-cupant une fonction académique dans un collège;

Que, dans les circonstances actuelles, cette contribution soit de3000$ par année.

Que tout collège classique reçoive annuellement du gouvernementde la province une subvention générale calculée selon le nom-bre d'étudiants qui fréquentent l'institution;

Que, dans les circonstances actuelles, la subvention soit de l'ordrede 75$ par étudiant.

Que la subvention actuelle de 15 000$ par année à chaque collègeclassique soit maintenue et payée comme subvention de base,en plus de toute autre subvention proposée dans le présentchapitre;

Que la subvention de base soit payée en entier aux collèges clas-siques en formation, dès leur reconnaissance comme institu-tion affiliée ou en état de probation en vue de leur affiliationà une université de la province;

Que la Loi des subventions aux collèges classiques soit mise à jour.

Que le gouvernement de la province favorise et facilite l'achat, laconstruction, l'agrandissement et l'amélioration des immeu-bles nécessaires à l'enseignement classique, en multipliant lessubventions spéciales aux collèges à cette fin.

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

Page 194: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 195

Que le gouvernement de la province établisse un prêt aux institu-tions d'enseignement, remboursable à long terme et portantintérêt à un taux modique, pour le financement des achats,constructions, agrandissements et améliorations d'immeubles;

Que le prêt proposé puisse servir à la réorganisation des dettesactuelles des collèges.

Source : L'organisation et les besoins de l'enseignement classique dans le Québec,Mémoire de la Fédération des collèges classiques à la Commission royale d'en-quête sur les problèmes constitutionnels, Montréal, Fides, 1954, p. 34-47, 78-84,86-87, 224-231, 254, 255, 2.59, 262-265.

Page 195: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

25 llèges classiques de jeunes fillesSur l'accessibilité des jeunes fillesaux études supérieures22 juin 1954

Sans nécessairement se dissocier de la Fédération des collèges classiques, lesdirigeantes des collèges classiques de jeunes filles choisissent de présenterleur propre mémoire. Réclamant les avantages éventuellement consentis auxcollèges de garçons et à leurs élèves, les dirigeantes des collèges fémininsformulent un vigoureux plaidoyer en faveur de l'éducation secondaire et mêmeuniversitaire des jeunes femmes. Ce mémoire légitime pleinement le travail dela femme, notamment dans les professions traditionnellement réservées auxhommes, dénonce comme préjudiciable non seulement aux femmes mais à lasociété entière le refus d'éduquer pleinement les femmes et, dénonçant une«psychologie féminine plus ou moins arbitraire», affirme que les femmes sonttout aussi aptes à profiter du cours classique et à atteindre la maturité intellec-tuelle, notamment grâce aux études universitaires, que les hommes. Discrètement et poliment, les dirigeantes des collèges classiques féminins tiennent undiscours que reprendront les femmes des générations ultérieures, et ce, à uneépoque où la femme mariée est encore privée au Québec de la pleine person-nalité juridique.

Signification de cet enseignement

1. — Le premier collège a été fo dé à Montréal en 1908 et ledeuxième à Québec en 1925. Il xiste aujourd'hui 15 collèges quiont conduit au baccalauréat es ts 192,7 étudiantes, dont environ1500 sont des laïques.

2. — L'enseignement classique a pour fonction propre d'apprendreà penser. Il est donc destiné aux jeunes filles autant qu'aux gar-çons.

3. — Les collèges, créés et maintenus par les communautés ensei-gnantes, sont nés des besoins du milieu, à la demande des élèves,des parents et parfois, de l'évêque local.

Page 196: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Collèges de jeunes filles • 197

4. — Le cours classique n'éloigne pas la jeune fille du mariage. Surprès de 1500 bachelières laïques, 676 sont mariées, et un grandnombre de celles qui viennent de terminer leurs études le serontaussi.

j. — La formation humaniste donnée par le cours classique est, aucontraire, un facteur favorable à la solidité du foyer.

6. — II est injuste de priver la femme de son droit au travail et l'onne peut pas décider, a priori, quelles sont les professions qui con-viennent à la femme ou ne lui conviennent pas.

7. — Le côté féminin d'une profession ne réside pas dans la pos-sibilité d'exercer un certain instinct maternel, mais surtout dans unaspect du réel qui, sans la présence de la femme, demeureraitinexploité.

8. — 337 bachelières laïques, dont 32. sont mariées, exercent desprofessions. On en compte 35 en service social, 63 dans l'enseigne-ment, 45 dans les bureaux d'affaires, 2,8 en médecine et 19 endroit.

9. — Chez nous, on décourage l'accès des femmes à la médecine,tandis que cette profession, peut-être plus que les autres, a besoinde femmes. Avec le résultat qu'un grand nombre de jeunes fillesayant une vocation médicale deviennent infirmières.

10. — La société et la famille ont besoin de femmes qui ont reçula formation classique. Non pas que cette formation soit néces-saire pour être mère, pour travailler ou pour servir. Cette nécessitése situe au plan de la communauté national

Problèmes financiers

11. — Les budgets des collèges sont sensiblement inférieurs auxexigences de la pédagogie moderne et de la mission culturelle quiincombe aux collèges. Seule, la générosité des communautés reli-gieuses permet aux collèges de faire face à leurs dépenses. L'aidefinancière des communautés compte [pour] 2,3 % ou 3 5 % desrevenus.

12. — Les collèges pour jeunes filles ne reçoivent pas d'octroi annueldu gouvernement provincial, comme c'est le cas pour les collègesde garçons. Ceux-ci touchent en ce moment 15 000$ par an.

Page 197: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

198 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

13.— Les collèges doivent aussi envisager à brève échéance desdépenses d'ordre capital (agrandissements, constructions nouvel-les, etc.). Mais ce problème restera insoluble, pour le moment, àmoins que le gouvernement provincial ne fournisse les fonds né-cessaires.

14. — II appartient au public et au monde des affaires d'aiderlibrement des institutions privées telles que les collèges.

15. — Les collèges ont aussi besoin d'une aide financière relativeà la formation des professeurs religieuses. Cette formation coûteau minimum 7000 $ à la communauté.

16. — Les collèges souhaitent retenir les services de professeurslaïques dont la présence enrichit l'enseignement.

RECOMMANDATIONS

a) concernant les étudiants

17. — Allocation annuelle de 100 $, du gouvernement provincial,aux parents de tout enfant qui poursuit des études de formationgénérale après la septième année du cours primaire.

18. — Allocation supplémentaire de 100 $ aux parents de toutélève pensionnaire.

19. — Allégement des impôts aux parents qui ont des enfants auxétudes.

b) concernant les professeurs laïques

20. — Contribution fixe de 3000$ par an, par le gouvernementprovincial, au traitement de chaque professeur laïque.

c) concernant les institutions

21.— Octroi annuel de 15 000$ semblable à celui dont bénéfi-cient les collèges de garçons.

22. — Octroi supplémentaire de 75$ par élève.

23. — Octrois similaires à ceux des collèges de garçons pour lesdépenses d'ordre capital.

Page 198: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Collèges de jeunes Filles • 199

24.— Instauration, pour les mêmes fins, d'un système de prêtprovincial, à longue échéance et à faible intérêt.

25. — Assistance spéciale envers le projet d'expansion de l'InstitutPédagogique de Montréal.

2.6. — Assistance spéciale pour l'organisation des laboratoires, desbibliothèques, etc.

LA EMME ET LES PROFESSIONS

Dans le mémoire que les collèges classiques pour jeunes filles ontprésenté cet après-midi à la Commission Tremblay, on relève lepassage suivant:

Nous n'avons pas à nous demander si la femme doit ou nontravailler. Le travail féminin est un fait. Il est même un droit.

Il y a une injustice à priver la femme de son droit au travail,comme il y a une injustice sociale à forcer la mère à travailler àl'extérieur comme ouvrière et à des travaux très longs et très pé-nibles. Il y a une injustice à empêcher la femme d'exercer uneprofession, de ne lui permettre que les travaux qui exigent le moinsd'études, qui sont le moins rémunérés et qui commandent le moinsd'influence. Non seulement il y a une injustice pour la femme,mais la société est aussi privée d'un apport positif, important etoriginal.

Professions féminines ?

Quant à savoir s'il y a des professions qui conviennent à la femmeet d'autres qui ne lui conviennent pas, seule la femme, croyons-nous, peut en décider. Tout partage a priori des professions enféminines et non féminines, pour permettre l'accès des unes etinterdire celui des autres, serait à la fois arbitraire et injurieuxpour la femme, que l'on présumerait ainsi incapable de décider deson sort.

Les professions que l'on considère comme féminines sont recon-nues telles à cause de la coutume ou de raisons économiques —celles-ci étant, très souvent, à l'origine de la première. Pour mon-trer qu'une profession est féminine, on s'efforce de prouver qu'ellea un lien avec l'enfant, avec la famille, avec la condition de la

Page 199: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

2oo • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

femme. Et l'on y réussit assez bien, car toute la culture peut serattacher à la formation de l'homme, et par conséquent se ramenerà l'éducation, à la famille.

Ce qui est étrange, c'est que l'on ne pousse pas le raisonnementjusqu'au bout. À partir de ce principe, en effet, on devrait facile-ment concevoir la femme architecte, dentiste, ingénieur, puisqu'ils'agit de la maison, de la santé, de la cité.

En somme on ne reconnaît comme féminines que les professionsoù la femme a déjà pris place. Et cela se comprend aussi. Cesprofessions conviennent à la femme parce que celle-ci en y péné-trant leur a apporté sa vision, y a développé des virtualités que l'onn'avait point vues avant son arrivée. C'est cette richesse que lasociété perd lorsqu'elle n'accorde pas à la femme la liberté duchoix de sa profession.

Le côté féminin d'une profession ne réside pas dans la possibi-lité d'exercer un certain instinct maternel, mais surtout dans unaspect du réel, de la culture qui, sans la présence de la femme,demeurerait inexploité.

Les professionnelles

On notait, l'an dernier, que, des 380 bachelières laïques ayantembrassé une profession, 71 étaient dans l'enseignement, 60 à desœuvres sociales ou service social, 45 dans les bureaux d'affaires,33 en médecine, Z5 en droit, 2,2, au service civil, 21 en bibliothé-conomie, 19 au service des malades, 16 dans les laboratoires, 13en pharmacie, 12, en technologie médicale, 8 en journalisme et les35 autres dans 12, professions d'une autre nature.

Dans les pays où l'accès des femmes aux professions est re-connu depuis très longtemps — Grande-Bretagne, États-Unis etPays Scandinaves — les catastrophes sociales qu'on nous préditparfois chez nous ne se sont pas produites.

Les cadres des professions n'ont pas éclaté. On a plutôt constatéque les femmes comblaient des vides dangereux et même qu'ellesne le faisaient pas encore en nombre suffisant, notamment enmédecine. Non seulement les professions n'ont pas souffert d'en-combrement, mais plusieurs de leurs membres ont été libérés debeaucoup de travaux urgents pour se consacrer à la recherche.

Page 200: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Collèges de jeunes filles • 201

Un exemple: en médecine

Chez nous, cependant, plutôt que de faciliter et d'encourager l'ac-cès de la médecine aux femmes, on admet que des infirmières, parexemple, pour un salaire nettement inférieur et peut-être à causede cela, remplacent le médecin dans les campagnes et jusque dansl'Ungava, où elles exercent très souvent, par la force des choses, lesfonctions du médecin.

La médecine, peut-être plus que toutes les autres professions, abesoin de femmes.

On objecte parfois que, sur le nombre déjà restreint de jeunesfilles qui étudient la médecine, bien peu persévèrent dans la pra-tique de leur art. Et l'on voudrait s'appuyer sur cela pour leurinterdire l'accès à cette faculté où «elles prennent la place desgarçons ». La sagesse serait cependant de ne refuser ou de n'accep-ter les aspirants médecins que d'après leurs aptitudes. Mieux vautélargir les cadres de la faculté que de refuser des étudiants promet-teurs ou d'en décourager l'accès aux femmes par le refus de bour-ses, par exemple.

Si les femmes médecins pratiquent si peu dans notre province,c'est beaucoup à cause d'un préjugé social qui interdit pratique-ment à la jeune femme de la bourgeoisie aisée de «travailler». Et,il ne faut pas se le cacher, sans aide financière d'aucune sorte,l'étude de la médecine constitue un privilège de jeune fille de classeaisée. Les jeunes filles qui ont une vocation médicale sans avoir lesmoyens d'y répondre, deviennent infirmières...

Peut-être, aussi, les jeunes filles médecins qui seraient prêtes àpratiquer ne sont-elles pas suffisamment éclairées sur les postesqu'elles pourraient remplir, alors que plusieurs femmes médecinsqui immigrent de l'étranger trouvent si facilement une occupationdans nos hôpitaux.

VALEUR DU COURS CLASSIQUE POUR LA FEMME

L'enseignement classique a pour objet principal de former la per-sonne humaine. On peut, après cela, s'étonner d'entendre soutenirque cet enseignement ne convient pas à la jeune fille.

Ce cours n'a pas été conçu pour répondre à telle tendance psy-chologique ou à telle vocation privilégiée, mais uniquement en vued'obtenir un développement maximum de cet humain qui est

Page 201: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

2O2 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

homme et femme. La seule raison qui devrait en interdire l'accèsest l'absence des aptitudes requises; mais non point le sexe oul'argent.

Ceux qui songent à un enseignement classique conçu spéciale-ment pour la jeune fille posent d'abord en principe que la femmeest différente de l'homme. Ce qui n'est pas faux tout à fait. Maisles difficultés commencent lorsqu'on en vient à préciser ces diffé-rences sur le plan de l'esprit, et à imaginer le cours secondaireféminin qui correspondrait à ces différences.

En effet, pour qu'il soit possible de concevoir un enseignementclassique féminin totalement autre que celui des garçons, il fau-drait que la femme soit d'une essence toute différente de celle del'homme, que son humanité soit un autre humain. Et comme iln'en est rien, les adversaires de l'enseignement classique féminin serabattent sur les différences accidentelles ou sur la diversité desfonctions.

Ils construisent une psychologie féminine plus ou moins arbi-traire et très subtile sur l'esprit concret de la femme, son goût ouson absence de goût pour les mathématiques, son horreur de l'abs-trait, son inclination pour la poésie et les beaux-arts. Ils conçoi-vent ensuite un programme pour répondre à ces tendances. Orc'est justement cette attitude qui est contraire à l'inspiration fon-damentale de l'enseignement classique. L'éducation libérale nedemande pas que l'on choisisse selon ses goûts et ses facilités, maisqu'on ait la capacité intellectuelle suffisante pour traverser un certainnombre de disciplines auxquelles il faut s'astreindre, car c'est deleur variété et de leur ensemble que découle l'épanouissement del'humain qui est le but de l'éducation classique.

Certains imagineront cet enseignement féminin en rapport avecla fonction maternelle et domestique. Ils composeront alors lesprogrammes et on choisira les matières pour répondre à ces fonc-tions. Ils prévoiront des cours d'hygiène mentale, de psychologiede l'enfant, de comptabilité élémentaire ; mais ils obtiendront ainsiune éducation dont l'esprit s'apparente beaucoup plus à celui del'enseignement spécialisé ou technique qu'à celui de l'enseigne-ment classique.

Par sa nature même, l'enseignement classique est donc destinéà la femme comme à l'homme et il comporte pour l'un et pourl'autre la même valeur de formation humaniste.

Page 202: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Collèges de jeunes filles • 203

Valeur pratique

La valeur du cours classique est également la même pour les jeunesfilles que pour les jeunes gens sur le plan pratique.

Ce cours prépare d'abord d'une manière éminente à la vie ensociété. En effet, il s'applique à faire connaître cette culture qui estun héritage social et que l'on partage avec ses semblables. Cetteculture commune permet à chacun de communiquer avec tous sesconcitoyens, malgré les métiers et les fonctions qui créent des grou-pes fermés sur eux-mêmes, souvent étrangers les uns aux autres.On n'a pas à démontrer que cet aspect pratique de l'enseignementclassique intéresse particulièrement la femme, qui est si intime-ment liée à la vie sociale et qui peut faire beaucoup pour y déve-lopper le sens de la communion à un idéal commun.

Le cours classique donne, de plus, accès à l'université, qui achèvela formation commencée au collège. Il est donc souhaitable quedes jeunes filles s'acheminent vers l'université. C'est là que leursera possible l'acquisition d'une pleine maturité intellectuelle.

Enfin, dans tout ce qu'elle entreprend, la jeune fille qui a fait seshumanités est mieux équipée. Même si, au début, les jeunes fillesqui ont subi un entraînement plus technique semblent prendre unecertaine avance, on peut affirmer qu'à la longue et à mesure queles responsabilités augmentent, la jeune fille formée dans les col-lèges ne tarde pas à prendre la tête.

Source: Communiqués de presse, Points saillants du mémoire des Collèges dejeunes filles à la Commission Tremblay, 2.2. juin 1954.

Page 203: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

26 Université LavalLe financement des universités1954

Les universités québécoises se font aussi entendre par la commission Tremblay.Le mémoire de l'université Laval met en lumière le rôle essentiel des universitéspour toutes les sociétés civilisées et particulièrement dans le cas du Canadafrançais pour la préservation de son identité et pour sa prospérité. Le mémoiredécrit les graves carences structurelles du financement des universités au Qué-bec et les dangers qu'elles entraînent. L'un de ces dangers est l'incapacité deformer, de recruter, de conserver et de soutenir un corps professoral qualifié;il est en outre bien difficile d'offrir aux professeurs les congés sabbatiquesnécessaires à leur ressourcement. L'université Laval formule donc deux recom-mandations majeures. D'une part, le gouvernement doit accroître substantiel-lement ses subventions aux universités et surtout les rendre statutaires,notamment en instituant un «Fonds provincial des universités» garantissantces subventions annuelles statutaires. D'autre part, pour préserver l'autonomiedes universités, une «Commission de l'aide aux universités» conseillerait legouvernement dans la répartition des subventions aux divers établissements.

Le rôle essentiel des Universitésdans la vie des nations civilisées

Les Universités ne sont pas des organismes de luxe, mais des ins-titutions d'intérêt public dont les nations civilisées ne peuvent sepasser sans compromettre notablement la valeur de leur civilisa-tion. Les peuples qui ont la plus grande influence dans le mondeactuel sont ceux qui créent les idées qui mènent le monde, ceuxqui fabriquent les machines dont tout le monde se sert, ceux dontles savants ont trouvé dans leurs laboratoires les formules quigarantissent la sécurité de la vie humaine, ceux dont les expertsont consacré leurs recherches scientifiques à trouver les solutions

[...]

Page 204: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 205

nouvelles exigées par les problèmes nouveaux que la vie pose sanscesse de génération en génération. Les peuples qui ont le plus dechance de marquer de leur empreinte la civilisation du siècle actuelsont ceux qui ont fait les plus grands efforts pour relever chez euxle niveau de l'enseignement, qui ont le plus richement outillé leursUniversités et les ont remplies d'un plus grand nombre d'étudiants.Non seulement ces peuples sont devenus forts et ont mis en valeurtoutes les ressources de l'homme et de la nature, mais ils ont dumême coup atteint une supériorité qui les rend indispensables aureste de l'univers. Leur supériorité intellectuelle leur a permis dejouer dans le monde un rôle de premier plan. C'est ainsi que depetits pays comme la Belgique, la Suisse, la Hollande, les paysScandinaves, ont réussi à établir en leur faveur cette marge desupériorité intellectuelle qui les place aux premiers rangs de l'hu-manité. Ces pays ont produit une proportion considérable d'es-prits remarquables et ont fourni au monde un grand nombre depenseurs et d'hommes de science possédant les plus hautes quali-fications universitaires. Ces peuples sont redevables à leurs univer-sités de posséder une élite intellectuelle qui répand leur renomméeau delà de leurs frontières et qui assure à toute la nation un hautdegré de civilisation, qui se reflète dans la sagesse des institutionspolitiques, la compétence de l'administration publique, la qualitédes services professionnels, l'efficacité de l'industrie et du com-merce, l'élévation générale du niveau de la culture intellectuelle etdu bien-être matériel. Tout cela parce que l'Université est de sanature un puissant instrument de civilisation.

S'il coûte cher d'avoir des universités, il coûte plus cher encorede n'en pas avoir ou de laisser végéter celles que l'on a. Les peuplesqui se résigneraient à s'en passer seraient vite condamnés à secristalliser dans une zone d'infériorité. Songeons à ce que seraitaujourd'hui notre Province si nous avions eu assez tôt tous lestechniciens dont nous avions besoin pour exploiter nous-mêmesnos ressources naturelles, nos forêts, nos mines, notre énergie hydro-électrique, nos industries chimiques, et si nous avions compris plustôt que ce qui fait la grandeur d'un peuple, c'est de produire engrand nombre des hommes supérieurs qui accroissent le patri-moine de l'humanité en élargissant le champ de la connaissancehumaine et en l'enrichissant de leurs découvertes.

Le Canada français n'a pas le droit de se passer d'un enseigne-ment universitaire de toute première valeur. Il se doit, au contraire,

Page 205: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

2o6 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

de posséder des Universités françaises comparables en tout pointaux plus grandes Universités du monde ; il lui faut des Universitéssuffisamment dotées pour pouvoir répondre à toutes les exigencesde l'enseignement universitaire moderne et à tous les besoins de lapopulation étudiante.

Avouons que nous n'avons pas encore atteint ce stage de perfec-tion. Parce que nos universités françaises n'ont pas les sources derevenus dont elles auraient besoin, elles se voient condamnées àmarquer le pas dans bien des domaines et à remiser quantité deprojets dont la réalisation s'impose avec urgence.

[...]

Le problème de notre survivance française

Mais il y a plus. Il n'est pas osé d'affirmer que la valeur de nosuniversités françaises est une condition nécessaire de notre survi-vance qui est, dans une large mesure, dépendante de notre perfec-tion culturelle.

Les Canadiens français sont au Canada pour y rester. D'ailleurspersonne ne songe à les en déloger. Mais ces Canadiens de languefrançaise resteront-ils toujours ce qu'ils sont ? En d'autres termes,resteront-ils toujours des Canadiens à l'âme française ? Si jamais illeur arrive ce malheur de perdre leur âme française, ils cesserontd'être les fils de ceux qui ont ouvert ce pays à la civilisation, mêmes'ils arrivaient à conserver leur langue et à garder dans leurs veinesquelques gouttes de sang français. Il est fort possible de parlerfrançais sans être français pour un sou et sans rien posséder de cequi caractérise le génie français. Perd facilement son âme françaisequi n'a pas le souci de sa richesse et de sa beauté. Celle-ci supposetout un ensemble de qualités et de notes individuantes qui récla-ment l'enrichissement d'une saine éducation et l'action toniqued'un climat intellectuel favorable. En somme, elle est une chosedélicate qui a besoin d'être protégée, défendue, sans cesse nourriede lumière et de vie spirituelle. Le climat qui convient à son épa-nouissement n'est pas celui de la médiocrité.

Or l'un des grands dangers qui menacent en ce moment l'âmefrançaise chez nous, c'est celui de la médiocrité intellectuelle. Déjànous en vivons trop volontiers, sans trop nous en plaindre. Pre-nons-y garde; si la vie de l'esprit, au lieu de toujours monter,devait, dans la Province française du Canada, descendre et perdre

Page 206: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 207

l'habitude des sommets, le matérialisme contemporain, qui déjànous envahit, aurait vite fait de mettre sous le boisseau la lumièreque nous devons au spiritualisme de la pensée catholique et fran-çaise. Ce jour-là notre vie française aura perdu son authenticité. Ilne nous suffira pas de parler français pour exiger et obtenir de noscompatriotes de langue anglaise qu'ils reconnaissent en nous desdescendants des découvreurs et des fondateurs de ce pays, parceque nous aurons perdu notre âme française. Si un tel malheur nousarrivait, que deviendrions-nous ? Dans un pays ouvert à la civili-sation par nos ancêtres, nous ne serions plus que les méprisablestémoins d'une apostasie nationale qui nous aurait marqués d'unstigmate ineffaçable. On l'a souvent dit, les Canadiens françaisn'ont pas le droit de se résigner à n'être que des citoyens de se-conde zone dans un pays qui a été bâti par leurs ancêtres. Maisc'est à eux surtout de voir à ce qu'ils ne le soient pas.

Ce qu'il nous faut, c'est la supériorité dans tous les domaines etdans tous les secteurs : supériorité dont la conquête exige de trèsgrands sacrifices. L'un des plus impérieux, l'un de ceux que doi-vent accepter sans hésitation les Canadiens français, c'est de con-sentir tout pour assurer à la province de Québec des universités detrès haute valeur qui soient comparables aux universités qui ontcréé la civilisation occidentale de l'Europe.

Concluons que l'anémie de nos universités françaises auraitfatalement pour conséquences l'appauvrissement progressif de laculture française au Canada et la perte de son influence dans unpays que nos ancêtres ont eu la gloire d'ouvrir à la foi et à lacivilisation.

L'avenir politique et économique des Canadiens français

[...]Et que dire de la façon dont les Canadiens français ont jusqu'ici

répondu à leur obligation de conquérir leur émancipation écono-mique ? Nous n'avons même pas encore réussi à doter la Provincede Québec des hommes de science et des ingénieurs que réclamel'exploitation de nos propres ressources naturelles. Qu'attendons-nous pour le faire ? Avons-nous suffisamment compris que, pourarriver à produire en nombre suffisant de tels experts, nos Univer-sités ont besoin d'être mises à même de le faire ? Or, elles ne lesont pas.

Page 207: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

208 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

Par exemple, il est assez déconcertant de constater que nos deuxUniversités françaises ne fournissent au Canada que 7 % tout auplus des ingénieurs qui sortent chaque année des Universités dupays, alors que l'Université de Toronto à elle seule en fournit plusde 2,5 %. La comparaison, on le voit, n'est pas à notre avantage,et il reste inconcevable que nous ne soyons pas encore arrivés àformer chez nous plus d'ingénieurs. Nous n'en avons même pasassez pour répondre aux besoins les plus urgents de notre Pro-vince. Songeons que près de 30 % des ingénieurs que nous em-ployons dans la Province de Québec nous viennent des autresProvinces du Canada, des États-Unis ou d'ailleurs.

De 1941 à 1953, environ 2,0 ooo étudiants ont gradué en génieau Canada. De ce nombre Montréal et Laval en ont formé environ12,00, soit 6% du nombre total. Si notre production d'ingénieursétait proportionnée au chiffre de la population de la Province deQuébec, c'est 30% de cette armée d'ingénieurs que nous aurionsdû fournir au pays, soit 6000 gradués.

D'où vient notre déficience à ce sujet ? À n'en pas douter, ellevient en grande partie de ce que nos Universités françaises, quoi-qu'elles aient fait jusqu'ici des prodiges pour organiser et dévelop-per chez elles l'enseignement scientifique, en sont encore réduitesà se contenter pour réaliser leurs ambitions de moyens insuffi-sants. Nos deux Universités forment chaque année, nous devonsnous en réjouir, des ingénieurs de toute première qualité; ce qui leprouve, c'est qu'ils sont en grande demande dans le monde indus-triel. Mais il faudrait en fournir un plus grand nombre.

Il nous faut donc songer plus que jamais à agrandir les cadresde nos Universités pour qu'elles puissent recevoir plus d'étudiantset donner plus de diplômes à la Province. Cet agrandissementdevient d'autant plus urgent que l'enseignement secondaire nousfournira vraisemblablement beaucoup plus d'étudiants d'ici quel-ques années.

Bref, c'est dans tous les secteurs de la vie politique et économi-que que doivent prendre place les Canadiens français pour y intro-duire, avec l'apport de leur compétence professionnelle, labienfaisante influence du génie français dont ils sont les représen-tants.

À cela nous arriverons avec quelque chance de succès le jour oùnous aurons permis à nos Universités françaises de se placer aupremier rang des institutions d'enseignement supérieur au Canada.

Page 208: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 209

Mais, direz-vous, n'y sont-elles pas déjà ? Non pas tout à fait. Illeur manque trop de choses au point de vue matériel et trop demoyens indispensables leur font défaut pour qu'elles puissent tou-jours répondre avec satisfaction aux espérances que l'on fonde surelles.

Que leur manque-t-il donc pour qu'elles puissent atteindre lessommets où elles doivent monter ? La réponse est facile à donner :à toutes deux il manque l'argent. Qu'on leur donne l'argent dontelles ont besoin, et elles auront vite fait de transformer la face dela Province de Québec.

[...]

CONSÉQUENCES DE LA SITUATION ACTUELLE

Si nous avons détaillé aussi longuement la situation financière del'Université, au risque même de rendre cet exposé fastidieux, c'estqu'à plusieurs reprises des amis influents de l'Université, soit de sesgouverneurs, soit des membres de sa Commission des Finances,soit de ses Anciens, soit d'autres personnes justement alarmées deses difficultés, l'ont discrètement, mais avec beaucoup d'insistance,pressée de le faire.

En outre, il nous a paru important pour plusieurs raisons devous faire connaître les difficultés matérielles grandissantes danslesquelles se débattent les Universités, en vous en fournissant unexemple concret. Sans avoir épuisé le sujet nous croyons, Mes-sieurs les Commissaires, vous avoir fourni suffisamment de rensei-gnements pour qu'il vous soit possible de nous aider à résoudretoutes ces difficultés dont nous nous alarmons à juste titre.

À cet instant crucial où la transformation économique et socialede notre province et du pays lui-même exige toujours plus d'hom-mes et de femmes formés aux disciplines universitaires, s'il fallaitque nos universités faillissent à leur tâche ou s'atrophient en nepouvant pas s'adapter aux besoins de leur temps et de leur milieu,faute de ressources pécuniaires suffisantes, nous aurions, on leréalise bien, à déplorer un malheur irréparable.

Or dans l'état actuel des choses, devant l'impos ibilité d'exigerdes droits de scolarité beaucoup plus élevés sans ét blir une discri-mination financière, incapable de compter immédiatement sur desdons assez abondants de la part des individus ou des entreprises,et ne pouvant plus mettre à contribution le Séminaire e Québec

Page 209: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

2io • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

qui jusqu'ici a porté une large part du fardeau financier, sansrisquer sérieusement de compromettre son œuvre propre, l'Univer-sité se voit acculée à des déficits considérables. Celui de l'an der-nier était de l'ordre de 737 514 $ ; celui de l'année précédente avaitété de 477 358 $.

Ce n'est donc pas sans raison que nous nous inquiétons. Et ilne semble pas possible d'abaisser sensiblement les dépenses, mêmesi nous faisons des réductions drastiques préjudiciables autant auxétudiants qu'à l'Université elle-même.

Si l'Université Laval ne peut pas immédiatement combler sondéficit de l'année courante aussi bien que celui de l'an dernier,l'extrême gêne financière dont elle souffre actuellement aura fata-lement les deux conséquences que voici :

i. hausser considérablement les frais d'inscription des étudiantsau point de rendre impossible à la plupart d'entre eux l'ac-cès aux études universitaires;

i. renoncer pour longtemps aux développements qui s'impo-sent[...].

QUELQUES MOYENS D'AIDER LES UNIVERSITÉSDE LA PROVINCE DE QUÉBEC

II est très réconfortant de constater que la gêne financière dontsouffrent en ce moment les universités de la Province de Québeca vite fait de susciter au sein de la population un courant de trèsvive sympathie. La presse, les corps publics, des organismes so-ciaux de tout genre se sont hâtés de manifester leur inquiétude enface des faits navrants qui leur ont été révélés. Ils ont vite cherchéune solution au problème posé par cette malheureuse crise finan-cière des universités, et ils ont fait nombre de suggestions intéres-santes, toutes également inspirées par le très vif désir de tirer nosuniversités de l'impasse où elles se trouvent.

Le gouvernement fédéral, mis au courant de la situation finan-cière très alarmante dans laquelle se trouvent actuellement toutesles universités du Canada, s'est fait un devoir, pour leur venir enaide, de prendre une initiative qui a suscité dans la province deQuébec quelques protestations et provoqué beaucoup de discus-sions. On ne peut cependant nier que le geste d'Ottawa venant ausecours des universités canadiennes en détresse manifeste le désir

[...]

Page 210: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 211

sincère qu'éprouvent les autorités fédérales de coopérer avec lesgouvernements provinciaux à l'amélioration du sort des universi-tés. C'est un désir dont nous entendons tenir compte dans l'exposéque nous faisons ci-après d'un essai de solution du problème quinous intéresse.

Pour résoudre les graves problèmes financiers des universités dela province de Québec, le moyen qui nous a paru le plus normalet le plus rationnel c'est de recourir davantage à l'aide du gouver-nement provincial qui, en vertu de la constitution canadienne, estchargé de subvenir aux nécessités de l'enseignement à tous lesdegrés.

Est-ce à dire que le gouvernement central peut et doit resterparfaitement indifférent et insouciant en ce qui regarde l'éducationdes citoyens canadiens ? Certes non. Parce qu'il n'a pas le droit dese désintéresser de la valeur de l'éducation donnée aux citoyens duCanada, c'est son devoir de faire en sorte que les provinces aientles moyens et revenus dont elles ont besoin pour remplir toutesleurs obligations en ce qui con erne le bien supérieur de l'éduca-tion.

Et, de façon plus générale, nous prenons pour acquis qu'unesage décentralisation du pouvoir est indispensable à la survie et àla prospérité des provinces de la Confédération canadienne. Toutecentralisation qui serait effectuée par le gouvernement fédéral audétriment de l'autonomie nécessaire des provinces de ce pays seraitcontraire à l'esprit de l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique.

Au surplus, nous croyons fermement que les provinces doiventavoir la faculté de recourir, pour tous les besoins de leur adminis-tration, aux pouvoirs de taxation que leur reconnaît l'AANB.Toutefois, afin que les citoyens ne soient pas trop lourdementtaxés, nous formulons l'espoir que dans un avenir rapproché uneentente soit conclue entre les deux gouvernements au sujet dupartage des champs de taxation.

ESSAI DE SOLUTION

Puisque c'est par des octrois plus substantiels que le gouvernementprovincial devra en définitive venir en aide aux universités, il noussemble utile d'énumérer les qualités que devraient avoir ces octroiset de suggérer deux organismes qui pourraient, à notre avis, lemieux garantir ces qualités indispensables.

Page 211: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

212 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

Pour atteindre leur but, qui est d'assurer le mieux possible la vieet le développement des universités, les octrois gouvernementaux

i. — doivent être suffisants et pleinement justifiés. Pour cela, ilimporte que le gouvernement arrive à bien connaître les besoinscollectifs et individuels des universités et des populations qu'ellesdesservent ;

2.— ils ne doivent en aucune façon porter atteinte à l'indépen-dance des universités, sans que cependant ne soit amoindri le droitque possède l'État de contrôler l'usage des deniers publics;

3. — ils doivent avoir un caractère de continuité qui rende plusfacile aux universités une administration prévoyante et la réalisa-tion des projets de développement qu'elles jugent indispensables;

4. — ils doivent être versés aux universités selon un mode biendéfini et à des intervalles réguliers, afin de rendre leur administra-tion moins onéreuse.

Or, il semble qu'on pourrait atteindre ces divers objectifs, quenous croyons indispensables au bon fonctionnement des Universi-tés et à leurs bonnes relations avec le gouvernement, s'il existaitune Commission de l'Aide aux Universités et un Fonds provincialdes Universités.

Grâce à cette Commission nos universités, d'une part, pour-raient plus facilement faire connaître leurs besoins et le gouverne-ment, d'autre part, serait plus en mesure de s'assurer que toutes lesdemandes de subsides sont bien justifiées et correspondent auxbesoins comme aux ressources de la Province. Cette Commissionserait un intermédiaire très utile entre le gouvernement et les uni-versités, un excellent moyen de sauvegarder l'indépendance desinstitutions universitaires.

En second lieu, l'existence d'un Fonds provincial des Universitésgarantirait plus aisément, nous semble-t-il, la continuité, la sou-plesse et la régularité des octrois.

La Commission de l'Aide aux Universités

[...]La Commission de l'Aide aux Universités que nous proposons

serait un organisme établi en vertu d'une loi spéciale de la Légis-lature, rattaché au Ministre des Finances. Cette Commission aurait

Page 212: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 213

pour rôle d'aviser le Gouvernement sur les problèmes universitai-res d'ordre matériel; d'être l'intermédiaire autorisé entre le Gou-vernement et l'Université; et plus spécialement d'être l'agent deliaison officiel entre les Universités et le Ministre des Finances dela Province pour tout ce qui concerne l'administration financièredes universités.

À cette fin, la Commission de l'Aide aux Universités pourraitavoir les fonctions suivantes:

1. — faire une étude approfondie du problème universitaire dansnotre Province afin d'avoir (a) une vue d'ensemble de la situationpour le présent et pour l'avenir prévisible; (b) une connaissancedétaillée des besoins de chaque université et de la population qu'elledessert ;

2. — examiner chaque année l'état financier et le budget de cha-cune des universités pour connaître les besoins de leur administra-tion courante;

3. — faire connaître ces besoins au Gouvernement par l'entremisedu Ministre des Finances;

4. — conseiller le Ministre des Finances quant à l'attribution desoctrois annuels aux universités;

5. — examiner les projets de construction et de développement desuniversités lorsque l'assistance financière de l'État sera requise;

6. — déterminer la forme, la durée et l'importance de cette assis-tance; et faire ensuite au Ministre des Finances les recommanda-tions jugées nécessaires;

7. — faire tous les cinq ans une étude d'ensemble de la situationfinancière des universités de la Province; déterminer pour lapériode quinquennale suivante la somme des octrois nécessairesà leur administration courante et à la construction des édificesqu'elles projettent ; faire ensuite rapport sur ce sujet au Ministredes Finances;

8. — présenter au Ministre des Finances un rapport annuel del'activité de la Commission;

5». — de façon générale, (a) établir avec les institutions universitai-res des relations étroites et continues ; (b) accomplir dans la limite

Page 213: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

214 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

de la juridiction déterminée par la loi, tous les actes nécessaires aubon fonctionnement de la Commission.

Cette Commission provinciale de l'Aide aux Universités pour-rait être composée de sept membres nommés par le Lieutenant-gouverneur en conseil après consultation des universités. Lesmembres de la Commission seraient en fonction pendant neuf ans ;leur mandat pourrait être renouvelable. Une fois nommés, ils éli-raient l'un d'entre eux comme président pour trois ans. Le prési-dent ne serait pas rééligible.

Cette Commission devrait comprendre des représentants desuniversités et du public. Il serait souhaitable que certains d'entre euxreprésentent le monde de la finance, de l'industrie et du commerce.

Il est inutile de dire que cette Commission n'aura de valeur etd'autorité que si ses membres sont des citoyens universellementestimés, jouissant d'un grand prestige dans leur milieu et bienrenseignés sur les problèmes universitaires.

Fonds provincial des Universités

Pour que la Commission de l'Aide aux Universités puisse rendre àcelles-ci tous les services désirables, il faudra que le Ministre desFinances soit assuré d'avoir chaque année les fonds suffisants. Or,à notre avis, l'un des meilleurs moyens, sinon le meilleur, d'attein-dre ce résultat, est la création par la Législature d'un Fonds pro-vincial des Universités. De la sorte, le Gouvernement serait toujoursen mesure de répondre favorablement aux recommandations de laCommission.

Voilà pourquoi nous nous permettons de suggérer que la loiinstituant le Fonds détermine les sources de revenus de ce Fondset précise l'importance de chacune d'elles. La somme des revenusque les Chambres attribueraient au Fonds pourrait être établie surla base des renseignements et des recommandations fournies par laCommission à la suite de sa première enquête générale sur lasituation financière et sur les besoins des Universités. Tous les cinqans, les revenus du Fonds seraient l'objet d'une révision de la partdes Chambres à la suite d'un nouvel examen général de la situa-tion financière, et des projets des Universités.

Le Fonds étant sous la juridiction du Ministre des Finances,celui-ci serait évidemment responsable devant la Législature del'administration des revenus du Fonds.

Page 214: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 215

L'établissement de la Commission provinciale de l'Aide auxUniversités et du Fonds provincial des Universités serait, nous ensommes convaincus, deux excellents moyens pour l'État de veniren aide aux universités. Le gouvernement, d'une part, serait tou-jours bien informé sur le problème financier de nos institutions ets'en remettrait avec confiance à l'avis éclairé d'hommes compé-tents et désireux de maintenir les meilleures relations entre l'Étatet les universités. D'autre part, ces dernières seraient pleinementassurées de trouver dans la personne des commissaires des con-seillers précieux et bien au courant de leurs problèmes ; elles pour-raient aussi compter, grâce à l'existence du Fonds, sur des octroisannuels dont le montant connu faciliterait grandement les prévi-sions budgétaires et l'élaboration de projets jugés nécessaires audéveloppement raisonnable de nos universités.

Nous nous permettons même d'ajouter que le jour où une en-tente aura été conclue entre le Gouvernement provincial et leGouvernement fédéral au sujet du partage des champs de taxation,il sera peut-être possible au gouvernement de la province d'accep-ter des octrois fédéraux pour les universités. À cause du caractèreprovincial de cette Commission, ces octrois ne constitueraient pas,semble-t-il, une ingérence indue du Fédéral dans le domaine del'enseignement.

[...]

Source: Mémoire, p. 1-3, 4-5, 6-7, 61-72, 76-79, 81-84.

Page 215: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

27 Association générale des étudiantsde l'Université de MontréalLes jeunes travailleurs intellectuels1954

Comme d'autres intervenants du milieu universitaire, l'Association générale desétudiants de l'Université de Montréal (AGÉUM) réclame un meilleur finance-ment pour les établissements sous forme d'octrois statutaires et non plus dis-crétionnaires. Cependant, l'AGÉUM fait entendre des idées qui reflètent plusprécisément les préoccupations de ses membres: il faut, dit-elle dans sonmémoire à la commission Tremblay, non seulement mieux consacrer le droit àl'éducation, mais encore reconnaître pleinement l'étudiant comme «jeune tra-vailleur intellectuel», cela dût-il conduire à l'idée de «présalaire». De tellesidées seront fréquemment reprises par le mouvement étudiant pendant lesannées 1960.

Droit à l'éducation

Exigence à ce point fondamentale que la législation de tous lespays, de façon plus ou moins explicite, a reconnu la nécessité dela présence du travailleur intellectuel au sein de la société.

[...]Chez nous, toutefois, ce droit ne découle qu'implicitement de

diverses dispositions législatives. L'histoire de notre peuple peut engrande partie expliquer ce qui, à première vue, semblerait unecarence de notre législation. Nos plus anciennes universités nesont-elles pas à peine centenaires ? Ajoutons cependant que « dansle domaine intellectuel, comme dans le domaine économique, cequi était hier un luxe peut être aujourd'hui une nécessité ». Ce quel'on jugeait, à l'époque de l'adoption de notre code civil (1866) et

[...]

Page 216: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

AGÉUM • 217

de notre Constitution (1867), une éducation convenable, serait en1954 considéré nettement insuffisant.

Devant cette évolution, il serait à souhaiter que nos textes delois reflètent avec plus de justesse les réalités nouvelles et que sedéveloppe une conscience plus aiguë de la nécessité du travailintellectuel, surtout de celui qui s'oriente vers la recherche désin-téressée.

Jeune travailleur intellectuel

Cette définition, croyons-nous, convient particulièrement autravail de l'universitaire. Il est véritablement un jeune travailleurintellectuel car, par la formation acquise avant son entrée à l'uni-versité, il est en mesure de poursuivre d'une façon plus personnelleet autonome son analyse critique des réalités qui l'entourent etd'en dégager des principes et des lois. [...]

Travail capital, absolument nécessaire au plein développementde la société, mais qui exige que celui qui s'y livre puisse le fairedans une atmosphère d'entière liberté. Son apport au bien com-mun, pour être parfois plus obscur, n'en est pas moins aussi réelque les services rendus par d'autres dans des domaines différents.« II peut donc exiger d'être reconnu comme un membre utile aucorps social, au même titre que ceux qui exercent une professionou un métier. »

Bourses

Si nous analysons le nombre et la valeur des bourses que reçoi-vent les étudiants de l'Université de Montréal du Ministère duBien-Être social et de la Jeunesse, nous constatons que le montantdont bénéficie chaque récipiendaire est plutôt minime.

Il serait à souhaiter que soient augmentés le nombre et la valeurdes bourses pour correspondre davantage aux besoins des étu-diants.

Il serait peut-être prématuré de mettre de l'avant une solutionque l'on a appelée, à tort croyons-nous, « pré-salaire ». Soulignons

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

Page 217: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

218 - Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

cependant que la question est ouverte, qu'elle se répand de plus enplus. La Russie — que l'on se plaît souvent à qualifier de matéria-liste — n'accorde-t-elle pas à ses étudiants, en plus de la gratuitéde l'enseignement, des allocations spéciales qui leur permettent dese soustraire aux problèmes financiers que nous déplorons ici.

Octrois

Si nous abordons ici la question des octrois, c'est uniquement dansla perspective des incidences qu'elle peut avoir sur la formationdes étudiants. Nous savons en effet que, faute d'octrois suffisants,l'Université doit se refuser à instaurer des services essentiels ou serésoudre à en retarder la réalisation (nous pensons, par exemple,au développement depuis longtemps prévu de la Cité Universi-taire) ; elle se voit même souvent dans l'obligation de limiter l'ex-pansion de services déjà existants.

Faute toujours de moyens financiers plus considérables, notreUniversité ne doit-elle pas priver ses étudiants des lumières et del'expérience d'un nombre plus grand de professeurs compétents ?Nul n'ignore le désintéressement, l'héroïsme même (surtout aupoint de vue économique), dont font preuve nos professeurs ac-tuels, ainsi que le reconnaissent unanimement les Présidents desfacultés de l'Université dans une déclaration publiée dans LeQuartier Latin, du 2,8 janvier 1954.

Les octrois que le gouvernement de la Province accorde auxuniversités ne présentent pas — du fait qu'ils ne sont pas statutai-res — le caractère de stabilité sur lequel les universités devraientpouvoir compter.

Devant l'urgence du blème, nous ne pouvons que souhaiterque le gouvernement, en sacrifiant, si nécessaire, dans d'autresdomaines quelques réalisations moins impérieuses, fasse plus largela part des universités.

Source: Mémoire, p. 1-2., 13-16.

[...]

[...]

Page 218: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

28 Commission TremblayRecommandations en matière d'éducation1956

Comme l'indique son appellation, la Commission royale d'enquête sur les pro-blèmes constitutionnels a un mandat dépassant de beaucoup la seule questionde l'éducation. Cependant, elle ne peut éviter de traiter de cette question. LaCommission a en effet en partie été convoquée en réaction aux incursions dugouvernement fédéral dans le domaine de la culture et, surtout, du financementdes universités, qui l'oppose vivement au gouvernement de Maurice Duplessis.D'ailleurs, plus de la moitié des mémoires abordent, sous un angle ou un autre,les problèmes d'éducation. On ne s'étonne donc pas que la commission Tremblayconsacre plusieurs pages de son rapport à l'éducation (dans le volume III, tome I,La juridiction provinciale). Outre tous les mémoires qu'elle a reçus et tous lestémoignages qu'elle a entendus, la Commission a bénéficié d'une série d'étu-des analytiques très fouillées sur différentes dimensions de l'éducation, prépa-rées par Arthur Tremblay et rendues publiques en 1955 sous le titre deContribution à /' étude des problèmes et des besoins de /' éducation dans laprovince de Québec. D'ailleurs, une étude comparée de divers passages durapport Tremblay et des analyses d'Arthur Tremblay, qui déborde évidemmentle cadre de la présente anthologie, suggère une influence significative de cel-les-ci sur celui-là. Si elle s'intéresse particulièrement au financement de l'édu-cation et à ses dimensions constitutionnelles, la commission Tremblay ouvred'autres chantiers de réflexion, auxquels se consacrera la commission Parentelle-même et pour lesquels elle proposera des solutions qui seront mises enœuvre. L'idée même d'une commission royale d'enquête sur l'ensemble dusystème d'éducation fait d'ailleurs partie des recommandations de la commis-sion Tremblay. Celle-ci, tout en demeurant bien prudente, n'annonce pas moinsla nécessité de réformes importantes, car elle ne se refuse pas à reconnaîtreque tout le système d'éducation québécois se trouve déjà engagé dans degrandes mutations.

Compte tenu des limites inhérentes à une anthologie, les extraits du rapportde la commission Tremblay reproduits ci-après sont regroupés sous quatre thè-mes identifiés par des titres ajoutés. Le premier extrait décrit les grandes mu-tations qui touchent l'éducation québécoise. Le deuxième extrait évoque lanécessité d'une enquête en profondeur sur ce système. La troisième séried'extraits formule un ensemble d'hypothèses de changements pour les divers

Page 219: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

220 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

ordres d'enseignement, changements qui, selon la Commission, devraient êtresoigneusement considérés par les autorités responsables : par exemple, le re-groupement régional des commissions scolaires pour généraliser et rendreaccessible l'enseignement secondaire ou encore le financement statutaire descollèges et des universités (dans ce dernier cas, en s'inspirant du mémoire del'université Laval — voir texte 26). Enfin, en conclusion, la Commission reprendl'idée de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (texte 21) d'instituer un«Département de l'Éducation nationale» capable, avec les conseils spécialisésle constituant (par exemple, pour l'enseignement primaire, l'enseignementsecondaire, l'enseignement universitaire, etc.), de gouverner de façon intégréel'ensemble du système d'éducation. La Commission, de manière feutrée maisferme, indique à son tour que la province de Québec (et, évidemment, songouvernement) doit exercer la plénitude de sa compétence constitutionnelleexclusive sur l'éducation.

[Un système d'éducation en pleine mutation]

Le régime de l'enseignement sous l'angle où nous l'envisageons iciest donc en pleine évolution. L'Église invite les laïcs à partager desresponsabilités dont elle a été longtemps seule à porter le fardeau ;les laïcs, c'est-à-dire d'une part les professeurs, d'autre part lesparents, les commissions scolaires et la Province elle-même. Est-ceà dire que l'enseignement secondaire va changer d'esprit parce quepeu à peu changent ses structures juridiques et administratives ? Icis'impose l'effort d'interprétation des normes traditionnelles. D'unepart, il est désirable que les laïcs accèdent de plus en plus nom-breux à toutes les fonctions et à tous les niveaux de l'enseigne-ment, car c'est pour un peuple l'un des grands modes de formationd'une élite intellectuelle. D'autre part, il est encore plus désirableque la participation généralisée des laïcs aux carrières diverses del'enseignement n'entraîne pas un fléchissement de l'esprit chrétiendont l'enseignement doit plus que jamais être animé. Durant lapériode de transition dans laquelle la Province est à ce point de vueengagée, la collaboration de l'Église et des corps publics investis del'autorité en matière d'enseignement est une condition de concordeet de véritable progrès.

Les devoirs de l'État en matière d'éducation doivent être consi-dérés en fonction des problèmes complexes que pose à l'heureactuelle l'interprétation des deux autres concepts directeurs de lapolitique scolaire. Dans la pensée chrétienne, l'État n'est pas lemaître du bien commun: il en est le gardien et son rôle en estd'abord un de coordonnateur des initiatives diverses des individus

Page 220: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Rapport de la commission Tremblay • 221

et des groupes qui vivent et évoluent dans ses cadres. Mais lapolitique scolaire est bien le domaine où l'État moderne, sousprétexte de simplicité administrative, de progrès techniques ouéconomiques, peut le plus facilement être induit en tentation dedirigisme, voire de totalitarisme. L'étatisme et ses facilités apparen-tes sont au surplus une tentation des sociétés contemporaines. Ils'agit donc de créer la formule qui, tout en laissant aux individus,aux corps publics intermédiaires et à l'État les responsabilités quileur incombent respectivement, en stimulera et en coordonneral'exercice en vue de l'efficacité maximum. La condition de succèsd'une telle formule, c'est l'existence dans toutes les classes socialesd'une haute et forte pensée sociale et politique.

Pour prendre une vue d'ensemble du problème de l'enseignementcomme il se pose aujourd'hui et se posera au cours des années àvenir dans la Province et en évaluer les exigences financières, il fautconsidérer simultanément les cinq grands facteurs suivants:

1. — L'augmentation rapide d'une population d'âge scolaire qui atoujours été et demeure proportionnellement plus nombreuse quepartout ailleurs au Canada ; du fait même, si la province de Québecveut assurer à ses jeunes générations des facilités et une qualitéd'enseignement comparables à celles des autres provinces, lesbudgets scolaires sont destinés au cours des prochaines années àabsorber une part croissante des sommes disponibles pour l'admi-nistration publique.

2. — L'élévation en ces dernières années du taux de fréquentationscolaire et la perspective d'une accélération du rythme à mesureque le milieu économico-social évolue et que, par suite, le besoinde plus d'instruction se fait sentir dans des couches de plus en plusétendues de la population.

Ces deux faits sont évidemment les éléments de base du pro-blème de l'enseignement ; ils en donnent la mesure, nous le verronsdans un instant, par l'analyse des statistiques. Mais nous n'aurionsde l'aspect financier de ce problè qu'une vue incomplète, sinous négligions les autres faits suivants:

3. — Le développement des institutions existantes et la création,pour répondre aux besoins d'une économie en pleine expansion eten pleine évolution, de nouveaux centres de spécialisation au niveautechnique et au niveau universitaire et des organismes de recherchesur lesquels doit s'appuyer l'enseignement supérieur.

Page 221: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

222 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

4. — L'intégration au régime financier des écoles de la Provincedes institutions privées (collèges, universités) dont le financementa été jusqu'ici à la charge des parents et de l'Église; l'inaptitude deplus en plus marquée du clergé et des ordres religieux à fourniraux conditions financières qui ont été jusqu'ici la règle, le person-nel des écoles de formation générale de niveau secondaire et lanécessité corrélative de recourir de plus en plus au personnel laï-que à des conditions financières inévitablement plus onéreuses.

5. — La définition des bases économiques et juridiques de la pro-fession enseignante, aux trois niveaux élémentaire, secondaire etuniversitaire. C'est la condition première d'un recrutement qualifiéet stable, lui-même condition de l'efficacité et du progrès de l'en-seignement. [...]

[Nécessité d'une enquête en profondeur sur l'éducation]

Mais étant donné l'importance des populations classiques dans ladémographie générale de l'enseignement post-élémentaire, étantdonné, au surplus, qu'à l'université on constate une distributiondes classes sociales à peu près semblable à celle des collèges clas-siques, il semble probable qu'à l'heure actuelle une proportionnettement minoritaire des enfants des milieux économiquementfaibles aptes à l'enseignement post-élémentaire, s'inscrit de faitdans les écoles de ce niveau. Il semble également que cette propor-tion soit beaucoup moindre que celle des enfants des milieuxfinancièrement plus à l'aise.

Aussi croyons-nous que l'augmentation prévue des taux de fré-quentation au niveau post-élémentaire se produira, si les milieuxéconomiquement plus faibles peuvent inscrire une proportion plusélevée de leurs enfants aux écoles supérieures.

De là, il suit que dans la mesure où elles recruteront propor-tionnellement plus d'élèves dans les milieux financièrement moinspourvus, les institutions d'enseignement post-élémentaire tirerontrelativement moins de revenus de leurs étudiants.

S'il s'agit d'institutions comme les écoles publiques, par exem-ple, dont l'enseignement est déjà peu onéreux, cette éventualité nepose pas de sérieux problèmes. Mais elle en soulève de très gravesdans le cas d'institutions privées, comme les collèges classiques etles universités.

Page 222: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Rapport de la commission Tremblay • 223

De quoi s'agit-il en effet ? Ni plus ni moins que d'intégrer selondes modalités à définir dans le régime financier des écoles de laProvince, des institutions d'enseignement qui jusqu'ici, n'en dé-pendaient pas, ne recevant de l'État qu'une faible proportion deleurs budgets.

[...]Si d'une part les écoles publiques doivent désormais, selon le

plan de coordination en voie d'application offrir, moyennant faiblerémunération, les quatre premières années de l'enseignement post-élémentaire, les écoles privées qui, elles, comptent d'abord pourvivre sur la contribution des élèves, se trouveront très bientôt dansune situation de concurrence insoutenable quant à leur recrute-ment, et vouées à de graves difficultés financières. Cette situation,pénible pour les institutions, serait au surplus injuste pour lesparents-contribuables. Dès lors en effet que les écoles publiquesentreprennent d'organiser l'enseignement post-élémentaire, lesconditions auxquelles elles l'offrent doivent être étendues à tousles citoyens, quel que soit leur état de fortune. Car il s'agit d'unservice public, financé par l'impôt et auquel tous les contribuablesont un droit égal à des conditions identiques.

Les commissions scolaires devront donc, avec ou sans aide dugouvernement, mettre tout en œuvre pour offrir le plus rapide-ment possible un service complet à toute la population, ou biendes mesures devront être prises pour rendre les institutions privéesaccessibles à toutes les familles aux mêmes conditions que lesécoles publiques. Il s'ensuivra le transfert d'une proportion élevéeet croissante du budget de l'enseignement post-élémentaire desinstitutions privées aux pouvoirs publics (commissions scolairesou gouvernement).

Si d'autre part, l'élévation du taux de fréquentation du niveaupost-élémentaire se produit surtout dans les milieux à moyens oufaibles revenus, les écoles privées ne pourront obtenir de ces nou-veaux étudiants la contribution minimum dont elles ont besoin; etpour assurer le service, elles devront obtenir d'autres sources l'équi-valent. D'autres sources, donc ici encore de la caisse publique —car il serait utopique de compter, pour remédier de façon perma-nente à la situation, sur des fondations ou des souscriptions publi-ques. À moins de maintenir les frais d'inscription au niveau qu'exigéla vie des institutions et de fermer aux classes de faibles revenusl'accès à l'enseignement post-élémentaire ! A-t-on besoin de dire,

Page 223: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

224 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

une telle politique irait nettement à l'encontre des plus hauts inté-rêts de la province. Sous cet angle encore s'annonce donc commeinévitable un certain transfert institutionnel du fardeau financierde l'enseignement post-élémentaire.

Ce que nous venons d'écrire ne s'applique pour l'instant qu'auxquatre premières années des études post-élémentaires. Mais l'accèsà ces études des classes les moins pourvues en fait prévoir pourbientôt l'extension au cycle complet des études secondaires et mêmesuniversitaires — car il est inutile d'aider quelqu'un à se mettre enroute si on ne doit pas l'aider à se rendre jusqu'au bout.

La question qui se pose ici est celle de savoir si des institutionsprivées, étant désormais financées dans une forte proportion pardes subventions publiques, pourront conserver leur caractère privéet à quelles conditions. Le régime des séminaires et collèges diocé-sains est ainsi mis en cause.

Dans l'ensemble, les institutions privées devront désormais êtreaccessibles à peu près aux mêmes conditions financières que lesécoles publiques. Ainsi l'exigent d'une part, le maintien et le pro-grès des institutions privées dont le rôle demeure indispensable, etd'autre part, la justice due à ces institutions et au contribuable.Diverses modalités d'ajustement financier peuvent être envisagéesà ce sujet. Nous en parlerons plus loin.

Tous ces problèmes de politique de l'enseignement sont d'ailleursà considérer dans des perspectives plus vastes. Jusqu'à quel pointl'État doit-il diffuser l'enseignement post-élémentaire ? Dans quellemesure le principe est-il valide que les enfants aptes à tel niveaud'études devraient pouvoir y accéder, quel que soit le milieu d'oùils viennent ? Et pour que ce principe soit appliqué, dans quellemesure et jusqu'à quel niveau faut-il garder l'enseignement gra-tuit? Et quand on parle de niveau d'études et d'aptitudes à yaccéder, place-t-on sur le même plan les études techniques et pro-fessionnelles et les études de formation générale, en d'autres ter-mes, les conçoit-on comme devant s'intégrer dans un même systèmegénéral d'enseignement dont l'objet d'ensemble serait de formerune « élite » pour tous et chacun des divers secteurs d'activité dela vie collective ? Toutes ces questions peuvent recevoir une réponse,aussi variée que le sont les philosophies sociales dont on s'inspire,notamment en ce qui concerne la responsabilité des parents et lerôle de l'État en matière d'éducation.

Ces principes eux-mêmes doivent être interprétés en regard de

Page 224: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Rapport de la commission Tremblay • 225

l'état des faits à un moment donné de l'histoire économique, so-ciale et politique. D'une part, la province de Québec est entraînéedans un mouvement écomomico-social qui excède largement sesfrontières et auquel elle ne saurait, le voulût-elle, se soustraire;d'autre part, elle est investie au sein même de la Confédérationcanadienne et en regard de l'Amérique tout entière, d'une missionqui lui est propre : la sauvegarde d'une culture distincte de celle despopulations environnantes ; par suite, elle doit tout mettre en œuvrepour former une élite qui soit dans tous les domaines de la penséeet de l'action, à la fois l'expression et le soutien de cette culture;en troisième lieu, sa situation sociale précisément parce qu'elleprofesse une philosophie différente de la vie, de l'ordre et du pro-grès, lui pose un certain nombre de problèmes très concrets: fa-milles généralement plus nombreuses que partout ailleurs auCanada, surtout dans les classes populaires ; population active pro-portionnellement moins élevée que dans les autres provinces, d'oùfardeau social plus lourd de chaque travailleur, etc. Enfin, elle doitorganiser un territoire très étendu, aux virtualités diverses maisinégalement réparties, et dont la mise en valeur nécessite et néces-sitera en même temps que des aptitudes variées de la part de sapopulation, une politique économique et sociale extrêmement at-tentive à toutes les exigences du milieu et de l'époque. Or, saréussite dans les conditions que nous venons d'indiquer, est d'abordune affaires d'hommes, donc d'écoles, de diffusion du savoir et del'éducation.

C'est en regard de tous ces faits, ceux qui naissent de la géogra-phie ou viennent de l'histoire et ceux qui tiennent à son particu-larisme religieux et culturel et sa situation politique que le problèmede l'enseignement doit être considéré et la politique scolaire défi-nie. Il ne suffit pas d'évaluer globalement comme nous tentons dele faire ici les exigences financières de l'enseignement à l'heureactuelle et au cours des années à venir. Il faut, partant de là,étudier le problème en lui-même et dans ses implications multiplesafin de réinterpréter selon les exigences des temps présents lesprincipes dont ont procédé jusqu'ici et son organisation et sonévolution : fonctions, structures, régime juridique, administratif etfinancier des commissions scolaires, rôle et statut des institutionsprivées, responsabilités des parents, action de l'État, régime finan-cier des écoles de toute catégorie et des élèves à l'intérieur durégime scolaire dans les divers secteurs et à tous les niveaux, etc.

Page 225: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

226 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

Tel serait au delà de notre propre enquête, l'objet de l'étude quenous recommandons.

[Hypothèses de travail]

Une réadaptation des cadres administratifs semble donc néces-saire. Deux modalités se dessinent déjà et paraissent correspondreau mouvement de la vie sociale. La première consiste en une redé-limitation du territoire de la commission scolaire locale elle-même ;la seconde vise à grouper plusieurs commissions locales sans enle-ver à celles-ci leur identité propre.

[...]S'il est admis en principe et en pratique que les commissions

scolaires ont ou auront désormais à dispenser l'enseignement jus-qu'à la ne année, la fusion de certaines commissions scolaireslocales ou leur regroupement en fédération devient une nécessité.Il faut constituer des unités assez vastes pour que le nombre descandidats possibles dans les limites du territoire justifie les fraisélevés d'un tel enseignement.

Pourtant, ni le réaménagement financier des commissions scolai-res telles qu'actuellement constituées, ni les réformes de structuresdont nous venons de parler ne régleraient entièrement le problème.Car d'une part, il subsistera des municipalités scolaires qui mêmeregroupées ne pourraient, faute d'une population suffisante, organi-ser chez elles l'enseignement post-élémentaire; d'autre part, le casdemeure des jeunes qui fréquentent à leurs frais les écoles privées,bien que, comme citoyens d'une localité donnée, ils aient droit auxmêmes avantages que ceux qui fréquentent l'école publique.

Si l'on veut favoriser la diffusion de l'enseignement post-élé-mentaire et le mettre, à des conditions comparables, à la portée detous les jeunes dans toutes les régions de la Province, le régimeactuel ne peut donc plus suffire: il faut en refaire les structuresadministratives générales. Et le moyen le plus efficace de concilierles exigences diverses et même divergentes de la situation, nousparaît être de redéfinir les fonctions des commissions scolaireselles-mêmes, d'étendre leurs responsabilités aux quatre premièresannées de l'enseignement post-élémentaire, qu'il soit dispensé dansles écoles publiques ou dans les écoles privées, et d'organiser enconséquence leur régime financier. En pratique, comment les cho-ses se passeraient-elles ?

Page 226: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Rapport de la commission Tremblay • 227

Les grandes commissions scolaires qui dispensent déjà l'ensei-gnement post-élémentaire (général ou classique) continueraientd'administrer leurs écoles et de les développer au besoin. Cepen-dant, bien qu'elles doivent traitement égal à tous leurs ressortis-sants, elles ne sont pas, et pour bien des années encore ne serontpas en état d'accueillir tous les candidats aptes aux études post-élémentaires qui relèvent de leur juridiction. Or, bien avant que lescommissions scolaires ne s'y engagent, les institutions privées dis-pensaient dans notre province l'enseignement post-élémentaire(classique ou scientifique). Ces institutions demeurent des élémentsessentiels de notre régime scolaire. Mais elles ne sont plus en étatde remplir efficacement leur rôle sans aide financière. Pour procu-rer à celles-ci une partie au moins de l'aide financière dont ellesont besoin et assurer à tous les citoyens d'une même localité équi-valence de service, les commissions scolaires assumeraient donc laresponsabilité financière de ceux de leurs ressortissants qui doiventfréquenter les institutions privées, et cela dans la mesure où il leuren coûterait pour les recevoir elles-mêmes. Elles seraient tenuesd'accorder à ces étudiants le même traitement qu'aux étudiantsqui fréquentent leurs propres écoles. Mettons que dans une loca-lité donnée, l'enseignement post-élémentaire coûte, dans les écolespubliques, zoo $ par tête, et que 100 jeunes gens et jeunes fillesfréquentent, par choix ou parce que les écoles publiques ne peu-vent les recevoir, l'une ou l'autre des quatre premières années ducours post-élémentaire dans les institutions privées, la commissionscolaire verserait pour chacun d'eux 2,00 $ et son budget annuelserait augmenté de 2,0 ooo $.

Cette solution peut paraître audacieuse. Certaines commissionsscolaires l'ont pourtant déjà adoptée. Pour autant que notre en-quête nous a permis de prendre une vue complète du problème del'enseignement, nous la croyons la seule propre à remédier à lasituation actuelle, sans abandonner à l'État des charges qui ressor-tissent normalement à l'initiative privée ou communautaire. Ausurplus, elle est avantageuse pour les commissions elles-mêmes. Si,d'une part, elle ajoute à leurs responsabilités financières, d'autrepart elle leur permet de remplir efficacement leur fonction avecle concours des institutions privées et d'organiser leur propredéveloppement à un rythme mieux proportionné à l'étendue et àl'expansion de leurs ressources.

Le même régime s'appliquerait il va sans dire à l'ensemble des

Page 227: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

228 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

commissions scolaires — y compris celles qui pour une raison oupour une autre, ne peuvent pas organiser chez elles l'enseignementpost-élémentaire. Il se rencontrerait donc des municipalités scolai-res où l'enseignement s'arrêterait au niveau élémentaire, mais oùla commission paierait les frais de scolarité de deux, trois ou dixétudiants ressortissant à sa juridiction et qui poursuivent leursétudes post-élémentaires dans d'autres localités de la Province. Cesfrais seraient payables selon une échelle établie par le Départementde l'Instruction publique, selon le coût per capita de l'enseigne-ment post-élémentaire dans les principales régions de la Province.Tout excédent serait à la charge de l'étudiant lui-même.

[...]Dans cette perspective, il y a un certain rapport de convenance

entre une plus grande responsabilité de la commission scolairelocale à l'endroit de l'enseignement élémentaire, d'une part, et uneplus grande responsabilité de la Province elle-même à l'endroit del'enseignement post-élémentaire, d'autre part.

En contribuant surtout au financement de l'enseignement post-élémentaire, le gouvernement provincial en stimulerait davantagela diffusion, à une époque où c'est précisément à ce niveau que ledéficit de notre système scolaire est le plus considérable, commenous l'avons montré dans les pages précédentes.

Nous n'avons pas à décrire ici toutes les modalités d'applicationd'un tel système de partage des responsabilités financières entre lescommissions scolaires locales ou centrales et le gouvernement, enfonction principalement des niveaux d'enseignement.

Soulignons toutefois qu'il n'aurait rien de révolutionnaire, puis-que certaines subventions provinciales en reconnaissent déjà leprincipe, au moins de façon implicite. Ainsi, par exemple, laProvince accorde depuis plusieurs années des subventions auxcommissions scolaires pour les élèves inscrits de la 8e à la ize

année.Il y aurait évidemment à tenir compte des différences assez

marquées qui existent entre les diverses municipalités scolaires,notamment entre les municipalités rurales et les municipalités ur-baines. Mais, c'est là un problème technique, que les servicesadministratifs du gouvernement provincial pourraient facilementrésoudre à l'aide d'enquêtes appropriées.

Une donnée essentielle à souligner ici cependant, c'est que labase initiale de la distribution des subventions devrait être à la fois

Page 228: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Rapport de la commission Tremblay • 229

le nombre d'enfants inscrits au niveau post-élémentaire et le be-soin d'un tel enseignement dans une localité, besoin qui se déter-mine non pas tellement par le nombre de ceux qui sont inscrits defait au cours post-élémentaire, que par le nombre de ceux quipourraient s'y inscrire, c'est-à-dire, en dernière analyse, par lenombre d'enfants des âges correspondant au cours post-élémen-taire, soit approximativement 13 à 17 ans.

Les collèges classiques

Nous n'avons pas à porter jugement sur la valeur intrinsèque del'enseignement classique, ni sur le rôle historique des collèges dansla province de Québec. Notre témoignage n'ajouterait rien à ce quia été dit et écrit sur le sujet.

Les collèges classiques, masculins et féminins, représentent avecles universités, la majorité des institutions privées dont l'intégra-tion au régime financier des écoles est devenue, avons-nous dit,une nécessité. [...]

Modalités de solutions

L'a ct le plus embarrassant de l'aide financière de l'État auxinstitutions d'enseignement, surtout aux institutions privées, c'estla préservation de leur autonomie. D'une part, la liberté académi-que doit être sauvegardée; d'autre part, dispensateur des fondspublics, l'État, d'une certaine manière, doit en contrôler l'emploi.Aussi les organismes responsables de l'enseignement préfèrent-ilsse procurer de leur propre initiative les fonds nécessaires à leursbesoins, ou les obtenir selon un ou des modes qui ne les jettent pasdans la dépendance complète et directe de l'État. Tous ceux quiont comparu devant notre Commission ont insisté sur ce point.

Il faut chercher un mode organique d'ajustement du régimefinancier de l'enseignement post-élémentaire qui mette le moinspossible et les individus et les institutions dans la dépendance del'État. Le rattachement, comme nous le proposons plus haut, desquatre premières années de l'enseignement post-élémentaire aurégime financier des commissions scolaires réglerait pour la partiecorrespondante du cours classique le cas des institutions privées.Pour la partie supérieure du cours classique, le régime financierdes collèges devrait comporter outre la contribution des parents et

[...]

Page 229: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

230 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

du clergé, l'aide régulière de l'État : subventions statutaires propor-tionnelles au nombre d'élèves, ou répondant [à] diverses fins, [...]auxquelles d'ailleurs nous ajouterions la formation des maîtres;régime organique de bourses comprenant au besoin des allocationsde soutien, etc. [...]

Le problème qui se pose ici est celui de savoir : (i) si les subven-tions seraient versées à chaque institution directement ou parl'intermédiaire de l'université dont les institutions relèvent au pointde vue académique ou de la Fédération des Collèges classiques;(2) si les collèges traiteraient directement avec l'État ou par l'inter-médiaire d'un organisme comme celui dont nous parlerons ci-après, à propos des universités.

En attendant que les modes selon lesquels les collèges participe-ront désormais au régime financier des écoles aient été définis, ilimporte qu'une aide efficace leur soit assurée. Les collèges ontunanimement demandé que la subvention de 15 ooo $ dont ilsbénéficient actuellement soit augmentée et maintenue régulière-ment au niveau où elle s'est trouvée placée du fait de la subventionfédérale de 1951. Cette demande nous paraît raisonnable et devraits'étendre aux collèges féminins. Si l'enseignement post-élémentairedoit être développé, il n'y a pas de raison pour que la jeunesseféminine n'en bénéficie pas autant que la jeunesse masculine — etpar suite, pour que les institutions où elle se forme ne reçoiventpas le même concours que celles où se forme la jeunesse masculine.Le rôle de la femme dans la société moderne n'est pas moinsimportant que celui de l'homme. Nous dirons même qu'à certainségards il l'est plus, car c'est la femme, qui par sa fonction d'édu-catrice, façonne l'âme et le cœur des générations successives. Pasd'élite masculine sans une élite féminine correspondante. À notreavis les collèges féminins devraient être mis sur le même pied queles collèges masculins.

Les universités

Depuis quelques années, des circonstances diverses ont attiré l'at-tention du grand public sur les besoins des universités et leurproblème financier.

La nécessité d'une contribution de plus en plus importante dugouvernement au financement des universités soulève des problè-

[...]

Page 230: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Rapport de la commission Tremblay • 231

mes particulièrement délicats à cause du fait que celles-ci sont desinstitutions privées. L'aide gouvernementale étant destinée à pren-dre un caractère permanent et à devenir leur première source derevenus, l'on comprend que les universités se soient préoccupéesdu meilleur système de relations susceptible de s'établir entre elleset le gouvernement.

À cet égard, les positions prises par l'Université Laval nous ontsemblé refléter l'attitude de la plupart sinon de la totalité desuniversités québécoises. Elles nous ont également paru tenir comptedes aspects les plus essentiels des questions en cause.

Pour que soient plus sûrement atteints ces divers objectifs indis-pensables à leur bon fonctionnement, les universités ont suggéréelles-mêmes la création d'une commission d'aide aux universités etd'un fonds provincial des universités. Grâce à cette commission,les universités d'une part, pourraient plus facilement faire connaî-tre leurs besoins et le gouvernement d'autre part, serait plus enmesure de s'assurer que toutes les demandes de subventions sontjustifiées et correspondent à la fois aux besoins et aux ressourcesde la Province. Cette commission serait donc l'interprète des uni-versités auprès du gouvernement. Quant au fonds provincial, ilgarantit la continuité et la souplesse des subventions.

La situation financière des collèges classiques étant ce qui a étéindiqué dans les pages précédentes d'une part, et d'autre part leursrelations académiques avec les universités étant ce qu'elles sont, ilnous paraîtrait avantageux d'étendre aux collèges classiques, parl'intermédiaire de la Fédération et pour la partie des études post-élémentaires qui se rattache au cycle universitaire, les fonctions dela Commission d'aide aux universités. Cette Commission pourrait,ou bien garder le même nom ou bien s'appeler Commission del'Aide à l'Enseignement supérieur. Elle remplirait pour les collègesles fonctions qui lui sont assignées ci-dessus pour les universités.Cette extension est d'autant plus plausible que la Commissionserait l'interprète des universités franco-catholiques et des univer-sités anglo-protestantes, et que dans le cas de ces dernières, ladeuxième partie de l'enseignement post-élémentaire est directe-ment sous leur juridiction financière. Si son mandat ne s'étend pasaux collèges franco-catholiques, la commission se trouvera à jouerauprès du gouvernement un rôle différent selon qu'elle interpré-tera les besoins des institutions franco-catholiques et ceux desinstitutions anglo-protestantes. L'extension des fonctions de la

Page 231: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

232 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

commission d'aide aux universités serait à notre avis un précieuxélément de solution au problème financier des collèges.

Si nous regroupons ici les conclusions des pages précédentes ence qui touche les écoles publiques et les institutions privées, voiciquelle serait dans ses données maîtresses l'organisation financièrede l'enseignement dans la province:

1. — Les commissions scolaires responsables (sous le contrôle duDépartement de l'Instruction publique dans sa forme actuelle oudans toute autre forme que pourrait suggérer l'adaptation des struc-tures administratives) de l'enseignement élémentaire et de la pre-mière partie de l'enseignement post-élémentaire dispensé dans lesécoles publiques ou dans les institutions privées (classiques ouscientifiques). Sources de revenus: taxe foncière générale (décrétéeet perçue localement) ou de péréquation (établie, perçue et redis-tribuée par la Province au prorata du nombre d'élèves) ; impôt surle revenu, ou, selon l'aménagement fiscal fédéral-provincial, taxede vente (établie et perçue localement dans le cas des grandesmunicipalités scolaires ; établie, perçue et redistribuée par la Pro-vince dans les autres cas) ; subvention d'égalisation aux municipa-lités scolaires les moins pourvues de ressources fiscales et conçuesen vue surtout de répandre l'enseignement post-élémentaire danstoutes les régions.

2. — Les institutions privées, collèges classiques ou scientifiques etuniversités, responsables de la partie supérieure de l'enseignementpost-élémentaire et de l'enseignement universitaire. Sources derevenus: contribution des parents, du clergé et des ordres reli-gieux; régime organique de bourses pour les étudiants pauvres;subvention de l'État par l'intermédiaire de la Commission d'aideà l'enseignement supérieur ou du Conseil de l'enseignement secon-daire et de l'enseignement universitaire si les structures administra-tives sont réadaptées comme la suggestion en a été faite.

Un tel régime décentralisé, mais intégré et organique pourrait,nous semble-t-il, assurer le financement régulier de toutes les bran-ches de l'enseignement sans surcharges pour l'État et sans assujet-tissement indu et des individus et des institutions.

Page 232: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Rapport de la commission Tremblay • 233

Conclusions

Le régime scolaire de la province est donc engagé dans une évo-lution dont les phases finales sont difficiles à prévoir.

Dans le concret et sur le plan de l'action immédiate, le problèmeest à la fois juridique et financier. Il consiste:

1. — à redéfinir les fonctions des commissions scolaires : extensionde leurs responsabilités à la première partie de l'enseignement post-élémentaire de formation générale (public ou privé), et organisa-tion en conséquence de leur régime financier. Sous ce dernier aspect,le problème est d'abord fiscal : mettre les commissions scolaires enétat de se procurer par l'impôt (local ou de péréquation) la plusforte proportion possible des revenus nécessaires à l'accomplisse-ment de leurs fonctions;

2. — à intégrer les institutions privées: (a) au régime financier descommissions scolaires pour la première partie des études post-élémentaires; (b) au régime financier de la Province pour la se-conde partie de l'enseignement post-élémentaire et l'enseignementuniversitaire ;

3. — à intégrer l'enseignement technique au régime général del'enseignement tant au point de vue financier qu'au point de vueacadémique.

Il suffit d'énumérer ces divers problèmes pour se rendre compteque leur solution implique une réfection générale des structuresjuridiques, administratives et financières du régime de l'enseigne-ment. Il a été suggéré plus haut de créer une commission d'aideaux universités, ou, si l'on envisage le cas des collèges, d'aide àl'enseignement supérieur. Une telle création constituerait un élé-ment de solution à l'une des données importantes du problème del'enseignement. Mais si l'on veut régler le problème lui-même, ilfaut nécessairement le saisir dans son ensemble, et donc dépasserles solutions partielles.

À ce sujet, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a exprimédes vues et formulé des recommandations que nous croyons utilede reproduire, au moins comme orientation première de la penséeet de la recherche. [...] la Société Saint-Jean-Baptiste se demandesi «le Conseil de l'Instruction publique et le Département de

[...]

Page 233: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

234 * Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

l'Instruction publique tels qu'organisés actuellement sont en étatd'assumer efficacement la vaste tâche qui leur est confiée ». « Laquestion, affirme-t-elle, se pose depuis longtemps dans tous lesmilieux où l'on s'intéresse au progrès de notre enseignement. »

Elle suggère donc la création d'un Département de l'Éducationnationale qui serait lui-même composé de cinq conseils:

Cette proposition peut paraître audacieuse. Elle nous semblecependant être, sinon dans ses modalités, du moins dans son prin-cipe, dans la ligne de développement des réformes qu'exigé lasituation actuelle de l'enseignement.

Au point de vue politique, le problème est à la fois idéologique,culturel et constitutionnel.

i. — À quelle conception de l'ordre le régime de l'enseignementdoit-il répondre ? Les principes qui ont présidé jusqu'ici à sondéveloppement: responsabilité première des parents, droits del'Église, devoirs de l'État valent toujours dans une société chré-tienne qui entend évoluer dans le sens de ses convictions et de sestraditions. Mais comment doivent-ils être interprétés dans un milieude forte intégration sociale où individus, groupes et collectivitésont engagés dans des relations d'interdépendance de plus en plusétroites, et à une époque où les valeurs les plus fondamentales del'existence humaine et de la civilisation risquent d'être mises enconflit avec les exigences de la technologie et du progrès économi-que ? L'État est évidemment appelé à une action plus étendue etplus directe qu'à aucune autre époque antérieure. Mais encorecette action doit-elle s'exercer selon des modes qui respectent lesdroits de la famille, ceux de l'Église et tendent à renforcer à tousles niveaux de la société le sens de la responsabilité personnelle etde la solidarité commune. Or, c'est par les institutions qu'elle créeet les modalités d'existence auxquelles elle les soumet que la po-litique scolaire révèle l'esprit dont elle procède et en assure ladiffusion. D'où l'extrême importance d'une politique qui sansimposer à l'individu, à la famille et aux communautés locales desresponsabilités qui les dépassent, fasse cependant appel à leur ini-tiative, à leur fierté, à leur sens de la responsabilité, et les incite àla pleine réalisation d'eux-mêmes et de leurs fins. La réfection durégime de l'enseignement sera donc pour la province de Québecl'occasion d'une réflexion en profondeur sur quelques-uns desprincipes essentiels de sa philosophie de la vie.

[...]

Page 234: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Rapport de la commission Tremblay • 235

2. — S'il est un domaine où le particularisme culturel de la pro-vince de Québec doit s'affirmer dans la pleine conscience de lui-même, c'est bien l'enseignement à tous ses niveaux. Et nousretrouvons les préoccupations du paragraphe précédent, non plusseulement dans le choix et l'aménagement des structures, maisdans la recherche des fins mêmes de l'enseignement. L'école, avons-nous écrit plus haut, est le centre d'explication et de renouvelle-ment de la culture propre à un groupe humain donné. C'est doncavant tout par l'école que la province de Québec remplira sa missionde gardienne de la culture canadienne-française et justifiera savolonté d'autonomie, à la condition que l'école soit elle-mêmeconsciente de son rôle et de ses responsabilités à cet égard.

Car l'influence des cultures étrangères est désormais telle dansnotre milieu (presse, radio, télévision, cinéma, tourisme, techni-ques, institutions économiques, etc.), qu'on ne peut comme autre-fois se fier à l'automatisme des échanges sociaux pour assurer laconservation de la culture autochtone. Une pensée doit présider àsa vie et à son évolution. Par conséquent, des écoles de tous degrésdoivent former des générations successives d'hommes et de fem-mes très conscients de ce que l'existence quotidienne va exigerd'eux à ce point de vue. D'où la nécessité d'un enseignement quisache ressaisir la culture dans son inspiration profonde et laréinterpréter en fonction des réalités présentes.

3. — Enfin, le problème est constitutionnel. Inutile de faire icil'exposé systématique d'une thèse qui est impliquée au completdans le chapitre vu de la quatrième partie sur les théories et pra-tiques du gouvernement fédéral en matière d'éducation. Cette thèseest d'ailleurs simple: de toutes les juridictions des provinces, iln'en est pas de plus complète que l'enseignement et aucune nedevrait être plus indiscutée. Cette exclusivité provinciale est parti-culièrement exigée dans le cas de la province de Québec, et celapour les raisons évoquées ci-dessus, elles-mêmes simples reprisesdes positions générales du présent rapport.

Qu'il s'agisse d'enseignement élémentaire, d'enseignement se-condaire, d'enseignement technique-professionnel, d'enseignementuniversitaire et de recherche dans la mesure où celle-ci est liée àl'enseignement supérieur comme une condition d'efficacité et deprogrès, les provinces en général, la province de Québec en par-

[...]

Page 235: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

236 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

ticulier, ne devraient admettre aucune exception à leur droit, aucuncompromis dans l'exercice de leurs responsabilités. Il n'existed'ailleurs aucune raison autre que financière à de telles exceptionset à de tels compromis. Problème de ressources, donc problèmefiscal et d'aménagement de la fiscalité de telle façon que les pro-vinces disposent des revenus nécessaires à leurs besoins.

Pourtant, nous avons vu au chapitre vu déjà cité, que l'exclu-sivité provinciale en matière d'enseignement a été bien des foiscontournée: subventions à l'enseignement technique, aux univer-sités, radio, éducation des adultes, etc. Cette politique, à notreavis, devrait être abandonnée, quel que soit le secteur qui en faitl'objet. En pratique cependant, il arrive que les autres provinces,non seulement acceptent mais sollicitent les subventions fédérales.Par suite, si elle s'abstient, la province de Québec est frustrée dessommes qui lui auraient été versées, tout en contribuant à cellesdont les autres provinces s'assurent le bénéfice. Ainsi par exempledans le cas des subventions aux universités.

À cette situation, il n'y a qu'un remède: qu'en attendant unréaménagement fiscal qui assure aux provinces des ressourcesproportionnées à leurs besoins, et donc enlève toute justificationapparente aux subventions fédérales, le gouvernement central res-titue à la province de Québec, sous forme d'abaissement propor-tionnel d'impôt (diminution des taux ou « déductibilité ») toutesomme qui lui revient du fait que les autres provinces acceptentdes subventions à l'enseignement ou autres fins provinciales. Sansdoute, une telle solution n'est-elle pas de réalisation facile. Mais enadmettant un régime d'impôt sur le revenu différent d'une pro-vince à l'autre, le gouvernement fédéral en a trouvé le principe. Ils'agit ici d'une question de justice élémentaire; et comme legouvernement fédéral, en se soustrayant à la constitution, a lui-même posé le problème, à lui de prendre les dispositions pour lerésoudre.

Les pratiques constitutionnelles du gouvernement fédéral ont finipar susciter un problème d'interprétation des notions autrefoisindiscutées d'éducation et de culture. La Commission Massey a crutrancher ce problème en distinguant P« éducation académique », c'est-à-dire celle qui est dispensée dans les écoles de tous degrés et la«culture générale», c'est-à-dire celle que l'homme obtient par unensemble de moyens ne ressortissant pas à l'éducation organisée. Lapremière serait du ressort exclusif des provinces ; la seconde serait

Page 236: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Rapport de la commission Tremblay • 237

du ressort et des provinces et du gouvernement fédéral — celui-cipouvant en cette matière prendre toutes les initiatives qu'il jugeconformes au bien commun du pays tout entier.

Cette distinction apparemment ingénieuse ne fait en définitivequ'embrouiller la question. Nous avons pris attitude sur le sujetdans nos chapitres antérieurs. Pour nous, éducation et culture sontdeux aspects d'une même réalité: le développement de la per-sonne, et sont dans le prolongement l'une de l'autre. Si l'on con-sidère l'individu isolément, il est bien vrai qu'arrivé un moment oùil se cultive sans le concours de l'enseignement organisé, par lerecours aux moyens divers que le milieu met à sa disposition:bibliothèque, musée, radio, etc. Il est vrai aussi que l'État a ledevoir de favoriser le développement des moyens de culture. Maisprécisément, l'individu isolé n'existe pas ; il n'en est aucun qui nesoit membre d'une communauté nationale et qui ainsi n'accède àla culture par voie de culture particulière. Or, c'est précisément cefait que le droit constitutionnel a en vue, l'une des raisons princi-pales pour lesquelles l'État canadien est de forme fédérative. Enconfiant aux provinces la juridiction en matière d'éducation, laconstitution se proposait de créer les conditions propices à laconservation et au développement des deux cultures nationalesque l'histoire a mises en présence au Canada. Sans cette dualitéculturelle, l'éducation aurait pu tout aussi bien être confiée augouvernement central.

En matière d'éducation et de culture ainsi considérées dans leurinterdépendance, l'initiative première appartient donc et doit ap-partenir aux provinces; celles-ci ont le devoir de mettre tout enœuvre pour en favoriser le progrès, qu'il s'agisse d'écoles ou detous autres moyens de culture. Mais l'État canadien étant du typefédératif, le gouvernement fédéral, comme administrateur d'unepartie du bien commun, a aussi un rôle à jouer. Il a l'initiativeseconde. Entendons par là qu'il doit : (i) respecter l'initiative pre-mière des provinces et leur en faciliter l'accomplissement ; (2) quedans l'exercice de ses propres fonctions et dans la mesure où encontribuant à l'organisation du milieu elles en façonnent l'esprit,il doit se conformer au particularisme culturel de ses administréset en favoriser l'épanouissement: langue, droits, inspiration idéo-logique des institutions sociales, etc.

Les relations de l'éducation et de la culture étant ce que nousvenons d'indiquer, nous ne voyons pas en quoi une définition de

Page 237: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

238 • Autour de la commission Tremblay (1953-1956)

l'éducation pourrait, comme on l'a suggéré, contribuer à clarifierla pratique constitutionnelle. Elle ne ferait que consacrer une dis-tinction que la réalité n'admet pas. Jusqu'ici, la jurisprudence s'estabstenue de définir le mot « éducation » employé dans l'article 93de l'AANB. [...]

De la longue étude qui précède, deux conclusions sont à retenir :(1) D'ici quelques années, moins de dix probablement, le budgetgénéral de l'enseignement aura doublé et peut-être davantage;(2) d'importantes réformes de structures devront être réalisées pourrépondre aux besoins d'une province en pleine évolution sociolo-gique — réformes qu'impliqué la croissance même des chargesfinancières aux trois paliers où elles se répartissent: gouverne-ment, commissions scolaires, institutions privées.

Ces conclusions très générales suffisent aux fins d'une Commis-sion comme la nôtre, qui aborde les problèmes sous l'angle del'impôt et du partage de l'impôt entre les grandes branches del'administration publique. Mais aux fins de la politique scolaire, nices conclusions, ni l'enquête dont elles procèdent ne sauraientsuffire. Or, si la province de Québec a besoin d'une politiquefiscale et financière, elle a aussi besoin d'une politique scolaire. Cequi est ici mis en cause, c'est l'ensemble des valeurs dont, commeunité politique, elle est constituée gardienne. En pareille matière,s'il faut des fonds et des structures administratives, il faut d'abordet avant tout une pensée. Nous revenons donc ici à la recomman-dation que nous avons formulée dès le début, que l'étude amorcéeà l'occasion d'une enquête sur le problème fiscal soit continuéepour elle-même, c'est-à-dire en prenant le problème même de l'en-seignement pour objet, et en le considérant non plus seulementsous l'angle financier, mais sous les différents aspects : idéologique,politique, culturel et constitutionnel, qui en constituent les don-nées essentielles. Aucune étude ne nous paraît répondre à un plusgrand besoin de notre milieu à notre époque.

Source : Rapport de la Commission royale d'enquête sur les problèmes constitu-tionnels, vol. III, tome I: La juridiction provinciale, Québec, 1956, p. 153-155,171-174, 179-183, 186-193, 197-2.00, 210-217.

Page 238: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Troisième partie

L'impatiente attente des réformes1955-1961

Page 239: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

This page intentionally left blank

Page 240: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

29 André LaurendeauL'université, clé du développementdu système d'éducationet de la société entière10 juin 1955

Pendant que la commission Tremblay prépare son rapport, les débats sur l'édu-cation se poursuivent. En juin 1955, Laurendeau intervient en éditorial du De-voir, en affirmant que l'université est la clé du développement tant de l'ensembledu système d'éducation que de la société entière. Ici encore, l'inaction de l'Étatest source de problèmes et de retards dont souffre cruellement le Québec.Laurendeau avoue son rêve d'un « ministre de l'éducation » capable de com-prendre le rôle décisif de l'université dans les sociétés contemporaines.

S'il n'accomplit rien de révolutionnaire avant sa fin, le grand re-proche qu'on devra adresser au régime Duplessis, ce sera de n'avoirpas permis aux universités québécoises d'entreprendre leur proprerenouvellement.

Or quelques-unes des universités [du Canada anglais] d'où s'élè-vent le plus de plaintes [sur l'insuffisance de leur budget], ont déjàun budget double de celui qui limite l'effort des universités cana-diennes-françaises. On s'y plaint de ne pouvoir consacrer assezd'argent à la recherche ou au paiement des professeurs: que direde nous?

[...]

Page 241: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

242 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Les circonstances exigent des Canadiens français un rapide effortd'adaptation. Leur vie a radicalement changé. Ils doivent s'ajusterà de nouvelles manières de vivre et de penser. L'éducation seulepeut les y aider. Or un enseignement se renouvelle par en haut.Voilà ce qui justifie l'importance que nous attribuons aux univer-sités dans la vie nationale — outre leur importance propre, encoreplus évidente.

Un enseignement se renouvelle par en haut. On ne peut s'atta-quer au niveau élémentaire ou secondaire avec une efficacité com-plète: le problème des maîtres, des manuels et des techniques s'ypose mais ne s'y résout pas. Sans doute tous les stades de l'ensei-gnement se tiennent, et un homme souffrira toujours d'avoir reçuune mauvaise formation préliminaire : mais s'il s'agit de renouve-ler l'enseignement, il faut le saisir en son point central, ou si l'onpréfère en son âme : et l'âme de l'enseignement, dans notre civili-sation, c'est l'université.

Prenons un exemple fort simple.J'ai étudié l'histoire du Canada dans des manuels détestables. Ils

suintaient l'ennui. On peut se demander comment des hommesintelligents pouvaient consentir à utiliser des moyens aussi pauvreset aussi secs. Il y avait là une question de pédagogie élémentaire;mais la pédagogie vivante ne peut se renouveler que dans la recher-che, c'est-à-dire à l'université.

Ces manuels ennuyaient les jeunes vers 19x0. Quand mes en-fants sont entrés à l'école vers 1945, j'ai constaté avec stupeurqu'ils en rapportaient les mêmes manuels d'histoire du Canada. Ilsont écœuré nos enfants après nous avoir dégoûtés. Pourquoi ?

Durant des années, il n'y a pas eu de recherche universitaire enhistoire. On s'est donc contenté de résumer les histoires antérieu-res. L'histoire s'est figée en mauvaises formules.

En 1917, l'Université de Montréal engagea un historien. Elle luidemandait du jour au lendemain un enseignement historique com-plet. Puis il fut question de dix leçons annuelles, chiffre que l'abbéGroulx réduisit à cinq. Mais quoi, payer un historien et n'en obtenirque cinq leçons originales ? On ne le paya pas. Il dut gagner sa vieailleurs pendant une dizaine d'années. Conditions idéales...

Néanmoins ses recherches apportèrent de nombreuses mises aupoint, un vrai renouvellement. On commença de s'apercevoir queles manuels avaient vieilli. On mit quand même du temps à lesreprendre. Les mauvaises formules ont duré.

Page 242: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

André Laurendeau • 243

Au surplus, l'histoire exige de longues recherches. Nul hommeseul ne saurait les accomplir, ni même les engager toutes. Lesrecherches, pour être pleinement fécondes, exigent des échanges:songez au sort du professeur condamné à la solitude. Que sanscollègues, sans même de secrétaire, ayant abordé l'histoire à qua-rante ans et s'étant bâti sa technique à lui-même, distrait de sesrecherches par la nécessité de gagner sa vie ailleurs, dérangé partous les amis et tous les adversaires, le chanoine Groulx ait fournil'œuvre que nous savons, cela tient de la gageure. Est-il prudent dejouer toujours son sort?

Aujourd'hui le département d'histoire de l'Université de Mon-tréal compte trois hommes ; de chacun l'on exige qu'il couvre tropde terrain; les salaires sont tels que certains doivent, je crois,chercher ailleurs des revenus d'appoint. Ils sont trois pour accom-plir une tâche qui accapare une vingtaine d'hommes à Toronto. Ily a plus de chercheurs, sur les origines françaises du Canada, enOntario que dans le Québec. C'est stupide, mais c'est ainsi. Plustard des esprits distingués reprocheront aux historiens actuels laminceur de leurs résultats: que ne vendent-ils des frigidaires, çapaye davantage et ça ne crée pas de problèmes avec la postérité.

... C'est vrai pour l'histoire et les lettres, vrai pour la philosophie.C'est vrai pour les sciences pures et particulièrement pour les scien-ces sociales: toutes facultés très pauvres ou trop pauvres, dontl'élan est brisé par l'absence ou la rareté des spécialistes. Les maîtresque nous n'avons pas, nous ne les importons pas, nous ne lespréparons guère car nous envoyons encore beaucoup trop peud'hommes se former à l'étranger. L'Université se cherche et lesétudiants, en tous cas les meilleurs, ne la trouvent pas.

Or les trois quarts de nos faiblesses viennent de nos ignorances.Nous n'en sortirons pas sans un mouvement concerté. L'autono-mie devrait au premier chef nous fournir des conditions au milieudesquelles on pense librement ; à peine permet-elle de penser. Celane juge pas l'autonomie, mais l'usage qu'on en fait.

Je rêve d'un ministre de l'éducation, qui comprendrait cela etqui, par astuce, énergie, habileté et force, en convaincrait ses col-lègues sous quelque régime que ce soit. Il ne serait pas nécessaire

Page 243: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

244 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

que les collègues comprennent, il leur suffirait de consentir. Envingt ans nous serions extrêmement changés. Le secondaire et leprimaire suivraient, par la force des choses, par la force du grandélan créateur ainsi imprimé. Je rêve d'un ministre intelligent, vi-goureux et cultivé. Il est vrai que c'est beaucoup.

Source: «Premier but: l'université», Le Devoir, 10 juin 1955.

Page 244: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

3O Jean-Paul LefebvreL'éducation aux adultesNovembre 1955

Les débats entourant l'éducation portent pour l'essentiel sur la formation desjeunes générations. Cependant, l'éducation des adultes — particulièrement dansune société historiquement frappée par une importante sous-scolarisation dontles générations précédentes portent durablement la marque, dans une écono-mie en voie de modernisation rapide — préoccupe aussi certains réformateurs.Ainsi, Jean-Paul Lefebvre (né en 1926), syndicaliste, éventuel directeur du ser-vice de l'éducation des adultes de la Commission des écoles catholiques deMontréal, député à l'Assemblée nationale (1966-1970), s'emploie en 1955 àcaractériser la place et les formes d'une «éducation populaire» adaptée auxbesoins nouveaux du Québec. Cette partie du débat sur l'éducation s'amplifieraconsidérablement après 1960 et conduira au développement de la notiond'« éducation permanente ».

La pierre d'angle d'une cité libre, c'est certainement la consciencede la liberté chez la masse des citoyens. Une foule de gens tra-vaillent à développer cette conscience parmi la population cana-dienne-française du Québec. Dans ces secteurs différents et enutilisant des méthodes très variées, quelques milliers de «mili-tants » assument la responsabilité de l'éducation : syndicale, coo-pérative, nationale, culturelle, religieuse, et que sais-je encore ?

Le besoin d'éducation populaire n'est pas propre à notre milieu.Il se présente pourtant chez nous avec une acuité particulière, enraison des difficultés d'adaptation de notre population urbaine,qui fut transplantée de la terre à l'usine en un temps record.Maintenant que nous pouvons observer avec quelques années derecul les conséquences de cette migration massive, il devient plusfacile de montrer du doigt certaines lenteurs à nous adapter.

Malgré le titre pompeux qui les coiffe, ces notes sont une simpleamorce à l'étude d'un problème certainement très complexe ; tant

Page 245: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

246 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

mieux si elles devaient susciter des mises au point et des éclaircis-sements. Nous avons été servis à satiété de monologues, livrés sousl'étiquette d'un absolu, en des matières où la discussion aurait étébeaucoup plus salutaire.

Le «haut savoir» et le peuple

Nous voilà donc devenus, en grande majorité, gens de ville. Nousavons troqué le chapeau de paille contre la casquette, mais nousavons mis du temps à nous en rendre compte. On peut dire quece fut un secret bien gardé. Même nos universités, ces écoles dehaut savoir, ne l'ont pas su tout de suite. J'irais jusqu'à prétendrebien humblement qu'elles n'en sont pas encore certaines, si l'on enjuge par leurs attitudes officielles.

On pourrait ici demander ce qui a été fait pour rendre l'univer-sité accessible au fils de l'ouvrier, mais je n'en suis pas là. Je penseà l'ouvrier lui-même et au collet blanc, son frère jumeau, qu'il lereconnaisse ou non. Qu'est-ce que l'université a fait pour eux?Rien du tout, pendant nombre d'années. Un beau matin pourtant,le cœur repentant, on lui a offert un résumé de quelques séries decours du jour, à prendre le soir, après le souper, le tout encadrédans une balade d'une heure ou deux en autobus (prière de vérifierauprès de la Commission du Transport de Montréal). Pour immor-taliser cette culture en comprimés, on a fait un effort surhumainet l'on a pigé, dans la réserve sacrée de la science, la suprêmerécompense : un diplôme. Au patient qui avait besoin de plein airet d'exercice, on a ainsi injecté une dose massive de vitamines.

La pêche à la ligne, c'est déjà quelque chose, me direz-vous.Oui, certes, mais ce n'est pas assez profitable pour nourrir le peu-ple. Les masses urbaines, qui sont avant tout des masses de tra-vailleurs, ne peuvent se contenter d'une promotion individuelle (etindividualiste) ; nous devons songer à la promotion collective, à lapromotion de groupe.

L'habitude d'accorder à la promotion individuelle une confianceet une valeur absolues repose sur un mythe de la logique bour-geoise à l'effet qu'il y a toujours de la place au « sommet » del'échelle sociale. Or dans la portée qu'on lui donne ordinairement,il ne fait pas de doute que cet axiome soit un mythe et une duperie.La société industrielle n'a pas besoin que d'ingénieurs et de con-tremaîtres, ces derniers seront toujours en minorité par rapport à

Page 246: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Jean-Paul Lefebvre • 247

la masse des travailleurs. Il n'entre pas dans le cadre de cet articled'étudier comment le travail industriel pourrait être revalorisé envue d'un épanouissement de la personne humaine. Ce que je veuxrappeler ici, c'est une vérité toute simple mais qui me semble re-jetée, de fait, par notre société: tout homme a droit à la culture,et la société, comme telle, a le devoir de faciliter à tous l'acquisi-tion de la culture. La poésie, la musique, la littérature, les scienceséconomiques et politiques ne sont pas l'apanage exclusif des genscossus. Ceux qui possèdent la culture ne sont que les fiduciaires dela communauté humaine.

Une culture vivante

Trop souvent, on a négligé de proposer au peuple une culturevivante, en utilisant, d'une part, des méthodes et des circonstancesinadaptées à la niasse ; et, d'autre part, en faisant porter le plus clairdes efforts sur des programmes qui s'adressent principalement à desclasses minoritaires : la petite bourgeoisie (particulièrement à l'uni-versité de Montréal) ou la classe agricole (particulièrement à Laval) ;on a oublié la masse ouvrière.

Ce n'est pas tellement d'enseignement postscolaire que nousavons besoin, mais plutôt d'éducation populaire. Il n'y a pas qu'unedifférence d'appellation entre ces deux réalités. L'enseignementévoque surtout la transmission d'un certain nombre de connais-sances. Ce que doit prodiguer l'éducation (ex-ducere — tirer de),c'est surtout la connaissance de soi, de ses possibilités et des moyensà prendre pour vivre pleinement sa vie au milieu du groupe hu-main auquel on est rattaché et avec lequel on est en constantecommunication.

En général, le travailleur adulte est plutôt réfractaire à l'ensei-gnement ; mais, lorsqu'on aura fait suffisamment d'efforts pour lecomprendre, lorsque l'éducation sera vraiment dépouillée d'unecertaine tradition individualiste et bourgeoise, le travailleur pourrafaire la preuve que la culture elle-même y gagnerait à démocratiserses méthodes et ses institutions.

[...]

Page 247: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

248 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Quelques suggestions

L'Université, c'est l'Université ! s'exclameront sans doute quelquessavants universitaires ! Je pense bien que nous sommes d'accordlà-dessus. C'est bien beau de critiquer mais enfin, où voulez-vousen venir ? Simplement à entreprendre certaines initiatives, auxquel-les d'ailleurs, quelques-uns de vos employés ont peut-être déjàsongé, messieurs les gouverneurs.

Voici donc, à mon humble avis, quelques domaines (entre autres)où les universités pourraient apporter une contribution très utile àl'éducation populaire.

i. Enseigner au public l'utilisation plus rationnelle des médiasde propagande de masse : cinéma, radio, télévision, presse.Exemple : organisation de ciné-clubs ou de ciné-forme orien-tés selon divers centres d'intérêt: histoire, les arts; le théâ-tre, la musique, les danses, etc.

2,. Fournir à toutes les facultés universitaires le moyen d'utili-ser les médias de masse pour vulgariser les éléments de basede leurs disciplines respectives.

3. Enseigner l'histoire de façon à intéresser les militants desdifférents mouvements populaires.— histoire du mouvement ouvrier: pour les syndiqués;— histoire industrielle et économique;— histoire de la famille: pour les Écoles de Parents;— histoire politique,— histoire de la musique; etc., etc.

4. Enseigner les sciences économiques et politiques à partir desbesoins du peuple et des problèmes d'actualités.Exemples: le chômage

le régime fédératifles finances publiques (lorsque M. Harris1 pré-

sente « son » budget)

5. Organiser, sur le plan des quartiers, des cours populairessur:— la psychologie de l'enfant;

[. Harris: ministre fédéral des Finances. (N.d.É.)

Page 248: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Jean-Paul Lefebvre • 249

— l'éducation physique de l'enfant;— l'éducation religieuse de l'enfant; [...]— l'économie domestique.

6. Organiser des stages de formation pour ceux qui veulents'adonner à l'éducation populaire.

7. etc., etc., etc., jusqu'à épuisement des crédits !

Le peuple et ses associations

II faut bien dire aussi que l'université n'a pas été pionnière dans ledomaine de l'éducation populaire. Bien avant la création des dé-partements d'Extension de nos universités, des groupes très variéss'étaient donné pour mission, principale ou accessoire, de travaillerà la formation économique, sociale ou religieuse de la collectivité.

[...] je crois qu'il faut affirmer que les «mouvements » populai-res font un travail d'éducation considérable, dont l'efficacité seraitpar ailleurs plus grande si l'on savait sortir davantage des sentiersbattus.

En dépit de toutes les bonnes intentions et des multiples dévoue-ments suscités par ce vaste mouvement d'éducation, on peut for-muler une critique amicale à l'effet que l'on a trop souventtransposé, dans le domaine de l'éducation populaire, les méthodesde formation individualiste et d'enseignement didactique utiliséesdans l'éducation proprement scolaire. Par ailleurs, certains besoinsd'éducation de la communauté sont demeurés pratiquement dansl'oubli : c'est le cas de l'éducation civique ou politique du citoyen.

Beaucoup de militants se plaignent actuellement de la difficultégrandissante que rencontrent ceux qui veulent s'adonner à l'édu-cation des adultes. Dans toutes nos villes industrielles, surtoutdans les grands centres et tout particulièrement dans la Métropole,le travailleur d'usine, l'employé de bureau, la mère de famille, nerépondent pas toujours comme on le souhaiterait à l'invitation desdivers mouvements, syndicaux, coopératifs, civiques, qui s'offrentà les servir. Les causes de cette résistance sont multiples, le pro-blème des distances étant, à lui seul, un obstacle de taille tant aupoint de vue physique que psychologique.

Nous pourrions aussi rectifier nos objectifs. Ainsi, nous pour-rions parler moins de faire l'éducation du peuple et tenter plutôtde lui faciliter l'acquisition d'une culture qui ne saurait consisteren une simple accumulation de connaissances mais bien, comme

Page 249: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

250 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

l'a décrit Mgr de Solages2, une culture qui soit « ce qui permet à unhomme de se situer à sa place dans l'univers et de donner un sensà sa vie».

À la recherche de l'homme réel

II y a beaucoup à faire pour qu'une culture vraiment vivante semanifeste dans nos villes, communautés improvisées où le citoyenest devenu Monsieur Quelconque, ignoré de son entourage le plusimmédiat et indifférent à son égard. Il nous faudrait d'abord ac-quérir la science du doute, cesser de nous pâmer sur nos beauxprogrammes d'éducation et nous mettre résolument à la recherchede l'homme réel. Les gens de commerce se livrent à de savantscalculs avant de déterminer la localisation d'un nouveau magasin.Pourquoi n'en ferions-nous pas autant pour le choix de nos lieuxde réunions ?

À partir de là, il y aurait lieu de repenser tous les aspects denotre travail, sans négliger l'organisation matérielle. La disposi-tion, la décoration, « l'atmosphère » d'une salle d'étude ou deconférence, exercent sur l'homme moyen une influence beaucoupplus considérable qu'on semble parfois l'imaginer. Une étude sé-rieuse dans ce domaine serait déjà un début de solution au pro-blème des salles à demi vides dont se plaignent un grand nombred'éducateurs populaires.

Quantitativement, l'éducation populaire a certainement fait desgains considérables depuis une vingtaine d'années. Pour s'en con-vaincre, on n'a qu'à consulter le « Répertoire national de l'Éduca-tion Populaire au Canada Français », publié en 1949 par la SociétéCanadienne d'Enseignement Postscolaire. Ce document énumèreune liste imposante de réalisations. Une édition révisée qu'onpublierait aujourd'hui montrerait des progrès marqués pour les sixdernières années. Pourtant, on entend souvent des propos trèspessimistes. Beaucoup trop de gens expliquent leur échec ou leurdemi-succès par un désintéressement et une paresse incorrigiblesdu peuple. Certains pessimistes de carrière devraient démissionner,chausser leurs pantoufles et réfléchir à leurs fins dernières.

Pour organiser une coopérative, un parti politique (démocrati-que), promouvoir l'action syndicale ou faire fonctionner une

2. Bruno de Solages (1895-1984), théologien catholique français. (N.d.É.)

Page 250: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Jean-Paul Lefebvre • 251

bibliothèque, la première condition, c'est de ne pas être convaincuque 75 % de l'humanité est formée d'imbéciles ou d'amorphesinvétérés.

La tâche essentielle de l'éducateur, c'est de s'adapter, de se mettreau service des gens. Si l'on pense que le travailleur demeurant àSaint-Henri ou à Maisonneuve va se rendre à l'Université (sur lamontagne) pour entendre des conférences, je crois qu'on se berced'illusions. On est aussi naïf si l'on espère que la mère de famille,que l'employée de bureau ou le commis-livreur vont se ruer sur labibliothèque pour dévorer des piles de livres, que cette bibliothèquesoit sur la rue Sherbrooke ou dans le sous-sol de l'Église paroissiale.

Oublions notre logique mercantile pour un instant et deman-dons-nous s'il est raisonnable qu'on fasse une publicité monstrepour convaincre la ménagère d'acheter tel dentifrice plutôt que telautre et qu'on fasse si peu pour lui dire, dans un langage adaptéà sa condition, quels avantages elle pourrait tirer de la lecture, dela musique, de la participation à un groupe d'étude pour les con-sommatrices, etc.

C'est à vous donner la tentation du socialisme ! L'éducation dupeuple, ça n'est vraiment pas facile dans une société capitaliste.Mais avant même que le welfare state devienne pour nous uneréalité, et pour qu'il le devienne, il faut nous mettre à l'œuvre. « Sichacun balaie son devant de porte, la rue sera propre. »

[...] Dans une société qui nous a appris à idolâtrer la richesseet ses possesseurs et à mépriser l'homme du commun, qui n'aaccepté comme valeurs culturelles qu'une partie des éléments de laculture réelle, il va nous falloir apprendre à connaître le peuple età lui faire confiance. Ceux qui se prétendent les éducateurs dupeuple ont beaucoup à apprendre de lui. C'est un problème deconscience pour les chrétiens et pour le démocrate d'adopter cetteattitude. [...]

Que les quelques milliers de militants qui dirigent nos mouve-ments et nos associations populaires s'appliquent à concevoir et àréaliser l'éducation et la culture populaire dans cette juste perspec-tive et la face de la société s'en trouvera extraordinairement trans-formée, si bien que l'on pourra parler d'une révolution en marcheau Canada français.

Source : « L'éducation populaire au Canada français », Cité libre, novembre 1955,p. 11-33.

Page 251: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

31 Paul-Emile GingrasÉducation libérale ou instruction utilitaire?1956

Attentif aux hypothèses de réforme qui circulent dans le milieu, Paul-EmileGingras s'interroge sur les finalités ultimes de l'éducation. Si, assurément, « l'édu-cation doit s'adapter dans une certaine mesure aux conditions modernes»,cette adaptation doit se faire à la lumière d'une conception correcte des finali-tés de l'éducation. Il s'impose de résister à ceux qui, donnant préséance à ceque Gingras décrit comme la « fonction sociale » de l'éducation, à la volonté quel'éducation vise d'abord à préparer des individus à un rôle social ou à unefonction professionnelle, risquent de réduire l'éducation libérale qui a fait laforce de la tradition occidentale à une instruction utilitaire négligeant le déve-loppement de la personne et la vie de l'esprit. Gingras exprime ainsi l'inquié-tude de ceux qui savent la nécessité de réformes mais qui appréhendent lesacrifice de ce qu'ils jugent essentiel. Ce genre de préoccupations se manifes-teront tout au long du débat préparant les grandes réformes.

[...] la fonction sociale de l'enseignement m'apparaît l'origine dela confusion et le facteur qui inspire davantage les réformateurs.Être conscient de l'importance que prend aujourd'hui dans l'édu-cation la fonction sociale de l'enseignement devrait éclairer laquestion et permettre d'éviter des faux pas.

Jusqu'à une époque récente, le premier objectif de l'éducation,incontesté, résidait dans le développement de la personne, dansl'acquisition de qualités personnelles. Se servant de la lecture, del'écriture et du calcul comme matières des opérations intellectuel-les, le maître donnait comme fin à son œuvre «la croissance del'entendement » ou la philosophie de la vie. L'enfant était progres-sivement amené à saisir les principes de la pensée et de l'action deDieu et de l'homme. Simple conversation chez le docteur juif, leprécepteur grec ou romain, le théologien du Moyen Âge, l'ensei-gnement s'élargit avec le temps et cette conversation devint la

Page 252: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Paul-Emile Gingras • 253

transmission et l'interprétation des œuvres, figures et institutionsde la civilisation occidentale. Cette éducation, dispensée à un petitnombre, formait les personnes capables de comprendre leur mi-lieu, de s'y insérer, de le mener et de l'améliorer ; elle formait l'éliteet les rois. Si l'esclave et le petit étaient individuellement négligés,ils participaient cependant à cette philosophie de la vie qui animaitleurs chefs.

Cette époque est révolue. Les droits de l'individu et de lacollectivité, incarnés dans la démocratie et le socialisme, ont ra-dicalement entamé cette philosophie de l'éducation. L'améliora-tion de la personne, terme final hier, est progressivementsubordonnée à des objectifs secondaires, aux fonctions de l'ensei-gnement, et notamment à sa fonction sociale. L'éducation libé-rale tendait à développer la puissance intellectuelle, les aptitudesde l'adolescent et à faire d'eux des hommes; elle obtenait parsurcroît qu'étant hommes, ils agissent en citoyens utiles et dévoués.La sujétion de la personne à l'individu et à la société imposeaujourd'hui à l'éducation de produire des citoyens, de préparerdes fonctionnaires de telle société donnée. Il s'agit en réalité dedeux philosophies de l'éducation, irréductibles, dont les traitsessentiels ont été bien formulés dans la langue anglaise : « being-doing », « training-schooling ».

Cette déviation fondamentale de l'éducation se compliqueaujourd'hui d'un développement des sciences de la nature dispro-portionné à celui des sciences de l'homme, à un dénivellement desvaleurs matérielles et spirituelles, et conséquemment, d'une civili-sation ancrée dans des aspirations matérialistes de plaisir et deconfort, d'utilité et de puissance. La facette américaine de cettecivilisation contemporaine se trouve à la fois la plus agréable àl'instinct individuel par ses promesses de bien-être matériel et laplus pressante dans ses exigences d'éducation.

Il importe de retracer ces exigences et pressions. Nous en som-mes trop souvent les jouets inconscients; à notre insu, le milieunous a marqués de ses intérêts, de ses besoins. Il importe que nousne soyons pas les échos naïfs de tels intérêts et besoins, peut-êtreillégitimes, lorsque nous prônons la réforme et le progrès de l'en-seignement. Il importe que nous prenions constamment consciencedes mirages, telle la fonction sociale, que notre monde cherche àsubstituer à l'objectif essentiel et permanent de toute éducation,qui est de développer la vie de l'esprit. Une fois cette atmosphère

Page 253: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

254 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

éclaircie, la réforme de l'enseignement en sera simplifiée, facilitéeet mieux orientée. Si au contraire nous n'obtenons pas de sous-traire l'éducation à ces pressions et exigences, nous nous éloigne-rons toujours davantage de la véritable réforme qui n'est au fondqu'un rajeunissement de l'esprit et des méthodes de l'éducationlibérale traditionnelle.

L'éducation doit s'adapter dans une certaine mesure aux condi-tions modernes. J'imagine, par ce que la tradition et les textes nousen ont livré, que les véritables maîtres ont toujours tenu compte deleur milieu, juif, grec ou chrétien. Il serait ainsi inconcevable quel'éducation moderne n'atteigne pas à une compréhension des prin-cipes scientifiques qui sont à l'origine de notre révolution mo-derne. Car de cette révolution l'adolescent porte à son insu lestraits et les inquiétudes. Son maître, s'il en est un, devra êtreconscient de ces traits et inquiétudes, apte à comprendre le milieude l'adolescent, la société dans laquelle ils vivent et lui vivra de-main, être décidément engagé à son service pour l'améliorer. Cemaître qui porte en lui les questions de son milieu saura fairerésonner les vieux textes ou les œuvres modernes comme jadis, àquinze siècles de distance et en des milieux divers, des maîtresgrecs ou français savaient éduquer par les mêmes textes — Ho-mère et Aristote — des jeunesses si différentes.

Que notre éducation libérale ait partiellement failli à la tâched'adapter nos jeunes à leur milieu, en raison de la faiblesse debeaucoup de leurs maîtres et de leurs institutions, je le concèdevolontiers et reconnais l'urgence de l'amélioration. Mais je récuseune pseudo-réforme qui, prétextant les échecs, s'attaque à l'espritmême de l'éducation, renversant sa finalité permanente. Si Pierreest mauvais médecin, appelons Jacques, mais la médecine demeure.Si le maître n'obtient pas les résultats, cherchons-en les causes,exigeons l'amélioration, mais ne refusons pas l'éducation.

La fonction sociale de l'éducation qui est de préparer des tech-niciens, des savants, des hommes d'État tend précisément à dé-truire l'essentiel même de l'éducation et à lui substituer des fabriquesde serviteurs de la société. Au Moyen Âge l'ouvrier faisait l'ap-prentissage; dans un monde où la technique a évolué, il faut desécoles pratiques. De là à ce que toute école devienne apprentissagede fonctions sociales, il y a marge : nous préparerions à ce compteune civilisation de robots. Un grand éducateur, M. Robert Hutchinsdisait récemment : « Vocational training is an éducation appropriate

Page 254: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Paul-Emile Gingras • 255

to slaves. » Troquerons-nous l'éducation pour un enseignementpratique ?

Ce qui effraie, c'est que les réformes suggérées ou instaurées àce jour chez nous s'inspirent quasi exclusivement des besoins, desintérêts du milieu, des ajustements au monde moderne : écoles pré-professionnelles, spécialisées, cours de préparation, baccalauréatsà prix réduits pour fins pratiques. Je pense encore à cette extensionuniversitaire, à ces « cours de brevets » (que les journaux annon-cent ce soir). Je pense à ces collèges qui ont choisi, pour ajusterleurs élèves au milieu, de corriger la culture médiocre qui leur esttransmise par la création d'une trentaine d'organisations extra-scolaires. Je pense à toutes ces institutions que l'on projette, quel'on ouvre même à l'adolescent, avant de penser aux maîtres quiy présideront. Nous sommes déjà profondément marqués par cettedéviation des fins de l'éducation. À nos côtés pourtant des voisinsont fait avant nous l'expérience. Les résultats les désolent, lesaffolent. En réaction la philanthropie donne un demi-milliard auxinstitutions pour qu'elles se donnent elles-mêmes des maîtres. S'entrouvera-t-il maintenant dans cette génération qui elle-même a étéfaçonnée dans une optique faussée ? La déviation semble moinsavancée au Canada français ; il est temps toutefois que la réformede l'éducation dépasse les objectifs secondaires et que, tendue versla fin première, elle cherche méthodiquement les moyens de déve-lopper de nos jours chez la jeunesse la vie de l'esprit.

Source: «La fonction sociale de l'enseignement», L'Action nationale, vol. 46,1956, p. 615-620.

Page 255: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

32 Institut canadien des affaires publiquesUn débat sur la démocratisationde l'enseignement1956

À compter de 1953, l'Institut canadien des affaires publiques (ICAP) est à la foisun rassemblement d'esprits réformistes et progressistes et un lieu de débatsstructurés sur les différents enjeux confrontant la société québécoise. Ainsi,annuellement, l'ICAP tient une conférence sur un thème donné. Cette confé-rence prend la forme d'une « retraite fermée » dans un hôtel de villégiature desLaurentides. Cent cinquante ou deux cents personnes, pendant quatre jours,écoutent des conférenciers prestigieux ou débattent entre elles du thème choisi.Les conférences et les résumés des débats sont éventuellement publiés. Cesrencontres annuelles sont l'occasion d'échanges et de discussions et permet-tent de développer, sinon des consensus, du moins un discours critique réfor-miste largement partagé sur un problème ou l'autre de la société québécoise.L'ICAP permet surtout un réseautage intellectuel et politique qui rejoint desmembres influents de divers milieux québécois, réseautage qui accroît l'influencede certaines idées réformistes dans la société. En 1956, la conférence de l'ICAPporte sur la question de la démocratisation de l'éducation. Quelques interven-tions mettent en lumière le sens, les conditions et la portée d'une telle démo-cratisation.

Arthur TremblayAspects sociaux et politiquesde la démocratisation de l'éducation

Dans son intervention, Arthur Tremblay reprend des idées développées sur labase d'études empiriques menées pour la Commission royale d'enquête sur lesproblèmes constitutionnels et publiées par cette dernière sous le titre de Con-tribution à l'étude des problèmes et des besoins de l'éducation dans la pro-vince de Québec (1955). Il évoque en particulier la nécessité d'accroître lafréquentation scolaire et l'engagement de l'État dans la gestion de l'éducation.

Page 256: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Arthur Tremblay • 257

La démocratisation de l'enseignement peut être envisagée de deuxpoints de vue nettement distincts : on peut la considérer sous l'an-gle de la diffusion de l'enseignement et de la fréquentation sco-laire ; d'autre part, elle peut aussi désigner le contrôle démocratiquedes institutions pédagogiques.

Du premier point de vue, ses implications sont à la fois démo-graphiques et culturelles. Nous en avons longuement discuté hiersoir : il ne suffit pas d'augmenter la fréquentation scolaire et d'as-surer à toutes les classes de la société l'accès aux divers degrés deformation. La démocratisation de l'enseignement devra égalementtransformer les programmes d'études et les méthodes, sinon dansleurs ambitions ultimes d'humanisme, du moins dans les modalitéset les formes particulières de leur cheminement vers un humanismeadapté à notre époque. En d'autres pays où la diffusion de l'ensei-gnement a déjà atteint les limites du possible, on s'inquiète à justetitre du dilemme culturel que soulève l'émergence d'une civilisa-tion de masse. Dans notre milieu, il faut anticiper les événementspour se poser un tel dilemme. Nous en sommes encore au stade oùla question majeure à résoudre est celle d'une diffusion de l'ensei-gnement plus conforme à un idéal démocratique.

Même à cet égard, dans le climat de notre pensée pédagogique,la démocratisation de l'enseignement apparaît comme un étrangeaccouplement de mots. Nous n'avons pas l'habitude de formulerde cette façon le problème scolaire. À ma connaissance, le rapportdu sous-comité de coordination de l'enseignement, publié en 1953,est le premier document d'importance à traduire en termes impli-citement démocratiques les objectifs et les fins de notre systèmescolaire. Encore faut-il ajouter qu'il se contente d'affirmer quetous les jeunes devraient accéder au niveau et au type de formationqui correspondent à leurs aptitudes.

L'intention démocratique eût été plus manifeste si l'on avaitajouté que ce principe devait s'appliquer à tous les jeunes, quellesque soient leur origine sociale et leur condition de fortune.

Le fait qu'on n'ait pas senti le besoin d'ajouter cette précisionmontre bien que la diffusion de l'enseignement n'a pas été princi-palement pensée par le sous-comité en termes d'une idéologiesociale, mais plutôt en termes d'un postulat d'économie psycholo-gique, le développement des aptitudes individuelles.

En d'autres milieux, par contre, on est porté à se représenterles mêmes objectifs démocratiques sous un aspect exclusivement

Page 257: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

258 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

social, sans faire mention de leur aspect psychologique. Selon ladéclaration de principes de la Confédération des Travailleurs ca-tholiques du Canada, « l'instruction à tous les degrés et la culturedoivent être accessibles aux travailleurs».

Abstraction faite de leur différence de perspective, le rapport dusous-comité de coordination et la déclaration de la CTCC n'enreprésentent pas moins, dans notre milieu, une manière relative-ment nouvelle de concevoir les objectifs de notre système d'ensei-gnement. L'un et l'autre sont l'indice d'une prise de conscience quine s'était pas produite encore, bien que les faits qui l'ont provo-quée ne fussent pas nouveaux chez nous.

Dans la province de Québec, en effet, même au niveau de l'en-seignement primaire élémentaire, environ 2,0% des jeunes quipourraient se rendre jusqu'à la ye année, dans leurs études, aban-donnent l'école prématurément dès la 6e année ou même avant.

Au niveau de l'enseignement secondaire ou universitaire, ainsique dans l'enseignement professionnel élémentaire ou moyen, lesinscriptions sont encore plus manifestement inférieures à ce qu'el-les devraient être, si tous les jeunes poursuivaient leur formationscolaire jusqu'au plein développement de leurs aptitudes.

Dans quelle mesure cette constatation générale peut-elle s'appli-quer sans nuance à tous les milieux sociaux ? — Une étude publiéepar la Fédération des Collèges classiques ainsi que plusieurs autresindices, en particulier l'insuffisance de l'organisation scolaire dansles centres ruraux, semblent justifier l'hypothèse que c'est parrapport au milieu agricole et au milieu ouvrier que notre systèmescolaire est le moins démocratique.

Depuis une quinzaine d'années, un certain nombre de mesuresont été prises par les autorités scolaires dont les effets, sinon l'ins-piration, ne pouvaient être que démocratiques.

La première et la plus radicale de ces mesures est, sans contre-dit, la loi de fréquentation scolaire obligatoire votée en 1942. etaccompagnée, peu de temps après, d'autres lois établissant la gra-tuité scolaire dans les écoles publiques. La loi de fréquentationobligatoire demeure en vigueur. Mais la gratuité scolaire n'est pasencore généralisée, loin de là, même au niveau de l'enseignementprimaire élémentaire. Il est vrai qu'une politique plus généreused'aide aux étudiants a multiplié les bourses d'études; mais cetteaide a surtout profité aux étudiants des écoles professionnelleset des universités, elle n'a pas atteint les étudiants des écoles de

Page 258: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Arthur Tremblay • 259

formation générale: collège classique, écoles secondaires publi-ques, etc.

En 1954, à la suite des recommandations du sous-comité decoordination de l'enseignement, notre système scolaire franchissaitun autre pas décisif dans la voie de la démocratisation. On accor-dait aux écoles publiques l'autorisation depuis longtemps réclaméede dispenser elles-mêmes jusqu'à l'immatriculation l'enseignementclassique jusque-là réservé à une institution privée, le collège clas-sique.

Peut-être ne faut-il pas attribuer principalement aux mesuresdont je viens de parler l'augmentation des taux de fréquentationscolaire que l'on constate depuis quelques années dans tous lessecteurs de notre enseignement. La prospérité d'après-guerre etune meilleure compréhension de la nécessité de l'instruction danscertains milieux ont probablement joué un rôle déterminant danscette augmentation. Quoi qu'il en soit, notre système d'enseigne-ment se démocratise à un rythme plutôt rapide. Le fait que noussoyons en retard, parce que nous avons été lents à nous orienterdans cette voie, ne doit pas nous faire oublier les progrès réels quis'accomplissent présentement. Et si les inscriptions scolaires con-tinuaient à évoluer dans les 2,5 années à venir comme elles ontévolué depuis la dernière guerre, la démocratisation de l'enseigne-ment, au sens démographique et social où nous l'avons définie,serait devenue une réalité dans la province de Québec comme dansla plupart des pays occidentaux.

J'ai l'impression toutefois que l'effort à fournir et les mesuresà prendre devront être beaucoup plus énergiques si nous voulonsque ces prévisions optimistes se réalisent. Je l'ai souligné tantôt,c'est par rapport au milieu agricole et ouvrier que notre enseigne-ment est le moins démocratique. Il était relativement facile d'amé-liorer la fréquentation scolaire des milieux les plus fortunés. Ilsera plus difficile d'obtenir le même résultat dans les milieuxéconomiquement faibles. Nous sommes, à l'heure actuelle, exac-tement au point où notre volonté de démocratiser l'enseignementdevra s'exprimer dans une politique plus cohérente en mêmetemps que plus généreuse et susceptible de garantir l'accès del'enseignement secondaire et universitaire aux enfants d'ouvrierset d'agriculteurs.

J'en viens maintenant à la deuxième partie de mon exposé : lesaspects politiques de la démocratisation de l'enseignement.

Page 259: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

26o • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

À l'époque de son institution, notre loi scolaire partageait entredeux autorités principales la direction des écoles publiques. AuConseil de l'Instruction publique et à ses comités catholique etprotestant, elle en confiait l'orientation et le contrôle académi-ques ; elle en attribuait la régie administrative à un organisme localde droit public, la corporation scolaire.

Le Conseil de l'Instruction publique et ses comités n'ont guèreévolué depuis 75 ans au point de vue qui nous intéresse, en cemoment. Ils ne semblent ni plus ni moins démocratiques aujourd'huiqu'autrefois, pour une raison très simple d'ailleurs: il n'entraitaucune préoccupation démocratique dans leur création, celle-cin'ayant pour but que de protéger le caractère confessionnel del'enseignement et d'assurer aux protestants comme aux catholi-ques un contrôle efficace sur les programmes et les activités péda-gogiques des écoles de leur croyance respective.

L'organisation des corporations scolaires en véritables gouver-nements responsables avait, au contraire, une portée et une signi-fication démocratiques beaucoup plus évidentes.

Les conceptions administratives qui paraissent en avoir inspiréles modalités peuvent se résumer à peu près dans les termes sui-vants :

Les parents sont les premiers responsables de l'éducation deleurs enfants. Cette responsabilité implique qu'ils doivent eux-mêmes en assumer les frais : l'école devra donc se financer parle moyen de taxes dont l'incidence est aussi «familiale» quepossible dans un contexte rural : la taxe foncière et les rétribu-tions mensuelles. Et, parce qu'ils en auront assumé presque tousles frais, les contribuables propriétaires de biens-fonds serontinvestis du droit de veiller eux-mêmes à l'administration deleurs écoles, par l'intermédiaire d'un organisme qui se compo-sera de représentants élus par eux.

À l'époque où ce régime fut institué, les hypothèses administra-tives sur lesquelles il s'appuyait étaient à peu près justes. Lesrevenus p venant de la taxe foncière et des rétributions men-suelles po vaient suffire à financer l'enseignement très élémen-taire que dispensaient alors les écoles publiques. L'immensemajorité des chefs de famille étaient propriétaires de biens-fondset pouvaient, en conséquence, participer à l'élection des commis-si s d'écoles.

Page 260: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Arthur Tremblay • 261

Dans la mesure où ces hypothèses administratives se vérifiaientdans la réalité, la régie des écoles publiques avait un caractèred'autant plus démocratique que les corporations scolaires jouis-sent, aux termes de la loi, d'une autonomie administrative propor-tionnelle à leur autonomie financière.

Les mêmes hypothèses étant fausses aujourd'hui, l'administra-tion des écoles publiques a perdu le sens démocratique qu'elleavait autrefois. L'urbanisation de la province a réduit le nombredes propriétaires à une minorité. La taxe foncière ne suffit plus àdéfrayer le coût des écoles publiques. D'autres taxes, en particulierla taxe de vente et les octrois gouvernementaux, seront bientôtdevenues les principales sources de revenus des corporations sco-laires.

Les corporations scolaires elles-mêmes sont parfaitement cons-cientes du problème politique que soulève cette évolution et ellesl'ont formulé en des termes très clairs dans l'ouvrage que publiaitrécemment leur Fédération provinciale:

« La corporation scolaire que nous avons traditionnellement con-nue a-t-elle encore un sens dans une époque où la tendance està la centralisation des tâches et des contrôles administratifs?Dans quelle mesure les commissions scolaires, telles qu'ellessont organisées présentement, sont-elles viables ? Ne sont-ellespas appelées à disparaître progressivement pour ne plus devenirque les mandataires d'une autorité centrale qui exercerait tousles contrôles et qui subviendrait à tous les besoins ? »

En d'autres termes, nous nous acheminons depuis quelquesannées vers un système de contrôle administratif des écoles publi-ques qui serait l'équivalent de leur étatisation. Je dois vous l'avouer,je ne suis pas encore parvenu à me faire une opinion précise ausujet des implications de cette évolution, dont la principale meparaît être la création, à plus ou moins brève échéance, d'un mi-nistère de l'instruction publique.

Page 261: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

262 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Paul Gérin-LajoieDeux mesures concrètes de démocratisation

Avocat de formation appelé à devenir ministre de la Jeunesse puis de l'Éduca-tion dans le gouvernement de Jean Lesage, Paul Gérin-Lajoie propose deuxmesures concrètes de démocratisation de l'éducation : d'une part, l'introduc-tion d'une mesure de polyvalence dans l'enseignement secondaire tant privéque public; d'autre part, une aide financière gouvernementale considérable-ment accrue aux parents d'enfants fréquentant le secondaire. Ce sont desmesures qu'il mettra en œuvre une fois devenu ministre.

Le mot démocratisation évoque d'abord l'idée de masse. Sur leplan du gouvernement, il évoque l'idée de gouvernement par lamasse. Sur le plan de l'éducation, il évoque l'idée d'une éducationqui atteint les masses. Il s'oppose à l'idée du nombre restreint quicaractérise tout régime aristocratique, que ce soit sur le plan dugouvernement ou sur le plan de l'éducation.

L'idée de grand nombre ou de masse ne doit pas, toutefois, sesubstituer à l'idée de personnalité.

Elle doit, au contraire, viser simplement à étendre l'applicationde cette idée à chacun des individus qui composent la société.L'objectif de toute politique d'éducation ne doit pas être une « masseaussi éduquée ou cultivée » que possible, mais plutôt une « massed'individus qui soient, individuellement, aussi éduqués ou cultivésque possible ». En somme, sous une forme un peu paradoxale, onpeut dire que la démocratisation de l'enseignement vise à l'éduca-tion de la masse tout en évitant l'écueil d'une éducation en masse.

C'est de ce principe que vient l'exigence d'une éducation de typepluraliste, c'est-à-dire l'exigence de types parallèles d'éducation.

Cette exigence se manifeste évidemment au seul niveau de l'en-seignement secondaire. Au niveau primaire, aucun pluralisme nese conçoit puisque tous les enfants doivent apprendre les mêmeséléments des connaissances humaines. Au niveau universitaire onest déjà en pleine spécialisation. Reste le niveau de formationgénérale humaniste, dit niveau secondaire.

Nous avons déjà considéré l'exigence d'un pluralisme dans letype de l'enseignement dispensé. Limitons ici nos observations àun problème particulier au Canada : le pluralisme sur le plan desinstitutions qui sont appelées à dispenser cet enseignement.

Pour aller droit au but, disons que la diversité des types d'en-

Page 262: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Paul Gérin-Lajoie • 263

seignement devrait se retrouver, au moins en partie, à l'intérieur dechacun des grands types d'institutions que nous avons chez nous :collèges classiques et écoles publiques.

Jusqu'ici les collèges classiques ont restreint leur enseignementau cours traditionnel gréco-latin, tandis que les écoles publiquesne donnaient qu'un cours secondaire imparfait qui ouvrait la porteà un petit nombre de facultés universitaires. Depuis que les écolespubliques ont commencé à donner un cours secondaire sans grec,on se demande si les collèges classiques continueront de restrein-dre leur activité au cours traditionnel.

Pour ma part, je crois que nos de types d'institutions —collèges et écoles publiques — devraient étendre leur activité auxdivers types d'enseignement secondaire.

Nos collèges ont un héritage culturel, un climat humain et unprestige qui doivent être mis au service de l'ensemble de nos jeunesgénérations, dans les diverses avenues qu'offre désormais un ensei-gnement secondaire diversifié. Ils permettront d'éviter une ruptureavec le passé et d'adapter à des formules nouvelles le fruit de leurlongue expérience.

Par ailleurs, nos collèges et nos écoles publiques doivent êtreégalement mis financièrement à la portée de tous les jeunes. Lescollèges ne doivent pas demeurer le privilège des jeunes gens defamilles à l'aise, de ceux qui se destinent au clergé ou de ceux quipeuvent bénéficier d'une aide financière extérieure exceptionnelle.La démocratisation de notre enseignement secondaire exige queles collèges soient relativement aussi accessibles, au point de vuefinancier, que le sont les écoles publiques, même si cela peut paraî-tre paradoxal au premier abord.

La meilleure façon de réaliser cet objectif, tout en conservant lecaractère privé de nos collèges, semble un système d'allocationsd'études post-élémentaires, tel que proposé par la Fédération descommissions scolaires et la Fédération des collèges classiques. Envertu de cette proposition, une allocation annuelle, disons de 150$par année, serait payée par le Gouvernement provincial aux pa-rents de tout enfant, garçon ou fille, qui fréquenterait une maisond'enseignement après le niveau de la septième année. Cette alloca-tion pourrait être employée indifféremment pour envoyer un en-fant au collège classique ou à l'école publique. Dans le cas ducollège, l'allocation couvrirait la majeure partie des frais de scola-rité. Dans le cas de l'école publique, celle-ci imposerait, elle aussi,

Page 263: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

264 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

des frais de scolarité pour un montant correspondant à celui del'allocation, ce qui équivaudrait pour elle à un octroi provincialstatutaire de 150$ par année, par enfant.

Cette formule paraît véritablement démocratique puisqu'ellefavorise le libre choix des parents dans l'éducation de leurs en-fants. Elle a l'avantage, du même coup, d'apporter un élémentnouveau important pour le règlement du problème financier descommissions scolaires.

Jean-Charles FalardeauL'esprit démocratique en éducation

Sociologue, professeur à l'université Laval à compter de 1949, cofondateur dela revue Recherches sociographiques en 1960, auteur d'études importantes surla société québécoise et l'évolution de ses idées, Jean-Charles Falardeau (1914-1989) s'interroge pour sa part sur l'esprit démocratique en éducation et sur lescaractéristiques d'une pédagogie empreinte d'esprit démocratique. Une démo-cratisation véritable de l'éducation dépasse les questions de structure et d'or-ganisation; elle amène aussi une remise en question des relations entre leclergé et les laïcs, notamment en éducation.

Nos débats ont scruté jusqu'ici les implications et les conséquencesde la démocratisation entendue en deux sens différents. i° — ausens de l'augmentation et de la diversification des effectifs scolaires ;2, ° — au sens d'un contrôle effectif des institutions d'enseigne-ment. Il est une troisième connotation du concept de démocratisa-tion sur laquelle je voudrais maintenant attirer votre attention:c'est celle des principes pédagogiques qui doivent caractériser unsystème d'enseignement authentiquement démocratique.

[...] Demandons-nous maintenant ce qu'entraînerait dans notresociété une telle rénovation démocratique de nos postulats de penséeet d'action.

En premier lieu, il me semble aller de soi qu'un milieu social oùles jeunes auraient été entraînés à avoir confiance en eux-mêmeset à exercer leur sens de l'initiative, en serait un de citoyens vigi-lants. Nous cesserions de créer des boucs émissaires et de déléguerà d'autres certaines responsabilités inaliénables. Nous cesserionsde voir dans le gouvernement quelque chose d'autre que nous,d'étranger à nous. Nous le verrions comme nôtre et nous ferions

Page 264: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Jean-Charles Falardeau • 265

en sorte qu'il ressemble à ce que nous le voulons. Nous exerce-rions sur lui et sur les représentants que nous élisons, une sur-veillance exigeante. Au surplus, nous considérerions aussi commenos mandataires et nos serviteurs l'ensemble des experts consti-tuant la bureaucratie et dont un régime démocratique moderne abesoin. Pour autant, nous verrions à ce qu'il existe une adminis-tration publique provinciale complètement digne de ce nom : unerépublique d'experts dans tous les champs d'action gouvernemen-tale, qui s'offrirait dorénavant comme débouché professionneléconomiquement et intellectuellement attrayant pour les diplômésuniversitaires. La mobilisation, l'unification des efforts adminis-tratifs qu'exigeront, en matière d'éducation publique, par exem-ple, plusieurs des réformes dont on a parlé au cours des discussionsprécédentes, seraient assurées par un ensemble d'experts, pédago-gues, économistes et juristes, en qui nous aurions confiance.

Une autre conséquence d'un esprit démocratique, c'est-à-dired'un esprit d'entraide, serait un rapprochement entre parents-citoyens et instituteurs, par l'intermédiaire d'associations stablesou sous toute autre forme jugée féconde. Déjà, il existe des cadresde rencontre de parents et d'éducateurs, à l'échelon primaire ouautour des collèges. Mais elles sont peu nombreuses. Les relationssont trop souvent gauches, équivoques, frustratoires. Il serait nor-mal que, dans un milieu où, en principe, la famille et l'école sontles deux institutions les plus estimées, la forme d'association enpratique la plus dynamique et la plus résistante soit celle des parentset des instituteurs.

À un autre plan, je prévois une coopération indispensable. C'estle plan où devront se conjuguer les efforts qu'exigera la coordina-tion des divers secteurs de l'enseignement. Cette coordinationdemandera un effort lucide et patient qui devra s'exercer à l'éche-lon universitaire, à l'échelon secondaire comme à l'échelon pri-maire. Cet effort devra aussi tenir compte des pressions qu'exercentsur les programmes de l'enseignement supérieur les professionsorganisées. À cet effort devront participer tous ceux qui, dansnotre société, — clercs ou laïques, hommes d'action ou de recher-che —, ont une sérieuse expérience de l'enseignement et de l'édu-cation.

Or, nous touchons ici un sujet épineux qu'il faut envisager fran-chement. Je veux parler des relations entre clercs et laïcs dansnotre société en général, et dans le domaine de l'éducation en

Page 265: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

266 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

particulier. Le clergé canadien-français n'est pas supérieur ni exté-rieur à la société canadienne-française. Issu de toutes les couchesde cette société, il en partage tous les caractères, les habitudes etles ambitions. Pas plus que nous ne pouvons nous penser sans leclergé, pas plus celui-ci peut-il se penser sans nous. En mêmetemps cependant, le clergé constitue un ordre institutionnel spéci-fique, qui transcende la société en se rattachant à des valeurssuprêmes. Presque malgré eux, les membres du clergé ont tendanceà transposer, dans leur activité à tous les plans de la vie sociale,leur style de comportement en tant que ministres sacrés. Or (c'estlà leur cas de conscience et notre perplexité), le comportement duclergé, en régime démocratique, doit assumer les mêmes normes etles mêmes modes d'action que celui de l'ensemble des citoyens. Ilfaut donc que le clergé reconnaisse que l'ordre social et politiqued'une société démocratique ne peut pas être identique à l'ordreecclésiastique, lequel est de caractère monarchique.

Cette redéfinition du statut du prêtre-citoyen n'est pas simple àfaire passer dans la pratique. Mais c'est une exigence, me semble-t-il, d'une démocratisation authentique. À cette condition un dia-logue réel et une coopération efficace entre prêtres et laïcspourront-ils demeurer une réalité durable dans notre société, pourle plus grand succès, entre autres, de nos réformes pédagogiques.

Suis-je utopiste ? Un bon nombre d'intellectuels, au Canadafrançais, clercs autant que laïcs, vivent depuis quelques annéesd'actes de foi, et aussi d'actes d'espérance : foi dans une possibilitéde rectification de quelques-unes de nos institutions les plus chèreset de purification de l'atmosphère politique du Québec ; espérancequ'il se trouvera assez de bonnes volontés pour poursuivre cettetâche — car elle est déjà entreprise. On se demande cependant, etcette question en retient plusieurs au bord de l'action, de queldegré de liberté nous jouissons, ou encore, si nous avons suffisam-ment de liberté pour aller de l'avant. La question elle-même estrévélatrice. J'estime pour ma part que nous avons à notre portéebeaucoup plus de liberté que nous n'imaginons. À tout événement,le mouvement se prouve en marchant et l'existence de la liberté seprouve en exerçant ses prérogatives d'homme libre. Nous aurons,comme on l'a répété avec raison, le degré de liberté, le climatpolitique et les institutions scolaires que nous méritons. À nous dedécider du degré et du moment de notre hardiesse.

Page 266: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Léo Guindon • 267

Léo GuindonLe sort des enseignants

Le syndicaliste Léo Guindon intervient à partir d'un angle différent. Pour amé-liorer la fréquentation scolaire et l'efficacité de l'éducation, qui sont indissocia-bles de sa démocratisation, il faut accroître le nombre des enseignants qualifiés.Mais, pour pouvoir compter sur le dévouement d'enseignants qualifiés, la so-ciété doit leur assurer des conditions de formation et de travail décentes. Lespropos de Guindon mettent en lumière la nécessité urgente d'une réforme enprofondeur de la condition des enseigannts.

Autant la situation du professeur universitaire ou classique estpénible et intenable, comme vient de le démontrer M. Lamontagne,autant le traitement fait au professeur de l'enseignement primaireest inconcevable en considération du fait que la très grande majo-rité de notre jeunesse ne dépasse pas ce stade d'études.

Pour répondre aux exigences de l'enseignement primaire (ire ài2,e années), il faudrait immédiatement dans la province 5000instituteurs et institutrices qualifiés. D'ici 1960, le pays aura unbesoin absolu de 25 ooo professeurs qualifiés. Cette pénurie esttellement forte que dans une ville comme Montréal, cette annéemême, la Commission est dans l'obligation de confier des centai-nes de classes à des non-réguliers, à des personnes n'ayant pas lesbrevets exigés, voire même à des étudiants d'école normale.

La province fait face aujourd'hui à un manque de personnel quilui a été prédit il y a plus de dix ans par les professeurs eux-mêmes,par l'entremise de leurs syndicats professionnels comme de leursreprésentants officiels. Les suggestions faites aux autorités concer-nées ont été malheureusement ignorées, ou bien partiellement réa-lisées ou trop lentement exécutées.

Notre population aura sûrement à souffrir de ce manque deprévoyance des autorités ! Mais, si le mal est irréparable pour lepassé ou le présent, ne peut-on espérer un réveil immédiat de laconscience nationale et démocratique des responsables ?

Nous en aurons des professeurs: le dévouement et l'amour del'idéal vivent encore chez les Canadiens. Toutefois, les candidats àl'enseignement se présenteront en nombre suffisant:

i. — si l'on facilite aux jeunes l'obtention du brevet d'enseigne-ment par l'octroi de bourses substantielles et la gratuité des étudescomme des volumes scolaires...

Page 267: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

268 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

2. — si l'on facilite aux autres candidats qui doivent travaillerpour leur subsistance, l'obtention du brevet par les cours d'été, lescours du soir ou de fin de semaine, voire même, les cours parcorrespondance ;

3. — si l'on augmente l'attrait vers les écoles normales en concé-dant à celles-ci le titre de « faculté universitaire » ;

4. — si l'on change l'engagement annuel du professeur en unengagement permanent et qu'on cesse ainsi de le considérer commeun « professionnel en roulotte » ;

5. — si on lui accorde le salaire raisonnable qu'il réclame, qui luirevient de droit, et qu'on lui rende son droit à la grève et à unarbitrage légal capables de lui faire rendre justice par ses em-ployeurs ;

6. — si on lui reconnaît, dans la fixation de son salaire, toutes sesannées d'expérience, quelle que soit la commission où il a ensei-gné;

7. — si on lui reconnaît que sa compétence, sa personnalité, sondévouement, lui vaudront des promotions, et qu'on lui fait con-fiance, même s'il n'est pas congréganiste ;

8. — si l'on conserve aux institutrices qui se marient le droit decontinuer à se livrer à l'enseignement avec un engagement régulieret pour un salaire qui tiendra compte de toutes leurs années d'ex-périence ;

5». — si on permet aux professeurs d'espérer une pension raison-nable sur leurs vieux jours et qu'on fasse disparaître pour mieuxle minimum ridicule actuellement fixé par la loi à 20$ par mois;

10. — si l'on crée pour eux un Bureau d'appel ou Comité degriefs leur permettant de réclamer des droits et de faire corriger desinjustices ;

— en d'autres termes, nous en aurons des professeurs si nousleur facilitons leur formation, si nous les formons bien et que nousleur reconnaissons ensuite leur valeur, en leur faisant confiance eten les rétribuant de manière à leur rendre possible l'accomplisse-ment de leur devoir familial et social, et surtout en leur permettantde faire face à leur lourde et très importante tâche de formateursde la génération de demain, comme de ses chefs.

Page 268: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Léo Guindon • 269

Puissent les présentes considérations déboucher des oreilles etouvrir des cœurs !

Source: 3e Conférence annuelle, L'éducation, Montréal, 1956, p. 2.5-29, 33-38,50-51.

Page 269: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

33 Pierre DansereauScience et humanisme22 novembre 1956

Le cours classique fait peu de place aux sciences, malgré l'évolution évidentede la civilisation contemporaine et malgré des demandes anciennes de recourirà leur contribution dans la formation des jeunes générations (voir le texte 4).Pierre Dansereau (né en 1911), botaniste et écologiste de réputation internatio-nale, qui fut notamment directeur adjoint du Jardin botanique de Montréal (1939-1950) et de celui de New York et professeur dans plusieurs universités (Michigan,Montréal, Columbia) durant les années 1950 et 1960, avant de se joindre àl'Université du Québec à Montréal en 1971, intervient à son tour dans le débaten 1956 par un plaidoyer en faveur des sciences conçues comme composantesessentielles de l'humanisme contemporain et capables de soutenir une péda-gogie renouvelée.

Montréal, 2,2. novembre 1956

MON CHER ANTOINE,Parce que je suis un homme de science, tu t'adresses à moi pour

avoir une « opinion » sur la place des sciences dans le cours clas-sique et tu me parles d'humanisme scientifique ! Mais n'est-ce pascontradictoire, ou tout au moins restrictif, de parler d'humanismeartistique, littéraire, scientifique ? Ces tangentes ne sont-elles pasune atteinte à l'intégrité essentielle de l'humanisme ?

Il y a plusieurs façons de répondre à la question ainsi posée. Jecrois avoir de bonnes raisons d'y répondre par la négative. Maiscertains éclaircissements préliminaires s'imposent.

Demandons-nous donc d'abord quel est le caractère même del'humanisme ; examinons la manière dont on devient humanist etenfin voyons si l'humanisme de chaque époque n'a pas un accentparticulier. Nous pourrons contempler plus objectivement, alors,

Page 270: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Pierre Dansereau • 271

le visage de cet humanisme sur le plan de notre culture. (Tu recon-nais déjà dans ce plan didactique la déformation rhétoricienne ?)

Si l'on appelle humanisme une certaine disposition de l'espritqui permet une heureuse utilisation des créations humaines, on luireconnaîtra quatre exigences principales.

Premièrement, il faut considérer le cycle de la connaissance.Pour bien aborder une matière il faut être intellectuellement sti-mulé. Qu'il s'agisse des mathématiques ou de la sculpture, il fauty accéder sur un certain plan, celui des idées générales, où l'onpose des questions qui importent. Cette initiation une fois faite, ilfaut reconnaître l'impossibilité de bien cerner les problèmes sansavoir acquis des connaissances précises et une habileté certaine.Cette deuxième phase exige une application routinière, des exerci-ces monotones, toute une gymnastique de l'apprentissage par con-tacts répétés et, au besoin, forcés. Elle peut même impliquer unesorte d'oubli provisoire de la fin pour assurer une concentrationintense sur les moyens. Son aboutissant toutefois est un nouveaudébouché sur le plan de l'interprétation, de la référence aux idéesgénérales.

[...]Deuxièmement, il faut jeter l'ancre dans la spécialisation. Ingres

avait beau être un excellent violoniste, c'est comme peintre qu'il adonné sa mesure. Et ceci n'est pas un accident. Si les processus dela connaissance suivent un développement en trois phases tel qu'in-diqué plus haut, et si ces processus se retrouvent plus ou moinsidentiques, au cours de l'éducation dans tous les domaines du sa-voir, arts et sciences, lettres et philosophie, la seconde phase peutêtre rapide dans la plupart des cas. En effet, la nécessité d'accumulerun grand nombre de notions et de faits précis ne s'impose pas pourchaque individu et pour chaque matière au même degré. Il y a pourchacun de nous un domaine privilégié d'engagement, une formeparticulière de l'activité humaine pour laquelle nous sommes doués.Ce don peut nous porter par une sorte de vertige vers la géométrie,la mécanique ou la poésie; plus souvent, par un calcul pondéré, ilnous entraîne dans une voie où l'espérance d'exceller ou tout sim-plement de réussir nous guide. Mais au mieux nous y trouvons leseul moyen véritable de nous réaliser comme individus.

Troisièmement, il peut s'élaborer une certaine force d'assimila-tion chez l'humaniste, non seulement instruit mais quelque peu

[...]

Page 271: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

272 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

spécialisé. Muni des connaissances les plus significatives dans lesdivers domaines du savoir, et ayant le pied ferme dans l'un d'eux,il connaît sa propre position intellectuelle, il sait ce qui lui cède etce qui lui résiste; il évalue lucidement ce qu'il connaît de connais-sance expérimentale et ce qu'il accepte par analogie et de confiance.

Ainsi, un mathématicien au théâtre a-t-il des points de repèrepour évaluer les enchaînements, la proportion et les équilibres,l'harmonie de la phrase, le ton de la diction, le rythme et le nom-bre dans les répliques; le rapport de l'acte à sa conséquence etsurtout la logique des personnages.

Quatrièmement enfin, l'éducation humaniste engendre unemeilleure capacité d'utilisation des créations humaines. L'hommequi peut s'identifier avec une tradition picturale ou philosophique,qui entrevoit les conséquences d'une découverte scientifique, luitrouve tout de suite des rapports utiles et même nécessaires pourlui, la rattache à des lois familières. (Tu vois se dessiner l'ombrede Montesquieu?) Cette harmonie lui permet de placer spontané-ment sur le plan personnel des expériences qui ne sont pas lessiennes et des événements qui se passent très loin de lui. En lisantun journal contemporain, ne retrouve-t-il pas la touchante figurede la Princesse de Clèves chez Margaret d'Angleterre ou la Natachade Tolstoï chez Grâce Kelly? Charles Lindbergh n'est-il pas unnouvel Icare ? et Antoine de Saint-Exupéry un nouveau chevalierBayard ? William Randolph Hearst, un autre Néron ? Vavilov unautre Lavoisier ? et Oppenheimer un nouveau Galilée ? Ce seraientlà d'assez vaines allusions à des types figés par l'histoire, ce seraitlà de la monnaie courante sans grande valeur. Mais pour qui con-naît réellement Madame de la Fayette et Tolstoï pour les avoir lusdévotement; pour qui a savouré ce qu'il y a de définitif dans lapoésie d'Ovide; pour qui a médité l'histoire des héros du MoyenÂge, des vilains de la décadence romaine des fanatiques de larévolution, ou des abus de l'autorité institutionnelle et qui leurrestitue toute leur valeur humaine, cette allusion est un appel pro-fond à une expérience personnellement vécue.

L'éducation humaniste, donc, forme des hommes complets en cequ'ils ont moins que d'autres des expériences isolées et dépourvuesde sens. Une participation spontanée (et pourtant non consciem-ment «voulue») au trésor commun de l'humanité (sous sa formescientifique, littéraire, artistique) donne une résonance à ce quileur arrive, aux expériences qui passent par eux. Pour toi déjà,

Page 272: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Pierre Dansereau • 273

sans doute quelques-uns de ces hauts faits exemplaires ont acquisun sens personnel: les ombres de l'amour, de la trahison et del'autorité commencent à porter des noms symboliques et curieuse-ment fraternels ?

Crois-tu qu'il en a toujours été ainsi ? Est-ce que vraiment notrehumanisme contemporain se nourrit de la sorte ? S'il est vrai quechaque époque, chaque culture, a un humanisme où les élémentssont assemblés en des proportions différentes, et si l'on reconnaîtque l'épanouissement de la culture générale suppose que l'individusoit à certains égards un spécialiste, il n'y a guère de doute quechaque pays, chaque époque encouragera des spécialisations diffé-rentes. À cet égard notre temps favorise un humanisme scientifi-que. Beaucoup de grands intellectuels de notre époque sont en faitdes scientifiques: Paul Rivest, Pierre Teilhard de Chardin, JulianHuxley, Gregorio Maranon, C. P. Snow, Bertrand Russell, AlfredNorth Whitehead. Un certain nombre de ceux qui représententd'autres options ont quand même été fortement influencés par ledéveloppement scientifique, tels Jacques Maritain, Thomas Mann,André Malraux, José Ortega y Gasset, Albert Schweitzer, JulesRomains, Kenneth Boulding.

Les corruptions, déviations et rétrécissements de l'humanismeont existé de tout temps et les perpétuelles querelles des anciens etdes modernes, des encyclopédistes et des classiques, sont en der-nière analyse plutôt les querelles de l'excellence et de la médiocritéque celles de la plénitude et de l'étroitesse. La recherche de l'équi-libre a toujours préoccupé les meilleurs esprits et aucun d'entreeux ne s'est fait le défenseur de l'ignorance. Ce qui n'a pas empê-ché les églises et les gouvernements d'imposer des orthodoxiesdéfavorables en pratique à l'épanouissement humaniste, de jeterun interdit sur certaines manifestations intellectuelles inaccep-tables pour eux. La science elle-même a son index. On n'a qu'à lirecertaines pages de Russell ou de Prenant pour y trouver descondamnations qui rejoignent celles prononcées contre Galilée,Lavoisier, Darwin, Marx ou Vavilov par des leaders religieux oupolitiques. L'intolérance des libérateurs arrive parfois à ressemblerau fanatisme des défenseurs de l'ordre établi.

Et nous, oserions-nous prétendre à un humanisme laurentien ?Comment cette unité fondamentale de l'humanisme a-t-elle été ser-vie par le système d'éducation que s'est donné le Canada français ?Universalité chez le « peuple élu » que nous sommes ? esprit criti-

Page 273: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

274 * L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

que dans le refus des valeurs culturelles américaines ? intégrationdans le colonialisme littéraire ? soumission à l'expérience dans laperpétuation des mythes et des slogans tout faits ?

Ce qui n'est peut-être pas le moins paradoxal c'est le consen-tement à une spécialisation à outrance dans les arts verbaux, leslangues mortes et la philosophie, alors qu'on négligeait par mé-fiance les mathématiques, les sciences naturelles et physiques, dontla « valeur formatrice » était censée inférieure.

On ne fait que commencer à voir ce classicisme unilatéral danssa vraie perspective, avec son vice fondamental d'irréalité et àreconnaître la relative indifférence des matières et des programmespourvu que l'enseignement ne fausse pas l'expérience ou tout aumoins s'appuie partiellement sur elle.

À ce point de vue quelle n'est pas la supériorité de l'espagnolsur le grec, de la physique sur la métaphysique ?

Ce qui est sans doute le plus désespérant, c'est de constater quedes causes qui nous semblent mille fois entendues ne sont quandmême pas jugées, que des maux que nous déplorions, élèves auCollège ou à l'Université, demeurent sans remède vingt-cinq ansplus tard. Il n'est guère juste d'en blâmer uniquement ceux quidirigent nos maisons d'éducation sans en reporter aussi l'odieuxsur la population tout entière. Et pourtant, nous n'avons les prê-tres, les politiciens, les professionnels, les commerçants, les ouvrierset les éducateurs que nous méritons que dans la mesure où leprocessus démocratique fonctionne. Or le sociologue qui cher-chera à définir l'influence des parents (et d'autres secteurs de l'opi-nion publique) sur la réforme de l'enseignement secondaire netrouvera sans doute pas grand-chose à rapporter: un manquepresque complet de communication.

Les critiques les plus fréquentes, du temps que j'étais collégien,portaient sur la pauvreté de l'enseignement de l'anglais. Ces repro-ches s'inspiraient surtout de la nécessité pratique pour les Cana-diens français de bien parler l'anglais afin de « faire leur chemindans la vie ». Moi, à qui ma mère américaine et les enfants de monquartier avaient transmis une grande facilité d'expression danscette langue, je me suis toujours étonné qu'on fasse si peu allusionau profit intellectuel à tirer de la connaissance intime d'une langueseconde — un argument qu'on nous servait (avec si peu de raison)pour le grec.

Page 274: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Pierre Dansereau • 275

Par la suite on n'est jamais parvenu à faire du cours classiqueune école de « préparation à la vie ». Il a conservé son caractèreculturel de formation générale. Et si paradoxal que cela puisseparaître de la part d'un homme de science qui consacre le meilleurde son effort à promouvoir les sciences dans notre milieu, je medemande si les concessions que le cours classique a faites à lascience ne rompent pas son intégrité, ne l'éloignent pas de samission !

Je m'explique. Je me refuse à reconnaître une antinomie entreles sciences et les humanités (= les lettres). Je refuse de reconnaîtreune valeur formatrice exclusive aux disciplines littéraires, histori-ques, sociologiques. Mais je pense que telle est bien l'opinion dela plupart des responsables de l'enseignement secondaire et que,dans leur esprit, l'introduction d'un plus grand nombre d'heuresde matières scientifiques au cours classique est une pure conces-sion. Autrement dit, tant qu'on ne fait que corriger les program-mes, les mettre « à la page » (i.e. se soumettre aux exigencespratiques de l'heure), on n'a aucunement intégré des données nou-velles dans un curriculum dont on tient à maintenir l'esprit dansla ligne des « humanités ».

Les sciences font partie des humanités. Nos cultures occidenta-les l'ont toujours pensé et pratiqué, jusqu'à ces derniers temps

Je ne tenterai pas, même en raccourci, une démonstration de lavaleur formatrice des mathématiques ou de la biologie; leur ma-tière répond à des curiosités auxquelles d'autres ne peuvent sesubstituer et leur pratique satisfait des talents et des aptitudes quine peuvent s'exercer ailleurs. Nous sommes loin d'une technologiequi taxe uniquement le pouvoir de manipulation (qui n'est pas ànégliger ; et qui pourtant n'est pas reconnu) et d'une nomenclatureencyclopédique purement mnémotechnique. (Considère, en paral-lèle, certaines leçons de prosodie, d'analyse grammaticale et dis-moi s'il ne s'agit pas de pure technologie!)

Je sais que beaucoup d'éducateurs — à tous les niveaux — sedemandent : qu'est-ce que cela signifie de vivre dans un monde oùla science occupe une place si importante ? Pour leur répondre,examinons nos consciences sur l'usage que nous faisons de nosacquisitions scientifiques et sur le manque d'unité qui persiste dansl'univers de nos connaissances à cause d'une fausse orientationpremière !

[...].

Page 275: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

2/6 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Peut-être l'enseignement classique se rend-il enfin compte qu'ils'était fixé une tâche impossible. La voie unique qu'il proposait àses sujets a fini par subir des bifurcations. Cela est venu tard et lesalternatives que le programme actuel offre aux étudiants se pré-sentent elles aussi très tard. Il n'y a peut-être pas plus maintenantqu'autrefois de reconnaissance de la diversité des qualités ou dessortes d'intelligence humaine. Les premières années continuent decouler dans un moule uniforme les intuitifs et les logiques, lesartistes et les ingénieurs, les verbaux, les actifs et les contemplatifs.Aujourd'hui comme autrefois beaucoup de talents s'atrophient.Une révélation précoce des moyens et des matériaux de l'art et dela science aussi bien que des ressources du verbe manque dansbeaucoup de collèges.

Le jeune élève du cours classique qui est authentiquement douépour la science deviendra tôt conscient de sa vocation s'il est ex-posé, oui comme une plaque photographique, car il est très sensi-ble. Il faut, là comme ailleurs, une expérience exemplaire que seulun professeur authentique peut fournir, un professeur qui est unvrai témoin. La science n'en a pas eu autant que les lettres !

Et malgré cela pourtant, malgré une expérience si mal engrenéedans notre éducation secondaire, malgré cela, la science au Ca-nada français ne manque pas de vitalité. Quel paradoxe que cetteréussite relative dans un domaine que nous avons non seulementnégligé mais peut-être méprisé et sans doute un peu redouté ! Cetteobservation nous rapproche de cet autre paradoxe: nous avonshonoré la théologie et n'avons pas produit de théologiens; prati-qué à fond l'apologétique et produit uniquement des orateurs;exalté la philosophie et presque rien produit dans ce domaine !

[...]

Source: Contradictions et biculture, Montréal, Éditions du Jour, 1964, p. 187-195-

Page 276: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

34 André LaurendeauMener la bataille de l'éducation16 décembre 1957

Fort d'une ultime victoire aux élections du 20 juin 1956, le premier ministreDuplessis maintient son emprise sur le pouvoir et continue à gouverner sanss'inquiéter d'une réforme de l'éducation, malgré le rapport du sous-comité decoordination de l'enseignement de 1953 et malgré le rapport de la commissionTremblay de 1956. Pourtant l'urgence s'aggrave. À la fin de 1957, AndréLaurendeau revient sur la nécessité de mener et de gagner la « bataille de l'édu-cation ». Dénonçant les retards qui s'accumulent à tous les ordres d'enseigne-ment, soulignant que ces retards seront longs à rattraper, il interpelle, par-delàun gouvernement insensible, la société québécoise dans son ensemble et s'em-ploie à lui communiquer son propre sentiment d'urgence.

Le taux de la scolarité québécoise est inférieur à la oyennecanadienne : nos enfants quittent l'école primaire plus tôt que l'ado-lescent de plusieurs autres provinces. Ceci est un phénomène général.Il a des causes complexes. L'une d'elles, c'est la vétusté de notresystème et son peu d'accessibilité.

Néanmoins le système lui-même traverse une crise financière àchacun de ses trois stades.

Les commissions scolaires sont aux abois. La loi pour aiderl'éducation a permis d'absorber leurs dettes anciennes: commel'avaient prévu les critiques d'alors, elle ne les a pas empêchées decreuser un nouveau gouffre. L'école primaire est sous-alimentée :elle parvient à vivoter en mangeant ses ressources à venir et, dansplusieurs secteurs, en payant mal ses maîtres. L'école normale nesuffit pas d'ailleurs à former les compétences qui seraient néces-saires. Malgré des constructions accélérées, presque partout leslocaux sont insuffisants: cela, d'après nos propres standards,pourtant inférieurs à la moyenne canadienne, elle-même en retardsur la moyenne américaine.

[...]

Page 277: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

2/8 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

L'enseignement secondaire n'est pas mieux partagé. Là aussi lesimmeubles ne suffisent pas, il faut recourir de plus en plus à unpersonnel laïque — mal payé et dans l'ensemble peu préparé parcequ'on n'a rien prévu —, et de la sorte obérer davantage des bud-gets déjà en déséquilibre. Déjà entrent à l'école primaire des filleset des garçons bien doués qu'on sait qu'on ne pourra pas recevoirau collège, faute de locaux et de maîtres, quand leur formationélémentaire sera parachevée.

Les universités, d'année en année, évitent la catastrophe grâceà des moyens de fortune, ce qui est une expression bien mal ajustéeau réel : le dernier palliatif a consisté à relever les frais de scolarité,c'est-à-dire à écarter davantage de l'université les jeunes des fa-milles moins aisées ou moins convaincues de consentir les sacrifi-ces nécessaires.

Bref, nous sommes, en état de crise aiguë. Et nous ratissons nosjardins comme si de rien était.

Prenons garde pourtant que cette situation ne porte contre notrerégime un jugement sans appel : demain nos enfants, privés d'uneinstruction que le monde moderne exige, l'entendront avec rage etse demanderont comment nous avons pu dormir sur nos respon-sabilités.

Car d'une part le gouvernement provincial ne veut pas admettrequ'il y ait crise. Il endort l'opinion. Il empêche de son mieux quele public ne se fasse de la réalité une représentation dramatique.Quand l'État fédéral, heureux de s'avancer dans un domaine quilui était jusqu'ici fermé, offe de maigres cadeaux, Québec lui fermela porte au nez ; en quoi il a raison ; mais a-t-il raison d'être satis-fait de lui-même ? A-t-il raison de dormir et de nous endormir ?

Et nous avons tort de nous laisser rassurer aussi aisément. Nousavons tort de ronfler sur nos retards. Ils vont handicaper l'indi-vidu, affaiblir le groupe. Nous avons tort de ne pas jouer notrerôle d'opinion au sein d'un régime d'opinion. Si le public se sou-levait, pense-t-on que le gouvernement oserait se glorifier de mai-gres réalisations quand nous accumulons déficits sur déficits, quandla scolarité est péniblement basse, quand ni l'école primaire, nil'enseignement secondaire, ni l'université ne répondent aux be-

Page 278: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

André Laurendeau • 279

soins d'un peuple civilisé ? Quand des facultés doivent refuser desélèves et quand des masses d'enfants doués ne songent même pasà s'y présenter ? Quand des provinces en avance sur nous et despays en avance sur les plus évoluées de nos provinces s'estimentdépassés par des peuples hier quasi primitifs ?

Car nous ne jetterons pas la pierre seulement sur l'État. L'État,c'est nous. Il est à notre image. Il a tort de nous abrutir : mais nousnous laissons faire avec vraiment trop de complaisance. Il est tropfacile de nous avoir.

Parmi nos lecteurs il se trouve certainement des parents dont lesenfants souffriront, dans dix ans, dans cinq ans, de la pénurie quenous laissons s'établir. S'arrêtent-ils à y penser ? Font-ils de leurmieux pour communiquer à l'entourage un sentiment d'urgencequi, de proche en proche, finirait bien par empoigner la collectivitéentière ?

Une école, un collège, une aile d'université : cela se construit assezvite. Mais ce qu'on n'improvise pas, c'est le maître et c'est plusencore le maître du futur maître. Au moment où une véritableimpulsion serait donnée, on serait à quatre ans, peut-être à huit,de la première relève. Il faut dix ans pour former certains profes-seurs d'université. Et ce qui se crée moins vite encore c'est unetradition de culture: un lieu où se transmettent des attitudes hu-maines aussi bien que des techniques.

La fièvre suscitée par le spoutnik russe nous saisira peut-être;l'enseignement scientifique en profitera. Mais les études plus dé-sintéressées, les recherches sur l'homme et le milieu, quand com-prendrons-nous leur importance ?

Il y a une bataille de l'éducation à mener dans le Québec. Etc'est l'opinion d'abord qu'il faut gagner. Trop d'hommes qu'onappelle instruits regardent l'enseignement qu'on leur a donné commeun fromage qu'on déguste à part soi sans inviter les autres, sansfaire en sorte que les autres en profitent. En d'autres termes: il ya partout, et il y a chez nous des profiteurs de l'instruction. Cesont les premiers coupables. Il y a aussi la léthargie d'un peupleque l'histoire n'a pas gâté et qui mesure mal l'importance d'unsystème vivant d'éducation.

Page 279: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

28o • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

II y a enfin la conscience de notre pauvreté relative : les millionsengouffrés dans cette entreprise ne serviront pas ailleurs. Maisexiste-t-il un placement plus efficace ? Se serrer la ceinture pourque ses enfants connaissent un meilleur sort, n'est-ce pas le réflexenormal du père de famille ? Dans la vie privée, chacun s'y résoudrasans se prendre pour un héros. Croit-on que dans l'ordre public leschoses changent d'essence et que les générations présentes n'ontaucun devoir à l'endroit de celles qui s'en viennent ? Croit-on qu'ungroupe d'ignorants, et d'ignorants volontaires, multiplie les chan-ces de vie des Canadiens français ?

Source: « Pendant que nous dormons sur nos retards », Le Devoir, 16 décembre1957-

Page 280: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

35 Conférence provinciale sur l'éducationUn plan d'action pour la réformedu système d'éducationFévrier 1958

Les 7, 8 et 9 février 1958 se tient, à l'Université de Montréal, la Conférenceprovinciale sur l'éducation. Il s'agit d'un événement considérable par le nombreet la qualité des participants, presque des «états généraux» sur l'éducation.L'événement, initiative de la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste duQuébec, est organisé avec la collaboration de la Fédération des collèges clas-siques, de la Fédération des commissions scolaires catholiques et de la Cham-bre de commerce de la province de Québec. Les participants ont droit à unecommunication d'ouverture d'Arthur Tremblay qui revient à nouveau sur laquestion de la sous-scolarisation des Québécois francophones, ainsi qu'à desexposés techniques fouillés et documentés sur les principaux thèmes du temps.De plus, regroupés en six commissions d'étude, les participants examinent etdébattent du financement de l'éducation, y compris du secteur privé, de lacoordination des enseignements, de la formation du personnel enseignant, etc.Tous les enjeux discutés depuis une décennie sont remis sur la table. Ce qui estplus significatif, c'est que, par-delà les communications analytiques et les échan-ges d'idées, la Conférence reçoit de ses six commissions des rapports dont elletire des recommandations à l'intention du gouvernement et du milieu de l'édu-cation. Deux des quatre recommandations de la Conférence retiennent particu-lièrement l'attention. La première identifie quatorze actions précises pour faireface à des problèmes «urgents» et qui «peuvent être réglés sans étude nou-velle » ; il s'agit, notamment, de mettre en œuvre les recommandations du sous-comité de coordination de 1953, d'assurer la gratuité scolaire, de porter de 14à 16 ans l'âge de la fréquentation scolaire obligatoire, de réformer le Conseil del'instruction publique, etc. La Conférence confère ainsi une légitimité et uneurgence accrues aux idées de réforme qui circulent déjà depuis plusieurs an-nées. La troisième recommandation préconise la création rapide d'une commis-sion royale d'enquête sur les «problèmes d'éducation à tous les niveaux», cequi reprend une recommandation de la commission Tremblay. La Conférenceexprime des consensus étendus et représentatifs.

Page 281: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

282 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

RECOMMANDATIONS DE LA CONFÉRENCE

Première catégorie

ATTENDU que certains problèmes sont urgents et peuvent être ré-glés sans étude nouvelle, la Conférence provinciale sur l'Éducationrecommande :

i. Que toutes nos lois scolaires soient refondues.2.. Que les étudiants qui fréquentent les quatre premières années

des collèges classiques bénéficient des mêmes conditionsfinancières que les étudiants des classes de niveau corres-pondant dans les institutions de l'enseignement public, oùl'on n'exige aucuns frais de scolarité.

3. Que le régime des bourses soit étendu à tous les étudiantsfréquentant les classes supérieures des collèges classiques.

4. Que les subventions actuellement versées aux collèges clas-siques masculins soient désormais régulièrement assuréesaux collèges classiques féminins.

5. Qu'un centre de recherches pédagogiques et statistiques soitmis sur pied immédiatement en liaison avec les universités.

6. Qu'on donne suite aux travaux du Sous-Comité de Coordi-nation de l'Enseignement de 1953.

7. Que des services d'information et d'orientation scolaire etprofessionnelle soient généralisés à toutes les institutionsaux trois niveaux d'enseignement.

8. Que le gouvernement de la Province voie à l'uniformisationde l'évaluation foncière à sa valeur réelle dans l'ensemble dela province.

9. Que le gouvernement de la province de Québec fasse immé-diatement auprès du gouvernement fédéral des demandes envue que celui-ci établisse sa politique fiscale de façon àpermettre aux provinces d'utiliser pleinement leurs pouvoirsde taxation et de voir elles-mêmes aux besoins de leursuniversités; et qu'il en vienne à un règlement fiscal quipermette au gouvernement provincial de récupérer au profitdes universités et collèges les sommes déjà accumulées aucompte des universités et collèges classiques par le gouver-nement fédéral.

10. Que la fréquentation scolaire obligatoire soit portée de 14à 16 ans.

Page 282: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Conférence sur l'éducation • 283

11. Que la gratuité scolaire soit appliquée à tous les niveaux del'Enseignement.

12. Que disparaisse dans les Commissions scolaires de la Pro-vince la représentation basée uniquement sur la qualité depropriétaire, qu'à Montréal et Québec, les représentants duclergé soient moins nombreux, les laïcs n'étant plus dési-gnés arbitrairement mais plutôt par les organismes qu'ilsreprésenteraient.

13. Que la partie laïque du Conseil de l'Instruction publiquesoit réformée de telle sorte que les membres en soient nom-més par les associations directement intéressées à l'Éduca-tion.

14. Que le Gouvernement de la Province de Québec fasse étu-dier les mesures à prendre pour développer dans la provinceun régime de bibliothèque conforme aux besoins de l'épo-que actuelle.

Seconde catégorie

ATTENDU que certaines questions paraissent correspondre à desbesoins urgents mais nécessiteraient certaines études préalables, laConférence provinciale sur l'Éducation recommande que le gou-vernement provincial:

i. fasse immédiatement auprès du gouvernement fédéral desdemandes en vue d'obtenir, qu'à l'avenir les contribuablesde la province soient autorisés à déduire de leur impôt fé-déral sur le revenu des montants dont l'ensemble serait l'équi-valent de la subvention annuelle fédérale destinée auxUniversités. Qu'il assure, soit par un ajustement à sa propreloi d'impôt ou par tout autre moyen qu'il jugerait désirable,le versement aux universités et collèges des sommes ainsirécupérées.

Troisième catégorie

ATTENDU que le problème de l'Enseignement exige une solutiond'ensemble, qu'une multitude de problèmes particuliers ont étéévoqués devant la Conférence provinciale sur l'Éducation et sou-mis sous forme de résolutions, sans que la Conférence ait eu letemps d'en faire l'étude approfondie, tels que:

Page 283: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

284 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

— le recrutement et la formation des professeurs,— la taxe de vente uniforme,— la taxe provinciale de péréquation,— les redevances sur les ressources naturelles,— l'exemption des taxes fédérale et provinciale sur les achats

des Commissions scolaires,— la coordination des cours conduisant au baccalauréat es

arts,— la création d'un cours classique complet dans les écoles

publiques,— la promotion de l'éducation nationale, civique et démocra-

tique,— l'attention à accorder aux protestants de langue française,— la révision générale des structures du régime sous l'autorité

du Département de l'Instruction publique soit, pour les uns,création d'un Ministère de l'éducation, pour les autres,adaptation des formules actuelles,

— une campagne d'éducation populaire quant au coût réel del'enseignement à tous les niveaux, surtout à l'universitaire,

— l'orientation des enfants mal adaptés,— l'intégration des maternelles dans les commissions scolaires,— la pension aux instituteurs,— l'élévation du salaire minimum des instituteurs,— prime de traitement et pension aux professeurs laïques de

l'enseignement secondaire,— amélioration de l'outillage pédagogique,— réforme des diplômes d'écoles normales et des conditions

d'admission à ces mêmes écoles,— surmenage dans les écoles,— ainsi que bon nombre d'autres recommandations incluses

dans les rapports des commissions;

ATTENDU au surplus que la solution d'un problème aussi impor-tant contient des implications extrêmement graves d'ordre reli-gieux, culturel, social, économique et constitutionnel,

la Conférence provinciale sur l'Éducation recommande au gou-vernement de la Province d'instituer le plus tôt possible une Com-mission royale d'Enquête sur les problèmes d'éducation à tous lesniveaux et sur les problèmes connexes,

Page 284: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Conférence sur l'éducation • 285

la Conférence provinciale sur l'Éducation recommande aussiqu'un comité permanent soit institué afin de continuer l'étude desproblèmes susmentionnés et de travailler à l'application des solu-tions déjà formulées.

Source : L'Éducation au Québec face aux problèmes contemporains, Documentsrelatifs à la conférence provinciale sur l'éducation, Université de Montréal, 7, 8,9 février 1958, Saint-Hyacinthe, Les Éditions Alerte, 1958, p. 134-136.

Page 285: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

36 Fédération des travailleurs du Québecet Confédération des travailleurscatholiques du CanadaPour une éducation gratuiteet démocratique1958

Quelques jours à peine après la Conférence provinciale sur l'éducation, les deuxgrandes centrales syndicales québécoises présentent un important mémoireconjoint au surintendant de l'Instruction publique du Québec. Le mémoire seconsacre à deux thèmes majeurs. D'une part, les centrales insistent à leur toursur la nécessité impérieuse d'accroître la fréquentation scolaire; c'est littérale-ment une question de survie pour les travailleurs qu'une économie en pleinetransformation oblige à s'adapter et à apprendre de façon permanente; en ef-fet, constatent les centrales, mieux on est formé, mieux on réussit à s'adapteraux besoins changeants de l'économie et à conserver ses qualifications profes-sionnelles. Pour améliorer la scolarisation de la population, notamment desfuturs travailleurs, les centrales jugent nécessaire d'implanter, selon des moda-lités appropriées, la gratuité scolaire à tous les niveaux d'enseignement. D'autrepart, les centrales réclament la démocratisation des instances dirigeant l'édu-cation : les parents, qu'ils soient ou non propriétaires, doivent pouvoir partici-per à l'élection des commissaires scolaires et il faut diversifier et rendre plusreprésentative la composition des comités catholique et protestant du Conseilde l'instruction publique.

MONSIEUR LE SURINTENDANT,

i. Le chômage et la scolarité

Une étude récente, effectuée à l'échelle nationale, sur les candidatsen quête d'emploi inscrits au Service national de Placement, a misen lumière l'existence d'une étroite relation entre le chômage et lascolarité.

[...]

Page 286: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

FTQ et CTCC • 287

Dans la Province de Québec aussi bien que dans l'ensemble duCanada, le taux de chômage chez les personnes peu instruites estpresque le double du taux constaté chez les personnes possédantune certaine instruction. Plus précisément, il y a proportionnelle-ment à peu près deux fois plus de chômeurs parmi ceux dont lafréquentation scolaire est égale ou inférieure à 8 années, que parmiceux qui ont fréquenté l'école 9 ans ou plus.

Outre cette constatation générale, le relevé du Service nationalde Placement a permis de préciser le genre de relation qui existeentre le chômage et le degré d'instruction.

Dans certains cas, cette relation est manifestement directe. Telest, en particulier, le cas des travailleurs qui demeurent sans emploisimplement parce qu'ils ne satisfont pas aux exigences « académi-ques » des emplois offerts. Tel est aussi le cas des personnes misesà pied à la suite de changements techniques introduits dans uneusine, changements qui s'accompagnent d'une modification dutravail des employés ou de la création de nouveaux emplois, inac-cessibles aux membres moins bien formés du personnel.

Dans beaucoup de cas, par contre, la relation entre le chômageet la scolarité est moins directe, quoique tout aussi réelle. Il sem-ble, en effet, que les personnes peu instruites ont tendance à abou-tir dans des emplois où le taux de chômage est élevé.

[...]

2. Le niveau d'instruction et la mobilité professionnelle

II se produit constamment, à un rythme souvent très rapide, destransformations radicales dans le monde du travail qui modifientnon seulement l'économie interne des entreprises et des techniquesde production, mais aussi le nombre et la qualité des travailleursaffectés aux diverses occupations industrielles ou autres.

De là découle une caractéristique extrêmement importante del'économie moderne : la main-d'œuvre y est sans cesse soumise à desdéplacements et à des permutations à la fois d'ordre «géographi-que » et d'ordre « professionnel ». Pour continuer à exercer le même«métier», à remplir la même «occupation», des groupes considé-rables de travailleurs se voient souvent dans l'obligation de changerd'entreprise; s'ils veulent demeurer dans la même entreprise, ilsn'ont d'autre alternative que de changer d'« occupation » et de s'adap-ter à une tâche exigeant d'autres habiletés, d'autres techniques.

Page 287: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

288 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Dans quelle mesure cette plus grande « mobilité professionnelle »que l'économie moderne impose aux travailleurs exige-t-elle deceux-ci une éducation et une instruction plus poussées ou différen-tes de celles qu'ils ont reçues à l'école ? Nous ne connaissons aucuneétude qui nous permettrait de le préciser. Dans les milieux ouvriers,l'on reconnaît cependant que les travailleurs les mieux éduqués,ceux qui ont eu la chance de recevoir une meilleure formation àla fois générale et professionnelle, sont aussi ceux qui s'adaptentle mieux et le plus rapidement à de nouvelles conditions de travail.

De tels faits observés directement par les travailleurs ou portésà leur connaissance par les mouvements dont ils font partie, sontbien de nature à leur faire prendre conscience de l'importance del'instruction. Aussi n'est-il pas étonnant que la question scolaireles préoccupe profondément. Le geste que nous posons aujourd'huien vous soumettant ce mémoire concrétise en quelque sorte cespréoccupations et, à ce titre, il revêt une importance considérableaux yeux des 2.2,5 ooo représentés.

[...] nous voulons limiter nos préoccupations à deux catégoriesde problèmes qui intéressent très directement les milieux de tra-vailleurs et qui nous paraissent également fondamentaux:

I. LA FRÉQUENTATION SCOLAIREET LA GRATUITÉ DE L'ENSEIGNEMENT

A. Un problème majeur: l'insuffisancede notre fréquentation scolaire

II se peut, comme on l'affirme souvent, que notre façon tradition-nelle de concevoir la formation scolaire à tous les niveaux s'ins-pire, plus que toute autre, de vérités et de principes fondamentaux.Il se peut aussi que, dans ses intentions et ses formulations les plusgénérales notre philosophie de l'éducation soit conforme à unauthentique idéal d'humanisme.

Mais que signifient, dans la pratique, toutes ces vertus de notreenseignement et de notre pensée pédagogique, si les jeunes aux-quels ils sont destinés n'en sont même pas atteints parce qu'ils nefréquentent pas l'école ?

Tel est bien, en effet, le problème majeur qui se pose dans notremilieu: la fréquentation, scolaire, parmi nos jeunes de 14 à 20 ans,est scandaleusement inférieure à ce qu'elle devrait et pourrait être.

[...]

Page 288: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

FTQ et CTCC • 289

À cet égard, la province de Québec se classait, en 1951, au dernierrang des provinces canadiennes. La fréquentation scolaire des jeu-nes de 14 à 20 ans s'établissait alors, dans le Québec, à peu prèsau même niveau que dans l'ensemble du Canada vers 192,5. Noussommes à ce point de vue, en retard d'environ vingt-cinq ans surle reste du pays.

Si désagréable qu'elle soit pour notre amour-propre, l'accepta-tion de la réalité, telle qu'elle est, nous semble un meilleur pointde départ pour une action positive et constructive que l'optimismeaveugle ou intéressé dont on nous donne trop souvent le spectacle.Sans doute, les faits que nous avons rapportés ne nous font-ils pashonneur auprès de nos compatriotes des autres provinces. Maisplutôt que de chercher à nous les cacher à nous-mêmes et auxautres, efforçons-nous, au contraire, à prendre conscience de leurgravité et à découvrir les moyens d'améliorer la situation.

L'objectif qu'il faut atteindre, dans le plus bref délai possible, estclair et précis. Le moins qu'on puisse réclamer d'une provincecomme la nôtre, dont on nous dit si souvent qu'elle connaît uneprospérité sans précédent, c'est que la fréquentation scolaire yatteigne un niveau correspondant à l'importance de notre provincedans le pays.

Comment atteindre cet objectif? Quelles mesures faut-il pren-dre pour maintenir à l'école les dizaines de milliers de jeunes de 14à 20 ans qui l'abandonnent prématurément ?

Les mesures qui nous paraissent les plus urgentes, à l'heureactuelle sont:

1. La prolongation de la fréquentation scolaire obligatoire;2. La gratuité scolaire.

B. La fréquentation scolaire obligatoire jusqu'à 16 ans

Il serait bien étonnant que, dans la province de Québec, l'onréussisse mieux qu'ailleurs à élever suffisamment le niveau de lafréquentation scolaire en maintenant à 14 ans le terme de la fré-quentation scolaire obligatoire [...].

D'ailleurs, il est intéressant de noter, à ce propos, que ce sontprécisément les provinces canadiennes où l'âge terminal de la fré-quentation scolaire obligatoire est le plus élevé qui ont en mêmetemps le meilleur taux de fréquentation scolaire.

[...]

Page 289: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

290 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Cependant, si nécessaire et si justifiée qu'elle soit, en principe, laprolongation jusqu'à 16 ans de la fréquentation scolaire obliga-toire comporterait des conséquences administratives si importan-tes qu'on peut se demander si elle serait intégralement réalisabled'un seul coup.

Qu'il suffise, à cet égard, de mentionner qu'elle entraînerait en1958-59, par exemple, une augmentation des effectifs scolairesd'environ 60 ooo élèves de plus que l'augmentation de quelque3 5 ooo élèves qui se produira de toute façon par suite de l'accrois-sement naturel des populations d'âge scolaire et des progrès spon-tanés de la fréquentation.

Aurions-nous immédiatement assez d'écoles pour recevoir untel surplus d'étudiants ? Assez de maîtres qualifiés pour les édu-quer ?

[».]Quelle proportion des élèves forcés par la nouvelle loi de de-

meurer à l'école, l'organisation scolaire actuelle pourrait-elle ab-sorber ? En termes plus concrets, jusqu'où pourrait-on augmenter,sans trop de dommage pédagogique, l'inscription moyenne dansles classes existantes de 7e, 8e et 9e années ?

Nous répondrons à cette question par un fait: l'inscriptionmoyenne dans les classes d'« éléments latins » à l'école, et de « syn-taxe» à l'école, des collèges classiques s'établissait en 1954-55, à31,2 et 30,0 élèves respectivement. Si donc les écoles publiques,sans augmenter pour autant leur personnel ni construire de nou-veaux locaux, recevaient tout simplement dans leurs classes de 7%8e et 9e années le même nombre moyen d'élèves que les collègesclassiques, elles pourraient absorber à peu près 50% de l'augmen-tation consécutive à la prolongation jusqu'à 16 ans de la fréquen-tation scolaire obligatoire.

L'on peut objecter à cette manière de raisonner le problème quele critère employé n'est pas valide : une moyenne de 30 ou 31 élèvesen 7e, 8e ou 9e année est trop élevée et ne correspond pas aux normesde la pédagogie moderne ; il est inadmissible qu'on provoque ainsidélibérément une augmentation considérable du nombre d'élèvespar classes ; une telle politique est nettement anti-pédagogique.

Page 290: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

FTQ et CTCC • 291

II va sans dire qu'en principe cette objection est tout à faitfondée. Sans doute les classes trop nombreuses sont-elles un mal.Mais l'abandon prématuré de l'école est un mal encore pire. Etnous préférons des classes surpeuplées à une fréquentation scolaireinsuffisante. Si les collèges classiques s'en étaient tenus à des cri-tères pédagogiques rigides quant au nombre idéal d'élèves parclasse, ils auraient refusé des centaines de jeunes qui ont cependantréussi à poursuivre des études convenables, sans lesquelles ilsn'auraient pas eu accès aux carrières supérieures, précisément àune époque où il y a une telle pénurie de professionnels de presquetoutes les catégories. Pourquoi les écoles publiques seraient-ellesplus réticentes dans la diffusion de l'instruction qu'une institutionprivée comme le collège ?

Il n'en demeure pas moins toutefois que la capacité des cadresactuels de l'école publique à absorber un plus grand nombre d'élè-ves ne dépassera probablement pas le 50% des nouvelles inscrip-tions provoquées par une loi de fréquentation scolaire obligatoirejusqu'à 16 ans. Qu'adviendra-t-il de l'autre 50% ?

L'effort considérable que l'on déploie depuis quelques annéesdans le domaine de la construction scolaire parvient, il est vrai,dans l'ensemble, à répondre aux besoins actuels et même, dans unebonne mesure, à renouveler notre équipement. Mais sommes-nouscapables d'un effort encore plus considérable ?

D'autre part, en ce qui concerne le personnel enseignant, notresystème scolaire est encore nettement impuissant à faire face àl'augmentation actuelle des populations étudiantes puisque le nom-bre des professeurs non diplômés augmente sans cesse depuis 1951-52.. Comment pourra-t-il recruter quelque 1000 maîtres de plusqu'il n'en faut présentement ?

De ces deux problèmes, le second est, sans contredit, le plussérieux.

Après tout, dans le domaine de la construction scolaire, l'effortà fournir est surtout d'ordre financier: que nous augmentions dequelques millions de plus par année nos investissements scolairesne nous paraît ni impossible ni disproportionné à nos moyens, sinous consentons à accorder à l'éducation la primauté sur d'autresdépenses publiques de moindre importance pour l'avenir de notrecollectivité.

Il ne semble pas aussi facile, à première vue, de résoudre l'autreproblème que nous avons soulevé, celui du recrutement d'un per-

Page 291: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

292 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

sonnel qualifié. L'analyse des inscriptions dans les écoles normaleset de l'augmentation réelle de nouveaux professeurs au cours desdernières années paraît bien indiquer que la pénurie de maîtres nesera pas comblée avant de nombreuses années, même si l'on nechangeait rien au régime de la fréquentation scolaire. Cette ana-lyse toutefois peut nous induire en erreur parce qu'elle se fonde surdes données recueillies au cours de la période où le nouveau pro-gramme des écoles normales mis en vigueur en 1953, s'est peu àpeu réalisé. La « production nette » des écoles normales peut trèsbien s'accroître plus rapidement que ne l'indiquent les statistiquesactuelles [...].

Pour peu que l'on veuille bien intensifier le recrutement descandidats à la carrière de l'enseignement et que l'on réalise lapolitique d'expansion des écoles normales suggérée dans le dernierrapport de l'inspecteur général des écoles normales (1955-56), cesprévisions optimistes ont de bonnes chances de se réaliser. Ellesjustifient, en tout cas, la conclusion que la pénurie actuelle dupersonnel enseignant ne constitue pas un obstacle infranchissableà la prolongation de la fréquentation scolaire obligatoire jusqu'à16 ans.

C. La gratuité scolaire et ses modalités

Malgré le fait que notre loi de l'Instruction publique oblige lesenfants à fréquenter l'école jusqu'à l'âge de 14 ans, la gratuitéscolaire n'existe même pas au niveau de l'enseignement élémen-taire dans notre province.

Sans doute, les rétributions mensuelles autorisées par la loi sont-elles minimes (0,50$ par mois au cours élémentaire, i$ par mois aucours complémentaire). Il n'en demeure pas moins que notre con-ception de la nécessité de la fréquentation scolaire n'a pas évoluéencore jusqu'au point de consentir à supprimer tous les obstacles àcette fréquentation, en particulier les obstacles économiques.

L'on justifie souvent cette attitude au nom du principe de laresponsabilité des parents à l'égard de l'éducation de leurs enfants.Cette responsabilité impliquerait qu'ils doivent assurer eux-mêmesle coût de l'instruction dispensée par l'école, ou du moins, contri-buer directement à une partie des dépenses qu'elle entraîne.

Cette manière de raisonner est si répandue dans notre milieuqu'il nous faut en discuter les implications.

Page 292: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

FTQ et CTCC • 293

Tout d'abord, il est tout à fait faux et spécieux, même en termesstrictement administratifs et monétaires, de laisser entendre que lafamille ne remplit pas son devoir envers l'enfant lorsqu'elle de-mande qu'on répartisse par la gratuité scolaire, les charges del'instruction sur l'ensemble de la société. Elle assume déjà par sesseules ressources le soin de « faire vivre » l'enfant ; elle lui assurele logement, l'habillement et la nourriture, ce qui représente, dansl'ensemble des dépenses que son éducation totale peut entraînerune proportion beaucoup plus considérable que son instructionproprement dite. Dans la société moderne, la famille est de moinsen moins en mesure d'assumer à elle seule tout ce qu'exigé l'enfantdans l'ordre de ce qu'on pourrait appeler « le minimum vital ». Envertu de quel principe continuerait-on à exiger qu'elle porte toutle poids d'un « Service » comme l'instruction scolaire dont le prin-cipal bénéficiaire sera en définitive la société elle-même, puisque cesont les exigences mêmes de la vie sociale moderne qui requièrentde tous les citoyens une formation plus poussée ?

D'ailleurs, même dans l'hypothèse de la gratuité scolaire inté-grale sous forme de suppression des frais de scolarité, la famille nese trouve pas automatiquement dispensée de toute contributionfinancière à l'administration des écoles. Que ce soit par le moyende la taxe foncière, de la taxe de vente ou de tout autre systèmede taxation, le financement des écoles aura toujours nécessaire-ment une incidence familiale importante. La seule différence essen-tielle entre le financement par la taxation et le financement par larétribution mensuelle ou toute autre forme de contribution directecalculée sur une base de « tant par élève » consiste uniquement enceci que la répartition des charges scolaires, étant plus générale etatteignant l'ensemble de la société, se trouve de ce fait plus équi-table.

Telle est la véritable perspective dans laquelle il faut discuter leproblème de la gratuité scolaire. À moins de nier que l'instructionne soit un facteur de progrès pour toute la société en général, ilfaut reconnaître que la responsabilité d'assurer aux nouvelles gé-nérations l'accès à une formation conforme à leurs aptitudes estune responsabilité autant de la société que de la famille seule.Nous croyons même que celle-ci devrait être soulagée autant quepossible du fardeau de plus en plus lourd de l'instruction scolaire.C'est pourquoi le moins qu'une société évoluée puisse faire enmatière d'éducation serait, à notre avis, qu'elle supprime tous les

Page 293: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

294 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

obstacles financiers à la prolo ation des études. Nous croyonsdonc urgent que l'on devrait, dans la province de Québec commedans la plupart des pays occidentaux, instituer la gratuité scolaireà tous les niveaux de l'enseignement.

1. La gratuité scolaire à l'école publique

À l'école publique, la formule la plus pratique de gratuité con-sisterait évidemment dans la suppression des rétributions mensuel-les à tous les niveaux de l'enseignement, et quel que soit le type decet enseignement.

Il est d'ailleurs intéressant de noter, à ce propos, que la gratuitéscolaire est à peu près réalisée, en ce sens que les frais de scolaritéet le coût des manuels y sont relativement peu élevés, dans bonnombre de ces écoles. C'est le cas, en particulier, des écoles souscontrôle des commissions scolaires et des écoles du Ministère duBien-Être Social et de la Jeunesse : écoles techniques, écoles d'artset métiers, etc.

L'application de notre proposition modifierait donc la situationactuelle surtout au niveau de l'enseignement post-élémentaire deformation générale, y compris l'enseignement classique, dispenséprésentement par bon nombre de commissions scolaires et l'ensei-gnement professionnel dispensé par les écoles normales.

2. La gratuité des institutions privées d'enseignementpost-élémentaire: le collège et l'université

À la rigueur, la formule de gratuité que nous avons proposée pourtout l'enseignement public, pourrait aussi s'appliquer à l'enseigne-ment privé. Il suffirait pour cela que l'État remplace par des sub-ventions les revenus que les institutions privées doivent actuellementpercevoir de leurs étudiants. De telles subventions devraient cepen-dant être si considérables que très probablement, à plus ou moinsbrève échéance, l'État serait amené à exercer sur leur emploi uneétroite surveillance. À toutes fins pratiques, les institutions en causeperdraient leur indépendance: elles deviendraient des collèges oudes universités d'État.

[...]

[...]

[...]

Page 294: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

FTQ et CTCC • 295

Dans son mémoire à la Commission Tremblay, la Fédérationdes Collèges classiques analyse longuement ce problème et sug-gère, pour le résoudre, une formule de gratuité scolaire qui noussemble particulièrement intéressante, les Allocations d'études post-élémentaires1.

Elle ne résout cependant pas le problème des étudiants qui fré-quentent des institutions de formation professionnelle comme lesuniversités.

En principe, au même titre que les étudiants inscrits dans lesécoles professionnelles publiques, les étudiants universitaires de-vraient aussi bénéficier de la gratuité scolaire, c'est-à-dire del'exemption des frais de scolarité. Mais les frais de scolarité sontloin de constituer le principal obstacle financier à l'accès aux étu-des universitaires, puisqu'ils représentent à peine le quart du coûtd'une année universitaire. Ce sont plutôt les dépenses d'entretienet de subsistance qui empêchent bon nombre de candidats biendoués de poursuivre leur formation professionnelle jusqu'àl'université. Contrairement à l'étudiant qui fréquente l'une desnombreuses écoles élémentaires ou moyennes de formation profes-sionnelle réparties à travers toute la province, l'étudiant universi-taire est ordinairement forcé de demeurer en dehors de sa famille.Aussi dans la plupart des cas, il ne suffira pas, pour lui rendrepossible l'accès à l'université, de supprimer les frais de scolarité;il faudra surtout lui procurer les revenus nécessaires à sa subsis-tance. Les montants qu'un système d'aide efficace devrait mettreà la disposition des étudiants universitaires seront, par conséquent,relativement élevés; ils entraîneront pour l'État des déboursésconsidérables. Voilà pourquoi, de façon à rendre ses propositionsplus immédiatement réalisables, la CTCC en est venue à la conclu-sion qu'il serait en dernière analyse plus avantageux pour les étu-diants universitaires de bénéficier d'une aide plus généreuse sousforme de prêts couvrant toutes leurs dépenses, que de la simplegratuité scolaire limitée à l'exemption des frais de scolarité.

Nous voudrions donc qu'une aide de cet ordre soit rendue ac-cessible à tous ceux qui en ont besoin, non pas par un système debourses d'études, mais plutôt par un système de prêt étudiant.

i. Voir texte 24. (N.d.É.)

[...]

[...]

Page 295: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

296 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Tous les étudiants désireux de poursuivre des études profession-nelles dans une université reconnue pourraient obtenir un prêtannuel ne dépassant pas 1000$, sans avoir à fournir la preuve deleur « indigence » ou de leur « besoin ». Jusqu'à concurrence dumontant indiqué, l'évaluation de ce « besoin » serait laissée à leurdiscrétion. Ils s'engageraient, sous forme d'un billet à demande,par exemple, à rembourser intégralement les sommes empruntées,dans un délai raisonnable après leurs études. Certains risques denon-remboursement pourraient être facilement éliminés : le risquede mort, par exemple, par une police d'assurance. L'organismechargé de l'administration des prêts étudiants pourrait être dumême type que l'Office du Crédit agricole.

Outre l'avantage d'être mieux adapté aux besoins réels, un telsystème ne coûterait éventuellement pas plus cher à la Provinceque le système actuel de bourses d'études, bien que le montant misà la disposition des étudiants serait beaucoup plus élevé.

IL LA DÉMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENTDANS LA PROVINCE DE QUÉBEC

La démocratisation de l'enseignement peut s'entendre de deuxfaçons. Dans un premier sens, elle réfère à l'ensemble des mesuressusceptibles de faciliter l'accès de tous les jeunes au niveau et autype de formation correspondant à leurs aptitudes quelles quesoient leur origine sociale et leur condition de fortune. C'est à cetaspect social de la démocratisation de l'enseignement que se rat-tachait la première partie de notre mémoire.

Nous voudrions maintenant en étudier un second aspect à ca-ractère plus « institutionnel » ou « politique » et analyser jusqu'àquel point les organismes chargés, dans notre système scolaire, dela régie des écoles publiques peuvent être considérés comme réel-lement démocratiques. Dans cette perspective, nous considéronstour à tour les problèmes que soulève la «démocratisation» desdeux principaux rouages de notre hiérarchie scolaire : la corpora-tion scolaire et le Conseil de l'Instruction publique.

[...]

Page 296: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

FTQ et CTCC • 297

A. La corporation scolaire

Le caractère non démocratiquede l'élection des commissaires d'écoles

Mais tel est précisément le problème qui se pose dans notre milieu ;malgré ses « intentions » et son « esprit », notre loi de l'instructionpublique ne comporte en fait aucune disposition susceptible d'as-surer aux parents et aux familles le contrôle ou un droit de regardquelconque sur la corporation scolaire.

Ce n'est ni aux parents ni aux familles que notre loi de l'instruc-tion publique reconnaît le droit de participer à l'élection des com-missaires d'écoles. Ce droit n'est même pas reconnu à tous lescontribuables, c'est-à-dire, selon l'article 2.-2.I de la loi, à «toutepersonne qui, en vertu de quelqu'une des dispositions de la pré-sente loi, est obligée au paiement des taxes scolaires », car, s'il enétait ainsi, tous les parents qui payent une rétribution mensuellepourraient participer à l'élection des commissaires d'écoles. Teln'est pas le cas.

Abstraction faite de Montréal et Québec, où les commissairesd'écoles ne sont pas élus, mais nommés à la fois par le gouverne-ment et par l'ordinaire du lieu, c'est dans les milieux urbains quel'élection des commissaires est le moins démocratique : les proprié-taires n'y représentent qu'une proportion minoritaire des familles(environ 48%). Dans les milieux ruraux agricoles, par contre,l'immense majorité des familles sont propriétaires du logementqu'elles occupent.

En principe, pour qu'elle soit parfaitement démocratique, il estincontestable que l'élection des commissaires d'écoles devrait sefaire par voie de suffrage universel, comme le propose d'ailleurs laFédération des Commissions scolaires. L'application intégrale dece principe comporterait toutefois des inconvénients sérieux sur-tout dans les grandes villes. C'est pour tenir compte de ces diffi-cultés concrètes que nous accepterions une formule moins radicalede démocratisation des commissions scolaires.

Dans le cas de certaines grandes villes, notamment dans le casde Montréal et Québec, les commissaires d'écoles pourraient être

[...]

[...]

[...]

Page 297: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

298 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

nommés selon une procédure analogue à celle que nous proposonsplus loin pour la nomination des membres laïques du Comitécatholique de l'Instruction publique. Ils continueraient donc à êtrenommés et non pas élus comme à l'heure actuelle, mais ils auraientété au préalable désignés et délégués par des organismes eux-mê-mes représentatifs des milieux directement intéressés à l'éducation.

Dans tous les autres cas, nous considérons comme essentiel queles parents, au même titre que les propriétaires de biens-fonds,soient considérés comme habiles à voter pour l'élection des com-missaires d'écoles et à être eux-mêmes élus commissaires.

Nous tenons à le souligner, cette dernière proposition ne sup-prime aucun droit acquis. Elle n'enlève pas aux contribuablespropriétaires le droit dont ils jouissent présentement. Mais nousreprochons au système actuel de limiter arbitrairement l'exerciced'un droit de regard sur l'administration des écoles à ceux-là seu-lement qui contribuent directement par une seule des taxes scolai-res au financement partiel de la corporation scolaire, comme s'ilsétaient les seuls à participer au financement des écoles ou commesi la régie des écoles n'était affaire que de pure administrationfinancière.

Il est bien évident qu'avant d'être un organisme de perceptiondes taxes foncières ou une agence de distribution des subventionsgouvernementales, la corporation scolaire est d'abord l'institutionresponsable, dans la municipalité, de dispenser l'enseignement quicorrespond aux besoins du milieu et d'assurer que cet enseigne-ment soit conforme aux normes établies. À cet égard, les premiersintéressés au contrôle de la corporation scolaire et à l'orientationde sa politique pédagogique ne sont point les contribuables commetels, mais les parents dont les enfants subissent les conséquences decette politique. Il serait donc normal que le code scolaire leurreconnaisse le droit de participer à l'élection des commissaires aumême titre que les contribuables propriétaires, ce qui leur permet-trait automatiquement d'être eux-mêmes éligibles à la fonction decommissaire.

B. Le Conseil de l'Instruction publique

L'une des particularités de notre système scolaire consiste dansl'importance du rôle que jouent le Conseil de l'instruction publi-que et ses comités catholique ou protestant dans la direction géné-rale des écoles publiques. [...]

Page 298: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

FTQ et CTCC • 299

Ceux-ci, à toutes fins pratiques, constituent l'autorité supérieureen tout ce qui concerne « l'organisation, l'administration et ladiscipline des écoles publiques; la régie des écoles normales; ladivision de la province en districts d'inspection; la régie des bu-reaux d'examinateurs; l'examen des aspirants à la charge d'ins-pecteur d'écoles » (Art. 29 de la loi) et autres matières connexes.

C'est cette importance considérable du Conseil de l'Instructionpublique et de ses comités parmi les rouages supérieurs de notrehiérarchie scolaire qui nous a incités à étudier leur constitution etleur composition à la lumière des mêmes principes qui nous ontguidés dans l'analyse de la corporation scolaire.

La création du Conseil de l'Instruction publique (1856), puis sadivision en deux comités distincts, l'un catholique, l'autre protes-tant (1869), avaient d'abord pour objet d'établir et de maintenirla confessionnalité de l'enseignement public dans la province.

L'épreuve de près d'un siècle qu'il a maintenant subie a démon-ré la valeur de ce système et son efficacité à maintenir dans lescadres d'une parfaite confessionnalité l'enseignement des écolespubliques. Dans la mesure où cet objectif avait justifié son insti-tution, l'on peut affirmer qu'il a réalisé intégralement les inten-tions du législateur et atteint les buts que celui-ci lui avait assignés.

L'on peut se demander cependant si le même système s'est avéréaussi efficace dans la poursuite des objectifs non spécifiquementreligieux ou « confessionnels » propres à tout enseignement, dansl'élaboration d'une politique scolaire adaptée à tous les besoins età toutes les exigences de l'évolution du milieu.

Est-il nécessaire de le souligner avec insistance ? — Nous som-mes profondément convaincus qu'une telle politique doit assurerle respect intégral des valeurs religieuses et, en ce sens, nous tenonsà conserver l'essentiel de la structure actuelle du Conseil de l'Ins-truction publique : son partage en un comité catholique et un comitéprotestant, la présence «ex officio» des évêques dans le comitécatholique.

Mais l'école publique est également ordonnée au service devaleurs sociales et culturelles, à la satisfaction d'une catégorie debesoins dans le milieu, qui se distinguent formellement des valeursreligieuses ou du besoin de formation religieuse. Ces valeurs et cesbesoins « temporels » ne se déduisent en aucune façon des valeurs

[...]

[...]

Page 299: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

300 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

et des besoins religieux comme tels. Et, si importante qu'elle soit,la sauvegarde de ces derniers ne garantit absolument pas la sauve-garde des autres qui doit être poursuivie pour elle-même.

Comment le sera-t-elle par un organisme comme le comité ca-tholique dont les membres sont choisis à partir du seul critère deleur appartenance à l'Église soit à cause de leur fonction hiérarchi-que soit à titre de fidèles, pour ne point parler, dans le cas de cesderniers, d'autres critères qui n'ont aucun rapport avec l'éducationelle-même ?

// ne s'agit pas de nier l'importance du critère «confessionnel»dans le choix des membres des comités, ni de le remplacer par unautre. Il s'agit plutôt de prendre conscience de son insuffisance etde le compléter en quelque sorte par d'autres critères empruntésaux exigences mêmes de la fonction.

Voilà pourquoi, à notre avis, il serait préférable dans le cas ducomité catholique de réviser le mode de nomination des membreslaïques réguliers, plutôt que d'ajouter à ces derniers un certainnombre de membres adjoints.

Cette révision du mode de nomination des membres laïques ducomité catholique devrait permettre que les principaux intéressésà l'orientation de notre politique scolaire soient représentés dansle comité.

Précisons d'abord ce que nous entendons par « représentation ».Dans notre esprit, il s'agirait bien d'une véritable représentation,c'est-à-dire d'une délégation en bonne et due forme des membresdu comité par les groupes de personnes ou d'institutions qu'ilsreprésenteraient. Nous insistons sur ce point, parce que l'expé-rience de l'action ouvrière nous a montré jusqu'à quel point l'onpeut déformer le sens réel du mot «représentation». Il ne seraitpas suffisant, par exemple, qu'un ou plusieurs membres du comitésoient eux-mêmes commissaires d'écoles pour qu'ils «représen-tent» les commissions scolaires; il faudrait surtout que les com-missions scolaires les aient désignés elles-mêmes pour occuper ceposte en leur nom.

Les catégories de personnes ou d'institutions qui seraient ainsiappelées à désigner des représentants au comité catholique, pour-raient être les suivantes:

i. Les parents par l'intermédiaire de la Fédération des Commis-sions scolaires, si l'on réalise la réforme que nous proposions plus

[...]

Page 300: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

FTQ et CTCC • 301

haut dans le mode d'élection ou de nomination des commissairesd'écoles. Jusqu'à ce que cette réforme soit réalisée, un organismecomme la Fédération des écoles de parents du Québec ou mêmeles deux grandes centrales ouvrières de la province (la CTCC et laFTQ) à cause du grand nombre de chefs de famille qu'elles repré-sentent, pourraient peut-être, en plus de la Fédération des Com-missions scolaires, déléguer un représentant au Comité.

2. Le personnel enseignant par l'intermédiaire de la Corporationdes Instituteurs et d'autres associations provinciales d'éducateursprofessionnels. Il est vrai que toutes les catégories importantes deprofesseurs ne font pas partie d'organismes de ce genre. Certainescatégories comme les religieuses enseignantes ne font partie d'aucuneassociation professionnelle. D'autres catégories comme les profes-seurs d'université sont bien organisées en associations locales ; maiscelles-ci ne sont pas encore groupées en fédération provinciale. Ily aurait cependant lieu, pour des raisons pratiques évidentes, delimiter au personnel enseignant organisé en associations d'enver-gure provinciale la possibilité de désigner des représentants auComité catholique.

3. Les collèges classiques masculins et féminins par l'intermédiairede leurs fédérations respectives.

4. Les universités lorsqu'elles se seront groupées dans une fédéra-tion provinciale ou un organisme analogue.

Quelle proportion des membres laïques du Comité catholiqueles organismes que nous venons d'énumérer devraient-ils désigner ?Au moins les deux tiers, à notre avis, soit 15 ou 16 puisque leComité compte présentement vingt-quatre membres laïques, ycompris le président et le secrétaire. En outre, il va sans dire quece nombre de 15 ou 16 ne se partagerait pas également entrechacune des quatre catégories d'organismes que nous avons distin-guées. Les organismes représentant les parents devraient avoir droità une majorité des délégués.

Nous l'avons déjà souligné, Monsieur le Surintendant, les mesu-res dont nous vous avons suggéré l'application revêtent, aux yeuxdes 2.2,5 060 membres à l'intérieur de la CTCC et de la Fédérationdes Travailleurs du Québec une importance primordiale.

Sans doute, pour des professionnels de l'enseignement, y a-t-ilbien d'autres questions scolaires dont l'urgence est indiscutable.

Page 301: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

3O2 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Celles dont nous avons traité cette année nous paraissent cepen-dant toucher à des aspects si fondamentaux de notre situationscolaire qu'elles devraient à notre avis justifier une action énergi-que, dans le plus bref délai possible. Tel est, du moins, l'avis quebeaucoup de nos membres ont exprimé soit au cours de nos con-grès annuels, soit à l'occasion de journées d'étude régionales.

Source : Mémoire sur l'éducation soumis conjointement au Surintendant de l'Ins-truction publique (1958).

[...]

Page 302: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

37 Étudiants des universitésde la province de QuébecLes conditions matériellesde l'enseignement dans les universités1958

Le mouvement étudiant universitaire s'engage activement dans la lutte pour laréforme de l'éducation : grève générale, sollicitation d'une rencontre avec lepremier ministre, interventions publiques se succèdent pour appuyer les autresgroupes réformistes. En substance, comme en témoigne un mémoire communde 1958, les étudiants réclament un financement statutaire des universités et,pour eux-mêmes, un meilleur régime de bourses.

Devant les graves problèmes financiers auxquels l'enseignementuniversitaire doit faire face en cette province, les étudiants de tou-tes les universités québécoises se sont unis pour étudier les donnéesexactes de la situation et chercher les remèdes susceptibles de l'amé-liorer.

Reconnaissant la compétence souveraine du gouvernement pro-vincial en matière d'éducation, c'est au Premier Ministre de laProvince de Québec et à son cabinet que nous soumettons respec-tueusement ce mémoire où sont exposés les résultats de cette en-quête et les conclusions auxquelles elle nous a conduits.

LES 2,1 000 ÉTUDIANTS DES UNIVERSITÉS DE LA PROVINCE

La gravité du problème sur lequel nous attirons l'attention dugouvernement provincial se manifeste principalement dans unesituation de fait que plusieurs enquêtes sérieuses ont fait ressortir,notamment les recherches de la Commission Tremblay, les mémoi-res soumis à celle-ci par diverses associations d'étudiants et deprofesseurs, les travaux et recherches de chaque association étu-

[...]

Page 303: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

304 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

diante universitaire de la province dont les rapports figurent enannexe au présent mémoire, etc.

On constate, en effet, que l'accès à l'enseignement universitairedemeure manifestement, en cette province, le privilège d'une classematériellement plus fortunée. Le coût actuel d'un cours à l'Univer-sité est prohibitif pour un très grand nombre de fils d'ouvriers,d'employés de bureau, de manœuvres, etc. [...] Il n'y a aucune rai-son de croire que la situation se soit améliorée depuis : au contraire,sur les six universités de la province, cinq ont dû augmenter leursfrais de scolarité entre 1954 et 1958, y compris Laval et Montréal.

On constate donc que 57,6% des étudiants (donc plus de lamoitié) viennent des milieux sociaux les plus riches qui, dans laprovince, ne constituent que 10,4% de la population active. C'estdonc dire que les enfants de 89,7% de cette population ne peuventprofiter que de moins de la moitié des places à l'université.

Nous admettons avec la psychologie et la pédagogie modernesque le pourcentage des enfants aptes aux études supérieures varieselon les diverses classes sociales et qu'il serait donc normal qu'ily ait proportionnellement, à l'université, plus d'enfants issus demilieux professionnels que du milieu ouvrier ou de celui des em-ployés de bureau. Mais même en pondérant de cette façon, onreste en face d'une situation de fait nettement défavorable auxétudiants issus de groupes professionnels moins hautement sala-riés. En effet, bien qu'il tienne compte de ce facteur de pondéra-tion, le mémoire remis à la Commission Tremblay par la Fédérationdes Collèges Classiques en arrive tout de même à la conclusion queparmi tous les enfants de la province aptes aux études supérieures,ceux des classes aisées devraient y figurer pour moins d'un tiers.Or on vient de constater qu'à l'université ils y figurent pour prèsde la moitié.

On voit donc que le coût des études universitaires est un obs-tacle considérable et souvent infranchissable pour beaucoup d'étu-diants pauvres remplissant par ailleurs les conditions intellectuellesrequises pour entrer à l'université. Pourtant les seuls critères d'ad-mission à l'éducation universitaire devraient être les niveaux d'ap-titude. Jamais le manque de ressources financières ne devrait mettreune entrave au droit qu'a tout homme de développer au maximumles talents que la nature a mis en lui.

[...]

[...]

Page 304: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Étudiants des universités • 305

CONCLUSION

À la suite de ces considérations et après examen des données sta-tistiques qui décrivent la situation matérielle de nos universités etdes étudiants que nous représentons, nous concluons ce mémoireen faisant les recommandations suivantes:

i. Que le principe des subventions annuelles « per capita » auxuniversités, avec échéance, soit reconnu par des statuts, et queces statuts prévoient également une méthode de distribution deces subventions ainsi que la nécessité de leur réajustement pé-riodique.

2,. Qu'il soit constitué par le Gouvernement Provincial, dans leplus bref délai, un Comité chargé d'étudier les modalités quedevront revêtir ces subventions statuaires ; et que ce comité soitformé de membres nommés par le gouvernement de la province,de représentants des professeurs des diverses universités, et enfinde représentants des étudiants universitaires de la Province.

3. Qu'à tout étudiant québécois ayant satisfait aux conditionsd'admission dans une université canadienne soit attribuée unebourse de l'Aide à la Jeunesse proportionnelle à ses revenus.

4. Que le montant de ces bourses soit augmenté de façon àrencontrer les besoins exposés dans les rapports respectifs desdiverses associations étudiantes de la Province et figurant enannexe au présent mémoire.

5. Que soit abolie la clause voulant qu'une partie de ces boursessoit remise au gouvernement par les bénéficiaires.

LES ÉTUDIANTS DES UNIVERSITÉS DE LA PROVINCE

Source: Mémoire des étudiants des universités de la province de Québec sur lesconditions matérielles de l'enseignement universitaire en cette province, 1958.

Page 305: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

38 Georges-Emile LapalmeÉléments d'une politique de l'éducation1959

Avocat de formation, Georges-Emile Lapalme (1907-1985) est député au Parle-ment fédéral (1945-1950) puis chef du Parti libéral du Québec à compter de1950. Pendant une décennie, il dirige le principal parti d'opposition au régimede Maurice Duplessis et il sera chef parlementaire de l'Opposition officielle àcompter de 1953. Après avoir perdu les élections générales de 1952 et de 1956,il démissionne comme chef du Parti libéral du Québec en 1958 et Jean Lesagelui succède. En 1959, Lapalme rédige un essai, Pour une politique, qui résumeses conceptions politiques et, surtout, qui servira de base au programme élec-toral du Parti libéral en 1960. Dans cet essai, Lapalme préconise la création d'unministère de l'Instruction publique, la gratuité scolaire à tous les niveaux, lacréation d'une commission royale d'enquête sur l'éducation. Ce ne sont pas desidées inédites; cependant, elles deviennent des composantes du programmedu seul parti politique sérieusement capable de ravir le pouvoir à l'Union natio-nale de Duplessis et de ses successeurs, ce qui surviendra le 22 juin 1960.

Dans notre pays, où on a souvent plus peur des mots que deschoses, est-il vrai qu'il serait impossible d'avoir un MINISTÈRE DEL'INSTRUCTION PUBLIQUE? En certains milieux, dès qu'on pro-nonce ces mots, l'énervement fait place à la raison. La grande peurque l'on avait autrefois au sujet d'un tel ministère est-elle disparueou vivante ? Je crois sincèrement que dans l'état actuel des choses,l'épiscopat québécois ne formulerait pas d'objection à l'institutiond'un département qui coordonnerait tous les efforts de tout notreenseignement.

Tant et aussi longtemps qu'une grande politique de l'instructionpublique n'aura pas été instaurée, le Conseil demeurera ce qu'il estmais, par contre, le ministère de l'Instruction publique, dès sonétablissement, ordonnerait une vaste enquête sur les conditions

[...]

Page 306: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Georges-Emile Lapalme • 307

juridiques, administratives et financières de l'enseignement, en-quête qui serait conduite par des spécialistes libérés de l'emprisepolitique. Au fur et à mesure que les commissaires en arriveraientà des conclusions sur des plans déterminés, ils devraient les sou-mettre au ministre, qui les ferait passer immédiatement dans lalégislation.

Il serait édifiant de lire les conclusions d'une enquête impartialesur notre système, de même qu'il serait intéressant de savoir quellesorte de français on enseigne, quelle sorte d'histoire on met devantles yeux des élèves, quelles sortes de sciences sociales on inculqueaux enfants et surtout quelles sortes de manuels on met entre leursmains. Une telle enquête, j'en suis sûr, amènerait la disparition deces manuels qu'on a appelés « des nourrices sèches ».

Ce serait peut-être aussi une révélation d'apprendre quelle est lafaiblesse intellectuelle de notre personnel enseignant, laïque etreligieux.

Existe-t-il dans notre enseignement ce que l'on a décrit commeétant « une vision nette des intérêts nationaux » ? L'élève qui apassé par le cycle complet de notre instruction publique a-t-il lamoindre notion d'art et de la véritable langue française?

Toutes ces interrogations imposent au Parti libéral l'obligationde créer cette commission d'enquête sans laquelle, semble-t-il, toutce qui a été dit précédemment deviendrait lettre morte.

Un parti politique, toutefois, ne peut baser son action dans ledomaine de l'éducation uniquement sur l'attente d'un rapport decommission. Il y a, au point de vue éducationnel, des décisionspolitiques à prendre parce que ces décisions relèvent précisémentde la politique. Elles sont à caractère politique parce que leurfonction dépend, pour une grande part, des finances de la provinceet qu'elles n'entrent pas dans le domaine de la pédagogie elle-même.

Le parti libéral s'est déjà engagé à établir:

1. La scolarité obligatoire;2. la gratuité des livres;3. les subventions statutaires.

Ces articles ont fait l'objet, non seulement des programmespolitiques du parti et des résolutions adoptées par les congrès dela Fédération, mais ils ont été en outre l'objet de violents débats

[...]

Page 307: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

3o8 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

à l'Assemblée législative. Il est bien évident que le Parti libéral nepeut pas reculer sur ces différents points. En outre, du temps de M.Godbout1, le parti, alors qu'il était au pouvoir, s'était engagé assezavant puisqu'il avait lui-même fait adopter une législation rendantla scolarité obligatoire et imposant la gratuité des manuels.

Quant à la scolarité obligatoire, la Fédération, lors de son der-nier congrès, a résolu que tout enfant doit fréquenter l'école jus-qu'à la fin de l'année scolaire au cours de laquelle il atteint l'âgede 16 ans.

Cette résolution marque un pas en avant puisque la limite d'âgeautrefois préconisée par le Parti libéral était de 14 ans.

Il serait inutile de s'étendre davantage sur la politique du partirelativement aux subventions statutaires. Non seulement la posi-tion du Parti libéral est-elle connue mais elle est étayée par lesmultiples résolutions adoptées par de très nombreux corps publics.

Il est un point excessivement important au sujet duquel je nepartage pas l'opinion de la Fédération : c'est celui de la gratuité del'enseignement.

À mon avis, le Parti libéral doit être le parti de l'instructiongratuite à tous les paliers, depuis l'école primaire jusqu'à l'univer-sité inclusivement.

Il est facile d'invoquer ce qui se passe ailleurs dans le monde.Mentionner des pays comme la France, où l'éducation est donnéeà tout le monde, peut aider, à titre d'exemple, à notre argumenta-tion mais il n'est pas nécessaire d'avoir recours à l'étranger pourtrouver les motifs qui chez nous deviennent impératifs en faveurd'une instruction gratuite à tous les degrés de l'enseignement.

Il a été longuement question, dans cet exposé, du fait français,du caractère essentiel que ce fait imprime sur l'ensemble de toutenotre structure et sur l'ensemble de toute notre population. Il aégalement été fait mention de notre situation particulière de mino-rité. Ceci fait de nous un cas spécial.

Chacun de nous, précisément à cause de notre minorité, doitcompter au moins pour deux. Or, ce n'est pas la puissance dunombre ni celle de la richesse qui multipliera nos forces; c'estnotre culture propre. Cette culture, il faudra aller en chercher leséléments dans l'éducation. Et pour que cette culture puisse donner

i. Adélard Godbout, premier ministre libéral du Québec de 1939 à 1944.(N.d.É.)

Page 308: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Georges-Emile Lapalme • 309

à fond son plein rendement, il ne faudra pas qu'elle soit l'apanaged'un petit nombre mais bien du grand nombre.

Pour y arriver, il faut que chaque enfant de la province deQuébec passe par le creuset de l'éducation et, si possible, de l'édu-cation totale.

Dans une population démocratique, si la masse peut s'abreuveraux sources du savoir, les élites surgissent d'elles-mêmes pendantque la moyenne s'élève partout.

C'est pour ces raisons que je m'éloigne des résolutions de laFédération libérale provinciale quand celle-ci pose une sorte deborne kilométrique sur la route du savoir, quand elle limite lagratuité à un certain nombre d'années.

Dans le contexte actuel de l'éducation, la gratuité de l'enseigne-ment ne doit plus se discuter; seule une politique de soutien enfaveur de l'étudiant peut prêter à discussion quant aux modalitésà établir.

J'envisage donc la gratuité au niveau primaire, au niveau secon-daire et au niveau universitaire.

Le cours primaire relève de l'instruction publique. Le courssecondaire et le cours universitaire relèvent de l'enseignement privé,c'est-à-dire que tout l'enseignement secondaire est donné par descommunautés religieuses indépendantes de l'État et que les univer-sités sont dans la même situation administrative.

Quelque chose de nouveau, cependant, apparaît à l'horizon. Lescommissions scolaires de la province, véritables détentrices de l'ins-truction publique sous la direction du Conseil, sont depuis peuentrées dans le domaine du cours secondaire, c'est-à-dire que danscertains cas, dépassant le primaire, elles ont créé une section ad-ditionnelle que l'on appelle chez nous le cours classique.

Ceci a pour effet de changer considérablement le panorama del'éducation. Jusqu'ici, en effet, seules les études primaires, en vertude la loi adoptée par le Parti libéral du temps de M. Godbout,pouvaient jouir de la gratuité. On mettait à part tout l'enseigne-ment privé dédié aux études classiques et universitaires. Mais voicimaintenant que les commissions scolaires entrent en concurrenceavec nos collèges classiques sur le terrain déjà occupé par ceux-ci.Je ne vois pas pourquoi il pourrait y avoir gratuité du côté descommissions scolaires seulement, car il est fatal que tout l'ensei-gnement donné par les commissions scolaires deviendra un ensei-gnement gratuit.

Page 309: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

3io • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

On voit d'ici le curieux système que nous aurions, dont lemoins qu'on puisse dire est qu'il serait illogique. Il y aurait,d'une part, enseignement gratuit pour le primaire et le secondairedans les commissions scolaires et, d'autre part, il y aurait ensei-gnement non ratuit dans les collèges classiques qui donneraientle même cours que dans les commissions scolaires. Dans ces cir-constances, le Gouvernement serait obligé de financer le mêmeenseignement de deux manières différentes. Les collèges classi-ques, devant la concurrence qui leur serait faite, appelleraientinévitablement à l'aide et la situation deviendrait évidemmenttrès compliquée.

La situation financière la plus équitable est, évidemment, cellequi supporte entièrement tous les frais de l'éducation, à quelqueniveau que ce soit.

Si je formule des objections à l'encontre d'une limite de la gra-tuité, c'est qu'il est injuste de faciliter à l'élève l'accession auxpremiers paliers de l'éducation pour ensuite lui dire qu'on ne peutplus aller plus loin et qu'il doit s'arranger lui-même s'il veut con-tinuer ses études.

La gratuité totale conduit à une plus grande sévérité dansl'admission des élèves aux études supérieures, afin que la sélec-tion s'opère au fur et à mesure que monte le degré de l'éducation.À ces fins, il appartient à l'autorité supérieure de procéder defaçon à ce que l'on puisse glaner les meilleurs cerveaux de laprovince. Chaque année, de grands concours devraient être ins-titués à travers toute la province, à tous les niveaux, et les vain-queurs de ces concours, devenus ce que l'on pourrait appeler lesboursiers des comtés, deviendraient en quelque sorte les pupillesde la nation, c'est-à-dire que l'État prendrait à sa charge nonseulement leur éducation qui serait déjà gratuite, mais tous lesfrais de soutien, jusqu'à ceux de la spécialisation si l'élève semaintient dans les premiers rangs. De cette façon, la province deQuébec, au bout d'une dizaine d'années, aurait récupéré parmisa jeunesse des centaines et des centaines de jeunes cerveauxparmi les plus brillants.

Quand on songe qu'il faut un minimum de 19 ans pour pro-duire un ingénieur, de 2,0 ans pour produire un médecin, cela veutdire que l'ingénieur et le médecin spécialisés ne deviendront desprofessionnels complets qu'après 20, 21 ou 22 ans. Dans ces cir-constances, l'élimination qui s'accomplit est excessivement grande,

Page 310: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Georges-Emile Lapalme • 311

d'où la nécessité d'employer tous les moyens pour faire accéderaux études supérieures la plus grande masse possible de nosenfants.

Il va de soi que la subvention par le gouvernement provincialdoit être statutaire, afin de permettre à tous les organismeséducationnels de pouvoir établir leur budget en toute connaissancede cause.

Relativement aux bourses, je ne vois pas d'autre but à leurdonner que celui qui consiste à aider le père de famille. Dans l'étatactuel, une bourse ne sert qu'à payer une partie des études, ce quilaisse au père de l'élève la charge écrasante de payer non seulementl'autre partie des études mais aussi tous les frais d'entretien, quideviennent énormes quand il s'agit de l'université. Or, il ne fautpas oublier que les bourses, à quelque titre que ce soit, n'aidentpas l'élève mais le père de l'élève, car c'est le père seul qui financel'éducation de l'enfant. C'est lui qui décide oui ou non d'envoyerson enfant aux études. C'est donc lui qu'on aide au point de vuefinancier. C'est dans la maison qu'est le point de départ ou le crand'arrêt.

Si donc l'éducation est gratuite partout, les bourses n'intervien-nent qu'accessoirement et ce, là où l'élève est incapable de profiterde l'instruction gratuite parce que ses parents sont eux-mêmesincapables de payer ses frais d'entretien.

Passant maintenant à un autre ordre d'idées, rappelons que sil'éducation se fait avec du capital humain, elle se fait aussi avec ducapital matériel. Ce capital, c'est celui que l'on trouve immobiliséun peu partout sous forme de bâtisses, comprenant écoles, collègeset universités dont la construction devient trop lourde pour lescommissions scolaires ou pour les organismes privés.

La construction et la réparation des édifices scolaires doiventêtre subventionnées sur une base statutaire, eu égard à la popula-tion, au nombre d'enfants et aux cours qui sont donnés. La pro-vince d'Ontario a commencé, il y a quelques années, une expérienceintéressante dont il serait utile de s'inspirer.

Le cycle ainsi parcouru semble complet mais il fait abstractionde ceux qui sont chargés de l'éducation. Le professorat, chez nous,est relégué au second plan. Il suffit de regarder quelle place dechoix occupe l'instituteur dans les pays d'autres civilisations. EnFrance, tout particulièrement, il occupe dans sa localité le premierrang. C'est que sa formation est excessivement dure et sévère.

Page 311: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

312 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Former un instituteur en France prend autant de temps que pourformer un avocat dans la province de Québec. Les études quipermettent d'accéder à cette profession sont, en France, autrementplus complètes qu'ici. L'instituteur, de concours en concours, passede certificat en certificat. Il est un homme de science.

Chez nous, la formation des instituteurs est une chose tellementincomplète que des centaines, sinon des milliers d'entre eux, nepossèdent aucun certificat.

S'il est une profession qui urait besoin de bourses, au point devue éducationnel, c'est bien celle-là. Un grand nombre de nosinstituteurs devraient c que année, grâce à de telles bourses, allerse perfectionner.

On dira que des sommes énormes seraient ainsi engagées, quidépasseraient nos possibilités de paiement. Ceci est faux. D'ailleurs,comme disait Edouard Montpetit, avec l'argent engagé dans lescampagnes électorales, combien de Canadiens pourraient allerétudier à Paris ?

La province de Québec a les moyens financiers de donner àl'éducation tout le lustre, tout le matériel et tout le personnel dontelle a besoin.

Ce personnel enseignant, qu'il soit attaché au cours primairecomme au cours secondaire, doit subir son entraînement, c'est-à-dire son éducation professorale et pédagogique, en regard de laprésence française sur le continent nord-américain et selon lesgrandes lignes exposées dans un chapitre précédent. Ceci veut direque dans la réglementation future de l'éducation à tous les paliers,il sera imposé aux instituteurs en herbe un programme portant surleur perfectionnement en langue française et en histoire, de mêmeque l'étude et la pratique du civisme devront être sur un paliersupérieur avec celles des sciences naturelles. En d'autres termes, laformation des professeurs doit être aussi rigoureuse, sinon plus,que celle des élèves, le tout en vue d'une réforme de base et d'uneconception à la fois canadienne et française.

Chaque année, un contingent d'instituteurs devrait prendre laroute qui conduit vers le haut savoir, c'est-à-dire vers les grandesuniversités françaises ou vers les instituts scientifiques afin depouvoir ensuite former à leur tour des élèves capables au moins dedécrire leur pays dans leur langue maternelle.

Au risque de soulever des préjugés moyenâgeux et les espritsretardataires, je considère comme absolument essentielle au main-

Page 312: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Georges-Emile Lapalme • 313

tien de notre langue et à son amélioration, l'importation massived'instituteurs venant de France.

Comme il y a chez nous une pénurie de personnel enseignant,l'arrivée de 100 ou 200 instituteurs français n'aggraverait pas l'em-bauchage des nôtres. Il s'agirait évidemment de professeurs catho-liques dont quelques-uns pourraient être des spécialistes mais dontla majorité auraient une formation générale.

J'ai employé les mots importation massive. C'est le seul moyende faire répandre généralement les effets ou les résultats que lapureté de leur langue pourrait avoir sur celle des élèves. L'actionrestreinte du collège Stanislas n'a eu aucun effet sur notre parler.Il faut donc une action concertée et non pas isolée afin que sur unecertaine période de temps, la multitude des professeurs françaisrépandue ici et là dans la province finisse par atteindre les couchespopulaires et même les classes les plus socialement élevées.

Rien ne sert de se cacher la tête dans le sable. Notre langueparlée n'est pas meilleure chez les instituteurs que chez les élèves.Que dire même de celle que certains professeurs d'université em-ploient ?

Lorsqu'un système éducationnel fournit des professeurs émi-nents, ce système produit un rayonnement qui se répand non seu-lement dans l'État mais jusqu'à l'étranger. Un personnage éminentde l'Université de Montréal me disait récemment : « II est incroya-ble de constater tout le prestige que vaut à l'Université de Mon-tréal la présence du professeur Selye ! »

Enfin, dans les structures nouvelles, le Parti libéral ne devrajamais oublier que l'instituteur, du primaire à l'université, doit êtreun homme bien rémunéré. Les salaires de famine que l'on paye àcette classe culturelle empêchent nos instituteurs de se promener àl'intérieur même de la province de Québec, où ils pourraient re-cueillir tant de renseignements dont ils n'ont qu'une connaissancelivresque.

Au moment où j'échafaude ici un système qui peut paraîtreidéal, je ne me fais pas d'illusions cependant sur sa mise à exécu-tion. La gratuité de l'enseignement ne peut s'établir que par ni-veaux ou par stages. En d'autres termes, cela ne peut pas se faireen une seule année, à cause des rajustements budgétaires et écono-miques que le Parti libéral serait obligé d'opérer à l'intérieur mêmede l'administration. Il y a trop d'incidences qui interviendront etqui feront un peu plus loin l'objet de notre attention. En procédant

Page 313: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

314 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

toutefois selon un plan bien déterminé, les experts en la matièrecroient que dans une période de trois ans tout l'engrenage pourrafonctionner de façon à ce que les plus hauts sommets de l'instruc-tion et de l'éducation puissent être des cibles réelles et non hypo-thétiques.

Je n'ai pas la prétention d'avoir cerné complètement le pro-blème et je laisse délibérément de côté les questions de détail. C'estainsi, par exemple, que les bibliothèques scolaires, que les initia-tives privées comme le prêt d'honneur, que le concours de langueparlée de la Société Saint-Jean-Baptiste, que l'entrée du ministèrede l'Éducation dans le domaine de la télévision, que l'intégrationdes enfants canadiens-français non catholiques dans nos écolesconfessionnelles, sont ici passés sous silence.

C'est Péguy qui a dit à peu près ceci: tout commence par unmythe et finit par la politique. Dans notre cas, cela pourrait êtrevrai, mais sans le sens péjoratif qu'a voulu lui donner le célèbreécrivain, à la condition que cela finisse par la politique non par-tisane !

Source: Pour une politique, Montréal, VLB, 1988, p. 103, 106-115.

Page 314: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

39 Parti libéral du QuébecProgramme électoral1960

Dans le sillage des propos de Georges-Emile Lapalme, le programme du Partilibéral pour les élections générales de 1960 prend un certain nombre d'engage-ments précis en matière de culture et d'éducation. Si on y promet audadeuse-ment la création d'un ministère des «Affaires culturelles», les engagementsrelatifs à l'éducation reprennent des revendications connues mais, prudenceélectorale oblige, il n'est pas encore question d'instituer un ministère de l'Édu-cation...

LA VIE NATIONALE

« C'est le devoir du gouvernement de cette pro-vince de faire l'évaluation de ce que nous possé-dons... afin de le développer de manière telle quele Québec en profite de façon permanente et s'épa-nouisse dans le sens de ses traditions, de son es-prit et de sa culture. »

Jean LESAGE

La vie culturelle et le fait français

Article i — Création d'un Ministère des Affaires Culturelles ayantsous sa juridiction les organismes suivants:

a) L'Office de la Langue Française (ou de la linguistique);b) Le Département du Canada Français d'outre-frontières;c) Le Conseil Provincial des Arts;d) La Commission des Monuments Historiques;e) Le Bureau Provincial d'Urbanisme.

Commentaire — Dans le contexte québécois, l'élément le plusuniversel est constitué par le fait français que nous nous devons dedévelopper en profondeur. C'est par notre culture plus que par le

Page 315: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

316 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

nombre que nous nous imposerons. Conscients de nos responsa-bilités envers la langue française, nous lui donnerons un organismequi soit à la fois protecteur et créateur ; conscients de nos respon-sabilités envers les trois ou quatre millions de Canadiens françaiset d'Acadiens qui vivent au-delà de nos frontières, en Ontario,dans les Maritimes, dans l'Ouest, dans la Nouvelle-Angleterre etla Louisiane, le Québec se constituera la mère-patrie de tous. Dansle domaine des arts, tout en participant au mouvement universel,nous tenterons de développer une culture qui nous soit propre enmême temps que, par l'urbanisme, nous mettrons en valeur ce quireste de notre profil français. C'est par la langue et la culture quepeut s'affirmer notre présence française sur le continent nord-américain.

L'éducation

Article 2, — Gratuité scolaire à tous les niveaux de l'enseignement,y compris celui de l'université.

Article 3 — Gratuité des manuels scolaires dans tous les établis-sements sous la juridiction du département de l'Instruction publi-que...

Article 4 — Tout enfant devra fréquenter l'école jusqu'à la fin del'année scolaire au cours de laquelle il atteindra l'âge de 16 ans.

Article 5 — La province prendra à sa charge toutes les dettesscolaires dont elle n'a pas déjà assumé le remboursement.

Article 6 — Création de la Commission Provinciale des Universi-tés...

Article 7 — La Commission provinciale des Universités sera spé-cifiquement chargée, entre autres choses, de déterminer les moyensd'établir un mode d'allocations de soutien pour l'étudiant...

Article 8 — Dans les écoles techniques et dans les instituts detechnologie, adapter l'enseignement aux conditions nouvelles et auprogrès constant de la science dans l'industrie...

Article 9 — Création d'une commission royale d'enquête sur l'édu-cation.

Source : Jean-Louis ROY, Les programmes électoraux du Québec, t. II: 1931-1966,Montréal, Leméac, 1971, p. 378-379.

Page 316: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

40 Frère Untel (Jean-Paul Desbiens)Une critique insolentede l'éducation québécoise1960

À l'automne 1959, An urendeau commence, dans Le Devoir, la publicationde textes rédigés par un frère enseignant de Chicoutimi, Jean-Paul Desbiens, enutilisant prudemment le pseudonyme de «Frère Untel». Publiés sous forme delivre à l'automne 1960, Les insolences du Frère Untel deviennent rapidement lepremier véritable best-seller de l'édition québécoise moderne. On y trouve uneinsolente et souvent virulente critique de l'éducation québécoise, critique qui,par sa très grande diffusion dans tous les milieux, préparera l'opinion publiqueaux grandes réformes que le gouvernement de Jean Lesage a déjà commencéesdans le domaine de l'éducation.

ÉCHEC DE NOTRE ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS

La langue jouale

Le 2,1 octobre 1959, André Laurendeau publiait une actualité dansLe Devoir, où il qualifiait le parler des écoliers canadiens-françaisde «parler jouai». C'est donc lui, et non pas moi, qui ai inventéce nom. Le nom est d'ailleurs fort bien choisi. Il y proportion entrela chose et le nom qui la désigne. Le mot est odieux et la chose estodieuse. Le mot jouai est une espèce de description ramassée de ceque c'est que le parler jouai: parler jouai, c'est précisément direjouai au lieu de cheval. C'est parler comme on peut supposer queles chevaux parleraient s'ils n'avaient pas déjà opté pour le silenceet le sourire de Fernandel.

Nos élèves parlent jouai, écrivent jouai et ne veulent pas parlerni écrire autrement. Le jouai est leur langue. Les choses se sontdétériorées à tel point qu'ils ne savent même plus déceler une fautequ'on leur pointe du bout du crayon en circulant entre les bureaux.

Page 317: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

3i8 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

« L'homme que je parle » — « nous allons se déshabiller » — etc...ne les hérissent pas. Cela leur semble même élégant. Pour les fautesd'orthographe, c'est un peu différent ; si on leur signale du bout ducrayon une faute d'accord ou l'omission d'un s, ils savent encoreidentifier la faute. Le vice est donc plus profond : il est au niveaude la syntaxe. Il est aussi au niveau de la prononciation : sur vingtélèves à qui vous demandez leur nom, au début d'une classe, il nes'en trouvera pas plus de deux ou trois dont vous saisirez le nomdu premier coup. Vous devrez faire répéter les autres. Ils disentleur nom comme on avoue une impureté.

Le jouai est une langue désossée: les consonnes sont toutesescamotées [...]. On dit: «chu pas apable», au lieu de: je ne suispas capable ; on dit : « l'coach m'enweille cri les mit du gôleur », aulieu de: le moniteur m'envoie chercher les gants du gardien, etc...Remarquez que je n'arrive pas à signifier phonétiquement le parlerjouai. Le jouai ne se prête pas à une fixation écrite. Le jouai estune décomposition; on ne fixe pas une décomposition. [...]

Cette absence de langue qu'est le jouai est un cas de notreinexistence, à nous, les Canadiens français. On n'étudiera jamaisassez le langage. Le langage est le lieu de toutes les significations.Notre inaptitude à nous affirmer, notre refus de l'avenir, notreobsession du passé, tout cela se reflète dans le jouai, qui est vrai-ment notre langue. Je signale en passant l'abondance, dans notreparler, des locutions négatives. Au lieu de dire qu'une femme estbelle, on dit qu'elle n'est pas laide ; au lieu de dire qu'un élève estintelligent, on dit qu'il n'est pas bête ; au lieu de dire qu'on se portebien, on dit que ça va pas pire, etc...

J'ai lu, dans ma classe, au moment où elle est parue, l'Actualitéde Laurendeau. Les élèves ont reconnu qu'ils parlaient jouai. L'und'eux, presque fier, m'a même dit : « On est fondateur d'une nou-velle langue ! » Ils ne voient donc pas la nécessité d'en changer.« Tout le monde parle comme ça », me répondaient-ils. Ou encore :« On fait rire de nous autres si on parle autrement que les autres » ;ou encore, et c'est diabolique comme objection: «Pourquoi seforcer pour parler autrement, on se comprend ». Il n'est pas sifacile que ça, pour un professeur, sous le coup de l'improvisation,de répondre à cette dernière remarque, qui m'a véritablement étéfaite cette après-midi-là.

Bien sûr qu'entre jouaux, ils se comprennent. La question est desavoir si on peut faire sa vie entre jouaux. [...] les animaux se

Page 318: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Frère Untel • 319

contentent de quelques cris. Mais si l'on veut accéder au dialoguehumain, le jouai ne suffit plus. [...]

On est amené ainsi au cœur du problème, qui est un problèmede civilisation. [...] C'est au niveau de la civilisation qu'il faut agir.[...] Que peut un instituteur, du fond de son école pour enrayer ladéroute ? Tous ses efforts sont dérisoires. Tout ce qu'il gagne estaussitôt perdu. Dès quatre heures de l'après-midi, il commenced'avoir tort. C'est toute la civilisation qui le nie; nie ce qu'il dé-fend, piétine ou ridiculise ce qu'il prône. [...]

Je me flatte de parler un français correct ; je ne dis pas élégant,je dis correct. Mes élèves n'en parlent pas moins jouai: je ne lesimpressionne pas. J'ai plutôt l'impression que je leur échappe parmoments. Pour me faire comprendre d'eux, je dois souvent recou-rir à l'une ou l'autre de leurs expressions jouales. Nous parlonslittéralement deux langues, eux et moi. Et je suis le seul à parlerles deux.

Quoi faire ? C'est toute la société canadienne-française qui aban-donne. C'est nos commerçants qui affichent des raisons socialesanglaises. Et voyez les panneaux-réclame tout le long de nos rou-tes. Nous sommes une race servile. Nous avons eu les reins cassés,il y a deux siècles, et ça paraît.

Signe: le Gouvernement, via divers organismes, patronne descours du soir. Les cours les plus courus sont les cours d'anglais. Onne sait jamais assez d'anglais. Tout le monde veut apprendre l'an-glais. Il n'est évidemment pas question d'organiser des cours defrançais. Entre jouaux, le jouai suffit. Nous sommes une race ser-vile. [...]

Un remède au niveau de la civilisation:un mot vaut bien une truite

C'est au niveau de la civilisation qu'il faut agir. [...] La grandeécole universelle moderne, c'est la publicité. Le grand maître d'école,c'est l'annonceur commercial. Gagnons la publicité, contraignonsla publicité et tout est sauvé. Voilà où il faut frapper. [...]

Nos gens diront «portière d'automobile» et non «porte dechar», quand tous les fabricants et tous les annonceurs dirontportière. Nos gens ne songeraient pas à dire « king size », si on leuravait dit tout de suite « format géant », ou quelque chose du genre.[...]

Page 319: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

320 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

II est question d'un Office provincial de la linguistique. J'ensuis. LA LANGUE EST UN BIEN COMMUN, et c'est à l'État comme telde la protéger. L'État protège les orignaux, les perdrix et les truites.On a même prétendu qu'il protégeait les grues. L'État protège lesparcs nationaux, et il fait bien : ce sont là des biens communs. LALANGUE AUSSI EST UN BIEN COMMUN, et l'État devrait la protégeravec autant de rigueur. Une expression vaut bien un orignal, unmot vaut bien une truite.

L'État québécois devrait exiger, par loi, le respect de la languefrançaise, comme il exige, par loi, le respect des truites et desorignaux. L'État québécois devrait exiger, par loi, le respect de lalangue française par les commerçants et les industriels, quant auxraisons sociales et quant à la publicité. Sauf erreur, les industrieset les commerces importants doivent, un moment ou l'autre, seprésenter devant le Gouvernement pour un enregistrement ou unereconnaissance légale. C'est là que le Gouvernement devrait lesattendre. « Nommez-vous et annoncez-vous en français, ou bien jene vous reconnais pas », pourrait-il leur dire en substance. Et alors,on n'aurait plus de Thivierge Électrique, de Chicoutimi Moving,de Turcotte Tire Service, de Rita's Snack Bar, etc... [...]

Les congrès, les concours de bon langage, les campagnes, sontpratiquement inefficaces. Seul l'État, gardien du bien commun,peut agir efficacement au niveau de la civilisation. C'est à la civi-lisation de supporter la culture. L'État a la loi et la force pour lui.Nous, les instituteurs, nous n'avons que raison. C'est si peu dechose, avoir raison ; ça ne sert qu'à mourir. Je suis un peu lugubre,n'est-ce pas ?

ÉCHEC DE NOTRe systeme d'enseignement

On parle jouai; on vit jouai; on pense jouai. Les rusés trouveront,à cela mille explications; les délicats diront qu'il ne faut pas enparler; les petites âmes femelles diront qu'il ne faut pas faire depeine aux momans. Il est pourtant impossible d'expliquer autre-ment un échec aussi lamentable: le système a raté.

Faisons un peu d'histoire, ma chère. Quand on mit le Départe-ment sur pied, il y a environ un siècle, on voulait principalementéviter deux périls: la protestantisation (qu'on me passe ce mot; ilest pesant, mais il est clair) et l'anglicisation. Rien à redire à cela :

[...]

Page 320: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Frère Untel • 321

c'était vaillant et légitime. C'était quand même équivoque. Onn'avait pas un but à atteindre ; on avait un précipice à éviter. Onsavait où ne pas aller ; on n'avait pas clairement décidé où aller. Lapremière racine du malaise présent plonge jusque-là: le Départe-ment a été conçu comme une machine à évitement; un tuyaud'échappement.

On n'a jamais réussi à liquider cet hérita de confusion et deporte-à-faux. Incompétence et irresponsabilité sont les deux bâ-tards engendrés dès l'origine par madame la confusion et sonmaquereau, le porte-à-faux.

Le cours secondaire public

Un fruit typique de cette incompétence et de cette irresponsabilité,c'est le cours secondaire public. Tout a été improvisé, de ce côté :les programmes, les manuels, les professeurs. L'opinion réclamaitun cours secondaire public. On lui a vendu l'étiquette, mais l'éti-quette était collée sur une bouteille vide. Le mal vient non pas dela mauvaise foi, mais du manque de lucidité et du porte-à-faux. Lemal vient de ce qu'on a voulu jouer sur deux tableaux, sans jamaiss'avouer qu'on jouait: d'une part, sauver le cours secondaire privé,considéré en pratique comme la réserve nationale des vocationssacerdotales ; d'autre part, satisfaire l'opinion publique. Le Dépar-tement s'est occupé efficacement du plan institutionnel (les collè-ges classiques privés) ; il a escamoté le plan académique (le courssecondaire public). La solution virile, ici, exigeait que l'on distin-guât (voyez-moi cet imparfait du subjonctif, comme il a grand air.Salut, imparfait du subjonctif) une fois pour toutes ces deux plans.

On a préféré jouer et improviser. Les professeurs du primairefurent hissés au secondaire, sans autres garanties que leurs annéesde service au primaire, sans formation, sans manuels, sans pro-grammes.

Le cours primaire, où le but réel poursuivi par le Départementcoïncide sans trop de mal avec le but avoué, a toujours été l'objetde la sollicitude du Département. C'est encore là que tout se passele moins mal.

On peut voir un signe de cette sollicitude dans le fait que lesÉcoles normales de filles (qui forment la majeure partie du person-nel enseignant du cours primaire) sont très nombreuses et répartiessur l'ensemble du territoire de la Province, alors que les Écoles

Page 321: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

322 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

normales pour garçons, jusqu'à tout récemment, étaient au nom-bre de deux seulement: une à Québec et une autre à Montréal.Pour le reste, les communautés de Frères enseignants suffisaient.

C'est de haute lutte que les Frères ont littéralement arraché lapermission d'improviser, eux aussi, une espèce de cours secondairepour garçons. Tout s'est passé comme si le Département avaitvoulu ruiner la possibilité même d'un cours secondaire public pourgarçons. En tout cas, il l'aurait voulu qu'il ne s'y serait pas prisautrement. Ce n'est pas le côté académique, c'est le côté institu-tionnel qui intéressait le Département. Remarquons que les criti-ques que nous formulons contre le cours secondaire public nevisent que sa forme actuelle. Quant à un véritable cours secondairepublic, nous l'appelons de tous nos vœux.

Les programmes

L'incompétence du Département de l'Instruction publique émergede la bouillie de programmes dans laquelle nous nous débattonsau cours secondaire. L'irresponsabilité du Département se recon-naît à ceci que, ne s'étant jamais engagé clairement à quoi que cesoit il se réserve toujours la possibilité de triturer, de revenir enarrière, de se renier, sans qu'on puisse jamais mettre la main surun vrai responsable. Quand on n'a de compte à rendre qu'à Dieu-le-Père, qui est aux cieux, on prend des libertés avec l'Histoiretemporelle. Ce qui est quand même toujours dangereux. Mais unecertaine classe, traditionnellement, manque singulièrement d'ima-gination.

Nous sommes en plein surréalisme.

Surréalisme départemental

Les éducateurs — disons les professeurs — du cours secondairepublic vivent en plein cauchemar. Nous sommes sous la constantemenace de changements de programmes. Et nous commençons àsavoir ce que c'est un changement de programme. Ce que celaimplique d'improvisations. Nous savons ce que c'est que d'avoir àsuivre un programme et de n'avoir les manuels à cette fin que sixmois ou un an après ; ou même pas du tout, comme c'est le cas enphilosophie cette année. Nous savons ce que c'est que de travaillersans cause finale, i.e. dans l'incertitude touchant la durée d'un

Page 322: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Frère Untel • 323

programme. Essayez de vous imaginer l'état d'esprit d'un profes-seur qui prépare sa classe avec l'idée que l'an prochain peut-être,tout sera remis en question. Les abeilles se font voler leur miel àmesure qu'elles le sécrètent ; les professeurs se font voler leur pré-paration de classe à mesure qu'ils l'écrivent.

Nous travaillons à la petite semaine, sans jamais savoir où nousallons. « Informez-vous auprès des Autorités compétentes », me diraquelqu'un. Nous y avons songé. Nous avons écrit aux Autoritéscompétentes. Les Autorités compétentes nous ont répondu des cho-ses dans le genre de celles-ci : «... ces renseignements relèvent duComité de Régie du Certificat, qui publie ses décisions dans la revueL'Instruction publique., quand il le juge à propos. » Savourez cequand-il-le-juge-à-propos. Ça vous a un petit air protecteur et pa-ternaliste ; un petit air de dire : vous énervez pas ; votre Père, qui està Québec, sait que vous avez besoin d'informations et il vous lesdonnera en temps opportun, homme de peu de foi. [...]

L'exercice de l'autorité, dans la province de Québec, c'est lapratique de la magie. En politique : le roi-nègre ; pour tout le reste :les sorciers. Ils régnent par la peur et le mystère dont ils s'entou-rent. Plus c'est loin, plus c'est mystérieux; plus ça nous tombedessus avec soudaineté, mieux c'est : plus ça a l'air de venir direc-tement de Dieu-le-Père, comme le tonnerre, avant Franklin. [...]

Ce serait tellement plus simple de nous dire franchement oùnous allons. Des troupes informées sont tellement plus efficacesque des troupes sans cesse surprises. L'atmosphère de conspirationoù nous sommes nous démoralise et nous agace tout ensemble. Oubien le Département a une politique avouable, ou bien il gouverneempiriquement. S'il n'a aucune politique, il dénonce son incompé-tence ; s'il dissimule sa politique, de crainte de la voir critiquer s'illa révélait, il dénonce son paternalisme.

Ce [qu'il] ne dit pas clairement, c'est le débouché de ce cours.Allons-nous, oui ou non, vers le système des collèges ? Est-on entrain, oui ou non, de doter la Province d'un cours public completconduisant à toutes les facultés universitaires ? Pourquoi tant demystère ?

Source: Les insolences du Frère Untel, Montréal, Éditions de l'Homme, 1960,p. 23-30, 37-43.

[...]

[...]

Page 323: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

41 Gérard FilionPropositions pour la réformede l'éducation québécoise1960

Né en 1909, Gérard Filion a été secrétaire de l'Union catholique des cultivateurs(1935-1947) avant d'assumer en 1947 la direction du Devoir, qu'il conserverajusqu'en 1963. Par la suite, il fera carrière comme dirigeant d'entreprises àvocation économique. Tout au long de ses années à la direction du Devoir,Filion, avec Laurendeau, surveille d'abord étroitement le gouvernement deDuplessis puis en devient l'un de ses plus durs critiques, y compris pour lapolitique (ou l'absence de politique) d'éducation de ce gouvernement. Au débutde 1960, Filion publie un livre intitulé Les confidences d'un commissaire d'écoleoù il reprend un certain nombre de textes déjà publiés, en ajoute de nouveauxet, surtout, éclaire le tout de son expérience personnelle comme commissaire.Avec un ton et un vocabulaire très simples, et nombre d'exemples puisés dansson expérience, il se livre à une critique méthodique du système d'éducation etdéfinit un certain nombre de réformes majeures qui ne peuvent plus attendre.Il est donc particulièrement bien préparé à agir, à compter de 1961, comme vice-président de la commission Parent, poste dans lequel il s'efforcera de promou-voir ses idées de réforme. Comme le Frère Untel, Filion s'emploie à éclairerl'opinion publique et à la préparer aux grands changements qui se préparent.

[Les commissions scolaires]

Car la tragédie d'un grand nombre de commissions scolaires, c'estprécisément qu'elles sont dirigées par des contribuables qui n'ontpas d'enfants, alors que les pères de famille n'ont pas voix consul-tative ou délibérative. La pingrerie dont un trop grand nombre decommissions donnent le spectacle vient précisément de commissai-res sans enfants, plus intéressés à baisser les taxes qu'à former lesjeunes.

Et puis, il y a l'apathie générale des gens pour l'éducation deleurs enfants ; ce n'est pas de leur affaire, cela ne les regarde pas.

Page 324: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Gérard Filion • 325

Enseigner le catéchisme et les prières, c'est bon pour le curé, lasœur ou le frère ; montrer à lire, à écrire et à compter, c'est l'affairedu maître ou de la maîtresse. Les devoirs c'est ennuyeux, parceque ça dérange à l'heure de la télévision. De contact avec l'école,le directeur ou le maître ? Jamais, sauf à l'occasion d'un incidentdésagréable pour dire des injures.

C'est bien beau d'affirmer que l'éducation des enfants est undroit sacré des parents, mais il y a des droits qui se perdent parprescription. Il ne reste pas tellement de pays au monde où l'écoleest entre les mains de ceux qui élèvent des enfants. On a cettechance dans Québec et on néglige d'en tirer parti.

A mort l'école de rang!

C'est dans les écoles de rang, non dans les villes et les villages,qu'enseignent les trois mille institutrices sans diplôme. Celles quiont de l'expérience refusent d'enseigner dans des écoles de rang.Elles ont trop à faire : mener de front sept divisions avec les exi-gences du programme, c'est devenu une tâche surhumaine: ellessont généralement moins bien logées et moins bien payées quedans les villes et villages. Après une couple d'années d'expérience,elles quittent l'école de rang pour une école de village ou de ville.

L'école de rang ne peut donner plus que la septième année. Or,la septième année est devenue nettement insuffisante, autant pourle garçon que pour la jeune fille. Avec une septième année, on nepeut plus aujourd'hui faire un cultivateur progressif. La techniqueagricole s'est tellement perfectionnée qu'elle exige une préparationau moins égale à celle de n'importe quel métier. Pour faire un boncultivateur, il faudrait avoir au moins une neuvième année et, sipossible, une dixième ou une onzième.

Si le jeune garçon quitte la terre pour la ville avec une septièmeannée seulement, il fera un manœuvre. Pour entrer en apprentis-sage dans la plupart des métiers, il faut avoir au moins une neu-vième année. On se demande souvent pour quelle raison lesCanadiens français ont le monopole des emplois instables et malrémunérés dans la ville de Montréal: débardeurs, terrassiers,manœuvres de toutes sortes. L'explication est simple: sachant àpeine lire et écrire, ils sont incapables de suivre un cours d'arts etmétiers leur permettant de s'élever dans la hiérarchie des emplois ;

[...]

Page 325: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

326 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

ils sont voués à une infériorité sociale, à végéter toute leur vie dansle sous-prolétariat.

L'école centrale

La solution est claire : partout où c'est physiquement possible dele faire, il faut fermer les écoles de rang et amener les écoliers auvillage. Une école centrale comporte des avantages évidents: uneou au plus deux divisions par classe, meilleur traitement au per-sonnel enseignant et recrutement plus facile, direction plus fermede l'école et surveillance plus étroite par la commission scolaire.D'ailleurs l'expérience en est déjà faite; partout où les écoles ontété centralisées au village, les avantages l'ont emporté largementsur les inconvénients.

La réforme, il ne faut pas le cacher, comporte quelques ennuis :transport des élèves, difficultés de circulation en hiver, mélange desenfants de la campagne avec ceux du village. Mais de tout cela,rien de sérieux: on s'y habitue rapidement et, le pli étant pris,l'expérience se solde par un bénéfice net.

Ce bénéfice est autant d'ordre financier que pédagogique. Il ena coûté moins cher de transporter les élèves que d'entretenir desécoles de rang. L'intégration de tous les élèves à une seule écoleéconomise assez souvent une ou deux institutrices, ce qui permetd'augmenter le salaire de celles qui restent en fonction.

[Les enseignants]

L'éducation est avant tout un problème d'homme. Tant vaut lemaître, tant vaut l'école. Pour avoir de bons maîtres, il faut lesbien former, les bien payer, les considérer, assurer la stabilité deleur emploi et leur garantir des chances d'avancement.

Dans le Québec, nous n'avons pas gâté les personnes qui for-ment nos enfants. Nous les avons généralement mal payées etassez souvent méprisées. Nous plaçons la fonction d'instituteurjuste un peu au-dessus du service domestique. Nous sommes loindes pays européens où l'instituteur de village est l'homme univer-sellement respecté, au moins autant que le curé et le maire.

[...]

[...]

Page 326: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Gérard Filion • 327

Le budget

Le code scolaire oblige les commissaires à préparer un budget età établir le taux de la taxe foncière avant la fin d'août de chaqueannée. Un budget, c'est connu, comporte des prévisions quant auxrevenus et aux dépenses. Comme les dépenses d'une commissionscolaire sont difficilement compressibles, se composant presqueexclusivement de charges fixes, c'est du côté des revenus que s'exercel'ingéniosité des commissaires.

Les revenus d'une commission scolaire sont de deux sortes : lestaxes et les subventions. La principale, et dans un très grand nom-bre de cas l'unique taxe prélevée par les commissions scolaires,affecte les immeubles. Ce sont les propriétaires de bien-fonds quiportent le plus lourd fardeau de l'éducation de la jeunesse. Durantles dernières années, une centaine de villes se sont fait attribuer ledroit de prélever une taxe de vente pour fins scolaires.

Des hommes tiraillés...

La fixation de la taxe foncière est toujours une opération labo-rieuse. Les commissaires se sentent tiraillés entre les besoins del'éducation et les récriminations des contribuables. Des taxes tropélevées les rendent impopulaires ; des taxes insuffisantes leur cau-sent des embarras financiers et soulèvent des objections au Dépar-tement de l'instruction publique et à la Commission des affairesmunicipales. Car il faut ajouter que les commissaires ne sont paslibres d'établir n'importe quel budget. En théorie, il faut qu'il soiten équilibre: les dépenses sont de tant, donc les revenus doiventêtre d'un montant équivalent. Mais durant les dernières années,cette prescription fut plus théorique que pratique. Les commissai-res d'écoles, profitant des bonnes dispositions de politiciens, ontpris l'habitude de dresser des budgets déficitaires et de faire com-bler le trou par le Département de l'instruction publique au moyende subventions spéciales.

Beaucoup de commissions scolaires se servent de leurs déficitscomme moyen de chantage auprès du Département de l'instruc-tion publique. Les commissaires refusent d'augmenter les taxes,préparent un budget déficitaire, puis font jouer des influences pourobtenir des subventions spéciales. Le travail de coulisse commence,le député intervient, le ministre se laisse attendrir, puis on finit par

Page 327: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

328 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

régler le litige en coupant le déficit en deux: le Département enpaiera la moitié, les contribuables, le reste. Les subventions étantdiscrétionnaires, laissées à la bonne volonté du ministre et à lavigueur de persuasion des députés, pourquoi se gênerait-on ? Cha-cun tire de son côté; c'est au plus fort la poche.

D'autres commissions scolaires sont vraiment incapables d'équi-librer leur budget. Pourquoi ? Pour la simple raison que partout oùla matière imposable est abondante, il y a peu d'enfants ; partoutoù il y a beaucoup d'enfants, la matière imposable est rare.

Les subventions spéciales

Le régime des subventions spéciales s'est multiplié dangereusementau cours des dernières années. En plus des primes de traitement,de l'aide pour la construction et la réparation des écoles, pour letransport des élèves, en plus des montants versés en vertu de la Loipour favoriser davantage les progrès de l'éducation, le Départe-ment de l'instruction publique a pris l'habitude de verser des sub-ventions dites spéciales destinées à combler les déficits descommissions scolaires.

Un tel régime est de nature à inciter les commissions scolairesà faire des déficits. Puisque le gouvernement a pris l'habitude deles absorber sur l'instance du député, pourquoi n'en pas profiter ?Après tout, se dit-on, on n'est pas plus bête que les autres : si laville de Québec touche une subvention spéciale d'un million etdemi, pourquoi Rimouski, Chicoutimi, Trois-Rivières ou Mont-Laurier n'essaieraient-elles pas d'avoir leur part du gâteau ?

Sous le régime arbitraire qui prévaut, les contribuables ne paientpas assez de taxes pour leurs écoles. Les commissions scolaires duQuébec perçoivent 65 millions [de dollars] par année, celles del'Ontario 140 millions. Les familles sont plus nombreuses cheznous, le développement industriel moins avancé, le revenu par têtede population plus bas, on sait tout cela. Mais il n'empêche quepersonne ne nous fera croire que les contribuables québécois sontincapables de porter à 80 ou même à 100 millions le montant deleurs taxes pour fins scolaires. Le défaut, c'est que certains payenttrop, d'autres pas assez.

Les commissaires d'écoles ont proposé une solution. Leur con-grès s'est prononcé pour la généralisation de la taxe scolaire de un

[...]

Page 328: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Gérard Filion • 329

pour cent; cette mesure rapporterait 30 millions [de dollars], àquoi il faudrait ajouter les 30 millions de la taxe de vente verséeau fonds d'éducation. 60 millions par année répartis entre lescommissions scolaires au prorata du nombre des élèves mettraientfin aux ennuis financiers d'au moins 95 pour cent de toutes lesCommissions scolaires, non seulement pour leurs opérations cou-rantes, mais aussi pour leurs investissements. Les commissairessauraient exactement à quoi s'en tenir et seraient en mesure d'ad-ministrer leur budget en conséquence; tant pis pour les impré-voyants et pour les prodigues ; il appartiendrait aux contribuablesde les chasser de leurs fonctions.

La fréquentation obligatoire

L'obligation, décrétée en 1942,, de fréquenter l'école jusqu'à qua-torze ans haussa le niveau des études à la septième année. Seuls lesplus doués et les plus fortunés dépassaient cette frontière.

Depuis la guerre, le niveau d'instruction s'est haussé d'un cran ;la neuvième année est devenue l'ambition légitime du plus grandnombre. En 1960, cela ne suffit plus. Les parents réclament et lesenfants ambitionnent de faire une onzième et même une douzièmeannée.

Ambition légitime, certes, mais inaccessible à la masse. Seulesles commissions scolaires de quelque importance organisent effica-cement l'enseignement secondaire. Il faut pour cela une populationd'au moins 2.5 ooo; autrement les élèves ne sont pas assez nom-breux, le personnel est insuffisant et les installations inadéquates.Sur quelque dix-huit cents commissions scolaires, il n'y en a pas centqui peuvent dispenser convenablement l'enseignement secondaireavec section commerciale, section scientifique, et section généraleavec professeurs spécialisés, avec laboratoires, et tout le reste.

La population anglo-protestante a depuis longtemps trouvé unesolution au problème. Elle a mis sur pied des commissions scolai-res régionales chargées de dispenser l'enseignement secondaire. Cetteinitiative explique que les anglo-protestants du Québec, pourtantlargement minoritaires, sont vingt-cinq ans en avant de nous enmatière d'enseignement public. N'importe quel Québécois anglo-protestant peut fréquenter gratuitement une école jusqu'à ladouzième année.

[...]

Page 329: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

330 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

II suffit de causer avec des commissaires d'écoles de toutes lesrégions de la province pour entendre le même son de cloche: lesparents exercent des pressions sur les commissions scolaires pouravoir l'enseignement jusqu'à la onzième année, tandis que celles-ci se déclarent financièrement et pédagogiquement incapables de lefaire.

Le fait précède la loi

La Loi de l'instruction publique crée aux commissaires d'écolesl'obligation de donner l'enseignement primaire. Cette vieille loi,dont des chapitres entiers sont devenus désuets, est depuis long-temps dépassée par les événements. Dans les villes d'abord, puisdans les villages, généralement à l'instigation du curé de la pa-roisse, les commissaires d'écoles mirent sur pied des classes quel'on qualifia, faute d'appellation appropriée, de primaires supé-rieures. Le programme d'études n'était pas à point et ne conduisaitnulle part. Il fallut presque une génération de tâtonnements et derecherches pour aboutir au programme d'études secondaires ac-tuellement en vigueur dans les écoles publiques; encore s'agit-ild'un essai auquel il faudra avec les années faire des retouches.Mais avec ses quatre sections, le programme d'études secondairesoriente l'élève vers des occupations précises ou des études profes-sionnelles et même universitaires. C'est donc un progrès très netsur le passé.

Restait le traditionnel cours classique donné par des institutionsprivées à direction religieuse ou ecclésiastique. Comment intégrercelles-ci dans le régime d'enseignement public tout en sauvegar-dant leur indépendance, mais sans créer d'injustice ? C'est alorsqu'on eut l'ingénieuse idée de suggérer aux municipalités scolairesd'assumer en tout ou en partie les frais de scolarité des collégiensjusqu'à la versification inclusivement. De cette façon, il n'y auraitd'injustices pour personne; élèves du cours secondaire public etcollégiens seraient traités de la même manière.

D'ailleurs plusieurs commissions scolaires n'avaient pas attenducette recommandation du rapport Tremblay pour instituer elles-mêmes leur propre section classique. Il en existe aujourd'hui dansune trentaine de villes, avec une inscription qui approche celle descollèges classiques. Il est donc possible que d'ici plusieurs années,la grande majorité des étudiants des quatre premières années du

Page 330: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Gérard Filion • 331

cours classique soient directement ou indirectement à la charge desmunicipalités scolaires.

L'école régionale

Cette évolution, qu'on n'aurait même pas soupçonnée il y a 2.5ans, pose des problèmes quasi insolubles dans les régions rurales.L'école de rang, cela va de soi, ne peut faire plus que donner lessept années d'enseignement primaire. L'école centrale de village estincapable d'organiser efficacement le cours scientifique, le coursgénéral, le cours commercial et le cours classique, sans parler ducours agricole ni du cours d'enseignement ménager pour jeunesfilles. On peut se débrouiller assez bien pour les 8e, et 9e années,mais au delà, le programme est trop exigeant, il nécessite desprofesseurs spécialisés, un équipement coûteux, de sorte qu'unecommission scolaire d'une agglomération ayant une populationinférieure à 25 ooo âmes est incapable financièrement et pédago-giquement d'honorer ses obligations à l'endroit des jeunes garçonset des jeunes filles commis à sa responsabilité.

Il faudra donc en venir, chez nous comme dans les autres pro-vinces canadiennes, à l'école secondaire régionale. Dans les comtésoù il existe une agglomération assez populeuse, les municipalitésenvironnantes peuvent faire une entente avec les commissairesd'écoles du lieu. Mais dans au moins la moitié des comtés de laprovince de Québec, il faudra constituer une supercommissionscolaire équipée juridiquement et pédagogiquement pour donnerl'enseignement secondaire.

Du reste, en poussant dans cette direction, on est pleinementdans la lignée du rapport Tremblay. Celui-ci va même jusqu'àrecommander que les municipalités scolaires soient rendues res-ponsables de l'éducation des enfants vivant sur leurs territoiresjusqu'à la douzième année, que ceux-ci fréquentent des écolespubliques ou des institutions privées, à l'intérieur ou à l'extérieurdu territoire de la commission scolaire. Voilà une recommandationprécise. Que l'enfant fréquente une école de la paroisse ou que sesparents soient obligés de l'envoyer à l'extérieur parce que la com-mission scolaire n'est pas capable de donner l'enseignement requis,celle-ci doit assumer les frais de son éducation jusqu'à l'équivalentde l'immatriculation.

La mise en pratique d'une telle mesure placerait un lourd far-

Page 331: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

332 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

deau sur les épaules des commissions scolaires. Elle doit doncs'accompagner de mesures fiscales tendant à élargir l'assiette deleurs revenus.

[Gratuité scolaire]

II y a cinquante ans, l partisans de la fréquentation obligatoireet de la gratuité scolaire devaient faire face à la nombreuse arméedes exorciseurs qui brandissaient l'épouvantail de l'étatisation, dela neutralité, du socialisme, de l'athéisme.

Puérilité

Quand on relit les textes de l'époque, on ne peut s'empêcher desourire de la puérilité des arguments invoqués par des journalistes,des sociologues et des théologiens qui par ailleurs ne manquaientpas de bon sens. La peur de maux existant ailleurs paralysait cheznous toute action féconde. Il fallut attendre une quarantaine d'an-nées pour que le prestige d'un cardinal1 fasse tomber les dernièresrésistances. Les petits Québécois sont maintenant tenus de fré-quenter l'école jusqu'à quatorze ans, bientôt, espérons-nous, jus-qu'à seize ans. Il ne s'est pas produit de catastrophe, les crucifixn'ont pas été arrachés du mur des écoles, ni les bonnes sœursdépouillées de leurs vêtements religieux.

Malgré tous les arguments qu'on invoque contre la gratuité del'enseignement, nous l'aurons d'ici quelques années, et cela pourdes raisons faciles à comprendre.

Notre Loi de l'instruction publique, passablement vieillotte maisdans l'ensemble assez sage, fait un devoir aux contribuables dedonner l'éducation primaire aux enfants de leur municipalité.

Cet enseignement est gratuit. Il reste bien quelques commissionsscolaires arriérées pour exiger encore des frais de scolarité et lepaiement des livres de classe mais leur nombre décroît rapidement.

À venir jusqu'à il y a dix ans, le cours classique était accessibleuniquement aux enfants de riches ou aux bénéficiaires de bourses

i. Le cardinal Villeneuve, partisan de la scolarité obligatoire. (N.d.É.)

[...]

[...]

[...]

Page 332: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Gérard Filion • 333

privées. Les sections classiques se multiplient et attirent un nombrecroissant d'élèves qui préparent le baccalauréat. Déjà les quatrepremières années du cours classique font partie du secteur de l'en-seignement gratuit.

Coûterait-il une fortune de pousser la gratuité jusqu'au bacca-lauréat ? On a calculé que ce serait l'affaire de cinq à dix millionsau maximum. La dépense est-elle si forte qu'elle doive nous fairereculer ?

La gratuité jusqu'au baccalauréat pose des problèmes de réfor-mes de structures, d'indépendance des institutions libres, etc.; ils'impose comme préalable que l'autorité du Conseil de l'instruc-tion publique soit étendue à tout l'enseignement à tous ses degrés,et non pas refoulée au simple degré primaire. Mais il n'y a rien entout cela qui soit insoluble.

Décréter d'autorité et du jour au lendemain la gratuité univer-selle de l'enseignement serait peut-être une mesure audacieuse;mais prendre immédiatement les mesures pour que graduellementl'école soit ouverte sans frais à tous ceux qui ont du talent, voilàqui est un geste de saine orientation politique. Si l'évolution ne sefait pas dans l'ordre, les tempéraments s'échaufferont: il est àcraindre que pour atteindre une fin louable, on croie nécessaire dedémolir des institutions qui ont fait leurs preuves comme le Con-seil et le Département de l'instruction publique.

L'école ou le fouet

Mêmes réflexions sur la fréquentation obligatoire.

Les gens ne sont pas bêtes : ils se rendent compte qu'un certifi-cat d'études primaires limite les possibilités d'un garçon aux em-plois les plus humbles, pour ne pas dire les plus discrédités.L'apprentissage des métiers requiert une neuvième ou même uneonzième années. L'automatisation rendra encore plus difficile l'ac-cès aux bons emplois. Une enquête faite en 1957 par la J.O.C.2 deSaint-Jérôme a révélé que les jeunes chômeurs se recrutent princi-palement parmi ceux qui n'ont fait qu'une septième année; lesdétenteurs d'un certificat de onzième année avaient tous de bons

z. J.O.C. : Jeunesse ouvrière catholique. (N.d.É.)

[...]

Page 333: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

334 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

emplois. La même enquête, si elle était faite dans d'autres milieux,donnerait sûrement des résultats identiques.

Cette simple observation des faits rend les parents conscients deleur devoir; ils savent que leurs garçons et filles resteront desmanœuvres et des bonnes à tout faire s'ils négligent ou s'ils sontincapables de leur donner une instruction plus poussée.

On a tendance à parler de prolongation de la scolarité en termesde collets blancs et de petits messieurs. C'est une fausse concep-tion. Le garçon qui est adroit de ses mains, qui a l'esprit inventif,qui aime à manier des outils afin de donner des formes aux objets,peut être aussi intelligent à sa manière que l'esprit brillammentspéculatif. Les deux ont des aptitudes différentes, mais difficile-ment comparables. On s'émerveille volontiers à lire une page bienécrite, mais on devrait admirer également une chaise bien faite, unmur de pierre bien assis, aux joints harmonieusement tirés. Ceuxqui bâtirent les cathédrales du Moyen Âge étaient des artisans;l'histoire n'a pas gardé leur nom. Ils ont pourtant droit à notreadmiration autant que ceux qui ont écrit les plus belles pages desœuvres classiques.

Étudier plus longtemps ne veut pas nécessairement dire appren-dre plus de mathématiques, plus de sciences, plus de grec et plusde latin, mais simplement acquérir une formation plus pousséedans le sens de ses aptitudes manuelles et intellectuelles.

L'éventail des options requiert donc une orientation de chaquesujet à partir de la fin des études primaires. On fait des gorgeschaudes sur les orienteurs. On les représente volontiers comme desdevins qui lisent dans la boule de cristal. Quelques-uns ont pudonner prise à une telle caricature. Leur fonction est à la fois plusmodeste et plus complexe. À l'aide de tests et d'interrogatoires, endiscutant avec les maîtres et les parents ils arrivent à indiquer nonpas le métier précis vers lequel un garçon ou une fille doit sediriger, mais à dégager les aptitudes qui militent pour une orien-tation vers les travaux manuels, vers la technique, vers le com-merce, vers les professions, vers le travail purement intellectuel.

Avec la prolongation de la scolarité, les commissions scolairesne sont pas quittes en donnant une neuvième ou une onzièmeannée ; elles doivent en outre mettre à la disposition des parents etdes élèves un service d'information et d'orientation leur facilitantle choix d'une carrière.

[...]

[...]

Page 334: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Gérard Filion • 335

L'université dans la rue ?

La vraie question qui se pose présentement c'est celle de l'acces-sion des jeunes gens de talent aux études supérieures. En réclamantla gratuité absolue et universelle des études secondaires et univer-sitaires, on va peut-être trop vite et trop loin. Nous y viendronscertes dans quelques décennies, mais en cela comme en tout pro-grès social, il faudra compter avec le temps.

La gratuité totale et universelle est d'ailleurs bien loin d'être unenécessité. On ne voit pas en vertu de quel principe de justicedistributive la société devrait être tenue de payer les études depersonnes qui ont les moyens d'en assumer elles-mêmes le fardeau.C'est aux autres qu'il faut penser; c'est à tous ces jeunes gens età toutes ces jeunes filles riches de talent mais pauvres d'argent,forcés de gagner leur pain et souvent celui de leur famille, alorsqu'ils seraient plus utiles à la société en restant aux études.

Délayage de la culture

On a parlé de démocratisation de l'université, de vulgarisation dela culture. Les termes sont impropres. Si démocratiser l'universitésignifie d'en abaisser les standards au point de la rendre accessibleau plus grand nombre, c'est de la bouillie pour les chats. Si vul-gariser la culture veut dire la délayer au point que le manant puissel'avaler sans danger d'attraper le hoquet, c'est de la foutaise.

La culture aura toujours un certain relent d'aristocratie, et l'uni-versité, si elle veut vraiment rester une école de haut savoir, seratoujours inaccessible à la masse.

Il ne s'agit donc pas de descendre l'université dans la rue, maisde permettre aux gars de la rue qui possèdent les aptitudes demonter à l'université.

Dans le régime actuel, c'est principalement l'état de fortune desparents qui conditionne l'accès aux études supérieures. C'est pourcette raison d'ailleurs que les terrains de stationnement des univer-sités doivent être agrandis. L'étudiant qui se rend à l'université enbagnole n'est pas nécessairement un cancre; par le fait que sesparents ont de l'argent, il ne doit pas être tenu pour méprisable.Mais l'autre qui est né dans une ferme ou dans un faubourg ouvrieret qui a peut-être plus de talent que le premier, devrait pouvoir, luiaussi, monter à l'université, fût-ce à pied.

Page 335: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

336 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Mais ceci suppose qu'il y ait d'abord, dans les écoles primaires,un service d'orientation qui repère les talents exceptionnels et quiles dirige là où ils doivent aller. Cela suppose ensuite qu'un régimede bourses d'études commence à fonctionner assez tôt pour per-mettre aux jeunes qui ont des aptitudes exceptionnelles d'entre-prendre des études à longue portée, libres de tout souci financier.

Les bourses

Le gouvernement distribue un nombre impressionnant de bourses.C'est précisément ce nombre impressionnant qui ne m'impressionnepas. On a le sentiment qu'on donne trop à un trop grand nombre,et pas assez à ceux qui ont vraiment besoin. On accorde des bour-ses de 100$, de 200$, de 300$ à des étudiants d'université. Quandon sait que la vie et les études d'un étudiant coûtent au bas mot1500$ par année, un 100$ ou un 2,00$ sont nettement insuffisantspour ceux qui en ont vraiment besoin et beaucoup trop pour ceuxqui peuvent se tirer d'affaires par leurs propres moyens.

Nous sommes en présence d'une situation qui s'est créée parempirisme; personne ne s'est vraiment arrêté à faire une étudeconcrète et objective des besoins de la jeunesse étudiante. Tout lemonde sent qu'il faudrait faire davantage pour stimuler les étudessupérieures chez les Canadiens français, mais la recherche desdonnées sociologiques les plus élémentaires n'a même pas été faite.

Le rapport Tremblay avait raison de suggérer la création d'unecommission d'enquête sur tout le régime de l'enseignement dans laprovince de Québec. Cela aiderait à faire le point et lalumière sur quelques situations.

Un ministère de l'éducation

II y a plus d'un demi-siècle que l'on discute d'un ministère del'éducation. Pour quelques-uns, il représente la panacée univer-selle; finies les lenteurs, les timidités. On recommence à neuf et onbâtit sur le roc.

D'autres redoutent l'intervention de la politique dans l'ensei-gnement. Ils vont même plus loin: un ministère de l'éducationserait le premier pas vers l'école neutre ; ce qui s'est produit ailleursse répétera chez nous.

[...]

Page 336: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Gérard FHion • 337

Exemples mal choisis

La discussion a généralement le défaut d'appliquer à la provincede Québec des exemples tirés de milieux fort différents du nôtre.Que le peuple canadien-français devienne indifférent ou incroyantet l'école chrétienne disparaîtra sous la poussée de l'opinion publi-que, avec ou sans Conseil de l'instruction publique et Départementde l'instruction publique. Mais aussi longtemps que le milieu ca-nadien-français restera croyant et pratiquant, gardera en hauteestime les valeurs spirituelles et morales de la foi chrétienne, cen'est pas un ministère de l'éducation qui changera quoi que ce soitdans l'esprit qui anime notre enseignement. Voyons plutôt le pro-blème d'une façon réaliste.

Un peu d'ordre

Qu'il y ait urgence de regrouper toutes les institutions d'enseigne-ment sous une seule autorité, il n'y a pas lieu d'en douter. Jusqu'auxélections du zz juin 1960, une bonne douzaine de ministères avaientleur mot à dire sur un secteur plus ou moins important de l'enseigne-ment : le Département de l'instruction publique pour le primaire etle secondaire public, le ministère de la jeunesse pour l'enseigne-ment technique et professionnel, le ministère de l'agriculture pourl'enseignement agricole, le ministère des pêcheries pour l'école despêcheries, le ministère des mines pour l'école des mines, etc.

Le gouvernement Lesage fit preuve d'un sain réalisme en pla-çant sous l'autorité d'un même ministre les institutions d'enseigne-ment relevant du ministère de la jeunesse et du Département del'instruction publique. Ce premier geste est-il un indice d'uneréforme plus radicale qui s'en vient ? Il faut l'espérer. Le Départe-ment de l'instruction publique fut créé à l'époque où seul existaitun commencement d'enseignement primaire. Il y avait bien à l'épo-que une demi-douzaine de collèges classiques et un embryon d'uni-versité, mais ces institutions étaient des séminaires diocésains ; leurfonction consistait à recruter et à former des candidats au sacer-doce et accessoirement les membres de quelques professions libé-rales. Aussi le législateur, en faisant voter la Loi de l'instructionpublique, se bornait-il à donner au Département de l'instructionpublique l'autorité sur l'enseignement primaire.

[...]

Page 337: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

338 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Autres temps, autres structures

Mais les conditions ont changé ; le primaire débouche maintenantsur le technique et le secondaire, et celui-ci est sectionné en pasmoins de six options. L'université, avec ses écoles professionnelles,ses instituts de recherche et ses facultés de culture, a pris uneimportance qu'on ne soupçonnait même pas il y a deux ou troisgénérations.

Le simple bon sens suggère que l'on remette de l'ordre dans toutcela, c'est-à-dire que tout l'enseignement sous toutes ses formessoit placé sous l'autorité du Département de l'instruction publiqueet que celui-ci soit doté d'un budget et d'un personnel appropriésà ses besoins.

Des éducateurs, non des administrateurs

La réforme suppose évidemment des changements importants depersonnel. Aussi longtemps que le Département de l'instructionpublique ne s'est occupé que d'enseignement primaire et d'unembryon de secondaire il pouvait recruter son personnel chez lesinstituteurs et les inspecteurs d'écoles. Les meilleurs d'entre euxpouvaient s'acquitter d'une façon convenable de la direction d'écolesoù ils avaient acquis une expérience longue et variée.

Mais le jour où le Département de l'instruction publique auraautorité sur tout l'enseignement à tous ses degrés, qu'il devra trai-ter avec les collèges et les universités, le personnel dont il disposeprésentement sera insuffisant en nombre et en qualité. Un Surin-tendant qui a passé presque toute sa vie à visiter des écoles de rangpeut difficilement comprendre les problèmes des universités, endiscuter avec compétence. Il faudra donc que le Département del'instruction publique soit dirigé par un éducateur de grande classe,au fait des dernières données de la science pédagogique, issu autantque possible d'une faculté universitaire. Il devra être assisté d'ad-joints particulièrement qualifiés au primaire, au secondaire, autechnique et à l'universitaire. Il devra en outre être déchargé defonctions purement administratives. Le Surintendant de l'instruc-tion publique doit être autre chose qu'un administrateur de budget,un estampilleur de permis de construction d'écoles, un distributeurde subventions. Il doit être l'âme de tout le système d'enseigne-ment, une tête qui réfléchit et qui consulte, une oreille qui écoute,un œil qui regarde; il doit être un grand éducateur doublé d'un

Page 338: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Gérard Filion • 339

grand humaniste. Il ne doit pas être un spécialiste, aveuglé par lesdonnées d'une technique particulière; il doit voir grand, large etloin, prenant ailleurs tout ce qui est bon et cherchant des adapta-tions à notre milieu et à nos besoins.

La faute à Papineau

On a dit beaucoup de mal du Conseil de l'instruction publique.Quand ça ne va pas ou que ça ne paraît pas aller, on affirmevolontiers: c'est la faute du Conseil.

Disons tout d'abord que l'idée d'un organisme supérieur ayantl'autorité, non pas sur l'administration des écoles, mais simple-ment sur les programmes d'étude, sur la discipline intellectuelle etmorale qui doit régner à l'école, n'est pas en soi une mauvaisechose. C'est même excellent. Le ministre de l'éducation nationale,qu'on lui donne ce nom ou un autre, n'est pas nécessairementcompétent en pédagogie. Il est avant tout un homme politiquechargé d'administrer un budget et de répondre de son administra-tion devant les Chambres et devant le peuple. Laisser à des fonc-tionnaires l'entière responsabilité de décider ce qu'il faut enseignerdans nos écoles et selon quelles méthodes, quelle formation doi-vent recevoir maîtres, maîtresses et professeurs, ce qu'il faut enten-dre par un certificat d'études primaires, un baccalauréat, une licenceou un doctorat, c'est peut-être prendre un risque un peu fort.

Le législateur eut une idée sage en confiant tout l'aspect péda-gogique de notre enseignement à un corps séparé de la politiqueet hautement respectable. À l'époque, il y avait peu de gens ins-truits ; alors on trouva avantageux de placer les évêques au Conseilde l'instruction publique avec un nombre égal de laïcs nommés parle gouvernement. Au début, il y avait en tout une douzaine demembres et cela ne posait pas de problèmes.

Que de majesté!

Mais aujourd'hui, le Conseil en entier, comités catholique et pro-testant, forme un aréopage d'une bonne soixantaine de membres,qui d'ailleurs se réunit une fois par demi-siècle pour rassurer leshistoriens qui auraient oublié qu'il existe toujours.

Même le comité catholique, avec une quarantaine de membres,est un corps beaucoup trop nombreux, formé de gens trop occupés

Page 339: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

340 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

et assez souvent fort étrangers aux problèmes pédagogiques pourdonner un rendement efficace. On rétorquera évidemment quetout le travail se fait dans des commissions et des comités despécialistes. D'accord. Mais alors, à quoi bon réunir tant de per-sonnages si importants pour donner l'estampille à des décisionsprises par d'autres ?

La composition actuelle du Conseil de l'instruction publiqueprésente aussi le défaut de laisser de côté des groupements direc-tement intéressés à l'éducation, mais qui n'existaient pas au mo-ment où la loi fut votée.

Est-il nécessaire que les vingt évêques et archevêques de la pro-vince de Québec occupent vingt sièges au comité catholique ? Laprésence des seuls archevêques suffirait, il me semble, à assurerl'orthodoxie. De même, du côté des laïcs, on pourrait se dispenserd'un certain nombre de personnes, fort respectables par ailleurs,mais qui ne représentent qu'elles-mêmes. Par contre, les recteursdes universités, le président de la Fédération des collèges classi-ques, le président de la Corporation générale des instituteurs etinstitutrices catholiques, le président de la Fédération des commis-sions scolaires, pour ne mentionner que quelques corps organisés,ne dépareraient pas un aussi auguste aréopage.

Nous sommes une fois de plus en présence d'une institution fortrespectable mais qui n'a pas su s'adapter aux circonstances dutemps présent. Les gens impatients ou ceux qui cherchent desboucs émissaires sont prêts à mettre la hache dans l'institution aulieu de chercher à la rendre plus efficace en l'adaptant aux circons-tances présentes.

À hue et à dia

Qu'il y ait lieu de replacer tout l'enseignement à tous ses degréssous une autorité unique, des exemples récents le démontrentamplement.

Il ne s'agit pas pour le moment de discuter de la valeur desdécisions prises et des suggestions formulées. Notons simplementque cela se fait en dehors de toute autorité officielle. Les univer-sités sont des institutions privées, mais ce sont elles qui décidentcombien il y aura de baccalauréats et quel sera le contenu dechacun, sans trop tenir compte de la répercussion que la mesure

[...]

Page 340: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Gérard Filion • 341

pourra avoir sur l'enseignement primaire et l'enseignement secon-daire.

L'écartèlement du baccalauréat en vue d'y introduire sensible-ment plus de discipline moderne n'est pas en soi une mauvaisechose, mais il faudrait quand même qu'une autorité supérieurepuisse agir comme élément de coordination afin d'éviter des expé-riences malheureuses. En fait d'expérience malheureuse, il n'en apas manqué ces dernières années. Le programme des écoles secon-daires publiques a été remanié deux fois depuis quatre ou cinq ans,d'une façon hâtive, sans coordination avec les institutions de pé-dagogie et les éditeurs de manuels. On eut de ces cas loufoques oùune grammaire prescrite au programme était introuvable sur lemarché et où des instituteurs compétents pour l'enseignement decertaines matières étaient des oiseaux rares. Aussi n'est-il pas sur-prenant qu'en juin 1959, les élèves de onzième scientifique furentfauchés par la mitraille des examens dans une proportion de prèsde 70%. Ils ne pouvaient pas être tous des cancres; ils furentvictimes d'une improvisation malheureuse.

A coups de hache

Le temps est-il venu de mettre la hache dans notre régime scolaireet de rebâtir à neuf ? Ce serait à voir. Il est une chose certaine, c'estque le Département et le Conseil de l'instruction publique ne sontpas aussi responsables qu'on le croit généralement des faiblessesde notre enseignement. D'abord le Conseil possède beaucoup moinsde pouvoirs qu'on est porté à le croire ; il n'administre rien, il n'arien à voir à l'attribution des subventions, à la nomination desfonctionnaires, à la gérance des fonds publics. Il exerce son auto-rité sur les programmes et sur la régie interne des écoles. On aaccusé les évêques d'être responsables du barrage élevé contre l'en-seignement primaire supérieur, parce que, affirmait-on, ils cher-chaient à protéger les intérêts des collèges classiques. Or la véritéest bien différente ; les résistances sont venues surtout du côté dugouvernement qui avait peur d'être forcé de dépenser trop d'ar-gent pour aider aux commissions scolaires à financer un enseigne-ment secondaire public.

Quant au Département proprement dit, il se fait généralementcompréhensif vis-à-vis des problèmes des commissions scolaires :

[...]

Page 341: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

342 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

les ennuis viennent presque toujours des politiciens, députés etministres qui se mettent le nez dans les affaires qui ne les regardentpas. Chaque fois qu'une commission scolaire a traité directementavec le Département de l'instruction publique en passant par-des-sus la tête des organisateurs d'élections, des pourvoyeurs de lacaisse électorale et du député, ses problèmes se sont réglés plus viteet plus avantageusement.

Ça bouge

La vie se traduit par le mouvement. C'est vrai des institutionscomme des êtres animés. Quand une institution cesse de progres-ser, de se transformer, de s'interroger elle-même ou de se laissercritiquer de l'extérieur, c'est un mauvais signe, parce qu'elle est entrain de s'engourdir, de se scléroser.

Il y a vingt-cinq ans, il y avait des sujets dont il n'était pas facilede parler : la réforme du cours classique, les attributions du Con-seil de l'instruction publique, l'institution du régime public d'en-seignement secondaire, etc. Ces questions devaient se discuter portescloses entre gens du métier. La mentalité s'est sensiblement modi-fiée. On a vu des collèges classiques s'ouvrir largement aux sugges-tions et aux réformes. Même les universités qui, jusqu'à ces toutesdernières années, cachaient scrupuleusement leur budget, se sontmises à exposer leurs problèmes au grand public. Tout cela estextrêmement heureux ; tout cela indique que nous avons atteint undegré de maturité intellectuelle qui nous permet d'affronter lesproblèmes, de les discuter publiquement, de différer d'avis sansacrimonie, de se rallier à l'opinion qui paraît la plus valable sanspour autant avoir l'impression de capituler.

L'éducation n'est plus un problème privé. Elle est une affaire decollaboration largement ouverte à tous ceux qui ont des plaintesà exprimer et des suggestions à formuler.

Source : Les confidences d'un commissaire d'écoles, Montréal, Éditions de l'Homme,1960, p. 13-14, 37-38, 52--53> 56-59, 67-70, 74-79, 85-87, 94-101, izo-izz.

Page 342: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

42 Commission des programmesde la faculté des arts de l'université LavalPour une prudente modernisationdu cours classique1960

En 1957, le Conseil de l'université Laval institue un comité ayant pour mandatd'examiner les programmes conduisant au baccalauréat es arts, qui demeure lacondition d'admission aux études universitaires. Cette «Commission des pro-grammes» commence par solliciter les avis du milieu: elle reçoit et examineune soixantaine de mémoires provenant tant de l'intérieur que de l'extérieur del'université. Trois ans plus tard, en mai 1960, la Commission remet un rapporttotalisant plus de 1500 pages, qui constitue, en quelque sorte, une dernièretentative de moderniser le cours classique en réponse aux critiques qui necessent de se multiplier depuis une décennie. Le rapport s'ouvre sur le désolantconstat des carences multiples et importantes, dramatiques même, qui carac-térisent la formation des bacheliers et qui amènent la Commission à proposerune très prudente réforme, qui doit être «suffisamment ancrée dans le passé».Loin de l'idée de polyvalence scolaire, cette réforme se limiterait à offrir certai-nes options au secondaire. Mais de telles options seraient balisées par un cadrede référence indépassable, reposant sur l'«humanisme», la recherche de laculture et le christianisme comme principe intégrateur de toute la formation. Ceprogramme modernisé vise toujours à préparer une «élite» et ce «cours deshumanités» serait divisé en un secondaire de cinq ans et un collégial de troisans. Seuls ses diplômés seraient de droit admissibles à toutes les facultésuniversitaires. Malgré sa prudence, la réforme n'est que partiellement acceptéepar l'université Laval. En fait, une telle réforme exprime un attachement profondà une forme d'éducation secondaire que les recommandations du rapport Parentbalaieront sans ménagements afin de mettre en place une nouvelle école.

Page 343: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

344 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

[PORTRAIT DES BACHELIERS]

Au cours des sept mois qu'a duré l'enquête menée par la Commis-sion, celle-ci a recueilli un nombre considérable d'opinions, enparticulier sur les différents aspects de la formation donnée auxélèves des institutions affiliées à l'université Laval. Qualités etdéfauts ont été mis en lumière sans flatterie ni malveillance. Par-fois les auteurs des mémoires ont durci leur formule, mais c'étaitsans doute pour frapper davantage l'esprit de ceux qu'ils voulaientatteindre. Certaines affirmations ont pu paraître se contredire,mais le plus souvent elles se complétaient harmonieusement, endépit du fait qu'elles provenaient de facultés et de milieux diffé-rents. Nous avons essayé d'ordonner cette vaste matière et dedégager des études et des mémoires présentés aux commissaires, leportrait qu'on nous a tracé du bachelier actuel.

I. LA FORMATION DU BACHELIER

Formation intellectuelle

Dans l'ensemble, on constate que la formation intellectuelle dubachelier, loin d'atteindre l'idéal, ne possède même pas la qualitéqu'on serait en droit d'attendre normalement de jeunes gens quiont déjà obtenu un premier grade universitaire.

Plusieurs mémoires ont déploré que le bachelier soit passable-ment dépourvu de curiosité intellectuelle, qu'il n'ait pas su, aucours de ses études, acquérir des méthodes effectives de travail etqu'il manque d'entraînement au travail intense. Il semblerait qu'uncertain paternalisme ait contribué à rendre l'étudiant passif. Ledogmatisme de l'enseignement littéraire, philosophique et scienti-fique aurait donné à l'élève une satisfaction propre à tuer chez luile sens critique, l'appétit pour la recherche, et aurait fait naître enlui une crainte révérencielle de toute initiative intellectuelle.

On a qualifié de déconcertante, la pauvreté de la langue mater-nelle et de pitoyable, la connaissance de la langue seconde. Lesmoyens d'expression des élèves semblent restés primitifs; leurvocabulaire est médiocre; leur conversation, très négligée. Beau-coup ne sauraient guère lire un texte de façon intelligente.

L'enseignement des langues anciennes pendant cinq ou six ansne semble pas aboutir aux résultats qu'on pourrait normalementen attendre. Les bacheliers ne possèdent pas suffisamment le latin

Page 344: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 345

ou le grec pour lire les auteurs classiques anciens dans le texte ; ilsprononcent mal ces langues et en ignorent l'accentuation correcte ;ils n'ont pas eu de contacts approfondis avec certaines œuvresmajeures, comme celles du théâtre grec; ils ne connaissent à peuprès rien des grands courants de pensée chrétienne de la patrologiegrecque et latine.

Des dirigeants et des professeurs de diverses facultés estimentque trop de bacheliers leur arrivent avec un bagage de connaissan-ces scientifiques et mathématiques mal assimilées. À leur avis, cesétudiants n'ont pas acquis de véritable formation scientifique, ilsne possèdent pas la base nécessaire à tout progrès en cette disci-pline et ignorent à peu près toute distinction entre les divers modesde connaissance.

On a remarqué une amélioration réelle sur le plan de la forma-tion artistique. Les jeunes recevraient de leurs professeurs unemeilleure et une plus large initiation qu'autrefois à la musique, àla peinture et même à la sculpture.

Cependant, toutes les critiques qu'on nous a faites du bachelierne s'appliquent peut-être plus entièrement à la situation actuelledes institutions affiliées. Les étudiants dont les doyens nous ontparlé ont commencé leur cours classique il y a dix et parfois douzeans. Mais depuis une décennie, quelques collèges ont réaménagéleur bibliothèque afin d'en faire un réel instrument de travail et deformation au service des étudiants. Plusieurs maisons possèdentdes laboratoires mieux outillés qui favorisent une initiation plusdirecte des élèves aux méthodes scientifiques par la manipulationpersonnelle des instruments et les expériences de laboratoire. Ildemeure que, dans ces domaines, une tâche considérable reste àaccomplir si l'on veut répondre aux exigences de véritables centresd'étude.

Sur le plan de la formation artistique, l'effort reste pourtant trèsinégal et l'on ne saurait parler ici d'un mouvement d'ensemble. Laplupart du temps, cet effort dépend d'initiatives personnelles et dedévouements admirables, mais demeure ainsi lié à une organisa-tion fragile qui offre peu de garanties de continuité.

Page 345: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

346 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Formation spirituelle

L'assistance à la messe dominicale reste le fait de l'immensemajorité. Cependant, malgré cette fidélité incontestable des étu-diants à la pratique de certains actes religieux, on sent toutefoischez eux de l'indifférence à l'égard de l'Église et de sa doctrine.

Les étudiants ont eux-mêmes enquêté sur leur comportementreligieux. Voici ce qu'ils ont découvert: «Pour 8,5% de ceux quiont traité ce point, l'arrivée à l'université signifie la délivrance dela pratique religieuse. Par délivrance, nous entendons l'abandon àpeu près complet de la religion. Environ 18,3% estiment avoirreçu une formation adéquate ; ils apprécient la façon dont la reli-gion est présentée par le programme et par le cadre de vie ducollège... Pour quelques autres, il ne semble pas y avoir de pro-blème. Tous les autres, soit 61,2,%, soulèvent des objections, ap-portent des critiques et des suggestions. La plupart reprochent àl'enseignement de la religion d'être "trop théorique, négatif et séparéde l'humain" ». [...]

« On a aussi parlé d'une religion spéculative. La religion duprofessionnel, dit-on, « est une religion abstraite et individualiste,conventionnelle et passive, inarticulée et inculte sur le plan intel-lectuel, une religion de crainte, conservatrice dans ses répercus-sions sociales ».

Quant aux devoirs sociaux que lui impose son catholicisme,l'étudiant aurait plutôt l'impression que c'est là une affaire person-nelle et facultative. Autrement dit, l'étudiant n'a aucunement laconviction que les enseignements pontificaux ou épiscopaux enmatière sociale doivent engager le chrétien. Et de son christia-nisme, il ne garde que les prescriptions qui ne vont pas à l'encontrede son désir de confort. D'où obnubilation de la conscience pro-fessionnelle, au sortir même du collège, et absence même de lanotion de service chez la plupart de nos diplômés.

Formation de la personnalité

Par ailleurs, on reproche aux étudiants leur absence de matu-rité. Convaincus d'appartenir automatiquement à l'élite, ces der-niers affichent un complexe de supériorité qui paralyse chez eux la

[...]

[...]

[...]

Page 346: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 347

spontanéité et le progrès. Seule une minorité se préoccupe réelle-ment d'enrichir leur personnalité.

Un contact trop exclusivement livresque avec les grandes véri-tés, les a poussés à l'idéalisme et leur a fait perdre en même tempsle sens du réel. D'où parfois, une réaction violente chez certainsétudiants au sortir de leurs études: mal préparés à affronter lemonde, ils sombrent dans le matérialisme pratique. Ils consacrentle meilleur de leurs efforts à l'acquisition de biens extérieurs à lapersonne, comme l'argent et le confort.

Les étudiants manqueraient aussi de fierté. On en voit la preuvedans leur façon détestable de parler leur langue maternelle, dansl'indifférence qu'ils montrent à l'amélioration de leur milieu. Ils secontentent de sursauts de susceptibilité, lorsqu'ils s'aperçoivent qu'eux-mêmes ou les leurs sont lésés dans leurs droits en politique nationaleet encore n'est-ce là la réaction que d'une partie d'entre eux.

Formation sociale

Les auteurs des quelques mémoires qui ont parlé de la forma-tion sociale de l'étudiant furent unanimes à déplorer sa quasi-inexistence. Il est certain que l'enseignement de la philosophie etde la religion donne à l'étudiant des principes de vie qui s'inspirentde la charité et de la morale chrétiennes. L'éducation reçue aucollège devrait ainsi corriger des tendances naturelles contraires àl'esprit social. Il semble pourtant que cet enseignement reste tropfacilement théorique et ne devient que rarement une éducation.Trop de nos maisons feraient à l'élève un régime de vie qui luiimpose de pratiquer la concurrence, de tirer son épingle du jeu,fût-ce aux dépens du voisin. On ne placerait pas assez souventl'élève en des conditions telles qu'il apprenne à se soucier du voi-sin, de la communauté. On en arriverait ainsi à cette conséquenceparadoxale qu'une éducation de masse exacerbe l'individualismede ceux qui la reçoivent. L'élève n'est que trop naturellement portéà oublier qu'il fait partie d'une société, qu'il en bénéficie, maisqu'il garde à son endroit des devoirs et des obligations qu'il nepeut rejeter sans que toute la communauté en souffre. L'étude dela pensée antique, lorsqu'elle n'est pas corrigée par les enseigne-ments opportuns du maître, peut développer ces tendances innéesde l'étudiant à l'égoïsme et au succès personnel.

[...]

[...]

Page 347: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

348 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

III. LA PRÉPARATION À LA VIE

Vie politique

L'AGEL a souligné que les élèves « n'ont qu'un maigre cours demorale politique pour se renseigner sur leurs droits et leurs devoirsde citoyens, sur la constitution de leur pays, sur les organisationssociales. Pourtant nombre d'entre eux sont destinés à faire de lapolitique plus tard et chacun est appelé à vivre en société dans unpays démocratique... Les étudiants souhaitent vivement recevoirune initiation suffisante aux problèmes politiques et sociaux deleur pays ». Les cours d'histoire et de géographie sont en généralpeu faits pour donner aux étudiants des directives précises en cesens.

On oublie aussi très souvent de mettre le bachelier en face dudualisme que pose son appartenance à une Église monarchiqued'une part et à une société politique à caractère démocratiqued'autre part. Cette ignorance des structures fondamentales l'amèneparfois à se comporter à l'intérieur de l'Église comme dans unedémocratie ou à l'intérieur de l'État comme dans une monarchie.Enfin, la position que le diplômé occupe généralement dans lasociété l'éloigné de la masse et lui donne cette attitude teintéed'aristocratisme qui fausse parfois les rouages de nos organismespolitiques.

Vie civique

[.»]Bon nombre de mémoires reprochent à nos programmes de ne

pas donner à l'étudiant cette préparation à la vie civique, d'ignorerl'histoire de nos institutions et de nos traditions, de minimiserl'importance de la géographie physique et humaine.

L'étudiant entrerait donc dans la société qui l'accueille commedans une société abstraite. Il éprouve de la difficulté à s'y intégrerparce qu'il ne la connaît pas. Et on peut se demander si cettedifficulté d'adaptation n'entraîne pas un accroissement de sonégoïsme et de son individualisme.

[...]

[...]

Page 348: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 349

Les auteurs de quelques mémoires ont affirmé que la notionéquivoque d'un patriotisme négatif aurait prévalu pendant troplongtemps dans nos collèges. Les théories alors en vogue mettaientl'accent sur une soi-disant supériorité ethnique et n'auraient pasété de nature à stimuler les jeunes. Au contraire, elles les auraientfigés dans une satisfaction orgueilleuse et impropre à l'action. Lesétudiants d'aujourd'hui avouent leur fierté d'appartenir à un Ca-nada devenu puissance internationale et ils éprouvent le besoin d'yjouer un rôle de premier plan. Il n'est pas du tout prouvé que cetteconception nouvelle du patriotisme nuise au développement de laculture française, mais souvent les deux notions s'opposent dansl'esprit des générations actuelles. Quoi qu'il en soit, tous ceux quise sont penchés sur le problème du patriotisme étudiant se sententobligés de le repenser sans être capables de prévoir exactementl'orientation à lui donner.

Vie professionnelle

On a souligné que les étudiants n'ont pas acquis le sens du travailorganisé. Ils se prêtent mal aux humbles besognes des débutants ;ils n'acceptent pas facilement « de commencer au bas de l'échelle ».

De telles observations rejoignent ce qu'on nous a dit à proposde leur complexe de supériorité. Un des mémoires affirme avechumour : « On semble les avoir convaincus définitivement, du plusdoué au moins intelligent, qu'ils seront tous "l'élite de demain" etqu'ils sont impatiemment attendus à la sortie de leurs études pourprendre la direction de la caravane. » Si cette affirmation, même enfaisant la part des choses, est fondée, l'étudiant aurait donc laconviction de faire partie automatiquement d'une sorte d'aristo-cratie du parchemin, aristocratie qui ne saurait rien envier à celledu sang. Cette conviction expliquerait, pour une part, que tropsouvent il reste toute sa vie un paresseux qui se refuse à tout effortsauf à ceux qui lui procurent une augmentation de revenus.

Conclusion

Ces critiques du bachelier constituent probablement l'ensembled'opinions les plus directes et les plus franches qui aient été émises

[...]

[...]

Page 349: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

350 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

sur le sujet dans notre milieu. Toutes nous ont été présentées dansun mouvement remarquable de sincérité et manifestaient de la partde leurs auteurs un désir de collaboration enthousiaste dans larecherche de la vérité.

[IV. ÉDUCATION ET HUMANISME]

Nous distinguerons donc trois aspects dans la fin du Cours desHumanités : formation intégrale, culture et préparation d'une élite.Ces trois aspects se complètent et ne sauraient être pris isolément :on ne peut former l'homme sans le cultiver, ni sans lui faire pren-dre une conscience bien nette du rôle important que ce futur adulteaura à jouer dans la société.

Formation intégrale

[...] Par l'expression formation intégrale nous voulons dire que leCours des Humanités se propose de former l'être humain toutentier, c'est-à-dire de mettre l'étudiant en possession de tous sesmoyens d'homme.

Il ne faudrait pas cependant entendre l'expression dans le sensde formation achevée, définitive ; il serait illusoire en effet de pré-tendre donner une formation d'adulte à des adolescents. Commenous l'avons dit, il s'agit de mettre l'adolescent en état de penseret d'agir le mieux possible. Par la suite, cette formation de l'ado-lescent arrivera à maturité lorsque l'étudiant aura enrichi sonexpérience de la vie et mis à l'épreuve, dans l'exercice de sa pro-fession et de sa vie d'homme, les données théoriques acquises aucours de ses études.

Mais l'adolescent est un adulte en devenir, il en a toutes lesfacultés; et l'école, au Cours des Humanités, doit chercher à for-mer toute la personne, tout ce qui doit contribuer à la vie spiri-tuelle, intellectuelle, affective et sensorielle de l'homme appelé àvivre en société.

Nous plaçons au sommet les facultés spirituelles, l'intelligenceet la volonté: elles régissent toute la vie intellectuelle et morale.Toute amélioration produite par l'enseignement et l'éducation, auradonc finalement des répercussions très importantes sur l'exercicede l'intelligence et de la volonté.

[...]

Page 350: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 351

Les facultés sensibles : mémoire, imagination et sensibilité vien-nent à un échelon inférieur. La première est comme le grand réser-voir d'images sensibles qui constituent un fonds à la culturehumaine. La seconde a non seulement le pouvoir de faire revivreles sensations et les images déjà perçues, mais encore la possibilitéd'en créer de nouvelles. Elle est de ce fait très précieuse dans lechamp de la création artistique autant que dans l'ordre de la dé-couverte scientifique. La sensibilité avec ses passions joue un rôleimportant dans le domaine artistique et dans l'évolution de lapersonnalité.

D'autre part, notre définition de l'humanisme implique la no-tion de christianisme. Quand nous parlons de l'homme, nous pen-sons à l'homme régénéré par la Grâce, dont nous ne pouvonsignorer le travail dans les âmes. Sans doute il n'appartient pas àl'éducation, et encore moins à l'enseignement, de produire la Grâce ;mais c'est le devoir de l'un et de l'autre d'en tenir compte et de nerien faire qui puisse contrarier son action. Ce sera même une destâches principales de l'éducateur de veiller à ce que la Grâce trouveun terrain favorable à son épanouissement.

Enfin, que ce soit à l'école ou ailleurs, quand il s'agit de forma-tion, il faut toujours garder présente à l'esprit la fin propre del'homme, qui est Dieu sur le plan naturel aussi bien que sur le plansurnaturel. Dans le premier cas, il s'agit principalement de Dieucréateur; dans le second cas, il faut entendre aussi Dieu rédemp-teur. [...] Dans cette lumière, on voit quelle orientation doit pren-dre toute activité de l'homme : il est responsable de lui-même et deses semblables. Ainsi, on est loin de Pégo'ïsme et de l'égocentrismequi marquent trop souvent les rapports humains, alors que c'est lacharité qui devrait les adoucir et les ennoblir.

Après ces considérations, il nous est apparu que la formationintégrale pouvait se définir ainsi : Le perfectionnement de la per-sonne par le développement harmonieux des facultés intellectuel-les, des facultés sensibles et de l'organisme physique, dans lacoopération à l'action de la Grâce, en vue de la fin de l'homme.

Culture

Si la formation intégrale, dans le perfectionnement de la personne,consiste surtout à mettre l'homme en état de disponibilité à l'en-droit de la vie, — vie de l'esprit, vie du cœur, vie de l'action, —

[...]

Page 351: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

352 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

la culture, elle, aura plutôt pour rôle d'apporter à cette vie unaliment indispensable. Ou encore, elle sera comme le moteur quianimera toutes les facultés, les dirigera, leur donnera leur raisond'être, d'agir.

[...] on voit que le mot culture a tout d'abord une résonanceintellectuelle ; on y distingue un certain effort pour saisir le mondeet pour s'élever jusqu'à la cause première ; on parle aussi de « dé-veloppement humain», donc d'enrichissement non seulement del'intelligence, mais des autres facultés; on insiste aussi sur le faitque cet enrichissement implique une idée de progrès et conduitnaturellement à la notion de dépassement, c'est-à-dire de marchevers un idéal.

En essayant de l'opposer à ce que d'ordinaire nous entendonspar son contraire, c'est-à-dire l'absence de culture, nous discerne-rons aussi dans le mot culture le sens de synthèse dans l'universel,d'assimilation, d'affinement de l'esprit jusqu'à la perception desplus subtiles nuances, et de capacité d'autocritique, ce qui impli-que un esprit bien en possession de ses moyens, donc de ses habi-tudes intellectuelles.

En partant de ces diverses notions, nous pourrions définirl'homme cultivé comme celui dont l'esprit a acquis de telles habi-tudes intellectuelles que, dans la sagesse, il atteint la vérité fonda-mentale de l'univers, et parvient ainsi à la synthèse et l'universalité.

Ou encore, en donnant au mot un sens plus vaste sur le planhumain total, nous pourrions dire que la culture c'est, dans uneintelligence formée, et à partir d'un principe qui est la cause pre-mière, la synthèse des expériences et des connaissances acquises,laquelle est source de progrès et d'engagement de tout l'être.

On peut donc conclure de toutes ces distinctions que dans le casd'un adolescent qui sort de ses études secondaires, on ne peutdécemment parler de culture au sens où nous l'avons définie plushaut. Mais il est normal d'exiger du bachelier, porteur d'un pre-mier diplôme universitaire, qu'il ait atteint un certain degré dematurité et qu'il ait vraiment commencé à réaliser cette synthèsequi est « source de progrès et d'engagement de tout l'être » et qu'ildevra poursuivre durant toute sa vie. Le contenu du nouveauprogramme, l'emploi de nouvelles méthodes de travail, le pro-longement du Cours des Humanités jusque dans l'université etle climat de responsabilité personnelle dans lequel évoluera l'étudiant

[...]

Page 352: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 353

devraient l'aider puissamment à atteindre « cette intelligence for-mée», condition essentielle de «la synthèse des expériences et desconnaissances acquises».

Préparation d'une élite

Pour nous, le terme élite signifie une réalité bien déterminée. Ildoit servir à désigner les hommes qui ont atteint à un degré émi-nent de formation et de culture, au sens où nous les avons définies,et qui, à une qualité vraiment supérieure de compétence dans unebranche du savoir ou de l'activité humaine, joignent un sens desresponsabilités sociales allant jusqu'à l'inquiétude. Seuls de telshommes méritent qu'on leur confie les intérêts de la société dansles domaines religieux, culturel, politique, social et économique,car seuls ils pourront, par leur pensée et par leurs actes, entraîneret guider cette même société dans la voie du perfectionnement.

Il faut en conséquence admettre que ce titre de membre d'uneélite ne peut être accordé à tous les diplômés universitaires, pasplus qu'il ne peut leur être réservé. Il se peut que des hommes quin'ont pas fait d'études universitaires soient véritablement de l'élite,grâce à leur force de caractère, à leur connaissance des hommes,à leur expérience de la vie, à leur culture personnelle et à leursvertus morales, comme il se peut que des universitaires cantonnésdans le champ étroit de leurs spécialisations ou imbus de préjugésquant à la vertu d'un diplôme académique, manquent de façonregrettable ou de culture humaine ou de compétence.

Une nation n'est vraiment grande et prospère que dans la me-sure où elle assure à tous ses enfants, capables et désireux d'enbénéficier, une formation et une culture ayant les rapports les plusétroits avec l'humanisme et où ceux qui la dirigent portent en euxun idéal élevé dont ils poursuivent la réalisation avec acharne-ment.

Nous croyons donc que le Cours des Humanités, parce qu'il estdestiné à cette portion des élèves vraiment capables d'études supé-rieures, parce qu'il ambitionne de développer les facultés propresà tout être humain et aussi les talents particuliers de chacun, estseul capable de poursuivre les fins que nous venons d'énuméreret de définir: formation intégrale et culture et qu'il est la voie

[...]

[...]

Page 353: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

354 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

normale par laquelle devrait passer l'élite dont notre société a unsi pressant besoin.

[RECOMMANDATIONS]

Structures générales

i. Que le Conseil universitaire considère comme structure idéaledu système catholique et français d'éducation de la provincede Québec, la structure suivante:Six ans de Cours élémentaire, trois ans de Cours complé-mentaire, ou six ans de Cours secondaire et trois ans aumoins de Collège, et qu'il s'emploie à la faire adopter parles organismes intéressés.

2.. Que dans l'état actuel des choses, l'Université n'offre plus,pour préparer les candidats au baccalauréat es arts que leprogramme du Cours des Humanités et que celui-ci soitpartagé en deux niveaux bien distincts :a. Le Cours secondaire des Humanités, d'une durée de

cinq ans, coordonné aussi parfaitement que possible avecle programme actuel du Cours élémentaire de sept ans

b. Le cours du Collège, d'une durée de trois ans, préparantimmédiatement les candidats au baccalauréat es artsgénéral simple ou avec mention et même, avec une annéesupplémentaire de scolarité, au baccalauréat es arts avecspécialisation [...].

Cours secondaire

i. Que le niveau secondaire corresponde à la période de l'ado-lescence et ne se prolonge pas au-delà d'une douzième an-née de scolarité;

2.. Que l'Université n'accepte plus comme voie normale d'ac-cès à ses facultés que le Cours des Humanités;

3. Qu'elle abolisse le Cours « Lettres-Sciences » et qu'elle re-commande aux instit tions qui le donnent de suivre, selonles besoins, le programme du Cours secondaire général oudu Cours secondaire des Humanités;

[...]

[...];

[...]

Page 354: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 355

6. Que, pour désigner les classes du Cours secondaire desHumanités, on emploie les appellations de 8e, <?e, ioe, ne etize Années.

Collège

Que l'Université réserve l'appellation « Collège » aux troisdernières années du Cours des Humanités;

Que le titre de « Collège universitaire » puisse être conféréaux institutions affiliées qui répondront à des conditionsacadémiques déterminées ;Que l'Université considère la possibilité d'accorder un bac-calauréat es arts avec spécialisation dans l'enseignement d'unediscipline, ou avec spécialisation en sciences domestiques, àla condition que les exigences de ces deux spécialisations neviennent pas en conflit avec celles que nous avons établiespour l'acquisition d'une formation et d'une culture humai-nes.

Source: Rapport, vol. i, p. 7-2,2., xi4-zz8, 258-2,61.

1.

3.

4.

[...]

[...]

Page 355: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

43 Compagnie de JésusLe projet d'Université Sainte-Marie1960

À l'automne 1960, les Jésuites jettent ce qui se révélera très vite un énorme pavédans la mare, en proposant que leurs collèges montréalais Sainte-Marie etBrébeuf (de même que les facultés ecclésiastiques de la Société) soient fusion-nés pour constituer ['«Université Sainte-Marie». Cette deuxième université delangue française à Montréal (où il existe déjà deux universités anglophones) seconsacrerait d'abord aux «disciplines libérales» (sciences et humanités) etdécernerait des « baccalauréats spécialisés » ; elle ne développerait des facultésprofessionnelles que si cela était justifié éventuellement par les «besoins dumilieu».

La proposition des Jésuites se heurte rapidement à une féroce opposition ;par exemple, André Laurendeau propose, le 15 novembre 1960, de renvoyer laquestion à la commission royale d'enquête sur l'éducation que le gouverne-ment libéral a promis lors des récentes élections, mais qui ne figure pas encoreà son programme législatif. En janvier 1961, l'Association des professeurs del'Université de Montréal publie un petit livre dont le titre est absolument sanséquivoque, L'Université dit non aux Jésuites (Montréal, Éditions de l'Homme).Les professeurs, qui seront par la suite appuyés par leurs collègues de Laval,mettent littéralement en pièces le projet d'université jésuite. Avant de multiplierles universités, disent-ils, il convient plutôt de consolider celles qui existent; etcelles qui existent sont encore tellement au début de leur vrai développementque ce serait une dramatique erreur d'éparpiller les ressources. Aussi, le projetn'aboutira jamais, du moins dans la forme souhaitée par les Jésuites. Mais —ironie de l'histoire — quand le gouvernement du Québec constituera, en 1969,l'Université du Québec à Montréal, il y intégrera, comme noyau central, lecollège Sainte-Marie des Jésuites!

I. NATURE DU PROJET

La Gazette officielle de Québec annonçait, le 2,2, octobre 1960,que deux institutions de la Compagnie de Jésus à Montréal, lescollèges Sainte-Marie et Brébeuf, présenteraient, durant la session

Page 356: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Compagnie de Jésus • 357

d'automne de la Législature de Québec, un bill en vue de fusionnerleurs corporations et de constituer l'Université Sainte-Marie.

Cette requête ne signifie pas que la Compagnie de Jésus pro-jette de bâtir une nouvelle cité universitaire rivalisant avec les« campus » des grandes universités de Québec et de Montréal.Voici plutôt quelle est la nature de ce projet. La Compagnie deJésus possède déjà, dans la métropole, quelques institutions deniveau proprement universitaire. Elle a d'abord une faculté dephilosophie et une faculté de théologie. Il serait difficile de mettreen doute la compétence du personnel de ces facultés: 82 profes-seurs y détiennent 35 doctorats et 35 licences. Ces professeurspublient depuis plusieurs années la revue Sciences ecclésiastiqueset la collection « Studia » dans laquelle ont déjà paru plus devingt volumes de recherches. Ces publications savantes qui fonthonneur au Canada français sont répandues dans les bibliothè-ques spécialisées aux quatre coins du monde. Quant à la biblio-thèque de ces facultés, elle compte 130 ooo volumes. Remarquez,au surplus, que les facultés de philosophie et de théologie de laCompagnie de Jésus à Montréal sont des «facultés ecclésiasti-ques». On appelle ainsi des institutions d'enseignement supé-rieur habilitées par la Sacrée Congrégation des Séminaires et desUniversités (organisme qui est comme le ministère de l'enseigne-ment supérieur dans l'Église) à décerner des grades de baccalau-réat, licence et doctorat dans les sciences ecclésiastiques. « Facultéecclésiastique » n'est donc pas synonyme de « scolasticat » ni de«grand séminaire». Il y a des centaines et des centaines de« scolasticats » et de « grands séminaires » dans le monde ; maisil n'y a en tout qu'environ 150 facultés ecclésiastiques, dont 9 ou10 au Canada; et sur ces neuf ou dix, 4 sont situées à Montréalet 2 appartiennent aux Jésuites canadiens-français. Et ce n'est pastout, les grades de ces facultés de philosophie et de théologie dela Compagnie de Jésus à Montréal sont reconnus civilement grâceà la loi 8 Elizabeth II, chapitre 190 (Statuts de la Province deQuébec). Ils ont la même valeur civile que les grades décernés parles autres universités canadiennes.

Outre ces facultés de philosophie et de théologie, la Compagniede Jésus dirige aussi, à Montréal, les collèges classiques Sainte-Marie et Brébeuf, deux établissements qui dispensent l'enseigne-ment des matières du baccalauréat es arts, le premier depuis plusde cent ans, le second depuis 1928. L'enseignement donné par ces

Page 357: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

358 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

collèges, est par sa nature, son contenu, son niveau, son esprit,celui que l'on donne dans les facultés des arts (section du bacca-lauréat es arts). Les professeurs y ont des qualifications universi-taires (plus de 80 grades de maîtrises, de licences et de doctoratspour un personnel de 64 au niveau du cours universitaire). Lesprofesseurs religieux et laïques du Collège Brébeuf au cours uni-versitaire font même partie de la CAUT (Canadian Association ofUniversity Teachers). Les activités académiques de ces deux éta-blissements, outre l'enseignement, dépassent aussi, pour une part,le niveau secondaire. Le Collège Sainte-Marie, par exemple, offredes cours du soir (fréquentés par 900 personnes) en théologie, enphilosophie, en histoire, en psychologie, en sciences sociales, ensciences économiques, etc. À Brébeuf, la station de météorologietravaille de concert avec l'Université McGill; et la station de sis-mologie, en liaison avec les centres sismologiques d'Ottawa et deWashington, publie son Bulletin de Sismologie, distribué dans lemonde entier, même en Russie. Le collège a, de plus, fondé cetteannée, un Centre de Documentation et de Recherche politiques.Une autre caractéristique de ces deux collèges Sainte-Marie etBrébeuf, c'est que leurs pouvoirs universitaires, reconnus dans ledroit ecclésiastique par la constitution Jamdudum et dans la légis-lation civile par la charte de l'Université de Montréal, sont vérita-blement, selon une expertise légale, des pouvoirs de «degreegranting institutions », bien qu'ils ne s'exercent pas sous une formecommune. Enfin, il est bon de le noter, ces deux institutions émar-gent déjà au budget des subventions que l'État accorde à l'ensei-gnement supérieur, chez nous.

Ce sont les organismes que l'on vient de décrire, deux facultésdéjà authentiquement reconnues et deux collèges possédant déjàles éléments essentiels d'une faculté des arts, que la Compagnie deJésus grouperait dans un ensemble régi par une charte universi-taire complète. L'Université Sainte-Marie ainsi constituée poursui-vrait donc avec les moyens supérieurs et le prestige que donne unstatut universitaire complet, une œuvre déjà riche et digne d'uneinstitution de haut savoir.

L'Université Sainte-Marie a l'intention de concentrer ses effortssur les disciplines libérales : lettres, philosophie, sciences humaines,sciences naturelles. Elle désire faire de ces disciplines le centredynamique de l'université. Ces disciplines seront donc les premièresà recevoir l'attention et les soins de la direction. Cela signifie que

Page 358: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Compagnie de Jésus • 359

les sections ( « départements » ) chargées d'enseigner ces matièresseront les premières à se développer.

L'Université Sainte-Marie continuera de décerner le B.A. géné-ral; mais elle prendra des dispositions pour créer, dans un avenirprochain, des baccalauréats spécialisés non pas dans les domainesprofessionnels mais dans les arts et les sciences. Pour ces baccalau-réats spécialisés, l'Université a l'intention d'offrir des programmesde caractère interdisciplinaire plutôt que des concentrations surune seule matière. On associerait, par exemple, lettres et théologie,sciences et philosophie, lettres et philosophie, sciences de l'hommeet philosophie, lettres et histoire de la civilisation occidentale. Toutcela est bien conforme aux traditions de la Compagnie de Jésus.

Telles sont la nature et la portée immédiate du projet de l'Univer-sité Sainte-Marie. Quant aux développements futurs (par exemple,dans le domaine des facultés professionnelles) ils dépendront desbesoins du milieu, des possibilités de l'institution et de la législationuniversitaire que le gouvernement établira dans notre province.

Cet exposé du projet permet de juger de la valeur de certainesobjections. La requête de la Compagnie, il est facile de le voir,n'ouvre pas la voie à des « douzaines » de demandes analogues :car il n'y a pas des « douzaines » de pétitionnaires qui peuvent seréclamer d'institutions et d'œuvres comparables à celles que nousavons évoquées. La requête n'implique pas non plus que tout collègeclassique peut demander une charte universitaire : car ce n'est passeulement parce que les collèges Sainte-Marie et Brébeuf possèdentdéjà les éléments d'une faculté des arts que la Compagnie de Jésusdemande une charte universitaire, c'est aussi parce qu'elle main-tient depuis longtemps deux facultés authentiques en philosophieet en théologie. Enfin, il est à peine besoin de le souligner, aprèsl'exposé qui précède, la charte sollicitée ne créera pas un établis-sement qui n'aurait d'autre réalité que ses beaux plans, qui seraitun nouveau venu sur la liste des octrois gouvernementaux, et qui,pour former ses cadres, devrait ou recruter du personnel incompé-tent ou enlever à d'autres institutions leurs professeurs qualifiés.Le nouvel établissement possède déjà des biens meubles et immeu-bles considérables et certains moyens de financement; il a dupersonnel qualifié; il a ses traditions d'enseignement. En d'autrestermes, il apporte du positif, il constitue un commencement pro-metteur.

[...]

Page 359: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

360 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Itf JUSTIFICATION DU PROJET

Quelque chose de différent

L'université dont la Compagnie de Jésus se préparait à accepter ladirection au i^6 siècle n'eût été pratiquement qu'un ensemble d'éco-les professionnelles (droit, médecine, génie) rattachées au collègeSainte-Marie. Un tel rôle de suppléance semblait une nécessité del'heure; et il eût été bien difficile de concevoir différemment lafonction universitaire à cette époque. Mais, aujourd'hui, bien desétablissements se chargent chez nous, de l'enseignement profes-sionnel universitaire; aussi la Compagnie ne songe-t-elle pas àassumer pour l'instant des fonctions que nos grandes universitésfrançaises du Québec accomplissent très bien. Elle estime que lafondation d'une nouvelle université française à Montréal se justifiepar d'autres soucis que la simple ambition de faire concurrence àdes institutions déjà établies. Elle ambitionne de faire quelque chosede différent.

Une université naissante issue de deux collèges classiques etd'un collège théologique et philosophique peut assez facilement,en raison de ses origines, concentrer ses efforts sur une œuvrenettement culturelle. Elle peut s'édifier selon un plan qui fait de lafaculté des Arts (niveau du baccalauréat et niveau supérieur) lecœur même de l'institution, un plan qui permet une intense colla-boration entre les maîtres de diverses disciplines. Grâce à une tellecollaboration interdisciplinaire, on peut organiser des programmesd'études en conformité avec la science qui se fait plutôt qu'avec lascience déjà faite. Une institution universitaire reflétant ce conceptne serait pas de trop dans notre milieu.

Normalisation d'une situation

La Compagnie de Jésus possède déjà des pouvoirs universitaires,même au for civil. Les plus récents sont ceux de donner l'enseigne-ment, les grades et les diplômes dans les sphères de la philosophieet de la théologie (Loi 8 Elizabeth II, chapitre 190). Les plusanciens concernent les arts. Ces derniers avaient été reconnus à laCompagnie dès ses origines et lui ont été confirmés à maintesreprises au cours des siècles. En 1889, pour favoriser le dévelop-pement de l'Université Laval, la Compagnie, à la demande deRome, consentit à une restriction dans l'exercice de ses pouvoirs.

Page 360: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Compagnie de Jésus • 361

Cette restriction ne touchait ni au pouvoir d'organiser l'enseigne-ment, ni à celui d'instituer des examens, ni à celui de se prononcersur les mérites des candidats, mais à celui de remettre les diplômes.Conformément à la constitution apostolique Jamdudum, la Com-pagnie, en 1889, consentit à exercer sous une forme extraordinaireson droit de décerner les diplômes, forme extraordinaire qui con-sistait à les faire donner par l'Université Laval. La Compagnieaccepta la même restriction en 192.0 et en 1950 pour favoriserl'expansion de l'Université de Montréal; et ses droits, en ces oc-casions, furent reconnus au for civil. Aujourd'hui, en demandantune charte pour l'Université Sainte-Marie, la Compagnie ne faitque solliciter, en cette matière des arts, l'autorisation d'exercersous la forme commune et ordinaire des pouvoirs qu'elle possèdedéjà. Les raisons qui motivaient autrefois la restriction n'existentplus, estime la Compagnie, puisque l'Université de Montréal est,aujourd'hui, l'une des plus importantes du Canada.

Besoins de la population française métropolitaine

Dans tous les centres universitaires du Canada, o emandequelles mesures il faut prendre maintenant pour faire face à lamarée montante de la population étudiante au cours des prochai-nes décades. Pouvons-nous, nous de la région métropolitaine,négliger une telle préoccupation ? Les faits qui se passent sous nosyeux nous disent que non. D'un côté, l'industrialisation de notrerégion et même de tout le secteur compris entre le Saint-Laurent,le Richelieu et la frontière américaine va provoquer un accroisse-ment de population. D'un autre côté, l'avidité grandissante desCanadiens français pour l'instruction supérieure et des mesurestelles que la multiplication des sections classiques dans les écolespubliques, ainsi que l'instruction gratuite, vont produire, dans cettepopulation accrue, un afflux considérable d'étudiants qualifiés quantà l'âge, au talent et à la préparation, pour des études universitai-res. On peut donc raisonnablement appliquer à notre région lesprévisions que M. Sheffield, Directeur des recherches à la Fonda-tion des Universités canadiennes, faisait au sujet de l'accroissementde la population étudiante de 18 à 2,1 ans, dans les universitéscanadiennes, durant la prochaine décade, jusqu'en 1970-1971.D'après M. Sheffield, cette population va doubler, passant de100 ooo en 1960 à 229 ooo en 1971. Est-ce que, de fait, ces

Page 361: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

362 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

prévisions sont en voie de réalisation dans notre région ?[...] Il estdonc avéré que les prévisions de Sheffield sont en voie de réalisa-tion dans notre région métropolitaine. Alors, à supposer que cesprévisions ne soient pas dépassées par la réalité, il faut s'attendre,pour 1970, à une population étudiante de plus de iz ooo dans lesseuls collèges affiliés à la faculté des arts (au seul cours universi-taire). Or est-il souhaitable qu'une seule faculté des arts assumeune telle responsabilité de contrôle, surtout si elle veut, en outre,donner son propre enseignement intra mur os. Cette augmentationconsidérable des candidats au baccalauréat es arts entraînera,naturellement, une augmentation des effectifs étudiants dans lesfacultés professionnelles. De l'ensemble de ces considérations res-sort la nécessité de fonder maintenant une institution universitairequi, dans 10 ans, avec l'Université de Montréal (laquelle auratoujours la grosse part: pourquoi craindre le contraire ?) sera prêteà répondre aux besoins agrandis de notre population.

Crise culturelle

Cette crise affecta ute l'humanité se complique, chez nous,du péril qui menace notre héritage français, c'est-à-dire le méca-nisme même le plus intime de notre pensée ; et elle revêt peut-êtreune acuité particulière dans notre région métropolitaine, plus in-dustrialisée, plus cosmopolite, plus touchée par toutes les tares desgrandes agglomérations urbaines. Pour affronter cette crise il fautun système universitaire culturellement fécond. Car l'armatureuniversitaire d'un milieu constitue l'élément vital essentiel de saculture. C'est au sein de centres universitaires animés d'une ar-dente ambition intellectuelle — quelle que soit leur importancematérielle — que, dans la poursuite de la science pour elle-même,dans un grand effort de réflexion en profondeur, une culture s'ali-mente, vit, se différencie, s'adapte et survit. Or peut-on dire —nous écrivons ceci sans incriminer en aucune façon les personnes— que le système universitaire actuel de la métropole, avec sesaffiliations nombreuses et hétérogènes (31 institutions d'enseigne-ment classique de niveau universitaire, 10 écoles professionnelleset 13 écoles annexées), peut-on dire que ce système complexepossède la souplesse de réaction et le pouvoir de création qu'ilfaudrait devant la rapidité avec laquelle les situations changent et

[...]

Page 362: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Compagnie de Jésus • 363

les problèmes culturels s'accumulent? Dans une structure aussilourde l'exercice de la direction académique ne risque-t-elle pas,malgré toute la bonne volonté qu'on y met, de se confondre, sur-tout à l'égard des organismes extra muros, avec le contrôle, lamoins féconde et la moins universitaire des fonctions universitai-res ? Peut-elle, cette structure, susciter les foyers culturels différen-ciés et actifs qui seraient nécessaires à l'heure présente ? Pourquoi,dès lors, ne pas accueillir avec bienveillance la nouvelle UniversitéSainte-Marie, qui, à partir des éléments que possèdent déjà lesinstitutions de la Compagnie de Jésus, constituerait un nouveaufoyer culturel, une nouvelle équipe universitaire, composée de laïcset de clercs, autonome, animée d'un esprit différent, moins tirailléepar les problèmes de coordination inhérents à un réseau complexe.Et cela n'enlèverait rien à l'importance quantitative et qualitativede l'Université de Montréal. Somme toute, en conférant le statutuniversitaire complet aux établissements de la Compagnie de Jésusdans la métropole, on ajouterait des possibilités nouvelles au sys-tème qui, sur le front montréalais, doit défendre notre culture enpéril.

Les garanties de la Compagnie de Jésus

Le projet de l'Université Sainte-Marie se justifie donc surtout parla pensée d'apporter à notre milieu en pleine évolution un nouveaufoyer de culture universitaire, capable, croyons-nous, de répondreaux exigences actuelles ; à même aussi de résoudre pour sa part leproblème de l'accroissement numérique considérable de notremonde universitaire de demain. L'Université Sainte-Marie vien-drait, d'ailleurs, équilibrer à propos les forces universitaires fran-çaises et anglaises dans notre province.

La proposition nouvelle présente de bonnes garanties de succèset de compétence. La Compagnie de Jésus, en effet, s'est toujoursadonnée non seulement à l'enseignement secondaire mais aussi àl'enseignement universitaire. Dès ses origines, elle a reçu, et con-servé depuis au for ecclésiastique, les pleins pouvoirs universitaireset le privilège d'émettre des grades académiques. Actuellement, depar le monde, comme on l'a déjà noté plus haut, la Compagniedirige environ 60 universités dans 24 pays différents. Les Jésuitesaméricains, pour leur part, en possèdent 28. Quant à la Provincedu Canada français, elle dirige, hors du Québec, l'Université

Page 363: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

364 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

d'Addis-Abeba, en Ethiopie et, à Sudbury, elle assure une grandepart de la direction et de l'enseignement à l'Université Laurentienne,université qui groupe en fédération un collège catholique et deuxcollèges protestants. Le président actuel de l'Université Laurentienneest, d'ailleurs, un Jésuite canadien-français.

Nous avons déjà signalé, dans la première partie de ce mémoire,les qualifications universitaires du personnel religieux et laïque desétablissements qui s'intégreraient dans l'Université Sainte-Marie.Ces garanties de bon commencement sont confirmées par le carac-tère universitaire de l'ensemble des effectifs jésuites du Canadafrançais, effectifs qui fourniront le personnel religieux de la nou-velle université. On relève, dans ces effectifs (et ces chiffres sontincomplets), plus de 70 doctorats, 2,6 licences et <?z maîtrises. Cesgrades concernent non seulement la philosophie et la théologie,mais aussi les sciences physiques et naturelles, les mathématiques,l'histoire, la psychologie, les sciences de l'éducation, les sciencessociales, les sciences économiques, le droit, la psychiatrie, etc. etont été obtenus, sauf quelques rares exceptions, hors des institu-tions jésuites de Québec. En outre, environ 300 Pères et Scolasti-ques détiennent une licence en philosophie obtenue aux facultésecclésiastiques de l'Immaculée-Conception et plus de 150 une li-cence en théologie obtenue aux mêmes facultés. En considérant cesdonnées il ne faudrait d'ailleurs pas oublier que le personnel en-seignant et administratif de la nouvelle Université Sainte-Marie necomprendra pas que des Jésuites. Ces derniers se sont déjà adjointsde nombreux laïcs qualifiés.

Source : Direction générale des études pour les collèges de la Compagnie de Jésus,Mémoire concernant la création de l'Université Sainte-Marie, Montréal, 1960,p. 5-7, I2.-I6.

Page 364: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

44 Jacques MackayPositions du Mouvement laïquede langue française1961

Au début de 1961, le grand débat scolaire québécois s'enrichit d'un nouveauthème: la remise en cause de la confessionnalité scolaire. Quand commence laRévolution tranquille, le système scolaire est largement confessionnel. Les commissions scolaires dispensant l'enseignement public élémentaire et secondairesont catholiques ou protestantes. Les collèges classiques et les séminairesdiocésains sont catholiques. Les universités francophones sont catholiques. Enfait, seules les écoles techniques mises sur pied par le gouvernement ne sontpas officiellement catholiques. La grande majorité de la population s'accom-mode de cet état de choses. Cependant, les groupes religieux minoritairesn'ont pas de reconnaissance de leurs droits comme tels dans le système con-fessionnel public. Par exemple, la communauté juive doit soit instituer ses pro-pres écoles privées, soit confier ses enfants aux commissions scolairescatholiques ou, pour la très grande majorité, protestantes. De plus, il se trouveun nombre croissant de personnes qui, ne professant aucune religion, s'esti-ment particulièrement mal servies. En outre, la confessionnalité pénètre d'autredimensions de la vie des individus: par exemple, le mariage ne peut être célé-bré que par un ministre du culte (prêtre, pasteur ou rabbin). C'est dans cecontexte que se crée, au début d'avril 1961, le Mouvement laïque de languefrançaise qui veut promouvoir l'idée de laïcité dans la société et la déconfes-sionnalisation des institutions publiques. Cela implique évidemment l'école. Ilfaut à tout le moins établir, outre les secteurs catholique et protestant, unsecteur scolaire neutre pouvant accueillir ceux qui le désirent ou qui se sententmal à l'aise dans les secteurs confessionnels. Le Mouvement laïque introduit lethème de la confessionnalité dans le débat scolaire et il faudra attendre prèsde 40 ans pour que soient complètement déconfessionnalisées, y compris auministère de l'Éducation et au Conseil supérieur de l'éducation, les structuresscolaires québécoises.

Page 365: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

366 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Ce n'est pas par hasard que le congrès de fondation du Mouve-ment laïque de langue française a porté presque exclusivement surdes questions scolaires. N'est-ce pas l'un des domaines où le droità la liberté est le plus absolu? Or la présence dans le Québecd'éléments juifs et protestants de langue française, considérable-ment accrue par l'immigration, fait déjà éclater la vieille notion del'unitarisme confessionnel de notre milieu. Cela personne ne cher-che à le nier. Un autre groupe, sans doute plus important en nom-bre, réunit les incroyants, soit de souche canadienne-françaiseancienne soit d'immigration plus récente. Ceux-là ne se réclamentd'aucune religion. On a encore tendance dans certains milieux ànier ce fait, ou à feindre de l'ignorer. Mais cela ne l'empêche pasd'exister. Or, au moment d'envoyer leurs enfants à l'école, cesgroupes minoritaires de langue française font face à un dilemmeintolérable. Toutes les écoles publiques de langue française sont deconfession catholique. La seule exception est une école protestantelimitée à une partie du cours primaire, et encore, elle a été obtenueaprès vingt ans de luttes.

Et comme l'expliquait le pasteur Beaudon dans de récents édi-toriaux, la culture française des élèves de cette école a souffert aupoint qu'on parle maintenant de les refranciser. Leur anglicisationn'a sûrement pas été freinée par les manuels traduits de l'améri-cain, imposés par le Protestant School Board.

Des protestants de langue française se voient forcés de choisirentre leur langue et leur religion; des juifs de langue française sevoient forcés d'étudier sous une étiquette religieuse qui n'est pas laleur. Et comme le groupe protestant anglo-saxon est apparemmentplus accueillant que le nôtre catholique, les juifs de langue fran-çaise sont envoyés à l'école protestante anglaise, double atteinte àleur liberté! Les agnostiques sont forcés d'envoyer leurs enfantsdans une école où on leur enseigne une religion à laquelle ils necroient pas. Cette religion n'est pas seulement exposée, elle estmatière d'examen. L'importance qu'on y accorde est forcément denature à mettre l'enfant en conflit avec les croyances de sa famille.Dans la pratique, c'est une situation malsaine et intolérable. Sur leplan théorique, c'est un manquement grave au respect des droitsde l'homme et des libertés civiques.

Mais les catholiques eux-mêmes peuvent souhaiter voir leursenfants élevés dans une école non confessionnelle. Nombre decatholiques croient que leur expérience religieuse elle-même peut

Page 366: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Jacques Mackay • 367

bénéficier du dialogue avec des individus de croyances différentes.Des catholiques de ce genre existent, c'est un fait. Certains d'entreeux s'opposent même assez fermement à l'atmosphère que créel'éducation en serre chaude qui mène souvent au mépris et à lacrainte des autres groupes et encourage l'instinct de ségrégation.D'autres catholiques se plaignent de la qualité de l'enseignementreligieux dans nos écoles et, désespérant de la possibilité d'uneréforme prochaine, préfèrent l'école neutre à ce qu'ils considèrentcomme un endoctrinement malsain. Certains catholiques convain-cus, qui ont fréquenté en Europe une école neutre, parlent avecsympathie d'un système qui leur a valu une largeur de vue plushumaniste et un catholicisme plus fervent et plus librement choisi.

Nature de l'école neutre

II est donc naïf ou malhonnête d'identifier école neutre à écoleantireligieuse. Une école neutre est une école où des enfants detoutes croyances peuvent se côtoyer, où l'enseignement se fait sur unplan humain, moral, didactique et scientifique sans référence à uneconfessionnalité quelconque. Les religions n'y sont pas mépriséesou attaquées ; les enfants apprennent à la maison les croyances deleurs parents. L'école neutre, telle que définie par le Mouvementlaïque, prévoit, pour ceux qui le désirent, des périodes réservées àdes cours de religion qui ne seraient pas inscrits au programmeacadémique. À l'école neutre, les enfants de différentes croyancesse côtoient dans l'égalité et apprennent aussi bien à respecter lesautres qu'à chérir les valeurs acquises dans la famille.

Un catholique peut juger selon sa conscience quel système ilpréfère. Il est possible que la majorité des catholiques du Québecne désirent pas ce genre d'écoles pour leurs enfants. Dans ce con-texte les écoles confessionnelles doivent donc être de plein droitmaintenues. Mais des éléments minoritaires, encore que non négli-geables, dans notre milieu, réclament pour leurs enfants la fré-quentation d'écoles neutres. La Déclaration des droits de l'hommereconnaît aux parents le droit de donner à leurs enfants le genred'éducation qu'ils désirent. Elle souligne ainsi le devoir impérieuxqu'a notre société de respecter les droits des non-catholiques delangue française. C'est la thèse du Mouvement laïque. Encore unefois, il va de soi que c'est précisément cette même thèse qui recon-naît aux parents catholiques le droit absolu aux écoles confession-

Page 367: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

368 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

nelles. Pourquoi un système exclurait-il l'autre ! Il s'agit de modi-fications par addition et non pas par suppression.

Le réflexe de peur que suscite chez nous le seul mot d'écoleneutre, alors même que chacun demeure libre de ne pas y envoyerses enfants, est quand même profondément révélateur. Tout ce quin'est pas confessionnel est perçu comme anticonfessionnel. Ce quiest tout bonnement neutre est perçu comme hostile. On n'ose faireconfiance qu'à ce qui est étroitement lié à sa religion propre. Toutle reste est dangereux. Dans cette optique étroite, le non-croyantapparaît comme acharné à enlever aux croyants leur croyance etcelui qui préfère l'école neutre pour ses enfants est considéré sanshésitation comme quelqu'un qui veut faire disparaître la religionde la surface du globe. Soyons réalistes. Toutes les sociétés moder-nes évoluées sont pluralistes: elles comptent des croyants de dif-férentes dénominations et des incroyants. Pourquoi veut-onabsolument qu'ils s'égorgent ou se méfient les uns des autres ?

Rôle de l'État

Nous croyons qu'il est possible au pluralisme de respirer à l'aisechez nous sans que le libre exercice des croyances d'aucun groupesoit molesté. L'État est l'arbitre démocratiquement constitué deslibertés civiles de tous les membres du groupe. Il est le bastion dela démocratie, le seul instrument qui puisse freiner efficacement lestendances sectaristes des différents groupes humains. L'État seulaux États-Unis, par exemple, peut lutter efficacement contre laségrégation raciale. Cette fonction de l'État démocratique est ra-rement comprise dans la province de Québec.

Comment notre État du Québec peut-il jouer ce rôle équitable-ment en présence des exigences de la majorité catholique et desbesoins des minorités décrites plus haut?

La liberté civile des individus dans une société démocratiqueexige que les parents aient droit de regard sur l'éducation de leursenfants. Il n'est pas douteux cependant que le parent moyen doits'en remettre à d'autres pour juger en toute compétence de ce quiconvient à l'enfant. Les parents ne songent pas à établir des pro-grammes scolaires. Ils s'en remettent aux spécialistes de la ques-tion. Il faut donc une autorité supérieure pour fixer des normesminima. Beaucoup de parents, par exemple, négligent de reconnaî-tre l'importance de la scolarité et personne ne se scandalise plus de

Page 368: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Jacques Mackay • 369

ce que l'État impose la fréquentation scolaire jusqu'à 14 ou 16ans. Au contraire on reconnaît ici d'emblée le devoir qu'a l'Étatdémocratique d'imposer un bien supérieur.

Il est souhaitable que l'État contribue à l'efficacité des structu-res et veille à la compétence des responsables de l'enseignement.Ce principe est facilement acceptable et c'est surtout sur des modesd'application que les opinions se partagent. Les uns veulent limiterce rôle au point de le rendre inopérant, les autres veulent faireconfiance à l'État au point de tout remettre entre ses mains. Ontrouve toutes les variantes entre ces pôles extrêmes. Chez nous onpeut dire que le rôle de l'État est extrêmement limité. Non seule-ment il n'impose pas de normes, non seulement il joue un rôleminimum dans le choix des compétences administratives, mais ils'abstient de jouer son rôle dans la répartition des argents. C'estainsi qu'on peut avoir des Commissions scolaires riches et desCommissions scolaires pauvres. Cela n'est ni pratique, ni juste, nidémocratique. Au niveau de la taxation, le contribuable porte unfardeau différent selon sa confession. Il est intéressant aussi desavoir que celui qui refuse de se donner comme catholique ouprotestant paie une taxe plus élevée que dans l'un ou l'autre cas.Ici encore l'accroc à la démocratie crève les yeux.

Solution démocratique

Quels remèdes peut-on apporter à ces différents problèmes sansmenacer en rien même les plus prudents et les plus craintifs descitoyens pour qui l'État demeure mystérieusement suspect?

Le Mouvement laïque tient à réclamer l'abolition de deux injus-tices flagrantes. Rien de plus. La première est de taille et cause unpréjudice tellement sérieux à tout un secteur de la population quela solution réclamée ne saurait souffrir de retard. Il s'agit desminorités décrites plus haut qui sont frustrées dans leur droit à uneécole neutre. La seconde, qui fait porter un fardeau de taxe inégalaux contribuables selon leurs croyances, pourrait sans doute êtrecorrigée assez élégamment sans porter la moindre atteinte auxstructures confessionnelles actuelles.

Le Mouvement laïque tient à se dissocier de toute solution quiignorerait le contexte sociologique existant. Il n'est pas douteuxque l'existence d'un Comité catholique et d'un Comité protestantcorrespond à une réalité profondément enracinée chez nous. Feindre

Page 369: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

3/o • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

d'ignorer le désir de la majorité serait antidémocratique et abso-lument contraire aux principes du Mouvement. Nous réclamonsdonc la formation d'un troisième secteur entièrement neutre quirépondrait aux besoins des minorités décrites plus haut. Cettesolution n'affecte en rien le système actuel et ne saurait léser per-sonne. Aux yeux du Mouvement laïque, il n'a jamais d'ailleurs étéquestion de plus que cela.

Solution inacceptable

Avant d'explorer davantage les modalités d'organisation de cesecteur neutre il serait bon d'examiner la solution de rechange quia été suggérée récemment. On ferait passer gentiment toutes cesminorités sous le contrôle du Protestant School Board. Or lesprotestants de langue française relèvent déjà de cet organisme etnous avons souligné plus haut le sort qui leur est fait. Nombred'entre eux ont eu à choisir en pratique pour leurs enfants entrela langue et la religion. Mais il y a beaucoup plus. Le cas des juifset des agnostiques ne s'en trouverait pas réglé. Il est en effet hy-pocrite et contraire aux faits d'assimiler «protestant» et «neu-tre». En plus de faire injure à la religion protestante, c'est nierl'existence du groupe agnostique qui a fort conscience d'exister. Cedésir de confondre sous l'étiquette «protestante» non seulementles protestants, mais les agnostiques, les juifs et autres non-catho-liques suppose un singulier mépris. « Nous, nous sommes les bons »,semble-t-on dire, « et tous les autres ce sont les méchants protes-tants». En quoi un juif est-il plus protestant que catholique?

C'est une illusion ou un mensonge familier chez nous que d'af-firmer cet incroyable non-sens : que les protestants sont des neu-tres.

Il est donc, en fait aussi bien qu'en droit, inacceptable qu'unélève ait à souffrir un préjudice à cause des croyances ou de l'in-croyance religieuse de sa famille. Or, comme il n'est guère conce-vable d'établir un petit secteur juif, un petit secteur protestant, etun petit secteur neutre de langue française, la solution qui s'im-pose est celle d'un secteur non confessionnel qui accueille tous lesélèves indépendamment de leurs croyances et sans leur imposerl'étiquette d'une confession qui n'est pas la leur.

Le secteur neutre sera donc neutre et portera ce nom.

[...]

Page 370: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Jacques Mackay • 371

II reste à élaborer un programme qui permette la réalisationconcrète de ce projet sans chambarder inutilement le régime exis-tant. Un Comité neutre de l'Instruction publique, parallèle auxComités catholique et protestant serait donc créé par le gouverne-ment provincial. Sa composition pourrait évidemment se prêter àdifférentes formules. Une enquête sociologique, d'abord dans larégion métropolitaine, puis à Québec, puis dans les autres centrespermettrait de répartir un certain nombre d'écoles selon les be-soins géographiques.

La solution suggérée par le Mouvement laïque de langue fran-çaise est saine et juste. Elle respecte les droits civils de tous. Ellene lèse personne. Elle ne déroge à aucun principe d'ordre démo-cratique, humain ou religieux. C'est une solution d'ordre, de res-pect et de liberté.

Source: L'école laïque, Montréal, Éditions du Jour, 1961, p. 24-32..

Page 371: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

45 Pierre Angers s.j.Les tâches de l'enseignementdans le monde de demain1961

Au moment où la commission Parent entreprend ses travaux, le jésuite PierreAngers prononce au collège Sainte-Marie de Montréal une conférence remar-quée ayant pour titre et thème «L'enseignement et la société d'aujourd'hui».Professeur de littérature d'abord, le père Angers poursuit une réflexion métho-dique sur l'enseignement dans la société contemporaine, réflexion qui se nour-rit des recherches sur ce thème dans les principaux pays occidentaux. La réflexiod'Angers le conduira à la publication en 1963 d'un ouvrage important (Ré-flexions sur l'enseignement, Montréal, Bellarmin). Comme le reste du monde,le Québec, note Angers, est entré dans une civilisation dominée par la scienceet la technique. L'économie se déplace vers le secteur tertiaire et le travail tendà s'intellectualiser. Il faut donc accroître et allonger la scolarisation de la popu-lation bien au-delà de ce qui a pu être nécessaire aux générations précédentes.Le progrès économique des sociétés dépendra de plus en plus de la compé-tence et de la qualification des personnes et de la formation de la main-d'œuvre.Dans cette perspective, les dépenses en éducation constituent en réalité uninvestissement, le plus important et décisif qu'une société puisse consentir àson avenir et à son bien-être à long terme. La conférence que prononce Angersen 1961 annonce ces thèmes qui préoccupent aussi beaucoup la commissionParent; elle exhorte le milieu québécois à penser l'éducation en termes d'aveniret d'investissement ; elle suggère de moderniser la tradition pédagogique et deviser la formation de l'intelligence et de la personnalité, en étant conscient desexigences que pose une nouvelle civilisation scientifique.

L'enseignement, et notamment l'enseignement supérieur, estaujourd'hui le lieu privilégié où se joue le destin d'une nation.L'avenir en dépend si entièrement, les tâches à y accomplir sontsi vastes et si urgentes qu'une nation ne peut renoncer à aucunede ses ressources en ce domaine. Toutes les énergies doiventêtre mobilisées : les hommes, les établissements d'enseignement, lesfinances publiques et privées.

Page 372: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Pierre Angers • 373

Mais en vue de donner son rendement, l'enseignement doit seconsacrer au service du monde contemporain et s'adapter au rythmeaccéléré des transformations. Dans tous les pays du monde, quelsque soient leur état économique et social et leur niveau de scola-risation, se pose le même problème aux éducateurs : adapter l'en-seignement au monde d'aujourd'hui et de demain, et, pour cefaire, rechercher des formules nouvelles. À cet égard, le Canadafrançais n'est pas dans une situation exceptionnelle : il doit releverle même défi que les nations de vieille culture.

Tradition et avenir

Suivre le courant de l'histoire: c'est à l'heure présente la tâcheprincipale de l'éducation. Dans ce but, elle doit se faire une idéeclaire des fins qu'elle poursuit à chaque niveau de l'enseignementet déterminer les moyens les mieux adaptés à ces fins. Cette atti-tude est raisonnable : mais elle n'est pas toujours adoptée, et dansle désarroi qui résulte des transformations du monde actuel, elleest devenue encore plus rare qu'on ne le voudrait. Les passionsinterviennent trop souvent en des débats où la lucidité sereine estindispensable pour voir loin et large; des questions secondairessont reportées au premier plan, au détriment des problèmes véri-tables ; des décisions sont inspirées parfois par le souci exclusif desconséquences immédiates et sans prévision à long terme.

Chez les éducateurs, un facteur nuit considérablement à la pré-vision sereine de l'avenir : c'est l'attachement compréhensible, maistrop exclusif, à la tradition. Il paralyse la liberté intérieure indis-pensable à l'examen objectif des faits. Cette mentalité dicte desattitudes sentimentales à l'égard des questions, attitudes qu'ondécore souvent du titre de rationnelles, mais qui sont démentiespar l'expérience sérieusement conduite et contrôlée. Je le com-prends, l'enseignement est traditionnel par nature. Il l'est dans leschamps du savoir qu'il a privilégiés. Il l'est dans la sagesse quil'inspire, puisée dans l'expérience des anciens. Il l'est aussi dans ledomaine des usages, des coutumes et dans l'ensemble des disposi-tions appliquées depuis des siècles dans nos écoles. La tradition estsans doute une force, mais elle peut facilement se dégrader en unemécanique stérile. La tradition n'est une valeur que si elle estréinventée par l'esprit des hommes qui en vivent, mais alors dansune période de transformations culturelles comme la nôtre, elle a

Page 373: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

374 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

un rôle précis à remplir : susciter la vie et stimuler l'esprit dans sarecherche et son effort d'invention en vue de créer l'avenir.

L'éducation est un domaine où la vision de l'avenir — unevision large et lointaine — est indispensable. L'action du maître etde l'école est à longue portée. Le but de l'enseignement est la viede l'adulte après les études, bien au-delà des concours scolaires.Tous les efforts de l'enseignement doivent se concentrer sur l'ave-nir, et j'ajouterais: dans notre monde en accélération, sur un ave-nir lointain, disons de 2.5 à 35 ans. Cette prévision est normale:dans les universités et les collèges américains, elle est une pratiquecourante. Elle est encore à ses débuts chez les éducateurs cana-diens-français qui pratiquent parfois plus volontiers la vertu d'im-prévoyance. La prévision à court, moyen et long terme n'est pasune chose répandue. Elle suppose acquise profondément une atti-tude essentielle à qui veut agir sur notre monde — la confiance enl'avenir et la conviction que l'homme peut orienter le cours deschoses par une action efficace. Nombreux encore sont ceux quientrent dans l'avenir à reculons. Parce qu'en apparence, demainprolonge aujourd'hui, nous sommes portés à croire, nous nourris-sons l'espoir qu'il lui ressemblera. L'étude méthodique du futur estune étude à peine commencée. Mais les premiers résultats qu'ellefournit sont révélateurs. Le changement, comme tel, inscrit dans latrame des événements et des situations et dans le fil des courantsd'opinion, commence à retenir l'attention. On se demande ce quesera le visage du monde de demain. Ces études préliminaires illus-trent toutes le mot de Valéry: «Nous ne pouvons pas, nous nepouvons plus déduire du passé quelques lueurs, quelques imagesassez probables du futur. » L'avenir ne sera pas un présent qui seprolonge. Il sera profondément différent. Les tendances à l'œuvresont trop profondes et le monde actuel est trop mobile pour queles cadres actuels et la mentalité traditionnelle se prolongent.

Parce que l'avenir se décide aujourd'hui, le monde des éduca-teurs a la responsabilité de s'appliquer dès maintenant à la con-naissance du futur dans lequel les étudiants exerceront leur vied'adulte. [...]

Cette question précise notre tâche. Elle implique une décision àprendre. Elle nous enjoint de quitter les catégories fallacieuses dunouveau et de l'ancien, du traditionnel et du moderne pour qua-lifier abusivement les valeurs de notre culture. Parmi les élémentstraditionnels de la culture, il y a des déchets et des valeurs perma-

Page 374: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Pierre Angers • 375

nentes ; parmi les éléments modernes, il y a aussi du permanent etdu provisoire. Il faut rejeter ce dilemme illusoire, qui pose entermes faux l'option à prendre et se représenter l'homme de notretemps dans le milieu probable où il vivra. Cette idée doit d'abordêtre établie.

Les tâches d'adaptation demandées à l'enseignement peuventêtre considérées sur plusieurs plans. Je me bornerai à signalerd'abord quelques aspects de deux problèmes, en relation avec l'évo-lution du monde contemporain : la formation de l'intelligence et laformation de la personnalité. Puis j'envisagerai l'influence qu'exercésur l'enseignement supérieur l'élargissement du secteur tertiaire del'économie.

Formation de l'intelligence

Considérons, en premier lieu, la formation intellectuelle. Ce pro-blème est à la racine de tous les autres problèmes de l'éducationdans notre province. [...]

Les jeunes élèves ne croient pas à la formation intellectuelle,parce que leurs maîtres n'y croient pas assez. Le médiocre idéal desaînés se transmet à la jeune génération. Les uns et les autres ap-précient l'éducation, non pas parce qu'elle achemine à la connais-sance et au respect de la vérité reconnue et aimée pour elle-même,mais parce qu'elle offre des débouchés et procure dans la sociétéun statut de prestige. Les qualités humaines que trop souvent leséducateurs prisent de façon exclusive sont précisément les dispo-sitions natives qui ne proviennent pas de l'école: le jugement,l'intelligence innée, le bon sens, le caractère, toutes choses que lesujet reçoit à sa naissance ou qu'il pourrait aussi bien développersur un chantier de construction que dans les salles de cours. Unprofond scepticisme à l'égard de l'intelligence affinée, cultivée etdisciplinée par l'étude méthodique de quelques disciplines assimi-lées avec rigueur règne dans notre milieu rudimentaire et jusqu'aucœur du collège et de l'université. De là la priorité accordée ausens pratique sur la formation intellectuelle sérieuse, à la vertuvolontaire sur l'intelligence de la foi, au moralisme sur la connais-sance spirituelle. De là aussi un certain mépris de l'intelligence,assimilée de façon irréfléchie à la vanité, à la rêverie, à l'originalitéde mauvais aloi. L'enseignement à tous ses degrés doit, dans les

[...]

Page 375: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

3/6 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

années à venir, corriger cette indigence meurtrière de la personna-lité: il doit dans les cours et les méthodes, dans son orientationprofonde, remettre en valeur le rôle de l'intelligence en tant quecréatrice de culture et refondre les programmes en considérant ledéveloppement actuel des connaissances. Whitehead l'a expriméavec force : « Dans les conditions de la vie moderne, la loi est sansexception: la nation qui n'estime pas la formation intellectuellecomme la valeur humaine suprême est perdue et vouée au déclin. »Elle deviendra un pays sous-développé.

Dans l'état actuel des connaissances, certaines mesures s'impo-sent. Il est d'abord inutile, dans les degrés supérieurs de l'enseigne-ment, de chercher à transmettre aux étudiants une vue complètedes connaissances. Celles-ci s'accroissent et évoluent trop rapide-ment pour qu'on puisse les considérer comme un bagage définitifque l'étudiant pourra conserver toute sa vie. L'enseignement donnetrop souvent l'impression que la science est formée, alors qu'elleest en train de se faire. Il y a davantage : le professeur serait bieninspiré de se rappeler que ses élèves seront peut-être au nombre deceux qui feront avancer demain la science provisoire qu'il enseigneou qui corrigeront le jugement révocable qu'il émet. La jeunegénération aura une sensibilité différente de la nôtre devant lesœuvres littéraires : en philosophie, les jeunes reprendront sous unautre angle l'étude inépuisable des mêmes problèmes métaphysi-ques; grâce à l'apport sans cesse croissant des découvertes, ilsmodifieront l'exposé de l'histoire ; en physique, ils substitueront denouvelles théories aux hypothèses d'aujourd'hui.

Les connaissances que doit acquérir l'élève ou l'étudiant s'ac-croissent d'année en année, à cause du progrès ininterrompu dessciences naturelles et des sciences de l'homme. Considéré en lui-même, ce domaine est immense. Mais il faut aussi comprendre quel'état des connaissances scientifiques, considéré à une époque don-née exerce une influence profonde sur le royaume entier de lapensée, sur les arts, les humanités et la philosophie. La rapidité desdécouvertes scientifiques exerce une action qui déborde les sec-teurs scientifiques, et, en particulier, qui a atteint l'enseignement.Jadis on tenait tout acquis pour définitif; aujourd'hui, on sait qu'ilpeut être remis en question. À mesure que s'enrichit le trésor denos connaissances, se multiplient les remises en question. En vertumême de cette évolution, l'enseignement reçoit une tâche nouvelle.Il conserve sa fonction traditionnelle de transmettre et de faire

Page 376: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Pierre Angers • 377

assimiler les connaissances acquises; et il est désormais investid'une seconde fonction: préparer l'homme à rechercher et à ac-cueillir les connaissances futures.

Une seconde conséquence découle du propos qui précède: ilfaut instaurer l'éducation permanente. Puisque les connaissancesévoluent rapidement, il est indispensable que les hommes poursui-vent constamment leur formation. L'instruction, ni même la for-mation de base ne peuvent se clore avec la fin d'un cours d'études.« Achever ses études », disait-on naguère; aujourd'hui l'expressionn'a plus de sens : les études bien faites ne se terminent jamais. Hier,un médecin, un ingénieur, un professeur, un ouvrier, après avoirachevé leurs études ou leur apprentissage, connaissaient leur artou leur métier ; l'expérience le perfectionnait progressivement. Cettesécurité n'existe plus. Le progrès des sciences entraîne une éléva-tion constante du niveau des connaissances exigé des individus,mais aussi une transformation de ces mêmes connaissances. C'estpourquoi dans tous les domaines du savoir et du travail, l'adulteest appelé à fournir un effort ininterrompu de renouvellement.L'homme que réclame la civilisation contemporaine n'est pas seu-lement celui qui a un acquis, mais celui qui possède l'art de l'en-richir sans arrêt. Les experts de l'économie future calculent quel'ingénieur aura, en moyenne, trois fois dans sa vie à changer letableau de ses connaissances. Seul un rajeunissement perpétuel desconnaissances rend possible cette mobilité. Aussi y a-t-il lieu d'en-visager la mise sur pied d'une véritable éducation permanente dela nation. Tel est assurément l'un des objectifs les plus importantsde l'éducation des adultes.

Dans cette situation, l'université contemporaine reçoit aussi destâches nouvelles. Elle doit ouvrir ses salles de cours aux adultesnon seulement pour les conduire aux premiers diplômes universi-taires, mais aussi en offrant des cours postgraduate. Il importe quedes professeurs déjà pourvus de diplômes réguliers, des dirigeantsde l'entreprise, des spécialistes en divers domaines, viennent pério-diquement rafraîchir leurs connaissances et reprendre contact avecles laboratoires, les bibliothèques, les équipes de recherche où lapensée créatrice est à l'œuvre.

Dans le même ordre d'idée, une troisième conséquence est àsignaler. Elle est d'une portée très générale et son exigence vaut àtous les degrés. Je cite ici le Père Russo:

Page 377: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

3/8 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

«II y a nécessité de donner toujours le pas à la formation del'esprit sur l'acquisition des connaissances. Cette orientation del'enseignement, qui va dans le sens de la culture, est imposée parl'extension et la mobilité du savoir. On en vient à distinguerplus nettement que par le passé, d'une part les fondements etl'esprit d'une discipline et, d'autre part, les connaissances dé-taillées. Le moment venu, stade de la spécialisation ou d'uneapplication particulière, chacun saura les trouver dans un ma-nuel, un dictionnaire ou un périodique. L'enseignement de l'ave-nir, sans ignorer la spécialisation, a ses raisons impérieuses demaintenir une formation de culture générale de longue durée,dans laquelle l'aptitude à comprendre des réalités nouvelles etdes connaissances inédites importe plus que la mémoire desconnaissances anciennes. »

Formation de la personnalité

La formation de l'esprit dans un cours de culture, comme le coursdes humanités, est appelée à devenir le pivot dans la formation detoute la personnalité. Rien ne serait aussi nocif à l'unité intérieurede la personne que de concevoir séparément formation de l'intel-ligence et développement de la personnalité. Ce serait consacrerl'une des faiblesses de nos milieux d'enseignement. C'est au con-traire le développement progressif de l'esprit qui unifiera peu à peules divers aspects de la personnalité et formera les traits de l'atti-tude intérieure sur laquelle je voudrais m'étendre un instant.

Dans le monde mobile où évolue notre existence, l'élément capitalde cette attitude, c'est l'esprit d'invention. Dans un monde stable,comme celui qu'ont connu nos pères, la raison est souveraine : elledéfinit, contrôle, affermit. Mais la raison ne réussit plus à dominerdans un univers changeant, en perpétuelle production de nouveau-tés. Alors, l'homme doit constamment inventer. L'esprit doit êtredocile aux changements et imaginer du neuf, et non point seule-ment maintenir et répéter. L'esprit d'invention est devenu, à notreépoque, l'une des vertus les plus importantes. C'est la disponibilitéde l'intelligence qui refuse la captivité des cadres et des institutionséphémères, qui a conscience que rien n'est jamais atteint et quetout peut être remis en question. Elle demande une grande libertéintérieure à l'égard des institutions, des traditions, des manières devoir et de penser. Si l'homme ne conserve pas cette jeunesse intel-

Page 378: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Pierre Angers • 379

lectuelle et cette vertu de renouvellement, il deviendra la proie deses schèmes mentaux, vieilli et dépassé par l'évolution des faits, etle censeur inefficace d'un monde pour lui sans pitié. Il sera inapteà fournir un concours effectif dans l'élaboration d'un monde chan-geant.

L'une des tâches les plus importantes de l'éducation contempo-raine, c'est de développer l'esprit d'équipe et l'habitude du travailen commun. Le travail de groupe, le contact et la collaborationentre spécialistes de diverses disciplines, le rapprochement entre leshommes de la théorie et les hommes de la pratique comptentparmi les exigences les plus impérieuses de l'heure. Les problèmesscientifiques portent sur des objets trop complexes, le fait social leplus élémentaire implique trop de données pour que l'homme isolépuisse les résoudre ou même les éclairer des lumières de sa seulediscipline. Le savant d'aujourd'hui n'est plus un génie solitaire:son effort obscur s'additionne aux recherches anonymes de sespairs et la science avance sur tous les fronts à la fois par lesmultiples retouches successives de tous les ouvriers. Le savant tra-vaille en équipe et consent à renoncer à la paternité de son inven-tion en échange de l'aide personnelle et de l'outillage que mettentà sa disposition les grands laboratoires. Il est bien inutile de re-chercher l'inventeur des grandes réalisations techniques contempo-raines, par exemple celle des luniks russes: elles sont toujours lerésultat d'un travail en commun. Ce qui est vrai des domainestechniques, l'est aussi de tous les autres. Les publications collecti-ves se multiplient. Les aptitudes les plus brillantes, les énergies lesplus vives sont paralysées lorsque l'individu ne parvient pas àinsérer son effort dans une action d'ensemble. C'est pourquoi il estessentiel que l'éducation se préoccupe de ce trait du monde con-temporain où l'individualisme cède le pas à l'action de l'équipe.Les hommes doivent apprendre à réfléchir ensemble, à échanger età dialoguer, à confronter tous les points de vue, à faire tomber lesséparations et les oppositions stériles et malfaisantes, et à décou-vrir peu à peu que les diverses disciplines sont appelées à s'intégrer,que théorie et pratique, science et action se complètent et se fécon-dent.

Enfin, il faut du courage. L'esprit d'invention demande autantde force d'âme que d'imagination. Il n'est jamais facile d'entre-prendre: c'est une tâche plus ardue que de maintenir. L'initiativeexige de la hardiesse dans la pensée et l'exécution ; elle encourt des

Page 379: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

380 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

risques et soulève la méfiance et la critique. L'obligation de choisir,que l'initiative impose, peut être un fardeau si lourd que les par-tisans les plus exaltés de la liberté s'esquivent adroitement quandvient l'heure de poser un geste. On peut observer que les institu-tions stagnantes ne sont pas toujours celles à qui font défaut lesressources et les hommes: ce sont parfois celles à qui manquel'esprit d'entreprise.

L'accroissement du tertiaire et l'enseignement

II reste à considérer la dernière question : les conséquences produi-tes sur l'enseignement supérieur par l'élargissement du secteurtertiaire de l'économie. Le puissant mouvement de transforma-tions économiques qui se déploie sous nos yeux au Canada fran-çais depuis cinquante ans exerce une influence considérable sur lesdestinées de l'éducation. D'une part, le progrès technique crée despoints sensibles où l'emploi tend vers une augmentation rapide etininterrompue ; d'autre part, le retard à répondre à la demande del'emploi retarde le progrès dans la nation.

Dans notre société canadienne, la demande ne cesse de s'accroî-tre dans le secteur tertiaire et il importe d'y répondre par unepolitique lucide et ouverte dans l'enseignement supérieur. L'enjeumis en cause ici n'est rien d'autre que le progrès national, au planéconomique et culturel. Or beaucoup de difficultés qui se présen-tent à l'heure actuelle dans notre province proviennent de la pénu-rie de personnel qualifié dans le secteur tertiaire: pénurie deséconomistes, des sociologues, des géographes, des historiens, desingénieurs, de tous les travailleurs scientifiques. Pénurie des pro-fesseurs à tous les niveaux de l'enseignement, très grave par lesretards qu'elle entraîne dans la préparation, qu'il faudrait accélé-rer, du personnel qualifié dans les domaines que je viens d'énumé-rer. Notre société canadienne-française aurait besoin, en particulier,de très gros services d'études pour concevoir et orienter son avenir.Ce personnel, elle est loin de le posséder en nombre suffisant : lesinstitutions d'enseignement supérieur ont la responsabilité de lepréparer.

En même temps que la croissance rapide du tertiaire, et encorrespondance étroite avec elle, se produit depuis dix ans unemontée en flèche des effectifs d'étudiants dans l'enseignementsupérieur. Voici encore un mouvement de structure dans notre

Page 380: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Pierre Angers • 381

société industrielle. On a publié à plus d'une reprise les chiffresconsidérables de cette poussée, qui inquiète, par son ordre de gran-deur, les responsables de l'enseignement universitaire, aux États-Unis, en France, au Canada. En 1975, les inscriptions àl'enseignement universitaire de la province de Québec auront plusque doublé le chiffre de 1960. À l'automne de 1960, elles attei-gnaient le record de 34 ooo étudiants; dans quinze ans, elles sechiffreront entre 80 ooo et no ooo.

Cette poussée spectaculaire, sans exemple dans l'histoire de l'hu-manité, n'est pas le résultat du seul facteur démographique. D'autresfacteurs sont à l'œuvre, dont l'un, très important dans la situationactuelle, est l'impératif économique. Dans une société où les pro-fessions et les métiers font appel toujours davantage aux aptitudesde l'intelligence disciplinée, l'attrait vers l'enseignement supérieurs'exerce sur la génération montante. Sans doute, le motif d'ascen-sion sociale pèse fortement, dans bien des cas, chez les familles àl'aise qui associent le prestige et l'éducation; mais une tendanceprofonde, qui est la recherche du savoir, y joue aussi un rôleimportant dans une société où la sécurité des subsistances est as-surée. L'ensemble du mouvement est d'ailleurs en relation étroiteavec l'intellectualisation progressive de l'activité humaine et laprédominance du tertiaire dans notre société. Nous touchons làl'un des courants dominants de notre vie nationale. C'est la raisonpour laquelle l'enseignement supérieur a à remplir une fonctioncapitale dans notre province. Il est la pierre angulaire de notreavenir.

La promotion de notre corps enseignant

C'est pourquoi aucun moyen, aucune ressource ne doivent êtrenégligés pour favoriser la promotion de l'enseignement supérieur.Deux points très importants méritent une attention particulière.

Le premier concerne la formation d'un corps enseignant plusnombreux et plus compétent à tous les paliers de l'enseignement.On a beaucoup insisté sur ce sujet depuis quelques mois, et c'està juste titre. La province de Québec n'a pas suffisamment préparéses professeurs jusqu'à ces dernières années et aujourd'hui sonpersonnel enseignant souffre d'un retard grave, qu'il est difficile derattraper. Les professeurs doivent être munis de diplômes académi-ques dans les matières qu'ils enseignent. Le baccalauréat en péda-

Page 381: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

382 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

gogie ne qualifie pas à lui seul un professeur au niveau secondaire ;des diplômes académiques doivent le compléter et le degré mini-mum devrait être le baccalauréat spécialisé ou la maîtrise. Dans lesclasses supérieures des collèges, il convient que le professeur aitobtenu le doctorat.

Au problème des qualifications s'ajoute celui des effectifs. Àl'heure actuelle, le personnel enseignant est déjà trop réduit pourfaire face au nombre des étudiants. Avec la montée en flèche desinscriptions à laquelle nous assistons présentement, le personnelenseignant sera débordé dans deux ou trois ans. Le dilemme où setrouvent placées les institutions est le suivant: soit de gonfler lessalles de cours, soit de refuser les inscriptions. Les deux solutionssont préjudiciables aux intérêts des étudiants et au bien communde la nation.

Une politique hardie est indispensable pour redresser la situa-tion. Le gouvernement de la province a pris l'excellente initiatived'offrir des bourses aux candidats qui se destinent à l'enseigne-ment. On ne saurait trop approuver cette mesure. Il importe tou-tefois de pousser plus loin cette politique et de doubler le salairedes professeurs. Sans doute, l'enseignement, plus que toute autreprofession, est une vocation et elle demande du désintéressement.Encore faut-il que chacun ait le moyen de vivre honnêtement sa vieet de remplir sa tâche sans avoir de graves soucis financiers. L'éta-blissement d'une échelle plus élevée de traitements est une manièred'attirer à l'enseignement un plus grand nombre de candidats et desujets de qualité supérieure.

Il conviendrait, en outre, de maintenir une proportion élevée deprofesseurs par rapport aux étudiants: aux niveaux primaire etsecondaire, quinze ou vingt élèves par professeur est un maximumà ne pas dépasser; au niveau supérieur, une dizaine au plus. Lesparents et les professeurs savent à quel point ces chiffres sontmodérés si l'on veut maintenir et souvent intensifier les relationsdes étudiants et des maîtres.

Le budget de l'éducation est un investissement

J'en arrive au second point mentionné plus haut. Une part beau-coup plus large du revenu provincial doit être attribuée à l'ensei-gnement supérieur. Le maintien des collèges et des universités estcoûteux et il ne faut pas lésiner sur les subsides, parce qu'on

Page 382: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Pierre Angers • 383

atteint alors les forces vives de l'enseignement, en abaissant laqualité de son rendement. La mesquinerie en cette matière n'estjamais de l'épargne pour un pays. Je sais que, d'année en annéedepuis 1945, l'État provincial a augmenté son budget de l'éduca-tion et qu'un pas considérable a été franchi depuis deux ans. Il fauttout de même se rendre compte qu'en dépit de cette augmentationsubstantielle qui a transformé la situation, les besoins l'emportentde loin encore sur les budgets actuels. À qui expose des vues de cegenre, on réplique souvent que la province a un budget limité etqu'il faut être réaliste. Il est évident que le trésor de l'État provin-cial et que le revenu de la population québécoise ne sont pasinépuisables. Je me demande toutefois si le réalisme dont on faitsi grand état n'est pas plutôt un empirisme à courte vue. Ce prag-matisme quotidien mesure-t-il bien la portée d'un budget sur l'édu-cation ? Certaines lettres parues dans la tribune libre de la pressemontréalaise permettent d'en douter. [...]

Un pays est pauvre, au plan économique et intellectuel, lorsqueson outillage technique est arriéré, lorsque son équipement intel-lectuel est insuffisant et qu'il souffre d'une pénurie de travailleurscompétents dans plusieurs ou dans tous les secteurs du tertiaire. Lemoyen d'augmenter les réserves financières de la province de Québecet son capital économique ne consiste sûrement pas à réduire lebudget de l'éducation. La province jouirait d'un revenu beaucoupplus élevé si sa population contenait une proportion plus élevée detertiaires. La richesse d'un pays dépend en premier lieu de soncapital humain; précisément à cause de cela, on doit traiter leproblème de l'enseignement supérieur en termes d'investissement.La pauvreté d'un pays provient toujours en premier lieu de l'insuf-fisance des hommes et non pas du manque de fonds. Or c'estl'éducation et, dans notre civilisation industrielle, l'enseignementsupérieur qui permettra de combler nos insuffisances au point devue économique.

Source : L'enseignement dans la société d'aujourd'hui, Montréal, Éditions Sainte-Marie, 1961, p. 2,5-44.

Page 383: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

46 André LaurendeauL'importance critique de la formationdu personnel enseignant22 novembre 1961

Sachant que mille et une tâches sollicitent l'attention du ministre responsablede l'éducation pendant les fiévreuses années de réforme de la Révolution tran-quille, André Laurendeau appuie les efforts ministériels d'amélioration de laformation du personnel enseignant. Pour Laurendeau, «tant vaut le maître, tanl'élève aura de chances de valoir». Il s'impose donc d'apporter le plus grandsoin à la formation du personnel enseignant: c'est «vitalement important»pour le succès futur de tout le système d'éducation.

M. Gérin-Lajoie va lancer l'opération enseignement. «S'il étaitimpossible, déclare le ministre de l'Éducation, de songer à uneréforme de l'enseignement avant que ses structures de base et sonorganisation matérielle soient assurées, d'autant plus que cettequestion doit faire l'objet d'un rapport maintenant imminent de lacommission Parent, il n'en reste pas moins que cette réforme estune des plus importantes de celles que le ministre doit faire. » Laphrase est longue, mais l'idée est juste. M. Gérin-Lajoie précise,d'après les journaux, que l'opération enseignement se fera dansdeux domaines: celui de la formation des maîtres, celui de larénovation des programmes et de leur contenu.

Nous pouvons enfin aborder les vrais problèmes de l'enseigne-ment.

L'important, dans ce domaine, c'est ce qui se passe en classeentre le maître et l'élève. Tout le reste, qui est nécessaire, aboutità cela, ne se justifie que par et pour cela.

Or, ce qui se passe en classe, dans une époque et un milieudonnés, tient essentiellement au programme établi et aux moyensde le réaliser (comme par exemple des manuels), et plus essentiel-lement encore à la personne du maître.

Page 384: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

André Laurendeau • 385

Tant vaut le maître, tant l'élève aura de chances de valoir. C'estla règle fondamentale dont un système ne sortira jamais. C'estpourquoi la profession d'enseignant doit acquérir un grand pres-tige social. C'est aussi pourquoi la société doit se montrer fortexigeante vis-à-vis de ses professeurs, à tous les niveaux.

Les organismes qui agissent au nom de la société sont doncdevant une double responsabilité: celle de la sélection et celle dela formation des maîtres.

D'où tirent-ils leur formation ? Du milieu et de l'école elle-même ;et plus particulièrement de l'École normale. Toute réforme d'unsystème scolaire commence de façon immédiate, donc à l'Écolenormale.

Divers incidents ont souligné, ces dernières années, les faiblesseset les carences de celle-ci. Par exemple, de futurs instituteurs por-taient publiquement, il n'y a pas longtemps, un jugement sévèresur la formation qu'ils venaient de recevoir, et qu'ils regardaientcomme indigne de la fonction qu'ils s'apprêtaient à remplir. Onnous a dit pourtant, à l'époque, que l'école ainsi attaquée était loind'être la plus médiocre, et que la majorité des institutions québé-coises devaient accepter de subir des réformes radicales.

Ici encore la valeur des hommes et des femmes est le facteur leplus déterminant. Que vaudront les maîtres des futurs maîtres denos enfants ? Leur sera-t-il permis de jouer leur rôle ? Est-ce qu'onva réussir à grouper dans le personnel actuel assez de compétenceset assez de ferveurs ?

C'est dans dix, peut-être vingt ans seulement qu'on pourra vérifierla valeur — valeur à la fois pratique et humaine de l'enseignementfourni aujourd'hui dans les écoles normales de la province, et ceà tous les niveaux. C'est alors qu'on saura si nous avons remplinotre tâche.

Ce problème est d'autant plus urgent que le nombre des enfantsqui fréquentent les écoles primaires et secondaires, pour ne pointparler des universités, va croître prodigieusement. Cela, on le saitdéjà de façon précise. La société canadienne-française doit doncamorcer un effort prodigieux pour obtenir que la qualité de l'en-seignement progresse tandis que le nombre des écoliers et descollégiens va doubler et tripler en peu d'années. C'est une gageure,c'est un défi à la fois exaltant et terrible.

Il est demandé à la nouvelle génération, sur qui repose le plusclair de cet effort, une foi et une énergie qu'aucune générationpassée n'a encore dû exiger d'elle-même.

Page 385: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

386 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Le ministère de l'Éducation était la condition de cet effort. Maisil sait lui-même à quel point il a besoin de toutes les collaborationsdu milieu. Les « opérations » qu'il déclenche sont un moyen publi-citaire de faire parvenir aux éducateurs et à la société entière lesentiment d'une urgence et la nécessité vitale d'une solidarité col-lective. M. Gérin-Lajoie le dit avec une humilité et une constancequi rassurent. On le sait et on le sent entouré d'une équipe com-pétente, parfois un peu raide (parce qu'elle est impatiente), maisvraiment consacrée à l'œuvre immense qu'elle peut amorcer, etcapable de respecter les valeurs authentiques qui existent déjà. Onapprend avec joie qu'elle reçoit presque partout l'accueil qu'ellemérite et que méritent plus encore les objectifs qu'elle propose.

Il m'est impossible de suivre d'aussi près que je l'aurais désiréle déroulement de cette expérience. Elle reste à mes yeux la plusvitalement importante de toutes celles qu'a entreprises la sociétécanadienne-française. Ce superlatif n'entend en rien dévaloriser lesautres activités auxquelles le Québec se livre; mais on reconnaîtaussi que le succès de toutes, d'une façon ou d'une autre, tiendraà la qualité de l'enseignement qui sera mis sur pied durant laprochaine décennie, — donc à la valeur humaine, à la compétenceprofessionnelle et à l'élan des maîtres que nous aurons su nousdonner.

Source: «D'abord l'école normale», André Laurendeau, artisan des passages,Montréal, HMH, 1988, p. 111-113.

Page 386: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

47 Claude RyanRôles respectifs de l'Étatet des institutions privées dans l'avenir1962

En 1962, l'Institut canadien des affaires publiques consacre sa conférence an-nuelle à la question du rôle de l'État. L'activité réformiste du gouvernementLesage et les temps nouveaux amenés par la Révolution tranquille confèrentune indéniable pertinence à la question. L'intervention réglementaire et admi-nistrative croissante de l'État dans des domaines où il avait traditionnellementjoué un rôle discret et effacé — par exemple la santé, l'éducation ou la sécuritésociale (le « bien-être »), où des institutions privées, issues de l'Église catholi-que et animées par ses communautés religieuses, occupaient presque tout leterrain —, ce nouvel «interventionnisme» de l'État ne manque pas de provo-quer des craintes et des résistances. Invité à la conférence de l'ICAP, ClaudeRyan (né en 1925), secrétaire national de l'Action catholique canadienne (19451962), directeur du Devoir (1964-1978), chef du Parti libéral du Québec (1978-1982) et ministre (notamment de l'Éducation) dans le gouvernement Bourassa(1985-1993), s'intéresse au partage des responsabilités entre l'État et les insti-tutions privées, notamment dans le domaine de l'éducation. Il lui apparaît clairement qu'un changement majeur est en voie de réalisation : désormais, l'Étatjouera le rôle dominant en santé et en éducation. Mais cela ne signifie pas quel'initiative des institutions privées disparaîtra complètement.

Contrairement à ce que l'on affirme en plusieurs milieux, je necrois pas que l'évolution décrite tantôt ait provoqué, dans la popu-lation, un désir généralisé de voir des institutions gouvernemen-tales supplanter purement et simplement les institutions privéesdans la dispensation concrète des services d'éducation, de bien-êtreet de santé. La grande majorité des citoyens désire cependant quenous nous acheminions vers un équilibre nouveau. Les grandeslignes de cet équilibre nouveau ne sont pas faciles à définir. Cha-cun peut tout au plus y aller de l'apport de sa réflexion et de son

Page 387: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

388 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

expérience. C'est dans cet esprit de recherche que je vous commu-nique quelques jalons de ce que me paraît devoir être l'évolutiondes années à venir:

1. — II paraît acquis que, dans les domaines du bien-être, de lasanté et de l'éducation, les seules institutions entièrement et radi-calement privées qui subsisteront au cours des années à venir se-ront, soit des institutions purement et vraiment charitables qui nepourront que subvenir à des besoins particuliers et limités, soit desinstitutions de dimension très réduite, vouées au service exclusif dela bourgeoisie et des riches. Seules les institutions de cette dernièrecatégorie pourront se passer complètement des subsides de l'Étatet compter pour peu de chose les allocations minimales versées parce dernier à tous les citoyens au titre de la justice distributive. Laclasse bourgeoise ne se satisfera jamais complètement de servicesdont elle devra bénéficier sur un pied d'égalité avec le reste de lapopulation. Elle cherchera à se donner des institutions plus perfec-tionnées, plus efficaces, plus adaptées à ses besoins. Elle devra ymettre le prix. Je ne vois pas comment l'État, après avoir soutiréà cette dernière, sous forme d'impôts, un pourcentage raisonnablede ses revenus, pourrait l'empêcher de se donner, en matière debien-être et d'éducation, des services appropriés à ses exigences. Jeme borne à souhaiter que le clergé et les instituts religieux nelaissent pas drainer dans cette direction une proportion trop im-portante de leurs ressources humaines.

2. — II paraît acquis que nous verrons l'État et les corps publicscomme les commissions scolaires entrer directement, au cours desannées à venir, dans des domaines qui avaient été surtout pris encharge jusqu'à maintenant par l'initiative privée. Ainsi, on voit unnombre grandissant de commissions scolaires dispenser un typed'enseignement qui était naguère le domaine exclusif des collègesprivés. De même dans le domaine du bien-être, l'État installe peuà peu à l'échelon régional des services d'assistance dont la gestionétait assurée jusqu'ici par des agences privées. Je crois qu'à cetégard, il faudra étudier chaque cas à son mérite et se défier desgénéralisations passionnées et sentimentales. Il faudra élaborer,pour chaque domaine, des critères tenant compte à la fois desressources de notre milieu et de la nature de chaque organisme.Cela ne pourra être que le fruit de consultations suivies et loyalesentre tous les intéressés.

Page 388: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Claude Ryan • 389

3. — II paraît certain que, du moins pour l'avenir prévisible, nouscontinuions de voir un grand nombre d'institutions privées remplirdes fonctions d'intérêt public. Ces institutions ne seront plus com-plètement privées au sens où elles l'étaient naguère. Elles ne pour-ront plus échapper complètement au regard de l'opinion. Elles nepourront plus, non plus, échapper complètement à la surveillance,au contrôle et à l'action coordonnatrice d'un État dont l'aide leursera de plus en plus nécessaire. Ces institutions ne seront pas, nonplus complètement publiques ; elles ne seront pas de simples roua-ges de l'État ; elles relèveront d'une autorité immédiate qui, tout endevant se soumettre à des règles indiquées par l'État ou des orga-nismes mandatés à cette fin par l'État, sera distincte et indépen-dante de l'État. Cela exigera, dans la structure et le fonctionnementde ces institutions, des transformations profondes dont voici quel-ques exemples:

a. On pourra tendre avec profit, par exemple, à une directionassurée en vertu de mécanismes démocratiques capables desatisfaire aux exigences normales d'un État lui-même démo-cratique. Dans plusieurs institutions où travaillent des reli-gieux, on tendrait ainsi à installer des bureaux de directionlaïques, élus par des procédés démocratiques. Les religieux,soumis à l'autorité d'une telle direction, seraient de la sortelibérés de soucis administratifs et politiques et pourraient seconsacrer avec plus de liberté à leur travail fondamental.

b. Les budgets et les états financiers devront être publics, c'est-à-dire connus du public et soumis à l'approbation de l'État.

c. Il faudra distinguer, dans les biens de ces institutions, lapartie acquise grâce à l'effort même de ces institutions et lapartie acquise grâce à des subventions directes de l'État.Cette dernière partie sera considérée comme étant du do-maine public et ne pourra être aliénée sans l'autorisation dela puissance publique. C'est d'ailleurs ce que prévoit judi-cieusement la loi des hôpitaux, votée à la dernière sessionde la législature.

4. — Le service complet et efficace du public ne pourra être assuréque moyennant une action coordonnatrice plus poussée de l'État.Cette coordination, pour ne pas verser dans la dictature et labureaucratie, devra se faire avec la coopération de tous les orga-nismes intéressés.

Page 389: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

390 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

L'État et la société civile

Une seconde distinction que nous aurons profit à ne pas perdre devue concerne l'État et la société civile. [...]

Dès qu'une fonction devient publique, elle tombe à n'en pasdouter sous l'action de l'État. Mais cela ne veut pas dire qu'elledoive être nécessairement, directement et exclusivement prise encharge par l'État. Ce dernier, étant souverain dans son ordre, peuttrès bien juger que divers types d'institutions privées mises sur piedpar l'initiative de citoyens sont aptes à remplir des fonctions d'in-térêt public ; il peut très bien leur fournir l'assistance financière ettechnique qu'il juge opportune, pourvu que les institutions privéesqui accomplissent un tel travail satisfassent aux normes d'excel-lence et d'ordre établies sous l'autorité de l'État, il n'y a pas demal, mais un profit certain, à ce qu'elles participent ainsi à l'exer-cice de certaines fonctions nécessaires à la bonne marche de lasociété.

Il est désirable que les divers organes de la société, en particulierceux qui sont issus de l'initiative libre des citoyens, prennent encharge une partie des fonctions dont l'État conserve la responsa-bilité dernière. Cela me semble particulièrement fondé dans desdomaines comme le bien-être et l'éducation, où il est le plus sou-vent difficile de séparer par un mur étanche le service offert et unecertaine conception de l'homme.

Source: Institut canadien des affaires publiques, Le rôle de l'État. Conférenceannuelle de /'/CAP, 1962, Montréal, Éditions du Jour, 1962., p. 138-142.

Page 390: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

48 [Arthur Tremblay]Une théorie de la planificationde l'éducation1962

Pendant que la commission Parent consulte le milieu et entreprend de structu-rer sa réflexion sur les changements à apporter au système d'éducation, unComité d'étude sur l'enseignement technique et professionnel, constitué en1961 sous la présidence d'Arthur Tremblay, analyse cette partie du système etdéveloppe une conception nouvelle de cet enseignement. Le Comité sur l'ensei-gnement technique et professionnel juge que son mandat lui permet d'exami-ner des questions qui peuvent déborder le seul enseignement technique. C'estainsi qu'il insère dans le deuxième tome de son rapport un chapitre intitulé « Lplanification ». Ce chapitre, où l'on croit reconnaître la plume d'Arthur Tremblaypropose une théorie complète de la planification de l'éducation, concept encorerelativement nouveau dans la société québécoise. Si, en principe, cette théoriea pour objectif de planifier plus efficacement l'enseignement technique et pro-fessionnel, on comprend que sa portée soit beaucoup plus générale et la rendeapplicable à l'ensemble du système d'éducation. Cette théorie constitue aussiune critique des pratiques antérieures; elle identifie et explique de nouveauxprincipes de gestion de l'éducation en rapport avec l'ensemble de l'action gou-vernementale et des besoins de la société globale. Une telle théorie apparaîtaussi comme la condition d'une bonne intégration du Québec à l'économie età la civilisation contemporaines. On devine également que, devenu sous-minis-tre de l'Éducation en 1964, Arthur Tremblay n'oubliera pas cette théorie à laformulation de laquelle il fut intimement associé et qu'il s'efforcera de la mettreen application.

I. QU'EST CE QUE LA PLANIFICATION?

Si l'on s'en tenait à la définition du dictionnaire du mot «plani-fier», la planification signifierait uniquement qu'à chacune desphases du processus scolaire, on procède « d'après un plan », c'est-à-dire d'après un «ensemble de dispositions qu'on arrête pourl'exécution d'un projet».

Page 391: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

392 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Dans quel sens alors la planification qu'on présente depuisquelques années comme une nouveauté se distingue-t-elle de cetteplanification qu'on a toujours effectivement pratiquée ?

Trois traits principaux nous paraissent caractériser la nouvelleplanification :

1. l'ampleur du champ auquel elle s'applique;2. la justification des critères qu'elle emploie;3. la rigueur des procédés d'information et d'analyse dont elle

se sert.

A. Le champ de la planification

À cet égard, la nouveauté des conceptions actuelles de la planifi-cation vient d'abord de la prise de conscience de l'interdépendancecroissante à la fois des divers problèmes d'ordre éducatif et desdivers secteurs ou niveaux de l'enseignement.

Elle vient aussi de la prise de conscience qu'un système scolairefait partie intégrante d'un ordre social et économique plus vasteavec lequel il se trouve en étroite dépendance et sur lequel il exerceen retour une action déterminante.

La cohérence interne du système scolaire aussi bien que le con-texte socio-économique exigent aujourd'hui une planification quitienne compte à la fois de tous les éléments composant le systèmescolaire et de l'ensemble de la réalité socio-économique.

i. À l'intérieur du système scolaire

On conçoit de plus en plus que chacune des phases du processusscolaire est intimement liée à toutes les autres.

La détermination des besoins de formation des clientèles à des-servir, à la fois dans la perspective de leur développement person-nel et du rôle qu'elles auront à jouer éventuellement dans la société,la mise au point des programmes d'études où se trouveront définisles contenus de la formation correspondant aux aptitudes de cha-cun et aux intentions du milieu à leur égard, le recrutement et laformation d'un personnel enseignant suffisamment nombreux etqualifié, l'aménagement des écoles, l'organisation des groupes sco-laires et la direction des études, toutes ces phases du processusscolaire s'enchaînent les unes les autres.

[...]

Page 392: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Arthur Tremblay • 393

Sans doute peut-on, à cause de la complexité de chacune et àcause de ses connotations particulières, les distinguer, comme nousl'avons fait, dans l'ordre d'exécution, et confier à des responsablesdistincts le soin de chacune. Mais de telles distinctions « fonction-nelles » ne mèneront qu'au chaos, si l'on ne veille pas à leur coor-dination.

Une telle coordination d'ensemble du processus scolaire, dansl'action même, exige qu'au moment de la planification, les problè-mes soient perçus dans une perspective globale et que les disposi-tions auxquelles on s'arrêtera constituent un ensemble cohérent.

De même les frontières qui surgissent inévitablement entre lesniveaux et les types d'enseignement, lorsque ceux-ci sont définis endes termes trop rigides, apparaissent de plus en plus comme large-ment artificielles, si on les considère dans la perspective du progrèscontinu des étudiants d'un stade à l'autre de leur développement,de chacune des phases de leur formation à la suivante. Bien sûr, ya-t-il un fondement réel dans l'évolution psychologique des élèvesaux distinctions qu'on établit entre le niveau primaire et le niveausecondaire de la formation des étudiants. Il existe aussi une diffé-rence d'intention assez marquée entre la formation générale et laformation professionnelle pour qu'on puisse partager ces deuxphases de la formation complète de tous les jeunes en deux typesd'enseignement. Mais il ne faut pas perdre de vue que les étudiantsdevront être en mesure de se déplacer et de se mouvoir, à traversces structures, au rythme de leur croissance psychologique et selonles voies qui conviennent à leurs aptitudes ; le passage d'un niveauà l'autre et d'une phase à l'autre de leur formation intégrale de-vrait s'effectuer normalement, sans que s'interpose artificiellementla barrière des structures académiques, si justifiées et si commodesque soient les distinctions établies.

Enfin nous devenons de plus en plus conscients que les régimesadministratifs élaborés au cours de l'histoire, le partage des rôlesentre les institutions privées et les institutions publiques, la répar-tition des tâches, parmi les institutions publiques, entre les écolesd'État, elles-mêmes confiées à plusieurs ministères, et les écolessous contrôle des commissions scolaires, nous devenons de plus enplus conscients qu'un tel morcellement de l'administration scolairene doit pas faire obstacle à l'intégration de tous ces éléments dansun ensemble cohérent. Complémentaires les unes des autres, toutesles institutions d'enseignement doivent être solidaires entre elles

Page 393: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

394 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

dans l'accomplissement de leur rôle, et corriger au nom de cettesolidarité, les rivalités qui naissent spontanément de la diversitédes allégeances et des régimes administratifs.

Que ce soit donc dans la perspective des phases du processusscolaire lui-même, des cadres académiques qui le structurent et ledifférencient, des autorités administratives qui assument la direc-tion des institutions d'enseignement, notre système scolaire ne peutplus se définir comme une juxtaposition de royaumes plus oumoins vastes, indépendants les uns des autres, et régis par desnormes et des lois qui leur sont propres. Notre système scolaireconstitue, au contraire, une totalité organique où chaque partietrouve sa signification complète dans sa relation avec l'ensemble etdans la collaboration qu'elle peut apporter à l'œuvre commune.

Cette perception du système scolaire comme totalité intégréecaractérise éminemment l'attitude de la nouvelle planification. Àcet égard, surtout dans un milieu comme le nôtre où le morcelle-ment des rôles et des institutions avait été poussé à l'extrême, laplanification apporte une perspective tout à fait nouvelle, à l'inté-rieur même du système scolaire, pour tous les groupes qui le com-posent.

Elle apporte aussi une contribution qui n'est pas moins origi-nale à la conception des rapports entre l'école et la société.

2. Les relations du système scolaireavec le contexte socio-économique

Dans une société parvenue au stade de développement que lanôtre est aujourd'hui en voie d'atteindre, le système scolaire de-venu service public représente une responsabilité et une chargesociale qui doivent cesser d'être imputées aux seuls bénéficiairesimmédiats, les familles qui ont des enfants à l'école, pour se répar-tir plutôt sur l'ensemble du groupe communautaire. La qualité del'enseignement dispensé par les écoles, l'ampleur des services quecelles-ci pourraient dispenser étaient autrefois limitées aux moyensdont pouvaient disposer les familles ou les groupes dont ellesdépendaient pour leur aménagement et leur progrès. Sans doute lefait qu'aujourd'hui le système scolaire soit en mesure de puiser auxressources de l'ensemble de la société a-t-il élargi ses moyens d'ac-tion. Il demeure toutefois que des limites s'imposent encore à son

[...]

Page 394: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Arthur Tremblay • 395

expansion: les moyens dont une société dispose et qu'elle peutaffecter à des fins d'enseignement ne sont pas infinis; d'autresservices communautaires doivent puiser également aux mêmesressources ; entre l'ensemble des services de bien-être ou de sécuritésociale et des services d'enseignement, la société et l'économiedoivent, à chaque moment, établir des priorités et prendre la dé-cision d'affecter à chacun de ces services la part du revenu nationalqu'elles croient opportun de leur consacrer. Peu importent lesmoyens techniques, si l'on peut dire, par lesquels on canaliseraainsi à des fins de service social en général une part du revenunational ; que ce soit par les contributions directes des familles oupar diverses sources de taxation, locales ou provinciales, en fin decompte c'est toujours l'ensemble des ressources de la société toutentière qui sont mises à contribution. Entre la masse des besoinsà satisfaire sur tous les plans de la sécurité sociale, y compris, danscette perspective, l'éducation elle-même, et les ressources ou larichesse utilisable, il existe toujours, par définition, en quelquesorte, une marge qui ne sera jamais comblée : ces besoins, en effet,ont pour caractéristique principale d'être constamment en expan-sion, si l'on peut dire, et le rythme de leur expansion ne coïncidepas nécessairement avec celui de l'économie générale.

À cet égard toutefois, il y a lieu de noter une différence majeureentre les dépenses qui peuvent être affectées pour des fins d'ensei-gnement et les dépenses qu'il faut consentir si l'on doit maintenirun certain niveau de sécurité sociale dans un milieu donné. Cettedifférence consiste dans le fait que les dépenses pour fins d'éduca-tion ne sont pas seulement une charge sociale; elles constituentpour l'économie elle-même une sorte d'investissement. En effet, laformation plus poussée des jeunes, surtout dans le secteur de laformation professionnelle, et, partant, le système scolaire dans sonensemble agit sur l'économie comme un élément dynamique deprogrès qui transforme les dépenses effectuées sur ce plan en unesorte d'investissement. Sans doute le rendement de cet investisse-ment se produira-t-il avec un décalage qui peut être considérableet se répartir sur plusieurs années. Dans ce sens, par conséquent,les investissements dans le domaine de la formation des jeunessont des investissements à long terme. Mais ils n'en cessent paspour cela d'être de véritables investissements.

C'est cette conception nouvelle de l'éducation comme investis-[...]

Page 395: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

396 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

sèment qui est à l'origine d'une modification essentielle des rela-tions entre le système scolaire avec le contexte socio-économique,surtout dans la perspective de la planification.

Les économies modernes ont de plus en plus tendance à plani-fier leur propre développement. Pour autant que la formation d'unemain-d'œuvre plus qualifiée est partie intégrante d'un tel dévelop-pement, la planification scolaire s'intègre dans le cadre plus vastede la planification économico-sociale.

B. Les critères de la planification

Sous ce rapport la planification qui s'est toujours pratiquée sedistingue de ce que la nouvelle voudrait être à deux points de vue.

En premier lieu, pour autant qu'elle doit considérer des ensem-bles plus vastes et intégrer des éléments plus variés, à la fois àl'intérieur du système scolaire et dans le contexte socio-économi-que, la nouvelle planification est forcément amenée à fonder leschoix qu'elle doit faire dans des critères plus généraux et les jus-tifier, en conséquence, dans la perspective de principes plus univer-sels. La planification traditionnelle, au contraire, éprouve moins lebesoin d'élaborer des normes très générales; plus proche des casparticuliers, elle s'en remet plus volontiers à des justificationsempruntées aux situations concrètes, aux circonstances particuliè-res aux « cas » à résoudre.

Il est bien évident cependant que ce que la nouvelle planifica-tion peut gagner en généralité, elle doit le payer d'une sorte d'éloi-gnement des groupes particuliers; des décalages se produisentfatalement entre les normes valables pour de vastes ensembles etles besoins spécifiques des individus auxquels elles s'appliquent,des décalages d'autant plus marqués que les normes employéesvisent à une plus grande universalité.

Mais ce n'est pas sur ce premier point que la nouvelle planifi-cation se distingue plus profondément de l'ancienne. La principaledifférence entre l'une et l'autre concerne les justifications mêmesdes décisions qu'il faut prendre, des étapes à prévoir dans la répar-tition des services scolaires requis par la clientèle étudiante.

À cause de l'ampleur du champ auquel elle vise à s'appliquer età cause de son ambition de dépasser les circonstances du momentpour anticiper un avenir aussi éloigné que possible, la nouvelle

[...]

Page 396: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Arthur Tremblay • 397

planification, au contraire, est constamment à la recherche d'unsystème de justification plus rationnel et susceptible d'intégrer desensembles de variables plus complexes. Cet effort de rationalisa-tion lui est évidemment nécessaire pour ses propres fins; à sespropres yeux, les normes générales qu'elle proposera auraientautrement un caractère encore plus arbitraire que les décisionsintuitives et fragmentaires de la planification traditionnelle. Mais,même à supposer que la nouvelle planification n'en éprouve paselle-même le besoin impérieux, les groupes d'intérêts particulierslui imposeront eux-mêmes de justifier rationnellement ses conclu-sions. Il est inévitable, en effet, qu'en leur proposant d'intégrerleur action dans un plan d'ensemble, on provoque chez ces grou-pes particuliers un sentiment de frustration; placés devant la né-cessité de concilier leurs intérêts avec les exigences d'un bien pluscommun, ces groupes auront beaucoup de difficultés à ne pas sesentir brimés. La seule façon démocratique de les amener à accep-ter les compromis nécessaires, ce sera la qualité rationnelle desjustifications du plan proposé.

C. Les procédés d'informationet d'analyse de la planification

De toute évidence, l'ampleur du champ auquel elle s'applique,l'élaboration et la justification des normes et des critères qu'elleemploie, imposent à la planification nouvelle une rigueur dans lesprocédés d'information et d'analyse dont la planification tradi-tionnelle pouvait se dispenser.

II. LE PARTAGE DES RÔLESDANS LA PLANIFICATION SCOLAIRE

Nous distinguerons trois phases dans la planification scolaire:— la préparation du plan;— son adoption et sa promulgation;— sa réalisation.Nous analyserons le partage des rôles à chacune de ces phases

de la planification à la lumière des propositions suivantes quirésument l'essentiel de ce que nous avons dit dans la section pré-cédente au sujet de la nature de la planification.

[...]

Page 397: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

398 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Première proposition. La planification scolaire consiste à mettreau point l'ensemble des dispositions auxquelles il faut s'arrêterpour orienter, à chaque moment, l'action d'ensemble du systèmed'enseignement et l'intégrer à la totalité de l'ordre social.

Deuxième proposition. La planification doit intégrer dans unemême perspective toutes les phases du processus scolaire, tous lesniveaux et tous les types d'enseignement, toutes les catégories d'ins-titutions, et de régimes administratifs.

Troisième proposition. La planification scolaire ne trouve sapleine signification qu'en s'intégrant à la planification générale dudéveloppement économique, social et culturel de la société toutentière.

A. La préparation du plan

Au stade de son élaboration, le plan scolaire pose des problèmesà caractère principalement technique : cueillette des données néces-saires, interprétation de ces données, etc.

Pour résoudre ces problèmes, il faudra avoir recours à la colla-boration de spécialistes de disciplines diverses : éducateurs, socio-logues, économistes, juristes, statisticiens, etc.

De toute évidence, l'ampleur des recherches à poursuivre et lacomplexité des alternatives à mettre au point exigent que l'équipetechnique affectée à la préparation du plan soit hautement quali-fiée et assez nombreuse.

Cette équipe devra-t-elle travailler en marge, pour ainsi dire, desautres services engagés dans l'action scolaire proprement dite, soità l'échelon provincial, soit à l'échelon régional ou local ?

Bien qu'il soit nécessaire d'encadrer cette équipe dans un bureaud'étude organisé comme un service distinct, et bien qu'une trèslarge part des recherches requises pour la planification ne pourras'effectuer ailleurs que dans le Bureau de planification, il n'endemeure pas moins que tous les organismes chargés d'assurer lamarche du système scolaire sont impliqués dans la préparation duplan.

D'une part, en effet, pour les fins mêmes de leur propre fonc-tionnement, ils disposent d'une foule de renseignements qu'ils sonten mesure de rassembler eux-mêmes et dont il serait absurde deconfier la manipulation à un organisme distinct. Cependant si cesrenseignements doivent être rendus utilisables pour la planifica-

Page 398: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Arthur Tremblay • 399

tion, il va sans dire que celle-ci doit fournir à tous les organismesconcernés les indications qui leur permettront de recueillir lesdonnées dont elle a besoin, et de les disposer d'une façon qui soitutilisable à la fois pour la planification et pour les fins propres àchacun d'eux.

D'autre part, dans la mesure même où elle vise à intégrer dansun ensemble cohérent l'action de tous les secteurs du système sco-laire, la planification doit absolument tenir compte des points devue particuliers qu'elle a pour mission de coordonner. Elle aurad'autant plus de chances de jouer pleinement son rôle de synthèse,qu'elle s'enracinera aussi profondément que possible dans la réa-lité concrète. Un plan qui ne serait que pure construction à priori,aurait sans doute plus de cohérence interne et plus de rigueurlogique. Il risquerait cependant de manquer de réalisme et denuance. Le caractère arbitraire et artificiel des systèmes à priorin'est pas moins dommageable que l'empirisme de l'action quoti-dienne. Un plan vraiment « fonctionnel » doit être le résultat de lamise en commun des points de vue propres à chacune des phaseset à chacun des organismes qui constituent la réalité scolaire.

Il est donc essentiel, même au stade de la préparation du plan,que l'équipe de spécialistes qui en ont la responsabilité immédiatepoursuive ses travaux en étroite liaison avec tous les secteurs dusystème scolaire. Aussi devra-t-on prévoir une participation orga-nique de représentants qualifiés de ces derniers dans les cadresd'un comité technique, adjoint au bureau de la planification. Se-raient d'abord appelés à participer aux travaux de ce comité, lesdirecteurs des services majeurs du Ministère de la Jeunesse, nonseulement dans le secteur de la formation professionnelle, maisaussi dans tous les autres secteurs, puisque la planification a pré-cisément pour caractéristique majeure de coordonner tous les pointsde vue propres à chaque secteur. Pour la même raison, il ne suf-firait pas de s'en tenir aux rouages actuels du Ministère de laJeunesse, puisque celui-ci n'administre pas la totalité du systèmed'enseignement: comme nous l'avons déjà noté, plusieurs autresministères jouent présentement un rôle plus ou moins importantdans un domaine ou l'autre de la formation. Il faudra donc que lesresponsables de « services scolaires » dans les autres ministères del'administration provinciale puissent aussi collaborer aux travauxdu comité technique dont nous avons parlé.

Voilà pourquoi le Comité recommande:

Page 399: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

400 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

i. Que le bureau d'étude chargé de la préparation du planscolaire, au Ministère de la Jeunesse, puisse compter sur laparticipation de tous les chefs de services du Ministère de laJeunesse et des chefs de « services d'enseignement » dans lesautres ministères.

2,. Que l'on crée à cette fin un comité technique rattaché auBureau de la planification et que ce comité, présidé par ledirecteur du bureau, soit composé des directeurs des servi-ces mentionnés.

JB. L'adoption du plan

II se dégage nettement, nous semble-t-il, de la définition que nousavons donnée de la planification, que l'adoption du plan scolaireconstitue l'acte majeur par lequel on définira non seulement despolitiques scolaires en elles-mêmes, mais aussi l'insertion et lacoordination de ces politiques dans les politiques générales de l'État.

À qui appartient-il alors de prendre la décision-clef que, durantla période couverte par le plan, l'action concertée de toutes lesparties du système scolaire s'orientera dans telle direction, viseraà atteindre tel objectif concret ?

Il n'y a aucun doute, nous semble-t-il, qu'une telle décisionappartient non seulement à l'autorité la plus élevée à l'intérieur dela hiérarchie scolaire, mais même et surtout à l'autorité qui a pourmission spécifique, à l'intérieur des cadres de l'État, de prendre lesdécisions qui engagent l'État lui-même, et, à travers lui, la collec-tivité tout entière.

Nous avons vu plus haut, au chapitre consacré à ce sujet, quelssont les organes d'un pouvoir politique comme celui de la provincede Québec: Législature, Conseil exécutif, ministères, etc.

Contentons-nous pour le moment de la proposition suivanteque nous aurons l'occasion de nuancer par la suite : l'adoption duplan scolaire, lui-même considéré comme une partie d'un plan plusgénéral de développement économique, social et culturel, devraitfaire l'objet d'une décision démocratique et s'effectuer, par consé-quent, en dernière instance au niveau du Parlement lui-même, aprèsavoir franchi les étapes normales de toute législation : présentationau Conseil exécutif par le Ministre responsable de l'éducation,proposition à l'Assemblée législative et au Conseil législatif, sanc-tion par le Lieutenant-gouverneur.

[...]

Page 400: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Arthur Tremblay • 401

Mais précisément pour que l'adoption du plan soit aussi démo-cratique que possible, est-il suffisant de s'en remettre aux rouagesde la démocratie parlementaire ?

L'éducation met en cause, non seulement pour le présent, maissurtout pour l'avenir, les valeurs les plus fondamentales auxquellesadhère une société, celles qui définissent idéalement sa conceptionde la vie. À ce titre, l'éducation correspond par son objet même,aux aspects les plus essentiels du bien commun, que l'ordre poli-tique a précisément pour fin première de poursuivre ; elle fait, parconséquent, partie intégrante de l'ordre politique. C'est ce quijustifie que toutes les décisions ultimes concernant son aménage-ment et son orientation appartiennent à l'autorité responsable, endernière instance, du bien commun, le pouvoir souverain, la Légis-lature.

Expression de la culture, l'éducation doit s'enraciner dans lecontexte social, de façon à traduire aussi fidèlement que possiblel'échelle de valeurs et les attitudes les plus profondes des groupesqui composent la société.

Or, il n'est pas toujours assuré, ni même probable, que cesréalités s'exprimeront de la façon la plus adéquate, par l'intermé-diaire de législateurs élus au suffrage universel et mandatés pourlégiférer sur un ensemble de matières très diverses, où l'éducationpeut être facilement noyée.

Pour que l'éducation remplisse intégralement son rôle dans unesociété démocratique, il est donc nécessaire de rendre possible uneparticipation active à l'orientation du système scolaire des groupessociaux les plus directement engagés dans l'élaboration de la cul-ture: parents, confessions religieuses, éducateurs professionnels,groupements d'employeurs ou d'employés, etc. Sans doute, une,foule d'aspects techniques de la régie d'un système scolaire peu-vent-ils être abandonnés à l'expertise des spécialistes de l'enseigne-ment. Mais dans toutes les décisions qui définiront l'orientationgénérale du système et des politiques scolaires, la participation desgroupes dont nous venons de parler apparaît comme absolumentessentielle.

L'adoption d'un plan, qui détermine pour plusieurs années àvenir l'action de toutes les institutions d'enseignement, appartientmanifestement à cette catégorie de décisions de portée généralepour lesquelles il faut prévoir un mode de consultation des or-ganismes qui structurent la société.

[...]

Page 401: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

402 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

En conclusion, en ce qui concerne l'adoption du «plan sco-laire», le Comité recommande donc:

i. Que le Ministre responsable de l'éducation obtienne l'opi-nion des organismes chargés de l'aviser en matière d'éduca-tion, notamment du Conseil supérieur de l'enseignementtechnique et du Conseil de l'Instruction publique.

z. Que le Conseil exécutif obtienne, au sujet du «plan sco-laire », l'avis de l'organisme chargé d'élaborer le plan dedéveloppement social et économique pour la province deQuébec.

3. Que le «plan scolaire», intégré au plan de développementsocial et économique soit l'objet d'une loi spéciale de laLégislature.

4. Que l'Assemblée législative crée un comité permanent chargéspécialement d'étudier le « plan scolaire » et toute la légis-lation concernant l'éducation.

C. La réalisation du plan

La réalisation du plan exigera manifestement la collaboration étroitede tous les secteurs de l'enseignement, de tous les types d'institu-tions publiques ou privées.

Dans les secteurs indépendants, certaines difficultés pourrontsurgir que nous n'avons pas l'intention d'analyser ici, mais qu'onparviendra à surmonter d'autant plus aisément, qu'au stade de lapréparation et de l'adoption du plan, on aura permis à tous lesmilieux de faire connaître leur attitude et leurs intentions. Danstous les domaines, qui dépendent directement de l'État, il devraitêtre relativement facile d'obtenir l'assentiment des groupes intéres-sés et de coordonner leur action dans la perspective du plan.

Dans tous les cas, il va sans dire que c'est au stade de sa réa-lisation qu'une des caractéristiques essentielles du plan, sa sou-plesse et son adaptabilité, sera mise à l'épreuve, de même d'ailleursque les attitudes réelles de tous les intéressés, y compris le gouver-nement lui-même, à l'endroit d'une action planifiée. À cet égard,la préparation du budget de l'éducation, qui ne constitue, aprèstout, que la tranche annuelle du plan, revêt une importance par-ticulière. À cette occasion, en effet, on verra clairement si le plan

[...]

Page 402: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Arthur Tremblay • 403

prévu pour une plus longue période (3, 4 ou 5 ans) est vraimentréaliste. On verra aussi la marge qui peut séparer les intentions duplan et les exigences de l'administration concrète.

Aussi, le Comité recommande-t-il:

i. Qu'on s'efforce, dans la préparation du budget annuel del'éducation, à l'échelon provincial, d'établir une liaison aussiétroite que possible entre les politiques implicites au budgetet celles qui ont inspiré le plan.

z. Qu'à cette fin, l'organisme responsable de la préparation duplan scolaire soit appelé à collaborer directement à la miseau point et à l'étude des prévisions budgétaires annuelles.

Source : Rapport du Comité d'étude sur l'enseignement technique et professionnel,Gouvernement du Québec, 1962, t. II, p. 232-247.

Page 403: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

49 Cardinal Paul-Emile LégerL'Église catholique et l'éducation1963

L'Église catholique du Québec, qui a joué historiquement un rôle central etdominant en éducation, particulièrement depuis le milieu du xixe siècle, ne peutignorer le fait chaque jour plus évident que la Révolution tranquille amène deschangements considérables et irréversibles dans l'ordre des choses. Elle saitaussi qu'elle devra réajuster en profondeur son rôle face à l'intervention del'État dans les domaines où elle exerça longtemps les principales responsabi-lités. Il faudra, en 1963 et 1964, de délicates négociations entre le gouverne-ment Lesage et l'épiscopat québécois pour que l'Église consente à la créationdu ministère de l'Éducation et à l'abolition du Conseil de l'instruction publiqueet du comité catholique, par lesquels s'était exercé son pouvoir en éducation.En 1962, le cardinal Paul-Emile Léger, figure dominante du catholicisme québé-cois et participant influent au concile Vatican II, prend la parole pour affirmerque l'Église, si elle est prête à accepter que désormais l'État joue un rôle nou-veau et déterminant en éducation, ne renonce pas pour autant à conserver et àcontinuer d'exercer certaines prérogatives qu'elle juge indissociables de samission. Il faut tracer clairement la frontière des compétences respectives del'État et de l'Église et celle-ci tient à certains principes. Le cardinal profite ausside la circonstance pour mieux baliser les responsabilités respectives du clergéet des laïcs, notamment dans l'œuvre d'éducation. Ces perspectives inspirerontles positions de l'Église dans ses relations avec le gouvernement québécoisainsi qu'avec la société civile.

PROBLEMES PARTICULIERSET CRITÈRES DE SOLUTION

Rôle de la famille, de la Société civile et de l'Église

Tout d'abord, il faut savoir discerner et analyser un phénomènesocial fondamental qui fait surgir un immense problème: c'est ledébordement des cadres traditionnels de notre enseignement. Ceque nous possédions paisiblement jusqu'à hier ne peut plus répon-dre adéquatement aux besoins nouveaux d'aujourd'hui.

Page 404: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Cardinal Léger • 405

Les cadres institués dans le passé auraient pu, à la rigueur, faireface à un accroissement démographique normal. S'il ne s'était agique de conserver la proportion initiale entre le nombre des insti-tutions et la densité de la population, le travail d'adaptation eûtété relativement simple et facile. Mais c'est justement cette propor-tion qui a été brisée: une poussée sociale exceptionnelle a faitenvahir subitement tout le cours supérieur, et les cadres anciensqui, pourtant, ont augmenté en nombre, ne réussissent quand mêmeplus à répondre aux exigences de la situation nouvelle.

Un immense travail d'adaptation, autant rapide que prudente,s'impose à tous ceux qui s'intéressent à l'éducation. Ils doiventtous travailler en collaboration, remplir leurs responsabilités, fairevaloir leur droit respectif et respecter celui des autres.

Dans cet admirable chef-d'œuvre de clarté qu'est son encycliquesur l'éducation, le Pape Pie XI montre comment les parents dansla famille, l'État dans la Société civile, et la Hiérarchie dans l'Églisedoivent travailler en étroite collaboration au plus grand bien desenfants, appelés à jouer leur rôle comme fils de leur patrie etmembres vivants du Corps mystique.

Si, devant nos problèmes actuels en matière éducation, l'une oul'autre des trois sociétés nécessaires venait à renoncer à ses droitsou faillir à sa tâche, c'est l'avenir même de notre civilisation quise trouverait compromis. Les parents n'ont pas le droit de s'enremettre paresseusement à l'État; celui-ci n'a pas le droit d'impo-ser ses volontés dans des domaines qui relèvent de la famille ou del'Église; et celle-ci doit respecter les finalités propres de l'ordrenaturel. [...]

Sans nous engager dans une énumération détaillée, qu'il noussoit permis ici de souligner quelques-uns des droits et devoirs dela famille, de la Société civile et de l'Église en matière d'éducation.

Les parents, en matière d'éducation, ont des droits et des de-voirs qui varient selon les niveaux de l'enseignement et l'évolutionpsychologique de l'enfant vers sa maturité adulte.

Au niveau primaire, leur action est plus profonde et immédiate,puisque l'enfant n'a pas encore de raisonnement suffisant pouragir par lui-même et que son activité déborde à peine celle de lavie familiale. Soulignons en particulier que les parents ont le droitet le devoir de transmettre à leurs enfants les richesses de leur foichrétienne et que leur mission, en ce domaine, est même antérieure

[...]

Page 405: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

406 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

à celle de l'école qui n'est que leur auxiliaire : c'est d'ailleurs leurvie chrétienne elle-même, vécue dans la sincérité, qui constitueauprès de leurs enfants le meilleur témoignage. Les parents doiventaussi éveiller chez leurs enfants l'amour de l'instruction et de laculture, et les inviter, par leurs conseils et leurs exemples, à devenirdes hommes pleinement utiles à la société dans la mesure de leurstalents. Les parents doivent comprendre, ici plus qu'ailleurs, queleur rôle est primordial et bien antérieur à celui de l'État.

Au niveau secondaire, l'adolescent fait peu à peu l'apprentis-sage de sa liberté et doit apprendre à se conduire par lui-même.L'action des parents devient ici moins immédiate et doit se faireplus discrète, mais ils ne doivent pas se croire dégagés de touteresponsabilité. Il leur incombe de choisir pour leurs enfants desinstitutions compétentes et profondément chrétiennes, même s'ilsdoivent, pour ce faire, consulter des personnes qui ont plus d'ex-périence ou une meilleure connaissance des données. Les parentsdoivent aussi veiller à ne pas rester inactifs ou étrangers dans lacrise d'adolescence de leurs enfants, où leurs conseils et leur com-préhension affectueuse sont plus que jamais nécessaires.

Au niveau universitaire, le devoir des parents se continue, maisla liberté et l'autonomie du jeune homme jouent un rôle beaucoupplus important. Les parents commencent ici à engager le dialogueavec un adulte qu'ils doivent traiter comme tel. Ils devront faireappel à la raison et essayer de persuader sans jamais s'imposer : ilsauront peut-être à rappeler discrètement certaines valeurs religieu-ses, morales ou intellectuelles reçues aux niveaux inférieurs que lesexpériences nouvelles auront eu tendance à faire oublier.

Aux trois niveaux, l'action des parents restera toujours trèsdifficile, puisqu'ils n'ont pas nécessairement toute la compétencerequise pour assumer directement leurs responsabilités. Mais cen'est pas là une raison pour qu'ils négligent leurs devoirs ou aban-donnent leurs droits à l'État. Ils doivent veiller à se grouper ensociétés intermédiaires, dirigées par des hommes clairvoyants etcompétents: c'est par elles qu'ils pourront collaborer avec leséducateurs et exercer une influence sur les structures elles-mêmes.Affirmer, au contraire, qu'à cause de leur inexpérience ou de leurmanque d'aptitudes, les parents doivent renoncer à leur droit ets'en remettre à l'État, c'est déjà une invitation au totalitarisme.

L'État, par ses lois, devra protéger les droits de la famille etpromouvoir, en vue du bien commun, la culture morale, intellec-

Page 406: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Cardinal Léger • 407

tuelle, civique et même physique des citoyens. Il doit faciliter lacréation de conditions matérielles favorables à l'enseignement etmettre sur pied les structures nécessaires de coordination et dedirection des efforts de la Société civile. Il peut imposer à chacunl'acquisition de certaines connaissances élémentaires et exiger uncertain degré d'instruction requis par la civilisation moderne. Ilpeut recueillir toutes les données nécessaires à une meilleure orien-tation de l'enseignement. Il peut, en somme, et même il doit s'in-téresser à l'éducation dont il partage la responsabilité, quoiqu'àdes titres différents, avec la famille et l'Église dont il est nécessairequ'il respecte les prérogatives en la matière.

L'Église ne fait pas figure d'étrangère en matière d'éducation:elle y rencontre elle aussi des droits et des devoirs. [...]

Comme instrument de sa mission éducatrice, l'Église a choisil'école catholique dont elle ne peut se dispenser que dans desconditions exceptionnellement graves, imposées de force par l'his-toire ou les circonstances. [...]

Il ne faudra donc pas taxer l'Église d'intolérance si elle obligeses enfants à fréquenter, à moins de raisons graves et exceptionnel-les, ses écoles confessionnelles. Ce faisant, elle ne viole en rien ledroit des autres dont elle veut respecter la liberté de conscience;elle agit tout simplement en communauté vivante qui veut assurerla croissance normale de ses membres. Elle entre alors en entièrecollaboration avec la famille et l'Etat, pour le plus grand bien desgénérations à venir.

Collaboration de tous les membres de l'Église

Devant les problèmes actuels de l'éducation, l'esprit de collabora-tion ne doit pas seulement animer les relations entre la famille, laSociété civile et l'Église, mais aussi les relations entre les différentsmembres de l'Église.

Le problème du débordement des cadres, dont nous parlionsplus haut, a amené dans l'Église une collaboration toujours plusgrande entre clercs et laïcs. Dans l'enseignement classique, cettecollaboration s'est manifestée d'abord par l'introduction de pro-fesseurs laïques aux côtés des prêtres.

Timide à ses débuts, elle se restreignait aux domaines des arts,comme la musique et la peinture, et à celui de certaines autresactivités strictement profanes, comme la gymnastique ou le com-

Page 407: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

408 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

merce. Avec les années, le nombre des laïcs est allé toujours gran-dissant dans plusieurs institutions classiques, si bien que l'an passé,par exemple, dans un collège de la région métropolitaine, 70% desheures de cours étaient données par des laïcs. La création de sec-tions classiques dépendant des Commissions Scolaires a constituéun pas décisif dans l'intégration des laïcs au niveau secondaire. Onpeut dire qu'aujourd'hui la collaboration entre clercs et laïcs à ceniveau de l'enseignement ne constitue plus une innovation.

Au niveau primaire, c'est en très grand nombre et beaucoupplus tôt, que les laïcs sont entrés en collaboration avec les frèreset sœurs.

Il faut se rendre compte jusqu'à quel point et comment cettecollaboration est un bien. Elle n'est pas une simple concession àl'esprit du temps et encore moins une réaction de panique devantceux qui parlent d'enseignement « laïque » au sens non chrétien dumot. Elle est au contraire une manifestation parfaitement normalede la vraie vie de l'Église où les différents membres doivent faireœuvre commune.

Ainsi, l'action du laïcat chrétien dans les activités sociales, éco-nomiques et politiques y fait pénétrer la pensée de l'Église et lesintérêts spirituels de notre époque. Les laïcs peuvent apporter unecontribution intellectuelle et spirituelle dans les divers secteurs del'enseignement et y jouer le rôle, tout comme les clercs et lesmembres des congrégations et des ordres enseignants, d'un levainévangélique. La présence des laïcs dans les écoles secondaires etdans les collèges classiques, loin d'être le signe d'une avance delaïcisme, annonce un élargissement des effectifs apostoliques del'Église et une conscience plus vive, au sein de la communautéchrétienne, du devoir de tout baptisé à l'égard de la civilisation quise construit en vue de conduire les hommes au Royaume de Dieu.Ce mouvement n'a rien à voir avec le laïcisme ; ce dernier est unedoctrine qui, sous le masque de la neutralité, professe l'exclusion,dans la politique et à l'école, non seulement du christianisme, maisde toute religion. Qu'on ne se laisse pas tromper par des déclara-tions souvent idéalistes : le laïcisme ainsi qu'une certaine laïcité onttoujours été une force militante contre l'Église.

Ainsi les laïcs, animés d'un grand esprit chrétien et d'un sensaigu de leurs responsabilités, s'appliqueront à maintenir, comme le

[...]

[...]

Page 408: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Cardinal Léger • 409

font avec éclat les clercs et les congrégations enseignantes depuistrois siècles dans cette province, la présence de l'Église dans lesdivers domaines de l'enseignement. Dans les années à venir, l'Églisey agira par la collaboration, le dévouement et la compétence detous ses membres, prêtres et laïcs, frères et religieuses.

Cependant, à cause de l'augmentation récente des enseignantslaïques dans les collèges, à cause aussi du caractère inédit de cer-taines circonstances, la collaboration entre clercs et laïcs susciteparfois des tensions. Il n'y a pas lieu de s'en étonner. Une situationnouvelle entraîne toujours une période d'essais et d'adaptations. Ilimporte toutefois d'envisager ces situations avec clairvoyance etavec calme, avec la volonté loyale de résoudre les difficultés dansun esprit de compréhension mutuelle. Il est dans l'intérêt des col-lèges classiques d'assurer à leurs professeurs des conditions d'em-ploi et un régime de travail appropriés à la dignité de leurs fonctionset à la gravité de leurs responsabilités. Pour se consacrer en touteliberté d'esprit à son enseignement et à ses élèves, le professeurdoit jouir des garanties de permanence dans sa profession. Aussiles professeurs laïques souhaitent-ils une définition précise de leurstatut d'enseignant, assurant la stabilité de leur travail en mettantleur carrière à l'abri des circonstances imprévues. Dans ce sens, lesprofesseurs désireraient que la reconnaissance de leur droit d'asso-ciation soit dans la pratique acceptée sans réticence et soit appli-quée sans réserve avec toutes les conséquences qui en découlent.

Des opinions se font jour dans notre société exprimant le désirdes laïcs d'accéder aux postes de direction dans l'enseignementsecondaire et dans les institutions classiques. Cette aspiration estlégitime et il y a intérêt à ce que les clercs la prennent en considé-ration. Peut-être devrait-on soumettre à une révision sérieuse cer-tains cadres administratifs des établissements d'enseignement; detoute façon, devant la montée constante des effectifs laïques dansles institutions d'enseignement, il convient d'instituer sur ces pro-blèmes un dialogue ouvert et loyal entre clercs et laïcs, en vued'une prévision sereine de l'avenir prochain.

Pour le plein épanouissement du travail des laïcs en matièred'éducation chrétienne, les sections classiques des CommissionsScolaires peuvent offrir de larges possibilités. En collaborationavec les collèges classiques, leur action concrète pourra prendre laforme que détermineront les milieux et les circonstances.

On le voit, les tâches sont nombreuses, délicates et difficiles.

Page 409: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

4io • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Tant au niveau des hommes qu'au niveau des structures, tousdoivent s'appliquer à faire naître les conditions d'une saine colla-boration et d'une mutuelle compréhension. Les prêtres éducateurs,les frères et les sœurs des communautés enseignantes, devront s'ef-forcer de mieux comprendre le rôle que les laïcs ont à jouer dansl'Église et leur apport chrétien dans l'œuvre de l'éducation. D'autrepart, les professeurs laïques auront à cœur de répondre pleinementaux exigences spirituelles de leur vocation d'enseignants chrétiens.Les collèges classiques, de leur côté, auront à manifester compré-hension, ouverture d'esprit, volonté d'adaptation et désintéresse-ment au service du bien commun, devant les données nouvelles dela situation et, surtout, devant les progrès éventuellement rapidesde la gratuité scolaire.

Exigences de l'éducation de la foi

Dans l'ensemble de l'éducation chrétienne, l'enseignement religieuxoccupe une place de choix. C'est assurément l'une des tâches lesplus hautes, mais aussi les plus difficiles de l'éducateur qui, pourla remplir avec justesse et probité, doit accueillir dans son espritet son cœur attentifs la Parole de Dieu. En présence des exigencesaccrues que notre époque mieux avertie formule à l'endroit del'enseignement religieux, et à cause de certaines déficiences qui s'yglissent et que la routine entretient parfois, il n'est pas inutile defaire à son sujet un examen de conscience.

Cet enseignement a un contenu riche et précis. Il annonce leRoyaume de Dieu déjà commencé parmi nous, le dessein de salutde Dieu, qui n'est pas seulement une vague réalité muette, mais leDieu vivant et personnel, qui s'est révélé dans son Fils. Cet ensei-gnement mettra le Christ à la place qu'il occupe réellement, c'est-à-dire au centre de tout, car c'est par Lui et en Lui que Dieuaccomplit l'œuvre de son amour. C'est Lui que l'élève doit recon-naître pour son Maître et Sauveur ; Lui qui agit dans son Église parl'Esprit-Saint, grâce aux pasteurs qu'il a institués, à l'annonce desa Parole et à la communication des sacrements.

Cet enseignement doit insister sur la réponse de l'homme aumessage de Dieu, qui est le renouvellement du cœur sans lequelpersonne ne peut entrer dans le Royaume de Dieu et qui n'estjamais acquis une fois pour toutes. Il fera aussi comprendre que le

[...]

Page 410: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Cardinal Léger • 411

chrétien est l'intendant des biens du Créateur, responsable du mondecréé par Dieu et des formes que prend autour de lui la vie sociale,culturelle, économique et politique. Un enseignement religieuxauthentique doit apprendre à se soucier du monde, à respecter lacréation, à s'opposer à toute dégradation des créatures, à accueillirce qu'ont de valable les diverses civilisations et à participer audéveloppement des civilisations nouvelles, techniques et industriel-les, et à promouvoir dans l'ordre temporel, la famille, la profes-sion, la vie publique, un ordre correspondant à la sagesse de Dieu.

Des efforts admirables sont déployés en ce sens depuis plusieursannées dans notre pays par des équipes d'éducateurs ; des commis-sions d'étude ont élaboré des programmes conformes aux renou-veaux biblique, liturgique et doctrinal en matière d'enseignementreligieux. Des centres d'études ont établi une documentation solideet poursuivent la diffusion de cet enseignement religieux. Nousaimons donner en exemple à tous les éducateurs le travail et lagénérosité de ces équipes.

Respect des valeurs profanes

L'enseignement religieux n'est cependant pas l'unique matière auprogramme d'un enseignement confessionnel, peu s'en faut. Lechrétien n'est pas un homme désincarné qui n'aurait plus d'intérêtpour cette « vallée de larmes ». Il doit apprendre au contraire àassumer son rôle dans le monde présent où Dieu le veut. À cepoint de vue, il faudrait peut-être se demander si notre enseigne-ment confessionnel a toujours reconnu aux réalités profanes laplace qu'elles occupent dans le plan divin de la création et de larédemption. Vous n'ignorez pas qu'on adresse parfois à ce sujet desérieux reproches aux éducateurs chrétiens. On les accuse de sous-estimer les valeurs artistiques, scientifiques, techniques et écono-miques, sous prétexte d'idéal chrétien plus élevé.

La réponse à ces accusations se trouvera dans une meilleurecompréhension du christianisme à qui rien de ce qui est humain nepeut être étranger. S'il est pleinement lui-même, le chrétien ne peutêtre anti-humain. L'ordre naturel tout entier, avec sa finalité pro-pre et toutes ses sciences techniques, est appelé à la christianisationet non au mépris. Le baptisé doit offrir au Christ toute la réalitéprofane dont la fin dernière est Dieu.

[...]

Page 411: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

412 • L'impatiente attente des réformes (1955-1961)

Le rôle du chrétien ne consiste pas seulement à sauver son âme,mais à faire pénétrer l'action du Christ dans son corps, dans lemonde sensible et matériel qui s'y rattache et dans toutes les sphè-res de l'activité profane. [...]

Cette mission ne se remplit pas cependant sans de nombreuxdangers. Pour n'en souligner que deux, rappelons qu'il faut éviterl'activisme, qui ferait consister toute la religion chrétienne dans leseul engagement temporel ; et le naturalisme, qui nous fait oublierl'ambiguïté foncière du monde créé jusqu'au retour triomphal duChrist. Mais ces dangers accidentels ne peuvent ni infirmer, ni faireoublier les vraies dimensions de l'activité du chrétien dans le mondeprofane.

Dans tous les milieux de la vie et du monde profane, le chrétienne doit jamais se sentir ailleurs que chez lui, car il fait partie de ceshommes, dont parle le livre de l'Ecclésiastique, « sans qui nulle citéne pourrait se construire, ... qui soutiennent la création et dont laprière a pour objet les affaires de leur métier».

Dans notre monde hétérogène, le chrétien doit à tout prixmaintenir cette volonté de dialoguer avec toutes les personnes debonne foi avec lesquelles il a à traiter des problèmes actuels. Nel'oublions pas: le dialogue est l'une des formes de notre culture.La civilisation occidentale est une civilisation de dialogue. Elleconsiste depuis des siècles dans une perpétuelle confrontation d'idéeset un perpétuel effort de compréhension mutuelle. Qui ne sait pasdialoguer risque de devenir à son insu la proie du fanatisme. Détruirele dialogue, ce n'est pas seulement abolir l'autre ; c'est se détruiresoi-même.

Source: Réflexions chrétiennes sur l'éducation, Montréal, Fides, 1963, p. 150-168.

[...]

Page 412: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Quatrième partie

Autour de la commission Parent1961-1963

Page 413: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

This page intentionally left blank

Page 414: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

5O Association canadienne-françaisepour l'avancement des sciencesPour réorganiser l'enseignementdes sciences1962

L'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences se préoc-cupe évidemment de l'enseignement des sciences au secondaire, à la fois poursusciter un plus grand nombre de vocations scientifiques et pour que les futurscitoyens en général aient une meilleure compréhension de la science et de sorôle dans le monde contemporain. Pour l'ACFAS, le Québec doit prendre lesmoyens pour ne pas demeurer une société sous-développée au plan des scien-ces. Il s'impose aussi de réorganiser l'enseignement secondaire pour permettreaux jeunes l'entrée à l'université à 18 ans. Enfin, en suggérant la «fondationd'écoles supérieures à orientation technique spécialisée», accessibles après lecours secondaire, l'ACFAS évoque ce qui deviendra le secteur professionnel ducégep.

Le niveau scientifique le plus élevé que peut atteindre un pays estdéterminé par la qualité de ses universités.

Une collectivité a donc le droit d'exiger de ses universités qu'el-les se tiennent à l'avant-garde de la recherche et qu'elles lui four-nissent des chercheurs, des dirigeants et des enseignants de premierordre.

En pratique, c'est dans le sens opposé que s'exercent les plusfortes sollicitations du milieu. Faute d'un enseignement publiccohérent et d'une conscience des impératifs de la division du tra-vail dans une société évoluée, il n'y a pas de limite aux «rôlessupplétifs » que les universités sont invitées à assumer. Sous pré-texte qu'elles sont au service du public, on leur demande de renon-cer à faire ce qu'elles sont les seules à pouvoir faire et à trahir ainsiles intérêts supérieurs des nouvelles générations.

Page 415: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

416 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

L'enseignement scientifique secondaire

Le rôle de l'enseignement scientifique secondaire n'est pas sur-tout de préparer des candidats aux facultés de sciences. Cet ensei-gnement humaniste est chargé de contribuer à développer les facultésde l'élève en lui apprenant à penser scientifiquement et en l'initiantaux merveilles de la science. Il est de la plus haute importancepour l'avancement des sciences, non seulement que les futurs savantsaient reçu une solide formation secondaire, mais aussi que lesfuturs citoyens aient suffisamment assimilé l'esprit de la sciencepour comprendre le rôle qu'elle joue dans la société.

Un tel enseignement exige que le maître ait poussé ses étudesjusqu'au niveau supérieur où l'enseignement est une initiation à larecherche, afin qu'il puisse réfléchir librement sur les fondementsde sa propre discipline. C'est pourquoi nous pensons que l'ensei-gnement secondaire exige avant tout une formation approfondiedans la matière enseignée. Sans quoi la pédagogie, si utile soit-elle,fonctionne à vide.

Une politique à long terme d'aide à la recherche scientifiquedoit diriger vers l'enseignement secondaire une partie des meilleurscerveaux qui sortent des universités, en tenant compte de leursaptitudes pédagogiques et en les aidant à les développer.

Uenseignement secondaire

Comme ce sont les maisons d'enseignement secondaire qui alimen-tent les universités, il faut se demander si elles fournissent assez decandidats et s'ils sont assez bien préparés.

Les quelques statistiques citées plus haut montrent que nosfacultés de sciences et de génie sont loin de tirer de notre popula-tion le nombre d'étudiants qu'elles en attendraient normalement.Même en faisant la part de facteurs de désorientation tels quel'absence d'un climat scientifique généralisé et de curieuses misesen garde contre la science et la technique, il reste que la base derecrutement de notre enseignement secondaire n'a pas été jusqu'iciassez large pour extraire de la population la majorité des candidatsnaturels aux études scientifiques. La fondation d'un nouveau réseaud'écoles secondaires devrait combler en partie cette carence, mais

[...]

[...]

Page 416: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

ACFAS • 417

en posant de façon plus aiguë que jamais le problème de la forma-tion des maîtres. [...]

Rares sont encore les professeurs de l'enseignement secondairequi ont fait des études scientifiques universitaires complètes. Parexemple, la plupart de ceux qui passent par l'Université Laval yprennent une licence d'enseignement qui requiert généralement troisannées, mais la première de ces années est l'ancienne préscientifiquequi correspond à une dernière année de ce que devrait être le courssecondaire. De 1927 à 1961, soit sur une période de 34 ans, lenombre de ceux qui ont obtenu ce diplôme et ont enseigné estd'environ 80. Nous ne considérons plus ce diplôme comme suffi-sant.

L'équivoque qui embrouille la frontière entre le niveau secon-daire et le niveau universitaire est l'un des cauchemars de nosfacultés de sciences. D'une part, les facultés de sciences donnent àleur première année le niveau d'une préparatoire ; d'autre part, lesfinissants des collèges classiques sont porteurs du baccalauréat dela Faculté des Arts et sont censés avoir fait déjà trois ou quatreannées d'études universitaires. Le moins qu'on puisse dire de cetimbroglio, c'est qu'il affole les professeurs et fait perdre une annéeà des étudiants qui sont déjà trop âgés de deux ans.

Cet âge tardif d'entrée à l'Université est un obstacle sérieux àl'épanouissement scientifique des meilleurs. Sept années pour serendre au doctorat et encore une ou deux années de recherchespost-doctorales précèdent normalement l'établissement dans uneuniversité ou un institut de recherche. Ceux qui partent le plus tôtsont en général ceux qui se rendent le plus loin et ce sont ceux-làqui établissent le niveau scientifique d'un pays.

RECOMMANDATIONS

La situation que nous déplorons est celle d'un groupe scientifique-ment sous-développé. Les mesures propres à corriger cet état com-portent des investissements à long terme et aussi des mesuresd'urgence destinées à briser le cercle vicieux en stimulant artificiel-lement la croissance. Nous croyons que cela implique une politi-que de planification et le recours à quelques moyens qui forcent lecours naturel des choses.

[...]

Page 417: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

4i8 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Première recommandation

Les mesures qui donneront des résultats à longue échéance méri-tent la plus haute priorité. Nous touchons ici à l'enseignementprimaire et secondaire. Pour ne parler que de l'enseignement se-condaire, le problème le plus urgent est celui de la formation desprofesseurs. Il faut accroître leur nombre et revaloriser leur fonc-tion en y attachant plus d'exigences, de rémunération et de pres-tige.

Nous recommandons que des mesures soient prises pour attirervers l'enseignement secondaire les meilleurs diplômés en sciencesdes universités et que le financement de cette opération ait prioritésur celui de la construction d'écoles.

Il s'agit, bien entendu, de ceux qui ont fait le cours réguliercomplet et sont admis à l'exercice de leur profession ou à la pré-paration d'un doctorat. Une École normale universitaire devracomporter les mêmes exigences. Il faudra, au début, faire aussiappel à tous les candidats aptes que nous pourrons tirer de paysétrangers.

Deuxième recommandation

Nous ne parlerons des structures de l'enseignement secondaire quepour dire qu'elles doivent être conçues en fonction du niveau aca-démique à atteindre, de l'âge des finissants et des débouchés quileur sont offerts.

Nous recommandons que le niveau de la fin des études secon-daires et du début des études universitaires soit clairement défini,dans le sens indiqué par le mémoire de l'Association des Profes-seurs de l'Université de Montréal.

Troisième recommandation

Une trop longue durée de l'enseignement secondaire nuit à l'avan-cement des meilleurs élèves.

Nous recommandons que les structures des enseignements per-mettent aux élèves d'entrer normalement à l'université vers l'âgede 18 ans comme dans la plupart des pays. À titre de mesureprovisoire, nous recommandons que toute personne âgée d'au moins18 ans ait le droit de se faire admettre dans une université aprèsavoir subi un examen individuel.

Page 418: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

ACFAS • 419

Quatrième recommandation

Un certain nombre des étudiants entrent à l'Université et y restentparce que l'enseignement secondaire n'offre pas d'autre débouché.Pourtant, notre société industrielle a un grand besoin de techni-ciens spécialisés possédant une bonne formation générale. Bonnombre des élèves de nos facultés de sciences et de génie, plusaptes à la pratique qu'à la théorie, auraient avantage à s'orientervers des techniques spéciales après des études de sciences de basecorrespondant à celles d'une première année d'université.

Nous recommandons la fondation d'écoles supérieures, à orien-tation technique spécialisée, recrutant leurs élèves parmi les diplô-més de l'enseignement secondaire.

Source: Mémoire, p. 7, 11-13.

Page 419: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

51 Cercles des jeunes naturalistesPour une nouvelle pédagogiedes sciences naturelles1961

Fondés par Marie-Victorin, les Cercles des jeunes naturalistes proposent quel'enseignement des sciences naturelles soit obligatoire à tous les ordres d'en-seignement et surtout dès le primaire et que l'on prépare des enseignants aptesà assurer cet enseignement. Mais, par-delà cette idée, les Cercles suggèrentune approche pédagogique nouvelle, moins livresque et moins magistrale, parexemple par des stages dans la nature, par l'implantation de cercles de natu-ralistes, par l'installation de «locaux» de sciences naturelles dans toutes lesécoles, et par un enseignement nourri de «connaissances tirées de la nature».La commission Parent sera très sensible, pour sa part, à la nécessité d'un re-nouvellement en profondeur de la pédagogie.

PROPOSITIONS

i. Que l'enseignement des sciences naturelles devienneobligatoire à tous les degrés et soit sanctionné par un examen.

Étant donné que l'enfant puise dans la nature ses premières connais-sances et son premier vocabulaire, que ces connaissances sont avanttout le fruit de l'observation personnelle et de l'enseignement;

étant donné que les enfants éprouvent un attrait tout naturelpour les merveilles et les secrets du milieu où ils vivent;

étant donné qu'on déplore la pauvreté du vocabulaire et del'expression chez nos jeunes;

étant donné que l'étude des sciences naturelles s'impose à causede leur valeur culturelle, économique et patriotique;

étant donné d'autre part que notre pays s'oriente de plus en plusvers une exploitation rationnelle des ressources naturelles et que

Page 420: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Cercle des jeunes naturalistes • 421

les notions de conservation et de protection de la nature prennentune importance croissante;

il est à souhaiter:— que l'enseignement des sciences naturelles devienne obliga-

toire à tous les degrés, et que, pour le rendre efficace, on lesanctionne par un examen. Sans cet examen obligatoire, lesprofesseurs n'auront pas tous le stimulant suffisant à assu-rer leur fidélité à enseigner les sciences naturelles;

— que l'enseignement du français soit lui-même basé sur desconnaissances tirées de la nature : vocabulaire, syntaxe, ana-lyse, composition peuvent s'apprendre avec des textes ins-pirés de la nature canadienne qui inculqueraient en mêmetemps une foule de connaissances sur le milieu où vit l'en-fant. Qu'on prépare donc des manuels inspirés de ces direc-tives.

2. Qu'on élabore un programme d'enseignementméthodique des sciences naturelles

Que l'enseignement méthodique des sciences naturelles commencedès l'école primaire. Il ne s'agit pas seulement de quelques leçonséparses et facultatives de connaissances usuelles, puisque les scien-ces naturelles doivent être considérées comme partie intégrante deshumanités. Les connaissances de base devraient s'acquérir au coursdu primaire. [...]

Que l'on conçoive des manuels en fonction de ce programmeparfaitement charpenté et que ces manuels fassent connaître lanature canadienne d'abord.

Que l'on confie l'élaboration de ce programme et de ces ma-nuels à des gens réellement compétents en la matière qui met-traient à profit leur longue expérience dans l'enseignement. [...]

Que l'on agisse au plus tôt en étudiant ce qui se fait ailleurs, enparticulier chez nos voisins d'Ontario. La Province de Québec esttrès en retard sur ce point ; il existe ailleurs des programmes et desmanuels bien au point. [...]

Page 421: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

422 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

3. Qu'on prépare le personnel nécessaireà Venseignement des sciences naturelles

Que tous les professeurs aient les connaissances de base en scien-ces naturelles.

Qu'on organise l'enseignement des sciences de façon que lescandidats aux Écoles normales possèdent au moins les notions debase avant d'arriver au stage de l'École normale. Si l'École nor-male ne peut elle-même dispenser cet enseignement, qu'on s'orga-nise donc en conséquence pour préparer les candidats. [...]

Que de plus l'on pourvoie chaque école d'un professeur spécia-lisé en sciences naturelles pour assurer un enseignement efficace,tout comme on fournit des spécialistes en culture physique, entravaux manuels, en dessin, en solfège, etc.

Qu'il y ait des guides compétents pour orienter et suivre letravail de ces professeurs spécialisés.

4. Qu'on applique les directives du programme officiel

Que chaque école ait un local de sciences naturelles à la disposi-tion du professeur spécialisé.

Que chaque école soit pourvue du matériel nécessaire: livres,spécimens, instruments, etc. [...]

Qu'un Cercle de Jeunes Naturalistes soit organisé dans chaqueécole, à tous les stages de l'enseignement, pour les plus aptes et lesplus intéressés, comme complément nécessaire à leur formation età leur culture, car jamais une classe de science, si bien organiséesoit-elle, ne pourra remplacer un Cercle authentique.

Source: Mémoire des Cercles des Jeunes Naturalistes, p. Z3-2.6.

Page 422: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

52 Fédération nationale des Liguesdu Sacré-CœurPrudence dans la réforme1962

Mouvements d'action sociale catholique d'inspiration conservatrice, les Liguesdu Sacré-Cœur souscrivent à certaines réformes, par exemple, l'organisation dematernelles «libres» pour les 4-6 ans, la qualification accrue des enseignants,la création de collèges d'enseignement technique qui préfigurent la compo-sante professionnelle des futurs cégeps, la régionalisation des commissionsscolaires pour l'enseignement secondaire. Elles n'en défendent pas moins, surl'organisation d'ensemble de l'éducation québécoise, une vision fort traditiona-liste : primauté du droit des parents (« l'école ne peut être que le prolongementde la famille et les professeurs des délégués de la famille»), droits de l'Église(«l'Église a un droit strict à donner une éducation aux enfants qu'elle a bapti-sés»). Les Ligues réclament, sans beaucoup d'esprit de compromis, que lesystème d'éducation demeure confessionnel. Elles refusent l'« étatisation » del'éducation ou l'immixtion de l'État dans ce domaine. En fait, pour les Ligues,l'éducation québécoise doit demeurer sous l'autorité des deux autorités com-plémentaires déjà en place, mais qui seraient en partie réformées. D'une part,le Conseil de l'instruction publique serait remplacé par un «Conseil général del'éducation» à base confessionnelle, assisté de «conseils» catholique et pro-testant ayant juridiction sur tous les établissements, y compris les écoles tech-niques du gouvernement. D'autre part, en lieu et place d'un hypothétiqueministère de l'éducation et même du ministère élargi de la Jeunesse, confié àPaul Gérin-Lajoie depuis juillet 1960, la plénitude des pouvoirs exécutifs, aca-démiques, administratifs et financiers, en matière d'éducation, sous l'autoritédes Conseils, doit être transférée au Surintendant de l'instruction publique,décrit comme «homme-clé de tout le système» et comme «véritable ministrede l'éducation, mais dissocié de la politique». Seule une telle structure dedirection de l'éducation peut éviter l'«intrusion de la politique» et que «pro-grammes et bâtisses [scolaires] deviennent arguments pré-électoraux». Cespositions de la Fédération des Ligues du Sacré-Cœur expriment la résistancetenace d'une partie de l'opinion publique à toute prise en charge de l'éducationpar l'État, résistance que devra surmonter le gouvernement Lesage quand il sesera convaincu, après la publication du premier volume du rapport Parent, de lanécessité de créer un ministère de l'éducation.

Page 423: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

424 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

ORGANISATION GÉNÉRALE DE L'ÉDUCATION

i. Les composantes essentielles de notre système

L'organisation de notre éducation doit faire une place aux repré-sentants plus particulièrement intéressés à la promouvoir. À y in-téresser les corps vivants de la nation, l'organisation sera plussolide, plus décentralisée et l'autonomie de l'éducation commetelle sera mieux protégée. Quels sont ces groupes ?

A. Les parents. — La famille a la responsabilité première de l'en-fant. L'école ne peut être que le prolongement de la famille et lesprofesseurs des délégués de la famille. Donc le professeur a undevoir à remplir envers la famille de ses élèves bien avant d'avoirune responsabilité vis-à-vis l'État ou son association profession-nelle. La famille doit apprendre à l'enfant à gouverner sa propreliberté. C'est pourquoi les obligations des parents envers l'enfantdiminuent, jusqu'à disparaître, à mesure que l'enfant devient unhomme, époque où il assume la responsabilité de sa personnedevant la loi et sa conscience. Tant qu'il est jeune, les parentsdoivent assurer sa santé physique et, lorsqu'ils sont catholiques, sasanté surnaturelle, en lui donnant un climat favorable au dévelop-pement de son corps et de son âme.

B. Les professeurs. — Délégués de la famille ils ont donné leur vieà l'éducation de la jeunesse. Leur expérience de la pédagogie et desrouages administratifs de l'enseignement les rend indispensables. Ilest bon que les hauts administrateurs de l'enseignement aient ac-quis une grande expérience des jeunes et du monde professoral.Aussi une élite de professeurs doit entrer dans les différents Con-seils qui forment la superstructure administrative de l'enseigne-ment.

C. Les associations professionnelles. — Leur représentation n'estpas également nécessaire partout. Quelques collèges et universitésont cru bon de nommer comme conseillers ou gouverneurs desreprésentants du monde des affaires et de l'industrie, mais là où lesassociations professionnelles peuvent jouer un rôle indispensable,c'est dans le domaine de l'enseignement technique et de l'appren-tissage. Patrons et ouvriers, dans les Comités paritaires, formententre l'État et le peuple un corps intermédiaire, qui peut beaucoup

Page 424: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Ligues du Sacré-Cœur • 425

aider à la formation technique et professionnelle. Le sous-comitéde l'enseignement technique devrait inclure quelques représentantsdes associations patronales et ouvrières. L'admirable travail déjàaccompli dans les écoles d'apprentissage et quelques écoles techni-ques par ces représentants nous oblige à les associer étroitement àl'avenir technique de notre province.

D. L'État. — L'État doit être présent. Une nation qui désire survi-vre à tous les périls qui l'entourent, comme la nôtre, sera d'autantplus forte que l'État fera corps avec la nation et donnera voix à sesaspirations profondes. L'État, en démocratie, est vraiment notreaffaire. Nous élisons nos députés pour qu'ils s'intéressent à tousles intérêts temporels de notre peuple. Son rôle peut être décisif et,dans toutes les luttes pour l'autonomie de notre nation, l'Étatpuisera une force toujours renouvelée dans les jeunes formés àl'idéal d'un État français et catholique en terre du Québec.

Cependant, l'expérience universelle demande que l'éducation nedépende pas exclusivement ni sous tous les aspects de l'État. Lesintérêts de l'État ne coïncident pas toujours avec les besoins del'esprit. Les gouvernements qui se succèdent peuvent bouleverser,si des éléments prudentiels [sic] ne viennent freiner, toute conti-nuité dans le système éducationnel. Finalement, la profession d'en-seignant a tout à gagner à ne pas dépendre des forces politiques,comme le démontrent de nombreux exemples dans les autres pro-vinces canadiennes.

E. L'Église. — L'Église a un droit strict à donner une éducationaux enfants qu'elle a baptisés et engendrés à la vie surnaturelle,par ses laïcs et ses clercs. Son éducation, à travers les échecs et lesdemi-réussites où son idéal n'est jamais en faute, est le plus su-blime qui soit. Partout où elle le pourra, elle obligera les catholi-ques à recevoir non seulement une instruction, mais aussi uneéducation chrétienne. Elle veut préparer l'homme complet.

2. Notre système doit rester confessionnel

On a proposé de diviser notre système d'enseignement non plusd'après les religions (catholique-protestante) mais d'après les cul-tures (française-anglaise). La transformation serait une révolution.L'hypothèse est inacceptable. Suivant cette hypothèse, tout l'ensei-

Page 425: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

426 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

gnement du secteur français serait neutre pour tous, mais les ca-tholiques pourraient disposer des heures convenables pour l'ins-truction religieuse. C'est là une erreur profonde en ce qui a traità l'éducation chrétienne. Si jamais un petit groupe d'hommes in-fluents l'imposait, l'Église se retirerait dans le secteur privé afin dedonner une éducation intégralement chrétienne et nous verrions lamajorité de la population refuser un système qui ne correspondpas à sa conception de la vie. Nous voulons un système confes-sionnel pour des raisons très sérieuses.

A. Raison de culture intégrale. — Comment peut-on opposer cul-ture et religion ? Le christianisme est aussi une culture. Il est mêmele cœur du cœur de nos principales cultures occidentales. Arrivéesà un certain degré de perfection, les cultures débouchent sur unereligion. Là où les cultures occidentales rejettent la religion, ellescessent d'être une culture intégrale pour devenir un « système »,une «chapelle». Plus particulièrement la culture française sans lareligion est singulièrement appauvrie.

Autrement dit, l'Église ne donne pas qu'une instruction maisaussi une éducation. Par cette éducation elle donne une conceptiondu monde qui éclaire toute la culture. Il n'y a pas de cultureintégrale sans religion. Parce que la religion a quelque chose deglobal, de décisif, dans l'éducation de la personnalité, il est préfé-rable, pour le bien même de nos enfants, de continuer à divisernotre système scolaire suivant les religions. En cela même nousproposons une conception de la culture.

B. Raison de primauté. — La langue est instrument du développe-ment intellectuel mais la formation de la personnalité déborde laseule formation intellectuelle. [...]

Le gouvernail est la plus petite partie d'un bateau, mais il dirigetoute la masse, ainsi de la religion qui oriente chacune de nos vieset donne un sens à chacun de nos actes. À cause de cette primautéde la religion dans la formation d'une personnalité, nous croyonsjustifiée la division actuelle de notre système d'enseignement.

C. Le fait historique. — L'Église a joué un rôle tout à fait spécialdans l'histoire de notre nation. Nous n'eûmes pas toujours un Étatà notre image et ressemblance. Mais l'Église a toujours accompa-

[...]

Page 426: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Ligues du Sacré-Cœur • 427

gné, parfois même présidé, à la destinée de notre nation. Elle faitpartie de notre histoire, elle a structuré notre vie communautaire.Elle a bien mérité de la nation. Nous voulons continuer à associerl'Église à notre avenir. Nous la croyons source de sagesse. Sonprogramme est plus ferme, plus constant et plus consistant quecelui de tout État. À lui confier l'éducation de nos enfants (clercset laïcs chrétiens), nous savons qu'elle continuera sa tâche et s'adap-tera judicieusement à l'évolution de notre peuple. L'Église doitcontinuer à être un facteur incomparable d'unité, de stabilité et devigueur.

D. Le fait sociologique. — Un fait contre lequel on ne peut rien,c'est que notre peuple est en très grande majorité catholique. Toutesles institutions scolaires de notre province (3 universités, une cen-taine de collèges, près de 10 ooo écoles, ce qui représente environ55 ooo professeurs) sont confessionnelles. Tout notre humanismeest lié à nos conceptions religieuses : cela est devenu élément carac-téristique et élément d'unité de notre peuple. Ce fait sociologiqueest tellement évident que n'en pas tenir compte est plus le fait dela passion que de la raison. Changer cet ordre pour s'installercommodément attire l'attention par l'énormité de l'affirmation plusque par son poids de sagesse.

Toutes ces raisons ensemble demandent que notre système d'édu-cation reste confessionnel. Les protestants du Québec, d'ailleurs,n'acceptent pas un système d'éducation que la constitution leurgarantit devoir être confessionnel. De plus la division de notresystème en français-anglais consacrerait l'existence d'une provincebilingue et nous ne pourrions plus parler de l'État français duQuébec.

Ces précisions fondamentales étant données, commençons ladescription critique de notre armature éducationnelle.

3. Les corporations scolaires

Avec la prolongation de l'âge scolaire obligatoire et avec l'aug-mentation de la population étudiante, il faudra grouper de plus enplus les corporations scolaires en régions scolaires. Chaque comitérégional serait formé de délégués de chacune des corporations

[...]

[...]

Page 427: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

428 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

locales. Sa tâche serait d'étudier les besoins de la région et derépartir les collèges suivant les nécessités.

Les corporations locales n'auraient, à moins qu'elles ne soienttrès importantes par la population, qu'un comité de l'enseigne-ment du premier degré. Mais les corporations régionales compren-draient un comité du premier degré et du second degré. Programmes,manuels, horaires seraient imposés aux directeurs d'écoles du pre-mier degré et aux directeurs de collèges par le comité correspon-dant.

L'avantage de la création des régions scolaires serait d'obtenirune plus heureuse répartition des enseignements requis par unesection géographique conçue comme une unité territoriale. Lestaxes scolaires pourraient être mieux réparties avec plus d'unifor-mité dans chaque région. Les besoins en professeurs pourraientêtre mieux prévus et les échelles de salaires uniformisées de façonà éviter la concurrence entre corporations scolaires.

4. Les secteurs indépendants

Les secteurs indépendants du premier et du second degré doivents'organiser. Les bonnes volontés isolées n'ont plus de sens. Si lesecteur indépendant ne pratique pas l'autocritique et une certaineaccréditation de ses membres, il est à craindre que, dans l'étatactuel des esprits, tous les pouvoirs ne s'en occupent. Ils doiventdéfendre leurs intérêts et promouvoir leur système libre.

Par ailleurs, il est nécessaire de maintenir la plus grande ententeentre les secteurs indépendants et les secteurs publics. Ainsi aupremier degré, il devrait y avoir un échange d'observateurs entrel'Association locale des institutions indépendantes et la corpora-tion scolaire. Au second degré, il faudrait le même échange d'ob-servateurs entre les secteurs correspondants: classique public etindépendant; technique public et indépendant; etc.

Au premier comme au second degré, il devient de plus en plusnécessaire que les secteurs indépendants soient représentés, suivantun nombre de délégués à préciser, au Comité de l'enseignement dupremier et du second degré.

[...]

Page 428: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Ligues du Sacré-Cœur • 429

5. Les Comités de l'enseignement du premier et du second degré

Ils ont la haute main sur toute l'organisation académique du sec-teur public qui leur correspond. Le premier degré irait de l'écolematernelle à la ye année inclusivement. Le second degré compren-drait tous les secteurs scolaires de la 8e à la 15e année inclusive-ment.

6. Le Conseil catholique de l'éducation

Nous avons ici l'organisme clé de tout le secteur catholique dansla province. De lui relève la coordination de tout l'enseignement etdes Comités du premier [degré], du second et du Comité univer-sitaire.

Sa composition, telle qu'elle existe actuellement, imite celle deP« University Grants Committee » d'Angleterre. Il s'agit d'un Comitéformé de sages, qui ne sont délégués d'aucune organisation, maisqui ont à penser les besoins et l'avenir de tout l'enseignementcatholique et français dans la province. Ils doivent être assez nom-breux pour représenter le pays vivant mais pas tellement que lesdélibérations en soient rendues inefficaces ou difficiles à organiser.Nous aimerions y retrouver des représentants des parents, desprofesseurs, des professions, de l'État et de l'Église, suivant unnombre que les intéressés peuvent fixer.

Il est présidé par le surintendant, s'il est catholique. Le Comitéprend toutes les décisions importantes, mais il laisse toutes lesinnombrables décisions du domaine quotidien ou ordinaire auxComités correspondants (premier [degré], second et universitaire)

Non seulement le Conseil catholique de l'éducation diviseraitles difficultés entre les secteurs de l'éducation, entre les régions,coordonnerait les efforts de tous, mais, il aurait à prévoir les ins-titutions à fonder: écoles, collège pédagogique, collège techniqueou université. Il devrait aussi assurer l'autonomie qui convient etqui doit être progressive, de l'école à l'université.

C'est son rôle aussi d'approuver les livres de classe et tout ce quisert à l'enseignement, de vérifier le budget requis par l'éducationdans la province avant de le soumettre à l'État. Ce budget serapréparé par un sous-comité.

[...]

[...]

Page 429: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

430 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

7. Le Surintendant

II est l'homme clé de tout le système d'enseignement dans la pro-vince. «Nommé par le lieutenant-gouverneur en conseil durantbon plaisir » (art. n), « il doit se conformer, dans l'exercice de sesattributions, aux instructions qui lui sont données par le conseil del'instruction publique ou les comités catholiques romain et protes-tant, selon le cas» (art. 13).

Non seulement il doit « communiquer annuellement à la Légis-lature un rapport détaillé sur l'état de l'éducation dans la pro-vince» (art. 1.7) mais il doit «recevoir du trésorier de la provinceet distribuer, conformément aux dispositions de la loi, les subven-tions destinées aux écoles publiques et à toutes autres institutionsd'éducation y ayant droit». Il lui faut aussi «préparer un étatdétaillé des sommes requises pour l'instruction publique qu'il sou-met chaque année à la Législature».

Si le Comité de l'Instruction publique a été si souvent paralysédans le passé, si le Surintendant et son secrétaire adjoint ont eu uneaction si peu efficace, c'est en bonne partie parce que les gouverne-ments les ont plus souvent combattus qu'ils ne s'en sont servis.

Dernièrement, on a introduit une distinction entre le caractèreacadémique et le caractère administratif du Comité catholique del'éducation. On lui laisserait le contrôle académique, mais toute laresponsabilité financière passerait au ministère de la Jeunesse. (C'estun fait — la loi au 10 juin 1961.) Si on lui retire l'administrationdes fonds publics destinés à l'éducation, son rôle est complètementtransformé. C'est maintenant le ministre de la Jeunesse qui, parl'administration des fonds devient le surintendant de l'éducation ettoute la politique menace d'envahir l'éducation par le sommet etpar les finances.

Aujourd'hui, le surintendant préside une commission des pro-grammes, sans moyens véritables d'imposer ses vues.

Devant ce renversement de la situation et l'intrusion de la po-litique au moyen des finances, nous demandons que le Conseilcatholique de l'éducation reste un organisme délibératif et judi-ciaire [sic] et dont la fonction essentielle est de régler l'administra-tion de l'éducation par le surintendant.

Nous demandons aussi, que soit restaurée en plénitude, dansson esprit et dans ses pouvoirs, la charge de surintendant. Vérita-

[...]

Page 430: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Ligues du Sacré-Cœur • 431

blé ministre de l'éducation, mais dissocié de la politique, c'est à luide promouvoir, sous l'impulsion de son Conseil, toute l'éducationdans la province et de soumettre à l'État le budget nécessaire pourmener à bien le programme tracé. Ce budget sera étudié et votépar le gouvernement permettant ainsi au Surintendant d'accomplirsa tâche, uniquement préoccupé d'éducation et jamais de politiqueou de patronage, capable d'assurer stabilité et progrès là où lapolitique, par ses changements périodiques, ne peut apporter quebouleversements et incertitudes. Autrement, il est à craindre queprogrammes et bâtisses deviennent arguments préélectoraux.

8. Le Conseil général de l'éducation

Notre Conseil général de l'éducation a besoin d'un Bureau derelations publiques. Une grande partie des critiques dont il a étél'objet, provient de ce qu'il n'est connu que d'un nombre restreintde spécialistes. Le peuple a besoin de connaître le bien-fondé desactes et décisions du Conseil. En effet, beaucoup de personnesparties en guerre contre le Conseil ou ses deux Comités, pour unmotif ou pour un autre, ont dû étudier la question et plus leurétude approfondissait le sujet, plus l'éminente sagesse, un peucompliquée, des superstructures de l'enseignement du Québec,apparaissait. Chef-d'œuvre d'équilibre.

9. L'État

Nous n'avons pas connu les difficultés que l'Europe a traverséesdans les questions d'éducation, mais il reste que, même chez nous,l'éducation doit être à l'abri des fluctuations de la politique et desinfluences des politiciens. On se plaint parfois au Québec des len-teurs du Comité catholique, mais il faudrait comparer le systèmetracassier, la paperasserie et les pertes de temps qu'occasionnent lafonctionnarisation de l'éducation en France.

Étatiser l'éducation est une alternative qu'il faut bien étudier. Eneffet, qu'est-ce que l'État ? Pratiquement et concrètement, ce sontdes hommes qui arrivent au pouvoir législatif et exécutif, ce sontdes administrateurs intéressés qui auront à dépenser, cette annéeseulement, plus de 300 ooo ooo $. Plans et projets peuvent présen-

[...]

[...]

Page 431: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

432 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

ter une part d'idéalisme. Mais contrats et promotions font del'État une institution pragmatique. Finalement, il y a le problèmedes partis et des personnalités politiques: on peut viser à unepolitique de puissance plutôt qu'à une politique d'éducation. Etcela prend du temps avant de rendre à l'éducation son autonomienécessaire. À chaque élection, tout peut être bouleversé. Pourtantl'éducation a besoin d'unité, de continuité et de désintéressement,plus que les ministères de l'État.

Qu'en pensent les autres provinces du Canada, celles qui ont unministère de l'éducation? Partout, on s'y plaint des ingérencestracassières du ministère de l'Éducation.

[...]Que conclure? La principale réforme à laquelle aspirent les

Anglo-Canadiens, nous l'avons dans le Québec depuis un siècle.Redonnons au Conseil général de l'éducation et au Surintendant,leurs pouvoirs académiques et financiers, et l'éducation, sans bâ-ton pour entraver sa marche, reprendrait son essor. L'État, par seslots et ses représentants, aurait un rôle supplétif à la fois sage etefficace.

RECOMMANDATIONS

[Enseignement secondaire]

9. Que le Comité de l'enseignement du second degré au seindu Conseil de l'Instruction publique ait la responsabilitéd'organiser, au moins pour le secteur catholique-français, toutl'enseignement public entre la 8e et la 15e année scolaire.

10. Que les collèges, tant privés que publics, qui conduisent àun baccalauréat es arts, jouissent d'une large autonomieacadémique et pédagogique.

11. Que nos collèges gardent leur structure, elle est nécessairepour la sauvegarde d'une culture générale de ce nom.

iz. Que les programmes des collèges dits culturels soient repen-sés en vue d'une intégration complète et harmonieuse deshumanismes littéraire et scientifiques

13. Qu'aucun étudiant ne soit admis à l'université sans le bac-calauréat ou sans un certificat sanctionnant le succès d'une15e année scolaire.

[...]

Page 432: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Ligues du Sacré-Cœur • 433

14. Que le Comité de l'enseignement du second degré prenne lecontrôle des sections «secondaires» publiques actuelles etqu'il les développe en collèges publics complets.

15. Que les professeurs de l'enseignement du second degré aientun titre universitaire et aient reçu des cours de pédagogieéclairant la finalité, l'esprit, les méthodes propres à ce ni-veau d'enseignement.

16. Que l'éducation nationale et l'éducation religieuse aient leurplace dans tout l'enseignement du second degré, même tech-nique. Que l'enseignement du français soit l'objet de la plusgrande attention et soit considéré comme l'instrument deculture de première importance.

17. Que l'enseignement technique et spécialisé soit intégré àl'ensemble de notre système confessionnel et soumis à lajuridiction du Conseil de l'Instruction Publique.

18. Que le Comité d'enseignement du second degré conduiseune intelligente propagande auprès des parents et fasse leuréducation en faveur de l'enseignement technique poussé.

19. Que soit étudiée et menée à bon terme l'idée de collègesrégionaux d'artisanat.

Source: Mémoire, p. 97-113, 78-79.

Page 433: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

53 Chambre de commercede la province de QuébecNécessité d'un ministère de l'éducationet d'une réforme des structures1962

Le mémoire de la Chambre de commerce de la province de Québec s'inspire deperspectives résolument réformistes. La Chambre se prononce sans hésitationpour l'institution d'un ministère de l'éducation, assisté de conseils catholiqueet protestant et d'une instance de liaison entre eux, le «Conseil provincial del'éducation». Chaque conseil confessionnel aurait compétence dans les deuxlangues pour les établissements de sa communauté religieuse. Si l'enseigne-ment doit demeurer de façon générale confessionnel, la Chambre est ouverte l'idée d'écoles « neutres », là où le nombre le justifie (ou à des écoles d'autresconfessions, selon le même critère), et au respect du droit à la dissidence. Aplan des ordres d'enseignement, la Chambre propose un primaire et un secon-daire de six ans chacun, un ordre collégial distinct préparant soit aux facultésuniversitaires, soit au marché du travail, ainsi qu'un réseau d'« écoles techni-ques supérieures» ou de technologie. L'objectif est ainsi d'accroître à la fois lascolarisation et les qualifications de la population.

STRUCTURE PROPOSEED'UN MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION

i. Nécessité d'un ministère de l'éducation

Selon la plus saine philosophie chrétienne de l'éducation, troisorganismes sont directement intéressés à l'éducation: l'Église, laFamille et l'État; un quatrième ne l'est qu'indirectement, par dé-légation de pouvoir: le corps enseignant. Nous croyons qu'il estpossible de sauvegarder les droits et les intérêts de chacun de cesorganismes à l'intérieur même d'un ministère de l'éducation. Bienplus, le moyen le plus efficace d'assurer à chacun de ces groupes

Page 434: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Chambre de commerce du Québec • 435

l'exercice de ses droits en matière d'éducation est de définir d'unemanière claire, précise, confirmée par un texte de loi, l'organisa-tion et l'agencement de leur participation à l'éducation. C'est danscette perspective que la Chambre a abordé l'étude de la structured'un ministère de l'éducation.

Plusieurs facteurs nous ont amenés à poser la nécessité d'unministère de l'éducation.

Premièrement, l'État, étant responsable du bien commun, l'estdonc aussi de l'organisation, de la coordination et de l'administra-tion de l'éducation et de l'enseignement sous toutes ses formes, àtous ses niveaux, qu'il le fasse directement, par l'intermédiaire defonctionnaires compétents, ou indirectement, par l'entremise desociétés privées. L'État a donc le devoir de fournir des sommesd'argent, de mettre sur pied et de maintenir une structure adminis-trative, ce qui lui permettra d'assumer ses responsabilités en ma-tière d'éducation, tout en se souvenant que ce devoir, quelqueimportant qu'il soit à la réalisation de l'éducation, ne lui confèrepas le droit d'éclipser les autres organismes qui y sont intéressés.En conséquence, pour éviter que l'État s'accapare « de facto » toutle champ de l'éducation, nous proposerons un ministère où l'ad-ministration est clairement distinguée du pédagogique, tout enassurant la collaboration intime et soutenue de ces deux aspectscomplémentaires de l'éducation.

Le nombre, encore considérable, des ministères qui s'occupentd'éducation a été, pour nous, un deuxième argument en faveurd'un ministère de l'éducation. Nous croyons en effet plus normalet plus efficace de grouper dans un seul ministère tout ce quitouche à l'éducation.

De plus, à notre point de vue, un ministère de l'éducation peutmieux penser une politique de l'éducation, planifier, à courte etsurtout à longue échéance, le développement des institutions d'en-seignement, agencer harmonieusement les diverses phases de l'édu-cation de la jeunesse.

Enfin, nous déplorons que beaucoup de nos concitoyens aientpeur des mots. Le terme «ministère de l'éducation» n'est pasdangereux. Ce qui peut l'être, c'est la forme que prendra ce minis-tère. Et un ministère prend la forme que le Parlement lui donne.Il vaut donc mieux s'attacher à trouver une structure qui nousconvienne plutôt que de se cantonner dans une attitude négative.

Page 435: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

43^ • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Les organismes supérieurs de l'enseignement

La Chambre de Commerce de la province de Québec recommandela formation d'un conseil supérieur catholique, d'un conseil supé-rieur protestant et d'un conseil provincial, au sein du ministèreproposé.

2.. Les Conseils supérieurs

a. Le conseil supérieur catholique

Le conseil supérieur catholique a juridiction sur les programmesd'études de l'enseignement catholique, sur les manuels et les mé-thodes qu'on y emploie, sur la formation des professeurs qui ensont responsables. Cette juridiction s'exerce à tous les niveaux, surtoutes les maisons d'enseignement, selon des modalités qui tien-nent compte de la tradition et du niveau des institutions. Le con-seil supérieur catholique veille à ce que l'enseignement catholiquesoit un édifice bien structuré, depuis l'école maternelle jusqu'àl'université, afin que l'enfant puisse passer d'un niveau à un autresans difficulté, d'un type de cours à un autre sans trop de tempsperdu ou d'efforts inutiles. De plus, le conseil catholique s'assureque la qualité de l'enseignement et de l'éducation à chaque niveaun'est pas inférieure à une certaine norme, que ce soit à la campa-gne ou dans les villes, dans les grosses ou les petites commissionsscolaires.

Pour que chacune de ces tâches soit effectivement remplie, nousavons adjoint au comité supérieur catholique quatre conseils d'en-seignement, dont il sera question plus loin. Par rapport au conseilsupérieur, la fonction des conseils d'enseignement est de s'occuperdes programmes, des manuels, des méthodes, des budgets propresà leur secteur. Les conseils d'enseignement présentent leurs rap-ports, leurs projets, leurs budgets au conseil supérieur. De sortequ'il a en main tout ce qu'il faut pour assurer la coordination etla qualité de l'enseignement.

Le conseil supérieur catholique relève du lieutenant-gouverneuren conseil par l'entremise du ministre de l'éducation. Il sert d'in-termédiaire entre les conseils d'enseignement et le gouvernement.

[...]

Page 436: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Chambre de commerce du Québec • 437

b. Le conseil supérieur protestant

Nous prévoyons la formation d'un conseil supérieur protestant.Nous n'avons pas poussé dans les détails la description de ceconseil, nous disant que les plus aptes à l'organiser étaient lesprincipaux intéressés. Notre intention, cependant, serait que ceconseil soit créé dans le même esprit que le conseil catholique,compte tenu de la tradition anglo-saxonne.

c. Le conseil provincial

Le conseil provincial est surtout un organisme de liaison entre leconseil supérieur catholique et le conseil supérieur protestant. Ilrelève, lui aussi, du lieutenant-gouverneur en conseil.

Voici quelles sont ses fonctions:

a. il est au service et du conseil catholique et du conseil pro-testant chaque fois qu'un sujet est d'intérêt commun auxdeux conseils confessionnels;

b. il a juridiction sur l'enseignement professionnel moyen, c'est-à-dire sur l'enseignement technique, les écoles de métiers,les centres d'apprentissage, les écoles agricoles, les écolesvétérinaires, etc. ;

c. il a juridiction sur l'enseignement non confessionnel ou d'uneconfessionnalité autre que catholique ou protestante, à tousles niveaux, sous toutes ses formes;

d. il a également juridiction sur l'éducation des adultes.

Nous adjoignons au conseil provincial trois conseils d'enseigne-ment : le conseil de l'enseignement professionnel moyen, le conseilde l'enseignement aux adultes, le conseil de l'enseignement neutre.Les rapports entre ces conseils d'enseignement et le conseil provin-cial sont analogues à ceux qui existent entre le conseil supérieurcatholique et les conseils d'enseignement qui y sont reliés.

d. Rapports entre ces conseils

D'étroits rapports doivent se nouer et se maintenir entre chacun deces conseils, ce qui permettra une collaboration franche et ouverteentre eux. À ce point de vue, deux remarques s'imposent:

[...]

Page 437: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

438 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

a. les trois conseils sont sur un pied d'égalité au plan adminis-tratif, chacun relevant du ministère par l'intermédiaire d'unsous-ministre adjoint;

b. la situation du conseil provincial est délicate. Là se rencon-treront des gens très différents les uns des autres: nousespérons que cet affrontement sera fructueux et qu'il ensortira une meilleure compréhension mutuelle. Le conseilprovincial aura à étudier les questions qu'y soumettra soitl'un, soit l'autre groupe de représentants: nous espéronsque l'étude de ces problèmes se fera sans parti pris excessifet dans la perspective du bien commun de la nation. Enfin,ce conseil aura des recommandations à adresser aux con-seils confessionnels qui devront les étudier sérieusement ets'y conformer, à moins qu'il y ait des objections valables. Lecas sera alors soumis au conseil provincial pour une nou-velle étude.

e. Solution du problème de la confessionnalité

La solution que nous proposons au problème de la confessionnaliténous semble réaliste : elle permet le respect de la liberté dont jouis-sent les parents d'envoyer leurs enfants à l'école de leur choix, elleassure des droits et des privilèges scolaires égaux pour tous lescitoyens, elle respecte la tradition confessionnelle de notre systèmed'enseignement.

Cette solution exige cependant un mode de financement desinstitutions scolaires tel qu'il ne faille pas aux parents se déclarerofficiellement neutres, par exemple, pour obtenir la permissiond'envoyer leurs enfants à cette école. Légalement, le système devrapermettre aux parents d'envoyer leurs enfants à l'école neutre,quelle que soit la position religieuse des parents.

Pour déterminer s'il est opportun ou non d'ouvrir une écoleneutre, le seul critère est celui de la fréquentation scolaire. Nouslaissons aux experts le soin de déterminer le nombre d'enfantsrequis pour que l'établissement d'une école neutre soit réalisable.

Enfin, la Chambre de Commerce insiste pour que soit claire-ment établi le divorce de la religion et de la langue. Le conseilsupérieur catholique n'est pas exclusivement français, le conseilsupérieur protestant n'est pas exclusivement anglais. Chacun desconseils est responsable de tous les individus de même confession-

Page 438: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Chambre de commerce du Québec • 439

nalité, indépendamment de la langue qu'ils parlent, mais confor-mément à la culture dont ils vivent. Ce qui, concrètement, signifieque le conseil supérieur protestant doit établir un système d'écolesfrançaises protestantes, en tous points aussi favorisées que les écolesanglaises.

3. Les conseils d'enseignement reliésau conseil supérieur catholique

Les conseils d'enseignement sont des organismes rattachés directe-ment soit au conseil supérieur catholique, soit au conseil provin-cial. Ils sont responsables d'un aspect précis de l'enseignement.

Sont reliés au conseil supérieur catholique:

a. Le conseil de l'enseignement du premier degréCe conseil voit à ce que les écoles maternelles et les écolesprimaires, qu'elles soient privées ou publiques, remplissentleur fonction respective d'une manière non inférieure à unecertaine norme minimum de qualité.

b. Le conseil de l'enseignement du deuxième degré

c. Le conseil de l'enseignement universitaire

d. La commission de l'enseignement des sciences de l'éducationCette commission a une double fonction:— Elle est responsable de la formation des instituteurs et

des professeurs.

— Elle est un centre de recherche et d'information pédago-gique.

4. Les conseils d'enseignement reliés au conseil provincial

Sont reliés au conseil provincial:

a. Le conseil de l'enseignement aux adultes

b. Le conseil de l'enseignement professionnel moyen

c. Le conseil de l'enseignement neutre

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

Page 439: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

44<> • Autour de la commission Parent (1961-1963)

QUESTIONS TOUCHANT LA STRUCTUREPÉDAGOGIQUE DE NOTRE ENSEIGNEMENT

1. Les classes maternelles

Les classes maternelles, ouvertes par l'initiative privée, sont con-centrées dans les grandes villes. Il serait souhaitable qu'elles serépandent à travers la province. De plus, des frais de scolaritérelativement élevés restreignent la fréquentation de ces classes àune minorité. Nous souhaitons donc voir les commissions scolai-res ouvrir des classes maternelles. Qu'elles s'assurent les locaux etle matériel didactique nécessaires. Nous tenons à signaler qu'ilserait malheureux d'ouvrir des classes maternelles sans réaliser cesconditions, uniquement pour satisfaire l'opinion publique et pourdonner l'impression que la commission scolaire est à l'avant-gardedu progrès pédagogique. L'objectif des classes maternelles est ledéveloppement des sens et l'apprentissage de la sociabilité. Nousregrettons fort que certaines écoles maternelles se soient chargéesd'organiser des classes de première année. Cette initiative ne peutque provoquer une plus grande confusion des étapes de l'enseigne-ment.

2. Les classes du niveau primaire

Que la qualité de l'enseignement donné à ce niveau s'améliorebeaucoup et rapidement, tel est l'essentiel de notre recommanda-tion concernant l'enseignement primaire actuel.

Pour hausser la qualité moyenne de l'enseignement primaire, ilnous semble nécessaire d'attaquer le problème sur cinq fronts à lafois:

a. — Définir le primaire comme un cours d'initiation, donc uncours non terminal, et, en conséquence, concentrer le programmed'études sur les matières de base: apprentissage de la languematernelle parlée et écrite (lecture, écriture, grammaire, expressionorale et écrite), initiation au calcul et développement sain de laconscience morale et civique en même temps qu'initiation intelli-gente aux sciences religieuses (catéchisme, liturgie, histoire sainte).

b. — Rendre les classes plus homogènes, en éliminant des classesordinaires, les enfants nettement caractériels, les enfants lents, cesdoubleurs habituels, toujours plus vieux et plus grands que les

Page 440: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Chambre de commerce du Québec • 441

autres, qu'on place toujours en arrière ou tout à l'avant des clas-ses, qui finissent par se convaincre pour le reste de leur vie « qu'ilsne valent rien », en éliminant aussi les sous-doués. Qu'on s'y prenned'une manière ou de l'autre, il faut former des classes homogènes,le plus rapidement possible. Dans l'état actuel de l'enseignementprimaire, et cette constatation vaut pour les deux premières annéesdu secondaire actuel, un élève intelligent y apprend la paresse,c'est-à-dire le succès sans effort. Après sept, huit, neuf ans de cesystème, l'enfant est définitivement contaminé et ne sera jamaiscapable de l'effort nécessaire à la mise en valeur de ses talentsintellectuels.

c. — Diminuer le nombre d'élèves par classe. [...]

d. — Travailler peu à peu, d'une manière réaliste, mais sans relâ-che, à l'amélioration du personnel enseignant. Pour cela, favoriserla spécialisation au primaire (actuellement, les bons professeurs duprimaire veulent passer et passent au secondaire, le plus souventpour toucher une prime de traitement), trouver un moyen de ren-dre les salaires équivalents à travers la province pour éviter que lescampagnes soient le refuge des instituteurs ou des institutrices deseconde qualité, le refuge des non-diplômés.

e. — Réviser sérieusement et objectivement tous nos manuels sco-laires. Corriger tout ce qui peut être corrigé. Mettre en chantier lesmanuels qui, plus tard, remplaceront ceux qu'on juge inacceptableou désuets. Au besoin, qu'on forme des équipes de professeursexpérimentés qu'on retirera de l'enseignement pour qu'ils aient ladisponibilité, la liberté d'esprit nécessaire à la rédaction d'un manuel.

f. — Étudier de près la possibilité et l'opportunité d'uniformiser lesmanuels scolaires employés dans les classes du primaire. De primeabord, il ne semble y avoir aucune objection pédagogique à ce quetous les enfants de la province se servent des mêmes manuels.Alors qu'il y aurait un avantage économique certain à procéderainsi.

3. Les classes du niveau secondaire

Les remarques qui suivent concernent l'enseignement secondairepublic, mises à part les sections classiques.

Page 441: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

442 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

a. — Nous regrettons la manière dont se font la sélection et leclassement des élèves entre les diverses sections du secondaire:bien souvent, c'est le rendement scolaire et non les goûts et lesaptitudes qui décide de l'orientation de l'élève. Selon une coutumeassez répandue, les élèves les plus forts continuent dans la sectionsciences-mathématiques, les suivants en sciences-lettres, les moyensen général et le reste en commercial. Cette coutume lèse gravementet les élèves et la nation. Alors que, théoriquement, les deux sec-tions scientifiques (sciences-mathématiques et sciences-lettres) sontde même valeur, la politique actuelle d'orientation dévalue à cepoint la section sciences-lettres que les écoles professionnellesmoyennes ou les écoles universitaires sont plus sévères à l'égarddes élèves qui proviennent de cette section. Ainsi, l'école des HautesÉtudes Commerciales de Montréal n'accepte pas les diplômés desciences-lettres à ses cours de baccalauréat. Voilà un groupe con-sidérable d'étudiants qui ne pourront s'orienter vers les affaires,sans qu'il y ait de leur faute.

b. — D'une manière générale, ceux qui reçoivent les élèves dusecondaire public déplorent leur manque de formation intellec-tuelle. Ces élèves savent beaucoup de choses, mais ils ignorentl'essentiel : savoir travailler. La plupart des pédagogues fixent commeobjectif au cours secondaire l'initiation à la vie et au travail intel-lectuels. Nos diplômés en sont loin: le plus souvent, ils n'ontjamais entendu parler de méthode de travail [...].

Nous croyons que les professeurs du secondaire ne se préoccu-pent pas assez de la formation, de l'éducation de leurs élèves,concentrant toute leur attention sur la seule instruction. Le secon-daire n'est, alors, qu'un primaire prolongé. Qu'on insiste moinssur la quantité des connaissances supposément acquises, davan-tage sur leur approfondissement et, à cette occasion, sur la décou-verte des mécanismes de la pensée.

c. — Nous tenons à signaler que les diplômés du secondaire sonttrès faibles en français écrit et qu'ils parlent en général un françaispénible à entendre. Le français est certainement la matière la plusnégligée du secondaire. Le point est d'importance. Il n'y a pas depensée claire sans une langue claire. Il n'y a pas de pensée pro-fonde sans une profonde connaissance de la langue. Bien souvent,toute la carrière d'un homme se joue sur ce plan de la pensée etde l'expression.

[...]

Page 442: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Chambre de commerce du Québec • 443

d. — D'une manière générale, nous pouvons donc conclure que,dans l'état actuel des choses, il se commet chez nous un net abusde scolarité. L'enfant va trop longtemps à l'école pour ce qu'il yapprend. On y perd donc beaucoup de temps. On devrait repenserles programmes du primaire et du secondaire dans cette perspec-tive. D'une part, qu'on procède de manière à ce que l'enfant sachevraiment ce qu'il apprend; d'autre part qu'on organise le pro-gramme de manière à ce que la progression de la connaissance soitconstante, jamais stagnante, de sorte que l'enfant soit constam-ment tiré vers l'avant par le professeur, plutôt que ce soit le pro-fesseur qui suive l'enfant.

4. Après le secondaire

De sérieux problèmes se posent actuellement aux finissants dusecondaire public.

a. — II y a un manque réel d'écoles professionnelles moyennes.Voilà quelques années, les écoles primaires ne suffisaient pas à

recevoir tous les enfants : on a construit des écoles primaires. Cesenfants ont grandi, ont atteint le secondaire, créant le même pro-blème une seconde fois: on a construit des écoles secondaires.Maintenant ces enfants, devenus jeunes gens, terminent leurs étu-des secondaires et veulent continuer. C'est au tour des écoles pro-fessionnelles à être prises d'assaut. [...] Ce qui fait que, partout,des candidats qui, normalement, devraient être acceptés sont refu-sés parce qu'il y en a de meilleurs qu'eux. Les élèves de quotientintellectuel moyen sont les plus touchés.

b. — De plus en plus s'affirme la nécessité de collèges universitai-res où les élèves du secondaire public pourraient suivre, à fraisraisonnables, un cours collégial de 4 ou 5 ans qui leur permettraitd'entrer à l'université. On n'a pas idée du gaspillage de talent, detemps et d'argent occasionné par cette lacune. Il est très urgentd'étudier de près cette situation.

5. Proposition d'une nouvelle structure

La Chambre de Commerce de la province de Québec croit qu'il ya lieu de simplifier, de coordonner et de mieux structurer l'ensei-gnement dans la province de Québec. Elle ne se voit pas la com-

Page 443: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

pétence requise pour aborder cette question dans ses moindresdétails. Cependant, à la lumière de ce qui précède, s'appuyant à lafois sur ce qui se fait en France et au Canada anglais, nous pro-posons les étapes suivantes:

a. Une école maternelle non obligatoire, acc sible à tous:

b. Le cours primaire:

Le programme du cours primaire devrait être conçu pour six an-nées d'études. Il s'appliquerait tel quel aux enfants ordinaires etnormaux.

Pour les enfants surdoués, il pourrait être enrichi par une inten-sification ou un approfondissement des matières enseignées. Il nedevrait pas être écourté ni accéléré. L'enfant normal a besoin d'ac-quérir la maturité que seul l'âge peut lui donner.

Par contre, le cours primaire pourrait être allongé, ou ralentijusqu'à donner huit années à l'enfant lent, retardé ou sous-douépour le parcourir. Les matières au programme seraient les mêmes,mais réparties sur une plus longue période et enseignées avec lestechniques appropriées. Il y aurait aussi possibilité de réduire, enprofondeur, certaines matières plus complexes, telles que l'histoire,la géographie et le catéchisme. Le cours primaire ne devrait pascompter d'option.

c. Le cours secondaire:

Le cours secondaire proprement dit devrait comporter pour lapopulation normale, six années d'études, avec options.

i. — Le programme des deux premières années du cours secon-daire devrait être le même pour tous les enfants. Cependant, l'onpourrait prévoir, pour les enfants surdoués, des classes spéciales oùl'enseignement serait enrichi et intensifié, comme au cours pri-maire. De même, l'on pourrait prévoir un secondaire social dedurée variable pour les enfants lents, retardés ou sous-doués, etrépartir le programme sur trois ou quatre années de façon à pré-parer ces enfants directement aux écoles de métiers et de services.L'étudiant aurait alors atteint l'âge de 17 ou 18 ans; l'instruction

[...]

Page 444: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Chambre de commerce du Québec • 445

de base reçue devrait lui suffire pour faire l'apprentissage d'unmétier ou d'un service.

2.. — Les deux années suivantes du cours secondaire devraientcomporter des options, de façon à conduire l'étudiant vers l'uni-versité, par des voies différentes, selon ses goûts et ses aptitudes.L'étudiant serait alors prêt pour les Instituts de Technologie et lesécoles professionnelles moyennes.

3. — Les deux dernières années du cours secondaire prépareraientau cours collégial.

à. Cours collégial, collège universitaire et cours classique:

Si le cours secondaire public comportait six années d'études pourtous les enfants qui se dirigent vers des facultés ou écoles univer-sitaires, il faudrait prévoir, pour les facultés et écoles qui n'exigentpas le baccalauréat es art, un collégial de deux années orienté assezlargement vers la faculté ou école universitaire choisie, mais com-portant des cours de philosophie, de psychologie, de méthodes detravail.

Ce cours collégial pourrait se donner soit dans les institutionsindépendantes (collèges classiques), soit dans des collèges univer-sitaires affiliés ou accrédités dans chaque région universitaire. Unecertaine élimination se ferait pendant ces deux années d'études ; lesclasses de première année à l'Université seraient moins nombreu-ses ; l'étudiant serait, alors qu'il est encore très jeune, plus près deson propre milieu ; enfin, il en coûterait moins cher aux parents etau gouvernement.

e. Cours universitaire:

La Chambre de Commerce de la province de Québec ne se sent pasla compétence voulue pour discuter des programmes universitai-res, comme tels. Cependant, elle croit le temps venu d'examiner lesstructures administratives universitaires et de définir les grades etdiplômes décernés par les universités.

Page 445: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

446 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

f. Durée de la scolarité:

Nous croyons souhaitable que l'âge moyen actuel de nos finissantsuniversitaires diminue. Il y a certainement lieu de le réduire : (a) eninscrivant les enfants plus tôt à l'école primaire (à l'âge de 5 ans,au lieu de 6} ; (b) en augmentant le nombre de jours de classe d'uneannée scolaire (actuellement, le nombre de jours de classe ne dé-passe pas 190 au primaire et au secondaire et 150 à l'universitaire :il pourrait être augmenté considérablement et mieux distribué entreles vacances d'hiver et les vacances d'été); (c) en concentrant lesprogrammes du primaire et du secondaire de manière à n'y inté-grer que le nécessaire.

Sur la base de la structure pédagogique que nous proposons eten combinant les moyens que nous venons d'énumérer, l'étudiantpourrait épargner deux ou trois années de scolarité. La diminutionde la scolarité ne devrait cependant pas nous empêcher d'augmen-ter la qualité de l'enseignement à tous ses niveaux.

6. Création d'écoles de services

L'industrie et le commerce ont besoin d'un grand nombre d'auxi-liaires pour recevoir ou expédier la marchandise; pour classer,déballer et étaler la marchandise ; pour utiliser la machinerie lourdede construction, etc.

Aux jeunes garçons que leurs aptitudes ou leurs goûts destinentà ces fonctions de petits auxiliaires, il faudrait un cours qui soitl'équivalent de celui des écoles de métiers, c'est-à-dire un entraîne-ment à la fois théorique et pratique d'une année, peut-être.

Le programme d'une telle école de services devrait être établi detoutes pièces par une équipe de professeurs, en collaboration avecl'industrie et le commerce.

7. Création d'une école professionnelle moyenneconsacrée aux études commerciales

La Chambre de Commerce de la province de Québec demandequ'on crée, le plus rapidement possible, un système d'écoles pro-fessionnelles moyennes consacrées aux études commerciales.

Dans l'échelle des institutions d'enseignement, une telle école sesituerait après le cours secondaire, au niveau collégial, et compor-

Page 446: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Chambre de commerce du Québec • 447

terait deux années d'études d'initiation aux affaires. Elle s'adres-serait aux diplômés du cours secondaire que les affaires intéres-sent, mais qui n'ont pas les aptitudes, les moyens ou le goût d'étudesde niveau universitaire. Leurs études seraient couronnées par undiplôme commercial officiel et reconnu.

L'école professionnelle commerciale moyenne préparerait auxfonctions subalternes et auxiliaires des affaires, telles que commisde banque, teneurs de livres, magasiniers, garçons d'entrepôt,commis de magasin, commis de bureau, voyageurs de commerce,vendeurs de toutes sortes, secrétaires, etc.

Le programme d'études de l'école professionnelle commercialemoyenne devrait être établi par une équipe de professeurs, decommerçants et d'industriels, en collaboration avec la Faculté deCommerce des Universités.

C'est à cette école professionnelle que devraient être rattachéestoutes les écoles commerciales privées que l'on trouve dans toutesles villes de la province de Québec et qui fonctionnent sans con-trôle aucun. On devrait instaurer un système d'accréditation. Pourêtre accréditée, une école commerciale privée devrait faire approu-ver ses programmes d'études, ses méthodes et ses examens, defaçon à protéger l'étudiant aussi bien que le futur employeur.

8. Création d'écoles techniques supérieures

En octobre 1961, dans un mémoire présenté au comité d'étude surl'enseignement technique et professionnel, la Chambre s'est pro-noncée en faveur de la création d'écoles techniques supérieures.

Nous estimons en effet qu'il y aurait lieu d'insérer dans la struc-ture éducationnelle du Québec des écoles techniques supérieuresen vue de former des ingénieurs-techniciens. Ces écoles se situe-raient entre nos instituts de technologie actuels et l'École Polytech-nique et nos diverses facultés de génie.

Les écoles d'arts et métiers forment du personnel pour les tâchesd'exécution: ouvriers qualifiés ou spécialisés.

Les instituts de technologie forment les agents du cadre intermé-diaire: techniciens et contremaîtres.

Les écoles d'ingénieurs-techniciens formeraient le personnel dedirection : les chefs d'ateliers ou surintendants et les adjoints auxingénieurs.

Page 447: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

448 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Dans nos écoles actuelles d'ingénieurs, à peu près 2,5 % desétudiants en génie abandonnent leurs études principalement à caused'échecs aux examens, à peu près la même proportion doit repren-dre au moins une année et les autres, soit 50 % à peine, réussissentà obtenir leur diplôme dans le temps minimum prévu, soit 5 ans.

Ce gaspillage de forces et d'argent, puisque chaque étudiantcoûte à l'université plus de 1500$ par année, pourrait être éliminéen grande partie s'il existait des écoles pour recevoir ces étudiantsdont les ressources intellectuelles sont insuffisantes pour l'univer-sité, tout en étant supérieures à celles qui sont requises pour lesinstituts de technologie.

L'échec d'un candidat-ingénieur signifie la ruine de sa carrièrepuisqu'il n'existe pas chez nous d'institutions de niveau intermé-diaire. Ceci comporte pour ces jeunes gens des risques de décou-ragement dont un certain nombre ne se relève jamais, privant ainsila Province d'une contribution utile à sa vie économique.

Notre enseignement technique devrait d'une part clarifier leséchelons existants, c'est-à-dire définir et distinguer clairement lesécoles de métiers des écoles techniques, et d'autre part compléterses étapes en créant les écoles techniques supérieures qui lui man-quent et dont on a un besoin réel.

9. Enseignement de l'économie et du civisme

Depuis plusieurs années, et à maintes reprises, la Chambre s'estélevée contre deux déficiences marquantes dans la pratique del'enseignement primaire et secondaire de notre province.

Il s'agit: (a) du manque de formation économique pratiquedonnée aux enfants à l'école ; (b) de la pauvreté de l'enseignementdu civisme et du peu d'importance qu'on lui accorde dans lesprogrammes d'études.

Dans le premier cas, il arrive comme conséquence que les jeu-nes, au sortir de l'école, du collège et même de l'université, necomprennent presque rien au fonctionnement du régime économi-que dans lequel nous vivons et sont prêts à s'emballer pour toutessortes d'idéologies fallacieuses en ce domaine. Certains événementsrécents sont la preuve d'une ignorance dangereuse des connaissan-ces économiques les plus élémentaires de la part d'une très grande

[...]

[...]

Page 448: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Chambre de commerce du Québec • 449

partie de notre population. Ce manque de formation de nos genss'est traduit dans le passé par un manque de participation à la vieéconomique de la nation et, lorsqu'il y eut participation, elle futtrop souvent mal éclairée.

Dans le second cas, il nous semble que les vertus civiques pour-raient, avec grand avantage pour notre population, être enseignéessur une bien plus grande échelle dans nos écoles et ceci dès lespremières années du cours élémentaire. De nos jours, l'on faitgrand état des droits du citoyen, mais combien piètre est l'éduca-tion de ce citoyen sur ses responsabilités envers la société. Cedébalancement provoque l'égoïsme, l'irresponsabilité, l'incivismeet peut éventuellement nous mener au socialisme intégral.

Source: Mémoire, p. 2.1-15, 3I~37-

Page 449: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

54 Confédération des syndicats nationauxRéformer sous l'empirede la démocratisation1962

C'est un mémoire visiblement fouillé et étoffé que présente à la CommissionParent la Confédération des syndicats nationaux (CSN). Se rappelant le mé-moire conjoint qu'elle avait soumis avec la Fédération des travailleurs du Qué-bec en 1958 au Surintendant de l'instruction publique, la CSN commence par uvif plaidoyer en faveur de la démocratisation de l'éducation définie comme «unechance égale à tous d'acquérir la formation correspondant à leurs aspirationset à leurs aptitudes», ce qui amène une critique du système en place. La CSdénonce par ailleurs des courants de pensée qui tendent à réduire l'éducationà sa seule fonction d'enrichissement économique et de promotion sociale del'individu et prend ainsi ses distances avec le slogan déjà utilisé par le ministèrede la Jeunesse: «Qui s'instruit s'enrichit.» Favorable à l'établissement d'unsecondaire public conduisant jusqu'à l'université, la CSN préconise aussi lapolyvalence ou la diversification des cheminements scolaires, une modernisation de la pédagogie et une formation soignée du personnel enseignant. Elleveut l'établissement d'un véritable ministère de l'éducation aidé par un Conseilde l'instruction publique dont les membres seraient nommés selon des règlesassurant une réelle représentativité.

I. LA DÉMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT

Par démocratisation de l'enseignement nous entendons beaucoupplus que la facilité matérielle accordée à tous de fréquenter lesécoles existantes. [...]

i. Qu'est-ce que la démocratisation de l'enseignement?

À nos yeux, l'éducation joue une double fonction: elle est unbesoin essentiel à la fois de l'individu et de la société. On le recon-naît aujourd'hui assez facilement dans le premier cas, mais on

Page 450: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

CSN • 451

l'oublie dans le second. Or, cela peut avoir des conséquences gra-ves sur l'orientation du système d'éducation d'un pays. Mettrel'accent uniquement sur le service à l'individu revient à ne favori-ser à la longue que les plus aptes à l'étude, à organiser un systèmequi permette aux plus intelligents de « percer » indépendammentde leurs conditions de fortune, mais qui néglige en quelque sorteceux qui constitueront tout probablement le plus grand nombre.Chaque individu aurait ainsi la chance de parvenir jusqu'au faîte,mais la majorité échouerait dans son ascension d'une pyramide oùl'on n'aurait pas prévu de paliers suffisants et assez larges pourque tous se sentent en sécurité et que les bases mêmes soient assezsolides pour supporter l'ensemble.

a. Un besoin de l'individu

En fonction des besoins de l'individu, démocratisation veut d'aborddire: donner à tous la possibilité de faire des études selon leursaptitudes. Le progrès technique et surtout ce que Jean XXIII ap-pelle, dans Mater et Magistra, le phénomène de « socialisation »permettent aujourd'hui de mettre les biens vitaux de base à laportée de tous. Or l'éducation est évidemment un de ces biensvitaux de base, comme la nourriture, le logis, la santé, etc. Dansle monde occidental dans lequel nous vivons, où la science et latechnique ont fait des progrès considérables et ont élevé sensible-ment le niveau de vie de la population, il serait inadmissible qu'onne fasse pas tout pour fournir à chacun les moyens de développersa personnalité propre selon ses dispositions et ses capacités.

Et l'on ne peut nier que dans l'état d'évolution actuelle dumonde et de complexité de la vie sociale, économique et politique,l'homme ait plus que jamais besoin d'une solide formation debase, de connaissances techniques assez larges et de culture assezétendue pour simplement exercer ses droits et remplir ses respon-sabilités de citoyen et de parent.

b. Un besoin de la société

En fonction des besoins de la société, démocratisation veut diredavantage. Elle signifie, selon nous, que l'on doit concevoir l'en-seignement comme un moyen essentiel d'élever le niveau intellec-

[...]

Page 451: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

452 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

tuel et moral de toute la communauté, en particulier de ceux quiconstitueront tout probablement le plus grand nombre. La socia-lisation, ou la multiplication progressive des relations dans la viecommune, n'est pas seulement la cause de l'intervention croissantedes pouvoirs publics dans une foule de domaines, dont celui del'éducation, mais elle en est aussi l'effet, comme nous venons de ledire. L'État lui-même a besoin d'intervenir de plus en plus dans lavie économique et sociale, non seulement pour défendre les inté-rêts des individus, mais aussi pour promouvoir le bien commun del'ensemble de la société ; c'est même là sa fonction première. Celasignifie, dans le cas qui nous occupe, que l'État doit promouvoirl'éducation non seulement pour répondre aux exigences de chaqueindividu, mais dans l'intérêt même du bien commun général.

En conséquence, nous ne croyons pas qu'il suffise de formertous les « cadres » dont la société a besoin, même sans faire dediscrimination au départ. Il ne suffit pas de faciliter l'accession àl'Université au plus grand nombre possible. Encore faut-il et, mêmed'abord, doit-on assurer à la base, à tous les citoyens, la meilleureformation possible dans le but de garantir à la société l'équilibredont elle a besoin pour se développer normalement dans la paixet l'harmonie. La démocratie elle-même, qui est le gouvernementdu plus grand nombre, ne peut survivre et progresser sans uneéducation le plus largement répandue. C'est pourquoi la formationcivique des citoyens est aussi importante que la formation techni-que des «cadres», et le relèvement culturel et moral de toute lacommunauté, plus capital même que la multiplication des univer-sités. C'est pourquoi aussi nous ne pouvons admettre que chaqueindividu paie les frais de sa formation dont toute la société béné-ficie et pourquoi donc nous demandons à l'État de trouver lesmoyens de financer l'un des services les plus essentiels à la com-munauté dont il a le premier besoin.

2. La conception traditionnelle de Véducation

On pourrait résumer une bonne partie de ce qui vient d'être expli-qué en disant que la démocratisation de l'enseignement demandequ'on accorde une chance égale à tous d'acquérir la formationcorrespondant à leurs aspirations et à leurs aptitudes. Mais laconception traditionnelle de l'éducation, qui a prévalu dans le

[...]

Page 452: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

CSN • 453

monde au cours des quelque cent dernières années, a inspiré assezfortement notre propre système d'enseignement pour opposer en-core aujourd'hui un grand nombre d'obstacles à la poursuite decet idéal.

a. Inégalité devant les méthodes

Jusqu'à présent, l'enseignement a été orienté, en gros, plutôt versl'étude et la formation professionnelle universitaire que vers la vieet ses multiples exigences. Il ne semblait avoir été conçu que pourles plus intelligents, mais encore pour une sorte d'intelligenceparticulière, théorique, spéculative. Les autres qui ne possédaientpas cette sorte d'intelligence ne pouvaient pas se rendre au bout.Après avoir peut-être essayé deux ou trois années d'un cours se-condaire, ils devaient quitter pour se trouver devant rien. Le butà atteindre semblait être uniquement la formation d'une « élite ».On ne se gênait pas, en tout cas, pour le dire, et pour laisserentendre que tous ceux qui échouaient dans leurs tentatives d'at-teindre le sommet malgré tout, étaient des ratés.

On vient à peine de pratiquer des ouvertures dans le corridorétroit qui conduisait du cours primaire au cours classique et àl'Université. On a ajouté certains embranchements que trop degens considèrent encore comme des voies d'évitement pour les« moins doués ». L'enseignement, tant au niveau primaire qu'auniveau secondaire, reste encore trop exclusivement conçu commeune étape dans la préparation indispensable à des études universi-taires. Il est trop théorique et ne prévoit pas qu'à partir d'uncertain degré, un nombre de plus en plus grand de jeunes devrontabandonner les études scolaires pour gagner leur vie. L'égalitén'existe donc que devant des méthodes d'enseignement ne conve-nant qu'à un petit nombre, c'est-à-dire ceux qui pourront parcou-rir la voie royale conduisant au sommet. Les chances ne sont paségales au départ. L'inégalité finale est certaine.

b. Les influences socio-économiques

Mais la discrimination qui découle de méthodes d'enseignementtrop rigides et trop théoriques et d'un système scolaire trop étroitn'est pas la seule qui fasse échec à une véritable démocratisation.

[...]

Page 453: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

454 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Les influences socio-économiques jouent peut-être dans le mêmesens encore davantage. [...]

Chez nous comme ailleurs, la sélection par l'argent a au moinsété aussi implacable. À la fois, la conception traditionnelle quinous faisait croire que chacun devait payer pour son instruction etles très bas revenus des travailleurs québécois ont été la cause del'abandon de l'école après la ye année par un grand nombre d'en-fants dans notre province.

3. Les forces nouvelles qui se conjuguentdans l'école moderne pour l'orienter

Pour que « l'éducation se présente comme un instrument très puis-sant de la réalisation d'un idéal démocratique », il faut non seule-ment réagir contre la conception traditionnelle de l'éducation telleque nous venons de la décrire, mais aussi contrôler des forcesnouvelles qui se conjuguent aujourd'hui dans l'école moderne pourl'orienter. C'est là un autre aspect du problème de la démocratisa-tion de l'enseignement que nous voulons traiter avant de clore cechapitre.

a. Le courant économique

II n'y a pratiquement plus personne aujourd'hui qui n'admette lanécessité pour chacun d'une culture et d'une formation profession-nelle aussi poussées que possible pour faire face aux exigences dumonde moderne. On s'accorde sur le besoin de réformes scolaireset l'on admet de plus en plus facilement que l'enseignement doitêtre gratuit. On assiste même à ce qu'on a appelé « une véritableruée vers l'école, parallèle à une ruée vers l'or ». Ce que l'on craintle plus, c'est que l'école devienne « concurrentielle, lieu d'égoïsmeet d'arrivisme » et qu'un fort courant économique fasse pressionsur elle pour la mettre au service d'intérêts privés, sans égard pourceux du bien commun. Autrefois, on pouvait parvenir très hautdans l'échelle, jusqu'à la tête d'un empire industriel, sans avoirdans sa poche aucun diplôme. On a souvent cité en exemple lenom de grands industriels ou politiciens qui sont partis de rien etqui, à force de travail et de volonté, en bousculant tout sur leurroute, sont parvenus jusqu'au sommet de la puissance. On admet

[...]

Page 454: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

CSN • 455

aujourd'hui que cela n'est plus possible, que les fortunes ne sebâtissent plus à partir d'un petit commerce de cirage de chaussu-res, ou de la découverte d'un filon d'or au Klondike. Il faut passerpar l'école et se rendre aussi loin que possible. Mais les intérêtssont restés les mêmes, les ambitions se sont même décuplées etceux qui sont déjà en place entendent bien que ce nouvel instru-ment de promotion individuelle serve leurs intérêts comme l'ontfait les autres moyens de domination qu'ils ont su contrôler dansleur temps. Comme on l'a encore fait remarquer, l'école devientdonc « un investissement économique avec toutes les servitudesauxquelles elle ne peut échapper».

b. «Qui s'instruit, s'enrichit»

C'est en pensant à la force de ce courant économique chez nous,comme dans toute l'Amérique du Nord, que nous craignons quele public interprète mal le slogan du Ministère de la Jeunesse:« Qui s'instruit, s'enrichit. » Dans le contexte de l'économie deprofit issue du libéralisme, s'enrichir signifie rechercher le succèsindividuel et le confort comme un idéal à atteindre et commel'élément déterminant du bonheur humain. Une campagne de pro-pagande pour l'éducation faite dans les mêmes termes qu'unepublicité en faveur de certains cours par correspondance risquefort d'être mal comprise. Nous préférons dire que l'éducation estle prix de la liberté, ou le fondement de la démocratie, parcequ'elle a pour but, non pas de multiplier le nombre des gens « bienarrivés» dans la société, des élites, ou des capitalistes, mais delibérer les hommes de toutes les chaînes, de celles de l'argent commede celles de l'ignorance. On finira par comprendre qu'en s'instrui-sant, on s'enrichit, mais trop encore ne voient dans l'éducationqu'un moyen de s'intégrer dans des groupes privilégiés.

c. Le courant culturel

Ce sont les multiples exigences des temps modernes qui nous ontamenés à souhaiter des réformes dans notre système d'enseigne-ment. Parmi ces exigences, outre celles du monde économiquedont nous venons d'indiquer dans quelle direction peut jouer l'in-

[...]

[...]

Page 455: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

456 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

fluence, il y a aussi, dans un tout autre ordre d'idée, celles dumonde universitaire, ou de la recherche scientifique, qui peuvententraîner l'ensemble du système scolaire dans une direction parfoisdangereuse. C'est ce que nous appelons le courant culturel qui atendance à minimiser les avantages d'une plus grande ventilationdans les structures scolaires et à ne donner de prix qu'à la forma-tion purement académique préparant au doctorat. Poussé au bout,ce courant d'influence peut peser lourdement sur l'ensemble dusystème et ne lui faire servir que l'un des buts que celui-ci doit sefixer, dont la préparation à la vie n'est pas des moindres.

En définitive, ce que les professeurs universitaires proposent,c'est un seul cours secondaire soumis aux exigences de l'Univer-sité. Nous craignons une telle recommandation. Elle donne à l'ex-pression «enseignement secondaire» un sens trop restreint ets'appuie sur un critère trop exclusivement «académique». En unmot, elle identifie les buts généraux de l'éducation à ceux quepoursuivent des facultés universitaires et risque de soumettre toutle programme de la formation scolaire aux exigences de la recher-che scientifique. De là à vouloir aussi influencer l'école primaire,dans son orientation, il n'y a peut-être qu'un pas à franchir pourfaire peser lourdement les exigences et les normes universitairessur tout le système d'enseignement. Nous croyons que ce seraitdéplorable.

Nous comprenons cependant que les professeurs d'Universités'élèvent contre la préparation inadéquate d'un bon nombre deleurs étudiants et qu'ils doivent avoir droit de regard sur le pro-gramme du cours secondaire qui conduit à l'Université. Nous crai-gnons seulement qu'ils cherchent à imposer leurs points de vue àtout le système scolaire.

Outre les courants économiques d'une part et culturels d'autrepart, cherchant à influencer l'école moderne, il existe aussi descourants sociaux pressentant toute l'importance d'un système sco-laire qui offrira aux hommes la possibilité de comprendre, de jugeret de voter. [...] Un système d'enseignement qui ne tiendrait pascompte de ces problèmes sociologiques, ou du milieu qu'il doitservir, ou des courants sociaux qui doivent le porter, serait vitedivorcé de la réalité et ne pourrait sûrement pas répondre auxmultiples besoins des hommes en matière d'éducation.

Ces considérations sur la démocratisation de l'enseignement nous

[...]

Page 456: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

CSN • 457

amènent à faire quelques recommandations sur des sujets qui noustiennent à cœur, sans aborder cependant tous les aspects de laquestion comme pourraient le faire des spécialistes en la matière.

IL L'ENSEIGNEMENT ACADÉMIQUE

À partir de notre conception de l'éducation qui doit être à laportée, non seulement de toutes les bourses, mais de toutes lesaptitudes, nous voulons faire certaines remarques et certaines re-commandations concernant le système scolaire lui-même, le con-tenu et les méthodes de l'enseignement, les professeurs, lefinancement de l'éducation et, enfin, les structures du système d'en-seignement dans le Québec.

i. Le système scolaire

Sans entrer dans tous les détails et sans soumettre de plan préciset complet, nous voulons, dans ce paragraphe, traiter des deuxdegrés scolaires qui s'adressent au plus grand nombre : l'enseigne-ment primaire et l'enseignement secondaire.

a. L'enseignement primaire

Nous croyons qu'il faut poser comme principe de base que l'ensei-gnement primaire doit apporter à tous les enfants, quels que soientleur milieu social et le niveau de leurs aptitudes, les connaissancesde base indispensables et, en même temps, les mettre à même depasser du primaire au secondaire sans trop de grandes difficultés.

Pour nous, l'enseignement primaire n'est pas seulement le coursde 7 ans que nous connaissons aujourd'hui. Il couvre, ou plutôtdevrait couvrir tout l'enseignement de base qu'il faut dispenser àtous les enfants, quelles que soient, encore une fois, leurs apti-tudes. Il ne devrait pas être considéré principalement comme lapremière étape d'études supérieures, mais plutôt comme une pré-paration à la vie, que celle-ci soit consacrée aux travaux les plushumbles ou à la recherche scientifique. Ce qu'il ne faut pas perdrede vue, c'est que le plus grand nombre ne pourra ajouter que deuxou trois années d'études continues à ces classes primaires.

Nous ne sommes pas à même de juger si le cours primaire doitêtre de 6 ou 7 ans. Nous laissons à d'autres le soin d'en décider.

Page 457: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

458 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Mais nous croyons qu'on devrait faire un usage étendu, généralisé,des classes de récupération, d'accélération ou d'enrichissement(encore là, nous laissons les experts discuter cette question), et desécoles spécialisées pour sous-doués. À ce niveau, c'est le seul moyende donner à tous les enfants les connaissances et la formationqu'ils sont capables d'assimiler et dont ils ont absolument besoin.

L'enseignement primaire doit aussi permettre le passage au se-condaire sans trop de grandes difficultés. Que l'on établisse à 6 ou7 ans la durée du cours primaire, que l'on prolonge l'obligation dela fréquentation scolaire jusqu'à l'âge de 16 ans, comme nous lesouhaitons, que l'on diversifie le cours suffisamment pour éviterles doublures [sic] dans la presque totalité des cas, il arrivera quetous les enfants, sauf dans les cas de maladies physiques ou men-tales, pourront passer du primaire au secondaire assez facilement.En plus de permettre à chacun d'augmenter son bagage de con-naissances, cela aura comme conséquence de donner au plus grandnombre possible l'impression juste et la satisfaction légitime d'avoirdépassé le niveau primaire et accédé à une formation complémen-taire, garantie d'une plus grande sécurité sociale et d'un meilleuréquilibre psychologique Mais cela suppose non seulement un coursprimaire assez souple, mais aussi un niveau secondaire à multiplespaliers et des possibilités d'orientation et de réorientation.

b. L'enseignement secondaire

Pour répondre aux besoins que nous devinons chez les jeunes etpour éviter toute discrimination inutile d'un cours ou d'un autre,nous suggérons de prévoir un enseignement secondaire se divisanten deux branches et permettant de couvrir sous un même vocabletoutes les études supérieures à celles du cours primaire.

L'enseignement du deuxième degré peut en effet se diviser ensecondaire théorique et secondaire pratique. Le secondaire théori-que, ainsi appelé pour les fins de notre exposé, comprend, dansnotre esprit, les humanités anciennes et modernes couvertes par lecours secondaire actuel, classique ou non, et les études technolo-giques. Le secondaire pratique comprend les écoles de métiersspécialisés et les écoles industrielles générales dont nous avonsparlé dans notre mémoire au Comité d'étude sur l'enseignementtechnique et professionnel.

[...]

Page 458: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

CSN • 459

Ce n'est pas notre intention de discuter du contenu de chacunde ces cours, encore moins de participer à la querelle des ancienset des modernes, ou de soupeser la valeur du grec et du latin dansla formation classique. Ce que nous voulons faire ressortir c'estque, d'abord, l'enseignement secondaire théorique offre des possi-bilités identiques d'accès à ses diverses branches, confirmant ainsil'absence de discrimination quant à la valeur de chaque type d'en-seignement envisagé. Nous pensons surtout aux études qui se fontdans ce qu'on appelle aujourd'hui des Instituts technologiques. Ilest faux, à notre avis, de cataloguer les enfants par pourcentageobtenu aux examens et d'orienter automatiquement les plus fortsvers les humanités et les autres vers les études technologiques. Lesderniers ont besoin d'autant de capacités intellectuelles que lespremiers. Seuls les goûts, les aptitudes particulières et les possibi-lités qu'offre le marché du travail doivent servir de critères auchoix des études supérieures. Et à la fin du cours secondaire théo-rique, l'accès à l'université ne doit pas être exclusif à certainesformations traditionnelles, mais être aussi possible, selon la naturedes facultés, pour l'enseignement technique. [...]

Quant à l'enseignement pratique, complémentaire du coursprimaire, si on le conçoit dans le cadre général de l'enseignementsecondaire, il permettra de donner la place qui leur revient auxtypes d'enseignement destinés à ceux qui, moins doués sur le planpurement intellectuel, possèdent des aptitudes manuelles précieu-ses et une tournure d'esprit pratique. L'école de métiers spécialiséspréparera à l'exercice d'un métier particulier en un temps plus brefque les instituts de technologie. Après le cours primaire de 6 ou 7ans, les élèves pourront poursuivre à ces écoles, si nécessaire, deuxou trois ans de formation générale avant d'aborder l'étude prati-que du métier choisi. L'école industrielle s'adressera aux enfantsdont le nombre augmentera du fait de la prolongation de la sco-larité et qui devront, immédiatement après le cours primaire, re-cevoir un enseignement réel de 2 ou 3 ans, consistant en unecertaine formation générale et une certaine éducation sociale quileur faciliteront l'entrée dans le monde du travail, mais qui met-tront surtout l'accent sur la préparation à la vie. Cela supposeraun programme particulier et une pédagogie appropriée. Et pour-quoi ne pas prévoir, pour ceux qui auraient besoin de réorienta-tion, que le passage sera possible de l'école industrielle à l'école demétiers spécialisés et de celle-ci à l'institut de technologie, comme

Page 459: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

460 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

cela devrait être aussi possible, après un, deux ou trois ans, del'école de métiers spécialisés à l'une ou l'autre branche du courssecondaire théorique ?

Dans le but de faciliter à tous la fréquentation du cours secon-daire théorique, particulièrement en ce qui concerne les humanités,nous souhaitons, avec bien d'autres, que les écoles publiques of-frent, non seulement les quatre premières années de ce cours, maisaussi les autres qui conduisent à l'obtention du brevet nécessaireà l'entrée à l'université. Les mêmes chances devraient être aussioffertes aux jeunes filles, d'autant plus qu'on vient d'annoncer queles collèges féminins dirigés par des religieuses devront, faute d'es-pace, refuser bientôt des étudiantes en belles-lettres. On fait face,dit-on, actuellement, à une pénurie de professeurs du secondaire.Mais comme il presse de décentraliser les écoles secondaires, noussuggérons qu'on importe d'Europe les professeurs nécessaires jus-qu'à ce que nous puissions nous suffire à nous-mêmes.

Et, finalement, nous rappelant un projet de M. Paul Gérin-Lajoie, ministre de la Jeunesse, nous souhaitons que tous ces courssecondaires, théoriques et pratiques, se donnent dans ce que celui-ci a appelé des «cités scolaires», dans le but de «faire disparaîtrele cloisonnement social entre les carrières et de mieux orienter lesélèves ». Ces cités scolaires, où tous les élèves du niveau secondairepartageront les mêmes résidences, les mêmes restaurants, les mê-mes aménagements sportifs et artistiques, aideront grandement àla réalisation de la démocratisation de l'éducation.

2. Le programme et les méthodes d'enseignement

a. Au sujet du programme

Tant au cours primaire qu'au cours secondaire, nous avons tou-jours déploré qu'on attache très peu d'importance à la formationsociale, civique et démocratique. Il est scandaleux de constatertous les jours que des bacheliers es arts ne connaissent rien del'organisation professionnelle ou coopérative nord-américaine etignorent tout des fondements de la démocratie, à partir des pro-cédures des assemblées délibérantes jusqu'à la séparation des pou-voirs.

L'endroit où l'on traite du syndicalisme dans le petit catéchismede la province de Québec porte à confondre les relations entre

Page 460: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

CSN • 461

employeur et employés avec celles qui doivent régner entre parentset enfants. S'il faut toucher à cette question dans un traité dereligion, on devrait le faire au chapitre de la justice où l'on définitles droits des personnes et les règles qui doivent présider aux rap-ports entre égaux. Mais il serait préférable d'aborder une questionaussi importante de nos jours dans un petit manuel d'initiation quiexpliquerait les structures de l'organisation sociale moderne quesont les organismes intermédiaires et l'État, et qui définirait lesdroits et les devoirs des citoyens vis-à-vis chacun de ceux-ci.

b. Au sujet des méthodes

En plus de tout ce que nous avons été obligés de dire au sujet desméthodes, en parlant du contenu de l'enseignement, nous voulonsajouter qu'il presse d'enseigner aux professeurs l'utilisation de toutesles méthodes actives d'éducation, en particulier la discussion, commeon la pratique en éducation des adultes. Nous prétendons que sil'on parle mal le français chez nous, c'est qu'on n'a pas eu assezl'occasion de s'exprimer oralement à l'école, d'apprendre à orga-niser ses idées pour défendre son point de vue en discutant avecd'autres.

3. Les professeurs

Toute bonne réforme apportée à l'enseignement n'aura de valeurque si le corps professoral a les qualifications requises pour lesappliquer. Le statut des professeurs est donc l'une des questionsqui doivent nous préoccuper le plus. [...]

Il est bien évident que la pénurie de professeurs qualifiés àlaquelle on doit faire face aujourd'hui est due au peu de considé-ration accordée depuis trop longtemps à la profession de l'ensei-gnant. Cette situation n'est pas particulière au Québec, elle n'y estque plus aiguë. [...]

Nous sommes heureux d'apprendre qu'enfin on annonce unamendement au Code scolaire pour soustraire les enseignants àl'arbitraire des commissaires d'écoles, en particulier pour enleverà ceux-ci le droit de congédier, chaque année, sans raison, lesinstituteurs et institutrices à leur emploi. Nous pensons aussi qu'il

[...]

[...]

Page 461: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

462 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

est inadmissible qu'on tienne les professeurs en dehors de toutel'administration scolaire, à partir de l'école jusqu'au Conseil del'Instruction publique. On agit envers eux aujourd'hui comme lefont les employeurs inspirés du libéralisme économique qui trai-tent leurs employés comme des machines étrangères à tout ce quise passe dans l'entreprise. Il presse qu'on intègre l'instituteur danstout le système scolaire et qu'on le rémunère selon l'importancesociale de sa fonction.

5. Les structures scolaires

Dans ce chapitre sur l'enseignement académique, il nous reste àtraiter des structures mêmes du système qui englobent les commis-sions scolaires, le Conseil de l'Instruction publique, le Départe-ment de l'Instruction publique et le Ministère de la Jeunesse. Nousne pouvons d'abord mieux faire que de rappeler encore ce quenous avons écrit à ce sujet, en 1958, dans notre mémoire au Surin-tendant de l'Instruction publique.

a. A propos des Commissions scolaires

Nous réclamions, en 1958, et nous réclamons encore que l'électiondes commissaires d'écoles se fasse d'une façon démocratique, c'est-à-dire que soient habilités à voter, et par voie de conséquence àêtre éligibles, tous les parents, indépendamment de leur statut depropriétaires ou de locataires. [...] Le privilège que la loi accordeencore aux propriétaires d'être seuls éligibles à la fonction decommissaires d'écoles constitue le reliquat d'une législation con-çue à l'époque où l'immense majorité des citoyens étaient proprié-taires. Nous nous permettons également de rappeler quel'importance de la taxe foncière dans le financement scolaire dimi-nue constamment. D'ailleurs, il est indéniable que les locatairescontribuent à la taxation foncière par l'acquittement de leurs loyers.

Mais si on veut que tous les parents participent à l'élection descommissaires d'écoles pour les intéresser directement à l'éduca-tion, il va falloir leur faciliter l'exercice de ce droit. Actuellement,la grande majorité des travailleurs ne peuvent se rendre aux bureauxde votation parce que leurs heures de travail ne le permettent pas.

[...]

[...]

Page 462: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

CSN • 463

Comme dans le cas des élections provinciales et fédérales, la loidevrait allouer une certaine période de temps libre, par exempledeux heures, sans perte de salaire, pour voter aux élections scolai-res.

b. À propos du Conseil de l'Instruction publique

En 1958, nous demandions qu'on révise le mode de nominationdes membres laïques du comité catholique. Nous disions : « Cetterévision du mode de nomination des membres laïques du comitécatholique devrait permettre que les principaux intéressés à l'orien-tation de notre politique scolaire soient représentés dans le co-mité. » Et, par représentation, nous entendions : « une délégationen bonne et due forme des membres du comité par les groupes depersonnes ou d'institutions qu'ils représenteraient». Nous reve-nons à la charge encore aujourd'hui et nous rappelons quellesdevraient être les catégories de personnes ou d'institutions quiseraient appelées à désigner des représentants:

1. — Les parents, par l'intermédiaire des Commissions scolaires,quand on leur aura accordé finalement le plein droit d'être élus surces commissions. D'ici là, un organisme comme la Fédération desUnions de Familles du Québec, ou même les deux grandes centra-les ouvrières de la province (la CSN ou la FTQ) à cause du grandnombre de chefs de famille qu'elles représentent et de leurs pointsde vue, particuliers en matière d'éducation permanente, pourraient,en plus de la Fédération des Commissions scolaires, déléguer unreprésentant au comité.

2. — Le personnel enseignant, par l'intermédiaire de la Corpora-tion des Instituteurs et des autres associations provinciales d'édu-cateurs professionnels, comme celle des professeurs laïques descollèges classiques et celles des professeurs d'universités.

3. — Les collèges classiques masculins et féminins, par l'intermé-diaire de leurs fédérations respectives.

4. — Les universités, groupés en organisme provincial.

5. — Le ministère de la Jeunesse, qui a besoin d'être lié directe-ment au Conseil et d'être représenté sur chacun des comités etsous-comités principaux de celui-ci.

Page 463: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

464 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

À notre avis, tous les membres laïques du comité catholiquedevraient ainsi être désignés, mais il va sans dire qu'ils ne seraientpas partagés également entre chaque catégorie d'organismes, lesparents devant avoir droit à une majorité de délégués.

Voilà comment, selon nous, le Conseil de l'Instruction publiquedoit s'intégrer à notre milieu pour faire appel à toutes les compé-tences, refléter les besoins majeurs et engager tout le monde dansla poursuite des objectifs qu'on doit se fixer pour relever le niveaud'éducation dans notre province.

c. A propos du Ministère de la Jeunesse

D'autres ont déploré avant nous le manque d'unité de notre sys-tème d'enseignement, Péparpillement des pouvoirs et le déséquili-bre dangereux qui en découle. Le ministre de la Jeunesse, qui estresponsable de l'éducation dans la province vis-à-vis la législature,n'a aucune voix au chapitre des affaires du Conseil de l'Instructionpublique. Le surintendant lui-même, pourtant rattaché au minis-tère, est indépendant du ministre et ne reçoit d'ordres que duConseil. Nous favorisons avec bien d'autres l'unification du sys-tème et la clarification des pouvoirs.

Comme on l'a déjà proposé, le ministre de la Jeunesse doit avoirtous les pouvoirs exécutif et administratif sur l'ensemble du sys-tème scolaire de la province et cela doit couvrir et l'enseignementpublic et l'enseignement privé, même universitaire. C'est à la po-pulation qu'il revient de juger si la législation et la réglementationen matière d'éducation ont été appliquées dans l'intérêt général.Or elle ne peut le faire qu'en exerçant son droit de vote pour oucontre ceux qui doivent se présenter devant elle à chaque élection.C'est donc là l'une des meilleures façons de garantir la démocra-tisation de l'éducation en rendant le gouvernement et la popula-tion qui le porte au pouvoir responsables de l'administration del'une des affaires publiques les plus importantes qui soient.

Quant au pouvoir législatif, nous favorisons nous aussi unedistinction entre la législation se rapportant aux dispositions etaux structures fondamentales du système, (qui doit être préparéepar le gouvernement, après consultation avec le Conseil de l'Ins-truction publique, et adoptée par les députés), et la réglementationnécessaire à établir à l'intérieur du système, (qui doit être laisséeau Conseil).

Page 464: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

CSN • 465

Nous n'avons jamais compris pourquoi on a tellement insistépour qu'un certain type d'éducation relève exclusivement du Con-seil de l'Instruction publique, que d'autres degrés puissent êtreabandonnés à leur propre sort et qu'un autre type, comme l'ensei-gnement technique, soit, à toutes fins pratiques, laissé aux bonssoins du gouvernement, encore que, dans ce dernier cas, différentsministères se sont partagés la besogne. Il ne reste que l'éducationdes adultes dont on n'a pas complètement, jusqu'à ce jour, décidédu sort. Or, il s'impose plus que jamais qu'on intègre en un toutordonné toutes les formes d'éducation, primaire, secondaire, uni-versitaire, technique et post-scolaire et que les autorités en matièred'enseignement dans la province, gouvernement et Conseil de l'Ins-truction publique, aient droit de regard sur chaque type d'ensei-gnement, chacune selon sa juridiction bien définie.

Dans la perspective des réformes que nous préconisons, nouscroyons urgent qu'on transforme le ministère de la Jeunesse envéritable ministère de l'Éducation. Si cela ne pouvait avoir commeconséquence que de mettre l'éducation des adultes sur le mêmepied que les autres types d'enseignement, il vaudrait déjà la peinede changer au moins le nom du ministre. C'est le premier pas àfaire dans l'intégration de l'éducation des adultes à tout le systèmed'enseignement de la province. Ce n'est pas un Ministère de laJeunesse qui peut s'adresser aux adultes avec chance d'être en-tendu, mais bien un Ministère de l'Éducation.

Source: Mémoire, p. 9-14, 17, zo-zi, Z3, 2.4-33, 35"39> 41-46.

Page 465: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

55 Institut canadien d'éducation aux adultesIntégrer l'éducation aux adultesau système d'éducation1962

Deux grandes revendications ressortent du mémoire de l'Institut canadien d'édu-cation aux adultes. D'une part, il s'impose de sortir l'éducation des adultes dela marginalité sociale et institutionnelle dans laquelle elle se trouve confinée.Cela implique de dresser un inventaire des pratiques, de faire la surveillancedes intervenants, de fournir une information adéquate à la population sur lespossibilités offertes et, surtout, cela implique l'« intégration de l'enseignementaux adultes aux organismes qui régiront chacun des secteurs de l'enseigne-ment : primaire, secondaire, professionnel, universitaire ». Dans chaque ordred'enseignement, des spécialistes devraient développer des «programmes ap-propriés aux adultes». D'autre part, l'ICÉA réclame la formation d'organismede coordination : une « commission de l'enseignement aux adultes » et un « con-seil de l'éducation populaire». Ces idées auront des suites dans le nouveausystème d'éducation issu des recommandations du rapport Parent.

RECOMMANDATIONS DE CARACTÈRE GÉNÉRAL

Étant donné que l'enseignement aux adultes, sous toutes ses for-mes et à tous les niveaux, atteint une vaste population de la pro-vince qui mérite d'être avantagée ; étant donné que cette populationa droit à une information honnête et objective, non seulement surla qualité des institutions existantes, des cours et des diplômes,mais aussi sur les débouchés offerts en retour tant sur le marchédu travail que dans la perspective d'un prolongement des études àl'université ou ailleurs, l'ICÉA recommande que le gouvernement :

14. — prenne les mesures nécessaires pour faire l'inventaire com-plet de toutes les institutions qui donnent des cours pour adultes ;(i) dresse à partir de cet inventaire un bottin annuel contenantdes renseignements sur les institutions, écoles ou associations qui

Page 466: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

ICÉA • 467

dispensent ces cours; (il) fasse en sorte que seules figurent aubottin celles qui répondent aux exigences de base fixées par l'auto-rité compétente;

15. — entreprenne ou confie des recherches sur la pédagogie, lesprogrammes et tout autre aspect en vue de fixer ces exigences debase et procède alors à une évaluation constante des cours, sousquelque forme que ce soit;

16. — voie, par la suite, à la révision du vocabulaire employé dansnotre système d'enseignement privé et publique. Ex. : collège, uni-versité, lycée, institut, école, ... etc.; attestation, diplôme, certifi-cat, baccalauréat, licence,... etc. ; supérieur, complémentaire, avancé,... etc.;

17. — organise, le plus tôt possible, des services régionaux d'in-formation et d'orientation pour répondre aux besoins du milieu;

18. — exerce la surveillance qui s'impose sur toute forme de pu-blicité relative à l'enseignement aux adultes, afin d'éviter toutefausse représentation;

19. — coordonne et complète au besoin les recherches sur le marchédu travail en tenant compte du développement de l'économiequébécoise au niveau régional : (i) pour connaître la demande d'em-plois et la formation exigible pour chaque emploi ; (ii) pour déter-miner en même temps les emplois qui, proportionnellement àl'ensemble, sont en régression et ceux qui, au contraire, sont appelésà un développement considérable et, en conséquence (in) pourpréciser les secteurs où l'enseignement aux adultes doit restreindreses efforts et ceux où il doit les multiplier;

20. — prépare un plan directeur d'établissement des écoles spécia-lisées en vue de répondre aux besoins régionaux;

2ia. — accorde aux adultes qui suivent des cours dans des insti-tutions d'enseignement accréditées, des prêts ou des bourses, entenant compte des besoins prioritaires de la société (voir recom-mandation 19). Ces besoins devraient être déterminés en collabo-ration avec les organismes habilités à conseiller le gouvernement;

2ib. — accorde aux institutions d'enseignement qui reçoivent parailleurs des subventions statutaires une augmentation des octrois,dans la mesure de leurs besoins, pour les services qu'elles rendent

Page 467: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

468 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

dans l'éducation des adultes. On tiendra compte des besoins prio-ritaires de la société qui seront déterminés en collaboration avecles organismes habilités à conseiller le gouvernement;

2i c. — accorde aux autres institutions privées accréditées des sub-ventions occasionnelles pour des services spécifiques rendu en édu-cation des adultes.

Si nous accordons tant de place dans ce mémoire à l'enseigne-ment aux adultes, c'est que l'instruction de la population de notreprovince présente aujourd'hui des carences qui, d'ailleurs, auronttendance à diminuer avec la réorganisation de notre système d'édu-cation. La nécessité de recourir à des mesures d'urgence se révéleramoins impérieuse avec le temps et l'intégration de l'éducation desadultes au système d'enseignement pourra se faire par un proces-sus de continuité qui trouve son fondement dans la notion mêmed'éducation permanente.

COORDINATION ET PLANIFICATION

L'ICÉA est d'avis que l'enseignement aux adultes ne doit pasformer un bloc séparé, mais qu'il doit être intégré aux organismesqui régiront chacun des secteurs de l'enseignement: primaire, se-condaire, professionnel, universitaire. C'est dire que dans chacunde ces organismes, il devrait se trouver des personnes spécialiséescapables de contribuer à l'élaboration des programmes appropriésaux adultes.

Par ailleurs, pour éviter que l'enseignement aux adultes ne soitque le parent pauvre dans chaque secteur, l'ICÉA trouve qu'ilserait nécessaire de prévoir au sein des structures supérieures del'enseignement dans la province, une commission de l'enseigne-ment aux adultes. Un telle commission s'intéresserait à tous lescours qui s'adressent aux adultes et qui conduisent normalementà l'obtention d'un diplôme reconnu officiellement. En collabora-tion étroite avec les commissions ou comités responsables de cha-que secteur de l'enseignement, elle verrait à l'adaptation desprogrammes, des manuels et des examens comme à la préparationd'un personnel qualifié pour l'enseignement aux adultes. Au seind'une telle commission, il faudrait prévoir une large place auxreprésentants d'institutions qui dispensent l'enseignement aux

[...]

[...]

Page 468: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

ICÉA • 469

adultes et de mouvements s'intéressant à l'éducation des adultes.

Pour aviser le gouvernement de la politique à suivre dans ledomaine de l'éducation populaire, PICÉA recommande:

53. — la formation d'un CONSEIL DE L'ÉDUCATION POPU-LAIRE (CEP) dont le mandat, le statut et les structures sont décritsci-après.

1. Mandat

Le Conseil de l'Éducation Populaire (CEP) aurait pour tâche deconseiller le gouvernement sur tout ce qui concerne son actiondans le champ de l'éducation populaire.

Le CEP serait donc habilité à étudier les questions qui se réfè-rent aux secteurs suivants:

a. formation sociale., i.e. les initiatives permettant à un adultede parfaire sa formation dans les domaines familial, profes-sionnel, économique, civique, politique;

b. culture générale, i.e. les initiatives permettant à un adulted'augmenter ses connaissances ou de cultiver son goût dansle domaine des arts, des lettres et des sciences.

Le CEP serait appelé, d'une part, à donner son avis sur touteinitiative du gouvernement en matière d'éducation populaire etpourrait, d'autre part, faire au gouvernement toute suggestion quilui semblerait opportune.

2. Statut

Le CEP serait donc un organisme consultatif, rattaché au Cabinetdu Premier Ministre. Il nous paraît nécessaire, en effet, que diversministères et organismes gouvernementaux s'intéressent activementà l'éducation populaire, les initiatives en cette matière étant fortdiversifiées et intimement liées à la vie.

Source: Mémoire, p. 40-42, 81-84.

[...]

Page 469: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

56 Société Saint-Jean-Baptiste de MontréalPour une éducation vraiment nationale1962

La composante montréalaise de la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptisteincarne un nationalisme plus radical que celui du reste du mouvement. Celatransparaît dans son mémoire à la commission Parent qui veut arrimer étroite-ment les pratiques éducatives à l'affirmation du fait national canadien-français.La SSjB de Montréal propose le modèle d'une « éducation nationale » qui puisserenforcer le sentiment et la conscience de l'identité collective originale desnouvelles générations. Il faut soigner tout particulièrement la maîtrise de lalangue française et la connaissance du milieu, par la géographie et l'histoire, etl'étude de la civilisation nationale. Le sens chrétien de la vie fait aussi partie del'éducation nationale, ce qui implique la conservation du caractère confession-nel du système scolaire.

Ainsi considérée dans ses relations avec la personne, la culturenationale est pour chacun un bien personnel et donc un droitnaturel — à exercer dans la mesure où le permet le milieu où sedéroule son existence.

Bien personnel, la culture nationale, comme d'ailleurs toutes lesformes de culture, est aussi un fait social: phénomène d'échangeentre l'homme et son milieu, comme nous l'avons dit plus haut.Pour qu'une culture nationale conserve et enrichisse sa valeur auxfins de l'homme, il faut que la communauté qui la vit possède unfoyer, c'est-à-dire un centre où les données de sa culture sont d'usagecourant, et ainsi pour chacun, mode habituel de vie et conditionde progrès personnel ; où, d'autre part, elle jouisse d'assez de libertépolitique pour organiser selon son esprit les grandes fonctions dela vie commune: régime de la famille, régime du travail, de l'as-sistance et de la prévoyance sociales, régime économique, régimedes lois qui en sont à la fois l'expression la plus haute et lesorganes de transmission et de renouvellement d'une génération à

Page 470: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal • 471

l'autre. Sans être une réalité politique, la nation se place donc enregard de l'État pour exiger de lui certaines attitudes, la définitionde certains droits, la garantie de certaines libertés. Elle engageainsi la responsabilité des pouvoirs publics au titre d'élément debien commun.

Faire l'éducation nationale, c'est donc:i. Former l'homme selon les données de sa culture, le rendre

conscient de la valeur de cette culture pour lui-même etpour tous ceux qui y participent, éveiller en lui la volontéde la conserver et d'en obtenir pour lui-même et pour lacommunauté à laquelle il appartient le maximum de rende-ment humain.

2,. Lui ouvrir l'esprit au fonctionnement et aux exigences de lavie commune, aux grandes réalités d'ordre sociologique,d'ordre politique, d'ordre religieux qui s'y conjuguent, àleurs relations réciproques ; à la pensée dont elles procèdent,à l'évolution qu'elles ont subie au long de l'histoire, auxdivers problèmes qui se posent dans leur ordre respectif.Sans se confondre avec l'éducation sociale et civique, l'édu-cation nationale en emprunte ici les voies. On peut même laconsidérer comme le couronnement de toute formation in-tégrale.

Option fondamentale

Avant de formuler une nouvelle politique de l'enseignement, voiresimplement de recommander telle ou telle réforme du régime ac-tuel, votre Commission devra elle-même prendre attitude sur uneoption fondamentale qui est à la clef de toute politique de l'ensei-gnement dans la province, savoir: la communauté canadienne-française doit-elle demeurer, dans le complexe canadien, le groupedistinct qu'elle forme depuis trois siècles et rayonner comme tel,avec les adaptations que le cours même de la vie lui imposerapériodiquement ? — ou bien doit-elle consentir à disparaître gra-duellement par assimilation au milieu environnant ?

En cette dernière hypothèse, elle n'a, comme malheureusementelle a eu tendance à le faire depuis des années, qu'à emprunter auxpopulations voisines, anglo-canadiennes et américaines, leur manièred'être et de vivre, leurs institutions et leur régime d'enseignement,et à ménager autant que possible la transition. Mais dans l'hypo-

Page 471: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

472 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

thèse contraire, elle devra prendre conscience des données essen-tielles et des exigences de sa culture propre et former des hommesqui, incarnant cette culture dans leur personnalité et dans leur vie,seront du même coup en état de la transposer dans les œuvres dela vie commune: économiques, sociales et politiques. Former detels hommes, c'est l'objet même de l'éducation nationale.

Nous abordons ici l'un des problèmes les plus complexes quevotre Commission ait à étudier: il met en cause et la vie de lacommunauté nationale et le bien humain de chacun des individusdont celle-ci est composée. Il ne s'agit pas de tel aspect particulierde l'enseignement à étudier sous l'angle pédagogique, administra-tif ou financier — mais de l'orientation générale de la pensée, etde l'esprit dont doit être imprégné l'enseignement sous toutes sesformes et à tous ses niveaux.

CONCLUSION SUR LES MOYENSDE FAIRE L'ÉDUCATION NATIONALE

Pour mettre nos institutions d'enseignement en état de dispenserune authentique éducation nationale faut-il bouleverser les pro-grammes et multiplier les enseignements nouveaux? Nous ne lecroyons pas. Il s'agit d'éducation, donc d'intégration à la vie desvaleurs diverses que dispensent les institutions d'enseignement. Ilsuffirait de repenser dans cette optique les programmes existantset d'adapter les méthodes.

La culture nationale est une manière d'être et d'agir; on peutl'analyser comme phénomène, mais elle ne s'enseigne pas commetelle; elle se communique d'abord par la vie, donc par l'exemple.Question avant tout d'atmosphère générale des écoles, question de« maîtres ». Nous aurons la chance de voir sortir de nos écoles, desjeunes gens et des jeunes filles qui attacheront du prix à leur cultured'origine et ne voudront l'enrichir que si, au long de leurs années deformation, ils ont eu sous les yeux des maîtres qui, par leur compé-tence et la qualité de leur vie, leur en ont donné une haute idée.

Cette première et fondamentale condition étant réalisée, l'effortsystématique portera d'abord sur les valeurs mêmes de la culturenationale ; en premier lieu, sur la plus « nationale » de nos valeursde culture: la langue française et les qualités d'esprit correspon-dantes.

[...]

Page 472: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal • 473

Doit cesser immédiatement le régime qui, dans les écoles, fait dela langue maternelle une matière parmi plusieurs autres; il fautque désormais, à tous les niveaux de l'enseignement, toutes lesmatières au programme, depuis les mathématiques jusqu'à la reli-gion en passant par l'histoire et les sciences naturelles concourentau perfectionnement de la langue parlée et écrite. De la langueparlée d'abord, car c'est en tout premier lieu pour être parlées queles langues existent. Les jeunes n'acquerront le goût de bien écrireque s'ils ont d'abord celui de parler correctement, et en éprouventla nécessité. Comment s'attendre qu'un jeune homme qui parlemal et n'en ressent aucun malaise ait le souci de la perfection dèsqu'il s'exprime par écrit?

Or, nous l'avons dit : la langue maternelle est plus qu'un moyende communication: c'est un mode de pensée, la forme même del'esprit.

L'esprit français a créé sa langue ; en retour l'étude et la pratiquede la langue tendent à reformer le même esprit d'un individu etd'une génération à l'autre, pourvu que des forces étrangères neviennent pas fausser ce jeu d'influence réciproque. Dans un milieucomme le nôtre, façonné par un esprit étranger, le risque est grandd'un fléchissement de l'esprit, qui aille jusqu'à compromettre lavaleur de la langue elle-même comme instrument de formation. Uneffort très attentif est donc attendu de l'école en vue de cultiverchez les jeunes — et cela à propos de n'importe quel enseignement— l'esprit correspondant aux caractéristiques de la langue : clarté,précision, rigueur de pensée, logique dans le développement desidées, etc. Plus cet esprit sera vigoureux, plus il s'exprimera nonseulement dans et par la langue, mais dans toutes les manifesta-tions de son activité créatrice.

Autre effort parallèle: l'initiation au milieu, foyer de la viecollective, organe de transmission et de renouvellement de la cul-ture nationale. C'est à cette occasion que les jeunes sont amenésà découvrir, à travers les usages, coutumes, traditions et institu-tions, la philosophie et la vie dont procède leur culture d'origine.

Trois matières figurant au programme des écoles primaires etsecondaires et qui, dans leurs prolongements, finissent par se ren-contrer, peuvent fournir aux élèves l'ensemble des connaissancesdont ils ont besoin pour se reconnaître dans leur milieu et y jouerefficacement leur rôle:

Page 473: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

474 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

i. La géographie et ses incidences sur l'homme. [...]z. Il histoire. [...]3. La philosophie et notamment la philosophie sociale et po-

litique. [...]Deux conceptions d'ordre diamétralement opposé s'offrent à

nous qui correspondent à l'option fondamentale dont nous avonsdit plus haut qu'elle domine notre époque. D'une part, la concep-tion chrétienne et les modes institutionnels qui en découlent. D'autrepart, le matérialisme sous sa forme idéologique ou pragmatique.

Un tel enseignement se développerait, il va sans dire, dans lesperspectives de l'histoire avec un rappel des doctrines dont a pro-cédé dans le temps notre propre organisation: régime politique(démocratie, droit public, fédéralisme, histoire constitutionnelle) ;régime économique (libéralisme; néo-libéralisme, socialo-capita-lisme) ; régime social (famille, éducation, assistance sociale, santé,travail, syndicalisme, etc.). [...]

Enfin, toujours dans le prolongement de la philosophie et del'histoire (des idées et des faits) devrait se développer l'étude desnotions fondamentales de culture, de civilisation, de nation, desociété et d'État, en soi et dans leurs relations réciproques. Cesnotions sont fondamentales dans un pays comme le nôtre, diffé-rencié par la géographie et la composition ethnique et qui chercheà concilier diversité et unité, au cœur d'un monde aux prises avecle même problème, mais posé en des termes tels qu'il engage la viemême de l'humanité. Et nous retrouvons l'option idéologique dontnous parlions tantôt, car les idées de culture et de civilisation ontun sens bien différent selon l'optique dans laquelle on les envisage :chrétienne ou matérialiste.

Or pour qu'un tel enseignement soit possible dans les écoles etles collèges, il faudrait qu'au niveau des universités on en ait lapréoccupation; que des centres de recherches soient organisés envue d'en fournir les éléments aux niveaux inférieurs: histoire,sociologie, démographie, géographie, droit civil et droit public,etc., etc. Malheureusement, nos universités n'en sont pas encorelà!

[...]

Page 474: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal • 475

RECOMMANDATIONS

Nous recommandons donc avec instance:

1. — que les données de la culture nationale, c'est-à-dire la languefrançaise et la conception chrétienne de la vie, soient considéréespar l'enseignement à tous les niveaux comme le mode normal deréalisation de ses propres fins;

2. — que la langue française soit traitée, non comme un simplemoyen de communication, mais comme langue maternelle, donccomme l'instrument naturel de formation de l'esprit des jeunesdepuis l'école primaire jusqu'à l'université inclusivement;

3. — que cesse au plus tôt le régime qui aboutit à traiter la languefrançaise comme une matière parmi plusieurs autres; qu'au con-traire toutes les matières au programme contribuent à former l'en-fant au bon usage de la langue parlée et écrite et à développer chezlui les qualités d'esprit correspondantes : clarté, précision, rigueurdans l'ordonnance de la phrase et le développement de la pensée,etc.;

4. — que l'enseignement de la langue anglaise dans les écolesfrançaises ne commence qu'après les études primaires;

5. — que toute promotion ou diplôme ne soient accordés aujeune homme ou à la jeune fille que s'ils possèdent une connais-sance du français parlé et écrit correspondant au niveau de leursétudes ;

6. — que l'enseignement sous toutes ses formes, l'atmosphère et lefonctionnement même de l'école tendent à cultiver chez l'enfant lesens chrétien de la vie sous ses aspects individuel et social;

7. — que, par l'utilisation systématique des données de la philo-sophie, de l'histoire (des faits et des idées), de la géographie, de ladémographie, de la sociologie positive, du droit constitutionnel,etc., l'enfant, compte tenu du niveau de l'enseignement, soit mis enétat de comprendre le milieu où se déroule son existence, les gran-des réalités qui s'y conjuguent, leurs fins respectives et leurs rela-tions réciproques, d'y prendre librement et intelligemment sa placeet d'y jouer librement et pleinement son rôle;

[...]

Page 475: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

476 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

8. — que les universités développent le plus rapidement possibleleurs centres de recherche en philosophie, en histoire, en écono-mie, en sociologie, en démographie, en géographie, en droit privéet public afin de contribuer au règlement des problèmes du milieuet de fournir aux écoles et collèges l'ensemble des connaissancesnécessaires à la formation sociale et civique de la jeunesse selonl'esprit de la culture nationale;

9. — que tout soit mis en œuvre pour accélérer la formation desmaîtres et doter l'enseignement primaire et secondaire de maîtrescompétents dans leur spécialité et qui, par la qualité de leur lan-gue, parlée et écrite, et leur style de vie, soient d'authentiquestémoins de la culture canadienne-française;

10. — qu'une étude systématique de tous les manuels en usage, del'école primaire à l'université, soit entreprise sans délai en vue d'envérifier la valeur aux points de vue pédagogique, scientifique, ar-tistique, littéraire et national ; que ceux qui ne répondent pas à desnormes minimales soient écartés;

11. — que l'école à tous les niveaux s'efforce d'éveiller le sens dela solidarité économique des Canadiens français en vue de l'utili-sation de leur pouvoir d'achat et de leur épargne pour le plusgrand bien de la communauté canadienne-française;

12. — que les écoles dites commerciales privées, notamment les« Business Schools », soient tenues de se soumettre à des exigencesminimales de telle sorte qu'elles deviennent un apport réel à lacommunauté canadienne-française et non des foyers d'amoindris-sement de la culture française;

13. — qu'un régime organisé de culture populaire et d'éducationdes adultes réponde aux besoins de la population et veille à laqualité des initiatives privées dans ce domaine;

14. — que l'on crée une bibliothèque nationale du Québec qui,par la diversité et la qualité de ses livres et collections, la formationet la compétence des bibliothécaires, la tenue à jour d'un cataloguegénéral, constitue en Amérique du Nord le centre par excellence derecherche et de documentation en langue française;

15. — que les structures de l'enseignement, étant l'expressioninstitutionnelle d'une conception de l'éducation, les réformes qu'ony apportera soient dans le sens d'un retour aux sources françai-

Page 476: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal • 477

ses: définition rigoureuse des niveaux et de l'objectif propre àchacun : primaire, secondaire, technique et professionnel, univer-sitaire.

Le milieu

Le mandat de votre Commission s'étend spécifiquement à l'ensei-gnement, mais il ne peut ignorer le milieu et les institutions diver-ses dont celui-ci est formé.

Or, la pression du milieu est immense et elle oriente en grandepartie l'œuvre de l'école elle-même et peut aller jusqu'à la compro-mettre. L'éducation nationale dispensée dans les écoles n'a de chancede produire ses fruits que si le milieu s'inspire de la même pensée,répond aux mêmes valeurs. Ainsi la langue française n'a d'attraitpour l'individu que si elle est rentable, c'est-à-dire que si dans lafamille, au travail et sur tous les plans où se déploie l'activitéquotidienne, elle est pour la population en général un instrumentnormal de communication et d'échange; de même en est-il desgrandes traditions d'inspiration chrétienne qui ont marqué na-guère notre vie nationale: elles n'ont de sens pour l'individu quesi, renouvelées dans leurs modalités, elles s'incarnent dans les gran-des institutions du milieu; régime de la famille, du travail, del'éducation, de la santé, de l'assistance sociale, de la propriété desprofessions, des institutions économiques, etc.

Il appartient donc à l'État, en collaboration avec les institutionsd'enseignement et avec tous les grands organismes qui influencentle milieu, de prendre toutes les mesures susceptibles de donner àla langue française la place et le prestige qui lui reviennent commelangue de communication et de travail et mode naturel de forma-tion des esprits d'une génération à l'autre.

Nous recommandons en particulier:

16. — que, devant les tribunaux et cours de justice, la versionfrançaise des lois de la province du Québec., après adaptationnécessaire s'il y a lieu, soit la seule authentique — la versionanglaise étant considérée comme une traduction;

17. — que les entreprises établies dans la province du Québecsoient tenues de se donner une raison sociale française.

La conception chrétienne de la vie est la donnée inspiratrice de

[...]

Page 477: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

4?8 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

la culture canadienne-française. Elle est ainsi, avec la langue, l'undes éléments premiers du bien commun.

Les États communistes n'hésitent pas à proclamer leur foi dansla doctrine marxiste. On peut se demander pourquoi les gouverne-ments qui dirigent les peuples chrétiens n'auraient pas le mêmecourage.

Nous recommandons:

18. — que, dans l'exercice de son autorité et sans confondre lesordres (spirituel et temporel), le gouvernement de la province s'ins-pire de la conception chrétienne de l'homme et de l'ordre social ets'efforce d'en promouvoir l'incarnation dans les institutions de lavie commune.

Nous recommandons en particulier:

15». — que soit conservé le caractère confessionnel du régime del'Instruction publique — tout en redéfinissant, s'il le faut, le droità la dissidence, de façon à permettre aux groupements non chré-tiens l'usage de leurs propres écoles;

20. — que, à l'intérieur du système confessionnel, l'école publiquede la province du Québec soit l'école française et que les écolesdestinées aux enfants dont la langue maternelle est l'anglais soientdes écoles bilingues d'un type analogue, mais en sens inverse auxécoles bilingues organisées pour les Canadiens français dansl'Ontario ;

21. — qu'en matière d'enseignement et de sécurité sociale le gou-vernement de la province rompe le plus tôt possible et définitive-ment avec la politique des plans conjoints, récupère l'exercicecorrespondant de ses droits fiscaux et entreprenne la révision gra-duelle des lois en vigueur, de façon à les mieux adapter à la tra-dition personnaliste et chrétienne du milieu;

22. — que, dans le même esprit, il prépare et mette en vigueur uncode de la famille, un code du travail, un plan directeur de l'éco-nomie, et révise certaines dispositions du droit civil;

23. — enfin, que la province du Québec prenne l'initiative qui luiappartient en matière de radio et de télévision et organise, main-tienne et contrôle elle-même une Société Radio-Québec, vouée auxintérêts culturels de la communauté canadienne-française;

Page 478: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal • 479

24. — que, par sa politique spécifiquement culturelle et par l'ins-piration et les modes d'organisation de sa politique générale, legouvernement de la province s'efforce de créer un milieu aveclequel l'homme canadien-français se sente spontanément en accorddu fait que l'un et l'autre reconnaissent les mêmes valeurs et s'ins-pirent de la même conception générale de la vie.

Source: Mémoire, p. 6-9, 79-86, 143-151.

Page 479: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

57 Fédération des SociétésSaint-Jean-Baptiste du QuébecUn Conseil national de l'éducationplutôt qu'un ministère1962

La Fédération provinciale des Sociétés Saint-Jean-Baptiste soumet un longmémoire philosophique à la commission Parent, qui propose une vision asseztraditionaliste de l'éducation. Celle-ci doit demeurer essentiellement confes-sionnelle. La Fédération reprend en partie une proposition de structure mise del'avant par sa section montréalaise dans son mémoire à la Commission Tremblay :la création d'un « Conseil national de l'éducation » ayant compétence sur toutesles institutions d'enseignement, y compris les collèges privés, les écoles tech-niques et même les universités, juridictions ayant à ce jour échappé au Conseilde l'instruction publique et à ses comités confessionnels. Une telle propositionpointe dans la direction d'un ministère de l'éducation ; mais voilà un Rubiconque la Fédération se garde bien de franchir. La FSSJB formule enfin une idée quiaura une postérité : que tous ceux dont la langue maternelle n'est pas l'anglaissoient tenus de fréquenter l'école de langue française. Cette idée trouvera sonaccomplissement avec la loi 101 de 1977.

RECOMMANDATIONS

137. — Pour résumer et conclure tout à la fois, nous désironsmaintenant formuler les quelques recommandations ci-dessous, quitoutes, se dégagent du présent mémoire:

i. L'ensemble du régime scolaire devrait être confié — tantpour les responsabilités administratives que sur le plan aca-démique — à un Conseil National de l'Éducation.

2,. Pour sauvegarder le principe de la confessionnalité de l'en-seignement, en qui [sic] nous avons foi, ce Conseil devraitêtre composé conformément à la distribution démographi-

Page 480: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste • 481

que de la population, de douze membres désignés par unComité catholique et de trois membres désignés par unComité séparé.

3. Respectueux des droits des parents, de ceux de l'Église etdes prérogatives de la société nationale, le comité catholiquedevrait se composer de dix représentants désignés par lahiérarchie catholique, de cinq représentants des profession-nels de l'enseignement, et de quinze délégués de corps so-ciaux représentatifs d'envergure provinciale.

4. Le Conseil national de l'Éducation devrait déléguer ses pou-voirs à un comité exécutif permanent composé de cinq per-sonnes, dont un président et un vice-président, et pour unmandat dont la durée n'excéderait pas cinq ans. Quatre deces membres, dont le président, devraient être choisis parmiles représentants français du comité catholique, l'autre parmiceux du comité séparé.

5. Le Conseil national de l'Éducation, directement ou par sonexécutif, aurait juridiction sur toutes les institutions d'ensei-gnement groupées en six secteurs touchant respectivementl'élémentaire, le secondaire, l'enseignement spécialisé et pro-fessionnel, l'universitaire, l'éducation populaire et les écolesnormales.

6. Chacun de ces secteurs aurait juridiction aussi bien sur lesécoles catholiques que sur les écoles séparées.

7. Chacun de ces secteurs serait confié à la responsabilité d'unDirecteur général relevant directement de l'Exécutif duConseil National de l'Éducation. Il serait assisté de deuxadjoints, l'un pour les écoles catholiques, l'autre pour lesécoles séparées.

8. Les élèves des institutions anglaises, c'est-à-dire ceux dontla langue maternelle est l'anglais, devraient posséder uneconnaissance du français correspondant au niveau pédago-gique de l'institution qu'ils fréquentent.

9. Tous ceux dont la langue maternelle n'est pas l'anglais —Néo-Canadiens et Canadiens-français — devraient être te-nus de fréquenter les classes des institutions françaises ca-tholiques ou non, les Néo-Canadiens étant libres de conserverleur langue maternelle.

Source: Mémoire, p. 81-84.

Page 481: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

58 Association des Parents-Maîtresdu Parc de la MontagneDes vérités qu'il faut dire1962

Au cours de ses consultations, la commission Parent rencontrera une grandevariété d'interlocuteurs, le plus souvent des représentants de groupes socio-économiques, institutionnels, politiques. Il arrive aussi que des «gens ordinai-res», de simples parents, se fassent entendre, s'exprimant avec une simplicitéqui n'a d'égales que leur franchise et leur lucidité. L'Association des parents-maîtres du Parc de la Montagne, à Hull, est l'un de ces groupes de gens ordi-naires. Dans un bref mémoire de sept pages, l'Association s'exprime clairementet sans détours: l'enseignement québécois est médiocre et entaché par l'in-compétence de trop d'enseignants mal préparés; il utilise des manuels d'une«pauvreté inouïe»; le talent et l'initiative sont peu valorisés; «la peur s'estérigée en système». Dans ce système, l'Église a joué un rôle tellement domi-nant que les parents et l'État ont été spoliés de leurs responsabilités. L'Associa-tion formule tout aussi clairement ses revendications: il faut un ministère del'éducation pleinement responsable, un comité catholique désormais formé depersonnes compétentes en matière pédagogique et y œuvrant à temps completet surtout que l'on tienne compte des attentes des parents. Le propos est rafraî-chissant par son caractère direct, et pertinent par ses revendications.

L'Association des Parents-Maîtres du Parc de la Montagne repré-sente principalement cinq à six cents familles de ce quartier de laville de Hull que l'on appelle Parc de la Montagne. [...]

Comme nous ne sommes spécialistes ni en pédagogie ni en fi-nances scolaires, on ne s'attendra évidemment pas de trouver dansnotre mémoire une analyse approfondie de notre système d'ensei-gnement actuel et encore moins une solution précise à tous lesproblèmes qu'il soulève.

Toutefois, à titre de parents conscients de leur responsabilitéprimordiale en ce qui a trait à l'éducation de leurs enfants et

Page 482: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Parents-Maîtres du Parc de la Montagne • 483

profondément intéressés à voir à ce que leur soit donné le meilleurenseignement possible, nous avons cru qu'il était de notre devoirde nous interroger sur ce sujet et de faire connaître notre point devue et nos opinions sur certains problèmes particuliers.

Est-il besoin de rappeler que la principale richesse d'une nationce sont les hommes et que partant l'éducation doit être sa premièrepréoccupation. Pour le peuple canadien-français en particulier, vouépar les circonstances à une lutte incessante contre l'envahissementculturel et économique d'une majorité plus riche et plus puissanteque lui, l'éducation est non seulement une source de richesse maisun moyen indispensable de survivance. Seules la qualité et la com-pétence nous permettront de conserver notre liberté politique,économique et culturelle, en un mot de demeurer une entité viablesur le continent nord-américain.

L'importance de l'éducation n'est donc pas à démontrer. C'estprécisément pour cette raison que nous ne pouvons qu'éprouverune certaine amertume lorsque nous nous penchons sur notresystème d'enseignement et comparons ce qui a été fait avec ce quiaurait pu être fait dans ce domaine. Compte tenu de toutes lescirconstances atténuantes et de la valeur des efforts du passé, lavérité brutale est que nous n'avons pas su tirer le meilleur profitde nos ressources économiques, intellectuelles et morales et quenous n'avons pas réussi à nous donner les compétences dontnous avons un besoin urgent. La médiocrité et l'incompétencedemeurent les caractéristiques principales de notre enseignement.Nous voyons malheureusement des titulaires mal préparés et malrémunérés enseigner des matières, et surtout une langue, qu'ilsconnaissent à peine, à l'aide de manuels d'une pauvreté inouïe,et ceci dans des écoles construites sans planification et qui sou-vent ont coûté le double de leur valeur réelle. Ajoutons enfin àceci un certain état d'esprit qui imprègne tout le système et qui,loin de favoriser le progrès, décourage le talent et étouffe l'initia-tive. La peur s'est érigée en système : elle conditionne les attitudesà partir de l'élève jusqu'au plus haut degré. Les relations du maîtreà l'élève, par exemple, sont fondées sur la crainte et les menacesdes conséquences fâcheuses des échecs. Les instituteurs, eux, vi-vent dans la crainte perpétuelle que ne s'exerce contre eux l'écra-sante puissance des autorités. C'est dire qu'à notre avis il n'y a paslieu de s'enorgueillir des résultats obtenus jusqu'ici et qu'il fautabsolument apporter les réformes nécessaires à notre système pour

Page 483: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

484 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

qu'il produise les fruits auxquels nous sommes en droit de nousattendre.

Dans son allocution prononcée au Séminaire de Saint-Jean deQuébec, le 17 juin 1961, Son Éminence le cardinal Léger rappelaitque les parents, l'État et l'Église ont tous trois un rôle à jouer dansle domaine de l'éducation. En tant que catholiques, nous admet-tons cette triple présence. Reste cependant à définir le rôle et lesresponsabilités de chacun. C'est par là, croyons-nous, que doitdébuter tout projet de révision de notre système,

Or, l'histoire nous démontre, il nous semble, que jusqu'à main-tenant l'Église, c'est-à-dire le clergé et les communautés religieuses,a exercé une influence prépondérante, sinon totale, sur notre en-seignement, au point de faire oublier le rôle des parents et de l'Étatet même, dans certains milieux, de rendre vaguement suspectetoute intervention ou initiative de la part de ces derniers. Cela tientpeut-être à bien des causes, mais quelles qu'elles soient, nous croyonsle temps venu d'exiger que les parents ainsi que leurs représentantsau gouvernement reprennent possession des pouvoirs et des res-ponsabilités qui leur reviennent de droit et que des circonstancesd'un âge révolu ont imposés à l'Église. Plus précisément, nousadmettons que l'Église possède un droit propre dans les domainesreligieux et moral. D'autre part, nous admettons volontiers aussique les clercs et les religieux, à compétence égale, participent ac-tivement à l'enseignement de nos enfants. Cependant, nous croyonsque ce sont les parents, agissant directement ou par l'entremise deleurs représentants élus, qui doivent conserver l'autorité ultime etefficace sur tout le système,

En conséquence de ce qui précède, il nous semble que ce seraitfaire acte de simple honnêteté intellectuelle que d'appeler « minis-tère de l'Éducation » le ministère du gouvernement chargé de l'ad-ministration des lois sur l'éducation. Si l'État a un rôle à jouerdans ce domaine, — et qui le niera, — quoi de plus naturel, quoide plus normal que d'exercer ce rôle par l'intermédiaire d'unministère de l'Éducation. Nous nous rendons compte évidemmentque le nom en soi n'a pas d'importance, mais si nous recomman-dons ce changement, c'est parce que la crainte qu'on semble ma-nifester devant le nom « ministère de l'Éducation » estsymptomatique, à notre avis, d'un état d'esprit qu'il importe avanttout de dissiper. Nous nous imaginons mal que nous puissionsréformer utilement notre système scolaire si pour des motifs poli-

Page 484: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Parents-Maîtres du Parc de la Montagne • 485

tiques ou autres nous n'avons pas tout d'abord le courage d'appe-ler les choses par leur nom.

Quant à ce qui a trait aux structures fondamentales de notresystème, nous savons que plusieurs modifications radicales ont étéproposées. Nous ne croyons pas devoir nous prononcer sur lemérite des diverses propositions qui ont été faites à ce sujet. Ilsuffit de dire qu'à notre avis il faut respecter la liberté de cons-cience des individus et que, pour ce motif, on ne doit pas imposeraux parents qui n'ont pas la foi l'obligation d'envoyer leurs en-fants à des écoles confessionnelles. Un secteur neutre dans l'ensei-gnement nous semble donc inévitable.

Cela dit, nous aimerions nous arrêter plus longuement sur cettepartie du système qui nous touche de plus près nous, catholiques,c'est-à-dire celle qui concerne l'enseignement confessionnel et enparticulier sur le Comité catholique de l'Instruction publique. Nouscroyons que cet organisme doit être complètement réformé. Enpremier lieu, le fait que les évêques, ordinaires ou administrateursdes diocèses et des vicariats apostoliques catholiques romains com-posent la moitié du Comité, rend inévitable cette situation à la-quelle nous nous sommes déjà objectés, soit l'influenceprépondérante, sinon totale, du clergé sur l'enseignement. Deuxiè-mement, et même si, sauf quelques exceptions, nous ne connais-sons pas personnellement les membres de ce Comité, il est permisde douter qu'ils possèdent tous l'expérience et les connaissancesvoulues pour l'exercice des fonctions si importantes que la loi leurimpose. Du moins, rien dans la loi ne l'exige et ceci nous sembleinacceptable. Enfin, ce Comité se réunit, nous dit-on, trois ouquatre fois par année et nous ne voyons pas comment il peut àl'occasion de ces rares rencontres s'acquitter convenablement desnombreux devoirs qui lui échoient. Il suffit de mentionner commeexemple l'étude et le choix des manuels tant au niveau primairequ'au niveau secondaire. Pour tous ces motifs, nous recomman-dons que le Comité catholique actuel soit remplacé par un comitéou une commission dont les membres seront nommés à tempscomplet, mais pour une période déterminée, disons de sept ans. Ilsseraient tous nommés par le Lieutenant-Gouverneur en Conseil etposséderaient la plus haute compétence possible en matière péda-gogique. Inutile d'ajouter qu'ils devraient être rémunérés en con-séquence.

Nous aurions aimé que le temps nous eût permis d'étudier

Page 485: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

486 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

davantage le rôle et les attributions de ce comité mais l'essentiel,croyons-nous, est qu'il soit composé de gens compétents qui pour-raient se consacrer entièrement à la tâche qui leur serait confiée.

Source: Mémoire, p. 1-7.

Page 486: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

59 Association des professeurs laïquesdes écoles normales catholiquesde la province de QuébecPropositions de praticiens de l'éducation1962

L'Association des professeurs laïques des écoles normales catholiques de laprovince de Québec formule un certain nombre de propositions qui préfigurentles grands choix du rapport Parent : primaire de six ans, secondaire de cinq ansà cheminements multiples, déconcentration géographique des premières an-nées universitaires dans certains collèges et écoles normales, maintien de laconfessionnalité mais obligation pour l'État de soutenir des écoles non confes-sionnelles. L'Association ne propose pas la création d'un ministère de l'Éduca-tion, mais plutôt la mise sur pied d'un «Conseil général de l'éducation» aveccomités catholique et protestant et commissions spécialisées, dont les mem-bres seraient choisis avec un souci accru de représentativité.

Nous proposons:

xre PROPOSITION

Que la durée du cours élémentaire soit de six ans, pour la majoritédes élèves.

Un certain nombre d'élèves ne pourront pas parcourir le cycleen six ans ; on devra établir un programme spécial à leur intention.

Nous tenons cependant à affirmer qu'un système d'éducation,pour être juste, doit tenir compte de toute la population et êtrecomplet.

[...]

Page 487: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

488 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Nous proposons:

2? PROPOSITION

Que notre système scolaire soit assez diversifié pour donner à tousles enfants une formation générale adaptée à leurs talents.

3. Le cours secondaire

A. Définition:

Une définition du cours secondaire serait bien utile pour en pré-ciser les objectifs et éviter la confusion.

L'on est porté, en certains milieux, à réserver le terme «courssecondaire » à celui qui conduit les élèves à des études universitai-res; c'est une opinion valable.

D'autres éducateurs, pour simplifier ou pour éviter la possibilitéde discréditer les élèves qui sont placés dans un cours dit « com-plémentaire », nomment « cours secondaire » tout enseignement decaractère culturel ou « occupationnel » qui se donne à la sortie ducours élémentaire;

pour eux, c'est une question de niveau ou de structure et nonde qualité de cours.

Nous choisissons cette deuxième manière de distinguer les coursparce qu'elle est généralement la plus répandue et la mieux accep-tée dans la province et probablement dans le pays.

B. Buts:

a. — Le cours secondaire doit chercher à favoriser la culture gé-nérale de tous les élèves quels que soient les objectifs particuliersattribués à chaque section de ce cours.b. — Le cours secondaire, tout en tenant compte des différencesindividuelles des élèves, doit les préparer à la poursuite d'étudessupérieures ou à l'entrée dans le monde du travail.

C. Organisation:

Face à ce double objectif, le cours secondaire doit se diversifier endeux grands secteurs : un secteur à prédominance culturelle et unsecteur à prédominance « occupationnelle ».

Page 488: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Professeurs des écoles normales • 489

Le secteur culturel pourrait lui-même se diviser en deux sec-tions : une section culturelle de niveau supérieur pour les étudiantsaptes à poursuivre des études universitaires; et une section cultu-relle de niveau moyen pour les élèves aptes à poursuivre des étudesconduisant à des occupations spécialisées ou semi-spécialisées.

Le secteur « occupationnel » pourrait recevoir les élèves d'intel-ligence lente et les sous-doués en vue de l'apprentissage d'un métier.

Les élèves se dirigeraient vers l'un ou l'autre secteur en tenantcompte d'abord de leur niveau intellectuel, et, se ondairement, dubut qu'ils poursuivent.

Nous recommandons donc:

3e PROPOSITION

La création d'un cours secondaire:

a. à section culturelle de niveau supérieur pour les élèves aptesà poursuivre des études universitaires;

b. à section culturelle de niveau moyen pour les élèves aptes àpoursuivre des études conduisant à des occupations spécia-lisées ou semi-spécialisées;

c. à section « occupationnelle » pour les élèves lents et sous-doués, en vue de l'apprentissage d'un métier.

Pour plusieurs raisons, il est difficile de préciser, pour chaquesection, la durée du cours. Nous nous contenterons de formulernotre opinion à propos des sections culturelles.

Si l'on se réfère à la plupart des pays, la durée du cours secon-daire varie entre 4 et 7 ans.

Mais si nous poussons plus loin la comparaison, en combinantle nombre d'années de l'élémentaire et celui du secondaire, nousconstatons que le total varie dans la très grande majorité des casentre n et 13 ans.

Ici, comme dans plusieurs autres cas, l'absence de recherchesscientifiques se fait durement sentir.

Le groupement des élèves en trois sections (classification amor-cée dans les derniers degrés du cours élémentaire) facilite un ensei-gnement nettement amélioré par rapport à celui qui existe. De cefait, nous pensons qu'un cours secondaire d'une durée de 5 anspourrait suffire; si, à l'expérience, une année supplémentaire de-

[...]

Page 489: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

490 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

vient nécessaire, il sera plus facile de l'établir que de supprimerune 6e année qui s'avérerait superflue.

Quoi qu'il en soit, nous proposons que le nombre total d'annéespour atteindre la fin du secondaire soit le même pour les élèves defoi catholique que pour ceux de foi protestante.

Nous proposons:

4e PROPOSITION

Que la durée du cours secondaire, section culturelle, soit de 5 ans.[...]Nous ne croyons pas qu'il soit avantageux pour les élèves de

fréquenter des institutions où la concentration des élèves est exces-sive. Le contact avec les professeurs est à toute fin pratique inexis-tant et l'étudiant se sent « dépersonnalisé » ; (il devient un numérodans une grande organisation).

Pour toutes ces raisons, nous croyons que des collèges et desécoles normales doivent donner un cours collégial avec optionspourvu que ces institutions respectent les conditions de l'enseigne-ment à ce niveau.

[...]Nous recommandons:

5e PROPOSITION

Que des collèges classiques et des écoles normales capables derépondre aux exigences d'un enseignement universitaire au niveaudes sous-gradués puissent donner ce cours sous la juridiction d'unecommission de l'enseignement universitaire.

Le cours universitaire au niveau des sous-gradués conduit soità un baccalauréat es arts, soit à un baccalauréat en pédagogie.

LES STRUCTURES ADMINISTRATIVES

La deuxième partie de notre mémoire traite des structures admi-nistratives au niveau provincial.

[...]

Page 490: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Professeurs des écoles normales • 491

Principes et faits

Exposons les principes de base sur lesquels nous nous appuyonspour formuler ces recommandations.

Parmi les divers agents de l'éducation, la Famille se place aupremier rang. Les droits de la famille en matière d'éducation etd'enseignement priment ceux de tout autre agent; il est donc normalque les parents soient directement représentés aux différents pa-liers des structures administratives.

À défaut d'organismes provinciaux groupant les parents, nouscroyons que les commissaires d'école peuvent représenter la fa-mille, à condition que l'on insère dans la loi provinciale l'obliga-tion d'être parent pour être éligible à la fonction de commissaire.

L'Église, en vertu de sa mission divine et de sa maternité spiri-tuelle, possède également un droit à l'éducation ; depuis le Ve siècleelle s'est préoccupée de l'enseignement proprement dit qu'elleconsidère comme un moyen indispensable d'accomplir sa mission.

L'État possède également un droit à l'éducation : celui de pro-téger, de soutenir les droits des parents et des organismes intermé-diaires, de coordonner leur travail et de suppléer à leur négligenceou à leur incapacité.

Mandataires des parents, de l'Église et de l'État, les éducateursde carrière ont un rôle à jouer en éducation; sur eux retombe laresponsabilité de rendre véritablement efficient un système d'édu-cation et d'enseignement adapté aux besoins des individus et de lasociété.

Ils seront d'autant plus fiers qu'on voudra bien reconnaître l'ex-trême importance de leur rôle, non seulement sur le plan de l'exé-cution, mais également sur le plan de la pensée et de la direction.Leur préparation humaniste et pédagogique, leur expérience dumilieu scolaire en font des spécialistes de l'enseignement bien pré-parés à accepter les plus hautes responsabilités dans le domaine del'éducation.

Une telle contribution de la part des spécialistes de l'éducationfacilitera sans aucun doute la tâche des premiers responsables del'éducation. De plus, une telle confiance accordée aux éducateurs,leur donnerait une conception plus exaltante de leur profession.

Ces quatre principaux agents de l'éducation doivent, à notreavis, être représentés au sein des structures administratives.

Page 491: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

492 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Un autre fait dont il faut tenir compte chez nous à l'heure actuelleest celui de la non-confessionnalité. Nous reconnaissons à chaqueparent le choix de l'école pour ses enfants.

Nous croyons également nécessaire de distinguer trois aspects del'administration scolaire : l'aspect législatif, l'aspect exécutif et l'as-pect financier. L'aspect législatif comprend toute la réglementationet la direction, au regard des idéaux éducatifs, des programmes,des manuels, des brevets d'enseignement et des examens. L'aspectexécutif comprend la mise en application des règlements et desdirectives émanant de l'autorité législative. L'aspect financier com-prend toutes les dépenses telles que : octrois, construction des éco-les, etc.

LES STRUCTURES

Ces principes et ces faits servent de base aux diverses recomman-dations qui suivent. Nous recommandons:

24e PROPOSITION

Le maintien du système des écoles confessionnelles, système répon-dant aux aspirations de la majorité.

Le devoir, pour l'État, d'appuyer, là où les circonstances la ren-dent possible, la création d'écoles non confessionnelles et de leurapporter une aide proportionnelle à celle accordée aux écoles dela majorité.

Pour que, d'une part, les droits de la Famille et ceux de l'Églisesoient le mieux respectés, et que, d'autre part, les éducateurs decarrière aient le rôle qui leur revient dans la direction de l'éduca-tion dans la Province, nous croyons qu'un ministère de l'éduca-tion, nanti de tous les pouvoirs ne représente pas la forme la plusdémocratique.

Page 492: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Professeurs des écoles normales • 493

Nous recommandons:

25° PROPOSITION

La formation d'un Conseil général de l'Éducation, composé d'unConseil catholique et d'un Conseil protestant. Le nombre de mem-bres et le rôle de ces deux organismes seraient semblables à ceuxexistant actuellement au Conseil de l'Instruction publique.

Le Conseil catholique de l'éducation comprendrait 3 3 membresdont 8 désignés par chacune des sociétés suivantes : La Fédérationdes commissions scolaires, l'Église, les associations d'éducateurs etl'État.

Le Conseil protestant serait composé de la même façon, tout entenant compte de la proportion des membres.

Le ministre responsable de l'éducation ferait partie ex officiodu Conseil général et de chacun des Conseils catholique et pro-testant.

Le rôle principal de chaque Conseil consisterait à définir lesidéaux éducatifs; à régir le service de l'inspectorat, et celui desécoles normales; à coordonner le travail des commissions régis-sant les 4 secteurs de l'enseignement.

i. Le Secteur Catholique:

Nous recommandons:

26e PROPOSITION

La formation de quatre commissions de l'enseignement, régissantchacune un secteur de l'enseignement, à savoir:

— la Commission de l'enseignement élémentaire,— la Commission de l'enseignement secondaire, section cultu-

relle,— la Commission de l'enseignement secondaire, section «oc-

cupationnelle » et technique,— la Commission de l'enseignement universitaire,

chacune de ces commissions régissant les programmes, détermi-nant le choix des manuels, etc., de son secteur.

Page 493: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

494 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Chaque commission serait composée de 13 membres soit troismembres pour chaque corps (l'Église, l'État, la Famille, les éduca-teurs de carrière) plus le Ministre responsable de l'éducation.

Un membre sur trois serait choisi parmi ceux qui siègent auConseil et deux autres nommés directement par chacun des corpsci-dessus mentionnés.

Le président de chaque Commission et celui du Conseil seraientélus par les membres respectifs de chaque commission et du con-seil; leur mandat serait d'un an, mais renouvelable.

Tous les membres seraient désignés pour un terme de trois ans,mais leur mandat serait renouvelable.

2. Le Secteur Protestant:

Organisation semblable à celle du secteur catholique.

3. La non-confessionnalité :

L'enseignement non confessionnel pourrait relever du Conseil gé-néral qui verrait à assurer la liberté de cet enseignement maisdevrait aussi sauvegarder les droits de la majorité confessionnelle.

4. Répartition des responsabilités:

Les Conseils catholique, protestant, et les Commissions seraientresponsables de la partie législative dans le domaine pédagogique.

Source: Mémoire, p. 4-7, 10, 44-48.

Page 494: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

60 Fédération des commissionsscolaires catholiques du QuébecLa nécessaire autonomiedes commissions scolaires1962

Plaidant en faveur de l'autonomie des commissions scolaires, définies commeles mandataires directes des parents, réitérant la nécessité de préserver laconfessionnalité du système d'éducation, la Fédération des commissions sco-laires s'inspire d'une conception dualiste de la gestion de l'éducation. D'unepart, l'État doit assumer un «rôle prépondérant dans l'attribution des sommesd'argent nécessaires à l'éducation, et dans la surveillance de l'utilisation desfonds publics ainsi votés par le Parlement». Mais, d'autre part, la responsabi-lité académique et pédagogique n'est pas vraiment du ressort de l'État : celaappartient aux parents, à l'Église et aux éducateurs qui doivent ensemble «dé-finir une philosophie de l'éducation, en définir la politique, orienter les étudeset prendre les décisions académiques». La Fédération n'envisage donc nulle-ment la création d'un ministère de l'éducation. Un peu comme les Ligues duSacré-Cœur, elle craint que «les interventions grandissantes de l'État risquentde nous plonger dans l'étatisme ». Aussi la Fédération veut-elle préserver etaccroître les compétences des comités catholique et protestant du Conseil del'instruction publique qui «détiendront l'autorité réelle et formeront le rôle lé-gislatif de l'enseignement. Ils seront, en somme, les seuls à orienter l'éducationdans la province». Un service exécutif tiendrait lieu de ministère et appliqueraitles décisions des comités confessionnels. Au vu des positions d'un organismecomme la Fédération des commissions scolaires, on apprécie mieux la force desoppositions qu'a dû surmonter le gouvernement pour créer un ministère del'éducation.

Page 495: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

496 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

RÔLE DES COMMISSIONS SCOLAIRES

Nature et importance de ce rôle

Comment les parents peuvent-ils s'acquitter de leurs obligations ?Devant l'État qui possède les moyens voulus pour exercer ses droits,comment les parents peuvent-ils défendre les leurs ?

Il est évident que l'État, même s'il a été mandaté par le peuple,ne représente pas directement les parents dans ce domaine. Carnous venons de voir que les parents et l'État possèdent en éduca-tion, des droits et des devoirs bien distincts.

Les parents ont donc besoin, pour faire entendre leur voix, d'unorganisme bien à eux, qu'ils seront seuls à constituer et à contrô-ler. Cet organisme existe, dans notre Province, sous la forme decommissions scolaires locales. Leur rôle, parce qu'il est intime-ment lié à celui de la famille, est donc d'une extrême importance.

Si nos pères n'avaient pas déjà eu la prévoyance de créer lesystème actuel de commissions scolaires, la recommandation laplus urgente de notre mémoire aurait été aujourd'hui, d'en récla-mer l'établissement.

Tous les parents peuvent et doivent concourir à l'élection descommissaires d'écoles, qui, étant censés être les plus sages de lacommunauté, reçoivent des parents le mandat de veiller à l'éduca-tion des enfants. La commission scolaire devient donc le corpsintermédiaire indispensable entre, d'une part, les parents qu'ellereprésente et, d'autre part, l'autorité administrative qui impose deslois ou conseille les parents dans l'exercice de leurs fonctions.

C'est encore en vertu des obligations inaliénables des parentsque les commissions scolaires doivent être établies d'abord au niveaude la communauté locale ; car c'est le seul niveau qui permette uneaction efficace au plus grand nombre possible de parents.

Ainsi, la décentralisation administrative en matière scolaire re-pose d'abord sur le droit des parents et sur la volonté d'associationde la communauté locale. De sorte qu'en attribuant une formejuridique et des pouvoirs d'ordre public à cette association, lalégislature ne fait que reconnaître un droit naturel et lui fournir lapossibilité de l'exercer civilement.

Page 496: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 497

Les écoles appartiennent aux parents

Nous tenons à faire noter ici que les écoles relevant des commis-sions scolaires n'appartiennent aucunement à l'État. Ce sont desécoles publiques, relevant du droit commun, et dont la propriétérepose entre les mains des parents de la communauté locale.

Juridiquement, l'État n'a pas à se mêler plus de l'administrationde nos écoles qu'il n'aurait droit d'intervenir dans la constructiond'un hôtel de ville ou dans les affaires d'une municipalité. Dans uncas comme dans l'autre, l'État provincial ne peut exercer de con-trôle que dans la seule mesure où on l'appelle à verser des subsi-des. (Nous le verrons, d'ailleurs, un peu plus loin en examinant laquestion de l'autonomie.)

Ainsi, les commissaires d'écoles, élus par une population localepour administrer les écoles de la communauté locale, constituentun gouvernement aussi authentiquement démocratique que legouvernement municipal et que le gouvernement provincial. Ce«gouvernement scolaire» lève des impôts et utilise l'argent descontribuables pour fonder et maintenir des écoles qui deviennentde fait et en loi la propriété des parents de la communauté locale.

S'il fallait que l'État provincial, versant des subsides, utilise sondroit de contrôle de manière à anéantir la liberté des commissionsscolaires, il agirait de façon abusive et violerait les droits fonda-mentaux des parents.

Autonomie des commissions scolaires

De tout ceci, il découle que les commissaires d'écoles, élus par lesparents d'une localité bien déterminée, doivent, devant eux, répon-dre de leur mandat. Or, puisque les commissaires doivent ainsi ren-dre des comptes, il faut leur reconnaître une certaine liberté d'action,qui correspond, d'ailleurs, aux droits des parents en éducation. Tellessont les bases sur lesquelles nous fondons le droit des commissionsscolaires à leur autonomie envers le pouvoir central.

Dans la conjoncture actuelle, au moment où l'aide financière del'État est plus nécessaire que jamais au progrès de l'éducation, ildevient impérieux de rappeler que celle-ci relève en premier lieudes parents et, par extension, des commissions scolaires, en autantqu'il s'agisse des cours primaire et secondaire.

[...]

Page 497: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

498 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

C'est dire que, tout en obligeant l'État à une aide financièreconsidérable, on doit également obtenir de lui qu'il la fournisse demanière à ne pas diminuer (ou le moins possible) l'autonomieadministrative des commissions scolaires.

LA STRUCTURE ADMINISTRATIVE

Les cadres administratifs de notre système d'enseignement doiventcorrespondre le mieux possible aux droits respectifs de ceux quisont responsables de l'éducation des enfants. Le contraire seraitillogique et injuste.

Ce principe vaut toujours, mais la difficulté consiste à l'inter-préter convenablement dans un contexte social en pleine évolu-tion.

Confessionnalité

Ces institutions, ou ces structures, nous demandons qu'elles soientconfessionnelles. D'ailleurs, elles le sont déjà : nous voulons qu'ellesle demeurent.

Pour commencer, tel est le vœu de l'immense majorité des citoyensde cette province. À preuve, le témoignage que nous inscrivons icicomme étant la volonté des parents catholiques qui nous ontnommés commissaires d'écoles. Ces parents forment, évidemment,la très grande majorité de la population civile et leur voix, à elleseule, devrait suffire à indiquer dans quel sens le Parlement devralégiférer. Au surplus, nous croyons bien que les parents protestantspartagent nos sentiments.

Ceci étant dit, rien n'empêche qu'un enseignement non confes-sionnel puisse être établi en marge de l'enseignement confession-nel. Nous reconnaissons aux parents qui le désirent le droit defaire élever leurs enfants hors des groupes confessionnels. Et nousne posons aucune objection à ce que des écoles privées, subven-tionnées par l'État, soient mises à la disposition de ces enfants,pourvu qu'ils soient assez nombreux pour en justifier l'existence.Mais tant qu'ils resteront une infime exception, ils ne pourrontblâmer personne ni faire autrement que d'être traités comme descas exceptionnels.

[...]

[...]

Page 498: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 499

II y a beaucoup plus: Nous tenons au caractère confessionneldes structures de l'enseignement, parce que nous avons la convic-tion que l'éducation d'un enfant, tient surtout à son développe-ment moral. Or, il est infiniment plus facile d'atteindre à cedéveloppement si l'on est en mesure de l'asseoir sur des principesreligieux — par conséquent, d'envisager l'enseignement sous lesigne confessionnel.

Rôle des responsables

Nous devons laisser à l'État un rôle prépondérant dans l'attribu-tion des sommes d'argent nécessaires à l'éducation et dans la sur-veillance de l'utilisation des fonds publics ainsi votés par leParlement. C'est, d'ailleurs, sa responsabilité propre et, donc, sondroit de le faire — d'autant plus évident que l'aide financière àl'éducation peut représenter le tiers du budget gouvernemental.

Par ailleurs, il revient surtout aux parents, à l'Église et auxéducateurs de définir une philosophie de l'éducation, d'en établirla politique, d'orienter les études et de prendre les décisions d'or-dre académique.

Mais nous croyons que le rôle prépondérant des uns et desautres, selon le cas, doit toujours appeler la collaboration de lapartie minoritaire. De manière à ce que l'État participe d'une cer-taine manière à l'orientation pédagogique, comme les autres de-vront participer à l'établissement et à la surveillance du budget.

Notre suggestion (en résumé)

Comme conclusion logique de ce qui précède, nous proposonsl'adoption des mesures suivantes:

a. — Maintenir, au centre du système, le Comité catholique et leComité protestant. Ils détiendront l'autorité réelle et ils formerontle côté législatif (pris au sens large) de l'enseignement. Ils seront,en somme, les seuls à orienter l'éducation dans la Province et àdécider des mesures administratives qui seront nécessaires pouratteindre les fins qu'ils auront eux-mêmes définies.

Modifier leur composition actuelle pour que, au Comité catho-lique, les neuf dixièmes des membres soient les représentants desparents, de l'Église et des éducateurs; confier à l'État (dans sabranche executive) la nomination du dernier dixième de la repré-sentation.

Page 499: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

500 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Créer un Comité de l'enseignement spécialisé, groupant les éco-les que l'État dirige déjà dans divers ministères. Donner à l'État lamoitié de la représentation au sein de ce Comité; en confier laseconde moitié aux délégués des autres Comités, des associationspatronales et ouvrières, ainsi que des instituteurs de l'enseigne-ment spécialisé.

Limiter le temps pendant lequel les membres des Comités exer-ceront leur mandat.

Subdiviser les Comités (sauf celui de l'enseignement spécialisé)selon la culture française ou anglaise. Simplifier leur tâche enconfiant à des corps subalternes (commissions et sous-commis-sions) les décisions de routine.

Changer le nom du Conseil de l'Instruction Publique en celui de« Conseil de l'Éducation ». Donner comme fonction essentielle à ceConseil d'agir comme organisme de liaison et de coordinationgénérales. Son président (remplaçant le Surintendant actuel) et sesmembres représenteront les trois Comités et seront, eux aussi,nommés pour une période de temps déterminée.

b. — Créer, au même palier que les Comités, un « Service exécu-tif » chargé d'appliquer les décisions émanant des Comités, en tantque ces décisions touchent l'aspect technique (non pédagogique) etfinancier de l'éducation.

Confier au Service exécutif les pouvoirs que le Ministre de lajeunesse et le Département de l'Instruction Publique détiennentactuellement dans ce domaine.

Demander au Gouvernement de nommer la moitié des membresdu Service exécutif. Attribuer l'autre moitié aux délégués desComités.

c. — Garder les universités hors des cadres administratifs officiels,mais inviter l'Association provinciale des collèges et des universitésà déléguer des représentants au Conseil de l'éducation.

Autorité pédagogique et autorité executive

L'autorité pédagogique est exercée par les Comités (catholique etprotestant), où le Gouvernement ne groupe qu'un dixième desmembres. L'autorité executive, sauf en matières pédagogiques, estassumée par le Service exécutif, où le Gouvernement nomme lamoitié des membres.

[...]

Page 500: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 501

Ainsi, du côté pédagogique, l'État peut faire valoir ses points devue et surveiller les progrès de l'éducation, tout en demeurantimpuissant à diriger le système à lui tout seul.

Par contre, dans l'administration des fonds publics qu'il reçoitdu Parlement, la branche executive de l'État obtient une voixmajeure; ce qui n'empêche pas les intéressés de faire entendre laleur.

De cette manière, l'État ne peut pas instaurer seul une politiquede l'éducation; quoiqu'il ait beaucoup de facilité pour bloquercelle qui ne lui conviendrait pas. En cas de conflit, le problèmeserait donc immédiatement porté devant l'opinion publique.

Rôle et composition du Conseil

Le Conseil ne joue surtout qu'un rôle de coordination entre,d'une part, les travaux pédagogiques des Comités et, d'autre part,l'application par le Service exécutif des projets décidés par lesComités.

Nous lui confions, de plus, le soin de représenter les Comitésauprès de la Chambre qui peut, lorsque cela lui plaît, siéger enComité parlementaire et entendre le président ou les autres mem-bres du Conseil de l'éducation.

Le Conseil doit aussi définir les normes générales de l'enseigne-ment et se charger des travaux de recherche. Il a encore commetâche celle de sanctionner l'existence des nouvelles universités etdes écoles, neutres ou multi-confessionnelles, qu'il y aurait lieud'établir, éventuellement — comme de diriger l'enseignement quiserait donné dans ces écoles.

C'est enfin au Conseil que revient le droit exclusif de nommeret de rétribuer, à même son budget, les fonctionnaires affectés àson service, comme à celui des Comités et des corps qui en dépen-dent.

Rôle et composition des Comités

Les Comités sont, avec le Service exécutif, le centre nerveux detout le système. Les Comités, suivant des normes émanant duConseil et à l'élaboration desquelles ils auront participé, établis-sent une philosophie de l'enseignement et en définissent l'orienta-tion sur une base confessionnelle.

[...]

Page 501: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

502 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Les Comités agissent par l'entremise de leurs sous-comités,commissions et sous-commissions dont les décisions, chacune dansleur domaine, sont finales à moins que le Comité ne les désavouedans une période limitée (maximum d'un mois).

Les Comités ont juridiction sur l'ensemble de l'enseignementpublic, primaire et secondaire. Leur juridiction s'étend aussi sur lesécoles privées de même niveau, mais uniquement pour « reconnaî-tre», par l'entremise d'une sous-commission appropriée, qu'ellesse conforment à certaines normes essentielles; ce qui permettraità ces écoles de recevoir des octrois au même titre que les écolespubliques.

Rôle du Service exécutif

Dans notre esprit, ce Service joue le rôle de, ou remplace, ousimplement désigne l'actuel ministère de la Jeunesse. Il en conservetoutes les attributions, sauf celles qui ont trait à l'aspect pédago-gique de l'enseignement (v.g. les recherches). Le ministre lui-mêmepourrait fort bien continuer à le diriger.

Comme son nom l'indique, le Service exécutif est chargé d'exé-cuter la politique et les décisions des Comités — dont les résolu-tions lui parviennent formellement par l'entremise du Conseil et,officieusement, par celle des délégués de l'État au sein des Comi-tés.

Étant donné que l'exécution d'une politique générale de l'édu-cation oblige l'État à des octrois considérables, il est plus normalque jamais qu'il préside lui-même à leur distribution et en surveillel'utilisation.

C'est à cause de cela que nous reconnaissons au Cabinet, ou auMinistre responsable de l'éducation, le droit de nommer la moitiédes membres du Service exécutif. Pour une part, celui-ci recevradonc ses instructions du Conseil de l'éducation ; pour une autre, cesera directement du Cabinet.

Il revient encore au Service exécutif la tâche d'établir le budgetgénéral de l'éducation; puis de le soumettre à l'approbation duCabinet et du Parlement, par l'entremise du Ministre chargé del'éducation.

Ainsi, le Conseil et les Comités peuvent concentrer tous leurstravaux sur les aspects pédagogiques de l'enseignement — tout en

[...]

Page 502: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 503

nommant leurs porte-parole au sein du Service exécutif, commel'État possède les siens dans les Comités.

Le Service exécutif sera subdivisé en deux sous-services. L'untraitera des questions purement techniques, telles que les problè-mes de construction. L'autre s'occupera d'administration et definances.

Ce dernier sous-service comprendra autant de secteurs que l'oncomptera de sous-commissions relevant du Comité catholique. Ily aura donc le sous-service de l'enseignement primaire, celui del'enseignement secondaire, etc. Chacun de ces sous-services devrarecevoir comme membre un délégué de la sous-commission corres-pondante.

Liens juridiques avec le Parlement et le Cabinet

II est évident que l'Assemblée législative doit prendre, en vue dubien commun, les mesures voulues pour assurer une éducationsuffisante aux enfants de notre Province et pour protéger les droitsde la famille et de l'Église en ce domaine.

Mais, à notre avis, cela ne veut pas dire que le Parlement nepuisse pas déléguer certains de ses pouvoirs à des organismes su-balternes tels que l'actuel Conseil de l'Instruction Publique oucelui que nous désignons ici, pour le remplacer, sous le nom deConseil de l'éducation.

En fait, nous soutenons que, si le Parlement le désire, les déci-sions du Conseil n'auront aucunement besoin de recevoir la sanc-tion du lieutenant-gouverneur pour devenir mandataires. C'est quele Parlement aura permis au Conseil, non de légiférer, mais d'adopterdes règlements qui auront les mêmes effets qu'une loi.

Par conséquent, il n'est pas nécessaire de créer (en la personned'un ministre, par exemple) un lien ou une représentation juridi-que entre le Conseil et le Parlement ni entre le Conseil et le Cabi-net. Quant aux liens d'ordre pratique, nécessaires au bonfonctionnement du système, ils seront assurés par les représentantsde l'État aux Comités — et vice versa, par la présence des déléguésdes Comités au Service exécutif.

Ainsi, du point de vue technique et financier, le Parlement con-trôle, par l'entremise du Cabinet et du Service exécutif, l'emploi

[...]

[...]

Page 503: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

504 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

des fonds publics qu'il aura décidé d'affecter à l'éducation. Pource qui est de l'aspect académique de l'enseignement, nous suggé-rons que le Parlement délègue ses pouvoirs entre les mains d'unConseil de l'éducation, autonome et distinct du Parlement.

En cas de conflit entre le Gouvernement et le Conseil, le premierpossède toujours un genre de veto sur les décisions du second —en ce sens qu'il peut couper les vivres à ce dernier. Mais, vice versale Conseil et les Comités peuvent empêcher le Cabinet d'imposerune orientation pédagogique ou des mesures académiques dont ilsne voudraient pas.

Par ailleurs, le Parlement, qui détient seul l'ensemble des pou-voirs législatifs, pourra siéger en Comité et entendre les représen-tants du Conseil. Il serait alors loisible au Parlement, donnantraison au Conseil, de forcer le Gouvernement à l'action — ou,donnant tort au Conseil, de légiférer en sens contraire et, même,de restreindre les pouvoirs du Conseil.

Advenant un conflit entre le Conseil et le Parlement lui-même,il reviendrait alors à l'opinion publique, s'exprimant par voie deréférendum ou au moment des élections générales, de trancher ledébat en renversant le Gouvernement ou en forçant la démissiondes membres du Conseil et des Comités.

Les subventions

Nous l'avons vu, l'appui financier de l'État est devenu indispensa-ble. Mais, quelle que soit l'importance de cet appui, on doit tou-jours se rappeler que le Gouvernement est obligé de le fournir. Car,s'il reconnaît aux commissions scolaires l'obligation de dispenserl'enseignement jusqu'à un certain niveau, il se reconnaît à lui-même, concurremment, l'obligation d'aider les commissions sco-laires à remplir leur tâche.

L'État, gardien du bien commun et responsable du trésor public,doit évidemment établir des normes et surveiller l'emploi des fondsqu'il distribue. Mais en les distribuant, il ne fait pas de charité nide faveur ; il ne fait que retourner aux parents (par l'entremise descommissions scolaires) des sommes d'argent qui leur appartien-nent. Ce sont là des vérités que nous tenons à rappeler au momentde commenter brièvement une politique de subventions.

En accord avec ces principes et avec la nécessité de préserver

[...]

Page 504: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des commissions scolaires • 505

l'autonomie des commissions scolaires, il nous apparaît indispen-sable que les octrois possèdent, avant tout, un caractère statutaire(régulier).

Les octrois doivent être établis en tenant compte du nombre desélèves dans une commission scolaire donnée, de ses revenus, de ladensité de la population et de sa richesse relative. Ainsi, doit-onsouhaiter que certaines commissions scolaires reçoivent des octroisplus élevés que leurs voisines. Mais il est nécessaire que toutesconservent une liberté identique devant le pouvoir central. Uneliberté qui permet aux commissaires de rendre compte de leursactes aux parents qui les ont élus.

Ainsi, tout en gardant sur l'emploi des fonds publics la décisionfinale qui lui revient de droit, le Gouvernement pourra se prévaloirdes conseils de gens venus de l'extérieur, parmi lesquels on devracompter des commissaires d'écoles. Ces derniers pourront alors,de leur côté, participer à l'établissement d'une politique d'octroisgouvernementaux — et la mesure de cette participation augmen-tera celle de l'autonomie réelle des commissions scolaires.

Il reste que, si certains octrois doivent demeurer discrétionnai-res, il faudrait en limiter le nombre au strict minimum. Encore ici,la présence de membres extra-gouvernementaux au sein du corpschargé de distribuer les octrois diminuera dans une large mesurele danger de faire intervenir la politique dans les questions d'édu-cation.

Source: Mémoire, p. 17-19, 21-23, 31-41, 56-57.

[...]

Page 505: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

61 Fédération des frères éducateurs du CanadaDes collèges d'humanités et de techniques1962

Le mémoire de la Fédération des frères éducateurs fait preuve d'un remarquabsouci de modernisation de l'éducation et il préfigure certaines des innovationsles plus importantes du rapport Parent. Premièrement, les frères éducateursproposent une revalorisation de l'école secondaire publique et veulent que celle-ci offre à tous les élèves aptes un programme conduisant aux études universi-taires, ce qui n'est pas encore acquis au début des années 1960. Deuxièmement,les frères imaginent, avec une singulière prescience, un ordre nouveau d'ensei-gnement postérieur au secondaire, d'une durée de deux ou trois ans, rassem-blant, dans le même genre d'établissements répartis partout sur le territoire duQuébec, des étudiants suivant l'un ou l'autre de deux types de programmes,l'un préparant aux études universitaires, l'autre immédiatement au marché dutravail, mais sur la base d'une formation professionnelle supérieure. C'est pré-cisément ce que voudra être le cégep avec son double cheminement général ouprofessionnel. Le mémoire évoque même l'importance pour la société que soientformés ensemble, dans les mêmes établissements, les futurs techniciens et lesfuturs diplômés universitaires. En troisième lieu, les frères développent uneconception révisée de la formation des enseignants. Il faut d'abord distinguerdeux filières de formation, l'une pour l'enseignement primaire, l'autre pour lesecondaire. Par ailleurs, il est nécessaire que les futurs enseignants aient une«formation académique comparable à celle des professionnels», formationacadémique qui serait complétée par une année d'études psychopédagogiques.De telles idées trouveront place dans les recommandations de la commissioParent.

Pour conclure ce chapitre, rappelons:que le cours secondaire des écoles publiques a été négligé en

haut lieu; qu'en raison d'obstacles et d'ennuis nombreux, il n'apas donné les résultats qu'on aurait pu en attendre; que les gensd'expression anglaise avec un système mieux équilibré ont placéles nôtres dans un état d'infériorité par rapport à l'accession àl'université ; qu'une adaptation de l'école à l'étudiant doit se faire

Page 506: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des frères éducateurs • 507

sans retard par le groupement homogène ; que le respect de l'idéaldémocratique, Le. de l'école secondaire pour tous, peut se concilieravec le maintien des standards académiques en vue de la formationd'une élite cultivée; que nos structures scolaires doivent être re-pensées.

RECOMMANDATIONS

C'est pourquoi la Fédération des Frères Éducateurs du Canadarecommande :

Que l'école secondaire publique réponde davantage aux besoinsdes masses populaires;

Que l'école secondaire publique soit revalorisée par l'institutiond'un cours d'humanités accessible à tous les élèves doués etconduisant à l'université;

Qu'un soin particulier soit apporté à l'orientation des étudiants ;Que le classement homogène soit favorisé partout où c'est pos-

sible, surtout en faveur des adolescents exceptionnels (sur-doués et sous-doués) ;

Que l'uniformité se fasse dans les structures scolaires à traverstoute la province tant pour les écoles publiques que pour lesécoles privées adoptant la formule 6-6-3 ou peut-être laformule 6-5-4;

Que l'institution secondaire privée qui contribue généralementà élever les standards académiques de la nation soit soute-nue au même titre que l'école publique;

Que le cours secondaire d'humanités soit établi et maintenu auprofit des élèves qui terminent le cours.

LE COLLÈGE

Nécessité et allégeance

Dans l'aménagement des structures, un des points les plus délicatset qui donne lieu à beaucoup de discussions, c'est la déterminationde l'orientation des élèves immédiatement après l'école secondaire.

Nous sommes d'avis que les diplômés du cours secondairegagneraient beaucoup à fréquenter, pendant deux ou trois ans, un

[...]

[...]

Page 507: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

508 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

collège au niveau des 13% 14e et 15e années. Nos élèves — tous nosélèves — ont besoin d'au moins un an de philosophie. Ils ontégalement besoin d'un certain bagage de littérature, de sciences, dereligion, de civilisation canadienne et de mathématiques. Qu'onpermette des options culturelles durant la 14e et la 15e années, cequi pourra constituer une certaine avance du point de vue profes-sionnel.

Il faudrait absolument éviter, comme une très mauvaise solu-tion, de confier à chaque faculté le soin de parfaire la culturegénérale des sujets destinés aux professions. De par leur nature lesfacultés en sont pour la plupart incapables.

Seule la Faculté des Arts peut assurer la mise en marche d'unprogramme de collège. Seule, elle peut doser l'élément culturel etl'élément professionnel. Il faudrait qu'on lui donne des moyensd'action efficaces. Il faudrait surtout qu'on redécouvre la vraiefonction d'une Faculté des Arts au sein d'une université. Il resteraensuite à statuer sur le rôle des collèges, sur leur subordination etleur autonomie, en un mot, sur leur intégration dans la fonctionuniversitaire.

Les deux fonctions du Collège

Selon nous, une des fonctions du collège affilié à une Faculté desArts, c'est d'assurer le passage de l'école secondaire à la facultéspécialisée. Au niveau du collège (13% 14e et 15e années), commed'ailleurs à tous les niveaux de scolarité, un certain nombre d'élè-ves se destinent à continuer leurs études au niveau supérieur. L'écoledoit aider ces élèves à se préparer : c'est une fonction de l'école quenous appelons, faute de mieux, fonction «de continuation».

Mais nous voulons ici attirer l'attention des Commissaires surune autre fonction du collège, non moins importante à notre pointde vue. D'autres élèves doivent plutôt se préparer immédiatementau travail. L'école doit également, dans la mesure du possible,aider ces étudiants : c'est la fonction « terminale » .

On dit donc qu'un collège donne soit un cours de «continua-tion », soit un cours « terminal », ou les deux conjointement. Nouscroyons que ces deux fonctions distinctes sont conciliables dansune même institution.

Nous estimons qu'un collège de ce genre doit pouvoir se mon-

[...]

Page 508: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des frères éducateurs • 509

trer accueillant à presque tous les finissants des écoles secondaires.Comme on ne peut raisonnablement s'attendre à conduire tout cemonde aux facultés spécialisées, plusieurs devront, dès le collège,se préparer immédiatement au travail professionnel.

Le moment est sans doute venu d'intégrer davantage ces deuxinstitutions de même niveau que sont le collège d'humanités (coursde continuation) et le collège professionnel (cours terminal). Nousvoyons à leur cohabitation beaucoup d'avantages et peu d'incon-vénients.

Il est excellent en soi que voisinent les étudiants de différentsmilieux et de différentes mentalités. Les professeurs également onttout intérêt à se fréquenter et à se connaître. Beaucoup de préjugéstombent de ce fait.

Mais c'est au point de vue académique que les avantages de lacompénétration des cours sont évidents : usage en commun d'unebibliothèque, de laboratoires, de gymnases, etc. Les échanges cul-turels peuvent s'établir par des cours communs, par des cerclesd'étude, des activités religieuses, artistiques et sportives.

La spécialisation des institutions scolaires, qui a été si pousséedans le passé, ne nous paraît plus justifiée. On gagnerait beau-coup, semble-t-il, à organiser de petites cités collégiales largementouvertes : humanités, formation des instituteurs, écoles d'arts, écolecommerciale, etc. Ce que le milieu perdrait en homogénéité, il legagnerait sûrement en culture riche et variée.

Besoins urgents

Nous croyons que le collège ainsi compris permettrait de répondreassez rapidement à des besoins urgents du Québec.

Beaucoup d'élèves des écoles secondaires aspirent à l'université.Un nombre restreint seulement d'entre eux répond aux critèresactuels d'admission des facultés spécialisées. Le collège peut par-faire la préparation de ceux qui ont les aptitudes et offrir auxautres une culture humaine et professionnelle plus nécessaireaujourd'hui qu'autrefois.

D'ailleurs nos facultés professionnelles sont déjà surpeuplées. Ilfaudra sans doute agrandir les immeubles de celles qui existent eten créer de nouvelles. Mais il est possible qu'à la réflexion ontrouve plus expédient de choisir avec plus de discernement lesétudiants des facultés et de refouler dans les collèges les étudiantsmoins doués et moins travailleurs.

Page 509: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

5io • Autour de la commission Parent (1961-1963)

L'extension géographique de la Province est aussi telle qu'on nepeut raisonnablement compter sur les grandes universités pourdesservir toute la population. Des collèges répartis au cœur desgrandes régions pourraient suppléer, dans une certaine mesure, àcette absence des universités. Il arrivera même sans doute que desfacteurs limitatifs d'ordre géographique favoriseront certains sec-teurs du travail actuellement démunis. Ainsi les étudiants choisi-ront plus volontiers de fréquenter une école normale située dansleur petite ville plutôt que d'aller s'inscrire à une faculté universi-taire.

Notre secteur tertiaire du travail est en expansion continue depuisquarante ans; mais trop souvent les nôtres n'y occupent que leséchelons subalternes ; nous manquons d'administrateurs et de fonc-tionnaires de grande classe; la pénurie d'éducateurs est aussi unfait assez connu pour qu'on n'ait pas à insister. L'éducation deniveau collégial nous aidera à garnir ce secteur gravement démunià l'heure actuelle.

Nous n'ignorons pas que le collège, tel que nous le concevons,passera aux yeux de certains pour une imitation servile du collègeanglo-canadien. L'essentiel, pour nous, c'est de répondre le plusadéquatement possible aux besoins de notre population. Tant mieuxsi une meilleure compréhension de nos besoins nous mène graduel-lement à adopter des vues et des façons d'agir déjà généralisées auCanada !

RECOMMANDATIONS

La Fédération des Frères Éducateurs recommande:

Que soit reconnue officiellement et dûment constituée une écoleuniversitaire appelée «collège», dont les deux principalesfonctions seraient de:— faire le pont entre l'école secondaire et les facultés pro-

fessionnelles ;— donner une formation humaine et professionnelle aux

étudiants qui ne peuvent fréquenter une faculté spécia-lisée ;

Que soit revalorisée ou mise sur pied une authentique facultédes Arts dans chaque université d'expression française;

Que soit évité, comme une très mauvaise solution, de confier àchaque faculté (spécialisée) le soin de parfaire la culture

Page 510: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des frères éducateurs • 511

générale des étudiants du secondaire destinés aux profes-sions ;

Que des collèges soient répartis dans toute la province de façonà stimuler la fréquentation scolaire tant au niveau secon-daire qu'au niveau collégial;

Qu'on évite de favoriser la multiplication de petits collèges; ilsemble qu'un minimum de trois cents (300) élèves soit re-quis pour assurer une utilisation économique du personnelet de l'équipement;

Que l'école normale soit considérée comme un collège (univer-sitaire) ;

Que la fonction « terminale » du collège soit considérée commerépondant à un besoin de notre secteur tertiaire du travailet non comme un moyen d'écouler les sous-produits de l'or-ganisation scolaire.

[ÉCOLES NORMALES]

Besoins actuels

Les besoins nouveaux, dont nous croyons être assez conscients,nous amènent à proposer des changements radicaux dans l'orga-nisation de l'école normale. Les progrès survenus dans les écolespubliques en ces dernières années obligent les écoles normales àréviser leurs objectifs. Longtemps l'école normale a préparé tousses effectifs en vue de l'enseignement au cours primaire. Aujourd'hui,il lui faut songer à l'école secondaire, donc songer à diversifier lapréparation des sujets selon le niveau d'enseignement auquel ils sedestinent. La diversification des cours selon les besoins individuels(classement homogène) appelle aussi une préparation spéciale dèsl'école normale.

Par ailleurs le temps est sans doute venu de donner à nos ins-tituteurs, et surtout à nos maîtres du secondaire, une formationacadémique comparable à celle des autres professions. Nous som-mes d'avis que le moyen ad hoc pour assurer à nos futurs éduca-teurs cette formation académique est de séparer nettement, sinondans les institutions du moins dans les structures, la formationprofessionnelle de la formation académique. La formation profes-sionnelle d'un éducateur peut se donner très convenablement en

[...]

Page 511: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

512 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

une seule année, pourvu que le sujet ait une préparation académi-que convenable.

On objectera sans doute que le futur éducateur doit mûrir lon-guement son idéal de formateur des âmes et que trois ou quatreans vécus dans un milieu spécial ne sont pas de trop. Nous croyonsque le collège tel que décrit ci-dessus peut constituer ce milieuformateur. Nous croyons que les humanités (classiques ou moder-nes) constituent une excellente préparation éloignée à la vocationd'éducateur.

On a vraiment mis trop de confiance dans les méthodologies.On en revient heureusement. Une authentique formation huma-niste sera d'un tout autre prix. Cette revendication en faveur d'uneculture réelle chez l'aspirant éducateur va-t-elle se buter à de va-gues théories sur l'éthique professionnelle ? Nous le craignons. C'estla raison de notre insistance sur un sujet qui, aux yeux de plu-sieurs, ne fait pas problème.

L'idéal serait donc de donner à tous nos éducateurs une forma-tion humaine très poussée. Dans la pratique, on doit se contenterdu possible. C'est pourquoi nous avons voulu sérier les fonctionsauxquelles les normaliens se destinent. Nous distinguons d'aborddeux niveaux : le primaire et le secondaire. On ne peut plus, commejadis, préparer tous les jeunes maîtres pour l'école primaire d'abord,puis leur donner une « promotion » au secondaire après quelquesannées de service. Il nous semble déraisonnable de vider constam-ment le primaire de son meilleur personnel au profit du secon-daire. Par ailleurs, ce personnel formé par la pratique du primairene peut, généralement parlant, avoir la préparation académiquerequise pour le secondaire. Mieux vaudrait assigner à l'école nor-male deux objectifs nettement distincts et diviser les effectifs enconséquence.

Nous proposons donc une division nette dans le personnel en-seignant dès l'école normale. Le seul critère de division que nousestimons applicable dans la plupart des cas est l'acquis académi-que au moment de l'année de formation professionnelle. En d'autrestermes, c'est l'acquis académique au moment de l'entrée dans laprofession qui détermine le classement de l'éducateur.

[...]

Page 512: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des frères éducateurs • 513

Conclusion

On devrait admettre comme des données de nature les différencesindividuelles chez les normaliens et la nécessité de diversifier lestâches chez les éducateurs. D'où nécessité d'un entraînement pro-fessionnel spécialisé. Pour stimuler le personnel du primaire àl'étude, comme pour garder à ce niveau une certaine élite, noussuggérons la création de trois degrés de brevet.

Nous estimons qu'une seule année de formation professionnelledevrait suffire. Une année de formation intensive nous semblepréférable à deux ou trois ans de cours de pédagogie diluée dansun ensemble de matières académiques.

RECOMMANDATIONS

La Fédération des Frères Éducateurs du Canada recommande:

Que l'école normale soit réorganisée de façon à assurer plusadéquatement la formation humaine et professionnelle desfuturs éducateurs;

Que les programmes des écoles normales soient conçus de façonà séparer nettement la formation académique de la forma-tion professionnelle;

Que des mesures soient prises pour assurer aux éducateurs uneformation académique comparable à celle des profession-nels;

Que les études académiques d'une durée minimum de quinzeans soient sanctionnées par un grade universitaire;

Que l'année de formation pédagogique ait un caractère profes-sionnel fortement accentué;

Que la méthodologie spéciale consiste, pour une large part, enune reprise des matières scolaires dans l'optique du futurenseignant ;

Que l'école normale ait le statut et les avantages académiquesd'un collège universitaire;

Que le regroupement des petites écoles normales fasse l'objetd'une étude sérieuse au plan provincial;

Que l'on mette fortement l'accent sur l'équilibre humain dessujets destinés à la fonction d'éducateur.

Source: Mémoire, p. 32-40, 43-45, 52,-53-

Page 513: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

62 Fédération des collèges classiquesUne réforme pour protéger des acquis1962 et 1963

Consciente de l'importance pour ses membres des enjeux qu'examiné la Com-mission Parent, la Fédération des collèges classiques soumet un volumineuxmémoire qu'elle fera publier par une maison d'édition. Dans le premier volumede ce mémoire, consacré aux cadres généraux du système d'éducation, la Fédé-ration reconnaît la nécessité de démocratiser l'éducation : cela correspond àune tendance lourde de l'évolution des sociétés occidentales. Il faut donc faci-liter l'accès aux études et se préoccuper d'adapter le cheminement des élèvesaux aptitudes et talents variés. Cela justifie non seulement de généraliser lesétudes secondaires, mais d'offrir «une variété de programmes adaptés auxprincipaux groupes d'aptitudes». En ce qui concerne les structures d'encadre-ment du système d'éducation, la Fédération préfère nettement une réforme duConseil de l'instruction publique à la mise en place d'un ministère de l'éduca-tion. Le Conseil ainsi réformé aurait compétence sur l'ensemble de l'éducation,aussi bien en matière de pédagogie que de financement, et il pourrait se doter deconseils permanents spécialisés pour les divers domaines de l'enseignement.Il faut aussi confirmer et renforcer le statut du Surintendant de l'instructionpublique, caractérisé par l'«indépendance politique». Tous les établissements,privés et publics, doivent pouvoir bénéficier de fonds publics. La confessionnalitédoit être préservée comme principe d'organisation et d'orientation de l'éduca-tion. La Fédération veut aussi assurer un espace permettant à des collègesd'offrir, sous le même toit, à la fois l'enseignement secondaire et un enseigne-ment «collégial et universitaire », c'est-à-dire le cheminement complet qui mènede la fin des études primaires aux études universitaires. Cela ressort particuliè-rement des recommandations du deuxième volume du mémoire consacré à l'en-seignement classique. La coordination des études au niveau «collégial»continuerait à relever des facultés des arts des universités plutôt que d'uneautorité gouvernementale, fût-ce le Conseil de l'instruction publique. En d'autrestermes, les collèges classiques, qui accueillent volontiers l'idée de fixer à sixans la durée des études primaires et à cinq ans, de façon générale, celle desétudes secondaires, proposent « pour les élèves doués qui se destinent auxétudes universitaires, un cours secondaire précollégial» couronné par le tradi-tionnel baccalauréat es arts qui est un grade universitaire. Ainsi, tout en con-sentant à une généralisation de l'enseignement public, notamment secondaire,

Page 514: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des collèges classiques • 515

la Fédération des collèges classiques met tout en œuvre pour perpétuer la tra-dition du cours classique dans des collèges privés et autonomes. En regard decette conception, les recommandations du rapport Parent marqueront une rup-ture considérable.

[I. CADRES GÉNÉRAUX]

Conclusions et recommandations

L'état présent de l'éducation

1. — Dans tous les pays du monde, il se fait un immense effort envue d'équiper les systèmes scolaires. On bâtit des écoles, on formedes professeurs, on prolonge la scolarité obligatoire, on adapte lesprogrammes aux besoins du monde actuel. Le progrès scientifiqueet industriel, en plus de multiplier les loisirs, a augmenté le nombred'années que chacun peut consacrer à s'instruire. Pour la premièrefois dans l'histoire de l'humanité, toute la population peut béné-ficier de l'ensemble des moyens de culture. C'est à ce mouvementgénéral que se rattache l'état présent du système scolaire de laprovince de Québec et, en particulier, celui des collèges classiques.Pour notre génération, il s'agit d'assimiler, d'enrichir et de diffuser,grâce à des techniques nouvelles, les valeurs constantes de notrecivilisation.

Les fondements de l'éducation

2. — Un système scolaire qui veut se fonder sur les principesdémocratiques, sans discrimination à l'endroit des catholiques, res-pectera les principes suivants.

3. — L'école doit favoriser de toutes manières la culture des arts,des sciences et des vertus civiques.

4. — L'école catholique respecte et utilise les principes et les mé-thodes de chaque discipline et elle veille à garder ces disciplinesdans leurs limites propres, afin de les maintenir ainsi en harmonieavec la doctrine chrétienne.

5. — L'école catholique, pour satisfaire aux besoins de la personnehumaine, membre du Corps Mystique, s'efforce de faire acquérir

Page 515: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

5i6 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

à chaque étudiant, selon son âge, ses capacités intellectuelles et leniveau des études qu'il poursuit, l'habitude de juger et de vivre enchrétien dans un monde où coexistent diverses conceptions de lavie.

6. — Toute l'ordonnance de l'école catholique, personnel, pro-grammes, livres, en tout genre de discipline, doit s'inspirer d'unesprit vraiment chrétien, sous la vigilance de l'Église.

7. — Les enfants catholiques devront avoir à leur disposition unsystème complet d'institutions d'éducation respectueuses des droitsde l'Église et de la famille chrétienne.

La structure des études

8. — On doit distinguer nettement les problèmes de structure desétudes, de structure de l'autorité supérieure et de structure desinstitutions et ne jamais adopter une décision dans un domainepour des motifs tirés de l'un des deux autres.

9. — II importe moins de proposer des solutions précises que detrouver des principes de coordination qui permettront aux orga-nismes compétents, avec le secours de techniciens, de résoudre lesproblèmes d'études actuels et ceux qui se présenteront par la suite.

10. — Chacun doit pouvoir accéder à des études conformes à sesaptitudes.

11. — Chacun doit pouvoir continuer ses études s'il désire changerd'orientation ou si, une fois engagé dans une occupation, il sou-haite mettre ses connaissances au point ou poursuivre les étudesdéjà commencées.

12. — Les programmes d'études spécialisées doivent faire maîtri-ser les méthodes et les données permanentes de la spécialité, afinde rendre l'élève capable d'assimiler, après la fin de ses études, lesdéveloppements qui surviendront dans son champ d'activités.

17. — La famille est le premier milieu de l'éducation. Les autoritésscolaires et toute la société ont le devoir d'aider les parents àcomprendre et à bien remplir leurs obligations.

[...]

Page 516: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des collèges classiques • 517

18. — II est nécessaire d'organiser un système cohérent d'éduca-tion préscolaire. Les activités et les techniques éducatives à ceniveau ne doivent faire double emploi ni avec la famille ni avecl'école élémentaire. Elles doivent, cependant, s'occuper du déve-loppement de l'enfant sur les plans psychologique et intellectuel.

32. — Dans la formation des maîtres,, il incombe aux responsablesde continuer à hausser peu à peu le niveau de culture généralerequis avant les études pédagogiques. Ils exigeront la formationprofessionnelle de tous ceux qui adoptent l'enseignement commecarrière à quelque niveau que ce soit. Ils rendront de plus en plusstricte l'obligation de poursuivre, après cette formation, des étudesuniversitaires soit dans les matières que le maître aura à enseigner,soit dans les sciences pédagogiques requises par les fonctions qu'ilaura à exercer.

35. — Le développement culturel et scientifique de la nation re-pose, en très grande partie, sur les éducateurs. Quel que soit leniveau d'enseignement où ils exercent leurs fonctions, ils doiventcontribuer à repenser, à développer et à renouveler l'outillageculturel et scientifique.

36. — La culture chrétienne des éducateurs doit être aussi élevéeque leur compétence professionnelle. Ils doivent la mettre au ser-vice des catholiques, ainsi que de ceux qui, ne partageant pas notrefoi, ont droit, de notre part, à des attitudes parfaitement éclairées.

La structure de l'autorité supérieure

39. — Nous désirons un système scolaire qui: (i) respecte le plu-ralisme confessionnel de la population, (2) assure une administra-tion efficace, (3) soit plus démocratique par la participation desparents et des éducateurs à l'autorité supérieure. Nous avons adopté,en conséquence, les conclusions et recommandations qui suivent,basées sur la nature de nos institutions politiques.

[...]

[...]

[...]

[...]

Page 517: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

5i8 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

46. — Le Gouvernement actuel a adopté une solution d'urgence.Il a d'abord, par arrêté ministériel, transféré au ministre de lajeunesse certains des services d'éducation dispersés jusque-là dansdivers ministères. Il a enlevé par législation au Conseil de l'instruc-tion publique la plupart de ses responsabilités financières, qu'il aconfiées au ministère de la jeunesse, puis il a créé par une loi unecommission d'enquête pour aviser le Conseil des ministres enmatière pédagogique autant que financière. Ces mesures ont eupour effet de résoudre les problèmes pratiques et de poser de façonde plus en plus aiguë les questions de principe. Il est important deprendre maintenant les mesures qui permettront à des rouagesréguliers, conformes au pluralisme de la population, de faire l'étudecontinue des problèmes et qui leur laisseront le pouvoir de lesrésoudre.

Les réformes que nous proposons

47. — La refonte de la Loi de l'instruction publique. Le travail duGouvernement actuel a commencé à corriger un défaut grave quis'était développé dans notre système scolaire: le cloisonnemententre les institutions indépendantes, les institutions dirigées par leDépartement de l'instruction publique et les institutions placéessous l'autorité de plusieurs ministères. Presque tout ce qui toucheaux finances de l'éducation est maintenant groupé sous une seuleresponsabilité. La Commission royale d'enquête sur l'enseignementest le premier organisme à exercer une tâche complète relativementaux problèmes financiers et aux problèmes pédagogiques de toutnotre système scolaire. À notre avis: (i) la Loi de l'instructionpublique doit être refondue mais elle doit demeurer une loi fonda-mentale posant les principes constitutionnels et administratifs detout ce qui, dans l'État du Québec, touche à l'éducation; (2) on nepeut laisser au Conseil de l'instruction publique un rôle purementconsultatif: l'autorité serait alors exercée par un ministre, doncpar le Conseil des ministres, qui ne peut être confessionnellementpluraliste ; il est en conséquence nécessaire de donner pleine auto-rité au Conseil de l'instruction publique en ramenant dans lescadres de la Loi de l'instruction publique toute l'éducation, ycompris son financement.

48. — La refonte du Conseil de l'instruction publique. Les mem-bres du Conseil de l'instruction publique exercent une partie du

Page 518: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des collèges classiques • 519

pouvoir exécutif de l'État en matière d'éducation. Il sont doncchargés de prendre, dans un organisme d'État, les décisions admi-nistratives qui touchent au plan financier aussi bien qu'au planpédagogique. Leur responsabilité n'est pas directement pédagogi-que. On doit donc les nommer pour leurs aptitudes générales àprendre des décisions administratives après avoir consulté les tech-niciens de l'éducation. Nous estimons que les membres des deuxcomités, catholique romain et protestant, devraient être moinsnombreux, nommés pour un nombre déterminé d'années et sujetsà révocation. Leur nomination devrait être faite par le Lieutenant-gouverneur, sur présentation des organismes catholiques romainsou protestants, selon le cas, intéressés à l'éducation. Dans le casdes catholiques romains, le choix des membres devrait, avant d'êtresoumis au Lieutenant-gouverneur, recevoir l'approbation de l'as-semblée des « évêques, ordinaires ou administrateurs des diocèseset des vicariats apostoliques catholiques romains situés en tout ouen partie dans la province ». De la sorte, la distribution des mem-bres entre les différents groupes de catholiques serait réglée par cesderniers.

49. — Des institutions d'enseignement non catholiques romaineset non protestantes existent sous l'autorité de certains ministèresprovinciaux. De plus, tous les citoyens ont la liberté de créer desécoles et la loi ne les oblige pas à leur donner un caractère catho-lique romain ou protestant. Il serait souhaitable que l'on établisse,d'accord avec les deux Comités du Conseil de l'instruction publi-que, un plan qui permette la participation immédiate de représen-tants des écoles non catholiques romaines et non protestantes auxorganismes de direction. Jusqu'à ce que les besoins se précisentdavantage, on pourrait, par exemple, faire nommer par le Lieute-nant-gouverneur un nombre déterminé de membres adjoints auConseil de l'instruction publique sur présentation des organismesnon catholiques romains et non protestants intéressés à l'éduca-tion. Ce nombre devrait respecter un équilibre raisonnable destrois groupes. Cet arrangement laisserait les catholiques romainset les protestants prendre les décisions dans les questions qui con-cernent exclusivement l'un des deux groupes et il obligerait lesmembres des deux Comités à prendre les décisions avec les mem-bres adjoints, en tant que membres du Conseil de l'instructionpublique, abstraction faite des intérêts strictement confessionnels,chaque fois qu'une question ne concerne pas exclusivement l'un

Page 519: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

520 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

des deux groupes. Le domaine commun s'étendrait graduellement.Les membres adjoints, appuyés par les pouvoirs organisateurs etles corps publics, associations et collectivités non catholiques ro-mains et non protestants, auraient un cadre où faire valoir leursbesoins et leurs opinions.

50. — Le Surintendant de l'instruction publique devrait être nommépour une période déterminée par le Lieutenant-gouverneur surprésentation du Conseil de l'instruction publique, tout en mainte-nant la possibilité actuelle de destitution. L'indépendance politiquede cet officier supérieur serait plus éclatante; sa stabilité seraitassurée sans revêtir le caractère d'une permanence absolue.

51. — La refonte du Département de l'instruction publique. LeConseil de l'instruction publique et ses Comités catholique romainet protestant ont été incapables de décentraliser efficacement l'ad-ministration du Département de l'instruction publique, faute dupouvoir de déléguer légalement une partie de leur juridiction. Onpourrait mettre en place les rouages essentiels, en modifiant l'ar-ticle 44 de la Loi de l'instruction publique de façon à permettre decréer des commissions chargées d'examiner les affaires et de pren-dre des décisions puis de faire rapport au Conseil de l'instructionpublique ou à l'un de ses Comités, selon le cas. La loi devraitpermettre au Conseil de l'instruction publique de créer certainsconseils permanents pouvant siéger en séances plénières et en sec-tions catholique romaine ou protestante. Ces Conseils devraientcomprendre : un Conseil de permanence, pour donner des instruc-tions au Surintendant dans les affaires courantes, un Conseil desécoles élémentaires, un Conseil des écoles secondaires, un Conseildes écoles spécialisées, un Conseil de la formation des maîtres, unConseil des collèges et universités, un Conseil de l'éducation desadultes, un Conseil des loisirs et de l'éducation physique, un Con-seil de la recherche en éducation et tout autre qu'il sera opportunde créer.

52. — Le Département de l'instruction publique possède déjà unpersonnel nombreux groupé en services hiérarchisés. Tous les ser-vices gouvernementaux relatifs à l'éducation doivent y être rame-nés. Certains sont communs à l'enseignement protestant et àl'enseignement catholique. L'efficacité administrative requiert lacréation de services communs chaque fois que le dédoublementn'est pas nécessaire.

Page 520: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des collèges classiques • 521

La structure des institutions

53. — La terminogie de notre législation scolaire permet de distin-guer quatre types d'institutions : des écoles publiques sous contrôlecentral, des écoles publiques sous contrôle local, des écoles publi-ques indépendantes et des écoles privées. Il faut y ajouter les corpspublics, associations et collectivités intéressés à l'éducation.

54. — La distinction entre « secteur public » et « secteur privé » estcontraire à la terminologie juridique exacte, à la lettre et à l'espritlibéral de la Loi de l'instruction publique. L'ensemble de nos ins-titutions est au service du bien commun. On doit éviter de poserles problèmes sous forme d'antagonisme entre institutions.

55. — L'expression de « liberté d'expression » n'a pas chez nous lesens de liberté de l'enseignement privé à l'endroit de l'enseigne-ment d'État. Les droits des catholiques à la liberté d'enseignementsont garantis par la structure juridique confessionnelle de notresystème scolaire : les écoles catholiques de tout niveau et de toutenature font partie de plein droit des activités de l'État en éduca-tion. Quant on discute du degré d'autonomie pédagogique ouadministrative des écoles publiques indépendantes et des écolesprivées, on ne parle pas de liberté d'enseignement mais de coordi-nation entre les institutions catholiques.

56. — Notre législation scolaire renferme, depuis plus d'un siècle,dans la Loi de l'instruction publique, le principe de la participationde toute espèce d'institution d'enseignement aux fonds publics. Lagénéralisation de cette mesure relève d'une administration pru-dente mais son principe répond à un haut idéal démocratique.Rien ne pourrait lui être plus contraire qu'une forme quelconquede discrimination. La justification théorique de cette participationaux fonds publics est évidemment que le choix du type d'institu-tion où ils enverront leurs enfants relève de la liberté des citoyens.C'est leur argent même que l'on met à leur disposition pourvu quel'enseignement réponde à des critères reconnus. La modificationdes techniques de perception et de distribution des fonds publicsn'entraîne aucun déplacement de droits.

57. — II ne paraît pas y avoir d'impossibilité légale à l'ouvertured'écoles qui, comme un bon nombre des écoles publiques souscontrôle central, seraient non confessionnelles ou interconfession-nelles.

Page 521: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

522 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

58. — Une saine démocratisation de l'enseignement exigeaujourd'hui de faire participer de façon permanente à la directionde l'enseignement les organismes professionnels d'éducateurs et lesgroupements intéressés à l'éducation. Nous avons proposé plu-sieurs mesures à cette fin. Il serait bon d'étendre cette participationà la politique générale de l'éducation, en ajoutant à l'article 17 dela Loi de l'instruction publique le paragraphe suivant : « De prépa-rer chaque année et de présenter dans son rapport annuel à laLégislature les mesures législatives nécessaires au progrès de l'édu-cation ; de demander ou de recevoir à cette fin les suggestions despouvoirs organisateurs des institutions scolaires et celles des corpspublics, associations et collectivités intéressés à l'éducation. » Nousestimons que ce sont là les premières mesures à prendre, celles quipermettront de mettre en marche l'étude efficace de tous les pro-blèmes.

[//. L'ENSEIGNEMENT CLASSIQUE]

1. — Le cours élémentaire doit avoir une durée de six ans, durantlaquelle on portera une attention spéciale aux plus doués, de façonqu'ils soient en mesure d'aborder avec succès des études sélectivesde niveau secondaire.

2. — Pour la masse des élèves, le cours secondaire doit être de cinqans et comporter deux cycles: l'un de deux ans, d'orientationgénérale ; l'autre de trois ans, où les étudiants pourraient ou biense préparer immédiatement à la vie tout en assurant leur culturegénérale, ou bien poursuivre leur formation générale, en vue d'en-trer, par exemple, dans un institut technique, dont le rôle serait depréparer cette classe de techniciens supérieurs dont la société abesoin. Dans cette optique, il faudrait prévoir, il va sans dire, unautre genre d'enseignement pour les sous-doués, c'est-à-dire pourles élèves d'un quotient intellectuel inférieur à 80.

3. — Pour les élèves doués qui se destinent aux études universitai-res, il doit y avoir un cours secondaire pré-collégial d'une durée decinq ans; lequel cours serait lui-même composé de deux cycles:l'un de deux ans, de type commun ; l'autre de trois ans, caractérisépar l'introduction des différents types de cours d'humanités (hu-manités gréco-latines, scientifiques, modernes, artistiques). Le pro-

[...]

Page 522: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des collèges classiques • 523

gramme du secondaire pré-collégial serait organisé de telle sortequ'à tous les degrés, les étudiants inscrits à ce cours puissent pas-ser au secondaire le plus fréquenté. L'inverse, cependant, ne seferait pas aussi facilement; il ne serait possible qu'à certaines étapesmoyennant des exigences particulières.

4. — II doit y avoir un cours collégial qui soit couronné : (a) après4 ans d'études, d'un B.A. général avec ou sans mention; (b) après5 ans d'études, d'un B.A. avec spécialisation.

5. — Le B.A. obtenu après 15 ans d'études doit être reconnucomme un premier titre universitaire.

6. — Tout porteur d'un B.A. doit pouvoir s'inscrire immédiate-ment dans un cours de niveau gradué, c'est-à-dire supérieur aubaccalauréat, sans exclure toutefois la nécessité éventuelle de pren-dre certains crédits complémentaires au niveau du baccalauréatspécialisé.

7. — Aucune maîtrise ne doit être accordée avant un minimum de17 ans de scolarité.

8. — Les collèges qui dispensent actuellement les huit ans du coursclassique devraient être autorisés à donner, s'ils ont les qualificationssuffisantes, tout le cours de B.A. général avec ou sans mention.

5>. — Le nom de collège universitaire et les privilèges que comportece statut devraient être donnés aux institutions qui auront étéjugées dignes de dispenser un enseignement de B.A. avec spéciali-sation.

10. — II serait important, selon nous, que tout porteur d'un di-plôme universitaire ait fait l'équivalent d'au moins deux années deculture générale de niveau collégial.

11. — Le programme de tout cours d'études supérieures devraitpouvoir être apprécié sur une base de crédits.

12. — (a) Le cours d'humanités doit être répandu le plus possible,aussi bien dans le secteur public que dans le secteur indépendant;(b) la plus grande attention doit être portée à la qualité et auxexigences de la culture ; (c) ce cours d'humanités doit s'adresser àceux qui ont les aptitudes voulues ; (d) il doit s'établir un esprit decollaboration et d'entraide entre les institutions habilitées à dis-penser cet enseignement.

Page 523: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

524 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

13. — Dans un contexte démocratique: (a) l'enseignement indé-pendant est nécessaire; (b) le secteur indépendant (laïque oureligieux) au niveau de l'enseignement supérieur et du cours deshumanités, tant secondaire que collégial, doit pouvoir se déve-lopper.

14. — Les Facultés des Arts doivent être maintenues comme facul-tés universitaires. Leur rôle consiste: (a) à élaborer, en collabora-tion avec les Collèges, les programmes du cours des humanités(niveaux collégial et pré-collégial) ; (b) à en surveiller l'application (c) à reconnaître les institutions capables de donner cet enseigne-ment; (à) à établir des normes d'excellence pour le personnel descollèges; (e) à entretenir des relations avec les autres facultés del'Université; (f) à donner elles-mêmes, au besoin, l'enseignementcollégial du cours des humanités; (g) à faire émettre les diplômespar l'Université.

15. — Les institutions indépendantes qui dispensent l'enseigne-ment secondaire pré-collégial devront décerner le certificat d'étu-des secondaires pré-collégiales à leurs élèves finissants qui aurontsatisfait aux exigences du cours.

16. — L'admission au cours collégial d'humanités ne devra êtrepossible qu'aux candidats qui auront satisfait aux conditions d'en-trée stipulées par l'autorité qui régit le cours collégial.

17. — On doit assurer: (a) l'organisation adéquate d'un secteurpublic d'enseignement secondaire pré-collégial, placé sous le con-trôle des autorités compétentes, en l'occurrence, d'un Conseil desécoles secondaires par l'intermédiaire d'un Comité de l'enseigne-ment secondaire pré-collégial public; (b) là où le besoin se faitsentir, l'organisation d'un cours d'humanités de niveau collégial,rattaché au secteur public de l'enseignement et relevant des auto-rités compétentes qui, dans le domaine académique, sont les Facul-tés des Arts.

18. — On devrait établir une Commission de coordination del'enseignement secondaire pré-collégial, qui grouperait ou bienun nombre égal de représentants des deux secteurs (public etindépendant) de l'enseignement secondaire pré-collégial, ou bienun tiers des membres venant d'un Comité de l'enseignementsecondaire pré-collégial public, un deuxième tiers venant desFacultés des Arts, un dernier tiers venant en nombre égal de la

Page 524: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des collèges classiques • 525

Fédération des Collèges classiques et de la Fédération des Com-missions scolaires.

19. — On devrait fonder une Commission provinciale des univer-sités et des collèges dont le rôle consisterait:^ à faire des recom-mandations à l'autorité compétente sur les problèmes de fondationd'universités et de collèges universitaires; (b) à coordonner lesinitiatives dans le domaine de l'enseignement universitaire et col-légial dans la mesure où elles impliquent l'attribution de fondspublics; (c) à établir les sommes nécessaires au financement desinstitutions universitaires et collégiales.

20. — La Commission provinciale des universités et des collègesdevrait être subdivisée en deux sous-commissions: l'une, del'enseignement collégial et pré-gradué; l'autre, de l'enseignementgradué.

21. — Les institutions publiques d'enseignement secondaire pré-collégial pour les enfants destinés aux études supérieures doiventêtre multipliées.

22. — Les institutions publiques (sections classiques) déjà existantesdoivent s'organiser au plus tôt pour donner un enseignement se-condaire pré-collégial complet. Les parents qui ont choisi l'institu-tion publique pour leurs enfants ne doivent pas être obligés, s'ilsne le désirent pas, de leur faire terminer ces études dans une ins-titution indépendante.

23. — Les institutions secondaires et collégiales qui poursuivent,outre l'objectif commun de formation humaniste, des objectifsparticuliers en harmonie avec le bien commun, doivent être admi-ses comme partie intégrante et à part entière du système scolaire,pourvu qu'elles répondent à une demande de la population.

24. — Toutes ces écoles doivent être situées, chaque fois que fairese peut, à proximité des foyers, à condition d'avoir un nombred'élèves suffisant pour justifier une solide organisation des serviceset du personnel.

25. — Des collèges particulièrement bien situés au centre d'unerégion démographique et donnant toutes les garanties de compé-tence pour le faire, devraient être autorisés à offrir tout l'éventailde baccalauréats exigés par les besoins de la population environ-nante et acquérir l'autonomie nécessaire à cette fin.

Page 525: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

526 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

26. — Les collèges classiques doivent obtenir les moyens nécessai-res pour demeurer des institutions de haute culture au service dupeuple, et non d'une classe particulière.

27. — Le bien des étudiants doit toujours demeurer la préoccupa-tion première des administrateurs chargés de pourvoir au finance-ment des institutions.

28. — On doit reconnaître la valeur pédagogique et sociale réelledes petites institutions et des pensionnats.

29. — L'autorité en matière d'enseignement doit être assez décen-tralisée pour permettre aux institutions de donner une formationauthentique, d'inventer des solutions aux problèmes de leur milieuet d'évoluer par l'intérieur.

30. — Les collèges classiques devraient être appelés à intensifierleur participation, déjà très considérable, à l'éducation des adulteset à l'éducation permanente.

31. — Des collèges cliniques en nombre suffisant devraient êtredisponibles pour les élèves capables de suivre avec succès le coursclassique, mais dont la réadaptation pédagogique ou psychologi-que exige une institution spéciale.

32. — Les organismes chargés d'exercer l'autorité supérieure etd'assurer la coordination et la planification de l'enseignementdoivent respecter l'autonomie qui est nécessaire aux collèges, auxécoles secondaires et aux commissions scolaires pour remplir leursfonctions dans une atmosphère favorable à la formation.

33. — La socialisation de plus en plus poussée de notre milieuexige la création de corps intermédiaires participant aux respon-sabilités administratives. La Commission provinciale des universi-tés et collèges, ainsi que ses Comités catholique romain et protestant,devront donc avoir voix délibérative.

34. — Les institutions doivent participer aux diverses commissionset sous-commissions qui les concernent, de manière à leur confierune part de responsabilité dans la préparation des décisions admi-nistratives et à assurer à celles-ci une adaptation satisfaisante auxbesoins réels.

[...]

Page 526: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des collèges classiques • 527

37. — Le régime des subventions aux collèges classiques doit cou-vrir à la fois le cours secondaire et le cours collégial quant auxopérations annuelles et aux immobilisations.

39. — La somme versée par les commissions scolaires pour acquit-ter les frais de scolarité, au lieu d'être fixée dans la loi, devrait,conformément à une recommandation de la Commission Tremblay,l'être par le Département de l'Instruction publique pour chacunedes régions de la Province, selon le coût moyen de l'enseignementsecondaire.

40. — On devrait préciser les services que les commissions scolai-res et les institutions indépendantes seront également obligées defournir ainsi au titre de la gratuité scolaire. Les institutions pour-ront ensuite ajouter librement les services supplémentaires utiles àla formation des élèves et les défrayer à l'aide d'autres sources derevenus.

41. — Le régime financier des institutions devra comporter la plusgrande diversité possible de sources de revenus, de manière à sti-muler l'exercice local des responsabilités administratives.

43. — La sélection des élèves pour les multiples voies du secon-daire doit présenter les caractères suivants : (a) on doit examinerle cas de tous les élèves qui parviennent à la fin du cours élémen-taire, et cela dans une perspective d'orientation scolaire véritableplutôt que de sélection automatique ; (b) les nombreux élèves mieuxdoués que la moyenne, mais insuffisamment doués, développés oupréparés pour aborder le cours des humanités avec de bonneschances de succès, doivent être admis à suivre un programmespécial, conçu pour stimuler au maximum leur croissance men-tale ; dans la mesure du possible, ces élèves devraient être groupésdans des classes spéciales, d'où les plus aptes pourraient passerplus tard au cours des humanités; on doit prendre les mesuresadministratives nécessaires pour valoriser aux yeux des profes-seurs l'enseignement à cette catégorie d'élèves ; (c) tout au long ducours secondaire, l'orientation des étudiants doit être constam-ment révisée; (à) on doit organiser des cours de transition d'untype de secondaire à l'autre.

[...]

Page 527: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

528 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

44. — Pour freiner l'entrée en Éléments latins d'un grand nombred'élèves insuffisamment doués ou préparés, voués par le fait mêmeà un échec psychologiquement nocif, on devrait au besoin rendreplus sévères les normes d'admission au cours des humanités, pourvuque soient organisés les classes et programmes spéciaux qui fontl'objet de la recommandation précédente.

45. — Les institutions d'enseignement classique doivent mettretout en œuvre pour perfectionner les méthodes pédagogiques dansle sens d'une plus grande individualisation, afin de réduire leséchecs, si nombreux même parmi les étudiants très biens doués;les enseignants et les praticiens de la psychologie doivent collabo-rer pour mettre sur pied des services de consultation psycho-péda-gogique et d'enseignement correctif.

46. — Les institutions, indépendantes ou sous contrôle, qui pour-suivent, outre l'objectif commun de formation humaniste, un ouplusieurs objectifs particuliers conformes aux exigences du biencommun, doivent rester libres d'accepter comme étudiants les seulscandidats qui répondent à l'ensemble de leurs objectifs.

47. — Vu le danger d'entreprendre des réformes pédagogiquesd'envergure à partir de simples hypothèses ou d'un système depensée, et vu les garanties de succès à long terme que présente toutenseignement par des maîtres vraiment remarquables, les autoritésscolaires doivent encourager l'organisation de classes expérimen-tales destinées à mettre à l'essai, à une petite échelle, certainsprojets recommandés par les spécialistes de l'éducation.

48. — Les bourses ordinaires offertes à même les fonds publicsaux étudiants du cours collégial pour défrayer leur scolarité doi-vent consister en allocations substantielles; des bourses spécialesdoivent être attribuées aux étudiants les plus méritants, sans dis-tinction de fortune; des bourses de résidence doivent être accor-dées aux étudiants peu fortunés qui, en raison de leur milieugéographique ou social, doivent pratiquement poursuivre leursétudes secondaires ou collégiales dans un pensionnat.

49. — La qualité du maître tient à la richesse et au dynamisme desa synthèse personnelle des valeurs naturelles et surnaturelles. Sonrôle consiste essentiellement dans l'éveil des personnalités et lerespect de leurs activités. Le maître ne peut atteindre cet idéal sans

Page 528: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Fédération des collèges classiques • 529

un esprit d'équipe qui lui permette d'intégrer toute son action àcelle de l'ensemble des maîtres.

50. — La formation des maîtres de l'enseignement classique doitreposer sur un cours de B.A. complet. Une année d'initiation uni-versitaire à la science de l'éducation est nécessaire aux éducateurs,s'ils veulent acquérir une méthode de pensée particulière, prendrel'habitude de poser les problèmes d'éducation et les résoudre ha-bilement. Le nombre de professeurs et les qualifications requises,dans l'enseignement classique, justifient la nécessité d'institutionsspéciales de niveau universitaire, où l'on attachera un soin parti-culier à faire acquérir une connaissance pratique des méthodesactives et une expérience des relations humaines.

51. — Les maîtres de l'enseignement classique ont besoin, en outre,d'une spécialisation universitaire également, dans la matière qu'ilsseront appelés à enseigner ou dans les fonctions qu'ils exerceront.La durée de telles études doit être suffisante pour conduire à desgrades universitaires reconnus, comportant autant que possible lapréparation de mémoires personnels, capables d'initier à l'étudesystématique d'un problème.

52. — Le permis permanent d'enseigner devra couronner un stagependant lequel, après ses études, le jeune professeur aura travaillésous la responsabilité et avec l'assistance de professeurs d'expé-rience.

5 8. — Les salaires des professeurs laïques ont été augmentés gra-duellement selon les possibilités des collèges. Il faut, autant quepossible, les maintenir à la hauteur des revenus de professionnelsde qualifications équivalentes.

59. — Les revenus des collèges classiques doivent être suffisantspour rétribuer le personnel comme il convient, tout en assurant,dans chaque institution, les services psychologiques et pédagogi-ques requis pour la bonne formation des élèves.

63. — Aucune institution confessionnelle ne saurait se passer d'unservice de direction spirituelle. Celle-ci se révèle un moyen de for-mation extrêmement important. Chaque institution d'enseignement

[...]

[...]

Page 529: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

530 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

classique, de jeunes filles et de garçons, devrait compter sur unnombre de prêtres suffisant pour la rendre accessible à chacun.L'un d'eux doit être responsable de l'atmosphère religieuse de l'ins-titution : vie liturgique, prédication, enseignement catéchétique, etc.

Source : Notre réforme scolaire. Mémoire à la Commission royale d'enquête surl'enseignement, Montréal, Centre de psychologie et de pédagogie, 1962 et 1963,tome I: Les cadres généraux, p. 182-196; tome II: L'enseignement classique,p. 213-226.

Page 530: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

63 Commission universitairede la Compagnie de JésusRéformer le système d'éducation,en maintenant l'autonomiedes établissements d'enseignement1962

Par delà le mémoire de la Fédération des collèges classiques, les Jésuites choi-sissent d'intervenir en leur nom propre devant la commission Parent. Leurmémoire porte la marque de la pensée d'un des leurs, le père Pierre Angers, parl'évocation des transformations sociales et culturelles, résultant du développe-ment des sciences et des techniques, et par la conviction que l'éducation est laclé du progrès des sociétés. Les Jésuites proposent une planification prudentequi n'entraverait pas l'autonomie et l'initiative des établissements. Ils suggè-rent, à la lumière de leur projet d'université Sainte-Marie (voir texte 43), lacréation de «quelques collèges universitaires, pourvus des mêmes droits etpouvoirs que les universités, mais ne les exerçant que dans le domaine des artset des sciences, au premier cycle des études supérieures ». Ils rappellent que la«référence chrétienne apparaît commune et fondamentale dans les pays deculture occidentale». Le mémoire des Jésuites choisit de ne pas se prononcersur les structures d'encadrement du système d'éducation et préfère s'en teniraux principes d'organisation pédagogique. Le système devrait consister en troisordres distincts: primaire et secondaire de six ans chacun, suivis d'un ensei-gnement supérieur de deux cycles, le premier d'environ quatre ans (couronnépar un « diplôme d'études collégiales » après deux ans ou, après quatre ans, parun baccalauréat ou une licence), le deuxième d'une durée variable selon lesfacultés et pouvant mener au doctorat. Un tel modèle fait penser aux pratiquesen vigueur aux États-Unis. Le discours général des Jésuites évoque un certainnombre de thèmes — primauté de l'enseignement dans la vie des sociétés,accroissement nécessaire de la scolarisation à tous les niveaux, humanismenouveau, attitude prospective — qui rejoignent des réflexions en vogue dansdivers pays occidentaux et se retrouvent dans le rapport Parent. Mais les Jésui-tes se démarquent par leur attachement au rôle des établissements «indépen-dants » et leur discrète réticence à l'égard du rôle central que certains voudraientdonner aux structures publiques d'éducation.

Page 531: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

532 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

I. VUE D'ENSEMBLE

L'enseignement et l'avenir de la province. — Deux ordres de phé-nomènes dominent, pour les prochaines décennies, tous les problè-mes de l'enseignement dans la province de Québec comme dans lespays occidentaux : d'une part, les transformations de la société et,d'autre part, la transformation des savoirs et de la culture. Cesdeux ordres de phénomènes s'influencent réciproquement et secompénètrent sous la poussée de facteurs multiples et complexes,et ils forment la trame de la civilisation contemporaine, à prédo-minance scientifique et industrielle.

La transformation de la société est visible à plusieurs indica-tions, toutes liées au progrès scientifique et technique. L'un destraits les plus saillants de la civilisation scientifique, c'est la géné-ralisation de l'enseignement. Depuis un siècle, l'enseignement pri-maire s'est généralisé en Occident et dans la province de Québec.Aujourd'hui, la vague montante des élèves déferle sur les classes auniveau secondaire: bientôt, dans trois ou quatre ans, la vagueatteindra les classes supérieures des collèges classiques et l'univer-sité. Ce phénomène d'une grande ampleur, bousculant nos habitu-des, nos conceptions usuelles et les cadres traditionnels de notreenseignement, provoque un état de crise. Il est toutefois le fonde-ment d'un grand espoir pour notre province, car, dans la civilisa-tion contemporaine, fondée sur la science et la technique, les talentsbien formés constituent la ressource la plus précieuse d'un pays.

Pour cette raison, l'enseignement est la clé du progrès de laprovince ; dans une politique de développement, il devrait obtenirpriorité. L'essor de l'activité économique, sociale, culturelle et re-ligieuse dépend en dernier ressort de la compétence et de la valeurdes hommes. C'est dire combien il importe à la province de géné-raliser l'enseignement secondaire et de développer l'enseignementsupérieur.

Orientations culturelles. — La transformation des savoirs est lesecond facteur clé de la situation de l'enseignement. Un nouveautype de culture est en cours de formation ; tous les traits n'en sontpas encore nettement dessinés; mais il est possible d'en définirquelques aspects. Une chose déjà est claire: l'ancien humanisme,de type surtout littéraire, intuitif et affectif, fait place à un huma-nisme nouveau qui, sans renoncer aux valeurs essentielles de

Page 532: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Compagnie de Jésus • 533

l'héritage classique, comporte désormais, comme des données fon-damentales, une large part de connaissances scientifiques et tech-niques et un esprit expérimental. La culture contemporaine chercheà humaniser même la technique.

L'évolution des savoirs et de la culture impose donc à la sociétédes tâches précises; elle doit inspirer à l'enseignement et à la re-cherche certaines orientations: définition nouvelle des objectifs,refonte des programmes, nécessité d'une formation générale, déve-loppement de l'enseignement des adultes, organisation de la re-cherche.

Le caractère évolutif de la société contemporaine ne laisse pasà l'éducateur et à l'homme politique d'autre choix efficace qu'uneétude à long terme des problèmes d'éducation, considérés dans unesprit prospectif. Il s'agit de bâtir aujourd'hui la société cana-dienne de 1975, à laquelle les adultes préparent les jeunes de 1962.

La planification concertée. — La généralisation de l'enseigne-ment et l'évolution de la culture soulèvent une quantité de problè-mes qui imposent une planification. Sans un plan concerté pourrésoudre des problèmes de cette ampleur, on livre au hasard et àl'improvisation le développement de l'enseignement et l'avenir denotre province qui en dépend; on risque de gaspiller talents eténergies. Mais, en raison même de la complexité des tâches et del'ampleur des risques inhérents à toute innovation, il est prudentde décentraliser la planification. L'esprit humain est limité, et l'ex-périence d'un groupe d'hommes, trop étroite pour qu'ils réussis-sent à eux seuls une planification de l'avenir. Sans doute faut-il unedirection centrale qui coordonne, équilibre, fixe les normes; maiselle doit décentraliser ses responsabilités.

Dans cette perspective, il y a lieu: de distribuer les tâches, delaisser de l'initiative aux organismes de direction régionaux etlocaux et aux institutions, enfin, de favoriser l'école indépendante,à côté de l'école publique. Il est prudent, en particulier, de respec-ter l'autonomie universitaire, qui est conforme à une longue tra-dition occidentale, essentielle à la liberté de la connaissance et qui,à l'heure présente, est appelée à rendre de grands services. Évidem-ment, la répartition équilibrée des responsabilités et les décisionsconcertées exigent que la fonction administrative, devenue fami-lière aux enseignants, soit exercée avec compétence, à tous leséchelons de la hiérarchie.

Une préoccupation maîtresse inspire cet ensemble de recom-

Page 533: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

534 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

mandations : le respect de l'ordre des priorités dans l'éducation. Enpremier lieu, l'élève et l'étudiant, pour qui existe la fonction édu-cative; en second lieu, les institutions, qui constituent le milieuéducatif; en troisième et dernier lieu, les structures: un systèmescolaire n'a pas sa fin en lui-même.

Institutions et structures. — Cependant, il faut des cadres à l'ad-ministration pédagogique, et qui soient fermes. Ils doivent, d'autrepart, demeurer souples, en vue de s'adapter sans cesse aux exigen-ces d'une société et d'une culture en évolution perpétuelle. Ils ontd'ailleurs évolué au cours des siècles, en Europe et en Amérique,et les progrès de la pédagogie les feront encore évoluer. C'est doncdans une perspective de courte échéance et par rapport aux cir-constances présentes que le Comité des rédacteurs propose lesrecommandations relatives aux structures; il s'est inspiré du sys-tème scolaire de l'Occident moderne, qui, sous la diversité devocabulaire, présente un ensemble de constantes fort significatif.Aux niveaux d'enseignement précis correspondent des diplômesacadémiques déterminés, intelligibles dans la province de Québec,au Canada et à l'étranger. En particulier, l'ambiguïté de notre B.A.actuel est dissipée.

Aux niveaux primaire et secondaire, il est sûr qu'avec la géné-ralisation de l'enseignement, l'école publique est appelée à remplirune fonction capitale. Elle recevra la grande majorité des élèves.D'autre part, l'école indépendante, aux deux niveaux, mais sur-tout au niveau secondaire, est appelée à rendre un réel servicepublic, dans la mesure où elle collabore au bien commun. L'orga-nisation d'un service public avec existence parallèle de la libertéd'enseignement est aujourd'hui le système le plus courant dans lespays occidentaux.

Dans l'enseignement supérieur existent déjà diverses formesd'institutions : les universités et les grandes écoles. Il y aurait lieud'y adjoindre quelques collèges universitaires, pourvus des mêmesdroits et pouvoirs que les universités, mais ne les exerçant quedans le domaine des arts et des sciences, au premier cycle desétudes supérieures. Le Comité des rédacteurs recommande demaintenir — pour ne pas dire restaurer — dans la province lafonction primordiale de l'université, qui consiste dans l'intégrationet l'unité de tous les savoirs, réalisés par les disciplines fondamen-tales que sont les arts et les sciences.

Page 534: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Compagnie de Jésus • 535

Organismes provinciaux à créer. — Le Comité des rédacteurs es-time que la coordination des enseignements de caractère universi-taire devrait se faire par une Association d'universités et de collègesqui forme la communauté des institutions universitaires, la fonda-tion d'une Commission des subventions aux universités, chargéede conseiller le gouvernement en matière d'expansion et de finan-cement des universités et collèges, et, enfin, celle d'un Conseil deprospective éducationnelle et d'un Centre de recherche et de docu-mentation, organismes indispensables, en période d'évolution ra-pide, pour évaluer sans cesse les besoins nouveaux.

La multiplication des institutions. — Prévoyant, d'une part, lamontée en flèche des élèves au niveau secondaire et l'augmentationrapide des étudiants dans l'enseignement supérieur; connaissant,d'autre part, les besoins croissants et les retards de la provincerelativement aux personnels qualifiés, le Comité des rédacteursrecommande la multiplication des institutions d'enseignement detous les types et à tous les niveaux. Il estime qu'il convient defonder des institutions universitaires. La création de collèges uni-versitaires pourrait constituer une étape dans le développement del'enseignement supérieur — étape intermédiaire préparant uneévolution ultérieure suivant les besoins de la société et la capacitédes institutions. À ce propos, le Mémoire suggère des conditionset des normes ; entre autres, une recommandation faite au gouver-nement provincial par la Commission des subventions devrait êtreune condition préalable à la fondation de nouvelles institutionsuniversitaires, tout comme à un développement entraînant de lour-des dépenses dans les universités existantes.

Le personnel enseignant. — L'accroissement et la compétence dupersonnel enseignant sont l'un des problèmes les plus graves qu'af-fronté la province à l'heure actuelle. Un système d'enseignementn'est jamais meilleur que ses maîtres. Or, la province de Québec,comme nombre d'autres États, souffre d'une grave pénurie deprofesseurs et, en particulier, de professeurs réellement qualifiés.Cette pénurie existe à tous les niveaux de l'enseignement. Beau-coup de problèmes dépendent de cette situation, notamment lapauvreté de la création dans le domaine pédagogique, l'insuffi-sance de la recherche et la médiocrité des manuels. Il faut doncfavoriser l'accès des meilleures intelligences à la carrière de l'ensei-

Page 535: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

536 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

gnement et donner aux professeurs une formation qui les rendracapables de remplir la mission toujours plus exigeante qu'une sociétéen pleine évolution leur confie. Le Comité des rédacteurs recom-mande aussi une définition plus précise du statut des enseignants.Ses modalités peuvent varier entre l'école publique et l'institutionindépendante. Il importe, en particulier, de sauvegarder l'égalitéentre les enseignants dans une institution, quel que soit leur état.

La conception des programmes. — Le Comité des rédacteurs a faitquelques recommandations concernant les programmes du niveausecondaire et du premier cycle universitaire. Ces recommandationsvisent à diversifier les types de programmes au secondaire, àmarquer les étapes par des cycles ; pour le premier cycle universi-taire, on propose l'établissement de programmes de concentrationau premier biennium1 et de spécialisation au second biennium.Suit un ensemble de recommandations touchant les objectifs, lesméthodes et les programmes de quelques disciplines. Ces recom-mandations — à court terme — s'inspirent de l'expérience desmilieux d'enseignement dans la province de Québec, au Canada età l'étranger. Cependant, le Comité des rédacteurs sait que ce do-maine est en pleine évolution et que des recherches du plus vifintérêt se poursuivent depuis quelques années, dans plusieurs ins-titutions européennes et américaines, par des savants préoccupésde l'amélioration des méthodes pédagogiques. La province deQuébec a grand intérêt à suivre ces courants de pensée.

L'investissement financier. — Quant au financement des institu-tions, les recommandations du Mémoire permettent de prévoirl'ampleur des crédits qu'il faudra consacrer à l'enseignement du-rant les prochaines années. L'enseignement coûte cher; son coûts'élève plus vite que le coût de la vie. Mais les crédits consacrés àl'enseignement sont à la source du progrès de la nation; ils cons-tituent le premier et le plus rentable des investissements. Il importealors d'utiliser au maximum les sources du financement et d'enconserver la diversité; d'équilibrer le partage des investissementset, à cette fin, de confier à l'étude d'experts les méthodes de finan-cement et le budget général de l'enseignement. Certaines mesuresnous apparaissent déjà souhaitables : la gratuité scolaire au niveau

i. Biennium: mot latin, durée de deux ans. (N.d.É.)

Page 536: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Compagnie de Jésus • 537

secondaire, tant dans les écoles indépendantes que publiques; lacréation d'une commission provinciale des subventions universi-taires; une aide accrue aux professeurs, aux étudiants et, spécia-lement, aux candidats à la carrière de l'enseignement.

Ligne de fond. — Ce résumé fait apparaître la ligne de fond duMémoire. Seuls, les problèmes fondamentaux ont reçu l'attentiondu Comité. Il est facile d'en comprendre la raison: l'étude de cesproblèmes est à la base de toute réflexion sérieuse sur la situationactuelle de l'enseignement dans la province ; elle commande l'exa-men des autres questions, en présentant la perspective qu'il fautpour les poser correctement dans leurs données actuelles et dansleurs conséquences futures, et pour les situer selon leur ordre d'im-portance. Ces vues s'éloignent peut-être de l'appréciation com-mune de notre milieu: c'est le propre d'une enquête et d'unerecherche de révéler les problèmes sous un jour qu'on n'avait pasjusqu'alors aperçu.

Chacun pourra se rendre compte que les éléments fondamen-taux dont s'inspire le Mémoire sont des valeurs chrétiennes : l'unitédu savoir, le souci de la vie intérieure et de ses dynamismes, laconfiance dans l'intelligence et le progrès, la liberté de l'enseigne-ment, l'autonomie universitaire, le respect des consciences, l'inté-rêt accordé aux réalités profanes. Ces valeurs et ces attitudes sontliées à la foi chrétienne. Le Christ a libéré dans l'homme des forcesqui en soi sont naturelles, mais qui ne se développeraient pas àplein en dehors de la Révélation. Il est vrai que, depuis près dedeux siècles, la culture tend à se séculariser; et, précisément dansla mesure où la culture rejette la vérité venue par l'Église, elle tendà s'abolir elle-même. Aussi faut-il prendre, parfois contre ses pè-res, le parti des aïeux.

La référence chrétienne apparaît commune et fondamentale dansles pays de culture occidentale, dans ce qu'on appelle aujourd'huile monde libre. Avec raison. Car ce qui caractérise le monde libre,c'est la contestation de toutes les idéologies politiques, selon qu'el-les érigent en absolu certaines données de la société temporelle.Plusieurs observateurs en sont arrivés à penser que ces idéologiessont la source des pires maux de l'humanité présente : elles cons-tituent les religions séculières. Contre elles, contre l'absolu de lavolonté nationale ou de celle d'une classe, contre la tentation depuissance qui consiste à faire de l'État une instance suprême, la

Page 537: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

538 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

tradition de la communauté occidentale des peuples affirme l'exis-tence d'un système de valeurs qui s'impose à tous, « le respect pourla valeur intrinsèque de la personne humaine » (Rapport du Con-grès de Bruges sur la Communauté atlantique}. Cette notion depersonne implique une valeur de fin, une destinée transcendant lasociété politique ou économique, ainsi que le jugement qu'«uneseule pensée de l'homme vaut mieux que tout l'univers » (saintJean de la Croix).

Dans cette ligne de pensée, il est vrai aussi de dire que la foichrétienne et la tradition occidentale sont d'accord pour que cha-que culture apporte au patrimoine humain sa contribution propre,les nations étant « destinées à enrichir et embellir l'unité du genrehumain par la communication de leurs qualités particulières et parl'échange réciproque de leurs biens » (Pie XII). Le droit universi-taire britannique fait partie des institutions du milieu, tout commele droit civil, la culture française et le collège classique. L'innova-tion doit tout garder pour mieux le transformer.

Valeurs chrétiennes, traditions occidentales, institutions du mi-lieu, telles sont apparues au Comité des rédacteurs, au cours del'étude faite en vue de ce Mémoire, les constantes culturelles quileur permettraient, à même une réalité sociologique observée dansson dynamisme et un progrès de la connaissance envisagé dans unesprit de prospective, de constituer, en vue des problèmes d'ensei-gnement à résoudre, des modèles évolutifs qui orientent constam-ment leurs options et leur aménagement, et qui doivent être sanscesse socialement vérifiés en vue d'adapter les formules et déci-sions selon la méthode expérimentale.

RÉCAPITULATION

Recommandation i:Priorité d'une politique de l'enseignement

Nous recommandons de donner au développement de l'enseigne-ment dans la province, et plus spécialement de l'enseignementsecondaire et supérieur, la priorité sur tout autre secteur de lapolitique nationale.

[...]

Page 538: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Compagnie de Jésus • 539

Recommandation 2 :Généralisation de l'enseignement secondaire

Nous recommandons d'étendre la généralisation de l'enseignementsecondaire dans la province; et, à cette fin, de créer, à côté del'enseignement qui classe et qui élimine, l'enseignement qui retientles élèves scolairement faibles et leur permet de suivre des étudessecondaires compatibles avec leurs capacités.

Recommandation 3 :Développement de l'enseignement supérieur

Nous recommandons de promouvoir le plus possible le développe-ment de l'enseignement supérieur dans toutes les grandes discipli-nes et dans les divers types d'institutions, afin de permettre à tousles jeunes qui en sont capables de poursuivre le plus loin possibleles études universitaires.

Recommandation 4 :Structures de l'emploi et enseignement

Nous recommandons de prévoir, dans l'intérêt de la jeunesse etdans l'intérêt général, l'évolution des structures de la populationactive et les besoins de la province en personnels qualifiés. Cetteprévision permettra de mieux orienter les programmes des ensei-gnements à finalité professionnelle et même des enseignements deculture générale.

Recommandation 5 :L'attitude prospective

Nous recommandons que l'étude des problèmes relatifs à l'ensei-gnement soit abordée avec un esprit prospectif. Il s'agit de conce-voir, par anticipation, et de définir des objectifs à long terme, puisde les réaliser peu à peu par une suite de décisions à court termequi conduisent au but visé.

Page 539: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

540 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Recommandation 6:Conception générale de l'enseignement

Dans l'élaboration d'une conception générale de l'enseignement, etnotamment de l'enseignement secondaire et supérieur, nous recom-mandons de tenir compte d'une part des tendances dominantes del'évolution économique et sociale et d'autre part de l'accroisse-ment des connaissances et de la mobilité des savoirs depuis trenteans.

Recommandation y:Orientations de l'enseignement

Les facteurs sociologiques du monde actuel et les exigences nou-velles de la culture imposent à l'enseignement tout entier, et no-tamment à l'enseignement secondaire et supérieur, certainesorientations fondamentales. En conséquence, nous recommandons :

a. — De donner à tous les étudiants qui en sont capables et d'éten-dre sur une longue durée les études de culture générale (environ lestrois quarts de la durée totale de tout l'enseignement reçu). Durantcette période, la culture de certaines attitudes intérieures et decertaines dispositions fondamentales de l'esprit, l'intelligence de lanature, de l'homme et de la société, acquises grâce à un choixjudicieux de connaissances, seront les objectifs prépondérants.

b. — De concentrer les programmes, vers la fin du cours de culturegénérale, sur une matière ou sur un groupe de matières, de façonà rendre l'étudiant apte à rechercher la maîtrise d'un domainedéterminé. Pour atteindre ce but, il faut avoir soin d'enraciner cesétudes spécialisées dans le cours de culture générale et les poursui-vre selon les méthodes, l'ampleur de vues, le souci de la synthèse,les dispositions de l'invention, qui caractérisent la culture générale.

c. — De favoriser les essais d'un travail interdisciplinaire au niveaudu premier cycle universitaire dans quelques institutions.

d. — De favoriser dans les universités, collèges et autres institu-tions diverses formes d'éducation permanente, destinées aux per-sonnes déjà munies d'un diplôme.

e. — De réviser, dans les perspectives nouvelles d'aujourd'hui, entenant compte des valeurs traditionnelles et du progrès des con-

Page 540: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Compagnie de Jésus • 541

naissances, les objectifs, le contenu et les méthodes des cours deculture générale; de repenser les programmes et de les déconges-tionner; d'introduire des méthodes pédagogiques plus rigoureu-ses ; de concentrer l'effort culturel sur les données prépondérantes.

Recommandation 8:Orientation des recherches

Nous recommandons d'encourager les universités, les collèges etautres centres de culture à la recherche dans tous les domaines dusavoir, et, pour ce faire, de tenir compte des conditions suivantes :

a. — il nous faut mieux connaître et mieux exploiter notre milieu ;donc intensifier les recherches en sciences humaines;

b. — notre population est relativement peu nombreuse; consé-quemment, nous devons, plus que d'autres, recourir aux moyensefficaces pour dépister, orienter, former et aider les chercheurséventuels ;

c. — nos ressources, comparées à celles des grandes puissances,sont limitées ; il nous faut donc veiller à bien distribuer nos effec-tifs matériels et humains, à ne pas doubler inutilement le travail,à mieux diffuser les résultats et découvertes de chaque centred'étude.

Recommandation 9L'humanisme nouveau

Pour coordonner et unifier l'effort qu'entreprend notre commu-nauté nationale dans le domaine de l'enseignement, nous recom-mandons que l'on garde dans l'esprit la perspective suivante, réalisteet centrée sur l'avenir.

Vu les transformations rapides que subissent les structures so-ciales et les diverses formes des savoirs, il apparaît évident que lacivilisation contemporaine évolue vers un équilibre original et dif-ficile à prévoir. Il en résultera pour les hommes de demain uneculture inédite, où les valeurs traditionnelles devront trouver às'intégrer dans un « humanisme nouveau ».

Il n'est pas trop tôt pour nous associer à cette innovation fon-damentale, et pour y appliquer dès maintenant toutes nos ressour-

Page 541: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

542 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

ces de créativité, si nous ne voulons pas que l'évolution se fassesans nous, peut-être en dehors de nous, sinon contre nous.

Recommandation 10:Planification décentralisée de l'enseignement

Nous recommandons que la planification, rendue indispensablepar l'ampleur même des problèmes que pose la généralisation del'enseignement, soit décentralisée, de façon que toutes les sourcesde renseignements et toutes les ressources d'initiative et d'expéri-mentation de notre système scolaire puissent servir pleinement àson perpétuel renouvellement.

Recommandation n:Ordre des priorités dans le système d'enseignement

Dans la planification de notre système d'enseignement et particu-lièrement dans la détermination de ses objectifs à long terme, nousrecommandons de hiérarchiser les priorités dans l'ordre suivant:(a) exigences éducatives; (b) exigences institutionnelles; (c) exi-gences structurales.

Recommandation 12:Reconnaissance des autorités scolaires et leur intégration

a. — Nous recommandons de reconnaître comme essentielles l'exis-tence et l'action d'une autorité scolaire locale, c'est-à-dire d'ungroupe constitué de membres élus par les parents ayant des enfantset par les contribuables (au sens actuel du système de taxation)dans une division territoriale donnée; ce groupe exerce l'autoritéadministrative sur les institutions publiques d'enseignement pri-maire et secondaire de cette localité.

b. — Nous recommandons aussi de procéder à l'intégration — soitpar fusion, soit par fédération — des autorités locales en organis-mes régionaux qui devraient se répartir d'après les régions écono-miques de la province.

Page 542: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Compagnie de Jésus • 543

Recommandation 13:Initiative dans l'enseignement primaire et secondaire

Nous recommandons que le Conseil de l'Instruction publiquefavorise l'initiative des institutions d'enseignement primaire et se-condaire qui relèvent de sa juridiction, en vue du renouvellementet de la mise au point des plans et des programmes appropriés àchaque degré.

Recommandation 14:Autonomie universitaire

Parce que l'ordre culturel échappe, de soi, à la tutelle des pouvoirspublics, et parce que l'université constitue traditionnellement unecommunauté autonome en raison de sa responsabilité créatricedans l'ordre culturel, nous recommandons de sauvegarder et defavoriser l'autonomie universitaire, dont la nature même est in-compatible avec toute législation générale sur les institutions uni-versitaires et avec tout organisme, gouvernemental ou non, exerçantsur elles une juridiction académique quelconque.

Recommandation 15:La fonction administrative et l'enseignement

Nous recommandons que les institutions d'enseignement se don-nent une forme d'administration souple et cohérente, fondée surles connaissances scientifiques et les méthodes techniques les plusévoluées, qui leur permette d'obtenir le rendement maximum detoutes les ressources dont elles disposent.

Recommandation 16:Niveaux d'enseignement

Dans les circonstances actuelles, nous recommandons:

1. — que l'enseignement du premier niveau, appelé niveau pri-maire, s'étende sur une durée normale de six années;

2. — que l'enseignement du deuxième niveau, appelé niveau se-condaire, s'étende sur une durée normale de six années;

[...]

Page 543: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

544 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

3. — que l'enseignement du niveau supérieur de caractère univer-sitaire soit divisé en deux cycles, le premier cycle universitaired'une durée approximative de quatre années, et le second cycleuniversitaire, d'une durée variable, selon les facultés.

Recommandation 17:Diplômes académiques

Nous recommandons de sanctionner les études faites à ces diffé-rents niveaux par les diplômes académiques suivants :

1. — à la fin des études de niveau primaire, le certificat d'étudesprimaires (C.E.P.);

2. — à la fin des études de niveau secondaire, le certificat d'étudessecondaires (C.E.S.);

3. — à la fin des études du premier cycle universitaire, le bacca-lauréat es arts (B.A.) ou la licence; les étudiants pourraient rece-voir un diplôme d'études collégiales (D.E.C.) à la fin des deuxpremières années d'études de ce cycle;

4. — à la fin des études du deuxième cycle universitaire, le doc-torat; les étudiants pourraient recevoir la maîtrise ou le diplômed'études supérieures (D.E.S.), selon le cas, à la fin d'une annéed'études de ce cycle.

Recommandation 18:Genres d'institutions primaires et secondaires

Nous recommandons de reconnaître, aux niveaux primaire et se-condaire, trois genres d'institutions d'enseignement:

1. — les institutions publiques, relevant de la juridiction adminis-trative des autorités locales ou commissions scolaires et de la di-rection pédagogique du Conseil de l'Instruction publique;

2. — les institutions indépendantes, qui s'administrent elles-mêmesmais acceptent les normes d'une Association d'accréditation de leurniveau et soumettent leur diplôme à un Jury d'homologation re-connu par le Conseil de l'Instruction publique ; qui reçoivent, soitdes autorités locales, soit du gouvernement, pleine rémunérationpour le service public qu'elles rendent à la communauté;

Page 544: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Compagnie de Jésus • 545

3. — les institutions privées, organisées d'après le principe de laliberté de l'enseignement, et, à condition d'obtenir la reconnais-sance du Conseil de l'Instruction publique, pouvant recevoir dessubventions occasionnelles pour des services spécifiques rendus.

Recommandation 19:Institutions d'enseignement supérieur

Nous recommandons de reconnaître dans l'enseignement supé-rieur les institutions suivantes:

1. — Les universités pourvues des pleins droits et pouvoirs univer-sitaires qu'elles exercent dans leurs facultés et habilitées à conférertous les grades et diplômes.

2. — Les institutions universitaires pourvues des mêmes pleinsdroits et pouvoirs, mais ne les exerçant que dans le domaine desarts et des sciences au premier cycle, et qu'on pourrait désigner parle terme de collèges universitaires. Ces institutions sont appeléesnormalement, selon les besoins de la société, les capacités de l'ins-titution et surtout par la nature même des savoirs qu'elles dispen-sent, à s'élever au second cycle et à ce moment, elles s'appellentuniversités, et à donner éventuellement d'autres enseignements.Elles confèrent leurs grades et leurs diplômes et jouissent de l'auto-nomie académique.

3. — Les collèges dispensant deux années d'études universitaires,affiliés à une université ou à un collège universitaire. Ces institu-tions pourraient évoluer vers le statut de collège universitaire sui-vant les besoins de la société et les capacités de l'institution. Lescollèges classiques gardent la liberté de donner ces deux annéesd'études collégiales en même temps que l'enseignement secondaire.

4. — Les grandes écoles qui dispensent l'enseignement au niveausupérieur et qui donnent leurs grades et leurs diplômes dans unediscipline spécialisée.

Recommandation 20:Le Conseil de prospective éducationnelle

Nous recommandons de créer un Conseil provincial permanent,représentatif de tous les milieux enseignants, chargé d'étudier tous

Page 545: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

546 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

les problèmes nouveaux que posera sans cesse à notre systèmed'enseignement un milieu de civilisation essentiellement mobile etde faire aux autorités compétentes les recommandations qui s'im-posent.

Recommandation 21:Le Centre de recherche et de documentation

Nous recommandons la création d'un Centre provincial de recher-che et de documentation en éducation.

Recommandation 22:La Commission des subventions universitaires

Nous recommandons d'instituer une Commission des subventionsuniversitaires, organisme :

1. — distinct à la fois des associations de collèges et d'universitéset du service des investissements du ministère de la jeunesse, etindépendant d'eux;

2. — composé de membres choisis par le gouvernement en dehorsdes partis politiques et des universités, donc indépendants etprésumément capables d'objectivité, bien au fait de la réalité uni-versitaire, les uns exerçant plein emploi à titre de directeurs, lesautres servant comme conseillers;

3. — chargé d'enquêter sur les besoins des collèges et universités,ainsi que sur la nécessité d'en fonder de nouveaux et de conseillerle gouvernement en matière d'expansion et de financement descollèges et universités, sans ingérence dans les affaires internes desinstitutions ni atteinte à leur liberté académique. (Voir recomman-dation 14.)

Recommandation 23 :L'Association des universités et des collèges

Nous recommandons que la coordination des enseignements auniveau universitaire soit assurée par une Association des universi-tés et collèges universitaires.

Page 546: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Compagnie de Jésus • 547

Recommandation 24:Multiplication des institutions

En vue d'établir au plus tôt la généralisation de l'enseignementsecondaire (recommandation 2.) et de réaliser au mieux les déve-loppements de l'enseignement supérieur (recommandation 3), nousrecommandons de favoriser de la manière la plus efficace le déve-loppement et la multiplication des institutions d'enseignement detous les types, à tous les niveaux.

Recommandation 25:Multiplication des écoles indépendantes

Pour sauvegarder la richesse que constitue en notre province lavariété des traditions pédagogiques et pour répondre au besoincroissant de locaux scolaires, nous recommandons que le Conseilde l'Instruction publique reconnaisse comme d'intérêt public lesécoles primaires et secondaires indépendantes (telles que définiesdans la recommandation 18), et admette volontiers leur concours,à la condition qu'elles soient demandées par la Commission sco-laire compétente ou par un certain nombre, à définir par la loi, dechefs de famille.

Recommandation 26:Fondation des collèges et des universités

Pour sauvegarder l'essentielle autonomie des institutions d'ensei-gnement supérieur, nous recommandons que l'octroi par le gouver-nement de nouvelles chartes universitaires soit soumis à la seulecondition que les institutions à fonder (universités ou collègesuniversitaires) soient reconnues d'intérêt public par la Commis-sion des subventions universitaires (telle que définie à la recom-mandation zz).

Recommandation 27:Implications de la fonction universitaire

i. — Nous recommandons que toutes les universités centrent leuractivité académique autour de la fonction essentielle de l'univer-sité : l'enseignement et la recherche dans le domaine des arts et des

Page 547: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

548 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

sciences; que des institutions universitaires se consacrent expres-sément à l'enseignement et à la recherche interdisciplinaire.

2. — Nous recommandons que les facultés professionnelles soientconcentrées dans quelques universités ; qu'on envisage la créationéventuelle de grandes écoles professionnelles indépendantes.

Recommandation 28:Recrutement du personnel enseignant

Pour accroître le prestige de la profession d'enseignant, et accélé-rer par là un recrutement rendu urgent par la montée scolaire,nous recommandons:

1. — de relever progressivement le niveau des études préparatoiresà l'exercice de cette profession de façon que, dès 1970, tous nosenseignants soient des diplômés de l'enseignement supérieur;

2. — d'offrir des bourses à tous les candidats à cette profession,et de mettre à l'étude la possibilité d'instituer le présalaire en leurfaveur ;

3. — de hausser les traitements et les pensions des enseignants demanière à leur assurer un mode de vie conforme à l'importance deleur fonction dans la société;

4. — de leur accorder périodiquement des congés de perfectionne-ment sans suspension de traitement.

Recommandation 2.9 :Exigences académiques en vue de l'enseignement

Pour mettre nos enseignants en mesure de remplir la mission deplus en plus exigeante à eux confiée, nous recommandons:

1. — que tous les candidats à l'enseignement au niveau primairepréparent un B.A. spécialisé en éducation, et fassent une année destage dans une école primaire désignée à cette fin;

2. — que tous les candidats à l'enseignement au niveau secondairepréparent un grade de M.A. spécialisé dans une des disciplinesacadémiques enseignées au cours secondaire, accompagné d'unecertaine concentration dans les sciences de l'éducation, et qu'ils

Page 548: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Compagnie de Jésus • 549

fassent une année de stage dans une école secondaire désignée àcette fin;

3. — que les enseignants au niveau collégial et universitaire pré-parent le doctorat dans leur spécialité.

Recommandation 30:Écoles de préparation à l'enseignement

La préparation de nos enseignants étant prise en charge par lesinstitutions d'enseignement supérieur, nous recommandons:

1. — que les candidats à l'enseignement soient formés dans descollèges universitaires où l'on trouve un large éventail de discipli-nes de culture générale;

2. — que ces collèges (comme ils sont définis dans la recomman-dation 19) comportent normalement une concentration plus oumoins poussée en sciences de l'éducation.

Recommandation 31:Statut des enseignants

Nous recommandons de définir le statut juridique des enseignants :d'une part, de mieux définir le statut légal des professeurs del'enseignement public et, d'autre part, dans les institutions indé-pendantes, d'établir un statut conforme aux normes fixées par lesassociations professionnelles, d'accord avec les associations decollèges et d'universités; et notamment nous recommandons:

1. — de déterminer, dans chaque institution, les conditions d'agré-gation, afin que les enseignants, une fois agrégés à cette institution,publique ou indépendante, y jouissent de tous les droits et privi-lèges du corps académique:

2. — de sauvegarder l'égalité entre les enseignants dans une insti-tution, quel que soit leur état, et qu'à cette fin, soit établie dans lesinstitutions une communauté d'enseignants et d'administrateursdistincte de toute autre communauté;

3. — de statuer qu'un contrat d'engagement ne puisse être résiliéque pour cause ; et ce, en tenant compte du statut public ou indé-pendant de l'institution.

Page 549: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

550 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Recommandation 32 :Diversification des programmes

Pour assurer le développement intégral de l'esprit et de la person-nalité, et conformément aux principes de planification énoncésplus haut (recommandation n), nous recommandons de prévoir:

T. — pour les élèves, une participation croissante au choix de leursprogrammes d'études;

2. — pour les étudiants, une participation accrue non seulementau choix de leurs programmes, mais, selon le cas, à la détermina-tion du contenu de ces programmes.

En conséquence de quoi, nous recommandons: (a) au niveau se-condaire, une diversification progressive des types de program-mes ; (b) au niveau universitaire, une augmentation progressive dela partie des programmes sujette à option.

Recommandation 33 :Diversité des types de programmesaux niveaux primaire et secondaire

Compte tenu des réformes urgentes qui s'imposent, nous recom-mandons de prévoir, dans les circonstances actuelles,

au niveau primaire:

1. — un cours régulier de six ans au contenu substantiellementdéterminé, pour l'ensemble des écoliers;

2. — d'autres cours, différents en contenu et/ou en longueur:

— pour les écoliers surdoués;— pour les écoliers suffisamment doués, mais plus lents ou

handicapés ;— pour les écoliers moins doués;

au niveau secondaire:

i. — un cours régulier de six ans, diversifié en plusieurs types decours d'une haute qualité académique, dont le contenu serait subs-tantiellement déterminé à l'intérieur de chaque type, et qui s'adres-serait aux élèves suffisamment doués;

Page 550: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Compagnie de Jésus • 551

2. — d'autres cours, différents en contenu et/ou en longueur:

— pour les élèves surdoués;— pour les élèves suffisamment doués, mais plus lents ou han-

dicapés ;— pour les élèves moins doués.

Recommandation 34 :Articulation des cycles aux niveaux secondaire et universitaire

Compte tenu de la pratique dans la province et de l'expérience denos éducateurs, et jusqu'à ce que des études plus scientifiques denotre milieu soient arrivées à des résultats concluants, nous recom-mandons de reconnaître, au niveau secondaire^ une articulation endeux cycles, à la fois distincts l'un de l'autre et en continuité l'unavec l'autre:

1. — 7e-8e, 9e-ioe années de scolarité (éléments-syntaxe, méthode-versification) ;

2. — ne-i2e années de scolarité (belles-lettres-rhétorique).

Nous recommandons, au niveau universitaire^ une articulation endeux cycles, à la fois distincts l'un de l'autre et en continuité l'unavec l'autre:

1. — 13e-14% i5e-iée années de scolarité (collèges et collèges uni-versitaires) ;

2. — iye année d'études à la 2,oe ou plus (universités et facultésuniversitaires).

Recommandation 35 :Concentration et spécialisation au premier cycle universitaire

Pour favoriser une culture générale authentique, nous croyons qu'ilfaut, dans la perspective exposée au début du présent chapitre(recommandation 32), assurer à l'étudiant un contact prolongé etde plus en plus intense avec une discipline déterminée ou avec unensemble de disciplines axées sur l'une d'elles et lui servant desoutien.

En conséquence, nous recommandons, tout en tenant comptede la recommandation yb:

Page 551: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

552 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

1. — qu'au premier biennium du premier cycle universitaire, l'étudede cette discipline ou de cet ensemble de disciplines constitue uneconcentration pouvant exiger la moitié du temps que l'étudiantconsacre à ses études;

2. — qu'au second biennium du même cycle cette étude deviennespécialisation et occupe pratiquement tout le temps disponible.

Recommandation 36:Division du contenu des programmes

Pour éviter un morcellement excessif du savoir et un cloisonne-ment trop étanche des disciplines, dans l'administration académi-que des institutions secondaires et collégiales, nous recommandonsde grouper les enseignements en cinq secteurs :

— les sciences religieuses,— la philosophie,— les langues et les littératures,— les sciences humaines,— les sciences physiques, biologiques et mathématiques.

Recommandation 42 :La perspective de l'investissement

Nous recommandons d'investir dans l'enseignement, spécialementaux niveaux secondaire et universitaire, la part privilégiée desrevenus de la société.

Recommandation 43 :Étude des méthodes de financement

Nous recommandons de déterminer les méthodes les plus efficacespour obtenir des individus, des sociétés et de l'État les lourdescontributions nécessaires à la mise en application de cette politi-que d'investissement dans l'enseignement.

[...]

Page 552: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Compagnie de Jésus • 553

Recommandation 44 :Diversification des sources de revenus

Comme moyen de préserver la liberté académique des collèges etdes universités, nous recommandons de diversifier les sources derevenus de ces institutions.

Recommandation 45 :Formation de l'opinion publique

Nous recommandons de mettre en œuvre tous les moyens propresà former l'opinion publique ; de faire comprendre aux citoyens lerôle de l'enseignement dans la société contemporaine; d'amenerles individus et les groupes à participer volontiers aux efforts querequiert le progrès de l'enseignement.

Recommandation 46:Partage des investissements

Nous recommandons d'équilibrer le partage des investissementsdans le domaine de l'enseignement, en tenant compte des besoinset des retards, entre:

1. — les capitalisations;2. — l'administration annuelle;3. — le personnel enseignant;4. — l'aide aux étudiants et à leurs familles;5. — les services de recherche et de documentation;

et ce, tant dans le secteur indépendant que dans le secteur public.

Recommandation 47:Gratuité scolaire au niveau secondaire

Nous recommandons, au niveau secondaire, d'instituer la gratuitéscolaire dans les écoles publiques et indépendantes jusqu'à la findes études de ce niveau.

Page 553: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

554 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Recommandation 48 :Financement des écoles s ndaires indépendantes

Nous recommandons de confier aux commissions scolaires la res-ponsabilité du financement de base de l'enseignement dans lesécoles secondaires indépendantes.

Recommandation 49 :Rôle de la Commission des subventions universitaires

Nous recommandons que la Commission des subventions univer-sitaires (telle que définie dans la recommandation 2.2.) ait la res-ponsabilité d'étudier les besoins financiers des collèges et universitéset de conseiller le gouvernement sur la répartition des subventionsuniversitaires.

Recommandation 50 :Aide financière aux enseignants

Nous recommandons que le gouvernement maintienne et multiplieles bourses d'étude et de perfectionnement en faveur des profes-seurs et des candidats à la carrière de l'enseignement, sans négligerla possibilité d'instituer un régime de présalaire en faveur descandidats. (Voir recommandation 2.8.)

Recommandation 51 :Octrois aux étudiants

Nous recommandons de constituer, en faveur des étudiants duniveau universitaire, un fonds de prêts et de bourses qui puissesatisfaire aux besoins de la scolarité et de la subsistance de tous lessujets aptes à poursuivre leurs études.

Source: Mémoire, p. 5-7, 92-99.

Page 554: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

64 Association des professeursde l'Université de MontréalRetour aux sources françaisesdu système d'éducation québécois1961

Sur la base d'une vive critique du système d'éducation traditionnel, l'Associa-tion des professeurs de l'Université de Montréal demande la mise en place d'u«système d'enseignement simple», un enseignement secondaire public com-plet et le « retour aux sources françaises ». La réforme du secondaire apparaîparticulièrement urgente. Dans cette perspective, les professeurs rejettent l'idéed'un «collège» post-secondaire de quatre ans, comme le proposent les Jésuites; le secondaire doit conduire à l'université en un maximum de sept ans,selon le modèle du « baccalauréat français », et il faut bien distinguer les responsabilités respectives du secondaire et de l'université. L'Association est fortréticente à l'idée de multiplier les universités, comme elle l'a démontré dansson opposition sans appel à l'université proposée par les Jésuites, et elle veutmettre un terme à l'implication des universités, par leurs facultés des arts, dansla définition des programmes du secondaire. Silencieuse sur la question duministère de l'éducation, l'Association préconise le remplacement du Conseil del'instruction publique par un «Conseil provincial de l'éducation» ayant juridic-tion, par ses commissions spécialisées, sur l'ensemble du système d'éducation

INTRODUCTION

À notre avis, la question fondamentale que devra résoudre laCommission revient à proposer pour la province les cadres d'unsystème d'enseignement académiquement cohérent. Si cette pré-misse est admise, il faut reconnaître que tous les niveaux doiventêtre touchés, primaire, secondaire, universitaire, afin d'assigneraux différentes institutions des tâches bien définies et de décidersans équivoque de quelle autorité elles doivent dépendre.

[...]

Page 555: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

556 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Depuis plusieurs décennies, on souhaite une adaptation des struc-tures existantes aux besoins de notre époque et l'établissementd'un système d'enseignement, pas deux, pas trois, mais UN sys-tème d'enseignement. En effet, il faut l'affirmer avec force, lesinstitutions du secteur français de la province, oscillant sans plandéfini entre les influences françaises et anglo-saxonnes, songeantplus souvent à leur indépendance respective qu'au bien général,prétendant couvrir chacune à peu près tous les niveaux de l'ensei-gnement, ont engendré une anarchie dont elles sont toutesaujourd'hui victimes.

Pour essayer de rectifier la situation, on a lancé un mot magi-que : coordination. C'était avouer que les initiatives multiples et lesefforts dispersés n'ont pas pu et ne pourront pas corriger le mal.Nous ne croyons pas qu'il y ait une seule province où autantd'esprits ont dépensé en vain une aussi grande somme d'énergie àla recherche de la quadrature du cercle.

Il ne s'agit pas de coordonner entre eux les intérêts des institu-tions, mais de coordonner les enseignements en ne craignant pasde modifier les cadres institutionnels, même si certaines réformescausent à quelques maisons des inconvénients passagers. Si nousn'avons pas ce courage, nous perdons notre temps. En d'autrestermes, il faut édifier une structure nouvelle.

Donnons quelques exemples de l'état d'incohérence actuel.Le secteur public ne possède pas d'enseignement secondaire

ouvrant les portes de l'université, sauf par exception, un peu commesi on faisait une faveur à ce secteur, en admettant ses diplômésdans les facultés universitaires.

Les collèges classiques ne savent plus très bien quel est leur rôle :ils sont tentés de couvrir à la fois le niveau secondaire et celui del'université. La situation est telle que si nous ne renversons pas lestendances actuelles, nous nous retrouverons bientôt avec une cen-taine de pseudo-universités comptant chacune une poignée d'étu-diants au niveau universitaire et s'occupant toutes principalementd'enseignement secondaire.

Dans une même université, certaines facultés, comme celle desLettres, ont conservé des structures nettement européennes tandisque d'autres, comme celle des Sciences, ont adopté des cadresanglo-saxons. Pour certaines d'entre elles, l'enseignement secon-daire se termine après quinze années d'études (cours classique);pour d'autres, il finit après onze années dans les écoles publiques.

Page 556: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Professeurs de l'Université de Montréal • 557

Même aux Comités du Conseil de l'Instruction publique, onparle des années universitaires du cours classique. C'est la preuveque nous sommes en voie de reconnaître officiellement quelquecent pseudo-universités enlisées dans l'enseignement secondaire.

Des groupes d'hommes venus des collèges classiques, démunisde toute expérience universitaire, se sont introduits dans les uni-versités pour y constituer des Faculties of Arts qui cherchent àdoubler l'enseignement des grandes facultés de culture ou organi-sent des cours d'un niveau nettement secondaire. Dans une mêmeuniversité, on a vu plusieurs écoles affiliées décerner le même di-plôme en pédagogie avec chacune des exigences différentes.

Le désordre règne non pas seulement dans les institutions maisaussi dans les esprits. On ne peut plus discuter de manière intel-ligible les problèmes de l'enseignement au Québec parce que l'onne s'entend plus sur le sens des mots.

Bref, le monde de l'enseignement au Canada français traverseune crise extrêmement grave. Il découvre qu'il ne peut pas bâtir àla française, à l'américaine et à l'anglaise en même temps. C'est letour de force que nous avons tenté. Nous en vivons les conséquen-ces.

Le moment est enfin venu de penser académiquement d'abordet d'ordonner les institutions selon les principes du sens commun.

Nous recommanderons à la Commission un système d'enseigne-ment simple, y compris un enseignement secondaire stable, solide,académiquement valable, et des structures universitaires nullementrigides mais que l'on pourra reconnaître en passant d'une univer-sité à l'autre.

On est souvent tenté de s'appuyer sur le système des autresprovinces pour prétendre introduire chez nous des collèges et desuniversités dits de type nouveau. Or, il arrive que la situation defait qui prévaut ici interdit ces entreprises si l'on veut que l'ensem-ble des structures académiques acquière la cohésion indispensableau progrès de tout système d'enseignement.

C'est le même problème qui émerge toujours: redéfinissonsd'abord avec précision le niveau secondaire et ne laissons pas sedévelopper un système où des centaines de maisons voudraientcouvrir tous les niveaux à la fois, y compris l'universitaire. Paral-lèlement, il est malheureux que les universités s'écartent de leur

[...]

[...]

Page 557: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

558 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

mission en gonflant leurs inscriptions à des niveaux qui ne sontpas les leurs.

UNE SOLUTION INACCEPTABLE

[...] on a imaginé de diviser les huit années du cours classique endeux parties : les quatre années « secondaires » et les quatre années«universitaires». Devant l'énormité du dernier terme, certainsemploient plus modestement l'expression « collégiales ». C'est làverser dans la terminologie américaine pour ajouter à la confu-sion. Ce système est inacceptable.

D'abord, un cours secondaire se terminant avec la onzième annéene pourrait être qu'extrêmement maigre. [...] Il faudrait une révo-lution d'envergure, un miracle même pour réussir en quatre ans cequ'on se proposait d'obtenir jusqu'ici en huit ans, à moins que l'onne vide le cours secondaire de tout contenu valable. Ce seraitadopter la pratique des provinces canadiennes les moins progres-sives, car tout n'est pas parfait, loin de là, en dehors de notremilieu.

Passons aux quatre années « universitaires » ou « collégiales », sil'on veut. Leur but est de conduire à un diplôme à peu près équi-valent à la licence française, ne l'oublions pas. Nous sommes ici enplein domaine universitaire puisque le cours secondaire vient deprendre fin. Or, il y a la licence es lettres, la licence es sciences, lalicence es sciences commerciales, la licence en philosophie, etc.Voilà un programme bien ambitieux pour les quelque quatre-vingt-dix collèges classiques de la province. Où trouvera-t-on le corpsprofessoral ? Comment réussira-t-on à équiper les laboratoires etles bibliothèques ? A-t-on tenté de calculer les sommes qu'exigé laréalisation de ces projets ?

Illusion que tout cela. L'enseignement ne s'organise pas de cettefaçon. On ne mêle pas ainsi les niveaux sans attirer vers le bas toutl'édifice. Cette acrobatie a été théoriquement possible depuis plusde cent ans, puisque les collèges avaient le privilège de décerner undiplôme à peu près équivalent à la licence française. Or, ils n'ontpu que dispenser un cours secondaire démesurément long. Aprèstout, c'est le corps enseignant qui compte le plus. Celui-ci ne seconstituera jamais, au-dessus du niveau secondaire, si nous conti-nuons à disperser les ressources intellectuelles et financières de lacollectivité.

[...]

Page 558: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Professeurs de l'Université de Montréal • 559

Une même institution ne peut avec succès se consacrer à tous lesniveaux de l'enseignement. Une université souffre d'hypertrophiequand elle se développe par le bas et envahit l'enseignement secon-daire. Ce n'est pas un domaine où elle peut œuvrer avec aisance.De la même manière, le champ de l'enseignement secondaire estassez vaste pour employer toutes les ressources d'une même insti-tution.

Nos remarques ne nient pas la valeur intrinsèque de l'enseigne-ment secondaire classique. Au contraire, l'idéal que nos collègesont poursuivi en défendant la formation humaniste, selon lameilleure tradition française, doit être conservé. Bien plus, il doitinspirer tout enseignement secondaire préparant ses diplômés àl'université. Tel est le but que nous poursuivons. [...]

Aujourd'hui, il est urgent de faire notre choix. Aurons-nous unsystème hybride qui, en prétendant imiter celui des Anglo-Cana-diens, consacrera la confusion existante entre les niveaux secon-daire et universitaire, et empêchera l'établissement de véritablesgrandes universités ? Au contraire, désirons-nous un système quiprévoit une division des tâches entre les institutions d'enseigne-ment secondaire, chargées de la formation de base des candidatsaux études supérieures, et les universités véritables qui ont la res-ponsabilité de préparer les professeurs, les chercheurs et les profes-sionnels dont la société a besoin. Selon nous, tout système qui nerespecte pas ces principes fondamentaux conduit à une impasse.

Quelles que soient les solutions suggérées, elles doivent respec-ter l'unité de l'enseignement secondaire. Sans cette base solide,nous ne pouvons édifier la structure que nous recherchons depuissi longtemps.

DÉFINITION PROPOSÉEDE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

Les sections précédentes auront réussi, nous l'espérons, à démon-trer:

1. — que nous avons un urgent besoin de définir et d'organiser unenseignement secondaire académiquement valable comme voienormale d'accès à l'université;

2. — qu'il faut à tout prix faire disparaître l'équivoque sur laquellevivent les collèges classiques depuis plus de cent ans;

[...]

Page 559: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

56o • Autour de la commission Parent (1961-1963)

3. — que ni le programme des écoles secondaires publiques, nicelui des collèges classiques ne peuvent être acceptés comme normes ;

4. — que l'usage du vocabulaire académique anglo-saxon doit êtreévité si nous voulons avoir quelque chance de communiquer clai-rement nos idées.

Autrement dit, nous faisons tabula rasa. De quelle culture nousréclamons-nous ? De la culture française sans doute. Où notreenseignement secondaire a-t-il pris d'abord son inspiration ? Dubaccalauréat d'enseignement secondaire français. Alors, pourquoichercher midi à quatorze heures ?

Il existe en France un cours secondaire avec beaucoup de qua-lités, avec peut-être aussi des faiblesses inévitables. Mais il est biendéfini; il conduit à l'université et a subi l'épreuve du temps. Plusque tout autre, il se rapproche de notre esprit. N'est-il pas naturelet sage de l'utiliser comme norme de départ ?

Or, il s'agit d'un cours qui se termine en général après douzeannées d'études (5 et 7), mais raccordé mieux que chez nous auprimaire.

Nous ne nous engagerons pas dans le détail des programmespour éviter toute controverse inutile à ce moment-ci, mais noustenons à affirmer qu'un enseignement secondaire est avant tout uncontenu et un esprit. Les cadres viennent ensuite. Qu'il nous suf-fise de proposer qu'on s'inspire très largement du programme dubaccalauréat secondaire français. On ne sera pas très éloigné del'essentiel du programme des collèges classiques d'ailleurs.

Cependant, à notre avis, le Canadien français fait face à desproblèmes particuliers : il doit apprendre la langue anglaise ; partradition, il tient à ce que la religion occupe une place importantedans l'enseignement. Voilà pourquoi il vaut mieux, croyons-nous,viser à couvrir le contenu du bachot français en treize ans.D'ailleurs, il est bon de rappeler qu'en France même, seuls lescandidats brillants réussissent à obtenir le bachot après douzeannées d'études.

Notre cours primaire, on l'admet aujourd'hui, peut se ramenerà six années d'études. Nous proposons donc six années d'étudesprimaires suivies de sept années d'enseignement secondaire, selonun programme très rapproché de celui du baccalauréat françaiscomme seule voie d'accès normale à l'université.

En pratique, les écoles secondaires publiques devront ajouter

Page 560: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Professeurs de l'Université de Montréal • 561

une treizième année à leur douzième actuelle pour les cours menantà l'université seulement. Les collèges classiques recevront les élèvesaprès la 6e année et les libéreront après un cours de sept ans.

Ce système comporte de multiples avantages:

1. — II donne à l'enseignement secondaire une unité qu'il n'ajamais eue chez nous;

2. — II abolit le préjugé selon lequel les candidats aux études ensciences, en génie, en commerce, etc., auraient moins besoin deculture générale que d'autres;

3. — II unit prêtres, frères, religieux et laïcs quand ils deviennentmembres du corps enseignant;

4. — II ne cause aucun embarras majeur aux institutions existantes ;

5. — II met fin à l'équivoque dont nous avons parlé, relativementaux collèges classiques;

6. — II établit des normes précises d'accès aux universités;

7. — II donne enfin à l'enseignement public la place qui lui revient.

Ces heureux résultats sont tous souhaitables. Mais deux raisons,que nous jugeons primordiales, nous font recommander l'adop-tion de ce système : sa valeur académique et son respect de l'unitéde l'enseignement secondaire.

Pour toutes les raisons déjà exposées nous recommandons:

PREMIÈRE RECOMMANDATION

Que le cours primaire du secteur français de la province ait unedurée de six ans.

DEUXIÈME RECOMMANDATION

Qu'un cours secondaire d'une durée de sept ans soit établi dans lesécoles publiques en lieu et place de tous les cours qui mènent àl'université et qu'il serve de seule voie normale d'accès à l'univer-sité.

[...]

Page 561: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

562 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

TROISIÈME RECOMMANDATION

Que le même cours secondaire d'une durée de sept ans remplacele cours actuel des collèges classiques.

QUATRIÈME RECOMMANDATION

Que le programme de ce cours de culture générale se rapproche leplus possible de celui du baccalauréat français.

COMMISSION DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

C'est à une Commission de l'Enseignement secondaire relevantd'un Conseil provincial de l'Éducation que revient la responsabi-lité de régir académiquement tout l'enseignement secondaire.

L'enseignement primaire relèverait d'une Commission de l'En-seignement primaire. Ces deux organismes du Conseil provincialde l'Éducation pourraient, par établissement de comités conjoints,assurer la liaison entre ces deux niveaux d'enseignement.

La Commission de l'Enseignement secondaire, tout en exerçantune surveillance sur les programmes et les examens, pourrait quandmême être moins rigide que celle de l'Enseignement primaire. Auniveau secondaire, on peut, nous semble-t-il, reconnaître une cer-taine liberté d'action aux institutions et aux professeurs sans quele contrôle cesse d'être adéquat.

Le nouveau cours secondaire constituant la seule voie normaled'accès aux universités, il est naturel d'établir une liaison entre laCommission de l'Enseignement secondaire et les universités.

À cette fin, et pour d'autres raisons qui seront exposées plusloin, nous proposons la création d'une Commission de l'Enseigne-ment universitaire rattachée elle aussi au Conseil provincial del'Éducation. Des comités conjoints veilleraient à l'établissement deliens organiques entre les divers niveaux académiques.

Pour toutes les raisons déjà exposées nous recommandons:

CINQUIÈME RECOMMANDATION

La création d'un Conseil provincial de l'Éducation pour remplacerle Conseil de l'Instruction publique actuel, ayant juridiction surtous les niveaux de l'enseignement dans la province, dans les limi-tes qui seront précisées dans une partie subséquente du mémoire.

[...]

Page 562: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Professeurs de l'Université de Montréal • 563

SIXIÈME RECOMMANDATION

La création d'une Commission de l'Enseignement primaire rele-vant du Conseil provincial de l'Éducation et régissant académique-ment tout l'enseignement primaire dans la province.

SEPTIÈME RECOMMANDATION

La création d'une Commission de l'Enseignement secondaire rele-vant du Conseil provincial de l'Éducation et régissant académique-ment tout l'enseignement secondaire dans la province tel qu'il estdéfini dans ce mémoire.

HUITIÈME RECOMMANDATION

La création d'une Commission de l'Enseignement universitairerattachée au Conseil provincial de l'Éducation.

LE BACCALAURÉAT D'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

Pour couronner les études secondaires, il faut un diplôme quidécrive sans équivoque le niveau atteint par l'étudiant. Or, le termeanglo-saxon de B.A. signifie à peu près licence universitaire commenous l'avons vu déjà. Il n'est pas approprié.

Nous proposons l'emploi du terme français baccalauréat d'en-seignement secondaire. Ce diplôme de fin des études secondairesserait décerné par le Conseil provincial de l'Éducation. Les orga-nismes prévus précédemment donneront aux universités la possi-bilité de se prononcer sur les conditions d'obtention de ce diplôme.

Pour toutes les raisons déjà exposées nous recommandons:

NEUVIÈME RECOMMANDATION

Que le baccalauréat d'enseignement secondaire couronne les étu-des secondaires conduisant à l'université et que ce diplôme soitdécerné par le Conseil provincial de l'Éducation.

Nous croyons avoir montré qu'au niveau de l'université commeà celui de l'enseignement secondaire, l'usage du vocabulaire aca-démique anglo-saxon a créé chez nous une confusion telle quemême redéfinis, les termes en usage ne peuvent pas être comprispar tous de la même manière. Quand on est Français, mieux vaututiliser la terminologie française.

[...]

Page 563: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

564 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Pour toutes les raisons déjà exposées nous recommandons:

DIXIÈME RECOMMANDATION

Que les universités de langue française de la province utilisentl'appellation française des grades académiques dans tous les cas oùcela est possible.

ONZIÈME RECOMMANDATION

Que par le truchement de la Commission de l'Enseignement uni-versitaire, les universités de langue française de la province adop-tent pour niveau de départ celui de la première année des étudesen vue de la licence ou des diplômes professionnels traditionnels.

LE CONSEIL PROVINCIAL DE L'ÉDUCATIONET SES COMMISSIONS

Cette partie de notre mémoire se limite aux structures de l'ensei-gnement. Cependant, nous en sommes venus à la conclusion qu'ilfaut prévoir la création d'organismes chargés de veiller à la coor-dination de tout le système d'enseignement. S'ils avaient existé, lesproblèmes auxquels nous faisons face aujourd'hui ne se seraientpeut-être jamais posés.

C'est pourquoi nous avons jugé nécessaire de recommander l'éta-blissement d'un Conseil provincial de l'Éducation et de trois Com-missions, une pour chacun des niveaux de l'enseignement. Il estévident que nous n'avons pas l'intention de reconnaître à ces or-ganismes une autorité illimitée. Leur composition et leurs respon-sabilités seront définies dans une autre partie de ce mémoire, entenant compte de nos traditions et de principes que nous estimonsfondamentaux en éducation.

LE NOMBRE DES UNIVERSITÉS

Si nos recommandations sont bien reçues, le problème de la mul-tiplication des universités s'éclairera singulièrement.

Les collèges classiques ne sont pas et ne seront pas des univer-sités: on n'associe pas enseignement secondaire et enseignement

[...]

[...]

[...]

Page 564: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Professeurs de l'Université de Montréal • 565

universitaire. Les universités existantes seront décongestionnées àl'étage inférieur, car les premières années de plusieurs facultés sedéplaceront au secondaire.

Mais, après toutes ces réformes, on peut prévoir qu'il faudra denouvelles universités. Les quelques principes suivants devraient, ànotre sens, inspirer les décisions qui seront prises à ce sujet:

1. — Que l'on ne commence pas aujourd'hui une œuvre qui res-tera inachevée pour toujours. Il faut un début à tout mais aussiune conception nette de l'entreprise. Autrement dit, qu'on ne dis-perse pas vainement les richesses intellectuelles et matérielles de lacollectivité en une multitude de demi-universités. Il n'y a pas demeilleur moyen de dire adieu aux UNIVERSITÉS, véritables centresd'études supérieures.

2. — Que l'on considère sans panique la marée montante desétudiants. Pour y faire face, peut-être vaut-il mieux multiplier lesfacultés, et non les universités ? Ne faut-il pas d'abord former desprofesseurs et des chercheurs ? A-t-on besoin ici d'une Faculté deMédecine et là d'une École d'ingénieurs? Pourquoi créerait-ondeux universités pour atteindre ces fins limitées ?

On peut très bien imaginer deux Écoles d'ingénieurs situéesdans deux villes différentes et rattachées à une même université.Ces écoles et ces facultés constitueront, si les circonstances vien-nent à l'exiger, les éléments de nouvelles universités.

Car enfin, une université est autre chose qu'un campus. C'estd'abord et avant tout des facultés de culture (Lettres, Philosophie,Sciences, Sciences sociales) florissantes où se forment les futursmaîtres du secondaire, où des professeurs enseignent et s'adonnentà la recherche avec un nombre suffisant de candidats aux gradessupérieurs. C'est aussi, en règle générale, au moins quelques-unesdes grandes facultés professionnelles. Qu'à ce cadre on greffe cer-tains enseignements du niveau déjà fixé, très bien. Mais l'essentiel,nous venons de le décrire.

L'enseignement universitaire est inconcevable si ceux qui l'assu-rent ne participent pas directement avec leurs meilleurs étudiantsà l'avancement des connaissances humaines.

En ce sens, une institution qui n'a pas de faculté professionnelleet qui ne mène ordinairement les diplômés de l'enseignement se-condaire qu'à la licence n'est pas une université.

Page 565: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

566 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

On pourra invoquer de nombreux exemples en Amérique pourinfirmer ces principes. Et après ? Au Canada, nous connaissons desrégions comptant une douzaine d'institutions dénommées « uni-versités ». En possèdent-elles une seule ? Par contre, certaines pro-vinces ont décrété qu'elles n'établiraient qu'une seule université.En souffrent-elles ?

Les conceptions, on le constate, varient. L'idéal, c'est d'agir entoute lucidité.

Quand, dans les universités actuelles, les facultés de cultureseront débordantes d'activité, quand elles recevront à leurs coursles futurs professeurs du secondaire, on pourra sans crainte allerde l'avant et créer dans l'allégresse. C'est là un critère de toutrepos.

Mais les subventions ? De quelque source qu'elles proviennent,elles ne devraient jamais imposer de nouvelles définitions académi-ques. Ce serait nous forcer à détourner en permanence les mots deleur sens.

Ces normes, nous le regrettons, n'ont pas jusqu'ici été respec-tées dans notre province. Erreurs nées de la confusion et du défautde planification. Pourquoi les multiplier?

On le comprendra sans peine, les universités véritables ne peu-vent guère être petites: leurs laboratoires sont le mieux outilléspossible, leurs bibliothèques abondamment fournies, leurs corpsenseignants, nombreux et de haute qualité. Elles coûtent donc trèscher à la collectivité. Celle-ci doit veiller à ne pas les multiplierinutilement.

Source : La crise de l'enseignement au Canada français. Urgence d'agir, Montréal,Éditions du Jour, 1961, p. 21-26, 35-47, 57-58, 79, 82-84.

Page 566: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

6s Association générale des étudiantsde l'Université de MontréalLe rôle de l'État dans le système d'éducation1962

D'entrée de jeu, l'AGÉUM se prononce en faveur de la création d'un ministèrede l'éducation, car il incombe à l'État de coordonner l'ensemble du systèmepour assurer «une prise en main par les citoyens et le ministère du problèmede l'éducation» et pour réaliser «une démocratie plus vraie». Mais l'AGÉUMfait une distinction importante : si la responsabilité administrative de l'éduca-tion doit relever exclusivement du ministre, celui-ci devrait partager la respon-sabilité académique avec un «Conseil supérieur de l'enseignement public» (etses comités) agissant comme autorité législative sur l'ensemble du système.C'est un modèle de direction bicéphale que proposent aussi d'autres interve-nants, que rejettera la Commission Parent et que devra combattre Paul Gérin-Lajoie pour enfin mettre en place un ministère complet. Par ailleurs, les étudiantsdéfinissent à leur tour l'éducation comme un investissement essentiel de lasociété. Cela justifie amplement l'intervention de l'État et la création d'un sys-tème public et complet d'enseignement à tous les niveaux et gratuit pour tous.Dans son propre domaine, l'Association réclame à la fois l'«étatisation» del'Université de Montréal et la reconnaissance du droit des professeurs et deétudiants de participer à la «cogestion» de l'université; cette dernière reven-dication deviendra un leitmotiv du mouvement étudiant pendant les années1960 et bien au delà.

Le ministère de l'enseignement public

[...] seul un plan de longue haleine, pensé en termes d'avenir, peutassurer la solution de nos problèmes en matière d'éducation, mettrefin à l'anarchie actuelle et préparer l'instauration d'un systèmed'enseignement cohérent, gage futur d'une hausse du niveau cul-turel et humain de la société québécoise. Dès lors, devant l'enver-gure du travail à accomplir, l'État doit assumer pleinement sesresponsabilités; il ne peut plus se contenter d'un rôle de second

Page 567: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

568 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

ordre ; il ne doit plus rester dans l'ombre. Lui seul peut coordonnerles efforts d'étude et de réalisation d'un tel plan d'ensemble. C'estpourquoi nous recommandons la création d'un ministère de l'en-seignement public; nous reviendrons plus loin sur les modalitésd'un tel ministère.

Nous voulons tout d'abord préciser fondamentalement notreposition. Lorsque l'on parle d'un rôle accru de l'État au Québec,on ne manque pas de susciter des craintes. Non pas que nouscroyions cette méfiance sans fondement; aussi, nous ne préconi-sons pas un dirigisme d'État ; nous ne croyons pas que la solutionsoit dans une planification impérative. Nous optons au contrairepour une planification indicative et démocratique. Il ne s'agit paslà de purs jeux de mots: les termes sont clairs et recouvrent desréalités bien différentes. L'État doit coordonner les structures dusystème d'éducation en faisant appel aux hommes les plus compé-tents en matière d'éducation, en permettant aussi une prise deresponsabilités par ceux qui sont concernés, parents, professeurs etétudiants. Il ne s'agit plus d'un contrôle de l'État sur l'éducation,mais d'une prise en main par les citoyens et le ministère, du pro-blème de l'éducation. Nous croyons qu'une socialisation qui vadans ce sens est souhaitable et permet la réalisation d'une démo-cratie plus vraie.

PREMIÈRE RECOMMANDATION

— La création d'un ministère de l'enseignement public selon lesmodalités précisées dans une partie ultérieure de ce mémoire.

Le ministre est évidemment le responsable de son ministère,mais il n'est pas responsable de la même façon pour tous lesdomaines. Nous avons jugé bon de dissocier, en effet, le domaineacadémique de la pure administration. Celle-ci relève exclusive-ment du ministre, alors que, en ce qui concerne le domaine aca-démique, toute la responsabilité ne repose pas seulement sur leministre. Nous examinerons en deux sous-sections les organespropres à chacun de ces deux domaines.

[...]

Page 568: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

AGÉUM • 569

/. LE DOMAINE ACADÉMIQUE

i. Le Conseil Supérieur de l'Enseignement public

a. Sa compétence

Ce serait l'autorité législative pour tout le domaine académique.Sa première tâche serait de penser l'ensemble du système, de façonà ce que le passage d'un niveau d'enseignement à l'autre se fassenormalement. Les différents sous-conseils élaboreraient, dans ledétail, la programmation, les exigences etc. du niveau pour lequelils sont compétents, en fonction du plan d'ensemble du CSEP.Cependant, ce n'est qu'une fois approuvées par le CSEP que lesdécisions des sous-conseils auraient force de loi.

C'est la seule façon, croyons-nous, d'assurer la cohérence dusystème tout en respectant les particularismes. Car nous ne croyonspas qu'il importe de situer au niveau du CSEP la solution auxproblèmes des minorités ; c'est leur donner une importance qu'ellesn'ont pas. Au contraire, le CSEP doit être d'une neutralité positive,c'est-à-dire qu'il doit rendre justice aux différents groupes ethni-ques et confessionnels qui peuvent se faire entendre par les comitésdes sous-conseils.

L'État doit assurer au citoyen l'égalité, le respect de ses droits ;il doit également lui assurer la liberté dans ses opinions et saconfession, dès l'âge scolaire, puisque c'est un homme libre. L'Étatdevra donc, selon les besoins, ouvrir des institutions catholiques,protestantes et neutres. Nous reviendrons ultérieurement sur cettequestion.

b. Sa formation

II serait bon d'ajouter que le CSEP permettrait une double coor-dination, à savoir, d'une part entre les trois sous-conseils, et d'autrepart entre la législation financière et la législation académique,grâce au ministre qui y siégerait.

Le ministre en fait partie d'office. Les autres membres pour-raient être recrutés de la façon suivante : chacun des sous-conseilsélit (quelques) membres; leur élection doit être ratifiée par leministre. Les membres choisis avec le ministre éliraient un prési-dent et un secrétaire. Il ne s'agit pas d'une représentation au prorata démographique de chacun des sous-conseils. Dans notre esprit,

Page 569: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

5/0 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

les membres composant le CSEP ne représentent pas tel ou telsous-conseil, ou encore tel ou tel groupe ethnique ou confession-nel ; le CSEP groupe d'abord des membres compétents et ouverts,conscients des problèmes de l'heure et des droits de chacun etdésireux de leur faire justice.

TROISIÈME RECOMMANDATION

— La création d'un Conseil Supérieur de l'Enseignement publicpour remplacer le Conseil de l'Instruction publique actuel, ayantjuridiction sur tous les niveaux de l'enseignement public dans laprovince, selon les modalités précisées plus haut.

QUATRIÈME RECOMMANDATION

— La création d'un Conseil du premier degré relevant du ConseilSupérieur de l'Enseignement public, qui aurait pour tâche de pré-ciser les exigences académiques à ce niveau, et de contrôler l'ap-plication des décisions du CSEP dans ce domaine.

CINQUIÈME RECOMMANDATION

— La création d'un Conseil du Secondaire relevant du ConseilSupérieur de l'Enseignement public, qui aurait pour tâche de pré-ciser les exigences académiques à ce niveau, et de contrôler l'ap-plication des décisions du CSEP dans ce domaine.

4. Le Conseil des universités

a. Sa compétence

Le Conseil des Universités aurait des tâches semblables à celles desdeux autres Conseils. Son élaboration devrait cependant être beau-coup moins détaillée et rigide. Sa tâche principale serait probable-ment de rechercher ce qui est de niveau universitaire et ce qui nel'est pas... Il exercerait tout de même un contrôle sur l'enseigne-ment dispensé dans les institutions universitaires.

[...]

[...]

Page 570: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

AGÉUM • 571

b. Sa formation

Encore là, nous préconisons la formation d'un collège électoral quiprocédera à l'élection des membres du Conseil des Universités.Nous croyons que le collège électoral devrait se composer de troisreprésentants par université, soit un administrateur, un professeuret un étudiant. Nous reviendrons, dans la Section II de ce mémoiresur le principe qui nous semble fonder une telle représentation.Ces représentants élisent les membres du Conseil; et chaque uni-versité y délègue un membre de son administration comme obser-vateur, pour faire valoir les intérêts de son université, mais sansdroit de vote.

SIXIÈME RECOMMANDATION

— La création d'un Conseil des Universités rattaché au CSEP selonles modalités ci-haut précisées.

c. L'étatisation de l'Université de Montréal

Dans le cadre d'un système public d'enseignement, il serait bienutopique de croire que l'État pourrait mettre sur pied une nouvelleuniversité à côté des universités que l'on camoufle habilement duqualificatif de « privées » ; le fait est que le gouvernement financepresque entièrement l'Université de Montréal; si elle existe, c'estgrâce à la participation de toute la collectivité. L'État, croyons-nous, doit assumer pleinement ses responsabilités, puisqu'il est legrand responsable devant la collectivité de l'usage des denierspublics. Pour ces raisons nous recommandons:

SEPTIÈME RECOMMANDATION

— L'étatisation de l'Université de Montréal.

L'éducation, un investissement social

L'Éducation a une fonction sociale et économique fondamentaleparce que c'est par l'éducation reçue que les individus peuvents'insérer dans la société et y effectuer un travail utile et profitableà la collectivité et, par ricochet, profitable à eux-mêmes. Il est doncde l'intérêt de l'État, personnifié par le gouvernement, d'y pour-

Page 571: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

572 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

voir et de la favoriser. Un gouvernement habile et sage ne craindrapas d'investir dans le domaine de l'éducation une partie du revenunational, sachant fort bien que cet investissement rapportera à lacollectivité, dans un avenir plus ou moins rapproché.

Mais nous allons plus loin : il n'est pas seulement de l'intérêt del'État, représentant de la collectivité, d'investir dans le domaine del'éducation : c'est aussi son devoir, affirmation qui tranche avec leprincipe généralement accepté dans notre société du « rôle supplé-tif de l'État » en matière d'éducation. L'État moderne doit assumerl'éducation des citoyens: en effet, c'est par l'éducation que sedéveloppe l'esprit social des individus; le développement de cetesprit commence dans la famille, mais rendu à un certain stage,l'enfant a reçu de la famille à peu près tout ce qu'elle pouvait luitransmettre. Et alors, c'est à la collectivité de parfaire, par le sys-tème de l'enseignement entre autres, cette formation sociale, sanslaquelle l'individu ne pourra s'accomplir pleinement comme homme.Sans éducation, il lui est pratiquement impossible de s'insérer dansle complexe social ; et dans cette éventualité, ce dernier le relègueau second plan, se contentant de l'entretenir comme un parasite,un membre inutile, qu'on ne peut éliminer catégoriquement à causede principes moraux.

Or tous les êtres humains, en naissant, ont droit à une chanceégale : il ne viendrait à l'esprit de personne de le contester. On nepeut accepter que les chances de succès d'un individu soient moin-dres que celles d'un autre, en raison de la situation de sa famille,qui ne lui permet pas de recevoir une aussi bonne préparation à lavie en société. L'État est le seul organisme qui peut voir à l'appli-cation de ce principe de justice sociale; c'est une autre raison àl'appui de notre thèse ; c'est le devoir de l'État moderne d'assumerl'éducation des citoyens.

Nous n'acceptons donc pas la thèse du « rôle supplétif de l'État »en matière d'éducation. Nous reconnaissons que la famille a unrôle très important à jouer dans l'éducation des jeunes; c'est ellequi opère la première formation sociale, qui prépare l'enfant àpénétrer dans le milieu social déjà plus vaste qu'est l'école. Par là,la famille exerce une très grande influence sur l'éducation de l'en-fant, parce qu'elle préside au choix du type de formation, du genred'études... Jusqu'ici, notre société a considéré l'éducation presqueuniquement sous cet angle : on laissait à la famille presque toutesles responsabilités en ce domaine ; on lui laissait le soin de mener

Page 572: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

AGÉUM • 573

l'enfant à la profession par exemple ; elle seule en avait le droit, etpar conséquent elle seule pouvait le faire.

Nous estimons pour notre part, et c'est ce que nous chercheronsà démontrer au cours de cette partie, que la famille ne peut plusfaire face à toutes ces responsabilités, dans la société moderne. Dedroit, l'étudiant est dépendant de sa famille jusqu'à la fin de sesétudes; de fait, nous verrons que l'étudiant est laissé à lui-mêmes'il veut faire des études universitaires. Bien sûr, notre gouverne-ment provincial en est venu à se reconnaître certaines obligationsen la matière. Un système de prêts-bourses a été mis sur pied. Maisce système est loin de prouver que l'État se reconnaît la responsa-bilité d'offrir à tous, indifféremment de leur provenance sociale, lapossibilité de faire des études conformes à leurs goûts et aptitudes.L'État n'offre pas les prêts-bourses ou les prêts, l'étudiant doit lesdemander.

La situation de l'étudiant est par conséquent la suivante: dedroit, notre société le considère comme entièrement dépendant desa famille quant à la poursuite de ses études; de fait, et ces affir-mations seront étayées plus loin par des données statistiques, l'étu-diant est laissé à lui-même parce que la famille, dans la majoritédes cas, est incapable de le soutenir complètement. La situation del'étudiant oscille donc entre deux pôles: le pôle « infantile », caril doit faire appel au bon cœur de sa famille ou de la société poursurvivre, et le pôle « adulte », car l'assistance qu'il reçoit de lapremière façon n'est pas suffisante, et il doit ou travailler ouemprunter pour arriver à boucler son budget, comme un adulteresponsable de lui-même.

Les principes qui nous inspireront donc au cours de cettedeuxième section seront : que la collectivité par son gouvernement,a le devoir d'offrir à tous les mêmes chances de recevoir uneéducation qui les prépare à jouer un rôle social à leur mesure; ilest dans l'intérêt de la collectivité de s'acquitter de cette obligation,car c'est la seule façon pour elle de progresser; les étudiants ontpar conséquent une fonction économique et sociale importantedans notre société ; notre société doit assumer le plus tôt possibleses responsabilités en ce domaine, responsabilités dont elle s'estdéchargée sur la famille jusqu'ici.

Page 573: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

574 * Autour de la commission Parent (1961-1963)

TREIZIÈME RECOMMANDATION

— Que l'État assume pleinement son rôle en matière d'éducationpour les raisons précitées.

QUINZIÈME RECOMMANDATION

— Que l'État mette sur pied un système d'enseignement, conçucomme un service économique gratuit, à la charge du gouverne-ment, favorisant définitivement une accessibilité générale à l'ensei-gnement, selon les modalités précisées plus loin.

SEIZIÈME RECOMMANDATION

— Que la gratuité scolaire soit établie à tous les niveaux de l'en-seignement public.

DIX-SEPTIÈME RECOMMANDATION

— Que la gratuité scolaire ne soit le fait que des institutions pu-bliques. Que les institutions semi-publiques puissent recevoir parailleurs certaines subventions, en fonction de leur utilité publiqueet de leurs besoins.

DIX-NEUVIÈME RECOMMANDATION

— Que l'État verse à tout étudiant rattaché à une institution pu-blique ou semi-publique une allocation d'études destinée à couvrirses frais de subsistance.

Nous demandons la démocratisation de l'enseignement; parailleurs nous recommandons une hausse des exigences académi-ques ; mais tout cela n'a pas de sens si l'aboutissement est de créerun « milieu merveilleux pour pantouflards ». La société rate soncoup si elle ne comprend pas la nécessité de favoriser un éveil dusens des responsabilités des étudiants, dans le concret, une prise deconscience de leurs responsabilités présentes et futures. Elle doit lefaire, en laissant les professeurs et les étudiants prendre en mainleur milieu. Pour ces raisons, nous recommandons:

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

Page 574: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

AGÊUM • 575

VINGT-DEUXIÈME RECOMMANDATION

— Considérant que l'université est une communauté de profes-seurs et d'étudiants, nous recommandons que l'État reconnaissedans les institutions le droit aux professeurs et aux étudiants departiciper à la cogestion de l'université.

Source: Mémoire, p. 9-10, 13-17, 2.5-27, 37, 44, 45, 5°, 54-

Page 575: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

66 Université de MontréalPour une meilleure préparationaux études universitaires1962

Outre un certain nombre de revendications concernant les affaires universitai-res (autonomie institutionnelle en matière de conception et de prestation desprogrammes d'études, meilleur soutien financier), le mémoire de l'Université deMontréal s'intéresse grandement à l'enseignement secondaire. Il faut recentrercet enseignement sur son rôle propre et le délester des prétentions de certainscollèges classiques à le prolonger dans une forme d'enseignement supérieur,ce qui empiète sur le champ de compétence des universités. Cet enseignementsecondaire doit être de six ans et conduire soit à l'université, soit au marché dutravail (grâce, dans ce dernier cas, à une année supplémentaire d'études) ; ilsera couronné non plus par un baccalauréat, mais par un diplôme d'étudessecondaires. La formation secondaire doit se caractériser par une certainepolyvalence. Par ailleurs, le mémoire propose un «Conseil supérieur de l'ensei-gnement public», avec des comités confessionnels catholique et protestant. Le«ministre de l'instruction publique» assurerait la liaison entre le Conseil et legouvernement. Le rôle du Conseil et de ses comités ne comporterait pas deresponsabilités administratives, mais consisterait à étudier et à commenter desprojets soumis par le ministre (ou à concevoir leurs propres projets) en matièrede programmes d'enseignement et de coordination des études. Le Conseil pour-rait aussi tenir des audiences et réaliser des enquêtes. Cette conception duconseil supérieur de l'éducation se rapproche de celle que proposera la Com-mission Parent qui, toutefois, affirmera plus clairement et plus amplement l'auto-rité propre du ministre, ses responsabilités et son pouvoir d'initiative.

SOMMAIRE DES RECOMMANDAT/OATS

PREMIÈRE RECOMMANDATION

Quelle que soit la forme que prendra l'organisme qui régira l'ins-truction publique, il importe que l'enseignement supérieur y soitreprésenté. Si, en effet, il appartient aux universités de définir et

Page 576: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université de Montréal • 577

d'imposer leurs exigences quant à l'inscription des étudiants auxétudes supérieures, elles ont intérêt à ce que, dans les établisse-ments d'enseignement secondaire, les candidats aux cours univer-sitaires soient préparés adéquatement à ces exigences.

DEUXIÈME RECOMMANDATION

La conclusion de l'étude des programmes de l'enseignement supé-rieur montre que:

1. — l'enseignement classique, préparant au baccalauréat es artsn'est pas actuellement au niveau d'un enseignement supérieur;

2. — l'enseignement des facultés, préparant aux baccalauréats spé-cialisés, à cause de la préparation insuffisante de la majorité desétudiants qui le fréquentent, contient une proportion, plus ou moinsconsidérable selon les cas, de matières qui sont proprement duressort de l'enseignement secondaire.

Il importe donc, si l'on veut qu'ils soient vraiment conformesaux exigences de l'enseignement supérieur et qu'ils continuent decontribuer efficacement à la formation de l'esprit, que l'onredéfinisse les programmes de l'enseignement préparant aux bac-calauréats et qu'ils s'appuient sur un cours secondaire mieux ap-proprié aux buts qu'il doit se proposer.

TROISIÈME RECOMMANDATION

Le grade de bachelier, avec la mention appropriée, qui couronne,dans toutes les universités du Canada et des États-Unis, le premiercycle de l'enseignement supérieur, doit être conservé à cause de laréputation dont il jouit partout en Amérique et ailleurs et desavantages indiscutables qu'il procure à ceux qui le portent.

Le grade de licence doit être réservé, sans préjudice des diplô-mes de ce nom qui existent déjà, pour désigner les diplômes uni-versitaires qui donnent la faculté d'enseigner dans les cours del'enseignement secondaire.

NEUVIÈME RECOMMANDATION

Sans insister davantage sur cette situation qui mérite l'attentionimmédiate des psychologues et des sociologues, il importe de sou-ligner l'urgence qu'il y a de créer, à l'intention d'une jeunesse que

[...]

Page 577: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

5?8 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

l'on forcera à s'instruire, des établissements d'enseignement secon-daire spécialisé, adapté à ses besoins, à ses aptitudes et à l'emploique l'on fera ensuite de l'instruction qu'elle aura acquise.

DIXIÈME RECOMMANDATION

II convient aussi, lorsque l'enseignement secondaire est une prépa-ration à la vie, qu'il dépasse le programme des études proprementscolaires. Dans ce cas, même si nous proposons que la durée totaledes études primaires et secondaires soit de douze ans, il est néces-saire d'instituer des classes de 13* année consacrées spécialementà l'acquisition de certaines techniques et habiletés dont la connais-sance est indispensable pour gagner sa vie.

ONZIÈME RECOMMANDATION

Nous recommandons la création d'écoles techniques supérieuresou de cours spéciaux dans les établissements actuels, pour la for-mation de techniciens supérieurs dont la pratique du génie, de lamédecine et de la recherche a besoin.

DOUZIÈME RECOMMANDATION

L'enseignement secondaire doit relever d'une autorité unique et,lorsqu'il prépare aux études universitaires, il doit être le mêmedans les institutions privées et dans les écoles publiques. Cetteautorité unique, au sein de l'organisme général qui devra adminis-trer l'instruction publique, devra pouvoir compter sur la compé-tence d'une commission consultative, comprenant parmi sesmembres des représentants du secteur public, du secteur privé etdes universités, afin d'assurer le progrès constant de l'enseigne-ment secondaire préparant aux études universitaires.

TREIZIÈME RECOMMANDATION

Afin de le rendre comparable à l'enseignement secondaire tel qu'ilexiste presque partout dans le monde, et nonobstant le fait quedans d'autres provinces du Canada il ne dure que quatre ou cinqans, sa durée doit être de six ans de sorte que la durée totale desétudes primaires et secondaires soit de douze ans. Afin de ne créeraucune ambiguïté, il sera couronné par un diplôme de fin d'étudessecondaires.

Page 578: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université de Montréal • 579

QUATORZIÈME RECOMMANDATION

Le nombre des options devra être limité et le choix ne devraits'exercer, en fonction des aptitudes des élèves et de leur orienta-tion, que dans les deux dernières années du cours secondaire. Lesdeux principales devraient être une option scientifique et une optionlettres-philosophie-sciences humaines. On pourrait aussi prévoirque dans l'option scientifique, l'orientation soit vers les sciencesphysiques, avec insistance sur l'enseignement des mathématiques,ou vers les sciences biologiques.

L'enseignement secondaire devant procurer à ses élèves une ins-truction solide et une formation générale qui les prépare adéqua-tement aux études universitaires, il est nécessaire que les maîtresenseignent, dans toutes les classes, avec toute la rigueur qui con-vient à l'âge de leurs élèves et à la nature des matières du pro-gramme et qu'ils exigent de chacun le maximum d'application.

L'enseignement de chaque matière doit être confié à un spécia-liste qui aura obtenu une licence d'enseignement ou un baccalau-réat spécialisé ainsi que ses diplômes en pédagogie.

Les examens devront faire la preuve rigoureuse de l'instructionacquise, de la formation générale et spéciale que les élèves aurontreçue et de leur capacité de s'exprimer clairement et correctementen français et en anglais, par écrit et oralement.

QUINZIÈME RECOMMANDATION

II doit être bien compris que l'enseignement supérieur est du seulressort de l'université et que celle-ci ne peut en déléguer l'exécu-tion à d'autres institutions qu'à certaines conditions:

1. — l'université définit les programmes et veille elle-même à leurexécution ;

2. — l'enseignement de chaque matière du programme doit êtreassuré par un professeur dont les titres universitaires et la compé-tence justifient qu'il soit nommé professeur, titulaire ou assistant,dans la faculté qui régit l'enseignement de cette matière; en fait,ce titre de professeur vaudra à celui qui le possède l'avantage departiciper, dans l'université même, à l'enseignement de la facultédont il est membre, d'y poursuivre des recherches et même dediriger les travaux de candidats aux grades supérieurs ; en réalité,c'est lui qui est délégué, dans le collège où il enseigne, pour y faire

Page 579: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

58o • Autour de la commission Parent (1961-1963)

des cours universitaires ; c'est lui qui, sous l'autorité de la faculté,fait passer les examens de ses élèves;

3. — l'université doit s'assurer que le collège auquel elle délègueson enseignement possède des laboratoires et une bibliothèquequ'elle juge conformes aux exigences de l'enseignement supérieur.

SEIZIÈME RECOMMANDATION

II en serait de même dans le cas de l'enseignement des baccalau-réats spécialisés mais l'université n'en déléguerait l'exécution quesi les collèges qu'elle a chargés de celui des études pré-profession-nelles ont fait la preuve de leur compétence et ont montré qu'ilspeuvent aborder avec succès un enseignement plus diversifié et quiexige plus encore que le premier une atmosphère de grande con-centration intellectuelle et scientifique. Il faudrait exiger qu'il y ait,dans ces collèges, un début de départementalisation dans chaquediscipline et que le directeur de chaque département ait conquis ledoctorat dans sa spécialité. Il va sans dire que les exigences del'université, en ce qui a trait aux bibliothèques, aux laboratoires età leur équipement seront encore plus grandes.

DIX-SEPTIÈME RECOMMANDATION

La coordination des efforts s'impose dans ce domaine car il im-porte de trouver les solutions les plus rationnelles, efficaces etéconomiques à ces problèmes cruciaux. On ne saurait faire de fauxpas coûteux, on ne saurait tolérer que les efforts se dispersent, quel'on applique ici et là des solutions qui ne pourraient qu'accentuerdes différences dont la nécessité ne se justifierait pas. Les ressour-ces financières et humaines dont nous disposons sont loin d'êtreinépuisables et on doit les mobiliser et les utiliser toujours aumeilleur escient. Pour toutes ces raisons, l'Université de Montréalrecommande fortement que l'on institue une Commission provin-ciale des universités. Cette commission serait formée de représen-tants désignés par les universités de la province et d'hommesd'affaires ainsi que d'un représentant du gouvernement de la pro-vince. Elle aurait comme fonctions:

i. — de coordonner l'action des universités dans les divers domai-nes de leur enseignement et des recherches qu'elles poursuivent,afin, d'une part, d'éviter les doubles emplois et, d'autre part, de

Page 580: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université de Montréal • 581

susciter les initiatives de nature à favoriser les progrès de l'ensei-gnement supérieur en fonction des besoins de la province et de sapopulation ;

2. — d'étudier les problèmes d'ordre financier et administratif del'enseignement supérieur ;

3. — de conseiller le gouvernement quant aux mesures à prendreafin d'assurer le progrès continu de cet enseignement;

4. — d'étudier les besoins des diverses régions de la province et desdivers secteurs de l'enseignement dans le but de voir à répondre àces besoins par la fondation d'universités nouvelles à partir d'ins-titutions déjà existantes dont la Commission aura surveillé et fa-vorisé les progrès.

DIX-HUITIÈME RECOMMANDATION

L'université fait confiance à ceux qui préconisent que la durée del'enseignement primaire soit de six ans.

DIX-NEUVIÈME RECOMMANDATION

II est urgent que l'on organise, dans le système d'instruction publi-que, des maternelles accessibles à toutes les classes de la popula-tion et que les programmes et les méthodes y soient uniformes.

VINGTIÈME RECOMMANDATION

En raison de ces problèmes et de l'intérêt majeur que l'on doitporter à ces enfants qui devraient, dans des conditions plus pro-pices, donner le maximum du rendement que l'on attend d'eux etconserver un équilibre psychologique qui facilitera l'accomplisse-ment des espoirs que l'on met en eux, l'université recommande quedes écoles primaires soient réservées à l'enseignement des enfantssurdoués ; les programmes, conformes par ailleurs à ceux des autresécoles, comportent des suppléments de nature à développer leursfacultés, à augmenter leurs connaissances de sorte que, lorsqu'ilsarriveront au seuil de l'enseignement secondaire, ils soient au mêmeâge chronologique que les autres élèves de ce cours.

Page 581: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

582 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

VINGT ET UNIÈME RECOMMANDATION

L'université recommande fortement que l'on établisse, dans lesdeux dernières années du cours primaire, un programme de leçonsde choses préparatoire à l'étude des sciences au cours secondaire.

VINGT-DEUXIÈME RECOMMANDATION

Jusqu'à ce que les effets des nouveaux programmes se fassentsentir, c'est-à-dire d'ici douze ou quinze ans peut-être, il sera né-cessaire, d'abord, de faire apprendre à ceux qui sont déjà dansl'enseignement ce qui leur manque pour pouvoir enseigner ce qu'ilsn'ont jamais ou ce qu'ils ont mal appris autrefois; de former,parmi les plus jeunes, des spécialistes de l'enseignement des matiè-res nouvelles afin qu'ils puissent plus facilement et plus commodé-ment que le personnel plus âgé, se soumettre aux exigences nouvelleset, dans les écoles normales, préparer de façon spéciale les étu-diants à ces nouvelles tâches. Il faudra aussi les préparer à l'usagerationnel de la télévision et des autres aides audiovisuelles.

VINGT-TROISIÈME RECOMMANDATION

On a proposé de réduire le nombre des écoles normales préparantau Brevet A et de donner à celles qui demeureront un personnelenseignant de premier ordre, de les. munir de bibliothèques et delaboratoires adaptés aux fins de l'enseignement des futurs institu-teurs. Dans ces conditions, et en établissant une collaborationefficace dans l'enseignement de la pédagogie, il est possible etsouhaitable que les universités sanctionnent un cours de quatreans de formation générale et pédagogique par un baccalauréat enpédagogie.

VINGT-QUATRIÈME RECOMMANDATION

On devrait prévoir la fondation de véritables facultés de pédago-gie, qui s'occuperaient aussi bien de recherche que d'enseignement,qui bénéficieraient des services que peuvent leur rendre les dépar-tements de psychologie, de sociologie, etc., et qui profiteraientaussi de la collaboration du Département de l'instruction publiqueou de tout autre organisme qui régira l'enseignement dans la pro-vince. Les instituts et les écoles existants devraient se fondre dansces facultés ou perdre leur affiliation.

Page 582: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université de Montréal • 583

VINGT-CINQUIÈME RECOMMANDATION

II convient que l'on étudie les moyens à prendre pour réaliser unprogramme d'une souplesse convenable mais d'un niveau nette-ment supérieur, qui répondrait à ce que des adultes intelligents,curieux, studieux et mûris par l'expérience de la vie, demandent deplus en plus et sont prêts à assimiler en suivant des cours du soir.De telles études, faites dans des conditions convenables, pour-raient être sanctionnées par un baccalauréat d'un type spécial.

VINGT-SIXIÈME RECOMMANDATION

Les collèges, centres de rayonnement intellectuel dans leurs régionsrespectives, devraient, en particulier, s'adonner à l'enseignementdes adultes. Ils pourraient fonctionner comme des avant-postes del'Extension de l'enseignement dans la diffusion des cours prépa-rant aux baccalauréats des adultes.

VINGT-NEUVIÈME RECOMMANDATION

Nous croyons donc qu'il est sage de conserver, au sein d'un minis-tère mais sous l'autorité du lieutenant-gouverneur en conseil, unConseil supérieur de l'instruction publique, formé d'un comité ca-tholique et d'un comité protestant ou, comme il serait peut-être plusjuste de l'appeler, non catholique. Ce dernier devrait compter parmises membres des protestants de langue française mais, comme il nedevrait s'occuper que des écoles fréquentées par des fils de croyantsmais non catholiques, le cas des enfants non croyants devrait releverdirectement du ministère qui les traitera avec justice.

TRENTIÈME RECOMMANDATION

Le Conseil supérieur de l'instruction publique et ses deux comités,chacun dans la sphère qui lui est propre, seraient sous l'autorité dulieutenant-gouverneur en conseil, le ministre de l'instruction publi-que servant d'intermédiaire entre eux et le gouvernement. Le Conseilni ses comités n'auraient de responsabilités administratives mais leministère mettrait à leur disposition, afin de faire accomplir certai-nes tâches qui leur seront confiées, un secrétariat et un personnelqui ne relèveraient que de leur autorité. Le rôle du Conseil et deses comités serait, d'une façon générale, d'étudier à la lumière de

[...]

Page 583: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

584 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

leur expérience et de la philosophie qui doit inspirer l'éducation,les questions et les projets que leur soumet le ministre; de proposerà celui-ci, pour qu'il les fasse étudier par ses services, auxquels seraintégré en grande partie l'actuel Département de l'instruction pu-blique, des projets dont ils auront eu l'initiative; de donner leuravis au ministre sur toute question relative à l'instruction publi-que; de transmettre au gouvernement, par l'intermédiaire du mi-nistre, leur approbation des projets soumis par le ministère en cequi a trait aux programmes des divers enseignements et à leurcoordination, afin que, sanctionnés par le gouvernement et éven-tuellement par les chambres, ils acquièrent force de loi; de serendre compte, par l'intermédiaire des inspecteurs, de la bonneapplication dans les écoles des lois et des règlements relatifs àl'enseignement et à l'éducation. Le Conseil, agissant en outre commeune commission permanente, tiendrait périodiquement des audien-ces publiques et ferait rapport au gouvernement des conclusionsde ses enquêtes.

TRENTE ET UNIÈME RECOMMANDATION

La composition du Conseil, peu nombreuse afin que son actionsoit efficace, devrait tenir compte de la répartition de la popula-tion quant à la langue et à la religion. Elle serait renouvelée pério-diquement par tiers, par quart ou par cinquième, les membresn'étant pas rééligibles plus qu'une ou deux fois, selon que la duréede leur mandat sera longue ou courte. Il est nécessaire d'assurer lacontinuité de pensée du Conseil mais il est parfois dangereux deperpétuer certaines attitudes.

TRENTE-DEUXIÈME RECOMMANDATION

Des membres du Conseil seraient nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil qui choisirait des personnes spécialementintéressées à l'enseignement et à l'éducation dans les secteurs del'industrie, du commerce, des professions, de l'agriculture et dutravail, ainsi que des pères et surtout des mères de famille, choisiscomme tels et non en tant que représentants d'associations. D'autresmembres seraient désignés par l'épiscopat de la province et par lesconseils des universités; d'autres seraient choisis parmi les mem-bres des commissions consultatives de l'enseignement primaire, del'enseignement secondaire et de l'enseignement technique et spé-cialisé.

Page 584: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université de Montréal • 585

TRENTE-TROISIÈME RECOMMANDATION

Le Conseil se réunirait périodiquement et ses comités auraientnécessairement des réunions plus fréquentes. Dans l'intervalle deleurs assemblées, chaque comité aurait une section permanente quisiégerait plus souvent encore et ferait rapport de son travail àchaque réunion du comité.

Source: Mémoire, p. io9-izo.

Page 585: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

67 Université LavalL'université dans le système d'éducation1962

Comme l'Université de Montréal, l'université Laval s'attache à la question del'enseignement secondaire. Celui-ci, après un primaire de six ans, devrait compter au maximum sept années et serait couronné par un «baccalauréat d'ensei-gnement secondaire » donnant accès à toutes les facultés. Le secondaire, tantpublic que privé, serait gouverné par un «Conseil supérieur de l'éducation»agissant comme autorité unique et défini comme «totalement indépendant dela politique». Le secondaire comporterait deux cycles. Le premier, d'une duréede cinq ans, pourrait soit être terminal, soit donner accès à un enseignementtechnique ou professionnel spécialisé, soit encore conduire, par un deuxièmecycle de deux ans, aux études universitaires. Laval fixe ainsi à treize le nombred'années préalables aux études universitaires. C'est un nombre que retiendra lacommission Parent, comme la césure en deux cycles distincts, mais en plaçantces deux cycles dans deux ordres distincts d'établissements.

COORDINATION D'UN SYSTÈME SCOLAIRE

L'université ne peut être indifférente à la coordination de l'ensei-gnement aux niveaux primaire et secondaire. Au contraire, pourjouer son rôle avec efficacité et rehausser son propre niveau, elledoit exiger un système d'éducation pré-universitaire dynamique,souple et aussi uniforme que possible. Dans le passé, elle a souffertdu manque d'uniformité dans la préparation des étudiants sortisdes diverses écoles secondaires et des collèges. Cela signifie que lesprogrammes du cours secondaire ne sont pas assez uniformes, ouencore qu'il y a trop de variété dans l'application du programmeexistant en fonction de la nature des écoles particulières et de laqualité de l'enseignement qu'on y dispense. Il faut par conséquentque les avenues qui mènent à l'université soient peu nombreuseset uniformes. En arrivant à l'Université, ce ne sont pas tant les

Page 586: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 587

connaissances acquises par l'étudiant qu'il convient de mesurerque le niveau intellectuel qu'il a atteint et sa capacité de dévelop-pement éventuel.

Les avenues qui conduisent à l'université

a. L'école primaire

Ici, l'avenue est simple. Sauf pour quelques exceptions, il n'y a quele cours primaire public qui ouvre la porte au niveau secondaire.De plus, le programme est unique; il est prescrit par le Conseil del'Instruction Publique. Le système primaire est donc un blocmonolithe, comme il se doit. Les principaux points à considérer àce niveau sont : le programme, la qualité du personnel enseignantet celle des manuels utilisés.

Le programme de l'instruction primaire doit être repensé à lalumière des progrès récents de la pédagogie. Quant à la formationdu personnel enseignant, il en a déjà été question à propos de laréforme des écoles normales. Par ailleurs, il faut aussi mettre entreles mains des élèves les meilleurs manuels, écrits en bon françaiset s'inspirant à la fois des plus récentes découvertes pédagogiqueset des lignes de force de notre groupe ethnique.

Enfin, ce qui importe avant tout est de trouver une méthodeconvenable d'enseignement du français. C'est un fait reconnu : tropd'étudiants d'université ne savent pas écrire le français convena-blement. La durée du cours primaire doit être fixée à six ans. Siles enfants entrent à l'école à l'âge de cinq ans, ils atteindront leniveau secondaire à l'âge de onze ans. Les enfants qui ne peuventou ne veulent compléter le cours secondaire devraient cependanten faire les cinq premières années (le premier cycle) ; ce qui veutdire que la fréquentation scolaire obligatoire s'étendrait en prin-cipe (pour le [plus] grand nombre d'élèves) jusqu'à la fin de laonzième année. Ils entreraient alors « dans la vie » avec une prépa-ration convenable; on pourrait ainsi réduire considérablement laplaie du chômage qui sévit parmi les jeunes de moins de 20 ans.

L'unité d'opinion semble d'ailleurs se faire de plus en plus autourd'un cours primaire de six ans, car tout le monde admet que cecours soulève des questions de pédagogie, de méthodologie et deculture plutôt que de durée des études. Comme il ne sera plus uncours terminal, — en fait il ne l'est plus — il sera possible de le

Page 587: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

588 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

décharger de tout encombrement d'érudition ou d'initiation auxsciences, pour lui permettre de devenir un cours d'instructionconcernant les disciplines de base, à savoir, la maîtrise de la languematernelle parlée et écrite, l'initiation mathématique, la formationreligieuse, l'orientation géographique et historique. L'améliorationdes méthodes pédagogiques rend d'ailleurs possible l'accès à l'écoledès l'âge de cinq ans, du moins pour un grand nombre d'enfants.Le progrès des méthodes d'enseignement, le désencombrement desprogrammes et l'avancement de l'âge scolaire, priment en impor-tance la question de la durée du cours primaire. L'essentiel estd'avoir des maîtres qualifiés qui puissent doser l'assimilation desconnaissances. Ce dosage au niveau primaire doit procéder par laculture de la mémoire au début, puis glisser peu à peu, avec lesannées, vers le développement de la raison. On ne doit pas oublierque l'objectif fondamental de l'enseignement à tous les niveaux estle développement de la faculté de penser.

b. L'école secondaire et le Collège

À ce niveau, les avenues permettant d'atteindre l'université sontvariées. Cette diversité dans les voies d'accès peut se justifier, sil'on tient compte des besoins régionaux, de la nature des institu-tions existantes, de la situation des parents et de l'aptitude desenfants. Mais il est extrêmement important que toutes les avenuesmènent au même but : une préparation uniforme, empreinte d'hu-manisme, pour l'université puisque le deuxième cycle du courssecondaire — ou Collège — n'est pas une fin en soi, sauf dans lesecteur de l'enseignement spécialisé.

[...] il est indispensable que le cours secondaire public soit aussid'une durée de sept ans, que le programme, à quelques variantesprès, soit le même que celui du cours secondaire privé; (il pourraity avoir des options au deuxième cycle, mais elles comprendraientles humanités) et que le diplôme soit le même, c'est-à-dire qu'ilouvre les portes de toutes les facultés de l'Université. Les avanta-ges économiques et sociaux d'une plus grande uniformité dans lesprogrammes des deux secteurs public et privé sont évidents.

Une autre réforme s'impose concernant le titre que porterontdorénavant les finissants du cours secondaire. Là aussi l'unifor-

[...]

[...]

Page 588: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 589

mité est importante, à la condition que l'école secondaire publiqueremplisse les exigences ci-dessus. Dans la majorité des pays, il n'ya d'ailleurs qu'un seul parchemin exigé pour l'admission à l'uni-versité: la «Matriculation» chez les anglophones, le «Baccalau-réat d'enseignement secondaire » en France, la « Maturité » dans laplupart des autres pays d'Europe. Chez nous, les finissants ducours classique obtiennent le « Baccalauréat es Arts ». Sans vouloircritiquer les origines de ce titre, il reste qu'il constitue un anachro-nisme nuisible, parce que le Baccalauréat est aujourd'hui un graderéservé un peu partout aux finissants des facultés universitaires.Sans vouloir diminuer en rien le mérite de ceux qui ont reçu cetitre dans le passé, sa substitution par un autre, plus approprié, estdevenue une nécessité. Le titre de « Baccalauréat d'EnseignementSecondaire» (B.E.S.), ou quelque titre analogue, aurait plus designification. Il correspondrait à la réalité et éviterait les gravesconfusions du B.A. actuel.

D'autre part, en vue de l'introduction générale de la gratuitéscolaire qui englobera vraisemblablement l'éducation supérieure,en vue du budget énorme que le gouvernement provincial consacreà l'éducation et du présent projet d'expansion des voies condui-sant à l'université, il est logique de proposer que le contrôle com-plet de l'enseignement secondaire, y compris la définition des normeset les examens du B.E.S., soit dorénavant confié à une sorte desuper-organisme académique. Appelons-le le Conseil Supérieur del'Éducation sans insister sur la rigueur de cette appellation.

Tous ces problèmes d'envergure, d'une grave portée pour l'évo-lution de notre collectivité, ne doivent pas être abordés dans unesprit de clocher. // faut les considérer en fonction de l'avenir duCanada français. Tout le monde admet que notre système scolaireactuel manque d'intégration. Aussi les résultats sont-ils insuffi-sants, eu égard à l'immense somme de plus d'un quart de milliardde dollars que le gouvernement y consacre annuellement.

À la suite de ces considérations plutôt générales sur l'évolutionde l'enseignement secondaire, jetons maintenant un regard surquelques détails relatifs à la coordination d'un système évolué. Ilne doit servir ici qu'à titre d'exemple, mais il pourrait être étudiéde plus près si les milieux scolaires en manifestaient le désir [...].

Le cours secondaire conduisant à toutes les facultés universitai-res comporterait deux cycles: un premier cycle de cinq ans etun deuxième cycle, de deux ans, caractérisé par des programmes

Page 589: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

590 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

facultatifs ou à options. Le premier cycle, qui, comme pour lecours primaire, pourrait comporter des rythmes divers et peut-êtreaussi des programmes différents, aboutirait au terme de la périodede fréquentation scolaire obligatoire. Au cours de la deuxièmeannée du premier cycle, tous les enfants seraient examinés par desorienteurs professionnels. Les enfants moins doués, ou ceux qui nepeuvent ou ne veulent poursuivre les études secondaires pourd'autres raisons, seraient orientés à la fin de la deuxième annéevers les écoles de métiers, où ils resteraient jusqu'à la limite d'âgeprévue pour la fréquentation obligatoire, quitte ensuite à « entrerdans la vie » pour y jouer un rôle utile comme artisans ou tra-vailleurs spécialisés.

Les autres continueraient jusqu'à la fin du premier cycle. À lalumière d'un nouvel examen d'orientation, et de leur dossier sco-laire, ils auraient alors la possibilité, selon leurs aptitudes, leurpréférence ou le désir de leur famille : (i) d'entrer « dans la vie »avec une somme suffisante de connaissances pour se tailler unecarrière dans les fonctions du commerce, de l'industrie et d'autresgroupes d'activités ; (2) de bifurquer vers l'enseignement spécialisé(écoles commerciales, écoles industrielles, instituts de technologie,école de papeterie, école de textiles, etc.); (3) de continuer l'écolesecondaire (2e cycle) — ou Collège — qui les conduira vers l'uni-versité. À la fin de ce cycle, on procéderait à une nouvelle orien-tation afin que chaque étudiant soit guidé vers la faculté qui luiconvient eu égard à ses aptitudes. Chacun serait à sa place. Onéviterait ainsi bien des déceptions et des dépenses souvent inutiles.

Une bonne intégration de tout le secteur de l'enseignementspécialisé est extrêmement importante, parce que la majorité desenfants s'orientent présentement vers les carrières techniques pourdiverses raisons et, aussi, parce que les diplômés de ces écolesjouent un rôle essentiel dans l'évolution de notre communauté àtitre d'artisans, d'artistes et d'ouvriers spécialisés de toute nature.Le programme comprendrait, en plus des matières fondamentales,au moins les éléments d'humanités afin de produire des diplôméspouvant assumer un rôle complet et utile dans la société. Les plusbrillants parmi les finissants de ce secteur pourraient même, aprèsune sérieuse sélection et un examen d'admission, entrer dans cer-taines facultés universitaires, par exemple, ceux des instituts tech-nologiques, pourraient être admis à l'École Polytechnique ou dansles départements de sciences appliquées des Facultés de Sciences;

Page 590: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 591

ceux des écoles commerciales, aux Hautes Études Commercialesou à la Faculté de Commerce.

D'autre part, les étudiants qui entrent au deuxième cycle du courssecondaire public ou privé auraient le choix entre trois options outypes d'enseignement selon leurs aptitudes, leurs préférences ou leursintentions, à savoir : (a) classique, (b) latin-sciences, (c) humanités-langues modernes. Ces trois types seraient caractérisés par unprogramme uniforme dans les matières de base et tous insisteraientsur une bonne formation dans les humanités. L'examen du bacca-lauréat serait de même niveau dans les trois sections; il ouvriraitla porte de toutes les facultés de l'Université. En plus des matièresobligatoires, sanctionnées par le baccalauréat, il y aurait des ma-tières facultatives, au gré des divers collèges ou écoles. Même si lesfinissants des trois types obtenaient le même diplôme, ils ne seressembleraient pas, chacun reflétant le caractère propre à l'insti-tution qui l'a formé. // est, en effet, important que les collèges etles écoles secondaires, publics et privés, gardent leur visage propreselon leur organisation, leur histoire et leurs traditions. Chaquemaison serait donc libre de compléter le programme officiel pardes options et d'ajouter (en surplus) les normes qui lui sont pro-pres. On éviterait ainsi la dangereuse monotonie provoquée parl'uniformité absolue dans l'enseignement secondaire dont les étu-diants pourvus de la plus riche gamme de talents seraient obligésde s'accommoder.

Tous les bacheliers d'enseignement secondaire auraient ainsi uneformation équilibrée, non pas identique, mais suffisamment uni-forme pour entrer directement dans les diverses facultés avec plusde chances de réussite. Actuellement, l'accès à certaines facultés estimpossible à cause de la nature du cours secondaire auquel l'étu-diant s'est inscrit à un âge où il n'était pas en mesure de choisir,faute de pouvoir apprécier sa capacité et ses aptitudes. Cette im-possibilité de mettre chaque enfant à la place qui lui convient lemieux dans une société ordonnée est désastreuse parce qu'elle si-gnifie, en plus des graves inconvénients d'ordre moral et psychi-que, une énorme perte de temps, d'énergie et d'argent. D'après lenouveau système d'orientation coordonnée, tous ceux qui doiventarriver à l'université y parviendraient à l'âge moyen de 18 ans,avec les aptitudes intellectuelles requises et avec une somme deconnaissances suffisamment uniforme. Ce système permettrait aussid'éviter l'encombrement des Facultés par des étudiants non quali-

Page 591: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

592 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

fiés dans les premières années d'études universitaires, les décep-tions causées par les nombreuses éliminations, et le gaspillage demillions de dollars de la part de l'État et des universités. Notresociété moderne n'a pas le droit de perdre en route un seul sujetd'élite. Elle a besoin de toutes les intelligences, peu importe d'oùelles viennent et où elles se trouvent.

L'Université

a. Remarques générales

Nous arrivons enfin à l'université. Quand tous les problèmes desniveaux inférieurs auront été résolus dans le sens indiqué, la tâchede l'Université sera plus facile. Il reste que le budget et le recrute-ment du personnel enseignant seront encore des problèmes d'im-portance. On serait porté à croire qu'avec de l'argent on pourraitgarantir une expansion convenable en fonction des besoins actuelset futurs. Or, la compétence chez les professeurs d'université nes'achète pas, car elle est le fruit d'un effort long et soutenu. Il estheureux que depuis quelques années la fonction sociale de l'ensei-gnant à tous les niveaux et en particulier au niveau universitaire,soit mieux comprise et valorisée. Le recrutement du personnel nepourra qu'en être facilité et, par voie de conséquence, la qualitédes professeurs de tous les niveaux s'en trouvera sensiblementaccrue.

b. Problèmes fondamentaux

L'université se compose de facultés. Les facultés ne doivent pasnécessairement se ressembler; au contraire, chacune doit avoir soncaractère propre en fonction des exigences des disciplines respec-tives et des particularités de la profession à laquelle ses étudiantsse destinent. Par ailleurs, les facultés composent l'Université; ilfaut donc que toutes les facultés sans exception soient animées dumême stimulant et multiplient leurs efforts pour préparer leursétudiants à des grades de qualité comparable. Les paliers intellec-tuels successifs doivent être aussi identiques que possible et lemême effort déployé par les étudiants par unité de temps doit êtrecouronné par des diplômes de dénomination comparable et signi-

[...]

Page 592: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 593

ficative en vue de pouvoir établir plus facilement les équivalencesavec les autres universités. Cette remarque prend aujourd'hui unesignification particulière quand on songe que toutes les universitésdes pays du Marché commun, sans renoncer à leur identité et àleur caractère propre, sont à la veille d'établir l'uniformité despaliers académiques et des diplômes correspondants. Si chaqueuniversité doit être indépendante et libre, elle ne doit pas pourautant se retrancher dans un isolationnisme de mauvais aloi. Quantà l'université catholique, elle doit nécessairement afficher un ca-ractère spécial et différent de celui des autres universités. Ce carac-tère est essentiel à la mission chrétienne ; aussi doit-il être reconnuet assuré de stabilité par l'État. Dans le cas de l'Université Lavalen particulier, ses rapports étroits avec le Séminaire de Québecfurent des plus heureux et des plus fructueux à tous les momentsde son histoire. Cette liaison doit être maintenue et harmonieuse-ment développée.

c. Normes académiques

Les normes académiques doivent être bien définies et comparablesentre les facultés. La réputation de l'université exige, par exemple,qu'aucun diplôme de spécialisation professionnelle ne soit accordéavant trois, de préférence quatre années; qu'aucune maîtrise nesoit donnée avant cinq années et aucun doctorat avant sept annéesd'études à temps complet, à compter de l'obtention du diplôme defin d'études secondaires. La valeur d'une telle règle présupposenaturellement des exigences identiques dans les diverses facultés.Au sujet de l'année scolaire, celle-ci est de plus en plus courte, sion la compare à celle de la majorité des universités étrangères. Nefaudrait-il pas lui ajouter au moins trois ou quatre semaines ?

Quant aux normes d'admission, elles doivent être aussi unifor-mes et élevées. Il est vrai que l'université doit être accessible enprincipe à tous les finissants diplômés du cours secondaire oucollégial. Les droits de la collectivité lui défendent de limiter lesadmissions, pourvu que cette condition soit remplie. L'universitédoit donner à la société ce que cette dernière attend d'elle, c'est-à-dire des diplômés qualifiés en aussi grand nombre que possiblepour assurer l'évolution harmonieuse de tous les secteurs économi-ques et culturels de la vie nationale. Pourtant il existe des univer-sités qui limitent l'inscription à un nombre restreint d'étudiants de

Page 593: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

594 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

calibre exceptionnel. La première solution entraîne l'encombre-ment et un débordement disproportionné du cadre universitaire;la seconde répond à la préférence de la qualité à la quantité. Neserait-il pas possible de trouver une solution moyenne qui per-mette à l'université canadienne-française de bien servir les intérêtsde la collectivité au point de vue du nombre et de viser à une hauteréputation de qualité ? Nous croyons que si. Pour décongestionnerles premières années des facultés nombreuses et pour permettre àcelles-ci de concentrer leurs efforts sur la recherche et la qualité del'enseignement dans les années plus avancées, on pourrait songerà la création de succursales (qui ne porteraient cependant pas lenom d'université ! ) dans quelques écoles secondaires privées oupubliques situées dans le rayon d'action des universités respectives.Dans le cas de l'Université Laval on pourrait, par exemple, penserà Trois-Rivières, Shawinigan, Chicoutimi, Rimouski et Gaspé oùl'on donnerait, sous le contrôle de l'université, l'enseignementéquivalent à la première année ou aux deux premières annéesd'études universitaires. Certains collèges pourraient égalementsonger à greffer sur leur cours régulier l'enseignement de spéciali-tés à un niveau supérieur. Cela leur permettrait de développer leurréputation dans un secteur particulier, de rayonner davantage dansleur région et de soutenir l'université mère.

L'observation rigoureuse de normes élevées sera probablementplus difficile au cours des prochaines années. C'est que les prochai-nes années verront une augmentation très forte du nombre desétudiants, cette augmentation étant causée par la scolarité gratuiteet la création de nombreuses écoles secondaires publiques. Onpeut donc craindre que dans l'esprit du public on passe du conceptde la gratuité à celui du droit d'entrer à l'université et d'y resteraussi longtemps qu'il plaît. Pour lutter contre une telle mentalitééventuelle qui aurait des conséquences néfastes sur le niveau aca-démique, il faut que les normes d'admission demeurent toujoursélevées (peut-être faudra-t-il même en venir au concours d'entrée)et que les conditions de promotion soient rigoureuses, afin de negarder à l'université que les étudiants qui ont la capacité intellec-tuelle et la volonté de réussir.

Un autre problème académique dont la portée est généralementméconnue, est celui des écoles ou des cours para-universitaires quiont tendance à se multiplier dans les cadres universitaires, faute

[...]

Page 594: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

d'autres organismes qui, normalement, devraient en prendre charge.La prolifération d'enseignements spécialisés, de niveau secondaireet technique, greffés sur certaines facultés (exemples : écoles d'in-firmières, de technologie médicale, de réhabilitation, de diététique,etc.) est néfaste, parce que le niveau de ces institutions n'est pasuniversitaire et que leur fonctionnement gruge le budget et le tempsdu personnel enseignant. Elles sont une menace pour les universi-tés, institutions de haut savoir et de recherche, car elles risquent dedégénérer en institutions de sciences techniques. Ces écoles sontfort nécessaires et louables en soi, mais leur contrôle matériel etacadémique devrait sortir du cadre universitaire. Il conviendrait deles placer sous la dépendance des ministères appropriés, dans legroupe des enseignements spécialisés.

Enfin, un problème indirectement relié aux affaires académi-ques est celui des relations entre l'université et les corporationsprofessionnelles. Certaines d'entre elles imposent des examensd'admission aux détenteurs du parchemin universitaire attestantpourtant une solide formation dans la spécialité donnée. Cettepratique ne devrait pas exister. Que les corporations maintiennentcertaines exigences envers les candidats étrangers, est normal ; maiscette façon de faire est inadmissible envers les diplômés des univer-sités du pays ou de la province qui organisent les curriculums entenant compte des besoins professionnels. Cette pratique devraitdisparaître au moyen d'une entente bilatérale ou par voie législa-tive. Est-il nécessaire de rappeler à ces corporations que l'hommecultivé ne doit pas voir seulement les cadres rigides d'une profes-sion ? En plus de la coordination des programmes dans chaqueindividu, il y a aussi la coordination du savoir. Les préoccupationstrop étroitement professionnelles ne ferment-elles pas souvent lesavenues de la culture?

d. La Faculté des Arts

II a été établi au chapitre in que les écoles secondaires publiquesrecrutent dix fois plus d'élèves que les écoles secondaires privées(collèges classiques). Par ailleurs, nous avons réclamé plus hautl'égalité des écoles secondaires privées et des écoles secondairespubliques ; nous avons aussi fait remarquer que l'Université devaitavoir un droit de regard sur les programmes du cours secondairequi conduit à l'Université et sur la formation des professeurs qui

Page 595: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

596 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

y enseignent. Finalement, nous avons suggéré que le contrôle del'enseignement secondaire soit confié à un organisme académiqued'envergure provinciale.

Ces faits et ces demandes posent un problème en ce qui con-cerne le rôle futur de la Faculté des Arts. Nous suggérons quel'effort de cette Faculté continue à porter sur ce qui a été faitdepuis quelques années à Laval : élaboration et mise en applicationde programmes dynamiques et modernes pour le secondaire, for-mation de conseillers en orientation, de psychologues, de profes-seurs d'éducation physique. À cette tâche nous ajoutons celle ducontrôle de l'enseignement dans les Écoles normales et à l'ÉcoleNormale Supérieure.

Enfin, pour les institutions relevant actuellement de la Facultédes Arts et qui pourraient se constituer une équipe de professeurset un cadre physique adéquat, nous suggérons qu'elles puissentconduire les étudiants qui le désirent vers le Baccalauréat es Arts.Ce Baccalauréat serait donné après 15 ou 16 années de scolaritéet devrait être de même niveau intellectuel que les Baccalauréatsdonnés par les autres Facultés.

L'enseignement conduisant à ce Baccalauréat es Arts serait régipar les mêmes règlements que ceux auxquels seraient astreintes lessuccursales suggérées plus haut.

Le « Conseil Supérieur de l'Éducation »

La coordination de notre système scolaire ne peut se faire sans uneplanification parallèle de l'appareil administratif public. L'univer-sité ne peut se désintéresser de cette question, parce qu'elle désireune évolution harmonieuse de l'éducation à tous les paliers. Commeelle n'est pas le seul organisme intéressé à ce problème et que toutedécision finale relative à la réorganisation de la structure adminis-trative devra être l'œuvre d'une vaste collaboration, elle désireexprimer, non pas des propositions d'autorité, mais seulement desvœux ou des opinions qui reflètent son attitude sur certains as-pects particuliers de structure.

L'Université reconnaît la nécessité de modifier le Conseil del'Instruction Publique. Les cadres de ce dernier doivent être élargiset adaptés aux exigences de l'heure. Son nom importe peu. Si vousle voulez bien, appelons-le: «Conseil Supérieur de l'Éducation»,

[...]

Page 596: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Université Laval • 597

nom qui est souvent mentionné par d'autres organismes et quisemble rencontrer l'approbation générale.

Il y a un point sur lequel les exigences de l'Université et de tousles autres organismes responsables de l'éducation dans notre Pro-vince sont formelles : il est souhaitable que le « Conseil Supérieurde l'Éducation» avec tous les comités et les sous-comités qui endépendent, soient totalement indépendants de la politique. Aucuncompromis n'est possible sur ce point.

L'université voit un « Conseil Supérieur de l'Éducation » com-posé en principe de représentants de toutes les classes de la sociétéqui se préoccupent de l'éducation ou qui ont droit d'y être repré-sentés par l'autorité de la fonction qu'ils occupent. Sa compositionqualitative doit donc aller de délégués d'associations de parentsjusqu'aux Ordinaires1 et inclure, naturellement, des délégués detous les groupements qui ont une responsabilité d'envergure dansla communauté. De plus, sa composition doit correspondre aucaractère pluraliste de la communauté québécoise, c'est-à-dire, doitcomprendre des délégués des divers groupes confessionnels et lin-guistiques. Espérons que le respect du droit des minorités, en as-surant un traitement équitable à tous, permettra à la majorité dela province de voir un jour ses droits également respectés dans lesautres domaines où elle occupe une position minoritaire.

Source: Mémoire, p. 152-171.

i. Ordinaires: terme d'Église qui désigne les évêques diocésains. (N.d.É.)

Page 597: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

68 Comité catholique du Conseilde l'instruction publiquePlaidoyer pour une réforme minimaledu système d'éducation1962

Dans son mémoire à la commission Parent, le comité catholique du Conseil del'instruction publique met tout en œuvre pour préserver le statu quo, notam-ment au plan des structures d'encadrement et de gestion de l'éducation. Ainsi,la confessionnalité de l'enseignement doit être maintenue, comme les droitsdes parents et de l'Église. Ainsi encore, les pouvoirs du Conseil de l'instructionpublique et de ses comités doivent être conservés et renforcés; dans cetteperspective, le rôle de l'État se borne essentiellement au financement de l'en-seignement. De même, le Département de l'instruction publique conserve sonstatut d'«agent exécutif» du Conseil et de ses comités. Il n'y a pas d'ouvertureà l'idée de renforcer le rôle de l'État dans la direction de l'éducation ; en fait,pour le comité catholique, le Conseil de l'instruction publique et ses comitéstiennent lieu d'État pour ce qui concerne l'éducation au Québec ; c'est ainsi quel'éducation est protégée contre ('«intrusion de la politique et des politiciens».Le seul terrain sur lequel le comité catholique envisage des changements unpeu significatifs est celui de la formation secondaire. Il y a lieu d'intégrer ou demieux coordonner les divers programmes secondaires dans les divers établis-sements publics et privés qui les dispensent, comme le suggérait en 1953 leSous-comité de coordination de l'enseignement; il faut en fixer la durée à sixans et y introduire une forme de polyvalence ou des options, mais en lui con-servant son rôle de «formation générale et humaniste». Ainsi, pour le comitécatholique, s'il y a des ajustements à faire, il ne s'impose pas d'envisager uneréforme en profondeur du système d'éducation québécois.

Page 598: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Comité catholique • 599

STRUCTURE DU CONSEILDE L'INSTRUCTION PUBLIQUEET DU COMITÉ CATHOLIQUE

i. Les principes

Notre loi de l'Instruction publique s'inspire de principes élevésauxquels notre peuple est justement attaché : respect des droits desparents et des droits de l'Église comme de ceux de l'État et, plusparticulièrement, reconnaissance de l'autorité des évêques et durôle que le prêtre doit remplir à l'école; appui financier accordépar l'État non seulement aux écoles publiques mais également auxinstitutions indépendantes ou privées ; administration des servicesde l'État en éducation hors des fluctuations de la politique departi.

Comme membres du Comité catholique, nous croyons oppor-tun de rappeler ces principes auxquels on ne peut renoncer.

A. Droits des parents

En appelant les parents à collaborer à son œuvre créatrice, leSeigneur leur donne, en même temps que le devoir de veiller à lacroissance et à l'épanouissement de leurs enfants, le droit à tous lesmoyens nécessaires et utiles pour remplir ce devoir. « La famillereçoit donc immédiatement du Créateur la mission et conséquem-ment le droit de donner l'éducation à l'enfant, droit inaliénableparce qu'inséparablement uni au strict devoir corrélatif, droitantérieur à n'importe quel droit de la société civile et de l'État,donc inviolable par quelque puissance terrestre que ce soit » (Diviniillus magistri, 2,57, 259, Enseignements Pontificaux).

Les parents sont donc les tuteurs naturels de l'enfant. Les édu-cateurs agissent par délégation des parents qui leur confient unepartie de leurs responsabilités, et ne peuvent s'opposer à leur vo-lonté expresse, ni même à leur volonté implicite.

La loi civile de la province de Québec garantit ces droits etfacilite l'accomplissement de ce devoir. Appelés à former les com-missions scolaires, les parents, aux yeux de la loi, sont les premiersresponsables de l'éducation de leurs enfants. Ils participent ainsi àl'administration des écoles, à l'engagement des professeurs et d'unecertaine façon, à la direction de la vie scolaire.

Page 599: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

6oo • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Les parents toutefois ne peuvent par eux-mêmes atteindre lesfins totales de l'éducation, parce que la famille n'est pas une so-ciété complète par elle-même. Elle y arrive à l'intérieur des deuxsociétés parfaites, l'Église et l'État, pourvues respectivement desmoyens nécessaires à la poursuite des biens spirituels ou du biencommun temporel.

B. Droits de l'Église

Chargée par le Christ d'enseigner toutes les nations pour les ame-ner à la foi ou pour les y maintenir, sachant que la royauté duSeigneur ne se limite pas au domaine religieux mais embrassetoutes les créatures aussi bien que toutes les facultés de l'homme,l'Église revendique comme un droit divin imprescriptible la libertépour ses fidèles de recevoir une formation chrétienne complète.Elle ne saurait considérer comme vraiment chrétienne une écolequi consacrerait quelques heures par semaine à l'enseignementreligieux, mais se refuserait à reconnaître le lien qui rattache toutesles disciplines à Celui qui est la Voie, la Vérité et la Vie. Bien plus,l'Église considère comme éminemment formateur l'exemple donnépar des éducateurs chrétiens qui s'efforcent de vivre pleinement lesengagements de leur baptême.

Pour qu'un système scolaire respecte la liberté des citoyenscatholiques d'avoir des écoles conformes à leurs convictions reli-gieuses et à leur philosophie de la vie, il faut : (i) qu'il se rattacheà l'autorité de l'Église ; (z) qu'il accorde aux catholiques la libertéentière de déterminer les programmes et de régir leurs écoles à tousles niveaux de l'enseignement ; (3) qu'il permette le développementdes institutions qui sont propres à l'Église catholique.

i. — L'Assemblée épiscopale doit être reconnue comme seule com-pétente pour établir les normes générales qui assurent à l'école soncaractère catholique. Aucune institution ne peut se présenter commeune partie de l'Église, à moins d'être clairement rattachée à l'en-semble des fidèles sous l'autorité de l'évêque, successeur des Apô-tres, dans le territoire soumis à sa juridiction.

L'évêque a, en particulier, le droit et le devoir de visiter l'école,par lui-même ou par ses délégués, et d'y exercer le saint ministère.Le rôle indispensable du curé, du vicaire ou de l'aumônier, doitdonc être prévu par la législation.

Page 600: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Comité catholique • 601

2. — La liberté des catholiques doit être reconnue à tous les degrésde l'enseignement. Le système scolaire doit, en effet, être organiséde façon à respecter pleinement la conscience de tous les citoyens.Il doit offrir à tous ceux dont la foi demande un enseignementcatholique, des écoles conformes à leurs convictions religieuses.

Dans un système d'enseignement confessionnel, il ne suffit pas,pour qu'on puisse parler d'un secteur catholique, qu'un certainnombre de catholiques participent à l'élaboration des programmeset à l'administration des services de l'éducation. Il faut qu'ils aientla liberté réelle d'élaborer les programmes et de diriger les institu-tions catholiques conformément aux besoins et aux désirs desparents catholiques.

3. — L'Église possède dans tous les pays de l'univers où l'onrespecte la liberté de conscience, des institutions d'enseignementde divers types tenues par des fidèles consacrés entièrement à latâche d'éducateurs dans le sacerdoce, la vie religieuse ou le laïcat.La législation doit assurer aux parents l'entière liberté d'utiliser cesinstitutions où leurs enfants recevront non seulement l'enseigne-ment des matières religieuses, mais aussi celui des disciplines pro-fanes. Fort heureusement, notre loi civile sanctionne et protègecette liberté fondamentale des catholiques, comme l'indique clai-rement l'article 19 de la Loi de l'Instruction publique qui reconnaîtla liberté de l'enseignement.

C. Droits de l'État

Les parents ne sauraient, sans le concours de l'État, organiser desécoles capables de donner à leurs enfants une formation adaptéeaux conditions de vie actuelles. L'État doit soutenir et favoriser àmême les fonds publics les diverses initiatives dans le domaine del'enseignement. Il doit faciliter à tous, selon leurs aptitudes, l'accèsà l'école, au collège et à l'université. Il doit assurer la coordinationdes efforts et des expériences nécessaire au progrès de tous lessecteurs de l'enseignement.

Le bien commun lui confère le droit indiscutable d'exercer uncontrôle sur l'instruction et l'éducation des citoyens et partant, lesinstitutions qui s'y consacrent.

Devant l'importance grandissante de l'éducation dans notrecivilisation, on est amené à reconnaître à l'État des droits plus

Page 601: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

602 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

étendus en vue de soutenir et de favoriser, par une aide finan-cière accrue, les diverses initiatives dans le domaine de l'ensei-gnement.

Mais l'État doit exercer ces fonctions en respectant les droitsdes parents et ceux de l'Église.

La loi naturelle et les conventions internationales l'obligent àreconnaître comme antérieurs aux siens les droits des parents àdonner une éducation conforme à leur foi.

Les parents catholiques ont donc le droit de recevoir leur partdes fonds publics et de bénéficier de services généraux efficaces àl'intérieur de cadres catholiques. De même, l'État doit favoriser lesinitiatives des citoyens et leur laisser cette juste liberté académiquesans laquelle l'action des éducateurs ne saurait être personnelle etféconde.

De plus, l'État a le devoir de reconnaître, en matière d'éduca-tion, comme en tout autre domaine, le rôle nécessaire et la justeliberté des autres sociétés et des corps intermédiaires, en vertu duprincipe de subsidiarité « selon lequel il vaut mieux que l'État nefasse pas directement ce que d'autres sociétés peuvent faire seules,ou tout au moins avec son aide ».

Cet exposé de principes nous amène donc à recommander

RECOMMANDATION I

que notre système d'éducation continue à s'inspirer des principesauxquels notre peuple est profondément attaché et qui constituentses caractères essentiels : respect des droits des parents et des droitsde l'Église comme de ceux de l'État et plus particulièrement recon-naissance de l'autorité des évêques et du rôle que le prêtre doitremplir à l'école; fonds publics accordés à la fois aux écoles souscontrôle des commissaires et aux écoles indépendantes ou privées ;administration des services de l'éducation de manière à préserverl'enseignement des fluctuations de la politique;

RECOMMANDATION 2.

que notre loi scolaire continue à garantir les droits des parents enmatière d'éducation et à leur faciliter l'accomplissement de leursdevoirs en cette matière;

Page 602: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Comité catholique • 603

RECOMMANDATION 3

que la liberté de l'enseignement s'étende à tous les niveaux desétudes et à la direction des écoles de façon que les exigences de lafoi soient pleinement respectées, tant dans les institutions publi-ques que dans les institutions privées;

RECOMMANDATION 4

qu'une solution juste et équitable soit trouvée au problème del'éducation des non-catholiques et non-protestants et cela, sanspréjudice des droits des éléments catholique et protestant de lapopulation et qu'à cette fin, le Conseil de l'Instruction publiquequi étudie actuellement cette question soit appelé à collaborer à lasolution de ce problème;

RECOMMANDATION 5

que l'Assemblée épiscopale soit reconnue comme seule compétentepour établir les normes générales qui assurent à l'école son carac-tère catholique;

RECOMMANDATION 6

que l'on continue à reconnaître à l'évêque le droit de visiter l'école,par lui-même ou par ses délégués;

RECOMMANDATION J

que l'État exerce ses fonctions en respectant les droits des parentset ceux de l'Église;

RECOMMANDATION 8

que l'État favorise la coordination des efforts et des expériencesnécessaires au progrès de tous les secteurs de l'enseignement etqu'il facilite à tous, selon leurs aptitudes, l'accès à l'école, au col-lège et à l'université;

RECOMMANDATION 9

que l'État respecte la légitime liberté académique sans laquellel'action des éducateurs cesserait d'être personnelle et féconde.

Page 603: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

6<>4 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

2. Caractères essentiels de notre système scolaire

Si l'on essaie de dégager les caractères essentiels de notre systèmescolaire, il semble que l'on peut retenir surtout les points suivants :

a. ouci de laisser à tous une juste liberté

Notre système scolaire s'inspire du souci de respecter les droits detous les citoyens. Deux secteurs distincts permettent, aux catholi-ques, comme aux protestants, d'établir librement des écoles con-formes à leurs convictions religieuses. De plus, la loi accorde laliberté de l'enseignement en permettant à toute personne d'ouvrirdes écoles, moyennant un minimum de formalités et sans autrescontrôles que ceux que requiert le bien commun.

b. Confessionnalité de l'enseignement

Le principe e la confessionnalité de l'école publique catholiquerégie par le commissaires est l'un des premiers que l'on ait mis àla base de notre système scolaire dès que, au milieu du siècledernier, on eut enfin dégagé les Églises de toute intervention di-recte du gouvernement. L'école catholique s'est développée confor-mément à la foi de notre population, qui a conquis de haute luttel'usage de ce droit imprescriptible. Aussi recommandons-nous

RECOMMANDATION IO

que la confessionnalité de l'enseignement soit maintenue.

3. Modifications proposées au système actuel

Une institution évolue graduellement avec les changements qui seproduisent à l'intérieur de la société. Il lui faut donc adapter pé-riodiquement ses méthodes de travail aux conditions nouvelles etmodifier parfois certains éléments de sa structure interne. Nousexaminerons donc les principaux rouages de notre système sco-laire et indiquerons certains changements qui nous paraissent né-cessaires.

[...]

Page 604: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Comité catholique • 605

A. Le Conseil de l'Instruction publique

A. LA COORDINATION DES ENSEIGNEMENTS. — Les chapitres précé-

dents nous ont amenés à conclure à l'urgente nécessité d'une coor-dination efficace des écoles et institutions de tous niveaux et detous secteurs qui constituent le système d'enseignement de la province.

Jusqu'à ce jour, ce qui s'est fait en matière de coordination, l'aété grâce au contact officieux des dirigeants responsables des di-verses catégories d'écoles; mais l'expérience du dernier quart desiècle et surtout de la dernière décennie, a démontré que si, théo-riquement, une certaine coordination peut s'obtenir de cette ma-nière, il est, dans la pratique, impossible d'en arriver à unecoordination parfaite sans une action s'étendant à tout l'enseigne-ment.

B. FONCTIONS DU CONSEIL DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. — La

fonction principale du Conseil de l'Instruction publique devraitêtre, comme le prévoit d'ailleurs la Loi de l'Instruction publique,d'étudier les problèmes communs aux systèmes d'enseignementcatholique et protestant et de prendre les décisions (art. 2.2) propres à assurer une coordination satisfaisante entre ces deux systè-mes. En conséquence nous recommandons

RECOMMANDATION II

que, conformément à la pensée qui a présidé à l'institution duConseil de l'Instruction publique, les pouvoirs et privilèges duSurintendant, établis par la loi, soient maintenus intégralement;

RECOMMANDATION IZ

que le Conseil de l'Instruction publique soit maintenu et que sajuridiction de direction, de coordination ou de surveillance selonles secteurs, soit étendue à tout l'enseignement.

B. Le Comité catholique

A. NÉCESSITÉ DU COMITÉ CATHOLIQUE. — Le Comité catholiquedu Conseil de l'Instruction publique répond à une double néces-sité : celle d'assurer la coordination de toutes les institutions catho-

[...]

Page 605: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

6o6 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

liques d'éducation et celle de fournir aux catholiques l'organismejuridique qui leur permette d'assumer la direction de l'ensemble deleurs institutions d'enseignement dans les cadres de l'État. De cettefaçon, les catholiques peuvent jouir de la liberté d'enseigner queleur accordent la loi naturelle, le droit international, la constitu-tion canadienne et la législation provinciale. Il n'est sûrement pasquestion pour les catholiques de renoncer à ces droits acquis de-puis longtemps et dont la possession n'a été obtenue en maintspays qu'au prix de longues et pénibles luttes.

B. FONCTION DU COMITÉ CATHOLIQUE. — Le Comité catholiquedevrait avoir juridiction sur la haute direction de l'enseignementdonné dans les écoles catholiques du Département de l'Instructionpublique. Il devrait en outre voir à la coordination de tous leséléments qui constituent le système de l'enseignement catholique.

Il appartiendrait au Comité catholique de définir les secteurs etles niveaux de l'enseignement, d'établir les structures générales etles cadres de chacun des secteurs et des niveaux, d'approuver lesgrandes lignes des divers programmes. En un mot, il lui reviendraitd'établir les grandes orientations de l'enseignement de l'éducationdans le système catholique.

À cet effet nous recommandons

RECOMMANDATION 13

que les Comités catholique et protestant soient maintenus et queleur juridiction de direction, de coordination ou de surveillanceselon les secteurs, soit étendue à tout l'enseignement catholique ouprotestant, selon le cas.

Les décisions concernant le contenu des programmes, le choixdes manuels et du matériel didactique, l'élaboration des règle-ments particuliers à chaque catégorie d'écoles devraient être laisséesaux commissions travaillant sous l'autorité du Comité catholique.

RECOMMANDATION 14

qu'un Conseil exécutif soit créé au sein du Conseil de l'Instructionpublique, ainsi que des Comités catholique et protestant;

[...]

Page 606: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Comité catholique • 607

RECOMMANDATION 15

que le Conseil de l'Instruction publique et que les Comités catho-lique et protestant aient le droit de déléguer des pouvoirs à leurconseil exécutif et à leurs commissions ;

RECOMMANDATION lé

que le Conseil de l'Instruction publique et que les Comités catho-lique et protestant jouissent de toute l'autorité et de toute l'auto-nomie nécessaire au plein exercice de leurs fonctions.

STRUCTURE DU DÉPARTEMENTDE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

RECOMMANDATION l8

que le Département de l'Instruction publique soit organisé demanière qu'un service exécutif corresponde à chacune des commis-sions du Conseil ou de ses comités. C'est ainsi que, pour nouslimiter au secteur catholique,

1. — à la Commission de l'enseignement élémentaire devrait cor-respondre un service de l'enseignement élémentaire ;

2. — à la Commission de l'enseignement secondaire, un service del'enseignement secondaire ;

3. — à la Commission de l'enseignement technique et profession-nel, un service de l'enseignement technique et professionnel ;

4. — à la Commission de l'enseignement pédagogique, un servicede l'enseignement pédagogique ;

j. — à la Commission de l'enseignement supérieur et universitaire,un service de l'enseignement supérieur et universitaire ;

6. — à la Commission d'éducation des adultes, un service d'édu-cation des adultes.

Ces services seraient en quelque sorte les services majeurs duDépartement de l'Instruction publique auxquels il faudrait ajouter

[...]

[...]

Page 607: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

6o8 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

les services techniques auxiliaires : recherche et statistique, orien-tation, enfance exceptionnelle, revues pédagogiques, enseignementaudiovisuel, bibliothèque scolaire, etc., et les services administra-tifs: archives, achats, information, personnel, service juridique,etc.

RELATIONS ENTRELE CONSEIL DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

ET LE DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

Dans le but d'assurer une étroite collaboration entre les organis-mes législatifs du Conseil de l'Instruction publique et les organis-mes exécutifs du Département de l'Instruction publique,, les officierssupérieurs du Département de l'Instruction publique devraientparticiper activement aux travaux des Comités catholique et pro-testant, des commissions et sous-commissions.

Afin d'assurer un lien étroit entre les organismes législatifs desniveaux différents d'un même secteur, le directeur d'un servicepourrait être secrétaire de la commission correspondant à son serviceet président des sous-commissions relevant de la. commission dontil serait le secrétaire. Enfin, pour unifier le pouvoir législatif et lepouvoir exécutif au sein d'un même secteur, en l'occurrence lesecteur catholique, le secrétaire du Comité catholique devrait êtreen même temps le secrétaire catholique du Département de l'Ins-truction publique et en l'absence du Surintendant, le président detoutes les commissions relevant du Comité catholique. Il serait enquelque sorte le directeur général de l'enseignement catholiquedans la province. Il en serait ainsi, « mutatis mutandis », du secteurprotestant.

Quant au Surintendant de l'Instruction publique, il serait commeprésentement, président du Conseil de l'Instruction publique et del'exécutif de ce Conseil, membre ex officio des Comités catholiqueet protestant, et directeur général de l'enseignement dans la pro-vince, ayant comme premiers assistants le directeur général del'enseignement catholique et le directeur général de l'enseignementprotestant. Les directeurs généraux des secteurs catholique et pro-testant seraient secrétaires conjoints du Conseil de l'Instructionpublique et de son exécutif.

Page 608: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Comité catholique • 609

NOMINATIONS DES OFFICIERSDU DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

Partant des principes exposés plus haut, le Département de l'Instruc-tion publique devient en quelque sorte un organisme quasi auto-nome puisqu'il est l'agent exécutif d'organismes législatifseux-mêmes quasi autonomes. Dans ces conditions, tout en conser-vant au Gouvernement, gardien du bien commun, le pouvoir denommer les officiers du Département de l'Instruction publique, neserait-il pas conforme aux principes déjà énoncés de favoriser unecertaine participation des organismes législatifs, à savoir le Conseilde l'Instruction publique et ses comités, à la nomination des offi-ciers chargés de l'application de leur législation ? D'ailleurs, il existedéjà des précédents tant dans la législation que dans les faits. Eneffet, les professeurs d'écoles normales ainsi que les principaux etdirecteurs de ces institutions sont nommés par le Lieutenant-Gou-verneur en Conseil, mais après avoir été recommandés par le Comitécatholique du Conseil de l'Instruction publique. Quant aux inspec-teurs d'écoles, ils sont eux aussi nommés par le Lieutenant-Gou-verneur en Conseil, mais après avoir subi, devant un bureaud'examinateurs nommés par les comités catholique ou protestantselon le cas, un examen dont les conditions sont déterminées parles Comités catholique et protestant. Quant aux officiers supé-rieurs du Département, vu qu'ils sont la plupart du temps choisisparmi les professeurs d'écoles normales ou les inspecteurs d'écoles,nous pouvons dire que les Comités catholique et protestant parti-cipent d'une façon indirecte et éloignée à leur nomination.

Vu que ces officiers sont devenus moins responsables au gouver-nement de l'administration des deniers publics et de l'applicationde la législation gouvernementale, et davantage responsables auConseil de l'Instruction publique et aux Comités catholique etprotestant, de la législation pédagogique de ces organismes, neserait-il pas opportun

RECOMMANDATION 19

que le Conseil de l'Instruction publique et les Comités catholiqueet protestant, selon le cas, participent soit par voie de recomman-dation soit par voie de consultation, à la nomination des officierschargés de fonctions pédagogiques au Département de l'Instruc-tion publique.

Page 609: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

6io • Autour de la commission Parent (1961-1963)

Le problème essentiel de coordination

C'est dans l'existence de plusieurs voies d'acheminement non équi-valentes vers l'Université que réside le problème essentiel de lacoordination de l'enseignement. Tant qu'il n'aura pas été résolu,l'Université sera forcée de s'ajuster le mieux possible à des catégo-ries d'étudiants de formation différente et de niveaux académiquesdisparates. Il y a là une situation quelque peu anormale et à la-quelle il importe de remédier au plus tôt.

Les cours secondaires pré-universitaires actuels possèdent lemême objectif intrinsèque : donner aux élèves une culture généraleet une formation fondamentale telle qu'elle s'exprime par une bonnediscipline de travail intellectuel, et le même objectif final : les con-duire jusqu'à l'admission à l'Université.

La bonne organisation des études à ce niveau supérieur, toutcomme le succès qu'on doit en attendre, exigent que les candidatsà l'admission dans une faculté donnée possèdent, d'où qu'ils vien-nent, une formation adéquate et aussi équivalente que possible.

Afin de corriger les déficiences actuelles sous ce rapport, diver-ses suggestions ont été proposées. L'une d'entre elles voudrait quele baccalauréat es arts devienne une condition obligatoire à l'ad-mission dans toutes les facultés. On y peut objecter que le prérequispeut varier suivant la nature des facultés et qu'en procédant ainsi,on en viendrait à poser une exigence plus élevée que nécessaire enplusieurs cas et que l'on fermerait la porte à d'excellents candidatsqui, pour de multiples raisons, n'auraient pu suivre le cours con-duisant au baccalauréat.

Une autre suggestion proposerait que les divers cours pré-universitaires actuels soient fondus en un seul qui, afin de luidonner toute la flexibilité désirable, serait conçu suivant le systèmede cours à options. Ce cours unique deviendrait la seule voienormale d'accès aux facultés universitaires.

Ce projet nous semble offrir une solution adéquate et perma-nente au problème de coordination des cours pré-universitaires.Aussi croyons-nous devoir l'endosser.

Au cas, toutefois, où sa réalisation soulèverait de trop grandsobstacles, la nécessité d'une équivalence dans la préparation descandidats nous paraît exiger comme strict minimum une coordina-

[...]

Page 610: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Comité catholique • 611

tion horizontale aussi étroite que possible entre les divers cours.Aussi recommandons-nous

RECOMMANDATION 30

que les cours secondaires pré-universitaires actuels (cours classi-que, scientifique, spécial) soient intégrés en un seul cours ou, dumoins, coordonnés davantage.

Cette coordination souhaitable entre cours poursuivant le mêmeobjectif présente certaines difficultés. Depuis 1953, leurs program-mes ont tous été révisés au prix d'études et de travaux considéra-bles. Ces efforts ont abouti à doter nos institutions secondaires deprogrammes qui possèdent tous des mérites indiscutables mais quiont été élaborés indépendamment les uns des autres. Dans le casdu cours classique, les études sont régies par deux programmesqui, même si leur contenu global est semblable, présentent unsystème différent d'options ainsi que de distribution de la matière.En dépit des ajustements exécutés depuis 1956, les différences sontencore plus considérables dans le cours scientifique.

Afin d'assurer la coordination désirable, un dénominateur com-mun devrait être trouvé. On peut y parvenir sans trop de difficul-tés, semble-t-il, grâce à la collaboration des divers organismes dedirection des études qui pourraient s'entendre afin d'établir unplan d'études de caractère très général et assez souple pour ne pasentraver la liberté académique de chaque groupe concerné, maispermettant tout de même d'ordonner les programmes particulierssuivant certaines normes propres à assurer l'équivalence désiréedans la formation des élèves.

Nous croyons donc à propos de recommander

RECOMMANDATION 31

que les programmes soient ordonnés d'après un plan général d'étu-des susceptible de s'appliquer dans l'ensemble des institutions dela province.

RECOMMANDATION 32.

que la durée du cours secondaire soit d'au moins six années.

[...]

[...]

Page 611: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

6i2 • Autour de la commission Parent (1961-1963)

RECOMMANDATION 33

que, pour respecter et exploiter les différences et les aptitudesindividuelles, le programme soit structuré d'après le système decours à options;

RECOMMANDATION 34

qu'à l'intention des élèves surdoués, il soit prévu d'autres courssupplémentaires à options conçus d'après la formule de l'enrichis-sement.

RECOMMANDATION 35

que le choix des cours puisse être dirigé, dans les dernières années,de façon à permettre une amorce de spécialisation des études, maisque le souci de préparer les candidats de manière plus ou moinsimmédiate à l'admission dans les facultés ne compromette jamaisle rôle essentiel du cours secondaire qui doit donner une formationgénérale et humaniste et faire acquérir une bonne discipline detravail intellectuel.

RECOMMANDATION 36

qu'une commission formée de représentants des secteurs public etprivé de l'enseignement secondaire et des Universités coordonne etsurveille cet enseignement.

RECOMMANDATION 37

que les institutions adoptent une terminologie uniforme pour dé-signer des certificats ou des diplômes de valeur équivalente.

RECOMMANDATION 38

que soit créé un organisme consultatif de coordination de l'ensei-gnement universitaire,

lequel pourrait amener une certaine uniformité désirable en cedomaine.

[...]

[...]

[...]

[...]

[...]

Page 612: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Comité catholique • 613

RECOMMANDATION 39

qu'en plus du cours secondaire pré-universitaire existe un coursaussi de culture générale mais davantage orienté vers les connais-sances pratiques soit comme cours terminal, soit comme courspréparatoire à certaines écoles professionnelles élémentaires etmoyennes.

RECOMMANDATION 40

que la durée du cours général soit d'au moins cinq ans.

RECOMMANDATION 41

que, pour respecter et exploiter les différences et les attitudes in-dividuelles, le cours général de l'école secondaire comporte, à partirde sa troisième année, une certaine diversification des études, soitpar l'introduction du système de cours à options soit par l'intro-duction de sections.

RECOMMANDATION 42,

que les écoles secondaires comptent un nombre suffisant d'élèvespour permettre une bonne organisation pédagogique, mais que cenombre ne soit pas élevé au point de compromettre la formationintégrale des élèves.

RECOMMANDATION 43

que les études professionnelles ou de spécialisation ne commencentpas trop tôt et qu'elles soient proportionnées à la culture généralede l'élève.

Source: Mémoire, p. 346-387 [extraits].

[...]

[...]

[...]

Page 613: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

This page intentionally left blank

Page 614: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

En guise de conclusion

Le rapport Parentet ses grandes recommandations

Page 615: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

This page intentionally left blank

Page 616: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

En guise de conclusion

Le grand débat scolaire québécois ouvert avec la fin de la DeuxièmeGuerre mondiale culmine avec les travaux de la Commission royaled'enquête sur l'enseignement et avec son rapport — le rapportParent —, qui fournit au gouvernement et à la société du Québecun plan d'action complet pour reconstruire l'école de la maternelleà l'université. En guise de conclusion au grand débat scolaire quela présente anthologie s'efforce de présenter, il y a lieu d'évoquerle rapport Parent et ses recommandations majeures. On s'emploieradonc, dans cette conclusion, à situer la Commission, à décrireso mairement son rapport et surtout à citer celles de ses recom-m dations dont la portée apparaît, rétrospectivement, la plusconsidérable pour le devenir de l'éducation québécoise.

La Commission

Le 28 février 1961, l'Assemblée législative du Québec adopte laLoi instituant une commission royale d'enquête sur l'enseignement(9-10 Elizabeth II, ch. 2,5). Moins de deux mois plus tard, le 2,1 avril1961, le Gouvernement nomme les membres de la Commission.Présidée par le vice-recteur de l'université Laval, Mgr Alphonse-Marie Parent, assisté à titre de vice-président par le directeur duDevoir•, Gérard Filion, elle comprend six autres personnes: troisuniversitaires, Guy Rocher, sociologue de l'Université de Mont-réal, Jeanne Lapointe, professeur de lettres à Laval, et DavidMunroe, directeur de l'Institut d'éducation de McGill; uneprofesseure de philosophie au collège Basile-Moreau, sœur Marie-Laurent de Rome (Ghislaine Roquet) ; le directeur adjoint des étudesà la Commission des écoles catholiques de Montréal, JohnMcllhone ; un homme d'affaires, Paul Larocque ; et un « membreadjoint avec voix délibérante mais sans droit de vote», Arthur

Page 617: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

6i8 • Le rapport Parent et ses grandes recommandations

Tremblay, présenté comme « conseiller technique au ministère dela Jeunesse».

La création de cette commission royale d'enquête n'est certaine-ment pas un geste improvisé de la part du gouvernement libéraldirigé par Jean Lesage, bien au contraire. Tout au long des années1950, des voix multiples d'individus, de groupes, d'organismesofficiels, se font écho à répétition pour réclamer une telle commis-sion d'enquête. De Paul-Emile Gingras à André Laurendeau, de laCommission Tremblay sur les problèmes constitutionnels en 1956à la Conférence provinciale sur l'éducation de 1958, l'idée revientsans cesse de procéder à une enquête approfondie sur tous lesaspects de l'éducation québécoise. L'idée se retrouve dans le pro-gramme du Parti libéral du Québec en vue des élections du 2.2, juin1960: «Article 9 — Création d'une commission royale d'enquêtesur l'éducation ». Cette Commission était devenue incontournable,lorsque l'Assemblée législative procéda formellement à sa création.

Si la Commission devait, selon sa loi constitutive, remettre sonrapport le 31 décembre 1962,, il fallut à plus d'une reprise prolon-ger les délais impartis pour la remise du rapport final. La tâcheconfiée à la Commission était considérable: plus de trois centsmémoires lui furent adressés ; la Commission a visité de nombreu-ses institutions, y compris à l'étranger; elle a fait le tour de laprovince pour tenir des audiences publiques ; elle a consulté plusde iz5 experts; elle a étudié une volumineuse documentation; ellea tenu plus de 400 séances de discussion ; elle a examiné toutes lesdimensions de la question de l'éducation au Québec et analysétoutes les facettes du système d'enseignement existant au début desannées 1960. Il en est résulté un volumineux rapport de près de1400 pages et comptant environ 600 recommandations proposantune reconstruction complète du système d'éducation québécois.

Le rapport

Le rapport Parent, comme on l'appelle depuis sa parution, secompose de trois grandes parties (distribuées en cinq volumes),publiées en trois temps.

Une première partie, déposée en avril 1963, traite des « structu-res supérieures du système scolaire ». Après une analyse de l'his-torique de l'éducation au Québec et de l'organisation en place, laCommission, inspirée par une vision nouvelle de l'éducation dans

Page 618: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

En guise de conclusion • 619

la société contemporaine, conclut par la nécessité d'instituer auQuébec un véritable ministère de l'Éducation qui, avec l'aide d'unConseil supérieur de l'éducation, serait le maître d'œuvre du sys-tème d'enseignement.

En novembre 1964, la Commission publie la deuxième partie deson rapport. Il s'agit de deux volumes importants traitant des« structures pédagogiques du système scolaire ». On y présente unplan complet de réforme et de réorganisation de l'éducation qué-bécoise: conception nouvelle des niveaux d'enseignement, desprogrammes d'études, des structures, de la pédagogie et des servi-ces éducatifs. Cette partie propose notamment l'idée d'une forma-tion polyvalente, publique, gratuite, de la maternelle à P« Institut »,institution nouvelle préparant soit aux études universitaires, soitau marché du travail et qui sera créée sous le nom de «collèged'enseignement général et professionnel» (le cégep) à l'automne1967. La Commission développe aussi ses vues sur le niveau uni-versitaire.

La troisième partie du rapport, en mars 1966, s'intéresse à l'ad-ministration de l'enseignement. On y traite de questions comme laconfessionnalité, les établissements privés, les administrations sco-laires locales, et, évidemment, le financement de l'éducation.

L'ensemble des recommandations de la Commission Parent four-nit un programme exhaustif de réforme de l'éducation québécoise.Une proportion très importante de ces recommandations seronteffectivement mises en application, d'une façon ou d'une autre, à undegré ou un autre. Le rapport de la commission Parent, survenantau terme d'un grand débat engagé depuis une quinzaine d'années,est donc nourri de très abondantes et très riches réflexions sur l'édu-cation. Que cette commission ait reçu plus de 300 mémoires estsignificatif de l'intérêt, de l'urgence même, que revêtait aux yeux dela société québécoise la modernisation de son système d'éducation.

La Commission a fait sa propre synthèse des multiples idéescirculant dans le milieu. Elle marque un point tournant dans l'évo-lution à la fois du grand débat scolaire et du système d'éducationquébécois. En effet, si toutes les propositions de réforme que for-mule le rapport Parent ne sont pas appliquées intégralement, lapublication même de ce rapport renouvelle la problématique et lesdiscussions sur l'éducation et son devenir. Il y a un avant et unaprès le rapport Parent. Et le système d'éducation d'après le rap-port Parent en porte profondément la marque.

Page 619: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

620 • Le rapport Parent et ses grandes recommandations

Les recommandations

Les recommandations de la Commission royale d'enquête sur l'en-seignement découlent d'une vision nouvelle de l'éducation qui nes'exprime pas toujours dans des recommandations précises et qu'ily a donc lieu de rappeler, fût-ce sommairement. On reconnaîtra,dans cette vision, des idées qui ont été formulées dans les débatsdes années 1950 aussi bien que des synthèses novatrices.

Pour la Commission, l'éducation au Québec vit des change-ments communs à tous les pays occidentaux. Ainsi, il y a uneexplosion de la fréquentation scolaire qui résulte non seulement dela croissance démographique (natalité et immigration d'après-guerre), mais aussi de la révolution scientifique et technique quimodifie les structures de l'économie en accroissant le secteur ter-tiaire, ce qui exige une hausse de la scolarisation des populations.Le Québec s'est urbanisé et industrialisé, ce qui change le cadredans lequel se déploie le système d'éducation et ce qui amène destransformations dans les mentalités et les idées : par exemple, lesfemmes aspirent à une éducation comparable à celle des hommes.Par ailleurs, la Commission attache beaucoup d'importance auxtransformations culturelles, et à ce qu'elle appelle le «pluralismede la culture » : il y a d'autres composantes de la culture contem-poraine que les seules humanités classiques, si longtemps et siexclusivement privilégiées au Québec. La nécessité d'adapter l'édu-cation québécoise à ce pluralisme nourrira l'une des idées maîtres-ses du rapport Parent, la « polyvalence », et inspirera une nouvellestructure de l'enseignement et de l'organisation scolaire. Il fautaussi repenser l'éducation à la lumière de la nouvelle pédagogiequi propose des approches différentes de l'acte d'enseigner. L'écoledoit donc accueillir non seulement la culture humaniste tradition-nelle, mais aussi la science, la technique et la « culture de masse ».Ces considérations amènent la Commission à formuler un trèsvigoureux plaidoyer en faveur du «droit à l'éducation». Tant lesexigences d'une économie propulsée par la science et la techniqueque les besoins des sociétés et le respect dû à la personne humainecommandent de rendre accessible à chacun l'éducation la pluspoussée, la plus complète et la mieux ajustée à ses talents et inté-rêts personnels.

C'est à la lumière de cette vision nouvelle de l'éducation que laCommission propose de reconstruire le système scolaire québécois

Page 620: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

En guise de conclusion • 621

dans toutes ses dimensions. Les recommandations reproduites dansles pages qui suivent se proposent de résumer l'architecture d'en-semble de la réflexion de la Commission Parent.

Page 621: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

This page intentionally left blank

Page 622: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

69 Encadrement de l'éducation

L'une des recommandations structurantes majeures du rapport Parent est lacréation d'un ministère de l'éducation et la reconnaissance pleine et entière durôle de maître d'œuvre de l'État en matière d'éducation. Banale en soi, cetteidée n'était pas encore empreinte d'une évidence apodictique dans le Québecdu début des années 1960. La publication de la première partie du rapport, enavril 1963, enclenche un débat politique qui se conclura un an plus tard par lacréation simultanée du ministère de l'Éducation et du Conseil supérieur de l'édu-cation.

Le ministère de l'Éducation

Sur la base de son analyse de la place de l'éducation dans le monde contem-porain, la Commission Parent identifie les objectifs que doit poursuivre le sys-tème d'éducation (égalité des chances, accessibilité de tous à l'éducationsupérieure et préparation à la vie en société). La poursuite de ces objectifs seheurte à des problèmes considérables: ressources matérielles et financières,recrutement du personnel, coordination verticale et horizontale, intégration dusecteur privé. Seul l'État peut mobiliser les efforts et les ressources nécessaireà l'atteinte des objectifs de l'éducation et cela impose la nécessité d'un minis-tère de l'Éducation doté de l'autorité, des structures et des moyens appropriésà sa tâche. On observera que la Commission n'imagine le ministère qu'associéà un conseil supérieur de l'éducation.

1. — Nous recommandons la nomination d'un ministre de l'édu-cation dont la fonction sera de promouvoir et de coordonner l'en-seignement à tous les degrés, tant dans le secteur privé que dansle secteur public.

2. — Nous recommandons la création d'un conseil supérieur del'éducation dont la fonction sera d'agir auprès du ministre à titreconsultatif.

Page 623: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

624 • Le rapport Parent et ses grandes recommandations

3. — Nous recommandons que le conseil supérieur de l'éducationfonctionne de façon unifiée.

4. — Nous recommandons qu'un ministère de l'éducation soitconstitué par la fusion du département de l'instruction publique etdu ministère de la jeunesse.

5. — Nous recommandons le rattachement au ministère de l'édu-cation des services pédagogiques relevant des autres ministères.

6. — Nous recommandons que la commission du service civilprenne les moyens nécessaires pour attirer au ministère de l'édu-cation les fonctionnaires les plus compétents.

7. — Nous recommandons qu'il y ait au ministère de l'éducationun sous-ministre associé de foi protestante.

8. — Nous recommandons que le ministre soit tenu de procéderpar réglementation sur les matières suivantes: (i) programmesd'enseignement, normes d'examens, diplômes officiels ; (2) normesde qualification du personnel enseignant.

9. — Nous suggérons que les services du ministère de l'éducationsoient groupés en trois divisions, chacune ayant à sa tête un direc-teur général : la division de l'enseignement, la division de l'admi-nistration, la division du plan.

Source : Rapport Parent, première partie, Recommandations i à 9.

Le Conseil supérieur de l'éducation

Conscient des craintes et des résistances de milieux influents de la société àl'égard d'un éventuel ministère de l'Éducation — la dernière tentative d'en créerun a échoué en 1897 —, la commission Parent propose de le flanquer d'unConseil supérieur de l'éducation pour faciliter sa liaison avec le public, éduquerce dernier aux besoins de l'enseignement, représenter les divers groupes inté-ressés et conseiller de façon générale le ministre. Le Conseil comportera aussides comités catholique et protestant. Dans ses recommandations, la Commis-sion précise de façon minutieuse la composition, les fonctions et les moyensd'action du futur Conseil.

16. — Nous recommandons que le conseil supérieur de l'éduca-tion soit composé de seize membres nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil pour un terme de huit ans non renouvelable.

Page 624: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

En guise de conclusion • 625

17. — Nous recommandons que le président et le vice-présidentdu conseil supérieur de l'éducation soient choisis par le lieutenant-gouverneur en conseil parmi les seize membres du conseil et quel'un soit de religion catholique et l'autre de religion protestante.

18. — Nous recommandons que le président et le vice-présidentdu conseil supérieur de l'éducation soient nommés pour un termede cinq ans non renouvelable et qu'ils consacrent au moins lamoitié de leur temps au travail du conseil.

19. — Nous recommandons que le sous-ministre et le sous-minis-tre associé de l'éducation soient membres adjoints du conseil su-périeur de l'éducation sans droit de vote et qu'ils mettent à ladisposition du conseil les informations et les services du ministèredont le conseil a besoin.

20. — Nous recommandons de constituer un comité catholique etun comité protestant composés de neuf à quinze membres pourfaire des règlements, sujets à l'approbation du lieutenant-gouver-neur en conseil sur l'enseignement religieux et moral, pour assurerle caractère religieux des écoles et faire des suggestions au conseilsur les problèmes que pourrait soulever l'enseignement de certai-nes matières.

21. — Nous recommandons que le comité catholique soit com-posé d'un nombre égal de représentants des autorités religieuses,des parents et des éducateurs nommés pour un terme de trois ans,renouvelable une seule fois; que les représentants des autoritésreligieuses soient nommés par l'assemblée des évêques et les autrespar le conseil supérieur de l'éducation après consultation avecl'assemblée des évêques, les associations de parents et d'éduca-teurs.

22. — Nous recommandons que le comité protestant soit composéd'un nombre égal de représentants des Églises protestantes, desparents et des éducateurs nommés par le conseil après consultationavec les organismes intéressés, pour un terme de trois ansrenouvelable une seule fois.

23. — Nous recommandons la formation d'une commission del'enseignement élémentaire et secondaire, d'une commission de l'en-seignement supérieur et d'une commission de l'enseignement tech-nique et spécialisé composées chacune de neuf à quinze membres

Page 625: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

6z6 • Le rapport Parent et ses grandes recommandations

chargés de faire des suggestions au conseil supérieur de l'éducationsur toute question concernant leur secteur particulier.

24. — Nous recommandons que les membres des commissionssoient nommés par le conseil supérieur de l'éducation après con-sultation avec les groupes intéressés pour un terme de trois ans,renouvelable une seule fois.

25. — Nous recommandons que les présidents de chacun des deuxcomités et de chacune des trois commissions soient des membresdu conseil supérieur de l'éducation et nommés par celui-ci, le pré-sident du comité catholique devant être choisi après consultationavec l'assemblée des évêques.

26. — Nous recommandons que les députés et conseillers législa-tifs, les personnes ne résidant pas dans la province de Québec etles personnes de plus de 70 ans ne puissent faire partie du conseilsupérieur de l'éducation ni de ses comités et commissions.

27. — Nous recommandons que le conseil ait les fonctions suivan-tes:

a. Donner son avis sur toutes les questions que le ministresera tenu de lui soumettre, c'est-à-dire sur les program-mes d'enseignement, les normes d'examens et les diplô-mes officiels ; sur les normes de qualification du personnelenseignant ; sur le plan d'organisation et d'aménagementdes institutions d'enseignement;

b. Soumettre au ministre des avis et recommandations surtoute question pouvant affecter l'enseignement dans laprovince ;

c. Donner son avis sur les questions que le ministre pourralui soumettre;

d. Recevoir et entendre les requêtes et suggestions du pu-blic, les étudier et au besoin faire des recommandationsau ministre;

e. Préparer à l'intention de la législature un rapport annuelsur la situation et les besoins de l'enseignement dans laprovince.

28. — Nous recommandons que les directeurs généraux du minis-tère de l'éducation assistent aux assemblées régulières des comitéset commissions du conseil supérieur de l'éducation afin d'assurer

Page 626: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

En guise de conclusion • 627

la collaboration nécessaire entre ces comités et commissions et leministère.

29. — Nous recommandons qu'il y ait deux secrétaires-conjointsdu conseil supérieur de l'éducation et qu'ils aient le même statutet le même traitement que les trois directeurs généraux du minis-tère.

Source: Rapport Parent, première partie, Recommandations 16 à 29.

Les commissions scolaires: une gestiondécentralisée de l'éducation

La création d'un ministère de l'Éducation ne veut pas dire, aux yeux de la Com-mission Parent, qu'il faille passer à une administration à tous égards centrali-sée. Au contraire, il faut préserver l'une des plus anciennes institutionsquébécoises, les commissions scolaires. Celles-ci doivent subir certaines trans-formations, mais elles demeurent nécessaires, dans un cadre régionalisé, no-tamment pour représenter le milieu auprès du ministère. La Commission proposeaussi la création d'un comité scolaire dans chaque école, ancêtre des conseilsd'établissement actuels. Mais l'évolution des choses a conduit à des formes decentralisation nouvelles (par exemple, en matière de relations du travail) quen'envisageait pas la Commission.

30. — Nous recommandons qu'il soit expressément reconnu quetout corps public auquel l'État délègue une responsabilité dansl'administration scolaire a pour objectif premier d'assurer à tousles élèves, sans distinction, un enseignement de bonne qualité,favorable au plein épanouissement de la personnalité de chacun,dans un juste respect du pluralisme religieux et de la dualité lin-guistique et culturelle.

31. — Nous recommandons qu'à cette fin le régime actuel descommissions scolaires locales et régionales soit remplacé par unestructure administrative unifiée à trois échelons: le comité sco-laire, la commission régionale et le conseil de développement sco-laire.

32. — Nous recommandons qu'un comité scolaire soit constituépour chaque école publique élémentaire ou secondaire.

Page 627: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

6a8 • Le rapport Parent et ses grandes recommandations

33. — Nous recommandons que chaque comité scolaire soit forméde cinq membres élus annuellement par les parents des élèves etpar les élèves inscrits aux cours pour adultes et qu'y soit éligible,outre tout électeur, toute personne majeure résidant dans la ré-gion.

34. — Nous recommandons que le directeur et un représentant dupersonnel enseignant de l'école fassent partie du comité scolaire àtitre consultatif.

35. — Nous recommandons que la loi attribue aux comités sco-laires les fonctions suivantes:

— veiller à la qualité de l'éducation donnée à l'école et au bien-être des élèves et des maîtres;

— s'assurer que les élèves reçoivent un enseignement religieuxou moral répondant au désir de leurs parents;

— accepter ou rejeter tout projet de règlement de la directionde l'école ou de la direction de l'enseignement catholique,protestant ou non confessionnel, selon le cas, affectant lesmodalités particulières de la confessionnalité ou de la non-confessionnalité de l'école;

— susciter des initiatives et collaborer à toute entreprise en vuede l'organisation des loisirs para-scolaires et, de façon géné-rale, contribuer à tout ce qui peut favoriser la culture po-pulaire ;

— entretenir l'intérêt et la collaboration des parents et de toutela collectivité pour tout ce qui peut servir à améliorer lesservices scolaires;

— donner leur avis sur le choix des maîtres, l'adaptation desprogrammes et le choix des manuels et du matériel didac-tique ;

— présenter à la commission régionale toute recommandationtouchant des problèmes financiers ou administratifs.

36. — Nous recommandons que l'organisation et l'administrationde l'enseignement public pré-scolaire, élémentaire et secondairesoient confiées à des commissions scolaires régionales ayant juri-diction sur un territoire assez vaste pour qu'y soit dispensé unenseignement varié et de bonne qualité, s'appuyant sur tous lesservices auxiliaires requis.

Page 628: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

En guise de conclusion • 629

37. — Nous recommandons qu'une commission régionale uniqueadministre tout l'enseignement, catholique, protestant et non-con-fessionnel, de langue française et de langue anglaise dispensé dansles limites d'un même territoire.

3 8. — Nous recommandons que les commissaires de la commis-sion régionale soient élus par un collège électoral composé dedélégués de tous les comités scolaires du territoire sous la juridic-tion de la commission régionale, le nombre de délégués désignéspar chaque comité scolaire pour siéger au collège électoral variantselon les effectifs de l'école.

39. — Nous recommandons que le nombre des commissaires variede cinq à onze, en raison du nombre de types d'écoles selon lalangue et l'option religieuse qui existent dans le territoire sous lajuridiction de la commission régionale.

40. — Nous recommandons que toute personne majeure résidantdans le territoire de la commission régionale soit éligible au postede commissaire.

41. — Nous recommandons que les commissaires soient élus pourun mandat de trois ans, renouvelable, et que les commissairesélisent eux-mêmes leur président.

42. — Nous recommandons que la loi attribue à la commissionrégionale les fonctions suivantes:

a. organiser et administrer les classes maternelles, l'enseigne-ment élémentaire, l'enseignement secondaire polyvalent, c'est-à-dire général et technique, et les classes spéciales pourenfants exceptionnels, à l'intention de tous les enfants deson territoire et des adultes qui requièrent un enseignement ;

b. assurer les services médicaux, sociaux, psychologiques, leservice d'orientation scolaire et professionnelle, les servicesde pastorale requis dans toutes les écoles sous sa juridic-tion;

c. choisir et engager le personnel enseignant et le personnel dedirection des écoles sous sa juridiction, leur assigner leurposte, assurer l'inspection des écoles;

d. présenter au ministère de l'Éducation, par l'intermédiaire, lecas échéant, du conseil de développement scolaire et encollaboration avec les autres commissions régionales qui luisont rattachées, des recommandations pour l'établissement

Page 629: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

630 • Le rapport Parent et ses grandes recommandations

ou la modification des normes des services et des dépensesà appliquer dans les écoles;

e. préparer et soumettre au ministère de l'Éducation, par lessoins, le cas échéant, du conseil de développement scolaire,le budget nécessaire à la bonne marche et au progrès de sesécoles ;

f. prélever l'impôt foncier sur son territoire et recevoir lessubventions du ministère de l'Éducation;

g. faire les constructions scolaires requises, après approbationdu ministère ou, le cas échéant, du conseil de développe-ment scolaire, assurer l'entretien des édifices, acheter tout lematériel requis, organiser le transport des élèves;

h. faire chaque année un recensement scolaire de tous les en-fants et adolescents jusqu'à 18 ans inclusivement et affecterles écoles ou les classes voulues aux enseignements organi-sés pour répondre aux désirs des parents, exprimés à cetteoccasion ;

/'. nommer, pour assurer l'administration, un directeur généralet un directeur pour chacun des enseignements à organiserselon la diversité culturelle et religieuse de la collectivité.

43. — Nous recommandons que toutes les commissions régionalesd'une même région économique se groupent pour former un con-seil de développement scolaire.

44. — Nous recommandons que le conseil de développement sco-laire soit composé d'un membre choisi par chacune des commis-sions régionales de son territoire, d'un membre élu par le collègeélectoral de chacune d'entre elles et de deux membres nommés parle ministère de l'Éducation.

45. — Nous recommandons que toute personne majeure résidantdans le territoire du conseil de développement scolaire soit éligible,que les membres soient élus pour un mandat de trois ans,renouvelable, et que le président soit élu par les membres du conseil.

46. — Nous recommandons que la loi attribue au conseil de dé-veloppement scolaire les fonctions suivantes:

a. définir en collaboration avec les commissions scolairesrégionales, les normes fondamentales des services et desdépenses pour le territoire et les faire accepter par le minis-tère de l'Éducation, établissant ainsi le plan de développe-ment du système scolaire du territoire;

Page 630: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

En guise de conclusion • 631

b. négocier, après consultation des commissions régionales,l'échelle de traitements et de salaires et les conditions detravail pour tout le personnel enseignant et non enseignantde son territoire ou participer aux négociations provincia-les, le cas échéant, avec le ministère de l'Éducation;

c. étudier les budgets que les commissions scolaires régionalesdoivent lui soumettre pour approbation et présenter l'en-semble de ces budgets ainsi que son propre budget au mi-nistère de l'Éducation;

d. participer à la détermination du taux uniforme de l'impôtà être prélevé par toutes les commissions régionales du ter-ritoire; en attendant l'uniformisation de l'évaluation fon-cière par l'autorité centrale, procéder sur son territoire àl'uniformisation de l'évaluation; autoriser, au besoin, leprélèvement d'un impôt supplémentaire par l'une ou l'autredes commissions régionales;

e. coordonner le développement scolaire du territoire en exer-çant tous les contrôles nécessaires sur les achats de terrainset les constructions à effectuer par les commissions régiona-les;

f. faire fonctionner au bénéfice des commissions scolaires duterritoire les services qui peuvent être organisés à meilleurcompte ou plus efficacement sur une base commune: parexemple, un service juridique, un bureau d'architectes etd'ingénieurs, un service de statistiques et de prévisions, unservice de transport, et veiller à l'organisation de certainsservices communs d'enseignement pour quelques catégoriesd'enfants exceptionnels ;

g. nommer, à ces fins, un directeur général et autant de direc-teurs généraux adjoints qu'il sera nécessaire pour coordon-ner le développement de chacun des différents enseignementsqui existeront dans les commissions régionales, et pourassurer la direction des services du financement et de l'équi-pement scolaire.

Source : Rapport Parent, troisième partie, Recommandations 30 à 46.

Page 631: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

/o Nouvelle organisationde la formation

La deuxième partie du rapport Parent, qui s'accompagne de 402 recommandations, révise de fond en comble les niveaux ou ordres d'enseignement, les pro-grammes d'études et les services pédagogiques. En ces matières, la Commissionpropose un renouvellement majeur de l'école québécoise. La structure d'en-semble est réorganisée : primaire de 6 ans, secondaire de 5 ans, institut (de-venu cégep) de deux ans avant les études universitaires. On propose aussi lesystème des options au secondaire, dans un esprit de polyvalence, et l'intégra-tion aux écoles communes de l'enseignement professionnel et technique. Cettpartie propose aussi une révision des matières enseignées et de la pédagogie.

Structure des ordres d'enseignementet durée des études

Dans un texte de quelques pages, au titre révélateur, la Commission Parentrésume en peu de mots la substance de sa vision d'une nouvelle éducationquébécoise. Ce texte formule à la fois les principes d'organisation des ordresd'enseignement et les principes devant assurer la cohésion des diverses étapesde la formation. Cette vision se précisera dans une série de 192 recommandations clôturant le premier des deux volumes de la deuxième partie du rapport.

Sens général des réformes proposées

129. — Les structures pédagogiques doivent permettre au systèmescolaire d'assumer sa responsabilité envers tous les enfants de laprovince : développer les aptitudes et les dons de chacun le mieuxpossible, acheminer chacun vers les cours qui favoriseront le mieuxson développement, lui évitant tout retard dans ses études, toutblocage, ou toute éjection hors du système scolaire ou hors d'une

Page 632: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

En guise de conclusion • 633

partie de ce système. Cela suppose une parfaite coordination detous les éléments du système et, en particulier, l'application rigou-reuse des principes suivants:

— des études de même niveau et de même durée doivent con-duire à des diplômes équivalents

— des établissements offrant les mêmes études doivent êtredésignés par un même terme

— tout enseignement doit déboucher sur un enseignement deniveau supérieur, jusqu'au doctorat inclusivement

— aucun enfant ne doit quitter le système scolaire sans avoirreçu une formation professionnelle de très bonne qualité

— tout enfant doit recevoir la meilleure formation généralepossible

— l'enseignement secondaire doit offrir tous les enseignementsnécessaires au développement d'élèves aux aptitudes trèsdiverses

— l'orientation de l'enfant ne doit pas être prématurée ni irré-versible

— l'orientation ne peut être vraiment graduelle et prudenteque dans un système d'options incluant aussi bien le tech-nique que les actuels enseignements scientifique, classique etautres

— un système d'options incluant le technique ne peut se réa-liser que par une intégration des actuels enseignements tech-niques de niveau secondaire à l'enseignement secondairepolyvalent

— le nombre d'années d'études requis entre le début des étudesélémentaires et l'entrée à l'université doit être identique pourune même discipline dans toutes les universités.

130. — C'est pour répondre, dès le niveau élémentaire, à la néces-sité d'éduquer des enfants aux aptitudes très diverses, tout envisant à les développer le plus possible durant les années de sco-larité obligatoire, que nous avons proposé:

— que le cours élémentaire soit de six ans, divisible en deuxcycles de trois ans, le deuxième cycle étant précédé d'uneannée de rattrapage pour les élèves qui en auraient besoin

— que l'organisation des classes de l'élémentaire tienne comptedes divers rythmes d'apprentissage parmi les enfants

— que tous les élèves de l'élémentaire soient promus automa-

Page 633: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

634 • Le rapport Parent et ses grandes recommandations

tiquement d'un degré à l'autre chaque année, de façon àquitter l'enseignement élémentaire au plus tard à treize ans

— qu'on offre dans l'école secondaire, une 7e année prépara-toire pour les élèves venus de l'élémentaire qui en auraientbesoin.

131. — Les principes sur lesquels s'appuient les structures quenous proposons entraînent, au niveau secondaire, certaines consé-quences :

— la disparition du système des sections— l'intégration de l'enseignement technique de niveau secon-

daire aux autres enseignements secondaires dans un ensei-gnement polyvalent

— l'instauration d'une liste d'options incluant les matières del'enseignement classique, de l'enseignement scientifique, del'enseignement commercial, de l'enseignement des arts et dela musique, de l'enseignement ménager et familial, de l'en-seignement agricole et de l'enseignement technique actuels

— l'organisation de programmes d'études où s'équilibrent, pourtous les élèves, les matières de base et la formation généraleet les matières à options

— l'obligation pour tous les élèves d'expérimenter par cours-options, durant les 7e et 8e années, les divers modes deconnaissance et d'approche du réel, avant de concentrerensuite leurs options dans une ou plusieurs directions défi-nies

— l'obligation de faire deux années d'études secondaires géné-rales avant de concentrer les options dans des cours d'ini-tiation au travail

— l'obligation de faire deux années d'études secondaires géné-rales avant de concentrer les options dans des cours demétiers.

132. — La nécessité de donner, à l'intérieur d'un système scolaireunifié, une formation professionnelle terminale, celle de hausser leniveau des études professionnelles actuellement offertes en ize eti3e années, celle de donner une meilleure préparation générale etspéciale aux étudiants qui vont entrer en faculté, et celle de coor-donner les divers enseignements de ce niveau de façon à mieux enutiliser les ressources au profit de la jeunesse de cet âge réclamentl'instauration, à ce stade, d'un niveau d'études polyvalent et unifié,

Page 634: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

En guise de conclusion • 635

professionnel et terminal pour les uns, pré-universitaire pour lesautres. Ce sont ces études pré-universitaires et professionnelles quise donnent dans un établissement que nous appelons «institut».

133. — Tous les enseignements qui se donnent après le niveau pré-universitaire et professionnel appartiennent à l'enseignement supé-rieur. Ces enseignements, s'ils se donnent en dehors des universités,conduiront à des diplômes appropriés équivalents à ceux qui sedonnent dans les universités, s'ils requièrent le même nombresd'années d'études. Le premier grade universitaire {après une i6e

année) sera la licence ou le grade de «Bachelor», le second gradeuniversitaire sera le diplôme d'études supérieures ou le degré de«Master», le troisième grade universitaire sera le doctorat. Lesétudes de licence, dans toutes les facultés de toutes les universitésdevront être de niveau comparable ou équivalent; il en sera demême pour les études conduisant aux autres grades.

134. — Les structures que nous proposons [...], visent à adapterle mieux possible notre système d'enseignement aux besoins d'unepopulation scolaire diversifiée, mais en ne sacrifiant en rien laqualité de la formation à laquelle chacun a droit. Nous cherchonsau contraire, par une amélioration des programmes d'études et dela formation du personnel enseignant, comme nous le verrons dansles chapitres subséquents, à hausser et à perfectionner l'enseigne-ment que recevra chaque enfant de la province.

Source: Rapport Parent, deuxième partie, recommandations 1x9 à 134.

Une pédagogie et une atmosphèrescolaire nouvelles

La commission Parent veut aussi renouveler de fond en comble la pédagogie etl'atmosphère de l'école primaire et secondaire et s'en explique très clairementdans ce texte qui met en lumière l'idée de «méthodes actives» et l'importancepour les enseignants d'une nouvelle manière d'accomplir leur travail.

54j. — Dans cette école où le maître ne se tiendra plus constam-ment à sa tribune mais participera aux recherches en équipe, tra-vaillera au laboratoire de langues, « fera faire » de la physique etde la chimie en laboratoire autant et plus même qu'il n'en ensei-gnera théoriquement, les relations du maître et de l'élève et l'at-

Page 635: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

636 • Le rapport Parent et ses grandes recommandations

mosphère de l'école seront modifiées. L'école, se donnant pourmission d'habituer les élèves à apprendre, à comprendre, à tra-vailler verra le maître en train lui aussi de chercher la solution àun problème qui lui a été posé, beaucoup plus souvent qu'en trainde transmettre des connaissances livresques constituant un ensem-ble indigeste; le manuel sera un ouvrage de consultation, commele dictionnaire, la grammaire ; mais l'expérimentation et la recher-che personnelle seront une source tout aussi fréquente et ordinairede connaissances. On aura des classes interrogation et recherchetout autant que des classes transmission de connaissances. Lesparents ont, eux aussi, tout comme les maîtres, à comprendre etaccepter ces méthodes nouvelles, plus profitables à l'enfant. Et lemaître sera ainsi, à son tour, une sorte d'élève ; il apprendra de sesécoliers bien des choses ; d'abord à mieux les connaître, ensuite àmieux voir et mieux respecter leur sérieux, leur bonne volonté,leur initiative, leur intelligence, leur indépendance qui est une étapevers leur nécessaire autonomie et l'une des formes de leur dignité.

546. — Dans cette école nouvelle, cette école-atelier où voisine-ront des salles où l'on travaille le fer et les moteurs et des classesoù se donne le cours d'analyse littéraire, d'espagnol et d'histoire del'art, le costume de gymnase fera partie de l'équipement de l'enfanttout autant que le dictionnaire français; certains élèves seront déjàtrès sérieusement en train de s'initier au métier ou à l'occupationtechnique au moyen desquels ils gagneront leur vie dans un an oudeux. On n'aura pas là une école de bricolage, ni une école médio-cre et insuffisante du point de vue intellectuel; ce sera une écoleproche de la vie, habituant déjà l'élève au contact avec les réalitésconcrètes. Chacun y trouvera non seulement la discipline de l'es-prit, mais la coordination de l'intelligence avec les yeux et avec lesmains, avec le mouvement et avec le réel. L'élève apprendra àconnaître et à aimer l'ensemble des jeunes de sa génération, quelleque doive être la destinée de chacun dans la vie. Seul un systèmescolaire collant ainsi solidement au réel peut éviter à la provincel'énorme gaspillage intellectuel qui condamne actuellement desmilliers d'adolescents au chômage, à des occupations où ils nedonnent pas leur mesure, à l'insatisfaction et à l'amertume.

547. — L'attitude interrogative et l'esprit de recherche vont obligerchaque élève à s'engager beaucoup plus activement dans le travailintellectuel, à être lui-même le principal agent de son développe-ment et de sa formation. La mémoire ne devra pas pour autant

Page 636: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

En guise de conclusion • 637

cesser de servir, mais son rôle ne sera pas prédominant. Un ensei-gnement qui pose des questions et cherche des réponses, qui obligechacun à expérimenter, à « faire » de la science, à « parler » autantqu'à écrire sa propre langue et les autres langues réclame desmaîtres qui connaissent bien leur matière, qui sont capables del'apprendre et de s'y perfectionner sans cesse; la classe est poureux un enseignement autant que pour leurs élèves; mais la passi-vité de l'enseignement livresque n'est plus possible. L'interrogationen commun oblige le maître à la modestie, car il ne connaît pastoutes les réponses, doit souvent l'admettre, demander à sa classele temps nécessaire pour trouver la réponse à une question, à unproblème. Pour savoir où et comment chercher, le maître doit êtrebien formé ou bien encadré ; c'est pourquoi nous recommandonsque, pour le niveau élémentaire, un spécialiste des diverses matiè-res puisse, au besoin, aider le maître de ses conseils ou lui donnerles renseignements utiles. Au secondaire, nous voulons que lesprofesseurs de français, par exemple, ou de mathématiques, for-ment une équipe, puissent se consulter les uns les autres, échangerdes méthodes et des informations ; un professeur moins sûr de lui-même, moins expérimenté ou moins spécialisé, pourra toujours, decette façon, être assuré d'une aide et des conseils nécessaires.

548. — Le cours élémentaire, dont les objectifs sont restés à peuprès les mêmes au cours des diverses réformes qu'a subies l'ensei-gnement, conserve le programme d'ensemble qui a toujours étéplus ou moins le sien: lecture, écriture, calcul, formation moraleet religieuse. Le prolongement de la scolarité obligatoire a permisde reporter au secondaire des notions qu'on jugeait utiles commepréparation à la vie. C'est surtout sur le plan des méthodes que lesclasses élémentaires se sont modifiées; et cette rénovation a en-traîné par la suite un mouvement semblable de rénovation péda-gogique dans l'enseignement secondaire. Il n'est pas impossiblecependant que l'enseignement élémentaire soit appelé tôt ou tardà réviser à son tour jusqu'à son programme; on discute, aux États-Unis, de l'opportunité et de la possibilité d'enseigner l'anthropo-logie à de tout jeunes enfants; ailleurs, on invente des méthodespour initier l'enfant à une culture cinématographique de caractèreassez technique; des expériences sur l'enseignement des languesvivantes aux jeunes enfants ont montré que parfois l'apprentissagede leur langue maternelle s'en trouve facilité. Les recherches qui se

Page 637: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

638 • Le rapport Parent et ses grandes recommandations

poursuivent activement dans plusieurs centres pédagogiques per-mettent de prévoir que, même au niveau élémentaire, les program-mes d'études pourront se modifier.

Source: Rapport Parent, deuxième partie, §545-548.

Page 638: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

71 Confessionnalitéet enseignement privé

La troisième partie du rapport Parent, qui traite de différents aspects de l'admi-nistration de l'éducation, aborde entre autres les questions délicates de laConfessionnalité et de l'enseignement privé

La Confessionnalité dans l'éducation

C'est sous le thème de la diversité que la commission Parent aborde la questionde la Confessionnalité. Dans le premier chapitre de la troisième partie de sonrapport, chapitre intitulé «Pour une politique générale de l'éducation », la Com-mission définit certains principes permettant de traiter la question de laConfessionnalité dans l'éducation. La Commission, comme telle, envisage laquestion d'un point de vue non confessionnel parce qu'elle tient son autorité del'État qui est lui-même neutre. Le principe de la neutralité de l'État «en matièrereligieuse est complété par un autre principe, ajoute la Commission, celui de laliberté des consciences » (§ 52). Sur cette base, il faut prendre acte à la fois dela diversité religieuse de la population et de la demande des parents de rendreaccessible à leurs enfants un enseignement religieux conforme à leurs convic-tions. Cela vaut aussi pour les parents qui demandent l'exemption de l'ensei-gnement religieux confessionnel. Il faut donc envisager la Confessionnalité dansun esprit de souplesse et de diversité. Cela dit, la Commission consacre tout lechapitre n de la troisième partie du rapport à la question. Après un survol de lasituation en place, la Commission évalue divers aménagements possibles (écolepublique neutre exclusivement, école publique neutre dispensant un enseigne-ment religieux commun ou diversifié pour répondre à la demande, enseigne-ment confessionnel privé subventionné) qu'elle rejette. Sa préférence va à un«enseignement public confessionnel et non confessionnel», seul apte à res-pecter la diversité des options de la population. La Commission assortit cetteposition de principes devant régir l'enseignement confessionnel et non confes-sionnel, puisque l'école devra offrir les deux au primaire et au secondaire, l'ins-titut et l'université étant sans caractère confessionnel.

Page 639: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

640 • Le rapport Parent et ses grandes recommandations

1. — Nous recommandons que le système d'enseignement publicdu Québec respecte la diversité des options religieuses des parentset des élèves et offre le choix entre un enseignement catholique, unenseignement protestant et un enseignement non confessionnel,dans la mesure où les exigences de la qualité de l'enseignementpourront être respectées dans chaque cas.

2. — Nous recommandons que la loi ne reconnaisse aucun carac-tère confessionnel aux commissions scolaires et aux corporationsd'instituts, même si elle leur impose l'obligation d'assurer, lorsqu'ily a lieu, un enseignement catholique, un enseignement protestantet un enseignement non confessionnel.

3. — Nous recommandons qu'un recensement soit effectué chaqueannée par les autorités scolaires, afin de déterminer le nombred'enfants que les parents désirent inscrire dans chaque enseigne-ment, catholique, protestant, non confessionnel, et de langue fran-çaise ou de langue anglaise.

4. — Nous recommandons que chaque commission scolaire orga-nise une direction pédagogique pour chacun des enseignements,catholique, protestant et non confessionnel, de langue française etde langue anglaise qu'elle assure dans ses écoles.

j. — Nous recommandons que les parents soient étroitement as-sociés aux décisions concernant les modalités concrètes de laconfessionnalité ou de la non-confessionnalité de l'enseignementdispensé à leurs enfants.

6. — Nous recommandons que l'école publique non confession-nelle offre un ou plusieurs cours de religion, répondant aux con-victions religieuses des enfants qui la fréquentent et un enseignementmoral à l'intention des enfants n'optant pour aucun cours de re-ligion.

7. — Nous recommandons que la loi reconnaisse expressément àtous les parents dont les enfants fréquentent des établissementsconfessionnels publics le droit de demander que leurs enfants soientexemptés de l'enseignement et des exercices religieux.

8. — Nous recommandons que l'école élémentaire confessionnellequi accueille des élèves n'appartenant pas à la religion à laquelleelle se rattache s'assure que l'enseignement et l'organisation de lavie ne blessent pas la conscience de ces élèves, et qu'elle leur offre,

Page 640: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

En guise de conclusion • 641

si c'est possible, un enseignement religieux approprié ou un ensei-gnement moral.

5». — Nous recommandons que l'école secondaire confessionnellequi accueille des élèves n'appartenant pas à la religion à laquelleelle se rattache tire parti de la diversité des cours-options pouroffrir à ces élèves un enseignement religieux approprié ou un en-seignement moral, et les confie à des tuteurs choisis en consé-quence.

10. — Nous recommandons que l'institut adapte son enseigne-ment, partout où il y a lieu, au pluralisme religieux des étudiantsqu'il est appelé à accueillir, en multipliant, suivant les besoins, lescours de religion, ou de morale, de philosophie, de littérature etd'histoire.

11. — Nous recommandons que tous les établissements groupésdans le cadre d'un institut aient le droit de choisir leurs professeurssous réserve d'en faire approuver la nomination par la corporationde l'institut.

12. — Nous recommandons que le ministère de l'Éducation étudieavec les autorités religieuses et les Comités confessionnels, le fi-nancement des services de culte et de pastorale dans les établisse-ments d'enseignement de tous les niveaux.

13. — Nous recommandons que soient abrogées les dispositionsde la loi qui attribuent aux Comités confessionnels le pouvoir dereconnaissance des établissements d'enseignement comme catholi-ques ou comme protestants.

14. — Nous recommandons que les universités confessionnellesexistantes adaptent leur caractère confessionnel aux exigences del'enseignement supérieur dans une société pluraliste.

Source : Rapport Parent, troisième partie, Recommandations i à 14.

Page 641: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

L'enseignement privé

Le débat scolaire québécois a aussi été marqué d'un questionnement sur laplace de l'enseignement privé. On a beaucoup revendiqué la mise en place d'unenseignement secondaire public et gratuit conduisant à l'université et mettantun terme au monopole des collèges classiques privés. Ceux-ci ont profité destravaux tant de la Commission Tremblay que de la Commission Parent pour sejustifier et réclamer un financement public approprié. Aussi, la Commission Parentdoit-elle examiner la question de la coexistence de deux secteurs, privé et public,d'enseignement. Comme pour la confessionnalité, la Commission pose d'abordcertains principes généraux dans le premier chapitre de la troisième partie durapport: le droit à l'enseignement privé peut être reconnu, mais dans le cadred'une responsabilité générale de l'État à l'égard de l'éducation, ce qui modifiele statut de l'enseignement privé. Celui-ci ne peut ignorer les orientations pé-dagogiques définies par le ministère de l'Éducation. Dans le chapitre vu entiè-rement consacré à l'enseignement privé, la Commission détaille ces nouveauxprincipes d'organisation : types d'établissements, rôle à jouer, surveillance del'État par le moyen d'une loi d'encadrement, règles concernant les programmesles enseignements, les immeubles, le financement, etc.

64. — Nous recommandons qu'une loi de l'enseignement privésoit adoptée, conférant au ministre de l'Éducation les pouvoirs desurveillance, de contrôle et de réglementation nécessaires pourassurer la qualité de l'enseignement dispensé dans tout établisse-ment privé qu'il soit subventionné ou non par l'État ou par lescorps publics, à l'exception de l'enseignement supérieur.

65. — Nous recommandons que la réglementation de l'enseigne-ment privé concerne les titres du personnel enseignant, la validitédu programme d'études, les normes d'admission et de promotiondes élèves, les diplômes, les immeubles et l'équipement, le paie-ment des frais de scolarité et la réclame.

66. — Nous recommandons qu'aucun établissement privé ne puisseouvrir ses portes et fonctionner sans avoir obtenu au préalable unpermis que le ministre de l'Éducation accordera ou refusera sansdiscrimination suivant les normes établies et qui sera sujet à révo-cation dans les mêmes conditions.

67. — Nous recommandons que le ministère assure l'inspection detous les établissements privés, dans le but non seulement de garan-tir l'observance des normes établies mais aussi de conseiller et

Page 642: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

En guise de conclusion • 643

d'aider la direction et le personnel enseignant en vue d'une amé-lioration constante de la qualité de l'enseignement dispensé danstous ces établissements.

68. — Nous recommandons que le critère pour l'octroi de subven-tion aux établissements privés ou semi-publics soit celui de l'utilitépublique ou de service public dans le cadre de la planificationscolaire provinciale ou régionale.

69. — Nous recommandons qu'au niveau secondaire et au niveaude l'institut, soit établie une politique rationnelle de subventionsaux institutions privées ou semi-publiques, inspirée par les exigen-ces de la réforme pédagogique.

70. — Nous recommandons qu'au niveau secondaire et au niveaude l'institut, les établissements semi-publics puissent bénéficier,suivant leur contribution au plan scolaire régional ou provincialde subventions allant jusqu'à couvrir 100% de leur budget defonctionnement établi selon les normes et critères utilisés pourl'enseignement public.

71. — Nous recommandons qu'au niveau secondaire et au niveaude l'institut, les établissements privés, reconnus par le ministre del'Éducation, puissent bénéficier d'une subvention partielle couvrantd'une année à l'autre la même proportion de leur budget de fonc-tionnement établi selon les normes et critères utilisés pour l'ensei-gnement public.

72. — Nous r qu'au niveau secondaire et au niveaude l'institut, les établissements semi-publics puissent recevoir pourtout agrandissement de leurs immeubles nécessaire à leur partici-pation à un plan scolaire régional, inter-régional ou provincial, dessubventions d'immobilisation dans la même proportion que leurssubventions de fonctionnement, sauf à s'engager à en rembourserune partie s'ils changent un jour la destination de ces immeubles.

73. — Nous recommandons qu'au niveau pré-scolaire et élémen-taire, des subventions à des établissements privés ne soient accor-dées que très rarement, dans le cas d'écoles pour l'enfanceexceptionnelle et d'écoles pilotes servant de laboratoires de recher-che ou de centres de formation.

74. — Nous recommandons que chaque établissement semi-publicsoit constitué en une société distincte à but non lucratif, qu'il

Page 643: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

644 • Le rapport Parent et ses grandes recommandations

observe la même règle de gratuité scolaire pour les élèves et lamême échelle de traitements pour le personnel enseignant et nonenseignant que le secteur public, que son budget soit soumis àl'approbation du ministre de l'Éducation et ses comptes renduspublics.

Source : Rapport Parent, troisième partie, Recommandations 64 à 74.

Page 644: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Bibliographie

Page 645: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

This page intentionally left blank

Page 646: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Note explicative

La présente bibliographie permet d'illustrer, mieux encore quel'anthologie elle-même, la richesse et l'ampleur du grand débatquébécois sur l'éducation, mais elle vise d'abord à fournir auxpersonnes intéressées un guide pour les orienter dans la recherched'une documentation plus complète que celle retenue pour l'an-thologie. Un certain nombre d'explications en faciliteront l'utilisa-tion.

Cette bibliographie ne nourrit aucune prétention à l'exhaustivité.Une bibliographie exhaustive justifierait, en fait, un ouvrage ensoi.

Comme l'anthologie elle-même, la bibliographie vise à repérerdes textes parmi les plus significatifs du débat scolaire québécois,de 1945 à la publication du premier volume du rapport Parent.

La bibliographie comporte trois parties distinctes:

1. un certain nombre d'« Ouvrages généraux » sur l'histoire duQuébec et de son système d'éducation; il s'agit, pour l'es-sentiel, d'ouvrages utilisés pour la préparation de l'antholo-gie;

2. une section, intitulée « Textes originaux », qui classe uneliste des textes publiés entre 1945 et 1964 sur les diversaspects et moments du débat scolaire;

3. une section, intitulée «Recueils de textes originaux», quifournit quelques titres d'ouvrages publiés après 1963, maisreproduisant des textes de la période 1945-1963.

Pour la section des textes originaux, certains choix ont présidéà l'organisation de la bibliographie. D'une part, les références sontprésentées par année, de 1945 à 1963 inclusivement. Pour chaqueannée, on trouve d'abord les ouvrages, monographies ou rapportsofficiels publiés durant l'année en cause; on trouve ensuite lesarticles de périodiques regroupés sous le titre de chaque publica-tion, et ce, dans l'ordre chronologique de leur parution en revueou en journal et pour l'année en cause. Ce mode de présentation

Page 647: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

648 • Repenser l'école

des données bibliographiques peut comporter des inconvénients ; ilaurait peut-être été plus simple d'adopter le principe de présenta-tion des titres par ordre alphabétique des auteurs. Cependant,précisément parce que la bibliographie se veut un complément etun prolongement de l'anthologie, la méthode de présentation re-tenue permet au lecteur qui voudrait connaître le contexte, lesantécédents et les suites d'un texte particulier de se reporter, dansla bibliographie, à l'année en cause ou à celles qui précèdent ouqui suivent, et ainsi de repérer rapidement la place du texte enquestion.

D'autre part, les mémoires déposés aux Commissions royalesd'enquête sur les problèmes constitutionnels et sur l'enseignementont fait l'objet d'un traitement particulier. Les mémoires qui ontbénéficié d'une publication autonome chez un éditeur sous formede livre ou de brochure — donc à un nombre d'exemplaires supé-rieur à celui exigé par les deux Commissions et permettant uneplus large diffusion dans le public — ont été inscrits comme telsdans la bibliographie à l'année de leur publication. Ces mémoiresdans leur version éditée sont susceptibles de se retrouver dans desbibliothèques institutionnelles. En revanche, les mémoires qui n'exis-tent que sous forme dactylographiée et polycopiée ne se trouvent,en général, que dans des bibliothèques disposant de collections depublications officielles. Il y a lieu de rappeler, ici, que chacun desrapports des commissions Tremblay, Parent et Rioux comporteune liste des mémoires reçus par la Commission.

Deux autres remarques sont nécessaires. Il faut d'abord préciserqu'un texte publié dans un livre ou un recueil de textes figure dansla bibliographie à l'année où il a d'abord été rendu public (parpublication dans un journal ou un périodique ou livré sous formede conférence) et non à l'année de publication du livre où ce textepeut figurer. Cependant, la mention du texte dans l'année où il ad'abord été rendu public est accompagnée de la référence biblio-graphique du livre dans lequel il a été ultérieurement publié. Parailleurs, on remarquera que la bibliographie comporte, commel'anthologie, plusieurs textes d'André Laurendeau, le plus souventdes éditoriaux publiés dans Le Devoir ; cela s'explique par la fré-quence et la pertinence des éditoriaux de Laurendeau en matièred'éducation, éditoriaux qui alimentèrent généreusement le débatscolaire québécois.

C. C.

Page 648: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Bibliographie • 649

j. Ouvrages généraux

AUDET, Louis-Philippe, Bilan de la réforme scolaire au Québec, Mont-réal, Presses de l'Université de Montréal, 1969.

BÉLANGER, Paul R. et Louis MAHEU, «Pratique politique étudiante auQuébec», Recherches sociographiques, XIII-3, 1972,, p. 309-342.

COUTURE, Claude, Le mythe de la modernisation du Québec. Des années1930 à la Révolution tranquille, Montréal, Méridien, 1991.

DION, Léon, Le bill 60 et la société québécoise, Montréal, HMH, 1967.—, Québec 1945-2000, t. II Les intellectuels et le temps de Duplessis,

Sainte-Foy, Presses de l'université Laval, 1993.DUCHESNE, Raymond, La science et le pouvoir au Québec 1920-1965,

Québec, Éditeur officiel du Québec, 1978.DUFOUR, Andrée, Histoire de l'éducation au Québec, Montréal, Boréal,

1997.FOURNIER, Marcel, L'entrée dans la modernité. Science, culture et société

au Québec, Montréal, Éditions Saint-Martin, 1986.GINGRAS, Pierre-Philippe, Le Devoir, Montréal, Libre Expression, 1985.GINGRAS, Yves, Pour l'avancement des sciences. Histoire de l'ACFAS

1923-1993, Montréal, Boréal, 1994.LAHAISE, Robert (sous la direction de), Le Devoir — reflet du Québec au

XXe siècle, LaSalle, HMH, 1994.LAJEUNESSE, Marcel, L'éducation au Québec: 19" et 2oe siècles, Mon-

tréal, Boréal, 1971.LATOUCHE, Daniel et Diane POLIQUIN-BOURASSA, Le manuel de la parole.

Manifestes québécois, t. II 1900 à 1959 et t. III 1960 à 1976, Mont-réal, Boréal, 1978, 1979.

LINTEAU, Paul-André, René DUROCHER, Jean-Claude ROBERT et FrançoisRICARD, Histoire du Québec contemporain, t. II Le Québec depuis1930, Montréal, Boréal, 1989.

NEATBY, Nicole, Carabins ou activistes ?, L'idéalisme et la radicalisationde la pensée étudiante à l'Université de Montréal au temps de Duples-sis, Montréal, McGill-Queen's, 1999.

Rioux, Marcel, La nation et l'école, Montréal, Mouvement laïque delangue française, 1966.

ROUILLARD, Jacques, Histoire de la C.S.N. 1921-1981, Montréal, Boréal,1981.

—, Histoire du syndicalisme québécois des origines à nos jours, Mon-tréal, Boréal, 1989.

ROY, Jean-Louis, Les programmes électoraux du Québec. Un siècle deprogrammes politiques québécois, t. II1931-1966, Montréal, Leméac,1971.

—, La marche des Québécois. Le temps des ruptures 1945-1960, Mont-réal, Leméac, 1976.

Page 649: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

650 • Repenser l'école

SIMONEAU, Richard, « Les étudiants, les dirigeants et l'université : doctri-nes étudiantes et doctrines universitaires », Recherches sociographiques,XIII-3, 1972, p. 343-363.

—, «Doctrines universitaires et systèmes universitaires: une étude decas», Recherches sociographiques, XIII-3, I972) P- 365-380.

TREMBLAY, Arthur, Le ministère de l'Éducation et le Conseil supérieur del'Éducation. Antécédents et création 1867-1964, Québec, Presses del'université Laval, 1989.

TREMBLAY, Louis-Marie, Le syndicalisme québécois: idéologies de la CSNet de la FTQ 1940-1970, Montréal, Presses de l'Université de Mont-réal, 1972.

Textes originaux

1945

Fédération provinciale des travailleurs du Québec, Mémoire législatif augouvernement provincial.

Collège et FamilleDESJARDINS, P., s.j., «Le Ratio Studiorum», II-1, p. 23-30.PICARD, Robert, s.j., «Préparation à l'université», II-3, p. 137-140.

Relations«Suicide d'une culture», janvier 1945, p. 1-2.BOYLE, Rolland, s.j., «Les minorités catholiques du Québec», janvier

1945, p. 6-7.«Un témoignage de plus», février 1945, p. 31.«Orientation du primaire supérieur», mars 1945, p. 58-59.LÉVEILLÉE, Arthur, « Qu'est-ce que l'Université de Montréal ? », mars 1945,

p. 69.VALIQUETTE, Stéphane, s.j., «La minorité juive du Québec», mars 1945,

p. 72-74.LÉRY, Louis C. de, s.j., «L'autonomie provinciale en éducation», avril

1945, P- 94-95-«Pour nos garçons» [sur les travaux manuels à l'école], juillet 1945,

p. 170.DAGENAIS, André, «En philosophant avec mes élèves», août 1945,

p. 213-215.

2.

Page 650: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Bibliographie • 651

1946

L'Action nationalePARENT, M^ Alphonse-Marie, « Le rôle des Universités canadiennes-fran-

çaises», 28 (1946), p. 2.2-32.

Relations«Prévoir et agir», janvier 1946, p. i.«Hommage à nos universités», janvier 1946, p. 16.«Pour une grande politique au service de la jeunesse», février 1946,

p. 33-37.LEBEL, Maurice, «Le rapport de Harvard», mars 1946, p. 77-79.LÉRY, Louis C. de, s.j., «Le Conseil de l'instruction publique», avril

1946, p. 118-121.BEAULIEU, Maurice-H., s.j., « Cent ans de recrutement [des professeurs]

1846-1946», mai 1946, p. 139-142.BÉRUBÉ, Louis, «L'école des pêcheries de Sainte-Anne», juin 1946,

p. 171-173 (voir aussi octobre 1946, p. 297-299).«Le ministère de la Jeunesse», octobre 1946, p. 290-292.«L'éducation, un placement», octobre 1946, p. 304-305.BEAULIEU, Maurice-H., s.j., «Organismes d'action», décembre 1946,

p. 358-361.

1947

Association canadienne-française pour l'avancement des sciences, L'ensei-gnement des sciences au Canada français., Montréal, ACFAS, 1947.

AUDET, Louis-Philippe, Le centenaire du système scolaire de la provincede Québec, Québec, Université Laval, Faculté des sciences sociales,Cahiers du service extérieur d'éducation sociale, 4(8), 1947.

Collège et Famille«ROBESPIERRE», «Le cours classique dans Québec», IV-1, p. 41-48.

Le DevoirFILION, Gérard, « L'Université est l'affaire de tout le monde », 27 octobre

1947, p. i.

Relations«La religion à l'école», janvier 1947, p. 16-17.«Bills 8 et 9», mars 1947, p. 65-66.«Semaine de l'éducation», mars 1947, p. 66-67.«Encore les bills 8 et 9», avril 1947, p. 98.«L'Université de Montréal», mai 1947, p. 130.

Page 651: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

652 • Repenser l'école

«La Canadian Teachers' Fédération en congrès», septembre 1947,p. 2.57-2.58.

1948

L'enseignement des sciences au Canada français, Symposium tenu à l'Uni-versité de Montréal, le iz octobre 1947, lors du XVe Congrès del'ACFAS, Québec, École de pédagogie et d'orientation de l'universitéLaval, Document n° 3 de pédagogie et d'orientation, 1948.

AUDET, Louis-Philippe, Où mène le cours primaire de la province deQuébec ?, Québec, Université Laval, École de pédagogie et d'orienta-tion, Document n° 2, de pédagogie et d'orientation, 1948.

GROULX, Lionel, «Professionnels et culture classique», in Pour bâtir,Montréal, Action Nationale, 1953, p. 2,7-48.

Le DevoirFILION, Gérard, «Les laïcs dans l'enseignement secondaire», 4 février

1948, p. z.LAURENDEAU, André, «Vers un ministère de l'Instruction publique?»,

2, octobre 1948, p. i.

Relations«L'Université de Montréal», janvier 1948, p. 2,.MERCIER, Louis-J.A., « L'importance nationale des universités », février

1948, p. 44-46.«Les laïcs et l'enseignement secondaire», avril 1948, p. H2.-H3.«Soucis d'éducateurs», septembre 1948, p. 2,50-2,51.«Enseignement agricole», septembre 1948, p. Z5ï-2,$z.

1949

Collège et FamilleBOURGAULT, Raymond, s.j., «Le mystère des Grecs et des Juifs dans

l'Église», VI-1, p. z-i8.D'ANJOU, Marie-Joseph, s.j., « Clergé, collège et politique », VI-3, p. 104-

109.PICARD, Robert, s.j., «Le cours classique: préparation à l'Université»,

VI-4, p. 163-170.

Le DevoirFILION, Gérard, « Langue et culture. Le rôle des universités au Canada

français», 19 janvier 1949, p. i.

Page 652: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Bibliographie • 653

Relations« L'école catholique actuelle », mars 1949, p. 74.GIBEAU, Philippe, «Pour qui les écoles techniques », avril 1949, p. 94-95.«Le Canada français et l'éducation», septembre 1949, p. 2,30.«Loterie et éducation», octobre 1949, p. 2.57-2.58.

1950

L'Action nationaleGINGRAS, Paul-Emile, « Réclamons une enquête », 37 (1950), p. 211-222.

Collège et Famille«Notre Symposium», VII-z, p. 57-86: JOLY, Richard, «Orientation gé-

nérale », p. 60-64 ; LAURENDEAU, André, « Vivifier la tradition », p. 65-69; LORTIE, Léon, «Unir pour mieux former», p. 70-75; BARBEAU,Victor, «Plénitude de l'homme», p. 76-80.

Le DevoirLAURENDEAU, André, « Le cours classique et le plus grand nombre pos-

sible», Ier mars 1950, p. 4.

RelationsRYAN, Claude, «Entre la sortie de l'école et le mariage», janvier 1950,

p. 18-2,1.«La Commission Massey, l'éducation et la culture», mai 1950, p. 12,1-

122.

« La Chambre de commerce de Montréal devant la Commission Massey »,juin 1950, p. 168-169.

«La Charte de l'Université de Montréal», juillet 1950, p. 185-187.D'ANjou, Marie-Joseph, s.j., « L'éducation religieuse, problème mondial »,

septembre 1950, p. 258-260.«Lettre pastorale sur l'éducation», octobre 1950, p. 283-284.

1951

L'Action nationaleLAURENDEAU, André, « Les conditions d'existence d'une culture natio-

nale», 37 (1951), p. 364-390.ARES, Richard, s.j., «L'État, l'éducation et le bien commun», 38 (1951),

p. 127-138.

Cité libreVADEBONCOEUR, Pierre, « L'irréalisme de notre culture », décembre 1951,

p. 20-26.

Page 653: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

654 • Repenser l'école

Le DevoirFILION, Gérard, «Les subsides aux collèges classiques», 10 mars 1951,

p. i.LAURENDEAU, André, «Sur l'avenir de l'enseignement secondaire»,

27 septembre 1951, p. 4.

RelationsVALIQUETTE, Stéphane, s.j., «Dix ans de service social à l'école», mai

1951, p. 133-134.ANGERS, Pierre, s.j., «Notre cours classique en 1951 », juin 1951, p. 150-

153-«Le rapport de la Commission Massey», juillet 1951, p. 169-170.LONERGAN, Bernard, s.j., «Le rôle de l'université dans le monde mo-

derne», octobre 1951, p. 263-2,65.«Le rôle de l'université dans le monde moderne», octobre 1951, p. 272-

273.ANGERS, Pierre, s.j., « Les intellectuels catholiques et l'université moderne »,

décembre 1951, p. 327-330.«Son Excellence M81" Léger et l'université», décembre 1951, p. 336.

I9S2

BROUILLET, Ignace, « Où en sommes-nous dans l'enseignement pré-universitaire ? », Annales de l'ACFAS, 18 (1952), p. 49-52.

Centre catholique des intellectuels canadiens, Mission de l'Université.Carrefour 1952, Montréal, 1952.

JOLY, Richard, Vers une réforme du baccalauréat. Le projet latin-sciences,Québec, Presses universitaires de Laval, 1952.

Collège et FamillePICARD, Robert, s.j., «Finances scolaires», IX-3, p. 82-86.

Cité libreVADEBONCOEUR, Pierre et Maurice BLAIN, « Pour une dynamique de notre

culture», juin-juillet 1952, p. 12-26.

Le DevoirLAURENDEAU, André, « Comment sortir de l'impasse? », 15 février 1952,

p. 4.—, «Pourquoi cette anomalie dure-t-elle?», 15 mai 1952, p. 4.

Relations«Québec et l'aide fédérale aux universités», avril 1952, p. 85.PLANTE, Gérard, s.j., « La coordination de nos enseignements », avril 1952,

p. 90-92.

Page 654: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Bibliographie • 655

—, «Pour un enseignement secondaire bien coordonné», mai 1952,,p. 115-118.

«La coordination de l'enseignement», juin 1952., p. 141.VANDRY, M81 Ferdinand, « La vocation de l'université Laval », juillet 1952,,

p. 180-181.CORMIER, Clément, c.s.c., « Orientation patriotique de l'enseignement et

de l'éducation», août 1952,, p. 215-2,18.«Le centenaire de l'Université Laval», septembre 1952,, p. 225.« L'Université de Montréal et le programme de latin-sciences », septembre

1952, p. 225-226.D'ANjou, Marie-Joseph, s.j., «Visiteurs d'écoles à Montréal », septembre

1952, p. 229-232.«Il faut sérier les problèmes [de coordination de l'enseignement]»,

novembre 1952, p. 281-282.D'ANjou, Marie-Joseph, s.j., «Aumôniers d'écoles primaires supérieu-

res», novembre 1952, p. 286-288.PLANTE, Albert, s.j., «Nos commissions scolaires en congrès», décembre

1952, p. 314-317.FILTEAU, Gérard, «Un siècle au service de l'éducation», [inspecteurs sco-

laires], décembre 1952, p. 317-320 (voir aussi février 1953, p. 39-41).

1953

BRUCHÉSI, Jean, L'Université, Québec, Presses universitaires de Laval,

1953-Conseil de l'instruction publique — Comité catholique, Rapport du sous-

comité de coordination de l'enseignement à ses divers degrés, Québec,

!953-

Cité libreRioux, Marcel, « Remarques sur l'éducation secondaire », novembre 1953,

p. 34-42.

Collège et FamilleRACETTE, Jean, s.j., « Valeur particulière de nos humanités », X-4, p. 141-

148.

Le DevoirLAURENDEAU, André, « La crise prochaine de l'enseignement secondaire »,

8 janvier 1953, p. 4.—, « Du nouveau en éducation » [le rapport du sous-comité de coordina-

tion de l'enseignement], 22 décembre 1953, p. 4.

Page 655: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

656 • Repenser l'école

RelationsD'ANjou, Marie-Joseph, s.j., «Professeur de religion», janvier 1953,

p. 7-10.COUSINEAU, Jacques, s.j., « Sens et portée du centenaire de l'Université

Laval», janvier 1953, p. 2.0-2.2..PLANTE, Albert, s.j., «Désirs des commissions scolaires», mai 1953,

p. 12.0-12,4.GERVAIS, Albert, «La corporation des instituteurs», juin 1953, p. I5Z-

155-«La fédération des collèges classiques du Québec», juillet 1953, p. 173-

174.PLANTE, Albert, s.j., «La "loi pour assurer le progrès de l'éducation" »,

juillet 1953, p. 175-177.—, «Les faiblesses d'une loi», août 1953, p. zoz-zo4.PARENTEAU, Roland, «Le fonctionnement du fonds d'éducation», sep-

tembre 1953, p. Z3I-Z34.PLANTE, Albert, s.j., «Éducation et octrois statutaires», octobre 1953,

p. z6o-z63.

1954

BRUNET, Michel, «L'aide fédérale aux universités: deux points de vue»,in Canadians et Canadiens, Montréal, Fides, 1967.

Collège Jean de Brébeuf, Mémoire du collège Jean de Brébeuf à la Com-mission royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels, Montréal,1954.

Fédération des collèges classiques, L'organisation et les besoins de l'ensei-gnement classique dans le Québec. Mémoire de la Fédération des col-lèges classiques à la Commission royale d'enquête sur les problèmesconstitutionnels, Montréal, Fides, 1954.

Fédération des commissions scolaires du Québec, Les problèmes descommissions scolaires, solutions proposées [Mémoire à la Commissionroyale d'enquête sur les problèmes constitutionnels], Québec, Sociétédes éditions Champlain, 1954.

LAMONTAGNE, Maurice, Le fédéralisme canadien. Évolution et problè-mes, Québec, Presses universitaires de Laval, 1954.

TREMBLAY, Arthur, Les collèges et les écoles publiques : conflit ou coor-dination, Québec, Presses universitaires de Laval, 1954.

Cité libreMAJOR, Jean-René, «Sagesse de la philosophie», mars 1954, p. Z7-3O.

Collège et Famille«L'unité dans la diversité», XI-3, p. 89-90.JOLY, Richard, «Quelles traditions défendons-nous?» XI-3, P- 91-96.

Page 656: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Bibliographie • 657

Le DevoirLAURENDEAU, André, «Pourquoi les universités coûtent-elles si cher?»,

2i janvier 1954, p. 4.—, «Les laïcs et l'enseignement secondaire», 16 juillet 1954, p. 4.

RelationsANGERS, Pierre, s.j., « Le rapport sur la coordination de l'enseignement »,

mars 1954, p. 68-71.PLANTE, Albert, s.j., «Nos universités devant la commission Tremblay»,

avril 1954, p. 99-103.GERVAIS, Albert, «Pour une promotion de l'instituteur», mai 1954,

p. 1x7-130.ANGERS, Pierre, s.j., «Collège libre ou école publique?», juin 1954,

p. 158-161.PICARD, Robert, s.j., « Que représente notre baccalauréat es arts ? », sep-

tembre 1954, p. 245-248.PLANTE, Albert, s.j., «Les commissions scolaires [en congrès] à Chicou-

timi», novembre 1954, p. 305-309.

La Revue scolaireGADOURY, Louis-D., «Où mène l'école primaire», avril-mai-juin 1954,

p. 19-2.0.

1955

TREMBLAY, Arthur, Contribution à l'étude des problèmes et des besoins del'enseignement dans la province de Québec, Québec, Commission royaled'enquête sur les problèmes constitutionnels, 1955.

Collège et FamilleLALIBERTÉ, J., «L'enseignement secondaire dans le Québec», XII-5,

p. 197-205.

Cité libreLEFEBVRE, Jean-Paul, « L'éducation populaire au Canada français »,

novembre 1955, p. 21-23.

Le DevoirLAURENDEAU, André, «Le cours classique et l'école publique», 25 avril

1955, p. 4.—, «Premier but: l'université», 10 juin 1955, p. 4.—, « L'art d'embrouiller les questions » [sur les universités], 13 juin 1955,

p. 4.

Page 657: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

658 • Repenser l'école

RelationsPLANTE, Albert, s.j., «Les syndicats d'instituteurs», janvier 1955, p. 18-

21.—, « Un débat non convaincant » [sur le financement], mars 1955, p. 59-

60.—, «Le mémoire des collèges» [à la commission Tremblay], juin 1955,

p. 146-149.ANGERS, Pierre, s.j., « L'autonomie des collèges classiques », octobre 1955,

p. 2.59-2,62.GERVAIS, Albert, «La tragédie de l'heure» [sur la formation des ensei-

gnants], novembre 1955, p. 2,89-291.

1956

Commision royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels, Rapport,vol. III, t. I, Québec, 1956.

DANSEREAU, Pierre, « Lettre à un collégien sur les humanités et les scien-ces au Canada français », in Contradictions & biculture, Montréal,Éditions du Jour, 1964, p. 187-195.

Institut canadien des affaires publiques, Rapport de la troisième confé-rence annuelle: l'éducation, Montréal, 1956.

RUMILLY, Robert, Quinze années de réalisations : les faits parlent, Mon-tréal, [Imprimerie Saint-Joseph], 1956.

Semaines sociales du Canada (section française), La doctrine sociale del'Église dans l'éducation, XXXIIIe session, 1956, Montréal, Institutsocial populaire, 1956.

L'Action nationaleGINGRAS, Paul-Emile, «Fonction sociale de l'enseignement», 46 (1956),

p. 615-620.FARIBAULT, Marcel, « L'éducation au Canada français », 46 (1956), p. 798-

814.

RelationsANGERS, Pierre, s.j., «La recherche dans les universités canadiennes»,

mai 1956, p. 119-122.GERVAIS, Albert, «Le fonds de pension des instituteurs», mai 1956,

p. 122-125.L'ALLIER, Paul, s.j., «Pour ranimer l'éducation patriotique», août 1956,

p. 221-223.ARES, Richard, s.j., «Les octrois fédéraux aux universités», décembre

1956, p. 340-343-

Page 658: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Bibliographie • 659

1957

L'Action nationaleGINGRAS, Paul-Emile, « Le rapport Tremblay et l'éducation », 47 (1957),

p. 143-160.

Cité libreTRUDEAU, Pierre Elliott, «Les octrois fédéraux aux universités», février

1957, P- 9-31-

Collège et FamillePLANTE, Gérard, s.j., «Réformes accomplies, progrès à réaliser», XIV-i,

p. 1-7.

Le DevoirLAURENDEAU, André, «Pendant que nous dormons sur nos retards», 16

décembre 1957, p. 4.

RelationsARES, Richard, s.j., « Des subventions fédérales à l'enseignement primaire,

pourquoi pas?», mars 1957, p. 61-64.ANGERS, Pierre, s.j., « L'enseignement supérieur dans un Canada en crois-

sance», avril 1957, p. 91-93.—, «Problèmes économiques et financiers de l'enseignement supérieur»,

mai 1957, p. 121-123.—, «L'assistance financière de l'État à l'enseignement supérieur», juin

!957> P- I43-I45-LUSSIER, Irénée P. D., « Soucis d'un recteur d'université », décembre 1957,

p. 314-416.GENEST, Jean, s.j., «Nos collèges classiques et le problème de la spécia-

lisation», décembre 1957, p. 320-322.

1958

L'Éducation au Québec face aux problèmes contemporains. Documentsrelatifs à la conférence provinciale sur l'éducation, Université deMontréal, 7, 8, 9 février 1958, Saint-Hyacinthe, Les Éditions Alerte,1958.

Fédération des travailleurs du Québec et Confédération des travailleurscatholiques du Canada, Mémoire sur l'éducation soumis conjointe-ment au Surintendant de l'instruction publique, 1958.

Page 659: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

66o • Repenser l'école

L'Action nationaleGINGRAS, Paul-Emile, « Vers un statut professionnel » [des enseignants],

48 (1958), p. 31-44.—, «La gratuité scolaire», 48 (1958) 72-78 et 156-162.

Cité libreDÉCARIE, Vianney, Cyrias OUELLET et Jean LE MOYNE, « La liberté aca-

démique», janvier 1958, p. 1-15.DION, Léon, « Aspects de la condition du professeur d'université dans la

société canadienne-française», juillet 1958, p. 8-30.

Le DevoirLAURENDEAU, André, «Jamais un tel défi» [l'éducation et la société], 22

février 1958, p. 4.—, « Sept Russes, six Américains et deux Canadiens » [niveaux compara-

tifs de scolarisation universitaire], 26 février 1958, p. 4.—, « Qui pourrait leur donner tort ? » [la grève des étudiants universitai-

res], 5 mars 1958, p. 4.—, «À l'heure des réformes», 15 mars 1958, p. 13.«Des vices mortels aux réformes urgentes ... l'enseignement: pour qui et

par qui?», 15 mars 1958, p. 18-19.LAURENDEAU, André, « Au dernier degré du péril » [sur la situation finan-

cière de l'Université de Montréal], 9 mars 1958, p. 4.—, «Plus de canons ou plus de savants?», 9 avril 1958, p. 4.—, «Le rôle social de l'étudiant», 14 mai 1958, p. 4.—, entrevue par Jean-Marc Léger, 21 mai 1958, p. i, 6, 14.—, « Avec plus d'enthousiasme » [sur les retards de l'enseignement secon-

daire], 15 juillet 1958.

RelationsANGERS, Pierre, s.j., «À la veille de deux conférences sur l'éducation»,

février 1958, p. 33-36.«La "grève" des étudiants universitaires», avril 1958, p. 86-87.MARCOTTE, Marcel, s.j., «Autour de la gratuité scolaire», avril 1958,

p. 87-89.PLANTE, Albert, s.j., « Les octrois statutaires, une injustice? », avril 1958,

p. 90-92.«Pour sauver l'Université de Montréal», juin 1958, p. 141.MARCOTTE, Marcel, s.j., «Les droits de l'État dans l'éducation», juin

1958, p. 145-148.LAFRENIÈRE, Mgr Alphonse, « Une commission du programme à la Faculté

des Arts de l'Université Laval», juin 1958, p. 149-150.MARCOTTE, Marcel, s.j., « Les devoirs de l'État dans l'éducation — I »,

juillet 1958, p. 174-176.—, « Les devoirs de l'État dans l'éducation — II », août 1958, p. 200-204.

Page 660: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Bibliographie • 661

La Revue scolaireVINETTE, Roland, «Le souci de l'éducation scolaire dans les nouveaux

programmes d'études», mai-juin 1958, p. 14-18.

1959

BERTRAND, Théophile et Edmond CARON, Faut-il abandonner le coursclassique?, Montréal, Thérien Frères, 1959.

DRAPEAU, Jean, Jean Drapeau vous parle, Montréal, Éditions de la Cité,

1959-LESAGE, Jean, Lesage s'engage, Montréal, Éditions politiques du Québec,

1959.

L'Action nationaleLETENDRE, Gérard, «Un beau rêve», 49 (1959), p. 180-187.

Collège et FamilleGENEST, Jean, s.j., «L'humanisme gréco-latin et la préparation des maî-

tres», XVI-i, p. 2,7-35.

Le DevoirLAURENDEAU, André, «Jean Drapeau et la gratuité de l'enseignement»,

2,3 octobre 1959, p. 4.—, « À défaut d'une entente honorable, l'État du Québec doit agir seul »

[sur le contentieux des subventions fédérales à l'éducation], 17 décem-bre 1959, p. 4.

1960

ANGERS, Pierre, s.j., Problèmes de culture au Canada français, Montréal,Beauchemin, 1960.

DESBIENS, Jean-Paul [Frère Untel], Les insolences du frère Untel, Mont-réal, Éditions de l'Homme, 1960, [voir aussi la réédition avec notessupplémentaires, Éditions de l'Homme, 1988],

Direction générale des études pour les collèges de la Compagnie de Jésus,Mémoire concernant la création de l'Université Sainte-Marie, Mont-réal, 1960.

FILION, Gérard, Les confidences d'un commissaire d'école, Montréal,Éditions de l'Homme, 1960.

Université Laval, Rapport de la Commission du programme de la Facultédes Arts au Conseil universitaire, Québec, Université Laval, 1960.

Page 661: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

662 • Repenser l'école

L'Action nationale«Pour une éducation nationale», 49 (1960), p. 693-704.POISSON, Jacques, «Nos universités sont-elles françaises?», 50 (1960),

p. 14-22.«La réforme scolaire la plus urgente», 50 (1960), p. 213-219.«Si nous commencions par le commencement», 50 (1960), p. 301-310.

Cité libreTREMBLAY, Arthur, «Les subventions aux universités», mars 1960, p. 3-

ii.GAGNON, Gabriel, «L'action étudiante», avril 1960, p. 17-19.DÉCARIE, Vianney, « Fonds publics et enseignement classique », mai 1960,

p. 21-24.DUFRESNE, Georges, « II faut payer les étudiants », juin-juillet 1960, p. 8-

9-DÉCARIE, Vianney, « Les professeurs auront-ils la parole ? », août-septem-

bre 1960, p. 13-14.—, «La langue parlée au Québec: qui est responsable? », octobre 1960,

p. 20-21.PELLETIER, Gérard, « Un Congo universitaire ? » [sur le projet d'université

jésuite], novembre 1960, p. 1-2.LEFEBVRE, Jean-Paul, « L'article 9a du programme libéral » [sur l'éduca-

tion des adultes], novembre 1960, p. 17-20.PELLETIER, Gérard, « Situer nos problèmes », décembre 1960, p. 1-2.

Collège et familleBOURGAULT, Raymond, s.j., «Propositions sur l'essence du cours classi-

que», XVII-4, p. 180-185.

Le DevoirLAURENDEAU, André, « Dans quelle mesure l'université sera-t-elle libre ? »

[sur les subventions provinciales aux universités], 12 mars 1960, p. 4.—, « À propos des libertés universitaires » [sur le refus de l'Université de

Montréal d'embaucher Pierre Elliott Trudeau], 18 avril 1960, p. 4.—, «Pour la gratuité scolaire», 13 mai 1960, p. 4.—, «Pour une enquête sur l'éducation» [promesse électorale du Parti

libéral du Québec], ier juin 1960, p. 4.—, «L'Université et quelques-unes des objections qu'elle soulève»,

2i octobre 1960, p. 4.—, «Pour une enquête royale sur l'éducation», 15 novembre 1960, p. 4.

LibertéBLAIN, Maurice, « De la fin du colonialisme spirituel », novembre-décem-

bre 1960, p. 325-331.

Page 662: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Bibliographie • 663

LALONDE, Michèle, «Enseignement littéraire et catholicisme local»,novembre-décembre 1960, p. 33Z-34O.

RelationsGENEST, Jean, s.j., «Le nouveau programme de Laval», juillet 1960,

p. 178-179.TANGUAY, Armand, s.j., «Le Rapport de Laval», octobre 1960, p. 270-

271.—, «Le Rapport de Laval (2)», novembre 1960, p. 292-295.PLANTE, Gérard, s.j., «L'Université Sainte-Marie», décembre 1960,

p. 313-316.CARON, Maximilien, «Qu'est-ce qu'une université catholique? », décem-

bre 1960, p. 316-319.TANGUAY, Armand, s.j., «Le Rapport de Laval (3 )» , décembre 1960,

p. 326-329.

1961

Association générale des étudiants de l'Université de Montréal, Les étu-diants recommandent. Mémoire présenté à la Commission royale d'en-quête sur l'enseignement par l'Association générale des étudiants del'Université de Montréal, Montréal, AGÉUM, Cahier n° i, 1963.

Association des professeurs de l'Université de Montréal, L'Université ditnon aux Jésuites, Montréal, Éditions de l'Homme, 1961.

—, La crise de l'enseignement au Canada français. Urgence d'une ré-forme, mémoire présenté à la Commission royale d'enquête sur l'en-seignement par l'Association des professeurs de l'Université de Montréal,Montréal, Éditions du Jour, 1961.

ANGERS, Pierre, s.j., L'enseignement et la société d'aujourd'hui, Montréal,Les Éditions Sainte-Marie, 1961.

Institut canadien des affaires publiques, L'Église et le Québec, conférencede l'Institut canadien des affaires publiques, Montréal, Éditions duJour, 1961.

[Mouvement laïque de langue française], L'école laïque, Montréal, Édi-tions du Jour, 1961.

L'Action nationaleGINGRAS, Paul-Emile, « On trame la mort des collèges classiques », 50

(1961), p. 600-606.

Cité libre« Bill 2iii (privé) - Loi concernant l'Université de Saint-Amable » [sur le

projet d'université jésuite], février 1961, p. 1-3.

Page 663: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

664 • Repenser l'école

PARÉ, Jean, «Principe des pots communiquants», mars 1961, p. 2,1-2,3.BLAIN, Maurice, « La guerre de Troie n'a pas lieu », avril 1961, p. 10-14.BOISVERT, Réginald, « La guerre de Troie est-elle nécessaire ? », mai 1961,

p. ly-zo.LACOSTE, Paul, «La réforme du Conseil de l'instruction publique»,

novembre 1961, p. 5-10.LUSSIER, André, « Notre école confessionnelle et l'enfant », décembre 1961,

p. 8-19.

Le DevoirLAURENDEAU, André, «Pourquoi NON au projet des jésuites? »<, 12. jan-

vier 1961, p. 4.—, «D'abord l'enquête» [sur l'éducation], 17 janvier 1961, p. 4.—, « Moins que des marguilliers » [sur le rôle de l'État en éducation], 8

juin 1961, p. 4.—, «Les collèges classiques et la gratuité scolaire», 23 août 1961, p. 4.—, « Un retour à la tradition française » [sur le mémoire des professeurs

de l'Université de Montréal à la Commission Parent], z décembre1961, p. 4.

LibertéJASMIN, Bernard, «Un événement récent», octobre 1961, p. 607-611.

RelationsBERNIER, Robert, s.j., «Notre avenir universitaire», janvier 1961, p. 3-6.ANGERS, Pierre, s.j., « Structure de l'enseignement des arts et des sciences

dans les universités », janvier 1961, p. 19-2,0.BERNIER, Robert, s.j., « Conditions nouvelles de notre progrès universi-

taire», février 1961, p. 31-34.LANE, Gilles, s.j., «L'Église et l'université», février 1961, p. 37-40.CAMPEAU, Lucien, s.j., « Les principes de l'enseignement au Canada fran-

çais», avril 1961, p. 89-92.«Éducation et vérité» [sur l'école neutre], mai 1961, p. 115-116.CAMPEAU, Lucien, s.j., «Démocratie et neutralité scolaire», juin 1961,

p. I52--I55-GINGRAS, Paul-Emile, «Les nouvelles lois scolaires », juillet 1961, p. i8z-

184.ANGERS, Pierre, s.j., «Clercs et laïcs dans l'enseignement», novembre

1961, p. 297-300.COUSINEAU, Jacques, s.j., « La guerre scolaire aura-t-elle lieu ? » [sur l'école

laïque], décembre 1961, p. 327-329.

Page 664: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Bibliographie • 665

1962

Fédération des collèges classiques, Notre réforme scolaire. Mémoire à laCommission royale d'enquête sur l'enseignement, tome I : Les cadresgénéraux et tome II: L'enseignement classique, Montréal, Centre depsychologie et de pédagogie, 1962 et 1963.

Fédération des commissions scolaires catholiques du Québec, Mémoirede la Fédération des commissions scolaires catholiques du Québec à laCommission royale d'enquête sur l'enseignement, Sainte-Foy, F.C.S.C.Q.,1962.

Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec, Les structures del'enseignement: mémoire soumis à la Commission d'enquête sur l'en-seignement, Saint-Hyacinthe, 1962.

Institut canadien des affaires publiques, Le rôle de l'État. Conférenceannuelle de l'ICAP 1962, Montréal, Éditions du Jour, 1962.

[Mouvement laïque de langue française], Justice et paix scolaire, Mon-tréal, Éditions du Jour, 1962.

PARENTEAU, Hector-André, Les robes noires dans l'école, Montréal, Édi-tions du Jour, 1962.

Rapport du Comité d'étude sur l'enseignement technique et profession-nel, t. I: La situation en 1962. Les programmes d'étude. La didacti-que, t. II : L'aménagement et le financement des institutions. Les cadresadministratifs et les procédures, Québec, Gouvernement du Québec,1962.

Semaines sociales du Canada, L'éducation, problème social, 38e session,1962, Montréal, Bellarmin, 1963.

L'Action nationaleALLEN, Patrick, «Échos à propos de l'école neutre», 57 (1962), p. 394-

406.

Cité libreDION, Léon, «Éducation des adultes: le choix des buts», janvier 1962,

p. 6-13.DELMAS, Geneviève, «L'enseignement des sciences au Canada français»,

janvier 1962, p. 14-16.LACOSTE, Paul, «Réforme et confessionnalité», mai 1962, p. 16-20.HURTUBISE, René, «Le D.I.P. [Département de l'Instruction publique]

devant le peuple», décembre 1962, p. 18-20.

LibertéGRENIER, Raymond, «L'enseignement laïque pour tous et notre ultra-

montanisme», juin-juillet 1962, p. 444-450.

Page 665: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

666 • Repenser l'école

MaintenantO'NEIL, Louis, « Le projet Lacoste: une solution ? », janvier i96z, p. 13-

14.«L'Université catholique?», avril 1962,, p. iz4-iz8.ROBILLARD, Hyacinthe-Marie, o.p., «La confessionnalité, un échec?»,

juin i96z, p. zzz-zz3.GILBERT, J., «Les humanités gréco-latines», juillet-août i9é>z, p. Z59-

z6o.HUBERT, B., «Les réformes disciplinaires du collège», novembre i9éz,

p. 378-380.

RelationsANGERS, Pierre, s.j., «Éducation et progrès économique», mars i96z,

p. 6z-65.DUSSAULT, Gilles, «La Commission d'enquête sur l'enseignement: les 4Z

premiers mémoires », mars i9éz, p. 68-70.

La Revue scolaire« Son Excellence Révérendissime Mgr Maurice Roy chez les instituteurs

catholiques», mai-juin i9éz, p. zi-Z3.

1963

ANGERS, Pierre s.j., Réflexions sur l'enseignement, Montréal, Bellarmin,1963.

Cri d'alarme ... La civilisation scientifique et les Canadiens français,Québec, Presses de l'Université Laval, 1963.

Fédération des collèges classiques, voir année 1962,.GÉRIN-LAJOIE, Paul, Pourquoi le bill 60, Montréal, Éditions du Jour,

1963.Réflexions chrétiennes sur l'éducation, Conférences de l'Institut supérieur

de sciences religieuses de l'Université de Montréal, Montréal, Fides,1964.

Cité librePARÉ, Jean, «Faut-il tuer Pénélope pour le bonheur de Télémaque?»,

février 1963, p. 15-19.HURTUBISE, René, «D'une évolution nécessaire», mai 1963, p. zo-z5.

Le DevoirLAURENDEAU, André, « Pour la première fois » [sur le premier volume du

rapport Parent], Z7 avril 1963, p. 4.—, « L'autre côté de la question » [sur la création du ministère de l'Édu-

cation], Z9 juin 1963, p. 4.

Page 666: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Bibliographie • 667

—, «Recommencer la commission Parent?», 4 juillet 1963, p. 4.—, «Sur la nécessité pratique d'un ministre de l'Éducation», 6 juillet

1963, p. 4.—, « Pourquoi le gouvernement a-t-il reculé ? » [sur le retrait du projet de

loi créant un ministère de l'Éducation], 9 juillet 1963, p. 4.

RelationsLAMBERT, Marcel, «Socialisation de l'éducation, non son étatisation»,

janvier 1963, p. 8-10.GINGRAS, Paul-Emile, «L'économie de l'enseignement», mars 1963,

p. 62-64.—, «L'équilibre du budget scolaire», avril 1963, p. 91-93.«Le rapport de la Commission Parent», juillet 1963, p. 196-199.PICARD, Robert, s.j., « L'enseignement secondaire et l'enseignement supé-

rieur», septembre 1963, p. 2,50-2.52.ARES, Richard, s.j., «Le bill 60 et l'école confessionnelle», septembre

1963, p. 256-259.ANGERS, Pierre, s.j., «Réflexions sur l'enseignement», septembre 1963,

p. 267.COUSINEAU, Jacques, s.j., «Bill 60 et démocratie», septembre 1963,

p. 268-270.BOURGAULT, Raymond, s.j., «Le mouvement étudiant», octobre 1963,

p. 293-396.COUSINEAU, Jacques, s.j., «Les défauts majeurs du bill 60», octobre

1963, p. 296-298.

3. Recueils de textes originaux

BLAIN, Maurice, Approximations, Essais, Montréal, HMH, 1967.DANSEREAU, Pierre, Contradictions et biculture, Montréal, Éditions du

Jour, 1964.ÉLIE, Robert, Œuvres, Montréal, HMH, 1979.LAPALME, Georges-Emile, Pour une politique. Le programme de la Révo-

lution tranquille, Montréal, VLB, 1988.LAURENDEAU, André, Ces choses qui nous arrivent. Chroniques des an-

nées 1961-1966, Montréal, HMH, 1970.André Laurendeau, artisan des passages, textes choisis et annotés par

Suzanne Laurin, LaSalle, HMH, 1988.

Page 667: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

This page intentionally left blank

Page 668: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Table

Introduction 7

Première partiePerspectives d'après-guerre1945-1954

1 RelationsPlaidoyer pour la formation classique 25

2 RelationsLe contrôle de l'enseignement techniqueet le Conseil de l'Instruction publique 28

3 « Robespierre »Une critique du cours classique 31

4 Association canadienne-françaisepour l'avancement des sciencesUn débat sur l'enseignement des sciences 39

5 Lionel GroulxDes humanités et un humanisme élargi 43

6 Philippe GibeauPlaidoyer pour l'enseignement technique 51

7 Paul-Emile GingrasPour une enquête officielle sur l'éducation 55

8 Pierre Angers, s.j.Défis nouveaux pour le cours classique 62

9 Robert Picard, s.j.Le financement de l'éducation et le rôle de l'État 68

10 André LaurendeauL'État doit accroître son effort financier 75

11 Richard JolyRéformer le baccalauréat en le diversifiant 80

12 Marcel RiouxL'enseignement secondaire classique:stagnation intellectuelle et culturelle 93

13 Sous-comité de coordinationde l'enseignement à ses divers degrésRestructurer le système d'éducation 99

Page 669: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

14 Louis-D. GadouryOù mène le cours primaire ni

15 Arthur TremblayDémocratiser la formation secondairepar les écoles publiques 115

Deuxième partieAutour de la Commission Tremblay

1953-1956

16 Maurice LamontagneL'éducation dans le fédéralisme canadien 127

17 Michel BrunetLa responsabilité du Québec en éducation 133

18 Chambre de commerce du district de MontréalStructures et financement de l'éducation 137

19 Confédération des travailleurs catholiques du CanadaPour améliorer l'accessibilité aux études 141

20 Association canadienne-françaisepour l'avancement des sciencesRevaloriser la formation scientifique 149

21 Société Saint-Jean-Baptiste de MontréalPour un plus grand engagement de l'État dans l'éducation 155

22 Fédération des Mouvements de jeunesse du QuébecMettre de l'ordre, démocratiseret améliorer le financement de l'éducation 161

23 Fédération des Commissions scolaires catholiques du QuébecLe cours classique public et le financement des études 165

24 Fédération des collèges classiquesDéfense du cours classique et du collège privé 174

25 Collèges classiques de jeunes fillesSur l'accessibilité des jeunes filles aux études supérieures 196

26 Université LavalLe financement des universités 204

27 Association générale des étudiantsde l'Université de MontréalLes jeunes travailleurs intellectuels 216

28 Commission TremblayRecommandations en matière d'éducation 219

Page 670: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

Troisième partieL'impatiente attente des réformes1955-1961

29 André LaurendeauL'université clé du développementdu système d'éducation et de la société 241

30 Jean-Paul LefebvreL'éducation aux adultes 245

31 Paul-Emile GingrasÉducation libérale ou instruction utilitaire? 252

32 Institut canadien des affaires publiquesUn débat sur la démocratisation de l'éducation 256

33 Pierre DansereauScience et humanisme 270

34 André LaurendeauMener la bataille de l'éducation 277

35 Conférence provinciale sur l'éducationUn plan d'action pour entreprendrela réforme du système d'éducation 281

36 FTQ et CTCCPour une éducation gratuite et démocratique 286

37 Étudiants des universités québécoisesLes conditions matérielles de l'enseignementdans les universités 303

38 Georges-Emile LapalmeÉléments d'une politique de l'éducation 306

39 Parti libéral du QuébecProgramme électoral 315

40 Frère Untel [Jean-Paul Desbiens]Une critique insolente de l'éducation québécoise 317

41 Gérard FilionPropositions pour une réforme scolaire 324

42 Commission des programmesde la faculté des arts de l'université LavalPour une prudente modernisation du cours classique 343

43 Compagnie de JésusLe projet d'Université Sainte-Marie 356

Page 671: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

44 Jacques MackayPositions du Mouvement laïque de langue française 365

45 Pierre Angers, s.j.Les tâches de l'enseignement dans le monde de demain 372

46 André LaurendeauL'importance critique de la formationdu personnel enseignant 384

47 Claude RyanRôles respectifs de l'État et des institutions privées 387

48 [Arthur Tremblay]Une théorie de la planification de l'éducation 391

49 Cardinal Paul-Emile LégerL'Église catholique et l'éducation 404

Quatrième partieAutour de la commission Parent1961-1963

50 Association canadienne-françaisepour l'avancement des sciencesPour réorganiser l'enseignement des sciences 415

51 Cercles des Jeunes NaturalistesPour une nouvelle pédagogie des sciences naturelles 420

52 Fédération nationale des Ligues du Sacré-CœurPrudence dans la réforme 423

53 Chambre de commerce de la province de QuébecNécessité d'un ministre de l'éducation

et d'une réforme des structures 434

54 Confédération des syndicats nationauxRéformer sous l'empire de la démocratisation 450

55 Institut canadien d'éducation des adultesIntégrer l'éducation des adultes au système d'éducation 466

56 Société Saint-Jean-Baptiste de MontréalPour une éducation vraiment nationale 470

57 Fédération des Sociétés Saint-Jean-BaptisteUn Conseil national de l'éducation 480

58 Association des parents-maîtres du Parc de la MontagneDes vérités qu'il faut dire 482

Page 672: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

59 Association des professeurs laïquesdes écoles normales catholiques de la Province de QuébecPropositions de praticiens de l'éducation 487

60 Fédération des commissions scolaires du QuébecLa nécessaire autonomie des commissions scolaires 495

61 Fédération des frères éducateurs du CanadaDes collèges d'humanités et de techniques 506

62 Fédération des collèges classiquesUne réforme pour protéger des acquis 514

63 Commission universitaire de la Compagnie de JésusRéformer l'éducation, en maintenant l'autonomiedes établissements d'enseignement 531

64 Association des professeurs de l'Université de MontréalRetour aux sources françaisesdu système d'éducation québécois 555

65 Association générale des étudiants de l'Université de MontréalLe rôle de l'État dans le système d'éducation 567

66 Université de MontréalPour une meilleure préparation aux études universitaires 576

67 Université LavalL'université dans le système d'éducation 586

68 Comité catholique du Conseil de l'Instruction publiquePlaidoyer pour une réformeminimale du système d'éducation 598

En guise de conclusionLe rapport Parentet ses grandes recommandations

69 Encadrement de l'éducation 623

70 Nouvelle organisation de la formation 632

71 Confessionnalité et enseignement privé 639

Bibliographie 645

Page 673: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

This page intentionally left blank

Page 674: Repenser l'école  Une anthologie des débats sur l'éducation au Québec

M E M B R E D U G R O U P E S C A B R I N I

Q u é b e c , Canada2000

AGMV Marquis